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Report

La professionnalisation des enseignants en formation initiale :


analyses didactiques des gestes professionnels en développement

MILI, Isabelle, et al. & Fonds national suisse de recherche

Abstract

En Suisse, pour être considéré comme un professeur d'instrument ou de chant professionnel,


un musicien doit faire valoir des compétences acquises dans des études spécialisées. Le
Master of Arts in Pedagogy, par exemple, est garant d'une formation spécifique et est exigé
pour enseigner dans les écoles de musique subventionnées par l'Etat. Délivré par les Hautes
écoles de musique, ce diplôme fournit quelques clés du processus de professionnalisation
des enseignants de musique: le plan d'études prévoit notamment des cours de didactique,
des stages ou encore l'élaboration d'un mémoire traitant d'un sujet pédagogique. Mais le
processus de professionnalisation «en actes», qui contribue à transformer un étudiant en
professionnel laisse des zones d'ombre... En d'autres termes, l'action conjuguée des acteurs
de cette professionnalisation n'a pas encore été décrite de façon systématique, en partant des
pratiques effectives. La traduction, dans les faits, des prescriptions des plans d'études, nous a
semblé intéressante à explorer, voire indispensable à aborder. Comment les professeurs de
[...]

Reference
MILI, Isabelle, et al. & Fonds national suisse de recherche. La professionnalisation des
enseignants en formation initiale : analyses didactiques des gestes professionnels
en développement. Genève : Fonds national suisse de recherche, 2016, 63 p.

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:131871

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la professionnalisation
Des enseignants
en formation
initiale

ANALYSES
DIDACTIQUES
DES GESTES
PROFESSIONNELS EN
DÉVELOPPEMENT

RAPPORT DE RECHERCHE
la professionnalisation
Des enseignants
en formation
initiale

ANALYSES
DIDACTIQUES
DES GESTES
PROFESSIONNELS EN
DÉVELOPPEMENT
(PrOJet FNs reQUÊte NO 100019-156730)

RAPPORT DE RECHERCHE

2 3
Isabelle Mili, René Rickenmann, Catherine Grivet-Bonzon, Marianne Jacquin
Francisco Mãrquez, Stefan Bodea, Gaël Thivolle: Université de Genève
Isabel Martin-Balmori: Université de Genève & Conservatoire de Musique de Genève
Cristina Bellu: Haute école de musique de Lausanne (hemu), Conservatorio della
Svizzera Italiana, Scuola Universitaria di Musica (CSI-SUM) & Conservatoire à
Rayonnement Départemental de Musique de Mulhouse
Anne Bassand: Haute école de musique de Genève (hem)
Silke Sabine Schmid, Peter Knodt, Vincent Providoli et Günter A. Buchwald: Haute école
de musique de Bâle

avec la participation de:


Mayumi Kameda et François Abeille: Haute école de musique de Genève (hem)
Frédéric Meyer de Stadelhofen: Haute école de musique de Genève (hem) et Haute
école de musique de Lausanne (hemu)
Christine Morard: Institut Jaques-Dalcroze de Genève (hem)
Barbara Zanichelli: Scuola universitaria di musica della Svizzera italiana (SUPSI)
Laszlo Buettler, Sebastian Goll et Stefan Häussler: Haute école de musique du nord-
ouest de la Suisse (FHNW)
Iris Haefely: Haute école des arts de Berne, Section musique
Céline Marleix-Bardeau: Université de Genève

Université de Genève
mars 2016
t a b l e d e s m a t i è r e s 5. ANALYSES
5.1 Technique et interprétation, un binôme
Devenir professeur d’instrument 5.1.1 Contenus et stratégies didactiques chez les enseignants débutants en
didactique de l’instrument
ou de chant… 5.1.1a Les deux topoï des savoirs interprétatifs
5.1.1b L’enseignement de l’interprétation et de la technique instrumentale
objectif et structure du rapport 5.1.1c Traitement des données
Objectif 5.1.2 Quelques exemples d’instrument
Structure 5.1.2a Violoncelle: les contraintes imposées à l’enseignant par les instruments
non tempérés
1. enjeux et apports du projet fns 5.1.2b Harpe: l’œuvre comme source des apports techniques
(requête no 100019-156730) 5.1.2c Violoncelle: l’interprétation comme rapport personnel au jeu instrumental
1.1 Principaux apports de l’étude (présentation synthétique) 5.1.3 Conclusion de l’analyse qualitative: Définir des milieux pour l’enseignement
1.2 Apports concernant le système de formation de la technique et de l’interprétation
1.3 Apports concernant le système d’enseignement 5.1.4. Chant: des techniques du corps et de l’expression
1.4 Apports méthodologiques concernant l’analyse didactique des pratiques
5.2. La corporéité
5.2.1 Le corps, outil pour enseigner et objet d’enseignement au centre du
2. Problématiques et questions de recherche
processus de formation
2.1 L’étude du geste de définition comme entrée dans l’identification des
5.2.1a Ancrages théoriques
savoirs 5.2.1b Méthodologie
2.2 La déclinaison de la problématique centrale à travers les principales 5.2.1c La dimension spatiale de l’expérience des corps
thématiques de recherche 5.2.1d Le corps comme objet d’enseignement des techniques
5.2.1e La sensation au service de l’interprétation
4 3. modèles professionnels sous-jacents aux pratiques 5.2.1f La corporéité dans les enseignements et la formation en rythmique
5
de transmission des savoirs musicaux «Jaques Dalcroze»
3.1 Du «comment» du «faire» à la reflexion sur les modèles professionnels 5.2.2 Résultats
3.1.1 La professionnalisation par l’imitation quotidienne et assidue du maître 5.2.3 La construction de la corporéité technique en chant et en piano
3.1.2 L’improvisation comme apprentissage de «liberté» et «source d’inspiration 5.2.4 En guise de conclusion du chapitre
du compositeur»
3.1.3 La corporéité au centre des apprentissages instrumentaux 5.3. La place de la planification dans les enseignements des étudiants et
3.1.4 Manières d’écouter, profils d’auditeurs les feedbacks des formateurs
3.1.5 La professionnalisation par et dans l’expérience musicale 5.3.1 L’analyse conduite en didactique du chant
5.3.1a Outils méthodologiques
3.2 Démarche de modélisation de l’agir professionnel du formateur 5.3.1b Résultats
3.2.1 Généricité des modèles du travail enseignant 5.3.2 L’analyse conduite en didactique de la harpe
3.2.2 Démarche de modélisation 5.3.3 L’analyse conduite en didactique des cuivres
3.2.3 Définir le concept de «modèle professionnel» 5.3.4 L’analyse conduite en didactique de la rythmique dalcrozienne
3.2.4 Cadre théorique: vers une définition opérationnelle des concepts de «modèle»
et de «développement professionnel» 5.4 Les devoirs à la maison sous l’angle de la professionnalisation
3.2.5 Les indices de professionnalisation, un défi théorique et épistémologique 5.4.1 Ancrage théorique
5.4.2 Objectif des analyses
5.4.3 Eléments méthodologiques
4. méthodologie de recherche
5.4.3a Les devoirs en tant qu’outils de développement de l’élève/de l’étudiant
4.1 L’approche qualitative couplée à l’approche quantitative
5.4.3b Catégories d’analyse spécifiques à l’approche didactique des devoirs
4.2 L’activité de codage
à domicile
4.3 Rôle des analyses descriptives
4.4 Volet qualitatif 6. au terme de cette étude...
4.5 Volet quantitatif
7. BIBLIOGRAPHIE
Accès aux données de recherche:
https://www.unige.ch/fapse/dam/recherche/donnees/professionnalisation-enseignants/
Devenir professeur d’instrument ou «effectives»… Comprendre leur logique interne et leur fonctionnement, dans
le processus de professionnalisation des futurs professeurs d’instrument et de
ou de chant… chant. Une compréhension qui passe par la collaboration avec les acteurs pro-
fessionnels. Parmi celles et ceux qui nous ont ouvert leur porte, certains se sont
En Suisse, pour être considéré comme un professeur d’instrument ou de chant essayés au codage et à l’analyse des pratiques observées. La distance favori-
professionnel, un musicien doit faire valoir des compétences acquises dans sant l’objectivité, nous avons toutefois estimé qu’il valait mieux ne pas être le
des études spécialisées. Le Master of Arts in Pedagogy, par exemple, est ga- «codificateur» de ses propres pratiques. Cependant, à tout moment, chaque
rant d’une formation spécifique et est exigé pour enseigner dans les écoles acteur de la formation a pu s’enquérir de l’état d’avancée de la recherche et
de musique subventionnées par l’Etat. Délivré par les Hautes écoles de mu- intervenir, s’il le souhaitait.
sique, ce diplôme fournit quelques clés du processus de professionnalisation
des enseignants de musique: le plan d’études prévoit notamment des cours Un immense merci à ces formateurs et toute notre gratitude aux institutions de
de didactique, des stages ou encore l’élaboration d’un mémoire traitant d’un formation, qui nous permettent d’explorer de concert la nature des pratiques
sujet pédagogique. Mais le processus de professionnalisation «en actes», qui effectives en formation des enseignants de musique!
contribue à transformer un étudiant en professionnel laisse des zones d’ombre…
En d’autres termes, l’action conjuguée des acteurs de cette professionnalisation
n’a pas encore été décrite de façon systématique, en partant des pratiques effec-
tives. La traduction, dans les faits, des prescriptions des plans d’études, nous a OBJECTIF ET STRUCTURE DU RAPPORT
semblé intéressante à explorer, voire indispensable à aborder.
OBJECTIF
Comment les professeurs de didactique s’y prennent-ils pour assurer et conduire Le présent rapport est le reflet d’un travail collaboratif effectué entre 2014 et
le développement professionnel de leurs étudiants? 2016. Il a engagé, d’une part, des professeurs de didactiques instrumentales et
vocale des Hautes écoles de musique (hem) de Genève, Berne, Lugano et Bâle
Comment tentent-ils d’en faire des pédagogues autonomes? et leurs étudiants, et d’autre part, des chercheurs du laboratoire DAM (Didac-
tique des arts et du mouvement) de l’Université de Genève. La collaboration entre
6 C’est à partir de ces questions que nous avons élaboré un projet de recherche les professeurs et les chercheurs fut soutenue et enrichissante, et nous espérons
7
dont nous livrons les principales étapes et les résultats dans le présent rapport. que le contenu de ce rapport permettra d’en rendre compte sous au moins trois
angles:
Pour traiter ces questions, nous avons fait un choix méthodologique très parti- • celui de la récolte des données empiriques, une récolte volumineuse, com-
culier… Nous nous sommes inscrits dans un courant: la modélisation de l’agir portant 104 vidéoscopies, soient 57 leçons et respectivement 47 séances de
professionnel. De quoi s’agit-il? feedback filmées1. Ces chiffres en disent long non seulement sur la disponi-
bilité et le désir de coopération des professeurs concernés, mais aussi sur leur
Ces trente dernières années, rien n’a semblé échapper à la modélisation – et, intérêt pour notre projet de recherche, une des conditions essentielles de
partant, à la codification – de l’agir professionnel. Sans emphase, on peut avancer tout travail de recherche collaboratif;
que la modélisation de phénomènes scientifiques ou humains a révolutionné les
méthodologies de recherche! Les tsunamis, les éruptions volcaniques et autres • celui des logiques d’enseignement et / ou de formation, mises en évidence
catastrophes naturelles, mais aussi la disparition d’espèces animales ou les popu- grâce à des outils de recherche spécifiques aux didactiques des arts. Ainsi
lations atteintes par telle ou telle maladie ont fait l’objet de modèles statistiques. que nous le verrons au fil des pages de ce rapport, le principal bénéfice de
Le but étant bien sûr de comprendre les phénomènes concernés, mais aussi de notre étude pour les enseignants qui ont accepté d’être filmés, observés et
suivre, et surtout de prédire leur évolution, Même le sport a été touché! A cet analysés, est la mutualisation
égard, le film de Bennett Miller (2011) «Moneyball» («Le stratège», en français) - de méthodologies de recherches en didactique disciplinaire et
fournit une excellente approche de la codification de l’agir professionnel, même - de démarches d’analyse clinique permettant le décryptage de processus de
s’il traite… de baseball! Ce film est basé sur l’histoire vraie d’un manager des formation professionnelle.
Oakland Athletics, qui cherche à constituer une équipe compétitive en dépit de
difficultés financières… Et pour cela, il passe par la codification de l’agir profes- • enfin, la dissémination de cette recherche, dans des manifestations scienti-
sionnel de joueurs de base-ball externes ou internes à son équipe. fiques réunissant chercheurs et collaborateurs à la recherche.,
Comme Billy Beane, le manager en question, nous avons codifié des gestes
professionnels effectués dans un contexte «ordinaire», qui existe indépendam- Nous avons soigneusement défini notre objet. Il s’agit, pour nous, de déceler des
ment du chercheur. Mais contrairement à Billy Beane, pour qui l’argent et le gain phénomènes relatifs à la professionnalisation difficilement décelables au prime abord.
étaient l’objectif visé, notre objectif est de comprendre ces pratiques «ordinaires»,
1
L’ensemble de ces données est accessible sur le site de l’équipe DAM (Didactique des arts et du
mouvement, Université de Genève), en suivant le lien: https://www.unige.ch/fapse/dam/recherche/
donnees/professionnalisation-enseignants
Pourquoi? Parce que nous avons fait le choix de mettre sous la loupe des pra- • La problématique de départ et les questions de recherche à partir desquelles
tiques effectives, c’est-à-dire des situations ordinaires d’enseignement, qui existent nous avons travaillé permettront au lecteur de saisir dans quel système, dans
indépendamment de toute recherche. Des cours de didactique instrumentale quel rayon d’action et dans quel espace cette recherche se situe. Nous y
ou vocale inscrits dans des plans d’études de Master, dans lesquels se déroulent avons balisé le champ de nos investigations et désigné les outils qui nous
notamment des leçons données par les étudiants musiciens à un élève novice, en permettront, selon nous, de l’arpenter en didacticiens – c’est-à-dire en nous
présence d’autres étudiants et sous la supervision du professeur de didactique. intéressant à ce qui s’enseigne, à comment c’est enseigné et à ce qui se
Un contexte qui paraît «naturel» à beaucoup d’acteurs et d’observateurs, dès construit – ou pas – grâce aux acteurs, aux interactions, aux milieux, aux
lors qu’il est pérenne et communément partagé. Toutefois, un contexte «naturel» modèles d’enseignement et de professionnalisation… Il s’agit d’adopter des
n’est pas nécessairement lisible quant à ce qui le structure. points de vue résolument didactiques et de prendre nos distances d’avec le
sens commun. Car, à l’instar de beaucoup de phénomènes de transformation
L’analyse didactique que nous avons effectuée a notamment débouché sur une humains, le processus qui conduit d’un état (plus ou moins novice) à un
modélisation des pratiques de formation à l’enseignement musical, vues sous autre (plus ou moins expert) ne se donne pas à lire spontanément.
l’angle des cultures professionnelles qu’elles véhiculaient. Cette importante en-
treprise s’est essentiellement appuyée sur l’étude minutieuse de cinq domaines • Dans la partie théorique, nous présenterons (i) les cadres nécessaires à nos
d’observables (que nous passons ici rapidement en revue, mais sur lesquels nous approches des processus de professionnalisation des enseignants de musique
reviendrons en détail dans la partie consacrée à la méthodologie): en formation initiale en Suisse, mais aussi et surtout (ii) nos apports théori-
ques, alimentés par les travaux de nos prédécesseurs et de nos contemporains,
• les types d’activités / tâches proposées par les étudiants à leurs élèves (exer- dans une revue de la littérature scientifique passée au filtre de nos observa-
cices de détente corporelle ou d’échauffement vocal ou instrumental; exer- tions. Une attention particulière sera accordée aux modèles professionnels que
cices techniques, en lien ou non avec l’œuvre musicale convoquée; lecture de laissent entrevoir les pratiques d’enseignement et de formations analysées.
partitions ou de textes; interprétation de l’œuvre-partition; écoute; improvi-
sation…) et leurs enjeux d’apprentissage, déclarés ou implicites; • Dans la partie méthodologique, nous décrirons essentiellement la construction
des outils (quantitatifs et qualitatifs) d’analyse didactique des pratiques d’ensei-
• les milieux d’étude mis en place par les étudiants dans le cadre de leurs dis- gnement et de formation observées. La construction des indices de profession-
8 positifs d’enseignement, ou par les formateurs lors de leurs feedbacks ou nalisation et les démarches de leur analyse didactique, à travers les différents
9
cours collectifs, avec leurs différentes ressources sémiotiques (matérielles, systèmes d’observables y occuperont une place privilégiée.
discursives, corporelles, musicales, iconiques);
• La partie la plus dense du présent rapport sera consacrée aux analyses et à la
• les types de savoirs ou savoir-faire (savoirs à enseigner et/ou savoirs pour présentation détaillée de la culture scientifique que nous avons construite à
enseigner), négociés et/ou construits à travers les leçons des étudiants ou les travers elles, et de nos apports les plus importants au patrimoine de re-
feedbacks des formateurs; cherches qui traitent de la professionnalisation des enseignants de musique
en formation initiale, dans une perspective didactique.
• les référentiels (institutionnels, expérientiels…) convoqués (le plus souvent de
manière implicite); • La partie conclusive, quant à elle, entend aller au-delà de la présentation
des grandes classes de conclusions de nos recherches, pour décrire la princi-
• les effets de formation / professionnalisation détectables dans les pratiques pale perspective de recherche à l’horizon de ce projet soutenu par le FNS.
d’enseignement des étudiants.

STRUCTURE

Le rapport est structuré en six grandes parties.


• Nous exposerons brièvement le contexte et les enjeux du projet (notamment
l’intérêt qu’il présente pour les diverses collectivités concernées). Puis nous
présenterons de manière relativement synthétique les principaux résultats
de recherche, en examinant ce que chacun des sous-groupes de l’équipe a
trouvé. Les perspectives qui s’ouvrent au vu de ces résultats, en didactique
de la musique, seront évoquées.
1. contexte
et enjeux
Du projet
soutenu par le FNS (REQUÊTE NO 100019-156730)

Le projet qui a donné lieu à notre recherche fut élaboré à un moment


où on peut encore constater le nombre réduit de recherches effec-
tuées sur les aspects didactiques de la formation à l’enseignement
instrumental et vocal (depuis la grande réforme du système des Hautes
10 Ecoles spécialisées (HES), amorcée en 1998 et achevée après 2010). 11
Dans cette perspective, la contribution de l’ensemble des recherches
que nous avons menées dans le cadre de ce projet peut être décrite
comme un apport didactique à l’analyse de la professionnalisation des
enseignants de musique en formation initiale.
L’état des lieux en matière de recherches sur les aspects didactiques de la for- • une méthodologie mixte. La revue de la littérature a montré qu’en majorité,
mation des enseignants de musique montre que la professionnalité a été abor- les recherches sont de nature qualitative et mettent en évidence la variété et
dée plutôt sur le versant de l’explicitation de l’identité professionnelle par les la complexité des éléments en jeu dans les systèmes didactiques. Mais, comme
acteurs concernés2 que sur celui de l’analyse didactique de pratiques d’ensei- le soulignent Bru, Altet et Blanchard-Laville (2004), ces recherches abordent
gnement in situ. plus rarement la façon dont ces éléments et ces processus sont – ou ne sont
pas – en relation.
Aussi le projet s’est-il consacré aux enseignements de didacticiens de la musique
des Hautes Ecoles de Musiques (HEM) de Genève, Lausanne, Bâle, Lugano et Savoirs à enseigner / pour enseigner
Berne, enseignements appréhendés comme susceptibles d’éclairer l’évolution L’approche didactique de notre projet se justifie par la nécessité de décrire les
récente de la formation des formateurs et la nature de l’évolution des dispositifs. articulations, entre les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner (Hofs-
tetter & Schneuwly, 2009)4. Les savoirs à enseigner étant de nature «savante»,
Nos recherches s’inscrivent dans le champ de l’analyse didactique des pratiques scientifique, technique… Et les savoirs pour enseigner relevant de la pédago-
enseignantes dans les formations supérieures à visée professionnalisante; en gie, de la didactique, de la psychologie… Ceci dans des domaines de formation
particulier, dans le cadre des études sur les processus de tertiarisation du sys- supérieure où de nombreux formateurs se forment «sur le tas», à partir d’ex-
tème des Hautes écoles. Nous cherchons à déceler la manière dont émergent, pertises qui sont certes reconnues, mais pas nécessairement spécifiées.
sont formalisés et sont transmis des savoirs experts3 concernant la formation
didactique des enseignants. Il s’agit de saisir comment se manifeste l’expertise Certes, le renouveau des recherches dans des champs comme la pédagogie
didactique disciplinaire des formateurs et comment se construit celle des futurs universitaire (De Ketele, 2011) apporte des éléments de réponse sur les proces-
enseignants d’instrument ou de chant. sus de formation (Coulon et alii, 2004; Lindblom-Ylänne et alii, 2006), notam-
ment en explorant la figure de «l’enseignant-chercheur» typique des forma-
Par rapport aux travaux de recherche déjà réalisés dans le cadre de cette pro- tions universitaires. Mais ces mêmes études mettent en évidence les limites, en
blématique, l’originalité de ce projet consiste dans le fait de s’appuyer, pour termes de qualité de l’enseignement, de l’articulation «recherche académique
12 l’analyse, sur: vers pratiques de formation». Dans le système HES, nous assistons souvent à 13
des situations dans lesquelles le processus de transfert de compétences est
• un corpus empirique ayant fait l’objet de peu d’études. L’expertise des forma- inversé: les enseignants sont souvent promus «didacticiens pour la formation
teurs en didactique instrumentale ou vocale est, par certains aspects, proche des enseignants» à partir de l’hypothèse d’un transfert des «pratiques profes-
de celle du «praticien-expert», dans la mesure où la nomination de ces for- sionnelles d’enseignement» vers des «pratiques académiques de formation».
mateurs se base sur leur expertise professionnelle comme musiciens et comme
enseignants de musique. En même temps, la pratique professionnelle de Il nous faut donc:
ces musiciens-formateurs n’est pas simplement le fruit de conceptions et de
pratiques pédagogiques héritées, imitées et transférées aux situations de • décrire les processus sous-jacents d’éventuels transferts d’expertises d’ensei-
formation. gnement vers la configuration d’expertises de formation, en termes de savoirs
à enseigner et de savoirs pour enseigner;
• un cadre théorique didactique, relatif à l’activité didactique d’enseignement
dans un contexte disciplinaire. Ce qui implique d’inclure dans le champ- • analyser la reconfi guration, en termes de transpositions didactiques, des sa-
même de l’exercice du métier, des conceptions et des pratiques liées à la voirs à enseigner;
transmission des savoirs (Merchán, 2013; Mili, Rickenmann, Merchán Price &
Chopin, 2013). En effet, une particularité marquante de l’approche didacti- • formaliser des savoirs pour enseigner qui émergent au sein des pratiques de
que est celle de découpler analytiquement les savoirs à enseigner des savoirs formation, ceci compte tenu de l’absence de formations spécifiques à la
pour enseigner, mais sans les cloisonner dans des domaines disciplinaires fonction de formateur.
différents (la discipline de référence pour les premiers, la pédagogie pour les
seconds).

2
Cf. par exemple, le Colloque international sur les identités professionnelles des professeurs de mu-
sique, tenu en décembre 2014 au Conservatoire national supérieur de musique (CNsm) de Paris
(http://www.conservatoiredeparis.fr). 4
Hofstetter & schneuwly (2009) placent les savoirs au centre des «professions de l’enseignement et
3
au sens de Johsua (1996). Le concept de transposition didactique n’est-il propre qu’aux mathé- de la formation» et distinguent entre «les savoirs à enseigner» et «savoirs pour enseigner», les pre-
matiques? in C. raisky et m. Caillot (eds), au-delà des didactiques, le didactique. débats autour de miers constituant «les objets» du travail des enseignants–formateurs, et les seconds «les outils de leur
concepts fédérateurs. Perspectives en éducation. de boeck université, pp. 61-74 travail» (pp.17-18).
1.1 PRINCIPAUX APPORTS DE L’éTUDE La contribution de Grivet-Bonzon & Jacquin (2016), orientée sur «le déve-
loppement d’outils théoriques et méthodologiques, tant pour construire de
(PRéSENTATION SYNTHéTIQUE) nouveaux objets de recherche que pour mieux appréhender le didactique ordi-
naire», est, à cet égard, typique du comparatisme en didactique.
Les analyses (notamment qualitatives) du processus de professionnalisation des
enseignants de musique ont pu mettre en évidence le rôle primordial du «ma- En outre, nous avons essayé de repérer la manière dont les formateurs eux-
gister». Autrement dit, le principal référentiel qui émerge dans les dispositifs mêmes ont pensé leur formation, ce qui augmente à nos yeux l’intérêt de notre
de formation est la relation au magister (ici le formateur en didactique instru- projet pour la communauté de formateurs à l’enseignement musical vocal et
mentale ou vocale), à travers les savoirs qui structurent son expérience (savoirs instrumental, première concernée par les résultats de notre étude.
«construits dans l’expérience», cf. Vanhulle, 2009, p. 248) ou «savoirs empi-
riques» (Mialaret, 2011). La professionnalité se construit donc comme trans- Dans ce qui suit, nous présentons une synthèse des principaux apports de nos
mission in situ d’outils disciplinaires et didactiques (i.e. «savoirs à enseigner» et recherches, selon les trois grandes dimensions de l’étude que sont:
«savoirs pour enseigner»), processus s’appuyant essentiellement sur les savoirs
experts des formateurs. Si la principale source de ces savoirs semble être l’ex- • le système de formation
périence empirique, une autre source, en revanche, est la sédimentation des • le système d’enseignement
pratiques (cf. Dolz & Schneuwly, 2009) propre à la forme scolaire (Eliou, 1994). • les apports de démarches méthodologiques mixtes.
L’étude des référentiels chez les formateurs de Suisse romande et de Suisse
alémanique montre une tendance des formateurs de Suisse alémanique à s’ap-
puyer sur des référentiels d’ordre philosophique, ainsi que sur différentes mé- 1.2 APPORTS CONCERNANT LE SYSTÈME
thodes d’enseignement de l’instrument (par exemple de violon). Alors qu’en
ce qui concerne les pratiques des formateurs romands, celles-ci sont orientées
DE FORMATION
14 par ce qu’on appelle une «théorie de la pratique». Ce qui permet de mettre en 15
Les apports relèvent, principalement, de DIMENSIONS GENERIQUES des
lumière le fait que les différentes articulations des savoirs à enseigner et savoirs
systèmes de formation (i.e., qui font écho à d’autres systèmes de formation
pour enseigner sont fonction des pratiques professionnelles d’enseignement
d’enseignants). Les études menées ont ainsi pu mettre en lumière trois caracté-
des formateurs.
ristiques.
Comme le souligne Vanhulle (2009), «[…] les étudiants apprennent le métier
à partir de formes de validation et d’invalidation de leurs actions par les en-
• Pour l’ensemble des données recueillies dans notre étude, l’on ne peut pas
seignants qui les accompagnent dans leurs stages. Enfin, les étudiants ap-
établir de liens de cause à effet entre les feedbacks donnés par les profes-
prennent de leur expérience immédiate, ancrée dans des situations, marquée
seurs de didactique et l’évolution des pratiques pédagogiques des enseignants
d’interactions et d’événements non anticipés, d’actions et de décisions sur le
en formation. Ceci invite à explorer d’autres variables. C’est donc aussi au
vif» (p. 248). De telles pratiques laissent entrevoir leurs modèles professionnels
cœur de la formation disciplinaire que l’on doit chercher les éléments qui
sous-jacents, essentiellement orientés vers la construction de ce qu’on pourrait
constituent les conceptions didactiques et les savoirs experts qui sont à la base
globalement appeler le corps technique ou le corps-instrument.
des profils professionnels des futurs enseignants.
On pourrait ici penser au contexte des grandes écoles du XVIIème siècle, qui
• Les limites observées de feedbacks effectués par le professeur de didactique
étaient découplées des universités. Dans notre cas, qui est celui des Hautes
sont dues à l’absence d’une systématisation et formalisation de ce type de
Ecoles de Musique (HEM), du fait que les enseignants ne sont majoritairement
dispositif dans la formation. Au niveau qualitatif, nous avons pu observer des
pas formés à l’université, l’analyse des modèles de formation professionnali-
progressions plus marquées chez les étudiants lorsque les formateurs
sante passe inévitablement par une démarche de conceptualisation à partir des
a. donnaient des tâches précises à réaliser après le feedback et
données empiriques. Dans cette perspective, nos travaux (cf. notamment Mili
b. présentaient aux étudiants des référentiels pédagogiques et disciplinaires
et al. 2016; Jacquin, 2016; Grivet-Bonzon, 2016; Grivet-Bonzon et Jacquin, à
explicites.
paraître; Rickenmann à paraître; Martin-Balmori, 2014 et à paraître; Bodea,
2016, Bodea & Thivolle, 2016) s’efforcent de mettre en évidence l’importance
• Des différences de culture institutionnelle marquées ont été constatées, notam-
que présente cette démarche de construction d’outils théoriques à partir des
ment en ce qui concerne le rapport entre deux formes différenciées: «feedbacks-
données empiriques pour la recherche clinique en didactiques disciplinaires.
cours collectifs» versus / «feedbacks isolés». Ainsi, dans les «feedbacks-cours», Pour tous les cas étudiés, nous avons observé une prééminence des gestes dia-
les observations sont réarticulées par les formateurs à un projet de formation gnostiques, tant chez les enseignants en formation que chez les formateurs en
appréhendé comme un ensemble – ensemble, davantage théorisé et référencé. situation d’observation. L’importance des occurrences de ce type de geste dans
Alors que lors de feedbacks isolés, le discours formateur est davantage lié notre corpus de données laisse penser qu’il s’agirait d’actions définitoires de
aux phénomènes localement observés, c’est-à-dire à ce qui vient de se produire l’agir professionnel disciplinaire, méritant dès lors des études plus approfondies.
dans la leçon donnée par l’étudiant. Avec à la clé une description resserrée
et des commentaires circonstanciés et conjoncturels sur une leçon – un
épisode du passé proche.
1.4 APPORTS MÉTHODOLOGIQUES CONCERNANT
L’ANALYSE DIDACTIQUE DES PRATIQUES
1.3 APPORTS CONCERNANT
LE SYSTÈME D’ENSEIGNEMENT Dans cette partie, nous développons les apports et limites de la recherche mixte
concernant les concepts et méthodes mobilisés pour l’analyse didactique. Nous
Les apports concernent des dimensions SPECIFIQUES à l’enseignement instru- relevons principalement la robustesse d’une approche basée sur les catégories
mental et du chant, qui constituent les fondements des pratiques disciplinaires descriptives de l’action enseignante produites par la recherche en didactique
à la base de l’agir professionnel observé chez les professeurs de didactique et des disciplines, notamment par les modélisations de la théorie des situations di-
chez les enseignants en formation. dactiques (Brousseau, 1990) et par la Théorie de l’action didactique conjointe,
TADC (Sensevy & Mercier, 2007). Leur transférabilité pour l’étude du fonction-
• Nous constatons une nette différence concernant le type d’engagement nement didactique dans d’autres champs disciplinaires d’enseignement et de
corporel nécessaire à la maîtrise de l’instrument entre les «souffleurs» formation fait ici ses preuves. Du point de vue quantitatif, cette robustesse a
(chant, instruments à vent) et les «non-souffleurs» (instruments à cordes et été avérée dans:
16 piano). Cette différence se dessine notamment grâce à l’analyse des modes 17
de définition utilisés pour la construction des gestes techniques. • la capacité à rendre compte statistiquement de phénomènes jusqu’ici étu-
diés uniquement d’un point de vue clinique et qualitatif, avec les avantages
• Pour tous les cas étudiés, nous constatons la tendance, chez les enseignants non-négligeables de la généralisation possible des conclusions;
débutants, à privilégier des savoirs de type technique instrumentale, géné-
riques et plutôt décontextualisés. Tout se passe comme si c’était la base, • la possibilité de mener des analyses comparatives sur un ensemble numéri-
la condition au jeu instrumental, reléguant le rapport aux œuvres dans une quement important de données ayant amené à des descriptions très fines des
fonction seconde. Autrement dit, le rapport aux œuvres, comme «levier» de comportements des systèmes didactiques de formation et d’enseignement.
l’apprentissage instrumental ou vocal est quasiment inexploité.
En termes de limites, s’agissant d’une recherche exploratoire, la nomenclature
• Pour tous les cas étudiés, des systèmes explicatifs basés sur des processus utilisée pour coder les gestes professionnels de définition des professeurs de
psychologiques de l’apprentissage (donc centrés sur l’apprenant) sont privi- didactiques et de leurs étudiants (futurs professeurs d’instrument ou de chant)
légiés par rapport à des référentiels didactiques qui prennent en compte des s’avère perfectible. Cette nomenclature nous a certes permis d’établir les bases
interactions de l’ensemble des éléments du système didactique enseignant- statistiques que nous escomptions; elle a permis ensuite le traitement statistique
savoirs-élève. des gestes professionnels de définition rencontrés dans l’ensemble du corpus
de données. Cependant, dans une prochaine étude de ce type, nous devrons
• En conséquence, pour tous les cas étudiés, ce sont les performances des modéliser les rapports entre les variables explicatives, au terme de plusieurs
élèves qui sont systématiquement évoquées comme guidant la conduite de «exercices 0» (codages des gestes professionnels en amorce de l’étude). En
la leçon, voire de la prochaine leçon. A une exception près, l’amélioration de effet, certains éléments de cette nomenclature ont révélé, à l’usage, que les
ces performances, grâce à: frontières entre les catégories de définition n’étaient pas toujours nettes, au
– une planification (plus longitudinale) de l’enseignement et vu de certaines des situations observées. Des télescopages entre les variables
– la définition des conditions didactiques à déployer pour favoriser la progres- définitions discursives (Dd) et les définitions à partir de pointages (Dp)* étaient
sion et le développement des élèves n’est pas thématisée. possibles, à partir du constat effectué par les chercheurs que souvent les
«pointages» étaient effectués à travers le discours. Un phénomène similaire

*
cf p. 58: six modalités d’actions de définition
se présente avec les exemples «positifs» (Dm+) ou les contre-exemples (De-)
donnés oralement par les professeurs de didactique. Nous reviendrons sur
la nomenclature des gestes professionnels observés dans deux parties de ce
rapport: la 2ème partie, consacrée à la problématique et aux questions de re-
cherches, et la 4ème partie, consacrée à la méthodologie de recherche que nous
avons employée.

