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Commentaire littéraire rédigé

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Introduction
[Amorce] Au XVIe siècle, aux côtés des souverains (papes, rois, princes, empereurs), émerge la
figure de courtisan, en politique puis en littérature. Les humanistes – Érasme, La Boétie,
Montaigne –, lucides sur les hommes et leurs travers, analysent la nature véritable de ces serviteurs
zélés des puissants. [Présentation du texte] Le poète de la Pléiade Du Bellay qui, à Rome, a fait
l'amère expérience de la cour du pape Jules III, décrite dans son recueil des Regrets, évoque dans le
même ouvrage ses retrouvailles avec la « France, mère des arts […] et des lois ». Il constate que la
cour du roi Henri II ressemble à celle du prélat débauché : il quitte alors le ton élégiaque et
emprunte une veine satirique, à laquelle il s'est déjà exercé, pour retracer son séjour parmi les
« vieux singes de cour ». [Problématique] Comment le poète transforme-t-il son expérience
personnelle en une peinture dénonciatrice ? [Annonce des axes] À travers une succession de
saynètes prises sur le vif [I], non seulement il dévoile les vices de ces « vils » courtisans mais il fait
aussi implicitement le procès de la cour et de ceux qui gouvernent [II]. En filigrane, le sonnet révèle
aussi les sentiments et la personnalité d'un auteur qui se confie au lecteur dont il veut faire son
allié [III].

I. Une suite de saynètes croquées sur le vif


Du Bellay trouve dans son expérience personnelle de la cour et du spectacle qu'elle lui offre la
matière à une succession de croquis pittoresques, pris sur le vif.
1. La variété des scènes
Dans les limites restreintes du sonnet (14 vers), Du Bellay croque sept petites saynètes variées. Il
peint les courtisans d'abord de loin, en plan d'ensemble et en mouvement. La pesanteur solennelle
de leur « marcher » (v. 3) est rendue par le rythme lent et lourd du premier quatrain au triple
enjambement. Le poète s'attarde ensuite sur leur mise somptueuse, leur « pompeux appareil » (v. 4)
qui suggère des couleurs vives.
Puis il se rapproche, il peint leurs diverses postures, calquées sur l'attitude du souverain, leur
« maître » (v. 7), une dépendance qui confine à l'absurde (v. 8). Du Bellay montre ensuite, comme
s'il pouvait démasquer leurs sentiments, que la servilité cache une réalité intime plus sombre (« bien
qu'ils crèvent de rage »).
Le sonnet se clôt sur un gros plan presque grotesque où le groupe des courtisans se résume à un seul
« visage » absurdement hilare (v. 14).
2. Tout un monde défile sous les yeux du poète
Du Bellay reconstitue tout un monde dans sa variété.
Les courtisans au premier plan forment un personnage collectif, ils ne sont jamais individualisés,
toujours désignés par le pronom personnel pluriel « ils ». Autour d'eux, les puissants qui
gouvernent sont individualisés par leur fonction (« les princes », « leur maître », « le roi »), mais
eux aussi croqués dans leurs divers comportements (moquerie, v. 5 ; mensonge, v. 6 ; attitude
accueillante, v. 9).
Surgissant comme une ombre au sein du cortège de la comédie, il y a ce « quelqu'un » (v. 9) rejeté
dans l'anonymat, que l'on « caresse » ou « montre du doigt » : sa fonction est importante car il est
le révélateur de la vraie nature des courtisans.
Enfin, témoin discret mais attentif, présent dès le premier vers (« je »), se tient le poète-peintre qui
réapparaît à la fin du poème (v. 12). Le sonnet se construit pour ainsi dire sur une mise en
abyme : le lecteur auquel s'adresse directement Du Bellay dès le premier mot (« Seigneur ») « voit »
le poète qui lui-même « regarde » tout ce monde de la cour qui s'agite.
3. Une caricature plus qu'un tableau
L'ensemble de ces saynètes est marqué par l'exagération déformante.
L'animalisation qui ouvre le poème place ces mini-portraits sous le signe de la caricature. Les
courtisans sont animalisés de façon ironique (par la ressemblance du primate avec l'homme !) et
dégradante : « vieux singes » suggère la décrépitude, la laideur et le grotesque des mimiques.
Du Bellay joue sur des rythmes marqués : la solennité du premier quatrain, et, dans les autres
strophes, le recours insistant à une syntaxe binaire (« Si… ils…/S'il… eux…/Si quelqu'un…
ils… ») donnent de la vigueur à la dénonciation et traduisent formellement le comportement
mécanique des courtisans.
Les oppositions fortes, le contraste hyperbolique (organisé en chiasme) entre « lune-midi » et
« minuit-soleil » et l'opposition entre les mots à la rime (« faire/contrefaire », « pareil/contraire »,
« bon visage/rage ») composent un monde où les courtisans sont des marionnettes déréglées, qui
oscillent absurdement d'un extrême à l'autre.
La chute sur un « rire » stupide complète la caricature des « vieux singes ».

