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MONOGRAPHIES SUR L’ÉDUCATION DE BASE - X

Dans la même collection:

1. L’éducation de base: Description et programme.


II. Les coopératives et l’éducation de base,
par Maurice COLOMBAIN.
III. Les missions culturelles mexicaines,
par Lloyd H.HUGHES.
IV. L’expérience témoin d’Haïti: première phase, Ig47-Ig49.
V. L a santé au village: une expérience d’éducation uisuelle en Chine.
VI. L’analphabétisme dans divers pays.
VIL L’action sociale à la Jamaïque,
par Roger MARIER.
VIII. L‘emploi des langues vernaculaires dans l‘enseignement.
IX. Jeunesse et éducation de base.
J
L’ENSEIGNEMENT
D E LA LECTURE
ET D E
L’ÉCRITURE
Etude générale

Par
WILLIAM S. GRAY
II

U N E S C O
Publié en 1956 pour
l’organisation des Nations Unies pour l’éducation,
la science et la culture, 19,avenue Kléber, Paris-16e
Imprimé par Atar, Genéve (Suisse)

0 Unesco 1956
BD. 55. III. I O F
P R É F A C E

Tous ceux qui savent combien l’Unesco s’intéresse à la lutte contre l’analphabétismeapprécieront
pleinement l’importance que revêt le présent ouvrage pour la mise en œuvre du programme de cette
Organisation. Il est inutile de redire ici quel rôle essentielpeut jouer l’instructionélémentaire dans
le progrès social et l’amélioration des conditions matérielles d’existence. Le fait est à peu près
universellement reconnu aujourd’hui, et les nombreux efforts déployés sur le plan national, inter-
national et’régionalpour enseigner la lecture et l’écriture aux enfants et aux adultes démontrent
clairement que l’humanité prend conscience de ses responsabilités à cet égard et comprend que
l’éducation «de base» ou «sociale» doit contribuer puissamment à l’édification d’un monde
meilleur.
Cependant accepter un principe et le mettre en œuvre sont deux choses bien dzférentes. A u x
termes de l’article 26 (1) de la Déclaration universelle des droits de l‘homme a toute personne a
droit à l’éducation». M a i s de quel genre d’éducation s’agit-il? Quel niveau d’instructionfaut-il
atteindre? Et quelles seront les méthodes pédagogiques adoptées ? Sur toutes ces questions, les
avis sont partagés. On s’accorde à dire que chacun doit apprendre à lire et à écrire, mais voici
au moins quatre-vingts ans qu’on dispute sur le point de savoir quels sont les objectfs exacts de
l’enseignement de la lecture et de l’écriture, et comment il convient de dispenser cet enseignement
tant aux enfants qu’aux adultes.
Le présent ouvrage ne prétend nullement apporter des solutions déjînitives à ces problèmes.
C o m m e l’indique l’avant-propos,il a simplement pour but de donner un apergu des pratiques les
plus courantes, d’évaluer, dans la mesure du possible, leur ejicacité respective et de résumer, de
telle manière que les éducateurs et les administrateurspuissent aisément s’en inspirer, les résultats
des recherches et des expériences les plus intéressantesfaites à ce sujet. Il est le fruit de quatre
années d’efforts,auxquels ont participé, comme on le verra également dans l’avant-propos,non
seulement l’auteur et le Secrétariat de l’Unesco, mais encore un grand nombre d’institutions et
de spécialistes de tous pays qui nous ont fait projîter des ressources de leur expérience et dont les
suggestions, les observations et les critiques nous ont aidés à mettre au point la version déjînitive
de I’Etude préliminaire publiée par l’Unesco en 1953. Il faudrait plusieurs pages pour énu-
mérer ici les noms de tous ceux qui nous ont ainsi apporté leur concours. Aussi nous bornerons-
nous à les remercier collectivement ot à souligner que sans leur coopération le présent ouvrage serait
dépourvu de la valeur qu’il peut posséder.
Cependant il n’estpas question de soutenir que nos suggestions et recommandations ne puissent
être améliorées. Les connaissances disponibles dans ce domaine demeurent très fragmentaires, et
1’ Unesco aussi bien que l’auteur espèrent que la présente publication contribuera à stimuler et à
orienter de nouvelles recherches grâce auxquelles on pourra combler les lacunes qui subsistent.
L‘ouvrage est publié en éditions frangaise, anglaise et espagnole. Les trois versions dzffèrent
d’ailleurs defaçon assez sensible entre elles car, au lieu de traduire simplement l’original anglais,
on s’est e$orcé, avec le concours de deux spécialistes de valeur reconnue - Jean Simon pour le
français et Rodrigue2 Bou pour l’espagnol - de l’adapter à l’intention des éducateurs de langue
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

frangaise et de langue espagnole. L’Unesco espère aussi que cette étude injuencera les conceptions
et les pratiques des éducateurs et des administrateurs non seulement directement, mais encore in-
directement, du fait qu’elle servira de base à des «livres du maître» rédigés en de nombreuses
langues. Le Secrétariat de l’Unescofournira sur demande tous les renseignements voulus à ceux
qui se proposeraient d’efectuer de telles adaptations.
Comme il est dit dans l’avant-propos,1’ Unesco a déjà entrepris des recherches visant à déter-
miner si l’enseignement doit être donné dans l’idiome vernaculaire ou dans une langue auxiliaire.
Le rapport ci-aprèspeut être considéré comme la suite logique de ces travaux. Après avoir étudié
la question de la langue d’enseignementet celle des méthodes pédagogiques,il conviendra d’aborder
le problème de la production de livres de lecture conformes aux besoins. Un projet de ce genre
a effectivementdéjà été mis en chantier (voir,par exemple, l’étude de H . R.Verry récemment pu-
bliée par l’Unesco sous le titre Quelques procédés d’impression et de reproduction), mais
dans le cadre de son programme pour 1955-1956 l’organisation va intensiJier ces activités.
Il importe de souligner en terminant que la présente étude ne vise nullement à remplacer
-
le maître car c’est toujours de celui-ci,enjin de compte, et de I‘appui qu’il regoit de la collecti-
vité, que dépendra le succès ou l’échec de toute méthode pédagogique.
L‘Unesco tient à exprimer sa gratitude à l’éminent éducateur qu’est M.William S.Gray,
professeur à 1’ Université de Chicago et auteur du présent ouvrage, dont le nom est lié aux travaux
accomplis dans le domaine de l’enseignement de la lecture et de l’écriture depuis 1918.Elle désire
remercier également le directeur de la section depédagogie de 1’ Universitéde Chicago,qui a bien voulu
placer les ressources de cette université à la disposition de M . Gray, les nombreux collaborateurs
anonymes mentionnés plus haut et enjn les auteurs et éditeurs d’ouvrages dont nous avons été auto-
risés à reproduire des extraits, à savoir: G .B .Paravia et Cie, Turin; Secretaria de Educacibn
Pziblica, Mexico; Publications Bureau, Institute of Education, Khartoum (Soudan); Committee
on World Literacy and Christian Literature, New York, et Frank C.Laubach; Librairie Eugène
Belin, Paris; Departamento Nacional de Educagao, Rio de Janeiro; Unibn Nacional de Perio-
distas, Quito; Direccibn General de Educacibn Primaria, Santiago du Chili; Scott, Foresman
and Co.,Chicago; Consejo Superior de Enseiïanza, Porto Rico; M . R.Dottrens et M‘leEmilie
Margairaz; World Book Company, Yonkers-on-Hudson; Board of Education of the City of
Chicago; Arthur C.Croft Publications, New London (Connecticut); Reader’s Digest Educa-
tional Service Inc., Pleasantville (New York); Escuela Especial de Orientacion del Excmo.
Ayuntamiento, Valence; Houghton Maflin Company, Boston (Massachusetts) et Frank N.Free-
man; Educational Testing Service, Princeton (New Jersey); University of Texas, Austin
(Texas); Board of Regents, University of Wisconsin, Madison (Wisconsin).
Une bibliographie choisie très complète sur l’alphabétisation doit paraitre dans la collection
Etudes et documents d’éducation publiée par 1’ Unesco. On pourra l’obtenir en s’adressant
aux agents généraux de l’organisation (dont la listejgure à lafin du présent ouvrage) ou directe-
ment au Secrétariat de l’Unesco,à Paris.
TABLE D E S MATIÈRES

Introduction à l’édition française,par Jean Simon . . . . . . 9


Avant-propos de l’auteur . . . . . . . . . . . 26
Chapitre I~~ Le rôle de la lecture et de l’écrituredans l’éducationde base. 34
Chapitre II Influence des caractéristiques de la langue sur l’enseigne-
ment de la lecture et de l’écriture . . . . . 5’
Chapitre III Le processus de la lecture dans diverses langues . . . 63
Chapitre N Attitudes et techniques nécessaires à l’instructionfonction-
nelle en matière de lecture. . . . . . . 82
Chapitre v Méthodes d’enseignement de la lecture. . . . . 97 ‘
Chapitre VI Le choix des méthodes: résultats des recherches . . . 123
Châp‘itre VII Nature et organisation des programmes d’enseignementde
la lecture aux enfants . . . . . . . . 14’
Chapitre VIII L’enseignement de la lecture aux adultes . . . . ‘77 ”
Chapitre IX Principes fondamentaux de l’enseignement de l’écriture . 214
Chapitre x L’enseignementde l‘écritureaux enfants . . . . 237
Chap’itre XI L’enseignementde l’écriture aux adultes . . . . 258
Chapitre XII Mesures nécessaires pour atteindre le but . . .
’ . 275
Index . . . . . . . . . . . 309
INTRODUCTION A L’ÉDITION F R A N Ç A I S E

Nous ne doutons pas que les lecteurs de langue française abordent avec curiosité
la lecture de cet ouvrage. Connaissant les richesses que leurs pays ont apportées à la
pédagogie,ils s’interrogerontsur les élémentsnouveaux que peut leur révéler ce livre.
Cependant les succès que nous avons obtenus n’ont pas endormi les esprits vigi-
lants: il en est qui se questionnent encore -parfois avec inquiétude -sur les bases
fondamentales de l’éducationet de l’instruction.Il semble que, pour ceux-là,cette
étude rassemble, dans la limite des disciplines étudiées,les données concrètes indis-
pensables à une utile méditation. Cette revue mondiale de i’enseignement de la
lecture et de l’écriture ne ferait-elle que confirmer, sous la diversité des races et
des cultures, l’unité fondamentale de l’esprit humain, elle apporterait déjà une
riche moisson. Mais cette introduction a pour objet de montrer qu’il est d’autres
horizons: l’étude du professeur Gray est une œuvre susceptible d’applicationspra-
tiques immédiates.
Applications immédiates car, en dépit d’affirmations souvent répétées, il est à
craindre que tout n’ait pas été dit sur l’enseignementde la lecture et de l’écriture.
Evoquons-enquelques aspects: a) Le faible pourcentage du taux d’analphabétisme
des pays de langue française (3 à 4 %) représente cependant une masse nombreuse
d’individus (environ deux millions1). Ce nombre, relativement petit quand on le
compare à d’autres pays d’Europe, par exemple, ne laisse pas d’être important.
6) Sur la valeur des méthodes d’enseignement,l’accord est loin d’être fait entre les
spécialistes. c) La formation des maîtres est-elledonnée à partir d’un ensemble de
connaissances objectives ? Je sais que l’efficacitéd’un enseignement tient moins aux
vertus des méthodes qu’aux qualités des maîtres; mais n’est-ilpas raisonnable de
fonder ses convictions sur les faits plus que sur la foi, au moins dans le domaine
de la pédagogie ? d) Enfin, nous devons nous pencher tout particulièrement sur
les problèmes posés par l’éducationet l’instruction des peuples d’outre-merauprès
desquels certains pays de langue française assument une mission culturelle dont
nous souhaitons tous qu’elle soit de plus en plus importante et efficace.
A toutes ces questions,l’étudedu professeur Gray fournit des réponses.Il va de
soi que ces brefs aperçus ne forment pas une revue complète des apports de cette
publication. Pour en mieux saisir l’intérêt,il convient d’en pénétrer l’économie.
L’ouvrage comprend un avant-proposet douze chapitres dont le dernier pré-
sente, sous forme de conclusions, un programme d’ensemble pour l’enseignement
de la lecture et de l’écriture.L‘avant-propos,hors un bref rappel des origines de
cette étude, est un avertissement aux lecteurs. C o m m e pour tout avant-propos,

I. Evaluation d’après les données fournies par L’éducation danr le monde: organisation et statistiques,
Paris, Unesco, 1955.

9
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

cette partie que l’impatiencedes lecteurs fait souvent négliger,il convient d’enfaire
une lecture attentive. Ainsi comprendra-t-onmieux les buts, les intentions, les
lacunes ou les faiblesses éventuelles de l’ouvrage.Mais la modestie de l’auteur qui
prétend n’avoirposé G qu’uneborne le long du chemin D ne doit pas nous dissimuler
que son travail constitue une véritable somme de nos connaissances sur le sujet
étudié. Nul n’était sans doute mieux qualifié que W.S.Gray pour entreprendre
cette tâche. Depuis quarante ans il s’est consacré à l’étude de la lecture. Ses mé-
moires originaux, ses livres font autorité. Les analyses qu’il publie chaque année
dans le Journal of Educational Research témoignent de l’ampleurde son information.
Les travaux français ne lui sont pas étrangers, chose assez rare chez un auteur
américain pour mériter d’être signalée. Nous sommes sensibles au fait que ce sont
des auteurs de langue française,Java1 et Lamare,qu’il considère comme les pion-
niers de l’étude psychologique de la lecture. Si l’on découvre avec plaisir les noms
des maîtres disparus, comme Decroly, on rencontre avec satisfaction ceux d’au-
teurs qui nous sont familiers:Borel-Maisonny,Dottrens,Freinet,P.Mezeix,Seegers,
Th. Simon et d’autres encore. Dans cette bibliographie de langue française, l’au-
teur a recherché les ouvrages de synthèse ou ceux qui décrivaient des méthodes: il
est allé à l’essentiel,il ne pouvait étudier le détail. Quand cela lui a été possible, il
s’est informé directement auprès des pédagogues et des psychologues de leurs mé-
thodes ou de leurs recherches. Cet effort d’information sur les travaux de langue
française a été complété par une information sur des travaux d’auteurs dont les
langues nationales n’étaient ni l’anglais,ni le français. En fait, l’auteur a réussi
à nous présenter un véritable bilan.
En dehors de l’avant-proposet de la conclusion,l’ouvrage peut être décomposé
en quatre parties. La première ne comprend que le chapitre I ~ qui ~ , envisage le
rôle de la langue écrite dans la civilisation moderne et celui qu’elle peut et doit
jouer dans le développement des populations dont les civilisations sont peu évo-
luées ou limitées à une élite très restreinte. La seconde partie, qui comprend les
chapitres II, III, IV, présente une revue des données scientifiques sur l’enseigne-
ment de la lecture. La troisième partie, qui s’étend du chapitre v au chapitre vm,
étudie les méthodes d’enseignement de la lecture, leurs fondements scientifiques,
les programmes qui peuvent en résulter. Enfin la dernière partie est spécialement
consacrée à l’étude de l’écritureet comprend les chapitres IX, x, XI.

Le chapitre I erJ qui traite du rôle de la lecture et de l’écrituredans l’éducation de


base, intéressera plus particulièrement ceux qui ont quelque responsabilité dans
l’essor des pays sous-développés,au moins du point de vue culturel et m ê m e écono-
mique, car il existe des relations entre les progrès de l’instruction et le développe-
ment du bien-être.Certaines données seront, pour les pays de langue française,
un signal d’alerte,même sur le plan national. L’une des difficultés majeures con-
sistait à déterminer le degré de connaissances qu’il faut atteindre pour utiliser pra-
tiquement la langue écrite. L’effort de l’auteur a porté sur la recherche de carac-
téristiques générales susceptibles de servir de jalons, quelles que soient les diffé-
rences et des civilisations et des besoins. Dans ce développement des connaissances
en langue écrite, il faut procéder par vagues successives, depuis les connaissances
utiles mais rudimentaires jusqu’au niveau fonctionnel qui permet à l’individude
s’engager dans les tâches qui nécessitent une bonne maîtrise de la langue écrite.
Ces connaissances primitives, ce niveau fonctionnel, l’auteur nous en donne la
mesure. Il s’attache également à montrer que, tôt ou tard, la connaissance de la
langue écrite devient utile, partant nécessaire. Le raffinement des civilisations mo-

IO
Introduction O l’édition françnise

dernes est tel qu’il laisse souvent dans l’ombre les valeurs primitives de la langue
écrite. Parfois encore une trop grande familiarité avec cette langue en masque les
utilisations pratiques les plus simples. Il est des évidences que nous devons voir
rappelées: si la lecture peut contribuer à notre développement spirituel et moral,
elle est également utile pour faire pénétrer des règles simples d’hygièneconcernant
l’élevage des nourrissons ou la préparation des aliments. C’est d’ailleurs au con-
tact des faits que nous nous rendons compte de cette utilisation pratique.L’enseigne-
ment de la lecture aux illettrés ne possédant aucune notion, m ê m e rudimentaire,
des techniques modernes ne s’improvise pas. Il se prépare, il s’élabore.La mission
culturelle et civilisatrice n’a pas, comme Moïse, reçu les tables de la Loi: elle doit
convaincre et ne tire son autorité que d’elle-même.Elle convaincra d’autantmieux
qu’elle sera plus amplement informée, qu’elle saura imposer des bornes à son am-
bition, qu’elle maîtrisera les techniques qui lui sont nécessaires. A cet égard, ce
chapitre, riche en remarques, l’est peut-êtredavantage en exemples concrets. Dé-
pouillés de leur pittoresque, ils livrent l’essentielque masqueraient de trop savantes
discussions. Il ne suffit pas seulement d’apporter le bon grain, même si le terrain
a été bien préparé; il faut encore que la culture puisse être continuée,entretenue,
développée.Il faut des maîtres,bien préparés;il faut des livres,spécialement conçus;
il faut,là où elles n’existent pas, créer des langues écrites. La tâche est immense:
plus de la moitié de la population du globe est illettrée.A u siècle qui a vu révéler
les mystères de l’atome,n’est4 pas étrangement inquiétant de voir aussi révéler
de telles données ?

A u cours de sa recherche sur les méthodes d’enseignementde la lecture et de l’écri-


ture, W.S. Gray devait se heurter à deux problèmes particulièrement délicats: l’un
concerneles rapports de la langue parlée avec la langue écrite;l’autre,les variations
possibles parmi les méthodes d’enseignement en fonction des types d’écriture.Ce
sont ces problèmes qui sont étudiés dans le chapitre II. O n sait qu’une langue se
définit par sa phonétique, son vocabulaire, sa syntaxe. Chacun de ces caractères
peut avoir une influence sur la manière de transcrire la langue parlée; en réalité
lechoix est leplus souventfait,et son originehypothétique.Ilfautalors s’accommoder
de ce qui existe, en le perfectionnant si c’est possible. Soit pour des raisons écono-
miques ou politiques,soit par tradition,il est rare qu’unenation change son système
d’écriture.O n en connaît cependant des exemples dont le plus célèbre est celui de
la Turquie. Cette expérience a montré qu’il était possible de changer d’alphabet.
Plus délicate est la question du changement de mode d’écriture: le passage d’une
écriture idéographique à une écriture consonnantique soulève bien des problèmes.
Etudiant en détail les principes de l’écriture chinoise et les méthodes de son en-
seignement,W.S.Gray montre les étroits rapports qui unissent les unes aux autres.
O n sait les avantages que présente l’écritureidéographique: dans le cas de la Chine,
elle permet à des individus qui ne parlent pas le même dialecte de se comprendre
par écrit. Lorsqu’il s’agit de pays qui n’ont pas de langue écrite, c’est l’alphabet
latin qui s’est imposé (tel du moins a été le cas de certaines langues africaines);
quelquefois on adjoint à l’alphabet latin des signes nouveaux ou des signes dia-
critiques. Il semblerait donc que la grande diversité des langues et des écritures
conduise à une grande variété dans les méthodes d‘enseignement. Heureusement
deux faits viennent réintroduire une certaine unité: d’une part l‘identité foncière
des buts à atteindre, d’autre part certaines données scientifiques qui montrent de
profondes similitudes dans les habitudes des lecteurs expérimentés.
Avant d’analyserces dernières,il convient de souligner quelques difficultésparti-

II
L’enrei~nementde la leGtu7e et de l’écritu~e

culières à la langue française. L’auteur du rapport signale, parmi les faits linguis-
tiques qui peuvent influencer le choix des méthodes, les problèmes d’ordre phoné-
tique. Il indique que la langue française soutient des rapports moins étroits entre
son écriture et sa phonétique que l’espagnol. La transcription écrite du français
soulève, en effet, quelques difficultés importantes au cours de l’apprentissagede la
lecture. Les enfants de langue française pénètrent, non sans peine, le dédale de
notre système écrit. Mais les étrangers ont encore plus de peine; que dire de ceux
qui apprennent à lire en français alors qu’ils ne possèdent qu’une connaissance très
limitée de la langue parlée ? C’est pourtant un procédé souvent employé dans les
territoires français d’outre-mer.Ne serait-il pas possible de combiner, en un tout
harmonieux, l’enseignement de la lecture dans la langue maternelle et celui du
G français élémentaire ) )? Les difficultés, nous le savons, sont nombreuses: peu de
langues africaines sont écrites, certaines ne sont parlées que par des groupes très
restreints. Nous ne voulons que signaler l’existence de tels problèmes. Attachés à
nos traditions, nous parvenons difficilement à promouvoir une réforme de notre
système d’écriture.S’opposantà la fois aux excès des partisans d’unsystème phoné-
tique intégral et aux intransigeances de pédagogues conservateurs,quelques esprits
avisés travaillent avec opiniâtreté à une simplification.Celle-ciest rendue nécessaire
par l’extension de la culture et par notre légitime désir de maintenir au français
une universalité depuis longtemps reconnue. Mais la complexité du système fran-
çais prend un aspect tragique dans l’apprentissagede l’orthographe. Les enfants
de langue française qui maîtrisent en deux ou trois ans l’apprentissagede la lecture
parviennent difficilement à écrire la langue au cours de sept ou huit années de sco-
larité. Certains n’y parviennent jamais. Evidemment cela ne les empêche pas tou-
jours d’avoir une a lecture fonctionnelle », cela les gêne pour utiliser pleinement
l’écriture.Pour des raisons sociales complexes qui remonteraient au X V I I Isiècle,
~
nous attachons à la forme écrite une importance indéniable. Auprès du peuple
comme auprès de l’élite intellectuelle,l’orthographe possède un prestige certain.
Dire d’une personne qu’elle c n’a pas d’orthographe», c’est émettre nettement un
jugement défavorable: nombreux sont les individus qui n’osent pas écrire à cer-
taines personnalités craignant d’êtredesservis par leur orthographe.Dans ces condi-
tions, même pour nos pays de langue française où l’instruction atteint un haut
niveau, il reste des problèmes. Ce n’est pas sortir du propos de l’auteur d’attirer,
encore une fois,l’attentionsur eux. O n ne saurait affirmer que tous les enfants qui
abandonnent l’écolevers leur quatorzième année aient assez de G lettres». Il en est
qui ne parviendront pas à occuper,à cause de cette lacune, des fonctions où cer-
taines autres de leurs qualités auraient été appréciées: le barrage de l’orthographe
se dresse devant eux. Ce n’est pas le seul handicap. La difficulté de notre ortho-
graphe et le temps considérable que les maîtres doivent consacrer à cette disci-
pline entravent le développement culturel qu’apporteraient d’autres disciplines.
F.Brunot notait déjà, dans son Histoire de la langue française, qu’«aucun progrès
ne pourrait être fait pour l’enseignement primaire tant que de si courtes années
d’études devront principalement être employées à enseigner aux enfants à lire et
écrire comme en Chine)). Des remèdesont été proposés.La réforme de 1’«ortografe »,
comme écrivait voilà cinquante ans un novateur, en est un. Enseigner une ortho-
graphe de base en est un autre:les travaux de Dubois,d’Aristizaba1,de Dottrens et
de Massarenti n’ont guère eu d’échosauprès des pédagogues.
U n dernier problème enfin est celui qui concerne la forme parlée et la forme
écrite. C’est un problème essentiel pour la compréhension de la lecture et pour son
utilisation pratique. Certes, pour la langue parlée comme pour la langue écrite, le
substrat est le même; mais les formes diffèrent profondément: ni le vocabulaire, ni
la syntaxe,ni la longueur des phrases ne sont identiques.En voudrait-onune preuve

12
Introduction & l’éditionfranfaise

que les techniques d’enregistrementsonore pour l’établissement d’un (< français élé-
mentaire B nous les fourniraient. Pourquoi aurait-oneu recours à un procédé com-
plexe et coûteux si les formes écrites et parlées avaient une correspondanceétroite ?
La compréhensionde la lecture,la transcription écrite de la pensée exigent donc un
entraînement spécial dont l’a explication françaiseB traditionnelle, pour les hauts
niveaux,est sans doute l’exemplele plus achevé.
Le lecteur voudra bien excuser cette longue parenthèse qui n’avait d’autre objet
que de rappeler quelques problèmes particuliers à la languefrançaise.Au cours de sa
lecture il trouvera sansdoute quelquesindicationspour aiderà résoudrecesproblèmes.

Dans le chapitre III de son ouvrage,le professeur Gray montre que les mécanismes
de la lecture sont semblables quel que soit le type d’écriture ou la langue parlée.
A cet effet il a d’ailleursentrepris des travaux spécialement conçus pour cette étude.
Les spécialistes de la psychologie de la lecture trouveront là des données très pré-
cises obtenues par des techniques complexes mais sûres. L’auteur démontre ainsi,
confirmant de nombreux travaux antérieurs,que le mouvement des yeux au cours
de la lecture est le m ê m e pour diverses langues et différents types d’écriture. Chez
le lecteur habile, c’est le contenu du texte qui commande le processus de lecture.
Une conclusion s’imposera donc: il est indispensable d’entraîner les élèves, dès les
débuts de l’apprentissage,à la G lecture intelligente», à << lire pour comprendre».
Les méthodes de lecture auront donc pour objet de permettre l’accession à ce stade
supérieur de la lecture.Par quels processus du système nerveux supérieur s’effectue
le passage du zéro absolu en lecture à la lecture intelligente,c’estun point sur lequel
la science n’a pas apporté de réponse certaine. A u moins a-t-ellepu décrire les
étapes de cette évolution. Si l’on interprète les chiffres de ces expériences scienti-
fiques, ils confirment les intuitions de la vie pédagogique quotidienne: au cours
des quatre premières années de scolarité,la vitesse de lecture (orale ou silencieuse)
s’accroît rapidement; elle continue au-delà,selon un rythme moins rapide; mais,
à partir de la troisième année, la vitesse de la lecture silencieuse croît plus rapide-
ment que celle de la lecture orale.Il existe des procédés pour permettre un accroisse-
ment de cette vitesse. Ces procédés, sur lesquels l’auteur ne s’étend pas, sont pra-
tiquement inconnus en France. Ils permettent cependant d’atteindre aisément des
vitesses de lecture de l’ordre de 500 mots à la minute. Ce qui intéressera le péda-
gogue, dans ce chapitre,c’est de savoir que le perfectionnement dans la rapidité de
la lecture se poursuit jusqu’au niveau de l’enseignement secondaire. O n sait que
les auteurs de langue anglaise -les Américains en particulier -se sont préoccupés
de l’évolution de la lecture jusqu’au niveau de l’université.Le propos de l’auteur
n’étaitpas de s’étendresur ce point,mais les indications qu’ildonne, chemin faisant,
susciteront peut-êtredes curiosités nouvelles dans un domaine vraiment peu exploré
dans les pays de langue française. Intéressantes également sont les données com-
paratives entre la lecture silencieuse et la lecture orale;il semble que les programmes
actuels ne font pas, au cours des premières années scolaires,une place suffisante à
la lecture silencieuse.

Dans le chapitre IV, qui termine la revue des problèmes et des données scientifiques,
l’auteurcommence par définir les concepts que peut désigner le terme (c lecture ».
11 a choisi, pour aborder cette question, une méthode historique et sociologique.
Historique, car il rapporte l’évolution des conceptions; sociologique, par les rai-
sons qui expliqueraient cette évolution. Il aboutit ainsi à distinguer des types de
lecture qu’il classe selon le rôle que la lecture joue dans la vie, Le choix de cette
classification est en accord avec le but principal de cet ouvrage,qui se veut utile à
ceux qui ont pour mission de lutter contre l’analphabétisme.O n ne saurait donc
L‘enseignement de la lecture et de l‘écriture

l’adopter sans l’adapter aux pays de langue française. O n devra distinguer, pour
certains de ces pays, entre les territoires métropolitains et ceux d’outre-mer.
W.S.Gray énumère six types de lecture, depuis la lecture de simples plaques ou
panneaux (noms de rue,enseignes,etc.)jusqu’àcelle qui conduit à une méditation.
O n voit donc que ce n’est pas uniquement l’aspectpratique qui guide cette classifi-
cation,mais qu’intervientaussi la nature des effets engendrés par la lecture. Celle-ci
peut conduire le lecteur à modifier son comportement. La lecture implique donc
un engagement de la personnalité,engagement qui peut être plus ou moins complet
selon les types de lecture et selon les personnalités.La lecture déborde donc large-
ment le cadre étroit d’une technique pour devenir un élément important de la vie
moderne. Ceci précise l’extension du concept: la lecture n’est pas seulement une
technique formelle,elle n’est pas non plus un passe-temps agréable, elle comporte
toute une gamme de valeurs. Parmi celles-ci,il en est une qui nous paraît être un
peu négligée dans les pays de langue française, c’est la valeur d’«utilisation pra-
tique ». C’est sur cette valeur d’utilisationpratique que les pays de langue française
qui ont étendu leur influence à des pays sous-développés(en Afrique,par exemple)
devraient mettre l’accent.L’exercice m ê m e des libertés démocratiques qu’ils ont
peu à peu introduites s’en trouverait facilité. Cette méconnaissance repose sur une
opinion discutable: on pense qu’à partir du moment où le texte est compris,il peut
être utilisé quels que soient les actes ou les attitudes qu’il implique. O r la com-
préhension n’est pas un phénomène aussi simple. W.S. Gray en distingue trois de-
grés: le sens littéral,qui n’est lié qu’à l’étenduedu vocabulaire du lecteur; le sens
complémentaire,qui implique déjà un certain degré d’information,de connaissances
antérieures à la lecture;enfin le sens implicite,qui fait appel à la réflexion.Il paraît
donc souhaitable que les diverses possibilités offertes par la lecture fassent l’objet
d’un entraînement particulier. Sans déchoir, l’enseignement peut faire place aux
valeurs d’utilisationpratique. Ceux qui ont vu des provinciaux dans les couloirs du
métropolitain parisien, des voyageurs égarés dans une grande gare, ceux qui ont
des questionnairesà dépouiller,ceux qui ont à faire remplir des formulaires peuvent
rapporter bien des embarras dont ils ont été témoins. Sans nuire au développement
du goût pour la lecture personnelle,qui contribue à l’enrichissementde la person-
nalité,les programmes de langue française sont conçus de telle façon qu’ilspeuvent
permettre, dans le cadre des heures consacrées à l’enseignement de la lecture,
l’introduction d’exercices qui développeraient certains aspects de la lecture, tels
qu’ils peuvent se présenter dans la vie quotidienne. D’autres disciplines qui im-
pliquent de telles attitudes bénéficieraient de cet entraînement.
Après avoir défini le concept que peut désigner le mot a lecture», l’auteur
étudie quelques attitudes et aptitudes nécessaires pour devenir un bon lecteur. Ce
sont là des pages dans lesquelles on retrouve des données désormais classiques: la
perception, l’attitude d’attente,l’association des idées, le développement de l’in-
telligence et celui du langage,la stabilité émotionnelle sont passés en revue. Revue
que les spécialistestrouverontsans doute un peu sommaire,mais qui est suffisamment
étendue pour retenir, sans la lasser, l’attention d’un large public.

Selon le domaine propre à leur profession,les lecteurs trouveront dans ces trois cha-
pitres des données qui compléteront leur information ou qui leur permettront de
confronter leur propre expérience à celle d’autres spécialistes. L’auteur n’a pas
voulu faire un manuel, comme cela lui avait été suggéré, mais une revue d’en-
semble. A la fois plus modeste et plus ambitieuse,cette méthode ouvre au lecteur
un champ de réflexion plus vaste où chacun peut découvrir sa propre vérité.

‘4
Introduction à l’éditionfrangaise

La troisième partie est consacrée à la description des méthodes et à leur classifi-


cation, à l’analyse des recherches dont les résultats peuvent aider au choix d’une
méthode,aux programmes d‘enseignementde la lecture aux enfants et aux adultes.

Le chapitre v a sans doute été l’un des soucis majeurs de l’auteur.Nous savons,
pour nous en être souvent entretenu avec lui au cours de son travail, tout le soin
qu’ila apporté pour clarifier des notions qui n’ont de simple que l‘apparence.Pour
avoir quelquefois abordé le problème nous n’ignorons pas les embûches de l’entre-
prise; nous savons aussi combien il est difficile d’aboutir à un accord entre spécia-
listes. Nous ne sommes donc pas étonné lorsque W.S.Gray nous dit que les bases
choisies pour classer les méthodes furent vivement critiquées dans un rapport sur
l’enseignement de la lecture, au cours de la XIIe Conférence internationale de
l’instruction publique1. L’auteur recherche les raisons de ce désaccord et il en dé-
finit quelques-unes.La principale tiendrait au fait que la désignation d’unemême
méthode varie selon que l’on choisit,pour la définir,l’élément écrit qui lui sert de
point de départ, la voie sensorielle à laquelle elle s’adresse,le processus psycholo-
gique qu’elle implique. Il est une autre raison: la méthode est une chose; celui qui
l’emploie,un individu dont le style personnel marque de son empreinte la méthode
utilisée.Une méthode n’estjamais qu’unschémapratique,un cadre.Dans l’espritdé-
fini par ce schéma,mais hors de ses limites,intervient le style,qui est l’hommemême.
Le principe qui a été choisi pour classer les méthodes se réfère à un cadre histo-
rique. Il sera, nous n’en doutons pas, vigoureusement attaqué aussi: dans le do-
maine des méthodes de lecture il y a toujoursplace pour la chicane.C’estcependant
pour l’éviter que W.S.Gray, conscient de l‘écueil,a choisi encore une fois la mé-
thode historique. Il distingue les méthodes selon leur ordre d’apparitiondans l’his-
toire de l’enseignementet selon leur degré de spécialisation.Mais, comme il était
cependant nécessaire de distinguer pour définir,l’auteura bien été obligé de com-
pléter son système en ayant recours à des désignations classiques. C’est l’unité lin-
guistique qu’il a préférée pour désigner les différentes méthodes situées à l’intérieur
de leur cadre historique. Pour chacune de ces méthodes, il prend soin de préciser
les principes qui la guident,la façon dont est construit le programme d’enseignement
qu’elle sert,la manière même dont la leçon est faite.Ainsi il sera aisé de s’entendre:
si l’on n’est pas tout à fait d’accord sur le mot, au moins le sera-t-onsur la chose.
Parmi les expressions qui désignent les méthodes dans le texte anglais original, il
en est qui n’ontguère de correspondant précis en français: ainsi a-t-ilfallu traduire
phrase method par quelque chose d’approchant,<< méthode des membres de phrase >>,
le mot anglais phrase étant justement employé pour bien préciser qu’il ne s’agit pas
d‘une phrase (sentence en anglais).
La classification proposée par le professeur Gray est résumée dans le tableau
suivant:
A. Méthodes spécialisées ajparues primitivement:
I. Méthode littérale ou d’épellation;
2. Méthode phonétique;
3. Méthode syllabique.
B. Méthodes spécialisées apparues secondairement:
I.Méthode des mots;
2. Méthode des membres de phrase;
3. Méthode des phrases;
4.Méthode des récits.

I. Convoquée conjointement par l’Unescoet le Bureau internationald’éducation et réunie à Genève


du 4 au II juillet 1949.

‘5
L‘enseignement de la lecture et de l‘écriture

C. Méthodes dues à une évolution récente:


I . Méthodes éclectiques;
2. Méthodes centrées sur l’élève.
Ce schéma ne peut évidemment prendre tout son sens qu’en se rapportant à la des-
cription des méthodes. O n en trouvera une expression encore plus concrète en étu-
diant les exemples de manuels à la fin du chapitre v. O n voudra bien remarquer
que la description de chaque méthode est souvent complétée par l’indicationdes
procédés qui accompagnent son utilisation. C o m m e certains de ces procédés sont
communs à différentes méthodes,ils ne pouvaient servir de base à une classification.
Pour chacune de ces méthodes l’auteurrapporte et les louanges des partisans et
les critiques des adversaires. D e cette confrontation passée et présente sont nées
les tendances ( (éclectiques », sorte de fusion des méthodes. Dans chaque système
proposé, les pédagogues ont retenu les éléments éprouvés par l’expérience quoti-
dienne; ainsi naquirent ce que nous nommons souvent la méthode a mixte >> ou
((analytique-synthétique ». L‘expression proposée par W.S.Gray mérite un sort
heureux: elle évite .lejargon du spécialiste,elle efface les idées impures du mélange
pour n’en garder que l’esprit d’élégance et de raison.
La catégorie de méthodes classées comme a méthodes centrées sur l’élève>> sug-
gérera peut-êtrequelques réserves.O n sait que la pédagogie comprend deux parties:
une pédagogie générale et une pédagogie spéciale, celle-ci décrivant les procédés
d’enseignement de telle ou telle discipline. Les conceptions de la pédagogie géné-
rale ont considérablement évolué au cours du xxesiècle; cette évolution ne pouvait
pas être sans influencer la forme et le contenu de l’enseignement des diverses dis-
ciplines scolaires. C’est le résultat de cette interaction, dans le domaine de l’en-
seignement de la lecture, que W.S. Gray désigne comme les tendances ( (centrées
sur l’élève». Cette distinction était rendue nécessaire,car l’emploide méthodes mo-
dernes d’enseignementde la lecture n’exclutpas toujours une conception tradition-
nelle de l’éducation scolaire.
C e chapitre, clair et précis, sera d’une grande utilité pour la formation des
maîtres. Ceux qui ont déjà une longue expérience de l’enseignement,soit qu’ils le
pratiquent, soit qu’ils le contrôlent ou l’organisent,rencontreront ici l’occasion de
faire une revue critique de leurs conceptions personnelles.

Le chapitre VI vient compléter cette revue des méthodes par une revue des études
scientifiques auxquelles leur emploi a donné lieu. Ces études portent soit sur le
rendement des méthodes, soit sur le style de lecture auquel elles conduisent. Nous
savons que le mot a rendement>> n’a pas une très bonne presse. Une notion aussi
simple,aussi claire,aussi précise que le rendementest souvent obscurcie et dénaturée.
Si l’onse complaît ou si l’on se réfugie dans des formules aussi vagues que la G for-
mation de l’esprit», le ( (sens du beau >>, on ne peut parler de rendement. Non pas
que la formation de l’esprit ou le sens du beau ne soient dignes de considération;
mais, de toute évidence,ils ne peuvent guère se mesurer,au moins dans l’immédiat.
C e qu’une nation peut apporter au monde, idées nouvelles, inventions, œuvres
d’art, tout cela peut permettre d’apprécier le rendement des institutions pédago-
giques. Si parfaite que soit une méthode de lecture,il n’est personne pour lui attri-
buer tant de vertus!Il est possible de s’entendre,pour peu qu’on le veuille.Le rende-
ment suppose la mesure, qui n’est valable que dans les conditions où elle est prise;
elle est aussi le seul repère possible. C’est le savant anglais lord Kelvin qui disait:
<< Si vous pouvez mesurer ce dont vous parlez et l’exprimer par un nombre, vous
savez quelque chose de votre sujet;sinon,vos connaissancessont d’unepauvre espèce
et bien peu satisfaisantes.>> Sans aller aussi loin,nous convions le lecteur à accepter
l’idée de la mesure du rendement d’uneméthode de lecture pour ce qui est mesu-

16
Introduction à l‘éditionfrançaise

rable : exactitude et rapidité de la lecture, précision de la compréhension, solidité


de l’orthographe qu’elle procure. Ces données sont mesurables. Dans une recherche
dont l’objet est de comparer le rendement de différentes méthodes de lecture, on
peut.critiquer le dispositif expérimental: choix de la population, étendue et pro-
gression de l’expérience, choix des épreuves; à ces maux, il est des remèdes. Mais
lorsque le dispositif expérimental ne souffre pas la critique, il n’est pas de raisons
valables, sinon les sentimentales -Pascal le dit - pour refuser les données de telles
recherches. Q u e les partisans de telle ou telle méthode se rassurent: il n’y a pas
actuellement de travaux qui puissent permettre de conclure indiscutablement à la
supériorité d’une méthode. Mieux, d’après McDowell, il semble que ce soit une
combinaison de méthodes, un a éclectisme », qui donne le meilleur résultat. U n e
recherche, encore inédite, à laquelle nous avons participé tendrait à renforcer ce
résultat. Les travaux français dans ce domaine sont d’ailleurs rares, et la plupart
des références de l’auteursont de langue anglaise. Parmi la somme des travaux que
W.S. Gray a passés en revue, il s’est fait un choix et il n’a retenu que ceux dont le
dispositif expérimental présentait les plus solides garanties. Il faut ici faire confiance
à l’homme; personnellement, nous pensons que sa longue spécialisation et l’étendue
de son information incitent à accorder cette confiance.
L a lecture de ce chapitre conduira sans doute les chercheurs de langue française
à aborder un domaine important de la recherche psychopédagogique et à entreprendre
des travaux qui pourraient mettre un terme à des controverseslongues et vaines entre
pédagogues ou, en certains pays, entre municipalités (ou provinces) et pédagogues.
E n complément de ces données scientifiques sur le rendement des méthodes,
l’auteur cite quelques autres facteurs qui peuvent influencer le choix des méthodes:
la structurede la langue,la qualification du maître, le milieu culturel,les buts assignés
à l’enseignement, le temps consacré à celui-ci.

Pour les pédagogues le chapitre VII sera certainement le plus intéressant, peut-
être aussi le plus déroutant. O n ne peut l’aborder avec profit, nous semble-t-il,qu’en
ayant constamment présentes à l’esprit un certain nombre de données. E n premier
lieu, il ne faut pas oublier que l‘étude est essentiellement conçue en fonction des
besoins des pays sous-développés,pays qui n’ont pas de programmes d’enseignement
ou dont les programmes ne donnent pas entièrement satisfaction. Pour ces pays, les
plans.proposés, à la progression.relativement lente, seront très utiles. Pour les pays
de langue française, les responsables de l’enseignemententreprendront certainement
une étude comparative entre ce qui se pratique chez eux et ce que propose W.S. Gray.
C o m m e l’auteur le souligne lui-même,un programme de lecture doit être établi par
ceux qui ont une parfaite connaissance de la communauté à laquelle ce programme
s’applique. Nous l’avons déjà écrit: ce livre est un guide, mais un guide libéral.
Dans ce que l’auteur propose, et qui est fort détaillé, nous sommes persuadé que de
nombreuses idées sont à retenir: elles pourraient être à l’origine d’études poussées
et permettre, dans certains des pays de langue française, une revision des plans
d’études et des commentaires qui les accompagnent, une amélioration des livres de
lecture qui complètent les manuels.
E n second lieu, nous savons que l’auteur est américain. Or, en étudiant com-
parativement les conceptions de l’enseignement de la lecture aux Etats-Unisd’Amé-
rique et dans les pays de langue française, en particulier en France, nous apercevons
des différences qui sont plus apparentes que réelles. Il faut sans doute en rechercher
les raisons dans la nature des génies divers de ces pays. Sentimental, pratique et
utilitaire aux Etats-Unis;profondément cartésien et soutenu par une longue tradi-
tion littéraire pour les pays de langue française. U n facteur secondaire, mais cepen-
dant important, provient du développement des études psychologiques aux Etats-
L’enseipnement de la lecture et de l‘écriiure

Unis. La pensée de James et de Dewey,alliée à la rigueur des techniques de la psy-


chologie expérimentale, y a fortement influencé les conceptions de l’enseignement.
Elles aboutissent à des programmes dont la structure peut paraître parfois dérou-
tante, bien que l’on puisse leur trouver d’étroites correspondances avec les nôtres.
L‘aspect essentiel de l’enseignement primaire aux Etats-Unis durant les premières
années, c’est d’être centré sur l’enseignement de la lecture: élocution,vocabulaire,
rédaction, activités dirigées, orthographe - tout cela s’appelleenseignement de la
lecture. Là où nos programmes sont analytiques,nous rencontrons Outre-Atlantique
du globalisme; mais, paradoxe pour nous, là où nous laissons une grande marge
d’interprétation,de procédés, d’intuition,nous trouvons des étapes, des techniques
souvent fort détaillées: en un mot une guidance très minutieuse. En veut-on un
exemple ? En première année, nous usons habituellement d’un manuel (en un ou
deux livrets) et d’un premier livre de lecture courante -rarement deux;aux Etats-
Unis, il y a un ou deux pre-primers (manuels d’initiation), six primers (manuels) ou
davantage,et unjirst reader (premier livre de lecture). Face à ces programmes,nous
sommes donc astreints à établir une véritable ( (traduction pédagogique D; elle est
plus aisée, d’ailleurs,pour les maîtres qui emploient des méthodes basées sur les
centres d’intérêt,dans l’esprit de la pédagogie de Decroly par exemple.
En troisième lieu,on se souviendra que ce plan est destiné A des pays dont les
langues maternelles ont des structuressouvent fort différenteset dont les types d’écri-
ture sont fort éloignés les uns des autres. L’auteur a donc tenté de tracer un plan
d’ensemble,indiquant quelques procédés particuliers, selon les types de langue,
mais sans entrer dans le détail des procédés plus particuliers à tel ou tel type d’écri-
ture ou de langue. Nous avons déjà signalé l’importancede ces problèmes pour la
France et la Belgique,dont on sait les responsabilités qu’elles assument directement
auprès de pays sous-développés.
Le chapitre VII comprend donc trois parties d’étendues inégales; la troisième,
la plus intéressante pour nous, décrit la portée et l’organisation d’un programme
de lecture. Dans la première partie, W.S.Gray indique la variété des tâches à
remplir. Dans la deuxième, il définit les buts à atteindre dans l’enseignement de
la lecture; il distingue très utilement le problème des moyens de celui des fins, en
montrant comment celles-ci influencent ceux-là.Avec la troisième partie, nous
abordons un moment essentiel du livre. Pour l’auteur,l’enseignementde la lecture
comprend quatre étapes:a) une période de préparation;b) une période d’enseigne-
ment proprement dit, ayant pour but de permettre la lecture de textes simples;
c) une période destinée à promouvoir de rapides progrès dans la maîtrise de la
technique et dans le développement des habitudes indispensables pour bien lire;
d) une période de perfectionnement. Ces périodes sont de durées inégales, et les
moyens d’enseignement diffèrent également. L’ensemble est réparti sur quatre
années: les deux premières périodes et la dernière durent en tout deux ans, tandis
que la deuxième, à elle seule,a une durée équivalente.
Il est particulièrementintéressant d’étudierla période de préparation. Elle peut
fournir d’utilessuggestions pour nos écoles maternelles l. Aux maîtres de première
année la lecture de ce paragraphe rappellera utilement l’inégalité de formation
intellectuelle des enfants. Ils trouveront aussi la description d’un programme qui
facilitera l’adaptationdes élèves à l’école et à la discipline essentielle de cette pre-
mière année: la lecture. Les instituteurs découvriront quelques méthodes simples
destinées à apprécier le degré de préparation des enfants, leurs faiblesses éventuelles
1. Ce n’est pas par souci d’une traduction littérale que nous désignons cette étape comme période
«de préparation» plutôt que comme période ((d’initiation)): nous avons voulu éviter de voir
associé au mot ((initiation))le processus pédagogique de nos écoles maternelles, restant entendu
qu’il y a des points de comparaison et de nombreux exercices identiques.

18
Introduction à l’éditionfrançaise

et les moyens d’y remédier. O n sait toute l‘attentionqui a été portée aussi bien aux
Etats-Unis qu’en Grande-Bretagnesur la reading readiness. Cette expression a deux
sens distincts: d‘une part, elle désigne l’aptitudeà apprendre à lire (dans ce sens
il existe des tests qui apprécient cette aptitude: ce sont les reading readiness tests);
d’autre part,elle sert aussi à désigner le processus de préparation à la lecture (dans
ce sens,on parlera de reading readiness programs).
A la période de préparation succède la période d’apprentissage.Si, au cours
de cette période,l’accent est surtout mis sur la compréhension de la lecture,l’acqui-
sition d’une solide technique n’estpas négligée. Cette méthode exclut naturellement
toutes les méthodes traditionnelles;l’auteurdit explicitement:( (Il a été prouvé que
la méthode globale est la plus apte à établir l’attitude initiale de lire pour com-
prendre.B Toutefois on attirera très rapidement l’attentiondes enfants sur les simili-
tudes et sur les différences entre les mots. C’est ce que l’auteur désigne, dans le
chapitre relatif aux méthodes, comme la méthode ( (éclectique ». Nous voudrions
insister particulièrement sur l’importance de combiner la lecture intelligente et
l’acquisitionde la technique du { ( déchiffrage >> ou, comme dit l’auteur,de Y« iden-
tification des mots». W.S.Gray nous a montré que les attitudes initiales données
au début de l‘apprentissageinfluençaient tout l’apprentissageet conduisaient à des
types de lecture très différents.Or, comme l’écrit MlleMezeix, ( (le but de la lecture,
c’est la compréhension des textes ». En outre,il est très important de noter l’appa-
rition,dès le début de l’apprentissage,de la lecture silencieuse:elle est rendue pos-
sible par l’acquisition d’un vocabulaire de 150 mots, grâce auxquels on peut com-
poser de courtes histoires intéressantes.Il est une catégorie de lecteurs de cette étude
auxquels ce chapitre pourra rendre d’éminents services:ce sont les auteurs de ma-
nuels et,plus encore,les auteurs de ( (premiers livres de lecture courante ». Ils pour-
ront puiser d’utilesindications pour le choix et la composition des textes. Un livre
de lecture ne s’improvisepas; il faut bien connaître les buts à atteindre. Il n’estpas
certain que tous les auteurs de manuels ou de livres de lecture aient une conscience
bien nette de tom les buts à atteindre. Tel se laisse aller à sa nature poétique et,
naturellement, il ne voit dans l’enfant que la poésie; tel moralise à chaque page;
tel n’est jamais lassé d’un étalage didactique qui rend son ouvrage monotone et
le transforme en dictionnaire;enfin nombreux sont ceux qui connaissent bien la
langue..., mais ne sont pas des écrivains. Les bons livres de lecture sont rares.Aux
auteurs présents et futurs,W.S.Gray rappelle les données les plus utiles. Non pas
qu’il donne la recette pour faire un bon livre; mais tout ce qui est nécessaire pour
atteindre ce but peut être déduit des considérations qu’il énonce.
Les maîtres trouveront aussi des indications détaillées pour la conduite des le-
çons.Nous pouvons les juger superflues pour les pays de langue française,mais nous
ne devons pas oublier que l’étude s’adresse surtout aux pays qui n’ont pas de pro-
grammes d’enseignement,peu ou pas de maîtres qualifiés. Français et Belges pour-
ront cependant recueillir dans ce chapitre les indications les plus précieuses pour
perfectionner l’enseignement qu’ils donnent dans leurs territoires d’outre-mer.
C o m m e pour la plupart des chapitres de ce livre, en dehors des idées générales et
des grandes lignes,nous glanerons des détails,nous comparerons:là où d’autrespays
trouveront une information absolument indispensable,nous chercherons ce qui est
susceptible d’améliorer notre pratique pédagogique.
Les troisième et quatrième étapes reprennent et développent les thèses initiales.
L’auteurprécise les moyens de développer les bonnes habitudes de lecture,d’élargir
les bases du champ d’activité du lecteur en conduisant l’enfant vers une lecture
(< adulte ». L’essentielest qu’ilquitte l’école en possession d‘un instrument incompa-
rable pour se développer pleinement. Chemin faisant,l’auteursignale quelques diffi-
cultés particulières rencontrées dans l’apprentissage de la lecture. O n sait tout l’in-
Censeignement de la lecture et de I‘écriture

térêt que cette étude a soulevé depuis une dizaine d’années,à la suite des beaux tra-
vaux de Claparède, Ley, Ombredanne pour la période antérieure à la guerre. Ce
n’est pas le lieu de rappeler les travaux récents, de langue française, auxquels
sont attachés les noms de A. Rey, Launay, Ajiuraguerra, Zazzo, Borel-Maisonny,
Roudinesco et ceux de leurs élèves. Ceux que ces questions intéressent trouveront
dans les revues médicales,psychologiques et pédagogiques une ample information.
Le caractère vaste et général de l’ouvrage ne permettait pas de longs développe-
ments sur ces questions: celles-ci ne commencent à se poser qu’à une étape déjà
fortement évoluée de l’enseignement.Signaler i’existence de tels problèmes était
simplement utile pour attirer l’attention des novices en pédagogie.
La lecture de ce chapitre laisse une impression de plénitude: les problèmes ont
été sérieusement étudiés, et les solutions pleinement réfléchies. Il est possible que
le lecteur ne soit pas toujours d’accord sur les moyens, sur des détails de méthode,
mais l’ensemble est harmonieux et séduisant;il conduit, même pour nos pays de
vieille tradition pédagogique,à une réflexion sur nos programmes où l’on retrouve
un esprit voisin mais, très souvent, des moyens de réalisation différents. Nous ne
doutons pas que,le temps aidant, cette réflexion conduise à des adaptations, à des
précisions qui paraissent nécessaires.

Le chapitre VIII traite de l’enseignementde la lecture aux adultes. Entre cet en-
seignement et celui destiné aux enfants,il existe des similitudes et des différences.
Les similitudes sont surtout remarquées dans la progression de l’apprentissage;les
différences proviennent surtoutdes attitudessociales et des processus psychologiques.
Ce sont donc surtout les moyens d’enseignementqui seront différents,les buts restant
naturellement les mêmes.
L’auteur distingue,comme dans le chapitre VII, quatre étapes:
La période de préparation est, sinon plus difficile,du moins plus délicate à mener
que celle destinée aux enfants. Il est nécessaire de convaincre les adultes de la néces-
sité d‘apprendre à lire. Il faut vaincre des préjugés, des indifférences,des timidités.
Durant cette période,le maître doit faire montre,en dehors de solides connaissances
pédagogiques, de beaucoup de tact et d’intuition. Il doit être un homme parmi
d’autreshommes. Il doit comprendre chaque individu et entraîner toute une col-
lectivité: il lui faut gagner la confiance de tous. Tout en s’attachant à atteindre
ces buts, il s’assignera des tâches plus proprement didactiques: perfectionner le
vocabulaire, affiner l’expression, risquer quelques initiations à la langue écrite.
L’expérience montre que la période de préparation, si elle est bien menée, facilite
l’apprentissageproprement dit. L’auteur nous donne avec beaucoup de précisions
tous les procédés qui peuvent être employés durant cette période. Choisir parmi ces
procédés revient à ceux qui auront à les utiliser.
La seconde période, destinée à établir les premières bases de la lecture, nécessite
24 à 40leçons d’uneheure.A u cours de ces leçons,l’adulte acquerra un vocabulaire
écrit de 250 mots environ. U n plan précis,des exemples de leçons modèles serviront
de guides pour atteindre à ces résultats. Quelques problèmes particuliers à i’en-
geignement des adultes sont également étudiés;l’un d’entreeux est longuement dis-
cuté. Il traite de la nature collective ou individuelle de l’enseignement:selon les
pays, le personnel disponible,les moyens financiers,le choix variera. Les avantages
et les inconvénients de l’un et l’autre système sont longuement analysés.La com-
position des manuels et des livres de lecture complémentaire est également étudiée,
aussi bien du point de vue de la forme que de celui du fond:il est évident que les
textes pour enfants ne conviennent pas aux adultes.
La troisième période, qui exige de 72 à 150 heures de classe selon les individus,doit
permettre l’acquisitiond’un vocabulaire allant de I .400à 2.500mots,selonles diffé-

20
Introduction 6 l’éditionfrançaise

rentes langues maternelles.Durant cette période,on développe également l’aptitude


à reconnaître des mots nouveaux. O n ne saurait trop insister sur la nécessité, au
cours de cette étape, de fournir des matériaux supplémentaires de lecture: ceux-ci
incitent les élèves à la lecture individuelle, suggèrent des discussions et établissent
l’habitudede lire en dehors des leçons proprement dites.
Enfin la quatrièmepériode,qui peut n’exiger que 24 leçons, est destinée à engager
les adultes à utiliser leur savoir à des fins qui ont une valeur pratique pour eux, à
leur donner l’habitude de lire.
Pour chacune des ces périodes, la progression, les moyens d’enseignement,les
procédés, les buts à atteindre sont soigneusement décrits. Le pédagogue est solide-
ment guidé, sachant ce qu’il doit faire,pourquoi et comment. Ceux qui ont choisi
de se vouer à la lutte contre l’analphabétisme retireront donc de la lecture de ce
chapitre les plus grands bénéfices.Mais il ne faut pas non plus se nourrir d’illusions.
Quand l’auteur prend soin de nous dire que les programmes doivent être adaptés
aux conditions et aux besoins locaux,il est nécessaire de comprendre le sens implicite
de cette courte phrase. Des connaissances en ethnologie, en psychosociologie, en
psychologie différentielle sont indispensables.U n programme d’enseignementde la
lecture à des adultes illettrés dans des pays sous-développéssuppose un travail pré-
paratoire long et minutieux qui exige la collaboration de plusieurs spécialistes,des
moyens matériels et, plus encore,l’enthousiasmeet la foi,qui ne s’achètentpas. Mais
les adultes illettrés ne sont pas rencontrés uniquement dans les pays sous-déve-
loppés»: nous avons noté que, dans les pays de langue française, il en existait un
nombre assez élevé. Ici le problème est différent. U n premier effort devrait tendre
vers un recensement du nombre exact d’illettrés-en groupes d’âge.Il seraitnéces-
saire de rechercher alors les causes de cet analphabétisme:il en est auxquelles on
ne peut remédier; elles sont généralement liées à un état mental déficient. Après
ce recensement,il faudrait un effort de propagande et d’organisationpour permettre
la liquidation de cet analphabétisme.Arrivé à ce stade,l’ouvragedu professeur Gray
rendrait les plus grands services. Dans certains pays de langue française, il est un
moyen, d’ailleursdéjà utilisé, pour remédier à l’analphabétisme.Là où une armée
nationale recrute un contingent comportant des illettrés, il y a possibilité d’entre-
prendre, à peu de frais, une campagne qui peut être très efficace. Ce n’est pas, de
toute évidence,le seul moyen. Nous serions les premiers à regretter qu’une telle sug-
gestion puisse inciter les services responsables à différer un effort systématique plus
précoce et plus ample;mais ce peut être une solution provisoire relativement facile
et qui n’est pas à négliger. Là où une telle pratique existe déjà,l’ouvrage du pro-
fesseur Gray devrait contribuer à remanier profondément les moyens mis en œuvre.
Ce ne sont pas d’ailleursles seuls pédagogues qui peuvent tirer profit de la lec-
ture de ce chapitre:les autorités de tutelle qui organisent ou contrôlent l’enseigne-
ment pourront,elles aussi,en tirer de précieux enseignements.En matière financière,
par exemple,les précisions données sur le personnel,le matériel didactique,la com-
position et la durée des classes peuvent permettre une appréciation chiffrée du coût
d’une campagne contre l’analphabétisme.A cet égard nous voudrions souligner que
le programme proposé forme un tout, un ensemble continu: s’essayer à n’en réa-
liser qu’une partie pourrait conduire à de sérieuses désillusions. Encore une fois,
on ne saurait trop insister sur le fait qu’une campagne contre l’analphabétismedoit
être sérieusement étudiée. Il est des miracles que la foi et Yenthousiasme ont pu
permettre; mais une politique saine doit-ellene reposer que sur des miracles ?
L’enseignementde la lecture aux adultes,qui peut paraître plus simple que celui
destiné aux enfants, pose en réalité des problèmes plus nombreux, souvent plus
complexes et toujours délicats. C’est un domaine relativement neuf; les différents
essais qui ont été tentés depuis trente ans ont permis au professeur Gray d’élaborer

21
L’enseignement de La Lecture et de l’écriture

une doctrine qui évitera des tâtonnements décourageants,souvent onéreux et dont


l’efficacitépeut être discutée.

Avec les chapitres IX, x, XI, nous abordons la partie de l’ouvrage consacrée à
l’écriture. Existe-t-ilun problème de l’écriture? Et s’il en existe un, est-il pensé en
fonction des besoins du monde moderne et des impératifs de notre civilisation ? Si
l’on peut discuter des disciplines qui concourent à former l’homme,si l’on peut ne
pas admettre que l’éducation et l’instructiondoivent être données en fonction des
besoins d’une nation, il n’est pas possible de concevoir l’enseignement de l’écriture
en dehors de son rôle strictement utilitaire. Et que l’on ne se méprenne pas sur ce
mot: appliqué à l’écriture,il signifie non seulement que l’écritureest utile dans la
vie quotidienne, mais utile aussi à l’épanouissementde la personnalité. L’organisa-
tion scolaire,principalement à ses niveaux les plus élevés, l’organisation du travail
professionnel imposent une écriture de plus en plus rapide.Rares sont les professions
qui exigent l’écriture calligraphiée dont témoignent les anciens actes notariés: les
dactylographes agiles ont remplacé les scribes minutieux. L’importantest d’acquérir
assez vite une écriture rapide et lisible. Quelles méthodes emploierons-nouspour
atteindre ce but ? Il en est de traditionnelles,il en est de modernes. Quels sont leurs
avantages et leurs inconvénients? Quels principes peuvent guider notre choix ?
W.S.Gray passe en revue les opinions les plus autorisées et rapporte les critiques
adressées aux différentesméthodes;après quoi,il propose des programmes d‘écriture
pour les enfants et pour les adultes.
L’expression ( (méthode d’écriture) )a pris parfois un sens trop étendu: on a
employé parfois le mot ( (méthode B pour désigner ce qui est en réalité un &fie
d’écriture: écriture cursive, écriture script. Il est évident que le mot méthode ) )
pour désigner le type d’écriture est impropre et qu’il convient de l’éliminer.Par
méthode on désigne la progression suivie et les procédés employés pour parvenir aux
buts que l‘on s’est assignés.Dans ce cas,il n’existeguère que deux méthodes: la tra-
ditionnelle, qui part des éléments des lettres, et la moderne (ou globale), qui part
du mot ou de la phrase. Enfin, dans un ouvrage qui envisagt le problème de l’écri-
ture d’un point de vue mondial, il ne faut pas oublier que le mot ( (écriture>> dé-
signe aussi le système de transcription de la langue parlée: écriture idéographique,
syllabique ou consonantique.

Dans le chapitre IX, les méthodes sont donc étudiées. Les traditionnelles avaient
surtout pour objet la qualité de l’écriture.Elles ne se souciaientguère des aptitudes
de l’apprenti scribe, mais elles respectaient cependant quelques règles d’hygiène.
Tout en respectant ces règles,principe intangible,les méthodes modernes ont ren-
versé les autres points de vue: des études ont été conduites pour mieux comprendre
la nature de l’acteécrit -soit que l’on considère les mouvements,soit que l’ons’in-
quiète de la compréhension du travail à réaliser. L‘écriture n’est plus une fin, elle
est un moyen d’expression,et l’expression devient la valeur essentielle. Selon sa
méthode, l’auteur rapporte fidèlement les arguments échangés entre les partisans
des diverses méthodes. Les pédagogues, dont on sait qu’ils aiment les précisions et
les données pratiques,trouveront dans ce chapitreles réponses aux questions qu’ils se
sont souvent posées. Il n’entre pas dans notre propos d’en faire le catalogue, mais
nous voulons cependant en donner quelques exemples:
Faut-ilécrire au crayon, au crayon à bille, au stylo ?
Doit-on laisser les enfants écrire de la main gauche ?
Quels procédés peut-on utiliser au cours de la période d’initiation?

22
Introdution à l‘édition françaice

Les maîtres trouveront également des données sur les rendements des différents
types d’écriture,sur la façon d’apprécier la qualité d’une écriture,sur la façon de
remédier aux erreurs et aux handicaps des enfants.Les résultats que l’onpeut espérer
sont concrètement décrits: une reproduction d’une échelle d’écriture permettra
d’utiles comparaisons. A cet égard nous voudrions signaler l’existenced’une échelle
d’écriture pour enfants de langue française: c’est celle de M m e Piscartl. Elle com-
porte une étude historique et une échelle pour chaque année de l’école primaire,
pour trois degrés de vitesse (lent,moyen, rapide). La méthode d’élaborationa été
très étudiée, et le travail statistique offre les plus sérieuses garanties. U n autre tra-
vail, très important, portant sur le rendement de divers types d’écriture est celui
de M.Vinh Bang, de Genève2.
L’écriturepeut apparaître comme une discipline mineure;sa valeur pour la for-
mation intellectuelle de l’individu peut ne sembler que très faible.Elle est cependant
l’outil indispensable qui rend l’enfant et l’homme capables de s’exprimer.Si nous
nous attachons à cette valeur de moyen d’expression,nous comprendrons qu’ilexiste
un problème de l’écriture.Nous pourrions le formuler ainsi:( (Comment donner à
l’enfant,à l’adulteillettré, les moyens qui répondent à leur désir de s’exprimersans
que les procédés employés soient de nature à les décourager ?>) Si l’on veut bien
envisager ainsi cette discipline, l’écriture ne nous apparaîtra plus comme un en-
seignement d’importancesecondaire,mais comme une partie, aussi importante que
les autres, de la langue écrite.

Le chapitre x traite du programme d’écrituredurant les premières années scolaires.


L’auteur ne cache pas sa préférence pour un programme d’écriture étroitement in-
tégré à l’enseignementdes arts du langage. Il distingue trois conceptions de l’en-
seignement de l’écriture. La première considère l’écriture comme une fin, une
discipline autonome. La seconde relie déjà l’enseignementde la lecture et de l’écri-
ture.La dernière est une conception fonctionnelle de l’écriture:l’écritureétant avant
tout un moyen d’expression,c’est en s’attachantà cette valeur que l’on enseignera
cette discipline.Cela ne signifie pas que l’aspecttechnique de l’écrituresoit négligé,
mais l’essentieln’est pas l’outil,mais l’œuvrequ’il permet de réaliser. Trois étapes
jalonnent cet apprentissage.Une période préparatoire destinée à éveiller chez l’enfant
le désir d’écriretout en développant le contrôle musculaire et en affinant la discrimi-
nation visuelle. C’est l’occasion,pour l’auteur,de faire une revue des procédés em-
ployés, depuis les thèses déjà anciennes de Maria Montessori jusqu’aux expériences
de Freinet.La seconde étape est une période d’apprentissage proprement dit.W.S. Gray
recommande d’employerl’écriturescript pour les débuts;une étape transitoire con-
duira à la cursive.O n sait que les programmes françaisn’introduisentl’écriturescript
qu’en quatrième année. A la vérité, les autorités de contrôle laissent souvent les
maîtres de première année choisir librement leur type d’écriture;dans certaines
écoles normales françaises,on recommande m ê m e d’employercette écriture. Si l’on
choisit ce type d’écriture,on devra veiller à ce que les mots soient bien séparés,sinon
l’orthographe pourrait ne pas être très assurée. La dernière étape est une période de
perfectionnement, au cours de laquelle on pourra entraîner l’élèveà accroître sa rapi-
dité. O n notera que, tout en veillant à la lisibilité, on laissera l’enfant avoir une
écriture personnelle. Dans ce paragraphe, ob l’on retrouve les données classiques
sur la position du corps,le mouvement de l’avant-bras,de la main et éventuellement
des doigts(c’est là un point extrêmementintéressant qu’ilfaut étudier soigneusement)
I . PISCART,
R.,Une échelle objective d’écriturcpour écoliers belges d’expressionfrançaise, Louvain,Nauwelaerts;
Paris, Vrin, 1950.
2. Thèse de doctorat, Laboratoire de pédagogie expérimentale,Institut des sciences de l’éducation,
Palais Wilson, Genève.
L’ensei~nement de la lecture et de l‘ém’ture

et du cahier, les pédagogues apprécieront sans doute les données relatives au passage
de l’écriture script à la cursive et aux méthodes de correction des fautes. Il est ex-
trêmement important de veiller à la correction de ces fautes; nous avons montré
que l’habitude de mal former les lettres établissait parfois des fautes d’orthographe
réelles autant que permanentes1.

Le chapitre XI traite de l’enseignementde l’écriture aux adultes. Pour ceux-ci,l’édu-


cateur aura deux difficultés majeures à vaincre. L a première tient aux difficultés m o -
trices: si l’adulte possède un contrôle moteur mieux établi que l’enfant, il n’a géné-
ralement pas un entraînement qui puisse lui permettre les mouvements délicats de
l’écriture;au contraire,il a souvent des déformations professionnelles qui font obstacle
à ces mouvements. L a seconde difficulté tient à la personnalité adulte: c o m m e pour
la lecture, il faut vaincre des appréhensions, la crainte du ridicule ou de l’échec.
Dans ces conditions, si le processus d’enseignement est le m ê m e que pour les enfants,
son contenu sera légèrement différent. L a vie quotidienne de l’adulte fournit d’ail-
leurs des motivations suffisantes pour le décider à cet apprentissage. L’éducateur
pourra les utiliser pour éveiller un ardent désir d’apprendre l’écriture et de pro-
gresser dans cette technique. Selon les collectivités les moyens employés varieront:
si les maîtres peuvent trouver dans ce chapitre des indications précieuses, ils auront
encore à faire preuve d’imagination.E n ce qui concerne l’aspect technique de l’en-
seignement, les éducateurs noteront, c o m m e dans les chapitres précédents, les indi-
cations précises pour élaborer et leurs programmes et leurs méthodes.

Telle est la structure de cet ouvrage qui s’achève par un ensemble de conclusions
destinées à établir un programme d’alphabétisation pour les adultes illettrés. Ces
conclusions tracent un plan très complet d’organisation du travail: les organismes
chargés de promouvoir la culture sont décrits dans leurs formes et leurs fonctions;
la méthode d’enseignement et les principes servant de base à l’élaboration des m a -
nuels sont brièvement résumés; la formation des maîtres est envisagée sous différents
aspects. Enfin, après avoir établi le bilan de nos connaissances actuelles, l’auteur
indique dans quelles directions devraient s’orienter les recherches futures qui per-
mettront de nouveaux progrès dans les techniques de l’éducation des illettrés.
A la fin de l’ouvrage, W.S. Gray lance un émouvant appel au monde. Con-
vaincu que la connaissance de la lecture et de l’écriture ne peut que << contribuer à
l’amélioration des conditions de vie de l’homme, au développement de la compré-
hension internationale et au renforcement de la paix »,il demande aux gouvernants
de prendre une conscience plus précise de la situation actuelle et de trouver les
ressources nécessaires pour ouvrir la voie à de nouveaux efforts constructifs.

Le plan de l’ouvrage est, on le voit, très classique. Après avoir défini les buts à
atteindre et passé en revue les divers moyens d’y parvenir, l’auteur entreprend une
discussion très étendue et très objective qui le conduit à formuler un certain nombre
de suggestions pratiques.
Nous voudrions noter une caractéristique importante de l’ouvrage: aux idées
générales sont jointes des considérations et des conseiIs pratiques. U n ministre de
l’éducation peut y trouver des suggestions intéressantes pour une campagne d’al-
phabétisation, tandis qu’un maître y puisera la substance d’une leçon. Chaque cha-
pitre est clairement construit: l’introductionprécise les points qui vont être étudiés,

I. SIMON,J., Psychopédagogie de l’orthograph, Paris, Presses universitaires de France, 1954.

24
Introdution à l’édition.francaise

les conclusions résument brièvement les faits acquis. La disposition typographique


aidant, le lecteur trouve aisément les précisions qui lui sont nécessaires. Ouvrage
de portée très générale, ce livre est aussi un ouvrage didactique.
Les lecteurs français ou de langue française s’étonneront parfois, nous l’avons
déjà souligné,de certaines conceptions relatives à l’enseignementde la lecture (cha-
pitre VII). Pour nous, nous voyons là le fruit d’une assimilation toute personnelle
de l’auteur et nous souhaiterions,sur bien des points, y voir discerner les germes
d’un renouveau de notre enseignement. S’ilest, parmi les lecteurs de ce livre, des
hommes qui ont quelque responsabilité dans l’organisation de l’enseignement,peut-
être puiseront-ilsà cette source les éléments pour élaborer des directives plus hardies
concernant les méthodes de lecture ou la structure des programmes.A défaut,nous
ne doutons pas que les praticiens sauront concilier l’impératifcatégorique de leurs
programmes avec les suggestions de ce livre.
La documentation réunie et résumée ne peut manquer d’élargir le champ de
nos connaissances en matière de lecture et d‘écriture. Ceux qui désireront appro-
fondir certaines questions utiliseront avec fruit la bibliographie que donne l’auteur.
L’Unesco consacre par ailleurs une bibliographie à ces problèmesl.
Nous sommes également sensibles aux préoccupations humaines de l’auteur.
Certes toute l’œuvre est inspirée par le souci de développer la personnalitéhumaine;
mais le sentiment personnel de l’auteurtransparaît souvent,soit qu’il insiste sur les
facteurs individuels qui conditionnent l’apprentissage,soit qu’il montre comment
l’éducation de base contribue à l’accomplissementde la personnalité,soit qu’il ex-
prime son désir de voir un monde où l’instruction contribuerait à une meilleure
compréhension entre les hommes et entre les peuples.
Ce n’est pas là une œuvre révolutionnaire en matière de pédagogie. Tel n’était
pas son but. Dans un ouvrage méthodique et réfléchi,W.S. Gray a mis en ordre
une importante documentation; mais il ne s’est pas contenté de faire une mise en
ordre,il a tenté une synthèse personnellesur laquelle notre réflexion aura à s’exercer.
Les principaux buts qui étaient fixés à l’auteuront été atteints, et il n’estpas d’idées
générales ou de détails techniques demeurés dans l’ombre.Il reste à souhaiter que
l’ouvrageporte maintenantses fruits,que l’instructionaide à résoudrea les problèmes
redoutables que posent l’ignorance,la misère et la maladie dans le monde entier ».
Pédagogue nous-même,nous n’avons pas l’illusion que, seule,l’instruction puisse
résoudre ces problèmes;mais nous sommes convaincu qu’elle est un facteur impor-
tant de progrès et nous désirons ardemment que tous les hommes puissent y accéder.

Nous devons enfin signaler quelques problèmes posés par la traduction. Plutôt
qu’une traduction littérale, on a recherché les expressions qui correspondaient le
mieux aux habitudes des lecteurs de langue française. Il est souvent arrivé qu’un
même mot ait été traduit par des expressions différentes selon le contexte dans lequel
il s’insérait.L’auteur de la présente introduction,auquel le Secrétariat de l’Unesco
a bien voulu demander son avis sur la traduction des termes techniques,a essayé
d’éviter la confusion, le quiproquo ou l’ambiguïté;il a parfois préféré des termes
communs,mais d’usagecourant,à des termes plus nobles;en matière de psychologie,
il a recherché l’expressionexacte... lorsqu’elleexistait..Il n’est pas certain,compte
tenu de son choix personnel et de la grande diversité des pratiques et des hommes,
d’avoir totalement réussi à atteindre tous ces objectifs.
JEAN SIMON.
1. L’alphabétisation: bibliographie choisie, Paris, 1956. (Etudes et documents d’éducation, no XVIII.)
UNESCO,

25
AVANT-PROPOS D E L ’ A U T E U R

Faire en sorte que tout homme sachelire et écrire,c’estlà un objectifqu’ilnous paraît


tout naturel de viser aujourd’hui;mais on oublie souvent combien l’idéeest nouvelle
et à quelle indifférence -ou m ê m e parfois à quelle hostilité -se sont heurtés ses
promoteurs au x x e et au début du xxesiècle,m ê m e dans les pays les plus évolués.
Peut-êtreen fait s’est-ontrompé à l’origine en croyant qu’il suffirait d’apprendre
aux hommes à lire et à écrire pour les affranchir de l’ignorance,de la maladie et
de la misère; et peut-être a-t-onen conséquence commis une seconde erreur en
s’attachantexclusivement à dispenserune instructionélémentairesans s’occuperd’en
faire un instrument de progrès matériel social et politique. Ceux qui connaissent
toute l’ampleur des problèmes redoutables que posent l’ignorance,la misère et la
maladie dans le monde entier se rendent compte aujourd’huique,pour les résoudre,
il est indispensablede considérerla connaissance de la lecture et de l’écriturecomme
un moyen d’élever le niveau de vie des individus et des collectivité et de développer
la compréhension entre les groupes. Les chapitres qui suivent fourniront des préci-
sions sur l’étenduede la tâche des éducateurs qui s’efforcent de réduire le taux de
l’analphabétisme.Mais il est encourageantde constater que le nombre de ces éduca-
teurs s’accroîtet que,grâce aux efforts des individus,des gouvernements et des insti-
tutions internationales,l’humanitéa pris conscience de l’ampleuret de l’urgencedu
problème.
Les campagnes de lutte contre l’analphabétisme ont montré avec évidence que,
bien souvent,les méthodes pédagogiques traditionnelles et les normes adoptées ne
permettent pas d’atteindrepleinement les vastes objectifs mentionnés ci-dessus.Mal-
heureusement, peu d’études ont été faites jusqu’ici sur le genre et le niveau d’ins-
truction élémentaire qui répondent aux exigences de la vie moderne. Les théories
récemment élaborées à ce sujet diffèrent considérablement entre elles et sontfondées
sur des postulats opposés. Aussi tous ceux qui établissent et appliquent des pro-
grammes de lutte contre l’analphabétismese heurtent-ils à de graves difficultés et
ont-ilsdemandé instamment,à maintes reprises,qu’on leur vienne en aide.L’objet
du présent ouvrage est donc de faire le point des connaissances actuelles dans ce
domaine, de formuler un certain nombre de recommandations et de signaler les
questions qui devraient faire l’objet de recherches complémentaires.

HISTORIQUE D E L A P R É S E N T E É T U D E

L’Unescos’esttoujours vivement préoccupée de ces problèmes et de ces besoins. Peu


après sa fondation, des experts originaires de différents Etats membres ont soumis
à une étude approfondie la situation existant à divers égards,et notamment en ce

26
Avant-propos de l’auteur

qui concerne l’analphabétisme,dans un grand nombre de régions insuffisamment


développées. Ils ont conclu que cette question avait un tel caractère de gravité que
YUnesco devrait s’attacherà y faire face avec tous les moyens dont elle disposait.
D’autrepart,le terme c éducation de base N fut adopté pour désigner l’ensemble de
ce domaine d‘activités; et, depuis 1946, le développement de l’éducation de base
a toujours figuré au rang des principales préoccupations de l’Unesco.
L’étude des problèmes posés par la lutte contre l’analphabétisme s’est trouvée
encore stimulée à la suite du vote par l’Assemblée générale des Nations Unies, le
2 décembre 1950,de la résolution 330 (IV), qui invite l’Unescoà communiquer aux
membres administrants des propositions détaillées sur les méthodes d’alphabétisation
susceptibles d’être appliquées avec succès dans les territoires non autonomes.
Diverses enquêtes préliminaires avaient déjà été entreprises pour déterminer la
nature des problèmes linguistiques que soulèverait la lutte contre l’analphabétisme.
Dès que les résultats de ces recherches eurent été exposés1,la Conférence générale
de l’Unescoautorisa le Directeur général,lors de sa dixième session (1951),à pour-
suivre en 1952, 1953 et 1954 l’étude des méthodes d’enseignementde la lecture et
de l’écriture.A u cours de la mise au point des plans de travail,il fut décidé de pré-
parer d’abord une étude préliminaire,puis un rapport final. L’étude préliminaire,
entreprise pendant l’été de 1952, avait essentiellement pour objet: u) de réper-
torier, analyser et décrire les différentes méthodes actuellement employées pour
apprendre à lire et à écrire aux enfants et aux adultes;b) de recueillir tous les ren-
seignements disponibles sur l’efficacitéde ces méthodes; c) de résumer les conclu-
sions de l’enquête,de dégager les enseignements qu’on peut en tirer quant aux
moyens d’améliorer l’enseignementde la lecture et de l’écriture,notamment lors-
qu’il s’adresse à des adultes, de signaler les problèmes qui devraient faire l’objet
de recherches complémentaires,et d’indiquer les solutions qu’il serait souhaitable
d’y apporter.
L’abondante documentation réunie durant cette première phase a amené l’au-
teur à concevoir de façon un peu différente la nature et la portée du rapport définitif.
O n a constaté,par exemple,que beaucoup des données et des principes de base mis
en lumière pourraient orienter les efforts de tous ceux qui, dans le monde entier,
sont chargés d’organiserla lutte contre l’analphabétismeet de choisir les méthodes
d’enseignement.En même temps il est apparu qu’il y a souvent lieu de modifier
sensiblement le contenu des programmes et les méthodes utilisées en fonction de la
culture et de la langue des élèves auxquels on s’adresse.En conséquence,il a été
décidé de ne pas présenter le rapport final,comme cela avait été envisagé à l’origine,
sous la forme d’un manuel destiné à être employé par les maîtres dans tous les pays.
Il a semblé beaucoup plus utile de dégager les faits et les principes d’application
universelle et d’indiquer les facteurs qui rendent souhaitable la modification des
programmes et des techniquespédagogiques,en recommandant aux autorités locales
d’élaborer sur ces bases des projets conformes à leurs besoins propres. Il nous est
également apparu que de nombreux problèmes ayant trait aux méthodes de l’en-
seignement de la lecture et de l’écrituren’ont pas encore été réglés de façon défini-
tive. Ceri&;s des points les plus importants prêtent à controverse de par leur nature
même. Aussi faudra-t-il,pour obtenir de bons résultats,définir clairement les divers
aspects des questions qui se posent; connaître l’ensemble des faits et les principes
dont on doit tenir compte pour les résoudre;étudier sans parti pris les sujets contro-

I . UNESCO,
L’emploi des langues vernaculaires dans l’enseignement,N e w York, NationsUnies, I 951,I I I pages
(AIAC. 62), miméo; L’emploi des langues vernaculaires dans l‘enseignement, N e w York, Nations
Unies, 1952, 59 pages (A/AC. 55/L.103), miméo; L’emploi des langues vernaculaires dans l‘enreigne-
ment, Paris, Unesco, 172pages (Monographies sur l’éducation de base, VIII).

27
L‘enseignement de la lecture et de l’écriture

versés; coopérer avec les autres groupes intéressés;et enfin améliorer constamment
les programmes d’alphabétisationà la lumière de l’expérience acquise.
Nous avons d’autre part constaté que faciliter l‘organisation de la lutte contre
l’analphabétisme par des experts compétents est une nécessité urgente. Les spécia-
listes les plus avertis nous ont répété à maintes reprises que le rapport final devrait,
afin d’apporter une aide à ceux qui dirigent les efforts déployés pour diminuer le
nombre des illettrés (en particulier dans les régions insuffisamment développées),
mettre à leur disposition un exposé critique des données et des principes dont il y a
lieu de s’inspirer pour organiser des campagnes d’alphabétisationet pour choisir
des méthodes d’enseignement,ainsi qu’unedescription détaillée des mesures à prendre
en vue d’élaborer et de mettre en application des programmes adaptés aux besoins
de la collectivité,et en vue de faciliter l’étudedes problèmes non encore résolus.

PRINCIPAUX BUTS VISÉS

En conséquence,nous nous sommes assigné les buts suivants:


I. Donner aux spécialistes d’aujourd’hui et de demain une idée aussi claire que
possible des différents aspects du problème de la lutte contre l’analphabétisme,
et en particulier des meilleures méthodes d’enseignement de la lecture et de l’écri-
ture, par les moyens ci-après:
u) En réunissant toutes les informations pertinentes au sujet des faits et des
principes fondamentaux de portée mondiale, des problèmes particuliers dont
il conviendrait de poursuivre l’étude,et des facteurs qui rendent nécessaire
l’adoptionde méthodes d’enseignementpropres à telle ou telle région;
b) En évaluant objectivement les données recueillies;
c) En faisant une synthèse des faits et des principes essentiels d’applicationuni-
verselle.
2. Présenter des recommandations et des suggestions concrètes permettant l’élabo-
ration de programmes de lutte contre l’analphabétismeconformes aux données
et aux principes directeurs mis en lumière, et adaptés à la situation particulière
de chaque région.
3. Délimiter les problèmes qu’il faudrait résoudre pour pouvoir généraliser l’ins-
truction élémentaire dans le monde entier, et en rechercher la solution.
Ces objectifs seront exposés de façon plus détaillée par la suite.

P O R T É E D E L’ÉTUDE

Tout en ayant une portée mondiale, la présente étude concerne plus particuliè-
rement les problèmes propres aux régions les moins évoluées, en raison de leur
extrême gravité et du fait qu’ilest urgent d’aiderà les régler.Bien entendu,nous nous
sommes occupé surtout des difficultés auxquelles on se heurte là où des programmes
d’éducation de base sont (ou ont chance d’être) mis en œuvre. Mais nos observa-
tions s’appliquenttout aussi bien aux tentatives analogues entreprises sous des noms
différents, tels que (< enseignement de base », a développement des collectivités »,
G éducation sociale», éducation des adultes>> et (< campagnes nationales d’alpha-
bétisation ».
Bien que l’instruction élémentaire porte en général sur de nombreuses matières,
nous avons pris pour thème central l’enseignementde la lecture et de l’écriture,sans
oublier toutefois qu’il est souvent nécessaire d’inculquer en même temps d’autres
connaissances répondant à des besoins immédiats et urgents,et que tous les arts du

28
Avant-propos de l‘auteur

langage doivent jouer un rôle dans la lutte contre l’analphabétisme:lecture, écri-


ture, audition et expression orale et écrite. L’expérience1 et les travaux2 des cher-
cheurs montrent qu’il existe une liaison étroite entre les progrès accomplis dans ces
différents domaines.C’est pourquoi l’on trouvera ci-aprèsde nombreuses références
à des activités connexes relevant de diverses branches des arts du langage.
Notre enquête est d’autre part limitée aux problèmes que pose l’enseignement
de la lecture et de l’écrituredonné dans la langue maternelle. En effet,il est établi3
que si l’on utilise une autre langue les progrès des débutants sont beaucoup moins
rapides. Dans certains pays, il est vrai, l’élève doit nécessairement,au bout d’un
certain temps, apprendre à lire et à écrire dans une langue auxiliaire. Cependant
la question de l’enseignementde la lecture et de l’écrituredans une langue étrangère
n’a pas été abordée ici, en dépit de son importance,car elle mérite de faire l’objet
d’une étude spéciale approfondie.D e même, les problèmes que pose la transcription
d’une langue jusque-làuniquement orale ont été laissés de côté; en raison de leur
caractère technique,il a paru en effet préférable qu’ilssoient traités par des experts.
Nous nous sommes occupé avant tout de l’enseignementdestiné à donner aux
élèves le minimum de compétence que toute personne non illettrée est censée pos-
séder. Pour pouvoir jouer un rôle de chef dans la communauté,il est bien entendu
indispensable d’atteindre un niveau beaucoup plus élevé, mais le complément de
formation nécessaire est en général donné dans les écoles secondaires ou par les
soins de diverses institutions pour adultes.
D e m ê m e la présente étude a trait surtout à l’alphabétisation des adultes. Ce-
pendant, nous mentionnons constamment les difficultés rencontrées par les enfants
qui apprennent à lire et à écrire, parce que la plupart des recherches conduites dans
ce domaine avaient pour objet des enfants. En outre, des sections spéciales ont été
consacrées aux programmes d’enseignementde la lecture et de l’écritureaux enfants,
car c’est en définitive en veillant à ce que les jeunes aient accès à l’éducationqu’on
peut espérer parvenir un jour à éliminer l’analphabétismedans le monde entier.
Enfin, nous ne prétendons nullement révolutionner l’enseignementde la lecture
et de l’écriture en préconisant de nouvelles méthodes d’une efficacité miraculeuse.
Certes, il serait hautement souhaitable que de telles méthodes existassent. Mais
nous avons simplement cherché, quant à nous, à faire un inventaire critique des
techniques d’alphabétisation anciennes et nouvelles,et à formuler des propositions
constructives à la lumière des renseignements dont on dispose à l’heure actuelle.

À QUI S ’ A D R E S S E L E PRÉSENT R A P P O R T ?

L’étude ci-aprèss’adresse avant tout au personnel chargé d’organiser et de diriger


des programmes d’alphabétisation,plus spécialement dans les régions où des cam-

I. ELLIOTT,A.V. P.,et GURREY, P., «Part 1. The Vernacular)), Language teaching in African schools,
p. 3-74, Londres, Longmans, Green and Co., 1949.
FREINET, C., Méthode naturelle de lecture, Cannes (Alpes-Maritimes,France), Editions de 1’Ecole
moderne française, 1947, 59 pages. (Brochures d’éducation nouvelle populaire, no 30, mai 1947:)
2. ARTLEY, A. STERL,Chairman,(< Interrelationshipsamong the various language arts)), Research bulletan
of the National Council on Research in English, Chicago, National Council of Teachers of English,
111.3 1954, P.42.
3. GRIEVE,D.W.,et TAYLOR, A., «Media of instruction: a preliminary study of the relative merits
of English and an African vernacular as teaching media)), Gold Coast education, vol. 1, no I, 1952,
p. 36-51.
ISIDRO, Antonio, The use of the vernacular in and out of schools, Quezon City, 1951,p. 57-60.
PLATTEN,O.T., The use of the vernacular in teaching in the South Pact&, Nouméa, Nouvelle-Calédonie,
South Pacific Commission, 1953, 42 pages. (South PaciJicCommission technicalpaper, no 47, 1953.)
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

pagnes d’éducation de base sont en cours. Il s’agit notamment de membres des


catégories suivantes:
I . Directeurs,inspecteurs,spécialistesde l’établissementdes programmes et membres
de comités qui s’occupent d’encourager et de conseiller les maîtres et aident à
la production ou au choix du matériel d’enseignementde la lecture et de l’écri-
ture;
2. Personnel enseignant des écoles normales qui assure la formation des élèves-
maîtres et fait des cours de perfectionnement à l’intentiondes maîtres en exercice;
3. Auteurs et éditeurs d’ouvragesspécialisés ou de manuels de lecture et d’écriture
visant à créer,chez les enfants ou chez les adultes,les attitudes et les mécanismes
nécessaires à l’instructionfonctionnelle;
4. Maîtres particulièrement compétents occupant des postes d’autorité,et qui
pourraient se charger d’élaborer,sur la base des conclusions et des recomman-
dations du présent rapport, des programmes d’enseignement efficaces et con-
formes aux besoins locaux.

PRINCIPAUX P R O B L È M E S ÉTUDIÉS

Les problèmes abordés en premier lieu étaient directement en rapport avec le triple
but assigné à l’étude préliminaire.Mais au cours de notre travail d’autresquestions
importantes nous sont apparues,et nous avons pris des dispositionspour les examiner
aussitôt que possible. Lorsqu’il fut décidé de modifier l‘orientation des travaux en
vue de répondre plus particulièrementaux besoins des organisateursde programmes
d’alphabétisation,de nouveaux problèmes durent être ajoutés à la liste; certains
d’entre eux n’ont été pris en considération qu’après la publication de l’étudepréli-
minaire. Les paragraphes qui suivent résument les principales questions traitées
dans l’ordreoii elles seront abordées, de façon à donner un aperçu du contenu de
ce rapport et du plan d’ensemble qui a été adopté.
1. Rôle de la lecture et de l’écrituredans l’éducation de base, niveau de comDé-
tence qu’il est indispensable d’atteindre,ampleur de la tâche à accomplir pour
généraliser l’instructionfonctionnelle dans le monde entier. L’étudede ces ques-
tions implique un examen approfondi des facteurs qui rendent indispensable la
lutte contre l’analphabétisme,ainsi que de certains aspects essentiels de cette
lutte.
2. Principaux types d’idiomes,classés d’après leur alphabet,et influence des diffé-
rences linguistiques sur les techniques pédagogiques.
3. Mesure dans laquelle les mécanismes fondamentauxde la lecture sont identiques
quelle que soit la langue considérée. O n a étudié cette question afin de déter-
miner s’il est possible d’établirun cadre conceptuel commun à l’intérieur duquel
seraient examinés les divers problèmes de détail que pose l’enseignement de la
lecture.
4. Attitudes et mécanismes dont tout enseignementefficace de la lecture doit assurer
la formation, et facteurs individuels qui influent sur le rythme des progrès des
élèves. Ces questions sont apparues comme très importantes à partir du moment
où l’on a reconnu que les principales opérations psychologiques que la lecture
implique sont essentiellement les mêmes dans toutes les langues.
5. Diverses méthodes utilisées pour enseigner la lecture,postulats sur lesquelsrepose
chacune d’entre elle, évolution qu’elles ont subie, avantages et inconvénients
qu’elles présentent,et principales tendances qui se manifestent dans ce domaine
à l’heureactuelle.
6. Efficacité comparée des différentes techniques d’enseignementde la lecture,faits
Avant-propos de l’auteur

et idées qui influent sur le choix des méthodes adoptées. O n s’est proposé, en
étudiant ces questions,de rendre plus aisés le choix et l’élaborationde techniques
propres à faciliter l’éliminationde l’analphabétisme.
7. Contenu et structure des programmes d’enseignementde la lecture qu’il con-
vient d’appliquerà l’école primaire, à la lumière de l’expérience acquise et des
conclusions des chercheurs. Il a été constaté que pour amener les enfants à lire
couramment il importe d’associer pendant toute la durée des études primaires
divers types d’exercices qui s’inscrivent dans le cadre d’un programme d’en-
semble rationnellement conçu.
8. Nature des programmes d’enseignementde la lecture qui donnent aux adultes
les capacités que tout membre non illettré de la collectivité est censé posséder.
9. Faits et principes concernant la nature de l’écriture,les modalités de son en-
seignement,et l’efficacitécomparée des différentes techniques utilisées, évaluée
d’après l’expérience des praticiens et les conclusions des chercheurs.
IO. Contenu et structure des programmes d’enseignementde l’écriture à l’écolepri-
maire, établis d’après les données visées au point g ci-dessus.
I 1. Nature des programmes d’enseignementde l’écriturequi permettent aux adultes
d’acquérir,aussi vite et aussi efficacement que possible, les capacités nécessaires
pour répondre à leurs besoins individuels et à ceux de la collectivité.
12.Moyens de mettre en euvre les conclusions de la présente étude dans le cadre
de programmes d’alphabétisationadaptés aux besoins de telles ou telles com-
munautés. O n s’est préoccupé avant tout des programmes qui s’adressent aux
adultes, parce que les spécialistes de ces activités ont instamment demandé à
maintes reprises qu’on leur vienne en aide.Les efforts déployés dans ce domaine
sur le plan régionalou local sont particulièrementimportants,car chaque collec-
tivité pose des problèmes différents.

SOURCES D’INFORMATION ET MÉTHODES DE TRAVAIL

Avant que soit entreprisela présente étude,le Centre d’informationdu Département


de l‘éducationde l’Unescoavait recueilli dans toutes les parties du monde une abon-
dante documentation sur ce sujet : rapports de conférences sur l’analphabétisme,
comptes rendus de campagnes contre l’analphabétisme,spécimens de manuels ou
d’autresgenres de matériel d’enseignement, études concernant les résultats de cer-
tains projets spéciaux d’alphabétisation des adultes, etc. D’autre part, la biblio-
thèque du Bureau international d’éducation de Genève avait rassemblé des exem-
plaires d’abécédairesen usage dans une cinquantaine de pays. Nous avons tiré parti
de toute cette documentation pendant les premières phases de nos travaux;et plus
tard nous l’avonscomplétée en dépouillant celle dont disposent le Community Deve-
lopment Clearing House, de l’Institut de pédagogie de l’université de Londres,
ainsi que le Christian Education Council de Londres.
Bien que nous ayons pu consulter dans ces différents centres plusieurs centaines
de publications,nous avons en outre envoyé des questionnaires à des dirigeants et
à des techniciens de la lutte contre l’analphabétisme en vue d’obtenir de multiples
renseignements de genres divers, ainsi que des rapports et différents types de docu-
ments. Nous avons également demandé aux éditeurs et aux auteurs de manuels élé-
mentaires,de livres de lecture et d’ouvrages techniques ayant trait à l’enseignement
de la lecture et de l’écriture de nous fournir toute documentation pertinente dont
ils disposaient. A u cours de l’hiver 1952-1953,l’auteur a eu des entretiens à la
Maison de l’Unesco avec de nombreuses personnalités originaires de diverses arties
du monde, et il a visité certaines institutions en France, en Angleterre, en gcosse,

3’
L‘enseignement de la lecture et de l‘écriture

en Suisse,en Belgique, au Brésil, à Porto Rico et à Cuba,pour recueillir sur place


des informations et des publications.
Pendant l’automne et l’hiver 1952-1953,toute la documentation réunie a été
étudiée.En ce qui concerne le matériel d‘enseignement,on a fait appel au concours
de spécialistes originaires de douze régions linguistiques différentes,qui ont travaillé
conformémentà une série d’instructionspréparées à leur intention.D e plus, l’auteur
a étudié les conclusions des enquêtes scientifiques menées dans divers pays sur les
sujets suivants:nature du mécanisme de la lecture,facteurs qui influent sur les pro-
grès des élèves et efficacité des diverses méthodes pédagogiques utilisées.U n rapport
préliminaire1a été alors élaboré et, au cours de l’été 1953, ce rapport a été distribué
aux commissions nationales pour l’Unescodes différents Etats membres et aux spé-
cialistes intéressés,qui ont été instamment priés de faire connaître en retour leurs
critiques et leurs suggestions.
En attendant ces réponses, nous avons étudié les divers idiomes en usage ac-
tuellement,leurs alphabets et la mesure dans laquelle les différences linguistiques
influent sur les méthodes d’enseignementde la lecture et de l’écriture.Nous avons
aussi analysé les processus que comporte la lecture de quatorze langues différentes,
en enregistrant au moyen d’une camera les mouvements des yeux des lecteurs.
Le rapport final a été préparé au cours de l’été et de l’automnede 1954.Nous
tenons à remercier ici tous les organismes et toutes les personnes qui nous ont fourni
leur concours,sous quelque forme que ce soit,et sans qui le présent ouvrage n’aurait
pu être écrit.

LIMITES D E L A P O R T É E D U R A P P O R T

Compte tenu du temps et de la documentation dont nous disposions, nous n’avons


pu répondre aux vœux exprimés par certains théoriciens et praticiens. En effet,on
nous a demandé, par exemple, d’évaluer la fréquence d’utilisation des différentes
méthodes d’enseignement de la lecture et de l’écriture et de préparer à ce sujet
des statistiques établies d’aprèsla langue,la culture,la situation économique,l’âge
et le niveau d’intelligence.Si intéressante qu’eût été une entreprise aussi vaste et
aussi complexe,elle aurait exigé des moyens que nous ne possédions pas.
Il a également été proposé que nous étudiions les rapports existant entre l’orga-
nisation de l’enseignementde la lecture et les conceptions adoptées dans le domaine
de la philosophie, de l’idéologie et de la logique.En dernière analyse,les méthodes
appliquées pour apprendre à lire dépendent en partie de l’usagequ’on veut faire
de ce savoir et de la nature des opérations intellectuelles requises,mais ce problème
est trop complexe pour pouvoir être examiné ici de façon approfondie. Nous nous
sommes donc efforcé plutôt de déterminer quelles sont les techniques pédagogiques
qui réussissent le mieux à donner aux élèves une instruction élémentaire propre à
répondre aux besoins de la vie quotidienne. Toutefois, nous avons constamment
souligné la nécessité d‘adapter les méthodes d’enseignementaux buts visés.
M ê m e dans les limites que l’onvient de définir,le présent rapport est incomplet
à maints égards. Nous avons dû renoncer à prendre en considération,faute d‘avoir
reçu des renseignements appropriés en temps utile, les procédés d’alphabétisation
en usage dans de nombreuses régions.D’autrepart,l’enseignementde la lecture et
de l’écriture n’a été jusqu’ici soumis à une étude scientifique que dans certains
Etats. Si nos principales conclusions s’appuientpour la plupart sur une expérience

1. GRAY, William S.,Les méthodes d’enseignement de la lecture et de l’écriture. Etude préliminaire, première
et deuxième partie, Paris, Unesco, 1953.(Etudes et documents d’éducation, no V.)

32
Avant-propos de l’auteur

acquise dans plus d’un pays, on ne saurait affirmer qu’elles ont une valeur univer-
selle. Cependant, il est très encourageant de constater qu’un nombre croissant de
recherches ont été récemment entreprises sur ces questions dans différentes parties
du monde.
La plupart des enquêtes approfondies effectuées antérieurement sur l’enseigne-
ment de la lecture et de l’écritureont porté sur des enfants, si bien que leurs con-
clusions ne s’appliquentaux adultes qu’aveccertaines réserves.Mais la majorité de
nos recommandations sont confirmées par les études déjà menées à bien sur des
sujets adultes. Chaque fois que des différences ont été relevées entre les constatations
relatives aux enfants et aux adultes, nous les avons signalées.Il convient de préciser
aussi que l’on est encore très mal renseigné sur les différences existant entre l’assimi-
lation des connaissances chez les enfants et chez les adultes. Il faudrait examiner la
question de façon beaucoup plus poussée pour bien comprendre quels sont les
moyens les plus efficaces d’instruire les adultes.
Enfin la valeur des conclusions de la présente étude a bien entendu aussi pour
limites celles de l’étendue des connaissances de l’auteur,et de son aptitude à inter-
préter les faits objectivement.

33
CHAPITRE PREMIER

LE RÔLE DE LA LECTURE
ET DE L’ÉCRITURE
DANS L’ÉDUCATION DE BASE

En raison du développement pris par la lutte contre l’analphabétisme,on se pré-


occupe de plus en plus de trouver les meilleurs moyens de mener cette lutte et en
particulier d’enseigner la lecture et l’écritureaux illettrés. L‘expérience et la re-
cherchefournissentheureusementde précieuses indications à cet égard;elles montrent
notamment combien il importe de bien délimiter dès le départ les principaux ob-
jectifs des campagnes d’alphabétisation et le niveau d’instruction qu’il est néces-
saire d’atteindre.
Le présent chapitre sera donc consacré à un examen assez approfondi des buts
de l’éducation de base, du rôle que peuvent jouer la lecture et l’écriture dans ce
domaine,des mobiles qui poussent les adultes illettrésà désirers’instruire,de l’étendue
des connaissances dont ils ont besoin et de l’ampleurde la tâche qu’il faudra mener
à bien pour éliminer l’analphabétisme.

BUTS F O N D A M E N T A U X DE L’ÉDUCATION DE B A S E

Les objectifs généraux de l’éducation de base, telle que la conçoit l’Unesco,sont


à peu de choses près ceux de toutes les autres formes d’éducation puisqu’ils ont été
définis comme suit: a Permettre aux hommes et aux femmes de mener une vie
plus pleine et plus heureuse,en harmonie avec l’évolutionde leur milieu,de déve-
lopper les meilleurs éléments de leur culture nationale et de leur faciliter l’accès à
un niveau économique et social supérieur qui les mette à même de remplir leur
rôle dans le monde moderne et d’avoir entre eux des relations pacifiques1.>>
Mais ce qui distingue l’éducationde base, c’est qu’elle a pour objet d’aider les
hommes à comprendre les problèmes les plus pressants qui se posent à eux et de
leur inculquer les connaissances et les mécanismes nécessaires pour qu’ils puissent
résoudre ces problèmes par leurs propres moyens. Il s’agit donc de fournir à la
présente génération a le minimum d’instruction dont elle a besoin pour améliorer
son mode de vie,son hygiène,sa productivitéet son organisation sociale,économique
et politique2».
Cette éducation a le caractère d’une aide d’urgence en ce qu’elle vise à rendre
plus satisfaisantes les conditions d‘existence tant des enfants que des adultes,dans
les régions où jusqu’ici la population ne disposait pas de moyens d’instruction suf-
fisants.