Quant au codage des gestes en tant qu’outil de recherche, il nous a permis de


saisir les spécificités relatives aux champs disciplinaires observés. Ils confirment
deux particularités des systèmes observés dans le champ de l’enseignement de
l’instrument et du chant.

1. Contrairement à d’autres disciplines dans lesquelles les actions de définition


des enseignants sont localisées et resserrées autour des phases de pré-
activité des élèves, on constate ici une distribution de ces actions de DEFI-
NITION des tâches et contenus à enseigner sur l’ensemble de la durée des
leçons !

2. Dans ce cadre, la mobilisation fréquente du DIAGNOSTIC, basé sur l’obser-


vation systématique des activités de l’élève, est également distribuée sur
l’ensemble des leçons. Un geste typique et définitoire de l’action de l’ensei-
gnant de musique.
18 19
L’intervention, sous forme d’actions diagnostiques, notamment chez les en-
seignants débutants, est fonction des plans de leçon ou, plus rarement, de
séquences d’enseignement et planifications à long terme plutôt vagues et gé-
nérales. Il en résulte, pour les élèves mais aussi pour les étudiants eux-mêmes,
une absence de visibilité et d’explicitation des articulations entre

• ce qui résulte des diagnostics localement produits dans chaque leçon et


dans chaque feedback et

• des effets sur la conduite – à moyen et long termes – de l’enseignement


(visant des progressions dans les apprentissages et un développement signi-
ficatif des élèves).
2. problématiques
et questions
De recherches

2.1 l’étuDe Du geste De Définition


comme entrée Dans l’iDentification
Des savoirs
La description des gestes de définition des contenus
20 21
et des tâches d’apprentissage par les formateurs
(Sensevy, 2007) constitue une entrée privilégiée
pour identifier les savoirs à enseigner et les savoirs
pour enseigner ainsi que leur articulation, dans des
contextes de formation où cette problématique n’a fait
l’objet que d’un nombre très restreint de recherches.
Au sein de l’équipe DAM, la conceptualisation de la définition en tant que geste fonctionnement didactique de la définition comme un important indicateur de
d’enseignement, mais aussi et surtout en tant qu’outil de recherche, a été dé- développement professionnel (sous des conditions que nous allons expliciter
veloppée au cours des dix dernières années, en lien étroit avec les observations plus loin, aussi bien dans la partie théorique que dans la partie consacrée à la
d’enseignements dispensés par des professeurs débutants ou chevronnés dans méthodologie).
différentes institutions d’enseignement romandes. Ces enseignements étaient
pour la plupart organisés en fonction d’œuvres de référence appartenant à En effet, dans le cadre de la formation aux enseignements artistiques et musi-
l’environnement culturel proche des élèves. On a pu observer, notamment à caux, les savoirs disciplinaires (techniques et interprétation) et les savoirs sur
travers de nombreuses analyses a priori de tâches d’élèves (Leutenegger, 2009; leur transmission (méthodes, praxéologies didactiques) font souvent partie de
Ligozat, 2009 et 2015; Dolz et Leutenegger, 2015), que le geste de «définition l’expertise professionnelle des musiciens, sans que l’on sache toujours com-
du jeu didactique» (Sensevy, 2006) pouvait se décliner en fonction du contenu ment ils sont discriminés puis articulés dans les pratiques.
sur lequel il portait et gagner ainsi en opérationnalité. L’enseignant peut définir
une tâche en se focalisant sur l’explicitation du «faire» de l’élève (i.e. le type Pour cette étude, nous avons ainsi retenu les concepts proposés dans le mo-
d’activité que l’élève est appelé à effectuer), mais il peut également définir une dèle didactique de l’action conjointe (TADC) (cf. Sensevy & Mercier, 2007),
situation, le milieu pour l’action, le but de l’activité envisagée, les règles de dans la mesure où celui-ci propose une conception dynamique des articula-
l’action ou «les variables de commande» (Amade-Escot, 2007), des moyens tions entre des processus d’enseignement et des processus d’apprentissage.
à employer (procédures ou pistes procédurales), des critères de réussite, des Parmi les concepts didactiques qui sont mobilisés pour l’analyse des situations
repères, des notions… à travers différentes ressources sémiotiques. Parmi ces d’enseignement/de formation, le modèle de la TADC propose quatre concepts
ressources, citons des ressources langagières, iconiques (images, pictogrammes génériques permettant de décrire fonctionnellement l’action enseignante: les
ou autres objets à visualiser), ressources corporelles, artefacts (objets fabriqués gestes de définition (de la situation, des contenus, de la tâche), de dévolution
et portant trace de la conception et réalisation humaine; ce qui les rend parti- (la cession de la responsabilité de la tâche à l’élève), de régulation (de l’activité
culièrement complexes du point de vue sémiotique)5. de l’élève) et d’institutionnalisation (des contenus construits par les élèves).

22 Quel que soit son degré de transparence (ou d’hermétisme), le geste de défi- Dans la perspective d’étudier les pratiques didactiques des formateurs, le mo- 23
nition vise à baliser le terrain d’apprentissage de l’élève, de sorte que celui-ci dèle de la TADC nous permet de formuler comme hypothèse que les fonctions
comprenne, sans ambiguïté, les contenus et les règles du jeu, ainsi que le sou- concernant les quatre gestes d’enseignement (définir, dévoluer, réguler et insti-
lignait entre autres Sensevy (2006). tutionnaliser) devraient, en principe, faire partie des savoirs qui sont thématisés
et mobilisés: a) dans la formation et b) en termes d’effets sur les apprentissages
Autrement dit, la définition, c’est l’entrée dans la construction didactique de la des étudiants, mobilisés dans leurs discours ou leurs pratiques d’enseignement
référence commune, à propos des objets de savoir en jeu. Vu sous cet angle, avec les élèves. Par rapport au modèle de Bucheton (2009), il présente l’avan-
ce geste d’enseignement a une double fonction, celle de fournir aux élèves: tage de centrer l’objet d’analyse sur le système didactique et non pas sur l’une
seule de ses composantes (l’enseignant), mais tout en produisant des données
• des indices concernant la tâche qu’ils doivent réaliser (que doivent-ils faire et qui permettent néanmoins de caractériser l’agir de l’enseignant. Comme nous
comment?) l’avons déjà souligné, l’avantage de l’approche de la TADC est de ne pas lier
l’analyse de ces gestes à l’enseignant en tant que sujet individuel, mais à l’en-
• des indices concernant les enjeux de savoir liés à cette tâche (dans quel but seignement en tant que système de fonctions dans les situations didactiques.
doivent-ils faire ce qu’on leur désigne comme étant à faire?). Les gestes professionnels en question nous permettent de décrire:

Dans la perspective de notre projet de recherche, l’entrée dans l’approche de • l’activité des formateurs dans les dispositifs étudiés;
l’agir didactique par le geste de définition devenait particulièrement intéres-
sante, dans la mesure où elle concernait l’articulation entre les savoirs discipli- • l’activité des étudiants/enseignants en formation lors des phases d’interaction
naires et respectivement les savoirs didactiques, dans le cadre d’un système de avec leurs propres élèves;
formation enchâssé, comportant leçons dispensées par l’étudiant et séances
de feedback organisées par le formateur. Par ailleurs, nous avons inclus cette • une partie des contenus de la formation, notamment celle relative aux savoirs
problématique dans celle de la professionnalisation des étudiants en forma- pour enseigner.
tion initiale à l’enseignement musical. Ce qui nous a amenés à considérer le
5
Notre système de codage des actions de définition tient compte de la variété sémiotique de leurs conte-
nus (cf. système de codage, dans la 4ème Partie de ce rapport, intitulée: Méthodologie de recherche)
La nature descriptive du modèle de l’action didactique conjointe et le foison- eux-mêmes (cf. la partie du rapport consacrée à l’explicitation des indices de
nement des ressources sémiotiques mobilisées dans les leçons nous mettent professionnalisation);
donc face à un objet très riche, permettant de postuler un certain nombre de • un qui s’est proposé de mettre sous la loupe les relations entre les définitions
corrélations. Le nombre relativement important de variables en jeu, ainsi que la portant sur les domaines de l’interprétation et de la technique – y compris
palette des indicateurs mobilisés pour les décrire, nous incitent à recourir au les phénomènes qui relèvent de l’incorporation des savoirs.
champ de l’analyse statistique régressive ou multivariée permettant de les traiter.
Les thématiques de nos recherches (la place de la planification et des devoirs
Notre projet part de deux principales questions de recherche: à domicile dans l’enseignement musical et dans la formation à cet enseigne-
ment; le rapport entre technique et interprétation; le fonctionnement des res-
• Quelles distinctions et articulations entre les savoirs à enseigner et les savoirs sources sémiotiques – langagières et / ou corporelles; les modèles d’analyses et
pour enseigner les formateurs en didactique de l’instrument/du chant font-ils de professionnalisation) étaient toutes subordonnées à notre objet central: les
dans le cadre de leurs interventions? logiques de professionnalisation. Mais nous n’avons pas postulé, a priori, un
lien causal de facto entre la formation et la pratique des étudiants concernés.
• Comment ces savoirs sont-ils didactisés et avec quels effets observables sur
les apprentissages des étudiants? 6
Modèles fournis par le formateur et indices
Avec ces deux questions de recherche, nous cherchons aussi à déterminer si le du développement des enseignants en formation
geste didactique de définition du formateur (professeur de didactique) permet
En cherchant à mettre en évidence les modèles professionnels sous-jacents aux
d’expliquer l’évolution du nombre d’occurrences caractérisant l’agir profession-
pratiques des formateurs et à en observer les traces dans les leçons données
nel des étudiants (variables expliquées: «mobilisation (croissante / décroissante)
par les étudiants à leurs élèves, nous avons formulé le système de questions de
de gestes didactiques d’enseignement»), ainsi que la nature du processus de
recherche suivant:
professionnalisation (agir imitatif versus / agir mimétique).
24 25
• Quels savoirs / dimensions des savoirs (musicaux, didactiques), enseignés en
Les réponses à la première question nous permettront dans un premier temps
formation sont repris dans les leçons dispensées par les étudiants et comment?
d’établir les processus de didactisation des savoirs dans le domaine de la didac-
En quoi le formateur met-il en place un milieu didactique professionnalisant
tique instrumentale ou du chant, en repérant les modes d’organisation des
à l’intention de son étudiant?
savoirs à enseigner et les types d’activités à travers lesquelles ils peuvent être
enseignés. Pour les savoirs à enseigner, nous retenons deux grandes catégories:
• Quelles sont les traces de procédés/postures modélisant-e-s du formateur
savoirs relatifs à la technique instrumentale/vocale et savoirs concernant l’inter-
dans la leçon?
prétation musicale. Concernant les savoirs pour enseigner, nous retiendrons
deux types d’indicateurs: a. les types d’objets d’enseignement et d’activités
• Quelles visées praxéologiques (pour l’action, l’opérationnalisation…) recèlent
d’apprentissages comme indicateurs relatifs à l’organisation de l’enseigne-
ces procédés/postures?
ment et b. les quatre gestes d’enseignement7 comme indicateurs relatifs à la
conduite de l’enseignement. Ceci en sachant que l’organisation de l’enseigne-
• Dans quelle mesure le type de savoirs du formateur (savant, professionnel
ment implique une certaine organisation de la conduite de l’enseignement.
en tant que musicien, d’expérience...) et les gestes de définition mobilisés en
lien avec un objet donné déterminent-ils la reprise de cette objet et les gestes
de définition par l’étudiant dans ses leçons?
2.2 LA DéCLINAISON DE LA PROBLéMATIQUE
– La source d’expertise d’où proviennent les savoirs du formateur (savoirs
CENTRALE à TRAVERS LES PRINCIPALES savants, d’expérience…) joue-t-elle un rôle dans la transposition par l’étu-
THéMATIQUES DE RECHERCHE diant? (p.ex.: un savoir déclaré d’expérience a-t-il plus de chance d’être
investi par l’étudiant qu’un savoir qui fait appel à une référence théorique?)
La recherche qualitative a été organisée en deux grands groupes:
• un qui s’est attaché aux indicateurs du processus de professionnalisation – Le geste de définition utilisé par le formateur a-t-il une influence sur la
reprise de l’objet par l’étudiant?
6
Cette question, qui concerne la partie qualitative de la recherche, est reformulée en deux sous-
questions pour la partie quantitative.
7
à savoir: définir, dévoluer, réguler, institutionnaliser (Sensevy, 2007)
• De quelle nature sont les modèles rencontrés en formation et de quelle • Les savoirs relevant des processus de planification ou programmation
manière les étudiants se les approprient-ils ? Quelles sont les transformations didactique révèlent souvent des variations (ou «tensions»), entre savoirs de
que subissent les savoirs enseignés en formation lorsqu’ils sont transposés référence institutionnels, savoirs académiques et savoirs d’action / «pratiques
dans l’enseignement? effectives» (Vanhulle, 2009, p. 65).

• Quels sont les outils didactiques spécifiques, visant la construction de l’auto- Le travail d’anticipation / planification / préparation constitue une composante
nomie de l’élève, présentés en cours de formation et repris par l’étudiant-e? essentielle du métier d’enseignant (cf. Mathéron, 2001). Des études récentes
mettent en évidence que cette composante influe sur la «transformation
• Quels outils de planification traités en cours de formation sont repris par professionnelle» ou le «développement professionnel» (cf. par exemple
l’étudiant-e? Lebouvier, 2010; Weiss & Monnier, 2009; Musial & Pradère & Tricot, 2012).
Le regard que porte le chercheur sur la planification en tant que processus
• Quelles sont les ressources sémiotiques mobilisées dans les séances de for-
de projection/anticipation d’un enseignement et en tant qu’outil permettant
mation / leçons? En particulier… Quel recours à la verbalisation et / ou à la
l’adaptation de l’enseignant à des situations «imprévues» ou «non prévues»
corporéité l’étudiant a-t-il avant et après le feedback? Quels documents,
(cf. Bodea, 2016) permet de saisir la distinction qu’opère Vanhulle (2009)
supports? Quelles articulations entre discours, corps, supports d’enseignement
entre «apprentissage professionnel» et «développement professionnel».
(manuels, textes, inscriptions au tableau…?

• Comment se construisent les savoirs, sous l’angle des ressources langagières Dans le contexte d’enseignements musicaux, où les phénomènes de régu-
mobilisées, et quels «modèles» le formateur donne-t-il à voir à ce sujet? 8 lation sont extrêmement prégnants, on pourra alors interroger, avec Bourg
Quelle référence commune au plan des savoirs est visée par le formateur? (2011), «la nature du travail de planification de l’enseignant en musique,
face à des situations où les processus de régulations interactives déterminent
• Quels sont les indices de validation / invalidation des actions des étudiants par en grande partie la forme et les contenus du cours» (p. 38).
les formateurs (cf. à ce propos Vanhulle, 2009)? Quels modèles sous-jacents
26 de professionnalité laissent-ils entrevoir? Voici les principales questions qui ont orienté nos études sur la place de la 27
planification dans les enseignements musicaux:
Nous avons tenté de répondre à ces questions à partir d’études de cas, portant
sur la formation à l’enseignement du chant (à Genève et à Lugano), du trombone – Que signifie planifier un enseignement / des enseignements dans notre
(à Bâle), du piano (à Genève), du violoncelle (à Genève et Lausanne), de la contexte? (préparer? / anticiper...articuler?)
rythmique Jaques-Dalcroze (à Genève) ou encore de la harpe (à Genève). Le
traitement des modèles professionnels en formation et de leurs effets sur – Sur quoi portent les transactions formateur-étudiants relatives à la prépa-
le développement des pratiques enseignantes a impliqué la clarification d’un ration de classe? Quels modèles de formation annoncent / induisent-elles?
certain nombre de concepts (modèle professionnel d’un enseignant de musique
visé en formation; modèle sous-jacent à la formation en didactique de la – Comment l’étudiant anticipe-t-il l’agir projeté (cf. Bodea, 2015) de l’élève,
musique; développement professionnel et indicateurs de celui-ci)9 que nous et avec quels effets mesurables sur les apprentissages de l’élève?
avons considérés comme centraux dans nos analyses.
– De quelles intentionnalités sont marquées les interventions discursives du
La place de la planification et celle des devoirs à domicile dans l’enseignement formateur codées DPL (définition portant sur des savoirs de planification)11,
musical et dans la formation à cet enseignement ont constitué deux impor- vues dans leur rapport aux leçons données par l’étudiant-e? Quelle est la
tants axes d’analyse de la professionnalité enseignante en musique10. Outils de méthodologie qui structure ces interventions?
construction de l’autonomie de l’élève dans ses apprentissages instrumentaux
(une autonomie à situer idéalement dans la zone proximale de développe- • Le fonctionnement des devoirs interroge de notre point de vue l’agir
ment de l’élève (Vygotski, 1997)), la planification didactique et la dévolution enseignant sur deux versants de la professionnalité:
de devoirs à domicile ont dû être traitées en lien étroit l’une avec l’autre, à – l’articulation des devoirs aux contrats didactiques,
travers notamment le concept d’aménagement didactique du milieu d’étude – le potentiel des tâches sur le plan de la construction d’outils d’autonomie
pour l’élève (cf. Johsua & Félix, 2002; Rayou & Sensevy, 2014). dans les apprentissages / dans le travail.

8
Cf. à ce propos, la notion de «communauté discursive» (Bernié & Jaubert & Rebière, 2004). 11
Cf 4ème partie du présent rapport: «méthodologie de recherche/ le volet quantitatif»)
9
Cf. la partie théorique du rapport.
10
Cf. la partie du rapport qui explicite de manière exhaustive les indicateurs de professionnalisation
que nous avons établis au fur et à mesure de nos recherches.
Donner des devoirs aux élèves amène ainsi le chercheur à interroger: Outre le fonctionnement des différentes ressources sémiotiques et / ou des
• la nature des contenus sur lesquels ils portent, les savoirs qu’ils impliquent différents supports, le rapport entre savoirs techniques et savoirs interprétatifs
de la part de l’élève; a donné lieu à des analyses fouillées.

• la forme qu’ils revêtent (comment / sur quel mode énonciatif sont-ils donnés?) Problématique de fond
Si, comme le précise Marchand (2009, p.50): «le vécu musical est considéré
• leur éventuelle articulation avec l’amont et l’aval qui les entourent, ce qui non comme un reflet invariant de “l’œuvre objet“ chez le sujet, mais comme
amène le chercheur à les analyser en lien étroit avec le contrat didactique; un “vis-à-vis“ sans cesse renouvelé entre l’œuvre, “objet intentionnel“, et l’au-
diteur qui la saisit dans son “acte de perception“»; alors se pose la question
• leurs visées en termes de progression des élèves dans les apprentissages / de l’articulation entre
leur rôle sur le plan de la construction de l’autonomie de l’élève (au sens • une didactique des savoirs musicaux (savoirs solfégiques, musicologiques,
que nous lui avons donné: assumer de manière individuelle un certain type acoustiques, historiques…) et
de travail déjà configuré en classe, mais aussi et surtout construire à domicile • une didactique d’un art musical (performatif).
des stratégies de résolution de tâches spécifiques sur la base d’outils
construits en classe). Dans cette perspective, nous avons trouvé pertinent de Autrement dit, l’articulation entre une didactique des savoirs musicaux et une
nous intéresser aux propriétés didactiques du terrain aménagé par l’enseignant didactique d’un art musical fait partie de ce qui se construit dans les appren-
en amont de la dévolution des devoirs à domicile (d’où l’importance de la tissages.
définition de la tâche concernée; de la manière dont l’enseignant investit Le «rapport au savoir» dans l’enseignement musical ne repose plus exclusive-
l’espace dévolutif en revenant – ou pas – sur le contenu des devoirs ou sur ment sur une technique préalablement acquise, au détriment d’une interpréta-
les procédures engagées par l’élève / par l’étudiant, selon le niveau auquel tion reléguée en fin de formation. Au contraire, l’interprétation peut interférer
on situe l’analyse); diversement dans l’apprentissage technique et ce même chez des débutants.
Technique du corps (dans nos codages: MT, c’est-à-dire savoir musical tech-
28 • la place des devoirs dans les transactions formateur-étudiant: outil de for- nique) et interprétation (dans nos codages: MI, c’est-à-dire savoir musical 29
mation / développement professionnel ou «outil de reproduction» (Darnon, interprétatif) sont certes à distinguer. La technique du corps (Mauss, 1934),
2016). se réfère aux «les façons dont les hommes, société par société, d’une façon
traditionnelle, savent se servir de leur corps.». Le savoir musical interprétatif,
Trois questions principales de recherche ont été formulées: implique une approche de l’œuvre. Mais les observations révèlent bien souvent
• Sous quelle forme énonciative les devoirs se présentent-ils et comment cette l’existence d’un lien étroit entre ces deux types de savoirs:
forme oriente-t-elle l’analyse des enjeux didactiques sous-jacents?

s
• Quels sont les éléments matériels et symboliques qui accompagnent les de- Objectivation Subjectivation

voirs ? Dans quelle mesure jouent-ils ou pas un rôle de milieu didactique ? En MT œuvre MI
quoi ce milieu est-il en adéquation avec le contrat didactique (cf. Cariou, 2013)?

s
• Qu’impliquent les devoirs - vus sous cet angle - pour l’élève, du point de vue Ce schéma fait écho à ce que Marchand (2009) déclare quant à cette arti-
des savoirs dont il a besoin pour remplir la tâche concernée? (Ce qui nous culation: «(…) si l’on admet que les savoirs musicaux sont subordonnés à la
amène à sonder la dimension implicite des devoirs tels qu’ils sont donnés à musique à laquelle ils se rattachent, le rapport aux savoirs musicaux est alors
l’élève); lui-même subordonné au rapport à la musique. (p. 54)».
Nous tentons ici de dégager dans quelle mesure et sous quelle(s) forme(s) cette
Nous avons considéré que les éléments de réponse à ces trois questions nous dynamique, observée dans un contexte de professionnalisation, est présente
permettraient de cerner dans quelle mesure la configuration et le mode de dans l’agir enseignant de l’étudiant.
circulation des devoirs dans l’économie des séquences observées (leçons et/ou
feedback) constituaient – ou non – des outils d’apprentissage / progression / Questions de recherche
développement / autonomisation / professionnalisation. 1. a. Quels éléments permettent de discerner que le contenu d’enseignement
(leçon / feedback) est technique et/ou interprétatif?
b. Quels outils sont mis en jeu par le formateur / étudiant pour enseigner MT Bien sûr, le découplage entre contenus orientés vers le technique et contenus
/ MI? orientés vers l’interprétatif découle d’un besoin d’enseignement (fort utile éga-
lement pour l’analyse de ce dernier) qui est voué à être dépassé, dans la mesure
2. a. Comment l’apprentissage de l’interprétation est-il conditionné par les où tout enseignant espère que ses élèves instrumentistes puissent jouer des
difficultés techniques instrumentales? œuvres, jouer de la musique. Cependant, les effets de cette nécessité didactique
Comment la manière d’aborder l’apprentissage de la technique influence-t- peuvent être fort variés, en ce qui concerne l’organisation de l’enseignement
elle l’apprentissage interprétatif, et comment les choix interprétatifs influen- (contenus et types d’activités d’apprentissage). Par rapport à l’étude de cet
cent-ils le travail technique? aspect, se pose la question centrale de notre analyse: celle du découplage, puis
b. Dans ce cas de figure, quels choix entre MT et / ou MI sont proposés par des ré-articulations visant le jeu musical en tant qu’une totalité dans laquelle
le formateur, et quel(s) usage(s) en fait l’étudiant? ces deux aspects s’articulent organiquement. Question que nous abordons en
Sur quelle partie de la partition l’action d’apprentissage (MI / MT) a-t-elle termes a) de découpage et d’aménagement didactique de ces deux types de
lieu, quels sont les savoirs «implicites» absents du discours du formateur? contenus, b) des types d’activités à travers lesquelles ils sont principalement abor-
dés, c) des moments et modalités d’articulation dans les leçons puis, c) des effets
3. a. En situation d’enseignement, sur quel type de partition s’appuie le geste en termes de conceptions générales sur l’apprentissage du jeu instrumental.
d’interprétation / technique, dans MI / MT? Quel type de transformation du
milieu didactique est observable ? En rapport au choix interprétatif, comment Ce découplage analytique peut ne pas se traduire systématiquement en un
la fixation des savoirs par le professeur (à l’aide de notes prises le plus souvent enseignement lui aussi découplé des contenus y relatifs. Il s’agit davantage
au crayon) fait que ces choix interprétatifs sont fortement limités ou ne sont de se référer à ce découpage comme nous aidant à instaurer des repères qui
plus ceux de l’élève? permettent de qualifier les tendances ou orientations des activités didactiques
proposées aux élèves débutants dans le cadre des leçons d’instruments de
b. En fonction du rapport du formateur à cet écrit, quels choix techniques musique ou du chant. Ainsi, par exemple, ce n’est pas parce que dans une
/ interprétatifs sont-ils possibles (institutionnellement et / ou ZPD) pour l’étu- leçon l’enseignant aborde une pièce musicale comme objet principal de sa
30 diant / élève? leçon, que l’activité est orientée par des contenus relatifs à l’interprétation mu- 31
sicale. Dans le même ordre d’idées, un travail sur un aspect considéré comme
essentiellement technique, par exemple le piqué des cordes sur le manche du
Une problématique commune: quels rapports contenus violon ou du violoncelle comme moyen de produire un son à la «bonne hau-
techniques / contenus d’interprétation dans les leçons teur», peut être aussi orienté par l’enseignant vers des attentes esthétiques
d’instrument d’enseignants en formation? liées à la construction d’un «beau son»12.
L’apprentissage d’un instrument de musique, notamment à ses débuts, im-
Comme établi par les recherches documentaires de l’un des auteurs de ce texte13,
plique de la part de l’enseignant qu’il procède à un découplage des contenus
le terme «d’interprétation musicale» conduit vers un ensemble assez varié de
relatifs
notions et de pratiques, lorsqu’on tente de trouver une définition minimalement
• à la maîtrise du rapport corporel à l’instrument,
commune.
• à la musique qui peut être produite avec cet instrument (répertoire, modes
de jeu, improvisation).
Nous cherchons à identifier les types de savoirs associés à la notion d’inter-
prétation musicale et les articulations qu’ils proposent avec les autres types de
Par rapport à la dimension musicale elle-même, il est habituellement admis que
savoirs travaillés, notamment ceux relevant du technique. C’est ainsi qu’à l’aide
«(…) la notation musicale n’est en rien identique au langage musical (…) Le
de références extrêmement variées (musicologiques, ethnologiques, sociolo-
signe musical n’est qu’une instruction donnée à l’exécutant pour qu’il produise
giques, biographiques, etc.), nous construisons une définition «de travail» sur
par le moyen de sa voix ou de son instrument un son avec une hauteur et
la notion d’interprétation musicale – une définition qui nous aide pour une
une durée particulières, tout en ajoutant, à certaines époques historiques,
première approche de nos données d’analyse. En retour, ces dernières nous
des suggestions concernant le rythme, la dynamique et l’expression, ou des
permettent de tester la solidité et cohérence de cette définition de travail dans
indications sur le rapport avec d’autres sons (par le moyen de la liaison, du
le but de décrire et de comprendre les pratiques enseignantes de transmission
coulé, etc.). Tous ces éléments de la matière tonale ne peuvent être qu’appro-
des savoirs interprétatifs.
ximativement ordonnés, et la charge d’obtenir les effets indiqués est laissée
à l’exécutant. (Schütz, 2006, p. 19)»
12
Ces deux exemples faisant partie des données analysées dans le cadre de ce texte, comme nous le
montrerons plus loin.
13
Bellu C., la transmission aux enfants débutants des savoirs dits «interprétatifs» en cours de violon-
celle, thèse de doctorat en cours, sous la direction d’Isabelle Mili, Université de Genève.æ
L’interprétation: comprendre l’œuvre proposant aux enseignants une organisation théorique des notions et savoirs
Aborder la question des savoirs sur l’interprétation musicale, et a fortiori celle travaillés, ainsi qu’une organisation pratique et séquencée d’exercices, d’études
de leur enseignement, implique une réflexion sur le statut et la nature de et de pièces musicales, pouvant s’inscrire dans l’une ou l’autre de ces concep-
l’œuvre, que d’aucuns associent à un véritable travail herméneutique visant à tions de la progression des apprentissages. Les recherches conduites par l’un
«comprendre» l’œuvre pour en saisir «sa nature»: des auteurs de ce texte15 sur les méthodes d’enseignement du violoncelle
montrent que, concernant la problématique des rapports entre savoirs tech-
A en juger par les résultats obtenus aussi bien dans les disciplines analy- niques et savoirs interprétatifs dans l’enseignement instrumental, ces concep-
tiques que dans la théorie et l’histoire de la réception, l’herméneutique semble tions différentes, parfois même opposées, sont très majoritairement orientées
avoir favorisé le projet […] de dépasser le niveau d’une simple explication vers une conception procédurale: technique PUIS interprétation. La prépondé-
des structures, pour tenter une compréhension globale de l’œuvre fondée rance de cette conception amène cependant quelques remarques importantes.
sur les résultats des disciplines comme la sociologie, la pédagogie, la didac- Parmi ces dernières, notons-en au moins deux, qui constituent des données
tique, l’ethnomusicologie, etc. (Arbo, 2000, p. 54) importantes pour l’analyse.