II. La satire des courtisans et des « puissants »


Le poète à travers ces saynètes se livre à une satire impitoyable du courtisan ainsi que de ceux qui
gouvernent.
1. Des êtres serviles et vides
Le choix du « singe » (« singer » signifie « imiter »), le vocabulaire de l'imitation (« contrefaire »,
« feront le pareil »), les expressions comparatives (« comme eux » ou « ce ne sont eux qui diront le
contraire »), tout cela désigne le courtisan comme un histrion qui copie la tenue du « prince » (« se
vêtir »), sa démarche (v. 3), ses gestes (v. 9, 11, 14) et ses propos (« diront ») de façon à
« complaire » à ce royal modèle.
Mais, à la différence du véritable comédien qui interprète, le courtisan se comporte de
façon mécanique et maladroite, comme l'indique le jeu des temps verbaux : au présent qui rapporte
les actions du roi (« se moque », « ment ») répondent aussitôt le futur de certitude qui renvoie à la
réaction des courtisans (« feront, diront, vont caresser ») ou le présent de répétition (« montrent, se
prennent »).
Ce comportement extérieur est fondé sur une profonde aliénation. Le terme de « maître » (v. 5), le
verbe « complaire » soulignent la servilité délibérée de ces quasi esclaves, que dénonçait déjà La
Boétie dans son Discours de la servitude volontaire (1546-1548). Personnages versatiles sujets à de
brusques transformations (comme le marque le contraste entre les deux attitudes décrites aux vers 9
à 11), les courtisans sont vides de toute volonté comme en témoignent les négations (« ne… rien »,
v. 2 ; « ne… pourquoi », v. 14), qui annulent le verbe « savoir ». Sans personnalité et sans réflexion,
ils ignorent eux-mêmes ce qui les fait agir.
2. Une satire de la vie de cour
Le présent dans le sonnet prend aussi une valeur de vérité générale, il incite à élargir la
dénonciation : il cible les lois qui régissent la cour royale, et pourquoi pas la comédie universelle de
l'homme face au pouvoir ?
Le poète pourrait dire ironiquement que « la plus grande vertu » de la cour est l'hypocrisie : le verbe
« contrefaire », les antithèses mises en relief à la rime (« bon visage »/« rage ») ou à l'intérieur d'un
même vers (« caresser »/« rage », v. 10), l'inquiétante allitération en « s » (v. 2 et 3) soulignent que
les courtisans se composent un « visage » menteur. La dissimulation culmine dans
l'éclatante absurdité formulée à travers une puissante antithèse (« [ils] auront vu […] / La lune en
plein midi, à minuit le soleil »). Après avoir donné des exemples concrets significatifs, Du Bellay
lance une accusation explicite à la rime du vers 13 avec l'adjectif « hypocrite ».
Dans la comédie courtisane règnent l'ambition et la jalousie, qui transparaissent dans la « rage »
contenue (le mot est mis en relief à la rime), mais aussi la cruauté : elle se manifeste par le geste
agressif de « montre[r] du doigt », qui exclut impitoyablement autrui.
3. La mise en cause implicite des gouvernants
À travers les courtisans, la satire vise plus haut : elle remet en cause le comportement des puissants
et du « roi », modèles singés par les courtisans qui en proposent une image déformée. Quelle valeur
exemplaire a celui qui, ici, se moque ou ment, alors qu'on le pensait mu par la sagesse et la vertu ?
qui, avec son « pompeux appareil », se plaît au luxe et à l'excès ? se comporte en « maître » tyran et
non en roi éclairé ? préfère le mensonge et la folie (v. 8) à la vérité ? fait par caprice tantôt « bon
visage », tantôt « mauvais » ? n'hésite pas à exclure celui qui ne lui « complaît » pas ? Modèle
négatif, metteur en scène sinistre d'une comédie par laquelle il conforte son pouvoir, il n'a rien d'un
Grandgousier ou d'un Gargantua, rois humanistes créés par Rabelais.

