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Vous nous interrogez, par courrier du 5 mars 2021, au sujet d’une convention que
souhaite établir une commune par laquelle celle-ci mettrait à disposition de l’antenne
locale de la Croix-Rouge française un bâtiment à réhabiliter afin d’y implanter pour 20 ans
le lieu d’exercice de sa mission de Samu social.
Vous indiquez que « cette mise à disposition aurait lieu à titre symbolique (1 euros) pour toute la
durée, la commune récupérant les bâtiments rénovés et entretenus à l’issu de cette convention ». Vous avez
pensé que cette convention pourrait être un bail emphytéotique administratif. Vous vous
posez diverses questions à ce sujet :
On fera observer que la conclusion d’un BEA n’est pas réservée au seul domaine public ;
il peut également être conclu sur les biens relevant du domaine privé. En l’espèce, nous ne
connaissons pas le régime juridique du bâtiment que la commune entend donner à bail
emphytéotique administratif (BEA) à l’antenne locale de la Croix-Rouge et il ne nous est
pas possible de le déterminer et l’état des informations dont nous disposons.
L’article L. 1311-2 du CGCT dispose qu’« un bien immobilier appartenant à une collectivité
territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique prévu à l’article L. 451-1 du code rural et de la
pêche maritime en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ou en
vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public. Ce bail emphytéotique
est dénommé bail emphytéotique administratif ».
Néanmoins, pour qu’un BEA puisse être conclu sur un bien public il faut que les
conditions de l’article L. 1311-2 du CGCT soient réunies : l’activité prise en charge par le
preneur doit être une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la
commune.
Peut-on considérer que l’activité de Samu social pourrait relever des compétences du
bailleur public (au sens de l’article L. 1311-2 du CGCT) ?
A priori, cela ne semble pas impossible. Rappelons qu’une activité de Samu social (Service
ambulatoire d’urgence sociale) consiste à venir en aide aux personnes démunies. On peut
lire, notamment, sur le site internet de la Croix-Rouge que « le dispositif d’urgence sociale de la
Croix-Rouge française regroupe les activités d’accueil, d’information et de réponse immédiate aux besoins
vitaux des personnes sans abri ». Cette mission s’exerce à travers trois objectifs :
Il est vrai que le département dispose d’une compétence de principe en matière d’aide
sociale. Ce rôle dans le secteur social a notamment été confirmé par la loi n° 2015-991 du
7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dispose que le
département est compétent « pour mettre en œuvre toute aide ou action relative à la prévention ou à
la prise en charge des situations de fragilité, au développement social, à l'accueil des jeunes enfants et à
l'autonomie des personnes. Il est également compétent pour faciliter l'accès aux droits et aux services des
publics dont il a la charge. Il a compétence pour promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale sur le
territoire départemental, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des régions et des
communes ». En outre, l’article L. 123-2 du Code de l’action sociale et des familles (CASF)
souligne que « le service d'aide sociale départemental a pour mission générale d'aider les personnes en
difficulté à retrouver ou à développer leur autonomie de vie ».
Néanmoins, comme l’affirme M****** L***, « la commune, échelon de proximité, est amenée à
mettre en place un certain nombre de prestations et de services pour répondre aux besoins de la population
[…]. Cette intervention va de la création de crèches, cantines scolaires, à la mise en place de services de
portage de repas à domicile ou de systèmes de télésurveillance pour les personnes âgées »8.
L'article 145 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 rappelle que « les communes constituent le
premier niveau d'administration publique et le premier échelon de proximité ». À ce titre, « les communes
et leurs groupements ont vocation à assurer, à égalité de droits avec la région et le département, les
responsabilités qui sont exercées localement ».
En outre, on fera observer que la commune peut créer un CCAS (centre communale
d’action sociale). La création d’un tel établissement public est obligatoire dans les
communes de plus de 1500 habitants et facultative dans les communes de moins de 1500
habitants9. L’article L. 123-5 du CASF dispose, « le centre communal d'action sociale anime une
action générale de prévention et de développement social dans la commune, en liaison étroite avec les
institutions publiques et privées. Il peut intervenir sous forme de prestations remboursables ou non
remboursables ».
Enfin, il faut rappeler que la commune a toujours était considérée – du fait de son rapport
de proximité avec la population –comme compétente pour exercer un rôle en matière
sociale sur son territoire, dans le respect du principe de liberté du commerce et de
l’industrie10 et du droit de la concurrence11.
L’ensemble de ces éléments démontrent, selon nous, que la commune est compétente
pour prendre en charge – parallèlement au département – une action d’aide sociale. En
l’espèce, il nous semble donc possible d’affirmer que la mission de Samu social qu’entend
mettre en œuvre la Croix-Rouge dans le bâtiment que la commune souhaite lui donner à
bail n’est – à tout le moins – pas « étrangère » aux compétences qu’exerce la commune sur
son territoire.
Conclusion : à la lumière des éléments qui précèdent, il nous semble que la conclusion
d’un BEA entre la commune et l’antenne locale de la Croix-Rouge, pour permettre à cette
association d’exercer une mission de Samu social est légale. Nous ferons toutefois
observer que la conclusion d’un bail emphytéotique de droit privé est également possible,
dès lors que le bâtiment donné à bail relève du domaine privé de la commune.