Dans le but de créer les conditions de cette compréhension globale de l’œuvre, D’abord, le fait qu’une très grande majorité des enseignants ne se cale pas de
se constitue une «herméneutique musicale» (Kretzschmar, 1911, dans Arbo, manière rigide sur une méthode spécifique et que ceux-ci ont plutôt tendance
2000). Son objet, «l’œuvre musicale», constitue un système sémiotique (Nattiez, à diversifier l’usage de ressources pédagogiques en provenance de méthodes
1987). La très forte tendance à stabiliser la notation musicale, initiée en Eu- et publications variées. Cette caractéristique nous invite à la prudence, en
rope au XVIIIème siècle et ayant connu son apogée au XIXème siècle, renforce en termes d’analyse des praxéologies observées, en ce qui concerne l’usage des
quelque sorte ce besoin d’arriver au «sens» de l’œuvre14, désormais accessible ressources pédagogiques des enseignants pour identifier leurs conceptions
au moyen des partitions. La partition, cependant, instaure une distance d’avec prépondérantes par rapport aux contenus techniques et interprétatifs dans
la niche compositionnelle d’où elle est issue et d’avec la performance qui la fera leurs leçons. Ensuite, il faut souligner le fait qu’indépendamment de la formule
exister acoustiquement (Bosseur, 2005). particulière de chaque enseignant concernant les référents et conceptions de
32 l’enseignement, les formes scolaires mobilisées par les enseignants ont éga- 33
Dans cet ordre d’idées, lorsque l’on ne confond pas l’œuvre avec la partition lement un poids non négligeable sur leurs choix didactiques (Vincent, 1996).
de l’œuvre, la lecture d’une partition permet de repérer un certain nombre Ainsi, la structure tripartite «échauffement/ exercices / jeu» qui s’est géné-
de notations qui relèvent de la dimension interprétative de l’œuvre (expres- ralisée pour les enseignements des disciplines impliquant le corporel (danse,
sions orientant le caractère, indications métronomiques, signes sur les nuances, théâtre, musique, éducation physique), ceci tant au niveau de la leçon que sur
etc.). Il n’en reste pas moins que les musiciens s’accordent pour dire que de l’empan plus large de l’année scolaire, constitue un important organisateur.
nombreux aspects du jeu interprétatif échappent largement à ces écritures, du Ce type d’organisation contraint les choix et fonctionnements didactiques des
fait, notamment, que l’interprétation musicale se joue essentiellement dans la enseignants. Relativement à notre corpus d’analyse, par exemple, le fait que
performance (Schechner, 2013; Ravet, 2005). Donc, malgré la généralisation les leçons aient été filmées durant le deuxième semestre de l’année scolaire
de la notation musicale, du fait de sa non-exhaustivité mais aussi de la nature explique pour partie l’importance croissante que les enseignants débutants
performative de l’œuvre elle-même, l’interprétation semble devoir faire l’objet donnent à la dimension «interprétation de l’œuvre» vers la fin du semestre.
d’un incessant travail d’apprentissages longs et diversifiés, centrés sur la figure
de plus en plus différenciée de l’instrumentiste médiateur de l’œuvre. «L’idée
de performance, d’ailleurs, signifie bien cet aspect incarné (par des êtres et des Paradigmes du rapport
corps humains) du son, du temps musical pris dans une temporalité située» entre technique et interprétation
(Ravet, 2005, p. 11. Sommairement, ce sont, en enseignement musical, trois conceptions qui riva-
lisent entre elles quant aux rapports entre contenus techniques et contenus liés
Dans l’apprentissage d’instruments de musique, l’une des tendances marquée à l’interprétation musicale:
depuis la fin du XIXème siècle a été celle de développer un apprentissage métho- • Technique PUIS interprétation
dique et progressif lié, notamment, à la stabilisation du système de notation • Interprétation PUIS techniques (de base)
musicale. Ce processus a donné lieu à différentes méthodes d’instrument, • Technique ET interprétation
14
A cet égard, concernant l’ambition de l’époque de tout pouvoir transcrire en notations musicales,
l’on peut citer la crainte exprimée par Schubert qui écrite «dans son Autobiographie: On paraît vouloir
indiquer de nos jours, dans la musique, les nuances les plus fines; il en résulte une telle accumulation
15
Il s’agit de Bellu.
de termes techniques qu’on n’aperçoit plus les notes, tant il y a de signes musicaux.» (in Bosseur,
2005, p. 80).
3. moDèles
professionnels
sous-jacents
aux pratiques
De transmissions
Des savoirs musicaux
34 35

3.1 Du «comment» Du «faire» à la réflexion


sur les moDèles professionnels
Dans «La République», Platon soutenait que «si l’on veut connaître
un peuple, il faut écouter sa musique». Dans le contexte social actuel,
où l’on s’intéresse de plus en plus au «comment faire» du médiateur
des savoirs musicaux, on pourrait compléter cette maxime par: «et les
modes de sa transmission».
Une performance musicale (instrumentale ou vocale) qui nous laisse un vif sou- chantait. Je l’imitais alors pour trouver la même place de la voix, la même cou-
venir en tant qu’auditeur-trice amène tôt ou tard, presqu’inévitablement, la leur, la même sonorité. Parfois, pour me mieux donner l’exemple souhaité, il
question des déterminants du succès de l’interprète concerné. «Comment a-t- chantait tout près de mon oreille. Son enseignement était donc essentielle-
il / elle appris à jouer / chanter?» / «Avec quelle méthode?» / «Avec qui?» / «A ment pratique, dépourvu de tout aspect intellectuel…» (Gourret et Labayle,
quel âge?»; «Quels sont les ‘’secrets’’ de ses progrès?»; «Comment s’est-il / elle 1984, p.50).
forgé-e son ‘’style’’ interprétatif?»… Et même des questions du genre «Est-ce
un Stradivarius / un Guarneri… qu’il / elle utilise?»… Des questions de ce type Apparemment, il n’y a pas de modèle sous-jacent à l’enseignement de Fernan-
surgissent même lorsqu’est mis en avant l’argument du don. Car au-delà des do De Lucia… Et pourtant, le modèle sous-jacent existe: il prévoit qu’un chan-
ressorts motivationnels, des prédispositions psychologiques de l’interprète, des teur en voie de professionnalisation apprend mimétiquement, d’un maître ca-
qualités intrinsèques de son instrument (en tant qu’artefact ou comme voix)16, pable de donner des exemples musicaux grâce au fait qu’il maîtrise lui-même,
le succès des performances musicales est perçu comme lié à l’apprentissage, et techniquement, des passages difficiles du répertoire et qu’il a fait de manières
plus encore, à un certain type d’apprentissage et donc à un certain type d’en- répétées l’expérience de la scène en interprétant ce répertoire. Bref, c’est à la
seignement porté par une conception / une culture professionnelle spécifique, fois une conception de l’incorporation et une conception de la mimésis qui
même si celle-ci ne se donne pas à voir / entendre d’emblée. sous-tend l’action de transmission de De Lucia.

Mais comment avoir accès aux conceptions et à la culture sous-jacentes Comme on aura l’occasion de le voir, un des points immédiatement saillants
à l’enseignement? de notre étude est que les professeurs de didactique instrumentale et vocale
Concernant les processus de professionnalisation que nous avons analysés – que nous avons observés sont plutôt en rupture avec ce type d’enseignement,
qui constituent le principal axe du présent rapport –, nous souhaiterions mon- entièrement focalisé sur la mimésis.
trer que tous les modèles méritent d’être analysés, non pas tant pour leur
«efficacité» (qu’il faudrait définir et qui nécessiterait une autre approche), Historiquement, le modèle mimétique est repérable notamment aux XVIIème
mais pour leur potentiel d’enrichissement des outils didactiques au service de et aux XVIIIème siècles, mais, ainsi que nous le rappelle Martin-Balmori, (2014),
36 la formation à l’enseignement de la musique. C’est la dimension formative de l’«imitation» était vue comme un défi / une prouesse et non pas comme une 37
ces modèles qui nous intéresse en dernière analyse et non pas leur réputation action facile. Et ce d’autant plus qu’à cette époque-là, l’imitation ne semblait
en termes de résultats «probants». pas être conditionnée par la compréhension des mécanismes phonatoires.

Déjà au XVIIème siècle, ce modèle était thématisé en termes d’efficacité, en


3.1.1 La professionnalisation par opposition avec les modes de transmission qui s’appuyaient davantage sur le
l’imitation quotidienne et assidue du maître discours que sur l’action:
«Un maître qui exécutera un Air dans toute sa politesse et dans tous ses agré-
ments, l’imprimera mille fois mieux dans l’oreille de son Disciple en le chantant
Avant de montrer les processus de professionnalisation que l’équipe DAM a trois ou quatre fois, que ne fera un autre qui n’a pas tous les avantages de l’exé-
mis au jour dans cette étude récente, faisons un petit retour historique… Le cution, à force de dogmatiser, tant il est vray que le Chant ne s’apprend que
ténor Georges Thill (Gourret et Labayle, 1984), dont la carrière internationale par imitation» (Bénigne De Bacilly, 1668, apud. Martin-Balmori, op.cit., p. 41)17.
entre les années 1920 et les années 1940 fit des étincelles, a témoigné de ce
qui lui fut transmis. Il ne faudra toutefois pas en déduire qu’avant le XVIIIème siècle, les références
anatomo-physiologiques étaient totalement absentes des enseignements musi-
«C’est à Naples, chez De Lucia, qu’à proprement parler je reçus un enseigne- caux. En 1562, par exemple, Giovanni Camillo Maffei, professeur de chant à
ment. (…) Comme professeur, il ne produisait ni doctrine, ni théorie, sinon Naples, décrivait déjà les règles du passagio: «[…] une ouverture de bouche
qu’il était absolu de chanter «de tête» et non «de poitrine». Dès le début des complète, une position du larynx en bas, un contrôle du souffle, du diaphragme
leçons qu’il me donna, il me fit chanter le redoutable «Donna non vidi mai» du et de la ceinture musculaire abdominale. La même technique est employée
Manon Lescaut de Puccini. encore aujourd’hui» (Abitbol, 2005, p.389).
Quand il y avait un passage difficile, il me disait: «Ecoute-moi !». Et il me le
17
Au XVIIIème siècle, la préoccupation pour l’imitation en tant qu’outil d’apprentissage, allait aussi de
16
Abitbol (2005) nous livre à ce propos une anecdote bien éclairante, qui, de notre point de vue, ne l’élève vers son maître, notamment lorsque l’imitation visait la mise en évidence des défectuosités vo-
nécessite pas de commentaires: «Ivry Gitlis avait eu une réplique étonnante. Un admirateur vient le cales de l’élève: «Le moyen le plus facile de faire comprendre à l’écolier la faute qu’il commet, est de
voir: ’’Maître, votre violon est exceptionnel, quelle beauté, quelle musique !’ Il lui répond: ’’Collez l’oreille le contrefaire fidèlement avec la voix; alors il reconnaîtra avec évidence celle de chanter du nez, de la
sur le violon’’. Bien sûr, l’admirateur n’entend rien. Le violon n’était que l’instrument de son émotion, gorge, ou avec une voix crue et pesante; alors son esprit s’animera, il avouera, il condamnera les erreurs
de sa technique. Il en va de même pour le larynx: il n’existe que par la force intérieure» (p. 408). dont il ne se serait jamais aperçu de lui-même» (Mancini, 1790, p. 98, apud. Martin-Balmori, 2016).
En l’occurrence, on a même affaire à un modèle de technique vocale ciblée, se faisait à travers des chants d’opéra et non pas par ce qu’on appelle des
qui est encore d’actualité, ce qui nous autorise à penser les filiations entre les «vocalises»:
pratiques d’enseignement d’autrefois et celles d’aujourd’hui.
«Contrairement à beaucoup, elle [La Callas] chauffe sa voix avec des chants
Ce qui apparaît comme prégnant dans l’enseignement du chant, vu dans son d’opéra assez lourds comme par exemple Il trovatore. Elle retrouve ainsi ses
évolution historique, c’est la conception selon laquelle l’apprentissage vocal se sensations sur le ’’souffle’’, et sa souplesse, sa pureté et sa couleur vocale.
décline en apprentissage technique (souvent en amont de l’approche d’une Sa voix peut être sombre, mordante mais toujours d’une extrême virtuosité.
œuvre musicale) et, respectivement, apprentissage interprétatif (essentiellement L’artiste lyrique sert le compositeur et non pas l’inverse. Respecter le créateur
à travers l’étude d’œuvres musicales). Autrement dit, les versants technique et, de l’œuvre lyrique est essentiel» (p. 416).
respectivement, expressif ou interprétatif de l’apprentissage / du développe-
ment vocal de l’apprenant sont souvent pensés comme deux sous-domaines L’imitation, sous ses différents avatars (mimésis, imprégnation, répétition…)
de savoirs caractérisés par une certaine autonomie, le premier représentant la est, aujourd’hui comme hier, omniprésente, tant dans le discours des ensei-
condition du second, ainsi que l’on peut le déduire de l’extrait ci-dessous: gnants / formateurs que dans les travaux de vulgarisation scientifique relatifs à
l’enseignement musical. Mais si on souhaite l’examiner en profondeur du point
«Apprendre à chanter, c’est apprendre à son corps à être un instrument de de vue de ce qu’elle implique pour chaque pôle du système didactique action
musique qui parle, qui résonne, qui se contrôle. L’harmonie du verbe, de la enseignante-savoirs-action de l’élève, il ne suffit pas de l’adopter en tant que
mélodie, du geste n’est que l’aboutissement de la difficile école de la voix mode de transmission dont l’efficacité a été scientifiquement prouvée par telle
chantée. Elle fait appel à la fois au rationnel et à l’affect de l’être. Le cerveau ou telle théorie, fût-ce par celle dite «des neurones miroirs»:
droit est émotion. Le cerveau gauche déchiffre le rationnel, le solfège et per-
met l’apprentissage des mots et la mécanique gestuelle laryngée. Les deux «Très souvent l’étudiant apprend par imitation. La théorie des neurones miroirs,
sont intimement liés. Par ailleurs, le cervelet est sollicité dans l’équilibre des vérifiée grâce à l’imagerie par résonance magnétique, confirme le succès de
harmoniques» (Abitbol, 2005 p. 380). cette pratique» (Baume-Sanglard & Jacquod (2011, p.91).
38 39
A remarquer également que dans cette conception, la technique est associée Il faut encore interroger son mode de fonctionnement en situation, par rapport
au «rationnel» (ou au cerveau gauche), alors que l’interprétation (glosée par à la conduite du développement des apprenants et par rapport à ce que l’en-
«l’harmonie du verbe, de la mélodie, du geste») est associée à l’«affect de seignant vise: l’autonomie de ceux-ci.
l’être» (ou à son cerveau droit). On peut donc lire ici en filigrane une modélisa-
tion de l’approche du chant dont l’entrée principale est le travail technique de
la corporéité vocale comme outil au service de l’interprétation. Si le modèle de 3.1.2 L’improvisation comme apprentissage de «liberté»
l’imitation par la production du son a de nombreux adeptes, il n’est pas le seul et «source d’inspiration du compositeur»
à fonder les logiques de transmission des savoirs.
Le matin du 4 novembre 2016, Saskia de Ville, reçoit le pianiste Pascal Amoyel,
Dans le même ouvrage de l’auteur cité, d’autres modélisations concernant la
dans la matinale de «France musique»18. De l’interview qui suivra, nous avons choisi
pratique du chant sont à repérer, soit par le biais des conditions jugées comme
de retranscrire l’extrait ci-dessous, qui nous paraît particulièrement significatif
nécessaires au chanteur professionnel (justesse, flexibilité de la voix par rapport
d’une conception d’apprentissage du piano qui semble «bouleverser» les mo-
à l’objet musical performé, une écoute de qualité pour contrôler l’émission
dèles habituels:
vocale), soit à travers un arrêt sur l’exercice de vocalisation.
SdV: «Pascal Amoyel, vous avez grandi dans un environnement musical... votre
Enfin, que ce soit dans divers témoignages d’interprètes d’opéra ou dans la
mère chantait à l’opéra... et votre père, bien que médecin, jouait du piano...
littérature consacrée au chant et / ou à son enseignement, on retrouve aussi
alors c’est un parcours un peu particulier... euh parce que vous vous êtes mis
et toujours des pratiques habitées par des conceptions qui bouleversent les
au piano un jour... alors que vous entendiez votre père jouer du piano... vous
modèles auxquels nous sommes généralement habitués. Pour faire cette fois-
êtes installé à ses côtés... et vous avez reproduit ce qu’il venait de faire. Vous
ci référence au travail d’échauffement vocal du chanteur professionnel, une
aviez six ans, je crois.
étape considérée comme incontournable dans l’économie d’une performance
PA: oui, c’est vrai euh enfin c’est lui qui m’a dit ça hein... [xxx] mais j’ai effecti-
musicale, nous rappellerons, en nous appuyant toujours sur l’ouvrage d’Abit-
bol (2005), que Maria Callas pratiquait un échauffement atypique, puisqu’il 18
L’interview est disponible sur http://www.francemusique.fr/player/resource/147031-190335, jusqu’au
21 mars 2044.
vement commencé la musique pas par l’écrit, mais par l’oral... l’oralité... donc début de cet extrait est convertie par l’artiste en «improvisation» qui constitue
en entendant ma mère chanter... ou mon père jouer du piano... et en fait le principe de base de sa conception de l’apprentissage du piano. Certes, «im-
rétrospectivement, je suis vraiment quelque part heureux de ne pas avoir com- proviser» est une pratique qui ne vient pas de rien: elle a ses principes, ses «lo-
mencé le piano par des études. giques», ses mécanismes et enfin ses contraintes, en vertu desquels elle peut
SdV: par des cours oui... s’apprendre. Mais on l’aura remarqué, chez Amoyel, l’improvisation a une
PA: voilà... par des cours... parce que d’abord ça développe énormément connotation à part, car ses ressorts essentiels sont l’écoute et la reproduction
l’écoute... ça développe l’oreille... et puis aussi j’ai commencé vraiment par mimétique spontanée de contenus entendus et non pas l’étude préalable de
l’improvisation donc, du coup, j’entendais. ces contenus. Or l’écoute implique l’apprentissage (même lorsqu’elle ne fait
SdV: vous jouiez à quatre mains avec votre père. pas l’objet d’explicitation de son organisation), de même que la reproduction,
PA: voilà exactement... et puis parfois il mettait des disques... alors j’essayais qui n’est jamais «pure magie», puisque l’improvisation dite «libre» n’existe
de reproduire ce que j’avais entendu... en fait c’est un apprentissage extraordi- pas, elle «repose toujours sur la tradition» (Gsteiger, 2011, p.33, apud. Mili,
naire parce que c’est d’abord un apprentissage de liberté... et c’est cette liberté 2014 b).
que l’on perd énormément après dans l’apprentissage... et puis aussi c’est une
sorte de non-peur si je puis dire ça... vous n’avez pas peur du clavier... on ne Pour Pascal Amoyel, l’«écrit» (i.e. la partition, le solfège, les signes qui traduisent
vous dit pas la musique) n’est pas exclu de l’apprentissage du piano, mais il ne représente
SdV: ’’Il n’y a pas de barrière; on ne vous dit pas attention: avant de commen- qu’un «outil» / un «moyen». Ce qui nous permet d’esquisser plus facilement
cer il faut que tu mettes ta main comme ça... il faut [xxx] en fait c’est presque son modèle sous-jacent d’apprentissage. Il s’agit d’un apprentissage du piano
comme si ça s’incarnait physiquement... et en fait il n’y a plus de différence... dont l’entrée se fait par immersion (écoute-observation-reproduction / impro-
entre ce que vous entendez et ce que vous jouez matériellement... si je puis visation), qui est a posteriori «mise en étude» ou connectée à l’étude des
dire... [xxx] supports écrits, en tant qu’outils de construction du rapport à la dimension
Sdv: est-ce qu’il y a à l’époque des compositeurs ou peut-être des styles [xxx] interprétative. Dans cet ordre d’apprentissage, l’improvisation s’oppose à la «ri-
qui vous plaisaient plus que d’autres? gidité» que risque de générer un rapport étroit à la musique en tant que signes
40 [xxx]... écrits, plus exactement à l’œuvre-partition. Cette fonction de l’improvisation est 41
PV [dans sa réponse, Pascal Amoyel évoque Liszt, Beethoven, Mozart, Bach, également repérable dans le domaine de la musique instrumentale. Hoppenot
qui pratiquaient abondamment l’improvisation («Beethoven refusait des élèves (1981/2012), en se référant à une catégorie d’interprètes focalisés sur la dimen-
qui ne savaient pas improviser, par exemple»] - eux, ils ne jouaient pas leurs sion technique de l’interprétation, interprètes qu’elle appelle des «musiciens
œuvres, d’ailleurs, quand ils se produisaient, ils improvisaient -, pour mettre en classiques inhibés par la sécheresse de leurs études» (p.181), affirme:
évidence le fait que l’improvisation «s’est perdue», elle ne constitue plus un
vecteur important de l’apprentissage instrumental]: «[xxx] mais tout ça pour «La pratique de l’improvisation pourrait également apporter beaucoup à ces
dire que l’improvisation [xxx] ça s’est vraiment perdu... hélas... [xxx] et en tant interprètes qui oublient trop facilement que la musique écrite n’est pas faite
qu’enseignant j’essaie de garder cette tradition... parce que finalement... l’im- pour rester figée: leur rôle est justement de la faire ‘’revivre’’ au sens fort, à
provisation... c’est quelque part la source même de l’inspiration d’un composi- travers leur personnalité et leur subjectivité de musicien.
teur même lorsqu’il écrit quelque chose d’extrêmement structuré... une œuvre Bien souvent l’absence de réelle interprétation musicale est due à l’importance
qui paraît comme ça... prise par des problèmes techniques qui devraient déjà être résolus» (id.).
SdV: ...très écrite.
PV: survivre à l’éternité.
SdV: oui. 3.1.3 La corporéité au centre des apprentissages instrumentaux
PV:... eh bien elle est quand même d’une impulsion jaillissante d’un instant
présent... et cet instant présent que nous, interprètes... nous avons du mal à Un survol rapide des informations fournies par les plans d’études de l’Institut
appréhender... parce que souvent on est trop orienté vers l’écrit... vers l’écrit Jaques-Dalcroze permet de pointer un système d’enseignement organisé en
en tant que but en soi, alors que ce n’est finalement qu’un outil et qu’un alternance, qui articule cours d’instrument et cours de solfège, dans une ap-
moyen...» proche centrée sur l’investissement du corps, mais qui passe aussi par l’écoute,
le jeu, des contenus techniques souvent codés sous forme d’expressions ima-
Apparemment, on ne saurait entrevoir de modèle sous-jacent à ce principe
gées; des improvisations; le travail sur un répertoire pianistique d’œuvres que
d’apprentissage «de liberté», et pourtant un modèle émerge ici. Au fil de
l’élève a la possibilité de choisir (évidemment d’une palette préalablement pro-
l’échange, la conduite mimétique évoquée par l’animatrice de l’émission en
posée par l’enseignant); des devoirs... Ces particularités renvoient avant tout à relle dans le jeu instrumental. Une démarche autre que celles qui instaurent
une approche rythmique du solfège. Quelle est son architecture didactique et le primat de l’imitation:
quelle conception professionnelle laisse-t-elle entrevoir? Ce type d’enseigne- «A l’apprentissage basé sur l’imitation et l’approximation, il est possible de
ment est fondé sur une traduction corporelle de contenus musicaux (sons, substituer une démarche qui réponde aux besoins profonds de bien des musi-
structures rythmiques, nuances…) qui vise à construire chez l’élève une discri- ciens adultes. Son principe consiste à diriger l’attention, non sur le seul résultat
mination et un contrôle de ce qu’il entend (d’où l’importance de l’écoute et extérieur du travail, mais de l’intérieur, sur la perception de la sensation phy-
plus spécifiquement de l’écoute de répertoires d’œuvres, à travers lesquelles sique qui permet d’atteindre ce résultat. Nous ne pouvons acquérir réellement
l’élève construit son accès à la culture musicale). que ce qui est ‘’nôtre’’, c’est-à-dire combinaison d’une prise de conscience et
d’une expérience vécue. Plus précisément, une idée, une suggestion ne prend
Dans l’enseignement dalcrozien, la priorité accordée au corps comme outil de valeur en musique que si elle est éprouvée sensoriellement» (p. 68).
d’apprentissage peut être mise en évidence dans des références comme celle
que nous reproduisons ci-dessous. Le descriptif d’une leçon générique de type Cette conception de l’approche du violon priorise l’expérience corporelle en
dalcrozien relève d’une méthode éprouvée depuis près de 150 ans. En voici les tant que source d’un enseignement, qui se substitue à la transmission pure-
principes: ment mimétique.
Mise en train
Chaque élément musical nouveau, particulièrement dans le domaine du
rythme, est travaillé corporellement, avec un soutien musical. L’enfant l’éprouve
3.1.4 Manières d’écouter, profils d’auditeurs
d’abord de façon intuitive. Puis, à travers des exercices ludiques mobilisant
toutes les formes de mouvement (course, marche, danse), il prend progressive- Si le corps représente, depuis quelques décennies, une thématique de plus
ment conscience de ce qu’il fait. en plus valorisée dans les recherches conduites en didactiques disciplinaires,
notamment en éducation physique, danse, théâtre, arts du cirque ou musique
Travail sur un thème instrumentale, les recherches sur l’écoute musicale et notamment celles en
42 didactique de l’écoute ne sont pas légion (cf. à ce propos, Mili, 2014). Or,
43
Ces mêmes éléments, intégrés grâce au mouvement et à la musique, sont
identifiés, nommés et illustrés. Les enseignants assurent, de ce fait, la mise en l’écoute ou l’audition, pont incontournable entre le compositeur, l’interprète et
place de liens forts entre pratique et théorie. l’auditeur, semble plutôt un des grands absents des activités d’enseignements
musicaux. Dans son ouvrage «La troisième oreille», Bras (2013) analyse les
Jeux et chorégraphie conditions matérielles et symboliques (notamment culturelles) qui influent sur
Les acquisitions nouvelles sont consolidées par des mises en situation originales la qualité de notre écoute. Son étude débouche sur une catégorisation des
faisant intervenir la musique, des histoires, des jeux et divers supports du cours auditeurs d’hier et d’aujourd’hui. Il montre ainsi que l’écoute se décline en
(http://www.dalcroze.ch/rythmique-geneve-quoi/). différentes manières d’écouter, historiquement et culturellement situées:
« – Mais alors, il y aurait 300 manières de les [i.e. les langages musicaux]
Dans les pratiques dalcroziennes, l’importance accordée à l’investissement du écouter?
corps concerne aussi le travail des nuances qui relève de la dimension interpré- – On peut dire cela si écouter signifie capter pleinement les éléments sono-
tative du son (Jaques-Dalcroze, 1935). Ainsi que le fait remarquer Del Bianco, res qui composent un langage musical. Par exemple, lorsque l’on cherche
(1987), les trois principes de base de la rythmique dalcrozienne sont: à apprécier la musique indienne, il me paraît important, pour guider notre
• le rapport entre les notions de temps, d’espace et d’énergie; écoute, de disposer d’un minimum de connaissances sur le raga» (p. 26).
• le développement de l’élasticité;
• l’éveil de l’imagination par l’improvisation et à travers de multiples consignes. On peut détecter, dans ce discours, un modèle générique de l’écoute active, qui
prévoit que celle-ci soit préalablement orientée par des contenus relevant des
L’importance du corps dans les différents modèles de formation musicale (Grivet- caractéristiques des œuvres concernées (genre musical, structure rythmique,
Bonzon, (2016)) se révèle primordiale tant dans l’appropriation du corps pour etc.). Le principal corollaire d’ordre didactique d’une telle conception peut dès
enseigner que du corps comme savoirs à enseigner. Dans «Le violon intérieur» lors se traduire par la nécessité de préparer / aménager le terrain de l’écoute à
Hoppenot (1981/ 2012) décrit une approche originale de l’enseignement- l’intention des élèves. Ce qui implique de ne pas laisser l’écoute hors du contrat
apprentissage du violon, en mettant en avant le rôle crucial que joue la construc- didactique, dans un implicite d’autant plus étonnant que celle-ci est commu-
tion, chez l’élève ou l’artiste professionnel, de la prise de conscience corpo- nément considérée comme un élément-clé de toute formation musicale.
3.1.5 La professionnalisation par et dans l’expérience musicale Par des cheminements différents, ces deux modèles répondent à la visée de
professionnaliser le métier d’enseignant/de formateur. D’une part, en permet-
Un témoignage de la violoniste professionnelle Hilary Hahn nous a paru in- tant de mieux connaître, de formaliser, de soumettre au débat scientifique et
téressant du point de vue du partage des conceptions19 relatives aux «idées de transmettre les savoirs experts qui émergent dans le cadre de son exercice.
musicales»: D’autre part, en problématisant les rapports entre recherche et exercice de la
«On sent dans votre jeu que vous savez où vous voulez aller, ce que vous voulez profession. Ceci en passant d’une didactique prescriptive, par rapport à laquelle
faire, précisément. Comment forgez-vous vos idées musicales? En discutez- les enseignants sont des «usagers» de la recherche, vers une didactique des-
vous avec quelqu’un en particulier? criptive et compréhensive, par rapport à laquelle ils participent à la production,
Hilary Hahn: Je n’en discute pas, je déteste parler de musique. On peut, entre évaluation et circulation des savoirs produits. Les rapports entre recherche, for-
professionnels, parler de technique, mais dès que l’on essaie de communiquer mation et exercice de la profession ne sont pas uniquement verticaux et liés
sur nos conceptions musicales intimes, les mots deviennent trompeurs. On arrive à des institutions spécifiques (université et organes fédéraux ou cantonaux de
vite à des niveaux d’abstraction très élevés où les mêmes mots sont utilisés pour recherche, puis instituts de formation d’enseignants puis institution scolaire)
exprimer des choses très différentes. Pour échanger des idées musicales, il vaut mais ils sont également horizontaux: la professionnalisation implique que des
mieux jouer ensemble et voir ce que cela donne. C’est par et dans la musique problématiques communes soient assumées par les diverses institutions à partir
que je partage mes idées. (Entretien réalisé par Jérôme-Alexandre Nielsberg, de leurs mandats et visées propres.
le 9 Février, 2008, in «l’Humanité.fr»).

Ce témoignage est extrêmement suggestif du rapport sémiotique que les pro- 3.2.2 Démarche de modélisation
fessionnels de la musique entretiennent avec leur propre conception musicale
et avec celle de leurs collègues. Le haut niveau d’abstraction dont Hilary Hahn Modéliser l’agir professionnel du formateur, eu égard non seulement à son action
fait mention semble constituer une entrave à la construction d’une référence mais aussi à celle de l’étudiant, c’est élaborer un système d’observables qui
commune. Cependant, selon la violoniste américaine, cette référence commune permette de traiter les cas particuliers mais sans généraliser, tout en prenant
44 est susceptible de se construire dans l’action elle-même, «dans et par la musique». 45
en ligne de compte le fait que lorsqu’on modélise, on sacrifie de l’information.
La posture du chercheur consiste alors à analyser ce qui fait système dans les
manières dont les formateurs (ici, les professeurs de didactique instrumentale
3.2 DÉMARCHE DE MODÉLISATION et vocale) s’y prennent pour articuler dans leurs dispositifs de formation les
DE L’AGIR PROFESSIONNEL DU FORMATEUR savoirs disciplinaires et les savoirs didactiques.

Dans le contexte suisse actuel, où les didactiques disciplinaires sont devenues


3.2.1 Généricité des modèles du travail enseignant
une priorité nationale21, l’intérêt de nos recherches concerne, d’une part, l’ana-
lyse du travail de didactisation des formateurs, et d’autre part, l’analyse des effets
Depuis les années 1990, l’étude des pratiques des enseignants a donné lieu à
de ce travail sur les conduites didactiques des étudiants en formation initiale.
deux grands modèles sur les gestes professionnels20 concernant les recherches
Cette démarche implique le recours à une théorie des situations didactiques
et la formation en didactiques. Un premier modèle (Bucheton, 2009) est issu du
(Brousseau, 1990 et 1998). Selon Brousseau (1998/ 2014), «dans une situation
champ de l’analyse du travail et s’inscrit dans le développement du champ récent
d’action, on appelle ”milieu” tout ce qui agit sur l’élève ou ce sur quoi l’élève
des didactiques professionnelles (Pastré, Mayen & Vergnaud, 2006). Il aborde ces
agit» (p. 32). Si l’on admet que le milieu didactique est un analyseur de l’agir pro-
pratiques dans le but de caractériser des gestes professionnels de l’enseignant
fessionnel, on peut alors admettre avec Jorro (2006) que cet agir peut être conçu
qui permettent de définir les contours et spécificités de l’activité professionnelle,
«comme une inscription corporelle, perceptive, réfléchissante, en interaction avec
notamment en vue de constituer des référentiels de formation. Dans le cadre
un milieu, qui vise la construction de gestes d’étude chez les sujets apprenants»
du paradigme des didactiques des disciplines, un deuxième modèle plus ancien,
(p. 3). Dans cette perspective, pour qu’un milieu d’étude mis en place en for-
communément appelé théorie de l’action didactique conjointe-TADC (Mercier &
mation soit considéré comme effectivement professionnalisant, il doit remplir
Sensevy, 2007) aborde les gestes professionnels de l’enseignement. Davantage
deux conditions majeures:
lié à un programme systématique de description et de compréhension des fonc-
• qu’il soit analysable comme visant à son tour la construction, chez les étu-
tions enseignantes dans les systèmes didactiques, ce modèle est également
diants, de gestes d’aménagement de milieux didactiques à l’intention de
mobilisé dans de nombreux dispositifs de formation d’enseignants.