III. Le poète et son lecteur, témoins éclairés


Quelle est dans cette comédie la place du poète et de son lecteur ?
1. L'implication de Du Bellay
Dans un poème où il affirme d'emblée sa présence (« je », v. 1) et la réitère à la fin (v. 12), Du
Bellay laisse transparaître sa subjectivité (« je ne saurais regarder d'un bon œil »), sa réprobation et
un mépris (souligné par le démonstratif péjoratif « ces », v. 2). Il semble excédé : l'attaque du
sonnet, polysémique, est autant une apostrophe à un destinataire qu'une interjection équivalant à un
« Mon Dieu ! » exaspéré ; le mot « singes » sonne comme une insulte et le verbe « dépite » (qui
rime avec « hypocrites ») est très fort.
Du Bellay se donne le rôle du censeur qui démasque les comportements. Il affirme sa supériorité sur
la cour qu'il blâme : lui, qui a gardé son intégrité, ose « parler » et, en refusant de « singer » le
« maître », il se démarque des animaux de cour. La brièveté et le caractère incisif du sonnet en font
ici un outil de moraliste mis au service d'un acte de résistance qui le valorise.
2. Le lecteur : un « Seigneur » pris à témoin
Un autre aspect de la situation d'énonciation confère au lecteur un statut particulier.
L'apostrophe initiale indique que Du Bellay s'adresse directement à un lecteur pris à témoin. Il a
droit au titre honorifique de « Seigneur » refusé aux courtisans. Ce lecteur se sent d'emblée élevé
au-dessus des « animaux de cour » : le poète le dote habilement d'un statut égal au sien, il fait de lui
son pair et son allié.
L'imprécision de l'apostrophe (le destinataire n'est pas nommé) donne au poème la dimension
d'une lettre ouverte adressée à ceux qui, comme le poète, refusent cette mascarade et montrent qu'on
peut être « Seigneur » sans s'abaisser à des grimaces indignes d'un humaniste.

Conclusion
[Synthèse] Du Bellay choisit la concision du sonnet, d'ordinaire voué au lyrisme élégiaque et à
l'expression des sentiments intimes, pour donner plus de force à une satire sévère des courtisans et
des puissants, notamment du roi. Paradoxalement, c'est à travers une forme fixe très codée que le
poète montre sa liberté d'esprit. [Ouverture] Il ouvre la voie à une lignée illustre : les moralistes
du XVIIe siècle, comme La Fontaine qui, dans « Les Obsèques de la Lionne », accable le « peuple
caméléon, peuple singe du maître », ou La Bruyère qui décrit dans ses Caractères « ce peuple [qui]
paraît adorer le prince ». Deux siècles plus tard le philosophe des Lumières Diderot dénoncera lui
aussi dans son Neveu de Rameau cette « pantomime […] des flatteurs, des courtisans, des valets et
des gueux » qui est, pour lui « le grand branle de la terre ».
Observation et analyse d'un commentaire littéraire

Joachim Du Bellay, Les Regrets, 1558.

Dans ce sonnet, Du Bellay se moque des courtisans : « les singes de cour » dont il critique
l'hypocrisie.

Seigneur(1), je ne saurais regarder d'un bon œil


Ces vieux singes de cour, qui ne savent rien faire, 1. Apostrophe conventionnelle en
Sinon en leur marcher(2)les princes contrefaire(3), début de sonnet. Du Bellay adresse
Et se vêtir, comme eux, d'un pompeux appareil. son poème à un puissant.
5 Si leur maître se moque, ils feront le pareil, 2. Leur façon de marcher.
S'il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire,
3. Imiter.
Plutôt auront-ils vu, afin de lui complaire(4),
La lune en plein midi, à minuit le soleil. 4. Plaire.
Si quelqu'un devant eux reçoit un bon visage(5), 5. Reçoit un bon accueil du roi.
10 Ils le vont caresser, bien qu'ils crèvent de rage :
6. Me contrarie.
S'il le reçoit mauvais, ils le montrent du doigt.
Mais ce qui plus contre eux quelquefois me dépite(6),
C'est quand devant le roi, d'un visage hypocrite,
Ils se prennent à rire, et ne savent pourquoi.

Joachim Du Bellay, Les Regrets, 1558.

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