I. UNESCO,
L’éducation de base, description et programme, Paris, 1949,p. 9. (Monographies sur l’éducation
de base, 1.)
2. ID., Apprendre pour vivre; la croisade contre l’ignorance s’étend au monde entier, Paris, 1951. p. 7.

34
Le rôle de la lecture et de l‘écriture dans l’éducation de base

U n rapport récemment adressé au Conseil économique et social des Nations


Unies1 contient une définition de l’éducation de base qui complétera utilement ces
indications;elle est conçue en ces termes: O n entend par éducation de base ce
minimum d’éducation générale qui a pour but d’aider les enfants et les adultes
privés des avantagesd’uneinstructionscolaire à comprendreles problèmes du milieu
où ils vivent,à se faire une juste idée de leurs droits et devoirs,tant civiquesqu’indi-
viduels,et à participer plus efficacement au progrès économique et social de la com-
munauté dont ils font partie.
((Elle est a de base D en ce sensqu’elleconfèreleminimum de connaissancesthéo-
riques et techniques indispensables pour parvenir à un niveau de vie suffisant.Sans
elle, l’activité des services spécialisés (hygiène, agriculture, etc.) ne saurait être
pleinement efficace.Elle est générale en ce sens que ces connaissances théoriques et
techniques ne sont pas communiquées simplement pour elles-mêmes.Elle recourt
à des méthodes actives,elle concentre l’intérêt sur les problèmes concrets que pose
le milieu, et, ce faisant,vise à développer à la fois la personnalité de l’individuet
la vie sociale.Elle concerne les enfants qui ne peuvent bénéficier d’un enseignement
primaire suffisantet les adultesqui n’ontpas eu l’occasionde s’instruire;elle emploie
tous les moyens propres à favoriser leur développement,grâce à l’effort individuel
et à la vie en société.D
Ainsi conçue,l’éducationde base est bien souvent la première étape d’une action
concertée tendant à promouvoir le développement des individus et le progrès des
collectivités.A cet effet, elle cherche dès l’abord à mettre en lumière les possibilités
d’amélioration qui s’offrentsur le plan individuel ou collectif. Cette prise de cons-
cience s’opérera parfois dans un seul domaine, dans le cadre d’une expérience de
vulgarisation sanitaire par exemple, mais à la longue elle s’étendra forcément à
d’autres.Dans la mesure où elle fait une place aux connaissances qui s’acquièrent
habituellement à l’école,l’éducation de base s’efforce toujours de les adapter aux
besoins et aux intérêts des élèves. Aussi l’enseignement de la lecture et de l’écriture
commence-t-ilseulement lorsque les intéressés ont bien compris qu’il les aidera à
atteindre les buts qu’ils ont en vue.
Les programmes, étant conçus dans chaque cas en fonction des besoins de la
collectivité,diffèrent naturellement beaucoup les uns des autres;comme le montrent
par exemple les descriptionsdes activité d’éducationde base conduitespar l’Unesco
en Haïti2,au Mexique (notamment à PAtzcuaroset Tzent~énhuaro~) ainsi que dans
divers autres paysK.
Cependant on s’accorde à penser qu’à longue échéance tous les programmes
devraient comprendre les points suivants: l’art de penser et de communiquer sa
pensée (lire, écrire, parler, écouter, calculer); les techniques professionnelles (par
exemple: agriculture et élevage,construction d’habitations,tissage et autres métiers
utiles,ainsi que les éléments des techniques professionnelles et commerciales néces-
saires au progrès économique); l’enseignementménager (art culinaire,puériculture,
soins aux malades); les techniques qui permettent l’expression personnelle dans les
différents arts et métiers; l’éducation sanitaire par l’hygiène personnelle et collec-
tive;la connaissance et l’intelligencedu milieu physique et des phénomènes naturels
I . NATIONS
UNIES, CONSEIL
ÉCONOMIQLIE ET SOCIAL,Comité administratif de coordination, Quinzième
rapport au Conseil économique et social, New York, 1953, 26 pages. (E/2512.)
2. UNESCO,L’expérience témoin d’Haïti. Première phare: 1947-1949,Paris, 1951,92 pages. (Monographies
sur l’éducation de base, IV.)
3. ID., Apprendre pour vivre. . ., Paris, 1951.
4. ID., Tzentzénhuaro commence à vivre. ..,Paris, 1953,37 pages.
5. ESSERT,Paul L., LOURENÇO-FILHO,M.B., et CASS,Angelica W., ((Developments in fundamental
education for adults», Adult education review of educational research, vol. XXIII, no 3, chap. III,
American Educational Research Association, Washington, I 953.

35
L’ensei.~mment
de la lecture et de l’écriture

(scienceélémentaire et pratique); la connaissance et l’intelligencedu milieu humain


(organisation économique et sociale, législation et institutions politiques); la con-
naissance des autres parties du monde et des peuples qui les habitent; le développe-
ment de qualités personnelles (jugement,initiative, affranchissement de la crainte
et de la superstition,tolérance et compréhension à l’égard des points de vue diffé-
rents); le développement spirituel et moral; la croyance à des valeurs morales et
l’habituded’y conformer sa conduite,ce qui inclut la critique des normes tradition-
nelles de conduite et leur modification pour les adapter à de nouvelles circonstances1.
Ces objectifs sont remarquables par leur ampleur et ils ouvrent de vastes perspec-
tives en matière de développement individuel et collectif. Dans sa phase initiale,
tout programme d‘éducation de base doit nécessairement pourvoir aux besoins les
plus urgents, mais par la suite il peut s’étendre pour ainsi dire à l’infini. Quand
une communauté a découvert quels sont ses besoins et compris qu’il lui est possible
d’y faireface par ses propres moyens,ses progrès peuvent se poursuivre indéfiniment.

L ’ A L P H A B É T I S A T I O NEST-ELLE N É C E S S A I R E A L ’ É D U C A T I O N DE B A S E ?

Les avis diffèrent sur ce point. D’après l’opiniontraditionnelle,la lecture et l’écri-


ture jouent un rôle capital en aidant les membres d’une communauté à résoudre
de façon intelligente les difficultés qu’ils rencontrent, à améliorer tant leur état
sanitaire que leur situation économique et sociale et à mener une vie plus pleine.
Les partisans de cette théorie se sont donc attachés avant tout à organiser des cam-
pagnes de lutte contre l’analphabétismeet à apprendre à lire et à écrire aux jeunes
et aux adultes. Malheureusement ils ne se sont guère ou point préoccupés de relier
les connaissances inculquées à leurs applications pratiques et les résultats qu’ils
obtenaient se mesuraient surtout d’après le nombre de certificats délivrés.
A l’opposé, certains pensent que la lecture et l’écriture ne jouent qu’un rôle
accessoire,sinon nul,dans l’éducationde base et qu’ilconvient d’adopterdes moyens
d’action plus directs. Ils soutiennent qu’en général les campagnes de lutte contre
l’analphabétisme n’ont pas réussi à aider les individus et les groupes à résoudre
nombre de problèmes pressants qui requièrent tout le temps et toute l’énergie dis-
ponibles, et que, grâce par exemple aux séances de démonstration, aux affiches,
au cinéma et à la radio,on peut instruire et conseiller la population de façon beau-
coup plus attrayante et efficace.
Selon une troisième thèse, la lutte contre l’analphabétisme et la solution des
problèmes individuels et collectifs sont si intimement associées que le meilleur moyen
d’obtenir des résultats dans l’un et l’autre de ces domaines est d’agirsimultanément
sur les deux fronts. En effet, il est fréquent que la décision d‘apprendre à lire et à
écrire soit directement liée à d’autres tentatives d’amélioration et en procède. En
pareil cas, a-t-onsouligné2,les intéressés utilisent les mécanismes nouvellement
acquis à des fins qui leur paraissent réellement souhaitables,et les satisfactions que
leur procure dès le début l’étude de la lecture et de l’écritureles incitent à pour-
suivre leurs efforts et à tirer parti de leurs connaissances pour améliorer leur condi-
tion personnelle ou aider à résoudre des problèmes collectifs.
Sur la base des renseignements disponibles, il apparaît qu’il y a lieu d’utiliser
simultanément tous les moyens existants pour aider les individus et les collectivités
à comprendre et à résoudre leurs problèmes. O n doit se féliciter des rapides progrès
I. UNESCO, L‘éducation de base.. ., Paris, 1949,p. II.
2. REX,Frédérick J., «Pourquoi et comment lutter contre l’analphabétisme: dans l’attente du stage
d’études de Rio», Bulletin trimestriel d’éducation de base, vol. 1, no 3, juillet 1949, Paris, Unesco,
p. 18-19.
Le rôle de la lecture et de l’écriture dans l’éducation de base

accomplis depuis quelques années dans la mise au point de nouveaux auxiliaires


de l’enseignementet le développement de nouveaux modes de communication de
la pensée, car l’expériencea montré qu’uneidée acquiert en général beaucoup plus
de force lorsqu’on a recours simultanément,pour la présenter,à différents moyens
(discussions, démonstrations, affiches, livres, cinéma, radio, presse, etc.). Mais,
lorsqu’on dispose de nombreux types d’auxiliaires d’enseignement, la question se
pose souvent de savoir comment s’en servir avec le maximum d’efficacité.O n se
demandera notamment dans quel ordre il faut en user et si cet ordre doit varier
en fonction de la nature du problème envisagé, ainsi que de la maturité d’esprit
et du niveau d’instruction des élèves,etc.
Il apparaît d’autrepart que quiconque veut améliorer ses conditions d’existence
est amené à apprendre à lire.Cette opinion est confirmée par les conclusions d’études
détaillées sur les avantages comparés de la lecture,de la radio,de la télévision et du
cinéma. C o m m e l’a fait observer Dale1,i( bien souvent rien ne peut remplacer la
lecture », lorsqu’ils’agitd’assurer le développement individuel et le progrès social.
Le texte imprimé contient une gamme d’informations plus étendue, traite d’un
plus grand nombre de problèmes et apporte au lecteur plus de plaisir et de satis-
faction que tout autre mode de communicationde la pensée. D e plus, chacun peut
le lire et le relire à son gré et au rythme qui lui convient,ce qui lui donne le temps
de réfléchir,de peser avec soin les conseils qu’il y trouve et d’aboutir à des conclu-
sions mûrement considérées.

A V A N T A G E S D E L A L E C T U R E ET D E L’ÉCRITURE

Cette question a été longuement débattue dans des publications récentes et au


cours de multiples conférencesz. Mais, en règle générale, on l‘a étudiée en tenant
compte avant tout des.besoins propres de la région ou des collectivités en cause.
Certains auteurs se sont attachés à dresser des listes plus ou moins longues,mais
toujours fort instructives,de ces avantages3.
C o m m e ils sont nombreux et divers,il n’est pas possible de les rappeler tous ici
et de présenter les faits ou les arguments qui en établissent l’existence.Nous nous
contenterons donc de signaler quelques-unsdes principaux points sur lesquels ceux
qui savent lire et écrire sont avantagés par rapport aux analphabètes:ils sont mieux
armés pour faire face aux nécessités pratiques de la vie quotidienne (déchiffrer les
écriteaux qui avertissent d‘un danger, trouver son chemin, suivre les événements
d’actualité, rester en correspondance avec sa famille, etc.); ils peuvent trouver
d’utiles indications sur les moyens d’améliorerleurs conditions de vie dans des publi-
cations qui ont trait à la santé et à l’hygiène,à la production,au choix et à la pré-
paration des denrées alimentaires, à la puériculture et à l’économie domestique;
ils peuvent rendre leur situation économique plus satisfaisante du fait qu’ils sont
informés des vacances d’emploi et qu’ilssont capables de remplir des formuleset de
poser leur candidature par écrit, de se conformer à des instructions manuscrites ou
imprimées dans leur travail, d’exercer un métier qui exige que l’on sache lire et
écrire et d’apprendreà utiliser judicieusement l’argent qu’ils gagnent;leur instruc-

I. DALE,Edgar, «Is there a substitute for reading?», Newsletter, vol. X,avril 1945.Bureau of Edu-
cational Research, Ohio State University.
2. UNESCO,Stage d’études sur l’éducation des adultes des régions rurales. Report on work done 6y Group Z
on literucy und udult educution, Mysore, 1949,p. 3. (Unesco/Mysore/71.)
3. CLARK, Ann Nolan, ((Preparation of reading materials: SubjectV,-Objectives and techniques)),
in Working Pujers. Inter-American Serninar on Literacy and Adult Education, Petropolis, Rio
de Janeiro, 1949,p. 3-5. (Sern/Rio/ro/a. 3/1).

37
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

tion accroît leur prestige social et leur permet d’exercer de nombreuses activités
individuelles et collectives auxquelles les illettrésne peuvent prendre part;ils peuvent
se tenir au courant des activités et des tendances de la collectivité, identifier les
forces qui favorisent ou retardent son développement, et entreprendre l’étude de
certains problèmes sociaux; ils peuvent s’acquitter efficacement de leurs devoirs
civiques parce qu’ils sont en mesure de connaître et d’observer les règlements, de
prendre part aux discussions de groupes et aux efforts déployés pour améliorer
l’organisation de la collectivité, et enfin de voter sans aide et à bon escient; ils
peuvent suivre l’évolution des affaires internationales en se renseignant sur ce qui
se passe dans tous les pays proches ou lointains,sur les autres peuples et leurs cou-
tumes et sur les forces naturelles et sociales qui régissent la vie de l’homme; ils
peuvent apprendre à connaître et à apprécier le patrimoine culturel que constitue
la littérature; ils peuvent satisfaire leurs aspirations religieuses par la lecture des
livres sacrés et participer à différentes activités confessionnelles.
Il est donc clair que ceux qui luttent contre l’analphabétismeont le pouvoir
d’accroître de façon presque illimitée la valeur humaine de leurs élèves et de leur
ouvrir de nouveaux horizons.Mais il ne suffit pas d’inculquerles mécanismes fonda-
mentaux de la lecture et de l’écritureauxjeunes et aux adultes;il faut aussi, à mesure
qu’ils progressent,les amener à comprendre le monde où ils vivent,ce qui leur per-
mettra d’acquérir plus de pénétration, d’adopter des attitudes plus rationnelles et
d’avoir un comportement plus satisfaisant.

NIVEAU D’INSTRUCTION INDISPENSABLE

Les avantages que peuvent procurer la lecture et l’écriture sont donc nombreux;
aussi est-onamené à se demander à quel niveau d’instruction il faut parvenir pour
en jouir. Il ne faut pas oublier en effet que l’alphabétisation comporte bien des de-
grés,soit que l’on se contente d’enseigneraux élèves à lire un texte simple et à écrire
leur nom,soit au contraire qu’on les amène à faire montre d’un haut degré de ma-
turité dans leur façon de conduire et de choisir leurs lectures.Les niveauxatteints
dépendent en général des normes en vigueur dans la région considérée. Ceux aux-
quels on se réfère le plus souvent sont le ( (niveau minimum d’instruction) )et le
c niveau d’instructionfonctionnel». Nous allons donc examiner la valeur et les limites
respectives de ces deux notions.

NIVEAU MINIMUM D’INSTRUCTION

Au cours des premières campagnes de lutte contre l’analphabétisme,on a cru bon,


vu le caractère limité des moyens disponibles,de s’entenir à des normes minimales
et de se borner à inculquer aux élèves les mécanismes les plus rudimentaires de la
lecture et de l’écriture. En règle générale, l’enseignementcomprenait deux dou-
zaines de leçons et l’onn’étudiait qu’un recueil de textes, ou au maximum deux ou
trois. O n s’attachaitessentiellement à mettre l’élèveen état d’identifierles mots et
à lui enseigner les rudiments de l’écriture,et l’onestimait avoir fait l’essentielquand
il était capable de lire un passage très simple et d’écrire son nom ou quelques phrases.
Cette façon d’agir présentait au moins trois avantages: des milliers d’adultes
eurent ainsi la satisfaction de parvenir à déchiffrer des textes élémentaireset purent
répondre à certains besoins pratiques. Ils jouirent en outre du prestige qui s’attache
toujours à l’instruction;et enfin,nombre d’adultesacquirent de ce fait certains privi-
lèges tels que les droits civiques. D’autre part, il est manifestement indispensable

38
Le rôle de la lecture et de récriture dans l’éducation de base

d’utiliser,au cours des recensements,des critères simples et faciles à appliquer en


matière d’instruction.Malheureusement,il n’existepas encore de critère de ce genre
universellement admis. Ceux dont on s’est servi étaient de nature si variable1 et
avaient été établis dans des situationssi différentesque les données obtenues n’étaient
guère comparables. Différentes institutions2s’efforcent actuellement de mettre au
point des normes appropriées dans ce domaine.
Des rapports récents révèlent que,dans bien des régions,on s’en tient encore aux
objectifs et aux méthodes décrits ci-dessus,ce qui s’expliqueaisément pour deux rai-
sons d’ordre pratique. La première est que le recrutement des élèves s’en trouve
facilité. S’ilfaut un long et pénible effort pour choisir un certificat,les inscriptions
seront en effet moins nombreuses et beaucoup de personnes abandonneront la partie
avant d’avoiratteint le niveau d’instruction exigé. Certes, il importe de ne pas trop
demander à l’élève;pourtant l’erreur la plus grave consiste en fait non pas à fixer
trop bas le premier niveau à atteindre, mais à ne pas prévoir ensuite une série
d’étapessuccessives conduisant à un niveau suffisamment élevé.
La deuxième raison pour laquelle on adopte souvent des normes d’instruction
relativement peu élevées est le fait qu’aux yeux de certains fonctionnaires un élar-
gissement des programmes d’éducation n’est ni possible ni nécessaire. Selon eux,
faute de crédits et de maîtres qualifiés,il convient de se contenter de diffuser des
connaissances rudimentaires; certains estiment d’ailleurs que pour comprendre le
sens d’une phrase il suffit d’en identifier les mots, si bien que les cours de lecture
doivent viser exclusivement à apprendre aux élèves, par la technique de l’analyse
phonétique ou par d’autres procédés, à prononcer les mots du texte. A leur sens,
tout individu ayant atteint ce stade peut ensuite, s’il est réellement désireux d’ap-
prendre à lire et à écrire et doué d’une intelligence normale, y parvenir par ses
propres moyens; et ils concluent que la plupart, sinon la totalité,de ceux qui sont
incapables de faire ce nouvel effort ne méritent pas d’être aidés.
Il n’est pas difficile de mettre en lumière la principale faiblesse de telles normes
et la fausseté de ces arguments. En premier lieu, si l’enseignementcesse dès que le
niveau défini ci-dessusest atteint,les élèves sont encore incapablesde lire et d’écrire
facilement,ou d’utiliser leur savoir autrement qu’aux fins les plus élémentaires,si
bien que bon nombre de ceux qui ont obtenu un certificat cessent ensuite com-
plètement ou presque de se servir des connaissances acquises. Il n’est donc pas sur-
prenant qu’ils oublient vite le peu qu’ilsont appris. Ces remarques sont confirmées
par les observations d‘experts,tels que M.Frank Laubach, et par les résultats de
nombreuses campagnes d’alphabétisation.
D’autre part, Mme Kotinsky a souligné,sur la base de la vaste expérience qu’elle
a acquise dans le domaine de l’instruction élémentaire des adultes,la nécessité de
donner une formation plus poussée à la plupart des élèves des cours pour illettrés.
G Il arrive parfois qu’un individu à qui l’on a simplement appris à lire et à écrire
voie s’ouvrir devant lui des perspectives et des possibilités nouvelles; et grâce à
l’instrumentqu’il vient d’acquérir,il continuera de lui-mêmeà développer sa per-
sonnalité... La plupart, cependant, n’ont ni le fond de connaissances générales
ni les aptitudes nécessaires pour tirer pleinement parti de cet instrument,de façon
à se rendre en quelque sorte maîtres de l’univers et de toutes ses richesses3.>> Mme Ko-
tinsky reconnaît que tous les adultes ne parviendront pas au m ê m e degré de com-

I. UNESCO, L’analphabétismed a m diverspays, Paris, 1953,p. 13-17. (Monographiessur l’éducationde bare,VI.)


2. ID., Amélioration de la comjiarabilité intepnationale des statirtiques de l’analpiulbétisme et des statistiques
scolaires, N e w York, Nations Unies, Conseil économique et social, 1954, p. 13. (E/CN. 31188,1954.)
3. KOTINSKY, Ruth, Elementary education of adults: a critical interpretation, N e w York, American Associa-
tion for Adult Education, 1941,p. 54. (Studies in the social signifcance of adult education in the United
States, no 26.)

39
L’ensei,pment de la lecture et de l’écriture

pétence et de compréhension,mais il s’ensuitque chacun doit recevoir une éducation


assez complète et assez bien,conçue pour atteindre le niveau de l’instructionfonc-
tionnelle et jouer son rôle au sein de la communautéen homme capable et considéré.

LA NOTION D’INSTRUCTIONFONCTIONNELLE

D e nombreux spécialistes se sont efforcés de mettre au point des normes d’instruc-


tion plus élevées;ils se sont en général fondés sur la notion d’instruction fonctionnelle
qui s’est précisée peu à peu depuis vingt-cinq ans. Cette instruction vise à mettre
les élèves en état de faire ensuite de la lecture et de l’écritureles usages qui se révéle-
ront nécessaires au cours de leur vie quotidienne.Voici par exemple les conclusions
auxquelles a abouti une conférence de représentants provinciaux de la Nigeria du
Nord, tenue en 1950:<< Pour faire œuvre utile, il faut donner à l’élève un savoir
dont il sera ensuite à m ê m e de tirer parti sans l’aided’unmaître1.>) Afin de s’assurer
qu’ony est effectivement parvenu,on soumettra les élèves à un examen comprenant
les épreuves suivantes:
))Lecture: Lire et comprendre un texte en langue vernaculaire. O n choisira un
passage qui se suffit à lui-mêmeet offre un sens complet;d’autrepart,le sujet traité
doit être à la portée de l’intelligencedu candidat et entrer dans le cadre de son
expérience,tandis que la langue sera le dialecte qu’il parle habituellement.. .
N Ecriture: Ecrire à une personne déterminée une lettre l’informant d’un fait
précis. La lettre doit revêtir la forme habituelle et porter l’adresse de l’expéditeur
et sa signature.Une enveloppe sera préparée selon les règles ordinaires,l’adressedu
destinataire étant assez clairement indiquée pour qu’il soit assuré de recevoir le
pli2.)
)
Deux principes fondamentauxdoivent être observésen matière d’instructionfonc-
tionnelle. Tout d‘abord il faut adapter la nature et la durée de l’enseignement aux
besoins des groupes auxquels on s’adresse. En effet, les analphabètes3 sont soumis
de façon plus exclusive que les autres hommes à l’influencede la culture à laquelle
ils appartiennent. Le degré d’évolution,les besoins et les aspirations des groupes
illettrés varient dans des proportions considérables en fonction de facteurs anthro-
pologiques et géographiques, ainsi que des forces sociales,politiques et économiques
qui agissent à l’intérieur de la communauté et sur elle. Il s’en faut donc de beau-
coup que la nécessité d’apprendre à lire et à écrire paraisse dès l’abordaussi mani-
feste à tous ces groupes.Nous allons citer quelques exemples en vue de donner une
idée de la nature de certaines de ces différences.
Une spécialiste sud-africainede la lutte contre l’analphabétisme a signalé que
pour répondre aux besoins des jeunes gens et des adultes qui suivaient ses cours elle
devait les mettre en mesure: d’assurer des échanges de correspondance avec les
membres de leur famille;de lire le nom des rues, des édifices, etc.;d’observer les
conseils de prudence donnés sur des pancartes dans la rue et sur les lieux de travail;
de comprendre divers types de directives imprimées d’un usage courant;de lire le
journal afin de se tenir au courant de l’actualitéet d’obtenirtoutesinformationsutiles;
de lire des manuels de vulgarisation pratique et des brochures sur la santé,l’alimen-
tation, l’hygiène et l’agriculture.

I. OF PROVINCIAL
CONFERENCE REPRESENTATIVES, Report on a conference of provincial representativesto discurs
the adult literacy campaign, Northern Region, Zaria (Nigeria), rrr6june 1950,Zaria,Gaskiya Corpora-
tion, 1950, p. 6.
2. Ibid., p. 6.
3. LITTLE, Kenneth L., «Social change in a non-literate community)), dans: RUOPP, Phillipps,ed.,
Approaches to community development. . ,, L a Haye, W.van Hoeve, 1953, p. 87-96.
Le rôle de la lecture et de l’écriture dans l’éducation de base

Les illettrés doivent arriver à un niveau d’instruction nettement plus élevé pour
devenir capables d’atteindre les buts énumérés par une personnalité thaïlandaise:
se tenir au courant de la vie de l’ensembledu pays et en connaîtrel’idéalet les aspira-
tions; se renseigner sur les problèmes sociaux,politiques et économiques en vue de
contribuerà les résoudreet de comprendreles motifs de certainesmesures ou décisions;
améliorer sa situation économique (le plus souventles illettréssontdésavantagésdans
la recherche d’un emploi; d’autrepart, ceux qui travaillent à leur compte sont très
gênés par le fait qu’ilsne peuvent suivre les fluctuationsdu marché et l’évolutiondes
facteurs dont elles dépendent); se préparer à la prêtrise.
Des rapports émanant de diverses parties du monde indiquent que la nécessité
de relever encore les normes d’instruction se fait sentir de plus en plus impérieuse-
ment. Au cours d’un examen des objectifs de l’enseignement de la lecture et de
l’écriture,les membres du stage d’étudesnational sur l’analphabétisme tenu à Delhi
(1nde)l ont mis l’accentsur le fait que l’élève doit parvenir non seulement à bien
connaître le mécanisme de la lecture mais à mieux prendre conscience du c con-
texte socialB de ce qu’il lit et des << forces qui entrent en jeu dans son milieu ».
Ainsi pourra-t-ilcomprendre et apprécier ce qu’il lit, p.rendre des décisions judi-
cieuses et discerner le sens qu’il serait souhaitable d’imprimer à l’évolution sociale
et à la politique gouvernementale.
Les exemples ci-dessusmontrent que le degré de compétence nécessaire en ma-
tière de lecture et d’écriture varie beaucoup selon la collectivité considérée. Il est
évident par exemple qu’il est bien moins difficile de donner aux élèves une instruc-
tion suffisante pour répondre aux nécessités pratiques de l’existence que de les pré-
parer à jouer un rôle important dans le relèvement social du pays. L’objectifimmé-
diat de l’alphabétisation consiste toujours à permettre aux jeunes et aux adultes de
satisfaire convenablement les besoins de la vie courante. Par conséquent, il appar-
tient à chaque collectivité de fixer la nature et la durée des cours d’alphabétisation
en fonction de ses besoins particuliers.Mais il ne faut pas négliger pour autant de
mettre les élèves en état de s’associer aux activités et à la vie intellectuelle de la
grande communauté dont ils font partie et il n’importe pas moins d’élargir leurs
horizons mentaux et de leur faire connaître, grâce à la lecture,des joies nouvelles
et des idées neuves.
Un programme d’alphabétisation2conçu uniquementen vue de rendre les intéres-
sés capablesde résoudreleursproblèmesimmédiatsn’auraitqu’uneportée très limitée.
U n deuxième principe à observer en matière d’instruction fonctionnelle est le
suivant: il faut que les élèves aient de puissants mobiles pour apprendre à lire et
à écrire. En effet,ils feront des progrès beaucoup plus rapides s’ils ont une idée claire
du but à atteindre et un vif désir de réussir. En conséquence,les mobiles expressé-
ment indiqués par le groupe intéressé joueront un rôle déterminant dans l’organi-
sation des campagnes d’alphabétisation;il en sera fait état au moment où l’on an-
noncera l’ouverture des classes,au cours de l’élaboration des programmes de forma-
tion et pour encourager les élèves à persévérer dans l’effort.
Ce qui complique les choses, toutefois,c’est que tous les groupes n’ont pas des
raisons également impérieuses d’apprendreà lire et à écrire. Une récente enquête
effectuée en Afrique occidentale a fourni à ce sujet des indications significatives3.

1. NATIONAL FOR THE LIQUIDATION


SEMINAR ON THE ORGANIZATION AND TECHNIQUES OF ILLITERACY,
Jabalpur 1950,Report, Delhi, Indian Adult Education Association, 1951,p. 46.
2. GRIFFIN, Ella, «Rédaction et illustration d’ouvrages destinés à compléter les campagnes de lutte
contre l’analphabétisme»,Education de base et éducation des adultes, vol. V,no 3,juillet 1953,p. 133-
138,Paris, Unesco.
3. Signalé par le président Horace Bond, de l’université de Lincoln en Pennsylvanie (Etats-Unis
d’Amérique).

4’
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

Parmi les tribus illettrées de cette région, certaines semblaient a parfaitement satis-
faitesB de leur ignorance tandis que d’autres (< souhaitaient ardemment N en sortir
et toutes les nuances intermédiaires étaient représentées. D’après les renseignements
disponibles,il en va de même dans bien d’autresparties du monde, quoiquele désir
d’apprendre à lire et à écrire soit en train de se généraliser rapidement.
Nous examinerons en premier lieu les problèmes que posent les collectivités qui
n’ontpas encore de raisons impérieuses de s’instruire.L’expériencemontre qu’ilne
sert pas à grand-chosed’entreprendre l’alphabétisation de ces groupes avant de les
avoir amenés à la souhaiter vivement.O n a vu plus haut qu’il est en général facile
de faire naître ce désir en créant des situations où les intéressés verront clairement
que savoir lire et écrire les aiderait beaucoup à résoudre certains problèmes urgents
ou à obtenir quelque chose dont ils ont très envie;en pareil cas,la plupart desjeunes
et des adultes sont en effet disposés à faire l‘effort nécessaire pour s’instruire.
L’exemple ci-aprèsdonnera une idée des méthodes qu’on peut employer.
Dans une communautéillettréeoù les récoltesétaient très mauvaises et bien infé-
rieures aux besoins,des réunionsfurentorganiséessur l’initiatived’uneéquipe d’édu-
cateurs de base afin de chercher un remède à cet état de choses.A u cours des débats,
il fut décidé d’inviterun paysan du voisinage,dont la situationétait prospère,à venir
prendre la parole. Celui-ciexpliqua comment il s’y était pris pour préparer, en-
semencer et cultiver sa terre et, quand on lui demanda où il avait appris tout cela,
il montra une série de bulletins d’informationillustrés publiés par une station agro-
nomique et indiqua les moyens de s’en procurer. En conséquence, avant m ê m e la
fin de la réunion,tout le monde réclamait vigoureusement que des cours de lecture
et d’écriture fussent organisés.
Des raisons tout aussi valables d’apprendreà lire et à écrire sont apparues au
cours de tentatives visant à résoudre d’autrescatégories de problèmes-qu’ils’agisse
d’améliorer la qualité de l’eau,d’éleverle niveau de la santé publique,de prévenir
des épidémies,de mieux soigner les enfants, de s’alimenterd’unefaçon plus ration-
nelle,de perfectionner les méthodes d’élevageou d’adopter des techniques de fabri-
cation plus efficaces afin d’être mieux en mesure de lutter contre la concurrence.
L’intérêtd’une telle conception de l’alphabétisation tient à ce qu’elle répond aux
principales préoccupations de la population, préoccupations dont il est très dange-
reux de ne pas tenir compte comme le montre l‘épisode ci-après:une école située
dans l’unedes îles Soulou était fort peu fréquentée,parce que les parents ne voyaient
pas quel profit leurs enfants pourraient retirer de l’enseignement qu’elle dispensait.
Les autorités réunirent donc tous les adultes,qui vinrent les armes à la main, crai-
gnant un châtiment.Mais tout s’éclaircitlorsquele chefdéclara:<< Si vous instruisiez
nos enfants dans notre propre langue et si vous leur appreniez à mieux cultiver la
terre ou à pêcher plus de poisson,non seulement nous les enverrions à l’école,mais
encore nous irions nous aussi.B
Quand les illettrés découvrent l’utilitéque présente la lecture dans un seul do-
maine,ils en viennent rapidement à s’enservir dans beaucoup d’autres, comme on
peut le voir d’aprèsl’exemplesuivant.Les habitants d’une région très peuplée située
au nord de Manille étaient fort pauvres avant 1949;il leur aurait pourtant été facile
de vendre des denrées alimentaires à Manille, mais ils ne savaient pas comment les
produire. Il se trouva que, sous la direction d’unmoniteur agricole,les enfants de
l’école avaient entrepris d’élever des poulets. Dès que ce projet commença à donner
de bons résultats, on organisa des réunions pour expliquer aux adultes les avantages
qu’ils auraient à faire de l’avicultureet à vendre des œufs. Cette proposition sou-
leva un vif intérêt, et les gens commencèrentà désirer savoir lire et écrire pour pou-
voir se documenter sur la question.A mesure que leur situation économique s’amé-
liorait,ils s’aperçurentqu’ils pouvaient aussi produire d’autres denrées alimentaires
L e rôle de la lecture et de l‘écriture dans l’éducation de base

et qu’àcet effet il leur fallait être capables non seulement de lire différents bulletins
d’information,mais aussi de suivre les cours du marché et l’évolution de la demande.
Et comme ils lisaient de plus en plus couramment,ils en arrivèrent à se servir de
leur nouveau savoir pour se tenir au courant de l’actualitéet des questions intéres-
sant la communauté et la nation. Ainsi, ceux qui ont appris à lire pour des motifs
exclusivement utilitaires parviennent ensuite,s’ils sont convenablement encouragés
et dirigés,à faire bien d’autresusages de leur instruction et finissent par constituer
une communauté bien informée et pleine de vitalité.
Bon nombre de groupes illettrés,sinon la plupart, ont de puissants motifs d’ap-
prendre à lire et à écrire avant qu’aucun programme de développement ne soit
mis en chantier dans leur collectivité. Ces motifs ont en général tant de force qu’il
faut leur accorder une attention immédiate sous peine de compromettre le succès
de l’ensemble de la campagne d’alphabétisation.Si l’instruction dispensée répond
dès le début à ces besoins, on obtiendra la confiance et le concours des intéressés
et on leur permettra de résoudre plus tôt leurs problèmes collectifs et individuels
urgents. Il apparaît donc que toute équipe d’éducateurs de base doit commencer
par déterminer la nature et la force des mobiles spontanés qui incitent les membres
de la communauté dont ils s’occupent à apprendre à lire et à écrire.
Ces mobiles varient bien entendu d’un groupe à l’autre,et aussi avec les indi-
vidus. Il peut s’agir de désirs fort subtils et difficiles à définir1-désir de vivre en
homme civilisé,de conserverson prestige aux yeux des enfants et des amis,d’échapper
aux inconvénients de l’ignoranceet de cesser d’être un instrument entre les mains
d’autrui,de s’instruire et de briller, ou même d’acquérir un diplôme là où des certi-
ficats d’alphabétisation sont décernés.
Nous avons mis en lumière l’insuffisancedes normes minimales adoptées autre-
fois en matière d’alphabétisationet la nécessité de dispenser une instruction fonc-
tionnelle. Pour atteindre ce but, il importe d’observer deux principes: en premier
lieu les stimulants et le matériel employés doivent être directement en rapport avec
les mobiles qui poussent le groupe considéré à apprendre à lire et à écrire;deuxième-
ment, la durée des études et le niveau à atteindre doivent être fixés en fonction des
besoins du groupe. Les sentiments qui incitent les illettrés à s’instruirepeuvent être
classés en deux catégories: d’une part ceux qui procèdent de besoins pratiques et
urgents de la collectivité et que stimule le personnel chargé de l’exécutiondes pro-
grammes de développement; et de l’autre,ceux que certains membres du groupe
éprouvent pour d’autresraisons. Les uns et les autres sont très importants.Il est in-
dispensable de procéder à des études approfondies en vue de déterminer à quel mo-
ment il convient d’entreprendre l’alphabétisation de chaque collectivité et à quels
mobiles il faut faire appel. Les méthodes qu’on peut utiliser à cet effet seront exa-
minées au chapitre XII.

1. RUDOLFER,
Noemi da Silveira, ((PsiCo-pedagogiado adolescente e do adulto analfabetosv,dans:
DE EDUCAÇAO
CAMPANHA DE ADULTOS, Fundamentos e metodologin do ensino supletivo, Rio de Janeiro,
Ministerio da Educaçâo e Saiide, 1950,p. 45-46. (Publicn@o, no 12, août 1950.)

43
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

N O R M E S D’INSTRUCTION F O N C T I O N N E L L E

Il ressort de ce qui précède qu’ondoit considérercomme ayant une instruction fonc-


tionnelle toute personne ayant acquis, en matière de lecture et d’écriture, des connaissances
théoriques et pratiques lui permettant de prendre part de façon eficace à toutes les activités que
les alphabètes sont normalement censés exercer au sein du groupe culturel ou de la collectivité.
Mais comme ces activités ne sont pas partout les mêmes, il est nécessaire de définir
des normes en vue de déterminer quelle formation assurera une instruction fonction-
nelle aux membres de telle ou telle collectivité. Cette définition peut utilement être
donnée sous une forme soit quantitative,en fonction des résultats à obtenir ou des
connaissances à inculquer, soit qualitative, d’après le contenu des programmes et
les méthodes pédagogiquesqui permettront d’atteindrele but visé. Nous nous place-
rons,dans la présente section,au premier point de vue,l’autrequestion étant traitée
plus loin dans les chapitres VII,VIII,x et XI.
L’un des meilleurs moyens d’évaluerquantitativement l’instructionfonctionnelle
consiste à rechercher dans quelle mesure les élèves sont capables d’exercercertaines
activités. Par exemple, considérons une communauté rurale où savoir lire et écrire
sert surtout à déchiffrer des informations très simples et des pancartes, ainsi qu’à
entretenir une correspondance avec les membres de la famille.O n pourra faire faire
aux élèves une série d’exercices gradués portant sur ces activités, et i’enseigne-
ment ne cessera qu’au moment où ils seront en mesure de venir à bout de toutes
les difficultés normalement rencontrées en la matière dans la collectivité en
question.
U n deuxième exemple nous sera fourni par les activités éducatives des mission-
naires. C o m m e l’un de leurs principaux buts est de donner aux élèves la possibilité
de comprendre des ouvrages religieux, ceux-cipoursuivent leurs études jusqu’à ce
qu’ils se montrent capables de lire de façon correcte et intelligente certains passages
extraits de chants religieux,de textes sacrés,etc. Ici le niveau requis est manifeste-
ment beaucoup plus élevé que dans le cas précédent. Mais ce système d’évaluation
de l’instruction fonctionnelle peut en principe être appliqué dans n’importe quel
groupe: plus les usages faits de la lecture seront nombreux et variés dans la collec-
tivité considérée,et plus les épreuves seront difficiles et auront une portée étendue.
Au lieu d’employer cette méthode, on peut toutefois avoir recours à des tests1
portant sur les différentes capacités que l’élève doit posséder pour pouvoir faire les
usages voulus de la lecture et de l’écriture.En ce qui concerne la lecture2par exemple,
on pourra mettre au point des séries de tests de difficulté graduée pour évaluer le
niveau atteint en ce qui concerne le déchiffrage des mots, la compréhension des
mots, des phrases et des paragraphes, la vitesse de lecture, etc. En vue de fixer les
normes qui seront adoptées,on pourra faire subir ces tests aux membres de la collec-
tivité qui ont une instruction suffisante pour répondre aux besoins courants et d’après
les résultats qu’ils obtiendront on déterminera ce qu’on est en droit d’attendre de
tous les élèves et à quel moment la formation des ex-illettréspourra être considérée
comme terminée. Gâce à ce test étalonné,il sera également possible de comparer le
niveau d’éducation requis dans différentes communautés où l’on parle la même
langue.

I. BUROS, Oscar Krisen, The third mental maasurements yearbook, New Brunswick, N.J.,Rutgers Uni-
versity Press, 1949, p. 1047et suiv. (Contient une description et une évaluation critique de la
plupart des tests d’intelligence et de niveau les plus usuels.)
2. GRANDE-BRETAGNE. MINISTRY OF EDUCATION,Reading ability, Londres, H.M.s. o., 1950, p. 10-13.
Voir aussi: DUNCAN,John, Backwardness in reading: Ramedies and preuention, Londres, George G. Har-
rap and Co., 1953, p. 20-21.

44
Le rôle de la lecture et de l’écriture d a m l’éducation de base

A l’échelon national, on définit souvent l’instruction fonctionnelle par compa-


raison avec l’instructionscolaire.O n dira par exemple que pour avoir une instruc-
tion fonctionnelle il faut posséder, en matière de lecture et d’écriture,des connais-
sances théoriques et pratiques équivalentes à celles qu’un écolier a normalement
acquises au bout de trois années d‘études1. Aux Etats-Unisil a fréquemment été
proposé de considérer comme un minimum applicable à tous les citoyens le niveau
atteint au bout de quatre années de scolarité. Mais les autorités militaires tant
anglaises qu’américaines2recommandent que ce chiffre soit porté à cinq années ou
m ê m e davantage.
L’emploi de telles normes n’est possible que dans les collectivités où l’enseigne-
ment est bien organisé et le niveau des études suffisamment uniforme dans les diffé-
rents établissements. En vue de fixer les critères convenant à une communauté
donnée,on peut avoir recours à deux méthodes différentes.La moins objective con-
siste à comparer les capacités nécessaires pour faire de la lecture et de l’écriture les
usages indispensablesavec celles qu’ontacquisesles écoliers ayantaccompliunnombre
donné d’annéesd’études.Si l’ontient compte de la différence existant entre le voca-
bulaire employé par les enfants et par les adultes on parviendra ainsi à des résultats
assez précis. Mais un système bien plus objectif consiste à élaborer des tests portant
sur les principales applications de la lecture et de l’écriture,et à les faire subir à
des groupes d’enfantsou d’adultes(ou d’enfantset d’adultes) ayant fréquenté l’école
pendant un temps variable. C’est ce qui a été fait,par exemple,au cours d’uneétude
effectuée aux Philippines3.
Les tests utilisés à cette occasion s’inspiraientde l’idée que l’instructionfonction-
nelle doit permettre:(< premièrement,de lire et d’interpréter de façon satisfaisante
des lettres ordinaires,desjournaux,des panneaux,des pancartes,des avis et réclames
publicitaires, des feuilles de contribution;deuxièmement,d’écrire une lettre ordi-
naire ». L’aptitude à résoudre des problèmes simples d’arithmétique était également
estimée:6.974élèves des classes III, IV,V,VI et VII,ainsi que 6.052adultes,choisis
selon une méthode d’échantillonnage qui éliminait les cas extrêmes pour retenir
seulement les sujets d’intelligencemoyenne, furent soumis à ces épreuves d’instruc-
tion fonctionnelle;pour la moitié environ des membres de chaque groupe on utilisa
des textes en anglais et pour l’autre moitié des adaptations en langue vernaculaire.
Parmi les adultes passant les tests en anglais,les pourcentages de ceux qui obtinrent
73 points ou davantage pour l’épreuve de lecture s’établissaientcomme suit, en
fonction de la dernière classe fréquentée à l’école:
Dernière classe fréquentée
III IV V VI
Textes en anglais 33,I% 4691% 6231% 78%
Textes en vernaculaire 39,9% 57,3% 63,3% 74,874

En ce qui concerne les tests d’écriture, les proportions enregistrées étaient toutes
plus élevées. D’autre part, parmi les enfants qui fréquentaient l’école depuis trois
ans et demi, quatre ans et demi, cinq ans et demi, ou qui possédaient desconnais-

I. GRANDE-BRETAGNE.MINISTRY OF EDUCATION,Reading ability, op. ci!.


2. GOLDBERG,Samuel, A m y training of illiterates in World W a r II, New York, Bureau of Publications,
1951,p. 286. (Contributions to education, Teachers College, Columbia University, no 966.)
3. FLORES,Gerardo, {(L’instruction fonctionnelle au service de la vie civique: étude effectuée aux
Philippines)),Education de buse. ..,vol. II, no 3, juillet 1950, p. 27-28, Paris, Unesco.

45
L’ensei.enernent de la lecture et de l’écriture

sances équivalentes, les pourcentages de ceux qui répondirent correctement à au


moins 73 % des questions s’établissaientcomme suit:
Années de scolarité ou connaissances éauivalentes
3Y2 4Y 2 5 ’12
Textes en anglais 2333% 57% 7935 %
Textes en vernaculaire 358 % 6094% 81’4%
Si l’on admet que ces épreuves constituaient des tests d’instruction fonctionnelle
valables, il apparaît donc qu’il faut,pour que les trois quarts au moins des élèves
aient une telle instruction,atteindre un niveau équivalent à celui de la classe VI.Cet
emploi de normes scolaires pour définir l’instructionfonctionnelle présente certains
avantages. En effet il existe une similitude marquée, en particulier pour ce qui est
de la lecture, entre les habitudes et les mécanismes acquis respectivement par les
enfants et par les adultes,jusques et y compris les stades considérés ici. En outre,
l’utilisationde telles normes permet à une collectivité ou à un pays de coordonner
tous les efforts déployés en vue d’éliminer l’analphabétisme. Mais l’adoption des
normes scolaires offre aussi de graves inconvénients. Ces normes ne mesurent l’ins-
truction fonctionnelle que d’une façon indirecte; en outre, si elles sont fondées
uniquementsur les résultats obtenus par des enfants,elles peuvent ne pas s’appliquer
à des adultes. Si l’ony a recours,il faut donc que ce soit en conjonction et en accord
avec les conclusions de tests objectifs subis tant par des enfants que par des adultes,
comme ce fut le cas aux Philippines.
Les critères adoptés en matière d’instruction fonctionnelledoivent être relative-
ment élevés, car il y a très peu de textes de lecture répondant aux besoins et aux
goûts des adultes qui soient à la portée de ceux qui n’ontpas encore atteint,en lec-
ture, le niveau des enfants ayant fait quatre ou cinq années d’études.D e plus, l’ex-
périence montre que la préparation de textes plus élémentaires exige tant de temps
et d’efforts qu’il est impossible d’en produire assez pour satisfaire les besoins des
adultes. Enfin, à mesure que le nombre des illettrés diminue dans une collectivité,
le matériel de lecture qui y est utilisé devient en général plus varié et plus difficile,
si bien qu’un niveau de compétence qui était suffisant au début se révèle bientôt
trop faible.
Il a été constaté qu’une proportion étonnamment élevée des adultes ayant suivi
des cours pour illettrés et obtenu des a certificats d’alphabétisationN redeviennent
incapables,au bout d’untemps plus ou moins long,de lire les textes les plus simples.
Pour expliquer ce fait, on dit en général qu’en raison de l’insuffisancede leur for-
mation ils n’ont guère ou point pu trouver de matériel de lecture à leur portée,de
sorte que faute de pratique ils ont oublié tout ce qu’ils avaient appris. Il n’est pas
rare que, m ê m e dans des pays où le taux d’analphabétismeest très faible,plus de
20% des conscrits ne parviennent ni à déchiffrer un texte très simple, ni à écrire
une courte lettre.
Enfin, au cours d’une étude1de la population adulte d’une communauté améri-
caine typique, on a comparé les capacités de 151 adultes en matière de lecture à
haute voix ou silencieuse avec celles de la moyenne des enfants ayant fréquenté
l’école aussi longtemps qu’eux.Il est alors apparu: u) que le niveau de compétence
des adultes était dans l’ensemble très voisin de celui des enfants ayant fréquenté
l’école pendant un temps équivalent;b) que ceux qui avaient été à l’écolependant
six ans au moins lisaient un peu mieux que les élèves auxquels on les comparait;

I. William S., et LEARY,Bernice E., What makes a book readable, N e w York, The Macmillan
GRAY,
Company, 1937,p. 86-90.

46
Le rôle de la lecture et de l‘écriture dans l’édtuatwn de base

c) que ceux qui avaient fréquenté l’école pendant cinq ans au plus avaient tendance
à lire moins bien que les enfants du groupe correspondant. Quant aux adultes qui
avaient fait moins de trois ans d’études,ils se montrèrent en majorité incapables de
subir les épreuves,car,à leur sortie de l’école,ils lisaient encore si mal et si difficile-
ment qu’ils n’avaient depuis lors fait aucune lecture ou presque et étaient redevenus
illettrés. Les enquêteurs conclurent donc qu’il est indispensabled’atteindre,en ma-
tière de lecture,un niveau équivalent à celui de la moyenne des enfants ayant fré-
quenté l’écolequatre ans, ou de préférence cinq.
L’adoption de normes relativement élevées risque toutefois de décourager de
nombreux adultes. Tout programme d’alphabétisation doit donc se diviser en plu-
sieurs stades; les normes fixées au premier stade seront assez basses pour ne pas
exiger un trop gros effort, mais suffisantes pour répondre aux besoins élémentaires
qui se font sentir dans la collectivité en cause. D’autrepart,on s’attacheraen même
temps à inspirer aux élèves le désir de poursuivre leurs études. Ce système a déjà
été expérimenté avec d’excellents résultats dans des pays tels que la Côte-de-l’Or,
où l’on délivre deux types de certificat d’alphabétisation (niveau élémentaire et
niveau supérieur).

A M P L E U R DE L A T Â C H E A ACCOMPLIR

Nous allons fournir pour terminer quelques indications,d’une part sur le nombre
total des analphabètes1 et, de l’autre,sur la proportion des enfants d’âge scolaire
qui ne reçoivent à l’heureactuelle aucune instruction.

NOMBRE TOTAL DES ANALPHABÈTES

O n trouvera dans les tableaux I et 2 des statistiques concernant le nombre total des
analphabètes dans le monde, établies d’après les derniers documents officiels dont
dispose l’Unescoau sujet de 109 pays et territoires. Ces statistiques portent sur 80y
.
environ de la population mondiale, à l’exclusion principalement des habitants des
pays du nord de l’Europe,de l’Australie,de la Nouvelle-Zélande et du Japon,où
les analphabètes sont très peu nombreux,et de ceux de vastes régions d’Afriquesur
lesquels on ne dispose d’aucunrenseignement.
L’examen des deux tableaux montre que près de la moitié des pays (53 sur 109)
comptent moins de 40% d’illettrés; toutefois ces pays ne sont pas parmi les plus
peuplés. Le taux médian d’analphabétisme,compte tenu du chiffre de la popu-
lation, est d’environ 55%, ce qui confirme l’opinion couramment admise selon la-
quelle à peu près la moitié des hommes d’aujourd’hui sont illettrés. Il apparaît
d’autre part que le pourcentage d’analphabètes,extrêmement élevé en Afrique et
en Asie,est très variable en Amérique du Nord et du Sud, tandis qu’il reste peu
d’illettrés en Europe, en Océanie et en U.R.S.S. Cependant dans chaque continent
l’élimination de l’analphabétismepose encore de difficiles problèmes.
Lorsque l’onapplique les normes de l’«instruction fonctionnelle», le chiffre des
illettrés s’accroîtbien entendu de façon sensible. En 1920, par exemple, le Bureau
de recensement des Etats-Unisa signalé que le nombre des analphabètes (c’est-à-dire
des personnes n’ayantjamais fréquenté l’école) représentait 6% environ de la popu-
lation totale. Pendant la première guerre mondiale2, 1.522.256 soldats et marins
-
I . UNESCO,
L‘analphabétisme dans divers pays, Paris, 1953,p. 2 12.(Monographiessur l‘éducation de bue, VI.)
2. « m a t national defects result from the weak spots in Our public school system)), Research bulletin
of the National Education Association, vol. 1, septembre 1953,p. 276-286, Washington.

47
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

américainsfurentsoumis à des tests visant à déterminer dans quelle mesure ils étaient
capables de lire et de comprendre les journaux, ainsi que d’écrire des lettres. Les
enquêteurs conclurent que 24,g y,des hommes examinés étaient incapablesde subir
avec succès ces épreuves très simples.Il apparaît ainsi qu’il existe des écarts considé-
rables entre les taux d’analphabétismeenregistrés au cours des recensements natio-
naux et ceux qu’on calcule sur la base de tests d’instruction fonctionnelle.D’autres
tests utilisés durant la seconde guerre mondiale ont donné des résultats analogues;
toutefois, le pourcentage des personnes n’ayant pas une instruction fonctionnelle
était un peu moins élevé. Des données réunies en Grande-Bretagne1et dans divers
autres pays semblent également démontrer que la proportion des adultes n’ayant
pas atteint le niveau de l’instructionfonctionnelle est beaucoup plus forte que les
recensements ne le font apparaître. D’après les renseignements incomplets dont on
dispose,cette proportion peut être évaluée à 65 ou peut-êtrem ê m e à 70%. Autre-
ment dit, 50% environ des habitants du globe seraient totalement illettrés,et 15%
au moins seraient semi-illettrés.Ces chiffres donnent une idée de l’ampleurdu pro-
blème qui se pose.
TABLEAU
I . Nombre des pays et territoires où ont été enregistrés différents taux d’analpha-
bétisme, classés selon les groupes d’âge pris en considération. (Derniers renseignements
recueillis depuis I 930.)

Nombre de
pays et terri- Nombre de pays et territoires
Groupe d’âgepris toires pour classés selon le taux (%) d’analphabétisme
en considération lesquels on
dispose de
données 0-9 10-19 20-29 30-39 400-4950-59 60-6970-79 80-89 go+

Tous les âges II 1 1 1 - 5 3


5 ou 7 ans et
au-dessus 8 I - 2 2 1 1 I -
9, IO ou I I ans
et au-dessus 18 5 4 2 1 3 2 - 1
14, 15 ou 16ans
et au-dessus 8 6 7
«Adultes»
58
1
12
- - -4 3
- 4
1 -
2

Non spécifié I 2 3
‘3 1
- -2
Nombre total de
pays et terri-
toires 109 17 II ‘7 8 9 8 IO 8 12 9
Nombre de millions
d‘habitants que
ces pays et terri-
toires comptaient
au total en 1952
(évaluation) 2.003 254 230 160 II 74 81 46 473 93
Pourcentage médian d’analphabétismedans 109 pays et territoires: 41,7%.
Pourcentage de la population mondiale auquel ces chiffres s’appliquent:81%.
[Source:Unesco,juin 1954.1

I. GRANDE-BRETAGNE.
MINISTRY
OF EDUCATION,
Reading ability, op. cit.

48
Le rôle de la lecture et de l’ém’ture dans l’éducation de base

TABLEAU 2. N o m b r e des pays et territoires où ont été enregistrés différents taux d’analpha-
bétisme, classés par continent. (Derniers renseignements recueillis depuis 1930.)

Nombre de Nombre de pays et territoires


pays pour classés d’après le taux (yo)d’analphabétisme
Classification lesquels on
dispose de
données 0-9 10-19 20-29,30-39940-49 50-59 60-69 70-79 80-89 90+

Afrique 21 I - 1 I -
Amérique d u Nord 24 6 3 6 2 -
Amérique d u Sud 12 1 2 2 1 2
Asie (moins
1’U.R.S.S.) 25
Europe (moins
R.S.S.)
I’U. ‘7
Océanie 9
U.R.S.S. 1
-
N o m b r e total de
pays et terri-
toires 109 17 II 17 8 g 9
N o m b r e de millions
d’habitants que
comptaient au
total en 1952ces
pays et terri-
toires (évalua-
tion) 2.003 254 230 160 II 74 93
Pourcentage médian d’analphabétisme dans 109 pays et territoires : 41,7yo.
Pourcentage de la population mondiale auquel ces chiffres s’appliquent: 81yo.
[Source: Unesco, juin 1954.1

INSUFFISANCEDES MOYENS D’INSTRUCTIONDONT ON DISPOSEPOUR L’INSTRUCTIONDES


ENFANTS

Plus encore que d’assurer l’éducation des adultes,il importe de fournir à tous les
enfants les moyens de s’instruire. O n comprendra quelle tâche gigantesque cela re-
présente en voyant que d’après les conclusions d’une vaste étude1 sur les enfants
d’âge scolaire a sur dix enfants dans le monde, cinq ne vont pas en classe, quatre
fréquententune école primaire et un poursuit des études au-delàdu premier degré ».
Il apparaît donc que dans ce domaine l’humanitén’a encore assumé que la moitié
de ses responsabilités.En outre, les quatre cinquièmes des écoliers font des études
si brèves qu’ils n’atteignentmême pas le niveau de l’instructionfonctionnelle. Pour
remplir pleinement leur devoir à cet égard, bien des pays devront donc faire un
effort considérable en vue d’augmenter tant le pourcentage des enfants qui vont à
l’école que la durée de la scolarité.
Ceux qui appliquent des programmes d’éducation de base ne font généralement
pas dès le début une place à part à l’éducationdes enfants. Dans bien des cas,l’ins-
truction élémentaire est d‘abord donnée dans des cours destinés à la fois aux enfants
I. UNESCO,
L’éducation dans le monde, Paris, I 955, I .006pages

49
L>enreimment de la lecture et de l’écriture

et aux adultes, et le même matériel d’enseignementsert aux uns et aux autres. Mais
on finit toujours par reconnaître la nécessité de créer des écoles primaires réservées
aux enfants. D’autre part, on comprend de mieux en mieux aujourd’hui que ces
écoles doivent dispenser une éducation communautaire,comme l’indiquela décla-
ration ci-aprèsfaite en 1949lors du stage d‘études interaméricain sur i‘analphabé-
tisme et l’éducation des adultes:a L’école primaire est l’écoledu peuple. C’est par
son intermédiaire que l’éducation de base atteint les masses. Ce n’est pas simple-
ment un instrument de transmission de la culture; c’est une institution dont le
champ d’actionest immense et qui exerce une influence directricesur le plan social1.»
Beaucoup de pays ont adopté des vues analogues. C’est ainsi que l’annuaire de
I 950 de la Philippine Association of School Superintendents précise qu’aux Philip-
pines, l’école ((fait sentir son influence sur les membres de la communauté bien
au-delàdes murs de la classe,dans leurs foyers,au cours de leurs travaux et de leurs
divertissements,ainsi qu’en toutes autres occasions.Elle a pour objet non les livres,
mais la vie m ê m e des enfants et des adultes. Ses activités ont le caractère de la vie
et non d’une imitation2».Pour que l’enseignementde la lecture et de l’écrituredonné
dans de tels établissements soit pleinement valable, il faut que ses programmes et
ses méthodes permettent d’inculqueraux enfants les connaissances théoriques et pra-
tiqyes dont ils ont besoin pour atteindre les objectifs essentiels d’ordre individuel
et social auxquels les écoles ont mission de leur permettre d’accéder.
Ainsi l’humanité doit faire face à l’heureactuelle à un problème immense:donner
à plus de la moitié des habitants du monde une éducation judicieusement conçue
et compléter la formation des millions d’enfants et d’adultesqui ont fréquenté une
école ou des cours d’adultes,mais sans atteindre le niveau de l’instructionfonc-
tionnelle.

I. TEJADA,N.Carrnela,« T e m a IV - L a escuela primaria y el analfabetismo)), dans: SEMINARIOINTER-


AMERICANO DE ALFABETIZACI~N
Y EDUCACION
DE ADULTOS,Petropolis, Rio de Janeiro, 1949,La edu-
cacidnfundamental del adulto americano, Washington, Union Panamericana, 1951,p. 97. (Seminarios
Interamericanos de Educacidn, no 7.)
2. PHILIPPINE ASSOCIATION OF SCHOOLSUPERINTENDENTS, ((Education in rural areas for better living)),
dans : 1950 î‘earbook, Manille, Bookrnan, 1951,p. 5.
CHAPITRE II

INFLUENCE DES CARACTÉRISTIQUES


DE LA LANGUE
SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE
ET DE L’ÉCRITURE

Certains auteurs évaluent le nombre des langues actuellement parlées à 2.8001,non


compris les dialectes de moindre importance.D’autres affirment que ce nombre est
bien plus élevé. La carte insérée entre les pages 24 et 25 donne des exemples de
langues largement répandues qui diffèrent radicalement les unes des autres du point
de vue de la structure et des caractères employés.
Mais les langues diffèrent-ellesles unes des autres au point que l‘on doive étudier
séparément pour chacune d’entre elles les problèmes que pose l’enseignement de la
lecture et de l’écritureaux enfants et aux adultes? O u bien peut-on les ramener à
quelques types pour simplifierl’étudede ces problèmes ? Dans ce cas,sur quelle base
peut-on alors classer les langues et comment la question de l’enseignement de la
lecture et de l’écriture se pose-t-ellepour chaque type de langue ?

LES TYPES D E L A N G U E

Les linguistes2 classent les langues du monde de nombreuses manières différentes.


La classification en trois groupes, suivant les caractères employés pour l’écriture,
nous intéresse plus particulièrement ici.
Dans l’ordre de l’évolution historique, ces groupes sont les suivants:
I .Caractères représentant un concept-mot,habituellement appelés idéogrammes
(ou mieux logogrammes3),comme dans le chinois. Chaque caractère représente
une idée ou un concept (ou plus exactement un morphème,c’est-à-direune forme
linguistique ayant un sens), plutôt qu’un son.
2. Caractères représentantun son syllabique,ou caractères syllabiques,comme dans
l’indien cherokee ou le japonais.Chaque caractère représente le son d’une syllabe,
qui peut comprendre un seul phonème4 ou plusieurs phonèmes.
3. Caractères représentant un son-lettre,comme dans toutes les langues alphabé-
tiques. Chaque lettre représente le son d’un seul ou de plusieurs phonèmes.
Examinons de plus près les caractéristiques de chacun de ces groupes, ainsi que les
principaux problèmes que pose dans chaque groupe l’enseignement de la lecture
I. PEI, Mario A., The world’s chief languages, 3 e éd.,Londres, George Allen and Unwin, 1949,p. 15.
2. DIRINGER,David, The alphabet: a key to the histoiy of mankind, Londres, Hutchinson’s Scientific and
Technical Publications, [19481, 607 pages.
GELB, Ignace J., A study of writing: the foundations of grammatology, Chicago, T h e University of
Chicago Press, [1952], rg5 pages.
SAPIR,Edward, Language, an introduction to the study of speech, N e w York, Harcourt Brace and Com-
pany, 1921,258 pages.
3. GELB, 1.J., op. cit.
4. Un phonème est un son Clémentaire d’une langue parlée.
L‘emeignement de la lecture et de l‘écriture

et de l’écriture,afin de déterminer si la forme et la structure de la langue écrite


peuvent influer sur les méthodes d’enseignement.

CARACTÈRES REPRÉSENTANT UN CONCEPT-MOT

Aujourd‘huil, l’écriture chinoise est la seule qui utilise exclusivement des idéo-
grammes, c’est-à-diredes caractères représentant un concept-mot. Mais elle est
employée par un cinquième de la population du globe. Pendant des centaines d’an-
nées, chaque communauté de la Chine a prononcé les mots correspondant aux
mêmes caractères suivant son dialecte propre. Les habitants des différentes parties
du pays pouvaient donc lire et comprendre la même langue écrite,mais il leur était
en général impossible,s’ils ne parlaient pas le m ê m e dialecte, de se comprendre
ou de comprendre un texte lu à haute voix.
Les idéogrammessont les éléments constitutifs de la langue écrite chinoise. E n
écriture imprimée,les caractères se présentent sous la forme de carrés de surface à
peu près égale et composés de différentes sortes de traits. Suivant les caractères,le
nombre des traits varie de un à cinquante-deux;le plus souvent,il est inférieur à
quatorze2.
Le chinois est une langue monosyllabique3,C’est-à-direque chaque syllabe re-
présente généralement un seul morphème. Il ne possède ni modifications phoné-
tiques, ni préfixes ou suffixes de caractère flexionnel servant à indiquer le nombre,
la personne, le genre, etc. Si besoin est, ces relations sont précisées par des mots
appropriés.Dans la langue classique,encore largementemployée aujourd’hui,chaque
syllabe (représentéepar un seul caractère) est un mot, et les seules règles de gram-
maire sont des règles de syntaxe. Dans la langue parlée moderne, des mots poly-
syllabiques (généralement disyllabiques), dérivés ou composés, ont été formés à
partir de morphèmes monosyllabiques,exactement comme en anglais dropbt (goutte-
lette) est formé de drop (goutte) et du sufie diminutif -let, ou comme schoolhouse
est formé de school et de house. La langue a encore plus de souplesse grammaticale que
l’anglais.C o m m e les mots anglais cost et set, de nombreux mots chinois peuvent être
verbe, nom ou adjectifselon la place qu’ilsoccupent dans la phrase. En règle géné-
rale, l’ordredes mots est le suivant: sujet,verbe, objet ou complément.Mais cer-
taines phrases peuvent comporter un verbe et pas de sujet, ou seulement unsujet
et un prédicat substantif.
Le chinois est aussi une langue i( tonale ». O n appelle ton la hauteur du son ou
son accentuation musicale, ou seulement une variation de cette hauteur ou de cette
accentuation... Les tons ont une extrême importance;ils caractérisent le mot au
même titre qu’une voyelle. Sans le ton, on ne peut identifier le mot. U n mot pro-
noncé sur un ton grave signifie une chose; prononcé sur un ton plus élevé, il en
signifieune autre;sur un ton plus élevé encore,il en signifie une troisième4.D e même,
le mot anglais b-b ne peut être identifié si l’onignore quelle est la voyelle intermé-
diaire: a, e, i ou u. Il ne faut pas confondre le ton avec l’accentuationet la valeur,
longue ou brève, des voyelles dans les langues indo-européennes.Si compliqués et
si nombreux que soient les caractères chinois, il arrive fréquemment qu’un m ê m e
caractère serve à désigner des mots différents,ou qu’un même mot soit écrit avec
différents caractères. Mais ce sont là des exceptions sans grande importance.
I. Antérieurement à la réforme décidée au début de 1956. [N.D.L.R.]
z. WANG, Fung Chiai, « A n experimental study of eye movements in the silent reading of Chinesen,
Elementay school journal, mars 1935,p. 5‘27-539.
3. DE FRANCIS,John Francis, Nationalism and language reform in China, Princeton (N.J.), Princeton
University Press, 1950, chap. 8.
4. DIRINGER,op. cit., p. 98, gg.
I n f i m e des caractéristiques de la langue sur l’enseignement de la lecture et de l‘écriture

La langue chinoise comporte une forme littéraire et une forme vernaculaire.


G Le chinois littéraire est une langue classique,qui est seulement écrite; le chinois
vernaculaire est une langue parlée qui.est aussi écrite aujourd’hui1.) )Le chinois
vernaculaire n’est écrit de façon générale que depuis moins de quarante ans. La lec-
ture du chinois est donc compliquée du fait qu’il existe deux formes de la langue
écrite. Le chinois littéraire a un vocabulaire quelque peu différent,et il comporte
en outre de fréquentes allusions historiques ou classiques, de sorte que les mots
doivent souvent être pris dans un sens différent du sens littéral.Dans la langue ver-
naculaire,on appelle les choses par leur nom. Bien que la forme littéraire prédomine
encore,la forme vernaculaire se répand rapidement.Elle est de plus en plus utilisée
à l’école.
Traditionnellement, le chinois s’écrit verticalement de droite à gauche et de
haut en bas. Depuis quelques années, on commence aussi à l’écrirehorizontalement,
de haut en bas et de gauche à droite.L’écritureverticale est encore la plus répandue.
Connaissant les caractéristiques de la langue chinoise, examinons les méthodes que
l’on emploie pour enseigner aux enfants et aux adultes à lire et à écrire cette langue.

Méthodes utilisées pour enseigner la lecture et l’écriture aux enfants.

Dans le cas du chinois,le problème de l’enseignementdes caractères est celui qui a


été le plus étudié. Les méthodes traditionnellesconsistaient surtout à attirer l’atten-
tion de l’élève sur la forme et les particularités visuelles des caractères, en commen-
çant par ceux qui comprennent le moins de traits. Les caractères étaient tracés sur
des carrés de papier d’une douzaine de centimètres de côté. D’ordinaire, on en-
seignait en une leçon au moins dix caractères,que l’on revisait le lendemain avant
de passer à la leçon suivante.
O n faisait appel à la mémoire visuelle, en apprenant à l’élève à associer la forme
et le son,jusqu’à ce qu’il reconnaisse le caractère à première vue. C o m m e de nom-
breux caractères différents se prononcent de la même manière,on avait aussi recours
à d’autres procédés. Par exemple,on traçait au verso du caractère à apprendre un
dessin explicatif ou un autre caractère déjà connu et ayant une prononciation ana-
logue.
L’élève apprenait d’abord à reconnaîtreet à retenir des caractères isolés.A l’âge
de sept ou huit ans, ou plus tôt s’il était exceptionnellement doué, on commençait
à lui expliquer le sens des caractères. Lorsqu’ilen connaissait un millier,il pouvait
lire des livres pour enfants. L’enseignement était individuel. Chaque élève à son
tour allait au bureau du maître. Celui-cilisait à haute voix un passage,phrase par
phrase. L’élève répétait chaque phrase jusqu’à ce qu’il sût la lire seul. Il retournait
alors à sa place et relisait les phrases apprises,jusqu’à ce qu’il sût tout le passage
par cœur.Il revenait alors au bureau du maître pour réciter sa leçon.Si la récitation
était satisfaisante,on abordait une nouvelle leçon.
Cette méthode,rendue nécessaire par la nature des caractères et par l’existence
d’un système tonal, était critiquée par les Chinois eux-mêmes comme étant lente,
difficile,aride. A u début de ce siècle, de nombreuses conférences et expériences
aboutirent à diverses innovations,dont la plus importante fut l’emploide symboles
phonétiques pour aider l’élèveà apprendre les caractères. Cette méthode fut géné-
ralisée par une décision officielle2qui interdisait d’enseigner la prononciation locale

I. WANG,
op. cit., p. 528.
2. CHU CHING-NUNC (en collaboration), Chaio yu ta tk’u shu (Encyclopédiede l’éducation), Shanghai
Commercial Press, 1935.
DE FRANCIS,
John, op. cit., chap. 4.

53
L‘enseignement de la lecture et de récriture

dans les écoles primaires. La prononciation locale devait être remplacée par la pro-
nonciation nationale normalisée,enseignée à l’aide de 37 symboles phonétiques. En
règle générale,chaque caractère était représenté par un, deux ou au plus trois sym-
boles phonétiques. Cette décision ne fut pas universellement appliquée dès le début,
mais on se rendit compte de l’utilitédes symboles phonétiques pour l’enseignement
de la lecture, et leur emploi se répandit largement.
Dans les livres destinés aux classes élémentaires, les caractères sont désormais
accompagnés des symboles phonétiques correspondants. En général,chaque carac-
tère est représenté par un,deux ou trois symboles -soit,d’ordinaire,une consonne
et une voyelle et, parfois, une médiale. Dans le mot Chang, ch est une consonne, a
une médiale, et ng (combinaison extrêmement fréquente) une terminaison voca-
lique.
O n commence par enseigner à l’élève les symboles phonétiques,un à un,comme
dans la méthode phonétique. Lorsque l’élèveconnaît tous les symboles et commence
à savoir les combiner, on lui présente les caractères chinois, accompagnés de leurs
symboles phonétiques. A mesure que l’élève se familiarise avec les caractères, les
symboles sont abandonnés. Dans les livres destinés aux grandes classes, ils ont dis-
paru complètement.Lorsque l’élèverencontre un caractère qu’il ne connaît pas, il
le cherche dans un dictionnaire où les caractères sont accompagnésde leurs symboles
phonétiques.
Dans la pratique,diverses méthodes pédagogiques ont été employées. Dans cer-
taines écoles, on a expérimenté la méthode des phrases. Pour les premières leçons
de lecture, on utilise des phrases très simples. L’élève apprend à reconnaître les
nouveaux caractères à mesure qu’ils se présentent. Lorsqu’il s’est familiarisé avec
les sons fondamentaux des mots qu’il connaît,on lui apprend les symboles phoné-
tiques. Par la suite,ceux-cisont imprimés à côté ou au-dessusdes nouveaux carac-
tères. D e toute évidence, les méthodes d’enseignement de la lecture, dans le cas
d’une langue comme le chinois, sont conditionnées par les caractéristiques de la
langue.
Il en va de même pour l‘écriture:les caractères doivent être enseignés un à un.
Autrefois, l’élèves’exerçaitd’abord à passer à l’encrenoire des caractères imprimés
en rouge. Après plusieurs mois, lorsqu’il avait appris à manier le pinceau, on lui
faisait copier des modèles spécialement destinés à son intention. L’essentiel était
d’apprendre à reconnaître et à reproduire exactement tous les détails des carac-
tères. L’entraînementse poursuivait aussi longtemps qu’il le fallait,souvent toute
la vie dans le cas des lettrés. Nombre de ces méthodes classiques restent en usage.
Actuellement, on commence en général par apprendre à l’élève à écrire les sym-
boles phonétiques et les traits essentiels des caractères. Puis on lui fait copier des
modèles établis par des spécialistes de l’écriture:d’abord des caractères de dimen-
sions moyennes, puis de petits et de grands caractères. L’habitude de l’expression
et de la composition écrites est développée par un exercice consistant à recopier des
passages modèles.

L a méthode << accélérée )


)pour l’enseignement de la lecture aux adultes.

Pour faire disparaître l’analphabétisme en Chine, on emploie une méthode dite


a accélérée>) (quick method)l, qui permet d’enseigner les caractères en trois étapes.
La première étape consiste à enseigner les trente-septsymboles phonétiques na-

1. D’après le Su ch’éng shih tzufa chiao hsueh shon ts’é (Manuel d’enseignementde la lecture des carac-
tères chinois par la méthode accélérée), publié par T h e East Asia People’s Publishing Society,
Shanghaï, 19.52;et d’après diverses autres sources.

54
Injuence des caractéristiques de la langue sur l‘enseignement de la lecture et de l’écriture

tionaux. Grâce à l’emploi de tableaux, chaque symbole est associé à l’image d’un
objet familier, dont le nom représente un son également familier. Des chansons
aident l’élève à retenir la prononciation et l’ordredes symboles. O n estime que les
trente-septsymboles peuvent être appris ainsi en six heures. Ensuite,l’élèveapprend
à lire les mots du langage parlé, représentés par leurs symboles. Pour épeler les
mots,l’élèverépète plusieurs fois à haute voix les symboles correspondants. Diverses
phrases contenant ces mots sont données comme exemples. Bien entendu,la pro-
nonciation n’est pas correcte dès le début, mais elle s’améliorepar la pratique. Cet
apprentissagedure trente heures.
La deuxième étape consiste d’abord à lire et à expliquer des caractères accom-
pagnés de leurs symboles phonétiques. Le matériel de lecture comprend quatre
volumes,représentant un vocabulaire choisi de 2.000 caractères. Les caractères sont
présentés méthodiquement, groupés suivant les analogies de forme, de sens ou de
son.O n insiste,au cours de cette étape,sur la prononciation et le sens des mots. Dès
que l’élève sait reconnaître un caractère,les symboles phonétiques correspondants
ne sont plus employés. Dans une classe expérimentale, les élèves ont appris ainsi,
au début, trente caractères en deux heures chaquejour. Suivant le manuel, l’élève
apprend ainsi 1.500 à 2.000mots en une centaine d’heures.
Au cours de la dernière étape, l’élève apprend à lire des manuels et d’autres
textes, pour se familiariser avec l’emploi pratique des divers caractères et avec la
construction des phrases. La lecture à haute voix joue ici le rôle essentiel. En m ê m e
temps,l’élèveapprend à écrire, à composer,à respecter les règles de la ponctuation
et à se servir des dictionnaires. Cet apprentissage dure cent cinquante heures en-
viron; à la fin,l’élève doit savoir lire un journal et écrire des lettres simples ou de
courts billets en utilisant un minimum de caractères.Au total,les trois étapes repré-
sentent environ trois cents heures de travail.

Problèmes actuels.
Depuis des dizaines d’années,les personnes et les institutions compétentes étudient
la question du vocabulaire de basel. O n insiste à ce propos sur la nécessité de rem-
placer les mots et les formes de la languelittéraire par leurs équivalentsvernaculaires,
et sur l’intérêt qu’il y aurait à simplifier les caractères chinois. O n envisage m ê m e
la possibilité d’adopter un système phonétique pour remplacer les caractères tradi-
tionnels. D e Francis2 rend compte des divers essais qui ont été faits pour mettre
au point un système de caractères-sons-lettresapplicables à la langue chinoise.
Ces problèmes et divers autres ont été étudiés récemment par W i e Chueh3,vice-
président du comité de recherches sur la réforme de la langue chinoise écrite. Wie
Chueh conclut que la structure de la langue chinoise écrite affecte au plus haut point
l’enseignementde la lecture et de l’écriture.Une réforme s’imposede toute urgence.
Aussi le comité de recherches a-t-ilété chargé, en 1952:a u) d’établir un plan en
vue de simplifier les caractères chinois; b) de mettre au point un nouveau système
phonétique pour la langue chinoise écrite». La réforme d’une langue qui est em-
ployée depuis des milliers d’annéesreprésente une tâche gigantesque,qui sera menée
à bien en deux étapes.
Le premier objectifest de simplifier les caractères chinois actuels. Deux mesures

1. Voir: Chi pén tzd hui (Vocabulaire fondamental de caractères chinois), par Chuang Chai-hsüan,
publié par la Chung H u a Book Company, Shanghaï, 1938. (Etude du vocabulaire de base et
liste comparative de 5.262 caractères, établie d’après six ouvrages.)
2. DE FRANCIS,
op. cit.
3. CHUEH, Wie, «The problem of reforming the Chinese written language)), People’s China, IO, 1954.
p. 18-26.

55
L’enseignement de la kcture et de l’écriture

seront prises à cet effet: a) lorsque plusieurs caractères ont la même prononciation,
un seul sera conservé; 6) on diminuera autant que possible le nombre des traits
qui composent chaque caractère. Le comité a déjà retenu environ 500 caractères
simplifiés a bien plus faciles à lire et à écrire que les caractères primitifs ». Après
une période d’étudeset d’expérimentation,ces caractères simplifiés a seront officielle-
ment approuvés».
Le deuxième objectifest de mettre au point un système phonétique chinois per-
mettant d’écrire la langue commune (appeléeautrefois le mandarin) conformément
à la prononciation de Pékin. Après expérimentation et revision du système,il sera
possible de publier un dictionnaire phonétique de la langue chinoise. Ensuite,
a l’emploi du nouveau langage phonétique sera progressivement généralisé ».
Le cas de la langue chinoise illustre de façon frappante l’influenceque la forme
et la structure du langage écrit exercent sur les problèmes et sur les méthodes de
l’enseignement de la lecture et de l’écriture.En ce qui concerne le chinois, ces pro-
blèmes sont si complexes que la langue écrite doit être modifiée radicalement si l’on
veut que toute la nation chinoise sache lire et écrire.

CARACTÈRES PHONÉTIQUES SYLLABIQUES

La plupart des langues s’écriventau moyen de caractères qui représentent des sons1:
parfois, il s’agit de sons syllabiques;le plus souvent, des phonèmes qui constituent
les éléments phonétiques de la langue. Le japonais est la seule langue importante
où les caractères représententdes sons syllabiques.Depuis quelques années,certaines
populations de l’Afriqueet les Indiens Cherokee aux États-Unisemploient aussi des
caractères phonétiques syllabiques.

La langue indienne cherokee écrite.


La langue cherokee écrite n’emploie que des caractères phonétiques syllabiques.
L’alphabetreproduit dans la planche 1 (face p. 72) a été publié le 25 août 1950
dans The new Cherokee advocate,en vue d’en diffuser l’usageparmi les Indiens Cherokee.
Sur la ligne du haut figurent les six sons-voyellesfondamentaux qui, associés aux
consonnes, forment les syllabes. Dans la colonne de gauche figurent les consonnes,
qui peuvent se combiner avec tous les sons-voyelles,à l’exception d’un seul. En
outre, certaines consonnes ne peuvent se combiner qu’avec certains sons-voyelles.Il
existe,au total,plus de IOO caractères,représentant des sons syllabiques.Les carac-
tères sont empruntés à l’alphabetlatin ou dérivés de cet alphabet.Les lettres placées
à droite de chaque caractère figurent le ou les sons fondamentaux qu’il représente.
Dans la planche 1 figure un texte imprimé en cherokee.
En cherokee, la plupart des mots comprennent deux ou plus de deux syllabes.
Pour écrire le cherokee, il faut d’abord décomposer chaque mot en ses éléments
syllabiques, puis représenter chaque élément par le caractère correspondant.Pour
lire le cherokee,on procède dans l’ordre inverse. Si l’onne reconnaît pas un mot à
première vue, il faut d’abord identifier ses éléments syllabiques (autrement dit, les
caractères qui le composent), puis les combiner pour obtenir la prononciation du mot.
O n ignore quelles méthodes sont employées pour enseigner aux Indiens à lire
et à écrire leur langue. O n peut admettre cependant qu’enfants et adultes corn-
mencent par apprendrel’alphabetsyllabique,puis s’entraînentà reconnaîtreles mots
à la lecture, et à les écrire. D e toute évidence, on n’apprend pas à lire et à écrire

I. BODMER,Frederick, The loom of language, New York, W.W.Norton and Company, 1944,p. 47.

56
InJuence des caractéristiques de la langue sur l‘enseignemmt de la lecture et de l’écriture

les caractères phonétiques syllabiques de la langue cherokee de la même manière


que les caractères de la langue chinoise.

La langue japonaise.
Le japonais écrit est un mélange de caractères chinois et de caractères phonétiques
syllabiques, dits symboles kana (voir exemple carte insérée entre les pages 24
et 25), qui se combinent suivant les règles syntaxiques du japonais. L’origine de
cette forme unique d’écriture est bien connuel. Le japonais a d’abord été écrit en
caractères chinois. Mais on s’aperçut à l’usage que ces caractères ne convenaient
pas à la languejaponaise, qui est une langue polysyllabique et agglutinante,où les
mots-racines et leurs dérivés sont modifiés par l’adjonction de racines secondaires,
lesquelles perdent progressivement leur valeur propre pour devenir des affixes ou
des infixes. Les Japonais tentèrent d’abord de représenter ces éléments par les
caractères chinois ayant le même son. Mais ce système était très incommode, et
ils furent ainsi amenés à créer des caractères phonétiques syllabiques.
Les caractères syllabiques japonais,ou kana, sont de deux sortes1:les kata-kana
(style N rigideD), qui ont surtout été employés autrefois, dans les ouvrages savants,
les documents officiels,et pour la transcription des noms propres et des noms étran-
gers; et les hira-gana (style simple ou cursif), qui sont employés dans les journaux,
les romans et, de façon générale,dans la vie courante. Bien que les caractères kana
ne constituent pas une véritable écriture syllabique,le japonais peut s’écrire soit
entièrement en symboles kana (hira-gana ou kata-kana), soit à la fois en caractères
chinois et en symboles kana. Dans ce dernier cas, les symboles kana sont employés,
d’une part, pour représenter ce qui est proprement japonais et, d’autre part, pour
donner aux caractères chinois la fonction grammaticale et les inflexions voulues. La
plupart des adultes emploient, lorsqu’ils écrivent, à la fois les caractères chinois et
les symboles kana. Les enfants,qui ne connaissent qu’un nombre limité de symboles
chinois, utilisent surtout les symboles kana.
Les syllabes que représentent les symboles kana se combinent pour former des
mots; il peut arriver qu’un mot ait deux ou plus de deux sens. Dans la langue
parlée, ces homonymes se distinguent par l‘inflexion de la voix, qui s’élève ou
s’abaisseà la fin du mot, ou par l’emploid’un mot auxiliaire,pouvant consister en
une combinaison de syllabes. Dans la langue écrite seul le contexte permet de dé-
terminer le sens.
Le kata-kana et le hira-pana comprennent l’un et l’autre 47 syllabes, qui sont
en usage depuis des siècles. Il y a en outre un signe pour le n, qui n’existe qu’en
combinaison.
a A la différence des signes kata-kana, les hira-gana comportent de nombreuses
variantes... dont 102 environ sont employées en imprimerie. Dans l’écriturecou-
rante, on emploie d’ordinaire un signe pour chaque syllabe. L’écriture hira-gana a
un caractère cursif très accusé; la fréquence des ligatures en rend la lecture ex-
trêmement difficile2.D Les signes kana ne représentent que des syllabes ouvertes
(consonnes suivies de voyelles). C’estle seul type de syllabe que connaisse la langue
japonaise. Des signes diacritiques permettent de distinguer les sons voisins.
Des milliers de caractères chinois ont été employés dans l’écriturejaponaise.A la
suite de recherches et d’énergiquescampagnes,le nombre en a été progressivement
réduit.U n règlement récent3fixe à 881le nombre de ceux qui doivent être enseignés à.
I. 1.J., OP.dit., p. 159.
GELB,
2. DIRINCER,
op. cit., p. 173.
3. KURASAWA, Eikichi, Outline theory of national language education,Tokyo, IwasakiShoten, 1950,96pages.
(Teaching profession series, no 20.)

51
L’enseienement de la lecture et de l’écriture

l’école.Presque tous comportent plusieurs prononciations.La proportion des carac-


tères chinois par rapport aux mots syllabiques a diminué en conséquence. Aujour-
d’hui, les textes de lecture pour adultes comprennent en moyenne un caractère
chinois pour trois caractères syllabiques japonais; cette proportion est en moyenne
de un pour cinq dans les textes pour enfants.
Aucune règle ne prévaut en ce qui concerne la disposition des caractères.Certains
livres sont imprimés en colonnes,se lisant de gauche à droite; depuis peu, on écrit
aussi horizontalement, le plus souvent de gauche à droite, mais parfois de droite
à gauche.En 1942,le gouvernementjaponais a exprimé sa préférence pour l’écriture
se lisant de gauche à droite. Les avantages respectifs des écritures horizontale et
verticale et des différentes graphies du japonais ont été étudiés. Les conclusions de
ces études sont analysées au chapitre III.

Mithodes d’enseignement de la lecture et de l’écriture.

Comment enseigner à l’enfant et à l’adulte à reconnaître les deux séries de carac-


tères dans la lecture et à bien les employer dans l‘écriture ? Les méthodes pédago-
giques classiques étaient fondamentalement les mêmes pour les enfants et pour les
adultes. O n apprenait d’abord les symboles syllabiques ou kana. Lorsque l’élève
savait lire des mots ou de courtes phrases écrits en kana, on lui,apprenait les carac-
tères chinois, en commençant par les plus simples. Trois méthodes étaient utilisées
à cet effet: ou bien, les caractères étaient présentés un à un et enseignés par la mé-
thode << see and say >> (Gdites ce que vous voyez D), ou bien ils étaient accompagnés
des symboles syllabiques correspondants,imprimés à côté ou au-dessus;ou bien ils
étaient introduits dans le corps d’une phrase, suivant la méthode des phrases.
Aujourd’hui,le principe général est que l’enfant doit apprendre dès l’école à
lire et à écrire les symboles syllabiques et tous les caractères chinois dont l’adulte a
normalement besoin. En règle générale, les symboles hira-gana sont enseignés en
même temps que les caractères chinois: 881 caractères chinois sont enseignés à
l’école primaire; ce chiffre est porté à 1.850à l’école secondaire.
A l’écoleprimaire,l’élève apprend d’abord à lire des mots, puis, peu à peu, des
phrases. Cette méthode est actuellement critiquée. L’ancienne méthode, qui con-
sistait à apprendre un par un les caractères chinois et à les écrire ensuite, retrouve
des partisans. Ceux-ci font observer que les caractères chinois se composent d’un
nombre variable de traits,formant des clés plus ou moins complexes,et que le meil-
leur moyen d’enseignerles caractères est de les décomposer en leurs éléments consti-
tutifs et d’exercerl’élèveà les écrire trait par trait. Les adversaires de cette méthode
répondent que les caractères chinois représentent des idées et forment des phrases,
et qu’on doit donc employer les méthodes pédagogiques qui habituent l’élève à
dégager le sens de ce qu’il lit et à exprimer ses idées par l’écriture.
L’analphabétismen’existe pratiquementpas auJapon,et l’instructiondes illettrés
totaux ne pose guère de problèmes. Pour ceux qui lisent difficilement,on publie des
textes où les symboles phonétiques sont imprimés à côté ou au-dessus des carac-
tères chinois. Ces textes rendent de grands services.O n encourage aussi les adultes
à fréquenter les bibliothèques et les différents cours qui ont été créés à leur inten-
tion.
Ce sont là quelques-uns seulement des problèmes que pose l’enseignement de la
lecture et de l’écritureau Japon. La variété des méthodes utilisées tient à l’existence
de deux séries de caractères,dont chacune pose des problèmes pédagogiques diffé-
rents. Les difficultés qui en résultent sont si nombreuses que l’on a tenté souvent,
mais toujours vainement, d’adapter à la langue japonaise d’autres alphabets,no-
tamment l’alphabetlatin. Bien que les caractéristiques de la langue influent forte-
Inzuence des caratéristiques de la langue sur l’enseignement de la lecture et de l‘écriture

ment sur les méthodes d’enseignement de la lecture et de l’écriture,un grand nombre


des problèmes actuels s’expliquentpar des facteurs d’ordre historique et social.

CARACTÈRES CORRESPONDANT A UN SON-LETTRE

Dans l’écriture alphabétique, chacun des sons fondamentaux d’une langue, ou


phonème, est en règle générale représenté par une lettre ou un signe distinct. Le
lecteur peut ainsi reconnaître,plus ou moins rapidement,la prononciation des mots.
Il lui suffitde connaître un petit nombre de lettres (d’ordinairemoins de quarante)
pour avoir accès à toutes les richesses littéraires d’unelangue.Les linguistes estiment
que les caractères correspondant à un son-lettreconstituent G le système d’écriture
le plus perfectionné,le plus commode et le plus facilement adaptable1>> qui existe
à l’heure actuelle. Les nombreux avantages de ce système en ont répandu l’emploi
dans toutes les régions du globe. Pour instruire des populations qui n’ont pas de
langue écrite, on commence presque toujours aujourd’hui par fixer la langue orale
au moyen de symboles correspondant à des sons-lettres.
Si toutes les langues alphabétiquesutilisent de tels symboles pour l’écriture,elles
diffèrent cependant sur de nombreux points importants. Tout d’abord,comme le
montre la carte insérée entre les pages 24 et 25, la forme des lettres varie consi-
dérablement. Les caractères latins,qui sont les plus simples et les plus faciles à lire
et à écrire,sont les plus répandus2.
Ensuite,le nombre et la nature des sons varientbeaucoup d‘une langue à l‘autre3.
U n son qui est très important dans une langue peut n’être guère ou même pas du
tout utilisé dans une autre. En conséquence,le nombre des lettres de l’alphabetvarie
considérablement.Les langues polynésiennes,dont le domaine géographique s’étend
des îles Hawaii à la Nouvelle-Zélande,ont des alphabets relativement courts4.Cer-
tains n’admettent que 1 2 sons:5 voyelles (a, e, i, O, u) et 7 consonnes (m,n, k, Z, p,
Y, t) . D e nombreuses langues indigènes des Philippines,de l’Indonésieet de la pénin-
sule malaise n’ont que de 16 à 20 lettres. L’alphabet thaï,en revanche,comprend
46 lettres: 18sons-voyellesprimaires,2 1 sons-consonneset divers sons composés ou
combinaisonsde sons.Les spécialistes estiment qu’ilest beaucoup plus facile-toutes
choses égales d’ailleurs-d’enseigner à lire et à écrire aux enfants et aux adultes
dans une langue dont l’alphabetest court. Il existe encore d’autresdifférences entre
les langues alphabétiques.Mais certains problèmes relatifs à l’enseignement de la
lecture et de l’écrituresont communs à toutes ces langues. Nous allons les examiner
d’abord.

Problèmes particuliers.

Les problèmes particuliers relatifs à l’enseignementde la lecture et de l’écrituredans


les langues alphabétiques tiennent à ce que les caractères utilisés dans ces langues re-
présentent des phonèmes, c’est-à-diredes sons fondamentaux.Quelques exemples
montreront à quel point l’emploi de caractères correspondant à un son-lettre a
influé sur les méthodes d’enseignement.
Les Grecs anciens estimaient qu’il faut apprendre les lettres avant d’apprendre

I. DIRINGER,op. cit., p. 37.


2. INSTITUTINTERNATIONALDE COOPÉRATION INTELLECTUELLE,L’adoption universelle des caractèreslatins,
Paris, 1936, 196 pages. (Dossiers de la coopération intellectuelle.)
3. BLOOMFIELD, Leonard, Language, New York, Henry Holt and Company, 1933,p. 79-83.
4. LAUBACH, Frank C., Teaching the world to rcad: a handbook for literacy campaigns, Londres, Lutter-
Worth Press, 1948, p. 54.

59
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

les mots. Selon Denys d’Halicarnasse, nous apprenons successivement le nom des
lettres, puis leur forme et leur valeur, les syllabes qu’elles forment et leurs flexions
normales. Puis nous commençons à lire et à écrire, d’abord syllabe par syllabe,
jusqu’à ce que nous ayons acquis une certaine pratique, puis de plus en plus cou-
ramment... Avec le temps, nous arrivons à lire à livre ouvert, sans nous occuper
des règles1.>) Cette méthode, dite méthode alphabétique d’enseignement de la lec-
ture, a été universellement appliquée pendant plus de deux mille ans.
Par la suite,dans les pays qui utilisent une langue alphabétique,certains éduca-
teurs firent valoir que, pour apprendre à lire, il fallait d’abord connaître non pas
le nom des lettres, mais le son qu’elles représentent,puisque la prononciation des
mots en dépend. Ainsi furent mises au point des méthodes phonétiques d’enseigne-
ment de la lecture. L’élève apprenait d’abord la valeur phonétique des lettres,puis
il formait des syllabes et des mots. Dès qu’il savait reconnaître les mots nouveaux,
on lui faisait lire des phrases,puis des passages plus longs.Les nombreuses améliora-
tions qui ont été apportées aux techniques d’enseignement de la lecture (voir
chap.v) visent toutes à permettre à l’élève de mieux reconnaître les mots d’après
le son des lettres. C’est là une méthode très différente de la méthode (< see and Say »,
employée pour enseigner les caractères idéographiques;elle diffère aussi à plusieurs
égards des méthodes employées pour enseigner les caractères syllabiques.
A une époque plus récente, on s’est demandé s’il y avait lieu d’accorder dès le
début une telle importance à la phonétique.O n a fait observer que la lecture a pour
objet de s’assimilerune pensée et que l’élèvedoit apprendre dès le début à saisir la
significationde ce qu’illit. Des méthodes dites des mots », << des phrases B ou << des
récits >> ont été élaborées en conséquence, pour les premières leçons de lecture. Dès
que l’élève possède un petit vocabulaire de base, les mots connus sont décomposés
en syllabeset en lettres,auxquellessont associés des sons.Ainsi,dans toutesles langues
alphabétiques,les méthodes d’enseignement de la lecture et de l’écritureaux enfants
et aux adultes consistent essentiellement à associer le son et la graphie.

Diverses méthodes d’enseignement de la lecture dans les langues alphabétiques.

Ces méthodes diffèrent à certains égards,en raison des différences linguistiques.La


correspondance son-lettren’est pas toujoursparfaite;il y a à cet égard une différence
manifeste,par exemple,entre l’espagnolet le coréen d’une part,l’anglaiset le fran-
çais de l’autre.Moins la correspondance son-graphieest parfaite,plus il est difficile
d’apprendre à reconnaître les mots: il faut étudier soigneusement les règles de la
prononciation et les exceptions à ces règles,trouver de nouveaux moyens de recon-
naître les mots. Ainsi, les méthodes d’enseignementde la lecture aux enfants ou
aux adultes diffèrent sur de nombreux points de détail,selon le degré de correspon-
dance qui existe entre le signe ou symbole et le son2.
Une deuxième différence tient au fait que certaines langues alphabétiques sont
plus syllabiques que les autres. A u type syllabique appartiennent l’espagnol,le
portugaiset de nombreuses langues africainesindigènes.Par exemple,le mot espagnol
mano se compose de deux éléments syllabiques:ma et no. D e tels élémentss’apprennent
facilement comme des touts, parce que la plupart d’entre eux constituent par eux-
mêmes des mots familiers,auxquels se trouve déjà attaché un sens clair et précis.
Dès que l’élève a appris un certain nombre de syllabes, il peut former des mots,
dont il reconnaît immédiatement le sens et la prononciation,parce qu’ils sont com-
1. DENYS D’HALICARNASSE, De admirandi vi discendi in Demosthene, chap. 52, éd. H.Usener et L.Rader-
macher (Leipzig, Tuegerg, 1899), 1, 242.
2. H E R N ~ D E ZSantiago, et TIRADO
RUIZ, BENEDI,Domingo, L a ciencia de la eduuidn,ie éd., Mexico,
Editorial Atlante, 1949,p. 462.

60
Influence des caractéristiques de la langue sur I‘enseignernent de la lecture et de l’écriture

posés d’éléments familiers. Les éléments syllabiques permettent également de re-


connaître les mots nouveaux. D e toute évidence,les connaissances et les techniques
à acquérir,ainsi que les méthodes employées pour les enseigner,diffèrent sensible-
ment dans les langues où les éléments phonétiques doivent être appris et employés
séparément.La plupart des spécialistes considèrentque les maîtres doivent employer
le plus souvent possible les éléments syllabiquesl.
Une troisième différence tient au mode de représentation des sons-voyelles.
Gelb2 distingue à cet égard trois types de langue. Dans le type 1, les voyelles sont
représentéespar des signes séparés (a,e, i, O, u) comme en anglais et en latin. Dans
le type II, les voyelles sont indiquées par des signes spéciaux (par exemple,en arabe:
& tu, 9 ti, & tou). Dans le type III, les voyelles sont indiquées par
d’autres signes, associés à des lettres,ou par des modifications de ces lettres,comme
dans les langues indiques et éthiopiques.Dans certaines langues,les signes ou modi-
fications correspondant aux types II et III sont enseignés dès que l’élèvecommence
à apprendre à lire et toujours utilisés par la suite.Dans d’autres langues,ils ne sont
employés qu’au début et abandonnéspar la suite.Ces différences nécessitent l’emploi
de méthodes pédagogiques différentes.
Les langues alphabétiques diffèrent aussi par la construction de la phrase. Le
plus souvent, l’ordre habituel des mots est: sujet, verbe et objet ou complément.
Mais cette règle est loin d’être universelle.En allemand,le verbe suit généralement
le complément.Dans certaines langues, comme l’anglais,l’adjectifprécède le mot
qu’il qualifie; dans d’autres,comme le français et l’espagnol,il le suit. Dans quelle
mesure ces différences compliquent-ellesla tâche du maître ? La question n’est pas
résolue.Lorsque l’ordredes mots est le m ê m e dans la langue écrite et dans la langue
parlée,on peut admettre qu’un texte écrit ou imprimé se comprend plus facilement,
quelle que soit la langue considérée. Lorsque la structure de la phrase écrite est
plus complexe que celle du langage habituel, la compréhension sera plus difficile,
quelle que soit la langue considérée.
D e nombreuses langues alphabétiques ont un caractère flexionnel très accusé,
d’autres non. O n appelle langue flexionnelle une langue où les relations gramma-
ticales sont indiquées par des terminaisons ou sufFixes ajoutés à la racine du mot.
C’est notamment le cas des langues sémitiques et indo-européennesprimitives,où
les noms comme les verbes comportent des flexions. Le latin est un bon exemple de
langue flexionnelle.La plupart des langues modernes sont simplifiées sur un point
ou sur un autre. Dans les langues romanes,par exemple, la structure des noms est
simplifiée,mais celle des verbes ne l’est pratiquement pas. Ces différences rendent-
elles plus difficile l’enseignementde la lecture ? Les avis diffèrent à ce sujet.
Dans la plupart des langues,les différents mots sont séparés dans l’écriture.O n
écrit par exemple: a un enfant a frappé la balle)). Mais dans certaines langues,
comme le thaï, les mots sont liés; on écrira: ( (unenfantafrappélaballe». Il se pose
alors un problème spécial en ce qui concerne l’identificationdes mots. Les langues
diffèrent aussi par la morphologie,c’est-à-direpar la structure des mots et de leurs
éléments. Dans les langues parfaitement analytiques,chaque mot est un morphème
d’une syllabe, ou un mot composé, ou un mot-phrase.En revanche,des langues ex-
trêmement synthétiques, comme l’esquimau,lient en un seul mot toute une série
de formes: par exemple dans la phrase ( (< (je cherche
(a:wIisa-ut-iss-ar-si-niarpu-ja
quelque chose pour m e servir de ligne)s. D e longues et minutieuses études sont alors

I. WALLIS, Ethel E.,{{L’analyselinguistique dans les méthodes mexicaines de lutte contre l’analpha-
bétisme», Education de base et éducation des adultes, vol. IV,no 4,octobre 1952,p. 18-19, Paris,Unesco.
2. GELB,op. cit., p. 197-198.
3. BLOOMFIELD, op. cit., p. 207.

61
L’enseignement de la lecture et de l’ém’ture

nécessaires pour dégager les règles qui gouvernent la formation des mots1. Evi-
dernment, ce qui est un mot dans une langue peut ne pas l’être dans une autre.
Enfin, certaines langues alphabétiques telles que le yoruba,qui est parlé dans la
Nigeria,sont des langues tonales. Les tons sont indiqués par des signes,qui diffèrent
d’unelangue tonale à l’autre.D’ordinaire,on enseigne ces signes dans les premières
leçons de lecture,mais on les omet souvent par la suite. Dans ce cas,le lecteur doit
d’abord comprendre le sens du passage pour pouvoir donner aux mots les valeurs
tonales appropriées.L’enseignementde la lecture dans les langues tonales pose donc
des problèmes particuliersz.Il en va de m ê m e dans les langues qui ont un accent
tonique.
En résumé, toutes les langues alphabétiques emploient des caractères qui cor-
respondent à des sons-lettres;mais elles diffèrent radicalement les unes des autres
par la forme et par la structure.Nous n’avons donné que quelques exemples de ces
différences.Le lecteur en trouvera une analyse plus complète et plus détaillée dans
les ouvrages de Bloomfield,Bodmer,Diringer,Gelb, Preston et Sapir. Les exemples
que nous avons donnés expliquent néanmoins certaines des différences qui existent
entre les méthodes d’enseignement.

I. BARRERA-VASQUEZ Alfredo, Vernacular languages in education. (Manuscritinédit déposé au centre


d’information du Département de l’éducation à l’Unesco, chap. II.)
2. BLOOMFIELD, op. cit.; BODMER,op. cit.; DIRINGER, op. cit.; GELB,op. cit.; SAPIR,op. cit.
PRESTON,Ralph C.,(< Comparison of word-recognitionski11 in German and in American children)),
Elementary school journal, LI11 (avril 1953), p. 443-446.

62
CHAPITRE III

LE PROCESSUS DE LA LECTURE
DANS DIVERSES LANGUES

Ce que l’on a dit plus haut des facteurs sociaux et linguistiques qui entrent en jeu
lorsqu’ons’attache à répandre l’instructiondans le monde montre bien la diversité
des problèmes que l’on rencontre dans cette entreprise. Si nous devions arrêter ici
notre recherche de principes directeurs, nous pourrions conclure que les problèmes
de l‘enseignement du rudiment doivent recevoir dans chaque région linguistique
une solution plus ou moins spécifique.Il faut toutefois,avant de formuler cette con-
clusion, examiner avec autant d’attention les facteurs connexes d’ordre psycholo-
gique. Nous allons donc étudier les mécanismes fondamentaux que fait intervenir
le processus de la lecture dans les langues,et leur degré de similitude.Si nous cons-
tatons qu’ils sont semblables, nous nous efforcerons de définir les attitudes et les
mécanismes qu’il faut posséder pour lire, quelle que soit la langue.