Sur le plan juridique, la situation peut d’abord dépendre du régime domanial du bien (en
l’espèce, nous ne le connaissons pas12). Si le bien relève du domaine public, on sait en
effet que le régime de l’utilisation privative exige, en principe, le paiement d’une redevance
qui « tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation »13. Par
dérogation au principe du caractère « onéreux » de l’utilisation privative du domaine
public, l’avant-dernier alinéa de l’article L. 2125-1 du CGPPP dispose « l'autorisation
d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement aux associations à but
non lucratif qui concourent à la satisfaction d'un intérêt général ».
Est-ce à dire que si le bien relevait du domaine privé, un loyer symbolique d’un euro ne
serait pas possible ? La réponse à cette question est négative.
En effet, il faut admettre que la mise à disposition à titre gratuit (ou au prix d’un euro
symbolique) d’un bien appartenant à une commune à une association peut s’analyser
comme une subvention « en nature ».
Les subventions sont définies, par l’article 9-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000
relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, comme « les
contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l'acte d'attribution, décidées par les autorités
administratives et les organismes chargés de la gestion d'un service public industriel et commercial, justifiées
par un intérêt général et destinées à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la
contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit
privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de
droit privé bénéficiaires ».
Pour que la commune puisse accorder une telle aide (conclusion d’un BEA au loyer d’un
euro symbolique), cette dernière à répondre – en l’espèce – à un « intérêt public local ».
L’article L. 2121-29 du CGCT dispose : « le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires
de la commune ». La « clause générale de compétence » permet à une commune d’agir, sans
excéder ses compétences, dans tous les domaines présentant un « intérêt public local »15,
alors même qu’aucun texte particulier ne lui en confie le soin. L’intérêt public local
concerne la satisfaction des besoins de la population. Pour revêtir un « intérêt public
local », la décision doit concerner un intérêt « public ». L’intervention de la collectivité ne
peut donc pas servir un intérêt purement privé16. L’intérêt public local est apprécié
largement et le conseil municipal dispose d’une marge de manœuvre importante pour
déterminer ses contours.
Ainsi, le Conseil d’Etat a par exemple considéré que la création d’un cabinet dentaire par
une commune, ouvert à la population, répondait à un intérêt public local alors même que
d’autres cabinets privés existaient dans la commune17.
Le juge s’attache à rechercher si, dans les circonstances de l’espèce, la décision prise par la
commune satisfait un besoin local de la population. Le juge n’exerce donc qu’un
contrôle limité sur les buts poursuivis par l’autorité délibérante.
Nous ferons d’ailleurs observer que, dans votre dossier, cette possibilité est confortée par
le fait que l’avis des domaines – qui est, en principe, destiné à évaluer la valeur locative
réelle/marchande du bien – valide ce loyer symbolique.
Il ne s’agit cependant, selon nous, pas d’un « blanc-seing » et il reste indispensable que
l’aide accordée à l’association (la subvention en nature) revête un « intérêt public local ».
Pour répondre à cette question, il faut l’évaluer tant du point de vue du droit de la
commande publique, que du droit domanial.
En revanche, si le bail n’est destiné qu’à répondre aux besoins propres de l’activité de
Samu social que met en œuvre l’association, que la commune ne lui impose aucune
obligation particulière et qu’elle n’exerce aucun contrôle sur ses activités, le bail (BEA ou
bail emphytéotique « classique ») ne pourra pas être requalifié en contrat de la commande
publique. Aucune obligation de publicité et de mise en concurrence ne s’imposera donc
préalablement à sa conclusion (même si ce dernier est conclu pour un loyer d’un euro
symbolique).
Or, il nous semble que l’activité de Samu social qu’exerce l’antenne locale de la Croix-
Rouge ne revêt pas la qualité d’activité économique. La délivrance de l’autorisation
domaniale qu’entend octroyer la commune à l’association (qu’il s’agisse d’un BEA ou d’un
bail emphytéotique « classique ») ne sera, selon nous, subordonnée à aucune exigence de
publicité et de sélection préalable au titre du droit domanial.
Nous vous prions d'agréer, Mon Cher Confrère, l'expression de nos sentiments dévoués.
3 CE, sect., 11 février 1994, Compagnie d’assurances Préservatrice Foncière, Rec. p. 64.
4 En ce sens : CE, 7 avr. 2011, n° 320262, SA HLM des élèves de l’école centrale et manufactures,
Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 185, note G. Eckert
6 Rappelons, en effet, que la conclusion d’un bail emphytéotique de droit privé sur le domaine
public est illégale : CE, 6 mai 1985, Association Eurolat et Crédit foncier de France, Rec. p. 141
11 CE, ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, Rec. p. 272.
12 Cf. supra.
15 CE Sect. 30 mai 1930, Chambre syndicale de commerce en détail de Nevers, Lebon 583 ; RDP 1930-
530, concl. Josse ; S. 1931. 3. 73, concl. Josse, note Alibert.
16 CE 11 oct. 1929, Berton, Lebon 894 ; CE 21 juin 1993, Commune de Chauriat c. Lebris, Rec. T., p.
650.
17 CE Sect. 20 nov. 1964, Ville de Nanterre, Lebon 563 ; AJDA 1964. 686, chron. Puybasset et
Puissochet ; Rev. adm., 1965, p. 31, note Liet-Veaux.
18 CCP, art. L. 2.
20 La distinction domaine public/domaine privé est en effet indifférente pour le droit de l’Union
européenne. Sur cette question, v. notamment N. FOULQUIER, « Les catégories du droit des
biens publics » in J.-B. AUBY (dir.), L’influence du droit européen sur les catégories du droit public, Dalloz,
2010, p. 691.