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La place des incertitudes de mesure dans une formation scientifique

Dans les activités scientifiques, la qualité des mesures doit être une préoccupation constante.
Les incertitudes de mesure ne doivent pas pour autant devenir une obsession : un laboratoire
d’enseignement n’est pas un laboratoire de métrologie.
Le résultat d’une mesure M doit être donné sous la forme M95% = M +/- ΔM.
L’incertitude de mesure ΔM (niveau de confiance supérieur à 95%) permet d’ajuster le nombre de
chiffres significatifs du résultat M. Tous les instruments de mesure doivent être vérifiés
régulièrement : chaque fois que l’on réalise une mesure avec un instrument, il faut savoir que le
résultat est un intervalle de valeurs associé à un niveau de confiance.
Si le titre d’un TP est de la forme « mesure de….. », alors, en toute rigueur, il faut préciser les
sources d’incertitude et les évaluer. Ces incertitudes doivent être composées et le résultat peut être
alors exprimé sous la forme M95% = M +/- ΔM.

Mais, tous les TP proposés dans les laboratoires d’enseignement ne conduisent pas forcément à une
mesure : quelle est alors la place des incertitudes de mesure ?

A - Premier exemple :
L’objectif du TP est de rechercher une fonction :
On dispose d’une bobine « solénoïde » et d’un Teslamètre à effet Hall. On place le capteur du
Teslamètre à effet Hall à l’intérieur (au « centre ») de la bobine (« pleine d’air ») parcourue par un
courant d’intensité I. D’un point de vue théorique, si I = 0 alors le champ magnétique créé par le
courant, B = 0 : il faut régler le zéro du Teslamètre, ne serais ce que pour éliminer l’influence du
champ magnétique terrestre (une mesure de I = 0 Æ mesure de B = 0).
On règle une valeur de I constante et l’on modifie l’angle entre le vecteur champ magnétique et le
capteur à effet Hall : on constate que l’indication du Teslamètre varie alors que l’intensité B du
champ magnétique est constante. La position du capteur dans la bobine est une grandeur
d’influence : si l’on veut continuer l’étude il est essentiel de fixer la position du capteur dans la
bobine. Cette position est fixée de telle sorte que, dans le champ B, l’indication de l’instrument soit
maximale.
On admet alors que l’indication In des instruments conduit à des valeurs (incertaines) de B =1*In1
et de I = 1*In2 (instruments à lecture directe).
On fait varier l’intensité I du courant et l’on mesure I et B à partir des indications des instruments.
Dans cette étape d’acquisition de données, il est important, pour chaque mesure, de choisir le
calibre le plus petit possible des instruments : un mauvais choix conduit à un quantum trop grand et
augmente l’incertitude de mesure, le nuage de points devient « flou » (on peut imaginer ce que l’on
obtiendrait si I variant de 0 à 1 A toutes les mesures sont effectuées sur le calibre 20 A). On édite le
nuage de points (B, I) dans un tableur et il apparaît qu’il est distribué autour d’une droite passant
par l’origine. On le modélise sous la forme B = k*I.
Les mesures B et I étant incertaines, le coefficient k est incertain. L’incertitude de ce coefficient n’a
d’intérêt que si l’on veut, à partir d’une mesure I +/- ΔI, mesurer B +/- ΔB.
Ce qui nous intéresse ici, c’est la nature de la fonction B(I). Dans quelle mesure peut-on
considérer que B = kI, c’est à dire que B est proportionnel à I ?
Dans ces conditions la précision des instruments n’a pas une grande importance : on leur demande
seulement d’avoir une réponse linéaire ( attention au réglage du zéro du Teslamètre et au choix des
calibres).