D O C U M E N T A T I O N UTILISÉE

Les mécanismes mentaux que l’acte de lire met en jeu sont difficiles à décrire en
raison de leur nature même. Après avoir passé en revue les études antérieures,il
nous a semblé que nous devions analyser d’abord les faits fondamentaux révélés
par les enregistrements photographiques des mouvements des yeux. En effet, des
recherches précédentes ont montré que ces enregistrements constituaient une source
précieuse de renseignements sur les premiers éléments du processus de la lecture
et la façon dont le lecteur reconnaît les mots et en saisit le sens. O n possédait déjà
de tels enregistrementspour plusieurs langues,et l’ona pu s’enprocurer pour d’autres.
Dans l’exposéqui suit,nous utiliserons les résultats d’études diverses se rangeant
en quatre catégories:celles qui ont été faites en France et en Allemagne sur la lecture,
dans la deuxième moitié du x x e siècle, et qui ont montré la voie; les études très
poussées faites aux Etats-Unisdepuis rgoo sur les mouvements des yeux pendant
la lecture;les études du même genre concernant la lecture du chinois, du japonais
et de l’espagnol, faites depuis 1920;enfin, des études du processus de la lecture en
quatorze langues, effectuées spécialement aux fins du présent rapport. Les langues
étudiées emploient les trois catégories différentes de caractères utilisés actuellement
dans le monde. O n trouve aussi parmi elles des types de langue alphabétique très
divers. O n peut donc estimer que les résultats obtenus sont bien représentatifs.
L’enseiffnement d e la lecture et d e l’écriture

T R A V A U X D E P R É C U R S E U R S FAITS EN F R A N C E ET E N A L L E M A G N E

Nos connaissances actuelles relatives aux éléments psychologiques du processus de


la lecture ont pour base des études faites en France et en Allemagne au cours de
la deuxième moitié du X I X ~siècle. Les études déjà anciennes de Javall, Lamare2et
Landolt3en France,et d’Ahrens4,Erdmann et Dodges,et Goldscheider et Millers
en Allemagne, ont retenu rapidement l’attention de cercles très étendus et incité
d’autres chercheurs à entreprendre des études connexes.

LE COMPORTEMENT DES YEUX PENDANT LA LECTURE

Certains faits relatifs au comportement des yeux pendant la lecture ont été décou-
verts tant par l’observationdirecte que grâce à l’emploi de divers dispositifs.
1. Le regard parcourt chaque ligne, de la gauche vers la droite, par une série de
mouvements brefs et vifs séparés par des pauses, et revient ensuite rapidement,
à travers la page, de la fin de la ligne au début de la suivante.O n a prouvé sans
contestation possible que le regard ne suit pas la ligne d‘un mouvement continu,
comme on le croyait primitivement.
2. En règle générale, le regard s’arrête de quatre à dix fois pour une ligne de
longueur ordinaire. La première fixation se situe non loin du début de la ligne
et la dernière à une distance un peu plus grande de la fin.
3. A u cours de la lecture d’un passage donné,le nombre de fixations est très diffé-
rent d’un lecteur à l’autre;aussi, la vitesse de lecture varie-t-elleconsidérable-
ment. Certaines personnes arrivent, dans le même temps, à lire sept fois plus de
texte ou même davantage que d’autres.
4. Pour un même lecteur,le nombre de fixations par ligne peut varier considérable-
ment, selon que le sujet lui est ou non familier,et que le texte présente pour lui
plus ou moins de difficulté et d’intérêt.
5- Le lecteur expérimenté fait dans chaque ligne un nombre de pauses relative-
ment faible lorsqu’ils’agitd’un texte simple et procède ligne après ligne à peu
près de même façon. Mais le nombre de fixations peut augmenter considérable-
ment si le passage devient plus difficile.

COMMENT ON PERÇOIT LES MOTS

Les découvertes précédentes ont battu en brèche une opinion généralement admise
pendant longtemps, à savoir qu’on lit lettre par lettre. L’emploi d’un appareil
(tachistoscope) permettant d’exposer à la vue des lettres, des mots et des phrases
entières pendant de très courts instants, par exemple un dixième ou un cinquan-
tième de seconde, a permis de constater les faits suivants:

1. JAVAL, Emile, «Sur la physiologie de La lecture)), Annales d’oculistique,1878 et 1879.(Plusieurs


articles.)
2. LAMARE, Dr,«Des mouvements des yeux pendant la lecture)), Comptes rendus de la Sociétéfrancaise
d’ophtalmologie, 1893.
3. L N D O L T , Edmond, ((Nouvelles recherches sur la physiologie des mouvements des yeux)), Archives
d’ophtalmologie, II, 1891,p. 385-395.
4. AHRENS,Die Bewegung der Augen beim Schreiben, Rostock, 1891.
5. ERDMANN, Benno, et DODGE, Raymond, PsychologZrche Untersuchungen über dus Lesen auf experimenteller
Grundlage, Halle a. S., M.Niemeyer, 1898, 360 pages.
6. GOLDSCHEIDER, A.,et MÜLLER, R.F.,azur Physiologieund Pathologie des Lesens»,,Qiikhnj-t für
klinische Medizin, tome XXIII,p. I 3 I.
Le processus de la lecture dans diverses langues

I. Une seule exposition de brève durée permet de reconnaître quatre ou cinq


lettres juxtaposées au hasard, ou des mots quatre ou cinq fois plus longs.
2. Le lecteur est capable de reconnaître un nombre de signes de plus en plus grand,
selon qu’on lui montre dans les mêmes conditions des lettres juxtaposées au
hasard, des mots non familiers, des mots bien connus, des phrases courtes, ou
des proverbes. Cette constatation implique que la longueur de texte perçue à
chaque exposition dépend en partie de la mesure dans laquelle le texte présenté
signifie quelque chose pour le lecteur.
3. Moins une séquence donnée de lettres est familière au lecteur,plus il a tendance
à la déchiffrer lettre par lettre. A mesure que les mots lus deviennent plus fami-
liers, il a besoin de moins en moins d’indices pour les comprendre. O n en a
conclu que la lecture se fait tantôt par mots ou par phrases entières,tantôt par
groupes de lettres, tantôt encore lettre par lettre,selon que le sujet est plus ou
moins familier,selon la difficulté du texte et selon les capacités du lecteur.
4. Lorsque le lecteur déchiffre des mots nouveaux, il perçoit plus rapidement cer-
taines lettres ou certains groupes de lettres, par exemple les lettres qui ont une
forme particulière,ou dont un jambage dépasse la ligne en dessus ou en dessous.
Ces lettres attirent son attention et constituent autant d’indices qui lui font re-
connaître l’ensembledu mot. S’ila l’esprit dirigé sur le sens possible du passage,
il lui suffit de reconnaître ainsi un petit nombre d’éléments d’un mot qui fait
partie de son vocabulaire usuel pour être aidé dans cette identification.

UNE NOUVELLE THÉORIE DE LA LECTURE

Ces constatations ont fait justice d’anciennes notions sur la lecture,selon lesquelles
elle se fait lettre par lettre, le regard parcourant les lignes d’un mouvement con-
tinu;elles ont aussi permis de formuler une nouvelle théorie de la lecture.Selon cette
théorie,le bon lecteur se préoccupe essentiellement du sens du texte.A chaque pause,
il reconnaît des mots ou des groupes de mots, globalement, c’est-à-dired’après leur
forme générale et leurs caractéristiques,et il parcourt des yeux chaque ligne aussi
vite qu’il peut en saisir le sens. Lorsqu’il rencontre des mots nouveaux,il doit faire
attention à leurs détails,mais à mesure qu’ilslui deviennent plus familiers,il lui faut
de moins en moins d’indices pour en reconnaître à la fois la prononciation et la
signification.
Cette nouvelle théorie était séduisante et a suscité des recherches sur la façon
dont la lecture se fait dans les différentes langues. Elle a également jeté quelque
doute sur la valeur des méthodes d’enseignementattachées à la technique de recon-
naissance des mots.

É T U D E S S U R L A LECTURE D E L’ANGLAIS

Des études détaillées sur la lecture de l’anglaisont été entreprises vers 1900.Prenant
pour base les importants travaux effectués en France et en Allemagne, des psycho-
logues ont élaboré des méthodes perfectionnées permettant de photographier les
mouvements de l’œil1.Tout d’abord, leur attention s’estportée sur la nature géné-

I. Des appareils spéciaux de prise de vues ont été mis au point pour cinématographier un rayon
de lumière émis par une lampe à azote ou une ampoule électrique. C e rayon de lumière, envoyé
par des miroirs de verre argenté sur la cornée de l’œil, est réfléchi sur l’objectif de l’appareil,
impressionnant un film qui se déplace d’un mouvement continu. Quand les yeux bougent, le
rayon lumineux est «sectionné» par un diapason aux vibrations électriquement entretenues et
L‘enseiRnemeni de la leciure et de l‘émhre

rale de l’acte de la lecture1.A mesure que ces études progressaient, les chercheurs
se sont préoccupés d’expliquer les différences entre bons et mauvais lecteurs et
entre la lecture à haute voix et la lecture silencieuse2,la formation des habitudes
fondamentales d’identification des mots depuis la première enfance jusqu’à l’âge
adulte3,et les répercussions qu’ont sur la façon de lire les diverses catégories de
textes lus, leur difficulté relative et l’objet même de la lecture4.

CARACTÉRISTIQUESDES LECTEURS EXPÉRIMENTÉS

Nous examinerons d’abord comment les adultes lisent silencieusementdes passages


simples, d’après les enregistrements des mouvements de l’œil. Pour permettre la
comparaison,nous avons juxtaposé,dans la figure I , des enregistrementscaractéris-
tiques pour l’anglais,le français et l’allemand.Les traits verticaux représentent les
arrêts ou fixations du regard au cours de la lecture. Ils coupent la ligne imprimée
à chaque entroit où le regard a marqué un temps d’arrêt. Les chiffres supérieurs
représentent l’ordre dans lequel ces fixations se sont produites;les chiffres inférieurs
indiquent leur durée en vingt-cinquièmes de seconde.
O n voit dans ces exemples que chacun des troislecteursa fixé cinq foisson regard
en lisant la ligne considérée,sans revenir en arrière. Les enregistrements effectués
pour d’autres lignes avec les m ê m e s lecteurs ont montré que le nombre de fixations
par ligne variait de quatre à six, avec parfois un retour des yeux en arrière (une
régression). En général, toutefois, chaque lecteur a identifié rapidement au moins
un mot à chaque fixation et a parcouru régulièrement les lignes aussi rapidement
qu’il a saisi le sens du texte. Manifestement,les mots ont été reconnus instantané-
ment d’après leur forme générale ou leurs caractéristiques distinctives, plutôt que
par le déchiffrage de leurs lettres constitutives. Chaque lecteur a pu ainsi porter
toute son attention au sens des différents mots et associer ces significations pour re-
constituer les idées représentéespar les phrases et les groupes de mots plus longs.
En poursuivant l’analyse d’enregistrements effectués sur des lecteurs expéri-
mentés, on s’est aperçu que ces derniers s’écartaient fréquemment,pour diverses
raisons, du schéma que nous venons de décrire. Il arrive par exemple, lorsqu’un
mot inconnu apparaît dans le texte,qu’unbon lecteur porte plusieurs fois son regard
sur ce mot, à la recherche d’indices qui lui permettent de l’identifier.D e même,
dans son effort pour bien saisir le sens,il pourra se trouver obligé de relire plusieurs

d’une fréquence déterminée, généralement de 25, 30 ou 50 périodes par seconde. Il en résulte


qu’une série d e petits points s’inscrivent sur le film (voir aux planches II à VI des reproductions
d’enregistrementsde ce genre). Ainsi a-t-on pu saisir la position et la durée des arrêts de l’œil,
ou fixations.L’emploi de cette technique, complété par celui de tachistoscopes, a permis d’étudier
de nombreux problèmes.
I. DEARBORN, Walter Fenno, T h e psychology of reading: an experimental stu4 of the reading paures and
mouements of the tye, N e w York, T h e Science Press, 1906, 134 pages. (Columbia University contribu-
tions to philosophy and psychology, vol. XIV, no I .)
HUEY, E d m u n d Burke, Th psychology and pedagogy of reading. . ., N e w York, Macmillan Co., 1912,
469 pages:
2. SCHMIDT, William Anton, An experimental stu4 in the psychology of reading, Chicago, University of
Chicago Press, 1917, 126 pages. (Supplementary educational monographs, vol. 1, no 2.)
GRAY, Clarence Truman, Types of reading ability LLT exhibited through tests and laboratoiy experiments,
Chicago, University of Chicago Press, 1917, 196 pages. (Supplementary educational monographs,
vol. 1, no 5.)
3. BUSWELL,G u y Thomas, Fundamental reading habits: a study of their deuelopment,Chicago, University
of Chicago Press, 1922, 150 pages. (Supplementary educational monographs, no 21.)
4. JUDD, Charles Hubbard, et BUSWELL, G u y Thomas, Silent reading: a study of the uarious types, Chicago,
University of Chicago Press, I 922, 160 pages. (Supplementary educational monographs, no 23.)

66
Le processus de la lecture dans diverses langues

fois certains mots ou certaines phrases,à la recherche d’indices du m ê m e genre. En


outre, un bon lecteur relit souvent une phrase ou un paragraphe afin d’en saisir
plus complètement le sens ou de contrôler sa première impression.

(a) One
IO 6 9 8 5

1 5

(6) di+. Je neivois pas lien coiment je1 peux ie


9 9 7 6

I
(c) bedeckl. Der Reg
7 11 7

Fig. I. Exemples d’enregistrementsdes mouvements des yeux en trois langues: a) un étudiant améri-
cainl; 6) un bon lecteur françaisz; c) un Allemand lisant sa langues.

Les données que l’on possède aujourd’hui permettent de conclure que les lec-
teurs expérimentés procèdent essentiellement de la m ê m e manière lorsqu’ils lisent
silencieusementun texte simple,que ce soit en français,en allemand ou en anglais.
Ces lecteurs reconnaissent des mots ou des groupes de mots à chaque fixation du
regard et parcourent les lignes aussi rapidement qu’ils peuvent comprendre ce
qu’ils lisent. Quand la difficulté du texte augmente, ils font davantage attention à
chaque mot en particulier. Le lecteur expérimenté surmonte les difficultés qu’il ren-
contre dans la lecture, d’une façon méthodique et efficace.

DIFFÉRENCES ENTRE LES ADULTES EN CE QUI CONCERNE LA LECTURE SILENCIEUSE

Malheureusement,tous les adultes qui ont appris à lire n’ont pas tous des habitudes
également bonnes. Buswel14 a mis ce fait particulièrement en évidence en rangeant
par ordre de valeur, du meilleur au plus mauvais, des enregistrements des mouve-
ments oculaires de huit adultes faisant de la lecture silencieuse. Nous reproduisons
dans la figure 2 le premier, le cinquième et le huitième de la série.
Le premier enregistrement est celui d’un lecteur excellent. O n voit qu’à chaque
fixation,il a identifié deux mots ou davantage et que son regard a parcouru régu-
lièrement la ligne de la gauche vers la droite. Par là, les sens des mots identifiés se

1. BUSWELL,Guy Thomas, op. cit., p. 3.


2. ID., A laboratory study of the reading of modern foreign languages, N e w York, Mac-millan Co., 1927.
p. 23. (Publications of the American and Canadian Committees on modern Languages, 2.)
3. ID., ibid., p. 83.
4. ID., How adults read, Chicago, The University of Chicago Press, 1937,p. 55. (Supplementary edu-
cational monographs, no 45.)
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

i
Afte the war
9
lie gave
c
7
e negro a little h
5

7 5 5 6 7 5
2 7

ar h
12 4 17 10 5 11 12 8 8 II

Fig.2. Lecture silencieuse de trois adultes.

sont associés pour recomposer l’idée ou les idées exprimées par la phrase. U n tel
lecteur est capable de faire un large emploi de la lecture pour répondre à ses besoins
quotidiens ou pour se distraire.
La deuxième ligne représente un enregistrement opéré sur un lecteur moins
averti:les fixations ont été nombreuses,mais il n’y a qu’unerégression.Cette façon
de lire peut être qualifiée de lente et précautionneuse. Apparemment, le lecteur
ne connaissait pas assez bien le vocabulaire pour identifier instantanément les mots
par groupes de deux ou trois. U n lecteur de cette catégorie peut comprendre assez
bien un texte simple,mais il n’est pas capable de rivaliser de vitesse avec des gens
qui lisent mieux et se heurte à de nombreuses difficultés à mesure que les textes de-
viennent plus ardus. Il lui faut beaucoup d’entraînement avant de pouvoir lire
couramment,aisément et de façon agréable pour lui.
La troisième ligne représente l’enregistrementopéré sur un lecteur très médiocre.
O n constate que son regard a marqué de nombreux arrêts, qu’il s’est fixé jusqu’à
trois fois sur chaque mot et qu’il a parcouru irrégulièrement la ligne en revenant
parfois en arrière pour chercher des indices de la prononciation et du sens des
mots. La première fixation s’est faite trop loin du début de la ligne pour qu’il ait
pu reconnaître le premier mot: d’où le recul qui aboutit à la deuxième fixation.A
partir de là, on constate que la lecture a été très laborieuse.Une telle démarche
hésitante a souvent pour cause le manque d’un apprentissage systématique de la
lecture,une certaine négligence à l’égard des techniques d’identification des mots,
ou l’inaptitude à réfléchir en lisant. Quelle qu’en soit la raison,cet adulte est bien
mal préparé à tirer parti de la lecture pour ses besoins quotidiens ou pour atteindre
les objectifs de l’éducation de base.
D e multiples indices prouvent que les conclusions précédentes s’appliquentégale-
ment à la lecture du français et de l’allemand.

68
L e proczssus de la lecture dans diverses langues

DIFFÉRENCESENTRE LA LECTURE À HAUTE VOIX ET LA LECTURE SILENCIEUSE

Les toutes premières études faites en France et en Allemagne ont montré que sou-
vent les adultes lisent bien plus vite silencieusementqu’à haute voix. E n 1900,cette
découverte avait suscité un très vif intérêt, et nombre d’études ont été effectuées
ensuite particulièrement sur l’efficacitérelative de la lecture à haute voix et de la
lecture silencieuse, ainsi que sur les différents processus mis en jeu dans l’un et
l’autre cas. Huey,par exemple,a mesuré la vitesse respective de ces deux modes de
lecture,en anglais,sur des sujets pris parmi des étudiants d’université;il a constaté
qu’a en lisant silencieusement, ils avaient d’ordinaire une vitesse moyenne de
5,63 mots à la seconde,et de 8,21 mots au maximum »; en lisant à haute voix ils
atteignaient en moyenne 3,55 mots à la seconde à la vitesse ordinaire et 4,58 mots
à la vitesse maximum1».
Selon Huey,les bons lecteurs vont en moyenne de une fois et demie à deux fois
plus vite en lecture silencieuse qu’à haute voix.En étudiant les résultats individuels,
on a constaté que de nombreux adultes allaient trois, quatre ou même sept fois
plus vite en lisant silencieusement qu’en lisant à haute voix. D’autres chercheurs
ont signalé des différences du même ordre.Il s’ensuitque la lecture silencieuse prend
beaucoup moins de temps que la lecture à haute voix: en effet,lorsqu’onlit à haute
voix, la vitesse maximum est celle à laquelle il est possible de prononcer les mots,
tandis que dans la lecture silencieuse on peut aller aussi vite que l’on réussit à
comprendre ce qu’on lit.
Cette découverte a conduit les chercheurs à s’interrogersur l’efficacitérelative
des deux types de lecture en ce qui concerne la compréhension du texte. Piutner et
Gilliland2 ont, il y a déjà longtemps, procédé à des essais comparatifs avec des
élèves des classes II à XII incluse et avec des étudiants. Chacun des paragraphes
des textes utilisés dans les deux séries de tests contenait a une cinquantaine de
mots et sept idées distinctes ». Les résultats ont montré que le nombre d’idées com-
prises était sensiblement le m ê m e avec les deux méthodes. Plus tard,d‘autresétudes
ont établi qu’en général la lecture silencieuse permet de comprendre le texte un peu
mieux. Il faut signaler, toutefois, que beaucoup de gens qui lisent mal semblent
comprendre légèrement mieux lorsqu’ilslisent à haute voix,tandis que la plupart de
ceux qui lisent bien comprennent beaucoup mieux lorsqu’ils lisent silencieusement.

PROGRÈS DANS L’APPRENTISSAGE DE LA LECTURE

Il pourrait sembler qu’enseigner à bien lire n’est nullementtâche facile.Il n’empêche


qu’au cours des premières années d’école,les élèves peuvent faire des progrès no-
tables en ce qui concerne l’apprentissagedes mécaniques de base qui sont néces-
saires pour bien lire tant à haute voix que silencieusement.Nous en donnerons pour
preuve les résultats de nombreuses études3 portant sur les progrès d’enfants qui
apprenaient à lire. Ces résultats peuvent être résumés comme suit:
I . L’aptitude à saisir le sens de passages simples se développe rapidement au cours
de la première année d’école et peut atteindre un niveau très élevé dès la fin de
la troisième année.

I. HUEY, op. cit., p. 175.


2. PILJTNER, Rudolf, et GILLILAND,A. R., ((Oral and dent reading», Journal of educationalpsychology,
vol. VII, avril 1916,p. 101-211.
3. GRAY, William S., «Reading», Child deuelopment and the curriculum,National Society for the Study
of Education, Thirty-eighthYearbook, Part 1, Bloomington (IL), Public School Publishing Co.,
1939, chap. IX.
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

2. L’aptitude à comprendre des passages plus difficiles et à lire de façon efficace à


des fins différentes continue à augmenter rapidement tout au long des études
primaires et secondaires.
3. La vitesse et la précision de la lecture à haute voix augmententrapidement pen-
dant les trois premières années d’école et continuent de croître,mais plus lente-
ment, par la suite.
4. La vitesse de la lecture silencieuse est la même que celle de la lecture à haute
voix pendant les deux premières années; elle la dépasse généralement au cours
de la troisième année et devient ensuite bien supérieure.
5. La longueur de l’élémentde texte identifié à chaque fixation du regard augmente
rapidement pendant les quatre première années, et beaucoup moins vite, mais
régulièrement, par la suite.
Alors que tous les enfants franchissent successivement ces mêmes étapes, le temps
qu’il leur faut pour le faire et la rapidité avec laquelle ils progressent dans chaque
groupe d’âge à chaque niveau varient selon les individus, car certains ont plus de
facilités que d’autrespour l’étude,ont un bagage plus riche, s’intéressentdavantage
à la lecture,ou reçoivent de leurs maîtres,de leur famille et de leur entourage plus
d’encouragements et de conseils.
A u bout de quatre années d’école,la plupart des élèves ont acquis les mécanismes
fondamentaux qui leur sont indispensablespour lire, aussi bien des yeux qu’àhaute
voix, des textes simples;ils ont aussi appris à lire des récits et des morceaux choisis
de caractère général. Ils sont en outre capables de lire pour se distraire, pour s’in-
former ou pour trouver des réponses à des questions particulières. Ainsi sont-ils,
en gros, prêts à aborder maintes autres catégories de textes, de difficulté croissante
et répondant à divers besoins.

RÉSUMÉ

Il est ainsi établi que les démarches fondamentales de la lecture silencieuse sont
essentiellement les mêmes en anglais,en français et en allemand;que,d’un individu
à l’autre,la qualité de la lecture est extrêmement variable; enfin, que la lecture
silencieuse est beaucoup plus rapide que la lecture à haute voix et permet de com-
prendre le texte aussi bien, sinon mieux. Malgré le nombre et la complexité des
processus mis en jeu par la lecture, les enfants font des progrès rapides pendant
leurs premières années d’école.Bien qu’ils franchissent tous les mêmes étapes, cer-
tains avancent vite, d’autresbeaucoup plus lentement. Néanmoins,la plupart sont à
même, au bout de quatre ou cinq ans d’école,de lire parfaitement des textes simples
tant silencieusement qu’à haute voix. S’ils sont stimulés et guidés convenablement,
leurs progrès se poursuivent pendant toutes leurs études primaires et secondaires.

É T U D E S S U R L A L E C T U R E E N CHINOIS, E N J A P O N A I S ET E N E S P A G N O L

A u cours des trente dernières années, on a étudié aussi les mouvements des yeux
dans la lecture du chinois, du japonais et de l’espagnol.Nous résumons ci-après,
séparément,les principales conclusions de ces études.
L e brocessus de la lecture dans diverses 1anRues

LA LECTURE DU CHINOIS

Les études relatives à la lecture du chinois ont été assez nombreuses et approfondies.
Parmi les premiers chercheurs,beaucoup ont fait l’étudecomparée de la lecture en
chinois et de celle en d’autres langues. Ils ont montré de façon concluantel que
malgré la grande différencedes caractères les processus fondamentaux sont essen-
tiellement les mêmes pour le chinois que pour le français, l’allemand et l’anglais.
Le regard parcourt chaque ligne,qu’elle soit verticale ou horizontale,par une série
de mouvements et de pauses et, en règle générale, l’œillit plusieurs caractères à
chaque fixation.O n a remarqué toutefois certaines différences.Le nombre de carac-
tères ainsi identifiés à chaque pause est plus grand en chinois que dans les autres
langues et, par suite,la lecture est plus rapide en chinois. O n a pu l’expliquerpar
le fait que les caractères chinois sont plus compacts que les mots français,allemands
ou anglais. D e plus, le nombre de fixations par ligne est plus élevé en chinois, en
partie à cause de cette compacité plus grande des caractères chinois.Alors que,dans
les autres langues,il est possible d’identifierdes mots assez longs lors d’une fixation,
il arrive que, parmi les caractères chinois occupant le m ê m e espace, il y en ait qui
ne soient pas clairement déchiffrés du premier coup.
Tous les chercheurs ont constaté qu’on lisait un peu plus rapidement les lignes
verticales que les lignes horizontales,et beaucoup d’entreeux ont essayé d’entrouver
la raison. Shen2, par exemple, a examiné l’influence possible des facteurs suivants:
la position relative des deux yeux;la façon dont les yeux sont ouverts; le fait que,
dans le sens horizontal,la liberté et l’amplitudedu mouvement des yeux sont plus
grandes et que la zone de vision nette est plus large;la nécessité d’ajuster constam-
ment la convergence et l’accommodation relative des yeux dans la lecture horizon-
tale; l’influence du mécanisme musculaire des yeux; et enfin la structure des carac-
tères chinois. Certains de ces facteurs paraissent faciliter la lecture verticale et
d’autres la lecture horizontale.Toutefois, Shen ainsi que d’autres auteurs3 ont for-
mulé une conclusion générale, à savoir que la supériorité de la lecture verticale est
due en grande partie, sinon en totalité, à l‘entraînement et à l’habitude.
Chez les adultes,la lecture silencieuse est plus ou moins rapide en Chine comme
ailleurs. Hu4, entre autres, a constaté,chez les cinquante et un adultes qui lui ont
servi de sujets d’expérience,une vitesse allant de 2,8 à 20,7 mots à la seconde, le
lecteur le plus rapide lisant dix fois plus vite que le plus lent. Il a constaté aussisque
les étudiants chinois lisent plus rapidement en silence qu’à haute voix. Pour un
roman, leur vitesse était de 3,7 mots à la seconde à haute voix et de 5 mots silen-
cieusement. Pour la prose, les moyennes étaient de 3,7 mots à la seconde (lecture
à haute voix) et 4,2mots à la seconde (lecture silencieuse); pour la poésie, 2,g dans

I. MILES,
W.R.,et SHEN, Eugene, ((Photographie recording of eye-movements in the reading of
Chinese in vertical and horizontal axes: methods and preliminary results»,Journal of experimental
psychology, vol. VIII, octobre 1925,p. 34+362.
CHEN, L.K.,et CARR, H.A.,«The ability of Chinese students to read in vertical and horizontal
directions)), Journal of ezperimental psychology, vol. IX, avril 1926,p. I 10-117.
2. SHEN, Eugene, «An analysis of eye-movements in the reading of Chinese)), Journal of experimental
psychology, vol. X, avril 1927,p. 158-183.
3. CHOU,Siegen K.,«Reading and legibility of Chinese characters»,Journal of experimental pyschology,
vol. XII, avril 1929, p. 156-177.
CHANG, Chung-Yuan, A study of the relatiue merits of the vertical and horizontal lines in reading Chinese
print, N e w York City, Columbia University, 1942. (Archives of psychology, no 276.)
CHENet CARR,op. cit.
4. Hu, I., A study of perceptual span in reading the Chinese anguage, Master of Arts Dissertation, Depart-
ment of Education, University of Chicago, 1926.
5. ID., An experimenial stu4 of the reading habits of Chinese, Doctor’s Dissertation, Department of
Education, University of Chicago, 1928.

7’
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

le premier cas et 3,4dans le second. Comparant ces chiffres avec les résultats d’en-
registrementsfaits pendant la lecture de textes anglais, H u les a trouvés (< remarqua-
blement concordants».
H u a été très impressionné par cette découverte, parce que la plupart de ses
sujets n’avaient appris à lire qu’à haute voix et ne s’étaientmis à lire silencieusement
qu’en raison,surtout, de la nécessité où leurs études les avaient placés d’étudierune
grande quantité de textes. Les données recueilliessemblentmontrer que tout Chinois
qui sait bien lire sa langue apprend tôt ou tard, comme le font ceux qui parlent
d’autres langues,à identifier les mots globalement et souvent par groupes de deux
ou trois,qu’il renonce à prononcer chaque mot, et qu’il parcourt le texte du regard
aussi vite qu’ilpeut en saisir le sens.H u a recommandé que la lecture silencieuse fît
l’objet d’un apprentissage spécial, et souligné qu’il était essentiel d’inculquer très
tôt de bonnes habitudes en matière de lecture aux enfants qui n’iront pas au-delà
de l’école primaire.
O n a aussi rassemblé une abondante documentation sur les progrès d’enfants
chinois dans l’apprentissagede la lecture. Ail, par exemple, comparant la vitesse
de lecture d’élèves appartenant à diverses classes (de la seconde élémentaire à la
sixième supérieure), a découvert que ces deux types de lecture sont pratiquement
aussi rapides l’une que l’autre en troisième année, mais qu’elles commencent à
différer en quatrième. En cinquième et en sixième année,la supériorité de la lecture
silencieuse est d’environ un mot à la seconde. Ai a pu conclure que, si le chinois
et l’anglais diffèrent radicalement de forme et de structure, la vitesse de lecture,
tant à haute voix que silencieusement,s’acquiert et se développe à peu près selon
le même rythme dans l’une et l’autre langue.
Une étude détaillée2portant sur le chinois vernaculaire et le chinois littéraire a
révélé que la première de ces deux langues était lue beaucoup plus couramment
que la deuxième,ce qui justifiait le choix du vernaculaire pour les livres de lecture
destinés à l’éducation populaire et aux besoins du grand public.

LA LECTURE DU JAPONAIS

Divers travaux ont également porté sur la lecture du japonais, mais nous ne con-
naissons les résultats que de trois d’entre eux3.Voici, résumées, les conclusions les
plus pertinentes de ces trois auteurs:
I. Les processus fondamentaux sont pratiquement les mêmes que pour le chinois
et l’anglais.Mais le nombre de fixations par ligne est supérieur,ce qui est dû,
selon les chercheurs,à la complexité de la langue japonaise écrite.
2. C o m m e pour le chinois, la lecture verticale est plus rapide que la lecture hori-
zontale, ce qui s’explique principalement par l’habitude et l’entraînement.
3. C o m m e pour toutes les autres langues,la lecture silencieuse est bien plus rapide

r. Ar, .J. W., «A report on psychological studies of the Chinese language in the past three deCades»,
Journal of genetic psychology, vol. L X X V I , juin 1950, p. 207120.
2. W A N G , Fung Chiai, «An experimentalstudy of eye-movements in the silent reading of Chinese)),
Eizmentary school journal, vol. X X X V , mars 1935, p. 527-539.
3. ATOMO, Shigeru,An experimental stuc$ of the eye-movementsmade by variouspersonsin the reading of Japanese
texts of dzyerent forrns, Doctor’s Dissertation, Department of Education, University of Chicago,
‘924.
TAKAMINE,H.,« O n the development of visual perception and its relation to Japanese syllabaries)),
Japanese journal of applied psychology, 2, 1933, p. 215-228. (Résumé en anglais dans Psychological
abstracts, no 2946, 1934.)
YAMAMOTO, Sango, « A n experiment on eye-movements in the reading of the Japanese language)),
Japanese journal of psychology, vol. X,décembre 1935,p. 773-789.

72
PLANCHE1. Alphabet syllabique indien cherokee et texte imprimé dans cette langue. d’après The nem
Chcrokee advocate, d u 25 aaût 1950.
Thai Français Anglais

PLANCHEII. Enregistrements des mouvements des yeux dans la lecture de trois langues alphabétiques
de gauche à droite.
s’écrivant
Espagnol Birman Hindi

PLANCHEIII. Enregistrements des mouvements des yeux pour trois autres langues alphabétiques
utilisant des lettres de formes très différentes.
Arabe Hébreu Ourdou

PLANCHEIV.Enregistrementsdes mouvements des yeux pour trois langues alphabétiquesqui se lisent


de droite à gauche.
Chinois Japonais Coréen

PLANCHEV. Enregistrements des mouvements des yeux pour trois langues orientales écrites dans de!
caractères différents.
Yoruba Yoruba Navajo Navajo
(Assez bon lecteur) (Mauvais lecteur) (Assez bon lecteur) (Très mauvais lecteur)

PLANCHEVI.Enregistrementsdes mouvements des yeux dans la lecture du dialecte yoruba (indigènes


de la Nigeria) et du navajo (Indiensd'Amérique du Nord).
L e processus de la lecture dans diverses langues

que la lecture à haute voix. Il faut noter que malgré la complexité de la langue
japonaise,ceux qui savent bien lire sont capables de déchiffrer à chaque fixation
un ensemble de caractères relativement important et de lire plus vite silen-
cieusement qu’à haute voix.
4. O n relève en outre, chez les adultes, des différences frappantes d’un sujet à
l’autre dans l’efficacité
de la lecture silencieuse.

LA LECTURE DE L’ESPAGNOL

Une étude1 des mouvements des yeux pendant la lecture de l’espagnol a été faite
par des membres de l’Institutde physiologie près le Département des sciences médi-
cales de Buenos Aires, au moyen d’un électro-encéphalographe Grass. Ayant pris
pour sujets des enfants, ils sont arrivés aux constatations suivantes:
I. L’unité d’identification est le mot ou le groupe de mots. (Cette façon de lire est
bien plus rapide et moins pénible que celle qui se fonde sur le déchiffrage lettre
par lettre ou syllabe par syllabe.)
2. U n entraînement spécial permet d’accélérer considérablement la vitesse de lec-
ture, tout en augmentant la longueur de texte identifiée à chaque fixation.
3. La vitesse de lecture est inversement proportionnelle à la difficulté du texte.
Les auteurs précités ont conclu que a la méthode natdrelle de lecture ne consiste
pas à lire lettre par lettre ou syllabe par syllabe,mais par groupes entiers de mots ».
C’est là, ont-ilsdit, c la base physiologique de la méthodologie moderne de la lec-
ture ».

RÉSUMÉ

Nous avonsjusqu’iciparlé de six langues:le français,l’allemand,l’anglais,le chinois,


le japonais et l’espagnol.Ces langues sont fondamentalement différentes et cepen-
dant les enregistrements ont montré que les démarches ou processus fondamentaux
mis en jeu lorsqu’on les lit sont essentiellement les mêmes. Il semble donc que tous
les individus qui savent bien lire ont acquis les mêmes habitudes; ils lisent plus vite
silencieusement qu’à haute voix; mais la vitesse de la lecture silencieuse varie con-
sidérablement de l’un à l’autre.U n auteur chinois a fourni de ces faits l’explication
suivante: << Il est certain qu’entreles langues,la longueur des mots, celle des lignes
et la structure même de la langue présentent de nombreuses différences; mais les
habitudes du lecteur expérimenté sont déterminées par les mots et par leur signi-
fication.Pour lui,un mot n’a de valeur que dans la mesure où il évoque en lui un
élément de son expérience individuelle,et non pas à cause de ses caractéristiques
morphologiques ou linguistiques.. . U n mot chinois et un mot anglais peuvent
différer beaucoup par leur origine, leur développement et leur structure, mais tous
deux en sont venus, du fait de l’usage social, à jouer à peu près le m ê m e rôle: celui
du facteur primordial qui détermine les habitudes de lecture ’.>>

I. MuNoz, J. M.,ODORIZ, J. B., et TAVAZZA, J., «Registre de los movimientos oculares durante la
lectura)), Revistu de la Sociedud Argentina de Biologiu, XX, avril 1944, p. 280-286.
2. HU, I., ~ jcit.,
. p. 135.

73
L’enseignement de la lecture et de C’écriture

ÉTUDES D E L A L E C T U R E D A N S Q U A T O R Z E L A N G U E S

Avant d’accepter les conclusions précédentes, il a semblé opportun d’en contrôler


la validité. Tout d’abord,les données dont elles découlent ont été recueillies dans
des conditions très différentes;il s’ensuitqu’à plusieurs égards les faits mis en lumière
ne sont pas comparables. En deuxième lieu, les langues alphabétiques étudiées,
peu nombreuses d’ailleurs,utilisent toutes l’alphabetlatin.
C’est pourquoi on a cherché à rassembler une documentation plus large.

NATURE DE L’ÉTUDE

L’objetprincipal auquel répondait cette étude était de comparer,grâce à l’enregistre-


ment des mouvements des yeux, les mécanismes fondamentaux de la lecture chez
des lecteurs expérimentés,et ce,en autant de langues que possible.Il a été décidé que
les textes à retenir pour cette étude seraient dans la langue maternelle de chaque
lecteur,lequel devrait avoir fait la plus grande partie,sinon la totalité,de ses études
primaires dans cette langue et n’avoir pas cessé de la lire depuis lors.
C o m m e les enregistrementsnécessaires ne pouvaient être faits qu’avec un appa-
reil de prise de vues spécialement conçu pour cela,l’étudea été menée dans le labo-
ratoire spécialisé de l’université de Chicago. O n a cherché des sujets qualifiés à
Chicago même et dans les collèges et universités des États voisins, et l’on a retenu
ainsi soixante-dix-huitadultes âgés de vingt à cinquante ans, dont la plupart fai-
saient des études supérieures dans les universités.
Quatorze langues différentes étaient représentées dans l’expérience:l’anglais,
l’arabe,le birman, le chinois, le coréen, l’espagnol,le français,l’hébreu,l’hindi,le
japonais,le navajo (dialecte de certains Indiens d’Amérique du Nord), le thaï,
l’ourdou et le yoruba (langue des indigènes de la Nigeria). Le tableau 6 (p.80)
indique le nombre de sujets parlant chacune de ces langues.A l’exceptiond‘un seul,
tous avaient fait des études préuniversitaires, la plupart dans leur pays d’origine.
Pour qu’au moins une région sous-développéefût représentée,on a recherché des
Indiens Navajos susceptibles de servir de sujets. Mais il y en a très peu d’instruits
aux environs de Chicago. L’un de ceux qui ont été finalement retenus avait appris
tout seul, étant petit, à lire le navajo et avait lu beaucoup de textes écrits dans ce
dialecte,pendant sa jeunesse.Plus tard,il avait fait ses études à l’école primaire, à
l’écolesecondaire et au collège,en anglais.L’autre avait appris à lire le navajo avec
un missionnaire, mais n’avait fait que très peu d‘études à proprement parler.
La plupart des adultes pris comme sujets étant des gens instruits,ils ont rapidement
compris le but de l’étude entreprise et ont apporté aux enquêteurs un concours
efficace.
Les mêmes textes -quant au fond -ont servi pour tous les sujets,sauf pour les
Indiens Navajos, à l’intention desquels on avait composé spécialement quelques
textes inspirés par la vie quotidienne des Indiens.Ainsi, les différences entre les en-
registrements des mouvements des yeux n’ont pu être causées que par la diversité
des textes.Chaque sujet en avait quatre à lire,deux à haute voix et deux silencieuse-
ment. Dans chaque série il y avait une fable d’Esopeet un exposé très simple des rai-
sons pour lesquelles les enfants ou les adultes doivent apprendre à lire et à écrire.
Et l’on a fait en sorte que tous les passages traduits fussent d’une difficulté égale.Le
tableau 3 indique pour chacun des quatre textes le nombre moyen de mots, le
nombre de phrases, le nombre moyen de mots par phrase, le décompte des mots
appartenant aux huit premières catégories graduées de la liste de mots de Thorn-
dike, et le nombre de mots polysyllabiques.

74
Le processus de la lecture dans diverses langues

TABLEAU
3. Analyse des passages ayant servi à l'expérience.

I 166 12 13,g 122 19 4 6 - 3 - 2 21


2 166 12 13,g 149 7 3 3 2 - 2 - 28
3 146 12 14,6 125 . g 3 3 1 5 -
- -3 40
4 146 12 14,6 123 II 4 3 3 2 4'

O n voit que les deux premiers passages -des fables -étaient d'une difficulté tout
à fait comparable,et légèrement plus faciles que les deux autres passages. En anglais,
les deux passages de chaque série, imprimés en caractères de onze points, occu-
paient le m ê m e nombre de lignes, douze pour ceux de la première série, et treize
pour ceux de la seconde. Chaque passage, accompagné d'un ensemble de cinq
questions destinées à vérifier si le lecteur avait bien compris le texte, était traduit
dans les autres langues avec le m ê m e vocabulaire simple et la m ê m e simplicité dans
la structure des phrases.
O n n'a pas essayé de réduire les traductions au m ê m e nombre de mots ou de
lignes imprimées,ce qui aurait risqué d'entraîner l'emploi de formes inhabituelles.
O n trouvera au tableau 4 le nombre de mots et de lignes imprimées de chaque
passage dans chacune des langues considérées. Il est frappant de constater que ces
nombres varient considérablement:on peut en conclure que,selon la langue,chaque
mot représente plus ou moins d'éléments de l'idée exprimée,et aussi qu'une ligne
imprimée peut en contenir plus ou moins. Aussi convient-ild'être prudent dans
l'interprétation des données recueillies.

TABLEAU
4. N o m b r e de mots et de lignes des passages ayant servi à l'expérience, dans les
différentes langues.
~~

Epreuves d'enregistrement
Epreuves préliminaires des mouvements de l'œil
Langue No I No 2 No I No 2
Mots Lignes Mots Lignes Mots Lignes Mots Lignes

Anglais 166 13 166 14 146 13 '46 13


Arabe '34 '1 '34 '0 168 13 137 II
Birman 340 14 360 16 360 16 330 15
Chinois 259 II 240 II 233 '0 191 9
Coréen 153 16 151 '5 '44 '4 '39 '3
Espagnol '49 '3 '5' 12 '43 13 '59 '4
Français 163 13 166 14 '63 15 '53 '4
Hébreu IO2 9 1 IO 9 '09 10 1 IO 10
Hindi '75 '1 198 12 186 12 '73 '1
Japonais 108 II IO2 II 12' II 94 '0
Navajo 30 5 34 6 44 7 45 8
Ourdou '85 '4 213 '5 2' 1 4 196 12
Siamois 220 12 196 '3 183 12 '77 '3
Yoruba 170 II 170 II 183 II 183 12
- _-

75
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

La méthode suivie pour l’expériencea été la même pour tous les sujets. Tout
d’abord,l’examinateur lisait un passage de chaque série pour familiariser le lecteur
avec les conditions de l’expérience,avant que l’on enregistrât les mouvements de ses
yeux. Puis il donnait les instructions suivantes:
c Dans quelques instants,je vais vous demander de lire à haute voix ce passage
(il lui montrait alors le carton portant le texte imprimé). C’est une vieille fable que
vous avez très probablement déjà entendue ou lue. Lorsque je vous donnerai le
carton,vous le lirez à haute voix comme si vous vous adressiez à un groupe de per-
sonnes.Tout en lisant,faites bien attention au sens de ce passage,parce que je vous
poserai ensuite des questions à ce sujet. Voici le passage. Quand je dirai a Partez »,
vous vous mettrez à lire à haute voix. Etes-vousprêt ? Partez!>>
L’examinateur notait le temps mis par chaque sujet pour lire ce premier pas-
sage. Aussitôt après,il lui remettait l’ensemble de questions rédigées dans sa langue
maternelle, et lui demandait de marquer, entre les trois réponses proposées sous
chacune d’elles celle qui lui paraissait être la bonne. Puis,la deuxième fable était
lue silencieusement,dans les mêmes conditions que précédemment.L’épreuve pré-
liminaire ainsi terminée, l’examinateur faisait lire de la même façon la deuxième
série de textes:mais cette fois,les mouvements des yeux étaient photographiés. Pour
éliminer les effets de l’entraînement,l’ordredans lequel les passages de chaque série
étaient donnés à lire était renversé d’un lecteur à l’autre.

COMPARAISON DES RÉSULTATS OBTENUS,POUR LA VITESSEET LA COMPRÉHENSION


DANS LA LECTURE À HAUTE VOIX ET LA LECTURE SILENCIEUSE

O n trouve dans le tableau 5 les moyennes des résultats obtenus par l’ensemble des
sujets, à haute voix et silencieusement. C o m m e on le voit, on remarquera que les
résultats obtenus dans les deux catégories d’épreuves sont tout à fait voisins, qu’il
s’agissede la vitesse ou de la compréhension. La comparaison est assez valable du
fait que les deux passages de chaque série comprennent à peu près le même nombre
de mots et de lignes imprimées.O n peut en conclure que la lecture silencieuse a été,
en moyenne, bien plus rapide que la lecture à haute voix. Il en a été de même pour
la moyenne réalisge dans chacun des groupes linguistiques.En outre,la différence
entre les vitesses moyennes de lecture à haute voix et de lecture silencieuse au cours
des épreuves préliminaires et des épreuves d’enregistrement a été essentiellement
la même au sein de chaque groupe. Si certains résultats individuels se sont écartés
notablement de la moyenne, les exceptions aux constatations ci-dessusont été rela-
tivement peu nombreuses.
Les valeurs moyennes de la compréhension dans les deux épreuves préliminaires
ont été très voisines. Il en est de même pour les épreuves d’enregistrement.Cette va-
leur moyenne de la compréhension a été bien plus stable,d’un groupe linguistique
à l’autre,que celle de la vitesse. D e plus la valeur de la compréhensiona été notable-
ment plus élevée dans les épreuves d’enregistrementque dans les épreuves prélimi-

TABLEAU 5. Valeurs moyennes de la vitesse et de la compréhension pour la lecture à haute


voix et la lecture silencieuse dans les deux séries de tests.

Epreuves préliminaires Epreuves d’enregistrement


Mots par seconde Compréhension Mots par seconde Compréhension

Lecture à haute voix 237 7039


Lecture silencieuse 4Y4 7126
Le processus de la lecture dans diverses langues

naires. A cela, il y a deux raisons possibles: de nombreux sujets ont indiqué qu’ils
avaient porté plus d’attention au sens du texte dans les deuxièmes épreuves afin
de compenser les fautes qu’ils s’imaginaientavoir commises dans les épreuves préli-
minaires.Mais il est un fait encore plus important: c’est que la quasi-totalitéd’entre
eux ont affirmé que les textes de la deuxième catégorie d‘épreuves les avaient bien
plus intéressés que les fables et les avaient obligés à concentrer davantage leur atten-
tion sur le sens de ce qu’ils lisaient. Ces constatations et ces explications justifient
l’hypothèse selon laquelle les enregistrements des mouvements des yeux témoigne-
raient, dans chaque langue, d’une lecture silencieuse relativement attentive.

COMPARAISON DES ENREGISTREMENTS DE LA LECTURE SILENCIEUSE


DANS DIFFÉRENTESLANGUES

La présentation des faits révélés par cette expérience aura lieu en deux temps. O n
reproduira d’abord,pour chaque groupe linguistique,un enregistrement1,générale-
ment l’un des plus clairs, dont on décrira les caractéristiques essentielles en sou-
lignant les processus fondamentaux mis en jeu par la lecture; puis on donnera et
on commentera un résumé quantitatif de tous les faits mis en lumière.
La planche II représente des enregistrements relatifs à trois langues alphabé-
tiques: le thaï, le français et l’anglais. Etant donné que la pellicule défile à
vitesse constante dans l’appareil de prise de vues, les mouvements oculaires notés
dans ces trois enregistrementsont eu la même durée totale. Les deux lignes parallèles
tracées sur chaque enregistrement représentent les mouvements des deux yeux. Le
fait qu’elles sont plus proches l’une de l’autre dans certains enregistrements que
dans d’autres ne signifie rien. En comptant les points, on obtient, en trentièmes de
seconde, le temps qu’il a fallu pour lire chaque ligne.
Pour interpréter ces enregistrements,il faut regarder d’abord (sur la planche II)
le haut de l’enregistrement français et suivre les deux lignes pointillées parallèles
jusqu’au point où brusquement elles sont déportées vers la gauche. Le point le
plus à gauche correspond au début de la lecture d’une nouvelle ligne.D e ce point-là
jusqu’au saut suivant vers la gauche, l’enregistrement traduit les mouvements des
yeux pendant la lecture d’une ligne entière: tout d’abord,le lecteur a porté son
regard sur un point voisin de l’extrémité gauche de la ligne et l’y a maintenu pen-
dant huit trentièmesde seconde;puis, son regard s’est déplacé vers la droite et s’est
fixé à nouveau. Ce mouvement s’estrépété trois fois avant que le regard n’atteignît
l’extrémité de la ligne. Puis,le lecteur est revenu au début de la ligne suivante et a
procédé de même. L’enregistrement représente la lecture de trois lignes.
Parfois,au cours de la lecture,le regard revient en arrière,vers la gauche,comme
on le voit par exemple à la première ligne de l’enregistrementanglais.Dans ce cas,
évidemment,la première fixation a eu lieu trop loin à partir du début de la ligne
pour que le lecteur pût déchiffrer clairement la totalité de ce premier segment de
ligne. U n deuxième mouvement régressifs’est produit à la fin de la deuxième ligne
du m ê m e enregistrement.Ces régressions se produisent généralement lorsque le lec-
teur n’a pas identifié nettement un mot lors de la pause précédente, ou n’en a pas
bien compris le sens.
Ces trois enregistrements sont remarquables par leur similitude,en dépit du fait
qu’en siamoisles mots d’une m ê m e plume sont accolés les uns aux autres. D e même,
les différences dans la forme des lettres et dans leur disposition sous forme de mots
n’ont pas modifié les processus fondamentaux de la lecture. Dans chaque cas, le

I. Voir planches II à VI insérées entre les pages 72 et 73.

77
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

regard a parcouru régulièrement les lignes de gauche à droite, avec de temps à


autre un mouvement en arrière. En général, chaque fixation a permis d’identifier
au moins un mot, souvent deux ou même davantage.
La planche III représente des enregistrements relatifs à trois autres langues
alphabétiques:l’espagnol,le birman et l’hindi.Ces langues sont très différentes les
unes des autres, tant par la forme des lettres de leur alphabet que par la structure
des phrases. Néanmoins, les mouvements oculaires ressemblent à ceux que repré-
sente la planche II.L’enregistrementrelatifà l’hindiprésente un plus grand nombre
de fixations par ligne et un plus petit nombre de lignes lues par unité de temps que
dans les autres langues;mais cet enregistrement a été fait sur un sujet qui ne lisait
pas vite, et c’est à cause de sa netteté qu’il a été choisi.
La planche IV représente les enregistrements des mouvements des yeux pour
l’arabe,l’hébreu et l’ourdou,langues qui se lisent de droite à gauche. O n remar-
quera en effet que les reflets se déplacent progressivement vers la gauche de chaque
ligne. A tous autres égards, ces enregistrements ressemblent à ceux des planches II
et III.
La planche V représente les enregistrements des mouvements des yeux pour le
chinois,lejaponais et le coréen;on les a groupés parce que ces troislangues s’écrivent
en caractères différents. Les textes chinois et japonais sont normalement imprimés
en colonnes verticales, qu’on lit du haut vers le bas, mais il n’est pas rare d’en
trouver imprimés en lignes horizontales, qu’on lit de la gauche vers la droite. Le
coréen était autrefois, lui aussi, imprimé en colonnes verticales, à cause de ïin-
fluence chinoise;depuis l’élaboration d’un alphabet coréen, on l’imprime en lignes
horizontales, qui se lisent de la gauche vers la droite. C o m m e l’appareilde prise de
vues ne pouvait enregistrer la lecture verticale, on n’a utilisé que des passages im-
primés en lignes horizontales. Tous les sujets ayant déjà, plus ou moins, lu leur
propre langue imprimée de cette façon, ils se sont rapidement adaptés aux condi-
tions de l’expérience.
O n constatera que la planche V est pratiquement identique aux planches II,
III et IV.Le nombre relativement grand des fixations à la deuxième ligne de l’en-
registrementjaponais confirme les conclusions antérieures. Le nombre plus grand
de fixations et la lenteur plus grande de lecture que révèle l’enregistrementcoréen
méritent d’être notés; les Coréens pris pour sujets étaient habitués à lire des textes
comprenant des caractères chinois parmi les mots coréens; or les passages utilisés
pour cette étude étaient imprimés entièrement en coréen: les sujets ont déclaré que
cela les avait considérablement ralentis.
La planche VI représente des enregistrements relatifs au yoruba (dialecte des
indigènes de la Nigeria) et au navajo (idiome de certains Indiens d’Amériquedu
Nord). Ils sont rapprochés ici pour deux raisons. Tout d’abord,les sujets parlant
ces deux langues avaient bien moins que tous les autres l’habitudede lire. La plu-
part des lecteurs du yoruba n’avaient pratiqué ce dialecte que pendant leurs trois
premières années d’école;après quoi, c’est l’anglais qui avait servi à les instruire.
Certains avaient étudié ce dialecte à l’école secondaire comme matière spéciale du
programme; cependant,leur connaissance et leur expérience pratique de la lecture
en yoruba étaient assez limitées,et ils n’étaient pas, de façon générale,des lecteurs
aussi expérimentés que les autres sujets. Quant aux Indiens Navajos, c’étaient,en
majeure partie, des autodidactes,et un seul d’entre eux avait beaucoup lu dans sa
langue maternelle.
L’enregistrement de gauche est celui de l’un des meilleurs lecteurs en yoruba.
Il ressemble en gros aux enregistrements précédents, mais le sujet a lu plus lente-
ment et le nombre des fixations par ligne est supérieur.Avec plus de pratique, il
aurait pu sans aucun doute, à chaque fixation, déchiffrer de plus longs fragments

78
Le processus de la lecture dam diverses laques

de ligne et lire plus rapidement. Le deuxième lecteur de yoruba était bien moins
avancé. L’enregistrement ne représente qu’une partie d’une ligne. L’examen de
l’ensemble de cet enregistrement montre de nombreux mouvements régressifs et
beaucoup d’arrêts d’hésitation;en effet,le sujet était très lent à déchiffrer les mots
et à en saisir le sens,et il a senti le besoin de relire de nombreux fragments de ligne.
D’ordinaire, de telles difficultés sont surmontées grâce à un enseignement minu-
tieusementgradué et à de nombreux exercices de lecture.Il convientde signalerici que
certainssujets ont déclaréavoir éprouvé quelque difficultédu faitde l’ordredanslequel
le traducteur avait placé les mots ou du manque de signes indiquant l’intonation.
Le troisième enregistrement à partir de la gauche, dans la planche VI,est celui
d’un assez bon lecteur en navajo. Bien que celui-cifût un autodidacte,l’enregistre-
ment révèle sa tt maturité >> en tant que lecteur, due surtout au fait qu’il avait lu
tout ce qu’il avait pu trouver d’écrit en navajo et avait pour cette raison fait de
grands progrès.Ce sujet a lu à peu près de la même manière que ceux qui, dans les
autres langues, avaient reçu une formation systématique. Il semble donc que les
sujets acquièrent cette (t manière >> caractéristique progressivement,à mesure qu’ils
sont plus expérimentés.
L’enregistrement de droite (planche VI) est celui d’un très mauvais lecteur en
navajo. A la différence du précédent,ce sujet avait très peu lu.O n constate sur l’en-
registrement de nombreuses fixations,de longues pauses et plusieurs mouvements
régressifs. Les observations faites pendant la lecture ont montré que, connaissant
trop mal beaucoup de mots pour les reconnaître instantanément, ce sujet étudiait
attentivement chaque mot, en prononçant séparément chaque lettre. Invité à dire
pourquoi il n’avait pas lu davantage,il répondit que c’était très dur pour lui et
qu’il ne lisait que lorsqu’il y était obligé. Il faut conclure de ce dernier exemple
que si l’enseignement de la lecture n’est pas poursuivi jusqu’au moment où l’élève
lit avec une facilité relative,celui-cirisque de ne lire guère par la suite. Peu à peu,
il oubliera les mécanismes et tous les efforts qu’il aura faits auront été inutiles.

ANALYSE DES FAITS RhVÉLÉS PAR LES ENREGISTREMENTS

Dans le tableau 6 sont résumées diverses données complémentaires. Ce sont, de


gauche à droite: le nombre de sujets examinés,le nombre de mots par fixation dans
la lecture à haute voix et la lecture silencieuse,la durée des fixations en trentièmes
de seconde dans les deux sortes de lecture, et la fréquence des mouvementsrégressifs
évaluée en fonction du nombre de mots lus, à haute voix ou silencieusement,entre
deux retours en arrière successifs. C o m m e on le voit au bas du tableau,le nombre
moyen de mots identifiés par fixation est légèrementplus élevé dans la lecture silen-
cieuse que dans la lecture à haute voix -ce qui concorde avec les résultats des en-
quêtes antérieures-bien que ce nombre varie d’unelangue à l’autre.Dans le cas du
français et de l’anglais,la moyenne est nettement plus élevée pour la lecture silen-
cieuse; pour le coréen, c’est l’inverse.Dans tous les autres cas, le nombre moyen
de mots identifiés à chaque fixation est le même dans les deux sortes de lecture,ou
tout au moins la différence n’est pas supérieure à un dixième de mot. Les moyennes
indiquées au bas du tableau montrent aussi que les fixations sont bien plus longues
dans la lecture à haute voix que dans la lecture silencieuse:en effet, lorsqu’on lit
silencieusement,on peut passer d’une fixation à la suivante aussi vite qu’on a iden-
tifié et compris les mots en cause, tandis que dans la lecture à haute voix on ne
saurait aller plus vite qu’on ne peut prononcer les mots.
En interprétant les nombres moyens de mots par régression dans la lecture à
haute voix et la lecture silencieuse, il convient de noter que plus ces nombres sont

79
L'enseignement de la lecture et de l'écriture

faibles, plus nombreuses sont les régressions. Elles sont plus nombreuses, tant dans
la lecture à haute voix que dans la lecture silencieuse, aussi bien pour l'ensemble
des sujets que pour chaque groupe linguistique,mis à paft le birman et le coréen.
Ces constatations concordent avec les conclusions des études antérieures. Dans la
lecture à haute voix,le lecteur peut revenir en arrière non seulement pour les mêmes
raisons que dans la lecture silencieuse,mais encore pour vérifier la façon dont il a
prononcé tel ou tel mot ou contrôler l'ordre exact des mots d'un passage pour déter-
miner ceux sur lesquels il fautinsister quand on lit à voix haute,parfois même simple-
ment parce que son regard va plus vite que sa voix.
Si l'on pousse plus loin l'analyse des données relatives à la fréquence des régres-
sions on note des différences frappantes d'une langue à l'autre. O n a essayé de les
expliquer par la nature des caractères utilisés,i'absence de séparation entre les mots
d'une m ê m e phrase,ou le nombre variable de mots qu'il faut,d'une langue à l'autre,
pour exprimer la même idée. Mais ces essais d'explication ont été infructueux. En
comparant les moyennes par langue, on a constaté qu'en règle générale,à quelques
exceptions près, le nombre des régressions était d'autant plus faible que le champ
de l'identification était plus large.L'analyse des enregistrementsindividuels a révélé
d'importantes variations au sein de chaque groupe linguistique. En général, c'est
chez les lecteurs les plus lents et chez ceux qui avaient un champ étroit d'identifica-
tion que l'on a constatéle plus grand nombre de fixations.Ces constatations donnent
à penser que le nombre des régressions ne dépend pas essentiellement de la langue
du sujet.
O n a cherché aussi quelles pouvaient être les causes des régressions dans les cinq
groupes linguistiques où elles ont été les plus fréquentes. Dans le cas du navajo,

TABLEAU
6.Efficacité relative de la lecture à haute voix et de la lecture silencieuse d'après les
enregistrements des yeux pour quatorze langues.

Mots par fixation Durée des fixations Mots par régression


Langue Nombre
de sujets Lecture à Lecture Lecture à Lecture Lecture à Lecture
haute voix silencieuse haute voix silencieuse haute voix silencieuse

Anglais 7
Arabe 6
Birman 2
Chinois 7
Coréen 7
Espagnol 5
Français 5
Hébreu 6
Hindi 6
Japonais 7
Navajo 2
Ourdou 7
Thaï 6
Yoruba 5
Moyennes1 135 1,6 16,1 II,O 1933 2437
I. Ces moyennes sont calculées sur le total de tous les enregistrements individuels, sauf ceux qui
concernent la langue navajo. Les groupes linguistiques étant restreints et atypiques, on n'a pas
calculé les écarts types ou autres facteurs du m ê m e genre.
Le processus de la lecture dans diverses langues

beaucoup de ces mouvements en arrière ont été directement provoqués par la dis-
culté du déchiffrage proprement dit, et dans le cas du yoruba,par l’emploi de mots
, inhabituels dans la traduction et l’absence de signes indiquant l’intonation. Les
lecteurs d’arabe et d’hébreu ont précisé que le fait d’avoir été invités à lire très
attentivement chaque ligne avait provoqué chez eux de nombreux coups d’œil en
arrière. D’autre part, les lecteurs d’anglais avaient l’habitudede parcourir rapide-
ment du regard chaque ligne et de revenir souvent en arrière pour vérifier leurs im-
pressions premières.Toutes les observationsqui ont été faites confirment que nombre
de régressions sont dues plutôt au manque d’expérience du lecteur, à la façon dont
il a appris à lire et aux habitudes de perception qui lui sont particulières qu’à
la nature m ê m e de la langue en cause.

RÉSUMÉ

Ces recherches établissent que la nature générale de l’actede lire est essentiellement
la même chez tous les lecteurs expérimentés.Une telle conclusion est corroborée par
une étude récentel,faite par l‘examen des mouvements des yeux, des a modes de
lecture D de l’allemand et de l’anglaischez des sujets dont c’était,respectivement,
la langue maternelle. La conclusion de l’auteur est la suivante:(< Il n’y a pas de
différence perceptible entre les modes de lecture des Anglais et des Allemands instruits
parlant leur propre langue. D e plus, les habitudes de lecture ne subissent pas de
modificationapparente lorsqu’unde ces sujetsinstruits apprend à lire l’autrelangue.>>
La régularité de la lecture n’était perturbée que lorsque le sujet n’avait pas réussi
i( à saisir le sens d’une unité sémantiquependant que son regard parcourait la ligne
de gauche à droite».
Le lecteur expérimenté qui cherche à saisir le sens du texte procède par petits
sauts du regard alternant avec des pauses.A chaque fixation,il identifie les mots glo-
balement,c’est-à-dire d’aprèsleur forme générale et leurs caractéristiquesfrappantes.
La plupart du temps, il en identifie chaque fois deux ou trois. Quelquefois, le bon
lecteur revient en arrière pour bien reconnaître un terme non familier ou mieux
saisir le sens de ce qui vient d’être lu. La lecture à haute voix est nécessairement
plus lente que la lecture silencieuse et son mécanisme est quelque peu différent.
Enfin,le degré de compétence atteint par les lecteurs varie considérablement de l’un
à l’autre.
Le lecteur expérimenté possède parfaitement les attitudes et mécanismes de base
qui sont nécessaires pour bien lire à haute voix et pour lire en silence couramment
et intelligemment.Quelles que soient la forme et la syntaxe de la langue,ce lecteur
lit de façon réfléchie;il identifieles mots avec précision et sans confusions;il en re-
connaît un certain nombre à la fois;il parcourt régulièrementchaque ligne du regard
en ne jetant un coup d’œil en arrière que si cela est nécessaire; parvenu au bout
d’une ligne,il trouve avec précision le début de la suivante;enfin il sait faire la syn-
thèse des sens séparés des mots ou groupes de mots pour reconstruire les idées qu’ils
expriment et interpréter ces idées.
A u total,nous estimons que, quelle que soit la langue,l’enseignementde la lec-
ture doit tendre à développer ces attitudes et mécanismes de base. Beaucoup des
techniques particulières sans lesquelles on ne saurait former des élèves sachant bien
lire doivent être adaptées quelque peu, selon la forme et la structure de la langue
à laquelle on les appliquera; mais les maîtres, connaissant leurs objectifs communs,
sauront bien recourir à celles qui donnent les meilleurs résultats dans leur langue.

I. John T.,((Reading patterns in German and English», Th Gennan quarte&


WATERMAN, XXVI,
novembre 1954,p. 225-127.

81
C H A P I T R E IV

ATTITUDES ET TECHNIQUES NÉCESSAIRES


À L’INSTRUCTION FONCTIONNELLE
EN MATIÈRE DE LECTURE

Pour former des lecteurs,il faut connaître exactement les attitudes et les techniques
essentielles qui interviennent dans la lecture. O n y parvient dans une certaine me-
sure-comme nous l’avonsexpliqué-en photographiant les mouvements des yeux.
Mais notre connaissance de ces questions s’est surtout améliorée au cours des der-
nières années grâce aux travaux des psychologues et des spécialistesde la sémantique
et de l’enseignement de la lecture.
Dans le présent chapitre,nous étudierons les attitudes et les techniques qui pré-
sentent une importance fondamentale dans l’instruction fonctionnelle en matière
de lecture dans la langue maternelle. Il importe à cet égard de se faire de la lecture
une conception suffisamment large pour répondre à toutes les exigences de la vie
moderne.

VERS U N E C O N C E P T I O N PLUS L A R G E D E L A L E C T U R E

La conception de la lecture admise jusqu’icidans l’enseignementest essentiellement


dynamique1.Elle ne cesse de se modifier à mesure que l’on connaît mieux en quoi
consiste la lecture et que les mobiles personnels et sociaux qui incitent à lire de-
viennent plus nombreux.
Avant 1900,l’enseignementde la lecture visait surtout à apprendre à i’enfant à
identifier les mots. O n considérait que la lecture est essentiellement un acte de per-
ception et que tous les autres actes qu’elle implique sont de la (< sur-lecture9.Les
heures de cours étaient presque exclusivement réservées à la lecture à haute voix,
qui permet de vérifier si les mots sont exactement identifiés. II n’est aucunement
question ici de nier l’utilité des habitudes permettant d’identifier correctement les
mots,ou la valeur de la lecture à haute voix,deux choses dont en fait nous souligne-
rons plus loin l’importance à diverses reprises. Mais l’erreur consistait à négliger
presque entièrement d’autres aspects importants de l’enseignement.
Depuis 1900,une série de faits a contribué à généraliser une conception beau-
coup plus large de la lecture. L’évolution sociale qui s’est produite dans différentes
régions a fait apparaître la nécessité non seulement de savoir lire, mais aussi de

I. GRAY, Williams S.,Methoh and techniques of teaching reading,Le Caire, Instituteof Education, Ministry
of Education, Government Press, 1950,p. I 1-24.(Existe également en arabe.)
NATIONAL SOCIETYFOR THE STUDY OF EDUCATION, «The growth of a broad concept of readingn,
Reading in the high school and college, 47th Yearbook, part II, Chicago University Press, 1948,
p. 27-32.
2. OTIS,Arthur S.,((Considerations concerning the rnaking of a scale for the measurement of reading
ability)), Pedagogical seminal; vol. XXIII, décembre 1916,p. 528.

82
Attitudes et techniques nécessaires à l’instructionfonctionnelle en matière de lecture

savoir comprendre et apprécier ce qu’on lit. Les conclusions de la recherche ont


d’autre part montré que la lecture silencieuse est beaucoup plus rapide et plus
efficace que la lecture à haute voix.
En conséquence,les méthodes d‘enseignement de la lecture ont été modifiées
de façon à apprendre à l’élèvenon seulement à identifier les mots, mais aussi à bien
comprendre le sens du texte et à pratiquer la lecture silencieuse. O n s’efforce aussi
de lui donner le goût de la lecture et l’habitude de lire régulièrement pour son
plaisir. C’est là sans doute le progrès le plus important qui ait jamais été réalisé en
ce qui concerne l’enseignement de la lecture.
Lire en vint à être considéré comme une des formes de l’expérience,au même
titre qu’entendreet voir, et pas seulement comme une forme de l’instruction.Il de-
vint clair, dès lors, que bien lire ne signifie pas seulement identifier des mots et
saisir des idées,mais encore les méditer, en déceler les rapports et le sens implicite.
Pour être capable d’utiliser les idées, le lecteur doit réfléchir à ce qu’il lit, en peser
la valeur, apprécier la validité des opinions ou des conclusions exprimées. Pour que
ses lectures puissent l’aider à résoudre ses problèmes et à orienter son action,il doit
apprendre aussi à appliquer les idées ainsi acquises.

DIFFÉRENTES VARIÉTÉS DE LECTURE: L E U R OBJET

Ces nouvelles conceptions se sont principalement formées dans les pays où on lit
beaucoup depuis des générations; on pouvait à juste titre se demander si elles re-
vêtent la même importance dans les régions moins développées. O n a donc procédé
dans le cadre d’expériences d‘éducation de base à des enquêtes sur la pratique de
la lecture chez les enfants et les adultesde ces régions. Les exemples analysés ci-après
sont classés en différentes catégories,suivant la difficulté des exercices.

CATÉGORIE I (LECTURE D’ÉCRITEAUX, D’ÉTIQUETTES, ETC.)

Lecture de panneaux de signalisation portant des mots tels que << danger », << ar-
rêtez », a passez », etc. (pour se protéger);
Lecture des écriteaux des autobus (pour savoir lequel prendre);
Lecture des étiquettes des boîtes de conserves, des bouteilles de médicaments et
autres récipients (pour ne pas les confondre);
Lecture des noms de rues,des numéros des maisons et des noms des édifices publics
(pour se diriger).

Il s’agitici avant tout d’arriver à identifier les mots. Bien souvent,le lecteur y par-
viendra à première vue; dans d’autrescas, il devra mettre en œuvre les techniques
qu’on lui a enseignées. Mais en tout état de cause ceci ne suffit pas. La lecture de-
vient un acte essentiel lorsque l’enfantou l’adulteidentifie les écriteaux,les numéros
des autobus,les noms des rues et les étiquettes des boîtes de conserve dans une inten-
tion bien définie.Dès qu’il aura déchiffré l’inscription,il devra prendre une décision
pratique.Quoique la lecture proprement dite ait ici une portée limitée,elle est faite
d’ordinaire en vue d’un objectif plus large et implique de nombreux éléments de
réflexion.
L’enreignernent de la lecture et de I‘écriture

CATÉGORIE II (LIRE POUR SE PROCURER DES RENSEIGNEMENTSou POUR SATISFAIRE


CERTAINES CURIOSIT~S)

Lecture de textes figurant sur un tableau d’affichageou de bulletins, de nouvelles,


pour se renseigner sur les événements;
Lecture d’avis ou de journaux concernant des entreprises d’intérêt local, pour se
documenter sur ces entreprises;
Lecture en classe de textes divers,pour se renseigner sur le mode de vie des popula-
tions étrangères.

Le but principal consiste ici à saisir clairement le sens des textes,une fois les mots
reconnus. Les renseignements obtenus revêtent toute leur valeur lorsque le lecteur
interprète les faits.Si,par exemple,il a lu une notice ou un article indiquant qu’une
nouvelle route va passer par le village,il se demandera si cette route est nécessaire,
et quels effets, quels avantages ou quels désavantages en résulteront pour la com-
munauté et pour lui-même.C’est seulement lorsque le lecteur réfléchit ainsi sur
ce qu’il a lu et en détermine la portée et la signification à la lumière de l’ensemble
de ses connaissances,qu’il commence à trouver véritablement profit à sa lecture.

CATÉGORIE III (LECTURE DE NOTICES EXPLICATIVES ou D’INSTRUCTIONS)

Lecture d’avismettant la population en garde contrecertainsdangers (épidémie,etc.);


Lecture d’arrêtés municipaux modifiant certaines pratiques ou en instituant de
nouvelles;
Lecture de notices explicatives ou de mode d’emploi.

Toutes les opérations mentales décrites au paragraphe précédent doivent inter-


venir à nouveau ici, mais cette fois le but visé est d’influencer la conduite du lec-
teur. Celui-cidevra se conformer aux instructions,atteindre les objectifs indiqués en
procédant de la façon indiquée. A la lecture d’un avertissement, il doit en com-
prendre l’importance et savoir ce qu’il doit faire. A la lecture d’un nouveau règle-
ment, il doit le comparer à l’ancien,discerner les motifs du changement et décider
de modifier son comportement en conséquence.

CATÉGORIE IV (SOLUTIONDE PROBLÈMES)

Lectures entreprises pour découvrir comment on peut améliorer l’état sanitaire de


la communauté; comment il faut alimenter les enfants en bas âge;quelles diffé-
rences et quelles ressemblances existent entre les pays chauds et les pays froids en
ce qui concerne le logement,l’habillement et l’alimentation des populations.

Le lecteur se propose de résoudre un problème déterminé: son attention se con-


centre sur les indications qui peuvent contribuer à élucider ce problème,et il néglige
les autres.A mesure qu’illit, il organise les notions qu’ilacquiert de façon à se repré-
senter exactement un mode de vie étranger ou une méthode d’amélioration des
récoltes. M ê m e des directives laconiques («Faites ceci >> ou a N e faites pas cela »)
doivent être lues d’un point de vue critique:il peut se révéler désastreux de les suivre
aveuglément.
Attitudes et techniques nécessaires à I‘instructwn fonctionnelle en matière de lecture

CATÉGORIE v (RÉACTION RÉFLÉCHIE)

Lecture entreprise pour déterminer si la décision d’un personnage de roman est


justifiée,s’il faut voter en faveur d’un projet de modification du système d’appro-
visionnement en eau de la communauté, etc.

Pour atteindre de tels objectifs,il est indispensablede penser clairement. En lisant,


l’adulte cherche à se procurer des renseignements sur le problème qui l’occupe et
à déterminer leur incidence sur ce problème. Il réserve sa décision jusqu’aumoment
où il se sent en mesure de la prendre. D e toute évidence,ce type de lecture impose
au lecteur des efforts considérables;il doit percevoir ce qu’implique le texte, saisir
des rapports,choisir entre les deux termes d’une alternative,vérifier des conclusions.

CATÉGORIE VI (LA LECTURE EN TANT QUE SOURCE DE PLAISIRET D’INSPIRATION)

Lecture pour le plaisir;


Lecture de différents textes pour apprécier le rythme, le choix des mots, la beauté
de l’expression;
Lecture de textes religieux et autres pour y puiser un réconfort ou une inspiration.

D e telles lectures sont tout aussi indispensablesdans les régions insuffisamment déve-
loppées qu’ailleurs. En Nouvelle-Guinée,par exemple, de nombreux indigènes
apprennent à lire pour le simple plaisir de lire. A peu près partout,on veut lire pour
satisfaire ses goûts ou sa curiosité, pour trouver dans la lecture un réconfort, ou
pour des motifs d’ordrereligieux. Pour cela,il faut acquérir les attitudes et les tech-
niques dont nous avons parlé. Il importe que la lecture suscite des imagesvisuelles,
auditives et kinesthésiques,ainsi que les réactions affectives appropriées.
Dans les régions insuffisamment développées,la lecture présente différentsaspects
et exige des efforts considérables.En conséquence,il est nécessaire, dans l’instruc-
tion fonctionnelle, de faire acquérir au lecteur des attitudes et des techniques très
d’iverses.

A T T I T U D E S ET T E C H N I Q U E S E S S E N T I E L L E S P O U R L ’ A P P R E N T I S S A G E
DE LA LECTURE

Bien des auteurs1se sont récemment attachés à définir les attitudes et les techniques
qui font de la lecture un exercice utile. Ces attitudes et ces techniques peuvent se
classer comme suit: savoir reconnaître les mots; savoir comprendre le sens; savoir
réagir de façon appropriée;savoir utiliser ou appliquer les idées acquises. Ces opéra-
tions correspondent de très près aux exigences de la vie moderne; nous allons les
examiner dans l’ordre indiqué ci-dessus.

COMMENT ON RECONNAfT LES MOTS

Pour reconnaître les mots à la lecture,il faut deux conditions:concentrer son atten-
tion sur le texte écrit ou imprimé; évoquer les associations qui permettent de dis-
I. William S.,«Basic cornpetenciesin efficient reading)), dans:NATIONAL
GRAY, OF TEACHERS
COUNCIL
OF ENGLISH.Committee on Reading at the Secondary School and College Levels, Reading in an age
of m s communication, N e w York, Appleton-Century Crofts, 1949,chap. IV. .
L’emeignernent de la lecture et de l’écriture

tinguer un mot ou un groupe de mots et d’en reconnaître le sens ou la prononcia-


tion ou l’un et l’autre.Nous examinerons donc la nature de la perception chez les
lecteurs expérimentés et le développement de cette aptitude.

COMMENT UN LECTEUR EXPÉRIMENTÉ RECONNA~TLES MOTS

C o m m e nous l’avons montré au chapitre III, un lecteur expérimenté, quelle que


soit la langue qu’il lit, reconnaît les mots comme des ensembles, c’est-à-diregrâce
à leurs caractéristiques générales ou marquantes et souvent par groupes de deux
ou davantage. D’ordinaire,il le fait rapidement, sans hésiter, en parcourant les
lignes d’un mouvement régulier des yeux.S’ilrencontre un mot inconnu,il examine
avec soin tous les détails qui peuvent permettre de le reconnaître.C’est ce que con-
firment les recherches entreprises sur cette question. Hamilton1 a fait une étude
approfondie de la perception chez des enfants et des adultes lisant une langue
alphabétique. Il a montré que les caractéristiques d’unmot sont les détails qui per-
mettent de l’identifier.Lorsque se présente une condition défavorable,ou lorsque
le mot est étrange ou difficile,il devient nécessaire de chercher d’autrestraits dis-
tinctifs,de prendre clairement conscience d’autres éléments du mot -et ce, d’au-
tant plus que celui-ciest plus compliqué ou moins familier.
C o m m e nous l’avons montré au chapitre II, le cas du chinois est différent. S’il
s’agit d’un mot que l’on a appris mais que l’on ne reconnaît pas instantanément,
on peut rechercher les détails qui le différencient des autres mots afin de se rappeler
sa signification et sa prononciation. Mais, dans le cas d’un mot nouveau, aucun
détail ne permet une identification certaine: il faut consulter un dictionnaire où ce
mot figure avec sa prononciation en écriture phonétique. Dans le cas d’un mot japo-
nais,formé de caractères chinois et de symboles kana, il faut procéder avec les carac-
tères chinois comme il est dit plus haut, puis déterminer la valeur phonétique des
symboleskana, enfin combiner ces diverses indications de façon à reconnaître le mot.
En somme, l’enfantou l’adulte saura reconnaître les mots d’autant plus facile-
ment qu’il possédera mieux les techniques propres à sa langue. L’expérience et les
recherches démontrent que si on lit mal, c’est principalement parce qu’on sait mal
reconnaître les mots.

COMMENT APPRENDRE À RECONNAÎTRE LES MOTS ?

Des centaines de spécialistes ont étudié la question depuis un siècle. Leurs conclu-
sions ont été analysées en détail par Huey2,Tinker3,Vernon“ et Woodworth5. Il
faut d’abordse demander comment on apprend à reconnaîtreles formes et les objets
en général.D’ordinaire les jeunes enfants perçoivent les objets nouveaux et inconnus

I. HAMILTON, Francis Marion, Th perceptual factors in reading, N e w York, T h e Science Press, 1907,
p. 52 et 53. (Columbia contributions to philosophy, psychology and education, vol. 17, no 1.)
2. HUEY, E d m u n d B., The psychology and pedagogy of reading, Part 1, N e w York, T h e Macmillan Co.,
1912.
3. TINKER, M.A.,((Visual apprehension and perception in reading», Psychological Bulletin, vol. 26,
avril 1929, p. 223-240.
4. VERNON, M . D., The experimental study of reading, Londres, Cambridge University Press, 1931,
chap.v et VI.
5. WOODWORTH, Robert S.,Psychologie expérimentale. Tr.d’aprèsla 4e éd. américainepar André Ombre-
dane et Irène Lézine (11e éd.), Paris, Presses universitaires de France, 1949, chap. XXIII et
XXVIII.(Bibli?thèque scientifiqueinternationale. Sciences humaines. Section psychologie.)

86
Attitudes et techniques nécessaires à l‘instructionfonctwnmlle en matière de lecture

globalement1,de façon d’abord vague,puis de plus en plus précise. (Il y a toutefois


des exceptions qui méritent d’être étudiées de plus près2.) Les adultes ne procèdent
pas autrement, mais leurs connaissances et leur expérience leur permettent en
général d’identifier les détails marquants plus rapidement que ne le font les enfants.
Voyons d’abord comment on apprend à reconnaître les mots par la méthode
globale.A l‘occasion de discussions ou d’exercices de classe intéressants,un certain
nombre de mots ou de phrases sont inscrits au tableau noir; en même temps on en
indique le sens et la prononciation.D’innombrablesexpériences3montrent que,dans
ces conditions,les élèves apprennent les mots rapidement et sans difficultés. Pour
obtenir une reconnaissance instantanée,il faut présenter les mots à plusieurs reprises
dans un délai relativement court. A ce stade, un mot n’est distingué d’un autre
que par ses caractéristiques générales et ses traits les plbs marquants. L’un des prin-
cipaux avantages de cette méthode est de faire immédiatementcomprendre à l’élève
que les mots représentent des idées, donc de l’inciter à en rechercher le sens lors-
qu’il lit.
Dès qu’un certain nombre de mots sont connus, surtout par leurs traits les plus
marquants,il devient nécessaire de les examiner plus en détail -notamment s’il
s’agit de mots présentant des similitudes de forme -comme bus et las, border et broder,
lieu et lien (il en existe dans toutes les langues). O n utilise différents procédés pour
aider l’élève à distinguer ces mots les uns des autres: le maître peut les inscrire,au
tableau noir, en en faisant ressortir les traits caractéristiques, les ressemblances et
les différences;il peut aussi demander aux élèves de les écrire eux-mêmes.Les pro-
fesseurs de chinois présentent les caractères par ordre de complexité croissante et
demandent aux élèves de les tracer. Ainsi, les élèves apprennent peu à peu tous les
détails des mots.
Dans le cas d’une langue alphabétique, l’élève, à mesure qu’il apprend des
mots, retrouve constamment les mêmes lettres, qu’il finit par identifier. S’ils’agit
d‘une langue à écriture phonétique, il ne tarde pas à découvrir qu’unelettre a
toujours le m ê m e son,ce qui l’aideà identifier les mots nouveaux. Dans une langue
comme l’espagnol,où les syllabes sont simples, facilement reconnaissables,et où les
mêmes syllabes reviennent constamment,on peut apprendre à identifier celles-ci
avant les lettres.En fin de compte,l’élève enregistre tous les détails qui caractérisent
la forme et la prononciation des mots et il en connaît l’importance respective.
Dans les langues alphabétiques4où les mêmes lettres ou combinaisons de lettres
peuvent représenter des sons différents,il faut veiller attentivement à ce que l’élève
sache reconnaître et appliquer les - rè 4 ---
les de la Erononciation dans le cas de mots -
v_1-

tels que case et c u m , par ëZe-mTeFIl impwte kga.Le.m-’ L


i
! oanais gt apE!igue
----
a - 7es x t --.7pc“--cces regIês. Les mots de plusieurs syllabes (par exemple maludroit) se
..___&.
décomposentgénéralementen éléments que l’onpeut prononcer séparément.Lorsque
l’élèves’en aperçoit,il lui est plus facile d’identifieret de prononcer ces mots.
Les spécialistes ne sont pas d’accord sur le rôle du maître; à quel moment, de
quelle façon, dans quelle mesure celui-ci doit-il intervenir ? Beaucoup appliquent
systématiquementdès le début la méthode générale décrite plus haut.D’autresconsi-
dèrent qu’au début,le rôle du maître doit être réduit au minimum. Il vaut mieux,
I. DECROLY, O.,«Le rôle d u phénomène de globalisation dans l’enseignement»,Bulletzn annuel de la
SocGté royale des sczences médzcales et naturelles, Bruxelles, 1927,p. 65-79.
SIMON,Th., Pédagogie expérimentale, Paris, Armand Colin, 1924,p. 1 0 1 et 102.
VERNON, M . D., op. czt.
2. GOMS, Jean Turner, Visual perceptzon abzlztzes and tachistoscopzc training related to reading progress, Doc-
tor’s Dissertation, Department of Education, The University of Chicago, I 953, 270 pages.
3. MONROE, Walter S. (ed.), «Reading», Encydopedza of educational research, N e w York, The Mac-
millan Co., 1950,p. g72-1oog.
4. GRAY,Williams S., On thenr own in reading, Chicago, Scott, Foresman and Co., 1948, 268 pages.
L’enseignement d e la lecture et a2 l‘écriture

selan eux,faire confiance à l’intuition de l’élève lorsqu’ils’agitd’établir les distinc-


tions nécessaires et d’apprendre à reconnaître les mots.
La plupart des données dont on dispose montrent qu’il faut apprendre dès le
début aux élèves à distinguer les mots, et qu’il faut insister de plus en plus à mesure
qu’on avance sur les techniques d’identification des mots. Cet entraînement doit
aller de pair avec l‘acquisitiondu vocabulaire et se poursuivre tant qu’il se pose des
problèmes à cet égard. Evidemment, les connaissances et les techniques à enseigner
varient selon la langue. En outre, il faut tenir compte des différences individuelles.
Beaucoup d’enfantsqui se développent lentement sont astreints trop tôt à faire des
distinctions détaillées -ce qui a généralement pour effetde les désorienter et de les
détourner de la lecture.
Il existe bien d’autres méthodes pour apprendre aux élèves à reconnaître les
mots spontanément et sûrement. Elles partent généralement du principe que, pour
apprendre,le moyen le plus économiqueet le plus efficaceconsiste à étudier d’abord
les éléments des mots, et à se servir ensuite de ces connaissances pour identifier les
les mots nouveaux. Nous examinons en détail au chapitre v les avantages et les
inconvénients de ces méthodes. Dans l’enseignementde la lecture, rien de ce qui
peut aider les enfants et les adultes à reconnaître les mots ne doit être négligé, y
compris les signes phoniques. Mais ce serait aller à l’encontredes grands principes
qui gouvernent la perception des mots que de commencer par enseigner systéma-
tiquement les éléments phonétiques d’une langue. Il est vrai que l’ignorance de
ces éléments et de leur utilisation serait tout aussi critiquable. Le tout est de savoir
quand et comment les enseigner.Nous le verrons dans les chapitres qui suivent.
Les mots qu’il reconnaît suscitent chez le lecteur le souvenir des significations
et des prononciations correspondantes.En ce qui concerne la signification,ces asso-
ciations d’idées sont d’autant plus faciles que l‘expériencede l’élève est plus vaste,
plus riche, plus concrète1;elles sont d’autant plus nombreuses que son vocabulaire
parlé et auditifest plus étendu. Comprendre un texte,c’estretrouver les associations
auxquelles songeait l’auteuren l’écrivant;d’où l’importance des associations d’idées
dans la lecture.
Il faut apprendre à l’élève à associer aux mots les sens qui conviennent. Quatre
opérations au moins sont nécessaires à cet effet. Il faut d’abord que les mots écrits
ou imprimés lui deviennent familiers.A cet effet, on n’emploiera au début que des
mots dont l’élève a déjà l’expérience.Plus tard, quand il saura reconnaître ces
mots, il s’y attachera des associations précises. En deuxième lieu,il faut qu’il puisse
donner aux mots un sens aussi riche que l’exigele texte. En troisième lieu, il faut
qu’il sache choisir, entre les nombreux sens possibles de certains mots, celui qui
convient au contexte.Enfin, il faut l’aider à donner un sens correct aux mots nou-
veaux qu’il rencontre,et à enrichir ce sens à mesure que le texte l’exige.Nous exa-
minerons plus loin la question des méthodes d’enseignement.
Enfin,la prononciation doit être claire et correcte. L’élève doit pouvoir lire le
texte à haute voix et en discuter le contenu. Le lecteur comprend souvent mieux
le sens d’un texte s’il peut reconnaître et prononcer les mots qui ne font pas encore
partie de son vocabulaire de lecture,mais qu’il emploie couramment dans la con-
versation. Aussi tous les mots qui figurent dans les premières leçons de lecture de-
vraient-ilsêtre exclusivement empruntés au vocabulaire parlé de l’enfant.U n long
entraînement est souvent nécessaire pour améliorer la prononciation. Si on ne
corrige pas les défauts de prononciation, non seulement les enfants ne pourront

1. GRAY, William S.,et HOLMES, Eleanor M.,Thedevelopment of meaning vocabularies in reading, Chicago,
University of Chicago Press, 1938, p. 6-9. (Publicationrof the Laboratory Schools of the Universiy of
Chicago.)

88
Attitudes et &chniques nécessaires à l’instructwnfonctionnelle en matière de lecture

pas apprendre à lire et à parler correctement,mais il leur sera difficile d’utiliser les
signes phoniques pour identifier les mots.

COMPRENDRE LE SENS D U TEXTE

La plupart des textes comportent au moins trois sens: le ((sens littéral», le (


(sens
complémentaire>> et le c sens implicite». En fait, ces trois sens sont compris plus
ou moins simultanément.Nous les examinerons séparément pour plus de clarté.

Le sens littéral.
C’est celui qui permet de répondre à la question a Que dit le texte ? ». Le sens
littéral de la phrase a L’eau du puits de notre village est bonne à boire D apprend
au lecteur deux choses: quelle eau est potable, et comment est l’eau du puits du
village.La compréhensiondu senslittéralfait entrer en jeu quatre grandes catégories
d’attitudes et de techniques.
C o m m e on l’a déjà souvent indiqué,pour bien
D e la curiosité d’esprit et de la rqexion.
lire il faut concentrer son esprit sur le sens du texte,ce qui aide à saisir la signification
des mots et à prévoir le déroulement de la pensée. Plus les mots employés,plus les
choses,les activités,les idées et les situations auxquelles se rapportent ces mots seront
familiers au lecteur, et plus nombreuses et vives seront les évocations suscitées dans
son esprit. Quand le lecteur rencontre un terme nouveau pour lui,il recourt aussitôt
à tous les moyens d’identificationdont on lui a appris l’usage.Quiconque n’adopte
pas en lisant une attitude réfléchie trouve, en général, difficile ou impossible de
suivre le sens du texte. L’aptitudeà reconnaître les mots et à saisir le sens du texte
dépend aussi en grande partie des connaissances,des attitudes,des préjugés du lec-
teur et de son état d’esprit du moment. D e graves erreurs sont souvent commises
par des élèves à qui on n’a pas appris à lire attentivement.
Les différentes significations évoquées par
Fusion des di$irentes signijicatiom en une idée.
les mots se fondent pour reconstituer les idées que l’auteur avait dans l’esprit en
écrivant. La figure 3 illustre le déroulement de ce processus.
Dans la phrase «L’eau du puits de notre village est bonne à boire» les deux pre-
miers mots n’ont qu’une signification très restreinte;puis la portée du texte se pré-
cise à mesure que le lecteur reconnaît les troisième,quatrième,cinquième,sixième et
septième mots. Cependant,il se borne à garder leur signification dans l’espritjus-
qu’à ce qu’il arrive à la fin de la phrase. Lorsqu’ildéchiffre le terme bonne ù boire, le
sens du passage se précise et s’amplifie dans des proportions considérables. Ainsi
l’idée qu’il acquiert en définitive résulte de la fusion des significations des différents
mots.
Il arrive fréquemmentque les premières représentationsne soient pas celles que
l’auteurdésirait évoquer.Ainsi, en lisant le vocable eau, il se peut que le lecteur ait
imaginé une rivière. Il lui faudra alors reviser sa première impression et, en fait,
modifier l’ensemble de son attitude d’esprit lorsqu’il en arrivera à la formule a du
puits de notre village>>.O n voit que la compréhension d’une phrase constitue un
processus mental au cours duquel diverses significations sont évoquées, acceptées
ou rejetées et ordonnées en fonction de la recherche du sens1.La plupart des élèves
tirent profit d’une formation qui les habitue à réfléchir en lisant, à se poser des ques-
tions sur le sens du texte.

1. THORNDIKE, Edward L.,((Reading as reasoning: a study of mistakes in paragraph reading)),


Journal of educational fisychology, vol. VIII,juin 1917,p. 323-332.
L’enseignement de la lecture et de I‘écriture

Lorsque le lecteur rencontre des mots nouveaux, il peut souvent en trouver la


signification d’après le contexte, d’après les éléments déjà connus de ces mots et
d’aprèsles explications ou les exemples fournis par le maître. Il doit arriver un jour
à prendre l‘habitude de se servir de dictionnaires. Le lecteur éprouve souvent de
réelles difficultés à comprendre les mots et les concepts qui sont nouveaux pour lui
ou qui se réfèrent à des objets ou à des activités dont il n’apas l’expérience.U n bon
professeur prévoit de telles difficultés et aide l’élève à les surmonter.

The water in Our village well is good to drink


Fig. 3. Fusion de la signification des mots («
L’eau du puits de notre village est bonne à boire)))
en un tout intelligible (d‘aprèsHueyl).

Liaison et organisation des idées. Mais le lecteur ne doit pas se borner à trouver Ies signi-
fications exactes des mots et à les grouper en un tout intelligible. Il doit aussi saisir
le sens des phrases et des paragraphes par rapport à l’ensembledu texte et évaluer
leur importance respective. Enfin,il doit se rendre compte de la façon dont l’auteur
organise sa pensée (introduction,transitions, conclusions,etc.).
Il convient d’apprendredès le début aux élèves à reconnaître la suite et l’arti-
culation des idées. La lecture d’un récit très simple, qui comporte un commence-
ment,quelques épisodes et une conclusion,fournira une excellente occasion d’habi-
tuer les enfants à ce genre d’exercice.En ce qui concerne les adultes, on obtiendra
un résultat aussi satisfaisant en leur faisant lire, par exemple, un texte court et bien
construit portant sur le danger qu’il peut y avoir à boire de l‘eau croupie et sur les
mesures à prendre pour se procurer de l’eau potable.

Rythme de lecture. Beaucoup d’élèves qui ont commencé à étudier de bonne heure
arrivent à comprendre le sens littéral des textes en lisant des yeux,plus vite qu’en
lisant tout haut. En effet,ils identifientles mots à première vue,souvent par groupes
de deux ou trois, et ils saisissent ainsi rapidement les idées exprimées. S’ilsont la
possibilité de lire beaucoup de textes élémentaires, ils en arrivent à atteindre une
cadence de lecture très rapide; ils reconnaissent un nombre relativement élevé
d’éléments à chaque mouvement des yeux et parcourent rapidement des lignes,
ne revenantque rarement en arrière.Il devient alors superflu de s’occuperd’accélérer
le rythme de lecture. Malheureusement, un grand nombre d’enfants et d’adultes
n’acquièrent l’habitude de lire couramment qu’à force de pratique et grâce à un
entraînement méthodique, soit parce qu’ils ont l’esprit lent, soit parce que la lec-

i. HUEY,
Edmund B., op. dit., p. 131.

90
Attitudes et techniques nécessaires à l’imtrutionfonctionnelle en matière de lecture

ture ne les intéresse pas, que leur vocabulaire est trop restreint, ou leur expérience
trop limitée. Il convient de les aider à surmonter ces difficultés.Ensuite,la meilleure
façon d’amener les élèves à lire vite consiste à leur mettre entre les mains de nom-
breux ouvrages faciles et attrayants.Dans bien des pays, malheureusement,les livres
ou les recueils de textes faciles qui s’adressentaux enfants sont rares,et il n’en existe
à peu près pas qui S’adressent aux adultes. Dans ce cas, les maîtres devront se con-
tenter d’encouragerleurs élèves à relire à plusieurs reprises les recueils disponibles,
en se proposant à chaque fois un objectif différent.

Le sens complémentaire.
Le lecteur doit pouvoir ajouter au sens littéral du texte ce qu’on peut appeler le
sens complémentaire,c’est-à-direl’ensemble des connaissances propres à enrichir
ou à éclairer le sens littéral.Ces connaissances sont tirées de son expérience directe,
ou de ce qu’il a lu ou entendu dire.
Supposons qu’un groupe d’adultes,dont quelques-uns ont assisté le veille à une
conférence du Dr Brown,lise,sur le tableau d’affichage,l’avissuivant:a Le Dr Brown
a constaté que l’eaudu puits du village contient des microbes.>> Tous ceux qui lisent
cet avis en comprennent le sens littéral ou essentiel, mais ils en saisissent plus ou
moins bien la portée, suivant l’étendue de leur expérience. Ceux qui ont écouté la
conférence évoquent immédiatement de nombreux faits qui élargissent sensible-
ment la signification de la phrase. Ils savent, par exemple, que les cas de maladie
sont de plus en plus fréquents dans la communauté, que ce fait pourrait être dû
notamment à l’impuretéde l’eau,que le DrBrown devait analyser cette eau pour
s’en assurer, et que s’il y a trouvé des microbes il ne faudra plus en boire. O n voit
que le sens complémentaire ajoute beaucoup à la compréhension d’un texte.
Malheureusement,on est loin d’accorderassez d’attentionà cette question dans
les écoles primaires comme dans les cours pour adultes. Si le texte concerne des
objets ou des activités dont les lecteurs ont l’expérience,des questions bien conçues
pourront les amener à faire d’utilesrapprochements.Si on lit en classe un livre sur
les enfants étrangers,le maître pourra, par exemple, demander:a En quoi les jeux
et les distractions de ces enfants diffèrent-ilsdes vôtres, et en quoi leur ressemblent-
ils ?>> Une question de ce genre suscite en général dans l’esprit des enfants de nom-
breux souvenirs,qui les aident à comprendre le texte.
Il faudrait faire faire aux élèves des observations pratiques,ou utiliser des auxi-
liaires audio-visuels,avant d’entreprendre la lecture d’un texte. Dans les cours
pour adulteson organise parfois une projection de film,suivie d’unediscussion,avant
de faire lire aux élèves un bulletin traitant de questions d‘hygiène ou d‘agriculture.
O n peut aussi présenter des tableaux muraux, organiser des démonstrations, ou des
observations sur le terrain. Il faut dans tous les cas poser aux élèves des questions
qui les incitent à établir des rapprochements entre les connaissances ainsi acquises
et leurs lectures. Chaque lecture faite en classe doit être suivie d’une discussion.

Le sens implicite.
Le lecteur doit enfin chercher à saisir les idées qui, sans être exprimées explicite-
ment dans le texte,sont implicitement suggérées par lui. Ainsi, lorsqu’ils lisent une
histoire, les enfants se représentent souvent un personnage sous des traits définis,
d’après ses paroles et ses actes. En lisant la description d’un pays, ils en imaginent
le climat, d’après la végétation, les cultures, la construction des maisons et les
vêtements des habitants.Les adultes choisissent le candidat le plus apte à une fonc-
tion, d’après ce qu’en dit leur journal. Ils peuvent aussi comprendre, à la lecture
L’meignement de la lecture et de l’écriture

d’un bulletin consacré aux questions médicales ou sanitaires, qu’il faut se pré-
occuper d’améliorer les conditions sanitaires dans la communauté.
Les attitudes et les techniques qui permettent au lecteur de saisir le sens implicite
ne se développent pas automatiquement. Une instruction méthodique est indispen-
sable. En préparant son cours,le maître devra rechercher les significations cachées
ou implicites que le texte choisi peut contenir. Une ou deux questions pourront
mettre les élèves sur la voie. A u cours de la discussion qui suit, ils indiqueront les
déductions qu’ils ont faites, en précisant les passages sur lesquels ils se sont fondés
pour les faire;et la classe devra décider si ces conclusionssontjustifiées.D e tels exer-
cices apprennent aux élèves la nécessité de rechercher le sens implicite; ils leur
donnent aussi l’habitude de tirer les conclusions judicieuses et prudentes.

&AGIR AUX IDÉES ACQUISES

Lorsque le lecteur a saisi le sens d’un passage,il doit y réfléchir.Il peut trouver le
texte amusant,ou être impressionné par la justessedes idées exprimées,ou comparer
ce qu’il a lu et ce qu’il connaît,et accepter ou rejeter le point de vue de l’auteur.
S’iltrouve que ce dernier fait preuve de partialité, il peut refuser de poursuivre sa
lecture. Ainsi, la lecture représente bien plus que l’acte de reconnaître les mots et
d’en saisir le sens littéral et implicite.
C o m m e les psychologues1 l’ont souvent souligné,ce qui importe ce ne sont pas
tant les idées elles-mêmes que les réactions qu’elles provoquent chez le lecteur.
Celui qui a coutume de lire de façon réfléchie sera moins enclin à adopter aveuglé-
ment les idées qu’il rencontre au cours de ses lectures,et plus disposé à en examiner
la justesse et la valeur avant de les suivre. Il faut recevoir une véritable formation
pour être capable de lire en faisant preuve d‘esprit critique et d’indépendancede
jugement. Les gens ont la plus grande confiance dans le texte imprimé. S’ilsn’ap-
prennent pas à réagir de façon réfléchie à ce qu’ilslisent, ils risquent de se laisser
influencer par n’importe quelle propagande.
Pour acquérir cet esprit critique, il faut d’abord s’interroger sur ses lectures.
Il appartient au maître de cultiver cette disposition chez ses élèves en leur indiquant
avant la lecture les questions que soulève le texte. Il faut aussi avoir une culture
suffisante pour tirer du texte des conclusions correctes. Dans certains cas, il faut
commencer par acquérir cette culture.Très souvent,les élèves réagissent en fonc-
tion de critères subjectifs, ou même de préjugés. La tâche du maître est de leur
faire reviser leurs premières réactions à la lumière d’expériencesou de faits nouveaux.
En résumé,le lecteur devra s’assurerqu’il a parfaitement compris les intentions
de l’auteur-ce qui l’obligerad’ordinaireà relire et à étudier le texte. Il devra en-
suite réagir aux idées ou aux conclusions proposées en examinant ses propres idées
et critères de jugementet en s’assurantqu’il a les connaissanceset l’expériencenéces-
saires pour se faire une opinion. Il devra enfin vérifier soigneusement la validité de
ses conclusions.U n bon programme d’enseignementde la lecture doit développer
l’esprit critique des élèves et leur faire acquérir les connaissances nécessaires à cet
effet. Outre l’aptitudeà comprendre un texte et à se comporter en conséquence,il y
a aussi l’aptitude à évaluer et à goûter un texte du point de vue esthétique.

1. PYLE,William H.,Psycholoo of the common branches, with abstracts of the source material, Baltimore
(Maryland), Warwick and York, 1930,p. 77.

92
Attitudes et techniques nécessaires à l’instructionfonctionnelle en matière de lecture

SAVOIR MODIFIER SES IDÉESET SON COMPORTEMENT EN FONCTION DE SES LECTURES

Toute lecture doit aboutir à une confrontation entre les idées du lecteur et celles
de l’auteur.Si cette confrontation est réussie, elle aura pour effet d’enrichir ou de
préciser les idées du lecteur, d’étendre la sphère de ses intérêts, de lui faire adopter
r des attitudes plus rationnelles. Par contrecoup,son comportement personnel se trou-
vera modifié et il sera en mesure de faire face plus intelligemment à ses difficultés.
O n peut employer diverses méthodes pour rendre la lecture profitable. Dans une
classe, l’institutricea fait lire à ses élèves une histoire décrivant l‘arrivéed’un a nou-
veau», qui est accueilli par ses camarades conformément aux conseils du maître.
L a discussion qui suivit permit de préciser: u) l’effet produit par cet accueil sur le
nouveau >> dans l’histoire; 6) la façon dont un nouvel élève avait été accueilli
dans la classe même; et c) les moyens permettant d’assurer à l’avenir un accueil
amical aux nouveaux arrivants. Aux adultes également il faut montrer que la lec-
ture permet d’obtenir différents résultats pratiques, par exemple d’améliorer les
procédés agricoles, de mieux élever ses enfants, etc.
Pour faire acquérir aux élèves les attitudes et les habitudes on peut leur poser
des questions telles que: ii D’après ce que vous venez de lire,.pensez-vousqu’il y
ait lieu de modifier les conclusions auxquelles nous avions abouti hier, ou nos projets
d’excursion ?>) De tels exercices développent et précisent les connaissances et favo-
risent les attitudes rationnelles.

F A C T E U R S I N D I V I D U E L S QUI I N F L U E N T S U R LE P R O G R È S D E S É L È V E S

L a plupart des recherches effectuées dans ce domaine portaient sur des enfants,
mais leurs conclusions peuvent aussi s’appliquer aux adultes. L’âge des élèves im-
porte beaucoup et il en est tenu compte dans l’examen de chacun des facteurs
considérés ci-après.