19
Nous reviendrons plus loin sur la notion de «partage», lors de la définition du concept de «modèle». 21
Cf les projets didactiques découlant de l’application de l’Art 59 de la Loi fédérale sur l’encouragement
20
Pour un historique de cette notion cf. Chabanne & Dezutter (2011). des hautes écoles et la coordination dans le domaine suisse des hautes écoles (LEHE)
leurs élèves (la première condition, si elle est satisfaite, ne rend les milieux en 3.2.3 Définir le concept de «modèle professionnel»
question que potentiellement professionnalisants);
• que l’analyse des milieux mis en place par les étudiants permette de les Dans leur étude, Grivet-Bonzon, Jacquin, Mili, Knodt & Haefely (2016), montrent
considérer comme didactiquement aménagés et inscrits en tant que tels dans le rôle des modèles professionnels dans la formation didactique des enseignants
les visées de formation (cette seconde condition, si elle est satisfaite, rend les de musique, à travers notamment l’analyse didactique des traces des leçons
milieux en question effectivement professionnalisants). dispensées par les étudiants à leurs élèves.

La seconde condition ne doit pas induire pour autant que les effets profes- Par l’observation des traces des leçons données par les étudiants à leurs élèves
sionnalisants doivent être vus comme de simples «reprises» par les étudiants (leçons données sous la supervision de formateurs didacticiens), cette étude
d’outils co-construits ou fournis dans l’espace de la formation. Aussi, la pro- vise à mettre en évidence les modèles professionnels sous-jacents aux pratiques
fessionnalité sera-t-elle traitée comme la capacité de l’étudiant à voir dans des formateurs. Quels modèles rencontrés en formation sont repris par les étu-
un répertoire d’outils didactiques ceux qui sont pertinents pour un contexte diants? Comment les étudiants se les approprient-ils? Les auteurs cités tentent
d’enseignement particulier. Le développement professionnel suppose la mobi- de répondre à ces questions à partir d’une étude de cas portant sur la forma-
lisation pertinente de ce que Jorro (2006) appelle «les gestes d’ajustement de tion à l’enseignement du trombone d’un étudiant de la HEM de Bâle.
l’action», qui «relèvent du kaïros, de la capacité à intervenir sur le déroulement
de l’activité, sur le rythme de l’action (anticipation, accélération, actualisation),
sur la modification d’une consigne, sur sa reprise…, sur l’invention d’une stra- 3.2.4 Cadre théorique: vers une définition opérationnelle des
tégie nouvelle, sur la prise en compte d’une demande émanant de la classe» concepts de «modèle» et de «développement professionnel»
(p. 10). Autrement dit, un agir qualifié de «professionnel» passe par «une
approche plus singulière, où le style marque l’affranchissement d’un modèle La notion de développement professionnel et plus particulièrement la question
de l’action» et «permet de saisir l’épaisseur de l’activité» (id.). C’est aussi ce des indicateurs de celui-ci sont centrales pour notre analyse. Nous avons donné
qui fonde la distinction entre «gestes du métier»22 et «gestes professionnels»: dans ce contexte une définition opérationnelle de ce que nous avons considéré
46 «Les gestes professionnels intègrent les gestes du métier en les mobilisant d’une 47
comme développement professionnel dans le cadre de nos analyses.
façon particulière, leur mise en œuvre dépend de processus d’ajustement,
d’agencement, de régulation. Il n’y a pas un modèle opératoire à privilégier, Des savoirs font modèle lorsqu’ils font l’objet d’un partage possible au sein
mais des variations à construire dans l’interaction avec le contexte. C’est d’une communauté (de musiciens, d’enseignants…) et lorsqu’ils sont rendus vi-
donc un saut qualitatif qui s’exprime avec les gestes professionnels. […]. Ils sibles en tant qu’objets de formation enseignés. Un modèle doit donc répondre
témoignent du réel de l’activité mais aussi d’une approche singulière et contex- aux critères suivants:
tuelle» (Jorro, 2006, pp. 7-8).
• faire l’objet d’une conceptualisation et systématisation,
Un des corollaires de ce positionnement épistémologique est le fait que les • s’insérer dans un système de concepts ou de valeurs,
objets de formation apparaissent comme soumis à plusieurs couches transpo- • être thématisé, institutionnalisé et/ou modélisé en séance de formation.
sitives, en boucle (ainsi qu’on peut le déduire du schéma ci-dessous):
Fig. La double transposition didactique dans les systèmes de formation «enchâssés» Le travail des formateurs est, d’une part, guidé par le modèle d’enseignant visé
par la formation, tel qu’il apparait dans des référentiels de compétences (ACE,
Formateur
2010). Ces formateurs disposent, d’autre part, de toute une série de références
Objet d’enseignement
(musicales, didactiques, pédagogiques) qui proposent des modèles pour former
(Mahlert, 2011).
SD SF
Enseignant Elèves Formés Sans pouvoir entrer ici en détail sur leurs contenus, nous faisons l’hypothèse
que ces modèles fonctionnent comme des outils du développement profes-
Objet de formation
sionnel chez les étudiants. Nous considérons celui-ci sur un axe représentant
22
«Objet d’une transmission technique et symbolique, le geste du métier véhicule les codes propres
un continuum entre deux pôles. Le premier pôle d’appropriation correspond à
au métier. L’initiateur du geste se présente comme le membre d’une communauté de pratiques qui la capacité de reproduire un modèle. Par «reproduction», nous entendons une
affiche ses savoir-faire et ses valeurs. Les gestes du métier s’appuient sur un ensemble de codes sociaux «appropriation spontanée de contenus, de normes d’action, de valeurs, de
propre au métier, d’invariants de situation qui permettent d’identifier les paramètres structurant l’acti-
vité. L’évocation des gestes du métier laisse penser à un répertoire de gestes, de séquences scénarisées,
à l’existence d’un code des valeurs, aux jugements d’utilité, de beauté qui disent le rapport au métier et
d’efficacité pour ce qui relève de l’action réalisée» (Jorro, 2006, p. 7).
croyances, sans que cet ensemble ne soit pensé ni construit (Wulf, 1999, cité D’autres dimensions transversales se déclinent au sein de la littérature portant
dans Lemaitre, 2007, p.13). Dans la pratique de l’étudiant, il s’agit d’une reprise sur la formation des enseignants de musique.
mimétique d’un modèle rencontré en formation (p.ex. la reprise du discours du
formateur, l’application d’un principe didactique). A l’autre extrême se situe • Sous la forme d’une description des différents rôles ou postures (Marchand,
le pôle que nous appellerons «reconfiguration», par analogie entre texte du 2011) de l’enseignant, d’abord.
savoir et récit23 «transposé dans l’enseignement, il s’agit d’une intégration des
concepts comme outils pour réfléchir et d’une transformation des savoirs issus • Sous la forme de catalogue de capacités de base, ensuite (Mahlert, 2011)
de la formation en savoirs professionnels» (Vanhulle, 2009, p.249). p. 96). Capacités relationnelles avec l’élève: s’intéresser à sa personnalité, ses
souhaits, son potentiel; savoir créer une atmosphère de travail détendue;
Sur la base de ces considérations théoriques, nous considérons qu’il y a déve- savoir faire preuve d’empathie et laisser la place à la parole de l’élève; savoir
loppement professionnel lorsqu’il y a reprise et transformations observables adapter son langage au niveau de l’élève; disposer d’un vaste répertoire de
des objets de formation suivants: moyens d’expression, y compris non verbaux; être à l’écoute de ses besoins
et adapter son enseignement en fonction. Capacités à catégoriser des princi-
• intégration pertinente d’un objet musical abordé en formation dans une leçon pes didactiques et méthodologiques: être conscient de la nature systémique
de la didactique (qui apprend quoi, quand, avec qui, où, comment et pour-
• apparition de supports et d’outils didactiques rendus de plus en plus visibles quoi?); savoir varier les formes de son enseignement; être conscient de la
pour l’élève fonction des méthodes (des outils possibles, mais pas infaillibles); adapter ses
méthodes aux trois pôles du triangle didactique (élève, musique, enseignant).
• recours à des gestes de définition avec une forme de pertinence par rapport
à l’objet enseigné et une articulation entre eux Finalement, comme pour toutes les didactiques disciplinaires, les théories d’ap-
prentissage constituent des théories de références, aussi bien en tant que conte-
• augmentation de l’explicitation et de l’étayage d’une tâche nus enseignés en formation que dans la modélisation que peuvent en offrir les
48 formateurs. 49
• apparition des traces de conceptualisations dans le discours de l’étudiant.
Les dimensions spécifiques du profil d’un enseignant de musique
Quels sont, à l’heure actuelle, les savoirs et compétences estimés nécessaires pour peuvent être regroupées en quatre catégories.
exercer la profession? Comment celles-ci sont-elles présentées dans les réfé- La première spécificité se situe au niveau de la formation de l’identité de l’ensei-
rentiels? Quelle est la part générique de ces savoirs et compétences propre à gnant, qualifiée de «duale» (ACE, p.48). La formation musicale et pédagogique
la profession enseignante dans son ensemble, quelles en sont les dimensions se fait parfois parallèlement et est dispensée par des formateurs qui continuent
spécifiques? à exercer leur métier de musicien. Si l’intégration peut avoir des avantages, elle
peut aussi faire obstacle à la construction identitaire, qui doit passer par des
Dans la littérature sur la professionnalisation des enseignants, la présence néces- modèles issus de communautés différentes. Ce sentiment de dualité est ren-
saire, dans une formation, des savoirs disciplinaires, didactiques et pédago- forcé par l’exigence de «l’enseignant comme modèle artistique», qui continue
giques (Zurcher, 2011 in Joliat, p. 193) ou autrement dit des savoirs à et pour à pratiquer lui-même la musique à un haut niveau et par celle de «l’enseignant
enseigner (Schneuwly & Hofstetter, 2009) fait consensus. Parmi les compé- comme défendeur, collaborateur, travailleur dans un réseau», qui implique un
tences générales à développer sont d’abord citées celles d’observation et d’ana- travail important de représentation de la communauté musicienne en dehors
lyse de la pratique, d’utilisation et d’appropriation des concepts théoriques, de son activité enseignante.
notamment didactiques, et la capacité d’articuler apports théoriques et pra-
tiques (p.ex. Vinson & Dugal, 2011, p.69). Ce «savoir-analyser» la pratique doit La seconde spécificité est liée aux objets de la discipline: techniques musicales
permettre de former un professionnel réfléchi «capable (…) de résoudre des d’un instrument spécifique (p.ex. Hoppenot, 1981 / 2012, pour le violon), écoute,
problèmes, d’inventer des stratégies» (Altet, 1998, cité dans Vinson & Dugal, représentation interne de la musique, corporéité, créativité (Leroy, 2011), im-
p. 66) et favoriser la capacité à mettre la focale sur les conditions et processus provisation, pour n’en nommer que quelques-uns.
d’apprentissages de l’élève (Vinson & Dugal 2011).
Une troisième spécificité concerne les modalités de communication avec
l’élève, déterminée par les objets musicaux et par la forme scolaire spécifique
23
«L’arrangement configurant transforme la succession des événements en une totalité signifiante qui (cours individuel dominant). Nous citerons ici à titre d’exemple le «jouer-en-
est le corrélat d’assembler les événements et fait que l’histoire se laisse suivre. Grâce à cet acte réflexif,
l’histoire peut être traduite en une pensée». (Ricoeur, 1983, p.130, cité dans Carcassone, 1998, p.54).
semble» de l’enseignant avec l’élève comme un des modèles souvent évoqués Ont été ainsi retenus les indices de professionnalisation suivants:
en formation et pratiqué dans l’enseignement, que Zurcher (2011) nomme • la capacité de l’étudiant à agir comme un enseignant (dans un cadre adidac-
«l’empraxie»: «le développement musical ne peut s’envisager qu’à travers une tique au sens de Brousseau, 1998), en faisant un usage raisonné mais assumé
expérience d’interaction avec le pédagogue. La connaissance de ce que peut d’outils didactiques construits en formation. Pour mesurer de ce point de
faire l’élève l’intègre dans son champ de pensée» (p.14). vue l’évolution de l’étudiant, la distinction entre apprentissage professionnel
et développement professionnel (cf. Vanhulle, 2009) nous a semblé utile. Si
Toute recherche qui vise à démontrer les effets d’une formation sur la construc- l’apprentissage professionnel vise plutôt la construction de savoirs didactiques
tion des savoirs professionnels part du «présupposé (…) selon lequel l’acteur décontextualisés, le développement professionnel vise la construction des
professionnel peut acquérir de nouveaux savoirs professionnels, évoluer dans compétences d’organisation et de gestion de l’action didactique s’appuyant
ses pratiques, ses conceptions et ses représentations, dans les situations d’acti- sur la capacité «d’apprendre à apprendre» des savoirs professionnels24.
vité finalisées vécues ou provoquées» (Lefeuvre, Garcia & Namolovan, 2009). Cette distinction permet de capter le passage de l’étudiant de l’appropria-
tion de savoirs à enseigner à leur transformation en outils de «navigation
Mais comment ces «nouveaux savoirs» se construisent-ils professionnelle (développement de la compétence à développer ses com-
et comment évoluent-ils? pétences propres à l’ingénierie de professionnalisation)» (Fernagu-Oudet,
Vanhulle (2009) émet l’idée que «les savoirs professionnels ne sont pas trans- 2004, p.121), que l’on pourrait aussi voir comme des outils adaptatifs
mis mais construits» (p.245) et qu’ils «s’appuient sur une série de savoirs – (i.e. adaptation à des situations dites «imprévues» ou des situations «impré-
scientifiques, institutionnels, pratiques, expérientiels propres – pour les trans- visibles»25).
former selon des visées praxéologiques, elles-mêmes justifiées par des motifs
et des intentions, par des rationalisations d’actes réalisés et par des projections L’analyse du passage de la formation à la navigation professionnelle a pu être
pour des actions futures» (Schütz, 1998, cité dans Vanhulle, p.250). Le défi facilitée, dans certains cas (par exemple, dans le cas des pratiques Jaques-
lancé à la formation n’est pas rien! Dalcroze), par l’étude de l’usage (redondant ou stratégique / tactique) que
Toute la question de la définition du développement professionnel réside pour l’étudiant faisait des documents / ressources institutionnels. Nous avons
50 nous dans le «pas en avant» et son observabilité (cf. méthodologie). Lefeuvre pu constater, chez les Dalcroziens, des effets visibles de professionnalisation, 51
& al. (2009) définissent une série d’indicateurs conceptuels du développement. du fait qu’ils avaient davantage recours aux ressources institutionnalisées
Nous en retiendrons trois, pertinents pour nos analyses: qu’à des pratiques simplement empruntées, issues de leçons antérieures.
Cela peut expliquer aussi, à certains égards, le fait que l’expérience des ensei-
• les conceptualisations qui se construisent à partir d’un processus de généra- gnants dalcroziens s’appuie davantage sur les savoirs pour enseigner que sur
lisation; les savoirs à enseigner. Alors qu’en didactique du chant, nous avons pu relever
l’absence de référentiels d’ordre institutionnel (cf. Bodea, 2016; Martin-
• les connaissances associées à la maitrise d’artefacts et d’outils (Cf. p.ex. l’outil Balmori & Bodea, 2016) et les tentatives des enseignants de pallier cette
poster pour analyser sa pratique); absence. A ce propos, et d’un point de vue épistémologique, nous avons
considéré que ce qui est révélateur, pour la mise en évidence du processus
• le genre professionnel: entre l’organisation formelle du travail et l’activité de professionnalisation, ne concerne pas seulement tout ce que les acteurs
personnelle de chaque professionnel, il existe une histoire collective des font (au sens d’agir didactique), mais aussi tout ce qu’ils ne font pas
gestes techniques et des ressources discursives, des manières de dire et de (et il n’agit pas ici de pointer des «lacunes», mais de spécifier des modes
faire qui sont cristallisées dans un milieu professionnel particulier. En psycho- d’agir par rapport aux outils ou aux référentiels convoqués / anticipés / triés
logie du travail, on parle de «genre professionnel» (Clot & Faïta, 2000). / laissés de côté…);

• la diminution de la fréquence et de la densité des outils discursifs de l’ensei-


3.2.5 Indices de professionnalisation: un défi théorique gnant nous apparaît comme un autre indice de professionnalisation. Les
et épistémologique définitions, dans la mesure où elles portent non seulement sur des contenus
notionnels/conceptuels, mais aussi sur le jeu didactique proposé à l’élève,
impliquent qu’il faut laisser de la place pour l’expérimentation et pour le jeu
En ce qui concerne l’analyse de la professionnalisation sous l’angle des mo-
dèles fournis par les formateurs, la théorisation s’est effectuée sur la base
d’une observation clinique (cf. Jacquin, 2016; Grivet-Bonzon, 2016; Jacquin & Cf. à ce propos, Fernagu-Oudet, 2004: 121, dans une perspective d’ingénierie, qui n’est pas la nôtre,
24

Grivet-Bonzon, 2016; Bodea & Martin-Balmori, 2016; Bodea & Thivolle, 2016). mais éclairante du point de vue des deux concepts opérationnels qui nous intéressent ici.
25
Nous avons ainsi pu relever deux grandes catégories d’enseignants /de formateurs: (i) ceux qui ne
perdent pas le Nord d’un projet, malgré des phénomènes locaux; (ii) ceux qui se focalisent sur les phé-
nomènes locaux plus que sur l’ensemble du projet d’enseignement.
musical. Dans cette optique, on part du principe qu’en cours de musique, on la solution, etc. (…) il apparaîtra (…) qu’en collaboration avec un adulte,
s’attend a priori à davantage de pratique que d’explicitations discursives, donc en suivant ses indications, l’un d’eux résout des problèmes.» (p. 351).
à l’apparition de plus d’outils ostensifs-corporels que linguistiques;
C’est en référence à cette perspective d’analyse que nous avons pu constater,
• les indices cliniques d’anticipation de la réaction des élèves en tant qu’indica- par exemple, que dans les dispositifs de formation à l’enseignement de la harpe,
teur d’aménagement des apprentissages; les devoirs représentent une composante de la planification. Cela représente
à nos yeux un puissant indice de professionnalisation, dans la mesure où les
• en étroit lien avec l’indice précédent, le type de travail préparatoire qui émerge apprentissages des élèves sont considérés dans leur progression.
dans les dispositifs de formation, qui a pu nous informer sur le degré d’amé-
nagement du milieu didactique; C’est dans ce sens qu’il faut comprendre, à nos yeux, le rapport entre projet
enseignant et développement de l’élève. Ce dernier passe par le pari que, lors
• l’articulation entre le diagnostic des difficultés des élèves et leur traitement d’une étape ultérieure, l’élève est capable de «faire» (au sens large du terme26)
didactique approprié, c’est-à-dire en priorisant les enjeux d’apprentissages. ce qu’il ne savait pas faire lors de l’étape précédente. Et ce grâce à des outils
Dans cette perspective, que nous a inspiré le modèle du professionnel éla- didactiques spécifiques co-construits dans la dynamique transactionnelle. C’est
boré par Abbott (1988), le passage du formé à une posture profession- dire qu’il s’agit d’un pari finalement peu hasardeux, puisqu’il fait l’objet d’un
nelle se traduit aussi par la place que l’enseignant accorde aux objectifs très soigneux travail de préparation.
d’apprentissage dans l’économie de ses pratiques de régulation. C’est
également un des indicateurs importants de mise en évidence du passage Nous avons donc considéré que pour remplir la fonction d’outil de développe-
du musicien à l’enseignant. ment, les devoirs à la maison doivent inscrire leurs contenus et leur mécanisme
(aménagement et gestion) dans une planification structurée par la progression
• le statut de l’expérience d’enseignement / de formation: si, par exemple, nous des apprentissages des élèves.
avons été amenés à considérer qu’une certaine tâche recélait des indices de
52 professionnalisation, c’est surtout par rapport au fait que l’expérience de C’est à cette condition que les devoirs à domicile peuvent échapper à un effet 53
l’acteur concerné lui aura permis de mettre en place un milieu susceptible de «tâche aveugle» (au sens suggéré par Soëtard, 2012, à propos d’Emile de
de générer (ou qui a réellement généré) une expérience spécifique de la Jean-Jacques Rousseau).
part de l’élève. Il s’agit en gros d’un milieu, qui, à travers des types d’ac-
tivités proposées à l’élève, sollicite de sa part - et lui permet de construire - Nous aimerions préciser à cet égard que pour la saisir avec les outils du didac-
des stratégies de résolution de «problèmes» musicaux (au sens large de tique, l’autonomie de l’élève ne peut être pensée en dehors de la nature des
défis). contenus des tâches assignées aux élèves. C’est à cette condition qu’elle peut
être saisie à travers le concept de dévolution en tant que prise de responsabilité
• les indices de construction didactique de l’autonomie de l’élève (i.e. sur le en termes de savoirs (Brousseau, 1989) et non pas en termes motivationnels ou
plan des outils de ses apprentissages), indissolublement liés au statut de décisionnels, ni en termes de «métier d’élève» (Perrenoud, 1994/2010), dont
l’expérience d’enseignement / de formation. Dans ce sens, ce n’est pas la le statut implique naturellement que l’élève se plie, du point de vue social, à
quantité du travail dévolué à l’élève qui a été retenue comme significative de l’absorption de responsabilités scolaires.
notre étude de l’autonomie de l’élève, mais la qualité de ce travail. C’est De ce point de vue, nous prenons du recul à l’égard de Soëtard (2012), lorsqu’il
dans leur rapport à la construction de la zone proximale de développement affirme:
(Vygotski, 1997) qu’ont été analysés ces indices, qu’il s’agisse des devoirs
à la maison ou de la planification. En d’autres termes, il s’agissait de «l’autonomie est moins liée à un contenu qu’à une décision du sujet: le contenu,
déterminer si le futur enseignant s’était assuré de la proximité entre ce par exemple un comportement proclamé autonome, demeure suspect dans la
qui faisait déjà, lors de la leçon, l’objet d’une maîtrise et ce qui devait être mesure où il reste dépendant du secret de la décision qui le porte, et à laquelle
travaillé à la maison. L’analyse a pour but de cerner la manière dont l’ensei- on peut toujours trouver des ”raisons” (p.150).
gnant / le formateur conduit une progression de l’élève / de l’étudiant vers sa
«zone proximale développement» (Vygotski, op. cit.). A ce propos, la question lancée par Peter Knodt27 («Comment se comporte le
Cela implique de «déterminer le niveau présent du développement» et professeur de didactique par rapport aux devoirs (destinés aux élèves) dévolués
d’essayer «de voir comment les (…) enfants résolvent les problèmes destinés
aux âges suivants lorsqu’on leur vient en aide en leur montrant, en leur 26
Il peut s’agir même d’un changement de perspective de l’élève en ce qui concerne la fonction ou
posant une question qui les met sur la voie, en leur donnant le début de l’organisation des savoirs.
27
Lors d’une réunion de l’équipe DAM consacrée aux recherches conduites dans le cadre de ce projet.
aux étudiants?») nous a paru d’une extrême importance. Bien que certaines didactique: nous avons considéré que dans la mesure où un enseignement
études statistiques affirment ne pas avoir trouvé de lien causal entre les devoirs ne saurait se proposer de traiter en classe toutes les difficultés d’apprentis-
à la maison et la progression des élèves dans leurs apprentissages, Peter Knodt sage de l’élève, un important indice de professionnalisation pourrait alors
a pu montrer, à travers ses observations systématiques de la circulation et des être formulé en termes de «réticence didactique». Cependant, il ne s’agit pas
effets réels des devoirs dans l’enseignement du trombone, que ce que les élèves d’une réticence arbitraire : pour qu’elle s’inscrive dans une visée profession-
sont censés faire à la maison a bien un important impact sur leur progression. nalisante, il faut qu’elle soit portée par des enjeux d’apprentissages.
Il a pu même montrer que le travail externalisé de l’élève peut avoir un impact Lors de la réunion de recherche du 13 mai 2016, consacrée entre autres au
bien visible sur l’évolution de l’élève dans ses apprentissages (techniques / inter- repérage d’indices cliniques de professionnalisation à travers l’observation
prétatifs). Ceci à condition que les missions de l’élève à domicile relèvent d’une de vidéoscopies, Isabelle Mili, René Rickenmann, Peter Knodt et Stefan Bodea
didactisation des tâches en lien étroit avec un facteur exogène, soit le choix du ont pu isoler ce genre d’indice, dans l’enseignement de la trompette. Une
répertoire des œuvres à interpréter par l’apprenant. fois que l’enseignant identifie avec l’élève un des problèmes rencontrés par
ce dernier, il ne cherche pas à lui fournir ‘’la clé de la réussite immédiate’’ - pour
La comparaison entre la distribution et les contenus des devoirs dévolués aux ainsi dire, mais entame un processus de (re)mise à l’étude de l’élève visant
élèves à Genève et respectivement à Bâle, a pu mettre en évidence le fait que à construire son expertise d’autocorrection. La réticence de l’étudiant est
dans l’espace romand de la formation, les devoirs sont peu thématisés, eu égard donc didactiquement orientée vers la construction (préméditée) d’un outil
à la place qu’ils occupent dans les cours de didactique en Suisse allemande. d’autonomie, qui plus est, une autonomie au service de la capacité à opérer
Notre hypothèse est que cette différence est due, entre autres, au type d’aména- des transferts à des situations similaires. C’est en ceci que le recours au geste
gement du travail de l’élève à la maison, notamment du celui qui porte sur le de réticence est didactiquement sensé.
répertoire de l’élève. En Suisse allemande, à la différence de la Romandie, dans
la configuration des tâches pour les élèves, les enseignants accordent une
place plus importante aux propriétés des œuvres telles qu’inscrites dans le ré-
pertoire de l’élève. Cela ne manque pas de produire des effets sur les devoirs.
54 Bref, les devoirs à domicile en musique représentent un candidat confirmé à la 55
construction de l’autonomie de l’élève, contrairement à ce que certaines études
laissent entendre (cf. Zurcher, 2011)28.

Une question d’ordre épistémologique survient alors d’emblée: A quelle condi-


tion pourrait-on affirmer qu’un devoir à la maison peut remplir la fonction
d’outil d’apprentissage / d’enseignement / de développement professionnel?

• L’enrichissement du milieu didactique, pour faciliter l’incorporation des savoirs


techniques et interprétatifs, constitue un autre indice de professionnalisation
particulier à la musique. Enrichir le milieu didactique autrement que par la seule
répétition n’est pas si facile lorsque les pratiques accordent une place pré-
pondérante aux mécanismes d’imitation / mimésis. C’est en tout cas cette
capacité à enrichir le milieu didactique que la formatrice de l’enseignement
du piano essaie de construire chez ses étudiants. Dans cette perspective, elle
insiste sur la diversification de la conduite des formés par rapport à des objets
de savoirs convoqués à un moment donné dans le cadre de leur dispositif de
formation.

• la distribution efficace de la ’’réticence didactique’’ (au sens de Sensevy, 2007),


ce que l’on pourrait traduire aussi par ’’savoir s’arrêter’’ au cours de l’action

28
Cf. Zurcher (2011), selon lequel, le développement musical de l’élève ne peut être conçu en dehors
de l’interaction avec l’enseignant; il serait l’affaire exclusive de ce que l’auteur appelle «empraxie», un
savoir enseignant du type «faire-avec» les possibilités de l’élève, indispensable à l’évolution de ses
conduites musicales.
4. méthoDologie

Du point de vue méthodologique, les approches compréhensives


à partir de l’étude minutieuse de nombreux cas permettent
d’inscrire la recherche dans une visée «(…) heuristique [qui] est
à même de faire passer de cas singuliers à un certain universel
par le biais de la découverte de l’organisation des processus
et des mécanismes mis en jeu dans les interactions ensei-
gnants - enseignés, selon une sorte de raisonnement infé-
rentiel (…)» (Bru et alii, 2004).

56 57
Dans les approches qualitatives, la clinique du didactique (Leutenegger, 2009) 4.1 L’APPROCHE QUALITATIVE COUPLéE à L’APPROCHE
articule méthodologiquement une description (dite «ascendante») des situa- QUANTITATIVE
tions étudiées et des modèles théoriques issus du repérage d’invariants et de
phénomènes didactiques génériques. C’est dans ce cadre qu’émerge la visée
de confronter empiries et modélisations de l’activité enseignante. Nous l’avons déclaré d’emblée, rien n’a semblé, ces trente dernières années,
échapper à la modélisation – et, partant, à la codification – de l’agir profes-
Le corpus d’ensemble de la recherche est constitué de deux types de données. sionnel. Nous avons donc fait le pari que la codification de l’agir professionnel
D’une part, celles quantitatives récoltées à partir des vidéoscopies des 5 leçons nous permettrait:
L0, L1, L2, L3 et L4 conduites par chaque enseignant en formation auprès • de mieux cerner des phénomènes centraux dans les pratiques,
d’un de ses élèves; ainsi que quatre feedbacks F1, F2, F3 et F4 donnés par • de coupler approches quantitative et qualitative.
les formateurs à propos de ces leçons, sauf pour les leçons L0 qui constituent
des leçons de référence nous permettant de décrire le profil enseignant des Premièrement, nous avons donc identifié puis codé les contenus et modalités
étudiants au moment de commencer la recherche. de définition proposées par les formateurs. Ces définitions concernent les deux
catégories: des savoirs à enseigner et des savoirs pour enseigner. Précisons qu’il
Afin de réduire le nombre très important de données que peut produire la ri- s’agit ici d’un découpage analytique qui, dans les approches didactiques, n’im-
chesse des empiries, nous avons procédé dans un premier temps à un codage plique pas l’existence de réalités empiriques de nature distincte.
basé uniquement sur deux séries de catégories d’analyse: d’une part, le codage
de six modalités enseignantes de définition du jeu didactique (Sensevy, Mercier, Les indicateurs permettant de coder ces contenus et modalités de définition
Schubauer-Leoni, 2000; Sensevy, 2006) ainsi que celui de 4 catégories de savoirs nous ont permis, dès le mois de juin 2014, de procéder au codage intégral des
à enseigner convoqués via ces actions de définition des enseignants en forma- données recueillies. Corpus qui fera l’objet du traitement statistique30.
tion. En suivant les modèles proposés dans la Théorie des Situations didactiques
de Brousseau (2011) et ceux de la Théorie de l’action conjointe didactique (Sen- Dans un deuxième temps, nous avons cherché également à décrire et à coder
58 sevy & Mercier, 2007), nous avons catégorisé les «actions de définition» comme les configurations relatives aux modes d’organisation et de conduite de l’ensei- 59
celles à travers lesquelles l’enseignant définit les éléments du jeu didactique: gnement. Afin de choisir les indicateurs qui permettent de coder les variables
La condition de définition du jeu réfère à une autre nécessité: le collectif didac- expliquées «gestes professionnels chez les étudiants», nous avons pris appui
tique doit pouvoir jouer sans ambiguïté le bon jeu, celui dont le professeur sur différentes sous-catégories du geste de définition (définir en expliquant
sait qu’il va amener les élèves à avancer. On pourra donc étudier comment les oralement / en montrant comment jouer un passage / en pointant un endroit
règles définitoires du jeu sont transmises par le professeur et appropriées par les de la partition ou un détail technique, etc…). Il était dès lors possible de saisir
élèves, jusqu’à une certaine «transparence» qui permette de jouer le bon jeu les modalités d’apprentissage et d’appropriation des savoirs en jeu.
presque «sans y penser» (Sensevy, 2006, p. 210.