Le modèle est construit à partir du nuage de points expérimentaux, mais quelle confiance peut-on
lui accorder ? Pour cela il faut trouver un critère permettant d’évaluer la qualité de la relation entre
le modèle et le nuage de points (les mesures).
Nous proposons d’utiliser le critère suivant :
- On évalue, pour chaque point (B, I) l’erreur ERi = (BPi - Bi).
1
Bpi = kIi est la valeur prévue par le modèle pour chaque valeur Ii du tableau de mesures (N
mesures).
Bi est la valeur mesurée pour chaque valeur Ii (nuage de points).
L’erreur ERi représente, pour chaque point, la différence entre la mesure B et la prévision du
modèle.
- On calcule la moyenne quadratique de ER : √((∑ERi²)/N)
- On calcule la moyenne quadratique de B : √ ((∑Bi²) / N)
Le critère retenu est : Ecart relatif = (√ (∑ERi²)/N) / √ ((∑Bi²) / N ) ( en %)
(Le logiciel REGRESSI donne directement cette information après une modélisation).
Remarque :
L’on peut se contenter d’évaluer la valeur maximale ERmax de ERi et de calculer la valeur
correspondante de ERmax/B (%).

Si Ecart relatif = 1% cela signifie que, en moyenne, l’écart relatif (Bp –B )/ B) entre une mesure B
et la prévision BP =kI, à l’aide du modèle, est de 1%. L’on pourra alors conclure que, avec un écart
relatif de 1%, l’on peut admettre que B = kI. Cela signifie que I = 0 conduit à B = 0 que I
commande B et que si l’on double la valeur de I alors la valeur de B est multipliée par 2, et ceci
quelle que soit la valeur de k.
Chacun peut choisir une valeur minimum de ce critère qui permettra de valider la pertinence du
modèle.
Ce dispositif permet de rechercher expérimentalement les paramètres dont dépend la valeur de k
(valeur du rapport N/L, présence d’un matériau ferromagnétique). Soyons prudents : les
Teslamètres sont souvent peu précis et difficiles à régler (il faut des étalons de champ magnétique),
contentons nous d’observer l’influence de certains paramètres et évitons de présenter certains
résultats comme des mesures.

Quelle est la place des incertitudes de mesure dans ce TP ?


Avant de commencer le TP, il faut repérer les erreurs systématiques et les corriger : ici l’on règle
le zéro du Teslamètre.
Il faut aussi repérer les grandeurs d’influence et les prendre en compte : ici, il faut fixer la position
du capteur dans la bobine.
Pendant l’acquisition de données on effectue des mesures de B et I : il est important que ces
mesures soient de qualité et il faut choisir les calibres en conséquence.
Toutes ces conditions doivent être remplies si l’on veut un nuage de points de qualité.
L’utilisateur doit être conscient que, les mesures étant incertaines, derrière les points se cachent
plutôt des « taches ». Même si la loi est B = kI, il est impossible d’obtenir tous les points sur la
droite « modèle », les « points » sont forcément dispersés autour de cette droite : on « induit » une
loi, on ne la vérifie pas (dans ce TP l’on contrôle plutôt la linéarité du Teslamètre).

B - Deuxième exemple : traitement de données enregistrées


On dispose d’un transmetteur de température et d’un enregistreur numérique. La chaîne de mesure
peut être modélisée par θ = a*In + b : θ est la température du capteur et In l’indication de
l’enregistreur.
On veut évaluer le temps de réponse de la chaîne lorsque le capteur, en équilibre thermique avec de
l’eau froide, est plongé brutalement dans de l’eau chaude (pas d’agitation). Pour cela on enregistre
la courbe In (t) ou θ(t). Au début de l’enregistrement le capteur est en équilibre thermique avec de
l’eau froide (vase Dewar). On attend que le régime permanent θI = constante soit bien enregistré
puis, à la date t1, l’on plonge le capteur dans de l’eau chaude (vase Dewar). On repère cette date sur
l’enregistrement, par exemple en enregistrant simultanément un deuxième signal (une tension « de
contrôle » que l’on fait basculer à la date t1). On continue l’enregistrement jusqu’à ce que le régime
permanent θF soit bien enregistré. Pour obtenir une courbe correcte (2 régimes permanents et un
régime transitoire) il faut :
2
Régler correctement la durée de l’enregistrement.
- Régler correctement la période d’échantillonnage (la durée entre deux mesures successives).
Ces réglages sont ajustés en effectuant plusieurs essais.
Remarque : pour des études de transitoires « rapides » il faut être très attentif à la bande passante
de l’enregistreur (si la durée minimale entre deux mesures est de 100 µs et si la durée du transitoire
est de 10 µs, on ne « verra » rien).