APTITUDES INTELLECTUELLES

Quel que soit l’âge des élèves, les aptitudes intellectuelles diffèrent beaucoup. Si
l’on compare les résultats des tests de lecture à ceux des tests d’intelligence, on
constate que les coefficients de corrélation varient en général entre 0,35 et 0,701 -
ce qui représente une corrélation plus élevée que dans le cas de n’importe quel
autre facteur.
Le fait qu’elle ne soit pas plus élevée encore indique cependant que d’autres fac-
teurs interviennent aussi.
Il importe donc de tenir compte des aptitudes intellectuelles des enfants aux-
quels on apprend à lire. M.Lourenço Filho2,ayant constaté que l’inégalité des apti-
tudes intellectuelles des élèves crée de graves difficultés dans les écoles brésiliennes,
a préparé des tests permettant de mesurer certaines aptitudes indispensables pour
l’apprentissage de la lecture. Sur la base de ces tests, les élèves de la plus petite classe
furent répartis en trois groupes (niveau supérieur, niveau moyen et niveau infé-
rieur), et l’enseignement fut adapté aux aptitudes de chaque groupe. A la fin de

1. MONROE, Walter S. (ed.), «Reading», op. n‘t.


2. LOURENÇO
FILHO,
M.B., Testes A. B.C.para ven&a@o da maturidade necessaria a aprendizagem da leitura
e escrita, 4eéd., Ediçoes Melhoramentos, SZo Paulo, 1952. Voir également: « L a maturation et
l’apprentissage de la lecture et de l’écriture)), L’annéepsychologique: cinquantième année, volume jubilaire
hommage Ù Henri Piéron, Paris, Presses universitaires de France, 1951,p. 403-411.

93
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

l’annéescolaire,80% des élèves -au lieu de 50% l’annéeprécédente -avaient ob-


tenu des notes suffisantes pour passer dans la classe supérieure. L’année suivante,
ce système ayant été abandonné,ce pourcentage retomba à 50%, mais il remonta
à 80% deux ans plus tard quand le système fut de nouveau appliqué.
Les enquêtes effectuées dans différents pays ont abouti aux conclusions sui-
vantes: u) L’aptitude à apprendre à lire est loin d’êtreuniforme chez tous les enfants
du même âge. b) Il convient donc de soumettre les enfants à un examen attentif, à
l’entréede l’école,et d’adapterl’enseignementà leurs besoins.Dans le cas des enfants
les moins doués, il est souvent préférable d’attendre,pour leur apprendre à lire,
qu’ilsen manifestent eux-mêmesl’envie.Il faut pour cela qu’ilsaient acquis davan-
tage de connaissances et qu’ils se soient bien adaptés aux activités scolaires. c) Il
faut examiner régulièrement les progrès des élèves et en tenir compte en fixant le
nombre et la nature des cours. Si l’enseignement est surtout conçu pour les élèves
moyens, les plus lents se découragent et finissent souvent par abandonner;les plus
intelligents,de leur côté,n’ayantpratiquement pas d’efforts à fournir,ne tirent pas
tout le parti souhaitable de leurs capacités -quand ils ne se désintéressent pas com-
plètement des travaux scolaires.
Tous les adultes,à l’exceptionde ceux qui sont d’intelligence très médiocre,ont
une maturité d’esprit suffisante pour apprendre à lire sans difficulté. Ceux dont les
capacités intellectuelles sont vraiment trop réduites devront être instruits princi-
palement par d’autres moyens que la lecture. Il faut toutefois ne négliger aucune
occasion de leur apprendre à lire dans la mesure indispensable à leur sécurité et
à leur bien-être.Les différences d’aptitudes intellectuelles posent souvent de graves
problèmes aux éducateurs.Certains adultes apprennent à lire dans un laps de temps
relativement court, d’autres ont besoin d’une instruction plus prolongée. L’adap-
tation de l’enseignementaux aptitudes des adultes représente une tâche urgente et
délicate.
Les adultes,en raison même de leur maturité d’esprit,sont plus logiques que
les enfants. Pour bien travailler, ils doivent travailler avec méthode. MM.Lou-
renço Filho et Frank Laubach ont tous deux souligné à plusieurs reprises que i’en-
seignement doit être adapté non seulement à leurs aptitudes intellectuelles supé-
rieures, mais aussi au fonctionnementplus logique de leur esprit.

CONNAISSANCES LINGUISTIQUES

Il faut savoir interpréter un texte comme on interprète un discours.La rapidité des


progrès dépend pour une part importante des connaissances linguistiques des élèves.
Hildrethl, résumant les conclusions de trente-septenquêtes, souligne le rôle des
connaissanceslinguistiquesdans l’apprentissagede la lecture:chez les enfants,l’apti-
tude à reconnaître et à prononcer les mots, à saisir le sens des phrases et la succes-
sion des idées, à lire à haute voix varie suivantle degré de connaissancede la langue.
Horn2 et ses collaborateursconstatent également que, lorsqu’unenfant ne com-
prend pas un texte qu’il lit, en général il ne le comprend pas davantage si on le
lui lit. L‘aptitude à lire intelligemment se développe à mesure que l’enfantapprend
la langue. Après avoir étudié un grand nombre de cas, les auteurs concluent que
souvent les élèves ont du mal à apprendre à lire parce qu’ils ne comprennent pas
assez bien la langue.
I. HILDRETH, Gertrude, (< Interrelationships among the language arts», Elementary school journal,
vol. XLVIII, no IO,juin 1948,p. 538-549.
2. H O R N , Ernest, Methods of instruction in the social studies, N e w York, Charles Scribners and Sons,
1937, P. 155 et 156.

94
Attitudes et techniques nécessaires à l‘imtruction.finctwnnelle en matière de lecture

En conséquence,on applique aujourd’hui trois principes: a) O n accorde une


grande importance à l’enseignement linguistique dès le début de la scolarité, de
façon à mettre rapidement les enfants à même de comprendre et d’utiliser leur
langue.b) Dans les premières leçons de lecture on n’utilise que les mots et les formes
syntaxiques que l’enfant connaît déjà. Dans ces conditions,les progrès sont beau-
coup plus rapides. c) Pendant les premières années d’études, on développe gra-
duellement les connaissances linguistiques des élèves de façon à pouvoir leur faire
lire des ouvrages où ils trouvent un vocabulaire et des expressions d’un niveau
supérieur à celui de la conversation.O n leur explique ces mots et ces expressions,
et on les encourage à en faire usage. Ainsi, ils apprennent en même temps à lire
et à utiliser leur langue.
Les adultes,à quelques rares exceptions près, s’exprimentavec plus de maturité
que les enfants,et ils n’ont pas besoin d’une longue préparation pour lire des textes
d’un niveau relativement élevé. Certains refusent même de lire des livres pour en-
fants. Cependant,le maître doit toujours se préoccuper de déceler les défauts de
langage et les insuffisances de vocabulaire; certains adultes sont incapables de s’ex-
primer clairement et correctement. Enfin, les bulletins traitant de questions spécia-
lisées, telles que l’hygiène ou l’agriculture,comportent à peu près inévitablement
des expressions et des mots nouveaux;il importe de les expliquer avec toute la clarté
souhaitable.

L’EXPÉRIENCE DU LECTEUR

Le troisième facteur qui influe sur les progrès de l’élève est son expérience. La
compréhension d’un texte dépend dans une large mesure des idées que ce texte
évoque dans l‘espritdu lecteur et qui lui sont suggérées par son expérience. Si ces
idées sont pertinentes et précises, le texte sera pleinement compris,ou presque; si
elles ne sont pas assez nombreuses,le sens demeurera obscur. L’aptitude à saisir le
sens complémentaire et le sens implicite, à porter un jugement sur les idées ex-
primées et à en tirer parti est directement conditionnée par l’expérience du
lecteur.
Dans de nombreuses écoles,on s’efforced’accroîtrel’expériencedes enfants avant
de leur apprendre à lire. Avant de faire lire un texte, on évoque ou on décrit tout
ce qui peut en faciliter la compréhension. A u cours de la lecture, le maître pose
des questions,organise des discussions,vérifie de différentes façons que le sens a bien
été compris. Il importe tout particulièrement de le faire lorsque le texte concerne
des objets, des activités ou des événements qui ne sont pas familiers aux élèves.

L’ÉTAT AFFECTIF DU LECTEUR

A u cours de ces dernières années il est apparu que les enfants et les adultes qui
souffrent de troubles affectifs ont de la difficulté à apprendreà lire. Le maître s’effor-
cera naturellement par tous les moyens d’établir avec ses élèves des relations cor-
diales et de créer dans sa classe une atmosphère gaie et détendue.Il cherchera aussi
à déceler les troubles affectifs graves et, en accord avec la famille, à les soigner ou
à en faire disparaître les causes.
Mais ces troubles affectifs peuvent provenir aussi du fait que l’enfant a des
difficultés à apprendre à lire, ou s’entend mal avec ses camarades. Il en arrive à
détester la lecture, à ne pas suivre la classe, parfois même à haïr et à fuir l’école
et à manifester des troubles de comportement. Pour éviter de tels désordres, les

93
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

maîtres doivent contrôler régulièrement les progrès des élèves et adapter leur en-
seignement aux besoins de chacun.
Dans le cas des adultes, le maître doit aussi établir des relations cordiales avec
chacun de ses élèves, créer une ambiance agréable,éviter toute observation humi-
liante. Beaucoup d’adultes hésitent à venir au cours parce qu’ils craignent d’avoir
du mal à apprendre à lire. Leur ignorance les rend susceptibles, et ils se vexent
facilementsi on leur adresse une critique ou si on les place dans une position embar-
rassante vis-à-visdes autres. Il importe donc d’organiser l’enseignement de façon
que chaque élève puisse faire des progrès et prendre plaisir à la leçon.

L’ÉTAT PHYSIQUE DU LECTEUR

Enfin,l’état de santé de l’élèveinflue considérablement sur ses progrès. La nervosité,


la fatigue,la souffrance,la maladie, la sous-alimentationou les excès alimentaires,
les troubles de l’auditionou de la vision sont autant de facteurs qui compromettent
l’apprentissage de la lecture. Aujourd’hui, on en tient compte de plus en plus: les
enfants sont soumis à des examens médicaux et reçoivent les traitements que néces-
site leur état.

CONCLUSION

La lecture devient une opération de plus en plus complexe,et son enseignement a


pris une extension considérable dans les pays où l’instruction est généralisée. Dans
les régions moins développées, il apparaît également nécessaire de concevoir cet
enseignement de façon plus large. L’expérience montre que les méthodes tradition-
nelles,qui consistaient surtout à enseigner à reconnaître les mots, sont insuffisantes.
Pour bien lire il faut exécuter quatre opérations au moins: reconnaître les mots,
comprendre leur signification,réagir au texte comme il convient,utiliser ou appli-
quer les idées acquises à des fins déterminées. Partout où l’analphabétismedemeure
répandu,il importe d’enseigner ces attitudes et ces techniques. Les résultats seront
néanmoins toujours largement influencés par les différences individuelles.
CHAPITRE V

MÉTHODES D’ENSEIGNEMENT
D E LA LECTURE

Les deux chapitres qui suiventsont consacrés à l’examendes diverses méthodes d’en-
seignement de la lecture, considérées du point de vue de leur efficacité. D e nom-
breuses méthodes ont été et sont encore utilisées pour l’enseignement de la lecture
aux enfants et aux adultes,Certaines se fondent sur des principes entièrement diffé-
rents. La plupart des anciennes méthodes qui sont encore en usage ont subi d’im-
portantes modifications, pour tenir compte de diverses critiques et pour répondre
à l’évolution des besoins, des théories pédagogiques et de la recherche.
O n étudiera donc de façon détaillée les différentes méthodes d’enseignementde
la lecture,en les replaçant dans leur cadre historique, en précisant les principes sur
lesquels elles se fondent et en s’efforçant de dégager leurs avantages et leurs incon-
vénients respectifs. Les conclusions du présent chapitre serviront de base à une éva-
luation objective de l’efficacité des différentes méthodes, évaluation qui fait l’objet
du chapitre VI.

M A T É R I E L ÉTUDIÉ

Nous avons étudié, en premier lieu, tous les ouvrages publiés sur la question; en
second lieu, environ cinq cents collections de matériel d’enseignementde la lecture
actuellement en usage. L’auteur a personnellement examiné en détail, avec l’aide
d’un interprète, plus d’une centaine de collections de matériel destiné aux enfants
et un nombre égal de collections destinées aux adultes. Une cinquantaine de collec-
tions des deux catégories ont été étudiées par des spécialistes de la lecture des pays
intéressés, c’est-à-direde la plupart des pays des différents continents.O n peut donc
considérer que la présente étude donne une idée assez exacte de la situation.
Pour déterminer la portée de l’enquête,et pour classer les méthodes étudiées,
on s’est inspiré de deux importantes considérations.
La première, c’est que, depuis qu’on enseigne la lecture, on s’occupe surtout
de développer chez les débutants, les attitudes et les mécanismes nécessaires. Jus-
qu’en 1925, les rapports publiés ne font à peu près pas mention des méthodes uti-
lisées à un stade plus avancé. Les méthodes pour débutants et les méthodes pour
élèves déjà avancés diffèrent si radicalement qu’il est difficile de les examiner en
même temps. Le présent chapitre ne traite que des méthodes pour débutants.
La seconde considération c’est que de nombreuses différences d‘ordre terminolo-
gique sont dues en partie au fait que l’on s’intéresse plus particulièrement à tel ou
tel aspect de l’enseignement de la lecture. Certains termes tels que << synthétiqueD
et << analytiqueB rendent compte des processus psychologiques qui interviennent
dans la lecture. Les termes << alphabétique », (< phonétique », << mot B et << phrase>)

97
L’enreignement de la lecture et de l’ém’ture

visent les éléments de la langue parlée ou écrite qui doivent servir de base pour
l’enseignement de la lecture. << Global>> et ( (idéo-visuelD concernent les mé-
canismes de réception des idées et d‘identification des mots. Enfin, << auditif)),
visuel N ou (< kinesthétique>> indiquent la voie sensorielle qu’il est préférable
d’utiliser pour apprendre aux élèves à identifier les mots.

C L A S S I F I C A T I O NDES M É T H O D E S

D e nombreux spécialistes classent la plupart des méthodes d’enseignement de la


lecture, sinon toutes, en deux grandes catégories, d‘après les processus psycholo-
giques en jeu:les << méthodes synthétiques>)l et les méthodes analytiques». O n dis-
tingue souvent une troisième catégorie:les (< méthodes analytiques-synthétiques»,
qui consistent en une combinaison des deux premières.
Cette classification est utilisée dans le rapport intitulé L‘enseignement de la lec-
ture2. Ce rapport, qui résume les réponses faites par quarante-cinq pays à un ques-
tionnaire, a été vivement critiqué à la XIIe Conférence internationale de l’instruc-
tion publique, convoquée par l’Unesco et par le Bureau international d‘éducation.
O n a notamment contesté la catégorie dans laquelle ont été classées certaines mé-
thodes particulières.
Ce désaccord s’explique facilement. Certains membres de la conférence inter-
prétaient les termes << analytique >> et (< synthétique))selon leurs théories person-
nelles. D’après les auteurs du rapport,le terme << synthétique>> s’appliqueaux opé-
rations mentales nécessaires pour combiner les éléments simples dii langage (les
sons des lettres et des syllabes) en unités plus importantes (mots,propositions et
phrases); et le terme << analytiqueD désigne les opérations mentales requises pour
décomposer ces unités importantes en leurs éléments constitutifs. Si l’on adopte ces
définitions, il peut y avoir avantage à adopter la classification proposée dans le
rapport.
Nous n’avons pas cru devoir le faire ici. Mais nous utilisons couramment les
expressions méthodes synthétiques>> et méthodes analytiques>) pour établir des
distinctions importantes. Nous avons classé les méthodes en deux grands groupes,
en nous plaçant à un point de vue historique: méthodes relativement anciennes et,
à l’origine,très spécialisées;et méthodes modernes, plus ou moins éclectiques.Cette
classification présente un double avantage; elle est relativement simple et ne prête
guère à controverse;elle s’applique à toutes les méthodes utilisées pour apprendre
à lire des caractères alphabétiques,syllabiques ou idéographiques.

Anciennes méthodes spécialisées d’enseignement de la lecture


Les anciennes méthodes d’enseignementde la lecture3 peuvent se classer en deux
catégories: dans les unes, on enseigne d’abord les éléments des mots et leur valeur

1. SIMON, Th., Pédagogie expérimentale, Armand Colin, Paris, 1924,p. 101-102.


DOTTRENS, Robert, et M~RGAIRAZ, Ernilie, L’apprentissage de la lecture par la méthode globale, Paris,
Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, S.A., 1947, p. IO. (Actualités pédagogiques et psychologiques.)
LAMPORT, Harold Boyne, A history of the teaching of beginning reading, Ph. D . Dissertation,Depart-
ment of Education, University of Chicago, 1935.
ZARRILLI,Humberto, et ABADIESORIANO, Roberto, Metodologia de la lectura; su evolucihdesde el deletreo
hasta la globaliracih, Montevideo, 1946, p. 10-13.
2. XIIeCONPÉRENCEINTERNATIONALE DE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE, Genève, I 949, L’enseignementde la
lecture, Paris, Unesco, et Genève, Bureau international d’éducation, I 949.
3. 11 a été fait de larges emprunts à la thèse de Harold Boyne Larnport, A history of the teaching of
beginning reading, Department of Education, University of Chicago, 1935, thèse rédigée sous la
direction de l’auteur de la présente étude.
Méthodes d’enseignement de la lecture

phonétique,pour aboutir à l’identificationdes mots; dans les autres, on considère


d’embléeles mots ou les unités linguistiquesplus importantes,en insistant sur le sens.

MÉTHODES DANS LESQUELLES ON ENSEIGNE D’ABORD LES ÉLÉMENTS DES MOTS


ET LEUR VALEUR PHONÉTIQUE

Ce sont les plus anciennes.Le principe en est que,pour savoir lire, il faut connaître
d’abord les éléments des mots, c’est-à-direles lettres ou les syllabes. Ces éléments
une fois connus, on les combine pour former des unités linguistiques de plus en
plus importantes: syllabes,mots, membres de phrases et phrases complètes. L’élève
apprend à identifier les mots nouveaux et à lire des textes grâce à des exercices
gradués.
A l’appuide ces méthodes,on fait valoir que les élèves qui ont appris à recon-
naître les éléments des mots et à combiner ces éléments savent déchiffrer correcte-
ment tout seuls les mots nouveaux et sont déjà familiers avec la forme et la structure
de la langue -ce qui permet ultérieurementde gagner du temps.Mais ces méthodes
ont aussi fait l’objet de nombreuses critiques.Tout d’abord,il n’est pas naturel,du
point de vue de l’enfant,de décomposerles mots en leurs éléments pour les apprendre.
L’enseignement de la lecture devient ainsi une technique hautement spécialisée,
un processus essentiellement logique,sans aucun lien direct avec les intérêts de l’en-
fant,les autres activités scolaires ou, en particulier,avec les divers autres aspects du
langage. Le contenu et les méthodes de l’enseignement sont imposés par le maître.
Ensuite,on attache trop d’importanceaux éléments des mots et à leur identification,
et l’onnégliged’autresaspects essentielsde lalecture,si bien que les élèvesn’acquièrent
pas le goût de lire par plaisir ou par curiosité. Ils s’habituentbeaucoup plus diffi-
cilement à lire vite, couramment et intelligemment.
Parmi les méthodes de cette catégorie, on distingue: les a méthodes alphabé-
tiques)), où l’on apprend à reconnaître et à prononcer les mots d’après les noms
des lettres; les (< méthodes phonétiques », qui utilisent les phonèmes représentés par
des lettres ou des groupes de lettres; et c les méthodes syllabiques», où l’élément
phonétique de base est la syllabe.

La méthode alphabétique.
La méthode alphabétique a été presque universellement employée depuis l’anti-
quité gréco-romainejusqu’à la fin du moyen âge. Elle a persisté jusqu’en plein
x x esiècle -parfois plus longtemps encore -dans de nombreux pays.
Le principe en est que, pour savoir reconnaître et prononcer les mots, il faut
d’abord connaître les lettres. Par exemple, pour apprendre le mot français pur,
- -
l’élève répète les lettres p u r jusqu’à ce qu’il devine la prononciation du mot ou
qu’elle lui soit indiquée. Cette méthode est souvent appelée a méthode d’épella-
tion». Avec le temps, cette méthode était devenue systématique et, par la présen-
tation, essentiellement logique. Le meilleur exemple en est fourni par le Speller de
Noah Webster, manuel d’enseignement de la lecture dont quatre-vingt millions
d‘exemplaires se sont vendus en Amérique au cours des cent années postérieures à
I 7%~~. L’élève apprenait d’abord le nom des lettres,majuscules et minuscules, dans
l’ordre alphabétique. Il apprenait ensuite à épeler et à prononcer des combinaisons
de deux lettres (ab, ib, ob, etc.), puis de trois,quatre et cinq lettres. Parmi ces com-

I. JUDD,Charles Hubbard, Reuding: ics nature and development, Chicago (Illinois), T h e University of
Chicago Press, 1918,p. I.

99
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

binaisons, les unes n’avaient aucun sens, les autres formaient des syllabes ou des
mots. Les syllabes et les mots étaient ensuite groupés pour former des propositions
ou de courtes phrases. Chaque phase de l’instruction donnait lieu à des exercices
répétés.C’est seulement après de nombreux exercices que l’élèvecommençait à lire
vraiment. M ê m e alors, on l’entraînait à reconnaître les mots, plutôt qu’à com-
prendre le texte.
La principale objection que l’onfait à la méthode alphabétique est que les noms
des lettres n’indiquent pas nécessairement la prononciation des mots. Menzell fait
observer que cette méthode n’est utile qu’incidemment,et exige des efforts dispro-
portionnés par rapport aux résultats obtenus. Anderson et Dearbornz estiment
qu’aumieux les élèves devinent les mots d’après le son des lettres,ou attendent que
le maître les prononce. Presque tous les critiques estiment que, dans cette méthode,
les premières leçons de lecture ne présentent aucun intérêt pour l’enfant et que: 1
répétition d’exercicesfastidieuxet sans utilité pratique est bien faite pour lui inspirer
un dégoût durable à l’égard de la lecture. En outre, à force de répéter des lettres
dont il ne connaît pas la valeur en tant qu’éléments des mots, l’élèvefinit par ne
plus savoir les utiliser correctement.
Que nombre de ces critiques soient justes, on le savait déjà il y a près de deux
mille ans, O n s’est donc efforcé d’éveiller l’intérêtde l’enfant et de stimuler son
ardeur au travail.Huey3rapporte que Quintilien, en l’an 68 de notre ère,conseillait
de faire jouer les enfants avec des cubes et des tablettes portant les lettres de l’al-
phabet, et de leur faire retracer avec le style des caractères gravés sur des tablettes
d’ivoire. Basedow (1723-1796), qui voulait que l’enfant apprît à lire en jouant,
eut l’idée de confectionner des lettres en pain d’épice,que l’enfantpouvait croquer
lorsqu’il les avait apprises. O n imagina d’accompagner chaque lettre d’un dessin
illustrant un mot dont elle est l’initiale,par exemple un âne pour la lettre a, etc.
O n groupait les lettres pour former des syllabes, des mots, des phrases.
Malgré tout, la connaissance des formes et des noms des lettres n’aidaitguère
les élèves à déchiffrer les mots nouveaux,et la méthode alphabétique a été supplantée
peu à peu par des méthodes plus efficaces. Elle n’est plus guère utilisée à l’heure
actuelle.

La méthode phonétique.
La méthode phonétique répond à la constatation que, pour prononcer un mot, ce
n’est pas le nom mais le son des lettres qu’ilfaut connaître.Les sons,une fois connus,
l’élève peut former avec eux des syllabes, des mots, des phrases. Cette méthode
donne les résultats les plus satisfaisants dans les langues où chaque lettre correspond
à un son bien défini. Dans les langues qui ne sont pas purement phonétiques, il faut
modifier certaines lettres ou employer des signes diacritiques pour en indiquer
le son.
A u début, la méthode phonétique était essentiellement logique. O n enseignait
d’abord la forme et le son des lettres, en commençant généralement par les voyelles.
Par exemple, le maître traçait la lettre a au tableau noir, ou la montrait à l’élève
sur un tableau mural ou dans un manuel. En même temps, il la prononçait, sou-
vent en attirant l’attentiondes élèves sur les mouvements des lèvres. Puis,il faisait

I. MENZEL, Emil W.,Suggestions for the teaching of reading in India, Madras, Oxford University Press,
Indian Branch, 1944,p. 49. (Teaching in India series, no X.)
2. ANDERSON, Irving H.,et DEARBORN, Walter, Thepsychologyof teaching reading,N e w York,T h e Ronald
Press, 1952, p. 205.
3. HUEY, E d m u n d Burke, Thepsychology andpedagogy of reading, N e w York, The Macmillan Co.,1912,
p. 241.

1 O0
Méthodes d’enseignement de la lecture

répéter ce son plusieurs fois par les élèves, de façon à créer une association entre le
son de chaque voyelle et sa représentation.
Aux voyelles succédaient les consonnes,dans un ordre prescrit,chaque consonne
étant combinée à son tour avec chaque voyelle (voir fig.4,p. I 16).O n exerçait les
élèves à reconnaître et à prononcer correctement des combinaisons telles que la,
le, Zi, Zo, lu, puis des syllabes de trois,quatre lettres,puis des mots entiers, des pro-
positions et des phrases. Souvent,ils étudiaientplusieurs livres d’exercices avant de
commencer à lire vraiment. Cette méthode est encore appliquée dans de nom-
breux pays.
L’un des principaux avantages de la méthode phonétique est qu’elle apprend
à reconnaître les mots au moyen des phonèmes. La plupart des spécialistes recon-
naissent la valeur de ce procédé. Huey, par exemple, considère que la méthode
phonétique développe chez l’élèvel’aptitude à prononcer n’importe quel phonème
et, en combinant les phonèmes, n’importequel mot1.Selon Anderson et Dearborn,
lorsqu’on sait prononcer et combiner correctement les lettres d’un mot, on sait par
le fait m ê m e prononcer ce mot2.Cette méthode a en outre,affirme-t-on,l’avantage
d’être logique, économique, bien graduée, d’application facile. Enfin, elle tient
compte de tous les éléments phonétiques du langage.
Elle n’en a pas moins de nombreux inconvénients. D’abord,les consonnes ne
peuvent être prononcées correctement qu’en combinaison avec des voyelles. En les
prononçant séparément,les élèves y ajoutent souvent d’autres sons, ce qui risque
de créer des confusions lorsqu’ilsen viennent à prononcer des mots entiers. En outre,
la méthode phonétique n’est pas applicable à toutes les langues.Selon Menze13,elle
est immédiatementutilisable dans les langues de l’Inde,qui sont hautement phoné-
tiques, mais dans les langues qui ne le sont que partiellement,il faut, pour recon-
naître les mots, considérer non seulement le son, mais aussi le sens, la forme, la
structure - et consulter le dictionnaire4.
D’autre part, cette méthode insiste trop sur la reconnaissance des mots, aux
dépens de la compréhension du texte. C o m m e l’a dit Dumville, il y a bien des
années, ( (aux premiers stades de la méthode phonétique, où il faut déchiffrer prati-
quement tous les mots, l’attention de l’enfant est tellement absorbée par ce travail
qu’il n’a guère,ou même pas du tout, la possibilité de comprendre ce qu’il lit5».
Schonell estime également que la méthode phonétique est en opposition avec
l’idéede la compréhension des mots, des membres de phrases et des phrases entières
en tant qu’éléments sémantiquesdu langage>p6. Les élèves formés par cetteméthode
ont tendance à lire machinalement, sans faire attention au sens. Une autre objec-
tion est que la répétition d’éléments dénués de sens détourne l’élève de la lecture.
Pour répondre à ces critiques,on s’est efforcé de donner plus d’intérêt à l’étude
des sons et des lettres. Nous exposons brièvement quatre procédés utilisés à cette
fin. (Voir les illustrations dans l’annexe au présent chapitre’.)
I. Dans le manuel, les lettres sont accompagnées d’images représentant des ani-
maux, ou des personnes dans des situations familières. Le son émis dans une
telle situation correspond à celui de la lettre (voir fig. 5, p. I I 7). En règle
générale, on réussit ainsi à intéresser l’élève et à attirer son attention sur le son
I. HUEY, E.B., op. cit., p. 266.
2. ANDERSONet DEARBORN,op. cit., p. 208.
3. MENZEL, op. cit., p. 48.
4. GRAY, William S.,On their own in reading, Chicago,Scott,Foresrnan and Company, 1948,268pages.
5. DUMVILLE, Benjamin, «The methods of teaching reading in the early stages», School world,vol. XIV,
novembre 1912,p. 410.
6. SCHONELL, Fred J., The psychology and teaching of readins, Londres, Oliver and Boyd, 1946,p. 47.
7. Plusieurs exemples figurent également dans: D.K.NEIJS, The comtruction of literacy primrsfor adults,
Nouméa (Nouvelle-Calédonie),Commission du Pacifique-Sud, 1954, 72 pages.

IO1
L‘enseignemènt de la lecture et de l’écriture

à apprendre. Mais ce son n’est pas toujours identique à celui de la lettre, telle
qu’on la prononce normalement.
2. Chaque lettre est accompagnée d’une image représentant un mot dont elle
évoque le son initial. Cette technique dite des a mots clés D est utilisée depuis
des centaines d’années.L’attention de l’élèveest attirée sur le son initial d’un
mot; puis ce son est associé à l’imagede la lettre imprimée dans le manuel (voir
planche VII). Cette technique a l’avantage d’intéresser l’élève et d’attirer son
attention sur le son de la lettre, telle qu’elle est prononcée dans le corps d’un
mot. Ce son n’estdonc pas déformé,comme il arrive souvent lorsqu’onprononce
des lettres isolées. O n a fait observer, cependant, que les illustrations repré-
sentent souvent des objets mal connus de l’élève.
3. Dans la méthode des mots clés », la lettre est parfois dessinée de façon à faire
corps avec l’imagede l’objetque désigne le mot clé (voirfig.6,p. I 18).Cette tech-
nique est largement utilisée par Frank Laubach.Elle constitue un des nombreux
moyens mnémotechniques que l’on utilise pour enseigner les lettres et les sons.
Elle est parfois critiquée comme inefficace parce que la forme de la lettre et
celle de l’objetn’ont qu’une ressemblance lointaine.
4. La lettre à apprendre est présentée visuellement et auditivement telle qu’elle
figure dans différents mots. Elle est souvent accompagnée de plusieurs images
représentant des mots dont elle évoque le son initial. L’élève se familiarise ainsi
avec le son de la lettre dans différents mots. Il apprend aussi à le reconnaître
visuellement dans différentespositions (voir planche VIII). L’attentionse trouve
ainsi attirée sur les associations de formes et de sons.O n peut imprimer la lettre
en couleur,pour mieux la faire ressortir. Mais, à moins d’insister spécialement
sur l’un des mots représentés,on perd le principal avantage de la méthode des
mots clés; et en présentant trop de combinaisonsvisuelles et auditives,on risque
de disperser l’attention de l’élève.
O n a également produit des manuels et des livres de lecture plus pittoresques,
plus attrayants,mieux adaptés aux goûts des enfants. L’ordre dans lequel sont en-
seignés les phonèmes a été modifié, à la suite d’études approfondies sur leur fré-
quence relative,sur les différences de forme qui facilitent ou empêchent l’identifi-
cation,sur les analogiesde sens,etc.En raison de tous ces changements,les méthodes
phonétiques perfectionnées actuellement en usage sont souvent appelées (< psycho-
phonétiques », pour les distinguer des méthodes phonétiques purement mécaniques
qui étaient employées autrefois.Divers procédés sont utilisés pour attirer l’attention
aussitôt que possible sur le sens du texte.Dès que l’élèveconnaît un nombre suffisant
d’éléments phonétiques, on lui présente des mots et des phrases. Certains manuels
phonétiques modernes ne comprennent plus, dès la deuxième ou la troisième page,
que des membres de phrases et des phrases entières. La compréhension du texte
a presque autant d’importance que le déchiffrage des mots.
Dans certaines langues,il suffit de connaître un nombre relativement restreint
de lettres pour pouvoir lire des phrases intéressantes.Stoleel a constaté qu’en mal-
gache, par exemple, les lettres a, e, c, i, y et m constituent 65% des textes, et qu’il
est parfaitement possible d’écrire des phrases intéressantes et cohérentes unique-
ment avec ces lettres. Dès qu’il connaît six lettres, l’élève est donc capable de lire
un texte qui a un sens et qu’il peut apprécier. Avec trois lettres supplémentaires:
t, h et Y, on peut reconstituer 80% des textes malgaches et utiliser encore un bien
plus grand nombre de mots dans les exercices de lecture. O n se sert d’images pour

I. STOLEE,Peter B., ((Constructing a primer in a phonetically written langage», annexe tirée au


duplicateur de son ouvrage Fanalahidim-bakiteny,Fort Dauphin (Madagascar), L a Mission luthé-
rienne, 1949.

IO2
Méthodes d‘enseignement de la lecture

faciliter l’assimilation des mots nouveaux, présentés dans diverses combinaisons.


En règle générale, on s’attache beaucoup plus qu’autrefois à faire comprendre le
sens du texte.
La méthode phonétique, purement mécanique à l‘origine,a donc subi de nom-
breuses modifications qui l’ont rendue plus attrayante,plus vivante et plus efficace.
Elle a pris un caractère de plus en plus analytico-synthétique,et l’on s’est attaché
à améliorer la compréhension du texte.Les diverses méthodes phonétiques actuelle-
ment en usage présentent toutefois des différences qui font que chacune doit être
évaluée séparément.

La méthode syllabique.
La méthode syllabique1 diffère des autres méthodes synthétiquesen ce que l’élément
de base de l’enseignementen est la syllabe.Les syllabes,à mesure qu’on les présente
aux élèves, sont combinées pour former des mots et des phrases. O n emploie les
syllabes de préférence aux lettres, parce que beaucoup de consonnes ne peuvent se
prononcer correctementqu’en combinaisondes voyelles,ce que reconnaissentpresque
tous les phonéticiens. Cette méthode convient spécialement à l’espagnol,au portu-
gais, à certaines langues vernaculaires d’Afrique,et en général aux langues qui ont
une structure syllabique très simple. Ses principes de base conviennent également
à l’enseignementdu japonais.Depuis quelques années,elle est de plus en plus utilisée
même pour des langues moins nettement syllabiques.
Lorsque cette méthode est appliquée aux langues alphabétiques,on n’enseigne
le plus souvent les syllabes qu’après avoir appris à l’élève à reconnaître certaines
voyelles,ou toutes les voyelles,qui sontd’abord présentées et prononcées dans le corps
de mots ou de syllabes, puis isolément (voir fig. 7,p. I 19).Certains manuels font
encore une large part aux exercices d’identification et de prononciation. Les ma-
nuels plus perfectionnés se servent d’images pour provoquer chez les élèves des asso-
ciations d’idéeset contiennent des exercices intéressants.Dans certaines langues,on
enseigne d’abord des syllabes qui constituent des mots, et on peut dès le début faire
lire aux élèves des textes d’un réel intérêt.Dès la deuxième leçon,les exercices com-
prennent des phrases forméesde mots et de syllabesdéjà connus (voirfig.8,p.I20). En
d’autres cas, on continue plus longtemps à enseigner des syllabes et des mots isolés
avant de former des phrases.
Les arguments invoqués contre la méthode syllabique ou en sa faveur ont été
résumés par GeorgeW.Cowan,du Summer Instituteof Linguistics,Mexican Branch,
en réponse à un questionnaire envoyé par l’Unesco.
Voici d’abord les arcuments en faveur de cette méthode:
v

1. Elle présente les éléments dans un ordre logique.


2. Elle fournit une technique pour aborder les mots nouveaux.
3. Elle est facile à enseigner;les élèves déjà avancés peuvent apprendre à lire aux
autres.
4- Une connaissance rudimentaire de la langue suffit pour préparer les leçons.
5. L’ensemble du cours d’instruction élémentaire peut être inclus dans des textes
relativement peu nombreux.
6. Les maîtres qui n’ont jamais employé d’autres méthodes coopèrent volontiers à
un enseignement qui l’utilise.Mais ils sont souvent réfractaires et hostiles à
toute innovation.
7- Dansles régions où sont utiliséesdes méthodes syllabiques,les éducateursaffirment

1. GUDÇCHINSKY,
Sarah, Hundbook of literucy, éd. rev., Norman (Oklahoma), Summer Institute of
Semantics, University of Oklahoma, 1953,85 pages. Tiré en offset.

103
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

qu’elles conviennent admirablement bien à l’esprit logique des adultes. Dès


qu’un adulte a compris comment il faut procéder pour apprendre des syllabes,
il est capable de le faire à peu près sans aide, grâce à des exercices soigneuse-
ment préparés.
Les principaux arguments invoqués contre l’emploi de la méthode syllabique sont
les suivants:
I . Elle impose à l’élèveun effort de mémoire excessif,au début,si on ne lui apprend
pas à reconnaîtreles syllabes dans des mots et dans des phrases, en même temps
qu’il les assimile.
2. Si l’on emploie au début trop de tableaux de lecture purement syllabiques,il est
à craindre que l’élève ne cesse de s’intéresser à la lecture avant qu’on lui pré-
sente des phrases et des récits.
3. Si les premiers textes de lecture sont trop difficiles ou si leur difficulté grandit
trop rapidement,l’élève risque de s’habituerà lire de façon mécanique», sans
comprendre tous les mots qu’il peut prononcer.
4. La méthode ne convient pas à une langue ayant une structure syllabique com-
plexe ou possédant peu de mots d’une ou de deux syllabes susceptibles d‘être
illustrés par des images.
Ces critiques ne mettent pas en cause le principe même de la méthode syllabique,
mais certaines de ses caractéristiques, notamment l’importance qu’on accorde à
l’identification des mots, aux dépens de la compréhension réfléchie du texte. En
outre,la méthode syllabiqueprête aux mêmes critiques que la méthode phonétique,
du fait qu’on y décompose les mots en leurs éléments.
Dans la méthode (< psychophonétique>>l- qui constitue une adaptation de la
méthode syllabique-on enseigne les sons des lettres et des syllabes en faisant com-
parer des mots. Selon Wallis et Gates2,l’habitude d’identifier les mots s’acquiert
beaucoup plus facilement lorsque les syllabes sont groupées par analogie: il faut
<< enseigner les nouveaux éléments en partant de ceux que l’élève connaît déjà ».O n présente les
nouvellessyllabesgraduellement et méthodiquement,car toute nouvelle combinaison
de phonème est aussi difficile à apprendre pour un débutant qu’un nouveau symbole.
En les présentant simultanément -soit isolément,soit dans des mots -mais sans
ordre ni méthode, on risque de troubler les facteurs psychologiques qui jouent un
rôle puissant et durable dans la mémorisation.L’ordre de présentation des mots est
déterminé par la fréquence d’emploide leurs éléments. Cette méthode,oii l’élément
de base est le mot, est intermédiaire entre celles qui insistent sur les éléments des
mots et celles qui insistent d’emblée sur les valeurs sémantiques. Nous l’avons dé-
crite ici parce que, pour identifier les mots, on les décompose en syllabes.

MÉTHODES FONDÉES DÈS LE DÉBUT SUR LA COMPRÉHENSION

Le deuxième groupe de méthodes très spécialisées d’enseignementde la lecture se


caractérise par le fait que, dès le début, on présente à l’élève des unités ayant un
sens complet (mots,membres de phrase et phrases entières). Lorsque l’élèvea reconnu
que chaque unité forme un tout, ce tout est décomposé en ses éléments (cette ana-
lyse peut être plus ou moins poussée). C‘est sur la signification de ces unités que
l’enseignement met l’accent.Lorsque l’élèvea reconnu que chaque unité forme un
tout, son attention est dirigée sur les éléments qui la composent afin que, plus ou

I . TOWNSEND,
Elaine.,M.«Accelerating literacy by piece-mealdigestion of the alphabet »,Languuge
Iearning, vol. 1, juillet 1948, p. 9-19.
2. WALLIS,
Ethel E.,et GATES,
Janet B., Outline for primer construction,Glendale (Californie),Summer
Institute of Linguistics, 1948,p. 5.
Méthodes d’enseignement de la lecture

moins rapidement,il les identifie. C e processus, qui peut être plus ou moins poussé,
est à l’origine de l’expression méthodes analytiques». Il convient d’ajouter que,
dès que les éléments des mots sont connus,ils sont utilisés pour déchiffrer des mots
nouveaux;ainsi ces méthodes font intervenir à la fois l’analyse et la synthèse.
Deux groupes d’arguments au moins sont cités en faveur de ce mode d’enseigne-
ment. La lecture a pour objet l’acquisition d’idées;il faut donc employer dès le
début des textes ayant un sens, et s’attacher à développer chez l’élève l’aptitude
à lire de façon réfléchie. Apprendre à lire devient alors une activité intéressante,
pouvant procurer du plaisir, et portant en soi sa récompense, ce qui accélère con-
sidérablement les progrès.En outre,des psychologues1ont démontré que les enfants
reconnaissent d’abord les choses et les idées comme des touts, de façon plus ou
moins vague, et qu’ils n’en distinguent les détails que progressivement. La méthode
est donc conforme au processus naturel de la perception.
La principale objection que l’on peut faire à ce mode d’enseignement, c’est
qu’en s’attachantà développer chez l’élève l’attituded’esprit et les habitudes néces-
saires à la compréhension des textes,on néglige souvent de lui apprendre à recon-
naître les mots. C’est là le défaut de certains éducateurs qui retardent leurs élèves
en négligeant de les exercer assez tôt à l’analyse des mots2.D’autres se dispensent
pratiquement de tout exercice de ce genre, considérant que les élèves doivent
acquérir naturellement,sans aucun guide,les connaissances et les mécanismes néces-
saires. Enfin, les maîtres éprouvent de la difficulté à appliquer les méthodes analy-
tiques s’ils n’y ont pas été préparés. Mais des difficultés identiques sont rencontrées
par les maîtres qui, ayant l’habitude des méthodes analytiques,doivent enseigner
à l’aide des méthodes synthétiques.
Avec la vogue des méthodes analytiques,on s’est demandé si l’élémentde base
de l’enseignement doit être le mot, le membre de phrase, la phrase entière ou le
récit. Chacune de ces unités linguistiques a ses partisans. Nous examinons ci-après
les avantages et les inconvénients de diverses méthodes particulières. Celles-cisont
applicables dans presque toutes les langues,y compris celles qui utilisent des idéo-
grammes, comme le chinois, ou une combinaison de caractères idéographiques et
de caractères syllabiques,comme le japonais.

La méthode des mots.


Dans cette méthode, les mots sont généralement présentés dans un ensemble qui
forme un sens et ils sont surtout enseignés,au cours des premières leçons,selon le
principe a look and Say» (dites ce que vous voyez). O n admet que chaque mot
a une forme caractéristique que l’élève doit pouvoir retenir. Différents moyens sont
utilisés pour faciliter la mémorisation. Dans certains pays, l’élkve répète à haute
voix, tout en les regardant, des phrases ou des vers contenant les mots nouveaux,
jusqu’à ce qu’il sache reconnaître ceux-ci à première vue. Pour stimuler les asso-
ciations d‘idées, les mots nouveaux dans les manuels sont souvent accompagnés
d’images. Pour aider les élèves qui apprennent difficilement, on leur fait tracer
les mots, selon ce qu’on appeile la a méthode kinesthésique3».Chaque mot nou-
I. DECROLY,O.,«Le rôle du phénomène de globalisation dans l’enseignement)),Bulletin annuel de la
Société royale des sciences médicales et naturelles, Bruxelles, 1927, p. 65-79.
DOTTRENS, R., et MARGAIRAZ,E.,op. cit., p. 9-41.
SEEGERS,J. E.,Psychologie de l’enfant nomal et anomal d’après le DI O.Decroly, Bruxelles, C. Stüops,
1948, p. 261.
Z. SEEGERS,J. E.,op. cit.
3. FERNALD, Grace M.,et KELLER,Helen, «The effect of kinaesthetic factors in the development of
word recognition in the case of non-readers)),Journal cf educational research, vol. IV,décembre 192I,
P. 355-377.
, L ’ e m e i p e m e n t de la lecture et d e l‘écriture

veau est répété plusieurs fois,dans des membres de phrases ou des phrases entières.
Si les mots sont présentés dans un ordre méthodique, l’élève peut de bonne heure
faire des lectures intelligentes. En même temps, on attire l’attention des élèves sur
les détails des mots: syllabes1,lettres,sons. Ces éléments sont ensuite utilisés pour
apprendre aux élèves à déchiffrer correctement, sans aide, des mots nouveaux.
L a méthode dite a des mots fondamentaux2B constitue une adaptation de la méthode
des mots, dans laquelle les premiers exercices de lecture contiennent un certain
nombre de mots comprenanttous les sons essentiels de la langue. Ce système permet
à l’élève d’assimiler de bonne heure tous les éléments phonétiques. Pour assurer la
compréhension du texte et le déchiffrage des mots nouveaux, on utilise aussi bien
la synthèse que l’analyse. Lorsque la méthode des mots ne comporte pas l’analyse
des mots en leurs éléments,elle ne peut plus figurer parmi les méthodes analytiques.
La méthode des mots a été adoptée par réaction contre les méthodes mécaniques
en usage autrefois. O n attribue souvent sa création à Coménius. Dans 1’0rbispictus,
publié en 1657,ce grammairien recommande la méthode des mots, en affirmant
que l’élève peut apprendre rapidement des mots accompagnés d’images qui en
expliquent le sens,sans avoir à se livrer au (< fastidieux travail d’épellation,qui est
une torture pour l’esprit». A l’époque actuelle,la méthode des mots a été défendue
par un grand nombre de spécialistes éminents tels que Jacobet, Horace Mann et
Decroly. Les arguments qu’ils invoquent sont les suivants: les mots sont les unités
fondamentales pour la pensée et pour la mémoire;on attire dès le début l’attention
de l’élève sur le sens du texte; l’élève s’habitueainsi à réfléchir à ce qu’il lit, donc
à lire par plaisir et par curiosité;normalement,la plupart des enfants et des adultes
apprennent à reconnaître les objets globalement, avant d’en distinguer les éléments,
et c’est ainsi qu’on leur apprend à reconnaître les mots.
A u début, les manuels et les livres de lecture utilisant la méthode desmots
étaient généralement dépourvus d’intérêt; l’élève apprenait à lire principalement
en répétant certains mots, incorporés dans des phrases qui n’avaient guère de sens
pour lui. Peu à peu, on s’est attaché à produire des textes intéressants,attrayants,
illustrés d’images en couleurs. Divers procédés sont utilisés pour aider les élèves:
les mots sont inscrits sur des étiquettes pour favoriser la mémorisation et la cons-
truction de phrases; des étiquettes portant d’un côté un mot et de l’autre l’image
correspondante permettent aux élèves de corriger eux-mêmes leurs erreurs; les
enfants les moins doués sont instruits par la méthode des tracés,ou méthode kines-
thésique; des cahiers d’exercicescontenant de nombreux exercices intéressants
développent l’aptitude des élèves à déchiffrer et à comprendre les mots. Ainsi,
d’importantes modifications ont été apportées peu à peu au matériel de lecture et
aux méthodes d’enseignement.
L’une des critiques que l’on fait le plus fréquemment à la méthode des mots est
qu’elle n’apprend pas toujours à l’élèveà déchiffrer les mots correctement tout seul,
ce qui ralentit considérablement les progrès3.
Selon Whitehead4,il n’est pas douteux qu’ilfaille avoir recours à la phonétique
pour faciliter l’identificationdes mots; le tout est de savoir à quel moment. Beau-
coup de maîtres sont convaincus que les élèves doivent découvrir intuitivement les
éléments des mots; ils retardent, réduisent ou négligent entièrement les exercices
1. WALLIS,Ethel E.,et GATES,Janet B., op. cit., p. 5.
2. BASURTOGARC~A, Alfredo, La lectura: principios y bases para su ensefianzay mejoramiento en todos los grados
de la escuela primaria, Mexico, Luis Fernhndez G., [1g53], p. 92-93. (Ensayos pedagdgicos, II.)
3. DIACK, Hunter, ( (First steps in reading: phonics the key », Times educational supplement, 7 mai
1954, no 2036, P. 441.
GAGG, J. C.,«First steps in reading: present practice», ibid., 14 mai 1954. no 2037, p. 477.
4. WHITEHEAD, Frank, «Rival reading methods: question of timing», ibid., 21 mai 1954, no 2038.
P. 503.
106
Méthodes d’tnseignement de la lecture

d’analyse.S’ilest vrai que les sujets les plus brillants sont capables de distinguer les
mots et de reconnaître les mots nouveaux presque sans aide, la plupart des élèves
ont besoin d’un entraînement méthodique pour le faire.

La méthode des membres de phrase.


Le principe de cette méthode est qu’un membre de phrase a plus de sens et pré-
sente plus d’intérêt qu’un simple mot. O n l’a recommandée aussi comme la plus
propre à former rapidement de bons lecteurs, parce que ceux-ci embrassent à
chaque mouvement des yeux un groupe de mots. Mais Anderson et Dearbornl
contestent ce dernier argument. En photographiant les mouvements des yeux, ils
ont constaté que les bons lecteurs ne perçoivent pas des membres de phrases,mais
des fragments de ligne, plus ou moins réguliers, la compréhension des unités de
pensée -c’est-à-diredes groupes de mots qui constituent des membres de phrases
-dépendant plutôt d’un processus mental que d’un processus strictement visuel.
Dans cette méthode, le maître inscrit au tableau noir un membre de phrase,
qui se trouve avoir été prononcé ou qu’il choisit à dessein. Les élèves regardent
attentivement ce membre de phrase, le répètent plusieurs fois, le comparent avec
ceux qu’ils ont déjà appris,jusqu’à ce qu’ils sachent le reconnaître. Ils distinguent
ensuite, à l’intérieur de ce membre de phrase, les mots connus et les mots nou-
veaux. Ces derniers sont identifiés, comme dans la méthode des mots, par leurs
éléments.
La méthode des membres de phrase présente tous les avantages et tous les incon-
vénients de la méthode des mots. Elle insiste davantage sur la compréhension du
texte,mais exige des efforts excessifs pour l’identificationdes mots. Elle est aujour-
d’hui abandonnée.

La méthode des phrases.


La méthode des phrases représente la troisième étape de l’évolution des méthodes
analytiques. Huey résume comme suit les principaux arguments en sa faveur:
«Dans cette méthode, c’est la phrase, et non le mot ou la lettre, qui constitue la
véritable unité linguistique,car elle exprime des idées complètes qui sont les unités
de la pensée. Si la phrase est l’unité linguistique naturelle, elle est aussi l’unité
naturelle dans la lecture et la parole. D e m ê m e que le mot n’est pas simplement
la somme des sons et des noms des lettres, la phrase est autre chose qu’une simple
suite de sons et d’énoncésde mots. Elle possède, dans son ensemble,une modula-
tion, un aspect et un sens caractéristiques, éléments qui ressortent nettement de
la façon dont elle est prononcée par quelqu’un qui en comprend la signification.
Elle n’est lue et prononcée naturellement que lorsque son sens global s’impose
à l’esprit de celui qui lit ou qui parle2.B
Le maître qui utilise la méthode des phrases sans s’aider d’un manuel attire
d’abord l’attention des élèves sur un objet ou une activité propre à les intéresser.
A u cours de la discussion, les élèves font certaines observations intéressantes. Le
maître en inscrit une au tableau noir et la fait lire à haute voix, de façon naturelle,
expressive, conforme au sens. Les élèves distinguent ensuite les groupes de mots
importants et certains mots déterminés dans chaque groupe. Après une ou deux
leçons,la tâche leur est facilitée par la présence de mots connus.Ces derniers finissent
par être identifiés à première vue. A un certain moment, on attire l’attentiondes

I. ANDEMON et DEARBORN, op. cit., p. 238.


2. HUEY,
üj. CZ’~.,p. 273.
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

élèves sur les éléments des mots et on leur apprend à se servir de ces éléments pour
reconnaîtretout seulsdes mots nouveaux (voir,fig. 9,p. I 21, un exemple de manuel
utilisant la méthode des phrases). Les différentestechniques utilisées dans la méthode
des phrases ont été exposées en détail par Lukel et par Jaggar2.
La méthode des phrases présente plusieurs avantages. Elle est conforme à la
conception globale,ou a gestaltiste», du processus d’acquisition des connaissances.
Elle met l’accentsur la compréhensiondu texte;.elledonne ainsi à l’élèvel’habitude
de lire intelligemment et lui inspire le goût de la lecture. Schonell fait observer
qu’a un des grands avantages de la méthode des phrases est l’aide qu’elle apporte
à l‘élèvegrâce au contexte et à l‘enchaînementdes idées qui se trouvent exprimées
dans le texte3».D’après Anderson et Dearborn, elle contribue à ( (empêcher la
lecture mot à mot4». En outre, cette méthode développe l’aptitude à reconnaître
exactement les mots par soi-même,en les décomposant en syllabes et en lettres dont
la prononciation est connue. Ce n’est pas là le but principal de l’enseignementde
la lecture, mais c’est la condition d’une lecture réfléchie. Cette aptitude peut être
développée,soit systématiquement dès le début, soit graduellement à mesure qu’il
devient plus nécessaire à l’élèvede connaître les éléments des mots et de savoir les
utiliser.
Il convient de signaler au moins deux objections qui ont été formulées contre
la méthode des phrases.Autrefois,les phrases utilisées n’avaient guère de rapports
avec les intérêts immédiats et l’expériencepersonnelle des élèves, et n’étaientdonc
pas de nature à susciterles associations d’idéespropres à favoriser les progrès rapides.
Mais, depuis quelques années, les textes et le vocabulaire sont mieux choisis à ce
point de vue. La seconde objection est qu’on ne développe pas assez, ou qu’on
développe trop tard, l’aptitude à reconnaître les mots, qui est pourtant essentielle.
Convenablement appliquée, la méthode des phrases développe toutes les atti-
tudes et tous les mécanismes nécessaires au lecteur;elle habitue l’élève à réfléchir
à ce qu’il lit, à bien comprendrele texte, à identifier correctement les mots par lui-
même, à réagir intelligemment,à tirer parti des idées acquises,à s’intéresserà l’étude.
Il n’y a aucune discontinuité dans l’instruction;l’élèvese perfectionne sans jamais
avoir à modifier des attitudes et des mécanismes acquis.Les progrès sont constants;
l’économie et l’efficacité des efforts sont assurées.

La méthode des récits.


La méthode des récits est une extension de la méthode des phrases: l’unité de base
est dans ce cas une série de phrases,constituant un récit. Cette méthode donne aux
exercices de lecture beaucoup d’attrait,car les histoires intéressent tous les enfants.
Elle évite ainsi certains inconvénients de la méthode des mots et de celle des phrases.
Elle a en outre l’avantage d’assurerune unité de pensée plus parfaite, en présentant
une succession d’événements,avec un début, un milieu et une fin. Non seulement
on attire l’attentionsur le sens du texte,mais on exerce l’élèveà prévoir et à suivre
un enchaînement d’idées. Le récit offre bien plus d’occasions de discuter et de
comprendredes relations que ne le fait une simple phrase. Enfin,on développe ainsi
le goût de la lecture et des bons livres.
Le maître éveille d’abord l’intérêt des élèves en leur racontant l’histoirequ’ils
vont lire sous une forme légèrement différente. Cette histoire est ensuite discutée,
I. LUKE,Edith,The teaching of reading by the sentence method, Londres,Methuen and Co., 1931,82 pages.
2. JAGGAR,J. Hubert, The sentence method of teaching reading, Londres, T h e Grant Educational Co.,
1929. 119 pages.
3. SCHONELL, op. cit., p. 50.
4. ANDERSONet DEARBORN, op. cit., p. 243-

108
Méthodes d’enseignementde la lecture

jusqu’à ce que les élèves en connaissent bien tous les détails. O n peut aussi en tirer
un épisode dramatique qu’on fera interpréter par les élèves. Ensuite on présente
le récit écrit au tableau noir ou imprimé dans le manuel. Connaissant déjà le dé-
roulement des faits,les élèves apprennent rapidement à reconnaître les différentes
phrases. Chaque phrase est répétée jusqu’à ce que les élèves la connaissent bien.
C o m m e dans les méthodes des phrases, des membres de phrases et des mots, on
identifieles groupes de mots importants, puis certains mots, puis les éléments de
ces mots. Enfin, on déchiffre les mots nouveaux par leurs éléments déjà connus.
O n objecte souvent que, dans la méthode des récits,les élèves,en lisant,essayent
de se souvenir de ce qu’on leur a raconté,plutôt que de chercher à identifier des
mots. En conséquence,la lecture est souvent inexacte et incomplète. Ils devinent
et inventent plus qu’ils ne lisent, s’écartant du texte chaque fois qu’ils croient se
rappeler ce qui va suivre. O n peut remédier à ces inconvénients en faisant la part
qui convient à la compréhension du texte, à la lecture réfléchie et à l’identification
des mots.
La méthode des récits, comme la méthode des phrases, permet d’enseigner,dès
le début, les techniques qui font le bon lecteur. Elle est conforme à la conception
a globale D du processus d’acquisition des connaissances. Bien appliquée, elle met
l’élève en mesure de faire des progrès réguliers jusqu’à ce qu’il sache lire parfaite-
ment. En règle générale, son emploi exclusif convient mieux aux enfants qu’aux
adultes,bien que l’on ait souvent introduit avec succès quelques récits dans les pre-
miers livres de lecture destinés aux adultes. Mais, même avec des enfants,il faut,
presque dès le début, utiliser différents genres de matériel, de façon à développer
le goût de la lecture et l’aptitudeà lire des textes variés à des fins diverses.
Tels sont les avantages et les inconvénients des méthodes des mots, des membres
de phrases, des phrases et des récits. Mais toutes ces méthodes ont été modifiées et
améliorées dans leurs aspects les plus caractéristiques,et il est impossible de porter
un jugement sur aucune d’ellesconsidérée isolément.En fait,la plupart des manuels
modernes, pour enfants ou pour adultes,n’adoptentaucune d’elles à l’exclusiondes
autres: ils utilisent des mots, des membres de phrases, des phrases entières ou des
récits,selon les besoins.

Mèthodes modernes d’enseignementde la lecture

Les méthodes spécialisées d’enseignement de la lecture que nous avons étudiées


jusqu’ici étaient nettement différenciées,tant par la nature des éléments linguis-
tiques utilisés dans les premières leçons que par les opérations intellectuelles fonda-
mentales exigées des élèves.
Des modifications importantes ont été apportées à ces méthodes pour remédier
à des inconvénients pratiques, répondre à des objections de principe et, en général,
permettre aux élèves d’apprendre plus vite et plus facilement.Il en est résulté une
diversité encore plus grande.
Au cours des dernières années, des changements encore plus importants se sont
produits,provoqués par le souci d’améliorer les méthodesl,l’évolution des concep-
tions de l’enseignementet les conclusions de diverses recherches et expériences.
Pour la commodité de l’exposé, nous avons classé ces tendances nouvelles en deux
grandes catégories: N tendances éclectiquesN et << tendances centrées sur l’élève».
Mais il n’existeaucune incompatibilitéentre les deux catégories:certaines méthodes,

I. LAIJBACH, Frank C., Teaching the world to read, Londres, United Society for Christian Literature,
1948.chap. 3 et 4.

1 O9
L‘enseignement de la lecture et de l’ém‘ture

qui combinent l’emploide techniques empruntées à différents systèmes,sont aussi,


jusqu’à un certain point, centrées sur l’élève;d’autres,qui sont conçues avant tout
en fonction de l’élève,utilisent des techniques spécialisées.

LA TENDANCE ÉCLECTIQUE

La tendance éclectique est indiquée dans le rapport que le Bureau international


d’éducation de Genève a consacré récemment à la lecture. Les méthodes actuelles
y sont classées en méthodes << synthétiques»,(< analytiques) )et a analytiques-synthé-
tiques ». L’application des méthodes analytiques-synthétiques,déclare le rapport,
c comporte, pour l’apprentissage de la lecture, le choix d’un certain nombre de
mots, de phrases et de textes simples, soigneusement gradués, dont l’analyse, la
comparaison et la synthèse, pratiquées simultanément dès le début, doivent faire
connaître à l’enfant,dans la succession voulue, les éléments de la langue tout en lui
apprenant le mécanisme de la lecture1».
U n exemple précis de méthode analytique-synthétiqueest cité dans le rapport.
Il est tiré d’un manuel élémentaire de lecture très répandu au Brésil (voir fig.7).
La première ligne en haut de la page est un exercice de revision.Puis on présente
le mot bola, accompagné d’une image. Le mot est identifié, c’est-à-direassocié,
sous sa forme écrite, à l’objetqu’il désigne. Il est prononcé lentement et décomposé
en deux phonèmes: bo et lu. O n enseigne ensuite les cinq syllabes formées de la
lettre b et de chacune des voyelles. Par analyse,le son b est isolé du son O, et, par
synthèse,il est combiné avec chacune des autres voyelles. O n enseigne de même
le mot lata et les sons 1 et t, associés avec chacune des voyelles. L’élève s’habitue
à reconnaître,par l’analyse visuelle, les divers éléments syllabiques qui lui ont été
présentés, et les combinaisonsque forment ces éléments dans différents mots. Enfin,
on lit la ligne du bas de la page. L’élève analyse les mots en leurs éléments sylla-
biques et,par une opération de synthèse,reconstruit les mots pour les prononcer.Ainsi,
l’analyseet la synthèse sont pratiquées presque constamment pendant toute la leçon.
Il est impossible de décrire toutes les méthodes éclectiques qui sont pratiquées
actuellement. Les plus intéressantes visent à associer, dans un même programme,
les techniques qui permettent aux élèves de lire de façon réfléchie et de bien com-
prendre les textes, et celles qui les habituent à reconnaître les mots. L’exemple sui-
vant est emprunté à un rapport que le Ministère de l’éducationde la Thaïlande a
présenté à l’Unesco en 1949.a En une quinzaine de jours,nous avons composé un
manuel de neuf leçons,comprenantchacune deux parties. La première partie repose
sur la méthode directe,les mots étant enseignés au moyen de proverbes très connus,
tandis que dans la seconde partie on apprend aux élèves les lettres qui composent
ces mots et on les combine pour former de nouvelles phrases. Par exemple, la pre-
mière leçon commence par un proverbe siamois très répandu: a nai nam mi pla,nia
na mi kau» (les poissons sont dans l’eau et le riz est dans les champs). Les illettrés
qui connaissent le proverbe par cœur peuvent le «lire» et le répéter, à la suite du
maître. Dans la seconde partie de la première leçon, on enseigne la forme des six
consonnes employées dans ce proverbe, au moyen d’associationsvisuelles avec des
objets qui portent le m ê m e nom que ces lettres. O n apprend aux élèves les quatre
voyelles employées dans le proverbe, en les associant avec les mouvements corres-
pondants des lèvres. Vient ensuite une page de nouvelles phrases simples,formées
de combinaisons des consonnes et des voyelles en question,qui constituent le texte

I. XIIe CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE, L’enseignement de la lecture, Paris,


Unesco; Genève, Bureau international d’éducation, I 94.9,p. 26.

1 IO
Méthodes d‘enseignement de la lecture

de la première lecture phonétique véritable faite par l’élève,et cela dès sa pre-
mière leçon1.))
Les méthodes éclectiques -mieux que les méthodes spécialisées décrites plus
haut -permettent de donner à l’enseignementde la lecture une haute valeur péda-
gogique. La tendance éclectique,qui vise à remédier aux inconvénientsdes méthodes
spécialisées,donne des résultats très encourageants. Grâce à des techniques péda-
gogiques appropriées,il est possible ainsi de développer toutes les attitudes et tous
les mécanismes qui interviennent dans la lecture et qui sont aujourd’hui indispen-
sables aux enfants comme aux adultes.

LES TENDANCES CENTRÉES SUR L’ÉLÈVE

Le principe fondamental de ces tendances est que l’enseignement doit stimuler le


développement intellectuel de l’élève,et que l’acquisition de connaissances et de
techniques n’est qu’un objectif secondaire. La lecture est une condition essentielle
du développement de l‘élève,et, dans le choix du matériel et des méthodes d’en-
seignements,il faut tenir compte avant tout des goûts, des préoccupations,de l’ex-
périence, des aptitudes et des besoins du lecteur.
Les méthodes d’enseignementde la lecture centrées sur l’élève se classent en
trois catégories suivant la nature des textes de lecture: textes rédigés par des spécia-
listes, textes composés par les élèves et le maître, textes élaborés dans le cadre d’un
c programme d’enseignement intégré». Ces méthodes sont généralement éclec-
tiques: elles se distinguent par la nature des textes de lecture utilisés.

Textes rédigés par des spécialistes.

Les livres de lecture rédigés par des spécialistes sont de beaucoup les plus utilisés,
tant pour les enfants que pour les adultes. Par comparaison avec la plupart des
manuels d’autrefois,ils sont plus vivants, phs attrayants et mieux adaptés aux
goûts du groupe d’âge auquel ils sont destinés. Les manuels pour enfants con-
tiennent des récits ou des épisodes très simples mettant en scène les m ê m e s person-
nages (voir planche IX). Les manuels pour adultes tiennent compte de l’expérience
et des besoins de ces derniers. En général,ces manuels dits a de base D sont employés
concurremment avec d’autresmoyens d’enseignement:tableaux muraux, étiquettes
portant des mots et des membres de phrases, cahiers d’exercices,tests, livres du
maître. Les écoles disposent parfois de diapositives sur film et de films cinémato-
graphiques destinés à illustrer les livres de lecture. Les méthodes ne peuvent plus
être classées selon les éléments du langage utilisés:mots,membres de phrases,phrases
ou récits. Tous ces éléments sont utilisés,selon les besoins. Dans la plupart des cas
l’analyse est jugée indispensable pour habituer les élèves à reconnaître les mots
sans aide. Mais les avis sont partagés en ce qui concerne le moment où il faut com-
mencer à pratiquer l’analyse des mots, et en ce qui concerne l’importance et la
nature de l’aide à donner aux élèves. D’après certains spécialistes, il faut exercer
les élèves quotidiennement et dès le début à distinguer et à identifier les mots;
d’après d’autres,il faut attendre plusieurs semaines, plusieurs mois, ou aussi long-
temps que les élèves n’en manifestent pas le besoin.
Le principal argument en faveur de l’emploide manuels rédigés par des spécia-
listes est que ces manuels sont intéressants pour l’élèveet créent des attitudes favo-

I. LAUBACH, Frank C., Technicalproblems peculiar to the Siamese alphabet, Bangkok,Teachers’ Institute
Press, 1949. Edition bilingue (thaï et anglais), p. 1.

III
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

rables à la lecture. D u point de vue pratique, leur emploi et celui des auxiliaires
qui les complètent font gagner du temps et épargnent des efforts aux maîtres.
Les adversaires de ces manuels affirment, en revanche, qu’il est impossible à
un auteur de composer des textes qui présentent le même intérêt pour tous les
groupes, ou pour tous les élèves d’une classe. Une étude détaillée des goûts com-
muns aux enfants et aux adultes permet de remédier en grande partie à cet incon-
vénient. Les linguistes, de leur côté, affirment que les auteurs de manuels ignorent
ou négligent certains caractères essentiels de la langue -par exemple l’importance
relative des mots et leurs rapports -et que souvent ils ne savent ni choisir les mots
ni les présenter de façon à faciliter le travail des élèves. Mais les linguistes n’ont
guère tendance à tenir compte des goûts de l’élève. Le problème ne sera résolu
que par une coopération entre linguistes et éducateurs connaissant bien les élèves
auxquels le matériel de lecture est destiné.
O n distingue au moins trois grandes tendances chez les auteurs de manuels. La
première consiste à développer toutes les attitudes et tous les mécanismes indispen-
sables au bon lecteur, en faisant appel aux techniques les plus diverses; à associer
étroitement l’enseignement de la lecture à d’autres exercices d’enseignement de
la langue: audition, élocution, écriture et orthographe; enfin,à favoriser, dès le
début,le développement continu d’intérêts,d’attitudes et de mécanismes qui seront
utiles à l’élève pendant toute la durée de ses études,et m ê m e lorsqu’ilaura quitté
l’école.
La deuxième tendance consiste à employer les méthodes d’identification des
mots les mieux adaptés à la langue enseignée, qu’il s’agisse de méthodes phoné-
tiques, de méthodes syllabiques (phonémiques) ou de procédés divers: référence au
contexte, examen de la forme des mots, analyse de la structure des mots, analyse
phonétique, dictionnaire. Certains auteurs préfèrent les méthodes éclectiques aux
techniques spécialisées.
Enfin, les méthodes sont adaptées aux capacités et aux besoins des élèves, qui
sont groupés,en conséquence;chacun est aidé individuellement par le maître. Les
maîtres sont attentifs à tous les facteurs physiques, intellectuels,sociaux ou affectifs
qui risquent de mettre les élèves en état d’infériorité.Pour les élèves les moins doués
on a recours à des techniques spéciales;par exemple, on leur fait suivre du doigt
le tracé des lettres.

Textes composés par les élèves et le maftre.


Ces textes s’inspirentdes intérêts immédiats de la classe;ils sont composés par les
klèves eux-mêmes,avec l’aide du maître dans la mesure où c’est nécessaire. Par
exemple les élèves discutent de quelque chose qui les intéresse tous et résument la
discussion en quelques phrases. Le maître présente des suggestions,corrige le voca-
bulaire ou les expressions, et utilise ce texte comme matériel d’enseignementen
appliquant à peu près les principes de la méthode des phrases ou des récits. Le pro-
fesseur Rodriguez Bou1 de l’université de Porto Rico procède comme suit pour
enseigner aux adultes à lire l’espagnol:
I. Les leçons proprement dites sont précédées d’assez longues discussions qui ont
pour objet de mettre les adultes en confiance,d’éveiller chez eux le désir d’ap-
prendre à lire et à écrire, et de les familiariser avec les mots et les expressions
utilisés dans l’enseignement.

I. PUERTO Rico. CONSEJO SUPERIORDE ENSENANZA, Manual para la enseiianza de lectura y escritura a
adultos analfabetos,Rio Piedras, Universidad de Puerto Rico, 1953,39 pages.

112
Méthodes d’enseignement de la lecture

2. Chaque texte de lecture se réfère à un ensemble de faits bien connus des adultes,
ce qu’on appelle une ( (unité d‘expérienceD. Par des questions, le maître en-
courage les élèves à parler. A mesure que la conversation se poursuit, il écrit
au tableau noir de courtes phrases. Voici un exemple de phrases concernant
une élève:
Dofia Julia es cocinera Dofia Julia est cuisinière
Cocina muy bien Elle cuisine très bien
Esta en la escuela Elle va à l’école
Quiere leer Elle veut lire
Quiere escribir Elle veut écrire
Quiere expresarse bien Elle veut s’exprimer correctement
3. Dès que le texte est complet,le maître le lit et le fait lire à l’ensemblede la classe,
puis à chaque élève individuellement.
4. Les mêmes phrases sont ensuite tracées sur un tableau mural. Elles sont lues
de nouveau par les élèves, d’abord en chœur, puis individuellement.Pendant
tous ces exercices, on compare constamment les phrases écrites sur le tableau
mural et les phrases écrites sur le tableau noir.
5. L’attention des élèves est ensuite attirée sur certaines phrases isolées, qui sont
lues en chœur puis individuellement d’abord sur le tableau noir et puis sur le
tableau mural. Les phrases du tableau mural sont découpées à mesure qu’elles
sont lues,et placées en dessous de la phrase correspondante sur le tableau noir.
Elles sont ensuite mélangées et lues dans un ordre quelconque. Puis l’a unité D
est reconstituée.
6. Dès que les élèves savent reconnaître les diverses phrases, leur attention est
attirée sur les éléments de chaque phrase: par exemple, la première phrase
est divisée comme suit: a Dofia Julia ) )-(< es cocinera ». Chaque membre de
phrase est lu et comparé avec le membre de phrase correspondant du tableau
noir. O n procède ainsi pour chaque phrase. Puis les membres de phrases sont
lus dans un ordre quelconque,identifiés,recomposés pour reconstituer 1 ‘ unité ~ ))
et relus encore une fois.
7. Les membres de phrases sont décomposés en mots, que les élèves apprennent à
lire à première vue.
8. Les élèves utilisent les mots ainsi appris pour déchiffrer de nouveaux textes.
Dès que les adultes ont appris cinquante mots, et quelques procédés permettant
d’identifierles mots nouveaux, un manuel est utilisé. La troisième page du manuel
utilisé par M.Rodriguez Bou est reproduite en annexe (fig.IO,p. 122).
Ces textes, faisant appel à l’expériencepersonnelle des élèves,suscitent générale-
ment chez eux un vif intérêt et un désir sincère d’apprendre.U n texte relatant des
faits connus provoque chez les enfants comme chez les adultes des associations
d’idées analogues à celles qu’auraient provoquées ces faits eux-mêmes: les mots
sont appris facilement et vite. En outre,l’intérêt de ces premiers exercices développe
le goût de la lecture. Travaillant sur des textes qui ont pour eux un sens, les élèves
prennent dès le début l’habitude de réfléchir à ce qu’ils lisent. Participant à l’éla-
boration de ces textes, ils acquièrent rapidement une certaine maîtrise de la langue.
Ils apprennent à parler en même temps qu’ils apprennent à lire. En règle générale,
les maîtres qui appliquent cette méthode ont pleinement conscience des différences
individuelles et emploient toutes les techniques qu’ilsconnaissent pour adapter leur
enseignement aux capacités et aux besoins de chacun.
Les textes composés par les élèves et le maître présentent plusieurs inconvénients:
les maîtres qui n’ontpas reçu une formation suffisante ne parviennent pas toujours
à faire un choix judicieux des mots, ou à les présenter dans un ordre qui en rende
l’assimilationplus facile et plus rapide. Pour préparer un texte correct et le repro-
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

duire au duplicateur,il faut du temps et des efforts.Dès que les enfants ou les adultes
savent lire un peu, il faut leur fournir des textes nombreux, pour satisfaire leur
besoin croissant de la lecture et pour leur faire faire les exercices indispensables.
Aussi, la plupart des maîtres trouvent-ils tôt ou tard nécessaire de recourir à des
textes imprimés.

Matériel d’enseignement intégré.

On peut ranger également parmi les tendances centrées sur l’élève les méthodes qui
utilisent un matériel d’enseignement intégré.Ces méthodes se fondent sur une con-
ception globale de l’éducation et n’ont pas pour seul objet l’enseignementde la lec-
ture et de l’écriture.Elles tiennent largement compte des intérêts immédiats des
élèves. Les connaissances s’acquièrent par l’exercice d’activités coordonnées. O n
enseigne d’abord des idées générales et des formes globales; peu à peu, on établit
les distinctions nécessaires et on attire l’attention sur les détails. C’est, affirme-t-on,
la méthode la plus conforme au processus naturel d’acquisition des connaissances.
Une autre caractéristique de cette méthode est qu’elle ne concentre l’attention
que sur un petit nombre de points à la fois. L’enseignement de la lecture étant
associé aux autres activités éducatives de la journée, l’enfantéprouve un vif désir
de lire,et les textes ont pour lui un sens réel.Dès le début,la lecture lui sert à enrichir
son expérience, et pas seulement à acquérir des mécanismes utiles pour l’avenir.
En outre, toutes les connaissances théoriques et pratiques acquises pendant la
journée se complètent mutuellement. Les exercices varient chaque jour pour suivre
l’évolutiondes goûts de l’élève. O n parvient ainsi beaucoup mieux à tenir compte
des besoins individuels.
Les textes utilisés dans les premières leçons peuvent se fonder sur une expérience
commune. U n élève d’une école de Bruxelles avait trouvé en jouant un insecte
d’aspect curieux. Il l’apporte en classe, provoquant un vif intérêt chez tous ses
camarades. Sous la direction du maître, toute la classe en discuta longuement. Ce
n’était encore qu’une leçon vivante d’histoire naturelle. Mais ensuite, les élèves
composèrent au sujet de l’insecteune petite histoire que le maître écrivit au tableau
noir. L’histoirefut lue, discutée,les différentes phrases identifiées ainsi que certains
mots importants. Ces mots furent ensuite combinés avec d’autres mots du texte
pour former de nouvelles phrases, puis avec des termes précédemment appris, ce
qui fournit une nouvelle occasion d’apprendre à identifier et à employer des
mots.
Le texte ainsi composé et appris par les élèves servit encore à d’autres activités
connexes. Il fut reproduit dans les cahiers, à titre d’exercice d’écriture. Il servit
de thème pour des dessins. L’orthographe des mots nouveaux fut étudiée séparé-
ment. Enfin, certains élèves composèrent les mots en caractères d’imprimerie et
les imprimèrent à l’aide de matériel approprié. Ainsi, des exercices de lecture,
d’orthographe, d’écriture, d’expression orale et écrite et de dessin se trouvent
coordonnés autour d’un centre d’intérêt.
Le texte,une fois composé et utilisé comme il a été indiqué ci-dessus,est repro-
duit au duplicateur, et chaque élève en reçoit un exemplaire qu’il insère dans son
carnet de lectures.Dans beaucoup d’écoles,les élèves composent les textes en carac-
tères d’imprimerie,à l‘aide de matériel approprié se trouvant dans la salle de classe.
Ils se familiarisent ainsi avec l’orthographedes mots et apprennent à la reproduire
exactement, car ( (le texte doit être lisible». Le texte, une fois imprimé, est géné-
ralement illustré. Deux pages d’une brochure publiée à Genève (Suisse) sont repro-
duites en annexe (planche X).Une ou plusieurs brochures de ce genre constituent
l’essentiel du matériel de lecture de première année. E n général, les cahiers com-
Méthodes d’enseignement de la lecture

posés par les élèves des années précédentes sont utilisés pour des exercices de lec-
ture supplémentaires. A partir de la deuxième année, on emploie des manuels
imprimés.
Les principes de l’enseignementintégré peuvent être appliqués aussi dans l‘édu-
cation de base: les textes de lecture peuvent être adaptés aux besoins des adultes
analphabètes. O n trouvera des directives pour l’application de ces méthodes dans
trois ouvrages.Dottrens et Margairazl étudient les fondementspsychologiques d’une
conception globale de l’enseignement et donnent de nombreux exemples de textes
et de procédés pédagogiques. Freinet2 expose ce qu’il appelle les principes de l’en-
seignement naturel et indique des moyens de s’assurer la coopération active des
enfants. Il souligne qu’il importe dès le début de faire écrire l’élève;l’utilisationde
matériel d’imprimerie et de journaux d’enfants,les échanges de textes écrits par
eux, développent chez les élèves le sens de l’exactitude. Le manuel néerlandais
rédigé par Evers, Kuitert et van der Velde3 décrit en détail la méthode globale et
explique comment elle contribue au développement harmonieux de l’enfant.
O n reproche aux programmes intégrés d’être trop complexes pour pouvoir être
appliqués ailleurs que dans des classes peu nombreuses confiées à des maîtres haute-
ment compétents,de manquer de continuité dans l’enseignementdes mécanismes
essentiels, de réduire indûment la portée des lectures en n’employant pendant la
première année que des textes composés par les élèves et d’imposer aux maîtres
un travail excessif.Néanmoins,nombre de leurs principes essentiels exercent actuelle-
ment une influence profonde sur l’organisation du travail dans les écoles primaires.
Par exemple, la lecture est associée beaucoup plus étroitement qu’autrefois aux
autres activités scolaires, et elle joue quotidiennement le rôle d’un auxiliaire de
l’enseignement.En outre, nombre des techniques imaginées pour l’application des
programmes intégrés sont adoptées par des maîtres soucieux d’amélioreret d’animer
l’enseignement de la lecture.

CONCLUSION

Les méthodes d’enseignement de la lecture, autrefois très spécialisées, ont perdu


en s’améliorant nombre de leurs caractéristiques distinctives. Deux tendances très
nettes se sont faitjour actuellement:associer en un seul programme des techniques
qui appartenaient autrefois en propre à diverses méthodes; tenir compte de plus en
plus des intérêts immédiats des élèves.Ces tendances sont conformes aux conclusions
des études psychologiques.Nous allons maintenant rendre compte des expériencesqui
ont été effectuées pour déterminer aussi objectivement que possible la valeur respec-
tive des différentes méthodes d’enseignement de la lecture.

1. DOTTRENSet MARGAIRAZ, op. cit.


2. FREINET,
C.,Méthode naturelle de lecture,Cannes,Editions de l’École moderne française,1g47,59 pages,
ill. (Brochures d’éducation wuuelle populaire, no 30, mai 194.7.)
3. EVERS, F.,KUITERT, R.,et VAN DER VELDE, I., Naar onze moedertaal, Groningue,Wolters, 1952.

1’5,
ANNEXE
(Voiraussi planches VI1 à X)
2’ Leziooe.

111,

ali, ala, elia, olio,

elia è leale.

ei à le ali. ella à l’ala.

Fig.4. Deuxième page d’un manuel. Les cinq voyelles sont présentées à la page I en écriture cursive et
en caractèresimprimés.Les élèves s’exercent à les prononcer séparément,et dans diverses combinaisons.
L a page z est la première page consacréeaux consonnes.Dans les pages qui suivent,celles-cisont combi-
-
nées -chacune à part, puis plusieurs ensemble avec des voyelles, et utilisées ensuite dans des mots.
L e nombre des mots, et bientôt celui des phrases, augmente rapidement à chaque page.
PAGANI, Lorenzo, Sei mesi di scuola. Metodo per l’inregnamento simultaneo della lettura
e della scrittura agli adulti, Torino, G.B. Paravia & C. (1948),78 pages.

116
Méthodes d’enseignement de la lecture

Fig. 5. Première page d’un livre de lecture de cinquante pages. Elle est destinée à faciliter l’étude des
formes et des sons de quatre voyelles en créant des associationsd’idées entre le son et l’image.Les lettres
sont présentées en écriture cursive et en caractères d’imprimerie. L a nature et la disposition des images
donnent de la variété et de l’intérêt à ce texte.
MÉXICO. INSTITUT0 DE hPABETIZACI6N EN LENGUAS INDIGENAS.Cürtdla Nahuatl-
Espaiiol para los monolingües del estado de Morelos y de las regiones central y sur del
estado de Puebla, Mexico, Secretaria de Educacih Piiblica, 1946,p. 8.

117
L’enseignemeni de la lecture et de l’km‘ture

Kiswahi I i Lecon I

LESSON 1

Fig. 6. Première leçon d’un manuel. Dans la première colonne à gauche figure une image représen-
tant un mot qui commence par la lettre à apprendre. Dans la deuxième colonne, la lettre est super-
posée à l’image, de façon à suggérer une certaine analogie entre la forme de l’objet et celle de la
lettre. Dans la troisième colonne figure un mot imprimé comprenant la lettre. Dans la quatrième
colonne, on présente le nouvel élément phonétique. Les voyelles sont présentées isolément; les con-
sonnes, associées à une voyelle précédemment apprise. L a cinquième colonne est réservée à des exer-
cices consistant à combiner les éléments déjà connus de i’élève.
LAuBAcn, Frank c., B e each one teach one method (‘950 supphent to Teaching
the world to read) ... a complete set of lessons in the Swahili laquage. ..,New York,
Committee on World Literacy and Christian Literature, 1951,p. I.

118
Méthodes d'enseignement de la lecture

& g a g
--
a e i o u

bola bo la

ba be bi bo bu
la le li 10 lu
bo la be ba ba la
bo le be be be la
bo 10 be bi bu le
bo a be bo bu li
boi be beu bai le
a ba a la e 10 e le e la
eu i a ao bai le

Fig. 7. L a première page de ce manuel présente les cinq voyelles, au moyen d'images correspondant
à des mots dont la voyelle à apprendre constitue la première syllabe. Dans la deuxième page (repro-
duite ci-dessus)les consonnes sont présentées en tant que parties intégrantes de phonèmes syllabiques.
L'attention est d'abord attirée sur la première syllabe de bola, le b est ensuite combiné avec chacune
des autres voyelles pour former des syllabes. Le m ê m e procédé est appliqué à la lettre 1. Les syllabes
ainsi formées sont alors combinées pour former des mots familiers. L e mot clé est présenté en cursive
gour servir de modèle dans les exercices d'écriture.
BRÉSIL.MINISTÉRIODA EDUCAÇAOE S A ~ D E DEPARTAMENM
. NACIONAL DE EDU-
CAÇAO. CAMPANHA DE EDUCAÇAODE ~ U L T O S Le?:
, prirneiro guia de leitura, Rio de
Janeiro, 1948, p. 3.
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

Fig. 8a. L a première page de ce manuel est composée d’images illustrant les syllabes à apprendre.
L a partie de la deuxième page reproduite ci-dessus présente la voyelle a et une série de consonnes.
Lorsque les élèves ont appris le son a, dans ala, on leur présente des mots accompagnés d’images.
L a première syllabe de chaque mot est formée d’une consonne combinée avec la voyelle connue a.

ma ma va a la ca sa
mamd va a la casa
88,&8@/
ma ma a m a sa la
tbiz-
ma sa
mama amasa la masa
@@,/a
ma ma Ila ma a
@Ge papa
marna llama a papa
Fig. 86. Partie de la page 3 d’un manuel. Dès que les élèves ont appris la voyelle a et diverses
syllabes où elle figure, ils commencent à faire des exercices de lecture. Pour faciliter l’identification
des syllabes,celles-cisont toujours accompagnées des mêmes images.Les images ne sont plus employées
après que le mot correspondant a été présenté dans u n texte de lecture. Cependant, la plupart des
manuels qui suivent la méthode syllabique n’emploientpas les images c o m m e moyen mnémotechnique
dans les exercices de lecture.
UNI~ N
NACIONALDE PERIODISTAS, Quito (Ecuador), Cartilla del Dr.Laubach adaptada
U.N.P.,
$or la Quito, 1949,p. 4 et 5.

120
’LANCHE VII. Première page d’un manuel arabe.Le son de la lettre à apprendre est le son initiai
lu mot qui désigne l’objet représenté sur l’image.En prononçant ce mot, le maître attire l’attention
les élèves sur le son initial et sur la lettre imprimée dans le manuel. D e cette manière,l’élèveassocie
les perceptions visuelles et auditives.En arabe,les voyelles sont indiquéespar des signesdiacritiques:
e signe imprimé en rouge au-dessusde la consonne correspond à a.
KHARTOUM. INSTITUT D’ÉDUCATION. BUREAU DES PUBLICATIONS, Mufttah al-
Ma’refu, Khartoum, s. d.,p. I.
a na to le

afro soir panier chapeau

Ix
PLANCHE VIII. Premièrepage d’untexte qui en comporte 109.La voyelle a est présentée en caractèr
d’imprimerieet en cursive. Le son de la lettre est évoqué par des images représentant des enfant
et des objets,dont le mot est imprimé au-dessousde l’image.La lettre à apprendre (imprimée ei
rouge) apparaît dans différentes positions dans une série de mots.
JAUFFRET, Edouard,Les belles images : méthode de lecture jour la classe enfantint
Paris,Librairie classique Eugène Belin, [ I 9481, p.5.
Corne, corne.
spot Come, Spot, corne.
23 Run, run, run.

Jurnp, Spot. Oh, Spot.


Jurnp,jump. Oh, oh, oh.
25 Jump, Spot, jump. Funny, funny, Spot. 26 1
’LANCHE IX.Ces quatre pages forment le sixième récit du premier cahier d’uncoursde lecture.Le
hème du récit est de nature à intéresser la plupart des enfants.Les épisodes sont illustrés par des
mages.Au cours des cinq leçons précédentes,les élèves ont appris dix mots,dans des contextes égale-
nent intéressants.Deux mots nouveaux:spot et corne, sont présentés dans cette leçon.Ces mots sont
réquemment répétés dans cette leçon et dans les suivantes, associés à d’autres mots d’apparence
malogue. L’attention des élèves est ainsi attirée sur les ressemblances et les différences de forme,
)Our leur apprendre à distinguer les mots écrits, avant même de savoir les reconnaître par d’autres
noyens.
GRAY, William S., ARTLEY, A.Sterl, et ARBUTHNOT, M a y Hill, The new we
look andsee, Chicago,Scott Foresman and Co.,[19511,p.23-26. (Curriculumfoun-
dation series. The new basic readers.)
L
2
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.-
Q
C
Q
3
Q
VI
O
Q
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O
C
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I
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Mithodes d’enseignement de la bcture
4
a
4
a
a
a
A i3
1 4
za
Fig. 9. Les deux pages reproduites ci-dessus sont la troisième et la quatrième d’un manuel de
127 pages. U n e discussion dirigée par le maître permet aux élèves de conclure que l’imageveut dire
«Papa lit». Leur attention est alors attirée sur la phrase qui figure au-dessousde l’image. Ils la lisent
en chœur plusieurs fois, puis individuellement. Ensuite, ils lisent la phrase qui figure à la deuxième
page, d’abord dans son ensemble,puis en la fragmentant.Enfin, Ieur attention est attirée sur les mots
(dans les trois dernières lignes). L a phrase est ainsi décomposée en ses éléments.
CHILE. DIRECCION GENERAL DE EDUCACI~N
PRIMARIA,
Mi tesoro. Primer a&,
Santiago de Chile, 1953, p. 4 et 5.
121
L’emeignementde la lecture et de l’écriture

A leer, Juan.
A leer su nombre.
Si,a leer su nombre.

Fig. IO. Troisième page d’un manuel. Dans les deux précédentes, tous les mots utilisés sur cette
page ont été présentés, à l’exception de a. Dans cette leçon, les élèves récapitulent les objets et les
activités représentés sur l’image de la page I ainsi que les mots des pages I et 2. L’image de la page 3
est ensuite examinée. A u moyen de questions, le maître amène les élèves à lire les différentes phrases
imprimées. C e manuel de 30 pages utilise 52 mots au total.

PUERTORICO. CONSEJO SUPERIORDE ENSENANZA,i A la escuela! SanJuan, Depar-


tamento de Instruccion Publica, 1953,p. 3. (Serie IV, no XLVII.)

122
C H A P I T R E VI

LE CHOIX DES MÉTHODES:


RÉSULTATS DES RECHERCHES

A mesure que se produisaient les modifications décrites au chapitre v, on s’est


interrogé sur l’efficacitérespective des différentes méthodes appliquées dans l’ensei-
gnement de la lecture aux enfants et aux adultes. La méthode doit-elle dépendre,
par exemple,de l’âge de l’élève,de son intelligenceet du milieu culturel et matériel
où il se trouve ? Pour répondre à ces questions,et à d’autres connexes,on s’appuiera
dans ce chapitre sur les conclusions auxquelles ont abouti des recherches spéciales.
O n étudiera l’efficacité respective des différentes méthodes, les principes selon les-
quels elles peuvent être choisies ou mises au point, divers facteurs qui agissent sur
les progrès de l’élève,enfin l’utilité de certains auxiliaires pour l’enseignement de
la lecture.

E F F I C A C I T ÉR E S P E C T I V E D E S D I V E R S E S M É T H O D E S

Depuis I900, de nombreuses expériences ont été faites pour déterminer l’efficacité
respective des diverses méthodes d’enseignementde la lecture. Malheureusement,
les observations dont nous disposons ne permettent pas d’établirde façon définitive
quelle est la meilleure des méthodes actuellement employées. Quelques-unes seule-
ment de ces méthodes,qui sont nombreuses,ont été étudiées expérimentalement,et
en outre les recherches n’ontpas été assez poussées pour que les différences de résul-
tats puissent être uniquement attribuées à des différences de méthode pédagogique.
Au surplus,bien peu de recherchesont porté sur des élèves adultes.Enfin,ces enquêtes
n’ont pas été répétées dans un nombre suffisant de régions culturelleset linguistiques
pour permettre de conclure que les enseignements qui en ont été provisoirement
tirés sont d’une application universelle. D u moins les résultats obtenus éclairent-ils
les problèmes en jeu.
Dans l’exposéci-après,les enseignements tirés de la plupart des enquêtes impor-
tantes faites depuis cinquante ans seront, sous forme résumée, rapportés à certains
problèmes déterminés.

MÉTHODE PHONÉTIQUE N ET MÉTHODE << LOOK AND SAY >)

En 1912,Dumvillel a donné les résultats d’une étude expérimentale consacrée aux


progrès réalisés par des élèves apprenant à lire avec des textes transcrits en symboles

I. DUMVILLE,Benjamin, «The methods of teaching reading in the early stages)), School world, XIV,
p. 408-413.
novembre 1912,
L>emeigmneent de la lecture et de l’écriture

de l’Association phonétique internationale,selon la méthode phonétique Dale et


la méthode a look and Say D («dites ce que vous voyez N); les sujets de l’expérience
avaient été pris parmi les élèves de la classe supérieure de l’enseignementprimaire
et parmi ceux des écoles secondaires. Une année plus tard, Valentinel a analysé
les résultats d’une expérience faite sur deux groupes d’étudiantsde collège univer-
sitaire,auxquels on avait enseigné,à l’aide des méthodes phonétique et «look and
say D à lire un texte de prose anglaise écrit en caractères grecs.
Ces deux expériences avaient pour but de comparer l’efficacitérespective des
méthodes phonétique et a look and Say », appliquées à des élèves sachant déjà lire
leur propre langue et apprenant à lire des textes écrits en caractères phonétiques
inconnus. S’ilest douteux que ces conclusions soient valables pour le cas d’enfants
ou d’adultes illettrés apprenant à lire leur propre langue, il est intéressant de noter
cependant que les résultats obtenus étaient favorables, tantôt à l’une, tantôt à
l’autreméthode -ce qui permet de penser que les progrès réalisés dans chacun des
groupes dépendent d’autresfacteurs que la méthode employée.En outre,des obser-
vations recueillies par Dumville l’ont conduit à penser que les élèves instruits par
la méthode e look and Say D eussent été irrémédiablement inférieurs aux autres
s’ils n’avaient en quelque sorte analysé mentalement les mots qu’ils lisaient. O n a
constaté de même que les sujets auxquels était appliquée la méthode phonétique
progressaient en identifiant les mots en tant qu’unités.O n peut donc en conclure
que l’usage exclusif de l’une ou l’autre méthode ne donne sans doute pas d’aussi
bons résultatsque la combinaison des deux méthodes.Valentine a égalementrecueilli
des indications tendant à prouver qu’unemême méthode peut ne pas être également
efficace pour tous les élèves.
En 1925, Winch2 a fait une expérience sur des enfants âgés de cinq ans à cinq
ans et demi apprenant à lire leur propre langue. Après une première série d’exer-
cices et de tests, on a sélectionné deux groupes d’élèves,composé chacun de 19enfants
ayant à peu près la m ê m e capacité d’apprendre». Pendant un mois et demi,ces
deux groupes ont reçu un enseignement d’un type très classique,l’unà l’aided’une
méthode essentiellement phonétique, et l’autre par la méthode a look and Say».
A la fin de cette période,les enfants ont passé quatre tests, où certaines phrases leur
étaient familières,et d’autres inconnues. O n les a soumis aussi au test de Ballard,
portant sur une lecture d’une minute. Les résultats des quatre premiers tests étaient
favorables,pour l’exactitude de la lecture,au groupe ayant suivi la méthode phoné-
tique,et pour la rapidité,au groupe instruit par la méthode << look and Say ». Quant
au test de Ballard,il s’est révélé favorable au groupe phonétique, tant pour la rapi-
dité que pour l’exactitude.Ces constatations prouvent que l’efficacitédes différentes
méthodes est extrêmement variable pour ce qui est du développement d’aptitudes
spécifiques en matière de lecture. Elles permettent aussi de supposer que les résul-
tats d’une expérience peuvent varier selon le genre des tests employés pour mesurer
les progrès des élèves.
O n ne saurait tirer de conclusions décisives des trois expériences en question.
Quant à celles qui ont été faites plus récemment sur les avantages respectifs de la
méthode phonétique et de la méthode G look and Say », elles ajoutent peu de chose
à ce que l’onsavait déjà,parce qu’ellesont été menées dans des conditions extrême-
ment différentes, que les méthodes d’enseignement employées variaient considé-
rablement,et qu’ily a bien peu de cas où tous les facteurs en jeu aient été contrôlés
I. VALENTINE,C.W.,aExperiments on the methcds of teaching reading)), Journal of e.xperimenta1
peàagogy, II, juin 1g13,.p.99-112.
2. WINCH, W . H.,«Teaching beginners to read in England: its methods, results and psychological
bases)), Journal of educational research monograkhs :no 8, chap. v, Bloomington (Ill.),Public School
Publishing Co., 1925.
L e choix des mèthodes: résultats des recherches

d’assezprès. D u moins peut-onretenir des résultats ainsi obtenus: a) que l’efficacité


des différentes méthodes peut varier pour ce qui est du développement des diverses
aptitudes en matière de lecture; b) que l’efficacité d’uneméthode déterminée peut
varier selon les élèves; et G) que pour déterminer l’efficacitérespective des différentes
méthodes, il faut mesurer les progrès accomplis dans divers éléments importants de
la technique de la lecture.

MÉTHODE PHONÉTIQUE ET MÉTHODE INSISTANT ESSENTIELLEMENT


SUR LA COMPRÉHENSION DU TEXTE

Une deuxième série d’enquêtes a porté sur les avantages respectifs de la méthode
phonétique et de la méthode insistant essentiellement sur la compréhension du
texte. En 1912, G il
ll s’est efforcé de déterminer l’efficacité respective de trois
méthodes: la méthode phonétique Dale légèrement modifiée, une méthode phoné-
tique où «la formedes lettres avait été rendue attrayante pour les enfants au moyen
d’a associations», ingénieuses mais étrangères à la question», et la méthode N de la
pensée>>ou (< des phrases ». Chacune de ces méthodes était appliquée dans une
école différente,les deux premières depuis deux ans et la troisième depuis dix-huit
mois. Pour mesurer les progrès accomplis, on a pris deux paragraphes simples de
longueur égale, imprimés sans signes de ponctuation ni espaces entre les mots. Les
élèves instruits par les deux premières méthodes mirent deux fois plus de temps
pour lire ces passages que les élèves instruits par la troisième méthode, lesquels
a lisaient aussi plus couramment et plus intelligemment». Il est à souligner que
ces élèves lisaient plus couramment que ceux du groupe phonétique comme cela
avait été le cas,dans la première série d’enquêtes,pour les élèves soumis à la méthode
a look and say ».
Selon Valentine2 on ne peut accorder beaucoup de poids aux résultats de cette
étude, et ce pour trois raisons: on ignorait le niveau respectif d’intelligence des
enfants; on n’a pas tenu compte de la compétence générale des maîtres (Gilla
cependant précisé que les maîtres employant la méthode H des phrases >> faisaient
preuve d’un esprit plus vif et plus moderne que la moyenne); enfin, la façon dont
les textes étaient imprimés favorisait le groupe qui avait appris à lire par phrases
entières.
En 1926, Peyton et PorterS se sont attachés à déterminer, par certains tests de
lecture,le niveau des connaissancesd’élèvesinstruits respectivementpar une méthode
traditionnelle,systématique,et par une méthode plus moderne. La méthode la plus
ancienne insistait surtout sur l’élément phonétique;le texte était sans intérêt pour
les enfants, comprenant essentiellement un grand nombre de phrases courtes com-
posées de façon à habituer les élèves à d’importantes combinaisons phonétiques.
Dans l’autre méthode, on employait des livres à la présentation attrayante et d’un
contenu intéressant,et l’accentétait mis sur la compréhensiondu texte.Cette enquête,
menée dans trois écoles, portait sur des classes qui,à une exception près, correspon-
daient à la première année d’études.Afin de déterminer la capacité de lecture des
élèves instruits par chacune de ces méthodes,on les a soumis au << Detroit First-grade
Intelligence Test D et au Pressey Primary Classification Test ».
Le progrès des élèves a été mesuré à l’aidede deux tests de lecture étalonnés;c’est
I. GILL, E d m u n d J., «Methods of teaching reading: a comparison of results)), journal of experimental
pedagogy, vol. 1, mars 1912, p. 243-248.
2. VALENTINE, op. cit., p. 107-108.
3. PEYTON, Edith M.,et PORTER,JameS P.,«Old and new methods of teaching primary reading)),
journal of applied ,bsychology, vol. X,juin 1926,p. 264-276.
L’enseignementde la lecture et de l’écriture

la même personne qui les a fait passer, dans les mêmes conditions,à tous les élèves
faisant leur première année d’étude.Les résultats ont montré que les sujets instruits
par la méthode des récits avaient fait des progrès beaucoup plus marqués; quand
on coupla les élèves selon leur niveau mental, on constata que ceux qui avaient
bénéficié de la méthode plus nouvelle avaient fait environ deux fois plus de progrès
que les autres. Quant aux progrès réalisés par des élèves faisant leur troisième
année d‘études et suivant les méthodes modernes, ils avaient été (< beaucoup plus
grands) )que ceux d’un autre groupe instruits par les méthodes traditionnelles.Ces
résultats prennent encore plus de valeur si l’on précise que la moyenne du niveau
mental du groupe instruit par la méthode des récits était significativement plus
basse que celle du groupe phonétique.
Mais bien que les résultats soient nettement favorables aux méthodes récentes,
on ne peut tirer de conclusions définitives de ces observations. C o m m e l’ont fait
remarquer les auteurs,on n’avait pas mesuré les facteurs tels que N la personnalité
du maître, l’enthousiasme des enfants, le caractère plus ou moins correct des habi-
tudes acquises par eux, leur rapidité à lire des yeux et, dans la plupart des cas, leur
rapidité à lire à haute voix)). Certaines enquêtes appartenant à la même série et
qui seront analysées ci-aprèsdans le présent chapitre confirment les constatations
et les réserves de Peyton et Porter.

MÉTHODE SYSTÉMATIQUE ET MÉTHODE PLUS SOUPLE

Depuis 1920environ,on s’est efforcé de mettre au point des méthodes d’enseignement


de la lecture plus souples et plus vivantes, et Meriaml a écrit: ( (I. La meilleure
façon d’enseigner à lire n’est pas d’enseigner la lecture, mais d’offrir à l’élève des
occasions [. ..] de lire [. ..] 2. Il faut laisser les élèves lire pour apprendre,et inci-
demment,ils apprendront à lire.) )E t il a signalé des cas où certaines observations
prouvent que les élèves instruits selon ces principes faisaient des progrès plus rapides
que les élèves d’écoles publiques recevant un enseignementméthodique de la lecture.
Malheureusement, il n’a donné aucun renseignement sur la formation générale et
les aptitudes intellectuelles des deux groupes, la compétence des maîtres, ni sur les
conditions où était dispensé l’enseignement.Or ces facteurs ont une grande impor-
tance dans une telle enquête,car le premier groupe suivaitles cours de l’écoleexpéri-
mentale d’une université.
Gates, Batchelder et Betzner2 ont fait des recherches beaucoup plus valables
en comparant deux groupes d’élèves d’une école expérimentale. A l’un de ces
groupes était appliquée une << méthode systématique moderne D et à l‘autre une
méthode dite a méthode opportuniste». Vingt-cinq couples d’élèves de première
année servirent de sujets et formèrent deux classes homogènes. L’appariement fut
réalisé grâce à des tests et à la confrontation des avis donnés par plusieurs maîtres
sur les points suivants:a) maturité et aptitudes physiques; 6) maturité d’esprit et
bon sens; c) maturité sociale et souplesse d’adaptation; d) maturité et stabilité
affectives; e) maturité et aptitude aux exercices scolaires.
Une classe fut instruite par la (< méthode opportuniste», l’autrepar la méthode
systématique moderne ». Par comparaison avec la méthode opportuniste,(< les leçons
quotidiennes étaient organisées d’une manière plus précise, le temps prévu pour
I. MERIAM, J. L.,((Avoiding difficulties in learning to read», Educational method, vol. IX,avril 1930,
P. 4’3-4’9.
2. GATES, Arthur I., en collaboration avec BATCHELDER,Mildred I., et BETZNER, Jean, «A modern
systematic versus an opportunistic method of teaching: an experimental study)), Teachers College
record, vol. XXVII, avril 1926,p. 679-700.