6 modalités d’actions de définition 4.2 L’ACTIVITé DE CODAGE


Dans cet ordre d’idées, nous avons catégorisé 6 modalités d’actions enseignantes de
définition: des tâches (Dt), discursives (Dd), des exemples (De+) et contre-exemples Le travail consacré à la stabilisation de l’ensemble des cas (feedbacks, leçons
(De-), des gestes et discours de pointage (Dp), puis des définitions à travers des ou cours collectifs) sous forme de fichiers Excel, a débouché sur des graphiques
analogies et métaphores (Dm). D’autre part, dans la mesure où ces actions de descriptifs concernant les savoirs abordés et les gestes de définition. Dans le
définition orientent toujours les activités en fonction de contenus d’apprentissage cadre de la plupart des études conduites au sein des sous-groupes, ces gra-
qui font l’objet des transactions didactiques observées, nous avons catégorisé 4 phiques ont été utilisés comme matériel de la recherche qualitative31.
types de savoirs concernant le système d’enseignement (leçons): savoirs techniques
concernant l’instrument, le rapport corps-instrument et les aspects solfégiques (Mt),
les savoirs relevant de l’interprétation de l’œuvre ou de la posture esthétique de 29
Concernant le système de formation, nous avons en outre identifié trois types de savoirs pour enseigner:
l’interprète (Mi), savoirs relatifs à l’organisation des études en dehors des moments ceux relatifs aux processus d’apprentissage de la musique (DL), ceux concernant le travail enseignant de
planification (Dpl) et, finalement, ceux relevant de la conduite des leçons (Dr). Cependant, dans le cadre
de la leçon (Mh), des savoirs concernant la lecture de partitions et autres moyens de ce texte nous n’utilisons et n’analysons principalement que les données issues des leçons données
d’accès à l’écriture musicale (ML). Ces 4 types constituent l’ensemble des savoirs à par les enseignants en formation.
enseigner qui ont été codés29. L’ensemble des codages a été réalisé en double aveu-
30
L’ensemble des données est accessible sous: https://www.unige.ch/fapse/dam/recherche/donnees/
professionnalisation-enseignants/
gle, avec une stabilisation ultérieure des données codées sous forme de verbatim. 31
Les couleurs dans les histogrammes ont été unifiées (chaque couleur désigne la même catégorie pour
tous les cas).
Définir et / ou réguler. Pour une distinction opérationnelle familiarisés avec leur «routine» de travail et de langage. Cette «routine» de
Nous distinguons les éléments définis au départ d’une tâche ou d’un épisode comportement de l’étudiant a favorisé les décisions de choix de codage.
didactique et les remarques censées modifier le cours de la tâche ou de l’épisode.
Ce sont ces remarques qui fonctionnent de manière régulatrice. Sensevy (2001) Le codage [MTC/MI], propre à la rythmique IJD
définit la régulation comme «ce que le professeur fait en vue d’obtenir, de la René Rickenmann a proposé deux variables qui ont été utilisées uniquement
part des élèves, une stratégie gagnante» p. 215), ou comme «ce qui, dans les pour le codage de l’étudiant suivi à l’IJD. Ainsi, ces variables ont permis d’affiner
transactions didactiques, permettra aux élèves de produire les stratégies ga- le regard sur une transmission de savoirs musicaux axés sur le corps.
gnantes au jeu» (Sensevy, 2006, p. 210).
Cet éventail de situations a aiguisé notre regard analytique quant aux situations
La seconde définition de la régulation induit chez le lecteur l’idée de phéno- d’enseignement et a constitué un socle essentiel pour l’analyse qualitative.
mène ou effet didactique généré dans les transactions didactiques, qui ne se- Cette expérience et la quantité importante de codages se sont avérées aussi
rait pas forcément exclusivement due à l’action du professeur. Alors que dans intéressantes à exploiter dans le volet qualitatif que dans le volet quantitatif de
la version de 2001, la régulation est explicitement attribuée par Sensevy à l’action notre étude.
du professeur. Ce qui lui confère le statut de geste d’enseignement.

On notera ensuite, fait important, que Sensevy (2001) définit la régulation en 4.3 RÔLE DES ANALYSES DESCRIPTIVES
articulation avec le geste de définition, et c’est ce qui intéresse directement
notre recherche: Les analyses descriptives des phénomènes didactiques retenus ont été effec-
tuées notamment à partir de représentations graphiques générées par les don-
«La distinction définir/ réguler correspond à la distinction règles constitutives / nées statistiques. Des hypothèses de travail ont été formulées, à partir notam-
règles stratégiques d’un jeu, proposée par Hintikka (1993). Ainsi, aux échecs, ment des questions suivantes.
le fait que le fou se déplace en diagonale est une règle constitutive du jeu. Le
60 fait que tel joueur sacrifie une pièce pour acquérir un avantage d’espace 61
A quels phénomènes [didactiques] attribue-t-on le comportement des données
qui le conduira au gain est une règle stratégique» (Sensevy, 2001, p. 215, statistiques? Au format général de l’institution concernée? Aux spécificités
note de bas de page). Dès lors, notre attention se portera sur la distinction non de l’instrument? Aux savoirs d’expérience des formateurs? A la filiation de
plus entre ce qui, pour l’élève, est connu ou nouveau dans une consigne pratiques d’enseignement? A un rapport particulier à une certaine culture pro-
donnée, mais entre règles constitutives du jeu et règles stratégiques. fessionnelle? A un certain profil d’apprenant visé?...;
La «proximité» de gestes enseignants Citons rapidement un exemple parmi d’autres:
Lors du codage, nous avons eu de longs débats, destinés à argumenter le par- • Celui du nombre significatif d’occurrences d’un certain phénomène didacti-
tage / la frontière entre certains gestes, c’est donc grâce à la contextualisation, que tel que, par exemple, le nombre réduit de tâches données à l’élève
en amont et en aval, de chaque situation qu’un codage précis nous a semblé en harpe, donnée qui oriente vers une analyse des enseignements observés
être possible. comme relevant plutôt de l’«empraxie» (connaissance vécue de ce que
l’élève est capable de faire32) (Zurcher, 2010) ou «connaissance vécue de ce
Le type de discours [formateur-étudiant] et [étudiant-élève] revêt également que l’enfant est capable de faire».
une importance quant au choix de codage et peut déterminer / orienter une
préférence de choix dans les catégories rapprochées.

La «jurisprudence» dans le type d’interaction 4.4 le VOLET QUALITATIF


Certaines actions, certains gestes se sont répétés, de manière plus ou moins
typique suivant les étudiants observés, durant leur processus de professionna- La phase qualitative de l’étude a été organisée en deux groupes de recherche:
lisation: • un qui s’est attaché aux indicateurs du processus de professionnalisation
eux-mêmes (cf. la partie du rapport consacrée à l’explicitation des indices de
Nous avons porté une attention particulière à ne pas orienter le codage en regard professionnalisation).
des difficultés inhérentes à un étudiant en particulier, mais nous nous sommes
32
http://www.usagemusical.info/AM/ECRITS/RECENTS/survol%20PZ.pdf]
• un qui a mis sous la loupe les relations entre: définitions portant sur l’interpré- – Une construction des savoirs professionnels à partir d’une reconfiguration de
tation et définitions portant sur la technique. savoirs provenant de sources différentes

Indices de professionnalisation Pour dégager les modèles du formateur, il a fallu se pencher sur la relation entre
L’intégration des différents savoirs et des différentes compétences, la construc- indices observables dans les leçons et indices de développement (a-priori)33.
tion de savoirs professionnels sont des processus de longue haleine. Par consé- Ce qui implique de prendre en compte notamment les items ci-dessous.
quent, affirmer que le geste d’un enseignant en cours ou le discours d’auto- • Quantité de gestes de définition dans une leçon, tous genres (Dd etc.)
analyse en séance de formation relève de cette construction, à savoir d’une confondus.
capacité à transformer des savoirs en outils pour agir / penser (Vygotsky, Pensée
et langage) n’est pas chose aisée. L’imbrication des savoirs issus des champs • Introduction de nouveaux gestes de définition → indice de développe-
professionnels à ceux provenant des disciplines de référence amène Vanhulle ment: le recours à des types de gestes ignorés dans les séances précédentes
(2009, p. 247) à considérer la formation des enseignants comme un processus (analyse quantitative)
étagé et complexe. La question méthodologique centrale consiste dès lors à
savoir «quels indices discursifs nous permettent d’inférer les processus et les • Densité des gestes = la combinaison de plusieurs gestes sur un même objet
produits de cette construction composite.» «Quels savoirs professionnels se ou un même aspect de l’objet (p.ex.: la tenue de l’archet) → indice de
forgent (…)? Quelles ’’logiques d’action“ se profilent»? (Vanhulle, 2009, p. 247). développement: un accroissement de la densité de gestes complémentaires
autour d’un même objet
Les indices sémiotiques: discours, agir, support, outils… (Dolz & Schneuwly,
2009) que nous avons retenus découlent de notre cadre théorique (cf ci-dessus: • Variation des gestes sur un même objet → indice de développement: une
partie 3.2.5., «Les indices de professionnalisation, un défi théorique et épisté- augmentation de la variation dans les gestes
mologique»). Nous avons passé au crible les verbatim des cours et les codages
des gestes de définition. Ce qui nous a amenés à examiner toutes sortes d’ap- • Degré d’explicitation des objectifs d’une tâche (Dt) → indice de dévelop-
62 paritions ou d’occurrences. Par exemple: pement: verbalisation plus importante ou accompagnement du simple geste 63
physique par une explication verbale
• Dans les leçons
– Un savoir musical technique ou interprétatif (MT ou MI) abordé en formation
Corpus étudié:
– Un savoir didactique (DR, (conduite de leçons) DL (processus d’apprentis-
Afin de permettre des comparaisons fécondes, notre corpus prend appui sur
sage de la musique) abordé en formation
les vidéos:
m Articulation des savoirs musicaux et techniques selon les modèles didactiques
• d’instruments de la même famille, dans des régions linguistiques différentes,
présentés en formation
p.ex. violon Bâle, violoncelle Genève et Lausanne.
m Présence d’outils et supports didactiques, p.ex.:
• de chant dans plusieurs institutions (HEM romande et HEM tessinoise)
– L’explicitation des consignes pour introduire une tâche, présence de
• des instruments différents dans la même région linguistique, p.ex. Genève:
reformulations
piano, harpe, violoncelle
– Traitement des obstacles d’apprentissage
– Des outils de planification
– Des outils pour développer l’autonomie de l’élève
– Des supports spécifiques… Les connaissances associées à la maîtrise 4.5 LE VOLET QUANTITATIF
d’artefacts et d’outils (Lefeuvre, Garcia et Namolovan, 2009)
– Un «modèle» d’action du formateur Quinze questions de recherche ont été traitées statistiquement. A travers un
exemple (question n° 1), voici comment cela fonctionne…
• Dans le discours de St1 (étudiant-professeur d’instrument ou de chant en
formation) Question de recherche no 1 / Modèles linéaires mixtes (MLM)
– Un «modèle» de réflexion du formateur La question de recherche est la suivante: quelles sont les variables permettant
– Les concepts scientifiques comme outil pour penser (Vygotsky); les «outils d’expliquer le nombre d’occurrences pédagogiques chez des étudiants d’une
sémiotiques complexes» (Schneuwly, 2009)
33
Bien sûr, on risque de découvrir d’autres indices qui pourraient être reliés à la question du dévelop-
pement.
classe de Conservatoire au cours de leçons données à des élèves d’une classe variable Y suit par conséquent une loi normale multivariée (MVN) d’espérance
d’instrument? Ces étudiants sont eux-mêmes des élèves d’un professeur de Xb et de variance (Z GT Z + R). Une description théorique des modèles linéaires
Conservatoire. Les leçons étant filmées, les occurrences sont comptées par deux mixtes peut être obtenue en consultant Pinheiro et Bates (2009) ou Galecki et
chercheurs fonctionnant de manière indépendante. Burzikowski (2013).

La variable expliquée Y (ou outcome) est le nombre de réalisations d’une Choix du modèle
variable aléatoire continue, et consiste en le nombre d’occurrences pédago- L’une des questions cruciales en méthodologie statistique est celle de la sélec-
giques exprimées par les étudiants durant les leçons administrées aux élèves du tion du modèle pertinent parmi l’ensemble des modèles possibles. Parmi tous
Conservatoire. Les données sont structurées en groupes (ou cluster) puisqu’il les modèles générés, ne seront retenus dans un premier temps que ceux dont
est légitime de penser que chaque étudiant est influencé par la pratique de son les résidus e suivent une loi normale centrée, selon l’hypothèse fondamentale
propre professeur. Le modèle statistique devra prendre en compte cette struc- du modèle MLM (1). L’analyse des résidus se fera d’une part par une analyse
ture étagée des variables explicatives et un modèle linéaire simple ne pourra graphique (diagrammes de dispersion et Q-Q plots), d’autre part par l’appli-
pas être retenu pour cette raison. Cette configuration du plan d’expérience se cation du test de Kolmogorov-Smirnov. Parmi les modèles satisfaisant cette
prête particulièrement bien à une modélisation par un modèle linéaire mixte condition, et à la condition qu’ils soient emboîtés, le choix sera effectué en
(MLM), selon l’équation générale: appliquant la méthode de sélection du log-likelihood ratio statistic (LRT).
Y = Xb + Zu + e (1) Soit bmax le vecteur de paramètres du modèle saturé et L(bmax ; y) sa fonction
de vraisemblance. Soit b un vecteur de paramètres restreint (b < bmax ), mais
Les variables explicatives sont de deux natures: emboîté dans bmax , et L(b; y) la fonction de vraisemblance de ce modèle. Alors
• Des effets fixes, de matrice de design X. Ces effets sont fixés a priori par le le rapport de vraisemblance λ:
plan d’expérience.
• Des effets aléatoires, de matrice de design Z. Ces effets relèvent d’un choix L (b;y)
λ=
64 aléatoire. Les professeurs du Conservatoire appartiennent à cette catégo- L (bmax; y) 65
rie, puisqu’il est légitime de penser qu’ils constituent un échantillon particu- est un moyen d’évaluer la capacité d’ajustement (ou goodness of fit) du mo-
lier parmi l’ensemble des professeurs du Conservatoire. dèle. Il peut être montré que 2 log λ, soit 2 [ log (b; y) – log (bmax ; y) ] suit une loi
du chi-carrée (Nelder et Wedderburn,1972). Si cette statistique est supérieure
b est le vecteur des paramètres des effets fixes, u le vecteur des paramètres à une valeur critique (généralement fixée pour une erreur de première espèce
des effets aléatoires, et e les résidus du modèle. Il est à relever que e est, par α = 5%), le modèle complet est conservé. Dans le cas contraire, le modèle le
les exigences du modèle linéaire mixte, une variable aléatoire suivant une loi plus simple est choisi.
normale centrée. Cette exigence du MLM sera l’un des critères de sélection des
modèles pertinents parmi tous les modèles concurrents analysés. E(Y) = Xb est Pour les modèles non emboîtés, la sélection du modèle se fera par l’utilisation
l’espérance de la variable expliquée. Zu décrit les effets aléatoires intergroupes de l’Akaike Information Criterion (AIC) (choix du modèle à valeur minimale de
et e les effets aléatoires intra-groupes. l’AIC). L’AIC est une mesure de la divergence de Kullback-Leibler entre la loi
de probabilité à l’origine des données et la loi de probabilité choisie et est une
Si G et R sont les matrices de variance-covariance pour u et e respectivement, méthode établie de sélection de modèles (Claeskens and Hjort, 2008).
alors il peut être montré que la matrice de variance-covariance de Y est:

V(Y) = Z GT Z + R (2) L’ensemble des analyses statistiques est effectué sur le logiciel R (R foundation
for Statistical Computing, Vienna, Austria; http://www.r-project.org/).
Il est à relever que le nombre n de réalisations de la variable expliquée Y n’est
pas le nombre de sujets (d’étudiants) impliqués dans la recherche, ni le nombre Les modèles linéaires mixtes (MLM) sont analysés en utilisant la fonction lme
de professeurs, mais le nombre d’occurrences pédagogiques comptées durant du package nlme. Les modèles généralisés linéaires mixtes (GLMM) le sont par
les séquences pédagogiques. Ce nombre étant très largement supérieur à 100, la fonction glmer du package lme4.
la convergence en loi d’une somme de variables aléatoires vers la loi normale
peut être admise en raison du théorème central limite. Par conséquent, G et
R peuvent être estimés par la méthode du maximum de vraisemblance. La
5. analYses
Dans cette partie de notre rapport, nous allons présenter,
selon les objets de recherche que nous avons retenus, une
synthèse des démarches de nos analyses et de leurs princi-
paux résultats 34.

Nos analyses statistiques ont pu montrer, dans leur ensemble,


que l’on ne pouvait pas établir de liens de cause à effet entre les
feedbacks donnés par les professeurs de didactique et l’évolution
des pratiques pédagogiques des enseignants en formation, notam-
ment leur évolution en ce qui concerne l’utilisation des savoirs et des
66 67
définitions au fil des leçons. Cela nous a amenés à explorer d’autres
pistes, dans le cadre de nos analyses qualitatives, notamment celle
de la formation disciplinaire hors du cours de didactique instrumen-
tale ou vocale comme source des conceptions didactiques et des savoirs
experts à la base des profils professionnels des futurs enseignants.

34
Pour l’explicitation des problématiques, nous renvoyons le lecteur à la partie intitulée «Problématiques
et questions de recherche».
Chaque pan d’analyse de cette étude a fait l’objet d’articles, soumis à des La très forte tendance à stabiliser la notation musicale, initiée en Europe au
revues spécialisées. On peut trouver la liste de ces articles sur le site de l’équipe XVIIIème siècle et ayant connu son apogée au XIXème siècle, renforce en quelque
de Didactique des Arts et du Mouvement (DAM), ainsi que l’ensemble des don- sorte ce besoin d’arriver au «sens» de l’œuvre36 désormais accessible au moyen
nées de recherche (verbatim et codages des gestes professionnels de chaque des partitions… mais qui la rend également distante de sa niche composition-
cours de didactique), sous le lien: https://www.unige.ch/fapse/dam/recherche/ nelle ou performative:
donnees/professionnalisation-enseignants/. A mesure que l’activité de l’interprète se détache de celle du compositeur,
que leurs techniques gagnent en spécificité, la part de liberté qui revient à
Du fait que le volume total de ces analyses n’est pas très éloigné de celui d’un l’interprète s’amenuise et celui-ci devient de plus en plus soumis au texte
bottin de téléphone, le choix que nous avons fait est de présenter un aperçu, écrit. Cette tendance coïncide avec l’affirmation du droit moral du composi-
par le truchement de «morceaux choisis». teur sur son œuvre, du sentiment de propriété artistique; historiquement,
elle semble s’amplifier à la fin du XVIIème siècle, ce qui correspond à l’épa-
nouissement des idéaux de la Révolution française (Bosseur, 2005, p. 76-77)
5.1 TECHNIQUE ET INTERPRéTATION, UN BINÔME
Dans cet ordre d’idées, lorsque l’on ne confond pas l’œuvre avec la partition
A première vue, les futurs enseignants de musique consacrent dans le cadre de l’œuvre, la lecture d’une partition permet de repérer un certain nombre de
de leur cours de didactique une majorité de leurs interventions à des savoirs notations qui relèvent de la dimension interprétative de l’œuvre (expressions
experts de type technique (tenue de l’archet, configuration de la main autour orientant le caractère, indications métronomiques, signes sur les nuances, etc.).
du manche, doigtés, mode de toucher, «soutien» et gestion du souffle, «dé- Il n’en reste pas moins, comme souligné en creux dans la citation de Bosseur ci-
tente» musculaire, posture, coordination main gauche / main droite, etc.), au dessus, que les musiciens s’accordent pour dire que de nombreux aspects du jeu
détriment de l’interprétation. interprétatif échappent largement à ces écritures du fait, notamment que l’in-
terprétation musicale se joue essentiellement dans la performance (Schechner,
Une première série d’analyses réalisées dans le cadre de cette étude traite de 2013; Ravet, 2005). Donc, malgré la généralisation de la notation musicale,
68 du fait de sa non exhaustivité mais aussi de la nature performative de l’œuvre 69
deux savoirs interdépendants en musique: technique et interprétation. Pourquoi
ne pas les découpler? Nous l’avons fait, dans un premier temps, pour spécifier elle-même, l’interprétation semble devoir faire l’objet d’un incessant travail
le type de définition que le professeur de didactique ou l’étudiant (futur profes- d’apprentissages longs et diversifiés, centrés sur la figure de plus en plus dif-
seur d’instrument ou de chant) utilise. Les codages rendent compte de cette pre- férenciée de l’instrumentiste comme médiateur de l’œuvre: «l’idée de perfor-
mière phase de l’analyse. mance, d’ailleurs, signifie bien cet aspect incarné (par des êtres et des corps
humains) du son, du temps musical pris dans une temporalité située» (Ravet,
Toutefois, aucun musicien ne manquerait d’établir un lien entre les deux types 2005, p. 11. Nous soulignons).
de savoirs, même s’il y a, le plus souvent, un lien de conditionnalité qui est
posé: avant de se lancer dans telle ou telle œuvre du répertoire, il faut avoir 5.1.1a Les deux topoï des savoirs interprétatifs
les «moyens techniques» adéquats. Et ceux-ci se travaillent, le plus souvent, Pour les raisons évoquées, l’interprétatif musical semble se jouer dans l’articu-
dans des exercices et des études. Mais les enseignants qui tentent, en actes, de lation de deux topo. Un premier topos est situé du côté des rapports entre le
ne pas isoler la technique et de travailler l’interprétation dès les débuts instru- musicien interprète et l’œuvre musicale. L’autre, thématisé dans les pratiques
mentaux ou vocaux ne manquent pas… Cela nous a paru une raison de traiter musicales, notamment à partir du XXème siècle, se situe du côté des rapports
ces deux savoirs en binôme. Quatre chercheurs ont analysé ce binôme dans sensibles à la musique de ce musicien interprète, en particulier le rapport sen-
des situations diverses. sible à son instrument.

La dimension performative nécessite notamment le développement d’une


5.1.1 Contenus et stratégies didactiques chez les enseignants corporéité spécialisée, d’une «geste des gestes» conduisant vers la maîtrise
débutants en didactique de l’instrument35
35
La version intégrale de ce texte fait partie des travaux de diffusion des résultats de la recherche «La
Aborder la question des savoirs sur l’interprétation musicale, et à fortiori celle professionnalisation des enseignants en formation initiale.» (Subside 100019-156730) financée par le
de leur enseignement, implique une réflexion sur le statut et la nature de Fonds national suisse pour la recherche scientifique (FNS)
l’œuvre.
36
A cet égard, concernant l’ambition de l’époque de tout pouvoir transcrire en notations musicales, l’on
peut citer la crainte exprimée par Schubert «dans son Autobiographie: On paraît vouloir indiquer de nos
jours, dans la musique, les nuances les plus fines; il en résulte une telle accumulation de termes techniques
qu’on n’aperçoit plus les notes, tant il y a de signes musicaux.» (cité par Bosseur, 2005, p. 80).
esthétique de la sonorité instrumentale: «le croisement de ces deux expressions 5.1.1b L’enseignement de l’interprétation et de la technique
– la geste et le geste – permet de rendre compte de la problématique de la trans- instrumentale
mission musicale» (Blum, 2001, p. 237). En effet, comme le souligne Blum, dans L’enseignement de l’interprétation auprès des musiciens instrumentistes, no-
le domaine de l’apprentissage de l’interprétation musicale, y compris auprès des tamment les débutants, semble donc concerner un travail sur ces deux types
instrumentistes débutants, le projet se joue sur ces deux lieux différenciés. de topoï, en faisant la part respective du technique et de l’interprétatif d’une
part, et de leur articulation dans une visée d’apprentissages, d’autre part.
Le premier topos concerne donc le rapport interprète-œuvre. Il implique le fait
que cette dernière n’est pas transparente ni immédiatement accessible au mu- A cet égard, nous avons déjà présenté ailleurs dans un autre texte (Rickenmann,
sicien interprète, et qu’il est nécessaire d’explorer et d’expérimenter des straté- Mili & Grivet-Bonzon, 2013) trois conceptions relatives à la construction de ces
gies d’approche du «sens de l’œuvre», en considérant l’interprétation comme rapports dans le cadre de l’enseignement musical. Une première, la plus répan-
processus et non pas comme produit (Ravet, 2005). Dans l’enseignement due, est celle qui considère les savoirs techniques comme un corpus à carac-
moderne puis contemporain des instruments, ces stratégies passent principalement tère universel et général considéré comme un préalable et par rapport auquel
par des savoirs concernant le déchiffrage des partitions (au sens herméneutique un minimum de maîtrise semble nécessaire avant d’aborder des aspects de
du terme), notamment des écritures-indices adressées au musicien instrumentiste type interprétatif (conception «technique PUIS interprétation»). Une seconde
concernant le jeu instrumental de l’œuvre. Ce travail de lecture-interprétation conception envisage une conception naturaliste de la «musicalité» qui serait
des notations musicales relève du travail herméneutique en ce que la construction potentiellement présente chez tout individu et dont les aspects techniques ne
du sens des paramètres sonores de l’œuvre implique des savoirs contextuels qui seraient nécessaires qu’à son accomplissement (conception «interprétation
ne sont pas conventionnellement «contenus» dans les signes utilisés. Ainsi, par PUIS techniques de base»). Bien moins fréquente dans l’enseignement musical,
exemple dans l’Elégie de Fauré, édition Peters, no 7571 datant de 1883, l’indica- cette conception est par contre assez présente dans l’enseignement scolaire,
tion métronomique de 69 à la croche37 ne peut habituellement pas faire l’objet par exemple, sous la forme d’activités d’improvisation spontanée avec des ins-
d’une interprétation littérale et entièrement partagée du caractère «adagio» de ce truments musicaux. Une troisième conception, enfin, consiste en l’articulation
morceau lorsque l’on sait, par ailleurs, que «adagio, chez Fauré, sans être jamais permanente des apports techniques aux apports interprétatifs en fonction des
70 trop lent, était plus rapide dans ses jeunes années» (Howat, 1901, p. V). 71
répertoires d’œuvres.
Le deuxième topos concerne le rapport musicien-instrument, et il est encore Dans l’apprentissage d’instruments de musique, l’une des tendances marquées
lié plus fortement au fait de considérer la musique comme performance. Cette depuis la fin du XIXème siècle a été de développer un apprentissage méthodique
dimension souligne, notamment, le fait que, dans les domaines artistiques, la et progressif lié, notamment, à la stabilisation du système de notation musicale.
performance s’appuie le plus souvent sur une corporéité spécialisée (Mili et Ce processus a donné lieu à différentes méthodes d’instrument proposant aux
al., 2013) nécessitant un long travail de ruptures d’avec le corps quotidien – enseignants une organisation théorique des notions et savoirs travaillés, ainsi
via des préparations, des exercices et des entrainements. La problématisation qu’une organisation pratique et séquencée d’exercices, d’études et de pièces mu-
de ce topos implique, cependant, que ces modalités techniques ne se sicales organisées, en vue d’une progression des apprentissages. Les recherches
réduisent pas à une approche seulement physiologique et mécanique du geste: conduites par l’une des auteurs de ce texte38 sur les méthodes d’enseignement
la «geste de ces gestes» implique surtout un travail sur la sensibilité du du violoncelle montrent que, concernant la problématique des rapports entre
musicien interprète. Cette sensibilité étant, certes, liée aux œuvres jouées savoirs techniques et savoirs interprétatifs dans l’enseignement instrumental,
par l’instrumentiste, mais aussi aux spécificités sonores du système corps- ces conceptions différentes, parfois même opposées, marquent des tendances
instrument qui fournit la base sonore des œuvres jouées (Rickenmann & très majoritairement orientées vers une conception «technique PUIS interpré-
De la Calle, 2015). C’est en ce sens que d’aucuns soulignent par exemple, tation». La prépondérance de cette conception amène cependant quelques
pour «des instruments à vent (…) une relation charnelle avec l’instrumentiste», remarques importantes. Parmi ces dernières, notons-en au moins deux qui
ou pour les cordes «une analogie entre le corps humain et la facture ins- constituent des apports importants pour l’analyse.
trumentale» afin que l’instrument «accueille» le corps du musicien (Blum,
2001); ou encore, pour le chant, la nécessité de «combattre l’illusion de la D’abord, le fait qu’une très grande majorité des enseignants ne se cale pas de
naturalité des compétences et de la fixité de l’œuvre»… car «le processus manière rigide sur une méthode spécifique et que ceux-ci ont plutôt tendance
d’ajustement voix-rôle ne débute en conséquence pas avec la production» à diversifier l’usage de ressources pédagogiques en provenance de méthodes et
(Gonzalez Martinez, 2000, p. 282). publications variées. Ensuite, il faut souligner le fait qu’indépendamment de la