La courbe enregistrée est alors exploitée pour déterminer le temps de réponse « à 70 % » (par
exemple).
Le « chemin à parcourir » entre les deux régimes permanents est (θF - θI).
Au bout de quelle durée tR70%, 70% de ce chemin a-t-il été parcouru ?
Il faut déterminer à quelle date t2 on a θ = θI + 70%* (θF - θI). Le temps de réponse tR70% = t2 – t1.
Cette évaluation peut être conduite directement sur la courbe « lissée ». On peut aussi modéliser les
données à partir de la date t1 et utiliser ce modèle pour obtenir l’évaluation du temps de réponse :
le modèle pouvant être « assez éloigné » des mesures, cette méthode ne nous semble pas très
pertinente.
Cette étude peut être conduite aussi bien sur les valeurs In de l’enregistreur que sur les valeurs de θ.
Tout ce que l’on demande à la chaîne de mesure c’est que In varie lorsque θ varie et que cette
variation soit linéaire. Il faut donc que θ = a*In + b et peu importe les valeurs de a et de b
(évidemment il ne faut pas exagérer, avec a = 0, ça ne marche pas !).
Ce n’est donc pas la précision de la chaîne qui doit nous préoccuper. Dans ce cas il y a un autre
problème : les résultats dépendent de la façon dont l’opérateur procède. Il est essentiel de faire
plusieurs essais (au moins trois) et d’évaluer la dispersion des valeurs de tR70% : il faut donc
effectuer un test de répétabilité (le même opérateur recommence les essais dans les mêmes
conditions). Ce qui est important c’est la dispersion des résultats et l’ordre de grandeur de tR70%. On
peut se contenter d’exprimer le résultat en prenant la moyenne <tR> des résultats obtenus et en
l’encadrant par la plus grande des différences <tR> -tRmin) ou <tR> +tRmax). Il ne faut pas présenter ce
résultat comme une mesure mais plutôt comme une estimation.

On dispose donc d’un outil simple qui permet d’évaluer un temps de réponse « à 70% ». On peut
s’en servir pour rechercher les paramètres dont dépend ce temps de réponse.
On peut, par exemple, évaluer l’influence de l’agitation du liquide pendant l’échange thermique, on
peut aussi évaluer le temps de réponse lorsque le capteur passe de l’eau chaude dans de l’air
ambiant : les résultats sont suffisamment spectaculaires, il n’est pas nécessaire d’effectuer des
mesures pour conclure, les évaluations suffisent.
Une autre étude peut être conduite en étudiant l’influence de la différence (θF -θI) sur le temps de
réponse. Les élèves sont toujours surpris de constater qu’elle est très faible.

Quelle est la place des incertitudes de mesure dans ce TP ?


Dans ce TP, l’on évalue une durée entre deux dates. L’utilisateur doit être conscient que la qualité
du résultat dépend de la définition de ces dates. Il doit comprendre qu’il doit repérer les dates t1 et t2
avec soin : entre autres, il doit être attentif au réglage de la période d’échantillonnage de
l’enregistreur. Il doit aussi prendre en compte l’incertitude liée à la répétabilité des mesures : il faut
s’entraîner pour obtenir une dispersion « faible » entre différents essais.
Il doit comprendre que, toutes les sources d’incertitude n’étant pas évaluées, il accèdera à une
évaluation plutôt qu’à une mesure. Cela ne l’empêchera pas d’observer des phénomènes physiques
et de conclure.