126
Le choix der méthodes: résultats des recherches

l’étude de certaines leçons plus rigoureusement fixé, le niveau à atteindre dans


chaque cas par les élèves plus strictement exigé, l‘ordre des matières à enseigner
plus complètementdéterminépar la nature du sujet et plus rigoureusement observé ».
La méthode opportuniste permettait plus de liberté et tenait compte des intérêts
et des goûts des élèves. <<Dansune plus grande mesure, le maître attendait que
les élèves ressentissent le besoin d’apprendre à lire, à écrire, à orthographier, et il
s’efforçait d’en tirer parti. L’enseignement comprenait un nombre moindre de
leçons et d’exercices préalablement fixés, que le maître proposait ou imposait aux
élèves.N
Des tests organisés à l’ouvertureet à la fin des cours permettaient de déterminer
les progrès réalisés par les élèves en matière de lecture, d’orthographe, d’arithmé-
tique,de dessin, ainsi que dans l’acquisitiondes connaissances,dans leur comporte-
ment social, affectifet moral, et dans certaines tendances et habitudes. Ces données
n’ont pas été concluantes en ce qui concerne l’élargissementdu champ d’intérêt,
le développement de l’espritd’initiativeet autres qualités d’ordre personnel et social.
La méthode opportuniste a donné des résultats un peu meilleurs en ce qui con-
cerne les fonctions motrices: écriture (style manuscrit) << à peu près certainement »,
et dessin << moins certainement». La méthode systématique moderne a donné de
bien meilleurs résultats pour des matières spécifiquement scolaires. En ce qui con-
cerne l’épreuvede lecture,la méthode opportuniste a connu 15 << échecs complets) )
sur les 25 élèves examinés, tandis que la méthode systématique moderne n’en a
connu aucun. Avec la première méthode, aucun élève particulièrement brillant
n’avait été formé;avec la seconde,5 élèves ont obtenu,à la fin de la première année
d’études, des résultats qui habituellement sont atteints seulement par les élèves
âgés de neuf à onze ans.
En étudiant ces constatations, Gates assure que si la capacité de lire, mesurée
objectivement par les tests, était le seul critère,a la méthode systématique pouvait
revendiquer la supérioritéD; mais, si l’on considère l’intérêtet l’enthousiasme pour
la lecture comme particulièrement importants, les données recueillies ne sont pas
concluantes. Si l’on veut que l’enseignementde la lecture contribue au développe-
ment de l’élèvedans d’autresdomaines,cette étude est incomplète.Pour déterminer
la meilleure des deux méthodes, il faut tout d’abord se poser la question:(< Meilleure
pour quoi?» Malheureusement, c’est là une question dont on ne s’est pas assez
préoccupé dans la plupart des recherches.

LA LECTURE DANS LES PROGRAMMES TRADITIONNELS ET LES PROGRAMMES


<< D’ÉDUCATION ACTIVE >)

Des études se rattachant de très près aux précédentes ont porté sur l’efficacitéres-
pective de l’enseignementde la lecture dam !es programmes traditionnels et dans
les programmes (< d’éducation active ». Pendant la première année d’études, les
programmes de ce dernier type se fondent largement,sinon exclusivement,sur les
préoccupations immédiates de l’élève. L‘initiation au mécanisme de base se fait
au fur et à mesure que l’occasionou le besoin s’en présente lors de l’exécutiondes
projets scolaires intéressants.A u début,on n’emploieque très rarement le matériel
d’enseignement qui est en vente dans le commerce. La lecture est donc enseignée
dans les écoles actives par des méthodes qui se rapprochent de très près de la
méthode << opportunisteD ou des méthodes appliquées dans les programmes intégrés.
C o m m e on a contesté la valeur des techniques appliquées dans ces écoles actives,
nous étudierons globalement les résultats des études objectives sur les progrès en
matière de lecture.
L ’ e n s e i p m t de la leciuse et de récriture

En 1929,Dickson et McLeanl ont mesuré les progrès réalisés par un groupe de


31 enfants à qui l’on apprenait à lire dans le cadre d’un programme intégré d’édu-
cation active. Les résultats obtenus dans les tests de lecture étaient excellents
pour l’ensemble du groupe, mais ils variaient considérablement selon les enfants.
L’analyse de ces résultats et d’autres informations ont permis de constater que les
progrès réalisés dépendaient dans une large mesure de l’âge mental et de toute l’ex-
périence acquise antérieurement.
En 1933,Lee2 a étudié l’efficacitédes programmes d’éducation active pour l’en-
seignement de la lecture pendant la première année d’étude.Dans tout 1’Etat de
Californie, I I. 167 élèves ont passé le test de lecture Lee-Clark.L‘enquête a porté
sur divers types d’établissement,depuis les écoles rurales à classe unique jusqu’aux
écoles urbaines comptant un très grand nombre de classes, les résultats ayant été
recueillis dans 144 classes différentes. Des informations ont aussi été réunies sur
<< le nombre des élèves dans chaque classe, le nombre de sections dans chaque salle
de classe,les différents types d’auxiliairesutilisés et le volume des exercices actifs ».
Il ressortait de l’enquête que les élèves des classes où l’éducation active est pra-
tiquée dans une large mesure n’apprenaient pas à lire aussi bien que les autres
élèves». Les progrès réalisés dans d’autres domaines de l’activitéscolaire n’ont pas
été mesurés, et les tests de lecture n’évaluaient les progrès accomplis que pour
quelques aspects de cette activité particulière. Toutes ces restrictions ont été recon-
nues. Lee a souligné que seul un programme d’évaluation plus vaste permettrait
de tirer des conclusions définitives touchant l‘efficacitérespective des deux types de
méthodes pédagogiques.
Entre 1930et 1950,il a été fait un grand nombre d’autres études, dont celle
de Wrightstones est très caractéristique.En 1941,les études publiées pendant les
dix années précédentes ont été résumées4,et la principale conclusion de ce travail
a été que :<< L‘influence des programmes d’éducation active et des méthodes non
systématiques sur les progrès en lecture est une de ces questions controversées [. ..]
auxquelles les travaux de recherche n’ontpas encore fourni de réponse concluante.N
En 1946,Traxler et Townsend5ont passé en revue les résultats signalés dans les
études analysées de 1935à 1940.Deux de ces études ont nettement démontré que
lorsque les élèves ayant appris à lire dans le cadre d’un programme d’éducation
active atteignaient les grandes classes,ils lisaient aussi bien ou mieux que les autres
élèves. D’après une autre étude, les enfants constituant des cas limites N et issus
de foyers misérables faisaient autant de progrès que les enfants suivant les cours
des écoles ordinaires. Se fondant sur les observations dont ils disposaient, Traxler
et Townsend ont conclu:<< Il semble que,de façon générale,toutes ces études tendent
à indiquer une certaine supériorité des programmes d’éducation active,bien qu’ilne
ressorte pas clairement des faits que ceux-cisoient plus favorables à l’enseignement
de la lecture que les programmes d’éducation traditionnels.D

I. DIcKSON,JuiiaE., et MCLEAN, Mary E.,«An integrated activity program try-out in a first grade
of the public schools)), Educational method, vol. IX,octobre 1929, p. 31-42.
2. LEE, J. Murray, «Reading achievement in first-grade activity programs)), Elementary schooljournal,
vol. XXXIII, février 1933,p. 447-452.
3. WRIGHTSTONE, J. Wayne, ((Evaluation of the experiment with the activity program in the N e w
York City elementary schools)), Journal of educational research, vol. XXXVIII, décembre 1944,
p. 252-257.
4. TRAXLER, Arthur E., en collaboration avec Margaret SEEGERet le personnel de 1’Educational
Records Bureau, «Ten years of research in reading)), Educational Records Bulletin, no 32, New York,
Educational Records Bureau, 1941,p. 38-39.
5. TRAXLER, Arthur E.,et TOWNSEND,Agatha, ((Another five years of research in reading)), Educational
Records Bulletin, no 46, N e w York, Educational Records Bureau, 1946, p. 56-57,

128
Le choix des méthodes: résultats des recherches

En 1951,Wrightstonel, qui depuis des années s’était fait le champion de la


méthode d’éducation active, est arrivé aux conclusions suivantes: Il ressort de ces
travaux de recherche qu’il s’agit de savoir non point laquelle des deux techniques
envisagées est la meilleure, mais bien quel est le rôle de chacune d’elles dans le
développement de l’aptitude à lire. Si l’on étudie de ce point de vue les données
recueillies, on constate que les deux méthodes d’enseignementcontribuent à la for-
mation des connaissances et des techniques fondamentales en matière de lecture.
Les a tableaux d’impressionsvécues B sont excellents pour éveiller l’intérêtdes élèves
et développer chez eux une attitude favorable à l’égard de la lecture, tout en en-
richissant leur expérience. Wrightstone avait souligné déjà que les livres de lecture
fondamentaux assurent un développement des attitudes psychologiques et des méca-
nismes en harmonie avec les conclusions des recherches. A son avis, l’enseignement
scoIaire de la lecture doit utiliser les avantages de ces deux méthodes pédagogiques.
O n peut conclure de ce qui précède que les études expérimentales concernant
les avantages respectifs de méthodes déterminées d’enseignement ne permettent
pas de dire exactement quelle est la meilleure, mais tendent plutôt à prouver que
telles méthodes donnent de meilleurs résultats pour certains aspects de la tech-
nique de la lecture,et telles autres pour d‘autres aspects. C o m m e l’a fait remarquer
Seegersz, qui a étudié les résultats obtenus pour des élèves instruits par plusieurs
méthodes différentes dans 55 classes de Pennsylvanie,aucune méthode n’estabsolu-
ment efficace ou inefficace, chacune ayant des avantages et des points faibles.
Ces constatations prouvent qu’il est indispensable tout d’abord de déterminer
quels aspects de la technique de la lecture on veut améliorer,puis de mesurer les
progrès accomplis. Les études analysées portaient dans une large mesure sur des
enfants et avaient été pratiquées exclusivement dans des pays de langue anglaise.
Dans la prochaine section,nous ferons état d’études analogues faites pour d’autres
langues.

PRINCIPES P R O P R E S À FACILITER LE CHOIX D E MÉTHODES EFFICACES

Si les travaux de recherche ne permettent pas de déterminer avec certitude quelle


est la meilleure de ces diverses méthodes, on peut en dégager néanmoins certains
faits et certains principes.

LES MBTHODES PARTICULIÈRESEMPLOYÉES POUR L’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE NE


DONNENT PAS LES MÊMES RÉSULTATS POUR TOUS LES MEMBRES D’UN MÊME GROUPE

Nous avons souligné à plusieurs reprises,dans la précédente section,que des élèves


instruits par la même méthode ne progressent pas au même rythme; on en trouve
la confirmation dans presque toutes les études publiées qui donnent des indications
détaillées sur les résultats obtenus par les élèves.
Dès 1917, Gray3 a comparé la vitesse et l’exactitude de la lectureorale chez des
élèves faisant respectivement leurs trois premières classes4dans 44 écoles de Cleve-
I. WRIGHTSTONE, J. Wayne, ((Research related to experience records and basal readers)), The reading
teacher, vol. V, novembre 1951,p. 5-6.
2. SEEGERS,J. C.,((Reading methods in Pennsylvania first grades)), Educational method, vol. VIII,
juin 1929, p. 510-515.
3. GRAY, William S., Studies of elementary school reading through standardized tests,Department of Educa-
tion, University of Chicago, 1917,p. 127-128. (Su$$ementary educational rnonograjh, no I .)
4. Normalement, la première classe correspond à la première année de fréquentation scolaire; la
deuxième classe, à la deuxième année de fréquentation scolaire, etc.
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

land (Ohio). Trois méthodes diffgrentes étaient appliquées: 26 écolesemployaient la


méthode Aldine (qui s’attache à la compréhension des textes), 17écoles la méthode
Ward (qui fait une large place à la phonétique et à l’identificationdes mots), et
une école appliquait sa méthode propre. La comparaison des résultats a montré
que dans les écoles utilisant la même méthode,les notes variaient considérablement,
aussi bien pour chaque élève que pour l’ensembl?de la classe. Parmi les écoles qui,
dans le réseau scolaire,se trouvaient au rang le plus bas ou au rang le plus haut,
les unes employaient la méthode Aldine, les autres la méthode Ward. Seegersl a
recueilli des indications analogues dans une étude concernant la lecture silencieuse
faite sur des élèves de 55 écoles de Pennsylvanie où étaient appliquées des méthodes
différentes.
D e même, McLaren2 a signalé de très importantes différences chez des enfants
.
de Glasgow (Ecosse) instruits par deux méthodes qui,l’uneet l’autre,insistaient à
la fois sur la compréhension du texte et l’identification des mots. L’enseignement
différait surtout en ce que, dans un cas, la phonétique était enseignée en dehors de
la classe de lecture, et que dans l’autre cas, elle faisait partie intégrante du pro-
gramme d’enseignementde la lecture. Les tests appliqués aux élèves portaient sur
la compréhension de l’imageet la reconnaissance des mots. Si les moyennes obtenues
par les deux groupes étaient à peu près identiques,en revanche,les résultats indivi-
duels variaient beaucoup. Enfin, un rapport détaillé3 sur les progrès réalisés par
des écoliers belges instruits en langue française par la méthode globale a signalé
d’importantes variations dans les résultats individuels.
M ê m e lorsque des recherches révèlent que l’une d’entre elles a une certaine
supériorité sur une autre, le fait remarquable est non pas la différence entre les
moyennes des résultats obtenus par des écoles appliquant différentes méthodes,
mais la grande diversité des résultats obtenus par des écoles qui utilisent la même,
et la grande diversité des résultats individuels obtenus par les membres de chacun
des groupes. Ces conclusions semblent valables pour les enfants de toutes les régions
du monde, et les observations et constatations présentées par des spécialistes de
l’éducation des adultes permettent de penser qu’elles s’appliquent aussi à cette
catégorie d’élèves.D e toute évidence,la méthode appliquée n’est pas le seul facteur
qui influe sur les progrès des élèves en lecture. Ce fait ne doit pas nous décourager
de rechercher la meilleure que l’on puisse employer en vue d’une fin déterminée;
il montre seulement que la méthode n’est que l’un des nombreux éléments dont il
faut tenir compte dans l’élaborationde programmes d’enseignementde la lecture.

DES MÉTHODES OPPOSÉES PRODUISENT DES RÉSULTATS DIFFÉRENTS

Parmi les études les plus instructives que l’on a signalées figurent celles qui ana-
lysent en détail les progrès d’élèves formés par des méthodes opposées.Les données
ainsi recueillies prouvent nettement que ces méthodes aboutissent d’ordinairechez
les élèves au développement de dispositions d’esprit et de mécanismes différents.
Nous examinerons brièvement ci-aprèsles conclusions de trois enquêtes de ce genre.

I. SEEGERS,J. C.,op. dit., p. 513.


2. MCLAREN, Violet M., «Socio-economic status and reading ability: a study in infant reading)),
dans: SCOTTISH COUNCIL FOR RESEARCHIN EDUCATION,Studies in reading, Londres, University of
London Press, 1951,vol. II,. p. 1-62.
3. SEEGERS,J. E.,La psychologie de la lecture et l’initiation
.
à la lecture par la méthode globale, Anvers, De
Nederlandsche Boekhandel, 1939, p. 324-359.
Le choix des méthodes: résuliais des recherches

La première d’entre elles a été menée par Buswelll, dans des conditions qui lui
ont permis de recueillir des indications détaillées sur les progrès accomplis dans
divers aspects de la technique de la lecture. Elle portait sur deux groupes d’élèves de
première année. Pour l’un d’eux,on avait insisté principalement sur la reconnais-
sance des mots. Une heure de classe fut spécialement consacrée à des exercices
phonétiques très poussés. Les élèves furent exercés suffisamment pour être à même
de reconnaître les mots par leurs propres moyens. Lorsque l’institutricepassait à un
texte nouveau, elle commençait par en exposer le sujet ù sa manière, afin d’éveiller
l’intérêtdes élèves. Puis,elle écrivait au tableau les mots nouveaux, en exerçant les
élèves à les lire au fur et à mesure. .. Une fois que tous les mots nouveaux avaient
été étudiés,les élèves lisaient le texte à haute voix.
Pour le deuxième groupe, on s’était attaché essentiellement à faire comprendre
aux élèves le sens du texte, à développer chez eux la disposition d’esprit nécessaire
pour lire, et à leur inspirer l’amourde la lecture par le choix de sujets intéressants.
((La méthode appliquée consistait à considérer d’abord l’ensemble d’un récit,
puis à étudier les phrases et les expressions et, finalement,chaque mot. L’étude des
mots, toutefois, venait après le développement, chez l’élève,de l’attitude d’esprit
appropriée à la lecture.»
Cette expérience a été faite dans deux écoles, utilisant chacune une méthode
différente. En vue d’étudier les progrès d’élèves se trouvant à deux niveaux diffé-
rents, on choisit dans chaque école, d’une part, un groupe d’élèves nouveaux qui
allaient commencer l’apprentissage de la lecture et, d’autre part,un groupe d’élèves
qui apprenaient à lire depuis six mois. Afin de ne faire porter l’expérienceque sur
les sujets considérés comme élèves types de la première année », on écarta tant les
très bons que les très mauvais élèves.
Les progrès des deux groupes furent examinés à des intervalles de six semaines,
ce qui,pour l’annéeentière,fournit une série de six relevés.Ces relevés étaient des-
tinés à faire ressortir les progrès réalisés sur les quatre points suivants: attitude
d’espritsatisfaisante à l’égardde la lecture,identification des mots, champ et vitesse
de l’identificationdes mots et régularité du déplacement du rayon visuel le long
des lignes imprimées;enfin,expression rythmée ou interprétation de chaque pensée,
par opposition à la prononciation mécanique des mots. Pour obtenir ces données,
Buswell photographia les mouvements des yeux des élèves pendant qu’ils lisaient
à haute voix,en même temps qu’il effectuait l’enregistrementsonore de leur lecture.
L’examen minutieux de ces documents a révélé d’importantes différences dans les
niveaux atteints par les deux groupes.
Les élèves instruits par la méthode qui s’attachait surtout à l’identificationdes
mots lisaient les mots plus correctement que ceux de l’autre groupe, suivaient les
lignes plus régulièrement et lisaient le texte plus fidèlement. Toutefois,ils avaient
tendance à lire d’une manière plus mécanique, avec moins d’expression et en
manifestant moins d’intérêt pour le texte. Les élèves qui avaient été instruits par
la méthode des récits lisaient les mots moins correctement et suivaient les lignes
moins fidèlement,mais lisaient d’une manière beaucoup plus vivante et, apparem-
ment, en prenant plaisir à leur lecture.
O n a tiré de ces faits les conclusions suivantes: avec la méthode qui attache
une importance primordiale à l’identificationdes mots, les élèves acquièrent l’habi-
tude de suivre les lignes imprimées, de prononcer tous les mots, mais ne mani-
festent pas un vif intérêt pour le texte. Cette méthode aboutit à ce que l’on peut
appeler la lecture chantante et mécanique. Elle ne suffit donc pas à former des lec-

I. BUSWELL,Guy Thomas, Fundamental reading habits: a study of their deuelopment,Department of Educa.


tion, University of Chicago, 1922, chap. III. (Supplementary educational monographs, no 2 I .)
E‘emeigmmennt de la lecture et de l‘écriture

teurs parfaits. Elle développe surtout la capacité d’identifier les mots, capacité
que d’ailleurs tous les élèves finissent nécessairement par acquérir. Elle n’aide pas
l’enfantà lire en saisissantle sens du texte.En revanche,lorsquela méthode s’attache
principalement à la pensée. . . les élèves s’intéressent au texte, mais ils apprennent
plus lentement à identifier les mots et à suivre les lignesl.
Une autre étude2a porté sur des classes de première et de seconde année. Deux
groupes,égaux en nombre et en a capacité moyenne », furent constitués dans chaque
classe. L’un reçut une préparation poussée en phonétique. a Tous les mots furent
étudiés phonétiquement.>> L’autre groupe fut instruit par la méthode des récits
et ne reçut aucune préparation phonétique. c Les mots étaient étudiés par les
méthodes fondées sur la perception intuitive et la compréhension du sens général
du texte.B L’examen des progrès des élèves dans les quatre groupes a permis de
faire les constatations suivantes:G Les élèves des groupes (< phonétiques D s’attachaient
à tel point aux sons des lettres que leur attention se portait non plus sur le sens de
l’alinéa,mais sur la prononciation des mots.Cette méthode les ennuyait,les fatiguait
et les privait du plaisir que le récit aurait dû leur donner. Leur lecture était géné-
ralement moins régulière, plus lente, et rendait l’expression de l’idée confuse. Les
élèves qui n’avaientpas fait d’exercices de phonétique prenaient plaisir à la lecture
pour elle-même.Ils saisissaient le sens général du récit. Ils prononçaient les mots
moins soigneusementet moins correctementque les élèves des groupes «phonétiques».
Ayant toujours à l’espritle sens du texte, ils remplaçaient souvent par des termes
empruntés à leur propre vocabulaire les mots difficiles ou ceux qui ne leur étaient
pas familiers.Ils lisaient plus rapidement et avec plus d’expression.Ils éprouvaient
moins de fatigue, car l’histoireles intéressait et ils en attendaient impatiemment le
dénouement.D
Seegers3 a montré les résultats obtenus par l’emploi de la méthode globale
dans une seule école. Cette étude avait principalement pour objet de déterminer la
nature et la rapidité des progrès réalisés par les élèves.Ceux-civenaient d’unelocalité
bilingue et leur âge réel allait de cinq ans et six mois à six ans et onze mois, leur
âge mental de cinq ans et deux mois à sept ans et huit mois, et leur quotient d’intelli-
gence4de 88 à I 18.
Les méthodes et les textes utilisés correspondaient à une forme courante de
l’enseignementglobal où la lecture,prenant pour base les principaux centres d’inté-
rêt, est étroitement intégrée aux autres activités scolaires.Le temps consacré à la
lecture ne dépassait jamais dix à quinze minutes pour les exercices du matin, et
quinze à vingt minutes pour les jeux de lecture pratiqués dans l’après-midi.La
lecture était considérée comme (< un simple exercice d’expression ». O n évitait systé-
matiquementles exercices d’analysede motsjusqu’àl’approchede la fin de l’annéeet,
m ê m e alors,on n’y consacrait qu’un temps limité. Ces exercices prenaient la forme
de jeux auxquels chaque enfant pouvait participer a selon ses moyens ».
A u cours de l’année,les élèves furent soumis à des tests fréquents.La première
partie de l’examen final consistait à lire une liste de 75 mots différents, ainsi que
I 16mots figurant dans IO phrases. O n notait le temps de lecture et les erreurs com-
mises. La seconde partie de l’examen avait pour but de mesurer la vitesse de la
lecture; l’épreuveportait sur 25 syllabes, IO mots et I phrase. O n marquait sur une
feuille d’examen les mots lus correctement.Pendantque les élèves lisaient les phrases,

I. BUSWELL,Guy Thomas, op. cit., p. 72.


2. CURRIER, Lillian Beatrice, et DUGUID,
Olive C.,«Phonies or no phonies», Elementary schooljour-
nal, vol. XVII, décembre 1916, p. 286-287.
3. SEEGERS, J. E., op.&, p. 360-362.
4 Les quotients d‘intelligence sont obtenus en divisant les âges mentaux, en mois, par les âges réels,
en mi s,et en multipliant par 100 le quotient afin d’éviter les nombres décimaux.
Le choix des méihodes: résultats des recherches

l’examinateurnotait les points suivants:( (I 0 caractèrede la lecture: sous-syllabique,


syllabique, hésitante, aisée ou expressive; 20 nombre de pauses; 3” durée de la
lecture; 4” mots mal lus.D
O n a tiré de cette enquête les conclusions ci-après:( (Avec la méthode globale,
telle qu’ellea été appliquée,les élèves ayant l’âge mental moyen de six ans peuvent,
en huit mois, apprendre à lire 300 mots environ en consacrant chaque jour vingt
à trente minutes à la lecture. Les élèves intelligents, ou ceux qui ont une aptitude
particulière pour la lecture, peuvent lire couramment au bout de cinq mois [. ..].
Il est parfois nécessaire de prévoir des différences individuelles assez sensibles et de
tenir compte d’anomalies qui peuvent éventuellement empêcher certains sujets
d’atteindre le même niveau que la moyenne des élèves.B
Seegers ajoute les remarques suivantes: ((Ainsi que l’a déjà fait remarquer
Simon, les résultats obtenus par la méthode globale sont totalement différents de
ceux qu’onobtient par la méthode synthétique.Nous reconnaissons m ê m e que nous
avons été souvent extrêmement embarrassés pour évaluer ces résultats;nous avons
préféré ne pas relever ceux qui se référaient au temps et aux pauses qu’avait exigés
la lecture. En voici la raison: nos élèves, habitués à reconnaître les mots connus
comme des ensembles (configuration générale, Gestalt) font peu d’effort pour dé-
chiffrer des syllabes qui n’ont aucun sens en elles-mêmeset des mots étrangers à leur
vocabulaire. En lisant des phrases,ils omettent les mots inconnus pour ne lire que
ceux qui leur sont familiers. O n pourrait considérer ce fait comme défavorable à
la méthode globale, mais nous estimons avec Vaney que l’enfant n’apprend à
lire qu’après plusieurs années.B
Des exemples précédents, il ressort nettement que l’emploi de méthodes diffé-
rentes pour l’enseignement de la lecture aboutit à faire acquérir aux élèves des
attitudes et des mécanismes d’ordres différents. Cette conclusion se trouve confir-
m é e par presque toutes les études comparatives détaillées qui ont été faites tant
sur des enfants que sur des adultes. Ces comportements et ces mécanismes peuvent
varier beaucoup -depuis ceux qui facilitent l’identificationdes mots jusqu’à ceux
qui développent l’intérêtde l’élèvepour le texte qu’illit. Ils peuvent aussi comprendre
la plupart,sinon la totalité, de ceux qui caractérisent le lecteur accompli.

LES MÉTHODES SPÉCIALISÉES


ENGAGENT LES ÉLÈVES SUR DES VOIES DIFFÉRENTESPOUR
ATTEINDRE LA CONNAISSANCE PARFAITE DE LA LECTURE

La manière dont l’élève commence l’apprentissage de la lecture entraînera-t-elle


par la suite des résultats différents?
C o m m e nous l’avons déjà vu, après un semestre d’un enseignement qui portait
principalement sur la compréhension du texte,beaucoup d’élèves étaient incapables
de reconnaître les mots et de suivre exactement les lignes,mais s’intéressaientvive-
ment au sens du texte. Selon Buswelll, les partisans de cette méthode prétendent
qu’cc une attitude d’esprit satisfaisante à l’égard de la lecture est d’une telle impor-
tance qu’on doit la développer le plus possible, en négligeant momentanément de
s’occuper des autres habitudes». Il considère que le danger réside non pas dans
le développement prématuré de l’aptitude à la lecture intelligente,mais dans le fait
de négliger d’autres attitudes et d’autres techniques très importantes. Toutefois,
la question de savoir à quel moment il convient d’introduire l’analyse des mots
est fort controversée. Pour bien des spécialistes,il faudrait insister sur ce point dès
le début. Pour d’autres,qui sont convaincus que les élèves doivent en fin de compte

1. BUSWELL,op. C k , p. 103-104.

‘33
L‘enseignement de la lecture et de l’écriture

apprendre à décomposer les mots en leurs éléments premiers, il ne faut pas les
obliger à identifier ces éléments avant d’y être préparés sur le plan psychologique.
Buswell démontre que les élèves instruits selon une méthode qui insiste avant
tout sur l’identificationdes mots étaient capables,à la fin du premier semestre,de
reconnaître les mots et de suivre exactement les lignes,mais qu’ils ne s’intéressaient
pas au texte et n’éprouvaientaucun plaisir à lire.Pour les partisans de cette méthode
la première des tâches à accomplir pour apprendre à lire aux enfants et aux adultes
est de les exercer à reconnaître les mots. Ici encore,selon Buswell,le danger réside
non dans le développement prématuré de l’aptitude à l’identification des mots,
mais dans le fait de négliger d’autres attitudes et mécanismes essentiels.
La question mérite d’être étudiée de près. Les nombreuses méthodes employées
pour apprendre à lire aux enfants et aux adultes développent toutes chez l’élève
certaines aptitudes et certaines capacités et en négligent d’autres qui sont tout
aussi importantes. Il s’ensuit que dans toutes les parties du monde, des milliers
d’enfants et d’adultes qui ont déjà bénéficié d’une assez longue préparation à la
lecture n’ont pas acquis toutes les attitudes psychologiques et tous les mécanismes
de base qui sont nécessaires pour savoir bien lire. O n peut trouver une solution
à ce problème dans les conclusions auxquelles ont abouti certaines recherches.

LA VALEUR DES PREMIERS PROGRÈS EN LECTURE RÉSULTE D’EFFORTS PORTANT À LA


FOIS SUR LA COMPRI~HENSIONDES TEXTES ET L’IDENTIFICATIONDES MOTS

L’une des tendances qui se sont récemment manifestées dans l’enseignementde la


lecture a consisté à combiner dans un programme coordonné des techniques spé-
ciales liées à tel ou tel aspect de l’acte de la lecture. L’utilité de cette tendance
ressort de plusieurs expériences.
Lors d’une enquête menée à Porto Rico en 1931-1932 et 1932-1933’, les pro-
grès réalisés par des élèves de première année instruits par une méthode strictement
phonétique ont été comparés à ceux d’un groupe semblable instruit par la com-
binaison de la méthode globale (phrases,récits, vers) et de la méthode phonétique.
Pour le groupe expérimental, la lecture était considérée comme l’interprétation de
la pensée exprimée par les mots écrits ou imprimés, et des leçons de phonétique
étaient données lorsque c’était nécessaire,mais comme un moyen d’atteindre une
fin,à savoir la compréhension du texte.Le groupe expérimental et le groupe témoin
étaient composés d’élèves choisis au hasard parmi ceux qui étaient entrés dans une
école donnée au début de l’année. Ils comprenaient chacun 35 élèves, instruits
par le même maître.
A la fin de l’annéescolaire,on a évalué les résultats au moyen de tests qui por-
taient sur trois points. En ce qui concerne la vitesse de la lecture silencieuse, le
groupe expérimental lisait en moyenne 58,75 mots à la minute et le groupe témoin
39,38. Pour la compréhension, le groupe expérimental a obtenu la note 18,1 et le
groupe témoin 14,2. Pour la lecture à haute voix de 38 mots, les élèves du groupe
expérimental ont mis en moyenne 36,25 secondes,et ceux du groupe témoin 55,83.
L’année suivante,l’expérience a été reprise dans quatre villes de Porto Rico,
la méthode phonétique étant employée .dans 6 classes et la méthode combinée
globale-phonétiquedans 13 classes. Les élèves ont été soumis aux mêmes tests, dont
les résultats ont nettement montré la supériorité de la méthode combinée sur la
méthode phonétique. Il n’y a qu’une classe où la méthode phonétique ait donné
de meilleurs résultats.
I. MONSERRATE, Josefita, etc., Manual del método de rimas y fonética para enreiïar a leer en elprimer grado,
San Juan, Porto Rico, Negociado de Materiales, Imprenta y Transportes, t934, p. 70.

‘34
L e choix des méthodes: résultats des recherches

En 1953, McDowelll s’est efforcé de déterminer les avantages respectifs de la


méthode phonétique et d’un programme d’enseignementde conception plus large.
(< La méthode phonétique, disait-il,exige,de par son caractèremême, une excellente
formation aux mécanismes phonétiques avant que l’enfant puisse commencer à
lire.B Le but initial était d’apprendre aux élèves à prononcer les lettres, puis les
syllabes et les mots,enfin les phrases.L’autreméthode comportaitune formation pho-
nétique,( (mais envisagée seulement comme une technique auxiliaired’appréhension
directe des mots, enseignée progressivement par l’analysede textes ayant un sens».
O n a demandé à certains instituteursd’employerexpérimentalementla méthode
phonétique pendant trois ans. Lorsque les sujets eurent atteint la quatrième année
d’études,on compara leurs progrès avec ceux d’élèvesinstruits par la méthode sco-
laire traditionnelle - en employant, tout d’abord,le Iowa Silent Reading Test ) )
(test de lecture silencieuse de l’Iowa). Les sujets étaient groupés par couples»,
77 composés de garçons et 55 de filles, les deux enfants de chaque c coupleB étant
d’intelligenceégale.D’aprèsles résultats,les élèves instruits par la méthode classique
lisaient plus vite, comprenaient les mots, saisissaient les phrases, utilisaient la table
des matières et, de façon générale,lisaient mieux que les élèves du groupe phoné-
tique. Ceux-ci,en revanche,étaient meilleurs en orthographe.
Une deuxième comparaison a été faite au moyen du << Metropolitan Reading
Test », auquel ont été soumis 128 c couplesD d’élèves, d’intelligence à peu près
égale, le groupe phonétique montrant cependant une légère supériorité. Les élèves
instruits par la méthode classique ont obtenu de meilleurs résultats en lecture, en
vocabulaire et en connaissance de la langue; ces différences, toutefois, ne se tra-
duisaient point de façon appréciable du point de vue statistique. En ce qui con-
cerne l’orthographe, le groupe phonétique avait une supériorité marquée -sans
doute en raison de l’importance donnée 2 l’orthographedepuis le début: comme l‘a
fait remarquer McDowell, la a disposition mentale >) (mental set) que ce programme
favorisait,se manifestait nettement, soit que l’on observât une classe quelconque,
soit que l‘on étudiât les données déjà connues. L‘enfant s’appliquait à bien pro-
noncer chaque mot, à trouver une rime quelconque pour le mot original [. ..] et
à l’orthographiercorrectement. Mais ce qui manquait, c’était la ( (disposition men-
tale» à rechercher le sens de ces mots.
Il faut insister dès le début, semble-t-il,tant sur le sens que sur l’identification
des mots. Il ressort des travaux expérimentaux de longue durée entrepris à l’uni-
versité de La Havane (Cuba) que ce principe s’applique aux adultes comme aux
enfants. L’étudeen question avait pour objet de déterminer les avantages respectifs
de la méthode des syllabes,de la méthode des mots et de Ia méthode des phrases
dans l’enseignementdonné aux adultes analphabètes.A la fin de chaque année, les
élèves passaient des épreuves portant sur la reconnaissance des mots et la compré-
hension du texte. Les trois méthodes étaient ensuite revisées à la lumière de ces
résultats. A’la suite de ces réformes, les trois programmes sont devenus de plus
en plus semblables,faisant tous dès le début une large place à la compréhension
du texte et à l’identificationdes mots. En ce qui concerne les méthodes, la princi-
pale différence tenait à l’importance de l’unité linguistique utilisée dans les pre-
mières leçons de lecture, deux des méthodes commençant par enseigner des mots
et la troisième par enseigner des phrases.
Cette technique est en accord avec la tendance éclectique décrite au chapitre
précédent. Ces deux études confirment qu’ilconvient de développer concurremment
chez l’élève l’aptitude à comprendre le texte et à identifier les mots. O n n’a pas

I. MCDOWELL, Rev.John B., «A report of the phonetic method of teaching children to read», The
Catholic education review, vol. L, octobre 1953,p. 506-519.
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

abouti à une conclusion quant à la nature et à l’importance de la formation que


les enfants doivent recevoir en matière d’analysedes mots au début de cet enseigne-
ment. C o m m e les adultes ont une plus grande maturité et un esprit plus analytique,
il y a intérêt à les initier dès le début à l’analyse des mots, sans toutefois réduire
pour autant l’importance accordée à la signification du texte.

F A C T E U R S E T CONDITIONS QUI I N F L U E N T SUR L E R Y T H M E


DES PROGRÈS EN LECTURE

Au chapitre rv ont été étudiés des facteursindividuels,tels que les aptitudes intellec-
tuelles du lecteur, sa maîtrise de la langue,son expérience,son état affectif,sa con-
dition physique et son âge. Toute variation de ces facteurs exige une adaptation
correspondante du programme et des méthodes d’enseignement.Passons maintenant
à l’étudedes éléments culturelset de l’influencedu milieu,qui influent également sur
le rythme des progrès en lecture et auxquels l’enseignementdevrait aussi s’adapter.

L’ÉLÉMENT CULTUREL ET L’INFLUENCE DU MILIEU

Les sujets d’intérêt d’une communauté, son idéal et son attitude à l’égard de la
lecture dépendent de sa culture. Dans certaines communautés, les individus ont
un c ardent désir D d’apprendre à lire et s’y appliquent dès qu’ils en ont l’occasion.
Dans d’autres,les gens sont satisfaits de leur sort; ou, plus simplement,apprendre
à lire ne les intéresse pas. Evidemment, il faut adopter selon le cas des méthodes
très différentes,si l’on veut obtenir des progrès satisfaisants lors des premières leçons
de lecture et voir ces progrès continuer.
Des différences culturelles se manifestent aussi au sein de chaque communauté.
Les enfants venant de familles où on lit ont souvent regardé des illustrations et
feuilleté des magazines lorsque leur père ou leur mère leur lisaient une histoire.
Ils ont aussi goûté certains des plaisirs que l‘onpeut tirer de la lecture et ils désirent
vivement apprendre à lire. Très souvent,ils ont m ê m e déjà déchiffré des écriteaux,
des étiquettes ou de petites histoires très simples. Aussi lorsqu’ils commencent à
apprendre à lire, s’appliquent-ilsgénéralement avec ardeur.
En revanche, des enfants venant de familles d’illettrés entrent à l’école sans
avoir aucune expérience de ce genre, ou en ayant bien peu. Aussi faut-ilsouvent
consacrerbeaucoup de temps à leur inspirer le désir même d’apprendreà lire durant
la phase initiale de l’enseignement.Les adultes illettrés, eux aussi, hésitent à venir
suivre des cours. La lecture leur semblant être une activité extraordinaire,ils con-
sidèrent qu’il n’est donné qu’aux êtres supérieurs de savoir lire et ils doutent de
pouvoir eux-mêmes apprendre à lire. Il est indispensable d’organiser pour ces
sujets une préparation à l’enseignement de la lecture et celui-ci doit être adapté
à leurs besoins particuliers.

LA LANGUE UTILISÉE

Au cours de leur évolution, les méthodes pédagogiques ont naturellement été


influencées par le genre des caractères d’écriture.Le problème qui se pose est très
différent selon qu’ils’agit de former de bons lecteurs en Chine ou au Japon ou bien
dans des pays qui ont des langues alphabétiques.
Et,dans ces derniers pays, les méthodes varient aussi en fonction des différences
L e choix des méthodes: résultats des recherches

linguistiques.Certains facteurs -tels les phonèmes,les syllabes,i’accent tonique,le


-
ton,l’ordredes mots,l’inflexion et les formes fixes obligentà modifier les méthodes
dans le détaill. Pour choisir une méthode d’enseignementde la lecture, il faut tenir
compte des caractéristiques propres à la langue dont il s’agit.

COMPÉTENCE DU M A ~ T R E

Il est souvent impossible d’adopter des méthodes modernes d’enseignement parce


que les instituteurs n’ont pas reçu la formation voulue. Dans certaines régions,les
maîtres n’ont eu aucune préparation professionnelle et connaissent seulement la
méthode qui a servi à leur apprendre à lire eux-mêmes.Si on leur demande d’en
employer une autre,ils font des objections et vont parfois jusqu’à démissionner.
Aussi,dans maintes communautés,juge-t-onpréférablede continuer à appliquer,
du moins provisoirement,des méthodes moins efficaces au lieu d’imposer l’adoption
de méthodes nouvelles avant que maîtres et parents aient reconnu leur valeur.
C’est ainsi que Zarrilliet Abadie Soriano2,après avoir procédé en Uruguay à une
enquête sur les avantages respectifs de la a méthode idéo-visuelle,non phonétique>)
et de la <c méthode phonétique analytico-synthétique», ont conclu que pour obtenir
les meilleurs résultats, il fallait combiner les éléments utiles de la méthode phoné-
tique avec la a haute valeur éducative>) de la méthode globale. Cependant, en
examinant l’attitude des maîtres et des parents à l’égard de ces deux méthodes,
ils ont constatéque les premiers connaissaientbien la méthode «phonétique analytico-
synthétique>) et l’utilisaient volontiers, tandis qu’ils ignoraient la méthode idéo-
visuelle et se montraient hostiles à son adoption. D e même, les parents n’étaient
pas partisans de la méthode idéo-visuelleparce qu’ils n’appréciaient pas la valeur
éducative des exercices préparatoires. C’est pour ces raisons, et parce qu’on ne
disposait pas du matériel nécessaire, que la méthode idéo-visuelle n’a pas été
adoptée.
Il n’y a rien à gagner,ou bien peu,à imposer une méthode qui suscite l’hostilité,
quelles que soient sa valeur et son efficacité générale. D’habitude,c’est avec une
méthode qu’il connaît et comprend qu’un maître obtient les meilleurs résultats.
Lorsque les circonstances ne justifient pas l’adoption immédiate d’une méthode
perfectionnée,il faut commencer par apprendre aux maîtres à s’en servir,préparer
les parents à cette réforme et mettre en place le matériel scolaire nécessaire.

LES BUTS À ATTEINDRE DANS L’ENSEIGNEMENT

Si la fin essentielle de l’enseignement est le développement général de l’enfant-


comme c’est le cas dans le programme global -les études de lecture sont naturelle-
ment subordonnées à cette fin.Le programme de leçons de lecture,le vocabulaire
à employer et les problèmes pédagogiques divers sont déterminés dans une large
mesure par l’activité quotidienne des élèves. Et les techniques d’enseignement
subissent une influence correspondante. Nous avons étudié au chapitre v, en exa-
minant le programme intégré d’enseignement, certaines des différences marquées
qu’il présente avec les programmes traditionnels relatifs à la lecture.

1. GUDSCHINSKY, Sarah, Handbook of literacy, rid.rev., Norman (Oklahoma), Summer Institute of


Linguistics,University of Oklahoma, 1953, 91 pages.
2. ZARRILLI, Humberto, et ABADIESORIANO,Roberto, Metodologia de la lectura; su evolucih desde el
deletseo a la globalimidn, Montevideo, 1946,p. 165-171.

‘37
L’enseimement de la lecture et de récriture

TEMPS CONSACRÉ A L’ENSEIGNEMENT

Le temps consacré à l’enseignement influe également sur la nature des méthodes


pédagogiques, leur succession et leur rythme d’application. Par exemple, si la
durée de la scolarité est de six ou huit ans,il est inutile de forcer l’allure pendant
la phase initiale; mais si elle est de trois ou quatre ans seulement, comme c’est le
cas dans de nombreuses régions,il faut pousser l’enseignement de la lecture dans
tous ses aspects.
Le facteur ((temps D est également important avec la plupart des adultes; aussi
le programme, les méthodes pédagogiques, leur succession et leur rythme d’appli-
cation doivent-ilsêtre choisis de façon à donner en un temps relativement bref aux
élèves une connaissance suffisante de la lecture. Mais les objectifs de l’enseignement
ne doivent pas être trop étroits; sinon, une fois les cours terminés, les adultes ne
seront pas en mesure de tirer parti des quelques connaissances qu’ils auront acquises,
ou du moins ne pourront les utiliser que dans une faible mesure. C’est effective-
ment le cas aujourd’huide très nombreux adultes. Et il faudra beaucoup de temps
et d’efforts pour pouvoir remédier à cet état de choses. Le programme doit être
conçu de façon à assurer, dès la période initiale, le développement continu des
élèves jusqu’à ce qu’ils aient acquis un minimum d‘instruction fonctionnelle.
D e ce qui précède ressortent au moins deux importantes conclusions: c’est que
certains faits et principes sont d’une application universelle quant au choix des
méthodes d’enseignement de la lecture, et c’est que souvent il est indispensable
d’adapter les méthodes aux diverses cultures, langues et communautés. Le choix
des méthodes doit s’inspirer d’uneclaire compréhension des principes communs et
de la connaissance spéciale des conditions et des besoins d’ordre local.

V A L E U R DES A U X I L I A I R E SD E L ’ E N S E I G N E M E N T D E L A L E C T U R E

Nous signaleronsici les conclusions de recherches faites sur la valeur des auxiliaires
de l’enseignement de la lecture, qui s’emploientde plus en plus, dans de nombreux
pays.

L’ÉCRITURE COMME AUXILIAIREDE L’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE PENDANT


LA PHASE INITIALE

Depuis que l’enseignement de la lecture a débuté dans la Grèce antique, il a été


étroitement associé à l’enseignement de l’écriture.Les manuels de lecture et de
morceaux choisis contenaient des directives pour l’enseignement de l’écriture, et
l’onemployait les mêmes textes pour ces deux enseignementsjusqu’à la date récente
où sont entrées en application de nombreuses méthodes nouvelles allant d’une inté-
gration de tous les arts du langage jusqu’à l’enseignement séparé de la lecture et
de l’écriture,ou même l’ajournement de ce second enseignement.
Presque tous les spécialistes des arts du langage sont partisans de commencer
ces deux enseignements à peu près en m ê m e temps.A leur avis,les progrès réalisés
d’un côté font avancer de l’autre. En écrivant les mots, l’élèveen observe les détails,
arrive à les distinguer les uns des autres et enrichit son vocabulaire de lecture.
Selon les observations faites par Freinet1,l’écriture est un auxiliaire très précieux
tant pour la préparation à la lecture que pour la rapidité des progrès en lecture.

1. FREINET, C.,Méthode naturelle de lecture,Cannes,Editions de 1’Ecole moderne française,1947,59pages


ill. (Brochures d’éducation nouvelle populaire, no 30.)

138
Le choix des méthodes :résultats des recherches

Hildrethl, résumant de nombreuses études objectives sur la question, a déclaré


que a l’écriture facilite l’identification des mots et renforce le sens des phrases.
Elle attire l’attention [de l’élève] sur les caractéristiques des mots », et l’aide(< à se
constituer un vocabulaire visuel ». D e même, elle contribue directement à la forma-
tion d’une bonne orthographe. Fernaldaa réuni des observations prouvant que la
méthode kinesthésique,qui comprend de nombreux exercices de bâtons et d’écriture,
donne d’excellentsrésultats pour les enfantsqui ont de la difficulté à apprendreà lire.
Les exercices d’écriture sont également très utiles, passé le premier stade de
l’apprentissage de la lecture. A cet égard, Sutton3 a cherché à déterminer dans
quelle mesure les progrès en lecture sont influencés par la ( (rédaction d’histoires,
de poèmes et de rapports qui seront lus ultérieurement par d’autres élèves de la
classe»;après quatre mois, le groupe expérimental avait fait 90% du programme
de l’année,tandis que le groupe témoin en avait fait35%. S’ilest possible que d’autres
facteurs aient contribué à cette supériorité du groupe expérimental, il n’en est pas
moins certain que les exercices d’écriture associés de très près aux leçons de lecture
favorisent considérablement les progrès en lecture. Toutefois, on n’a pas d’obser-
vations expérimentales, ou bien peu, sur les avantages respectifs d’un enseignement
intégré et d’un enseignement parallèle mais étroitement lié de la lecture et de
l’écriture.

LA DACTYLOGRAPHIE ET L’IMPRESSION COMME AUXILIAIRES DE L’ENSEIGNEMENT


DE LA LECTURE

On emploie également comme auxiliairesde l’enseignementde la lecture les machines


à écrire et les jeux de caractères d’imprimerie.D e nombreux spécialistes de l’édu-
cation des jeunes enfants, tels que Dottrens en Suisse et Freinet en France, sont
partisans de leur utilisation. Dès 1936,les conclusions ci-aprèsétaient tirées d’une
série d’études consacrées à l’influence de la dactylographie sur les progrès en lec-
ture4: ((D’après les observations dont nous disposons actuellement, il semble que
l’emploide la machine à écrire a un effet favorable sur l’enseignementde la lecture
dès les premières années. Il contribue à rendre plus nettes les perceptions visuelles
et probablement à donner un sens plus précis aux impressions auditives [. ..].
Dans l’enseignement moyen, la dactylographie a une influence indéniable sur la
compréhension des mots et des phrases par l’élève [. ..]. O n peut conclure sans
risque d’erreur que la dactylographie exerce, sur l’enseignement de la lecture à
l’école primaire, une influence réelle et importante.>> Bien que l’on n’ait pas fait
d’études analogues sur l’emploide matériel d’imprimerie,on est en droit de penser
que son effet est tout aussi grand.

DIAPOSITIVES, FILMS FIXES ET FILMS

Divers auxiliaires visuels sont aussi de plus en plus employés. Les enquêteurs ont
constaté que les diapositives en couleurs fournissent à ceux qui apprennent à lire
HILDRETH, Gertrude, ((Interrelationships among the language arts)), Elementary school journal,
XLVIII, juin 1948, p. 538-549.
FERNALD, Grace M.,Remedial techniques in basic school subjects,N e w York, McGraw-Hill Book CO.,
‘9439 349 pages.
SWTTON, Rachel, G Irnprovement of reading skills through preparation of materiah»,Journal of
educational research, XLVII, février 1954, p. 467-472.
HAEFNER, Ralph, «The influence of the typewriter on reading in the elernentary school»,
Elementay English reuiew, XIII, décembre 1936, p. zg1-2g4.

‘39
L‘enseignement de la lecture et de l’ém‘iure

d’utiles éléments de formation;ils suscitent chez eux des images visuelles très nettes
et sont particulièrement précieux dans le cas des sujets qui ont de la difficulté à
apprendre à lire1. Quelques études ont aussi porté sur les films fixes et les films.
Lors d’une enquête de McCracken2,le texte du livre de lecture a été projeté devant
les élèves dans un film fixe avant d’êtrelu directement par eux dans le manuel;on a
pu constater qu’ils faisaient des progrès très supérieurs à la normale, sans doute
parce que le film fixe avait éveillé chez eux un vif intérêt et rendu plus vivante et
plus claire la leçon de lecture.

AUTRES AUXILIAIRESDE L’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE

D’autres enquêtes ont porté sur les livres-cahiersa,le matériel divers d’entraîne-
ment4,lesjeux5et les exercices (< tachyscopiques) )avec des cartes mnémotechniques6:
dans l’ensemble,les observations sont en faveur de l’emploide ces auxiliaires,mais
judicieusementdirigé.Bien que tous les élèves en tirent profit, c’est,semble-t-il,
pour
ceux qui ont l’espritlent qu’ils sont le plus utiles.
Grâce à ces auxiliaires de l’enseignement,les méthodes pédagogiques ont été
grandement améliorées. En continuant à les expérimenter,on arrivera certainement
à mettre au point des techniques encore plus efficaces.

CONCLUSION

Il est impossible de déterminer,en se fondant sur les observations dont on dispose,


quelle est la meilleure des méthodes actuellement employées pour l’enseignement
de la lecture. Chacune d’elles a ses avantages et ses insuffisances,et aucune ne donne
les mêmes résultats dans tous les cas. D’après les dernières recherches, il semble
que d’autres facteurs exercent une influence sur les progrès en lecture. Selon les
méthodes, on insiste sur tel ou tel aspect de la technique de la lecture,et c’est par
des voies différentes que l’on amène les élèves à savoir bien lire. Pour lire cou-
ramment,il faut que tôt ou tard l’élève soit complètement familiarisé avec tous les
aspects essentiels de cette technique. En règle générale, on obtient les meilleurs
résultats en insistant dès le début tant sur le sens du texte que sur l’identification
des mots. Cependant, il est indispensable d’adapter de nombreuses pratiques à la
culture,à la langue et aux conditions et besoins propres à chaque région. U n pro-
gramme judicieux d’enseignement de la lecture à l’intention d’une communauté
déterminée ne peut être mieux établi que par des éducateurs qui ont une parfaite
intelligence et des principes fondamentaux, d’application universelle,et des condi-
tions et besoins d’ordre local; dans ce programme,ils doivent faire aux auxiliaires
de l’enseignement la place qui leur revient.

I. JARDINE, Alexandre, «The experimental use of visual aids in teaching beginning reading», The
eduational screen, no 17, septembre 1938, p. 220-222.
2. MCCRACKEN, Glenn, «The N e w C a d e reading experiment: a terminal report)), Elementury
English Reuiew, XXX,janvier I 953, p. I 3-2 I .
3. PIERCE,R .P., et QUINN,Helen J., «A study of certain types of work materials in first-grade read-
ing», Elementary school journal, XXXIV,avril 1934, p. 600-606.
4. SCOTT, R.E.,((Flash cards as a method of improving silent reading in the third grade», Journal
of educational method, V,novembre 1925,p. 102-113.
5. GOFORTH, Lillian, « A classroom experiment in teaching reading and arithmetic through games»,
Journal of educational method, XVII,février 1938, p. 231-235.
6. DAVIS, Lourse Farwell, Perceptual training ofyoung children - National College of Education; a monography
on language arts, Chicago, R o w Peterson and Co., 1949.
C H A P I T R E VI1

NATURE ET ORGANISATION
DES PROGRAMMES D’ENSEIGNEMENT
DE LA LECTURE AUX ENFANTS

Dans les chapitres précédents, nous avons examiné la nature et la portée de l’in-
fluence qu’exercent les facteurs d’ordre culturel,linguistique,personnel et collectif
sur l’alphabétisation considérée comme l’un des moyens de favoriser les progrès
de l’individu et du groupe. Nous avons également analysé les caractéristiques et
l’efficacité de diverses méthodes actuelles d’enseignementde la lecture. Ce chapitre
et le suivant seront consacrés aux divers types de programme d’enseignement de
la lecture qui doivent être établis pour assurer une instruction fonctionnelle. Nous
examinerons d’abord la nature et la portée des programmes destinés aux élèves
des écoles élémentaires.

QUELQUES E X E M P L E S DES T Y P E S D E P R O B L È M E À R É S O U D R E

Les progrès effectués en matière de création d’écoles,les conditions dans lesquelles


la lecture est enseignée,la nature et l’ampleur de l’instructiondonnée varient forte-
ment d’un pays à l’autre.O n trouvera ci-dessousdes indications sur les principaux
problèmes auxquels on se heurte aujourd’hui lorsqu’on essaie d’apprendre à lire
à des enfants.

DANS LES RÉGIONS DONT LA SCOLARISATIONNE FAIT QUE COMMENCER

Les programmes appliqués dans les régions où l’enseignement scolaire commence


à s’organiser sont souvent très limités. Dans beaucoup de ces régions,la nécessité
de créer des écoles n’estpas encore généralement reconnue:seuls quelques particu-
liers, qui cherchent, le plus souvent sans subvention, à donner une instruction à
leurs enfants, s’efforcent d’en créer. Les bâtiments scolaires, lorsqu’il en existe,
répondent mal à leur objet, du point de vue tant de leurs dimensions que de leur
éclairage et de la manière dont ils sont outillés. Les maîtres, dont la formation est
le plus souvent rudimentaire ou nulle,n’ont qu’uneexpérience très limitée de l’orga-
nisation et de la direction des activités scolaires. Il n’y a pas d’écolesnormales,et
pas d’inspections.
Le matériel d’enseignement de la lecture se compose surtout d’un manuel,
conçu selon des méthodes purement mécaniques. Cet enseignement a pour but
principal d’apprendre aux enfants à reconnaître les mots. O n suppose que, s’ils
apprennent à reconnaître et à prononcer des mots, les enfants saisiront le sens des
passages qu’ils lisent. Malheureusement, les ouvrages qui permettent d’appliquer
les notions enseignées en classe sont rares ou même manquent totalement. Ces pro-

‘4’
L‘enseignement de la lecture et de l‘écriture

grammes et ces méthodes représentent tout au plus un début;ils sont incomplets et


se révèlent ordinairement incapables de préparer l’enfant à utiliser la lecture pour
son enrichissement personnel ou pour essayer de résoudre certains problèmes indivi-
duels ou collectifs. L’appui des pouvoirs publics, une direction énergique et une
aide concrète pendant une période prolongée sont des plus nécessaires.

DANS LES RÉGIONS où L’ON S’EFFORCE DE SCOLARISER TOUS LES ENFANTS

O n trouve ensuite les régions où subsiste un fort pourcentage d’analphabètes et


où des organismes gouvernementaux s’efforcent,dans le cadre d’un programme à
longue échéance,de créer des écoles pour tous les enfants. U n pays comme le Brésil,
par exemple, où la situation varie beaucoup d’un point à l‘autre,se heurte à de
très graves difficultés. Alors que d’excellentes écoles ont été créées dans certaines
communautés,il n’en existe aucune dans de vastes régions.Les bâtiments et l’équipe-
ment des écoles existantes sont de toutes sortes, depuis la ( (très rudimentaire>)
jusqu’à l’a excellente ». Une vingtaine au moins de manuels élémentaires sont uti-
lisés,qui représentent pratiquementtoutes les méthodes d’enseignementde la lecture,
depuis une méthode phonétique très formelle jusqu’à une méthode fondée sur la
phrase et sur le récit (méthode globale).
La plupart des maîtres n’ayant reçu qu’une formation rudimentaire ou nulle,
une grande liberté leur est laissée quant au choix des manuels et des méthodes.
C o m m e la plupart des maîtres qui n’ont pas reçu de formation pédagogique ont
appris à lire suivant les méthodes synthétiques traditionnelles,ils choisissent habi-
tuellement des manuels conçus selon les mêmes techniques. La situation qui en
résulte est c loin d’être satisfaisante». Les écoles normales qui ont été créées font
tout leur possible pour doter les maîtres de bons principes d’enseignement de la
lecture. Mais tant que le nombre des maîtres qualifiés ne s’accroîtrapas rapidement
et tant qu’un bon personnel d’inspectionne sera pas fourni aux régions qui en sont
encore dépourvues,les progrès seront très lents.
La plupart des instituteurs et des administrateurs de l’enseignement déplorent
le manque de textes simples propres à compléter le manuel. C o m m e les enfants
lisent peu, ils n’apprennent pas à lire couramment et n’acquièrent pas vraiment le
goût de la lecture. En outre, beaucoup de livres de lecture employés après la pre-
mière année se composent surtout de morceaux choisis de caractère documentaire,
portant sur l’histoire,la géographie et les sciences naturelles. La plupart sont trop
difficiles;sans cesse aux prises avec des difficultés de vocabulaire,l’élèvene dépasse
que très lentement le stade de la lecture mot par mot, et, comme le contenu de
ces livres ne l’intéresse pas et n’a aucun rapport avec son expérience personnelle,
il ne trouve dans la lecture qu’une satisfaction médiocre ou même nulle.
Certes, ces problèmes ne sont pas sous-estimés.A u cours d’une récente confé-
rence, certains membres du Ministère brésilien de l’éducationont instamment prié
l’auteur d’un manuel bien écrit de composer une série de livres fondés sur les pré-
occupations et l’expériencepersonnelle des enfants,afin de favoriser en eux le déve-
loppement du goût de la lecture au-delà du niveau du manuel; ils ont souligné
que, par ce travail, l’auteur pourrait apporter une contribution extrêmement pré-
cieuse au progrès général des enfants et à l’enseignement de la lecture dans son
pays. Il est partout urgent d’augmenter et d’améliorer le matériel de lecture.
Nature et organisation des brogrammes d’enseigmment de la lecture aux enfants

DANS DES RÉGIONSoù IL EXISTEDES ÉCOLES BIEN ORGANISÉESPOUR TOUS LES ENFANTS

Dans les pays qui sont pourvus d’un système d’enseignementunifié et bien organisé,
qui ont scolarisé la plupart, sinon la totalité des enfants et qui disposent de bâti-
ments scolaires satisfaisants et d’un personnel enseignant suffisamment qualifié, il
est plus facile de concentrer les efforts sur l’améliorationde l’enseignement.Avec le
concours d’un comité de revision des programmes scolaires1,la Nouvelle-Zélande,
par exemple, s’efforce de mettre au point une formule propre à assurer les progrès
de l’élève dans tous les aspects fondamentaux de la lecture. Suivant ce comité,
il s’agit surtout d’éveiller et d’entretenir chez les enfants le goût de la lecture, de
leur apprendre parfaitement le mécanisme de la reconnaissance des mots, de déve-
lopper leur aptitude à comprendre ce qu’ils lisent,de les habituer à pratiquer cor-
rectement la lecture silencieuse,de les initier à l’art de la lecture orale et de leur
donner l’amourdes bons livres. Bref, il s’agit en leur apprenant à lire, de les doter
d’un moyen capital de développer leur personnalité et d’accroîtreleur utilité sociale.
Le programme d’enseignementproposé est divisé en plusieurs stades, à chacun
desquels correspondent certains objectifs stratégiques.Les trois premiers stades sont
la << préparation », l’aintroduction>) et le << perfectionnement ». Le premier stade
prépare l’enfant à apprendre rapidement à lire; il dure en moyenne six semaines,
mais le temps qui lui est consacré varie selon les besoins des enfants et leur facilité.
A mesure que les élèves font connaissance,on s’efforce d’éveiller en eux des senti-
ments de confiance,de sécurité et de bonne adaptation sociale. O n leur donne un
entraînement spécial visant à enrichir leur vocabulaire, à améliorer leur élocution,
à exercer leur oreille et leur acuité visuelle et à développer leur aptitude à inter-
préter les images.
Le stade << d’introduction>> dure de quatre à six mois, au cours desquels l’enfant
apprend de 75 à IOO mots et assimile les attitudes et les mécanismes indispensables
pour lire des textes très simples. Ces mots forment un vocabulaire de lecture qui
permet à l‘enfant de s’habituer à lire, silencieusement ou à haute voix, de courts
récits. Le stade << de perfectionnement >> dure dix-huit mois environ, pendant les-
quels on donne à l’enfant un enseignement spécial en vue de développer chez lui
à la fois la technique de la reconnaissance des mots et l’aptitudeà comprendre le
sens des textes. Ces deux éléments sont si intimement liés l’un à l’autre que l’enfant
est amené en peu de temps à lire et comprendre un texte sans aide. O n développe
la compréhension par l’étude des mots, par des discussions en classe,par des lec-
tures complémentaires et par des transpositions dialoguées. Grâce à un enseigne-
ment systématique, le vocabulaire des élèves atteint un total de 800 à 1000 mots.
L’aptitude à lire seul des textes simples qui est ainsi favorisée chez l’enfant le pré-
pare de manière générale à l’enseignement qu’il recevra plus tard.
Il est évident que ce programme néo-zélandais est très évolué par rapport à
ceux dont nous avons parlé plus haut. Les mesures que l’on prend actuellement en
Nouvelle-Zélandevisent à aider toutes les écoles à appliquer dans les classes élémen-
taires des programmes soigneusementétablis d’enseignementprogressifde la lecture.
Dans tout système d’enseignement,une direction et une préparation minutieuse de
ce genre s’imposent si l’on veut obtenir de bons résultats.
Les indicationsqui précèdent attestent de manière frappante que les programmes
actuels d’enseignementde la lecture diffèrent très sensiblement par leur nature et
par leur ampleur. Certaines de ces différences s’expliquent par des inégalités de
niveau culturel et par le rôle plus ou moins grand que joue la lecture dans la vie

I. NEW ZEALAND. EDUCATIONAL INSTITUTE. Syllabus Revision Committee, «Reading in the primary
school: reports)), supplément à National education,Wellington (Nouvelle-Zélande),[
19491,3 I pages.

143
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

de la population. D’autressont dues à la manière dont sont conçus les principaux


objectifs de la formation scolaire,ainsi que la nature et l’étenduede l’apprentissage
nécessaire. D’autres encore s’expliquentpar une inégalité des ressources financières,
des disponibilités en matériel de lecture et de la formation donnée au personnel, et
par une largeur de vue plus ou moins grande des dirigeants.
Pour améliorer les programmes d’enseignement de la lecture dans une com-
munauté donnée, le bon sens veut qu’on les prenne à leur niveau actuel de déve-
loppement et qu’on ne les modifie qu’au rythme permis par la situation locale.
Tous les programmes, qu’ils soient nouveaux ou revisés, doivent être adaptés aux
besoins des régions auxquelles ils s’adressent.Il est évident que les suggestionsfaites
dans un rapport de ce genre ne peuvent répondre toujours parfaitement aux besoins
de toutes les régions.Nous tentons ici de signaler les principales difficultés auxquelles
se heurte partout l’établissementde programmes judicieux d’enseignement de la
lecture,et de décrire les différentes sortes de matériel et de méthodes d’enseignement
qui, à la lumière de l’expérienceacquise et des résultats des recherches,paraissent
les meilleures de façon générale. Ces suggestions fournissent un cadre dans lequel
des communautés pourront poursuivre la mise au point de programmes adaptés
à leur situation et à leurs besoins particuliers.Nous nous sommes inspirés,pour for-
muler les propositions qui vont suivre, des ouvrages cités en notel.

1. BENZIES,D., Learning Our language, Londres, Longmans, Green and Co., 1951,138 pages. (A l’in-
tention des membres d u personnel enseignant des écoles africaines où l’on enseigne la langue
maternelle des enfants.)
CRUZ, GonzLlez, Adrihn, et MOYA, Bolivar,Instmcciones para ensenanru de la lectura y la escritura por
el método global, San José (CostaRica), 1954,7 pages, polycopié. (Carta circular no I [de la Mision
de Asistencia Técnica de la Unesco].)
DONNAY, Jacques,La fonction de globalisation et ses applications à l’enseignementen première année d’études,
2e éd., Liège, Desoer, 1951,298 pages. (Plan d’études, no 15.)
DOTTRENS, Robert, et MARGAIRAZ, Emilie, L’apprentissage de la lecture par la méthode globale, 3‘ éd.rev.,
Neuchâtel-Paris,Delachaux et Niestlé, I 947, I I I pages. (Actualitéspédagogiques et psychologiques.)
ELLIOTT,A.V.P.,et GURREY, P., Language teaching in African schools, Londres,Longmans, Green and
Co., 1949, 150 pages.
GUDSCHINSKY, Sarah, Handbook of literacy, Norman (Oklahoma), S u m m e r Institute of Linguistics,
1953, 85 pages, ill.
HAMAÏDE, Amélie, L a méthode Decroly, 4e éd.,Neuchâtel-Paris,Delachaux et Niestlé, 1946,261pages,
ill. (Actualitéspédagogiques et psychologiques.)
HENDRIX, Charles, L’enseignementde la lecture par la méthode globale, Liège, Desoer, 1947,87 pages, ill.
(Plan d’études, no 17).
XII‘ CONFÉRENCEINTERNATIONALEDE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE,GENÈVE, 1949,L’enseignement de la
lecture, Paris, Unesco, et Genève, Bureau internationald‘éducation, 1949, I 48 pages. (Publication
no I 13.) Publié également en anglais.
JANUSRVIC,M .J., Metodika nastave pochetnog chitanja i pisanja, (L’enseignement de la lecture et de
l’écriture), Belgrade, PedagoSko Drugtro NR Srbije, I 953, 69 pages. (Pedagofka Biblioteka, 40.)
JIMÉNEZ HERN~DEZ, Adoifo, El nigoy la lectura, San Juan Bautista de Puerto Rico, 1952,262pages,
index.
MARINHO, Heloisa, SILVEIRA,Juracy, et LACOMBE, Mabel J., ((Programa de adaptaçao a primeira
serien, Diario Ojcial, 31 mai 1950.
MEZEIX, P. (en collaboration), Méthodes de lecture, Paris, Bourrelier et Cie, 194.7, 85 pages, ill.
(Cahiers de pédagogie moderne. Classes maternelles, sections préparatoires.)
NATIONAL SOCIETYFOR THE STUDY OF EDUCATION,Reading in the elementary school, Forty-eight year-
book, part II, Chicago, University of Chicago Press, 1949,350 pages.
POLLEY, Mary E.,Teaching Filipino children to read; a practical manual for teachers and students, 2e éd.,
Manille, T h e Associated Publishers, 1941,405 pages.
RIODE JANEIRO. PREFEITURA. DEPARTAMENTO DE EDUCAÇAO PRIMARIA. Secretaria Gera1 de Edu-
caçao e Cultura, Vida e educa@o no jardim de infancia, Rio de Janeiro, Editora A. Nocte, 1952,
100 pages.
ROTHER, Ilse, L‘enseignement des technigus d’éducation de base. Rapport soumis à la Conférence sur
l’éducation et la santé mentale des enfants d’Europe. Paris, 1952. (Unesco/Conf./EMH/z.)
SCHONELL, Fred J., The psychology and teaching of reading, 2 e éd., Edimbourg-Londres,Oliver and
Boyd, 1946, 128 pages.

144
Nature et organkation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

Certes, beaucoup de communautés ne pourront adopter certaines de ces sug-


gestions tant qu’ellesne disposerontde ressources accrueset d’unpersonnel enseignant
mieux qualifié.Mais il s’agit d’objectifsvers lesquels elles peuvent tendre en appli-
quant des programmes constructifs à longue portée. La nécessité d’augmenter le
nombre et d’améliorer la qualité du personnel.enseignant est si urgente que les
mesures appropriées seront examinées au chapitre XII.

B U T S DE L’ENSEIGNEMENT D E L A L E C T U R E

Pour établir un programme d’enseignementde la lecture, il est très important de


définir les buts à atteindre.D e ces buts, en effet, dépendent non seulementla nature
et l’ampleur du programme,mais aussi le contenu de l’enseignementet les méthodes
pédagogiques qui seront employées. Pour nous aider à définir les buts actuels de
l’enseignement de la lecture dans les écoles primaires, nous avons consulté trois
catégories de documents:premièrement,des études sur les besoins des jeunes enfants
pendant leur période de croissance et sur le rôle que la lecture peut jouer dans la
satisfaction de ces besoins; deuxièmement, des rapports sur les lectures que les
enfants doivent faire lorsqu’ils commencent à participer à la vie de la collectivité;
troisièmement, des programmes d’enseignement de la lecture à l’école primaire,
récemment élaborés dans différentes régions du monde. A l’aide de ces documents,
nous avons défini deux catégories d’objectifs,étroitement liées l’une à l’autre.
Dans le premier groupe figurent les résultats qu’il faut obtenir par la lecture.
Chaque leçon doit contribuer au développement de l’élève,l’accentétant mis sur
un ou plusieurs des buts suivants:
I. Donner aux enfants une expérience plus étendue des objets de leur entourage
immédiat;
2.Donner plus de sens à leur vie en leur faisant comprendre l’expérienceacquise
par autrui;
3.Etendre leur connaissance des choses, des événements et des activités à d’autres
lieux, d’autres pays, d’autres peuples et d’autres époques;
4.Les intéresser davantage à un monde en voie d’expansion;
5.Améliorer leurs attitudes, leurs idéaux et les styles de conduite qui leur sont
propres;
6.Leur permettre de trouver la solution de problèmes tant individuelsque collectifs
adaptés à leur âge;
7.Enrichir leur culture;
8.Leur donner de nouvelles sources de plaisir et de joie;
9.Les amener à mieux penser et à mieux exprimer leurs idées;
IO. Les aider à se familiariser davantage avec les aspirations, les activités et les
problèmes de la collectivité.
Le deuxième groupe d’objectifs se rapporte aux attitudes d’esprit et aux mécanismes
qu’il faut développer chez les enfants pour obtenir les divers résultats décrits ci-
dessous:
I. Inspirer aux enfants le vif désir d’apprendre à lire;
2. Stimuler leur curiosité ou provoquer leurs questions au cours des lectures;
3. Les habituer à reconnaître exactement les mots;
4. Les rendre capables de résoudre des problèmes simples, d’ordre personnel ou
collectif,rencontrés au cours de leurs lectures; .
(Suite de la note I de la page 144.)
ZARRILLI,
Humberto, et ABADIE SORIANO,
Roberto, Metodo1og;a de la lectura; su euolucidn desde el
deletreo a la globalizacidn, Montevideo, 1946, 268 pages.

‘45
L’enseipnement de la lecture et de l’écriture

5. Les habituer à lire correctement à haute voix;


6. Les amener à lire de plus en plus vite silencieusement;
7. Développer en eux le goût de la lecture et l’habitude de lire régulièrement par
curiosité ou par plaisir.
Les buts énoncés ci-dessus diffèrent à trois égards au moins d’un grand nombre
de ceux qui figurent dans des rapports récents.Tout d’abord,on y insiste davantage
sur les résultats que la lecture doit permettre d’obtenir que sur les techniques à
acquérir. O n estime que la majorité, sinon la totalité,des leçons de lecture doivent
aider à enrichir l’expérience personnelle, à préciser la pensée et à contribuer de
diverses manières au développement de l‘enfant.En second lieu, l’assimilation par
l’enfant des diverses attitudes et techniques qu’implique une lecture efficace nous
apparaît comme un moyen d’atteindre des objectifs plus importants. En fait, la
nature et le nombre des attitudes et des techniques sur lesquelles il faut insister au
cours d’uneleçon de lecture dépendent dans une grande mesure des résultats recher-
chés. Enfin, la gamme des attitudes et des techniques énumérées est plus étendue.
La lecture peut, à l’école primaire, servir bien d’autresfins qu’il ne paraissait pos-
sible autrefois;il faut toutefois, pour cela,faire acquérir très tôt à l’enfantdiverses
attitudes et techniques qu’on ne lui inculquait d’ordinaire que pendant les dernières
années de sa vie scolaire, ou m ê m e pas du tout. S’ilest peut-être inopportun ou
impossible, dans certaines collectivités, d’atteindre pour le moment tous les buts
indiqués, du moins les autorités chargées d’établir des programmes en vue d’une
application immédiate doivent-elles être guidées par une conception précise des
objectifs généraux qui, tôt ou tard, pourront s’imposer.

A M P L E U R ET S T R U C T U R E D’UN P R O G R A M M E D ’ E N S E I G N E M E N T
D E LA LECTURE

Nous sommes amenés maintenant à nous interroger sur l’ampleur et l’organisation


du programme qui permettra d’atteindre les buts que nous venons d’indiquer.
Beaucoup d’études ont été effectuées à ce sujet dans divers pays depuis quelques
années. L’une des principales conclusions auxquelles ont abouti leurs auteurs est
que, dans chaque école, on doit appliquer un programme d’enseignementde la
lecture minutieusement établi et progressif. Ce programme doit, tout d‘abord,se
concentrer sur quelques-unsdes objectifs les plus importants et s’élargir ensuite pro-
gressivement,jusqu’à ce que les élèves aient atteint le niveau auquel on veut les
amener.
Trois sortes au moins d’informations ont été utilisées pour établir des pro-
grammes de ce genre. La première porte sur la nature et l’étenduede l’expérience
antérieure des élèves et sur les principaux de leurs goûts et de leurs besoins. Elle
renseigne sur le genre de textes qui donneront les meilleurs résultats,sur les raisons
de lire auxquelles les élèves seront le plus sensibles et sur l’expérience à laquelle
ils auront besoin de faire appel pour interpréter ce qu’ils lisent. La deuxième porte
sur le niveau de développement mental, physique, social et affectif des enfants.
Les renseignements de ce genre permettent de déterminer la mesure dans laquelle
les enfants sont prêts à apprendre à lire lorsqu’ilsentrent à l’école,le rythme pro-
bable de leurs progrès et la nature des difficultés à prévoir et à surmonter.La troi-
sième catégorie d’informations renseigne sur les progrès que font normalement les
enfants aux divers stades,syr le rythme probable des progrès que l’on peut espérer
pour les différentes opérations psychologiques de la lecture,et sur l’attention qu’il
convient d’apporter à chacune au cours de l’enseignement.
Grâce à ces renseignements,on a constaté que les élèves passent en général par
Nature et organisation des programmes d‘enseignement de la lecture aux enfants

une série de périodes ou étapes progressives1 au cours de l’apprentissagede la lec-


ture. Nous avons déjà fait allusion au programme néo-zélandais d’enseignement
de la lecture, qui a été établi selon ce principe. A la suite d’expérienceseffectuées
dans de nombreux centres, les spécialistes se sont à peu près mis d’accord sur la
nature des divers stades par lesquels l’élève doit passer avant de savoir lire cou-
ramment. L‘acquisition d’un minimum d’instruction fonctionnelle exige quatre
stades de ce genre. Aux fins du présent rapport, il leur sera donné une définition
applicable à toutes les cultures et à toutes les langues. Ces étapes sont les suivantes:
Premier stade: Préparation à la lecture;
Deuxième stade :Apprentissage de la lecture de textes très simples;
Troisième stade :Assimilation de plus en plus rapidedes attitudeset des mécanismes
fondamentaux de la lecture;
Quatrième stade :Acquisition de goûts et d’habitudesrépondantà une plus grande
maturité d’esprit en matière de lecture.
Nous allons maintenant examiner la nature et la portée des exercices de lecture
et des méthodes d’enseignement auxquels il faut avoir recours à chaque stade.
Nos suggestionsreposent sur les résultatsde recherches et sur l’expériencede maîtres
de diverses régions du globe. Le texte primitif2 en a été modifié pour tenir compte
des critiques et des suggestions constructives que nous avons reçues d’unecinquan-
taine de spécialistes de l’enseignement de la lecture de nombreux pays répartis
dans tous les continents. Ces propositions doivent être examinées à la lumière des
besoins de chaque collectivité et adaptées ou modifiées en conséquence.L’enseigne-
ment de l’écriture doit être étroitement associé à celui de la lecture, comme on
le verra au chapitre x.

Premier stade :Préparation à la lecture

Ce stade couvre la période au cours de laquelle l’enfantacquiert l’expériencedirecte


et reçoit l’entraînementqui lui permettra d’apprendre à lire volontiers et avec suffi-
samment de facilité. La préparation à la lecture -au sens large -commence peu
après la naissance et se poursuitjusqu’aumoment où l’enfantreçoit un enseignement
méthodique. Il est évident que le foyer contribue tout autant que l’écoleà lui donner
la formation et l‘expériencevoulues. Toutefois,au sens où nous prenons ce terme
dans la présente section, la période préparatoire s’étend depuis le moment où
l’enfant entre à l’écolejusqu’à celui où il est prêt à apprendre à lire.

POURQUOI L’ENFANT DOIT ÊTRE PRÉPARÉ À L’APPRENTISSAGEDE LA LECTURE

O n a fréquemment démontré que le degré de maturité et les connaissances varient


sensiblementd’unenfant à l’autreau moment de l’entréeà l’école.Ainsi,les résultats
des tests appliqués au Brésil par M.Lourenço Filho3, et dont mention a été faite
au chapitre v, font nettement apparaître, chez les enfants qui entrent à l’école,de

GRAY, William S., «Reading», Child development and the curriculum,Thirty-eighthYearbook, Part I,
National Society for the Study of Education, Bloomington (Illinois), Public School Publishing
Company, 1939, chap.IX.
ID., Les méthodes d’enseignement de la lecture et de l’ém’ture:étudepréliminaire,Paris, Unesco, 1953. 2 vol.
(Etudes et documents d’éducation,no V.)
LOURENÇO FILHO, M . B., Testes ABC para ver$cafÜo da maturidade necessaria a aprendizagem da leitura
e escn’ta, 4a ediçao com material para aplicaçao, Sao Paulo, Ediçoes Melhoramentos (1952).
Publié également en espagnol par Editorial Kapeluz, Buenos Aires, 1952.
L’enreiRnement de la lecture et de l‘écriture

grandes différences en ce qui concerne plusieurs des aptitudes qui interviennent


dans l’apprentissagede la lecture.D’autresexemples sont également pleins d’intérêt.
MmeVernonl,en Ecosse, a étudié le vocabulaire de 200 enfants de quatre ans et
demi à cinq ans et demi au moment de leur entrée à l’école,et cela en les écoutant
parler: la plupart avaient un vocabulaire de 50 à 200 mots, avec une moyenne de
140,mais l’étendue du vocabulaire pouvait varier de 30 mots pour tel d’entre eux
à 500 mots pour tel autre. Des recherches2 effectuées au cours des trente dernières
années ont apporté des preuves convaincantes des différences considérables qui
existent entre les enfants en ce qui concerne d’autresaspects de leur développement
mental, physique,social et affectif; beaucoup de ces différences correspondent étroi-
tement à des différences dans les progrès qu’ils font en apprenant à lire.
L’enfantn’acquiert pas toujours avant d’entrerà l’école-dans le milieu familial
ou social où il vit -les goûts, les connaissances et les techniques indispensables.
Beatty3 a constaté chez les Indiens Navajos que les enfants élevés dans un foyeroù
l’on ne lit pas ne sont absolument pas préparés à la lecture. Ils ne savent m ê m e
pas que le langage peut être traduit par des signes.n C o m m e leurs parents ne leur
ont jamais rien lu,ils ignorent que les livres sont des sources de renseignements ou
d’histoires intéressantes. C o m m e ils ne vivent pas dans un monde de panneaux
d’affichage,d’enseignes,de journaux et d’avis au public, ils ne sont pas familiarisés
avec la forme imprimée du langage et n’ontpas atteint ce stade du ( (Qu’est-ce que
ça veut dire ? », par où passent d’ordinaireles enfants qui grandissent dans un milieu
où le signe imprimé est d’usage courant.
D e telles constatations soulignent combien il est souhaitable d’étudierattentive-
ment le degré d’aptitudeà la lecture des enfants qui entrent à l’école et de prévoir
une période de préparation pour tous ceux qui en ont besoin. O n retiendra, par
exemple, la recommandation de 1’Australian Council for Educational Research:
((Pour que l’apprentissage de la lecture à l’école ne se solde pas par un échec, il
importe-comme on le reconnaît de plus en plus -de ne pas faire pression sur les
enfants, et souvent même de retarder l’enseignement systématique de la lecture
jusqu’au moment où l’esprit et l’expérience des enfants leur permettront de le
recevoir4.B
Schonell est encore plus affirmatifdans ses conclusions: ( (La plupart des enfants
arrivent à l’école avec le vif désir d’apprendre à lire, mais trop souvent ils perdent
cet enthousiasme initial en raison des échecs qu’ilssubissent et des découragements
qu’ils éprouvent. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu’on ne prend pas suffisamment
la peine et le temps de leur donner la formation préliminaire dont ils ont besoin
pour apprendre à lire.D Pour quiconque connaît les faits, ajoute-t-il, <<il est indé-
niable qu’une période préparatoire à l’enseignementde la lecture est indispensable5.»
Presque tous les ouvrages6 relatifs à l’enseignementde la lecture qui ont paru récem-
ment soulignent l’importance d’une préparation suffisante à l’apprentissage de la
lecture.

I. FOR RFSEARGH
SCOTTEH COUNCIL Studies in reading, Londres,University of London
IN EDUCATION,
Press, 1949, vol. 1, p. 93-123.
2. «Reading» dans MONROE, Walter S., ed. Encyclopedia of educational research, Cd. rev., N e w York,
T h e Macmillan Co., 1950,p. 987-990.
3. BEATTY,Williard W., «Reading: a new skill)), Educationfor action; selected articlesfrom Indian education
rg36rg43, Chilloco (Oklahoma), Education Division, U.S. Indian Service, 1944,p. 153-1 56.
4. AUSTRALIANCOUNCIL FOR EDUCATIONAL RESEARCH, The approach to reading, Victoria, Melbourne
University Press, 1952,p 6. (îrimary school studies, no 1.)
5. SCHONELL,Fred J., op. czt., p. 26.
6. Voir, par exemple, les indications bibliographiques données au début du présent chapitre (note 1,
P. ‘44).

I4.8
Nature et organisation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

FACTEURS QUI INFLUENT SUR LE DEGRÉ DE PRÉPARATION À LA LECTURE

O n est ainsi amené à se poser plusieurs questions importantes.D’abord,quels sont


les principaux facteurs qui déterminent le degré de préparation à l’apprentissage
de la lecture? Le Scottish Council for Research in Education a donné à cette
question une réponse brève, mais instructive. c Il est évident qu’à sa naissance,
l’enfant n’est pas prêt à apprendre à lire. Pour pouvoir s’attaquer à cette tâche,
il doit avoir une acuité visuelle suffisante pour reconnaître de légères différences
dans la structure complexe des mots. Son acuité auditive doit être telle qu’elle lui
permette de distinguer un son complexe d’un autre. Il doit avoir acquis un certain
sens de l’orientationsur le plan auditifet visuel avant de pouvoir discerner la structure
sémantique des mots qu’il voit et de ceux qu’il entend. L’enfant qui va apprendre
à lire doit avoir une certaine facilité d’élocution, car au stade initial la lecture
consiste normalement à allier par la parole la forme visuelle d’un mot avec son
sens connu. Une élocution défectueuse,qu’elle soit due à la persisiance du a parler
bébé >) ou à une déficience d’ordre nerveux ou musculaire, retarde l’apprentissage
de la lecture. Le développement de l’intelligence est également un facteur de l’apti-
tude des enfants à la lecture. Ceux qui sont très attardés du point de vue intellectuel
sont incapables de lire correctement. L’enfant normal, à mesure qu’ilse développe,
élargit son expérience du monde et enrichit son vocabulaire et sa capacité d’expres-
sion orale. La préparation de l’enfant à la lecture dépend également de l’équilibre
de son développement affectif. Pour être prêt à lire, il doit être capable de fixer
son attention,et l’acquisition de cette faculté peut être retardée ou empêchée s’il
n’arrive pas se constituer une personnalité cohérentel.) )
O n trouvera dans la fiche de préparation à la lecture qui figure à la page 151
l’indication de plus de vingt facteurs distincts dont on a constaté l’influence sur
l’apprentissagede la lecture.Les résultats de diverses études faites sur cette question
montrent que, partout où les tests ont été administrés aux enfants qui entrent à
l’école,de grandes différences ont été constatées à tous ces points de vue. D’autres
études montrent que l’apprentissage de la lecture est beaucoup plus rapide lors-
qu’on est parvenu à corriger ou à supprimer certaines déficiences.

DEGRÉ DE DÉVELOPPEMENT NÉCESSAIRE

Parmi tous ces facteurs, on a surtout étudié l’âge mental que doit avoir atteint
l’enfant pour commencer à apprendre à lire. Les conclusions2 auxquelles on a
abouti peuvent être ainsi résumées: u) les élèves d’un âge mental de six ans et demi
font généralement des progrès rapides s’ils sont, à d’autres égards, bien préparés
à apprendre à lire; b) les enfants d’un âge mental de six ans font généralement des
progrès satisfaisants si leur développement est normal en ce qui concerne les autres
facteurs de la préparation à la lecture; c) beaucoup d’élèvesqui n’ont pas atteint
l’âgemental de six ans peuvent apprendre à lire, à condition que les textes de lecture
soient très simples et aient un contenu intéressant et familier et que les méthodes
appliquées soient adaptées à leurs besoins. D e fait, les études effectuées en EcosseS
et l’expérience acquise dans plusieurs autres pays montrent que des enfants qui
se sont développés normalement peuvent apprendre à lire à l’âge de cinq ans si
l’enseignement est adapté à leur degré de maturité. (Quant à savoir si l’appren-

I. SCOTTISHCOUNCIL FOR RESEARCH


IN EDUUTION, op. d., vol. II, p. 69.
2. «Reading», dans: MONROE,Walter S.,ed., op. n’t., p: 988.
3. SCOTTISHCOUNCIL FOR RESEARCH
IN EDUCATION, op.nt.,vol. II, p. 64-80.

‘49
E’emeignement de la lecture et de l‘écriture

tissage de la lecture est le but principal de l’éducationdes enfants de moins de six


ans d‘âge mental, c’est là un point qui demande à être étudié avec soin.)
Il arrive que des enfants, dont l’âge mental peut varier, mais qui sont sérieuse-
ment en retard ou déficients à d’autres points de vue essentiels, sont incapables
d‘apprendre à lire. Si l’on tente alors de les y contraindre, on risque fort de les
rendre hostiles à la lecture et m ê m e à toute activité scolaire.
A u contraire, les enfants très doués sont souvent prêts à apprendre à lire bien
avant d’entrer à l’école.Retarder l’apprentissagede la lecture pourrait être, dans
bien des cas,une erreur aussi grave que de vouloir contraindre des enfants n’ayant
pas le degré de maturité voulu à apprendre à lire dès leur entrée à l’école.
Malheureusement, on ne trouve pas dans la documentation dont on dispose
de normes aussi objectives concernant les autres aptitudes requises; mais il est pro-
bable que l’enfant doit notamment:
I. Posséder un vocabulaire comprenant tous les mots employés dans les premières
leçons de lecture, ainsi que les mots indispensables pour pouvoir faire tous les
exercices qui s’y rattachent;
2. Etre capable de s’exprimer clairement, de raconter un enchaînement simple
d’événements ou une histoire simple, et de rendre compte de ce qu’il a vu ou
entendu;
3. Etre capable de se servir de l’expérience qu’il a acquise pour répondre à des
questions,pour faire un choix et pour résoudre des problèmes simples;
4. Etre capable de regarder et d’écouter avec une attention suffisante pour en-
registrer les faits et les détails importants et se les rappeler;
5. Etre capable de distinguer les formes et les sons avec une précision suffisante
pour apprendre à distinguer un mot d’un autre;
6. Avoir atteint un degré de développement social et affectif suffisant pour pou-
voir prendre part volontiers et sans timidité exagérée à des activités collectives;
7. Etre suffisamment capable de s’adapteraux méthodes scolaires pour obéir aux
instructions données et exécuter les tâches à accomplir;
8. Désirer assez vivement apprendre à lire pour s’appliqueravec passion aux pre-
mières lectures.
Chacune de ces aptitudes est souhaitable.L’expérienceet les résultats des recherches
montrent toutefois que les progrès de l‘enfant ne dépendent pas de son niveau de
développement à l’un quelconque de ces points de vue, mais plutôt de son aptitude
globale à apprendre à lire, qui résulte de son degré d’évolution à tous ces points
de vue à la fois. Il s’ensuitque l’âgemental ou le degré de développement de n’im-
porte lequel des divers facteurs qui influent sur la préparation à la lecture peuvent
varier très sensiblement chez les enfants capables d’apprendre à lire.

MÉTHODES PERMETTANT DE DÉTERMINER LE DEGRÉ DE PRÉPARATION DES ENFANTS


À LA LECTURE

O n emploie actuellement plusieurs méthodes. Dans beaucoup d’écoles,on fait


subir à tous les enfants des tests d’intelligence générale lors de leur entrée à l’école
ou peu après. Certains de ces tests sont des tests individuels1,d’autres sont des
tests collectifs2.O n trouvera en annexe une longue liste de tests d’intelligence géné-
rale pour enfants qui ont été publiés dans divers pays. Les tests collectifs ne sont
pas aussi sûrs que les tests individuels,mais ils demandent beaucoup moins de temps

1. Revised Stanford Binet test of intelligence, New York City, Houghton MiAlin Company.
2. Cdi$omia tests of mental maturity, Los Angeles, California Test Bureau.
Nature et organisation des brogrammes d’enseignement de la lecture aux enfants

et donnent des résultats qui aident beaucoup à prendre des décisions. Les études
statistiques font apparaître u n e corrélation positive -
d e coefficient 65 environ -
entre les résultats d e ces tests et les progrès des enfants dans l’apprentissage d e la
lecture. Bien q u e ce coefficient soit assez élevé, il indique q u e les progrès d e l’enfant
dans ce d o m a i n e ne sont pas uniquement fonction d e ses aptitudes intellectuelles.
U n e autre m é t h o d e consiste à employer les tests dits d e préparation à la lecture1,
qui ont pour but de mesurer le degré de développement de l‘enfant pour c h a c u n
des facteurs qui influent sur l’apprentissage d e la lecture. L a figure I I (p. I 73) d o n n e

I FICHE DE PRÉPARATION A LA LECTURE


I
N o m de l’enfant .............................................................................................
Date de naissance ........................................ Age: .............ans .............mois
Résultats des tests que l’enfant a p u subir:
A g e mental ........................ Quotient intellectuel..........................
Degré de préparation & la lecture ......................................................

Evaluation du degré de développement de l’enfant ‘ 2 3 4 5 *

Intelligence générale . . . . . . . . . .
Connaissances acquises . . . . . . . . .
Vocabulaire . . . . . . . . . . . .
Prononciation et élocution . . . . . . . . .
Faculté d‘expression . . . . . . . . . .
Esprit d’observation et faculté d’association visuelle ou auditive
Aptitude à percevoir les ressemblances et les différences . .
Aptitude à reconnaître les rapports. . . . . . .
Aptitude à se rappeler une succession d’événements ou d’autres
faits . . . . . . . . . . . . .
Aptitude à penser clairement et avec ordre . . . . .
Aptitude à choisir et à décider judicieusement . . . .
Etat de santé . . . . . . . . . . .
Alimentation . . . . . . . . . . . .
Résistance à la fatigue . . . . . . . . .
Acuité et discrimination visuelles . . . . . . .
Acuité et discrimination auditives . . . . . . .
Equilibre affectif . . . . . . . . . . .
Adaptation sociale et sentiment de sécurité . . . . .
Application . . . . . . . . . . . .
Docilité . . . . . . . . . . . . .
Aptitude au travail en groupe. . . . . . . .
Goût des images et intérêt pour le sens des symboles écrits OU
imprimés . . . . . . . . . . . .
Désir d’apprendre à lire . . . . . . . . .
* I = très inférieur à la moyenne; z = inférieur à la moyenne; 3 = moyen; 4 = SU-
périeur à la moyenne; 5 = très supérieur à la moyenne.

I. Metropolitan reading readiness test, Yonkers (NewYork), World Book Company.


Lee-Clark reading readiness test, Los Angeles, California Test Bureau.
Stevens reading readiness test, Yonkers (New York), World Book Company.
Monroe reading aptitude tests, Boston (Massachusetts), Houghton Mifflin Company.

‘5‘
L’enseignement de la lecture et de l’ém’ture

la liste de ces facteurs mesurés par les tests c Metropolitan)), ainsi que des exemples
de diverses épreuves auxquelles on procède. Le coefficient de corrélation qui existe
entre les résultats de ces tests et les progrès que fait l’enfant est aussi élevé que
dans le cas des tests d’intelligence générale.
O n peut aussi prendre l’une ou plusieurs des mesures suivantes: u) observer les
caractéristiques et le comportement des enfants au cours de leurs jeux; b) étudier
en classe leur réaction à divers exercices; c) recueillir auprès des parents et, éven-
tuellement, des anciens maîtres des indications sur les sujets auxquels l’enfant
s’intéresse,sa faculté d’élocutionet, en général,son niveau de développement intel-
lectuel, physique, social et affectif. Les renseignements ainsi obtenus sont souvent
notés sur une fiche établie séparément pour chaque enfant. La formule ci-dessus
est une adaptation de celle que propose Schonelll.
Une formule de ce genre aide la plupart des maîtres à étudier les connaissances
et les besoins de leurs élèves;ils obtiendront les meilleurs résultats s’ils concentrent
leur attention sur quelques points à la fois. Il serait utile pour compléter les obser-
vations faites pendant une semaine ou deux, d’administrer,si possible,un test d’in-
telligence ou d’aptitude à la lecture.
Beaucoup de maîtres font faire aux élèves,dès leur entrée à l’école,des exercices
de lecture à l’aide de textes simples traitant des impressions et des préoccupations
immédiates de l’enfant.Nous examinerons plus loin ces méthodes.Le maître étudie
les réactions des différents élèves à ces exercices. Certains y participent volontiers
et font des progrès rapides; d’autres ne s’y intéressent guère et font des progrès
faiblesou nuls. Ces observationsaident le maître à déterminer le degré de préparation
des différents élèves à l’enseignement quotidien de la lecture.

EXEMPLE DE PROGRAMME

Compte tenu de toutes les données qui viennent d’être présentées, quel plan le
maître devrait-iladopter au moment où les élèves entrent à l’école? Il est certain
que ce plan doit tenir compte des désirs de la collectivité,de l’âgeauquel les enfants
entrent à l’école,de leur degré de maturité et du matériel de tests et d’enseignement
dont dispose le maître. Les suggestions faites ci-aprèssont valables pour les cas où
les parents escomptent que l’élève apprendra à lire dès son entrée à l’école et où
les moyens d’enseignementsont limités:
I. Faire dès le début dans l’emploi du temps une place à la lecture.
2. Consacrer, pendant la première ou les deux premières semaines, ou plus long-
temps encore si c’est nécessaire, la leçon de lecture à étudier les connaissances
et les besoins des élèves et leur degré de préparation à la lecture. A cette fin,
on devra parler de nombreuses choses intéressant vraiment l’enfant,afin de
pouvoir évaluer l’étendue de ses connaissances,son aptitude à s’exprimer,son
niveau mental et son degré d’intelligence.O n devra aussi examiner des images
et les discuter afin de déterminer l’intérêt qu’elles présentent pour les élèves
et l’aptitudede ceux-ci à les interpréter. Le maître écrira en même temps au
tableau des mots ou de brèves phrases composées par les élèves et qu’il leur
fera lire. La bonne volonté avec laquelle les élèves participent à ces exercices
et la manière dont ils s’en tirent donnent de précieuses indications sur leur
degré de préparation à la lecture.
3. A mesure que les élèves avancent dans ces exercices, observer leur comporte-
ment lorsqu’ilsjouent et noter l’intérêt qu’ils prennent à d’autres activités sco-

I. SCHONELL,Fred J., op. cit., p. 27.


Nature et organisation des Programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

laires. Le maître parlera également avec les parents des goûts, des aptitudes
et des progrès des élèves. Il administrera, si possible, des tests d’intelligence
générale ou de préparation à la lecture.A mesure que le maître connaîtra mieux
ses élèves, il indiquera sur une fiche de préparation à la lecture ce qu’il pense
des aptitudes ou des progrès de chacun aux divers points de vue envisagés.
4. Donner aux enfants les plus avancés, qui participent volontiers aux exercices
de lecture et en tirent profit, des leçons quotidiennes de lecture conformément
aux suggestions qui seront faites plus loin. (<< Deuxième stade: Apprentissage
de la lecture)).)
5. Pour ceux qui sont moins avancés et qui ne participent pas effectivement aux
exercices de lecture, s’efforcer,pendant la leçon de lecture et à l’occasion des
autres activités scolaires, d’améliorer leur préparation à l’apprentissagede la
lecture. S’il est impossible,sous peine de décevoir la collectivité, de retarder
l’enseignementde la lecture, on peut organiser tous les jours à l’intentionde ce
groupe des exercices de lecture très simples,semblables à ceux que nous suggé-
rons pour le deuxième stade.Mais il ne faudra pas essayer de les forcer à avancer
aussi rapidement que les élèves dont le degré de maturité est plus élevé;il faudra,
chaque jour, consacrer un temps assez long à les préparer à la lecture.

EXERCICES DE PRÉPARATION DES ÉLÈVES À LA LECTURE

Le but de ces exercices diffère d’une école et d’uneclasse à l’autre,suivant les besoins
des élèves. Parfois, il s’agit surtout de faire mieux comprendre aux élèves tout ce
qui se passe autour d’eux. Parfois, il faut surtout étendre leur vocabulaire et déve-
lopper leur faculté d’expression.Parfois encore,il s’agitde développer leur aptitude
à aborder des problèmes simples,à distinguer de façon plus précise entre les choses
qu’ils voient ou qu’ils entendent, ou d’éveiller leur curiosité pour les symboles
écrits ou imprimés et leur désir d’apprendre à lire. U n bon maître ne cesse d’étu-
dier les besoins de ses élèves et leur fait faire les exercices qui lui paraissent
les plus propres à remédier à leurs défauts et à favoriser le développement néces-
saire. O n a souvent recours aux exercices suivants:
I . Organiser des entretiens quotidiens au cours desquels les enfants parlent d’événe-
ments récents qui les intéressent ou de la façon dont ils utiliseront leur journée.
Les timides doivent être encouragés à y prendre part et ceux dont l’élocution
est imparfaite doivent être aidés avec tact à exprimer leurs idées.
2. Inviter les élèves à apporter de chez eux des objets intéressants pour les montrer
et les décrire à leurs camarades.
3. Leur faire regarder des images ou observer des objets et des activités, en classe
ou au-dehors,afin d’augmenterleurs connaissanceset de corriger les idées fausses
qu’ils pourraient avoir. Ces exercices doivent être suivis de discussions animées,
qui aideront les élèves à concentrer leur attention sur des points importants, à
discerner les ressemblanceset les différences,à déceler des rapports et à résoudre
des problèmes simples.
4. Saisir le plus souvent possible l’occasion d’étendre et d’approfondir les connais-
sances des élèves sur le milieu social et naturel dans lequel ils vivent, de déve-
lopper leur faculté d’expression,d’éveillerleur intérêt et leur curiosité pour tout
ce qu’ils voient et entendent.
5. Les faire participer à des jeux et à des exercices rythmiques qui leur donnent
l’occasion d’écouterattentivement,d’observeravec soin et d’améliorerla coordi-
nation de leurs mouvements.
6. Leur faire faire du modelage, des découpages,de la peinture, leur faire dessiner
L’enreignement de la lecture et de l‘écriture

des figures simples au tableau noir ou dans du sable, pour développer la coordi-
nation de l’œilet de la main.
7. Leur faire écouter des histoires et des poèmes, leur faire regarder des images
dans des livres et discuter de ce qu’ils ont vu et entendu, de manière à déve-
lopper leur intérêt pour les récits et à stimuler en eux le désir d’apprendre à lire.
8. Les faire travailler et élaborer des plans en commun, afin d’établir entre eux
des relations heureuses et cordiales et de réduire les tensions affectives.
9. Leur faire faire des exercices de lecture simples,présentant pour eux un intérêt
immédiat, afin de leur montrer que les symboles écrits ont un sens, d’accroître
leur désir d’apprendre à lire et d’aider le maître à déterminer le moment où
ils seront prêts à recevoir des leçons quotidiennes de lecture.
O n trouvera bien d’autressuggestionsdans les ouvrages cités en notel. Ces exercices
devront être poursuivisjusqu’à ce que les élèves aient montré qu’ilspeuvent acquérir
les mécanismes nécessaires à l’apprentissage de la lecture. La durée de ce stade
différera suivant l’école ou la classe considérée.Pour beaucoup d’enfants,il suffira
de deux ou trois semaines;pour d’autres,il faudra beaucoup plus longtemps.A pre-
mière vue, il peut sembler que l’on perd du temps à retarder ainsi l’enseignement
de la lecture. L’expérience montre au contraire que les élèves qui ont reçu la pré-
paration nécessaire rattrapentlargement,par la rapidité accrue des progrès ultérieurs,
le temps consacré à cette préparation;mais si l‘on force à apprendre à lire un enfant
qui n’y est pas prêt, on risque généralement de jeter le trouble dans son esprit,
d’échouer complètement et de faire naître en lui une attitude hostile à l’égard de
la lecture.

Deuxième stade: Apprentissage de la lecture de textes très simples

Lorsque les élèves manifestent le vif désir d’apprendre à lire et montrent qu’ils
sont capables d’assimiler les mécanismes indispensablesà la lecture de textes simples,
ils sont prêts pour le deuxième stade.Les principaux objectifs de l’enseignementde
la lecture au cours de ce stade sont les suivants:
I. Augmenter le désir que les enfants éprouvent de lire et d’apprendreà lire cou-
ramment.
2. Les habituer à lire de façon réfléchie et chercher le sens dans tous les exercices
de lecture.
3. Bien faire assimiler les mécanismes fondamentauxde la reconnaissance des mots,
applicables à leur langue.

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ROE,Frances, Fundamental reading: the teaching of reading in infant schools, Londres, University of
London Press, 1944, p. 6-21.
SCHONELL, Fred J., op. nt., p. 30-36.
VERMEULEN, A., «De studie van het milieu en het aanvankelijk leesonderwijs)), Persoon en Gemeen-
schup, vol. V, no 2, p. 136-140, et no 3, p. 210-215, novembre-décembre 1950, Anvers.

‘54
Nature el organisation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

4. Développer progressivement l’aptitude à lire facilement des textes simples, à


haute voix ou silencieusement,en les comprenant.
5. Eveiller en eux le désir de lire seuls.
6. Les préparer peu à peu aux exercices de lecture plus variés qui suivront.
O n aura atteint l’un des principaux objectifs de ce stade quand les élèves sauront
lire avec un vif plaisir sans aide ou presque sans aide,en concentrant leur attention
sur le sens,des textes simples et intéressants.Ce résultat doit être obtenu pour plu-
sieurs raisons. Il montre que les élèves ont acquis l’attitudeet les mécanismes indis-
pensables pour dégager le sens des signes écrits ou imprimés.Il leur permet de com-
mencer à se servir de la lecture pour satisfaire leurs goûts et pour acquérir des
connaissances. Il les prépare aussi à aborder le troisième stade,qui vise à les ame-
ner rapidement à lire couramment.