37
Rajoutée par l’éditeur, en s’inspirant de la version de 1901 pour violoncelle et orchestre. 38
C. Bellu, La transmission aux enfants débutants des savoirs dits «interprétatifs» en cours de violoncelle,
thèse de doctorat en cours, sous la direction d’Isabelle Mili, Université de Genève.
’’cuisine“ interne et particulière de chaque enseignant concernant les référents 5.1.2 Quelques exemples d’instruments
et conceptions de l’enseignement, les formes didactiques de travail mobilisées
par les enseignants ont également un poids non négligeable sur leurs choix. Ain- Nous procéderons à l’analyse instrument par instrument, en raison des spéci-
si, la structure tripartite «échauffement / exercices / jeu musical», qui s’est gé- ficités de chacun des instruments en ce qui concerne le domaine didactique.
néralisée pour les enseignements des disciplines impliquant le corporel (danse, Certains instruments existent en doublet (le violoncelle par exemple), raison
théâtre, musique, éducation physique), constitue un important organisateur. pour laquelle ils seront présentés deux fois. D’autres ne sont représentés
Relativement à notre corpus d’analyse, par exemple, le fait que les leçons qu’une seule fois.
aient été filmées durant le deuxième semestre de l’année scolaire explique
pour partie l’importance progressive que les enseignants débutants donnent à
5.1.2a Violoncelle: les contraintes imposées à l’enseignant
la dimension «interprétation de l’œuvre» vers la fin du semestre - la structure
tripartite mentionnée impliquant, pour la plupart des cas, une performance pu-
par les instruments non tempérés
blique des élèves dans le cadre de concerts et présentations de fin d’année. En Le corpus des données s’articule autour de 5 leçons (L) données par l’ensei-
ce sens, l’analyse des données implique que l’on prenne en compte non seu- gnante-étudiante (dorénavant appelée Ste) à un élève débutant adulte. La pre-
lement les rapports des enseignants débutants aux conceptions de l’appren- mière leçon nous sert à donner un profil de l’enseignement de cette étudiante
tissage instrumental qu’ils privilégient dans leurs enseignements, mais aussi en première année de Master en pédagogie, au moment de la prise de don-
la manière dont ces conceptions interagissent avec les logiques propres aux nées durant l’ensemble du deuxième semestre de l’année scolaire.
formes didactiques de travail mobilisées.
L’histogramme 1 tiré des données quantitatives nous montre une prédominance
Nous avons sélectionné trois cas présentant des spécificités remarquables des contenus techniques pendant toute la durée de L0 (Mt 73.2% contre 9.8%
concernant notre problématique. de Mi). Un indice de l’orientation technique de son enseignement en début du
semestre est le fait que 50% des occurrences Mt sont découplées de celles
correspondant à d’autres contenus. Un deuxième indice qui corrobore le pre-
5.1.1c Traitement des données
72 mier est le fait que les 20 premières minutes de la leçon sont consacrées à des 73
Dans ce texte nous partons d’analyses descriptives de chaque cas, basées sur les exercices sur la gamme dans le but de travailler: la position de la main gauche,
données quantitatives, qui nous permettent de poser des hypothèses de travail la posture générale de tenue de l’instrument par rapport à celle-ci et la justesse
orientant leur analyse qualitative. Pour réaliser ces dernières, nous avons recours du son produit; le travail avec l’archet et les gestes de la main droite. Malgré
aux synopsis des leçons, réalisés à partir des codages effectués pour la partie le fait qu’à partir de la 20ème minute, elle a l’intention de passer au jeu d’une
quantitative, et procédons au choix d’événements remarquables concernant des étude, les échanges avec l’élève concerneront encore les aspects techniques
phénomènes didactiques identifiés. Pour ces événements remarquables identifiés abordés précédemment. L’on peut également constater de longs moments
au niveau intra-leçon, nous opérons des transcriptions plus fines concernant les durant cette L0 durant lesquels il n’y a pas d’occurrences de définition, durant
actions et verbalisations des acteurs, puis analysons également leur évolution lesquels l’étudiante assume d’autres fonctions enseignantes, principalement
inter-leçons. Nous cherchons ainsi à décrire et comprendre les logiques locales des diagnostics et des régulations.
(intra-leçon) de l’agir enseignant, que nous contrastons en permanence avec celles
qui se dégagent globalement de l’ensemble des 5 leçons observées (L0 à L4). Les occurrences liées aux contenus interprétatifs apparaissent à partir de la
17ème minute, en lien avec un travail antérieur ayant porté sur la gamme. Ces
Nous avons orienté notre étude qualitative à partir des données quantitatives contenus Mi sont à chaque fois accompagnés par d’autres contenus, le plus
concernant, notamment, les définitions des savoirs techniques (Mt) et sur l’in- souvent techniques mais parfois aussi ceux liés à la lecture (ML) ou au travail
terprétation (Mi), afin de répondre à la question de recherche: quels contenus, à la maison (MH). Comme le montrera l’analyse, une très grande majorité de
et leurs articulations, sont-ils privilégiés par ces différents enseignants en for- ces occurrences Mi est en rapport non pas avec l’étude jouée, mais avec des
mation, et comment sont-ils organisés dans le continuum intra et inter-leçons? considérations générales sur le rapport sensible du musicien à son instrument.
La première étape consiste en l’analyse clinique de chacun des trois cas retenus Les histogrammes des leçons L1 à L4 (tableau 2), confirment cette orientation
sur la base de la caractéristique commune: les leçons (L) sont données à des de l’enseignement de Ste sur les aspects techniques. De L2 à L4, le rapport
élèves débutants de l’instrument. Deux séries de leçons de violoncelle et une série Mt/Mi est de l’ordre de deux tiers de Mt et d’un tiers de Mi, avec une majo-
de leçons de harpe sont concernées. Dans une deuxième étape, nous avons rité d’occurrences Mi qui se situent plutôt en fin de leçon. Ce dernier aspect
procédé à l’étude comparative des trois cas, en tentant de répondre à la question semble correspondre aux moments de la leçon où est abordée l’interprétation
de recherche par le biais d’une analyse statistique quantitative. des morceaux musicaux que prépare l’élève.
A cet égard, notons que L1 est atypique. D’une part, le jeu d’une étude39 aborde, notamment, la relation du jeu avec un corps sensible aux effets sonores de
constitue le début de la leçon et la phase d’échauffement sera orientée sur la l’instrument. Souvent liée à l’interprétation d’une œuvre, elle aborde également
base d’un diagnostic, concernant la gestion de l’archet, établi par Ste sur la des éléments tels que le phrasé (L1), les nuances (L1, 28’00; L2 27’; L3) et le
base du jeu de cette étude par son élève. Le jeu d’un morceau musical, malgré rythme (L2, L4). Comme nous l’avons souligné, ces éléments sont potentiellement
quelques occurrences Mi potentiellement liées à son interprétation (min 6 et 7), en lien avec l’interprétation des petites pièces musicales choisies pour l’élève,
sera le plus souvent «suspendu» au profit d’un retour sur le travail technique qui mais qui finissent le plus souvent par être découplées de celles-ci; au profit
prendra presque 10 minutes. Cependant, l’on peut aussi souligner que le fait d’enjeux locaux liés à la résolution de problèmes de technique instrumentale.
de commencer la leçon par cette étude (suivie par une autre étude de la même
méthode de violoncelle) est certainement à l’origine du nombre important L’interprétation de l’œuvre: une responsabilité visant à outiller l’élève
d’occurrences Mi de la leçon. Celles-ci atteignent presque un 40%, doublant didactiquement
ainsi la moyenne de 22% de Mi pour l’ensemble des leçons. Un autre élément L’importance que prennent les aspects techniques dans ces leçons peut être, certes,
remarquable de L1 est le pourcentage relativement élevé de moments de la attribuée à la prégnance de la conception «technique PUIS interprétation»,
leçon dans lesquels des actions de définition de la part de l’enseignante sont ainsi qu’au fait que le jeu de son élève débutant semble à Ste insuffisant pour lui
absents et qui correspondent à des moments où l’élève joue beaucoup. permettre de passer à l’interprétation des morceaux. Ce phénomène l’obligerait à
retourner constamment sur des enjeux techniques locaux, ceci même dans les
Du point de vue de l’évolution générale sur l’ensemble des leçons, l’on peut phases des leçons consacrées au jeu de ces petites œuvres. Cependant, d’autres
constater que hormis le cas atypique de L1, l’enseignante diminue légèrement le lectures complémentaires à ce premier aspect peuvent être convoquées, qui
nombre de Mt et augmente sensiblement celui des Mi entre L0 et L4 (Tableau 3). concernent davantage la question des outils pour enseigner les savoirs interprétatifs.
Cette évolution peut être attribuée au fait que durant le semestre d’observations,
l’élève connait et maîtrise de plus en plus les morceaux musicaux et qu’en De manière générale, cette étudiante-enseignante (Ste) cherche à relier de
conséquence, une place plus importante est accordée à leur interprétation. En manière cohérente les objets d’enseignement abordés dès la phase d’échauf-
termes de professionnalisation de l’enseignante en formation, la diminution fement à ceux qu’elle souhaite travailler durant la leçon. S’appuyant fortement
74 sensible du nombre total d’occurrences entre L0 et L4 est un indice de progres- 75
sur la méthode de Feuillard (1970), les exercices et études40 permettent à Ste
sion: Ste semble proposer des définitions plus efficaces, et peut-être mobiliser d’introduire des objets habituels de technique instrumentale du violoncelle tels
également davantage d’autres gestes enseignants, tels la régulation, l’institu- que les positions de la main gauche et le maniement de l’archet. Propres à ces
tionnalisation, etc. Cependant, seules les analyses qualitatives nous permettent méthodes, les petites études qui émaillent les divers exercices permettent aux
de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. élèves d’être en contact également avec des éléments relevant de l’œuvre mu-
sicale, tout en exerçant ces savoirs techniques. Ces ressources didactiques sont
Une construction de l’interprétation orientée par la maîtrise technique également compatibles avec la structure canonique des leçons, que Ste suit de
L’analyse qualitative des verbatims nous permet de dégager quelques éléments très près en L0, L2, L3 et L4. Elle organise en effet l’activité de l’élève dans une
qui nous aident à caractériser plus finement le profil d’enseignement de ce suite échauffement-exercices (ou études) - jeu d’une œuvre.
premier cas qui, comme nous l’avons déjà souligné, reste relativement constant
sur l’ensemble des leçons. Comme pour toutes les autres leçons, la dimension proprement interprétative
ne sera explicitement abordée que dans le dernier tiers de la leçon, à partir de
Dans L0, Ste consacre plus de 20 minutes à un travail sur la gamme de do 22’45, lorsqu’apparaît la pièce Melancolia de Chopin41. Un des indices de cette
majeur, en travaillant d’abord la technique de main gauche. L’échauffement de bascule vers l’interprétation d’une pièce en tant qu’œuvre est le fait que Ste
L2 se centrera ainsi sur la gamme de RE, en focalisant autant la détente-posture joue alors du violoncelle simultanément avec son élève.
de la main gauche que le maniement régulier et en rythme de l’archet. Dans L3
et L4, elle oriente ce début de leçon sur le maniement de l’archet et le point de Dans le cas présent, ces moments de jeu conjoint constituent la phase des leçons
contact sur les cordes, ceci en rapport avec la qualité de la production sonore durant laquelle l’œuvre émerge dans le milieu didactique comme un tout, dans
et au «corps… pour se concentrer corporellement» (L4, 3’54). lequel doivent s’articuler les dimensions techniques et celles interprétatives.

Les occurrences Mi se rapportant à cette conception de l’interprétation for- 40


Mot désignant, dans la tradition occidentale, un genre musical (plutôt qu’une forme) représenté par
tement liée à la maîtrise technique sont divers, l’effet interprétatif découlant des pièces à vocation didactique, généralement destinées à un instrument soliste (le plus souvent au
presque systématiquement de la maîtrise d’un élément technique. L’enseignante piano, mais aussi au violon, à la guitare, à la flûte, etc.), pièces plutôt courtes et groupées en recueils
(souvent par 6, 12 ou 24) et dont chacune explore un problème spécifique de technique musicale: le
plus souvent de technique d’exécution instrumentale, parfois aussi de technique d’écriture. (Larousse,
39
Etude qu’elle prend de la méthode du jeune violoncelliste de Feuillard (1970) Dictionnaire de la musique, en ligne) http://www.larousse.fr/archives/musique/page/384#t167514
41
Issue des 60 études, également de Feuillard.
Le tempo et le rythme constituent également des enjeux interprétatifs, notamment indiqueraient un travail sur le technique articulé à cette dimension interprétative
dans L2, L3 et L4, lors de la mise en place d’un menuet qui constitue l’œuvre (par exemple, histogramme 11, minutes 16, 19, 22), comme nous le montrerons
abordée en fin de ces leçons. Ste commence par mettre en relation la pulsation plus loin en abordant l’analyse des transcriptions.
et le rythme, avec leurs dimensions technique et solfégique. C’est le cas dans la
leçon 2 (extrait 8), où l’approche de l’œuvre commence par un travail autour de Une construction de l’interprétation orientée par l’œuvre
la rigueur avec laquelle l’élève doit travailler les durées de notes écrites (29’29). L’analyse de l’ensemble des leçons données par cette enseignante permet de
Ce travail sur la durée est mis en rapport avec des éléments qui relèvent de constater que son projet d’enseignement s’organise à partir de la conception
choix possibles de l’élève (27’05, inclure ta pulsation, faire les nuances). Ces «interprétation ET technique», et que ses leçons suivent en conséquence une
choix passent par des stratégies d’incorporation (28’57, solfier en marchant; version particulière de la structure tripartite: «échauffement-exercices-interpré-
29’46, chanter en marchant), à travers lesquelles Ste installe des aspects quali- tation». Les données analysées mettent en évidence deux grands ensembles
tatifs typiques du genre «menuet». dans le rapport Mt/Mi, qui correspondent par ailleurs aux deux topoï abordés
en introduction de ce texte: un premier ensemble, proportionnellement le plus
Une des visées des articulations proposées par Ste est celle du lien entre la important en nombre d’occurrences, concerne les savoirs Mi comme construc-
rythmique de l’œuvre et la structure de la phrase musicale, dont l’identification tion d’un rapport interprétatif aux œuvres; un deuxième ensemble concerne
est sous la responsabilité du musicien interprète. En L4, Ste aborde le travail sur les savoirs Mi développés à partir de tâches d’improvisation musicale qui visent
les accents agogiques (les endroits de la pièce où la note jouée est plus appuyée), la construction d’un rapport de l’élève à son instrument en termes d’expressi-
qu’elle met en lien avec une réorganisation interprétative du menuet par en- vité du jeu musical. L’importance du premier ensemble signe une particularité
sembles de deux mesures, afin d’en renforcer le caractère dansant (22’58). Des remarquable quant à l’enseignement dans ces leçons.
éléments tels que les accents agogiques ne sont pas indiqués sur la partition. Il
s’agit donc d’un élément «rajouté», selon des conventions interprétatives visant Construction d’un rapport à l’œuvre en termes d’interprétation
à construire le caractère élégant et spatial du menuet comme danse de cour.
Cette particularité tient justement à la stratégie de travail basée sur l’interpréta-
76 tion d’œuvres, certainement choisies par l’enseignante en fonction de certains 77
Mais, à côté de ces savoirs liés à la construction interprétative de l’œuvre,
défis techniques qu’elle souhaite faire travailler à son élève. Dans le cas de cette
d’autres attentes interprétatives, comme les nuances ou l’expressivité, font
leçon L0, le défi premier consiste à effectuer des suites d’arpèges en évitant des
l’objet de sollicitations de Ste qui sont davantage imputées à la sensibilité es-
pauses ou des interruptions liées aux déplacements des doigts ou à l’enchaîne-
thétique de l’élève comme musicien interprète.
ment main gauche-main droite (L0, min 16’00). Ces visées techniques, abordées
par l’enseignante à partir des contraintes propres à l’œuvre choisie, ne sont
Remarquons que la construction de l’interprétation orientée par les caracté-
pas découplées d’attentes concernant son interprétation. Le travail autour de
ristiques de l’œuvre est plutôt un phénomène rare dans les leçons de cette
la phrase musicale en 17’13 est un moment de passage et d’articulation entre
enseignante débutante. Dès lors, il n’est pas étonnant de les voir émerger sur-
ces attentes techniques et des attentes concernant «l’idée musicale» que l’on
tout dans L4, leçon qui marque une fin de cycle à la fois dans la dimension
peut faire émerger comme enjeu gestuel/corporel de cet instrument.
purement temporelle (fin de l’année scolaire), mais aussi un aboutissement de
la logique subjacente à la conception «technique PUIS interprétation».
En situation d’enseignement, sur quel type d’activités s’appuie
la construction des gestes d’interprétation/technique?
5.1.2b Harpe: l’œuvre comme source des apports techniques
Le choix de l’œuvre semble être très judicieux en termes de milieu didactique.
L’enseignement de la harpe contraste sur plusieurs aspects avec celui du violon- Dans sa structure même, cette œuvre implique de faire des choix interprétatifs
celle. Concernant la leçon de référence L0, sur des durées sensiblement proches qui vont au-delà des informations de surface de la partition: en particulier,
(37 minutes pour le violoncelle, 31 minutes pour la harpe), la distribution des comme le fait remarquer l’étudiante-enseignante en 7’54 avec l’injonction «tu
savoirs abordés par les étudiantes-enseignantes dans leurs gestes de définitions t’arrêtes avant la fin», de par le fait que la cadence est ici partagée entre les
est sensiblement différente. Pour la harpe, les savoirs Mi constituent le 42.2% deux voix. Ainsi, les phrases se construisent sur la base des deux instruments,
des occurrences, contre 22.6 % en moyenne des occurrences au violoncelle-IA. ce qui implique la construction d’attaques et de suspensions spécifiques du
Bien que, dans les deux cas, ce pourcentage d’occurrences est largement distri- jeu, assurant le passage sans ruptures d’une voix à l’autre. Cette dimension
bué sur plus des deux tiers finaux des leçons, dans ce deuxième cas il y a des contraignante du milieu (Brousseau, 2011) émerge ici comme un enjeu entre
moments de la leçon consacrés à la dimension «interprétation musicale» la lecture de la partition et le partage topogénétique de la tâche «jouons en-
(histogramme 11, min 9, 12 à 22), avec des occurrences articulées Mi/Mt qui semble», ce qui octroie à l’élève un espace pour la construction de son jeu
instrumental. Comme le souligne Bosseur (2005) En ce sens, l’analyse de ce cas et sa comparaison avec les deux antérieurs
Au sein de la pratique musicale, il est un phénomène qui échappe aux principes de apporte des éléments de réponse très importants concernant une probléma-
la notation, c’est la cadence, cette «composition dans la composition», qui repré- tique classique, et toujours d’actualité, propre à la formation d’enseignants:
sente dans le concerto un des terrains de prédilection pour l’interprète. (p.80) celle des rapports entre la personnalisation des processus d’apprentissages
des étudiants, d’une part, et la généricité de l’agir professionnel, d’autre part.
En ce sens, le projet enseignant de construire un topos d’interprète chez l’élève,
basé sur la performance, fait de l’œuvre le milieu didactique et de la partition Le statut de «débutant» des élèves dans les leçons L0, L1, L2 et L4 peut constituer
un élément de ce milieu qui cèdera rapidement sa place à la performance une explication de la prépondérance observée de la conception «technique PUIS
elle-même. Ce déplacement du milieu semble être confirmé par le recueil des interprétation» guidant les choix didactiques de cet enseignant tout comme
données des leçons suivantes. D’une part, de 17.5% des occurrences en L1, ceux de l’enseignante du premier cas étudié. L’apprentissage du jeu avec des
les indices ML (lecture de partitions) tombent à 8.5% en L2, et 4.4 % en L3, instruments non tempérés comme le violoncelle marque ainsi une nette dif-
pour remonter légèrement à 11 % en L4. D’autre part, les histogrammes de L2 férence d’avec la harpe qui se manifeste, notamment, par une approche plus
et L3 (tableau 15) montrent «en creux» d’importantes zones durant lesquelles «tendue» aux savoirs de type interprétatif. C’est ce même aspect qui explique
l’enseignante n’introduit ni ne développe de nouveaux savoirs et qui corres- le profil très différent des rapports Mt/Mi que présente la leçon 3 de cet étu-
pondent à des moments de plus en plus longs de dévolution de la responsabi- diant menée auprès d’une élève avancée.
lité du jeu instrumental à l’élève.
L’interprétation comme choix personnel
Quant au topos concernant le rapport interprète-instrument, le milieu didactique Dans L3, il y a une inversion des proportions entre Mt et Mi. Malgré cette
est ici davantage symbolique et prend appui notamment sur une stratégie inversion des rapports, cette leçon constitue un exemple de continuité de la
de découverte des dimensions expressives de l’instrument…, via une activité conception «technique PUIS interprétation», par rapport à laquelle, à partir
d’exploration des effets des gestes instrumentaux. Cependant, soulignons qu’il d’un certain niveau de maîtrise technique de l’instrument, l’enseignant donne
ne s’agit pas d’une exploration libre: l’enseignante délimite et contraint symbo- la possibilité à l’élève de ’’performer’’ ses interprétations des œuvres.
78 liquement l’empan des actions de l’élève. 79
Les périodes de la leçon sont un indice intéressant: non seulement les élèves
5.1.2c Violoncelle: l’interprétation comme rapport avancés ont plus de moyens pour comprendre rapidement les attentes de l’étu-
personnel au jeu instrumental diant-enseignant mais, de plus, la définition du travail à faire en dehors de la
Le troisième cas étudié présente quelques particularités qui nous permettront, leçon se trouve également être aussi plus rapide et efficace. De ce fait, le travail
lors de l’analyse comparative, de faire la part de deux aspects remarquables de de l’étudiant-enseignant consiste, essentiellement, à définir la nature et l’em-
cette étude. Un premier aspect concerne les spécificités de l’enseignement qui pan du travail interprétatif que l’élève prendra en charge en dehors du temps
peuvent être en rapport avec l’âge des élèves débutants. Le deuxième aspect, de leçon. Dans L3, les occurrences Mi largement majoritaires se répartissent sur
concerne le contraste de l’enseignement destiné aux élèves débutants et aux tout l’espace de la leçon, chaque regroupement étant suivi par une plage de
élèves avancés. Le cas Violoncelle-IB nous permet d’aborder ces deux aspects, dévolution importante. Parfois, l’enseignant et son élève se trouvent dans des
puis de les comparer aux deux autres, car les leçons observées de l’étudiant Sth rapports horizontaux (1’50) proches de l’échange entre experts.
ne concernent pas toujours le même élève.
Pour conclure, l’étudiant témoigne d’une conception de l’apprentissage tech-
L0, L2 et L4 portent sur le même élève, un jeune élève débutant de 9 ans. L1 nique qui prend son sens dans les possibles de l’interprétation d’une œuvre, mais
concerne un adulte de niveau débutant et L3 un adulte de niveau avancé. en privilégiant amplement une dimension personnelle des choix du musicien ins-
La durée des leçons varie entre 28 et 29 minutes, sauf pour L3 qui dure 16 trumentiste. Dans ce cas, la tendance à l’articulation entre apports techniques et
minutes. Ces discontinuités concernant l’âge et le niveau des élèves auprès interprétatifs se constitue entre l’option de proposer des solutions qui opèrent
desquels Sth s’exerce comme enseignant, pourraient être considérées comme comme une référence (min 7’35, 9’10) et le fait de laisser l’élève faire des choix…
une limite méthodologique de l’étude. Nous considérons, au contraire, qu’elles
nous permettent d’approcher les profils d’enseignement de Sth par rapport à
un élément clé des processus de professionnalisation: la capacité de l’ensei-
gnant à résoudre des «problèmes professionnels situés» (Abbott, 1988) et
d’adapter son agir aux caractéristiques spécifiques des contextes d’activité.
5.1.3 Conclusion de l’analyse qualitative: Exemples des propositions discursives des enseignants débutants
Définir des milieux pour l’enseignement Violoncelle-IA L3 (38a)
de la technique et de l’interprétation 02’30 Dd De+/ Mais déjà est-ce que tu es vraiment bien installé? Est-ce
MT /Ste que le violoncelle est pas un peu bas, non? Tu sens bien
Les trois cas présentés sont contrastés du point de vue du type de savoirs qui tes pieds, tu pourrais te lever? (Il se lève). Et puis avant de
sont définis par ces enseignants en formation, avec une tendance à privilégier partir, tu te mets comme ça, les bras, les mains tournées
les savoirs de la technique instrumentale dans les trois cas, mais selon des vers l’extérieur, détends tes épaules (geste), on se grandit
conceptions d’articulation technique-interprétation qui diffèrent entre les deux (geste). Moi je me demande si ton siège n’est pas un
cas de violoncelle et celui de la harpe. peu haut. Il faut se grandir à partir du bassin aussi,
et de sentir bien les pieds et le dos en même temps.
Ces constats d’analyse ont été faits sur la base d’occurrences de savoirs qu’in- Après, tu détends tes épaules (geste) tu détends tes
troduits dans les milieux didactiques par ces enseignants en formation à travers bras, tu les tournes vers l’extérieur et puis (geste) là tu
différents types d’actions de définition (Sensevy, 2010) que nous avons éga- les portes vers l’avant, le plus loin possible, tu sens bien
lement codés dans cette analyse. Au vu des spécificités de leçons observées, que ça part de là (Elle touche le dos de l’élève) et là tu
notamment le fait de s’adresser à des élèves débutants jeunes et adultes, cela ramènes tes avant-bras.
semble expliquer la prépondérance des trois premiers types de gestes dans la
liste du tableau 37. Harpe-IA (38b)

03.18 Dd Dp (Touche la main de Pi) Attention à gauche, mets-toi sur


Tableau 37. Moyenne L’orientation vers un travail sur les techniques instru- MT Sti les bonnes cordes à gauche, surtout.
des occurrences de types
de définitions, les trois mentales, concernant principalement la prise en main
cas confondus de l’instrument et, secondairement, celle de l’écriture Violoncelle-IB L2 (38c)
80 Dt 28.6% musicale, explique la prépondérance de tâches (Dt). La 81
Dp 26.4% nécessité d’aborder la «prise en main» de l’instrument, 9.01 Dd MT Imagine le tempo dans ta tête.
Dd 19.5% généralement complexe et assez éloignée d’une ges- Sth
De+ 16.6% tualité quotidienne, explique également le nombre
De- 5.5% relativement important de pointages (gestuels et dis- Les pourcentages d’occurrences concernant ces trois types d’actions de défini-
Dm 3% cursifs) de la part des enseignants (26.4% de Dp). tion concernent principalement les zones et dynamiques du corps de l’élève
ainsi que celles de l’instrument, visant la construction a. d’une corporéité spé-
cialisée afin d’aboutir également à celle b. d’un système corps-instrument au
Se dessine ainsi un enseignement fait de nombreuses petites tâches qui décou- service de la production musicale.
pent les postures, les positions (de la main sur la touche, de la tenue de l’archet,
des doigtés dans la harpe, etc.) et les mouvements destinés à construire le geste Curieusement, lorsque l’on compare les résultats moyens des types d’actions
de jeu instrumental. Le pourcentage moyen d’occurrences discursives (Dd) de définition, les valeurs des cas Violoncelle-IA et Harpe-IA s’avèrent être très
est de 19.5%. proches, notamment en ce qui concerne les Dt, Dp, Dd (tableau 39). Le cas Vio-
loncelle-IB, même lorsque l’on ne prend en compte que les leçons données aux
Ces Dd accompagnent ces tâches par des indications et des explications, le plus débutants, présente un nombre sensiblement plus important d’occurrences de
souvent à caractère technique et très local descriptif (exemple 38a), injonctif pointages (Dp) et d’explications basées sur des métaphores ou des analogies
(exemple 38b), ou pour nommer des phénomènes qui ne sont pas visibles (Dm) par rapport aux deux autres cas.
(38c).
Tableau 39. Histogrammes de la distribution des actions de définition entre L0 et L4 Cependant, il faut également souligner des dynamiques en «dent de scie»,
pour les trois cas étudiés, en pourcents. notamment pour les Dt, Dp et Dd: comme pour tout apprentissage, l’évolution
est rarement linéaire et régulière, et elle implique de nombreux allers-retours.
Violoncelle-IA Ici aussi, les cas Violoncelle-IA et Harpe contrastent avec celui du Violoncelle-IB,
Leçons Dt Dd De+ De- Dp Dm Occurrences ce dernier étant celui dans lequel le nombre d’occurrences des trois principaux
gestes diminue notoirement entre L0 et L4, alors qu’il augmente pour les deux
L0 18.3 19.7 23.9 9.8 26.7 1.4 71
autres (tableau 39).
L1 37.0 25.9 18.5 3.7 11.1 3.7 27
L2 19.6 24.2 24.2 6 25.7 0 66
L3 40.8 18.3 14.2 6.1 18.3 2 49 5.1.4 Chant: des techniques du corps et de l’expression
L4 35.1 24.3 10.8 5.4 21.6 2.7 37
D’un point de vue didactique et pour un même procédé enseigné, ce sont les
moyenne 30.1 22.5 18.3 6.2 20.7 2
différentes approches de l’enseignant – soit par la compréhension du mouve-
ment, soit par le résultat sonore – qui font que le travail d’un même mouve-
Harpe-IA ment – à l’origine du son, ou du geste expressif –, peut être considéré comme
Leçons Dt Dd De+ De- Dp Dm Occurrences enseignement technique ou enseignement interprétatif42.
L0 42.4 19.6 9 3 25.7 0 66
L1 25 20 21.6 0 31.6 1.6 60
Des premiers résultats des analyses
Nos observations ont eu lieu dans deux hautes écoles, que nous appellerons
L2 35.7 28.6 11.9 2.3 21.4 0 42 A et B.
L3 29.2 34.1 7.3 2.4 26.8 0 41 Les résultats de nos analyses qualitatives confirment ceux des analyses quan-
L4 41.6 25 14.6 0 14.5 4.1 48 titatives: durant les leçons et les feedbacks observés, les problématiques
82 techniques soulevées sont nettement plus nombreuses que celles concernant 83
moyenne 34.8 25.5 13 1.5 24 1.1
l’interprétation. Pour essayer de comprendre les raisons de ce choix, nous allons
nous intéresser à la structure des leçons observées et aux liens possibles entre
Violoncelle-IB une structure préétablie et des choix concernant le travail de la technique et
Leçons Dt Dd De+ De- Dp Dm Occurrences de l’interprétation. Nous émettons une première hypothèse: la structure de la
L0 30 17.5 7.5 2.5 40 2.5 40 leçon, telle qu’elle est pratiquée actuellement dans nos institutions de formation,
L1 28.6 9.5 19 23.8 19 0 21 favoriserait l’enseignement essentiellement technique.
L2 10.3 13.8 17.2 6.9 48.2 3.4 29
D’un point de vue épistémologique, nous situons les origines de ce type de
L3 16 12 28 12 28 4 25 structure au moment de l’émergence du modèle conservatoire à la française:
L4 20.8 0 20.8 0 37.5 20.8 24 la fixation par écrit (scripturalisation) de savoirs uniformisés et élémentarisés a
moyenne 21.1 10.5 18.5 9 34.5 6.1 favorisé ce type d’approche technique43.
Moyenne 22.4 10.2 16.1 6.8 36.1 6.6
débutants De la structure de la leçon type
Chez les deux enseignantes-étudiantes observées, nous constatons une struc-
ture de leçon tripartie semblable44: un premier temps dédié au travail de la pos-
Concernant la progression des enseignements pour les trois cas, le nombre
ture/respiration; un deuxième temps aux exercices vocaux; enfin, un troisième
d’occurrences par leçon tend à diminuer avec le temps, ce qui peut être consi-
temps au morceau ou morceaux.
déré comme un indice d’enrichissement du répertoire d’actions enseignantes
vers d’autres gestes qui laissent une place plus importante à l’apprenant: par
Cette structure connaît toutefois des variantes: par exemple, à l’approche des
exemple, la diminution du nombre de tâches par leçon indiquerait que les
examens, l’étudiante-enseignante (ee) en 2ème année de master (institution A)
actions de l’élève sont beaucoup moins découpées par l’enseignant, plus com-
associe les exercices posturaux et de respiration à l’émission vocale d’exercices.
plexes et nécessitant plus de temps pour être réalisées.
42
cf Martin-Balmori, thèse: Didactique du belcanto: approche épistémologique des contenus d’ensei-
gnement et des pratiques de transmission, 2016, pp. 294-295
43
cf Martin-Balmori, thèse, 2016.
44
Structure semblable à beaucoup d’autres instrumentistes, d’après les analyses de l’équipe DAM.
Néanmoins, nous n’avons pas assisté à des leçons où les étudiantes-enseignantes sur la partition (comme p, représentant piano, doucement) sont évoquées,
proposent à leur élève de chanter en premier le morceau travaillé durant la semaine. mais reprises dans un contexte technique. Le formateur encourage toujours
cette approche technique.
Dans l’institution A, lors de la première leçon (L0, A), pour une durée totale Dans l’institution B, les leçons sont systématiquement précédées par des entre-
de 49 minutes, nous observons durant les premières 8 minutes une élève qui tiens, où les choix du planning écrit par l’étudiante sont révisés avec le formateur.
exécute en silence des mouvements de gymnastique et de respiration; en face, Ils nous permettent de constater que les attentes sont essentiellement tech-
d’une ee qui parle de manière presque continue. Nous entendons pour la pre- niques.
mière fois le son de la voix de l’élève dans des exercices qui suivent et qui durent
19 minutes (de 7’49’’ à 26’02’’); enfin, en dernière partie du cours (environ 23 Nous n’allons pas détailler chaque leçon, mais souligner le fait que l’élève,
minutes), sont abordés une mélodie tirée de la méthode Vaccai et un Lied de débutante, fait en quelques mois beaucoup de progrès: lors du dernier cours,
Schubert (Heidenröslein). Cela ne signifie pas pour autant que l’interprétation le formateur rappelle l’importance de l’enseignement interprétatif.
est travaillée à ce moment-là: la traduction ou le sens des mots ne sont pas
invoqués, non plus que le style de composition ou les choix entrepris par le Pour la première fois, le formateur souligne les désavantages de faire un cours
compositeur pour mettre les textes en musique. L’approche des partitions est uniquement technique: (2’21’’, F3, B) «l’élève avance dans les études et pense
technique. De même, lors du feedback, le formateur-professeur de didactique que l’on ne chante pas, que l’on fait de la technique». Il ajoute: (2’26’’, F3, B)
n’évoque pas ce choix, mais traite exclusivement de l’aspect technique. «C’est important de laisser se développer des idées sur le morceau, sur la mu-
sique, le phrasé…, un peu de fantaisie, de la musique». Il insiste encore: «Tu
Dans les cours suivants, cette tendance à favoriser l’enseignement technique dois avoir également des objectifs dans les morceaux… pourquoi fait-on de la
est confirmée. Lors de la deuxième leçon, pour une durée totale de 39 minutes, technique?… pour faire des morceaux.» (12’05’’, F3, B). Ici, «faire» implique
l’élève produit encore les premiers sons autour de la minute 8. Elle aborde une approche interprétative (elle est différenciée de la technique).
Vaccai vers la minute 25, toujours dans une approche technique. Lors du feed-
back, le questionnement interprétatif n’est pas invoqué. Le formateur prend la partition et analyse avec l’étudiante le morceau prévu
84 pour la semaine suivante (Se Florindo è fedele, Scarlatti). Pour aborder la di- 85
Lors de la troisième leçon, nous assistons à un changement significatif: dès mension interprétative, le formateur conseille de questionner la composition:
le début, les mouvements de gymnastique et de respiration sont intégrés à (18’25’’, F3, B) «Que se passe-t-il dans le morceau? Combien de parties?… soit
la production de son (exercice vocal). Le morceau est abordé à la minute 16 le texte, soit la musique». Le formateur signale quelques répétitions de texte
(Sento nel core, 16’35’’, L2, A), mais sans chanter: l’ee propose de lire le texte. «Que se passe-t-il d’un point de vue harmonique? Quels sont les détails qui
Lors du feedback, le formateur décourage l’étudiante à poursuivre dans ce soulignent l’expression?». La structure ABA est analysée.
questionnement interprétatif: (12’19 ‘’, F2, A) «les détails stylistiques le euh…
bien sûr, on peut toujours en parler mais c’est pour plus tard…, il faut d’abord Nous observons deux approches différentes de l’interprétation: dans l’institution
mettre en place l’instrument.» Le formateur institutionnalise ainsi un ordre de A, le formateur déconseille l’enseignement technique avant la «construction de
priorités (évoqué au début de ces analyses), qui correspond à «technique PUIS l’instrument». Dans l’institution B, lors des premières cours, le travail technique
interprétation» (Rickenmann, Mili & Grivet-Bonzon, 2013). est également favorisé, mais le formateur considère, après avoir constaté des pro-
grès d’acquis de base de l’élève, que l’interprétation a dorénavant sa place dans
Dans la dernière leçon observée (L3), l’étudiante commence par proposer direc- la leçon. Il encourage l’étudiante, qui a toujours tendance à parler beaucoup,
tement un exercice chanté sur (Mmmm, ensuite sur guiguigueguegogogui). à passer plus rapidement au dernier tiers de la leçon, celui du travail des morceaux
Cette quatrième leçon dure moins d’une demi-heure (27’28’’): nous sommes – pour aborder l’interprétation.
proches de l’examen et il faut respecter de manière stricte le temps attribué à
chaque épreuve. Nous déduisons, d’après ces analyses, que la structure de la leçon favorise le
travail technique: les exercices posturaux/respiration et les exercices vocaux dé-
La pièce travaillée (Sento nel core) est introduite à la minute 8’54’’, mais en sup- passent, dans les deux cas analysés, les deux tiers de la leçon. En outre, le temps
primant les paroles (chantée sur Mia, mia, mia, mia….). Cet exercice, toujours dédié aux morceaux devient la plupart du temps une prolongation du travail
dans une approche technique, dure jusqu’à la minute 21’22’’. Six minutes avant technique. Sans intervention du formateur, dans l’institution B, l’étudiante-
la fin de la leçon, l’élève aborde la lecture du texte, cette fois-ci sans chanter, enseignante aurait continué à «construire l’instrument» dans une approche
en proposant à son élève d’utiliser «une voix timbrée»45. Des nuances écrites technique.