C - Troisième exemple :
Très souvent, l’on utilise un « modèle de connaissance » pour prévoir le fonctionnement d’un
système : quelle est la validité du modèle utilisé ?
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Un oscillateur RC produit un signal rectangulaire de période T. L’analyse théorique du
fonctionnement du circuit conduit à l’expression T = 0,69 RC. On peut donc prévoir la période du
signal produit par l’oscillateur à l’aide de cette relation. On veut contrôler la qualité de ce « modèle
de connaissance ». On réalise le montage de l’oscillateur et l’on utilise une valeur de C constante.
La valeur de R est réglable. Le modèle prévoit alors que T = k R avec k = 0,69 C.
La vérification du modèle s’effectue en deux étapes :
- On contrôle d’abord la forme de la fonction T(R) prévue.
- On contrôle ensuite la valeur de k prévue.
On fait varier R et l’on mesure chaque fois T et R. Le nuage de points T(R) est édité dans un
tableur. La qualité des « points » dépend de la précision de la mesure de T (calibre) et de la
précision des résistances R étalons. Ce nuage de points est ensuite modélisé sous la forme T = a*R
et la qualité de ce modèle est évaluée (écart relatif : voir la première partie).
Quelle que soit la façon de réaliser l’oscillateur (amplificateurs opérationnels ou portes CMOS),
l’on constate que T = a R avec un écart relatif de l’ordre de 1%. On peut donc vérifier que le modèle
fonctionnel est correct : la période T est proportionnelle à la valeur de R.
Le modèle expérimental conduit à une valeur de la pente a et la pente prévue par le modèle
théorique est k = 0,69 C. La valeur de a est incertaine (modélisation à partir d’un nuage de points
incertains). La valeur de k est aussi incertaine (incertitude sur la valeur de la capacité C du
condensateur et, surtout, incertitude (et même erreur) sur la valeur 0,69 qui est issue de certaines
hypothèses sur les seuils de basculement des comparateurs). Il n’y a donc pratiquement aucune
chance de trouver a = k.
Dans cet exemple, il n’est pas nécessaire d’évaluer l’incertitude sur la pente a. L’on peut se
contenter d’évaluer la différence relative DR = | (a-k)/k| *100 %.
La conclusion peut alors être rédigée sous la forme : valeur mesurée = valeur prévue à x% près. Si
la différence relative de a et de k est de l’ordre de 1 %, l’on peut considérer que le modèle théorique
conduit à une prévision raisonnable de la valeur de la période T de l’oscillateur. Ce n’est d’ailleurs
pas le cas : la différence relative calculée est plutôt de l’ordre de 3 à 5 % : on doit alors conclure que
si le modèle théorique conduit à une prévision convenable de la fonction T (R), par contre, la valeur
prévue du coefficient k est très approximative (les raisons de cette différence peuvent être
analysées).

Si la période du signal est proportionnelle à la valeur R de la résistance, alors, l’on peut se dire
qu’en mesurant la période T du signal produit par l‘oscillateur l’on pourra atteindre une évaluation
de la valeur de R.
Si la résistance R varie en fonction de sa température, on pourrait être tenté d’évaluer la température
du capteur en mesurant T et en utilisant le modèle précédent (et le modèle R(θ)). Ce serait un
mauvais choix : si nous voulons réaliser un thermomètre, alors nous rentrons dans le domaine de la
métrologie. Il faut considérer que l’on a construit une chaîne d’instrumentation dont l’entrée (le
mesurande) est la température θ du capteur et la sortie l’indication In d’un « période-mètre ».
Il faut établir (étalonnage) la fonction θ (In) puis procéder à l’évaluation de Δθ (voir le chapitre
VII).

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