CONDITIONSINDISPENSABLESÀ DES PROGRÈS RAPIDES

La rapidité avec laquelle les objectifs ci-dessusseront atteints dépend de nombreux


facteurs. D’abord,il faut un programme d’études primaires adapté aux connais-
sances et aux besoins actuels des enfants et visant à favoriser leur développement
complet. Par des entretiens quotidiens et en agissant avec tact, on s’efforcerad’en-
richir le vocabulaire des élèves et d’améliorer leur élocution.Par des observations
dirigées, des activités diverses et des discussions orientées, on développera leur
intelligence et on éveillera leur intérêt pour tous les aspects de leur milieu social et
naturel. Il importe aussi de ne pas négliger les exercices propres à bien développer
le corps et à augmenter l’adresse des mouvements et l’acuitévisuelle et auditive.
Dès que les enfants entrent à l’école,il faut leur faire faire à divers moments de
la journée de petits exercices de lecture. Par exemple,les élèves apprennent rapide-
ment à trouver le matériel dont ils ont besoin en reconnaissant des noms sur des
boîtes ou sur des étagères;ils examinent les mots inscrits sous des images pour décou-
vrir ce qu’ils veulent dire; ils apprennent à lire de brèves annonces sur le tableau
d’affichage; ils suivent les instructions que le maître écrit au tableau. Ils se rendent
compte ainsi peu à peu que les mots ont un sens. Ces exercices contribuent égale-
ment à intéresser les enfants à la lecture et les aident à apprendre rapidement à
lire. Dans beaucoup d’écoles,on se sert de livres simples traitant d’hygiène,d’études
sociales, du monde extérieur et de nombres pour enrichir les connaissances des ,

élèves pendant les classes consacrées à l’étude de ces questions.


Le cadre le plus favorable à des activités de ce genre est une salle de classe
bien équipée et attrayante. Bien entendu, le matériel nécessaire différera selon la
collectivité considérée et le caractère des activités entreprises. Outre un bon éclai-
rage et des sièges confortables,les objets les plus nécessaires sont les suivants:un
tableau où l’on affichera des nouvelles intéressantes;des images à pendre aux murs;
des étagères où l’on exposera des objets présentant un intérêt génér,alou particulier;
des tables propres à un travail individuel ou collectif;des jeux de construction et
des jouets; des livres d’images simples disposés de façon attrayante sur une table;
et des étagères ou des casiers pour les diverses catégories de matériel de lecture.
Beaucoup d’écoles ne peuvent être pourvues immédiatement de tous ces objets.
Mais toutes devraients’efforcerde se procurer peu à peu ces divers types de matériel.
Il n’est pas douteux que le maître est le principal facteur dont dépendent et
le développement général de l’enfant et les progrès qu’il fait dans l’apprentissage
de la lecture. Il doit s’intéresser vivement aux enfants, comprendre leurs traits
particuliers et leurs besoins et pouvoir établir avec eux et entre eux des relations
cordiales. Il doit aussi connaître parfaitement de bonnes méthodes d’enseignement.

‘55
L‘enseignement de la lecture et de récriture

Dans les régions insuffisamment développées, beaucoup de maîtres ont reçu une
formation insuffisante ou n’en ont même reçu aucune; il est donc indispensable d’y
créer des écoles normales et d’aider les instituteurs en exercice à se perfectionner.

MATÉRIEL DE LECTURE

Le matériel de lecture ayant beaucoup changé, en qualité et en quantité, au cours


des dernières dizaines d’années,il paraît utile d’indiquerbrièvement certains aspects
de cette évolution.Autrefois,on n’employaitdans la plupart des écolesqu’unmanuel
élémentaire de lecture. Mais peu à peu, on trouva que le manuel de lecture tradi-
tionnel était tout à fait insuffisant.C e manuel était presque entièrement consacré
au développement du mécanisme de l‘identificationdes mots. Son contenu n’offrait
guère d’intérêt pour les enfants;les mots nouveaux y étaient introduits trop rapide-
ment pour que l’enfant puisse les apprendre; les textes enfin n’étaient pas assez
nombreux pour amener l’enfantà lire couramment et de façon réfléchie. Pour remé-
dier à ces défauts, on s’est efforcé de composer des textes de lecture présentant plus
d‘intérêt pour les enfants, d‘introduire les mots nouveaux de façon plus progressive
et d’augmenter le nombre des textes de lecture en utilisant pendant la première
année scolaire,outre le manuel élémentaire, un premier livre de lecture.
O n s’aperçutque les très jeunes enfants et les élèves lents apprendraient beau-
coup plus facilement à lire grâce à un matériel plus simple encore. Aussi,beaucoup
d’écoles se mirent à employer pour les premières leçons de lecture un matériel très
simple préparé en collaboration par les élèves et par le maître, et connu sous le
nom de a tableau d’impressionsvécues ». Dès que les avantages de ce système furent
devenus évidents,les éditeurs de manuels se mirent à préparer des brochures fort
justement appelées manuels préparatoires P (pre-primers),et dont l’emploi devait
précéder celui du manuel élémentaire.Ainsi le matériel de lecture employé pendant
la première année scolaire comprenait un ou plusieurs manuels préparatoires, un
manuel élémentaire et un premier livre de lecture.
D’autres modifications parurent bientôt souhaitables. O n s’aperçut que les
jeunes élèves manient de petits livres plus facilement que des livres volumineux;
c’est pourquoi les textes de lecture élémentaire pour la première année se pré-
sentent maintenant souvent sous la forme de six livrets au moins, d‘une cinquan-
taine de pages chacun.Dans certaines collections,pour rendre ces livres plus intéres-
sants, on donne à chacun un titre attrayant, inspiré de son contenu. Enfin, des
auxiliaires complémentaires correspondant à chacun des livres d’une série ont été
mis au point. Ce sont,notamment,des étiquettes sur lesquelles sont inscrits des mots
ou des membres de phrases et qui servent à construire des phrases et à aider l‘élève
à identifier rapidement les mots; des cahiers d’exercices pour débutants;et des tests
qui aident le maître à déterminer les progrès des élèves et à déceler les difficultés et
les besoins de chacun.
Parallèlement, la place faite dans l’emploi du temps à l’enseignement élémen-
taire de la lecture a été modifié. Autrefois, lorsque l’école primaire se consacrait
presque exclusivement à l’enseignement de la lecture et de l’écriture,il y avait
trois ou quatre leçons de lecture par jour. Avec l’élargissement des programmes
scolaires,le nombre des leçons quotidiennes de lecture a été progressivement réduit.
Actuellement, dans les écoles bien organisées, il y a en général deux leçons princi-
pales de lecture,l’unele matin et l’autrel’après-midi.A u cours du deuxième stade
de l’enseignementde la lecture,trois tâches au moins doivent être accomplies suc-
cessivement: ( (donner aux élèves les premières attitudes et les premiers mécanismes
de la lecture », a leur apprendre à lire un texte continu », enfin les amener à lire
Nature et organisation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

seulsi.Nous examinerons sous ces titres les divers problèmes qui se posent au cours
du deuxièmestade. Il s’agitsurtout de signaler les directions à suivre et les méthodes
à appliquer.Beaucoup d’écoles ne pourront appliquer immédiatement une grande .
partie de ces suggestions;mais en les adaptant lorsqu’ellesrépondent à sa situation
et à ses besoins, chacune d’entreelles pourra peut-êtreélargir la portée de son pro-
gramme et améliorer la qualité de son enseignement.

DONNER AUX ÉLÈVES LES PREMIÈRES ATTITUDES ET LES PREMIERS MÉCANISMES


D E LA LECTURE

Nous avons déjà indiqué les principaux objectifs des premières leçons de lecture.
Il faut,pour les atteindre, compter de quatre à cinq semaines pour les élèves qui
apprennent rapidement, et jusqu’à dix semaines ou m ê m e davantage pour les
élèves plus lents. Il est beaucoup plus important que chaque élève assimile par-
faitement ces attitudes et mécanismes fondamentaux,que de faire avancer rapi-
dement tous les élèves à un rythme uniforme.

Emploi d’un matériel préparé en commun par le maftre et par les élèves.

Pour créer chez l’enfant les attitudes et mécanismes fondamentaux de la lecture,


on a utilisé deux catégories de matériel: les tableaux d’impressions vécues et les
manuels préparatoires.Les tableaux d’impressionsvécues sont élaborés en commun
par le maître et par les élèves et s’inspirentde l’expériencepersonnelle des élèves
auxquels ils s’adressent et de ce qui les intéresse le plus. En règle générale, les pre-
miers tableaux ne contiennent qu’un petit nombre de mots ou de phrases. Par
exemple, après avoir parlé de ce qu’ils faisaient à l’école,des élèves ont composé
ces phrases, qui ont été utilisées pour une leçon de lecture: a Nous jouons »; a Nous
travaillons »; a Nous chantons »; K Nous lisons ».
Après avoir composé ces phrases avec l’aidedu maître,les élèves s’entretiennent
de leurs jeux, de leur travail, de leurs chants, et exposent les raisons qu’ils ont de
vouloir apprendre à lire. Ces discussions aident à élargir le sens de certains mots et
à augmenter le nombre des associations qu’ils évoquent dans l’esprit des élèves;
elles leur font ainsi apprendre de nouveaux mots plus rapidement. La lecture
devient une forme de pensée qui, dès le début, apporte des satisfactions. O n trou-
vera dans les ouvrages cités en notel des suggestions en vue de la préparation de
tableaux d’impressions vécues. D’autres exemples sont également donnés dans les
ouvrages indiqués aux pages I89-I g I .
La méthode globale s’est révélée la plus efficace pour l’enseignement des atti-
tudes et des mécanismes fondamentaux d’une lecture réfléchie. Chaque phrase
est d’abord lue dans son ensemble. Mais bientôt, l’attention des élèves est attirée
sur divers mots: ceux-cisont alors combinés avec d’autresmots que les élèves con-
naissent déjà, de manière à former des phrases, qui sont écrites au tableau, puis
lues par I’ensemble de la classe, et par les élèves seuls. Chaque mot nouveau est
ensuite écrit sur un carton;ces cartonsservent à vérifier de temps à autre si les élèves
reconnaissent les mots nouveaux; les élèves les emploient également,collectivement
ou individuellement, pour composer des phrases simples. Gudschinsky a étudié
I. CHARTMAKING OF THE MADISON
COMMITTEE PUBLICSCHOOLS,The use of charts in the primary grade,
Madison (Wisconsin), Curriculum Department, Madison Public Schools, I 949, p. 46.
OF THE DIVISION
COMMITTEE OF INSTRUCTIONAL RESEARCH,E#erience charts: a guide to their me in
grades 1-3, N e w York, Bureau of Educational Research, Board of Education of the City of
N e w York, 18 pages. (Educational Research Bulletin, no 13, mai 1952.)

‘57
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

une forme de la méthode globale dans laquelle on commence par employer des
mots, ou même des syllabes,au lieu de phrases1.
Lorsque les élèves commencent à s’habituer à lire de façon intelligente et à
posséder un petit vocabulaire de mots qu’ils reconnaissent à leur aspect général
et à certains caractères particuliers, on attire leur attention sur le détail des mots.
Pour cela,on emploie plusieurs procédés.Le maître peut écrire deux mots au tableau
et attirer l’attention des élèves sur les différences de forme qu’ils présentent. Dans
les langues alphabétiques,on encourage aussi les élèves à remarquer les différences
de son des mots et à reconnaître les mots qui commencent ou se terminent par le
même son. Lorsque certaines syllabes reviennent souvent dans la composition des
mots,comme en espagnol et en portugais,l’attentiondes élèves est attirée tout parti-
culièrement sur elles.
Dans certains pays, les élèves recopient, après les avoir lues, des phrases écrites
au tableau. Si le maître leur demande de les copier correctement,ils sont obligés
de regarder soigneusement chaque mot. Dans plusieurs endroits de l’Europe,on
fait imprimer par les élèves les phrases de la leçon à l’aidede caractères identiques
à ceux du manuel élémentaire.
O n trouvera dans les ouvrages cités en note2 des exemples d’autres méthodes
appliquées pour accélérer les progrès des élèves.
Les auteurs ne sont pas d’accord sur l’utilitédes tableaux d’impressionsvécues.
Pour les raisons indiquées plus haut, certains spécialistes, même dans des régions
insuffisamment développées,se prononcent en faveur de leur utilisation et affirment
que les maîtres de leur pays en obtiennent de bons résultats. Beaucoup d’autres
leur reprochent le temps qu’il faut pour les préparer, le manque de matériel per-
mettant de les reproduire,et la difficulté pour les maîtres à les établir sous une forme
acceptable. Ces divergences de vues paraissent tenir plutôt à des conditions locales
qu’à des facteurs d’ordre géographique,culturel ou linguistique.M ê m e s’ils ne se
servent pas de tableaux d’impressions vécues pour les premières leçons de lecture,
tous les maîtres devraient apprendre à préparer un matériel de lecture simple,
qui leur rendra de précieux services dans de nombreux aspects de l’activitéscolaire.

E m p l o i des manuels préparatoires et d’autres petits livres de lecture simples.

Nous avons déjà signalé que l’on se sert aujourd’hui beaucoup, pour donner aux
enfants les premières attitudes et les premiers mécanismes de la lecture,de manuels
préparatoires ou de petits livres de lecture très simples. Pour être satisfaisants,ces
ouvrages doivent s’inspirerde l’expérience commune des enfants, chaque leçon se
présentant sous la forme d‘une histoire simple et intéressante ou d’un épisode de
la vie des enfants, racontés à l’aide d’images et d’un petit nombre de mots, d’ex-
pressions ou de courtes phrases. O n en trouve un exemple à la figure g (p. 121).
Au début,la plupart des péripéties de l’histoiresont racontées au moyen d’images,

I. GUDSCHXNSKY, Sarah, op. cit., p. 25-55.


2. DOTTRENS, Robert, et MARGAIRAZ, Emilie, op. cit., p. 76-79.
HAMAIDE, Amélie, op. cit., p. 108-149.
MEZEIX, P.,op. cit., p. 39-44, 75-87.
NATIONAL SOCIETY FOR THE STUDY OF EDUCATION, Op. Git., p. 71-78.
POLLEY,Mary,E.,op. cit., p. 96-134.
POURTOLS, M.C.,«Les échanges interscolaires.L’imprimerie.Les revues enfantines)),dans: MINIS-
TÈRE DE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE,Direction de l’enseignementprimaire, L’enseignementde la lecture:
semaines d‘information e6 de perfectionnementpédagogique, organisées en 1951 aux icoles normales de I’Etat
à Laeken et à ‘Tournai à l’intention du personnel enseignant primaire, Bruxelles, Moniteur belge, 1951,
p. 61-81.
SCHONELL,Fred J., op. cit., p. 34-43, 103-120.
Nature et organisation des programmes d’enseignement de la lecture a m enfants

mais progressivement le texte prend de plus en plus de place. Des leçons de lecture
de ce genre permettent au débutant d’aborderla lecture de manière intéressante et
l’entraînent à lire des textes dont le vocabulaire a été choisi avec soin. L‘enfant
s’habitueainsi à la lecture réfléchie et acquiert rapidement un premier vocabulaire
de lecture.
En général,dans un manuel préparatoire,chaque leçon comprend quatre par-
ties qui se suivent de façon méthodique. La première, appelée (< préparation à la
lecture)), donne à la leçon un cadre général en exposant des incidents survenus
dans la vie des enfants. Lors de l’exposé de ces incidents, les mots nouveaux de la
leçon sont employés dans la conversation et écrits au tableau. O n éveille ainsi
l’intérêt de l’enfant et sa curiosité pour l’histoire qui va être lue.
La deuxième partie est intitulée (< interprétation de l’histoire». Les enfants
commencent par examiner les images, de manière à découvrir le sujet de l’histoire.
Ce faisant,ils évoquent des aventures analogues qui leur sont arrivées,reconnaissent
des rapports intéressants et devinent le texte. Si des mots importants employés dans
le livre peuvent servir à la discussion,on les écrit au tableau,puis les élèves les lisent
à haute voix. Ainsi le texte est rattaché aux images et les élèves sont préparés à lire
l’histoire comme un tout.
Le troisième stade s’appelle:<< développement des mécanismes et des aptitudes».
Par des questions, des conseils et des exercices,on habitue l’élèveà retenir la forme
des mots, à les distinguer par la vue, à reconnaître le son des syllabes ou des con-
sonnes,à associer un sens aux mots, à saisir l’ordredans lequel se traduisent les inci-
dents de l’histoire et à former des images sensorielles.
La quatrième partie s’appelle élargissement de l’intérêt». Des discussions,des
activités artistiques et la lecture par le maître d’histoires ou de poèmes incitent
l’enfant à réfléchir et l’amènent à s’intéresser vivement à la lecture.
Le matériel dont on se sert et le plan que l’on suit lorsque l’on commence à
enseigner la lecture à l’aide de tableaux d’impressionsvécues et de petits livres de
lecture simples ne sont pas toujours identiques,mais les objectifs visés restent les
mêmes. Les exercices sont simples et intéressants,et les enfants normalement doués
peuvent faire des progrès rapides.Mais un bon maître suit de jour en jour les réac-
tions et les besoins de ses élèves et détermine le caractère des difficultés que ren-
contre chacun. Il note ses observations et s’occupe de ses élèves collectivement et
individuellement pour les aider dans la mesure nécessaire. Il sait que les progrès
ultérieurs de chaque enfant dépendent dans une large mesure -desrésultats obtenus
au début.

APPRENDRE AUX ÉLÈVES À LIRE UN TEXTE CONTINU

Lorsque les élèves ont assimilé ces attitudes et mécanismes fondamentaux de la


lecture, ils sont prêts à se servir d’un manuel élémentaire de lecture ou de tout
autre livre du même niveau. Il s’agit maintenant d’obtenir des résultats plus impor-
tants, notamment de mieux habituer les enfants A chercher le sens de ce qu’ils
lisent,de commencer à leur apprendre à suivre régulièrement les lignes, à prévoir
et à se rappeler la succession des idées et à interpréter ce qu’ils lisent à la lumière
de leur expérience personnelle,de les entraîner à reconnaîtreles mots avec précision
et sans aide,et d’accroîtreen eux le désir d’apprendreà lire couramment.U n grand
pas a été fait lorsque les élèves peuvent lire presque seuls un texte suivi très simple
en en comprenant le sens.
Dans beaucoup d’écoles,on continue à utiliser les tableaux d’impressionsvécues.
La longueur des séances est accrue progressivement,en m ê m e temps que le voca-

‘59
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

bulaire s’enrichit.Dans la mesure du possible, les textes sont imprimés ou poly-


copiés et réunis en de petits livres, abondamment illustrés de dessins d’élèves. Ces
petits livres constituent des recueils d’impressions vécues qui représentent pour les
élèves quelque chose de concret.
Dans la plupart des écoles,on emploie des manuels composés par des spécialistes
ou des livres analogues présentés sous différents titres. Les manuels récents s’inspirent
en général des sujets qui intéressent la plupart des jeunes enfants et s’expriment
dans la langue courante. Les plus attrayants suivent les mêmes personnages dans
tous leurs textes, qui se présentent sous la forme de courts récits décrivafit au jour
le jour la vie de leur héros. Le manuel doit être abondamment illustré d’images
qui aident les élèves à reconnaîtreles mots et à en saisir le sens; mais le texte doit
progressivement prendre de plus en plus de place.
Pour obtenir ces résultats, les élèves doivent lire sous la direction du maître
quelque 125 pages de texte. Si des tableaux d’impressions vécues ou des manuels
préparatoires ont été employés avant le manuel,le vocabulaire des vingt premières
pages environ doit se limiter aux mots déjà appris1.Les élèves prennent ainsi con-
fiance en eux-mêmes;ils peuvent s’attacher au sens de ce qu’ils disent, donc lire
avec plaisir. O n introduit ensuite des mots nouveaux à raison d’un environ par
page. Chaque mot nouveau doit être employé au moins quinze fois peu après son
introduction,et répété plus ou moins souvent par la suite, afin que l’élèvearrive à
le reconnaître à vue. Lorsqu’ils auront terminé l’étude du manuel, qui prendra
de dix à vingt semaines, les élèves devront pouvoir reconnaître à vue 150environ
des mots les plus courants de la langue.
D e façon générale, la méthode employée pour faire une leçon sera analogue
à celle qui a été indiquée pour le manuel préparatoire. Pour préparer les élèves
à lire une histoire, le maître les encourage à évoquer des souvenirs personnels res-
semblant aux incidents de l’histoire.Les mots nouveaux de la leçon qui apparaissent
au cours de la conversation doivent être écrits au tableau, et l’attention des élèves
sera attirée sur eux à plusieurs reprises. Au-dessus ou en dessous, le maître peut
inscrire d’autres mots de forme analogue et faire remarquer aux élèves les diffé-
rences.
Le maître dirige ensuite la lecture de la leçon. Les élèves commencent par exa-
miner les images pour découvrir le sujet de l’histoire,puis ils regardent et discutent
le titre. Par une question formulée avec soin, le maître attire leur attention sur
la première phrase. Dès que les élèves le peuvent, ils répondent à la question en
lisant la phrase. Puis vient une autre question, par exemple: Maintenant, que
)E
va-t-ilse passer ? ) t les élèves continuent,ligne après ligne, à découvrir l’histoire.
Progressivement,les questions s’élargissent,portent sur deux lignes, trois lignes,et,
après quelques semaines, sur une page entière.
Grâce à cette méthode, les élèves découvrent qu’une histoire se compose d’une
suite d’événements;bientôt ils savent trouver comment elle commence,quelles en
sont les principales péripéties et comment elle se termine. D’autres questions les
amènent à comparer ce qu’ils ont lu avec leur propre expérience, à reconnaître
les analogies et les différenceset à découvrir des moyens d’appliquer dans leur
activité ordinaire certaines idées trouvées dans le texte. Les élèves sont ainsi large-
ment préparés à comprendre nettement le sens de ce qu’ilslisent et à réagir intelli-
gemment aux idées acquises. Cette façon de lire n’est possible que lorsque chaque
page contient un ou deux mots nouveaux au plus.

I. Les élèves qui commencent par le manuel ne pourront avancer aussi rapidement que ceux qui
ont déjà reçu une formation préliminaire. Au cours du premier tiers du manuel, le maître devra
leur donner de nombreuses indications, c o m m e il a été indiqué dans la section précédente.

160
Nature et organisatwn des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

Lors de la première lecture d’une leçon, le maître doit prononcer les mots que
les élèves ne reconnaissent pas facilement. Il est bon de le faire parce que l’enfant
peut alors concentrer toute son attention sur le sens de ce qu’il lit. Le maître notera
toutefois ces mots afin de pouvoir ensuite donner les explications qu’ils appellent.
Il observera soigneusementla régularité avec laquelle les élèves suivent les lignes du
commencement à la fin et reprennent la ligne suivante. Il aidera les élèves qui
éprouvent des difficultés en plaçant, sous la ligne à lire, une bande de carton qui
sera déplacée de ligne en ligne au fur et à mesure que la lecture se poursuit. O n
trouvera dans les ouvrages cités en note d’autres moyens d‘aider les élèves à pro-
gresser plus vite au cours de cette partie de la leçon1.
La troisième partie consiste à exercer l’élève à divers mécanismes et attitudes
de la lecture. Parfois,il sera bon de mieux faire assimiler des mots mal connus. Le
maître peut écrire ces mots au tableau en les insérant dans des phrases simples que
les élèves liront à haute voix;il peut présenter aux élèves des cartons sur lesquels
ces mots sont écrits ou imprimés; ou encore il peut aider les élèves à découvrir les
différences de forme qu’il y a entre ces mots et d’autres déjà connus. Les élèves
doivent s’habituer progressivement à reconnaître les éléments qui composent les
mots et à les utiliser pour déchiffrer de nouveaux mots.
Lorsque la langues’écritde manière très phonétique2,les élèves doiventapprendre
rapidement à reconnaître la forme et le son des diverses lettres, à combiner des élé-
ments de mots pour former des mots et à se servir de leur connaissance de ces élé-
ments pour lire de nouveaux mots. Lorsque des éléments syllabiques tiennent une
grande place dans la langue,il importe que les élèves identifientceux qui reviennent
le plus souvent et apprennent à les utiliser pour reconnaître des mots nouveaux.
Pour les langues où l’orthographeest irrégulière et où les lettres peuvent représenter
des sons différents,l’acquisition des éléments de mots sera beaucoup plus lente à
ce stade: de façon générale,l’élèvene devra pas chercher à retenir un élément de
mot avant de l’avoir rencontré plusieurs fois dans des mots connus à vue et de
l’avoir employé fréquemment dans les leçons de lecture suivantes.
C’est pendant les leçons consacrées au développement des attitudeset mécanismes
de lecture que les élèves recevront les formes d’enseignement particulières qu’exigent
certaines langues.Par exemple,les élèves qui apprennent à lire l’arabe et certaines
autres langues ont besoin qu’onles aide à se familiariser avec les signes diacritiques
indiquant le son des voyelles qui ne sont pas imprimées.D e même, dans les langues
dites << tonales», il faut aider les élèves à reconnaître les signes indiquant des diffé-
rences d’inflexion ou de sens3. Ces diverses caractéristiques doivent être abordées
dans un ensemble ayant un sens.
Les exemples ci-dessus n’indiquent que quelques-unsdes exercices nécessaires
au développement des mécanismes de la lecture. O n trouve aujourd’hui diverses
suggestions dans les manuels élémentaires, dans les livres du maître ou dans les
cahiers d’exercices qui complètent les manuels. Dans certains manuels, chaque
leçon est suivie d’une ou de plusieurs pages d’exercices sur les notions nouvelles.
Depuis quelques années, les méthodes permettant de déterminer les progrès et
les besoins des élèves se sont rapidement perfectionnées. Il est très important que
le maître étudie soigneusement les fautes que commet chaque élève et les difficultés
qu’il rencontre. En s’occupant ainsi pendant quelques jours d’un ou de plusieurs

1. NATIONAL SOCIETY FOR THE STUDY OF EDUCATION, Op. Cit. p. 70-79.


POLLEY, Mary E.,op. cit., p. 134 et suiv.
SCHONELL, Fred J., op. cit., chap.III et IV.
ROE, Frances, op. cit., p. 24-36.
2. GUDSCHINSKY,Sarah, op. cit., p. 25-55.
3. Ibid., p. 56-58.

161
L ’ e m e i a m e n t de la lecture et de l’écriture

de ses élèves, le maître parviendra rapidement à découvrir comment il faut les


aider. 11 sera bon qu’ilnote non seulement les difficultés observées,mais aussi leurs
causes probables -manque d’intérêt,maturité d’esprit insuffisante, vue ou ouïe
défectueuses, nervosité extrême ou instabilité affective.
O n dispose actuellement de deux catégories de tests permettant d’étudier les
besoins des élèves. La première catégorie est composée de tests généraux d’aptitude
à la lecture correspondant au niveau de l’enfant. O n trouvera à la figure 12 des
exemples d’exercicesde lecture utilisés à cette fin.Ils permettent de mesurer l’étendue
du vocabulaire assimilé par l’enfantet son aptitude à comprendrele sens de membres
de phrases, de phrases, d’instructionset de paragraphes. Cette liste fait apparaître
non seulement l’aptitude relative des élèves d’une classe donnée, mais aussi le
niveau relatif d’une classe par rapport à d’autresclasses de première année.
La figure 13 donne un exemple de test de la deuxième catégorie, établi par les
éditeurs d’un manuel élémentaire en vue de mesurer la rapidité avec laquelle les
élèves acquièrent les attitudes et mécanismes que l’enseignement s’efforcede déve-
lopper. En appliquant ce test conformément aux instructions données et en étu-
diant ensuite avec chaque enfant la manière dont il y a répondu,on peut arriver
à se faire une idée assez nette des difficultés auxquelles il se heurte. Ces constatations
permettront aux maîtres de donner à de petits groupes d’élèvesou à des élèves isolés
l’aide ou l’entraînement particuliers dont ils ont besoin.

AMENER LES ÉLÈVES À LIRE SEULS

Lorsque les élèves ont terminé le manuel et fait les exercices qui s’y rattachent,
ils doivent pouvoir lire presque seuls un texte continu intéressant dont le vocabu-
laire comprend 150 mots environ. Il ne restera plus, dans ce deuxième stade,qu’à
perfectionner toutes les attitudes et tous les mécanismes fondamentauxde la lecture,
jusqu’à ce que les élèves sachent lire seuls des textes simples en s’intéressant vrai-
ment à leur contenu et se mettent à lire de leur propre initiative.
En général,le matériel de base employé pour obtenir ces résultats se compose
d’un premier livre de lecture, ou d’un ouvrage ou d’ouvrages analogues conte-
nant 150 pages environ et un nombre correspondant de mots nouveaux. A la fin
du deuxième stade,les élèves ont d’ordinaire acquis un vocabulaire de lecture de
300 mots environ. Beaucoup d’écoles où l’on n’emploie qu’un matériel préparé
en collaboration par le maître et par les élèves signalent que les élèves ont acquis
sensiblement le même nombre de mots à la fin de la première année.
Ce matériel de base est employé tous les jours, de préférence pendant la leçon
du matin. Les méthodes appliquéessont en principe semblables,la leçon comprenant
quatre parties, comme lors de l’étudedu manuel. En classe,on pratique à peu près
autant la lecture orale que la lecture silencieuse;le maître aide les élèves à saisir
et à interpréter le sens de ce qu’ils lisent et à apprendre à reconnaître les mots avec
précision et sans aide. Lorsque la langue s’écrit de manière très phonétique, les
élèves doivent connaître à la fin de la première année la plupart des faits et des prin-
cipes indispensables pour pouvoir identifier les mots nouveaux; lorsque la langue
s’écrit de manière moins phonétique, on ne peut employer avec profit que les auxi-
liaires les plus simples et les plus couramment utilisés. Dans le cas des langues qui
se transcrivent en caractères syllabiques ou idéographiques,ou dans ces deux sortes
de caractères,et où l’on se sert d’un système complémentaire de signes phonétiques
pour reconnaître les mots, les élèves parviennent en général à identifier parfaite-
ment ceux-cià la fin de la première année.
A u cours de la leçon de l’après-midi,les élèves devront s’habituer à lire seuls,

I 62
Nature et organisation des programmes d‘heignement de la lecture aux enfants

en portant toute leur attention sur le sens de ce qu’ils lisent.Pour cela,on a recours
à diverses sortes de textes. Certains éditeurs ont préparé,sur toutes sortes de sujets
intéressants,des livrets supplémentaires que les enfants doivent lire en même temps
que le premier livre de lecture; certaines écoles emploient les manuels d’autres
séries ou des livres de bibliothèque très simples. Lorsqu’ilsne peuvent se procurer
des textes de ce genre, de nombreux maîtres font relire plusieurs fois le manuel et
le premier livre de lecture,mais à chaque fois dans un dessein nouveau. Ils écrivent
également au tableau ou polycopient pour les élèves des textes simples et intéres-
santsl provenant de diverses sources. Les maîtres qui se servent d’un matériel pré-
paré par les élèves font lire aux enfants les brochures préparées par les élèves des
années précédentes. O n a un tel besoin de textes de lecture supplémentaires que
l’on a imaginé divers moyens de s’en procurer.
Lorsque vient le moment de lire ces textes,le maître et les élèves étudient géné-
ralement ensemble le titre et les images qui accompagnent le récit. Ils en prévoient
ainsi les péripéties et préparent m ê m e les questions dont ils espèrent trouver la
réponse dans le texte. Puis ils lisent et discutent ensemble les événements de la pre-
mière page. Vraiment intéressé et songeant à des questions précises, chaque élève
lit seul le reste de l’histoire. Cependant, le maître observe les habitudes de ses
élèves et leur donne toute l’aidenécessaire.Lorsque tous les élèves,ou même lorsque
la plupart ont fini de lire l’histoire,ils discutent de son contenu sous la direction
du maître. En commençant par des textes très simples,les élèves apprennent rapide-
ment à lire seuls de façon réfléchie.
A mesure que les élèves s’habituentà lire sans l’aide du maître,ils commencent
généralement à entreprendre des lectures pour leur propre compte. O n emploie
divers moyens pour éveiller ce goût -par exemple, on dispose dans la classe une
table sur laquelle on place des livres simples et intéressants. O n encourage les
élèves,chaque fois qu’ilsont un moment de liberté dans la journée,à s’en approcher
pour les images et lire ce qui les intéresse. U n autre moyen consiste à lire aux élèves
un fragment d’une histoire, en s’arrêtant au passage le plus intéressant. Dès que
l’élève commence à lire seul,à la maison ou à l’école,on doit lui donner l’occasion
de raconter à ses camarades ce qu’il a lu-ce qui présente le double avantage de
l’encourager et d’éveiller ou de stimuler le goût des autres pour la lecture.
L’étude des progrès et des besoins des élèves doit se poursuivre pendant toute
cette dernière phase du deuxième stade. Les difficultés qu’éprouvent les élèves
seront résolues d’autant plus aisément qu’elles auront été décelées plus tôt. Pour
avoir le temps de s’occuper particulièrement de ceux qui en ont besoin, le maître
donnera souvent aux élèves les plus avancés l’occasionde lire seuls des textes simples,
exercice qui leur sera d’ailleursfort utile. Rien ne devra être négligé pour aider
tous les élèves à atteindre les objectifs du deuxième stade à la fin de la première
année. Les élèves lents ne devront toutefois pas être poussés outre mesure, mais on
devra les laisser commencer la deuxième année au point qu’ils avaient atteint à la
fin de la première année.

Troisième stade :Assimilation de plus en plus rapide


des techniquesfondamentales de la lecture

Dès qu’ilssont capables de lire tout seuls et avec intérêt des textes simples,les enfants
sont prêts à aborder le troisième stade. Ce stade s’étend sur une période d’environ

J. HILDRETH,
Gertrude, << Improving reading with script text D, Elementary school journal, vol. LIII,
1953, P. 387-395.
L’enseianemetlt de la lecture et de récriture

deux ans, au cours de laquelle les élèves devraient faire des progrès rapides dans
l‘assimilation des attitudes et mécanismes fondamentaux qui sont nécessaires pour
lire couramment,à haute voix ou silencieusement,et de façon réfléchie.A ce stade,
les principaux objectifs sont les suivants:
I. Développer chez l’enfantle goût de lire,pour se distraire ou pour s’instruire.
2. Elargir ses préoccupations au moyen de lectures libres ou dirigées.
3. Augmenter son aptitude à comprendre de façon claire et précise ce qu’il lit.
4. L’amener à réfléchir sur les notions qu’il acquiert et à les utiliser pour mieux
comprendre les choses, pour se comporter correctement et pour résoudre des
problèmes.
5. Porter à 2000 environ le nombre total des mots qu’il reconnaît rapidement à
première vue.
6. Améliorer chez lui la capacité d’appréhension directe des mots, de manière
qu’il arrive à reconnaître dans un texte et à prononcer par lui-mêmetous les
mots nouveaux qui appartiennent à son vocabulaire oral.
7. L’amener à lire des yeux à une vitesse légèrement supérieure à celle de la lec-
ture orale.
8. Améliorer la qualité de la lecture orale.
O n aura obtenu un résultat très important lorsque les élèves seront capables de
lire correctementet courammenttout texte se rapportantà leur existence quotidienne
et ne sortant pas des limites de vocabulaire indiquées ci-dessus. O n peut, pour
atteindre ce but, recourir à bien des modes d’enseignement, qui seront examinés
ci-aprèssous les rubriques suivantes:développement de l’aptitudeà lire;acquisition
à titre permanent de bonnes habitudes; correction ou élimination des mauvaises
habitudes; susciter un goût permanent pour la lecture; encourager la lecture dans
le cadre des autres activités scolaires.Chacune de ces questions pourrait faire l’objet
de tout un chapitre, mais nous devons nous contenter d’en donner ici un bref
aperçu1.

DÉVELOPPEMENT DE L’APTITUDE A LIRE

A raison d’uneleçon chaque jour, on s’efforcerad’obtenir de rapides progrès dans


l’acquisition des attitudes et mécanismes fondamentaux qui sont nécessaires pour
bien lire. A cet effet, on utilisera chaque année un ou plusieurs livres de lecture gra-
dués, qui devront contenir au moins trois types de textes: des morceaux choisis cor-
respondant à l’expériencepersonnelle des élèves; les meilleurs récits ou contes popu-
laires, convenant à des enfants de cet âge,que l’on puisse trouver dans la littérature
de la langue considérée;et des textes documentaires qui, bien que traitant de faits
familiers devront avoir une portée de plus en plus large. En préparant les leçons ou
seront employés ces textes, le maître devra se donner pour but d’obtenir tout au
moins des progrès sur les points énumérés ci-dessous,qui sont particulièrement
importants.

I. O n trouvera à cet égard des informations complémentaires dans les ouvrages suivants:
NATIONAL SOCIETYFOR THE STUDYOF EDUCATION,op. cit., p. 93-126.
POLLEY, Mary E.,op. cit., p. 182-232.
RUSSELL,David E., Children leam to rend, New York, Ginn and Company, 1949,chap.VIX.
SAEZ, htonia, La lectura, arte del lenguuje, San Juan (Puerto Rico), [Imprenta Venezuela], 1948.
SCHONELL,Fred J., op. cit., ch. V.
Nature et organisation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

Compréhension et interprétation de ce qui est lu.

Il faudra, pendant toute cette période, déployer quotidiennement de grands efforts


pour augmenter l’aptitude des élèves à comprendre et à interpréter ce qu’ils lisent.
Lorsqu’ils liront pour la première fois sous la direction du maître un récit ou un
article documentaire, il faudra leur en faire trouver le thème. S’il s’agit d’une
histoire, on leur demandera quels en sont les personnages,quels sont les principaux
événements relatés, comment l’histoire se termine, ce que les personnages font ou
disent d’important et pourquoi ils agissent de telle ou telle manière. S’ils’agit d’un
texte documentaire,on leur demandera quel est le problème étudié, quels sont les
principaux faits exposés et à quelles conclusions arrive l’auteur.Après la première
lecture,le texte devra être maintes fois relu et discuté afin que l’élève puisse corriger
ses erreurs d’interprétation,déceler le rapport qui existe entre les faits exposés et
ceux de son expérience personnelle,percevoir ce que l’auteurveut donner à entendre
et utiliser au mieux les notions acquises pour résoudre des problèmes d’ordre indi-
viduel ou collectif.

Reconnaître les mots auec précision et saru aide.

Il faut que les élèves apprennent à identifier tous les mots qui font partie de leur
vocabulaireoral.Autrementdit,il faut qu’ilsacquièrenttoutes les techniquesd’appré-
hension directe des mots, à l’exceptionde celles qui leur seraient nécessaires pour
identifier des mots relativement longs ou peu employés et des termes techniques
appartenant à des vocabulaires spéciaux comme ceux de l’histoire, des sciences
ou de l’arithmétique.Les problèmes qui se posent à cet égard varient selon les
langues. S’ils’agit d’unelangue qui s’écrit en idéogrammes ou en caractères sylla-
biques, ou dans les deux,les élèves devront faire de rapides progrès dans l’identifica-
tion des mots au moyen des symboles phonétiques supplémentaires.S’il s’agit d’une
langue alphabétique très phonétique, ils devront apprendre à tirer de mieux en
mieux parti des éléments de mots avec lesquels ils se seront familiarisés au cours du
deuxième stade, tout en continuant à progresser rapidement dans l’acquisition des
connaissances et mécanismes essentiels. S’ils’agit enfin d’une des autres langues
alphabétiques,ils devront, au cours de ce troisième stade, se familiariser chaque
jour davantage avec les mécanismes d’appréhension directe des mots et se mettre
ainsi en mesure de reconnaître les différents termes qui font partie de leur vocabu-
laire oral1. Pour faire acquérir aux élèves de nouvelles connaissances et de nou-
veaux mécanismes, on aura recours à l’étude dirigée de mots déjà rencontrés au
cours des leçons de lecture précédentes, ainsi qu’à des exercices pratiques. O n
amènera progressivement les élèves à appliquer les techniques ainsi acquises aussi
bien dans les lectures qu’ils feront seuls que dans les autres.
Le développement rapide de l’aptitude à identifier les mots nouveaux est si
importante que l’entraînement qu’elle nécessite ne doit pas être négligé.

Amélioration de la lecture orale.

Les élèves devront revoir fréquemment les préceptes dont il faut tenir compte quand
on s’adresse à un auditoire,par exemple: lire clairement et distinctement,lire d’une
voix assez forte pour être aisément entendu de tous et d‘un ton propre à faciliter
la compréhension des idées.D e temps à autre,les élèves étudieront un texte pour se
I. GRAY, William S., On their own in reading, Chicago, Scott Foresman and Company, 1948.
PRESTON, Ralph C., «Cornparison of word recognition skills in German and American children»,
Elementasy school journal, vol. LIII, avril 1953, p. 443-446.
L‘emeignemnt de la lecture et de l’écriture

rendre compte de la façon dont il convient de lire à haute voix ses différentes parties
afin d’en faire ressortir le sens (descriptions,passages humoristiques,dialogues,etc.).
Les exercices désignés sous le nom d’exercicesvolontaires de lecture orale présentent
un grand intérêt: chaque élève choisit lui-mêmele texte qu’il lira à toute la classe
et prépare soigneusement cette lecture. Il est également fort utile de faire préparer
et exécuter aux élèves des interprétations dialoguées de textes spécialement adaptés
à cet effet.

ACQUISITION À TITRE PERMANENT DE BONNES HABITUDES

Il importe tout particulièrement qu’au cours du troisième stade les élèves arrivent
à lire plus couramment et avec plus d’aisance.Dans les efforts qu’on déploie pour
développer rapidement chez eux l’aptitudeà lire des textes de plus en plus difficiles,
on néglige souvent cet aspect de la question. Il en résulte que les élèves ne lisent
guère par eux-mêmespendant qu’ils sont à l’écoleet cessent à peu près totalement
de lire lorsqu’ils en sont sortis. Pour remédier à cela, il convient notamment de
donner aux élèves la possibilité de lire beaucoup de textes un peu plus simples que
ceux des manuels utilisés pour la leçon du matin. O n peut à cet effet employer plu-
sieurs catégories d’ouvrages: livres de lecture plus faciles appartenant à d’autres
collections;ouvrages de bibliothèques également faciles; recueils de textes accom-
pagnant et complétant certains manuels de lecture. En l’absencede tels ouvrages,
les maîtres peuvent donner à lire à leurs élèves des textes simples écrits au tableau
ou reproduits au duplicateur,ou même faire relire le texte en posant de nouvelles
questions.
Dans les leçons de lecture orale à la première vue, on peut lire aux élèves le
titre du texte, leur faire étudier les images et éveiller leur intérêt en faveur du récit
lui-même au moyen d’un entretien sur des faits qu’ils ont eux-mêmes vécus. O n
peut, avant m ê m e de faire commencer la lecture,poser des questions sur les événe-
ments dont traite le texte. La lecture de chaque passage doit être suivie d’un entre-
tien où l’on encouragera les élèves à poser des questions auxquelles le passage sui-
vant apportera la réponse. O n les habitue ainsi à faire preuve, dans leurs lectures,
de curiositéd’esprit.En les faisantlire à tour de rôle,le maître doit noter les difficultés
que leur donne telle ou telle catégorie de mots, afin de pouvoir-soit à la fin de
la leçon, soit plus tard-apporter à chacun d’eux l’aide dont il a besoin.
La lecture silencieuse par groupe présente autant d’importanceque la lecture
orale et peut donner lieu à l’emploi des mêmes méthodes exposées plus haut. La
lecture de chaque alinéa ou groupe d’alinéas est précédée de questions. Une fois
lu un passage faisant un tout, on discute des faits qui y sont rapportés et l‘on part
des questions mêmes que posent les élèves pour orienter leur attention sur le passage
qui suit; on continue à appliquer cette méthode jusqu’à la fin du récit.
La lecture silencieuse individuelle, pratiquée sous la direction du maître, est
également fort utile. Après avoir éveillé l’intérêt des élèves pour le texte choisi, on
leur demande de le lire en silence.Pendant qu’ils se livrent à cet exercice,le maître
les observe afin de voir, d’après leur comportement,s’ils se heurtent à des difficultés
d’identificationou de compréhension,auquel cas il peut leur venir immédiatement
en aide. A la fin de la leçon,on discute des incidents du récit. Si l‘on dispose d’une
bibliothèque bien fournie,chaque élève peut y choisir le livre qu’il voudrait lire.
Cette manière de procéder stimule le goût des élèves pour la lecture et permet
d’obtenir d’eux une plus grande concentration de l’attention,des efforts plus vigou-
reux et de rapides progrès dans l’aptitude à lire rapidement et facilement.

166
Nature et organisation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

CORRECTION ou ÉLIMINATIONDES MAUVAISES HABITUDES

A mesure que se déroule le troisième stade, les méthodes normalement employées


dans l’enseignement collectif se révèlent d’ordinaire insuffisantespour remédier aux
difficultés de certains élèves.Dans presque tous les pays ont été signalésles problèmes
que pose la lenteur des progrès en lecture de certains enfants. O n a tenté, par des
études très poussées, de déterminer les causes de ce retard anormal et de trouver
les moyens d’y remédier.
Dans l’ensemble,les enfants qui lisent mal se répartissent en trois groupes princi-
paux. Il y a d’abord les élèves peu doués qui sont de façon générale en retard pour
tout sur leurs condisciples; dans la plupart des cas, le rythme auquel ils avancent
est celui que permettent leurs aptitudes et il n’y a pas intérêt à essayer de leur faire
rattraper les élèves moyens ou supérieurs à la moyenne.Ilimportetoutefoisd’organiser
l’enseignement de façon à leur faire réaliser tous les progrès dont ils sont capables.
Il y a ensuite les enfants qui, bien que doués des aptitudes nécessaires pour
avancer normalement, ont souffert de ce que l’enseignement, pour une raison ou
pour une autre, n’était pas adapté à leurs besoins. Peut-êtren’a-t-onpas réussi à
susciter leur intérêt et à obtenir leur coopération active; peut-êtreles manuels uti-
lisés leur ont-ilsparu inintéressants ou trop difficiles; peut-être ces manuels répon-
daient-ilsmal à leurs aspirations particulières; il se peut aussi qu’ils aient eu des
maîtres peu compétents, qu’ils aient été absents de l’école à un moment où l’on
étudiait précisément des points importants de la technique de la lecture,ou qu’ils
aient reçu peu d’encouragements dans leur famille... Il y a ainsi dans chaque
classe quelques élèves qui, pour les raisons qui viennent d’être énumérées ou pour
d’autres, ont besoin d’être spécialement aidés. La première tâche qui incombe
au maître est de découvrir la cause de leur faiblesse (inaptitude à reconnaître les
mots, difficultés de compréhension,inaptitude à suivre les lignes). Il s’appuiera à
cet effet sur des observations quotidiennes et sur des tests d’aptitude à la lecture;
nous avons souligné plus haut l’intérêt de tests décrits dans certains manuels et
celui des tests généraux d’aptitudeà la lecture. (On trouvera en annexe au présent
chapitre et au chapitre suivant une liste de tests applicables aux enfants,avec leur
origine et leur description.) Dès que l’on a identifié les défauts d’un élève, il faut
s’efforcerde luivenir en aide soit en s’occupantspécialement de lui,soit en le mettant
dans un petit groupe que l’onfera travailler à part. Les méthodes à employer dans
ce travail de correction ou de redressement sont dans une large mesure analogues
à celles dont se servent les maîtres compétents dans leur travail régulier d’enseigne-
ment. Certains ouvrages donnent des précisions sur les techniques spéciales per-
mettant de diagnostiquer et de corriger les mauvaises habitudes de lecture1.

I. BIRMINGHAM UNIVERSITY. INSTITUTE OF EDUCATION, Remedial education centre; Jirst annual report,
r948-49,par Fred J. Schonell et W.D.Wall, Birmingham, [19491, 28 pages.
CONFERENCE ON READING, UNIVEFSITY OF CHICAGO, 1953,Corrective reading in classroom and clinic,
compiled and edited by Helen M.Robinson,Chicago,University ofChicagoPress, 1953,256pages.
(Proceedings; Chicago Uniuersity Department of Education. Supplementary Educational Monograpb,
no 79.)
DOLCH, Edward William, A manual for remedial reading, 2e éd., Champaign (Ill.), Garrard Press,
‘9453 460 Pages.
DUNCAN,John, Backwardness in reading; remedies and preuention, Londres, George G.Harrap and Co.,
‘9533 96 Pages.
HARRIS,Albert J., H o w to increase reading ability: a guide to indiuidualized and remedid methods, 26 éd.
revue et augmentée, Londres, N e w York, Longmans Green and Co., 1947,582 pages.
K O ~ M E Y E R ,William,Handbook for remedial reading, St. Louis (Mo.),Webster Publishing Co., I 947,
‘79 pages.
SCHONELL, Fred J., Backwardness in the basic subjects, 2e éd., Edimbourg et Londres, Oliver and
Boyd, 1945, chap. I-XII.
L’ensei,pernent de la lecture et de l’écriture

O n peut enfin ranger dans un troisième groupe les enfants qui ont les aptitudes
intellectuellesrequises pour apprendre à lire, mais qui souffrent d’une ou plusieurs
déficiences très nuisibles à leurs progrès; défauts de la vue ou de l’ouïe, mauvaise
santé, excessive nervosité, retard dans le développement du langage, difficultés
affectives. Des études poussées ont été faites dans divers pays sur des cas de ce
genre et l’on s’est efforcé de déterminer au moyen d’expériences la nature de la
thérapeutique et des procédés pédagogiques à employer à l’égard de ces enfants.
O n trouvera dans les ouvrages énumérés ci-dessous1certaines des conclusions et
propositions qui ont été formulées au sujet des moyens à employer pour déceler
les causes de graves retards et pour y porter remède.

SUSCITER UN GOÛT PERMANENT POUR LA LECTURE

Pendant toute la durée du troisième stade, il faut continuellement s’efforcerde


donner aux élèves le goût de lire par eux-mêmeset de le développer.
Beaucoup des exercices décrits plus haut y contribueront. Le maître s’attachera
en outre à rassemblerle plus grand nombre possible de livresintéressantset attrayants;
il les placera sur la table de lecture de la classe et encouragera les élèves à les lire
pendant leurs loisirs, soit à cette table soit à leur pupitre. Deux ou trois fois par
semaine ou même chaque jour,on réservera dans les heures de classe des moments
pendant lesquels les élèves pourront lire des livres de leur choix. Le maître devra
alors non seulement observer la façon dont les élèves lisent, mais aussi converser
avec ceux qui s’intéressentle moins à la lecture afin de découvrir le genre d’ouvrages
qui leur plairaient le plus. D e temps à autre, les élèves devront s’assemblerautour
du maître, commenterles récits qu’ils auront le mieux aimés et en lire des passages
à leurs camarades.Le maître peut également, pour encourager les élèves à lire un
nouveau livre qu’ils’est procuré pour la table de lecture,leur donner un intéressant
aperçu de son contenu. L’intérêt pour les événements d’actualité sera sans cesse
entretenu grâce à un tableau d’affichage sur lequel seront portées chaque jour les
principales nouvelles intéressant l’école et la communauté; on préparera ainsi
les élèves à s’intéresser à la lecture des journaux, qui sera abordée au quatrième
stade.

ENCOURAGER LA LECTURE DANS LE CADRE DES AUTRES ACTIVITÉSSCOLAIRES

A mesure que les élèves feront des progrès, on aura de plus en plus recours à la
lecture pour l’étude des différentes matières. S’il existe des ouvrages simples se
rapportant par exemple à l’étudedu milieu social,à celle du milieu physique ou à
l’arithmétique,on les leur fera lire avec autant de soin qu’ils doivent en apporter

I. BOREL-MAISONNY,S. (Mme), «Comment on apprend à lire; méthode combinée. .. spécialement


pour enfants présentant des troubles du langage et rencontrant des difficultés)), Psychologie de
l’enfant et pédagogie expérimentale, nos 386 et 387, XII (1948), III (1g4g),p. 343-394, Paris,
Société Alfred Binet.
CHASSAGNY, Claude, CapPrentissage de la lecture chez l’enfant. Dyslexie-ajugraphie, Paris, Presses uni-
versitaires de France, 1954, 190pages. (Paideia: Bibliothèque pratique de psychologie et de psycho-
paihologie de l’enfant, dirigée par Georges Heuyer. Quatrième section: <<Pédagogiepratique D.)
HALLGREN, Bertil, (< Specific dyslexia)), Acta psychiatrica et neurologica, supplementum 65, Copen-
hague, Ejnar Munksgaard, 1950
ROBINSON, Helen M.,W h y pupils fail in reading, Chicago (Ill.), T h e University of Chicago Press,
1946, 257 Page.

I 68
Nature et organisation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

à la leçon quotidienne de lecture. O n accordera une importance spéciale à la pro-


nonciation et à la compréhension des mots nouveaux en s’assurant que les élèves
saisissent bien ce qu’ils lisent et qu’ils savent rattacher les idées exprimées dans le
texte aux problèmes dont s’occupela classe. Si les ouvrages de ce genre sont rares
ou inexistants, le maître écrira au tableau noir (ou fera tirer au duplicateur) des
textes intéressants traitant lesdits problèmes; ces textes pourront être extraits d’un
livre ou rédigés par le maître lui-même;ils devront être composés de mots déjà
connus des élèves, auxquels ne s’ajouterontque les quelques termes nécessaires à la
présentation de nouveaux concepts.

guatrième stade :Acquisition de goiîts et d’habitudes répondant


à une plus grande maturité d’esprit

Dès que les buts visés au troisième stade auront été atteints,il restera à faire acquérir
aux élèves des goûts et des habitudes en matière de lecture répondant à une plus
grande maturité d’esprit,ce qui sera l’objectif même de l’enseignement donné au
quatrième stade. U n tel enseignement prend une importance particulière dans les
régions où beaucoup d‘enfants ne restent que quatre ans à l’école.Nous exposerons
brièvement les différents problèmes à résoudre dans l’un et l’autre des domaines
suivants:favoriser le développement normal des enfants, tant en matière de lecture
que par le moyen de la lecture, et les initier progressivement à quelques-unsdes
emplois simples de la lecture qui s’offrentaux adultes de la communauté.

AIDE AUX PROGRÈS EN LECTURE ET AU DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT PAR LA LECTURE

U n bon programme d’enseignement de la lecture doit, à ce quatrième stade, être


établi en fonction de plusieurs principes dont trois au moins sont essentiels. Il s’agit
tout d’abord d’organisersoigneusement les leçons quotidiennes de lecture, les buts
à viser étant les suivants:
I. Stimuler le désir qu’ont les enfants de s’informer par la lecture de ce qui est
neuf pour eux ou de ce qui ne leur est pas familier.
2. Leur apprendre à mieux déchiffrer et à mieux comprendre les mots longs et
difficiles qu’ils rencontrent maintenant plus fréquemment du fait qu’ils lisent
des ouvrages plus variés. (L’initiation à l’emploi de dictionnaires ou ouvrages
analogues fait partie de cette tâche.)
3. Améliorer rapidement chez eux l’aptitude à comprendrece qu’ilslisent,à réagir
de façon réfléchie aux notions qu’ils acquièrent et à s’en servir pour enrichir
les concepts et les idées qu’ilspossédaient déjà,pour adopter des attitudes ration-
nelles et améliorer leur comportement.
4. Accroître leur vitesse de lecture.
5. Améliorer la qualité de la lecture orale.
6. Développer chez les élèves l’habitude de lire par eux-mêmes pour le plaisir et
de chercher dans la lecture le moyen de résoudre des problèmes personnels ou
collectifs et de s’enrichir sur le plan culturel.
En général,pour atteindre ces buts, on s’aide d‘une collection bien conçue de livres
de lecture fondamentaux. Le livre de lecture correspondant à chaque classe est
fondé sur un vocabulaire comprenant les mots introduits dans les livres précédents,
plus environ 750 mots nouveaux, choisis parmi les plus courants, et en outre les
quelques termes plus rares dont on peut avoir besoin. Dans chaque livre de lecture
fondamental figurent des textes de plusieurs genres; récits intéressants et descrip-
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

tions d’activités et exposés de problèmes propres aux enfants de l’âge des élèves;
détails frappants sur les gens et les choses qu’on rencontre dans les différentesparties
du monde ou les événements qui s’y produisent;relations d’aventuresou de voyages
et autres récits intéressants concernant des pays étrangers ou des temps passés;
histoires pour enfants choisies parmi les meilleures que recèle la littérature du pays
ou de la région culturelle.
Les méthodes et procédés d’enseignement sont, dans l’ensemble, analogues à
ceux qui sont employés au troisième stade,mais sont adaptés à la tâche plus difficile
à accomplir. Chaque passage à lire doit être présenté aux élèves de manière que
ceux-ci comprennent son rapport avec leurs préoccupations immédiates. Par des
questions, par la présentation d’images, par des entretiens et des échanges d’im-
pressions vécues, on s’efforcera d’élargir l’horizon des élèves et d’enrichir leur
connaissance des choses. O n essaiera d‘obtenir d’eux qu’ils fassent en supplément
de nombreuses lectures pour satisfaire leur curiosité présente et trouver de nou-
veaux sujets d’intérêt.
Le développement chez les élèves d’une meilleure aptitude à lire et à tirer profit
de la lecture exige des plans soigneusement préparés et des efforts chaque jour
renouvelés. Quatre groupes de problèmes méritent de retenir spécialement l’atten-
tion:

Développement d’une aptitude accrue à reconnaftre sans aide les mots nouveaux.

En raison de la plus grande diversité des ouvrages que l’élèvelit au cours du qua-
trième stade, le nombre de mots nouveaux qu’il rencontre augmente rapidement.
Il lui faut bien reconnaître les mots polysyllabiques nouveaux et savoir se servir
d’un dictionnaire pour trouver le sens et la prononciation inconnus.

Elargissement du vocabulaire de l’élève en ce qui concerne les différentes acceptions des mots.

D e par la nature même des ouvrages que l’élève lit au quatrième stade, il voit
apparaître presque à chaque page des mots correspondant à des concepts nouveaux
tandis que les mots qui lui sont familiers déjà sont souvent employés dans des accep-
tions qu’il ne connaît pas. Il faut donc faire faire continuellement aux élèves des
exercices pour les habituer à trouver le sens des mots d’après le contexte et d’après
les éléments m ê m e dont ils sont formés. Il faut en même temps leur fournir toutes
explications utiles et les aider à manier un dictionnaire comme à choisir entre plu-
sieurs sens celui qui s’adapte au contexte.

Développement de l’aptitude à comprendre et à interpréter.

C o m m e les élèves font maintenant des lectures sur des choses ou des activités qui
ne leur sont pas familières, ils ont souvent besoin qu’on les aide à saisir certains
détails et à se les représenter avec précision. O n a de plus en plus souvent recours
pour cela aux divers auxiliaires audio-visuels,avec explications et discussions à
l’appui. Les élèves doivent également, à ce quatrième stade, faire des progrès
rapides en un triple domaine:saisir les idées qui ne sont pas explicitementformulées,
tirer des déductions de leurs lectures et dégager des conclusions des faits exposés.
Tout en lisant,ils doivent apprendre à comparer entre elles les idées qui leur viennent
de différentes sources et à juger de leur valeur et de leur signification.Ils doivent
s’habituerà peser les argumentsprésentés et à distinguer ce qui est exact ou pertinent
de ce qui ne l’estpas. Ilsdoiventégalementapprendreàjuger de la beauté et de lavaleur
Nature et organisation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

des bons ouvrages littéraires et à sentir en quoi ils diffèrentdes écrits vulgaires ou
sans intérêt; ils en viendront ainsi peu à peu à préférer les premiers.

Vitesse de lecture.

Etant donné que beaucoup d’élèves s’habituent difficilement à suivre un texte à


une vitesse raisonnable,il faut souvent faire des efforts particuliers pour les amener
à lire plus couramment. Le moyen le plus efficace pour cela consiste à leur faire
lire beaucoup de textes très intéressants;pour certains élèves il peut être profitable
d’organiser des exercices pratiques où ils auront un temps déterminé pour lire un
passage.
Les maîtres doivent également accorder leur intérêt aux élèves qui rencontrent
dans l’apprentissagede la lecture plus de difficultés qu’il n’est normal. A cet égard,
ils pourront utilement compléter les données de l’observation directe par l’appli-
cation de tests d’aptitudeà la lecture analogues à ceux qui ont été décrits pour le
troisième stade. A mesure qu’ils identifient les élèves qui ont spécialement besoin
d’être aidés, ils ont à prendre les dispositions nécessaires pour remédier à leurs
défauts. Les méthodes à employer à cet effet ne diffèrent d’ailleursde celles qu’uti-
lisent quotidiennement les maîtres compétents qu’en ce que l’attention doit être
ici concentrée sur certains points particuliers.O n trouvera des suggestionsdétaillées
sur cette question dans les ouvrages cités à la note I de la page 167.
U n bon programme d’enseignementde la lecture comporte également des direc-
tives pour le choix des textes à lire dans l’étude des diverses matières scolaires.
Une grande partie des ouvrages dont on se sert actuellement sont trop difficiles
pour que les élèves puissent les lire et les comprendre aisément. Avant de donner
aux élèves un texte à étudier,le maître devra faire appel à leur expérience person-
nelle pour y situer le sujet et leur expliquera le sens des mots qui leur sont peu
familiers.En s’entretenantavec eux et en suscitant leur coopération,il pourra faire
intervenir certaines questions ou certains problèmes déjà connus dont le souvenir
les amènera, tandis qu’ils liront, à concentrer leur attention sur des points impor-
tants.
Il est essentiel aussi de poursuivre les efforts pour apprendre aux élèves à lire
par eux-mêmes pour leur plaisir, pour élargir leur culture ou pour résoudre cer-
tains problèmes, personnels ou collectifs. Ce sont là des habitudes qu’il faut faire
prendre aux élèves quand ils sont encore à l’école si l’onveut qu’ils continuent à
lire beaucoup après l’avoirquittée. Toutes les méthodes dont l’emploi a été suggéré
au deuxième et au troisième stade pour leur donner le goût de la lecture peuvent
également être employées au quatrième stade;on devra chaque jour réserver cer-
tains moments pendant lesquels les élèves pourront lire des livres de leur choix.
Quand ce sera possible, on aura recours au directeur de la bibliothèque publique
pour obtenir un bon choix de livres que les élèves liront à l’écoleou chez eux. Il y
a encore beaucoup de collectivités où il n’existepas de livres récréatifspour les enfants;
mais de tels ouvrages sont si utiles à un enseignement efficace de la lecture qu’il
convient de faire sans tarder tous les efforts possibles pour qu’on puisse partout s’en
procurer.

INITIATIONAUX LECTURES DE L’ÂGE ADULTE

Deux mesures au moins peuvent être prises pour encourager les élèves à faire des
lectures du genre de celles qui conviennent aux adultes de leur communauté. La
première consiste à stimuler leur intérêt pour les événements d’actualité. S’ilexiste
L’enseignement de la lecture et de i‘ém’ture

dans la localité un journal, on devrait chaque jour, ou chaque semaine, en placer


un exemplaire sur la table de lecture; les élèves qui ne trouvent pas ce journal chez
eux devraient être encouragés à le lire à l’école.S’il n’existe pas de journal,les élèves
peuvent être incités à apporter au maître des informations qui seront affichées sur
un tableau spécial installé dans la classe. D e toute façon, on devrait, au cours de
la journée, réserver un certain temps, par exemple après le déjeuner, à la discussion
des événements importants qui se sont passés ou que l‘on attend; on soulignera
notamment l’influence qu’ils peuvent avoir pour la communauté ou pour les parti-
culiers.
O n devra également faire étudier en classe certains des problèmes spéciaux qui
intéressent la communauté tout entière: par exemple, la nécessité d’améliorer les
conditions sanitaires, de perfectionner les méthodes de culture ou de construire
une nouvelle route. Il faudra encourager les enfants à réfléchir à ces problèmes, à
apporter et lire en classe tout bulletin ou dépliant qui aura été distribué à leur
sujet, à rechercher les moyens de participer, individuellement ou en groupe, à l’amé-
lioration des conditions de vie ou à la solution de tel ou tel problème. Par des dis-
cussions et des exercices fréquents de ce genre, les élèves s’intéresseront peu à peu
aux problèmes de la communauté et sentiront qu’ils ont le devoir d’aider à les
résoudre.
A N N E X E

Fig. I I. Metropolitan Reading Readiness Test (publié par la World Book Company, Yonkers-on-
Hudson, N.Y.).
Test I :Sens des mots. Il y a 19lignes c o m m e celle-ci. Dans chacune, l’élève doit marquer d’un signe
l’image correspondantau mot prononcé par l’examinateur.Par exemple, celui-cidira: (c Marquez
le bébé.) )
Test 2: Phrases. Il y a 14 lignes c o m m e celle-ci.Dans chacune, l’élève doit marquer d’un signe l’image
dont on lui donne la description. Par exemple, l’examinateur dira: «Trouvez l’enfant qui porte
u n seau et une pelle.»
Test 3: Information. Il y a 14 lignes c o m m e celle-ci. Dans chacune, l’élève doit marquer l’image
qui correspond le mieux à la description de l’examinateur.Par exemple, celui-cidira: «Marquez
l’objet dont vous vous servez quand vous jouez dehors avec une balle.))
Test 4:Appariement. Il s’agit d’un test de perception visuelle. Il y a 19 lignes c o m m e celle-ci.Dans
chacune, l’élève doit encercler d’un trait l’image qui correspond à celle qui est au centre.

‘73
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

1 bee door hat hole

a dog eating men working


2 a horse running a boy running
a boy singing

Mary is a little
3 tree cup top girl dress

4 Put an X on the doll.

One day it was cold. Jack was glad that his blue coat was so
warm.
One day it was
5 hot rainy eold dark warm
Jack‘s coat waç
cold red glad wam fat

Fig. 12.Test général d’aptitudeà la lecture. Exemples d’exercices choisis dans The Chicago Reading
Tests (tests établis pour le Chicago Board of Education et publiés par E. M.Hale and Co., Chicago,
pour être employés au cours des deux premières années d’école).
Test I. Compréhension des mots (12 tests analogues). O n demande à l’élève de trouver le mot (chat»
(chapeau) et de le souligner.
Test 2. Compréhension de membres de phrases (12 tests). Soulignez les mots «a boy runningb (un
petit garçon qui court).
Test 3. Compréhension de phrases (8 tests). Soulignez le mot qui compléterait le mieux la phrase.
Test 4. Compréhension de directives (7 tests). Lisez la directive et faites ce qui est demandé.
Test 5. Compréhension de paragraphes (I 2 tests). Lisez les deux premières lignes. Lisez ensuite chacune des
phrases suivantes et marquez le mot qui la compléterait le mieux.

‘74
Nature et organkation des programmes d’enseignement de la lecture aux enfants

“Look, M,”
said Sally. 1
“Look, Spot.
you did.”
See what -
PUE Spot Little Quack

a baby kitten
a yellow duck

1 a little chicken

3
She went to get Little Rabbit.
She went to get Sally.
She went to get Grandmother.

Fig. 13.Exemple d’un test d’aptitudeà la lecture joint à un manuel de lecture élémentaire («New
basic reading test)) joint au manuel Fun with Dick und Jane, Chicago, Scott Foresman and Company
(Newbasic readers).
I. Compréhnsion du seru d’une phrase. L e maître invite les élèves 2 souligner chacun des mots qui
montrent qui Sally voulait désigner par le pronom vous.
2. Formationd’imagessensorielles. L e maître dit: ((Pensez à un petit animal couvert de duvet qui
a des ailes et qui nage. Auquel avez-vous pensé? Tracez un trait en dessous.))
3. Perception de rapports. L e maître raconte l’histoire à laquelle se rapporte l’image; puis il dit:
((Soulignez la phrase indiquant qui la m a m a n allait chercher dans la maison.))

‘75
L’enseignement db 14 leciure et de l’écriiure

“No,Spot, no!” said Jane.


“You cannot have the doll.
Put that do11 d o m .
1 do not want you
4
to play with it.”

Father said, “Corne, boys.


5 1 - a surprise for you.”
home have, here

Father works with a .q


6

1 The children have three __

Fig. 13 (suite). Exemple d’un test d’aptitude à la lecture joint à un manuel de lecture élémentaire.
4. Reconnaissance des réactions affectives. «Lisez cette histoire. Puis tirez un trait sous la figure qui
montre ce que Jane ressentait et quel air elle avait.))
5. Perception visuelle (sens). «Lisez les deux phrases. Soulignez le mot de dessous qu’il faut mettre
dans le blanc.) )
6. Anabsephonétique. «Tirez un trait sous l’objet dont le n o m commence par un s et complétez
la phrase.»
7. Anabse structurale (Sem). «Lisez la phrase. Lequel des trois mots faut-il mettre dans le blanc?»

176
C H A P I T R E VI11

L’ENSEIGNEMENTDE LA LECTURE
AUX ADULTES

Doter de l’instruction indispensable une génération d’adultes est une tâche non
moins utile que de donner aux enfants le goût et l’habitudede la lecture.A u cours
des dernières années, ce problème a été sérieusement étudié dans diverses régions,
et les nombreuses recherches et expériences contrôlées dont nous avons maintenant
les résultats fournissent d’utilesdirectives pour la lutte contre l’analphabétismesur
le plan mondial. Dans le présent chapitre, nous étudions spécialement la nature,
la portée et la structure des programmes d’enseignement de la lecture convenant
aux adultes. Les ouvrages cités en note nous ont été très utiles pour la rédaction de
ce chapitre1.

I. AGORRILLA,A m a d o L.,Adult education in the Philippines, Manille, R. P.Garcia Publishing C o m -


pany, 1952, p. 51-89> 162-267.
BIVAR, H.G.S.,Education for al1 within six months; a brochure on adult education with special reference
to Bengali, Calcutta, Rabindra Publishing House, 1949.
BUSWELL,G u y Thomas, How adults read, Chicago, University of Chicago Press, 1937. 158 pages.
(Sujplementary educational monographs, no 45.)
Department of Mass Education in Zndonesia, publié par le Département d’éducation populaire
du Ministère de l’éducation, de l’instruction et de la culture de la République d’Indonésie.
GRIFFIN, Ella Washington, ((Let’s help the ten million; teacher’s manual)), dans: U.S. OFFICE
OF EDUCATION, Project for literacy education, N e w London (Conn.),Educator’s Washington Dis-
Patch, 1950. (Home and family lzye series.)
GUDSCHINSKY, Sarah, Handbook of literacy, éd. rev., Norman (Okla.), University of Oklahoma,
Summer Institute of Linguistics, 1953.
KOTINSKY,Ruth, Elementary education of adults :a critical interpntation, N e w York, American Associa-
tion for Adult Education, 194.1,p. 54-135. (Studies in the social significanceof adult education in the
United States, no 26.)
LAUBACH, Frank C., Temhing the world to read; a handbook for literacy campaigns, Londres, United
Society for Christian Literature, 1948.
PORTO RICO.CONSEJO SUPEMORDE ENSENANZA. Educacih de adultos (orientacionesy técnicas), Rio
Piedras (Porto Rico), Universidad de Puerto Rico, 1952. (Publicaciones pedagbgicax, série II,
1952,no 13.)
ROBERTS, D.B., Types of organization in adult and mass literaty works, Sydney, South Pacific C o m -
mission, 1952, IO pages. (Technical paper, no 32.)
Teacher’s guide, préparé par le Programme d’éducation collective de l’Unesco en matière d’éduca-
tion de base, Yelwal (Mysore), 1954,43 pages.
WHIPPLE, Caroline A.,GUYTON, Mary L., MORRIS, Elizabeth C.,Manual for teachers of adult elemen-
tary students, Washington, United States Office of Education, Department of the Interior,s. d.
(Préparé pour 1’American Association for Adult Education.)
W m , Paul, cPrinciples of learning derived from the results of the Army’s program for illiterate
and non-English-speakingmen)), Adult education bulletin, no I 1,juin 1947,p. 131-1 36, Washing-
ton, Department of Adult Education, National Educational Association.

‘77
L’enseiEnernent de la lecture et de l‘écriture

LES P R O G R A M M E S A C T U E L S D’ENSEIGNEMENTDE L A L E C T U R E

Dans un nombre suprenant de régions,il n’a jamais encore été entrepris de cam-
pagne sérieuse contre l’analphabétisme.Dans ces régions, il faut partir de zéro,
et on ne peut guère compter y trouver un appui de la part des pouvoirs publics,
pas plus qu’on n’y dispose des maîtres qualifiés et du matériel d’enseignement
nécessaires.
Les programmes existants diffèrent considérablement par leur portée et leur
structure.Dans le cas des moins ambitieux,l’enseignementne dépasse pas le niveau
élémentaire et prend fin dès que les élèves possèdent (< les rudiments de l’instruc-
tion ». Ces programmes limités sont souvent imposés par l’insuffisance des fonds
disponibles,l’absencede maîtres qualifiés et la pénurie de matériel d’enseignement.
Mais dans bien des cas,ils répondent aussi à la conviction que les adultes,lorsqu’on
leur aura appris à identifier les mots, pourront s’entraîner tout seuls à la lecture.
L’expérience a maintes fois prouvé cependant que cet espoir est vain, et que seule
une faible proportion des adultes ainsi instruits poursuivent leurs études.
Certains programmes utilisent un matériel de lecture d’un niveau légèrement
plus élevé. Le Ministère de l’éducation du Brésil1 a publié en 1948 une série de
textes de base réunis en deux brochures,la première intitulée Ler (Lire), la deuxième
intitulée Saber (Savoir). Les collections qui ont été utilisées en 1950 au Soudan2
dans le cadre d’une campagne contre l’analphabétismeet celles qui sont adoptées
pour l’usagegénéral à Porto Rico et ailleurs sont encore plus complètes3.Elles per-
mettent généralement aux élèves d’atteindre,avant la fin de la période d’instruc-
tion, un niveau beaucoup plus élevé qu’avec les seuls manuels traditionnels.
Il existe des programmes encore plus étendus, prévoyant non seulement des
lectures plus poussées en classe, mais aussi des lectures complémentairesque l’élève
peut faire seul dès qu’il a terminé son instruction élémentaire,et même avant. Les
textes sont préparés par des comités ou bureaux spéciaux4,par des organisations
religieuses ou par des maisons d’édition. Ils concernent à peu près tous les sujets
auxquels peuvent s’intéresserdes adultes. Lorsqu’ilssont suffisamment simples pour
être lus sans effort et avec plaisir, ils développent l’aptitudeà lire et le goût de la
lecture.
Dans l’applicationde programmes élargis d’enseignement de la lecture,certaines
communautés préfèrent distinguer plusieurs étapes, correspondant chacune à un
objectif précis. U n programme de ce genre a été recommandé par Bivar en 1949
pour le bengali5.Un autre a été appliqué récemment dans le cadre du plan de
développement économique et social des régions rurales de l’Inde6.Il comprenait
quatre étapes: au cours de la première, les élèves déchiffraient des textes simples
affichés en différents endroits du village; au cours de la deuxième,ils étudiaient un
manuel élémentaire;au cours de la troisième,ils lisaient,sous la direction du maître,
un second manuel,contenant un vocabulaire de 520 mots; au cours de la quatrième,

I. BRÉSIL.MINISTERIO DA EDUCAÇAO E SAUDE.DEPARTAMENTO NACIONAL DE EDUCAÇAO, Ler: primeiro


guia de leitura, Rio de Janeiro, 1948.
2. YUSIF, Hassan Ahmed, Organization of adult literacy campaigns in 1950,Bakht er Ruda, Ed Dueim
(Soudan), 1950.
3. PORTORICO, CONSEJO SUPERIORDE ENSENANA, Libros de lectura, San Juan, Depto. de Instruc-
c i h Publica, 1953.Parmi les ouvrages parus dans cette collection,il faut citer: A la escuela; Las
trabajadores; A cuidar la salud; El ciudadano en una democracia; A divertirnos sanamente.
4. READ,Margaret, ( (Some aspects of adult education)), Community development bulletin, vol. VIII,
nO4, décembre 1952,p. 62-82.
5. BIVAR,H.G.S.,op. cit.
6. CHATTERJI, U.N.,{(Literacy training becomes a part of rural developmento, Zndian farming,
vol. II, no 4, juillet 1952,p. 28-29.
Enseigemt de la lecture aux adultes

ils faisaient des lectures plus ou moins personnelles sur des problèmes courants de
la vie rurale. Le programme récemment appliqué à Mysore (1nde)l comprend
également quatre étapes. Pour les pays américains de langue espagnole,on a recom-
mandé des programmes en trois étapes2.
Divers programmes ont été organisés en fonction des besoins particuliers de cer-
taines communautés.Aux Philippine?, le programme d’enseignement de la lecture
a maintenant pour objectifs d’apprendre aux élèves à résoudre certains problèmes
personnels et collectifs, d’accroître leurs connaissanceset de développer leur culture,
enfin de les amener à goûter la lecture et à réfléchirà ce qu’ilslisent.Après les pre-
mières leçons, plusieurs manuels sont utilisés; le Citizen’s Reader contient 35 récits
traitant de problèmes sociaux et économiques.In Our Community expose les qualités
idéales et pratiques du citoyen; enfin, le bulletin hebdomadaire Citizens Letters con-
tient des articles sur des sujets d’intérêt immédiat. Avec un bon instructeur,les
éIèves font des progrès rapides en ce qui concerne: l’aptitudeà lire et le goût de
la lecture; la compréhension des problèmes personnels et collectifs; l’acquisition
d’une culture de nature à développer leur personnalité et en faire de bons serviteurs
de la collectivité. D e tels résultats méritent tous les efforts.
La nécessité de donner aux adultes une instruction fonctionnelle se fait sentir
dans le monde entier. Une telle instruction doit se fonder sur des principes pédago-
giques solides et être adaptée aux conditions et aux besoins propres de chaque com-
munauté. Pour améliorer les programmes, il faut partir de la situation existante
et n’introduire de modifications que dans la mesure où les conditions locales le
permettent.
Nous ne pouvons prétendre dans le présent chapitre exposer des programmes
d’enseignement de la lecture qui répondent aux besoins de toutes les communautés.
Il nous a semblé préférable d’insister sur certains éléments qui, d’après des expé-
riences et des recherches contrôlées,paraissent susceptibles d’une large application.
Nous n’ignoronspas que nombre de ces suggestionsne peuvent être adoptées immé-
diatement dans certaines communautés,faute de crédits suffisants,de maîtres qua-
lifiés et de matériel d’enseignementapproprié. Nous espérons cependant qu’elles
aideront toutes les communautés à mettre au point, à longue échéance, les pro-
grammes étendus et efficaces qu’exige la vie moderne. Nous étudierons au cha-
pitre XII l’adaptation des programmes d’enseignement de la lecture aux condi-
tions et aux besoins particuliers des communautés.

P R I N C I P A U X O B J E C T I F S D’UN P R O G R A M M E D ’ E N S E I G N E M E N T
D E LA LECTURE A U X ADULTES

Avant d’organiser ou d’améliorer un programme d’enseignementde la lecture aux


adultes,il est indispensabled’endéfinir soigneusementles buts et les objectifs.C o m m e
nous l’avonsindiqué au chapitre ier, le grand but à atteindre est l’instructionfonc-
tionnelle, c’est-à-direl’aptitude à lire effectivement tout ce qu’un adulte est nor-
malement appelé à lire dans le cadre de sa communauté. Les exercices de lecture
doivent également favoriser le développement de l’individu et le progrès de la
collectivité. Les objectifs essentiels de l’enseignementde la lecture sont donc, dans
le cas des adultes,de deux sortes.

I. Teacher’s guide, op. cit.


2. GUDSCHINSKY, Sarah, op. cit.
Amado L.,op. cit.
3. AGORRILLA,

‘79
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

Les uns concernent les avantages pratiques qui résultent du fait de savoir lire.
Ainsi, l’adulte doit pouvoir :
I . Selon les besoins pratiques de la vie quotidienne déchiffrer les avis interessant sa
sécurité,trouver son chemin,se tenir au courant des événements,correspondre
avec sa famille et ses amis;
2.Améliorer la santé,les conditions sanitaires, les soins aux enfants, les récoltes,
les conditions de vie;
3.Comprendre le milieu physique et social où il vit, les problèmes personnels et
collectifs qui s’y posent, ainsi que les principes en cause et les solutions pos-
sibles;
4.Connaître les traditions, les institutions et les coutumes locales;
5.Adopter les attitudes et les principes qui le feront effectivement participer à la
vie de la famille, de la communauté,de la nation;
6.Apprendre à connaître des faits concernantd’autreslieux,d’autrespays, d’autres
peuples,d’autres époques;
7.Elargir son horizon intellectuel;
8.Se cultiver et développer sa personnalité par la lecture des œuvres littéraires;
9.Satisfaire ses aspirations religieuses par la lecture des textes sacrés;
IO.Trouver dans la lecture une source de satisfactions personnelles.
Ce ne sont là que quelques suggestions;les besoins et les valeurs essentiels diffèrent
selon les communautés et les cultures. Chaque communauté a donc le devoir d’étu-
dier dans le détail à quels besoins la lecture doit répondre et quelles valeurs elle
doit servir, pour que les individus puissent participer effectivement aux activités
et à la culture du groupe.
Les autres concernent les attitudes et les mécanismes qui sont à la base de l’ins-
truction fonctionnelle. Voici,d’après les recherches résumées dans les chapitres III
à v et d’après des rapports provenant de diverses régions,quels doivent être à cet
égard les objectifs de l’enseignementde la lecture:
I . Inspirer aux adultes le désir d’apprendre à lire a à tout prix D;
2.Les habituer à réfléchir à ce qu’ilslisent et à approfondir le sens de leurslectures;
3.Les habituer à reconnaître exactement les mots, sans aide;
4.Développer chez eux l’aptitude à comprendre le sens des textes: sens littéral,
sens suggéré et sens implicite (voir chapitre IV);
5.Les habituer à réagir intelligemment à leurs lectures;
6.Les rendre capables d’utiliser les idées acquises,pour améliorer leurs connais-
sances, acquérir des attitudes rationnelles, résoudre les problèmes individuels
et collectifs;
7.Leur apprendre à lire vite, tout en comprenant parfaitement le sens du texte;
8.Les rendre capables de lire convenablement,à haute voix,en ne perfectionnant
dans cet exercice que ceux qui manifestent des dispositions et un intérêt parti-
culiers;
9.Développer leur intérêt pour la lecture,et les amener progressivement à recher-
cher des lectures de qualité;
IO.Les habituer à lire régulièrement,pour le plaisir et pour augmenter leurs con-
naissances.
L’instruction fonctionnelle,dans la conception moderne, ne consiste pas seulement
à connaître ses lettres et savoir lire un manuel élémentaire. Pour l’acquérir,il faut
un délai variable suivant les communautés.La durée des cours effectifs sera com-
prise entre cent cinquante et trois cents heures.

I 80
Enseignement de la Lecture aux adultes

STRUCTURE D U P R O G R A M M E

C o m m e nous l’avons dit, on tend ces dernières années ,àfractionner en plusieurs


étapes I’enseignement de la lecture dans le cadre de l’instruction fonctionnelle.
L’un des avantages pratiques de ce système est que bien des adultes qui hésiteraient
à s’inscrire pour des études prolongées consentent volontiers à apprendre à lire
des textes simples dans un délai relativement court, ce qui est le premier objectif.
A mesure qu’ils s’instruisent,il est plus facile de les amener à persévérer.
Les recherches montrent que tous les individus apprennent à lire par le m ê m e
processus.Ils acquièrent d‘abord les attitudes et les mécanismes qu’exige la lecture
de textes très simples. Ils apprennent ensuite rapidement à lire et à interpréter
n’importe quel texte traitant de sujets familiers, et rédigé dans la langue de tous
les jours. Enfin, ils deviennent peu à peu capables de lire et d’interpréter des textes
plus complexes, d’intérêt personnel ou collectif.
En élaborant des programmes inspirés de ces considérations, on s’est aperçu
que nombre d‘adultes illettrés sont mal préparés à suivre les cours de lecture.Nous
verrons plus loin pourquoi.Toujours est-il qu’ilimporte de prévoir un enseignement
préparatoire, de nature à faciliter les progrès ultérieurs.
O n est ainsi amené à diviser le programme esquissé dans le présent chapitre en
quatre étapes:
I. Préparation générale;
2. Acquisition des attitudes et des mécanismes élémentaires;
3. Progrès rapides en lecture;
4. Acquisition des techniques du lecteur expérimenté.
Nous allons examiner successivementla nature et la portée de l’enseignement exigé
à chaque étape. Dans de nombreuses communautés, des certificats sont délivrés
à la fin de chaque étape à partir de la deuxième.O n stimule ainsi l’effortindividuel
tout en suscitant dans la communauté entière le désir d’apprendre.

Première étape :Préparation générale

A u cours de cette première étape, on se propose un double objectif: déterminer


-
dans quelle mesure les élèves adolescents ou adultes-sont aptes à apprendre à
lire;aider tous ceux qui en ont besoin à surmonter leurs défauts et à améliorer leurs
aptitudes.La préparation à la lecture doit aller de pair avec la préparation à l’écri-
ture (voir chapitre XI).

NBCESSITÉD’UNE PRÉPARATION

Les jeunes gens et les adultes qui s’inscrivent aux cours de lecture progressent de
façon très inégale.Ces différences1 tiennent en grande partie à des variations indivi-
duelles en matière d’aptitudes,d’instruction générale,de connaissance de la langue,
de santé, d’acuité visuelle et auditive, etc. D’autres facteurs affectent certaines
communautés plus que d’autres. En voici quelques exemples.

1. GRIFFW, Ella Washington, op. cit., p. 19-22.


GUDSCHINSKY, Sarah, op. cit., chap. IV.
PORTORICO. CONSEJO SUPERIOR DE ENSENANU, Educacidn de adultos (orientaciones y técnicas).
WALL, W.D.,«Reading backwardness among m e n in the army)), British journal of educaiional
psychologv, vol. XV, février 1945, p. 28-40; vol. XVI, novembre 1946, p. 133-148.

181
L‘enseignement de la lecture et de l’écriture

Dans un récent rapport, Agorrillal signale que de nombreux Philippins n’ont


jamais eu le sentiment que ce fût pour eux un désavantage de ne pas savoir lire.
En outre, ils n’envisagentde travailler que pour un gain immédiat et ne voient pas
pourquoi ils fourniraient l’effort d‘apprendre à lire. Au stade préparatoire, il est
donc indispensable de convaincre les adultes qu’ils ont intérêt et avantageà
s’instruire.
D’après d’autres rapports, de nombreux illettrés considèrent la lecture comme
un art trop difficile pour eux. Ils jugent inutile de suivre les cours ou s’y montrent
si timides qu’ils ne font guère de progrès. O n a maintes fois constaté que les progrès
deviennent très satisfaisants dès qu’ils ont repris confiance en soi.
Dans certaines collectivités, l’emploi de signes écrits ou imprimés est encore
très peu répandu.Les adolescentset les adultes n’ontjamais vu de pancartes,d’avis,
de journaux, d’imprimés;ils ne savent pas que le langage peut être exprimé par
des signes; ils sont évidemment beaucoup moins bien préparés à apprendre à lire
que s’ils vivaient dans une communauté où les imprimés sont largement utilisés et

où une grande partie de la population sait lire couramment.
Deux grandes conclusionsse dégagent des études approfondies qui ont été entre-
prises dans ce domainez.La première est que l’aptitude à apprendre à lire dépend
de nombreux facteurs individuels et sociaux ainsi que de l’influence du milieu; la
deuxième est que, lorsque des mesures appropriées sont prises pour remédier aux
déficiences individuelles et donner aux intéressés une formation préalable,bien des
adultes illettrés parviennent à faire des progrès rapides.

FACTEURS DONT DÉPEND L’APTITUDEÀ APPRENDRE À LIRE

O n voit combien il importe de bien connaître les facteurs qui interviennent dans
l’apprentissage de la lecture. L’expérience et la recherche révèlent que, pour
apprendre à lire, l’adulte doit avoir les qualités suivantes:
I. Intelligence suffisante pour pouvoir donner un sens au mot imprimé. C o m m e
nous l’avons dit au chapitre VII, la plupart des enfants possédant les autres
qualités requises sont capables d’apprendre à lire dès qu’ils ont atteint l’âge
mental de six ans. La plupart des adolescents et des adultes qui s’inscriventau
cours d’alphabétisationont une maturité d’esprit bien supérieure,mais il existe
des exceptions frappantes.En outre,dans les communautésindigènes,on constate
que certains adultes ont acquis des habitudes qui leur ont fait perdre toute
aptitude à apprendre, quelles qu’aient été leurs dispositions naturelles. Il im-
porte donc d’examiner soigneusement les élèves qui s’inscrivent au cours afin
d’évaluer leur aptitude à apprendre.
2. Désir d’apprendre à lire G à tout prix ».
3. Sentiment net que chaque mot écrit ou imprimé comporte une signification.
4. Connaissances suffisamment étendues,notamment en ce qui concerne les choses
et les activités dont il est question dans les premières leçons.
5. Possession d’un vocabulaire parlé suffisant, comportant des expressions d’un

I. AGORRILLA,A m a d o L.,op. dit., p. 229-230.


2. CHENAULT, Price, ed., Diagnostic and remedial teaching in correctional inrtitutiom,Albany (New York),
Department of Correction, 1945.
GOLDBERG, Samuel, A m y training of illiterates in World War II, New York City, Bureau of Publica-
tions, Teachers College, Columbia University, 1951, chap. VI. (Contributionsto education, no 966.)
GRIPFIN,Ella Washington, Let’s help the ten million; teacher’s manual, op. cit. chap. v.
W A L L , W.D., «Reading backwardness among men in the army», op. cit.

182
Enseignement de la lecture aux adultes

niveau supérieur à celui des premiers exercices; aptitude à s’exprimer avec


précision et clarté.
6. Aptitude à penser clairement et à utiliser efficacement ses connaissances pour
saisir un sens ou un rapport,faire un choix, résoudre un problème simple.
7. Aptitude à se concentrer,à observer et à écouter avec attention,à reconnaître
ce qui est important et pertinent.
8. Aptitude à reconnaître les formes et les sons avec une précision suffisante pour
pouvoir distinguer un mot d’un autre.
9. Aptitude à interpréterlesimages,de façonà pouvoir utiliser cellesque contiennent
les textes de lecture pour éclairer un passage, identifier des mots.
IO. Aptitude à travailler en commun, à suivre les instructions données, à s’adapter
aisément aux diverses situations où peut être placé l’élève.
I I. Absence de maladies, de soucis et de tensions affectives qui compromettent
l’attention et l’effort.
Toutes ces qualités sont plus ou moins universellement requises pour apprendre à
lire; cependant,cette liste devra à l’occasionêtre modifiée ou complétée pour tenir
compte des besoins de chaque communauté.

COMMENT ÉVALUER L’APTITUDE À APPRENDRE À LIRE ?

Divers moyens peuvent être utilisés pour déterminer l’aptitude à lire, dans le cas
de jeunes gens ou d’adultes. D’abord,avant d’ouvrir le cours d’alphabétisation,il
faut procéder à une enquête sur la communauté,en vue de déterminer notamment:
la fonction actuelle et les fonctions possibles de la lecture dans la communauté;
les textes de lecture disponibles, compte tenu des goûts et des besoins existants;
la proportion de jeunes gens et d’adultes sachant lire; le degré d’empressement
manifesté par les illettrés pour apprendre à lire. O n verra ainsi quels sont les pro-
blèmes à résoudre si l’on veut relever le niveau d’instructionde la communauté et
inciter ses membres à apprendre à lire.
En deuxième lieu,il faut interviewer les futurs élèves. Le maître se sera préparé
à ces interviews en participant à l’enquête précédente; il pourra aussi se livrer à
une enquête personnelle sur la communauté,prendre contact avec ses membres,
se renseigner sur a leurs activités, leurs traits caractéristiques et leur mode général
de vie1». Les interviews avec les futurs élèves ont généralement lieu au centre d’en-
seignement.
Le maître doit, à cette occasion,s’efforcerd’établir avec chaque élève des rela-
tions cordiales.Il doit aussi se renseigner,autant que possible,sur les points suivants:
raisons pour lesquelles l’élève veut s’inscrireau cours d’alphabétisation;hésitations
et craintes éventuelles qu’il manifeste; maturité d’esprit apparente; expérience
antérieure;aptitude générale à apprendre à lire-d’après la liste des qualités requises
(voir plus haut).
Enfin, il note le nom, l’adresse et l’âge approximatif de l’élève.Bien des com-
munautés donnent à remplir à cet effet une fiche telle que celle reproduite à
la page 184.
L a fiche doit être établie en tenant comptedes besoins de la communauté.O n doit
aussi prévoir des questions permettant d’évaluer l’aptitudeà apprendre à lire (voir
chapitre XI). La plupart des renseignements pourront être obtenus au cours de
l’interview. D e nombreux maîtres notent aussi à cette occasion les réponses et les
réactions typiques de l’élève;pour ne pas gêner ce dernier, il vaut mieux le faire

I. Teach’sguide, p. 4-5.
L‘enseignement de la lecture et de l’écriture

DÉTERMINATION
DU DEGRÉ D’INSTRUCTION
Nom ..................................................... Village .............................................
Age .................................................... Date ....................................................
Profession ........................................... Enquêteur ........................................

Sait lire, sait lire mais mal, ne sait pas lire


Etudes antérieures ......................... Années ......................... Mois ...............
Age d’entrée à l’école.....................................................................................
Qu’est-ce que l’élève aimerait lire? ...............................................................
L’élève souhaite-t-ilapprendre à lire? ..............................................................
Pour quelles raisons? ......................................................................................
Combien de temps peut-il consacrer aux cours?...............................................
L’élève fait-il partie d’une association? Laquelle?..........................................
Situation dans la communauté.........................................................................
Situation
..
de famille .......................................................................................
Etat civil ...........................................................................................................
Goûts ou distractions favorites.............................................................................
Autres renseignements utiles ...........................................................................

de mémoire, une fois l’entretien terminé. Dans certaines communautés, des spécia-
listes locaux font passer aux élèves, à la fin de l’interview, un test mental2 et plu-
sieurs tests visuels et auditifs simples. Les renseignements ainsi obtenus peuvent
utilement être résumés sur des fiches ‘sousle titre << Aptitude à apprendre à lire B
(voir modèle, chapitre VII, p. 151). Ces données permettent au maître de fixer
en toute confiance le programme des premières leçons.

PR~PARATIONDES ADULTES À LA LECTURE

Action de la collectivité.
L a collectivité peut, par diverses méthodes, susciter chez les adultes le désir d’ap-
prendre à lire. Autrefois, on organisait souvent une campagne spectaculaire de pro-
pagande en faveur de l’alphabétisation: à grand renfort d‘affiches, de défilés, de
réunions publiques et d’entretiens personnels, on démontrait les avantages de l’ins-
truction et les progrès réalisés par d’anciens illettrés. Lorsque l’enthousiasme était
à son comble, les inscriptions aux cours étaient ouvertes. D e telles campagnes ont
abouti à des résultats appréciables, mais un grand nombre d’élèves manquaient de
persévérance, s’étant inscrits plutôt sous l’effet de l’enthousiasme collectif que par
désir personnel d’apprendre à lire.
Dans les régions où l’analphabétisme est répandu, on peut commencer par
apposer des panneaux portant l’inscription << Danger ) )et attirer l’attention sur leur
sens. O n peut également afficher dans quelque lieu très fréquenté un panneau résu-
mant les nouvelles importantes. Les adultes qui savent lire se rassemblent devant
le panneau, le lisent et discutent les informations qu’il donne; on s’efforce d’amener

I. Teacfm’s guide, op. cit., p. 37.


z. Voir en annexe la liste des tests mentaux destinés aux adultes.
Enseignement de la lecture aux adultes

ceux qui ne savent pas lire à participer aux discussions. O n peut encore, par la
même méthode, afficher des avis et des bulletins traitant de questions d’intérêt
général.
Les moniteurs de l’éducationde base emploient une méthode extrêmement effi-
cace qui consiste à créer des situations de nature à démontrer que par la lecture
on peut résoudre des problèmes importants, ou obtenir des avantages très appré-
ciables. O n a vu au chapitre I~~ que, dans certaines régions,les gens ont manifesté
un vif désir d’apprendredès qu’ilsont compris que, grâce à la lecture,ils pouvaient
améliorer leur production - qu’il s’agisse de denrées agricoles, de volailles ou de
chapeaux.
Dans d’autres communautés,on insiste davantage sur les agréments et l’intérêt
culturel de la lecture.Les illettrés sont invités à se réunir pour écouter la lecture de
récits, de descriptions ou de textes sacrés. La lecture est coupée de discussions.
Quelques réunions de ce genre font comprendre aux illettrés l’intérêt et les agré-
ments de la lecture. Les méthodes à utiliser pour susciter le désir d’apprendre
à lire varient donc suivant le niveau culturel de la communauté, ses contacts
avec d’autresgroupes culturels,la fonction qu’y remplit la lecture,enfin les goûts
et les aspirations de chacun. Plus on aura fait, avant l’ouverture des cours, pour
élargir l’horizon intellectuel des futurs élèves et susciter chez eux le désir d’ap-
prendre à lire, et plus les progrès vers l’instructionfonctionnelleseront rapides dès
le début.

Rôle du maître.
Le maître entre en scène lorsque la communauté s’est acquittée de sa tâche. Grâce
aux interviews qu’il a eues, il connaît exactement les aptitudes et les besoins des
élèves, ainsi que les conceptions,les goûts et les attitudes qu’a développés chez eux
l’action de la communauté.
Les deux premières leçons sont fréquemment utilisées,au moins en partie, pour
compléter la préparation des élèves. Ceux-ci discutent les motifs qu’ils ont d’ap-
prendre à lire et les avantages qu’ils attendent de l’instruction,du point de vue per-
sonnel, familial, professionnel et social. Le maître pose des questions et offre des
suggestions pour encourager les plus timides à donner leur avis et pour amener
chacun à exprimer clairement ses idées.D e telles discussions permettent notamment
de mieux faire comprendre au maître les capacités, les connaissances et les besoins
des divers membres du groupe.
Il est bon, également, de prévoir, dès les premières leçons, quelques lectures
simples, car les élèves sont impatients de commencer à lire. Il faut leur faire com-
prendre que lire c’est pénétrer le sens d’un texte,et montrer aux plus hésitants qu’ils
sont capables d’apprendre à lire. O n pourra employer à cet effet des inscriptions
telles que: ((Danger », a Stop », a Voie libre », (< Pelouse interdite », ou des plaques
indiquant des noms de rue ou d‘édifice.
Cette partie du cours peut s’ouvrir par une discussion sur l’utilité des signaux
de circulation, des écriteaux, plaques d’immeubles,etc. Après en avoir montré
l’importance,le maître demandera à ses élèves s’ils ont remarqué des signaux ou
avis quelconques dans la localité. A mesure qu’il reçoit des réponses,le maître les
porte au tableau en écriture a script », dont l’emploiest recommandé au chapitre XI
pour l’enseignement de l’écriture.Dès qu’il a porté une inscription au tableau, le
maître la lit et la fait lire par quelques élèves, puis par l’ensemble de la classe.
Si plus de quatre ou cinq inscriptionssont mentionnées,le groupe peut choisir pour
les apprendre quelques-unesdes plus courtes et des plus importantes. Les exercices
de lecture de ces inscriptions doivent être poursuivis jusqu’à ce que les élèves soient

‘85
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

capables de les reconnaîtrefacilement.En les montrant tour à tour,le maître deman-


dera: c Que dit celle-ci? B Il fera comprendre aux élèves que les inscriptions impri-
mées donnent des conseils au public, l’avertissentd’un danger ou lui indiquent le
nom d’un lieu. Le maître incite également ses élèves à relever d’autres inscriptions
dans la localité avant la classe suivante et à en déchiffrer le sens.
C e ne sont là que quelques exemples de ce que pourra faire le maître pour pré-
parer les adultes à l’apprentissage de la lecture. Selon Rodriguez Bou1, l’objectif
est d’accroître le vocabulaire parlé des élèves,de leur apprendre à s’exprimeravec
aisanceet clarté,d’élargirou de préciser leurs connaissances,de leur faire comprendre
que les mots ont un sens,de leur faire acquérir un petit vocabulaire écrit, enfin de
stimuler leur désir d’apprendre à lire. (Pour de plus amples suggestions,voir les
ouvrages cités en notez.) Autrefois, cette préparation était négligée,mais l’expérience
montre qu’en dernière analyse on accélère les progrès en consacrant un certain
nombre de leçons à stimuler les élèves les moins doués. Lorsque, pour une raison
quelconque,on ne peut différer l’enseignement de la lecture,il conviendra de con-
sacrer chaque jour un peu de temps, au début de.la deuxième étape, à compléter
la préparation des élèves.

Deuxième étape: Acquisition des attitudes et des mécanismes élémentaires

L a deuxième étape commencedès que les élèves sontmanifestement prêts à apprendre


à lire assez facilement. Le but principal est ici d’habituer les élèves à lire des textes
simples pour en comprendre le sens : inscriptions, avis, courtes lettres, nouvelles,
instructions.Ainsi, les élèves atteignent un niveau comparable à celui qu’assuraient
les anciennes méthodes, tout en faisant des progrès importants dans la voie de
l’instructionfonctionnelle.

OBJECTIFS PARTICULIERSET DURÉE DE LA DEUXIÈME ÉTAPE

Dans tous les pays et dans toutes les langues,ces objectifs successifs sont essentielle-
ment les mêmes:
1. Accroître le désir d’apprendre à lire;
2. Développer l’aptitudeà lire;
3. Habituer l’élève à lire de façon réfléchie et à pénétrer le sens de chaquepassage;
4. Lui faire acquérir un vocabulaire visuel soigneusement choisi,répondant à ses
besoins essentiels en matière de lecture;
5- Lui apprendre à identifier correctement les mots nouveauxou peu familiers (cette
opération est plus ou moins difficile selon la langue);
6. L’habituer à bien comprendre le sens des textes;
7. L’habituerà réfléchir à ce qu’il a lu et à utiliser les connaissances acquisespour
répondre à des besoins individuels ou collectifs;
8. L’inciter à lire pour le plaisir et pour s’instruire;
9. Susciter chez lui le désir de se perfectionner encore dans l’art de lire.

1. PORTORICO.CONSEJO SUPERIORDE ENSENANZA.Manual para la enseiianra de lecturay escritura a adultos


analfabetos, Universidad de Puerto Rico, Rio Piedras, 1953, p. 12-15.(Série IV, no 49, 1953.)
WHIPPLE, Caroline A.,GUYTON, Mary L., MORRIS, Elizabeth C.,op. cit., p. 39-40.
2. GUDSCHINSKY Sarah, op. cit., p. 9-14.

I 86
Enseignement de la lecture aux adultes

Les délais à prévoir varient considérablement selon les communautés et les cultures.
En règle générale, il faut compter de 20 à 40 leçons d’une heure. D e toute façon,
l’instructiondoit être poursuivie jusqu’à ce que les élèves sachent lire couramment
et intelligemment des textes très simples,et jusqu’àce que le fait de savoir lire cons-
titue pour eux un avantage pratique dans certaines situations au moins de la vie
quotidienne.

RÉPARTITION DES ÉLÈVES PAR GROUPES

Dans bien des communautés,il faut fixer l’heure et le lieu des cours selon les con-
venances individuelles,mais l’enseignement collectif présente de nombreux avan-
tages au stade préparatoire. Dans la situation sociale ainsi créée, les efforts per-
sonnels de chacun sont appréciés en fonction des besoins, des aspirations du groupe.
Ceux qui n’éprouventpas encore G un ardent désir d’apprendre à lire ) )se sentent
stimulés par l’enthousiasmedes autres.Les moins doués bénéficient de l’intelligence
et de la vivacité des meilleurs. L’enseignementcollectif est également plus écono-
mique, car les instructions et les explications essentielles sont données simulta-
nément à de nombreux élèves. Il vaut mieux que les classes ne comprennent pas
plus de vingt adultes; dès que ce nombre est dépassé, il faut répartir les élèves
en plusieurs groupes, suivant le degré d’aptitude,en se fondant sur les résultats
antérieurs.
Les salles de classe doivent être aussi attrayantes que possible. Il faut prévoir
des pupitres confortables,un bureau pour le maître, un tableau noir, un panneau
d’affichageet une table ou des étagères pour les livres.Aux murs on fixera des écri-
teaux d’usage courant, ainsi que des affiches ou des tableaux intéressants accom-
pagnés de courtes légendes. Avant la leçon, le maître écrira <(Bonjour» sur le
tableau noir et disposera sur la table des photographies, un journal,quelques livres
simples. Pendant que la classe se réunit, il s’entretiendra familièrement avec les
élèves,attirant leur attention sur ces objets et les incitant à découvrir ce que c veulent
dire D les mots écrits.