45
L’élève ne comprend pas cette consigne. Pour expliquer, l’étudiante produit un contre-exemple: (21’40’’)
«Tu ne vas pas lire…», et propose ensuite un exemple de voix «timbrée».
5.2 LA CORPORÉITÉ Le corps, un enjeu de la professionnalisation des professeurs de
musique48
5.2.1 Le corps, outil pour enseigner et objet A travers nos analyses, – pour commencer, celle de l’enseignement d’un professeur
d’enseignement au centre du processus de formation de violoncelle (Grivet-Bonzon, 2016), ensuite celles menées respectivement en
rythmique «Jaques Dalcroze» (Rickenmann, à paraître), en chant (Martin-Balmori,
Un des axes de recherche chers à l’équipe DAM est la corporéité spécialisée (au 2016; Bodea, 2016) et en piano (Bodea & Thivolle, 2016) – nous avons tenté de
sens de Mili et al. 2013), telle qu’elle intervient dans la transmission des savoirs, problématiser la place de la corporéité dans le processus de professionnalisation
notamment de ceux liés aux différentes dimensions des œuvres de référence46 des professeurs de musique, à travers de nombreuses questions de recherche
convoquées en classe par les enseignants. dont voici les principales:

Ainsi que nous le rappelle Grivet-Bonzon (2016), en citant Vigarello (1978), Quelles sont les visées didactiques du recours à la corporéité dans l’espace
le corps est depuis toujours modelé et socialisé par la culture dans laquelle il des enseignements instrumentaux / vocaux et respectivement dans celui de la
s’inscrit, à tel point que Bernard (1995) affirmait que «le corps que nous vivons formation et comment s’articulent-elles? A quelles conditions didactiques le
n’est jamais vraiment et totalement le nôtre, pas plus que la manière dont nous recours au corps peut-il remplir la fonction d’outil d’apprentissage, de dévelop-
le vivons» (p. 139). Il est «le premier lieu où la main de l’adulte marque l’enfant, pement ou de professionnalisation?
il est le premier espace où s’imposent les limites sociales et psychologiques
données à sa conduite, il est l’emblème où la culture vient inscrire ses signes • Comment la corporéité intervient-elle dans la transmission des savoirs techni-
comme autant de blasons47». Le corps musicien n’échappe pas à la règle, les ques / interprétatifs? Cette corporéité vise-t-elle l’approche spécifique d’une
aspects liés à une corporéité spécialisée sont au cœur de la transmission et de œuvre / d’un répertoire d’œuvres ou reste-t-elle déconnectée de l’œuvre,
la transaction didactique. Il s’agit plus exactement de ce que Bernard (op. cit.) en tant qu’uniquement orientée par des savoirs techniques génériques? En
appelle intercorporéité. Dans une perspective phénoménologique, l’auteur cité quoi une certaine corporéité construite chez l’élève renvoie-t-elle à la spécifi-
soutient que le corps doit être pensé avant tout comme un corps relationnel. cité de l’œuvre? Comment le chercheur peut-il rendre compte de la distinction
86 entre le corps exercé pour l’œuvre et le corps s’exerçant avec l’œuvre? 87
En tant que tel, le corps n’est pas clos, il est nécessairement ouvert à autrui. Il
n’est plus «corporéité mais ‘’intercorporéité‘’» (p. 53).
• Comment la corporéité médiatise-t-elle le rapport dévolution-définition et en
Dans nos recherches, situées entre autres dans l’approche conjointe des faits quoi représente-t-elle un outil pour l’action des agents?
d’enseignement (Sensevy & Mercier, 2007, op. cit.), nous estimons judicieux de
saisir la construction des savoirs à travers le concept d’intercorporéité, corpo- Alors qu’ils ont été investigués par les chercheurs pour l’enseignement primaire et
réité orientée vers l’autre, et plus précisément vers la corporéité de l’autre. Car, secondaire (Jorro, 2010; Pujade-Renaud, 1983, 2005) les savoirs professionnels liés
quand le regard du chercheur se focalise sur la corporéité enseignante, il court à la corporéité au sein des organismes de formation professionnalisante de l’ensei-
le risque de la rendre signifiante pour elle-même, sans la rapporter aux signifi- gnement de la musique constituent un champ de recherche encore en grande partie
cations que l’élève en construit ou que sa corporéité restitue à sa manière. De à parcourir49. Partant du principe que nous recherchons des indices de transforma-
même, vu que nous analysons les savoirs tels qu’ils se construisent in situ, nous tion dans l’organisation et la conduite des enseignements au cours de la formation
avons considéré que nos recherches sur la corporéité, dans leur mission consis- des étudiants en master de pédagogie de la musique, nous avons tenté de mettre
tant à rendre compte de l’apport corporel dans la sémiotisation des savoirs, à jour une évolution du geste didactique et des modalités mises en place par les
auraient à gagner en partant non pas d’un répertoire préétabli de conduites étudiants dans le dispositif, à travers la mise en scène de leur propre corps et du corps
corporelles sémiotisées mais de la réalité elle-même de la situation didactique. de l’élève comme outils de compréhension, de progrès et de performativité instru-
C’est ce qui imprime à nos démarches d’analyse un caractère ascendant per- mentale de l’élève – que celle-ci soit de l’ordre de la technique ou de l’interprétatif.
mettant d’éviter l’applicationnisme (au sens de démarche visant à tester des
théories sur la corporéité). Dans le double niveau imposé par les situations, nous avons pu voir comment
les étudiants en didactique du violoncelle / de la rythmique JDC / du chant / du
piano traitaient de la corporéité de l’élève dans un rapport didactique d’intégration
des savoirs, comment ils définissaient et régulaient l’action, quels savoirs ils visaient
et sur quels objets portaient leurs gestes didactiques.
46
Lcf. à ce propos Nattiez (1987). Néanmoins, afin de ne pas induire une hiérarchisation mécanique des 48
Le contenu de cette présentation s’appuie essentiellement sur la contribution de Catherine Grivet-
différentes facettes de l’œuvre, au concept de «niveaux de l’œuvre» utilisé par l’auteur cité, nous préférons Bonzon (cf. Grivet-Bonzon, 2016, op. cit.).
systématiquement celui de «dimensions de l’œuvre». 49
Stévance, S. (2014). In M. Desroches, S. Lacasse & S. Stévance. Quand la musique prend corps. Montréal:
47
Vigarello (1978, 9). Presses de l’Université de Montréal.
5.2.1a Ancrages théoriques abordons également, en y adjoignant des catégories de savoirs pour enseigner,
Pour Merleau-Ponty (1976), le primat de la perception induit le primat de une deuxième partie du corpus constituée des feedbacks donnés par les for-
l’expérience, dans la mesure où la perception revêt une dimension active. mateurs sur ces leçons. Cette démarche nous permet de saisir une série de
Connaître son corps, inscrit dans un faisceau d’habitudes, dans une relation à configurations, en termes de contenus d’enseignement et de contenus de for-
la culture dans laquelle il est baigné, c’est savoir s’en servir. C’est ce corps qui mation, dont nous étudions les rapports de manière qualitative, principalement
fait que le violoncelle n’est pas la même chose pour l’élève débutant et pour le à partir des verbatims des séances et des documents de planification produits
violoncelliste expert, qui en naturalise l’usage; le défi principal de l’enseignant par les étudiants. Dans le cadre de cette première étude de notre projet, nous
en formation étant de déconstruire cette naturalisation-obstacle à la transpo- catégorisons et traitons également de manière quantitative et qualitative les
sition didactique, pour procéder à une objectivation des savoirs professionnels. différents types de gestes de définition (Sensevy & Mercier, 2007) mobilisés par
Nous enracinons notre réflexion dans une double dimension, celle du corps les enseignants en formation et leurs formateurs.
communicant dans le rapport didactique enseignant/ élève et celle du corps
des acteurs comme lieu de l’expérience et d’incarnation des savoirs. L’expé- 5.2.1c La dimension spatiale de l’expérience des corps
rience, liée au corps musicien des acteurs dans la situation de formation, est Issu à la fois de la forme scolaire (Vincent, 1994) et des spécificités liées à l’ins-
celle d’une corporéité au centre du jeu didactique en référence à la TACD (Sen- trument, l’espace scolarisé d’enseignement de la musique s’inscrit dans une
sevy, Mercier, Schubauer-Leoni, 2000) et du dispositif de formation en alter- tradition révélatrice de l’axiologie de l’institution formatrice comme des be-
nance d’une HEM de Suisse Romande (Merhan, Ronveaux, Vanhulle, 2007). soins des acteurs. Ainsi, l’espace ne peut se réduire au simple rôle de contexte
L’étude prend sens dans la relation mise en place à un double niveau de tran- de l’activité, il offre au contraire un pôle dynamique de relations dans l’appro-
saction (Gagnon 2010). Elle s’appuie sur la théorie vygotskienne qui donne un priation que s’en font les acteurs (Grivet Bonzon, 2011).
rôle fondamental à l’enseignant dans la transmission du savoir.
Dans le cours de violoncelle, l’élève et le stagiaire sont assis, formant un angle
Du point de vue de l’agir des formateurs, nous considérons l’activité «observer de 70 degrés, un jeu en miroir. Deux chaises, deux violoncelles, un pupitre pour
et donner un feedback» comme une situation professionnelle de résolution la partition de l’élève.
88 89
de problèmes au sens où l’envisage Abbott (1988). Ce sociologue décrit l’agir
professionnel comme principalement orienté vers la résolution de problèmes Le stagiaire est le maitre de la mobilité de l’élève, dont il régule la position
et caractérise cet agir à partir des trois opérations que sont le diagnostic, l’infé- instrumentale et l’espace de travail autour d’un axe unique, le violoncelle. Il
rence et le traitement (1988, p. 40 et suivantes). Soulignons que le caractère dispose à la fois des objets et des corps qu’il organise, tant dans le souci d’une
professionnel de cet agir s’appuie sur la capacité de l’agent à restreindre les efficacité technique que de la bonne posture, celle qui ne blessera pas l’élève.
hypothèses de solutions possibles à celles qui s’adaptent au mieux à la situa- Il a une conception plutôt statique de son rôle, relevée par son formateur qui
tion spécifique et unique sur laquelle il doit agir. Cette capacité à restreindre le stimule dans l’appropriation de l’espace à sa disposition.
le nombre d’hypothèses s’appuie sur l’expertise du professionnel, elle-même
construite sur la base des savoirs de sa profession50 et de l’expérience d’usages Si les premières leçons offrent peu d’observations de déplacements, la routine
qu’il aura accumulée dans le cadre de son travail. du déroulement du cours prévalant sur l’espace de liberté potentiel, l’étudiant
intègre, au cours de la formation, les déplacements dans la palette sémiotique
5.2.1b Méthodologie de ses gestes professionnels.
La méthodologie employée est celle de la recherche FNS générique dans laquelle
s’inscrit cette étude. De chaque synopsis, nous avons extrait des «moments 5.2.1d Le corps comme objet d’enseignement des techniques
remarquables» au potentiel heuristique significatif, liés à la corporéité dans la La complexité fait partie de la situation didactique dans le sens où les enseignants
double dimension matérielle et symbolique du corps comme «outil pour trans- usent constamment de leur corps pour enseigner et ce, la plupart du temps
mettre» et «objet de savoir». Le corpus repose sur des leçons données par les de manière inconsciente (Pujade Renaud, 2005). Chez le musicien débutant,
étudiants et des feedbacks dispensés par leurs formateurs. l’apprentissage de techniques du corps met en évidence la prise de conscience
de quelque chose d’étranger à soi, la distance entre soi et le soi que le contexte
A partir d’un travail de catégorisation des différents types de savoirs à ensei- normatif lié à la culture de l’instrument l’enjoint à devenir pour rejoindre «l’idéal-
gner, nous avons effectué une approche quantitative d’un corpus constitué de type» disciplinaire ou pour aborder l’œuvre. A ce titre, c’est d’abord pour et par
leçons données par des enseignants en formation durant leurs stages. Nous les apprentissages et les savoirs techniques que le corps est mis à contribution
lors des leçons.
50
A propos des savoirs experts, il est désormais courant dans le domaine des didactiques des disci-
plines de suivre la définition qu’en propose Johsua (1998).
La structure triadique du cours (échauffement / exercices / travail sur une Lors de la leçon, l’imitation du geste instrumental et le jeu en duo impliquent
œuvre), dans sa récurrence, pose la question du cadre de référence en vigueur le corps des agents dans une corporéité interprétative. Si apprendre sans com-
dans l’institution de formation. Les tâches dévolues à l’élève dans une première prendre est décrié à juste titre par l’ensemble des didactiques, l’enseignement
partie du cours (20mn sur un cours de 30mn) sont principalement centrées sur de l’instrument s’appuie très souvent sur l’exemple incontournable du «maître».
des savoirs techniques. Le mimétisme du geste juste, de la posture adéquate reste à la base de l’ensei-
Ces éléments sont liés, entre autres gnement duel tel qu’il est majoritairement pratiqué par les institutions d’ensei-
gnement spécialisé de la musique. Un des indices de l’usage de l’imitation lors
• à la tenue de l’instrument, à la posture: des leçons est le recours aux exemples articulés aux phases de définition de la
Les attitudes et postures participent aux prémices de l’activité et sont réactivées tâche pour l’élève. La dévolution qui s’y enracine, loin d’être un acte vide de
tout au long des leçons. Condition sine qua none d’une intégration du geste sens, s’inscrit dans la dynamique corporelle du professeur qui s’engage par
instrumental, savoir à enseigner propice à une meilleure performativité ainsi l’exemple, physiquement et artistiquement, par son corps en présence.
qu’à l’expression de la musicalité, tenir son instrument est aussi la condition
d’une santé pérenne du corps. Installer l’élève, placer l’instrument sont parmi Le recours à l’accompagnement de l’élève et au jeu en duo, signe d’un enga-
les gestes incontournables de l’activité enseignante du stagiaire. Si la tenue de gement physique de l’étudiant, est aussi largement investi parmi les milieux
l’instrument est référencée culturellement, le formateur souligne la prise en mis en place.
compte de la morphologie et de l’observation de l’élève et y consacre de longs
développements lors des feedbacks. 5.2.1f La corporéité dans les enseignements et la formation en
rythmique «Jaques Dalcroze»
• à la détente corporelle et à l’équilibre comme préalables au jeu: Le travail sur la corporéité est naturellement attendu dans le système d’en-
Le juste milieu entre détente et tonicité est une des composantes probléma- seignement dalcrozien et les pratiques d’enseignement et de formation que
tiques pour le jeune enseignant face à l’élève débutant. Les interventions de nous avons observées n’ont évidemment pas fait exception. Mais ce qu’il nous
l’étudiant tendent à une prise de conscience de l’importance de la détente semble important de mettre en avant à travers nos analyses, c’est la manière
90 musculaire, à des fins d’habileté technique et d’une corporéité globale de type
91
dont le travail sur la corporéité s’articule, dans l’action didactique ou formative,
postural; avec la respiration comme source de concentration dans l’anticipation aux différents types de savoirs musicaux, en partant du principe que chez les pe-
du jeu et l’intériorisation du tempo. tits élèves en tout cas, «la construction du corps est celle d’un instrument pour
l’expressivité musicale» (Rickenmann, à paraître).
On observe une décontextualisation et une désyncrétisation des savoirs musi-
caux mis en scène par des tâches effectuées sous forme d’exercices. Le corps y A ce propos, nous rappelons les deux grandes caractéristiques des idées de
est fragmenté, les gestes élémentarisés, avant de demander à l’élève de «penser Jaques-Dalcroze:
un peu plus global». Une fois les tâches et exercices corporels et techniques
transformant le corps de l’élève en corps instrumentiste et les automatismes • d’une part, la spécialisation du corps du musicien est pensée comme s’effectuant
acquis par la répétition, il est postulé que ce dernier pourra, dans une seconde via l’élargissement du répertoire sensible, kinesthésique, de ses rapports au
phase, être en mesure d’interpréter. monde des phénomènes musicaux et via l’automatisation des réponses et ac-
tions posturales et musculaires liées à ces phénomènes sonores-musicaux;
5.2.1e La sensation au service de l’interprétation
Les acquisitions techniques sont d’autant plus significatives qu’elles ne sont pas • d’autre part, la musique est vue comme phénomène à caractère universel, saisi
isolées de la notion d’interprétation. Nous l’avons vu, le temps consacré aux à travers la généralisation de concepts et de paramètres qui ont été mobilisés
apprentissages interprétatifs est relativement limité chez l’étudiant du corpus, pour organiser et guider le champ de son enseignement, ce qui représente
l’œuvre n’apparaissant la plupart du temps que dans le dernier tiers de la leçon. une conception typique de son temps (Rickenmann, ibidem.).
C’est souvent à partir de cette dernière qu’entrent en scène le jeu des contenus
d’enseignements liés à l’interprétation ainsi que le recours au corps pour la La spécialisation du corps
recherche de la «musicalité». Les gestes d’enseignement de l’étudiant oscillent On pourrait penser que Jaques-Dalcroze se situe clairement dans une conception
entre les tâches liées aux ressentis de l’élève et celles liées à un outillage corrélé cartésienne de dualité corps-esprit, dans laquelle
aux moyens de la traduction musicale de l’émotion.
• le corps quotidien serait à maîtriser, voire à soumettre,
• la construction de la personnalité serait à ce prix: structure tripartite «(1) Mise en train,(2) Travail sur un thème et, (3) Chorégraphies
Si nous sommes toujours obligés de penser à notre corps, nous en perdons et jeux», qui reprend en la déclinant de manière spécifique, la structure tripartite
forcément une partie de notre liberté d’esprit, car la majorité des intelligences de l’ensemble des disciplines dans lesquelles le corps des élèves est impliqué à
sont esclaves de leurs formes corporelles, prisonnières de la matière (…) la fois comme objet d’enseignement et milieu d’apprentissages.
un des premiers résultats de ces exercices [gymnastique rythmique] est
d’apprendre à l’enfant à se connaître, à se dominer, à prendre possession de
sa personnalité (Jaques-Dalcroze, 1920 [1914]51, p.75-76). 5.2.2 Résultats

Cette maîtrise, qui passe notamment par une visée d’acculturation de la sen- Un premier niveau de traitement des savoirs à enseigner est mobilisé par l’étu-
sibilité et des réponses corporelles aux phénomènes musicaux, se réalise chez diant. Tout en étant liés à des aspects musicaux, l’on peut néanmoins remarquer
Jaques-Dalcroze à travers des activités d’expérience corporelle de la musique, que les exercices proposés par l’étudiant ont une orientation principalement
aboutissant à un certain degré d’automatisation des réponses aux phénomènes corporelle en termes de (a) qualités du mouvement (L0/2 et 3; L3/4), (b) mou-
musicaux et au contrôle corporel dans la communication artistique. Ceci en vements rythmés avec déplacement (L0, L2, L3) ou avec les membres supé-
partant d’une organisation systématisée des processus d’apprentissage, elle- rieurs (L0/3; L2/2; L3/2-6) et (c) correspondances analogiques entre le corps
même à la base d’un découpage du musical en trois grands ensembles d’objets: et des paramètres musicaux (activités autour de la dimension ascendante et
la rythmique, le solfège et l’improvisation (Jaques-Dalcroze, ibid). descendante par paliers de la gamme en L1/2-3). Compte tenu de l’âge des
élèves, ces choix sont également en cohérence avec les propositions de Jaques-
L’idée de baser l’apprentissage de la musique sur l’expérience corporelle fait Dalcroze (1920 [1907]) d’instaurer la rythmique comme un premier palier de
écho chez Jaques-Dalcroze aux travaux des chercheurs en psychologie tels que l’enseignement musical.
Claparède:
D’après Appia, quelques entretiens avec Claparède donnèrent à Jaques- L’analyse montre que l’étudiant semble bien dans un processus de construc-
Dalcroze la terminologie indispensable et lui permirent de rattacher ses tion d’outils professionnels qui reproduit dans ses lignes générales les pratiques
92 recherches pédagogiques et esthétiques à des faits scientifiques: «De là date institutionnelles. A partir de L2, les activités synthétisées dans le tableau 5 93
son attention spéciale pour l’inhibition, l’innervation, […] le Hop! impératif semblent être de mieux en mieux adaptées à ce que l’on propose habituel-
qui oblige le corps à se maintenir sous pression pour obéir aux ordres les plus lement en solfège 1 à des élèves de 5 ans. Certes, en L2, la description des
inattendus, etc. De là date la méthode consciente et raisonnée d’enseignement exercices semble encore assez longue, les mouvements et leurs enchainements
et d’observation» (cité par Berchtold, 2005, p.99). parfois peu articulés. Si l’on excepte l’activité L2/6, qui semble très complexe,
mais qui a fonctionné avec les élèves, l’on peut constater que, dans les exer-
Ces travaux placent l’activité de l’enfant au centre des processus d’apprentissages, cices, l’étudiant est proche de la logique disciplinaire; celle-ci est abordée, par
et ces derniers comme résultat de processus psychologiques d’adaptation à l’en- exemple, par le recours à des commandements verbaux (Hop!) qui préparent
vironnement. Dans l’approche de l’éducation musicale de Jaques-Dalcroze, cet l’élève à réagir ultérieurement à des phénomènes musicaux (Jaques-Dalcroze,
environnement expérientiel est musical. Sur beaucoup d’aspects, il fonctionne 1920 [1914]).
souvent comme milieu antagoniste qui résiste à l’activité spontanée des élèves,
en les y incitant à construire, par adaptation, des savoirs musicaux. En ce sens, • En contrepartie, ce sont les gestes de monstration par l’exemple (De+)
les moyens proposés par Jaques-Dalcroze pour aboutir à une incorporation qui constituent le plus grand et régulier ensemble d’occurrences (50.3% en
des savoirs musicaux et le développement d’un «corps musicien» sont proches moyenne), renforcés par les gestes de pointage (13.6%); à travers ces deux
des conceptions et modalités du travail corporel dans les disciplines artistiques ensembles, l’étudiant a cherché à définir les différents éléments de savoirs visés;
de l’époque (Mili et al., 2013), telles que la danse (Laban, 2003) ou le théâtre
(Grotowski, 1993). A ce travail corporel sont attribuées une signification et • Les définitions de tâches à travers lesquelles l’étudiant cherche à ce que les
des fonctions beaucoup plus complexes que la seule idée de s’entrainer par élèves mobilisent les savoirs Mt, Mi et MTC restent très stables par rapport à
répétition. tous les autres types de gestes, autour de 25.2% en moyenne. Ce nombre
traduit un souci de s’inscrire dans une logique d’enseignement, à travers la
Une deuxième structure, qui n’apparaît pas de manière explicite mais qui fait mise en activité des élèves – que nous pouvons confirmer également à travers
partie de l’habitus institutionnel, révèle l’organisation des leçons selon une le nombre très important de tâches proposées (tableau 5) durant les leçons.

51
Un nombre important des références mobilisées dans ce texte appartiennent au même ouvrage,
publié en 1920 mais qui reprend des textes produits à différents moments. Pour cette raison nous
signalons entre crochets la date originale de chaque texte.
Tableau 13a. Savoirs abordés par la formatrice de F1 à F3, en pourcents. • l’une centrée sur la préparation du corps/de la voix en soi;
• l’autre, attribuant à ce travail une certaine visée artistique (cf. Cornut, op.
Temps Mt Mi ML MH MTC DL Dpl Dr Occurences
cit.; Leroy, op. cit.; Abitbol, op. cit; Martin-Balmori, 2014, op. cit.).
(jours)
F1 3.8 9.6 0 0 7.6 30.7 23.0 25 52 L’analyse des feedbacks montre la présence de ces deux conceptions tant chez
le formateur que chez l’étudiante. En F1, c’est plutôt la première qui fait sur-
F2 3.5 3.5 3.5 0 7.1 21.4 32.1 28.5 28
face, en raison de ce qui est considéré comme plus urgent pour l’étudiante, à
F3 3.8 19.2 3.8 0 11.5 15.3 7.6 38.4 26 savoir la décontraction de son appareil vocal. En effet, ce besoin, dont la finalité
3.8 10.1 2.5 0 8.8 est formulée en termes de «confiance [de l’élève] dans sa voix», est didacti-
moyenne 22.5 21.0 31.0 35.3
12.6 (Mt + MTC) quement considéré par le formateur comme devant se situer en amont de la
construction d’autres savoirs (dont ceux liés aux œuvres musicales convoquées
par l’étudiante), et qui plus est, «avant même de construire quoi que ce soit».
Tableau 13b. Savoirs abordés dans tous les feedbacks dans les 11 cas du projet FNS,
moyenne en pourcents
Les moyens qu’utilise dans ce sens l’étudiante dont il est ici question – moyens
Temps Mt Mi ML MH MTC DL Dpl Dr Occurences pour la plupart avalisés par son formateur – relèvent d’un travail qui va davan-
(jours)
tage du corps vers la voix (i.e. tâtonnement de postures et de conduites corpo-
23.4 9.3 1.4 3.3 (8.8) 17.5 15.3 29.1 55.2 relles supposées adaptées pour la recherche d’une certaine qualité de la voix)
que de la voix vers la corporéité qu’elle implique. Les nombreuses régulations
La stabilité des définitions de tâches mobilisant des savoirs techniques, inter- des conduites corporelles de l’élève et leur mise en relation avec les différentes
prétatifs et corporels n’est pas sans rappeler que les pratiques d’enseignement sensations qu’elle ressent montrent l’importance que l’étudiante accorde à cette
dalcroziennes mettent au centre l’action (cf. à ce propos Del Bianco, op. cit.). logique d’action.

94 En effet, la praxis de l’étudiante présente deux caractéristiques essentielles 95


5.2.3 La construction de la corporéité technique en chant repérables dans ce modèle, à savoir (i) l’importante fréquence des exemples
et en piano sonores – mais aussi corporels – fournis à son élève, et respectivement, (ii) l’impor-
tance accordée au contrôle visuel et kinesthésique du corps (postures, conduites,
comportement d’organes de l’appareil phonatoire): un modèle d’enseignement
Stefan Bodea analyse les contenus d’un dispositif de formation en chant (cf.
que l’on pourrait décrire globalement comme centré plus sur la préparation
Bodea, 2016, op. cit.) qui comporte cinq séances de feedback portant sur les
corporelle de la voix que sur l’«incorporation» (au sens de Faure, 2000).
leçons dispensées par une étudiante en formation initiale. Comme nous l’avons
mentionné supra, ses analyses ont permis de dégager comme principale visée
Enfin, pour ce qui est l’enseignement du piano comme objet de formation dans
d’ordre professionnel de ce dispositif la construction chez l’élève d’une prise
le cadre d’un dispositif genevois (dispensé par Tf), l’étude de Bodea & Thivolle
de conscience des mécanismes corporels impliqués dans la vocalité technique,
(2016), centrée sur l’analyse comparative de deux micro-enseignements
selon les principes de base de la physiologie de l’appareil phonatoire. L’analyse
d’étudiants en formation initiale, a débouché sur une description du dispositif
des savoirs relatifs au corps vocal technique de l’élève a pu mettre par ailleurs
observé comme reflétant une culture professionnelle priorisant la construction
en évidence la mise en avant de celui-ci en tant que condition préalable à
autonome du corps technique nécessaire à la production du son. Cette pro-
l’étude des œuvres musicales. Cette conception fait écho à l’un des modèles
duction apparaît le plus souvent comme pensée en amont de l’articulation aux
d’enseignement du chant repérables dans l’histoire des approches de la voix,
propriétés de l’œuvre de référence, mais elle ne fait pas l’impasse sur l’œuvre.
centré sur la construction d’une prise de conscience corporelle ayant pour objet
le rapport entre le son et le geste vocal sous-jacent. Il vise sur le long terme à
L’analyse des actions de la formatrice a mis en effet en évidence deux princi-
outiller l’élève afin qu’il puisse expérimenter différentes solutions vocales à des
pales caractéristiques de son expertise didactique:
situations-problèmes spécifiques52.
• la construction du corps technique adapté aux difficultés des élèves et à leurs
On peut parler de deux grandes conceptions relatives aux enjeux de l’échauf-
particularités développementales, mais aussi aux particularités de l’œuvre
fement du corps / de la voix:
(d’où l’importance d’un choix pertinent de celle-ci);
cf. à ce propos Cornut (1983 / 2014: 111); cf. aussi chez Hoppenot (1981/2012), «la sensation,
52

une conscience corporelle» ou «la justesse intérieure», dans l’enseignement du violon.