PREMIÈRE LEÇON: FAUT-IL ou NON EMPLOYER UN MANUEL ?


Les premières leçons de lecture déterminent dans une large mesure l’attitudeulté-
rieure de l’élève adulte, son application et ses progrès1.
Pour animer ces premières leçons, certains maîtres, dans presque toutes les
régions, diffèrent l’emploi des manuels et s’efforcent de rattacher directement leur
enseignement aux goûts et aux intérêts personnels des élèves. Ils espèrent ainsi
intéresser davantage les élèves et les inciter à plus d’efforts. Cette méthode offre
en outre l’avantage de mieux préparer les élèves à l’apprentissage de la culture.

Inscraptions, proverbes, chansons.

Certains maîtres utilisent des mots ou des phrases qui présentent déjà un sens impor-
tant pour les élèves sur le plan de la vie quotidienne. Dans bien des communautés,
certains panneaux ou affiches sont connus de tous. O n peut les présenter retranscrits
)sur des cartons ou au tableau jusqu’à ce qu’ils soient identifiés sans
en (< script )

1. Sarah, op. cit., p. 26-50.


GUDSCHINSKY,

187
L’enseigmment de la lecture et de l’écn’iure

hésitation. Dès qu’une inscription de deux mots ou plus est identifiée,chacun des
mots qui la compose est identifié et appris à son tour. Puis ces mots, ou certains
d’entre eux, sont décomposés en leurs éléments, et ces éléments sont utilisés pour
construire d’autres mots qui font déjà partie du vocabulaire parlé des élèves. En
mettant en évidence l’utilitéde chaque inscription,le maître peut faire comprendre
aux élèves les besoins et les usages de la communauté,et leur apprendre à cher-
cher le sens de chaque mot. Lorsque les élèves se mettent à vouloir déchiffrer
toutes les inscriptions qu’ils rencontrent, ils se constituent rapidement un petit
vocabulaire visuel. Mais il faut rapidement avoir recours à un matériel moins rudi-
mentaire.
Dans certaines régions de l’Amérique du Sud, de l’Afriqueet de l’Inde,où les
inscriptions imprimées sont rares, on utilise souvent pour les premiers exercices de
lecture des adagesou des proverbes.Ces textes sont d’abordapprisdans leur ensemble,
puis chaque mot est identifié et décomposé en ses éléments,qui sont ensuite utilisés
pour former d’autres mots et pour identifier les mots mal connus. L’expérience
montre qu’une telle méthode habitue l’élève à lire de façon réfléchie et lui fait
acquérir - à condition que les textes soient bien choisis -un vocabulaire visuel
extrêmement utile. Il existe toutefois un inconvénient : lorsque plusieurs mots nou-
veaux sont présentés simultanément dans une phrase, les élèves les distinguent
difficilement. C’est pourquoi il faut éviter de présenter plus d’un ou deux mots
nouveaux à la fois dans une phrase. Pour faciliter l’identification,les mots nouveaux
doivent être prononcés puis écrits chacun séparément,avant que soit présenté le
proverbe ou l’adage où ils figurent.
Les maîtres (surtout dans les missions) font souvent usage de chants populaires
où les répétitions sont fréquentes1.Le texte de la chanson est distribué aux élèves,
qui, tout en chantant, étudient les mots écrits jusqu’à ce qu’ils soient capables de
les identifier tous à première vue. Les mots les plus importants sont décomposés
ensuite en leurs éléments phonétiques, qui sont utilisés pour former d’autres mots
et pour identifier d’autres textes ou chansons.
O n utilise également des tableaux (Ziteracy charts) suggérant le mot par l’image.
Chaque mot est d’abord prononcé,puis décomposé en ses éléments,afin de familia-
riser les élèves avec le son des diverses lettres avant de leur mettre entre les mains
le manuel de lecture. La méthode des K mots clés »3 est également employée a u
mêmes fins. O n reproche à ces deux méthodes de donner trop d’importance aux
éléments phonétiques, en négligeant le sens du texte. O n peut remédier en grande
partie à cet inconvénient en présentant chaque mot dans un contexte (image ou
phrase) qui en fasse ressortir le sens et en faisant lire aux élèves de nombreuses
phrases où figurent les mots qu’ils savent reconnaître.

Films jîxes.
Depuis dix ans, l’usage s’en est rapidement répandu. Ils permettent de présenter
n’importe quel type de matériel. Pendant la seconde guerre mondiale, plusieurs
pays les ont largement utilisés pour apprendre aux recrues le vocabulaire parlé et

I. HOLDING, Mary, «Adult literacy experiment in Kenyan, Oversear education, XVI,octobre 1945,
p. 204-208.
2. LAUBACH, Frank C., The euh one teach one method: Ig50 sufifilementto teaching the wodd to rend, N e w
York, Committee on World Literacy and World Literature, 20 pages.
3. Conçue par Karl Vogel (Des Kindes entes Schulbuch, Leipzig, 1843), cette méthode, largement
utilisée en Amérique latine, a été introduite au Mexique au début de ce siècle par l’éducateur
suisse Heinrich Rebsamen, c o m m e le signale Alfred0 Basurto Garcia dans son étude, déjà citée,
La lectura, p. 93.

188
Enseignement de la lecture aux adultes

écrit indispensable au militaire. Le film fixe The story of private Petel présente les
substantifs les plus usités; Introduction to language présente les verbes et les préposi-
tions.
Chaque vue de ce film fixe est accompagné d’un sous-titre.L’objet ou l’activité
correspondant à chaque vue est discuté et, à l’occasion,présenté. Les hommes
l’associentaux mots du sous-titre.Ils acquièrent ainsi un vocabulaire visuel qui leur
permet d’aborder avec confiance et succès l’étude du manuel The army reader. Les
films fixes sont dorénavant appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans
les cours d’alphabétisation.

Les tableaux d’impressions vécues.

Dans la période préparatoire à l’étude des manuels, les tableaux d’impressions


vécues constituent sans doute le matériel dont l’emploiest le plus fréquent.O n trou-
ve au chapitre v (p.I 12et I 13) des exemples de tels textes, préparés par le maître
et les élèves dans le cadre d’un programme d’alphabétisationdes adultes à Porto
Ricoz,ainsi qu’unebrève description des méthodes de production et de démonstra-
tion de ce matériel.O n peut ainsi habituer les élèves à lire de façon réfléchie et leur
faire acquérir un vocabulaire visuel d’une cinquantaine de mots, avant de leur
mettre un manuel entre les mains. Certains des mots ainsi enseignés sont décomposés
en leurs éléments phonétiques, qui sont ensuite regroupés pour former des mots
nouveaux.
Le contenu des tableaux d’impressions vécues varie considérablement. Dans le
cas d’expériences d’éducation de base, ils portent souvent sur quelque problème
capital ou urgent de la communauté: par exemple, l’approvisionnement en eau
potable. Supposons qu’un membre de la communauté soit tombé malade pour
avoir bu de l’eau polluée. Le maître écrira au tableau noir les phrases suivantes:
M.Dupont est malade;
Il a bu de l’eau de notre puits;
Cette eau n’est pas bonne à boire;
Nous avons besoin d’eau potable.
A mesure que ces phrases sontinscrites au tableau et lues,les différentsmots suscitent
des associations frappantes et sont ainsi rapidement appris. D e tels exercices pré-
parent également les adultes à lire, dans un délai raisonnable, des textes simples
relatifs au problème évoqué. Cette méthode est préconisée par un grand nombre
de spécialistes de l’éducation de base. Il convient toutefois de ne pas introduire
trop vite les mots nouveaux et de ne pas négliger ceux qu’ilest le plus utile de con-
naître pour les exercices de lecture en général.
Pour utiliser avec profit cette méthode, il faut savoir préparer un texte. Voici
comment on procède.
Au début du cours,le maître dirige l’attention des élèves sur une question,une
activité ou un événement d’un intérêt direct pour tous, par exemple sur le sujet
suivant: (< Que faisons-nous à l’école? >) Cette question est ensuite inscrite au
tableau noir.
Par des questions et des commentaires,il incite les éIèves à répondre.Les élèves
choisissent ensuite eux-mêmes,parmi les diverses réponses présentées, celles qui
1. Wrrry, Paul, op. cit., p. 132. Pour de plus amples renseignements concernant ce film fixe et les
méthodes de présentation utilisées, voir Zllustruted imtructors reference, à utiliser conjointement avec
FS 12-5, The st07y ofpriuute Pete, 15 juin 194.3,Washington, United States Government Printing
Office, 1943,58 pages.
2. PORTORICO.CONSEJO DE ENSE~ANZA,
SUPERIOR op. cit.
L‘enseignement de la lecture et de l’écriture

leur semblent les plus importantes. Celles-cisont alors transcrites sous une forme
très simple en dessous de la question:
Que faisons-nousà l‘école?
Nous lisons;
Nous écrivons;
Nous comptons;
Nous chantons.
Le maître lit la première ligne, que toute la classe répète et qui est ensuite lue
à tour de rôle par plusieurs élèves. O n procède de même pour les autres lignes.
Le maître demande aux élèves d’indiquer les différentes lignes, en leur posant
des questions telles que celle-ci:<< A quelle ligne est-il écrit: Nous lisons ? D
Quand les diverses lignes ont été identifiées, le maître demande successivement
aux élèves:<< Montrez-moile mot nom,le mot lisons, le mot chantons, le mot comptons,
le mot écrivons. B
Chaque mot reconnu est aussitôt inscrit au tableau noir oh tous se trouvent
bientôt rangés en colonne.Le maître demande alors aux élèves de reconnaître ceux
qu’il désigne et de les découvrir dans les phrases inscrites au tableau.
Le lendemain,la leçon est rapidement revue. Il est utile à cet effet de préparer
des cartons,portant chacun un mot, écrit en caractères d’imprimerie ou << script »,
de dimensions suffisantes pour que toute la classe puisse facilement les voir. Le
maître montre ces cartons l’un après l’autre jusqu’à ce que les élèves les recon-
naissent à première vue.
Le maître prépare une nouvelle leçon,avec le vocabulaire de la première aug-
menté d’un mot nouveau, par exemple:
Mous savons lire;
Nous savons écrire;
Nous savons compter;
Nous savons chanter.
Les diverses phrases et les mots qui les composent sont reconnus par le m ê m e
procédé que le premier jour. Lorsque les élèves sont capables de reconnaître tous
les mots, le maître demande, par exemple: << Qu’apprenons-nous à l’école ? D Les
élèves répondent :
Nous apprenons à lire;
Nous apprenons à écrire;
Nous apprenons à compter, etc.
Ces réponses sont inscrites au tableau noir et étudiées par la même méthode.
Le maître inscrit au tableau une nouvelle phrase, par exemple: Nous pouvons
apprendre à lire.B Les élèves lisent la phrase,identifient les mots qui la composent
et les retrouvent dans les phrases précédentes.
Les élèves composent ensuite, à l’aide des mots qu’ils connaissent, d’autres
phrases, par exemple :
Nous pouvons apprendre à écrire;
Nous pouvons apprendre à compter;
Nous pouvons apprendre à chanter.
L’expression h l’école peut être ajoutée à toutes les phrases précédentes. Ainsi
le vocabulaire s’accroît progressivement. Il ne faut pas introduire plus de deux ou
trois mots nouveaux à la fois;les élèves peu doués ne peuvent en apprendre davan-
tage en une leçon, bien que les meilleurs puissent en apprendre cinq et plus. Le
Enseignement de la lecture aux adultes

maître doit toujours faire reconnaître chaque mot inscrit au tableau. Les élèves
apprennent ainsi à distinguer les mots et à les décomposer en leurs éléments.
Cette méthode permet aux maîtres de préparer un matériel répondant aux
intérêts immédiats de leurs élèves1. Le plus difficile est d’introduire les mots nou-
veaux suffisamment lentement et de présenter constamment les mêmes mots dans
des phrases différentes. C o m m e nous l’avons dit au chapitre VII, cette méthode
présente des inconvénients et des limitations. Mais tous les maîtres doivent savoir
préparer de tels textes, m ê m e s’ils ne les utilisent pas comme matériel de base pour
l’enseignementde la lecture aux adultes.O n peut toujours compléter utilement une
leçon en notant au tableau les impressions et les idées des élèves.

Méthodes et 0bject;fs.
Presque tous les programmes préparatoires actuellement appliqués font appel à la
méthode globale. Quels que soient les caractères utilisés, chaque mot et chaque
phrase sont présentés à l’élève dans un contexte familier et intéressant pour lui.
Ainsi, les attitudes et les mécanismes indispensables à la lecture réfléchie se déve-
loppent rapidement, et les détails des mots, tels que la forme et le son des lettres,
les signes d’accentuation ou de tonalité,sont appris dans un contexte fonctionnel.
Les élèves apprennent ainsi à appliquer intelligemment les connaissances acquises
à la lecture de textes nouveaux.
Les élèves qui ont acquis ces attitudes et ces mécanismes abordent l‘étude du
manuel dans un esprit bien différent de ceux qui n’ontpas reçu une telle prépara-
tion.Ils savent que les mots écrits et imprimés représentent des idées;ils reconnaissent
à première vue presque tous les mots employés dans les premières leçons; ayant
pris l’habitudede réJléhir à ce qu’ils lisent,ils se comportent dès le début en lecteurs
avertis. Ils accomplissent de la sorte des progrès beaucoup plus rapides que les
élèves qui ont eu d’embléeun manuel entre les mains.Mais,quelle que soit la méthode
utilisée, les objectifs de la deuxième étape demeurent sensiblement les mêmes.

L’USAGE DU MANUEL

Les manuels de lecture sont aujourd’hui beaucoup plus employés que n’importe
quel autre matériel pour l’enseignement de la lecture aux adultes. Les maîtres
improvisés ou insuffisamment formés sont incapables d’organiser une série efficace
de premiers exercices de lecture sans le secours d’unmanuel soigneusement préparé.
Nous attirons ci-aprèsl’attentionsur certains problèmes que soulève l’emploi des
manuels pour l’enseignement de la lecture aux adultes.

Composition des classes.


L’enseignementindividuel et l’enseignement collectifsont tous deux largement pra-
tiqués et leurs avantages respectifs ont été parfaitement analysés dans un rapport
inédit du DrK.Neijs2,conseiller en matière d‘éducation auprès de la Commission
du Pacifique-Sud.Cet auteur souligne les divers avantages psychosociologiques de
l‘enseignement collectif dans de nombreuses régions. En Mélanésie, par exemple,
où tous les prétextes sont bons aux adultes pour se réunir et se grouper, on ne
I. Pour tous renseignements complémentaires concernant la préparation de textes inspirés de Yex-
périence des élèves, voir les ouvrages cités au chapitre VII,p. 157-158.
2. NEIJS,K.,«The class method versus the ‘Each one teach one rnethod’», rapport inédit figurant
aux archives d u Centre d’information du Département de l’éducation de l’Unesco, à Paris.
L’enseignement de la lecture et de I’ém‘tun

conçoit pas l’instruction autrement qu’en groupe. L’enseignementcollectif est éco-


nomique,’encourage l’émulation et fournit l’occasion de constituer une culture
commune.
En revanche,il est souvent difficile de choisir un horaire et un local qui con-
viennent à tous. Les progrès sont très variables selon les individus; les élèves les
plus lents ne peuvent suivre; les plus rapides s’impatientent: comment adapter
l’enseignementaux besoins de tous ? Dans de nombreux pays, on groupe les élèves
en tenant compte des aptitudes et des besoins, on complète l’enseignementcollectif
par des leçons individuelles,on prévoit la possibilité de passer d’un groupe dans
un autre, etc.
L’enseignementindividuel présente l’avantage de s’adapter aisément à l’horaire
de travail. C’est pourquoi certains pays ont dû adopter cette formule -Israël par
exemple. Mais il ne comporte pas les éléments d’émulationet d’entraidede l’ensei-
gnement collectif;d’autre part, on trouve difficilement des instructeurs compétents
en nombre suffisant. Aussi, dans bien des régions fait-onappel à tous les adultes
instruits, en leur donnant, dans la mesure du possible, une formation préalable.
La méthode c A chacun son élève », qui est bien différente,a réussi dans certaines
communautés;mais elle a échoué dans d’autres.Bien des adultes admettent mal
d’avoir un maître qui ne soit guère plus instruit qu’eux;cette méthode,d’ailleurs,
ne vaut que pour les tout débutants.
L’enseignementcollectif et l’enseignement individuel présentent donc tous deux
des avantages et des inconvénients. Telle méthode qui réussit dans une commu-
nauté ne conviendra pas à une autre. Il faut avant tout considérer la situation,les
besoins et les ressources de chaque communauté. Quel que soit le programme
appliqué,il est indispensable de disposer de maîtres possédant une instructionfonc-
tionnelle et connaissant les problèmes que pose l’enseignement de la lecture aux
adultes ainsi que les méthodes les plus propres à assurer des progrès réels. Nous
étudierons au chapitre XII la question de la formation d’un corps enseignant
qualifié.

Le matériel d’enseignement.
Autrefois, les textes de lecture étaient presque exclusivement tirés des manuels; ils
ne suffisaient pas à assurer des progrès satisfaisants.Aujourd’hui,on utilise de plus
en plus d’autrestypes de matériel:
I. U n manuel (ou plutôt une collection de manuels ou de brochures d’une cin-
quantaine de pages chacun, soit environ 150pages au total), conçu en fonction
des objectifs de la deuxième étape et adapté aux activités,aux goûts et aux besoins
du groupe à instruire,incite les élèves à s’appliquerde tout cœur et permet des
progrès rapides. Il va sans dire que tous les manuels ne conviennent pas égale-
ment à tous les groupes. Les conséquences qui en découlent sont étudiées au
chapitre XII.
D e tels manuels, intéressants dès les premières leçons,contiennent de nom-
breuses illustrations destinées à faire comprendre les mots et les idées.Très vite,
cependant,on s’efforce d’amener les élèves à découvrir par eux-mêmes le sens
des mots. Les mots, dès que l’élève a appris à les identifier, sont utilisés dans
des phrases ayant un sens;ils sontensuite décomposés en leurs élémentssyllabiques
ou phonétiques, qui servent dans les leçons suivantes à identifier des mots nou-
veaux. Par des méthodes analogues, l’élève apprend à interpréter les signes
qui indiquent la valeur phonétique des lettres, l’accentuation ou la tonalité.
Le vocabulaire utilisé au cours de la deuxième étape est limité à quelque
250 mots, choisis parmi les plus courants ou les plus indispensables.Les leçons,
Enseignement de la lecture aux adultes

judicieusement graduées, ne comprennent en moyenne que deux mots nou-


veaux par page. Chaque mot nouveau est répété quinze fois au moins au début,
et une chquaniaine de fois au total. Le lecteur trouvera dans les ouvrages signa-
l& en note[ de pîus amples renseignements sur les qualités que doit posséder
le matériel de base. La question est traitée plus en détail au chapitre XII.
2. U n ou deux livres d’exercices de lecture complémentaires permettent de donner
un entraînement spécial en ce qui concerne l’aptitude à identifier les mots, à
distinguer les formes de mots, à décomposer les mots en leurs éléments,à donner
aux mots leur sens exact, à répondre à des questions, enfin à interpréter les
signes indiquant la valeur phonétique des lettres, l’accentuationou la tonalité.
Les exercices se rattachent étroitement aux leçons du manuel de lecture. La
figure 14, à la fin du présent chapitre, montre quelques exemples d’exercices
de ce genre.
3. Des étiquettes où sont inscrits des mots et des membres de phrase permettent
aux élèves d’assimilerrapidement les mots nouveaux et de contrôler leurs propres
progrès. Certains éditeurs fournissent des étiquettes imprimées avec les manuels
de lecture élémentaire,mais les maîtres préparent fréquemment eux-mêmes ce
matériel en inscrivant au jour le jour les mots nouveaux en écriture «script» sur
des étiquettes de carton; on encourage aussi les élèves à établir leurs étiquettes
personnelles dès qu’ils ont accompli des progrès suffisants.
4. O n utilise des jeux à base de mots2,tels que le ((loto-vocabulaire», consacré
par l’expérience.Les mots à apprendre sont inscrits dans un ordre variable sur
des cartons d’environ 15 c m x 2 0 cm, divisés en 25 cases. Le maître ( (tire» un
mot; les élèves s’efforcentde retrouver ce mot sur leur carton et le recouvrent
avec un morceau de papier. Le gagnant est le premier qui a recouvert une
ligne entière. Une telle méthode développe l’aptitude à identifier les mots et
favorise la mémorisation.
5. Des livres de lecture complémentaires3,d’un contenu intéressant,sont composés
exclusivement de mots figurant dans le manuel. (On trouvera au chapitre XII
de plus amples détails sur ces ouvrages.) Les élèves lisent ces textes tout seuls
et sont interrogés en classe sur le contenu. Ces ouvrages, dont l’emploi est de
plus en plus répandu au cours de la deuxième étape, donnent aux élèves une
plus grande maîtrise du vocabulaire et les habituent à lire couramment avec
intelligence.
Parmi les nombreux autres types de matériel en usage4 figurent les suivants:images,
affiches, caricatures, cartes, diagrammes, objets réels, tableaux pour aider à recon-
naître les éléments des mots, films fixes présentant des mots et des membres de
phrases,filmssur le thème de la leçon. Dans Handbook of literacy, Sarah Gudschinsky
écrit divers exercices qui lui ont paru utiles en Amérique latine. Il est rare qu’on
puisse disposer,pour un cours d’alphabétisation,de tous les types de matériel décrits
plus haut. Nous espérons toutefois que cette liste aidera les diverses communautés
à choisir et à préparer un matériel répondant à leurs besoins particuliers.

I. GUDSCHINSKY,
Sarah, op. Lit.
GRIFFIN,
Ella, « L a graduation des manuels de lecture à l’usage des adultes)), Education de base et
éducation des adultes, vol. VI, no 3, juillet 1954,p. 102-109.Paris, Unesco.
RODRICUEZ BOU,Ismael, Suggestions pour la préparation d’un programme de lecture, Paris, Unesco, 1949.
(Documents spéciaux d’éducation, no 1.)
2. TOWNSEND, Elaine Mielke, ((Composition et utilisation des livres de lecture aymara», Education
de base et éducation des adultes, vol. IV, no 4, octobre 1952,p. 26. Paris, Unesco.
3. Teacher’s guide, op. cit., p. I.
4. WITTY Paul A.,et GOLDBERC, Samuel, «The use ofvisual aids in specialtraining units in the Army»,
Journal of educational psychologv, X X X V , février 1944,p. 82-90.

793
L’enseimementde la lecture et de l‘kcriture

Méthodes d’enseignement.
A supposer que l’on dispose d’un bon matériel de lecture, quelles méthodes d’en-
seignement doit-on adopter ? Les maîtres expérimentés divisent chaque leçon en
trois parties, les trois parties pouvant être groupées en une seule séance,ou réparties
sur deux ou trois.Les suggestionsqui suiventsont valables,que les élèves aient abordé
d’emblée l’étude du manuel ou qu’ils aient suivi un stage de préparation.
Préparation. Avant de faire lire la leçon, le maître s’efforced’y intéresser les élèves,
de rattacher ce qu’ils vont apprendre à ce qu’ils connaissent déjà, de leur pré-
senter les mots nouveaux dans un contexte familier. A mesure que ces mots se pré-
sentent au cours de la discussion,le maître les inscrit au tableau pour que les élèves
en apprennent en m ê m e temps la forme et le sens. Il peut également inscrire au
tableau des mots connus,faire reconnaître les éléments syllabiques ou phonétiques
familiers qu’ilscontiennent et se servir de ces éléments pour identifier les mots nou-
veaux. Divers moyens sont employés pour éveiller l’intérêt: discussion sur le titre
de la leçon,analyse des images,examen des questions que la lecture doit permettre
de résoudre, etc.
Lecture de la leçon. Dès que les élèves manifestent le désir de lire et sont prêts à com-
prendre la leçon,on les fait lire,en les aidant à bien saisir le sens du texte. Par des
questions,le maître les amène à lire intelligemment, phrase par phrase. Pour ré-
pondre à chaque question, les élèves doivent lire silencieusement une portion du
texte et en trouver le sens en se servant des mots et des éléments de mots déjà appris,
ainsi que des mots nouveaux inscrits au tableau.
Après cette lecture silencieuse, le maître demande à un élève d’expliquer le
sens du passage et à un autre de le lire à haute voix. La leçon, après avoir été lue
ainsi phrase par phrase,peut être relue en une fois,silencieusement,en vue de répondre
à d’autres questions,posées par les élèves ou par le maître. A u début,les questions
appellent une réponse composée des mots et des phrases mêmes de la leçon. Plus
tard, on pourra amener l’élève à choisir ses propres expressions. Avant la fin de
la classe,la leçon peut être relue encore une fois à haute voix, entièrement ou en
partie. Le maître doit toujours noter soigneusement toutes les erreurs et tous les
points sur lesquels il pourra avoir à revenir.
Exercices complémentaires. Il faut enfin aider l’élève à résoudre les difficultés particu-
lières qu’ila rencontrées au cours de la leçon.Ces difficultés peuvent être communes
à toute la classe; par exemple, les élèves ont pu confondre deux mots à la lecture.
Dans ce cas, le maître inscrira ces mots au tableau et demandera aux élèves d’en
analyser les différences, en les décomposant en éléments connus. Les difficultés
peuvent aussi varier suivant les élèves; dans ce cas, le maître fera relire la leçon
par tous et passera dans les rangs en interrogeant chacun sur ses problèmes parti-
culiers.
Les exercices complémentaires servent aussi à faire acquérir à l’élève les con-
naissances et les mécanismes qui lui permettront de lire de mieux en mieux. Les
techniques à utiliser à cet effet sont étudiées plus loin. Le maître contrôle tous ces
exercices,interrogeles élèves sur leurs lectures complémentaireset mesure les progrès
accomplis.

Comment développer l’aptitude à identijer les mots nouveaux?


Ce problème mérite d’être considéré à part. D e nombreux manuels contiennent des
exercices qui visent à familiariser l’élève avec les éléments des mots et à l’habituer

‘94
Enseifnement de la lecture aux adultes

à se servir de ces éléments pour identifier les mots nouveaux. Cette méthode est
illustréepar la figure 15,qui reproduit troispages d’unmanuel de lecture d’espagnoll.
La phrase de la page 2 constitue l’exercice de lecture du jour. La page 3 montre
que le mot arado comprend la voyelle a et les deux syllabes ru et do. La page 4 pré-
sente six mots composés à l’aide de ces éléments. Si les manuels utilisés ne com-
prennent pas de tels exercices, les maîtres doivent en composer eux-mêmes.
Il est facile d’identifierles mots dans les langues phonétiques à orthographerégu-
lière. Dans le cas d’autres langues, le maître attirera dès le début l’attention sur
les ressemblances et les différences de forme et de son ainsi que sur les caractères qui
distinguent les mots. Dès que ses élèves ont découvert,par exemple,que le mot seau
commence par le son s, il leur demande de citer d’autres mots commençant par le
même son. D e cette manière, ils apprennent la forme et le son des diverses lettres.
Les élèves utilisent les consonnes apprises pour identifier des mots nouveaux qui,
à une consonne près, ressemblent à des mots qu’ils connaissent. Si, pFr exemple,
le nouveau mot à déchiffrer est peau, les élèves s’aperçoiventtrès vite qu’ilressemble,
à une lettre près, au mot seau qu’ils connaissent.S’ilsont appris le son p, ils le substi-
tuent au son s dans le mot seau et obtiennent ainsi le mot peau. A la fin de la deuxième
étape, les élèves connaîtront les sons de la plupart des lettres et seront capables de
s’en servir, avec l’aide du contexte, pour déchiffrer de nouveaux mots. Ils seront
également beaucoup plus aptes à reconnaître les éléments structurels des mots,
comme les désinences (ent, ou,etc.), les préfixes et les suffixes,et à s’enservir pour
découvrir, par rapprochement, la prononciation des mots nouveaux.
Par un entraînement méthodique,les élèves apprennent rapidement à reconnaître
les mots à la fois d’après le contexte,d’après la forme et d’après la structure mor-
phologique et phonétique2.
O n procède de même pour apprendre à reconnaîtred’autres caractéristiques des
mots imprimés. Dans certaines langues -en arabe par exemple -les voyelles ne
sont pas représentées par des lettres, mais indiquées par un signe ou par une modi-
fication de la forme des consonnes.Dans d’autreslangues,on emploie divers signes
pour indiquer l’accentuationou la tonalité. Toutes ces particularités de la langue
écrite doivent être présentées et identifiées d’aborddans un texte,pour servir ensuite
à reconnaître et à lire d’autresmots et d’autresphrases. Une méthode d’enseigne-
ment doit,pour être valable,ne négliger aucun élément de la langue et reposer sur
des principes psychologiques sains.
Les mêmes méthodes à peine modifiées permettent d’habituer l’élève à recon-
naître seul les idéogrammes et les caractères syllabiques.En chinois ou en japonais,
dès que l’élève dispose d’un petit vocabulaire visuel, certains mots connus sont
transcrits en symboles phonétiques. Ces symboles sont ensuite appris et utilisés pour
déchiffrer d’autresmots écrits de la m ê m e façon,comme s’il s’agissait d’une langue
phonétique. Ensuite,les mots écrits en écriture phonétique sont associés aux mêmes
mots écrits en caractères chinois ou japonais.
Chaque langue pose des problèmes particuliers.Il ne saurait être question d’étu-
dier ici la forme,la structure,le vocabulaire et les autres caractéristiques des diverses
langues.Les auteurs de manuels, les maîtres et les autres spécialistes pourront con-
sulter à ce propos les ouvrages généraux cités en note3 ci-dessous,ainsi qu’au cha-
pitre III. Ils devront également se documenter sur les caractéristiques de leurs
angues respectives.
I. Mi tierra. Silabario para adultos, Santiago de Chile, Ministerio de Educacion, 1949,p. 2-4.
2. GRAY, William S., On their own in reading, Chicago, Scott Foresman and Company, 1948.
3. PIKE,Kenneth L.,Phonernics, a techniquefor reducing languages to writing, A n n Arbor (Michigan),
University of Michigan Press, 1947.
NIDA, Eugene, Morphology. The descr$tiue anabsis of wordr, 20 éd., A n n Arbor (Michigan), Uni-
versity of Michigan Press, 1949.
L‘enseignement de la lecture et de l’écriture

Comment développer les autres qualités du bon lecteur?

Parmi les autres qualités qu’ily a lieu de développer au cours de la deuxième étape,
signalonsl’aptitudeà lire à une vitesse raisonnable.Pour cela,il faut savoir identifier
les mots, souvent par groupes de deux et plus, avec exactitude et rapidité. Divers
exercices sont à conseiller à cet effet: on montre rapidement aux élèves les fiches
sur lesquelles est inscrit un mot ou un membre de phrase; on inscrit au tableau des
phrases ne contenant que des mots connus et on les efface rapidement;on fait lire
rapidement aux élèves une page, pour trouver la réponse à une question. D e tels
exercices aident les adultes à identifier rapidement des groupes de mots de plus en
plus nombreux.
O n utilise beaucoup aujourd’hui les livres de lectures complémentaires ne con-
tenant que des mots qui figurent déjà dans le manuel. Ces livres sont indispensables
parce que les manuels eux-mêmesne contiennent pas assez d’exercices pour donner
aux élèves l’habitude de lire couramment; ils donnent aux élèves la possibilité de
lire beaucoup, en recherchant le sens du texte. Le maître indique aux élèves, après
chaque classe, un ou plusieurs passages à lire chez eux.
D’autre part, de nombreux élèves ne dépassent pas la deuxième étape; il est
donc indispensable de susciter chez eux le désir de lire et de leur donner l’habitude
de lire régulièrement, pour se distraire et pour s’instruire.Les livres de lectures
complémentaires décrits plus haut sont aussi très utiles à cet égard. En outre, les
maîtres devront placer sur la table de lecture tous les textes simples et intéressants
qu’ils pourront se procurer, attirer l’attention des élèves pendant la classe sur
l’intérêt que présentent ces textes pour tous ou pour certains, en lire des passages
à l’occasion.Ils devront encourager les élèves qui font des lectures personnelles à
en rendre compte en classe;ils devront les inciter à discuter les nouvelles et à lire les
bulletins d’information et les journaux. Bref, ils ne devront négliger aucun effort
pour développer chez tous le goût de la lecture personnelle.

Évaluation des progrès et aide individuelle.

Les maîtres expérimentés notent chaque jour les difficultés de chaque élève et
l’aidenten conséquence. D e temps à autre, ils vérifient objectivement les progrès
et les déficiences au moyen de tests1.Voici quelques exemples de tests simples :
I . Les élèves savent-ilsreconnaître à première vue les mots appris dans le manuel ?
O n choisit trente mots que l’ondispose par groupes de trois sur dix lignes.O n dit
aux élèves: ( (Soulignez le mot .. . à la première ligne, le mot . . . à la deu-
xième ligne,etc.B O n compte le nombre de mots correctement soulignés pour
mesurer les connaissances des élèves en matière de vocabulaire.
2. Les élèves comprennent-ilsle sens de ce qu’ilslisent ? O n prépare un court pas-
sage, composé exclusivement de mots connus, et se terminant par deux ques-
tions, ou davantage,formulées elles aussi en termes connus. Pour chaque ques-
tion, les élèves ont à choisir entre trois réponses, dont une seule est correcte.
Aucun délai ne doit être imposé. Le nombre des réponses exactes permet de
mesurer le degré de compréhension du texte.
3. Les élèves sont-ils capables d’identifier des mots nouveaux,formés d’éléments
connus ? O n choisit une série de mots nouveaux, qu’on inscrit successivement
au tableau.Après un certain délai, on demande aux élèves qui connaissent le
I. C o m m e le montre la liste figurant à l’annexe, il n’existe que très peu de tests de lecture pour
élèves semi-alphabétisés;les maîtres spécialisés ont recours A des tests destinés aux jeunes enfants
ou en préparent eux-mêmes. L’absence de tests de lecture pour adultes dans les diverses langues
se fait vivement sentir.
Enreignement de la lecture aux adultes

nouveau mot de lever la main. En notant ceux qui lèvent la main et en vérifiant
leurs réponses, on peut mesurer les progrès de chacun.
4. Quelle est la vitesse de lecture des élèves ? O n choisit ou on prépare un texte
composé de mots connus. O n le donne à lire aux élèves, en leur posant une
question à laquelle ils ne peuvent répondre qu’après avoir lu tout le texte. Ils
doivent lever la main dès qu’ils peuvent répondre.En notant l’ordredans lequel
les élèves lèvent la main, on peut comparer les vitesses de lecture.
Ces tests, d’abord très simples, peuvent devenir plus compliqués à mesure que
les élèves font des progrès. O n peut aussi mesurer d’autresfacteurs.En fonction des
résultats,le maître apportera à chaque élève l’aidedont il a besoin.Parfois,la majo-
rité des élèves présentent les mêmes déficiences, et on peut alors s’occuper d’eux
pendant les heures normales de cours.Dans d’autrescas,il faudra répartir les élèves
par petits groupes,pour fournir à chaque groupe l’aideparticulière dont il a besoin.

Evaluation des résultats de la deuxième étape.

L’observation et les tests permettent de déterminer avec assez de précision à quel


moment les élèves ont atteint les objectifs fixés pour la deuxième étape (voir p. 186).
Dès qu’un nombre suffisant d’élèvesaura atteint ces objectifs, on leur délivrera des
certificats attestant les progrès réalisés dans la voie de l’instructionfonctionnelle;il
faudra en même temps les encourager à s’inscrire au cours complémentaire. Les
autres élèves devront poursuivre leur instruction jusqu’à ce qu’ils aient atteint le
niveau requis.

Troisième étape: Progrès rapides en lecture

Les attitudes et mécanismes de base étant acquis,la troisième étape a pour objet de
préparer les adultes à lire couramment et intelligemment tous les textes comportant
un vocabulaire d’usage quotidien.

OBJECTIFS PARTICULIERSET DURÉE DE LA TROISIÈMEÉTAPE

Ces objectifs sont les suivants :


I. Accentuer le désir d’apprendre à bien lire.
2. Accroître le vocabulaire visuel de façon qu’il comprenne la plupart des mots
utilisés dans les textes simples : correspondance personnelle, nouvelles, avis,
bulletins d’information, livres à l’usage du grand public. Selon les langues,
ce vocabulaire comprend de I .500 à 2.500 mots. L’objectifest que la proportion
des mots inconnus, dans les textes de ce genre,ne dépasse pas normalement un
sur dix.
3. Apprendre à identifier n’importequel mot faisant partie du vocabulaire parlé.
4. Favoriser une compréhension plus étendue et plus approfondie des textes : dis-
tinction du sens littéral et des sens connexes ou implicites, appréciation de la
valeur et de 1’impor.tancedes idées, applicationréfléchie de ces idées à la solution
de problèmes personnels ou collectifs.
5. Développer l’aptitude à lire différents types de textes, à différentes fins.
6. Apprendre à lire silencieusement beaucoup plus vite qu’à haute voix.
7. Entraîner à lire à haute voix ceux qui savent s’exprimer sans difficulté.
8. Développer le goût des lectures personnelles.
Les délais dans lesquels ces objectifs peuvent être atteints varient selon l’importance

‘97
L’enseignementde la lecture et de l’écriture

du vocabulaire visuel à acquérir,la structure de la langue, le nombre et la qualité


des textes disponibles, la compétence du maître, le zèle des élèves, etc. Les spécia-
listes estiment qu’ilfaut de 72 à 150heures de leçons proprement dites,non compris
les exercices individuels.

ÉVALUATIONDES PROGRÈS ET DES BESOINS DES ÉLÈVES

Pour la troisième étape, à ceux qui viennent de terminer avec succès la deuxième,
viennent s’ajouterceux qui ont fréquenté l’écoledans leur enfance ou qui ont suivi
autrefois un cours d’alphabétisationet désirent se perfectionner. L’enseignement,
qu’il soit individuel ou collectif, doit tenir compte du niveau atteint par chaque
élève. La classe devra comprendre au maximum vingt élèves, ayant des aptitudes
et des besoins à peu près identiques. D’ordinaire, l’enseignement collectif devra
être largement complété par une aide individuelle répondant aux besoins de chacun.
Les tests sont très utiles pour évaluer les aptitudes et les besoins des élèves. Les
auteurs de la Home andfamib lafe seriesl ont composé un test quadruple (voir fig. 16).
Mais il n’est pas toujours possible d’appliquer de tels tests. C’est pourquoi nous
exposons brièvement quelques tests moins scientifiquesque l’on peut appliquer avec
avantage dès la première leçon. A cet effet, les élèves sont répartis en groupes de
vingt,à peu près, sous la direction d’un maître et d’un assistant.

Test d’identijicationdes mots. O n distribue un texte comprenant quinze lignes,de trois


mots chacune. Les mots de la première ligne sont tirés des toutes premières leçons
du manuel utilisé pour la deuxième étape; ceux des onze lignes suivantes sont tirés
d’autrestextes étudiés pendant la m ê m e période; ceux des trois dernières lignes ne
seront appris qu’au début de la troisième étape. Le maître prononce un mot de
la première ligne et invite les élèves à le souligner sur leur texte. L’assistants’assure
que tous les élèves ont bien compris ce qu’ils doivent faire.Le maître prononce suc-
cessivement un mot de chaque ligne,que les élèves doivent souligner. Chaque mot
correctement souligné compte pour un point. L’examen des mots non identifiés
est d’ordinaire très instructif.

Vitesse de compréhension. O n distribue à chaque élève un texte, récit ou description,


composé de 100,150ou zoo mots appris au cours de la deuxième étape.O n distribue
ensuite une feuille contenant cinq questions suivies chacune de trois réponses dont
une seule est correcte. Les instructions suivantes sont données aux élèves : ( (Vous
lirez silencieusement le texte qui vous sera distribué;vous commencerez la lecture
à mon signal;dès que vous aurez terminé,vous lèverez la main;vous recevrez alors
une feuille contenant des questions à propos de ce texte. Chaque question est suivie
de trois réponses; vous soulignerez celle qui vous paraît correcte. Rappelez-vous
bien tout ce que vous avez lu, pour pouvoir répondre aux questions.» A u préa-
lable, on pourra faire au tableau un exercice analogue, pour bien montrer aux
élèves comment il faut procéder.
Dès que les instructions ont été comprises,on procède comme il a été annoncé.
Le maître inscrit l’ordre dans lequel les élèves terminent l’épreuve de lecture, en
notant les temps, en secondes,du plus rapide et du plus lent. O n compte un point
par réponse correcte,pour mesurer le degré de compréhension.Il vaut mieux ramas-

1. «Reading placement)),Home andfamib l$e series. Project for Literacy Education under the sponsor-
ship of the Federal Security Agency, Office of Education, Washington, Washington Educators
Dispatch.

198
Enseignement de la lecture aux adultes

ser le texte au moment où on distribue les questions,afin d’empêcher l’élèvede s’y


reporter pour découvrir les réponses.

Épreuve de la lecture à haute voix. O n choisit deux ou trois récits, du niveau des textes
qui seront utilisés au début de la troisième étape. Après en avoir expliqué le titre,
on en fait lire quelques lignes à chaque élève à tour de rôle, de préférence deux
fois, en notant le nombre et la nature des erreurs commises. O n fait recommencer
l’épreuve,avec des passages différents, aux élèves les moins doués,pour mieux déter-
miner leurs déficiences et leurs besoins.
Dès la deuxième leçon, les élèves peuvent être répartis en groupes, d’après les
résultats de ces épreuves. Le maître leur expliquera que les épreuves ont révélé
de grandes différences entre eux en matière d’aptitudes, et que chacun recevra,
dans le groupe où il a été placé, l’aide précise dont il a besoin. Pendant toute la
durée de l’instruction,le maître étudie soigneusement les progrès de chaque élève,
pour voir s’il n’y aurait pas lieu de le transférer dans un autre groupe. Le transfert
ne doit jamais être imposé;il faut faire comprendre à l’élève qu’il se met en retard,
et qu’un changement de groupe lui serait profitable.

DÉVELOPPEMENT DES ATTITUDESET DES MÉCANISMESDE LA LECTURE

Les exercices de la troisième étape visent essentiellement à développer les attitudes


et les mécanismes qui permettent des progrès rapides. Il est indispensable de dis-
poser d’un minimum de 250 pages d’exercices soigneusement gradués, contenant
au total 700 mots nouveaux très fréquemmentemployés dans les textes pour adultes.
Ces mots doivent être choisis de façon à représenter toutes ou presque toutes les
difficultés à surmonter au cours de la troisième étape; chaque mot doit être répété
au moins vingt fois et, si possible, cinquante fois. Les textes doivent avoir trait à
des objets, des événements ou des activités présentant pour les adultes un réel
intérêt.Chaque leçon doit comprendre six pages environ. Chaque manuel doit être
accompagné d’un livre d’exercicesportant sur l’identificationdes mots et la com-
préhension des textes.
O n peut continuer à diviser chaque leçon en trois parties (voir p. I 94).A u cours
de l’exposé d’introduction à la leçon, les mots nouveaux difficiles sont inscrits au
tableau, à mesure qu’ils se présentent. Ils sont récapitulés avant la lecture de la
leçon. Lorsque les élèves connaissent tous les éléments d’un mot, ils sont invités à
les identifier et à s’en servir pour déchiffrer ce mot. O n peut aussi comparer les
mots nouveaux à des mots déjà connus,en signalant les analogies et les différences.
L’exercice de lecture doit surtout viser à faire comprendre le sens du texte.
Par des questions, le maître facilitera la lecture silencieuse de paragraphes ou de
passages entiers. Une discussion aura lieu ensuite pour récapituler les événements
ou les faits mentionnés dans chaque passage. Les élèves seront encouragés à évo-
quer des faits connus qui contribuent à éclairer le texte. Puis, la leçon sera relue,
en vue de répondre à des questions plus compliquées,portant par exemple sur le
sens implicite du récit, les conclusions à en tirer, l’application de ces conclusions
à la solution de problèmes personnels ou collectifs. Elle sera relue encore une fois,
ou plusieurs fois,en fonction de préoccupations et de problèmes différents.A chaque
fois,les élèves font des progrès en ce qui concerne les mécanismes fondamentaux de
la lecture. Pendant toute la leçon, le maître s’efforcera d’identifier les difficultés
que rencontrent les élèves, en vue de fournir à chacun une aide appropriée.
L’objet essentiel des exercices complémentaires est d’aider les élèves à sur-
monter certaines difficultés précises. Pour cela, on pourra reprendre certains pas-
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

sages, en les éclairant au moyen d’explications et d’exemples,ou faire des exercices


au tableau. U n deuxième objectif est de développer, au jour le jour, les attitudes
et les mécanismes indispensables.Les difficultés varient évidemmentselon les langues;
elles ont trait soit à l‘identificationdes mots, soit à la compréhension du texte,soit
à différentes caractéristiques de la langue écrite. Les exercices pourront être faits
à la maison, à condition d’être corrigés au cours de la leçon suivante.

LECTURES COMPLÉMENTAIRES

D e nombreuses lectures complémentaires sont indispensables au cours de la troi-


sième étape,pour développer chez les élèves le goût de la lecture et leur apprendre
à lire couramment et intelligemment. Les meilleurs textes de lecture sont ceux
qui sont spécialement adaptés aux manuels. Ils devront traiter de sujets présentant
un intérêt pour tous les adultes de la région. Les élèves apprendront ainsi de 500 à
1.000mots nouveaux, qu’ils pourront déchiffrer seuls grâce à la pratique acquise
en classe. Les mots nouveaux seront présentés à raison de quatre au maximum par
page. A défaut de textes adaptés aux manuels,il faudra choisir ceux se rapprochant
le plus de ces conditions.
A la fin de chaque leçon, le maître indiquera la lecture à faire avant la pro-
chaine classe,Il inscrira au tableau les mots nouveaux difficiles et aidera s’il le faut
les élèves à les déchiffrer. Il leur recommandera de lire le texte silencieusement
trois ou quatre fois de suite,jusqu’à ce qu’ils soient capables de le déchiffrer sans
aucune hésitation,puis de le lire à haute voix à leurs amis ou à leur famille,et d’en
discuter le contenu.D e cette façon,les lectures complémentairesfont faire de rapides
progrès à l’élève.En outre, s’il y a des illettrés dans son entourage,ils se rendent
compte des avantages de l’instruction et éprouvent le désir d’apprendre à lire.
En lisant, les élèves prennent note des difficultés qu’ils ne peuvent résoudre
seuls. A u cours de la leçon suivante, le maître les interroge à ce sujet et fournit
à chacun l’aide dont il a besoin. Il est utile de temps en temps de faire lire à haute
voix le texte choisi, pour évaluer les progrès des élèves.

ÉTUDE DE PROBLÈMES PARTICULIERS

Dans certaines régions,les élèves peuvent s’intéresser à des questions que le manuel
et le livre de lectures complémentaires passent sous silence. Le maître s’efforcera
alors de se procurer des textes relativement faciles traitant de ces questions, et il
aidera ses élèves à les déchiffrer et à les interpréter.
La nécessité de textes de ce genre est à peu près universellement reconnue.A u
cours des dernières années,des brochures et des imprimés très utiles à cet égard ont
été préparés par différents offices de publications1 (en Afrique), par l’Union pan-
américaine (en langue espagnole), par diverses organisations agncoles, confession-
nelles et éducatives,et par certaines maisons d’édition.S’iln’existe pas de publica-
tions utilisables de ce genre, il faudra s’efforcer d’en composer sur place. Dans
plusieurs pays -notamment en Inde et aux États-Unisd’Amérique-on apprend
maintenant aux maîtres à produire du matériel de lecture simple,traitant des pro-
blèmes immédiats d’intérêt local.
Il convient de réserver un certain temps à l’étudedes problèmes individuels et

1. Voir: UNESCO, Revue anabtique de l’éducation, vol. VI, no 2: ((Offices de publications et centres de
production)), Paris, 1954.

200
Enseignement de la lecture aux adultes

collectifs urgents. Le problème à résoudre et les textes pertinents devront être dis-
cutés en classe. D’ordinaire,une aide spéciale sera nécessaire pour déchiffrer les
termes techniques.Mais il importe surtout d’aider les élèves à bien comprendre les
idées et à en apprécier l‘importanceet la valeur du point de vue des problèmes en
cause. Les nouveaux concepts devront souvent être expliqués et précisés. Chaque
passage sera discuté à fond. Le maître s’efforceraprincipalement d’aider les élèves
à clarifier leurs idées et à aboutir à des conclusions judicieuses.

LECTURES PERSONNELLES

Les lectures personnelles jouent un rôle essentiel au cours de la troisième étape.


Il faudra tout d’abord amener les élèves à s’intéresserà l’actualitéet à lire régulière-
ment le journal. D e nombreux maîtres distribuent aux élèves des journaux et les
aident à lire différents articles.O n encourage aussi les élèves à rendre compte en
classe des nouvelles qu’ils ont lues par eux-mêmes.
Il importe aussi d’amener les élèves à lire des livres pour se distraire et pour
s’instruire.Les maîtres devront s’efforcerde trouver des ouvrages intéressants,à la
portée de leurs élèves. Ils disposeront ces ouvrages sur une table, en exposeront
brièvement le contenu, en liront à haute voix les principaux passages. Ils deman-
deront également aux élèves de rendre compte brièvement de leurs lectures per-
sonnelles, en précisant pourquoi tel livre est intéressant d’un point de vue général.
Les réunions publiques où les élèves lisent ou interprètent des passages choisis
d‘ouvrages intéressants sont particulièrement utiles : elles appellent de la part des
élèves un effort particulier et font comprendre à l’ensemblede la communauté que
la lecture peut être à la fois une distraction, un réconfort et un exercice présentant
une utilité pratique.

DIAGNOSTIC

Au cours de la troisième étape, le maître s’efforcera de déterminer les difficultés


auxquelles se heurte chaque élève. Pour cela, il observera les erreurs commises en
classe,et il appliquera des tests tels que ceux qui sont décrits plus haut. Il se rendra
compte des progrès et des déficiences de chacun. Tout élève dont les progrès sont
insuffisants fera l’objet d’une fiche spéciale, indiquant ses déficiences et ses pro-
bl‘emes.
En possession de ces renseignements,le maître s’efforcera de déterminerla raison
pour laquelle l’élèvene parvient pas à identifier les mots, à comprendrele sens du
texte, etc. Cette raison pourra être l’indifférence,la négligence dans la préparation
des exercices à faire à la maison, un défaut de la vision ou de l’audition,une mau-
vaise santé, la timidité,des troubles affectifs, une insuffisance du vocabulaire, un
manque d’expérience,etc. Toutes ces causes d’échecs sont étudiées en détail dans
plusieurs rapports récentsl.
Dès que les problèmes propres à chaque élève ont été reconnus,il faut y remé-

I. BURT,Sir C., et LEWIS, R.B.,((Teaching backward readers)), Britishjournal of educationalpsychology,


XVI, novembre 1946, p. 116132.
DUNCAN, John, Beckwardness in reading, Londres, George G.Harrap and Co., 1952, p. 96.
SCHONELL,Fred J., ({Causesand symptoms of disability in reading)), Backwardness in the basic subjects,
Londres, Oliver and Boyd, 1948, chap. IX.
W A L L , W.D., «Reading backwardness among men in the armyv British journal of educational
psychology, XVI, novembre 1946, p. 133-148.

201
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

dier. Tel élève devra être transféré dans un autre groupe; tel autre devra consulter
l’oculiste,tel autre encore devra être aidé spécialement -
soit pendant les heures
de cours,soit en dehors de la classe. O n pourra grouper pour les leçons supplémen-
taires les élèves qui en ont besoin et employer alors les mêmes méthodes qu’en
classe, mais en les adaptant aux besoins particuliers de chaque élève.

Quatrième étape : Acquisition des techniques du lecteur exphimenté

A la fin de la troisième étape, les adultes doivent savoir lire n’importe quel texte
composé exclusivement de mots courants. Si leurs lectures ne doivent pas dépasser
ce niveau, on peut considérer qu’ils sont suffisamment instruits. Cependant, dans
la plupart des régions, il y a lieu de compléter cette formation pour permettre à
tous d’avoir une instruction fonctionnelle et à quelques-unsd’accéder à la direc-
tion effective de leur communauté.

OBJECTIFS DE LA QUATRIÈME ÉTAPE

Ces objectifs sont les suivants:


I. Habituer les élèves à déchiffrer seuls et correctement les mots nouveaux ou peu
connus qu’ils peuvent rencontrer dans leurs lectures,en se servant d’un diction-
naire ou de tout autre ouvrage de référence.
2. Développer l’aptitude à comprendre les textes ayant trait à des faits ou à des
idées se situant en dehors de l’expériencequotidienne;descriptions de méthodes,
d’activités,d‘usages,de techniques,de normes,de conceptions et d’idéaux,etc.,
nouveaux ou étrangers.
3. Habituer les élèves à lire de façon réfléchie, à comprendre l’importance et les
insuffisances de ce qu’ilslisent,à utiliser les idées acquises pour résoudre des pro-
blèmes personnels ou collectifs,ou pour modifier,s’il y a lieu,leurs conceptions
et leur comportement.
4. Familiariser les élèves avec les différents types de textes :documents d’actualité,
bulletins d’instructions pratiques, articles de revues, ouvrages de tous genres,
folklore et histoire nationale,récits du passé, descriptions de pays et de peuples
étrangers, ouvrages récréatifs, romans d’aventure,poésie, littérature sacrée.
5. Cultiver chez les élèves la curiosité et le désir d’apprendre;les habituer à lire
régulièrement pour se distraire et pour s’instruire.
La durée de la quatrième étape varie considérablement selon les communautés et
les individus.Il faut prévoir au minimum 24 leçons pour que la majorité des élèves
sache effectivement lire tout ce que doivent normalement lire les adultes de la com-
munauté. Une minorité n’aura pas encore acquis cette instruction fonctionnelle à
la fin du cours. Il faudra prévoir pour elle un cours complémentairel.

RÉPARTITIONDES ÉLÈVES PAR GROUPES

Tous les élèves qui ont terminé les trois premières étapes de l’instruction fonction-
nelle, ou qui sont de niveau équivalent,pourront être regroupés pour la quatrième

I. Les besoins et les caractéristiques des adultes retardataires en matière de lechire ont été longue-
ment étudiés par: BUSWELL, Guy Thomas, op. cit.; CHENAULT, Price (ed.), op. cit.; GOLDBERG,
W.D.,op. cit.
Samuel, op. cit.; et WALL,

202
Enseiggnement de la lecture a u adultes

étape. Si leur nombre l’exige,ils seront répartis en plusieurs groupes, d’après les
résultats de tests analogues à ceux qui sont utilisés à la fin de la troisième étape.
Il ne faut pas oublier qu’en groupant les élèves suivant le degré d’aptitude,on ne
peut tenir compte de toutes les difficultés particulières et que chaque élève aura
donc encore besoin d’une aide individuelle.

MATÉRIEL D’ENSEIGNEMENT

Il faut au moins trois types de textes. Pour les deux ou trois premières leçons,on
choisira des extraits d’ouvragesrelativement simples et intéressants pour tous, de
façon à susciter la confianceet le zèle des élèves. Mais il faudra recourir très tôt à
divers types de textes que les adultes doivent normalement savoir lire : articles de
journaux et de revues, bulletins d’information, ouvrages divers, etc. Ces textes
devront être un peu plus difficiles que ceux de la troisième étape et présenter un
vocabulaire plus étendu, moins familier et plus technique,bien que toujours d’usage
courant. Il est bon d’axer les lectures sur des thèmes d’intérêt commun ou d’actua-
lité:problèmes individuelsou collectifs,questionssociales,questionslittéraires,besoins
d’ordre spirituel,etc. En traitant successivement plusieurs thèmes de ce genre, on
habituera les élèves à lire différentes catégories de textes.
Enfin, les élèves devront faire des lectures personnelles. Des tests seront appli-
qués pour mesurer le degré de compréhension.La revue Reader’s digest1 a récemment
publié deux petits volumes de textes de ce genre: Adult education reader (LeuelA et
Level B).Chaque recueil contient de nombreux articles traitant de sujets qui inté-
ressent tous les adultes. Chaque article est suivi d’une série de questions (voir
figure 17). Le maître peut indiquer aux élèves à la fin de chaque leçon les lectures
à faire et les interroger sur ces lectures lors de la leçon suivante.

LECTURE DIRIGÉE EN CLASSE

Les lectures dirigées en classe sont aussi nécessaires que pendant les étapes précé-
dentes.Au cours d’une discussion préalable,le maître s’efforced’intéresserles élèves
au texte qui va être lu, rappelle des lectures antérieures qui en faciliteront la com-
préhension, présente les mots ou les concepts nouveaux, et attire l’attention sur les
problèmes ou sur les points à étudier.
La lecture se fait en deux temps. Les élèves lisent d’abord le texte silencieuse-
ment, pour se faire une idée générale du contenu ou pour pouvoir répondre à des
questions précises à son sujet. Le maître vérifie ensuite s’ils ont bien compris le
texte, avant de passer à une étude plus détaillée. Celle-ciconsiste à relire le texte
pour en découvrir,suivant les questions ou les suggestions du maître, le sens impli-
cite, apprécier l’intérêt ou l’importancedes idées, ainsi que leur application à des
problèmes personnels ou collectifset déterminer dans quelle mesure ces idées doivent
modifier les opinions ou le comportement acquis. Cette partie de la leçon doit faire
une large place aux discussions et aux échanges d’idées et d’opinions, qui per-
mettront aux élèves de mieux comprendre les questions qui se posent et d’aboutir à
des conclusions mieux raisonnées.
Pendant la lecture,le maître prend note des difficultés rencontrées dans l’iden-
tification des mots, la compréhension du sens ou l’interprétationdes idées. U n cer-
tain temps doit être consacré à la fin de la leçon aux explications nécessaires.A la

1. THE&ADER’S DIGEST
EDUCATIONAL SERVICE, Pieasantviiie (NewYork).
L’ensei,ipement de la lecture et de I’ém‘ture

fin de la quatrième étape, les élèves doivent être suffisamment bien entraînés pour
pouvoir résoudre seuls, avec l’aidede certains instruments de travail,la plupart des
difficultés qu’ils risquent de rencontrer dans leurs lectures.

LECTURE DE TEXTES D’UN NIVEAU ÉLEVÉ

Le maître s’efforcera aussi d’encourager ses élèves à lire des textes d’un niveau
plus élevé. A cet effet,il rassemblera à l’usagede la classe un choix d’ouvragespour
adultes. Dans de nombreux pays, les institutions éducatives,les offices de publica-
tions et les bibliothèques1 fournissent aux maîtres des listes de livres classés par
matière et par difficulté croissante. D e telles listes sont très utiles.
Une partie de chaque leçon sera consacrée à l’analyse de certaines des publi-
cations présentées et à la lecture d’extraits présentant un intérêt particulier pour
la classe. A cette occasion, le maître encouragera également ses élèves à emporter
des livres à lire chez eux. Si la communauté dispose d’une bibliothèque,on deman-
dera au bibliothécaire de signaler et de prêter aux élèves des ouvrages traitant de
certains sujets. C o m m e au cours de la troisième étape, les événements d’actualité
seront régulièrement commentés,et la lecturejournalière des quotidiens sera recom-
mandée aux élèves. Ainsi, le maître S’efforcera sans cesse d’augmenter le nombre
et d’améliorer la qualité des lectures personnelles. Pour l’y aider, on organise dans
de nombreuses localités de petits cercles de lecture.

CERTIFICATS

U n certificat de fin d’études sera délivré aux élèves capables de lire seuls les divers
textes que doivent normalement pouvoir lire les adultes de la communauté.C’est là,
en effet, un résultat qui mérite une consécration publique. Il faut espérer toutefois
que la communautéfournira aux titulaires de ces certificatsla possibilité de s’inscrire
à des cours de perfectionnement,où ils pourront faire des lectures dirigées conformes
à leurs intérêts.

I. WALLACE, Viola, Booksfor adult beginners: grades I to VI, Chicago, American Library Association,
‘954>P. 66.

204
ANNEXE
FIND THE WORD DRAW A LINE TO THE SAME WORDS

Herr are John Brown

Tbc Thr
The Bmwns lirrle Sally Brown

Tbs B ~ W M
Mn.Bmwn Mary Bmwn
8mwM BKIWM
Hem ia Hem are
The Thhr

BmWni
John Brown Bmwn
MIS.

BKIWM Mary B m n Hem IS

The Bmvni
lirrle Saily Bmwn ne Bmwm
Thz Tbc

HOW MANY ARE RICKT‘ ElGHï OCLOCK

Saiiy is lirrle. O

rime for bed.


Eighc o‘clodr ip
tirne for dinner

rrady for breakfasr


The childan are
aady for bed.

five o’clock.
&d cime U
cighi o’clock

go CO bed Orly.
T h e Browns
go Co work rogether.

Fig. 14. Spécimens d’exercices tirés d’un Iivret à utiliser avec un manue1 américain de lecture
élémentaire. Les exercices de la page 5 (Trouver le mot. ..)ont pour objet d’habituer l’élève à dis-
tinguer les mots écrits. Ceux de la page IO (Joindre d’un trait les mots qui sont les mêmes) exigent
une discrimination beaucoup plus poussée. Les exercices de la page I 1 (Vrai ou faux?) exigent une
identificationprécise des mots et une parfaite compréhension d u sens. Ceux de la page 40 (C’est à
huit heures que. ..)exigent à la fois la discrimination et l’identification des mots et la compréhension
du sens.
Workbook in learning to read better. To accompany reader one: A day with the Brown
family, Educator’s Washington Dispatch, Washington, 1950.(Home and family
1$e series.)

205
L'enseienement de la lecture et de l'écriture
m
\
m
c
/
1
.
N
206
Enseimement de la lecture aux adultes

1 store work money go

store
family

working on his car


eating his dinner
writing in his book
3
cleaning the house
washing the clothes

Fig. 16. Spécimens de quatre types d’épreuve servant à évaluer les connaissances et les besoins
des nouveaux inscrits aux cours d’alphabétisation. L e test complet comprend dix épreuves de ce
genre. L a note attribuée à l’élève est égale au nombre des épreuves réussies.
Première épreuve: Identifier un mot prononcé par le maître.
Deuxième épreuve: Identifier le mot illustré par l’image.
Troisième épreuve: Identifier le membre de phrase illustré par l’image.
Quatrième épreuve (voir page suivante).
Reading placement: project for literacy education under sponsorship of the Federal
Security Agency. Office of Education, Educator’s Washington Dispatch,
Washington, 194.9,p. 1-4. (Home and famib lge series.)
L’enseignement de la kcture et de l>écrituse

She is singing in church.


She is buying food.
She is working in the garden.
She is cooking dinner.
She is taking a book to school.

Fig. 16 (suite). Quatrième épreuve: Identifier la phrase illustrée par l’image.

208
Ensei.enement de la lecture aule adultes

IV. Rétablir l’ordre


Numérotez les phrases suivantes de I à 4 pour montrer le
déroulement des faits :

...... Les hommes ont apporté des sacs de sable pour renforcer
la digue.
.. .... Le gardien de la digue et ses hommes ont fait leur ronde.
... ... Le tocsin a fait sortir Ies hommes de leur lit.
.... .. Deux heures durant, les hommes ont tenu la vanne de la
digue.

V. Reconnaître les mots de sens opposé


Joignez d’un trait chaque mot de la liste I au mot de sens
opposé qui se trouve dans la liste 2:

Liste I : Liste 2:
ennemi bas
fermé ami
haut début
fin ouvert

VI. Apprendre à lire à haute voix


I. Préparez-vous à lire à haute voix le passage qui répond à la
question suivante: Pourquoi la mer est-elle I‘ennemie des habitants
des Pays-Bas? Lisez-led’abord silencieusementpour vous assurer
que vous connaissez bien les mots. Lisez-le ensuite à haute
voix, en articulant bien et en ne marquant d’arrêt qu’aux
signes de ponctuation.
2. Relisez à haute voix les phrases qui vous semblent les plus
frappantes.

Fig. 17.Spécimens d’épreuves de lecture pour adultes. Les exercices portent sur un récit de la
lutte que les habitants des Pays-Bas ont menée dans la nuit d u I~~ février 1953 pour protéger leur
pays contre la mer déchaînée.
D’après: Ma@ of the world and other stories, Reader’s Digest: Adult education
reader, Level B, Pleasantville, The Reader’s Digest Educational Service, Incor-
porated, 1954, p. 18.
L’enseignement de la lecture et de récriture

TESTS D E L E C T U R E

T E S T S DE LECTURE POUR ENFANTS

ACER reading tests (forms A and B). D e u x versions parallèles établies par 1’Australian Council
for Educational Research de Melbourne. Age: dix à treize ans. Ces tests donnent satis-
faction aussi bien pour l’évaluation collective que pour l’évaluation individuelle. Cinq
tests de lecture avec instructions et exemples d’application: 10 ( (W o r d knowledge »;
20 ( (Speed of reading D; 30 ( (Reading for general significance »; 40 a Reading for note
details N ; 50 G Reading for inference n. (Cf.Australian Council for Educational Research,
Test Division catalogue, Melbourne, 1954, p. 10-11.)
ACER reading tests (form C). Établis par 1’Australian Council for Educational Research de
Melbourne à l’intention des classes primaires, à partir de la classe III en Australie-Occiden-
tale et de la classe IV dans les autres États australiens. Trois tests: 10 N W o r d knowledge D;
20 ( (Speed of reading »; 30 ( (Reading for meaning ». (Cf. Australian Council for Educa-
tional Research, Test Division catalogue, Melbourne, I 954, p. I I .)
Achievement tests in silent reading :Dominion tests. Établis par le Department of Educational
Research, Ontario College of Education, University of Toronto, 1941-1950. Distribués
par le Vocational Guidance Centre. Classes 1, 2, 2-3, 3-4, 4-6, 5-6. (Cf. BUROS, Oscar
Krisen, ed., Thefourth Mental measurements yearbookl, Highland Park ( N e wJersey), Gryphon
Press, 1953, notice 529, p. 567-568.)
Barème de Vaney. Test individuel distinguant cinq niveaux de lecture. Paris, Société Alfred
Binet. Le test est reproduit dans: FERRÉ, André, Les tests à l’école, 2e éd., Paris, Bourrelier,
1950,p. 30-32. (Carnets de pédagogie pratique.)
California reading tests. Los Angeles, California Test Bureau, 1933-1950. Classes 1-4.5, 4-6,7-9,
9-14. Trois scores: ((Reading vocabulary », (< Reading comprehension », N Total ».
Dépouillement par l’International Electrical Test Scoring Machine pour les classes 4-I 4.
(Cf. BUROS4, notice 530, p. 568-570.)
Compréhension de lecture. Tests collectifs de T h . Simon. Paris, Société Alfred Binet. Reproduits
clans: FERRÉ, op. cit., p. 62-76.I~~ et 2edegrés, avec images; 3edegré, sans images. (Lecture
silencieuse.)
Débuts de la lecture. Test individuel, établi par M’leR e m y pour grouper les enfants arrivant à
l’école primaire selon leur aptitude à lire. Paris, Société Alfred Binet. Reproduit dans :
FERRÉ, op. cit., p. 26-29.
Durrell-Sullivan reading capacity and achievement tests. Yonkers-on-Hudson ( N e w York), World
Book Co., 1937-1945.D e u x (< primary tests B (2.5-4)et deux ( ( intermediate tests D (3-6).
Cinq scores: a W o r d meaning », N Paragraph meaning », i< Spelling >) (facultatif),(< Writ-
ten recall N (facultatif), a Total ». (Cf. BUROS4, notice 562, p. 600-601.)
Elemntary reading: every pupil test. Columbus (Ohio), Scholarship Tests, Ohio State Depart-
ment of Education, 1936-1951.Classes 4-6.D e u x parties: a General ability D, a Speed and
comprehension ». (Cf. BUROS4, notice 532, p. 577.)
Examen de lectura. Sigma I de M . E . Haggerty. Traduction de l’anglais en espagnol et étalonnage
dans les écoles primaires de Sucre (Bolivie) par René Halconruy et Saiil Mendoza. Sucre
(Bolivie), Ed. Charcas, 1942.Reproduit dans: Nuevos Rutnbos: revista de la Escuela Nacional
de Maestros, 1942,p. 93-132.Classes 1-3. Indique les normes par âge, par classe et par
sexe. (Lecture silencieuse.)
Gates primary reading tests. N e w York, Teachers College, Columbia University, 1926-1943.
Classes 1-2.5. T y p e I, (
( W o r d recognition)); type 2, «Sentence reading»; type 3, «Para-
graph reading ». (Cf.Buros, Oscar Krisen, ed., %third Mental measurements yearbook
N e w Brunswick, Rutgers University Press, 1949,notice 486, p. 51 2-513.)
Gates reading readiness test. N e w York, Teachers College, Columbia University, 1939.Classe I .
Cinq scores: a Picture directions D, a W o r d matching », N Wordcard matching)), « R h y m -
ing », Letters and numbers ». (Cf.Buros 4, notice 566, p. 603-604.)

I. Ouvrage désigné par (


(BUROS4 D dans les références ultérieures.

210
Enseignement de la leciure aux adultes

Graded uocabulary test de Cyril Burt. (Cf.a) Burt, Cyril L., Mental and scholastic tests, 2 e éd.,
Londres,Staples Press, 1947,p. 298-300; 6) Buros 4,notice B. 74,p. 872-873.)Les normes
écossaises pour le Graded vocabulary test de Burt ainsi qu’une nouvelle échelle mieux adaptée
à l’Écosse ont été publiées dans :VERNON, Philip E., Standardization of a graded word reading
test, Londres,University of London Press, 1938, 43 pages. (Scottish Council for Research
in Education, publication no 12.)
Croup test of reading readiness: Dominion tests. Etablis par le Department of Educational Research,
Ontario College of Education, University of Toronto, 1949-1951.Distribués par le Vo-
cational Guidance Centre. Destinés au jardin d’enfants et à la première année. Six scores:
((Discrimination objects-symbols-wordsH, ((Listening-remembering-observingH, << Fami-
liarity with word forms », (
(Memory for word formsn, «Motor Co-ordination)), «Total».
Versions A et B (1g4g),manuel et dessin du profil (1951).(Cf. Buros 4, notice 567,
P.604.1
Individual reading test. Établi par Lois W.Allen en collaboration avec 1’AustralianCouncil for
Educational Research. Analogue à certains tests de lecture de Burt. Age: cinq ans et
demi à dix ans. Trois scores: a Word reading)), ((Reading comprehensionn, a Speed of
reading n . (Cf. Australian Council for Educational Research, Test Division catalogue,
Melbourne, 1954,p. I I .)
Inter-America tests. Éditions parallèles en anglais et en espagnol, chacune en deux versions.
Dépouillement par l’InternationalElectrical Test Scoring Machine. Les tests portant sur
le langage comprennent: ( (Reading, general», ((Reading in subject-matterfields (voca-
bulary) », ((Language usage ». (Cf. American Council on Education, The teaching of
English in Puerto Rico, San Juan, Porto Rico, Department of Education Press, 1951,
p. 183-203.)
Metropolitan achievement tests (reading) . Etablis par Richard D.Allen en collaboration avec
d’autres experts. Hudson (New York), World Book Co., 1933-1949. Classes 3-4, 5-7.5,
5-9.5. Trois scores: a Readingn , VocabularyB , a Total ». Versions R (I 946),S (I947),
T (1949)et indications en vue de l’application du test (1947).(Cf. Buros 4, notice 543,
P. 582-5850)
Metropolitan readiness tests. Etablis par Gertrude H.Hildreth et Nellie L.Griffiths. Hudson
(New York), World Book Co., 1933-1950.Fin du jardin d’enfants et entrée en première.
Quatre scores: ( (Reading readiness», ((Number readiness», ( (Drawing a m a n D (facul-
tatif), «Total». Versions R (1949) et S (rg50), manuel pour la version R (1950).(Cf.
Buros 4, notice 570, p. 604-606.)
Nelson-Denny reading tests :uocabulary and paragraph; the Clapp-Young self-marking tests. Établis
par M.J.Nelson et E. C. Denny.Boston,Houghton Mifflin Co.,1929-1938.Classes 9-16.
Trois scores: e VocabularyO, a Paragraph comprehension», N Total ».Dépouillement par
l’InternationalElectrical Test Scoring Machine. Versions A (1929)et B (1930),manuel
(1938).(Cf. BUROS4, notice 544, p. 585-586.)
N e w Stanford reding test. Yonkers-on-Hudson(NewYork), World Book Co.Version du premier
degré (classes 2 et 3). Version du degré moyen (classes 4 à 6).
Oral word reading test. Établi et étalonné par A. E. Fieldhouse, avec directives pour l’appli-
cation. Wellington, N e w Zealand Council for Educational Research, 1952. I 6 pages.
Test réservé aux jeunes Néo-zélandais de sept à onze ans dont la langue maternelle est
l’anglais.
Prueba de leciura silemiosa. Établies par Alfred0 M.Ghioldi et Victor M.A.Baleani. Buenos
Aires, Editorial Kapelusz y Cia. Classes 4, 5 et 6.
Pruebas de instruccidn A C V . Établis par Gonzalo Abad, Edmundo Carbo et Ermel Velasco,
Quito (Equateur), Talleres Grificos Nacionales, s. d., 142 pages.
Schonell reading tests: a) test R2, ( (Simple prose reading test D (six à neuf ans); b) test R3,
a Silent reading test AD (sept à onze ans); c) test R4, N Silent reading test B D (neuf à
treize ans); d) test RI, ((Graded word reading test D (cinq à quinze ans); e) test R5,
a Test of analysis and synthesis of words containing cornmon phonic units n ;f) test R6,
a Test of directional attack on words)); g) test R7, N Visual word discrimination test)).
Tests individuels,à l’exceptionde R3 et R4. Tous ces tests sont reproduitsdans: SCHONELL,
Fred J., et SCHONELL, F. Eleanor,Diagnostic and attainment testing; including a manual of tests,
their nature, use, recording and interpretation, Edimbourg, Oliver and Boyd, 1950.168pages.

21 1
L’enseignement de la lecture et de récriture

C o m m e manuel pour tous les tests, à l’exceptionde RI: SCHONELL, Fred J.,Backwardness
in the basic subjects, 3‘ éd., Édimbourg, Oliver and Boyd, 1946, 560 p. C o m m e manuel
pour le test RI: SCHONELL, Fred J.,Thpsychology and teaching Ofreading, 2 e éd., Édimbourg,
Oliver and Boyd, 1946. (CEBUROS4, notice 552, p. 589-591.)
Seven plus assessment: Northumberland series. Etablis par C. M.Lambert. Londres, University
of London Press, 1951. Trois tests (sept à huit ans): «Arithmetic»,a Reading)), «Spel-
ling ». (Cf. BUROS4, notice 24, p. 60-61.)
Silent reading comprehension:Iowa everypupil tests of basic skills. Test A. Etabli par H . F.Spitzer,etc.
Boston, Houghton Mifflin Co., 1940-1947.Classes 3-5 et 5-9. Trois scores: ( (Reading
comprehension», ( (Vocabulary N, M Total ». Dépouillement par l’InternationalElectrical
Test Scoring Machine pour les classes 5-9. Versions L (rg40), M (1g41), N (rgp),
O (1943),manuel (1945);manuel de la batterie de tests (I 947). (Cf.BUROS4, notice 554,
P. 592.)
Stanfrd achievement test reading. Établi par Truman L.Kelley,Giles M.Ruch et Lewis M . Ter-
man. Yonkers-on-Hudson(New York), World Book Co., 1923-1943.Classes 2-3, 4-6
et 7-9. Trois scores: a Paragraph meaning », ( (Word meaning », a Total ». Versions D
(1g40),E (1940),G (rgp),H (1943):directives pour l’application (1940).(Cf.BUROS4,
notice 5553 P.592-593.)
Test boliviano de lectura silenciosa. Établi par René Halconruy.Sucre (Bolivie), Editorial Charcas,
1944.1 2 pages. Reproduit dans: Nuevos Rumbos: reuista de la Escuela Nacional de Maestros,
1944, p. 69-89. Classes 35 4 et 5. Normes établies par classe pour les garçons et pour les
filles. (Cf.HALCONRUY, René,a Création et étalonnage du Test métrique de lecture silen-
cieuse en Bolivie », dans: Journées internationales de psychologie de l’enfant, 21-26 avril 1954,
Paris, Musée pédagogique, I 954, communication 79.)
Test de graduacion: Bateria II - F o r m a A. Établi par José M.Gutiérrez et Mercedes Gonziles
Arias. L a Havane (Cuba), Editorial Minerva. Classes 2 et 3. Comprend, entre autres
scores: ((Lectura grabadosN, ( (Lectura pirrafos)), N Vocabulario». (Lecturesilencieuse.)
Test de graduacion: Bateria III - Forma A. Etabli par José M.Gutiérrez et Rosa Seara Pazos.
L a Havane (Cuba), Editorial Minerva. Classes 4, 5 et 6. Comprend, entre autres scores:
a Lectura », a Vocabulario». (Lecture silencieuse.)
Test de lectura depalabras - Forma A. Etabli par José M.Gutiérrez.L a Havane (Cuba),Editorial
Minerva. Classe I. (Lecture silencieuse.)
Test de lectura en silencio. Tipo A: lectura para apreciar el signijcado general, établi par José M.Gu-
tiérrez et Maria Luisa Pedroso (classes 3-8); Tipo B: [comprender hechos posteriores deriuados
de la lectura], établi par José M . Gutiérrez et Ignacia Ma. Alfonso (classes 3-6); Tipo C:
lectura para entender instrucciones exactas, établi par José M.Gutiérrez et Esther Porras
(classes 3-6); Tipo D:lectura para encontrar detalles, établi par José M . Gutiérrez et Ignacia
M a . Alfonso (classes 3-6). L a Havane (Cuba), Editorial Minerva.
Test de lectura Gates-Gutiérrez. L a Havane (Cuba). Editorial Minerva. Tipo I, N Reconoci-
miento de palabras)); tipo 2, ~Lecturade oracionesD; tipo 3, ~Lecturade pirrafos)).
Classes I et 2.
Test de lectura para la enseiianza primaria, superior y secundaria - Forma A. Établi par José M . Gu-
tiérrez. L a Havane (Cuba), Editorial Minerva. «Test para apreciar la velocidad y la
comprensi6n en lectura». (Lecture silencieuse.)
Test de lectura segura. Etabli par José M.Gutiérrez. La Havane (Cuba), Editorial Minerva,
I 941. (Lecture silencieuse.)
Test de lectura silenciosa E . N.M . Etabli par René Halconruy et Saiil Mendoza. Sucre (Bolivie),
Editorial Charcas, 1947,IZ pages. Classes 5 et 6.
Test de lectura silenciosa M . H.Etabli par René Halconruy et Saiil Mendoza. Sucre (Bolivie),
Editorial Charcas, 1942, 1 2 pages. Reproduit dans: Nuevos Rumbos: reuista de la Escvela
Nacional de Maestros, 1942,p. 133-152,Sucre. Classes 2, 3 et 4.
Test de lecture. Établi par Jean Simon (3, rue Pleyel, Paris) pour la prédiction de la réussite
en lecture. (Cf. SIMON,Jean, ( (U n e batterie d’épreuvespsychologiques pour la prédiction
de la réussite en lecture », dans Enfance. .., novembre-décembreI 952, p. 475-480, Paris,
Presses universitaires de France.) Adapté et étalonné en Belgique sous la direction de
M.Hotyat.
212
Enseignement de la lecture aux adultes

Tests de lecture silencieuse. Établis par Gladys L o w e Anderson. Reproduits dans: ANDERSON,
Gladys Lowe, La lecture silencieuse. Préface de Pierre Bovet. Neuchâtel et Paris, Delachaw
et Niestlé, 1929. 160pages. (Collection d’actualitéspédagogiques.) Traduit en espagnol: La
lectura silenciosa, Madrid, Espasa-Calpe, 1934,I 75 pages. (Ciencia y educacidn, seccidn con-
temfordnea.)‘Adaptéau Venezuela par Rosa Padlina: Test de lectura silenciosa. Formula A.
Formula B. Caracas, Institut0 Pedagogico Nacional, I 936.
Test métrico de lectura silenciosa. Établi par R e n é Halconruy. Sucre (Bolivie), Editorial Charcas,
1948.Forma A (16pages) Forma B (16pages); Manual. Classes 4, 5 et 6. En usage en
Bolivie et en Équateur. Adapté en français par l’auteur: Test métrique de lecture silemieuse.
Paris, Halconruy, 7,rue D u m o n t d’Urville, 1954.Forme A, avec dessins (14pages); Instruc-
tions pour les examinateurs (8 pages); Forme B (14 pages); Instructions pour les examinateurs
(9 pages). Actuellement en voie d’étalonnage pour les enfants belges. Adaptation en
kikongo en 1956. (Cf. HALCONRUY, René, «Création et étalonnage d u Test métrique de
lecture silencieuse en Bolivie », dans: Journées internationales de psychologie de l’enfant, 21-26
avril rg54, Paris, Musée pédagogique, I 954, communication 79.)
Testes ABC para veriJcaçEo de maturidade necessaria a aprendizagem da leitura e escrita, de Manuel
B. Lourenço-Filho,4”éd., avec éléments pour l’application.Sao Paulo, Edicoes Melhora-
mentos, 1952,122 pages. (Bibliotecade Educaçcïo, vol. 20.) Adaptation espagnole par José
D . Forgione (Buenos Aires, Editorial Kapelusz, 1952).
;rhorndike-Lorgereading test. N e w York, Teachers College, Columbia University, 1941-I 947.
Versions A et B revues, et manuel (1947).Classes 7 à 9. (Cf.BUROS4,notice 558,p. 596-597.)
Pour les tests de lecture en langue française on peut se référer à:
JONCKHEERE, T., et VANWAEYENBERGHE, A., Le problème des tests d’instruction.Essai de mise au
point, Bruxelles, 1937.(Revwde pédagogie, cahier IV.)
INSTITUT SUPÉRIEURDE PÉDAGOGIE (MORLANWELZ) , Rapport sur le niveau d’instruction pri-
maire en Hainaut en juin 1946,Morlanwelz (Belgique). Classes 3 à 6.
REMY, M . , et SIMON,Th., Tests d’instruction,Paris, Société Alfred Binet, 29, rue M a d a m e , 1941.
SIMON,J., Epreuves destinées à mesurer le rendement scolaire en première année primaire, Neuchâtel
et Paris, Delachaux et Niestlé, 1955.(Cahiers de psychologie et de pédagogie expérimentale.)

Sur les tests de lecture en langue française encore inédits, des renseignements peuvent être
fournis par les organismes suivants:
Belgique.
Institut supérieur de pédagogie, Morlanwelz.
Laboratoire de psychologie scolaire, Angleur.
Revue belge de psychologie et de pédagogie, G . Goosens, 16,rue de Vrière, Bruxelles II.
France.
Centre national de documentation pédagogique (Bureau des études et recherches péda-
gogiques), 29, rue d’Ulm, Pari~-5~.
Centre national de pédagogie spéciale, Beaumont (Seine-et-Oise).
Centre de psychologie scolaire, I I cours Jean-Jaurès, Grenoble (Isère).
Ecole pratique de psychologie et de pédagogie, Lyon.
Institut de psychologie, Faculté des lettres, Strasbourg.
Laboratoire de pédagogie expérimentale, École normale supérieure, Saint-Cloud (Seine-
et-Oise).
Laboratoire de psychologie de l’enfant, 41, rue Gay-Lussac, Paris-5”.
Suixse.
Institut des sciences de l’éducation, Laboratoire de pédagogie
. _ .
expérimentale, Ecole d u
Mail, rue d u Village-Suisse, Genève.

TESTS DE LECTURE POUR ADULTES

Adult reading test. N e w York, Institute of Educational Research, Teachers College, Columbia
University. Versions I et 2.
Watts-Vernon silent reading test. Londres, Ministry of Education et National Foundation for
Educational Research. Test inédit. (Cf. a.) DUNCAN, John, Backwardness in reading:remedies
and prevention, Londres, Harrap and Co., 1953,p. 20-21; b.) Great-Britain. Ministry of
Education, Reading ability, Londres, H. M. s. o., 1950, p. 10-13.)
C H A P I T R E IX

PRINCIPES FONDAMENTAUX
DE L’ENSEIGNEMENTDE L’ÉCRITURE

L’aptitude à écrire n’est pas ‘seulementun signe d‘instruction; c’est un élément


essentiel de progrès pour les individus et pour les collectivités. Aussi s’intéresse-t-on
aujourd’hui dans le monde entier aux moyens les plus efficaces d’enseigner,aux
enfants et aux adultes, à écrire lisiblement. Parmi les grands problèmes que pose
cet enseignement,beaucoup sont heureusement étudiés depuis des siècles,et l’on a
beaucoup appris sur les difficultés qu’il faut surmonter pour arriver à écrire conve-
nablement et sur les mérites respectifs des différentes méthodes d’enseignement.
En outre des recherches récentes ont fourni de nouvelles indications sur la nature
même de cette technique et sur les facteurs dont dépend son développement.
Nous nous sommes efforcésdans la présente étude de mettre en lumière des faits
et des principes qui,étayés par les résultats des expériences et des recherches passées,
pourront être utiles à la mise au point de programmes d’enseignementde l’écriture
adaptés aux besoins actuels.

A P E R Ç U D E S T E N D A N C E S ET M É T H O D E S T R A D I T I O N N E L L E S

Une des anciennes méthodes d’enseignementde l’écriture montre que l’on s’atta-
chait surtout dans le passé aux questions de forme et de qualité1.
M ê m e au x x esiècle,la qualité de l’écriture avait conservé dans bien des pays
une telle importance que les établissements scolaires ne ménageaient ni leur temps

I. Voir les publications suivantes:


BIVAR,H.G . S.,((Learning to write)), Education for al1 within six months; a brochure on adult education
with special reference to Bengali, Calcutta, Rabnidna Publishing House, 1949,chap. VIII.
CALLEWAERT, H., Physiologie de l’écriturecursive, avec 56 figures groupant des croquis de U.Wernaers,
des photogravuresextraitesde films,des reproductionsd’écritures,etc., Paris,Desclée de Brouwer,
et Cie,s. d., 122 pages, ill.
DOTTRENS, Robert,Cette écriture script. . .,Genève,Imprimerie du Journal de Carouge, I 95 I, 32 pages.
-L’enseignement de l‘écriture; nouvelles méthodes, Paris, Delachaux et Niestlé, 1931,148 pages.
(Collectionr d’actualités pédagogiques.) [Insuffisances des méthodes traditionnelles et avantages
des méthodes nouvelles, et problèmes pratiques que pose l’enseignement de l’écriture.]
FERNANDEZ HUERTA,José, Escrituru (didbcticay escala grdjca), Madrid, Consejo superior de Investi-
gaciones Cientificas, Institut0 San José de Calasanz de Pedagogia, 1950, 225 pages. [Résumé
des données scientifiques fournies par divers pays sur la nature de l’écriture et les méthodes
à employer pour son enseignement.]
FREEMAN,Frank N.,((Language: the development of ability in handwriting)), Child development
and the curriculum,Thirty-eighthYearbook, Part 1, of the National Society for the Study of Edu-
cation. Bloomington (Ill.), Public School Publishing Co., 1939,p. 155-259.
-Teaching handwriting, Washington, Department of Classroom Teachers and American Educa-
tional Research Association of the National Education Association, 1954, 33 pages. (What
research says to the teacher, 4.)
Princibes fondamentaux de l‘ensei.enement de l’écriture

ni leurs efforts pour obtenir sur ce point les meilleurs résultats possibles. Il existait
en outre beaucoup d’écolesspéciales qui se consacraientexclusivement à la formation
de calligraphes.
Cette insistance sur la forme et la qualité de l’écriture était particulièrement
marquée dans les pays où s’employaientdes logogrammes (comme en Chine), des
caractères syllabiques (comme au Japon) ou des lettres de type non latin (comme
dans de nombreuses régions d’Asie). Cela tenait à la complexité de ces caractères
et à la difficulté de les apprendre.Dans chacun de ces pays, un ou plusieurs modes
normalisés d’écriture étaient imposés. En Chine, par exemple, toutes les écoles pri-
maires étaient fournies des mêmes modèles, quels que fussent les dialectes parlés
dans leurs régions respectives. Les exercices portaient d’abord sur les caractères les
plus simples,puis sur des caractères de plus en plus complexesjusqu’à ce que l’élève
fût familiarisé avec des centaines ou m ê m e des milliers de caractères. O n trouve
au chapitre II (p.53) quelques indications sur les différents stades que comprenait
en pareil cas l’enseignementde l’écriture.Les tentatives répétées qui ont été faites
pour simplifier l’apprentissagede l’écriture chinoise n’ont pas donné de très bons
résultats en raison de la complexité essentielle des caractères à apprendre. Selon
le Comité des recherches sur la réforme de l’écriturechinoisel,la solution consisterait
à mettre au point un système d’écriture phonétique pour le chinois.
En Inde,à la différence de la Chine,chaque province imposait un mode d’écri-
ture adapté aux particularités de la langue en usage dans ladite province. Pour
enseigner l’écriture,aux enfants et aux adultes, on commençait par leur faire faire
des exercices sur les éléments communs à la plupart des lettres-lignes horizontales,
lignes verticales,lignes obliques et courbesz.Une fois que ces éléments étaient bien
connus, ils étaient successivement combinés en lettres, puis en mots et en phrases.
Ces méthodes synthétiques étaient d’ailleurs suivies communément dans presque
tous les pays employant d’autres caractères que ceux de l’alphabet latin.
Depuis quelques années on s’efforce dans plusieurs pays de simplifier l’appren-
tissage de l’écriturepar l’emploi de lettres liées, en faisant tout de suite écrire des
mots entiers et en adaptant les méthodes d’enseignement aux besoins des élèves.
A u Siam3,par exemple,c le plan d’étudesimpose un type défini d’écriture qui est
lié et vertical ou légèrement incliné à droite ». Certains exercices préliminaires sont
destinés à préparer les enfants à apprendre à écrire. Il n’y a pas de méthode spé-

FREINET,C.,Méthode naturelle de lecture, Cannes,Editions de 1’Ecolemoderne française,I 947,59pages,


ill. (Brochures d’éducation nouvelle populaire, no 30, mai 1947.)
HAMAIDE, Arnélie, L a méthode Decrob, 48 éd., Neuchâtel-Paris,Delachaux et Niestlé, 1946,261 pages.
(Actualités pédagogiques et psychologiques.)
«Handwriting»,dans: M O N R O E , Walter S.,ed., Encyclopedia of educational research, N e w York, M a c -
millan Company, 1950,p. 524-529. [Résumé de recherches faites aux États-Unisd‘Amérique.]
XI‘CONFÉRENCEINTEmAnoNALz DE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE,L’enseignementde l’écriture,Paris,Unes-
co; Genève, Bureau international d’éducation, 1948.(Publicationno 102.) [Résumé des réponses
reçues de 48 pays à un questionnaire du Bureau international d’éducation, concernant les
méthodes actuellement utilisées pour l’enseignement de l’écriture.]
LAMMEL, Arnold, Elemente des Schreibens, Iserlohn, Brause und Co., 1951,96 pages.
DALPIAZ, Riccardo, L a scrittura nella scuola elementare, 38 éd. rev., Turin, G.B. Paravia, 1950.
[Étude d’une série de problèmes concernant les moyens d’acquérir et de conserver une bonne
écriture.]
WRIGHT G. G.Neill, The writing of Arabu numerals, Londres, University of London Press, 1952,
424 pages. (Publications of the Scottish Council for Research on Education, XXXIII.)
YEE,Chiang, Chinese calligraphy; an introduction to its aesthetic and technique, Londres, Methuen and
Co., 1938, chap. VIII.
1. CHUEH, Wie, «The problem of reforming the Chinese written language)), People’s China, IO, 1954,
p. 18-26.
2. BIVAR, H.G.S.,((Learning to write», op. cit., chap.VIII.
3. XI‘ CONPÉRENCE INTERNATIONALE DE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE, op. cit., p. I IO.
L‘enseignement de la lecture et de l’ém’ture

ciale.Descahiersde modèles sont employésquelquefois,mais en général on enseigne


aux enfants à atteindre la perfection et à obtenir de bonnes habitudes en cherchant
à imiter l’écrituredes maîtres ».
Jusqu’au milieu du X I X ~siècle, les méthodes synthétiques étaient également
très employées dans la plupart des pays utilisant les caractères latins. Vers 1850,
d’importantes réformes commencèrent. L’emploi de cahiers de modèles et de
plumes, par exemple, se répandit alors rapidement tandis que se développaient des
théories fondées sur l’étude des mouvements musculaires qui interviennent dans
l’écriture.D’après les partisans de ces théories1,la possibilité d’écrire facilement et
rapidement dépendait de l’action libre et coordonnée de toutes les parties du corps
intéressées. E n cessant de s’attachersurtout à la forme, on s’acheminaitdonc déjà
vers la reconnaissance du rôle des divers facteurspersonnels dans l’apprentissagede
la façon d’écrire.
Dans la seconde moitié du X I X ~ siècle,des discussions passionnées eurent lieu
sur des questions telles que les différents modes d’écriture,la position à adopter
pour écrire et les méthodes d’enseignementde l’écriture.O n vit se développerdivers
systèmes d’écriture dont chacun eut de chaleureux partisans. C’est ainsi qu’apparut
en France et en Allemagne l’écritureverticale,qui de là se répandit rapidement dans
de nombreux pays. Elle visait à mettre fin à certains des inconvénients que présen-
taient, du point de vue de l’hygiène,les méthodes jusqu’alors pratiquées.
Depuis 1900,beaucoup d’autresfaits très importants se sont produits.C’est ainsi
que, pour aider les enfants à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent lorsqu’ils
commencent à apprendre à écrire,on a eu recours,dans les petites classes,à l’emploi
de l’écriture G script>) ou à l’écriture a manuscript >>2. Pour inciter les élèves à
s’exercerà l’écritureet pour donnerplus d’intérêtaux différentesphases de i‘enseigne-
ment, on a pris l’habitude de faire écrire dès le début des mots et des phrases. O n
s’est en outre ingénié à faire passer les élèves des formes simplifiées d’écriture à
l’écriture cursive au cours de leurs premières années d’études. Pour arriver à la
normalisation et à l’uniformité dont le besoin se faisait sentir, on a mis au point
des échelles d’évaluation de l’écriture et des méthodes permettant de déterminer
et corriger les défauts des élèves. Des centaines d’étudesscientifiques ont été faites
sur un grand nombre de questions controversées.Enfin, sous l’influence de person-
nalités telles que Decroly,Dottrens, Freeman et Freinet,bien des modifications ont
été apportées aux programmes d’enseignementde l’écriture en vue de les mieux
adapter aux particularités et aux besoins des élèves considérésà la fois collectivement
et individuellement.

CRITIQUE DES M É T H O D E S A N T É R I E U R E S

Pendant que s’effectuait l‘évolutionqui vient d’être décrite, d’ardentes discussions


se poursuivaient quant aux mérites des méthodes antérieurement employées. Le
problème le plus discuté avait trait à l’efficacité des méthodes synthétiques d’en-
seignement de l’écriture.Voici quels étaient les arguments invoqués en leur faveur:
I. L’objetm ê m e de ces méthodes était de donner aux élèves une écriture excellente.
2. Elles permettaient d’acquérir, dans un ordre cohérent, la maîtrise des diffé-

I. FOOTER,B. F.,Practical penmamhip, a development of the Carstairian System, Albany (N.Y.),


A. Steele,
1832.
z. L’écriture «script» et l’écriture«manuscript» sont l’une et l’autre des formes simplifiéesd’écriture.
Toutes deux ressemblent beaucoup à l’écriture imprimée. Elles se composent en général de lettres
faites de lignes droites et de cercles. Pour aider les élèves à passer de ces écritures à l’écriturecur-
sive, on leur fait souvent tracer des lettres liées.

216
Principes fondamentaux de l’enseignement de l‘écriture

rents éléments de l’art d’écrire, allant systématiquement des connaissances


simples aux plus complexes.
3. La plupart des maîtres pouvaient suivre aisément les différentes étapes que
comporte cet enseignement.
Tout en reconnaissantla valeur de ces arguments,de nombreux professeurs et spécia-
listes de l’enseignement de l’écriture,se plaçant sur un autre plan, ont adressé aux
méthodes en question un certain nombre de critiques. Les opinions exprimées par
Dottrens et par Freeman,qui jouissent tous deux d’uneréputation mondiale en tant
que psychologues spécialistes de cet enseignement,p.résentent en l’espèce un intérêt
particulier. Selon Dottrensl,le plus grave inconvénient de la méthode synthétique
est qu’elle ne tient aucun compte du facteur principal, qui est l’élève.C o m m e on
le montrera plus amplement ci-après,l’écritureest une marque de la personnalité.
En imposant à tous les élèves une m ê m e norme,on néglige les caractéristiquesindivi-
duelles. Dottrens fait également remarquer que, dans les écritures liées, la forme
d’une lettre dépend de ce qui la précède. Il soutient donc qu’ilfaut apprendre les
lettres dans leurs relations les unes avec les autres.Dottrens critique en outre l’emploi
des bâtons dans les exercices préparatoires.Il s’accordeavec MmeMontessori pour
penser que deux raisons interdisent de commencer par des bâtons: la plupart des
lettres sont arrondies et il est plus difficile de tracer des lignes droites que d’écrire
des lettres.
Freeman2 souligne que le but essentiel de l’écriture est d‘exprimer quelque
chose.(< Cette relation intime entre l’écritureet ce qu’elle exprime influe profondé-
ment sur la nature même de l’acte d’écrire.Elle fait de l’écriture quelque chose
d’essentiellement différent des mouvements qu’elle implique, considérés en eux-
mêmes,ou de sa significationconsidéréeen elle-même. >) Les principaux inconvénients
de la méthode synthétiquesont qu’ellea met en œuvre chez l’enfantle désir d’écrire-
au sens le plus large du terme - tant qu’iln’a pas été soumis à un long entraînement
qui ne présente pour lui que peu d’attrait», et que ( (l’acte d’écrire et le sens de la
chose écrite tendent à demeurer distincts dans l’esprit de l’enfant>) et (< ne se fondent
pas aussi complètement qu’il le faudrait».
A la suite d’une étude poussée sur les ouvrages concernant l’écriture,Fernhndez
Huerta3a résumé comme suit les inconvénients des méthodes d’enseignement anté-
rieurement appliquées:
I . Ces méthodes affaiblissent chez les enfants le désir initial qu’ilsont d’apprendre
à écrire, parce qu’ils doivent exécuter des exercices sans intérêt pour eux;
2. Elles divisentles activités de l’enfanten plusieurs domaines sansrapports entreeux;
3. Elles exigent de l‘enfant,dès le début,une perfection qu’on ne peut raisonnable-
ment espérer qu’au dernier stade de l’enseignement;
4. Elles sont d’une rigidité qui ne permet guère l’adaptation aux caractéristiques
individuelles;
5. Elles n’encouragent que médiocrement les facultés créatrices et le développement
de la personnalité;
6. Elles comportent l’emploi injustifié de plumes pointues et de papier à lignes
doubles.

1. DOTTRENS, Robert, L’enreigment de l’écriture, op. cit.


2. FREEMAN,Frank N.,Teaching handwriting, p. 9-10.
3. F E R N ~ D EHUERTA,
Z José, op. cit.
L’enseipnement de la lecture et de l‘écriture

Ces critiques tiennent en somme à ce que,avec les méthodes synthétiques,on s’occu-


pait presque exclusivement de la forme et de la qualité de l’écriture.Le choix du
type d’écriture était dicté par des normes purement extérieures. Dans l’effort qui
était fait pour atteindre à la qualité, on négligeait l’élèveet on ne se souciait guère
d’obtenir des progrès quant aux aspects fonctionnels ou créateurs de l’écriture.

M É T H O D E S M O D E R N E S D’ENSEIGNEMENT D E L ’ É C R I T U R E

Les méthodes d’enseignement de l’écriture qui ont été élaborées au cours de ces
dernières années reposent à la fois sur une nouvelle conception des buts principaux
de l’enseignement et sur les conclusions de recherches touchant au développement
de l’enfant et à la psychologie pédagogique. Si les pratiques modernes diffèrent
entre elles sur beaucoup de points importants, elles s’accordent en général sur
un certain nombre de principes et de procédés fondamentaux.Nous prendrons tout
d’abord les points sur lesquels l’accord est largement réalisé.

POINTS COMMUNS

Nous commencerons par examiner rapidement quatre des conclusions auxquelles


ont abouti les travaux de la XI Conférence internationale de l’instructionpublique,
à laquelle participaient les représentants de nombreux pays des divers continents
et au cours de laquelle on s’est occupé pendant certaines séances des problèmes que
pose l’enseignementde l’écriture.Voici ces conclusions:( (L’écrituren’estpas seule-
ment une technique d’enseignement,mais un moyen d’expressionet un art dont le
style personnel doit conserver un maximum d’harmonie et d’élégance»; ( (le rythme
de la vie moderne exige une écriture de plus en plus rapide »; les méthodes devraient
être a toujours mieux adaptées aux possibilités de l’enfant»; enfin, l’enseignement
de l’écrituredevrait avoir pour but (< de donner à chaque enfant l’écriturela meil-
leure qu’ilest capable de tracer à une vitesse suffisante ~ l Ces
. conclusions s’harmo-
nisent étroitementavec les résultats de recherches dont il est rendu compteci-dessous.

Considération des particularités de l’élève.


La plupart des méthodes modernes d’enseignement de l‘écriture reposent sur le
principe que lesdites méthodes doivent être adaptées aux caractéristiques et aux
besoins des élèves. Aussi,les efforts qu’onexige des élèves aux différents âges sont-ils
fonction de leur degré de développement intellectuel.Les normes fixées et les tech-
niques employées sont adaptées aux différences d’aptitudes et l’on tient compte,
pour exiger des élèves des progrès plus ou moins rapides,du rythme variable auquel
ils sont capables d’apprendre.
A l’appuide ces principes fondamentaux,Dottrens2cite les résultats de certaines
recherches. Il signale en premier lieu les découvertes de Vogt, qui, ayant étudié
l’anatomie des mains d’enfants,a mis en évidence l’existence de types morpholo-
giques divers. Vogt a également constaté que ces différences influent sur l’écriture
et que les mêmes instruments ne conviennent pas également à tous les enfants.
Dottrens mentionne d’autre part les conclusions de Rossgers; celui-ciavait de-
mandé à des enfants de reproduire un modèle de dents de scie, pour évaluer d’après

I. XIe CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, Procès-verbaux et recommandations,


Paris, Unesco; Genève, Bureau irrternational d’éducation, 1948,I 17 pages.
2. DOTTRENS, op. cit., p. 34.

218
Principes fondamentaux de L‘enreigmment de l’écriture

ce travail leur aptitude à écrire et leur pouvoir d’expression graphique;sur la base


des dessins,il classa les enfants en quatre groupes :ceux qui avaientreproduit exacte-
ment le dessin,ceux qui avaient renversé le sens des dents de scie;ceux qui n’avaient
reproduit que les lignes verticales et ceux dont le dessin était un gribouillage; il
en conclut que les enfants du quatrième groupe n’étaient pas encore prêts à écrire,
tandis que les autres devaient être l’objet de soins particuliers selon leur catégorie.
Qu’il faille tenir soigneusement compte des caractéristiques et des besoins indi-
viduels, c’est ce qui ressort également des résultats de certaines recherches consa-
crées aux différences individuelles d’écriture. c Il semble évident que l’enseigne-
ment [de l’écriture] doit être individualisé au moins de telle sorte que les résultats
attendus des élèves varient selon leurs aptitudes et qu’ils bénéficient de conseils indi-
viduels, pouvant consister par exemple dans l’analyse et la correction des fautes,
mais pouvant tendre aussi à adapter la position et le mouvement de la main aux
particularités individuellesl. ))
Les différences qu’il y a entre enfants et adultes méritent également d’être soi-
gneusement étudiées. Les adultes sont beaucoup plus maîtres de leurs muscles que
les enfants, mais ils ont des mains et des doigts moins souples. En outre,les adultes
des cours pour analphabètes ont, en général, beaucoup plus de motifs personnels
de s’instruire que les enfants; on peut donc s’attendrequ’ils fassent preuve d’une
application plus constante et de plus d’ardeur au travail. L’importance qui est
attachée maintenant à de telles différences montre bien que, dans l’enseignement
de l’écriture,on accorde désormais beaucoup plus d’attention que jadis à l’élève
lui-même.

Nécessité d’exercices préparatoires.


Etroitement lié à cette tendance est le fait qu’avantd’apprendreà écrire à de jeunes
enfants,on leur impose de nombreux exercices préparatoires.c Avant que l’onmette
entre les mains de l’enfant le matériel nécessaire pour écrire et qu’on lui demande
de tracer ses premières lettres et ses premiers mots, il y a lieu de le préparer à cet
acte nouveau et difficile pour lui par des exercices,dont l’importanceest capitale2.B
Ce besoin est si essentiel qu’il a été reconnu avant m ê m e que les méthodes modernes
d’enseignement de l’écriture aient été mises au point; et, depuis quelques années,
les exercices préliminaires sont de plus en plus utilisés partout, quels que soient les
caractères dont se compose l’écriture.Dans la plupart des cas où les enfants fré-
quentent des écoles maternelles, des jardins d’enfants ou des écoles enfantines,cet
entraînement leur est donné au moyen d’activitéde jeu de différentessortes : travaux
manuels, dessin ou modelage. Dans d’autres cas, l’entraînement a un caractère
beaucoup plus précis, consistant par exemple en des tracés libres au tableau noir,
ou bien en des exercices où l’enfant doit écrire dans le sable un mot, par exemple
son nom.
L’importance d’exercices propres à susciter l’intérêtde l’enfantet à le préparer
à écrire a été soulignée par Freinet3.A propos du développement du jeune enfant,
Freinet observe que l’envie d’apprendre à écrire découle du << désir naturel N qu’a
l’enfant de s’exprimer.En jouant avec un crayon, l’enfant apprend peu à peu à
dessiner des objets simples, puis des objets plus complexes. Il devient de la sorte
plus maître de ses mouvements et en arrive à constater qu’il peut, par le dessin,
exprimer ses idées.A partir du moment où il voit son maître écrire et se rend compte

I. «Handwriting», dans: MONROE,


Walter S., ed., op. cit., p. 527.
2. XIe CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, L’enseignement de l’écriture, p. 15.
3. FREINET,C.,op. cil.

219
L’enseignement de la lecture et de l’écriture

que les mots représentent des idées, il commence à éprouver le besoin de mettre
une légende sous tel ou tel de ses dessins,et il réussit, par imitation,à en écrire une
tant bien que mal. Ainsi, graduellement, sous l’impulsion d’un besoin profond
comme des encouragements de son entourage, l’enfant se prépare à faire de plus
en plus largement usage de l’écriture.Selon Freinet1,tout ce processusprécède,chez
la plupart des enfants, l’apparition du désir d’apprendre à lire.
L’intérêt qu’a le dessin pour préparer les enfants à écrire est reconnu depuis
plus de cent ans. Dans une étude sur les théories et les méthodes de Pestalozzi et de
certains de ses contemporains,Walch est parvenue aux conclusionssuivantes:a Etant
donné que l’enfant est apte à dessiner deux ans au moins avant d’être à m ê m e de
manier une plume avec assez d’aisance pour pouvoir écrire, il conviendrait qu’il
apprît à dessiner avant d’apprendre à lire [. ..]. La pratique du dessin aide à
tracer les lettres et développe chez l’enfant des qualités de soin,d’exactitudeet de
précision qui lui permettent d’apprendre plus vite à former ses lettres2.B

L a globalisation au début de l’enseignement.

La plupart des méthodes modernes d’enseignementde l’écriture partent des mots


ou d’unitésplus importantes du langage, plutôt que des lettres. A l’appuide cette
pratique,Dottrens3cite les conclusions de Winckler,qui a étudié chez 2.000enfants
de cinq à sept ans l’aptitudeà reconnaître des formes différant entre elles quant à
la régularité du contour. L’expérience a révélé des variations considérables. Étant
donné que les contours des lettres présentent des différences encore plus grandes,
Winckler a admis qu’il serait encore plus difficile à des enfants de reconnaître à
première vue ces détails,et il s’est fondélà-dessuspour condamner la méthode tradi-
tionnelle,qui part des éléments des mots, et pour recommander de partir d’unités
plus importantes du langage.
Freeman a réagi contre cette opinion. Il reconnaît,lui aussi, qu’il convient de
partir d’unités importantes du langage, mais il en donne des raisons quelque peu
différentes.A son avis a le mot, considéré du point de vue de la perception ou de
l’écriture,ne constitue pas une unité plus simple que la lettre. D’ailleurs,du point
de vue moteur, ni le mot ni la lettre ne peut constituer un tout tant que l’enfant
n’a pas appris les mouvements à faire pour les tracer. Ces mouvements peuvent
être appris séparément ou en succession; c’estpar la pratique qu’ils se coordonnent.
Le principal avantage de commencer par des unités importantes du langage tient
à ce que seules ces unités ont une signification et que c’est de cette signification
que découle la fusion des différents mouvements ».
L’intérêt pratique qu’il y a à partir des mots et des membres de phrases a été
attesté par les preuves qu’ont recueillies Dottrens4 et Mlle Margairaz, à la suite
d’une série d’études visant à évaluer l’efficacité de la méthode globale en matière
d’éducation.Les résultats de ces recherches indiquent que l’enfantapprend à écrire
aussi bien, si ce n’est mieux, par la méthode globale que par la méthode du signe
isolé. C’est sans aucun doute une double erreur que d’essayer d’apprendre aux
élèves à écrire suivant la méthode synthétique.En premier lieu,l’enfant reconnaît
aisément un ensemble,alors qu’il lui est difficile - au début tout au moins - de se
représenter les détails de cet ensemble. En second lieu, les détails des lettres et des

I. FREINET,C.,op. cit.
2. WALCH, Sister Mary Romana, Pestalozzi and the Pestalozzian theory of education. A critical study,Doctor’s
Dissertation,T h e School of Arts and Sciences, T h e Catholic University of America, Washington,
D.C., 1952, p. 134-135.
3. DOTTRENS, Robert, L’enseignement de l’écriture, op. cil.
4. Ibid., p. 39.

220
Principes fondamentaux de 1’ensei.gmment de l‘écriture

mots, tels qu’ils sont enseignés selon la méthode synthétique, n’ont ni valeur ni
signification pour l’élève. Essayer d’apprendre selon cette méthode est donc pour
lui une tâche apparemment dénuée de sens,qui ne l’incitepas à un effort vigoureux.
Les témoignages qui viennent d’être cités reposent principalement sur des expé-
riences concernantdes écritures en caractères latins.Mais dans les pays qui utilisent
d’autres caractères, les mêmes conclusions sont généralement applicables: les rap-
ports dont on dispose en font foi. La complication des caractères en usage dans cer-
tains pays pose évidemment des problèmes spéciaux lorsqu’ils’agit d’employer dès
le début des unités de langage présentant un sens. Ces difficultés méritent d’être
étudiées avec soin en vue de la mise au point de méthodes psychologiquement
saines.

Emploi de formes simpl$èes d’écriture au début de l‘enseignement.


Pour aider les enfants à surmonter certaines des difficultés auxquelles ils se heurtent
au début,on a adopté dans beaucoup de pays des écritures simplifiées. Il s’agit de
lettres sans complication de forme, généralement composées de lignes droites et
d’éléments de cercle. Ce type d’écriture est désigné par les différents auteurs sous
les noms d’écriture a script», d’écriture (< print-scriptD ou d’écriture a manuscript».
Bien qu’il y ait des variantes de pays à pays, dans ces caractères, les principes et
les buts restent les mêmes, à savoir: ( ( visibilité et netteté, facilité d’acquisition,
similitude entre le texte imprimé et le texte écrit (avantageux,par exemple, pour
l’enseignement simultané de la lecture et de l’écriture), simplicité et esthétique1».
Dans le compte rendu sommaire,publié en 1948,des méthodes pratiquées dans
le monde pour l’enseignementde l’écriture2,les différents types d’écriture simplifiée
sont désignés sous le nom d’écriture script D. C’est également ce terme que nous
emploierons ici sauf lorsque nous évoquerons,pour les citer ou bien y renvoyer des
études où sont employés les termes de a print-scriptN ou de (< manuscript».

En règle générale,l’écriturea script ) )est utilisée pendant les deux premières années
d’école.Elles s’apprendplus facilement et plus rapidement que la cursive et permet
aux élèves de l’école primaire d’écrire plus lisiblement et plus vite3.Les avantages
que présente,à ce niveau,l’emploide l’écriture(< script D ont récemmentété résumés
comme suit4:
I. La forme des lettres est plus simple que dans la cursive.
2. Il n’y a pas besoin de traits pour joindre les lettres entre elles, bien que l’écriture
(< script)
)liée soit souvent utilisée.
3. La pratique de l’écriture a script)) se rapproche de celle du dessin avec
laquelle les enfants sont familiarisés.
4. Les caractères de l’écriture c script ))sont identiques à ceux des livres de lec-
ture qu’ont les enfants, ce qui évite les confusions qui peuvent naître de l’étude
simultanée de deux formes pour chaque lettre.
5. Avec l’écriture a script », les enfants peuvent arriver plus rapidement à
~

I. XIe CONFÉRENCE
INTERNATIONALE DE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE,L’enseignement de l’écriture,p. I 8.
2. Ibid., p. 17-18.
3. ((Handwritingn, dans: MONROE, Walter S., ed., op. n’t., p. 525.
HEESE, J.DE V., «The use of manuscript writing in South Airican schools)), Journal of educational
research, vol. XL, novembre 1946, p. 161-177.
PHILIPPINES, DEPARTMENT OF EDUCATION BUREAUOF PUBLICSCHOOLS,Bulletin,no26, Manille, 1951.
VOORHIS,Thelma G.,T h e relative merits of cursive and manuscript writing,N e w York, Bureau of Publica-
tions, Teachers College Columbia University, 1931.
4. N. E. A. RESEARCHDNISION,Manuscr$t handwriting, Washington, National Education Association
of the United States, 1951,p. 6-7.

22 1
L’enseiznement de la lecture et de l’écriture

exprimer par écrit leurs idées; ils éprouvent ainsi plus tôt un sentiment de satis-
faction et il y a moins d’échecs.
6. Sur les tableaux muraux, les couvertures de brochures et les ouvrages d’art,
l’écriture((script )
)a un aspect plus net et plus agréable que la cursive.
7. Les enfants peuvent comparer les lettres qu’ilsforment avec les lettres imprimées
et déceler ainsi plus facilement les erreurs qu’ils commettent.
8. La fatiguedes yeux et les risques de fatigue physique sont moindres dans l‘appren-
tissage de l’écriture script ))que dans celui de la cursive.
9. La surveillance à exercer sur les élèves est moindre que dans l’enseignement de
la cursive.
IO.En facilitant l’expression écrite des idées, l’emploi de caractères ( (script B
encourage l’expression créatrice.
I I. La netteté de cette écriture tend à créer une certaine sécurité affective.
12.L’emploi de l’écriture a script ) )s’harmonise avec le développement muscu-
laire et moteur des enfants de l’école primaire.

Les arguments le plus souvent opposés à l’emploi de l’écriture tt scriptB sont


les suivants:
1. Les enfants ont d’autresformes de lettres à apprendre quand ils passent à l’écri-
ture cursive.
2. Les difficultés qui peuvent en résulter pour eux risquent de compromettre le
rythme de leurs progrès.
3. Les enfants auxquels on fait apprendre l’écriture ((script)) ont souvent du
mal à lire la cursive.
4. A moins d’être vraiment bonne, l’écriture (t script ) ) n’est pas aussi régulière
que la cursive.
5. Certains adversaires de l’écriture script N soutiennent que la personnalité
à moins de chances de se manifester dans cette écriture que dans la cursive.
6. Bien des maîtres n’ont pas été initiés à l’emploiou à l’enseignementde l’écriture
((script ».

7. Les parents d’élèves préfèrent souvent l’écriture cursive et insistent pour qu’on
l’enseigne à leurs enfants.

Dans plusieurs pays, l’habitude est de faire apprendre l’écriture(t script D dans les
deux premières classes pour l’abandonneren faveur de la cursive dans la troisième
classel. Très rares sont les écoles où l’on continue à l’employer pendant toute la
durée des études élémentaires; certains éducateurs soutiennent cependant, en se
fondant sur un certain nombre de faits objectivement observés, qu’il faudrait s’en
tenir d’un bout à l’autre des études à cette forme d’écriture.
Aux Philippines,les autorités de l’enseignement recommandent que le passage
d’une écriture à l’autreait lieu vers la fin de la deuxième année de scolarité2.A la
suite d’une étude comparative faite dans les écoles sud-africaines,sur les notes d’écri-
ture obtenues par plus de 3.000 élèves des classes I à 7,Hesse3a établi que les élèves

I. FREEMAN, Frank N.,«Survey of manuscript writing in the public schools)), Elementary schooljournal,
vol. XLVI, mars 1946, p. 375-380.
POLKINGHORNE, Ada R.,G Current practices in teaching handwriting)), Elementary schooljournal,
vol. XLVII, décembre 1946, p. 218-224.
WISCONSIN. DEPARTMENT OF EDUCATION. COMMITTEE FOR RESEARCH INHANDWRITING, Handwriting
in Wisconsin. A survey of elementary school practice, Madison, University of Wisconsin, 1951, p. 77.
(Bulletin of the School of Education.)
2. PHILIPPINES. DEPARTMENT OF EDUCATION, BUREAUOF PUBLICSCHOOLS. Tentative guide in teaching
manuscript writing, Manille, 1951.(Annexe au Bulletin no 16.)
3. HEESE, op. cit. p. 176.

222
Principes fondamentaux de l’enseignement de l’écriture

a qui étaient passés de bonne heure de l‘écriture«print-script))à la cursive obtenaient


de meilleures notes que ceux pour lesquels ce changement avait eu lieu plus tard ».
Il a signalé comme non moins importantle fait que ((les élèves ayant commencé par
se servir de l’écriture(
(manuscript D pour passer ensuite assez tôt à la cursive obte-
naient de meilleures notes que ceux qui avaient toujours utilisé la cursive ».
L’intérêt qu’il peut y avoir à continuer d’employer l’écriture(< script D au-delà
des premières classes primaires a été très discuté. L’un des principaux points
contestés est la vitesse à laquelle peuvent arriver les élèves déjà avancés selon qu’ils
emploient l’écriturea script D ou l’écriturecursive.D’après la plupart des rapports,
la cursive serait plus rapide1.Cependant des exceptions à cette règle ont été consta-
tées chez des élèves de l‘enseignement secondaire qui ont toujours utilisé l’écri-
ture a scriptD ~ .Discutant de cette question, Freeman fait observer que, dans
l’écriture a script », on s’arrête plus longtemps entre les lettres que dans l’écri-
ture cursive,ce qui ralentit l’écriture.Et,ajoute-t-il, a si l’onessaie d’atteindreavec
l’écriture a script >) la m ê m e vitesse qu’avec la cursive, cette forme simplifiée
d’écriture perd son avantage caractéristique, qui est la lisibilité ». D’autres sou-
tiennent que cet inconvénient peut être compensé par l’emploi de lettres liées. Il
faudrait évidemment de nouvelles recherches pour arriver à des conclusions défi-
nitives.
Les avantages respectifs que présentent dans le cas des adultes l’écriturec script B
et la cursive n’ontpas été étudiés de façon aussi poussée qu’ill’aurait fallu.L’opinion
s’est répandue que, d’habitude,les adultes écrivent plus lisiblement en a script ».
Cela ressort notamment du nombre croissant de formules que les destinataires sont
invités à remplir en caractères d’imprimerie.Certaines études objectives ont montré
que la plupart des adultes écrivent plus lentement et plus soigneusementen a script D
qu’en cursive. Washburne observe que cela tient essentiellement à une pratique
plus grande de l’écriture cursive. Aucune étude n’a encore été faite pour déter-
miner si, pour une m ê m e vitesse de tracé, l’écriturea script>) est aussi lisible que
la cursive. Au surplus,on ne dispose guère de données qui permettent de faire des
comparaisons sur la rapidité et la qualité d’écriture à laquelle peuvent arriver,
selon qu’elles emploient le ( (script D ou la cursive, des personnes également familia-
risées avec l’une et l’autre.
Le fait que les adultes manquent souvent d’agilité dans les doigts et dans les
mains serait,en raison de la simplicité relative de l’écriturea script », un argument
en faveur de son utilisation dans les cours d’analphabètes,au commencement tout
au moins. Cette question sera examinée plus amplement au chapitre XI, où il est
question des programmes d’enseignement de l’écriture aux adultes.

Le développement des mouvements qu’impliquel’écriture.


D e nombreuses études ont été faites depuis cinquante ans sur la nature et le déve-
loppement des mouvements qu’impliquel’écriture.Voici les principales conclusions
de ces études,telles qu’elles ont été formulées par Freeman3.
Uniformité. Une analyse des variations de vitesse et de pression montre que c les
mouvements effectués pour écrire sont plus irréguliers ou plus variables chez l’enfant
que chez l’adulte». Le tracé des traits successifs se fait à une pression plus uniforme
et à une vitesse plus constante à mesure que l’enfant acquiert de la maturité.
I. «Handwriting», dans: MONROE, Walter S., ed., op. cit. p. 525.
2. WASHBURNE,Carlston, et M O R P H E ~ Mabel , Vogel, ((Manuscript writing-Some recent investiga-
tions)), Elernentav school journal, vol. X X X V I I , mars 1937, p. 517-529.
3. FREEMAN,Frank N.,((Language: the development of ability in handwriting)), op. cit., p. 255-260.
L’enseimement de la lecture et de l‘écriture

En fait, l’uniformité est le signe m ê m e du développement de l’adresse et de la


maturité.

Continuité. Les mouvements faits pour écrire deviennent également plus continus
et mieux coordonnés à mesure que l’élèveacquiert de la maturité. Plusieurs cher-
cheurs ont établi que l’adulte ( (a tendance à former ses lettres et ses mots comme
autant d’unités,tandis que l’enfant écrit en séries de traits presque séparés. En
outre, l’enfant s’arrête plus longtemps entre les traits». Ces constatations, selon
Freeman, militent en faveur de la méthode consistant à faire employer par les
jeunes enfants l’écriture ((script B - faite de traits séparés - tandis que l’écri-
ture cursive, a qui permet d’écrire les mots comme des unités », serait employée
par les enfants plus grands et par les adultes.

Rythme. Différentes études ont montré que l’écrituretend à devenir plus rythmique
à mesure que l’élève acquiert de l’adresseet de la maturité. Cette tendance est liée
à celle selon laquelle un tracé global se substitue, dans l’écriture déjà formée, au
tracé de traits séparés. Chaque unité ainsi tracée résulte d’unesérie de mouvements
qui en viennent progressivement à s’accomplirà intervalles réguliers.La succession
mieux rythmée de ces mouvements caractérise,elle aussi, le processus de la matu-
ration.

Nature du mouvement. Il s’agitici du mouvement de bras ou du jeu des muscles. Les


données dont on dispose montrent que l’enfant,lorsqu’il est obligé de mouvoir le
bras pour écrire,n’y arrive que lentement. Le mouvement du bras n’intervientque
dans une faible mesure chez les élèves de première année; il est un peu plus déve-
loppé chez ceux de deuxième année,et ainsi de suite.( (Cela prouve que le mouve-
ment du bras est difficile à acquérir,qu’il convient mal aux jeunes enfants et que,
si on veut le leur apprendre,il faut au moins éviter d’insister sur son emploi tant que
l’habileté motrice n’est pas parvenue à un degré de développement suffisant, qui
ne sera vraisemblablement atteint que dans les classes moyennes.D
Ces constatations ont abouti à la conclusion que le développement d’un méca-
nisme moteur complexe comme celui de l’écriture demande beaucoup de temps.
Il résulte évidemment tant du processus de maturation que de la pratique même
de l’écriture.Le jeune enfant peut, dans ses premières années d’école,acquérir une
habileté raisonnable,à condition que le type d’écriturechoisi et le degré de rapidité
et de qualité attendu de lui soient en rapport avec ses aptitudes; il faut toutefois
continuer à faire faire des exercices d’écriture pendant toute la durée des études
primaires et jusqu’au moment où l’écriture est suffisamment formée pour pouvoir
être employée avec efficacité. Dottrens a fait observer que l’écriture se modifie,
tout comme la voix, pendant la période de la puberté et qu’ilfaut,en conséquence,
continuer à la surveiller durant cette période.

Nous avons ainsi relevé cinq principes ou pratiques assez communément admis
aujourd’hui pour ce qui est de l’enseignement de l’écriture aux enfants:
I. Les éducateurs songent en premier lieu à l’élève et les méthodes d’enseignement
font l’objet de maintes adaptations pour tenir compte des particularités indivi-
duelles.
2. U n entraînement préliminaire est donné aux enfants chaque fois qu’ils en ont
besoin, pour les préparer à écrire.
3. O n tend à partir des mots plutôt que des éléments des mots, pour l’apprentissage
de l’écriture.
4. Dans la plupart des pays utilisant un alphabet, et m ê m e dans certains autres,
Principes fondamentaux de l’enseignement de l‘écriture

un type simplifié d’écriture est employé de préférence à l‘écriture cursive pen-


dant les premières années d’école.
5. Enfin, l’habileté en matière d’écriture se développe lentement;elle résulte à la
fois du processus de maturation et de la pratique. Mais ici des différences se
font jour dans la théorie comme dans la pratique, et des questions se posent
qui sont sujettes à controverse.

QUESTIONS CONTROVERSÉES

Une des différences frappantes que l’on constate, tant dans la théorie que dans la
pratique de l’enseignementde l’écriture,se rapporte aux types d’écriture à employer.
Dans beaucoup de pays,on utilise,soitdès le début,soit -cequi estpréférable- après
avoir commencé par employer l’écriture a script », un type particulier d’écriture
cursive. Le but de l’enseignement donné est alors d’amener les élèves à reproduire
aussi fidèlement que possible le type d’écriture retenu. Cette pratique repose sur
plusieurs hypothèses. La première est que certains types d’écriture sont supérieurs
aux autres, en ce sens qu’ils sont mieux adaptés aux particularités physiologiques
de l’enfant,plus lisibles, plus artistiques,ou qu’ils permettent d’écrire plus vite sans
nuire à la bonne qualité de l’écriture.Ces questionsont faitl’objetd’un grand nombre
d’études constructives qui ont abouti à l’élaborationde nombreux systèmes d’écri-
ture,dont la supériorité repose en partie,selon leurs tenants,sur des caractéristiques
de style particulières. O n trouvera dans L’enseignement de l’écriture1 d’assez longues
études sur les types d’écriture utilisés dans les différents pays et sur les systèmes
d’enseignement de l’écriture qui leur correspondent.
Les autres hypothèses que l’on invoque en faveur de l’emploid’un type déter-
miné d’écrituresont les suivantes:a ) l’emploid’un même type d’écriture,dans une
école ou dans tout un système scolaire, garantit des progrès réguliers d’année en
année; 6) il permet d’obtenir une meilleure écriture parce que tous les maîtres
s’efforcent d’atteindre des résultats semblables; c) enfin, l’emploi de cette écriture
pendant une assez longue période permet aux maîtres de l’enseigneravec une com-
pétence croissante.
O n affirme également que, dans tous les cas où des intérêts commerciaux sont
en jeu, les avantages et inconvénients des différents types d’écriture sont étudiés
avec plus d’attention et qu’un meilleur matériel et de meilleurs guides ou manuels
des maîtres sont mis à la disposition des intéressés.Toutes ces hypothèses ont leur
valeur. Le véritable problème est de savoir si les avantages en question l’emportent
sr ceux que présentent d’autres systèmes.

Un g$e uniforme d’écriture ou des variantes selon les élèves?


Par opposition à la méthode qui consiste à employer un type d’écrituredélibérément
choisi,de nombreux spécialistes affirment que l’enfant doit être laissé libre de créer
lui-mêmeles formes de lettres qu’il emploiera. Cette opinion a été nettement for-
mulée dès Ig I 7 dans une directive du Ministère de l’instructionpublique de Prusse,
(Au cours de l’enseignement,l’enfantne doit pas être obliga-
dont voici les termes: (
toirement lié aux types d’écriture enseignés, mais rester libre d’évoluer selon ses
aptitudes personnelles. Le résultat de l’enseignement devrait être d’obtenir une
bonne écriture courante ayant un cachet personnel.B

I. XIe CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE, op. cit., p. I 7-25.


L’enseignement de In lecture et de l’écriture

Decroly et Dottrensl sont nettement du m ê m e avis. Ils considèrent que les


enfants appartiennent à des types morphologiques différents, lesquels ont une
influence sur leur style personnel d’écriture.En laissant les enfants se développer
selon leurs aptitudes propres, on peut supposer que chacun d’eux découvrira le
type d’écriture qui lui convient le mieux. Pour faciliter la mise en pratique de cette
idée, Lamme12 recommande que l’on donne pour modèles aux enfants des lettres
convenablement mais différemment tracées plutôt que des lettres de forme unique.
Parmi ceux qui considèrent qu’il convient d’aider au développement de styles
individuels d’écriture, des divergences d’opinions se manifestent sur le point de
savoir comment et à quel moment l’individualité doit être encouragée. L’exposé
qui précède laisse penser qu’elle devrait être encouragée dès le début. Freeman3
estime que,lorsquel’enfantcommence à écrire,il faut luifaire copier certainsmodèles.
L’individualité,si elle n’est pas entravée, commence à s’exprimer à mesure qu’il
se développe. Il faut,dit Freeman,stimuler ce processus,dans la mesure où il ne
risque pas de se traduire par une écriture illisible. D’autresauteurs,tels que Lammel,
considèrent que l’enfantdoit employer d’abord des formes faciles et familières. A
cet égard, on a recommandé l’emploi des capitales dans les langues qui s’écrivent
en caractères latins. Une expérience faite à Genève sur des enfants de cinq à six
ans a montré que ces enfants écrivaient plus rapidement en majuscules d’impri-
merie qu’en a script ».
Ceux qui sont d’avisde laisser à l’enfantlui-mêmele soin de découvrir les formes
les mieux adaptées à ses besoins ne pensent pas qu’un tel système puisse retarder
indûment le développement de l’enfant. Ils affirment que, si l’enfantne découvre
pas lui-mêmerapidement les formes les plus satisfaisantes,il n’ensera que plus dis-
posé à accepter les conseilsd’autrui.En bref,ce système permet à l’enfant de réaliser
par ses propres moyens tous les progrès dont il est capable. D’après les résultats de
ses efforts, on adopte un programme d’enseignementqui l’aidera à se développer
selon ses aptitudes personnelles et à acquérir un type lisible d’écriture.
L’exposé précédent a montré que l’adoption d’un type déterminé d’écriture
présentait certains avantages, tandis qu’à d’autres égards il y avait intérêt à laisser
l’enfant découvrir le type d’écriture qui correspond le mieux à ses aptitudes. Le
chou dépendra dans une large mesure des circonstances. Lorsqu’on dispose d’un
corps enseignant bien préparé, familiarisé avec le développement des enfants et
capable d’adapter l’enseignementaux besoins individuels, le dernier système donne
d’excellents résultats. Mais, si le personnel enseignant est relativement peu préparé,
le premier système sera sans doute pour lui d’applicationplus facile et se révélera
vraisemblablement meilleur. C’est d’ailleurs lui qui est de beaucoup le plus suivi
aujourd’hui.Les maîtres ne doivent en tout cas jamais perdre de vue que chaque
individu a naturellement tendance à adopter le type d’écriture qui est le mieux
adapté à ses aptitudes personnelles.

Écriture verticale ou écriture penchée?

Si l’on admet qu’ilfaut adopter un type d’écrituredéterminé,lequel doit être retenu


parmi les types divers qui existent? Le problème qui a été le plus discuté et qui a
fait l’objet des plus nombreuses recherches - en dehors du choix entre l’écriture
a scriptD et la cursive -est celui des mérites respectifs de l’écriture verticale et de
l’écriturepenchée.Vers la fin du X I X s~iècle,on a commencé à penser que la pre-

I. DOTTRENS,op. cit., p. 45.


2. LAMMEL,op. cit., p. M.
3. FREEMAN,Frank N.,Child development and the curriculum, p. 159.

226
PrinciPesfondamentaux de l’enseignementde l’écriture

mière était supérieure à la seconde,parce qu’elle permettait à l’enfant de se mieux


tenir pour écrire et qu’elle fatiguait moins la vue. Les inconvénients auxquels les
partisans de l’écriture droite voulaient ainsi remédier tenaient à l’habitude qu’ont
les élèves qui écrivent penché de se tenir avec le côté droit contre le pupitre et le
coude gauche pendant. O n a en grande partie supprimé les inconvénients résultant
de là en faisant prendre à l’élèveune position de front, les deux bras reposant sur
la table; dans cette position, il a aussi les deux yeux à égale distance du papier.
Les avantages et les inconvénients des mesures proposées ci-dessusont été claire-
ment exposés dans le texte ci-après,où sont résumées les recherches effectuées et
les opinions des experts:( (Il est exact que,lorsque le papier est incliné,comme dans
le cas de l’écriture penchée, la tête tend à se tourner vers la gauche, ce qui peut
provoquer une certaine déviation de la colonne vertébrale. Cependant, la position
perpendiculaire à l’avant-bras,que l’on donne au papier pour écrire penché, se
prête mieux aux mouvements qu’il faut faire avec la tête et le bras. Elle permet à
la main de se déplacer sur le papier par un mouvement latéral de l’avant-bras,
avec le coude pour pivot. Les traits descendants des lettres s’exécutenttout natu-
rellementen direction du corps.Cette direction,combinée avec la position du papier,
détermine l’inclinaison de l’écriture.O n estime généralement que les avantages
obtenus du point de vue du mouvement l’emportent sur les inconvénients venant
de la tendance qu’a la tête à se tourner vers la gauche,encore qu’aucuneévaluation
scientifique de l’importance relative de ces facteurs n’ait été faitel.>)
D’autres études, mentionnées dans le résumé auquel le paragraphe ci-dessus
a été emprunté,montrent que ( (le mouvement latéralde la main obtenu par rotation
de l’avant-brasest un des plus faciles et des plus rapides» parmi les différents
mouvements étudiés. 11 est également prouvé que les mouvements dirigés vers le
corps (traits de haut en bas des lettres) ont la préférence sur tous les autres. C’est
la combinaison de ces deux ensembles de mouvements qui aboutit à l’écriture
penchée. En d’autres termes, les données dont on dispose actuellement sont en
faveur d’une écriture légèrement penchée. Elle n’indiquent pas, cependant, quel
est le meilleur des divers systèmes d’écriture penchée. C o m m e l’a souligné Fer-
nandez Huerta, il est actuellement impossible d’émettre des jugements en faveur
de tels ou tels systèmes parce qu’onn’a pas encore de preuves sur lesquelleson puisse
les fonder définitivement.

RÉPONSES À D’AUTRES QUESTIONS PARTICULIÈRES

D e nombreuses questions se posent au sujet des meilleures méthodes à adopter dans


certaines situations déterminées. Nous allons essayer de répondre à certaines de
ces questions, et ces réponses, sauf indication contraire, se fondent sur le résumé
des recherches sur l’écritureaque nous avons déjà mentionné dans le présent chapitre.

Les mouvements des doigts doivent-ils compléter, quand on écrit, les mouvements plus amfiles
du bras?
Les résultats de l’observation et de certaines études objectives montrent que les
enfants et les adultes ont,en général,tendance à combiner les mouvements du bras,
de la main et des doigts. Certaines études faites sur des enfants indiquent que ceux
qui font usage de mouvements combinés écrivent aussi bien que ceux qui n’emploient

I. «Handwriting», dans: MONROE,


Walter S., ed., op. cit., p. 525.
2. Ibid., p. 524-529.
L’enseignement de la lecture et de l’ém‘ture

que les mouvements du bras. La position de la main a une importance toute parti-
culière. Elle doit permettre de passer avec souplesse d’une lettre à l’autre et d’un
mot à l’autre.O n obtient ce résultat en appliquant le principe de la ( (traction »,
autrement dit en ((faisant appel aux mouvements du bras et au pivotement de la
main sur le poignet, les doigts restant souples sur la plume1».

Faut-il réserver des heures spéciales aux exercices d’écriture?


O n soutient parfois que l’on obtient de meilleurs résultats en attirant l’attention
des élèves sur les idées qui sont exprimées plutôt que sur l’actemême d’écrire.Bien
que les données dont on dispose à cet égard ne soient pas concluantes,( (les obser-
vations faites semblent indiquer qu’en général l’écriture est de qualité inférieure
lorsqu’il est fait usage exclusivement de la méthode indirecte D.

Existe-t-il un rapport entre le temps consacré aux exercices spéciaux d’écriture et le rythme des
progrès réalisés?
II ressort des données dont on dispose que ce rapport est faible, sinon inexistant.
O n a tenté d’expliquercette situation par l’absencede motifs d’intérêtet par l’emploi
de méthodes qui manquent d’efficacitéet de précision.

L’analyse des fautes d’écriturefacilite-t-elle beaucoup les progrès des élèves ?

Les résultats de plusieurs expériences montrent l’efficacité d’une telle analyse. Les
différentes méthodes d’analyse qui peuvent être employées seront étudiées dans la
section relative au ((diagnostic ».

Les crayons à bille et les stylographes doivent-ils être employés?

D e l’avis des spécialistes qui ont été consultés, le crayon à bille peut remplacer le
crayon ordinaire une fois passé le premier stade d’apprentissage de l’écriture, à
condition toutefois que ses dimensions s’accordentavec celles de la main de l’enfant.
Wright2 observe que l’emploi du stylographe libère de l’obligation de transporter
un encrier et permet de renoncer aux crayons ordinaires et aux crayons à bille qui
font des taches.Il y a là une critique implicite à l’égard des crayons à bille.

Faut-il permettre aux élèves d’écrire de la main gauche?


Les spécialistes de l’écriture ont souvent déclaré qu’il Saut déconseiller aux élèves
d’écrire de la main gauche parce que les conditions de l’acte d’écriresont plus favo-
rables à l’emploide la main droite3.Les psychologues,en revanche,déclarent qu’il
ne faut pas obliger les gauchers à écrire de la main droite,estimant qu’un change-
ment imposé par la contrainte se traduit par une écriture de qualité inférieure et
même, dans certains cas, par des troubles de la parole. Les données existantes
semblent autoriser les deux conclusions suivantes: il faut permettre aux enfants
qui sont nettement gauchers d’écrire de la main gauche)); ( (si l’enfant ne marque
pas nettement de préférence, mieux vaut lui apprendre à écrire de la droite)).
S’ilécrit de la main gauche,il lui faut renverser la position du papier sur le pupitre,
I. XIe CONFÉRENCE INTERNATIONALEDE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE, op. cit., p. 22.
2. WRIGHT, Op. C k , p. 194.
3. O n part ici de l’hypothèse que les caractères employés sont des caractères latins et que l’écriture
va de gauche à droite.

228
Primcifiesfondamentaux de I‘emeignement de l’écriture

c’est-à-direl’incliner légèrement vers la droite, ce qui fait qu’il obtiendra plus


facilementune écriture penchée en arrière qu’uneécriture penchée en avant.C o m m e
l’a fait remarquer Freemanl,il ressort de tout cet exposé qu’il faut,dès l’entréede
l’enfant à l’école,déterminer au moyen de tests appropriés s’il est plus adroit de
la main gauche ou de la main droite.

ÉVALUATION DES PROGRÈS DES ÉLÈVES EN ÉCRITURE

Pour évalAer les progrès de leurs élèves,les maîtres se sont toujoursfiés à leur propre
jugement; il est arrivé aussi qu’en rassemblant dans leur classe des échantillons
d’écritureet en comparant entre eux les échantillons recueillis à différents moments,
ils pussent se rendre compte de ces progrès. Depuis quelques années, ont été mises
au point des techniques objectives d’évaluation susceptibles d’être appliquées de
façon plus ou moins uniforme par le personnel enseignant des différentes écoles ou
collectivités. Les évaluations faites jusqu’à présent ont porté essentiellement sur
la rapidité et la qualité de l’écriture.
Pour évaluer la rapidité, le procédé habituellement employé consiste à déter-
miner le nombre de lettres tracées par l’élève en un temps donné. Pour que les
élèves écrivent sans s’arrêter pendant toute l’épreuve,on ne leur fait écrire que des
phrases qu’ilsont apprises par cœur ou des mots qu’ils connaissentbien. O n s’efforce
d’éviter qu’ilss’arrêtentd’écrire pour réfléchir à ce qu’ils écrivent ou pour essayer
de se rappeler le mot ou la phrase qui vient ensuite. La durée de cet exercice est
généralement de deux minutes. Il importe que tous les élèves commencent et cessent
d’écrire dès qu’on leur en donne le signal. O n compte ensuite le nombre de lettres
qui ont été tracées pendant l’épreuve,et c’esten général le nombre moyen de lettres
par minute qui sert à exprimer le résultat.
La qualité de l’écriture,d’autre part,est objectivement mesurée par l’application
d’une échelle spéciale, composée d’échantillons d’écritures, qui sont rangées par
ordre croissant de qualité. La première échelle de ce genre a été publiée en 1910
par Thorndike2.Parmi celles qui ont été publiées tout récemment, deux ont été
mises au point en Espagne: celle de Fernhndez Huerta3 et celle de 1’EscuelaEspecial
de Orientacion y Aprovechamiento, de Valence4 (voir fig. 18). Une échelle spé-
cialement conçue pour l’évaluationdes écritures d’adultes5a été publiée dès 1920
par la Russel Sage Foundation (voir fig. 19).
L’échelle reproduite à la figure 18 a été établie par un procédé relativement
simple. Vingt-quatreéchantillons d’écriture particulièrement représentatifs ont été
prélevés sur l’ensemble de ceux qui avaient été apportés par 2.330 élèves. Onze
maîtres ont été invités à procéder chacun à leur classement par ordre de qualité.
La moyenne des onze numéros d’ordre ainsi attribués à chaque échantillon a été
considérée comme constituant l’indice de qualité de cet échantillon. L’ordre de
priorité a été déterminé par l’emploi de la technique Catell Well. En prenant de
deux en deux les échantillons ainsi classés, on a établi deux échelles dont l’une est
reproduite sur la figure 18.

I. FREEMAN,Frank N.,Teaching handwriting, p. 20-22.


2. THORNDIKE,E. L.,«Handwriting», Teachers college record, vol. I 1, 1910,p. 1-93.
3. FERNANDEZHUERTA, José, op. cit.
4. «Medida del rendimiento escolar: el nosograma», Revista de Psicologia y Pedagogia Aplicadus, vol. 1,
no 1,p. 65-98; no z, p. 61-98, 1950.Valence, Escuela Especial de Orientacion y Aprovechamiento
del Excmo. Ayuntamiento.
5. AYRES, Leonard P.,A scab for memuring the quality ofhandwriting of adults, N e w York, Russel Sage
Foundation, 1920, p. I I.
L’enseignement de La Lecture et de l’écriture

Pour se servir d’unetelle échelle,le maître place l’échantillon d’écriture à éva-


luer en face du meilleur échantillon de l’échelle (modèle 1 de la figure 18).Il le
déplace ensuite le long de l’échelle en allant du modèle 1 vers les modèles III, V et
suivantsjusqu’àce que l’échantillonà évaluer se trouve en face d’unéchantillon type
avec lequel il présente une très grande ressemblance. Le maître refait ensuite l’opé-
ration en sens inverse,en allant de l’échantillontype le plus mauvais vers le meilleur.
Lorsqu’il a réussi à faire concorder les résultats, l’échantillon à évaluer reçoit la
note attribuée à l’échantillon type. Il est en général souhaitable de procéder à trois
évaluations distinctes avant de donner une note définitive.
Bien entendu, l’emploi d’une échelle d’évaluation fait intervenir le jugement.
Un m ê m e échantillon d’écriture ne sera pas toujours noté de même façon par deux
personnes. Quoi qu’il en soit,les expériences ont montré que l’emploi des échelles
de ce genre a permet d’arriver à des évaluations plus sûres et que l’initiation des
maîtres à leur emploi accroît la validité de la notation1».
L’évaluation objective de la rapidité et de la qualité de l’écriturerend possibles
toutes sortes d’études:elle permet d’apprécier les progrès et les besoins de chaque
élève;elle permet aussi de comparer entre eux les résultats obtenus dans différentes
classes, écoles ou régions; elle permet de déterminer les avantages respectifs des
différentes méthodes d’enseignement de l’écriture; elle permet enfin d’aborder
d’autresproblèmes liés à l’enseignementde l’écriture.O n trouvera aux chapitres x
et XI des exemples propres à illustrer l’emploi de ces méthodes objectives d’éva-
luation.

DIAGNOSTIC ET REMÈDES

Toujours les maîtres ont étudié avec soin la nature des difficultés auxquelles se
heurtent les enfants et les adultes qui apprennent à écrire et, se fondant sur les
données ainsi recueillies, ont apporté à chaque élève le genre d’aide dont il avait
besoin. Mais depuis quelques années de grands progrès ont été réalisés dans la mise
au point de méthodes propres à répondre de façon plus objective et plus efficace à
ces mêmes fins.
Dès 1915, Freeman2a mis au point une échelle analytique pour l’évaluationde
l’écriture (voir figure 20). Elle est faite d’échantillons types dont la qualité a été
déterminée en fonction de cinq éléments: uniformité d’inclinaison,alignement, lar-
geur des traits,forme des lettres et espacement.En se conformant au mode d’emploi
joint à cette échelle,un maître peut identifier les différents types de fautes d’écriture.
Il devient dès lors possible d’établir un programme efficace pour la correction des
fautes de chaque type.
O n peut également,pour se rendre compte des défauts et des besoins de chaque
élève,se servir d’unea fiche d’appréciationde l’écriture3», comme celle que repro-
duit la figure 21. Cette fiche porte sur les particularités suivantes: accentuation des
traits, inclinaisons, dimensions, alignement, espacement des lignes, tracé des mots
et des lettres,formation et netteté des lettres. Son emploi permet d’étudieren détail
les besoins de chaque élève et de mettre au point des méthodes d’enseignementeffi-
caces.Les rubriques prévues sur la fiche varient,bien entendu,selon les caractéris-
tiques prédominantes des modes d’écriture correspondant aux différentes langues.

I. «Handwriting», dans: MONROE, Walter S., ed., op. cit., p. 528.


2. FREEMAN,Frank N.,«An analytical scale for judging handwriting)), Elementary schooljournal,vol. IV,
‘9’5, P. 432-44’.
3. GRAY, C.T.,Gray’s score card for the memurement of handwriting.
Principes fondamentaux de l’enseignement de l’écriture

C’est,parmi les ouvrages récents, celui de Fernandez Huerta1qui donne le meilleur


aperçu des efforts accomplisjusqu’à présent pour la mise au point d’échellesanaly-
tiques et de fiches d’appréciation de l’écriture.Il contient une importante biblio-
graphie où sont énumérés plus de deux cents rapports ou études scientifiques sur
des questions d’écriture, rédigés dans divers pays.
Certaines difficultés particulières que rencontrent les élèves pour apprendre à
écrire ont retenu dans plusieurs pays l’attention des spécialistes. A la suite d’expé-
riences faites en Italie sur des élèves ayant du mal à apprendre,Maria Montessori2
a constaté qu’on pouvait aider considérablement ces sujets en leur faisant tracer
des lettres dans l’espace ou sur des modèles spéciaux. En France, Bonnis3 a fait
des études sur des enfants retardés,dont certains étaient gauchers,et d’autresavaient
des troubles de la parole. Pour aider ces enfants à se familiariser complètement
avec les lettres et leurs formes différentes,elle imagina des méthodes d’enseignement
de l’alphabetqui fussent aussi simples,aussi amusantes et aussi efficaces que possible.
Les lettres étaient imprimées sur de petits tableaux,où se trouvaient également une
image et le mot correspondant; chaque mot commençaitpar la lettre à apprendre.
Par d’intéressantsprocédés, tenant du jeu, on arrivait à créer des associations entre
la forme de la lettre, le son correspondant et un objet connu.
Dans des études poussées,faites sur des enfants qui avaient du mal à apprendre
à lire, M m e Borel-Maisonny4a constaté que ceux dont la déficience était due à un
défaut d’orientation(mauvaiseappréciation de l’ordre et de la position correcte des
lettres) éprouvaient également de la difficulté à apprendre à écrire. Plusieurs cher-
cheurs ont dégagé l’intérêt que présentent pour remédier à ce défaut les exercices
de tracé. M m e Borel-Maisonny a également constaté que les difficultés éprouvées
en apprenant à écrire peuvent être dues à un manque de coordination motrice ou
à d’autres déficiences physiques ou neurologiques auxquelles on ne peut souvent
remédier qu’avec l’aide de spécialistes.

CONCLUSIONS

Le présent chapitre montre que,si avant le X I X ~siècle les méthodes d’enseignement


de l’écriture n’ont subi que de rares et lentes modifications, elles ont fait, au con-
traire, depuis quelques dizaines d’années, l’objet de réformes qui se sont succédé
rapidement. En retraçant cette évolution,nous avons apporté une attention parti-
culière aux principes et aux méthodes, dans l’enseignement de l’écriture,qui s’ap-
puient sur les résultats d’expérienceset de recherches.Nous avons également signalé
un certain nombre de questions controversées qui mériteraient d’être étudiées de
plus près. Nous allons maintenant traiter,dans les deux chapitres qui viennent, des
caractères des programmes d’enseignement de l’écriture convenant aux besoins des
enfants et des adultes, et de leur mise au point.

I. FERNANDEZHUERTA,
José, op. cit.,
2. MONTESSORI, Maria, Fonnarione a’ell’uomo; pregiudize et nebule. Analfabetismo mondiale. Cernusco su1
Naviglio (Italie), Garzanti, 1949,p. 109-1 IO.
3. BONNIS, L., ((Apprentissage de la lecture (simplificationet combinaison des méthodes en usage)»,
Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale, bulletin mensuel no 405, IV-VI, avril-juin 1952,
p. 125-128; no 407,IX-XI, octobre-novembre 1952,p. 174-180.Paris, Société Alfred Binet.
4. BOREL-MAISONNY, Mme S.,«Comment apprendre à lire; méthode combinée [...] spécialement
pour enîants présentant des troubles du langage et rencontrant des difficultés», Psychologie a’e
-
l’enfant et pédagogie expérimentale, bulletins nos386 et 387, décembre 1948 mars 1949,p. 343-394,
Paris, Société Alfred Binet.
A N N E X E
Principes fondamentaux de l'enseignement de l'écriiure
233
L.'en.seignement de la Lxture et de l'écriture
Princ$es fondamenium de l'enseignement de l'écriture

Uniformity of Slant

Uniformity of Alinement

Quality of Line

Letter Formation

Fig. 20. Tht Freeman chart for diagnosing faults in handwriting (Tableau de Freeman pour le diagnostic
des défauts d'écriture), Cambridge (Massachusetts), The Riverside Press.

235
L>meignernent de la lecture et de l’écriture
-

Standard Score Card for Measuring Handwriting


*Y
C. TRUMAN GRAY.
Pupil................................................ A g e ............... Date ....................................
Grade............................................. School....................................
Sample N u m b e r .....................
- - --
Teacher....................................

Sample
8 É 4 8 8
2M 5Y 9 3m
-- - - 0-
........ ..... ..... ....
1. Heaviness ....... 3
........ ..... ..... ....
2. Slant ................ 5
Uniformity
Mixed
........ ..... ..... ....
7
Too large
Too small
4. dignment ........................... 8 ........ ..... ..... ....

5. Spacing of lines .................. g ......... ..... ..... ....


Uniformity
Too close
Too far apart
6. Spacing of words .................. I I ......... ... ..... ..... ....
Uniformity
T o o close
Too far apart
7. Spacing of letters ............... 18 ......... ... ..... ... ..... ....
Uniformity
Too close
Too far apart
8. Neatness ............................. ‘3 ........ ... ..... ... ..... .....
Blotches
Carelessness
9. Formation of letters ............ (26)
........ ... ..... ... ..... .....

Smoothness ..................... 6 ........ ... ..... ... ..... .....

Letters not closed ............ 5 ........ ... ..... ... ..... .....

Parts omitted .................. 5 ........ ... ..... ... ..... .....

Parts added ..................... 2 ........ ..... ..... .....

TOTAL S C O R E ......
-........ .....
- --
..... .....

Scored by .............................................................................................

Fig. 21. A score Gard for the measurement of handwriting (Fiche d’appréciation de l’écriture). Cette
fiche indique les éléments à prendre en considération pour apprécier la qualité de l’écriture
et la note maximum qui peut être obtenue pour chacun de ces éléments. Ces valeurs ont été fixées
par combinaison des avis de plusieurs spécialistes de l’écriture.Pour plus de détails concernant l’éta-
blissement et l’emploi de cette fiche, voir: Gray, C. Truman, « A score card for the measurement of
handwriting)), Bulletin of the University of Texas, no 37, l e * juillet 1915,p. 45.

236
CHAPITRE X

L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCRITURE
A U X ENFANTS

Pour enseigner l’écriture à tous les enfants d’âge scolaire, il faut des programmes
d’une ampleur suffisante et qui soient bien adaptés au degré de maturité des
élèves, à leurs capacités,aux préoccupations de leur âge et à leurs besoins futurs.
Les problèmes qui se posent à cet égard varient considérablement avec les écoles.
Pour les établissements nouvellement créés, il s’agit de mettre sur pied des pro-
grammes fondés sur de bons principes et bien adaptés aux conditions et aux besoins
locaux.Ailleurs,les programmes existants devront faire l’objetd’un examen critique
et être modifiés d’après les leçons de l’expérienceet de la recherche. Ceux à qui ces
tâches seront confiées trouveront peut-être quelque utilité au présent chapitre1,
qui définit le but à atteindre,l’objetet la structure du programme,enfin les méthodes
d’enseignement,en fonction des faits et des principes de base énoncés au chapitre IX.

R Ô L E A C T U E L D E L’ÉCRITURE D A N S L A V I E D E L’ENFANT

Afin de pouvoir établir un bon programme pour les écoles primaires,il est indispen-
sable de bien comprendre tout d’abord le rôle que joue l’écrituredans la vie de
l’enfant.En dehors de l’école,les enfants s’en servent pour de nombreux usages.
Par exemple, ils inscrivent leur nom sur les objets auxquels ils tiennent; divers
jeux, de plein air ou d’intérieur,leur donnent l’occasiond’écrire; ils mettent des
titres à leurs dessins; ils s’adressent mutuellement des invitations; ils écrivent des
lettres à leurs parents et amis. L’expérience montre que si l’on se fonde,au moins
en partie, sur ces applications pratiques de l’écriture et sur les besoins dont les
enfants ont conscience,ceux-ciseront tout disposés à.faire les exercices qu’on leur
indique et mettront toute leur énergie à apprendre à écrire.
D’autre part, l’écriture est maintenant employée plus ou moins régulièrement
pendant toute la journée scolaire,pour aider à l’enseignement d’autres disciplines.
Les enfantsécrivent les mots nouveaux qui se présentent dans leurs leçons de lecture;
ils prennent note, très simplement, de ce qu’ils apprennent par l’observation,par
les discussions en classe et par la lecture;enfin,ils se servent couramment de l’écriture
pour les exercices et les devoirs. Pour que l’écrituresoit d’une qualité satisfaisante
dans ces diverses activités,il est indispensable que les enfants soient guidés de façon
presque continue.A la fin des études primaires,les élèves doivent avoir fait des pro-
grès marqués et pris l’habitude d’écrire correctement,aussi bien lorsqu’ils écrivent
spontanément que pour les exercices imposés.

I. O n s’est beaucoup servi, pour ce chapitre, des données de fait, des principes et des recornmanda-
tions contenusdans les quinze référencesqui figurent dans la note 1, p. z 14et 215 du chapitre IX.

237
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

Enfin, l’écriture est un excellent moyen d’expression personnelle. Aussi, à peu


près partout, les enfants sont-ilsencouragés à coucher sur le papier, chaque jour,
les idées et les réflexions que leur inspirent les problèmes qui les intéressent le plus.
A ce niveau, l’écritureest beaucoup plus qu’une technique; c’est un moyen indis-
pensable à l’expression de la personnalité. L’enseignement doit donc être donné
de telle sorte que ( (l’écrituredevienne un instrument souple et efficace permettant
d’exprimer la penséel ».
La nature et l’ampleurdes activités qui comportent de l’écriturevarient consi-
dérablement avec les écoles. Cette variété est due aux différences qui existent dans
le niveau culturel des diverses communautés, dans l’étendue des programmes sco-
laires,ainsi que dans la formation des maîtres et leurs facultés d’imagination.
Il faut malheureusement reconnaître que, dans la plupart des écoles,l’enseigne-
ment de l’écriture,tel qu’il est donné au cours des premières années, a pour seul
but d’améliorer la qualité de la présentation.
Il serait donc urgent, dans la plupart des cas, d’examiner attentivement celles
des activités comportant de l’écriture qu’il convient d’encourager pour faire res-
sortir les divers usages que les jeunes enfants ont à faire de l’écriture dans la vie
quotidienne; ses emplois à l’école,en tant qu’auxiliaire des autres disciplines, et
les possibilités qu’elle donne aux enfants d’exercer leurs facultés mentales et de
s’exprimer librement. Les faits ainsi mis au jour permettraient d’établir un pro-
gramme prévoyant l’emploi de l’écriture à maintes fins qui présentent un intérêt
véritable pour les enfants, ce qui les amènerait à prendre conscience de la valeur
de l’écriture,et les inciteront à travailler énergiquement pour acquérir les méca-
nismes nécessaires.

BUTS ET S T R U C T U R E D U P R O G R A M M E

Il ressort des observations qui précèdent qu’un programme d’enseignement de


l’écriture doit avoir deux buts principaux: il faut que l’enfant apprenne rapide-
ment à écrire de façon nette,lisible, et avec une vitesse suffisante,à la faveur d’acti-
vités judicieuses qui éveilleront son intérêt et susciteront ses efforts. D’autre part,
il importe d’encourager chaque enfant à faire usage fréquemment de l’écriture,
jusqu’àce qu’il arrive à écrire, en toutes circonstances,aussi bien qu’on peut nor-
malement l’espérer.
Répétons que l’enseignement doit toujours être adapté au degré de maturité
des enfants, à leurs capacités ainsi qu’aux préoccupations et aux besoins de leur
âge. Il convient également de prévoir leurs besoins futurs et de les y préparer. Les
efforts qui ont été déployés dans de nombreux pays pour mettre au point des pro-
grammes conformes à ces principes ont permis de dégager des conclusions dont on
pourra utilement tenir compte.
Etant donné que de nombreux enfants,lorsqu’ilsentrent à l’école,ne sont pas
en état d’acquérir facilement la technique de l’écriture,il convient de les y pré-
parer au moyen d’exercices spéciaux2. D’autre part, le plus grand nombre des
jeunes enfants ne peuvent pas assimiler,dès le début,les formes complexes d’écriture
que pratiquent généralementles adultes. Pour surmonter cette difficulté,on emploie

I . FREEMAN,Frank N., Teaching handwriting, Washington, Department of classroom teachers and


American Educational Research Association of the National Education Association, I 954, p. 3.
(W h a t research says to teachers, 4.)
2. CRUZGONZALEZ, Adrian, et MOYA, Bolivar, ((Instrucciones para enseiianza de la lectura y la escri-
tura por el método global», Carta circular, no 1 (de la Mision de asistencia técnica de la Unesco),
San José (Costa Rica), 1954,7 pages (miméo.).
L‘enseignement de l’écriture aux enfants

maintenant couramment des formes d’écriture simplifiées,pendant les deux pre-


mières années au moins de l’enseignement primaire. Les formes plus complexes
d’écritureen usage dans la vie courante sont enseignées par la suite, après que les
élèves ont appris à mieux régler leurs mouvements.Les programmes d’enseignement
de l’écrituredevraient donc comprendre trois stades successifs.
Premier stade: Préparation à l’écriture;
Deuxième stade: Apprentissage de l‘écriture;
Troisième stade: Assimilation des formes complexes d’écriture.
L’utilité de ces trois stades ressort surtout des indications émanant de pays qui
emploient une écriture alphabétique et se servent de l’alphabet latin. Cependant,
les éléments d’information provenant d’autrespays permettent de penser que cette
méthode est également valable dans tous les cas. L’examen des programmes actuels
montre que dans toutes les écoles primaires on s’efforce d’arriver aux résultats du
troisième stade. D e même, la nécessité des exercices préparatoires qui constituent
le premier stade est reconnue à peu près partout. C’est le deuxième stade qui pré-
sentede véritables problèmes.O n s’accordebien à reconnaître que les jeunes enfants
éprouvent des difficultés à assimiler les formes complexes d’écriture, mais il est
difficile de mettre au point des formes simplifiées qui puissent servir dans la plupart
des langues qui emploient actuellement des caractères très compliqués. O n trou-
vera ci-aprèsquelques indications sur les mesures qui sont prises, dans des cas de
ce genre, pour simplifier le processus d’enseignementde l’écriture.

Premier stade :Préparation à l‘écriture

A u premier stade, on a essentiellement pour but de faire naître chez l’enfant un


vif désir d’apprendre à écrire et de le préparer à acquérir la technique nécessaire
sans trop de difficultés. Cet entraînement préparatoire doit avoir lieu, autant que
possible, avant que les enfants n’aient commencé d’apprendre à lire, de telle sorte
que l’enseignementde l’écritureet celui de la lecture puissent débuter à peu près
en m ê m e temps. Pour ceux qui,en entrant à l’école,sont plus âgés que la moyenne,
cet entraînement peut avoir lieu en même temps que le début de l’enseignementde
l’écritureproprement dit.
Il y a de nombreuses années déjà que Maria Montessoril déclarait, à la suite
d’une longue série d’expériences pédagogiques, que l’acte d’écritureexigeait à la
fois de l’intelligenceet un bon mécanisme moteur, celui-cise décomposant en deux
séries de mouvements : l’une destinée à manier l’instrument de l’écriture,l’autre
à dessiner la forme des lettres. La préparation mentale consiste à faire comprendre
à l’enfant,par l’expérience,la valeur de l’écritureet à éveiller en lui le désir d’ap-
prendre à écrire.L’éducation motrice se fait au moyen d‘exercicesqui lui apprennent
à tenir l’instrumentde l’écritureet à effectuer les mouvements les plus simples.

QUI PRÉPARENT A L’ÉCRITURE


EXERCICES PR~SCOLAIRES

Certaines formes d’expérience pratique qui préparent à l’écriture sont acquises


automatiquement dans le jeu et dans les diverses activités qui précèdent l’entrée
des enfants à l’école.D’une façon générale,l’enfant qui joue avec d’autresenfants
et se sert beaucoup de ses mains développe en lui les facultés motrices et les habi-

I. MONTEGSORI, Maria, Pédagogie scient8que; la découverte de L’enfant, Paris, Desclée de Brouwer, 1952
p. 158.

239
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

tudes de discrimination visuelle dont il aura besoin pour apprendre à écrire.D’autre


part, s’il est élevé dans un milieu où l’on a l’habitude d’écrire,il arrivera à l’école
en ayant déjà une certaine compréhension de ce qu’est l’écriture et de quelques-
unes de ses applications. Il se peut même qu’il ait un vif désir d’apprendreà écrire.
S’iln’a pas l’habitudede voir écrire autour de lui,sa préparation sera surtout senso-
rielle et motrice. D u fait des grandes différences qui existent dans leur rythme de
développement,l’aptitude des enfants à écrire lorsqu’ilsarrivent à l’école varie sen-
siblement.
Les maîtres devraient toujours s’efforcer de déterminer si un enfant est prêt
à apprendre à écrire, en observant avec soin,au cours des différentes activités sco-
laires,s’il est capable de régler ses mouvements et s’il possède les aptitudes visuelles
nécessaires. Par des entretiens avec les élèves sur G ce qu’ils voudraient faire à
l’école», le maître peut découvrir dans quelle mesure ils sont désireux d’apprendre
à écrire. Ces observations et ces entretiens doivent lui permettre de déceler les
différencesindividuelles et de prévoir les types de stimulants et d’exercicesnécessaires
dans chaque cas.

EXERCICES EN CLASSE

Les exercices préparatoires les plus efficaces ont été étudiés dans plusieurs paysl.
L’espace limité dont nous disposons ne nous permettra que d’en citer quelques-uns.
D’aprèsFreinet2,la préparation à l’écrituredoit faire partie du processus(c naturel>>
de développement des enfants. Aussi, dans les écoles qu’il dirige,les premières acti-
vités des enfants sont-ellesexemptes de toute solennité; elles sont également variées
et adaptées à leurs préoccupations immédiates. O n s’attache néanmoins à orienter
leur développement dans la direction voulue. Selon le processus décrit au cha-
pitre IX,l’enfantcommence à s’exprimer par le dessin, ce qui développe les capa-
cités motrices dont il aura besoin pour écrire. Après quelque temps,il éprouvera
le désir d’écrire et des modèles seront mis à sa disposition pour qu’il puisse les
copier. Gabrielli3 déclare que beaucoup des méthodes actuellement en usage en
Italie, tout en étant conformes aux principes de la méthode c naturelle », sont fon-
dées aussi sur l’idéeque le dessin et les exercices d’écriturepréparatoiresne doivent
pas être uniquement spontanés,mais faire intervenir aussi la mémoire par la repro-
duction de modèles.
En Allemagne,une méthode appelée Sprechspur4 connaît une certaine popularité.
En lisant une phrase écrite sur le tableau noir, le maître fait en même temps des
mouvements rythmiques de la main qui sont imités par les élèves. Ces mouvements
correspondent exactement aux inflexions de la voix. Le but n’est pas de reproduire
les lettres ou le mouvement des lèvres, mais bien d’établir une équivalence aussi
étroite que possible entre les sensations sonores et la sensation du mouvement.
Cette méthode, a-t-ondit, aide l’enfant à comprendre la structure du langage et
de l’écriture,à appréhender les concepts représentés par écrit en des mots et des
membres de phrase, et à découvrir les signes graphiques correspondants. Elle lui

I. CRUZGONZALEZ, Adriin, et MOYA, Bolivar, op. cit.


2. FREINET,C.,Méthode naturelle de lecture,Cannes,Editions de 1’Ecolemoderne française,1947,4gpages,
ill. (Brochures d’éducation nouvelle populaire, no 30, mai 1947.)
3. Gabrielli, Giorgio, dans sa préface à: AGAZZI,Aldo, L’apprendimento del leggere e delle scrivere (fonda-
menti e didattica del cmetodo naturab»), ?“éd. augmentée, avec un appendice sur l’enseignement
de l’italien, Brescia, « L a Scuola)) Editrice, 1951,p. 17.
4. MOERS, Martha, a Die Kindertümlichkeit der Sprechspur)), Psychologische Runhchau,tirage à part
d u vol. 3, no 1, d u Handbuch der Sprechspur, Bochum, Verlag Ferdinand K a m p , 1952.
L’enreigmrnent de l’ècriture aux enfants

permet en outre de comprendre le rôle des lettres dans l’acte de l’écriture,ce qui
le met à même de réaliser des progrès en écriture et en lecture.
Dans les écoles maternelles et les écoles enfantines modernes on a largement re-
cours, pour préparer les enfants à l’écriture,à des activités variées, laissant une
grande liberté à l’enfant, et répondant à ses goûts. Les capacités motrices sont
développées par les jeux,les constructions,le modelage et le dessin. D’autresmoyens
sont mis en œuvre en m ê m e temps; par exemple, le maître pourra écrire le nom
des élèves sur leur pupitre,sur leurs livres ou sur d’autresobjets,ou bien il rédigera
des étiquettes qu’il collera ensuite sur des boîtes contenant diverses catégories de
matériel, ou encore il écrira au tableau,chaque matin,le no-mdu jour de la semaine,
ainsi qu’une liste des principales activités de la journée. Eventuellement, il écrira
sous la dictée des élèves une lettre à un de leurs camarades malade.
Grâce à de nombreux moyens de ce genre, l’enfant éprouvera le désir de voir
ses pensées mises par écrit et il assimilera des impressions visuelles utiles concernant
la direction et l’enchaînementdes traits. C’est ainsi que les enfants apprennent plus
ou moins inconsciemment la correction des formes, le bon arrangement des lettres
et même l’emploi de la ponctuation. Il est très important qu’ils soient préparés,
mentalement et physiquement,avant de s’attaquerà ce qui est pour eux une tâche
nouvelle et difficile.
L’utilité particulière de différentsexercices ressort des résumés ci-après,portant
sur le système pratiqué à Genève (Suisse):a découpage-collage (légèreté,précision,
goût); modelage (souplesse, délicatesse du doigté); peinture-dessin (légèreté,pré-
cision,goût); exercices sensoriels du toucher et de la vue (observation des formes);
exercices musculaires des doigts, du poignet, de l’avant-bras (assouplissement,
tenue)l». En outre, dans beaucoup d’écoles,on pratique des exercices inspirés de
la méthode Montessori,qui s’apparententplus étroitement aux mouvements qu’exige
l’acted’écrire;ils consistent par exemple à a tracer des lettres dans le sable2>> et à
a toucher des lettres avec le doigt,la craie ou le crayon)). Dans certains pays, tels
que le Chili, on donne aux élèves des plaques de cuivre portant des lettres, des
chiffres et des images dont ils peuvent suivre le tracé. Cette méthode permet d’in-
culquer à l’enfantla sensation correspondant à l’acte d’écrire en faisant intervenir
à la fois la vue et le toucher.
Des renseignements provenant de l’Inde3,où l’on emploie des caractères com-
plexes, indiquent que les types suivants d’exercices préparatoires sont en usage,
notamment dans la province de Bombay: I. Tracé de lignes droites, penchées,
courbes,de demi-cercles,etc.; 2. Tracé de lettres dans le sable ou la sciure; 3. For-
mation de lettres au moyen de fil de fer,de bâtonnets,de graines, etc.;4.Les enfants
collent du sable sur des lettres dessinées au préalable par le maître sur des fiches
de carton; 5.Tracé de lettres sur l’ardoiseavec le doigt ou sur une surface blanchie
au préalable avec le crayon d’ardoise;6.Les enfants tracent la lettre en l’airavec
le doigt.>)

DURÉE DE L’ENTRA~NEMENT

Les exemples qui précèdent montrent la grande variété des méthodes que l’onemploie
aujourd’hui pour préparer les enfants à apprendre à écrire sans trop de difficulté.

I. XIeCONPÉRENCE I N T E m A n o N A m DE L’INSTRUCTION PUBLIGUE, L’enseignement de l‘écriture, Paris,


Unesco; Genève, Bureau international d’éducation, 1948, p. 15-16. (Publication no 103.)
2. J o w m , Harold, Suggested methods for the African schools, Londres, Longmans, Green and Co., 1951,
p. 213-214.
3. Xie CONP~RENCE INTERNATIONALE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, op. cit., p. 84.
L’enseiPnernent de la lecture et de l’écriture

Certaines de ces activités n’ont que des rapports lointains avec l‘écriture,alors que
d’autresont déjà été en faveur dans le passé pour les premières phases de I’enseigne-
ment systématique de l’écriture.Il n’a pas été possible d’établir scientifiquement
leurs mérites respectifs. O n peut cependant reprocher à certaines d’entre elles de
partir du principe qu’il faut apprendre d’abord à tracer les éléments des lettres.
Il semble bien que l’on doive préférer au début les exercices qui ne sont pas
trop spécialisés et qu’il faille les continuer jusqu’à ce que l’enfant exprime un vif
désir d’apprendre et possède une assez grande maîtrise de ses muscles pour tenir
les instruments de l’écritureet faire les mouvements nécessaires.Si,pour des raisons
pratiques, on est obligé de commencer l’enseignement de l’écriture,alors que cer-
tains élèves ne sont pas encore véritablement prêts à en tirer profit, il conviendra
de poursuivre les exercices préparatoiresen même temps que l’enseignementpropre-
ment dit.

D e u x i è m e stade: Apprentissage de l’écriture

Ce deuxième stade est celui de l’initiationà l’écritureproprement dite. Il commence


dès que les élèves ont acquis une maîtrise de leurs mouvements suffisante pour
apprendre les formes d’écrituresimples,mais non pour assimiler celles qui sont très
complexes.Les formes et les styles d’écriture employés dans les diverses régions du
monde diffèrent considérablement et il se pose de ce fait un certain nombre de pro-
blèmes. Ces problèmes seront examinés sous six rubriques: buts à atteindre,rapports
entre l’enseignement de l’écriture et les autres activités scolaires; les instruments
et le matériel;les méthodes d’enseignement;comment déceler les défauts et comment
y remédier;enfin,conseils à donner aux élèves sur l’emploide l’écriture.

BUTS À ATTEINDRE

La formation donnée au cours du deuxième stade a pour principal objet dedéve-


lopper chez l’enfant les mécanismes nécessaires pour des activités simples faisant
appel à l’écriture.O n s’attachera donc à obtenir les résultats suivants:
I. Développer chez l’enfant le goût de l’écriture;
2. L’amener à se rendre compte des multiples utilités de l’écriture;
3. Favoriser le développement ordonné des attitudes et des mécanismes nécessaires;
4. Aider les élèves à surmonter les difficultés qu’ils éprouventen étudiantsoigneuse-
ment la nature et l’origine de ces difficultés et en s’efforçant d’y remédier par
des moyens appropriés à chaque cas;
5. Encourager les élèves à employer l’écriture pour leurs besoins personnels et
leurs études, et comme moyen d’exprimer leur pensée;
6. Les préparer à aborder le stade suivant,d’un niveau plus élevé.
Dans l’ensemble,ces buts sont atteints au bout de deux ans d’école.

RAPPORTS ENTRE L’ENSEIGNEMENTDE L’ÉCRITURE ET LES AUTRES ACTIVITÉSSCOLAIRES

En établissant un programme d’enseignement de l’écriture,il importe d’étudier


attentivement les rapports entre cet enseignement proprement dit et les autres
activités scolaires. L’examen des méthodes actuellement en usage montre qu’il existe
au moins quatre types de programme.
Dans le premier type, toute la formation de base est donnée au cours de leçons
L’enseignement de l‘écriture aux enfants

spécialement consacrées à cet enseignement, et elle a essentiellement pour but


d’apprendre aux enfants à écrire aussi rapidement et aussi bien que possible. O n
ne se préoccupe guère de l’usage que l’enfant peut faire de l’écriture dans sa vie
quotidienne ni des rapports entre l’enseignementde l’écriture et les autres activités
scolaires,notamment les autres arts du langage. Les manuels employés sont géné-
ralement dus à des spécialistes de l’écriture et sont conçus de manière à assurer
un progrès régulier, depuis les formes les plus simples jusqu’aux plus complexes.
Quels que soient les mérites de cette méthode, elle enfreint certains principes de
saine pédagogie qui sont énoncés au chapitre IX et elle a l’inconvénientde ne pas
développer toutes les attitudes et tous les mécanismes nécessaires au cours de ce
deuxième stade.
U n deuxième type d’enseignement de base associe étroitement l’écriture à la
lecture1 et fait usage principalement des textes qui figurent dans les manuels élémen-
taires de lecture. Les partisans de cette méthode lui trouvent les avantages suivants:
économie de matériel d’enseignement,suite bien définie d’activités d’écritureque
la plupart des maîtres peuvent diriger facilement, et coordination étroite entre la
lecture, l’écriture et l’orthographe,les progrès réalisés dans l’un de ces domaines
facilitant les progrès dans les deux autres.
Certaines données expérimentales vont à l’encontrede ces considérations2 et le
système en lui-même a été vivement critiqué pour plusieurs raisons: il n’incite
guère les élèves à s’exercer;si l’on emploie la méthode synthétique,leur attention
est concentrée sur les éléments des mots avant qu’ils puissent en saisir la significa-
tion,soit à la lecture,soit lorsqu’ils écrivent;elle les habitue à considérer que l’écri-
ture consiste surtout à copier des modèles plutôt qu’à exprimer des idées; enfin,
elle néglige souvent les nombreux services que l’écriturepourrait rendre aux enfants
pour les aider à progresser dans d’autres matières du programme.
Une troisième méthode fait de l’enseignementde l’écritureune partie intégrante
du programme d’ensemble dont tous les éléments sont étroitement coordonnés.
O n en trouvera un exemple au chapitrev,p. I 14et I 19.Cette méthode présente plu-
sieurs avantages : des cas concrets témoignent de l’utilité de l’écriture;les enfants
s’appliquentparce qu’ilsont des raisons précises d’apprendreà écrire;l’enseignement
de l’écritureest étroitement lié à la plupart des autres activités scolaires,notamment
aux autres arts du langage;l‘enseignementest bien adapté au développementmental
de l’enfant;une certaine liberté est laissée aux élèves en ce qui concerne le choix d’un
style d’écriture. Cette méthode cependant n’est pas encore très répandue, parce
que l’onconsidère généralement qu’elle ne peut être appliquée que par des maîtres
possédant une assez grande expérience.
Une quatrième formule consiste à enseigner l’écriture dans le cadre d’un pro-
gramme général des arts du langage. Une leçon spéciale est réservée chaque jour
pour des activités qui développent les divers arts du langage -audition,élocution,
lecture, écriture, orthographe et expression écrite. Dans de nombreuses écoles, une
partie de la journée est consacrée à l’un de ces arts du langage. Ailleurs, le temps
prévu pour l’ensemble des arts du langage est divisé en deux parties : l’unepour
l’enseignement quotidien de la lecture, l’autre pour les autres matières. Dans ce
dernier cas, chaque discipline peut être enseignée séparément, ou bien il n’est
prévu qu’une leçon au cours de laquelle, suivant les jours et les besoins, on met
l’accent sur telle ou telle matière. Les connaissances ainsi acquises sont appliquées
I. Les avantages et inconvénients de ce système sont exposés dans: GUDSCHINSKY,Sarah C.,Handbook
of Ziteracy, Norman (Okla.), Summer Institute of Linguistics, University of Oklahoma, 1953,
p. 23-24.
P. Voir: CLEMENTE, Tito, «Should writing be taught simultaneous with reading in the first grade)),
dans: Prima7y educatwn, vol. II, décembre 1937,p. 466-472.

243
L’enseignement de la lecture et de l‘écriture

pendant le reste de la journée,dans toutes les leçons où l’écriturea un rôle à jouer.


En raison de ses nombreux mérites, ce système a été adopté de plus en plus au
cours des dernières années. Il tient compte des diverses valeurs et applications de
l‘écriture et possède de bons principes pédagogiques. Il inculque les mécanismes
nécessaires par une activité spécialement adaptée et dont les enfants comprennent
facilement l’intérêt. C o m m e il arrive pour les programmes du troisième type, on
critique fréquemment celui-ci,en faisant valoir que les maîtres n’ont pas le temps
ni souvent la formation nécessaire pour préparer et diriger les activités faisant appel
à l’écriture.Afin d’aider à résoudre ces difficultés, de nombreuses écoles publient
des bulletins sur le sujet.D’autrepart, auteurs et éditeurs proposent des séries d’exer-
cices destinés à faire progresser l’élève parallèlement et simultanément dans tous
les arts du langage. O n s’efforce aussi d’inspirer à l’enfant des motifs d’apprendre
suffisamment puissants pour l’amener à déployer, dans chaque exercice, toutes ses
aptitudes1.

LES TYPES D’ÉCRITURE

Quelle que soit la méthode appliquée pour l’enseignement,le mode d’écriturechoisi


présente une importance capitale.Ainsi qu’on l’a montré au chapitre IX, de nom-
breux modes d’écriture en usage dans la vie courante sont trop complexes pour les
jeunes enfants. Si l’on veut que ceux-ci acquièrent rapidement une écriture utili-
sable dès leurs premières années d’école,il est indispensable d’enseigner des modes
d’écriture simplifiés. Nous examinerons successivement: u) les plans qui ont été
adoptés par de nombreux pays pour répondre à ce besoin; b) les problèmes qui se
posent pour d’autres pays où s’emploient encore des modes d’écriture complexes
pour l’enseignement de l’écriture aux enfants.

L’emploi de l‘écriture (
(script ».
D e nombreux pays qui emploient l’alphabetlatin adoptent actuellement une forme
d’écriture simplifiée,appelée ( ( script », pour les premières années d’école. Ses par-
tisans déclarent qu’elle est plus facile à apprendre que l’écriture cursive et mieux
adaptée aux possibilités physiologiquesde l’enfant.Les faits rapportés au chapitre IX
justifient amplement cette affirmation.
Les divers genres de script actuellement en usage, y compris le ( (print-scriptD
et le << manuscript », diffèrent par de nombreux détails, mais ressemblent tous plus
ou moins aux caractères d’imprimerie.Les lettres qui diffèrentle plus en ( (script D
sont constituées en totalité ou en partie par des lignes droites (l,J), des cercles
(O, g) ou des portions de cercle (c, d). Pour que les débutants se familiarisent plus
aisément avec les proportions des caractères, plusieurs spécialistes suggèrent de
donner aux capitales et aux grandes lettres une hauteur double de celle des petites.
Une lettre fait exception à cette règle,c’estle t, qui doit être un peu plus court que
les autres lettres ascendantes. Les lettres descendantes, comme le g, se trouvent
avoir le m ê m e rapport avec n que les lettres ascendantes. A mesure que les élèves
se familiarisent avec l’écriture script, on peut réduire légèrement la hauteur des
lettres ascendantes et descendantes afin que les lignes d’écriture n’empiètent pas
l’une sur l’autre.
La forme des caractères latins non liés diffère dans une certaine mesure avec les

I. ELLIOTT, A. V. P.,et GURREY,


P., Language teaching in African schools, Londres, Longmans, Green
and Co., 1949,p. 61.

244
L’enseignement de l’écriture a m enfants

pays et même à l’intérieurd’unmême pays. Lors d’uneenquête récente sur l’écriture


dans l’État de Wisconsin1,on a analysé les diverses formes des lettres dans les
cinq systèmes d’écriture a script N utilisés commercialement dans l’ensemble de
l’État.La figure 22 montre les diverses formes employées pour les majuscules; on
voit qu’une seule lettre, le P , a exactement la m ê m e forme dans tous les systèmes;
pour les vingt-cinq autres lettres, on relève de deux à quatre formes différentes.La
figure 23 fait ressortir la diversité des formes pour les minuscules; trois lettres seule-
ment - e, i et O -ont la m ê m e forme dans tous les cas;la plupart des différences
sont de détail. O n ne possède pas d’indications objectives sur la valeur relative de
ces différentes formes.
Ainsi que l’indiquent les flèches sur les figures 22 et 23, les diverses parties des
lettres sont formées suivant certains principes : les lignes verticales ou obliques sont
tracées de haut en bas; pour les portions de cercle, on commence par le haut et
on poursuit soit vers la droite, soit vers la gauche; la lettre O se trace dans le sens
inverse à celui des aiguilles d’une montre; les lignes horizontales commencent par
la gauche. Les éléments de lettre sont tracés au fur et à mesure que la main de
l’enfant se déplace de la gauche vers la droite sur le papier ou le tableau noir. Les
lettres d’un même mot ne doivent pas se toucher. Celles qui sont constituées par
des cercles doivent être assez rapprochées les unes des autres;celles qui comprennent
des lignes courbes et des verticales doivent être espacées davantage;enfin,les lettres
verticales sont les plus espacées de toutes.Sur le papier, les mots seront séparés par
l’espace d’un doigt et au tableau par la largeur d’une éponge.
Vivement critiqué à ses débuts,l’emploide la ( (script D s’est rapidement étendu
au cours de ces dernières années. Ce résultat est dû, pour une bonne part, au fait
qu’elleest plus facile à apprendre et que les enfants l’écriventplus vite et plus lisible-
ment que la cursive. Aussi la (< script) )est-elle très largement employée pendant la
plus grande partie des deux premières années d’école.Etant donné les avantages
certains de ce système, tous les pays employant l’alphabet latin qui ne l’ont pas
encore adopté pour les deux premières années d’étude devraient sérieusement
examiner s’ils n’auraient pas intérêt à le faire. ,

Problèmes qui se posent lorsque les formes d’écriture employées sont complexes.

Il y a longtemps que, dans presque tous les pays, les maîtres se sont aperçus de la
difficulté qu’éprouventles jeunes enfants à apprendre à écrire en raison de la com-
plexité des caractères. En Chine, par exemple, où l’on emploie des logogrammes,
on s’est efforcé depuis des siècles de simplifier l’enseignement de l’écritureen com-
mençant par les caractères qui contiennent le moins de traits. Cette méthode a
permis de faire quelques progrès,mais laisse de nombreuses difficultés sans solution.
Par exemple, il faut toujours consacrer de longs et difficiles exercices à l’appren-
tissage des divers caractères, avant que l’élève puisse écrire réellement. C’est pour
cette raison, entre autres, que l’on s’efforce actuellement de mettre au point une
nouvelle forme de langue écrite adaptée à la culture et aux besoins de la Chine2,
qui permettrait aux enfants et aux adultes d’apprendre à lire et à écrire sans trop
de difficulté. Des problèmes analogues se posent au Japon où de grands efforts ont
été faits par des particuliers et des commissions en vue de leur trouver une solution.
Les progrès réalisés jusqu’ici demeurent assez limités.
I. WISCONSIN.
DEPARTMENT
OF EDUCATION.
Committee for Research in Handwriting, Handwriting in
Wisconsin: a survey of elernentary school practice, Madison (Wisconsin), University of Wisconsin, 1951.
(Bulletin of the School of Education.)
z. CHUEH, Wie,’«Theproblems of reforming the Chinese written languageu, Peoples’ China, IO, 1954,
p. 18-26.

245
L’enseignement de la lecture et de récriture

Dans la plupart des autres pays qui emploient des formes complexes d’écriture,
diverses solutions ont été adoptées pour simplifier l’enseignement de l’écriture. La
plus courante consiste à enseigner d’abord les éléments des lettres, c’est-à-diredes
lignes droites et des lignes courbes. Dès que les enfants savent tracer ces éléments,
on les combine pour former des lettres, puis on forme avec celles-cides mots. Ce-
pendant, ainsi que nous l’avons déjà indiqué,l’emploi de méthodes purement syn-
thétiques pour l’enseignement de l’écriture présente plusieurs inconvénients. La
réforme des modes d’écriture,amorcée dans quelques pays, semble devoir donner
de bien meilleurs résultats. C’est ainsi qu’en Assam, on recommande une écriture
verticale, liée, pour l’école primaire, alors que l’écriture penchée est pratiquée
dans l’enseignementsecondaire.N Dans la résidence de Bombay,l’écritureN script N
(de0 muguri) est maintenant plus en faveur que l’écriture cursive (modi)l.P
Tant que l’on n’aurapas mis au point des formes simplifiées,de nombreux pays
demeureront obligés d’employer un type d’écriturecomplexe pour l’enseignement
de l’écriture aux enfants. Il convient donc de faire tous les efforts possibles pour
simplifier cet apprentissage2.Il faut donner aux enfants des raisons d’apprendre à
écrire,en leur faisant comprendrel’utilitéque présente l’écriturepour leurs besoins
personnels, de façon qu’ils soient prêts à faire d’eux-mêmesdes efforts néces-
saires.

LE MATÉRIEL ET LA POSITIONPOUR ÉCRIRE

Les instruments de l’écritureet de manière générale le matériel employé pour l’en-


seignement méritent également d’être étudiés attentivement. Dans de nombreux
pays, les élèves commencent par écrire au tableau noir3 avec de la craie tendre,
que de jeunes enfants peuvent apprendre à manier facilement; ils écrivent à la
hauteur des yeux. Cependant, ils apprennent bientôt à écrire à leur pupitre, sur
du papier;pour cela,il est préférable d’employerd’assezgros crayons à mine tendre;
pour des raisons d’hygiène,les ardoises sont beaucoup moins employées qu’elles
ne l‘étaient autrefois,et sont même interdites dans certains pays.
L’emploi de la plume et de l’encre au cours des premières années d’école est
discutable. Dans le passé, on s’en est largement servi dès la deuxième année et
souvent même au cours de la première, notamment dans les écoles où l’onenseigne
la cursive.O n a fait valoir que la plume est indispensableà la qualité et à la beauté
de l’écriture.Mais il semble erroné de vouloir obtenir dès l’abord ce qui n’est que
le but final. Dans les écoles qui emploient,pour commencer,des formes d’écriture
simplifiées, la tendance est de ne se servir de la plume qu’après l’introduction de
la cursive.En Chine,on emploie les pinceaux pour apprendre à dessiner les carac-
tères aussi bien que pour la calligraphie;lorsque les enfants commencent à se servir
de l’écriture pour diverses activités scolaires,les crayons et les plumes remplacent
progressivement les pinceaux.
Il faut habituer les enfants à adopter une bonne position pour écrire.Au tableau,
ils doivent se tenir bien droits sur les deux pieds,en face de la partie du tableau où
ils écrivent et à une distance suffisante.A leur pupitre,ils doivent être assis confor-
tablement, bien en arrière sur leur siège, et se tenir droits, les deux pieds à plat
sur le sol, le corps légèrement penché en avant à partir des hanches, sans toucher
I. XIeCONFÉRENCE INTERNATIONALEDE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE,op. cit., p. 84.
2. SUÈDE. KUNGL. SKOLOVERSTYRELSEN, Betankdemedforslag till undmvisningsplanfor riketsfolkskolor, Stock-
holm, Svenska Bokforlaget, Norstedts, 1953,p. I I 1-1 17. [Propositions de la Direction générale
de l’instruction publique de Suède relatives au programme des écoles primaires.1
3. GUDSCHINSKY, Sarah, op. cit., p. 25.
L‘enseignement de l’écriture aux enfants

le pupitre. Les deux bras doivent reposer sur le pupitre,les coudes dépassant légère-
ment le bord.
Les droitiers tiennent le papier avec la main gauche, qui le déplace progressive-
ment vers le haut, au fur et à mesure que la feuille se remplit et que l’écrituregagne
le bas de la page. Dans le cas des gauchers,le papier est tenu avec la main droite.
Pour l’écriture penchée, le haut du papier doit être légèrement incliné, vers la
gauche si l’enfant est droitier, vers la droite s’il est gaucher.

PROCÉDÉS D’ENSEIGNEMENT

Les meilleurs procédés d’enseignementvarient à bien des égards avec le genre des
caractères employés et avec la forme d’écriture prescrite. Toutefois, l’expérience
montre que certains principes généraux peuvent être appliqués.
I. Les enfants doivent se familiariser avec les formes et les usages de l’écriture
avant de commencer les exercices d’écriture proprement dits. A cet effet, dans
de nombreuses écoles, le maître écrit au tableau le nom du jour de la semaine,
les noms des élèves, une liste des activités de la journée, ou un bref compte
rendu de quelque expérience intéressante. Les progrès sont plus rapides si le
maître écrit nettement, lisiblement,et emploie le type d’écritureque les élèves
vont avoir à apprendre.
2. Pour amener l’enfant à écrire, il convient de le placer dans une situation telle
qu’il en éprouve de lui-même le besoin et qu’il en comprenne la signifi-
cation. O n peut lui faire écrire son nom, le jour de la semaine,ou une légende
pour une image. Lorsqu’une raison d’écrire impérieuse se faitjour dans l’esprit
de l’enfant,le maître écrit très lisiblement au tableau le mot en question. D e
cette façon,non seulement l’acte d’écrire reçoit un sens, mais l’enfant éprouve
les impressions sensorielles qui sont indispensables pour qu’il puisse commencer
à écrire convenablement.
Cela est vrai même dans le cas des écoles qui insistent,au début de l’enseigne-
ment, sur ce qu’il est convenu d’appeler les éléments de l’écriture.
3. Au début, on n’exigera pas des enfants trop de fidélité dans la reproduction
des modèles écrits au tableau. D e nombreux maîtres laissent les élèves copier
les modèles sans les aider beaucoup, ou m ê m e en les laissant faire tout seuls.
Ils considèrent que le plaisir qu’éprouve l’enfant à satisfaire par un moyen
nouveau un besoin dont il a conscience est beaucoup plus important que la
qualité du travail. Le résultat est que les caractères,les lettres ou les mots sont
perçus et reproduits surtout par les efforts propres de l’enfant, et souvent de
façon tout à fait inexacte.Par des exercices répétés,l’enfant apprend à observer
de plus en plus de détails, et les formes écrites deviennent plus exactes et plus
régulières. En insistant comme il se doit sur l’orthographe,on attire progressive-
ment l’attentiondes enfants sur tous les détails des mots et des lettres.
4. Ces actes d’écriture plus ou moins spontanés doivent être complétés assez tôt
par des exercices de breve durée. Ces exercices ont pour but d’enseigner les
mécanismes essentiels1 de l’écriture.A cet égard, il convient de ne pas oublier
deux choses : les élèves qui progressent lentement quant à la perception et à la
reproduction des détails des mots et des lettres ne doivent pas être obligés d’avan-
cer plus rapidement que leur développement mental ne le comporte;d’autrepart,
lorsqu’on enseigne un certain type d’écriture,il y a lieu de tenir compte des
différences individuelles.

1. Sarah, op. cit., p. 23.


GUDSCHINSKY,

247
L‘enseignement de la lecture et de l‘écriture

5. Deux principes doivent présider au choix des textes servant aux exercices :par
leur nature même, ils doivent permettre de concentrer l’attentiondes élèves sur
ce qui doit être amélioré,et d’autrepart ils doivent avoir une signification pour
l’enfant.U n maître avisé réussira souvent à choisir des textes d’exercicesà partir
des activités spontanées d’écriture décrites ci-dessus. Cette méthode présente
l’avantage que le matériel en question est déjà empreint de signification pour
l’élève,et qu’il est relativement facile de lui donner le désir de se perfectionner.
Il arrive que des maîtres inexpérimentés ne sachent pas choisir de bons sujets
d’exercice.Dans ce cas, il y a souvent intérêt à ce qu’ils se servent de manuels
d’exercicesmis au point par des spécialistes de la forme d’écriture employée.
Il convient cependant de faire précéder chaque exercice d’une explication sur
le sens et le but de cet exercice.
6. Il est indispensable que l’enfant perçoive nettement les mots et les lettres qu’il
doit reproduire.D’une manière générale,il est bon que les impressionspénètrent
fortement en lui par plusieurs sens. Supposons qu’il s’agisse d’apprendre aux
élèves la forme d’une nouvelle lettre: u) ils commenceront par tracer un modèle
de la lettre avec l’index,en disant le nom de la lettre en m ê m e temps; b) ils
traceront ensuite la lettre plusieurs fois, d’abord avec le doigt, puis avec un
crayon; c) ils cacheront le modèle et écriront la lettre une fois sur le papier;
d) on comparera la lettre avec le modèle. Si la reproduction est correcte, ils
l’écrirontplusieurs fois encore pour bien l’assimiler;si elle est incorrecte, ils la
traceront encore un certain nombre de fois avant de tenter un nouvel essai sans
voir le modèle. O n peut appliquer de plusieurs façons ce procédé,pour aider
les enfants à se rappeler exactement les lettres ou les mots et à apprendre à les
écrire, ainsi qu’à surmonter les difficultés particulièresqu’ilspeuvent rencontrer.
7. Afin d’obtenirdes résultats durables,il importe de faire répéter régulièrement le
tracé des divers éléments de l’écriture.O n peut le faire, en partie, au cours des
exercices spéciaux, mais les résultats ne seront pas vraiment satisfaisants tant
que l’enfant ne sera pas amené à appliquer chaque jour,dans les activités cou-
rantes pour lesquelles il se servira de l’écriture,les nouveaux mécanismes qu’il
aura appris.
Nous avons exposé certains principes directeurs qui sont appliqués à l’enseignement
de l’écrituredans la plupart des pays. Il ne peut être question de donner ici tout
le détail des diverses méthodes. Il est donc conseillé aux maîtres de se procurer les
meilleurs manuels qui existent pour la forme d’écriture qu’ils ont à enseigner. Ceux
qui n’ont encore jamais enseigné l’écriture c script D devraient étudier les recom-
mandations qui ont été faites à ce sujet.O n consultera aussi avec profit les bulletinsl,
publiés récemment par diverses institutions,exposant en détail les méthodes qui
se sont montrées les plus efficaces. Ceux qui ont été rédigés par des ministères ou
départements de l’éducation nationale2 dans divers pays méritent une attention
particulière.

I. DOUET,
Kathleen, Script and writing patterns for African schools, Londres, University of London Press
1949, 2 volumes.
MADISON
PUBLICSCHOOLS.
Handwriting Cornmittee,Manurcr$t writing in the ptIinaty grades, Madison
(Wisconsin), Curriculum Department, 1951,32 pages.
SWAN,Agnes, W e learn to write. Manuscript writing. Vol. I : Teachers guide, Detroit, Board of Education
of the City of Detroit, 1951.
RICHARDSON,Marion, Writing and writing patterns, Londres, University of London Press, 1948,
5 volumes.
P. PHILIPPINES. DEPARTMENT OF EDUCATION. Bureau of Public Schools, T h e use of munuscr@t writing
(pentscript) in grades Z and ZZ, Manille, 14 juillet 1951,3 pages, miméo. (Bulletin,no 16, 1951.)
- Tentative gui& in teaching manuscript writing, Manille, 1951,IO pages. (Annexe au Bulletin
no 16,1951.)
L’enseignement de l’écriture aux enfants

COMMENT DÉCELER LES DÉFAUTS ET COMMENT Y REMÉDIER

A u fur et à mesure que les élèves progressent,le maître doit noter chaque jour la
nature de leurs difficultés particulières et les aider selon leurs besoins, après avoir
étudié soigneusement dans chaque cas le niveau de développement général de
l’enfant,la précision de ses mouvements, son âge mental, ses déficiences physiques,
ses antécédents et le milieu où il vit. Il importe de ne pas exiger d’un enfant qu’il
reproduise exactement le genre d’écriture prescrit, s’il présente pour lui des diffi-
cultés anormales.
Afin de déterminer les difficultés qu’éprouvent ses élèves, le maître pourra
appliquer les critères suivants, dans l’ordreindiqué:lisibilité de l’écriture,formation
des lettres, espacement et inclinaison, s’il s’agit d’écriturecursive. En comparant
des échantillons de l’écriture des élèves avec les modèles, il découvrira facilement
les défauts particuliers qui empêchent certains enfants de faire des progrès satis-
faisants. La correction des défauts n’est généralement efficace que si l’enfant prend
lui-même conscience de ses points faibles et souhaite sincèrement qu’on l’aide à
s’en corriger. Aussi est-il bon d’encourager les élèves à conserver dans un dossier
divers échantillons de leur plus belle écriture et à étudier de temps à autre les pro-
grès qu’ils ont faits.D e cette façon,ils s’intéresserontvivement à la qualité de leur
écriture, noteront leurs défauts et accepteront volontiers des conseils.

CONSEILSÀ DONNER AUX ÉLÈVES SUR L’EMPLOI DE L’ÉCRITURE

Dès que les enfants réussissent à écrire, tant bien que mal, il faut les encourager à
le faire chaque fois que cela peut leur être utile. En fait, une grande partie des
exercices nécessaires pour apprendre à écrire convenablement devraient répondre
à un besoin réel de noter ou d’exprimerdes idées.Le maître devra donc encourager
les élèves à dire par écrit tout ce qu’ils peuvent exprimer avec les mots qu’ils con-
naissent. Tel enfant voudra peut-être donner un titre à une image ou rédiger un
message très simple; tel autre souhaitera raconter par écrit la partie d’une histoire
qui l’aura intéressé le plus;une discussion en classe pourra faire apparaître des faits
intéressants que des élèves voudront noter dans leurs carnets. Avant de le faire, il
sera bon que les élèves déterminent de concert avec le maître ce qu’il y a lieu de
noter, les mots nouveaux qu’il faut employer, etc.;souvent le maître devra fournir
des modèles pour quelques mots que les élèves ne connaissent pas encore.
Parmi les applications que les jeunes enfants peuvent faire de l’écriture,beau-
coup exigent la connaissance de certaines formes et de certains usages. Tel est le
cas, par exemple, de la rédaction d’une lettre à un camarade malade. Pour com-
mencer,le maître énumérera les choses que les élèves ont besoin de savoir:comment
dater la lettre,et à quel endroit; comment s’adresserau destinataire;comment ter-
miner la lettre; comment rédiger l’adresse sur l’enveloppe.Le maître fournira un
modèle, en écrivant au tableau le message que les élèves désirent envoyer. C’est
seulement lorsque tous les renseignements utiles leur auront été donnés et qu’ils
auront acquis la dextérité nécessaire, que les enfants pourront réaliser leur désir
d’écrire une Iettre. Le maître devra aussi leur proposer d’autres emplois de l’écri-
ture qui soient normaux pour des enfants de cet âge. O n stimulera ainsi chez eux
la volonté de bien apprendre à écrire.
Enfin,au cours de ce deuxième stade,il faut encourager les élèves à écrire pour
s’exprimer spontanément. O n les engagera à raconter,oralement et par écrit, des
histoires et des souvenirs personnels. Ils seront peut-être incités à rédiger une his-
toire par le plaisir même qu’ils auront pris à lire un récit pendant une leçon de lec-
L‘enseimement de la lecture et de I‘écriture

ture; ils établiront alors, sur la suggestion du maître, un bref résumé du récit; ce
résumé sera écrit au tableau avec l’aide du maître; ensuite les élèves le recopieront.
Après quelques exercices de ce genre, les enfants pourront essayer de faire par
écrit de brefs résumés des histoires qu’ils auront lues individuellement. L’étape
suivante consistera pour eux à rédiger des histoires de leur propre invention. O n
pourra recourir à des méthodes analogues pour les encourager à pratiquer d’autres
formes de rédaction répondant à leurs goûts.

Troisième stade : Assimilation desformes complexes d’écriiure


Il s’agit,au cours de ce troisième stade, de répondre aux besoins de deux groupes
d’élèves. Ceux qui ont appris à écrire au cours du deuxième stade en em-
ployant l’écriture a script )) ou une autre forme d’écriture simplifiée sont prêts
maintenant à commencer à se servir d’uneforme plus complexe.Le deuxième groupe
est constitué par ceux qui ont appris directement en cursive ou en quelque autre
forme complexe et sont maintenant suffisamment avancés pour que l’on puisse
faire un effort particulier afin d’améliorer à la fois la qualité et la vitesse de leur
écriture. Ce stade commence d’ordinaire au début de la troisième année scolaire
et continue pendant toute l’écoleprimaire et bien au-delà.

BUTS À ATTEINDRE

Dans ce troisième stade,le principal but de l’enseignementest d’aider les élèves à


assimiler le mode d’écriture pratiqué autour d’eux par les adultes.
O n s’efforcera également:
I. D e cultiver chez les enfants le goût de la belle écriture;
2. D e perfectionner les attitudes,les connaissanceset les techniques nécessaires pour
écrire nettement, lisiblement et avec une vitesse suffisante;
3. D e découvrir pourquoi certains élèves ne font pas de progrès satisfaisants,et de
corriger ces défauts;
4. D’encouragerles enfants à se servir de l’écriturepour ses divers usages.
Si les buts de l’enseignement,au-cours de ce troisième stade,sont essentiellement les
mêmes, partout les méthodes varient considérablement,du moins au début, selon
les groupes. En effet, l’instructiondonnée au cours du deuxième stade diffère en
nature et en étendue. Les écoles qui emploient la cursive ou un autre mode com-
plexe d’écriture commenceront au niveau atteint à la fin du deuxième stade par
les élèves. Grâce à la plus grande maturité physique de ces derniers,l’entraînement
peut être plus énergique, et on peut insister davantage sur la qualité de l’écriture.
Etant donné qu’au cours des troisième et quatrième années scolaires,les enfants
sont de plus en plus souvent appelés à écrire,la vitesse à laquelle ils peuvent écrire
nettement et lisiblement acquiert une importance nouvelle. D’autre part, les écoles
qui ont employé l’écriture«script» ou un autre mode d’écriture simplifiée au cours
du deuxième stade doivent maintenant choisir un genre d’écriture cursive et opérer
le passage de la ( (script )
)à la cursive.
Nous avons signalé au chapitre IX que certaines autorités sont en faveur de
l’emploi continu de la a script ))pendant la suite des années scolaires. Cependant,
aussi longtemps que la supériorité de ce système n’aura pas été démontrée de façon
plus convaincante et que l’emploide cette forme d’écriture ne se sera pas généralisé,
il semble préférable de passer de la scriptD à la cursive au début du troisième
stade.
L‘enseizmment de l’écriture aux enfants

LE CHOIX D’UN GENRE D’ÉCRITURE CURSIVE

Les pays qui ont adopté un genre d’écriture cursive peuvent se classer en trois
groupes: u) ceux qui sont en faveur de l’écriture verticale; b) ceux qui préfèrent
une écriture penchée dérivée de la «script»;c) ceux qui pratiquent une écriture fili-
formel. L’écriturefiliforme est une écriture penchée, arrondie, dont les jambages
et les boucles sont conçus de façon à faciliter la rapidité d’exécution)). Des études
scientifiques ont fait ressortir qu’il est préférable que l’écriture soit légèrement
penchée vers la droite. Cela suppose un ((mouvement latéral de la main qui
pivote sur l’avant-bras», mouvement le plus facile et le plus rapide pour tracer les
jambages en montant et en descendant.La plupart des éléments décoratifsqui carac-
térisaient un grand nombre des anciens types d’écriture ont disparu. La vitesse s’en
trouve accrue, ce qui est indispensable pour que l’enfant puisse se servir utilement
de l’écriture,dont il aura de plus en plus besoin au fur et à mesure qu’il grandira.
Malheureusement les recherches ne permettent pas encore de déterminer de façon
définitivequel est le meilleur de tous les systèmesconformesà ces principes généraux.
Après une étude approfondie des avantages que présentent les divers genres
d’écriture cursive, de nombreux pays prescrivent un genre unique pour l’ensemble
des écoles.Dans ce cas,sont généralement adoptés les cahiers d’exercicesnormalisés,
ou d’autres manuels servant aux mêmes fins.Dans d’autres pays, les différentes cir-
conscriptions administratives sont autorisées à choisir le genre d’écriture qui leur
convient.Ailleurs encore, la décision est laissée aux autorités locales. Le Ministère
de l’éducationnationale publie souvent des bulletins relatifs à l’écriture,qui servent
de guide aux maîtres et les aident à prendre des décisions et à donner une bonne
formation aux enfants.

(SCRIPTD À LA CURSIVE
LE PASSAGE DE L’ÉCRITURE (

Pour permettre aux élèves de continuer à se servir de l’écriturependant la période


de transition, de nombreux maîtres autorisent l’emploi de la a script ) )aussi long-
temps que les éléments de la cursive n’ont pas été entièrement assimilés. Les élèves
sont aussi encouragés à continuer de se servir de la ( (script N pour leurs besoins
généraux,qu’ils’agisse de faire une étiquette,de remplir une formule,ou de donner
un titre à une image. Cette méthode a l’avantage de laisser, pour toute sa vie,
l’enfant capable d’employer l’écriture( (script )
)chaque fois qu’il en aura besoin.
Il importe que les élèves puissent se familiariser avec la cursive avant d’essayer de
la reproduire. O n peut écrire les mêmes mots au tableau en ( (script )
)et en cursive,
en signalant les similitudes et les différences.O n peut égalementhabituer les enfants
à lire des instructions, des avis, etc., écrits en cursive. D’autre part, on emploie
généralement les méthodes ci-après au moment du passage d’un genre d’écriture
à l’autre:
I. Les élèves doivent faire nettement face au pupitre, comme pour l’écriture
(< script », les deux coudes soutenus mais dépassant légèrement le bord de la table.
2. O n observe le a principe de traction ». Cette méthode facilite le mouvement
musculaire, parce qu’elle exige moins de contraction des doigts sur la plume
ou le crayon que l’écriture par pression, qu’elle demande moins d’efforts, et
qu’elle est par conséquent moins fatigante.
3. Des mouvements modérés des doigts, complétant les mouvements plus amples
du bras et de la main, peuvent être autorisés.

I. XI‘ CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE L’INSTRUCTIONPUBLIQUE, op. cit. p. 20.