• le diagnostic des difficultés de l’élève et leur traitement (cf. Abbott, 1988) préparation des cours tels qu’ils sont négociés dans l’expérience d’enseignement
émergent comme des composantes importantes de la professionnalité ou de formation. Il nous a paru alors utile de voir quels étaient les facteurs
enseignante d’ordre expérientiel / pragmatiques (relevant essentiellement des réalités du
terrain) (re)didactisés par le formateur et susceptibles d’infléchir la conception
d’enseignement de l’étudiant. Comment les outils de planification précisent-
5.2.4 En guise de conclusion du chapitre ils «dans le temps l’agencement des activités des élèves et des enseignants,
des ressources, des manières de faire susceptibles d’influer favorablement sur
Pour conclure, nous soulignerons le primat de la corporéité comme enjeu de l’apprentissage des élèves» (Musial & Pradère & Tricot, ibid.)?
formation, dans le sens où celle-ci est investie de fonctions multiples, tant au
regard du corps de l’élève (souvent élémentarisé à des fins de performances Quel sens prend alors cette composante essentielle de la forme scolaire54 qu’est
techniques ou instrumentales) qu’au regard de celui de l’enseignant. A cet étu- le travail de préparation / planification / conception de classe en musique?
diant-enseignant reviennent des postures plurielles: celles du corps qui pointe Quels sont les enjeux formatifs des interactions formateur-étudiants relatives à
et indique, qui montre l’exemple, qui corrige les postures, qui joue en duo mais la préparation de classe? Quels modèles de formation annoncent / induisent-
qui fait parfois obstacle aux apprentissages incorporés de l’élève. elles? Qu’en est-il des DPL55 qui codent les contenus de ce genre de transaction
didactique (au sens de Sensevy, 2007) sur le plan de la lecture des logiques et
de la culture professionnelles du formateur?
5.3 LA PLACE DE LA PLANIFICATION DANS
LES ENSEIGNEMENTS DES éTUDIANTS
ET DANS LES FEEDBACKS DES FORMATEURS 5.3.1 L’analyse conduite en didactique du chant

Ainsi que nous l’avons explicité dans la première partie du présent rapport, la Les questions spécifiques formulées dans une partie de cette étude concernent
place de la planification didactique des leçons et celle des devoirs à domicile plus particulièrement le rapport des outils langagiers à la planification / prépa-
96 ration des leçons de chant dans l’économie d’une formation: 97
dans la formation et l’enseignement musicaux ont constitué deux importants
objets de notre analyse de la professionnalisation53. Considérés comme outils De quelles intentionnalités sont marquées les interventions discursives du for-
de construction de l’autonomie de l’élève / étudiant dans ses apprentissages, mateur codées DPL, vues dans leur rapport aux leçons données par l’étudiante?
les savoirs relevant des processus de planification ou programmation didac- Quels sont les contenus didactiques sur lesquels portent ces interventions?
tique et respectivement de la gestion des devoirs à domicile ont été traités Quelle est la méthodologie qui les structure et à quelles démarches heuristiques
ici en étroit lien avec le concept d’aménagement du milieu d’étude. Ceci en invitent-elle le formé?
partant du postulat que la posture de professionnalisation est essentiellement
liée de nos jours aux processus de mise à l’étude de l’élève (cf. Chatel, 2002). A travers l’analyse des échanges initiés par le formateur dans ses feedbacks,
nous avons essayé de montrer que la principale visée professionnalisante de
son dispositif de formation est la construction du corps vocal technique de
La place des outils de planification /préparation didactique des
l’élève comme condition préalable à l’étude des œuvres musicales. Pour ce
leçons de musique faire, nous nous sommes focalisé sur les actions discursives du formateur por-
Dans le contexte d’enseignements musicaux, où les phénomènes de régulation
tant sur la préparation / planification (DPL) des leçons de son étudiante.
sont extrêmement prégnants, il nous a semblé légitime de nous poser, avec Bourg
(2011), la question de la «la nature du travail de planification de l’enseignant
en musique, face à des situations où les processus de régulations interactives
5.3.1a Outils méthodologiques56
A partir des données récoltées (séances de feedback vidéoscopées; leurs trans-
déterminent en grande partie la forme et les contenus du cours» (p. 38).
criptions en tours d’actions; graphiques représentant la distribution des occur-
rences des différents gestes de définition et types de savoirs à enseigner / pour
Si planifier, «c’est s’engager dans l’écriture d’un plan d’action décrivant la manière
enseigner dans le cadre des feedbacks), nous avons analysé essentiellement
d’enseigner, pour exclure le caprice, l’improvisation et le hasard» (Musial &
Pradère & Tricot, op. cit: 2), dans le cadre de nos études, nous n’avons pas exploité
les injonctions institutionnelles figurant dans les textes officiels relatives à la
54
Eliou (1994) nomme cette composante «représentation préalable et planification des apprentis-
sages».
planification didactique. D’où notre focale sur l’analyse des savoirs relatifs à la 55
Nous rappelons au lecteur que nous avons codé DPL les gestes de planification et de préparation
des leçons (variables didactiques, complémentarité des activités, progression des élèves…).
cf. la partie du rapport qui explicite de manière exhaustive les indicateurs de professionnalisation
53 56
La méthodologie comprend aussi les indices de construction didactique de l’autonomie de l’élève
que nous avons établis au fur et à mesure de nos recherches. (cf. la partie intitulée «Fondements théoriques et épistémologiques de la démarche de modélisation
de l’agir professionnel du formateur».
les transactions portant sur la préparation/planification des leçons, du point il est susceptible d’expliquer aussi la ’’réticence“ didactique du formateur ou sa
de vue de: mise en suspension du savoir didactique. A ce propos, un type de discours
particulier émerge dans les transactions qui habitent les feedbacks: le discours
• leur contenu
de constatation / le constat, une forme que l’on pourrait considérer comme
• leur forme de manifestation s’apparentant au pointage discursif d’un problème, une espèce de bilan
(anamnèse) dressé à l’intention du formé.
• leur potentiel relatif à la construction d’outils d’anticipation / préparation/
planification de contenus d’enseignement et/ou de la conduite didactique • Nos analyses nous ont permis de mettre en évidence le fait que la plani-
relative à leur mise en œuvre, fication didactique (en tant que processus complexe d’aménagement du
milieu d’étude pour l’élève) ne fait pratiquement pas l’objet des transactions
afin de décrire, en filigrane, le modèle de formation professionnelle sous-jacent que nous avons analysées ici. On peut y voir de la ’’réticence“ didactique,
aux dispositifs observés. mais jusqu’à un certain point, à partir duquel on parlera plutôt d’une mise
en suspension du savoir didactique (phénomène qui est plus fréquent que
Pour ce faire, quatre types d’actions discursives ont été finement analysés: l’on le pense). On peut également avancer que la perpétuation d’un
• le discours portant sur le choix de contenus d’enseignement (exercices vocaux; modèle traditionnel d’organisation de la leçon de chant «déloge» d’autres
oeuvres ou répertoire d’œuvres ) démarches de planification. Il s’agit de la structure échauffement / exercices
• le discours portant sur l’articulation / la complémentarité des activités (articulation puis travail du répertoire.
exercices préparatoires – étude de l’oeuvre; logique de progression de l’élève
dans ses apprentissages) • Dans les échanges, les particularités de la voix de l’élève émergent constam-
ment comme un important facteur, mutuellement partagé, de la sélection
• le discours thématisant la planification en tant qu’outil didactique des exercices vocaux. Leur choix pertinent (i.e. de ceux censés permettre la
construction d’une corporéité favorable au développement de la voix) est
98 • le discours du formateur sur l’élémentarisation (le découpage) des objets 99
vu par le formateur comme un outil d’ordre pratique, opposé à la dimension
d’enseignement
théorique de l’enseignement de son étudiante. On peut lire ici en filigrane
la référence au modèle de la pratique vocale basée sur l’imitation et un
5.3.1b Résultats positionnement à l’encontre du discours explicatif. Sur le plan de l’enseigne-
• L’importante fréquence du discours technique que nous avons pu identifier ment du chant, ces aspects, relevés notamment en F1, convergent, dans
tant dans les leçons dispensées par l’étudiante que dans celui du formateur, l’ensemble, vers un modèle mettant au centre: (i) le diagnostic de la voix
indique, dans ce cas précis, que la compréhension des mécanismes de pro- de l’apprenant comme vecteur premier du choix des exercices vocaux; (ii)
duction vocale, notamment en ce qui concerne leur «incorporation» (au un traitement technico-corporel de la difficulté de l’élève, à travers des
sens de Faure, 2000), est supposée constituer, le principal vecteur de exercices relevant de son domaine expérientiel (proches de sa voix parlée)
l’apprentissage vocal de l’élève, voire même «une condition préalable et effectué en-deçà des contenus liés à l’œuvre musicale; la prééminence de
à [son] apprentissage» (Martin-Balmori, 2014, p. 41) et plus particulièrement l’action vocale sur le discours explicatif.
à l’étude des œuvres musicales. La prééminence des savoirs techniques,
articulés le plus souvent aux difficultés et les besoins vocaux supposés de Sur le plan de la construction des savoirs pour enseigner, nous avons pu remarquer
l’élève peut expliquer l’importante place qui est accordée à la compré- notamment:
hension du fonctionnement du corps en tant qu’instrument technique.
La principale visée d’ordre professionnel est la gestion didactique de la • l’abondance de références théoriques de nature anatomo-physiologique
construction de la corporéité technique orientée par les principes de base (d’où l’hypothèse d’un modèle de formation s’appuyant essentiellement sur
de la physiologie de l’appareil vocal. Dans le cadre de cette gestion, des outils théoriques);
l’étudiante est appelée à développer des capacités de diagnostic des
difficultés vocales de l’élève et d’outillage de leur traitement. Cet impératif • le fait que la construction didactique des outils attendus fait davantage
de formation peut expliquer l’abondance et surtout la prééminence du l’objet d’un pointage et d’une dévolution (implicite ou explicite) que d’un
discours relatif au choix de contenus musicaux à travailler avec l’élève travail in situ. Les feedbacks représentent ainsi le terrain d’identification des
(exercices corporels, vocaux; œuvres musicales et types d’activité) sur problèmes d’enseignement et/ou d’apprentissage à partir desquels le formé
le discours concernant l’articulation / la complémentarité des activités. Mais est invité à construire ses propres outils locaux. En d’autres termes, le milieu
discursif des séances de feedback est mis au service d’un système de régula- une moindre mesure, ceux concernant la planification de l’enseignement (DPL
tion qui entend prendre en charge notamment «le diagnostic» et tout au 13,3%). La proportion relativement importante du couple DR/DL, qui réunit
plus «l’inférence» (cf. Abbott, op. cit.), alors que le «traitement» (id.) est un peu plus de 50% des savoirs traités dans les leçons, donne une «couleur»
dévolué au formé. Il s’agit en dernière analyse d’un modèle de professionna- spécifique aux feedbacks de la formatrice de Harpe. Celle-ci semble particu-
lisation qui se définit essentiellement par la responsabilisation du formé dans lièrement intéressée par les catégories de savoirs liés davantage à l’interaction
la construction de son expertise didactique. C’est au formé que revient la mission enseignant-élève (DR), qu’elle met significativement en rapport avec les dif-
de construire des outils pour articuler le diagnostic des problèmes de l’élève et ficultés usuelles qui émergent dans l’interaction élève-instrument (DL). Cette
traitement de ceux-ci. L’implicite qui caractérise, sur le plan procédural, l’arti- importance donnée aux phénomènes qui émergent dans le hic et nunc de la
culation attendue d’éléments didactiques mobilisés dans les feedbacks a été relation didactique présentielle durant les leçons est certainement en lien avec
souligné par Rickenmann (2016, à paraître), dans le cadre de ses analyses du le type de leçon que l’enseignante stagiaire développe elle-même.
système de formation en rythmique Jaques Dalcroze. L’auteur cité explique
ce phénomène comme relevant de la responsabilité dévoluée aux formés en Le maintien d’un schéma de distribution des occurrences sur l’ensemble des
stage: leçons observées laisse entrevoir un certain degré de typicité des leçons de
cette enseignante stagiaire de Harpe. Les observations ayant commencé au
«Concernant le système F de formation, les éléments organisateurs de l’action milieu de l’année académique de formation, l’on ne peut pas savoir si cette
enseignante attendue concernent l’anticipation de cette mise en activité, sous structure typique est attribuable ou pas au cours de didactique. Par contre, les
forme de (a) « description de l’exercice», en lien avec (b) le «rôle de la musique» observations réalisées nous permettent de déceler des effets de l’action for-
dans les activités proposées, (c) les «facultés (de l’élève) exercées» dans le rap- matrice sur l’évolution de cette structure typique.
port musique-exercices, pour aboutir à une articulation de ces moyens en termes
(d) «d’objectifs», d’apprentissage, de développement corporel et musical. Sou- Les observations qualitatives ainsi que les petites planifications remises à la for-
lignons que l’implicite des articulations attendues entre ces différents éléments matrice montrent que l’étudiante cherche à se conformer à la structure typique
de (a) à (d) est en lien avec l’adidacticité des pratiques comme milieu de formation des enseignements d’instruments qui, engageant le corps, s’organisent dans
100 et, en conséquence, avec la responsabilité topogénétiquement dévolue aux une tripartition échauffement-exercices-interprétation. Les analyses qualitatives 101
étudiants en stage» (Rickenmann, 2016, à paraître). des feedbacks montrent que la structure tripartite n’est pas contestée par la
formatrice, bien qu’elle considère que celle-ci n’est pas toujours utilisée à bon
«L’hypothèse que nous proposons est que la dimension adidactique des situa- escient.
tions d’enseignement constitue la base (potentielle) de construction de la dimen-
sion proprement professionnelle des savoirs et compétences enseignantes.
L’analyse clinique des données disponibles nous permet, en ce sens, de décrire 5.3.3 L’analyse conduite en didactique des cuivres
la situation d’enseignement comme un milieu antagoniste qui résiste aux actions
de l’étudiant en l’incitant ainsi à des adaptations qui peuvent être considérées Dans ce cas, l’analyse statistique a montré que les outils relevant de la planification
comme faisant partie des processus d’apprentissage du métier» (idem). (DPL) et respectivement ceux relevant des jeux des définitions par tâche (Dt)
représentaient les principaux axes qui structurent les pratiques des souffleurs,
d’où l’importance de l’analyse du processus de construction de l’autonomie de
5.3.2 L’analyse conduite en didactique de la harpe l’élève / de l’étudiant.

Cette analyse a mis en évidence le fait que le dispositif de formation à l’ensei- Cette analyse nous a permis de montrer que l’étudiant reprenait systématiquement
gnement de cet instrument privilégie en gros l’interaction élève-instrument, ce soit des aspects techniques, soit des éléments portant sur l’improvisation ayant
qui ressort entre autres au comportement des données statistiques. Ainsi, la fait l’objet d’une planification avec son formateur (cf. la contribution de Marianne
proportion les savoirs relatifs à la planification est moins importante que celle Jacquin, dans Mili & al., 2016). Un deuxième constat porte sur l’augmentation
des autres savoirs didactiques. de la variété des activités musicales proposées, des modalités et des outils pour
l’élève. Alors que la 1ère leçon (L0) ne contient que deux activités (échauffement
En effet, parmi les catégories relatives aux savoirs pour enseigner, les savoirs et jeu d’un morceau de blues), durant la troisième leçon (L2), la phase de travail
sur la conduite des leçons qui sont principalement abordés (DR 33.1 %), suivis sur l’instrument se découpe en trois temps dont chacun fournit le contexte pour
par ceux relatifs aux processus d’apprentissage des élèves (DL 19.8 %) et dans travailler des savoirs musicaux différents (souffle, ornementations, accords…)
et sous des formes différentes (jeu ensemble, en solo, en alternance). On L’analyse croisée de ces documents de planification des interventions et des
constate troisièmement un effet structurant de l’outil de planification sur les leçons préparées et conduites par les enseignants en formation nous a permis
leçons de l’étudiant. Alors que la L0 consiste surtout en un jeu commun, dès la ainsi de: (i) comprendre l’enchâssement des deux systèmes mentionnés, en
L2 apparait une organisation des contenus selon une logique de progression. fonction d’une conception relativement partagée de l’enseignement musical
On observe quatrièmement l’intégration progressive de tâches à domicile, dont dalcrozien (savoirs à enseigner), et (ii) d’une meilleure compréhension des
les multiples fonctions ont été enseignées en formation. Les cinquième et logiques sous-jacentes du suivi didactique des processus de professionnali-
sixième constats sont liés à la conception du formateur de ce qu’implique sation.
pour lui l’acte d’enseigner: planifier sa leçon, s’engager dans la relation avec
l’élève (jouer avec lui, lui donner une rétroaction constructive), lui donner des L’intérêt particulier que revêt l’analyse de cas de la formation à l’IJD repose sur
tâches précises et les moyens pour améliorer la qualité de son jeu (explications, le fait qu’une partie des ressources de formation sur lesquelles la formatrice
verbalisations et exemples). D’une absence de tâche et de verbalisation (L0), prend appui pour développer son projet auprès de l’enseignant en formation,
l’étudiant évolue vers l’usage d’’outils didactiques abordés en formation, outils repose sur un référentiel de savoirs experts qui est largement formalisé sous
mis au service du développement de l’autonomie de l’élève, le plus visible l’appellation méthode Jaques-Dalcroze, mais aussi institutionnalisé, via des
étant la planification. formats de planification de leçons.

L’étude a par ailleurs débouché sur une modélisation de l’agir formateur en Cette première étape d’analyse cherche à saisir les usages effectifs du format
tant que modèle réflexif dans la planification qui passe par les différentes en- de planification et de ses rubriques en tant qu’artefact censé orienter l’action de
trées (par thèmes; par contenus ou par objectifs d’apprentissage) et étapes formation – en termes de savoirs à enseigner et de savoirs pour enseigner. Dans
de réflexion sur: le choix des contenus, l’enchaînement des activités d’une ou ce but, nous avons procédé à une analyse a priori des activités au sein des-
plusieurs leçons, la cohérence entre leçon et tâches à domicile, la fonction quelles des phénomènes didactiques de l’ordre du «problème professionnel»
des exercices, les méthodes pour atteindre ses objectifs, l’anticipation des émergent, ceci à partir des documents de planification remplis par l’étudiant et
conduites techniques des élèves; la possibilité de dévier de son plan de cours, des verbatims des leçons réalisées.
102 la préparation à une posture d’observation de l’élève, la réflexion sur le type de 103
feedback à lui donner. Dans une deuxième étape, nous analysons la manière dont la formatrice s’est
saisie – ou pas – des problèmes professionnels de l’enseignant en formation,
puis les a traités en termes de stratégies de formation. Notre but étant ici d’éta-
5.3.4 L’analyse conduite en didactique de la rythmique blir, en suivant le modèle d’Abbott (1988), quels référentiels de savoirs experts
elle a convoqués pour a) établir les diagnostics sur l’agir de son étudiant, b) pro-
dalcrozienne
céder à des inférences sur les problèmes repérés et c) proposer des solutions.
Dans ce but, nous avons procédé à l’analyse des verbatims des feedbacks don-
En termes d’effets formatifs, l’étudiant semble mobiliser dans ses propositions
nés par la formatrice sur les leçons 1 à 3, et nous avons contrasté les résultats
d’exercices des éléments importants de l’approche dalcrozienne. L’ensemble
avec l’évolution générale des leçons L1 à L3.
des activités prévues dans ses planifications correspondent, en effet, à des
mises en mouvement corporel qui sont en lien avec la musique, avec une pré-
Dans F1, sont visées l’organisation et la cohérence internes de la planification
pondérance attendue des aspects rythmiques.
par rapport, notamment, au référentiel dalcrozien. Dans F2, l’attente concerne
davantage la planification comme outil pour la conduite des leçons auprès
L’analyse nous a permis de saisir une série de configurations relatives aux
d’un public spécifique. Ce qui motive la remarque de la formatrice dans F2 et
contenus d’enseignement et de contenus de formation, dont nous avons étu-
ses commentaires sur la planification de la leçon observée n’est plus seulement
dié les rapports de manière qualitative, principalement à partir des verbatims
le problème de la cohérence interne du document, mais sa mise en œuvre et
des séances et des documents de planification produits par les étudiants.
son usage par rapport au contexte présent de la leçon.
L’existence d’un format de planification57, qui étaye le dispositif des pratiques
pédagogiques, nous a permis d’aborder une question centrale qui est celle de 57
Les catégories prises en compte pour guider la planification des leçons des étudiants pour les
l’articulation des systèmes enchâssés de formation et d’enseignement à travers pratiques pédagogiques de l’IJD sont: (i) la description de l’exercice; (ii) le rôle de la musique; (iii les
le fonctionnement des gestes de définition des savoirs de la formation. facultés exercées; (iii les objectifs). Dans le système dalcrozien d’«enseignement», la planification
constitue par ailleurs un type de problème didactique à résoudre en formation, dans le cadre de
démarches de repérage de stratégies-type d’action enseignante. En effet, ces stratégies-type sont
relatives à trois dimensions de la situation que sont la planification de l’enseignement, les choix
d’objets d’enseignement et la conduite de la leçon (cf. Rickenmann, 2016, à paraître).
De manière générale, on peut conclure que le format de planification consti- 5.4 LES DEVOIRS À LA MAISON SOUS L’ANGLE
tue sans nul doute un objet de formation qui va au-delà du statut de simple DE LA PROFESSIONNALISATION
ressource didactique. Son usage formalisé en fait un outil de la profession qui
permet non seulement à l’étudiant de progresser en vue de sa professionna- 5.4.1 Ancrage théorique
lisation, mais également à la formatrice de se repérer et d’organiser son agir
formateur. La gestion enseignante des devoirs est considérée ici comme une composante
de la professionnalité en didactique de la musique, et ce sur deux versants (le
L’existence d’outils institutionnels tels que les formats de planification ou ceux «quoi» et le «comment» des tâches impliquées):
d’évaluation permettent aux formateurs d’articuler les savoirs de la formation
à la spécificité de chaque contexte de pratiques. On a pu constater que, pro- • celui de l’articulation des devoirs aux contrats didactiques, observable dont
portionnellement, les savoirs DL et DPL sont abordés avec des pourcentages l’analyse nous permet un regard sur l’agir professionnel de l’étudiant sur le
d’occurrences plus élevés dans le dispositif IJD par rapport à la moyenne géné- plan de la cohérence du dispositif de mise à l’étude de l’élève (au sens de
rale de l’ensemble des cas: 22.5% dans l’IJD contre 17.5% pour DL et 21% Chatel 2002) en fonction des apprentissages visés. L’analyse du rapport
dans l’IJD contre 15.3% pour DPL. contrat – milieu didactique (cf. Cariou, 2013) pour le devoir à la maison est
ici privilégiée;
L’ensemble des données analysées tend à confirmer l’hypothèse de René
Rickenmann concernant le rôle central que joue le format de planification • celui du potentiel des tâches, sur le plan de la construction d’outils d’au-
comme outil de formation et, indirectement, celui du système dalcrozien en tonomie dans les apprentissages / dans le travail. L’analyse d’indices relevant
tant que référentiel collectivement partagé pour la lecture et l’intelligibilité des de ce potentiel nous permet de cerner, entre autres, des spécificités de
situations observées. gestes d’enseignement tels que la définition ou la dévolution, mais aussi des
conceptions des étudiants relatives aux apprentissages des élèves, à l’ex-
Dans le cas du dispositif IJD étudié dans ce texte, une différence qualitative pertise et aux rôles topogénétiques attribués à ceux-ci. Il s’agit, autrement
104 et quantitative se dégage, liée à l’existence de discours institutionnels for- 105
dit, d’analyser les éléments fournis à l’élève pour répondre à la tâche et
malisés et systématisés, dont le format de planification des leçons constitue de la forme que revêtent ces éléments.
un exemple paradigmatique. Ces éléments produisent deux principaux effets
concernant l’agir professionnel formateur:
5.4.2 Objectifs des analyses
• un premier effet porte sur le traitement équilibré des différents types de savoirs
pour enseigner. Le fait de pouvoir se référer à un système notionnel instituant
Sur le premier versant, notre étude s’est proposée de mettre en évidence des
les rapports entre les trois dimensions couvertes par nos catégories DL, DpL
convergences concernant:
et Dr permet à la formatrice une certaine prise de distance – et de ne pas
réagir uniquement à quelques aspects ponctuels, saillants et conjoncturels
• l’articulation entre les contenus travaillés en amont en classe et ceux des devoirs
de l’observation de la pratique de son étudiant. L’analyse descriptive des
à la maison;
données quantitatives et celle qualitative des événements remarquables
dans les feedbacks montrent que le discours formateur s’organise autour
• le manque d’indices de rétroaction sur les devoirs, ce qui nous amène à
d’une structure notionnelle qui fait système.
avancer l’hypothèse d’une gestion des devoirs davantage orientée par le
projet d’enseignement que par celui d’apprentissage et de son évaluation
• un deuxième effet porte sur l’ancrage didactique des diagnostics et des
formative;
inférences proposées par la formatrice, qui lui permet d’articuler dans une
très grande majorité de ses propos les savoirs à enseigner avec les savoirs
Sur le second versant, nous avons relevé des aspects divergents des deux
pour enseigner, sous couvert d’une approche dalcrozienne qui est ici collecti-
enseignements concernés, sur le plan de l’orientation procédurale du travail
vement partagée et institutionnellement reconnue.
de l’élève à travers les devoirs. Nous avons essayé de montrer, arguments cli-
niques à l’appui, que cette orientation est davantage de l’ordre du dire que du
faire. En effet, les devoirs dévolus par l’enseignante de harpe, en termes de
consignes, sont souvent accompagnés d’un discours portant sur la manière de
travailler à la maison (savoirs techniques liés à l’instrument), ce qui est moins le Dans une perspective qui prend en considération les apprentissages des élèves
cas en chant. Mais comme la rétroaction sur les devoirs fait défaut, les effets vus dans leur progression, on pourrait avancer par ailleurs que:
de ce type de discours procédural relèvent plutôt des intentions enseignantes • si les devoirs sont configurés par l’enseignant de sorte que l’élève dispose
que de son agir. d’outils pour traiter une tâche/des tâches qui apporte(nt) du nouveau dans
son apprentissage (ne serait-ce que quelque chose de l’ordre du changement
Nos contributions envisagent par ailleurs de mettre en évidence, de manière de perspective par rapport aux savoirs et leur organisation), il y a logiquement
globale, une convergence des conceptions de mise au travail de l’élève, de de fortes chances pour que les devoirs en question contribuent à une pro-
l’expertise qu’on lui attribue à travers les tâches impliquées par les devoirs à la gression / un développement de l’élève59. Evidemment, tout est à prouver
maison et enfin des attentes de formation y relatives. Cela se traduit rapide- cliniquement, à travers une analyse didactique d’ordre qualitatif et quantitatif.
ment par le fait que les enseignements musicaux apparaissent comme priori-
tairement orientés par des objectifs relevant de la performance musicale (en • la manière dont les devoirs sont didactiquement aménagés pour être pris en
tant que produit). Paradoxalement, ce constat est aussi valable, en grande charge par l’élève, en fonction de son rôle topogénétique, mais aussi de la
mesure, pour l’enseignement de la musique à l’école obligatoire. Joliat (2011) fonction que l’enseignant leur assigne dans son dispositif, pourrait mettre
nous rappelle à ce propos, que les pratiques d’enseignement du XXe siècle en évidence les modalités d’une progression visible / audible de l’élève dans
apparaissent -et dans les contenus et les visées sous-jacentes, et dans les pos- ses apprentissages musicaux.
tures convoquées- comme davantage tributaires de logiques d’apprentissages
spécifiques au conservatoire qu’adaptées aux conditions d’encadrement des 5.4.3b Catégories d’analyse spécifiques à l’approche didactique
élèves à l’école obligatoire. Or au XXIe siècle, on le constate encore: le résultat des devoirs à domicile
musical en termes de performance d’interprétation d’œuvres soumise à des A partir de nos questions de recherche60, nous avons proposé les catégories
impératifs institutionnels de réussite l’emporte sur la construction d’outils / d’analyse suivantes des devoirs:
procédures / stratégies d’apprentissage58. • Leurs forme et contenu (la forme énonciative qu’ils revêtent, la nature des
contenus sur lesquels ils portent, les savoirs et les types d’activité cognitive
106 qu’ils impliquent de la part de l’élève);
107
5.4.3 Eléments méthodologiques
• leur ancrage matériel / symbolique (quel est le milieu d’étude sur lequel l’élève
5.4.3a. Les devoirs en tant qu’outils de développement de l’élève / doit s’appuyer pour remplir la tâche dévolue comme devoir à domicile?);
de l’étudiant
A quelles conditions pourrait-on affirmer qu’un devoir à domicile peut remplir • le degré de leur articulation aux objets travaillés en classe, en amont et en aval
la fonction d’outil d’apprentissage / d’enseignement / de développement pro- de leur dévolution;
fessionnel?
Au regard de nos analyses, cette condition pourrait être explicitée comme suit: • leurs visées en termes de progression des élèves dans les apprentissages / leur
rôle sur le plan de la construction de l’autonomie de l’élève:
a. un devoir devient un outil pour l’élève et pour l’étudiant si ce dernier
aménage le devoir dans ses formes, contenu et enjeux, de telle manière que • leur place dans les transactions formateur-étudiant (les devoirs en tant
non seulement l’élève puisse être orienté dans la construction autonome qu’objet de formation).
de stratégies de résolution de tâches (ce qui suppose un défi), mais que
l’étudiant puisse à son tour en faire un outil pour son enseignement (i.e. que Nous avons analysé tout d’abord le fonctionnement des devoirs dans les tran-
le devoir constitue un élément structurant de son enseignement sur le plan sactions étudiant-élève (i.e. les leçons), ensuite les transactions formateur-étu-
de la construction de la progression de l’élève dans ses apprentissages; diant portant sur les devoirs conçus à l’intention de l’élève et leur place dans la
construction du dispositif didactique de l’étudiant (comment sont thématisés
b. un devoir devient un outil de formation professionnalisante s’il fait les devoirs dans les feedbacks?)
l’objet de transactions entre formateur et formé, dans une visée d’utilisation
des devoirs pour l’élève au sens explicité sous a).

58
Il s’agit d’un constat qui ne doit pas être considéré comme généralisant. En effet, ainsi que le 59
Si on affirme que sous certaines conditions, les devoirs à domicile pourraient constituer des leviers
montrent Baume-Sanglard & Jacquod (2011), «contrairement à une formation spécialisée dispensée pour la progression des élèves dans leurs apprentissages, nous ne voulons néanmoins pas suggérer
dans une HEM ou un conservatoire, [à la Haute Ecole Pédagogique BEJUNE] la formation musicale que l’absence des devoirs n’amènerait pas à la progression de l’élève.
par le piano et non le piano comme but en soi est le fondement de [l’/cet] apprentissage» des 60
Pour la présentation de la cette problématique et des questions de recherche y relatives, nous
étudiants en formation initiale (p. 81 et passim). renvoyons le lecteur à la partie «Problématiques et questions de recherche».
Démarches concrètes d’analyse:

• analyse distributive des Mh dans l’économie des leçons et des séances de


feedback (fréquence, répartition, évolution, etc.)

• analyse a priori des enjeux didactiques des devoirs en tant que types de tâches
d’élève (Leutenegger, 2009, Ligozat, 2009 et 2015; Dolz & Leutenegger,
2015): les savoirs explicites ou implicites (techniques ou interprétatifs) qu’ils
convoquent; leur rapport avec les contrats didactiques (en amont et en aval);
le milieu d’étude qui les structurent;

• analyse du potentiel des devoirs sur le plan de la construction d’outils d’appren-


tissages en autonomie;

• les transactions formateur-étudiant portant sur les contenus et les fonctions


didactiques des devoirs de l’élève à domicile (les devoirs en tant qu’outil de
professionnalisation).

108 109
6. au terme De
cette étuDe
…Il importe de rappeler que sa
réalisation n’a été possible que
grâce à la collaboration active
d’une vingtaine de profession-
nels, tous très engagés dans
leurs tâches et leurs missions !

110 111
Si une telle configuration peut
paraître banale, nous sommes, quant
à nous, conscients qu’elle n’est pas,
et de loin, habituelle. En effet, si la
responsabilité individuelle des for-
mateurs, par rapport aux étudiants
qu’ils forment, est essentielle, la
collaboration à un projet collectif
sur deux ans ne va pas de soi!
D’autant que furent concernés, du-
rant ces deux ans, des didacticiens
de différentes disciplines (didactiques
du violon, du violoncelle, de la harpe,
112 du piano, du chant, du trombone, de 113
la rythmique Jaques-Dalcroze)!

Seules une ouverture d’esprit commune


à ce collectif, doublée d’une assiduité sans
faille, ont permis d’atteindre les objectifs
de recherche. Le lecteur aura probablement
amorcé sa lecture en prenant connaissance,
au début de ce rapport de recherche, (chapitre 1,
Enjeux et apports du projet fns n° 100019-156730,
1.1 Principaux apports de l’étude) des apports de cette
étude. Il peut maintenant y retourner et retraverser cette
présentation synthétique, si la démarche l’a intéressé…

Enfin, il importe aussi de souligner que c’est grâce au collectif


que l’expertise des formateurs concernés, à un moment particulier de
l’histoire des institutions de formation d’enseignants de musique, a pu être
mise en lumière. Nous sommes très heureux que la «traçabilité» du geste de
définition du formateur en didactique instrumentale, analysée d’un point de
vue didactique, nous ait, à tous, permis de (mieux) comprendre des modes de
professionnalisation «in vivo» qui concernent de futurs collègues enseignants
de musique…
7. bibliographie

114 115
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https://www.unige.ch/fapse/dam/recherche/donnees/professionnalisation-enseignants/
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