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TCHAWA NIANOU Alex Introduction à la Science Politique

Cours d’Introduction à la Science Politique


du Prof. Claude Ernest KIAMBA
Introduction
Chapitre 1. Les fonctions de théorie
1.1 L’utilité des théories.
1.2 Les postulats de la démarche scientifique.
1.3 Les fonctions de la théorie politique.
Chapitre 2. Une science à la recherche de son objet
2.1. La période gréco-romaine.
2.2. La période chrétienne
2.3. La période de la Renaissance et du libéralisme montant.
2.4. La période « moderne »
2.5. Résumé
Chapitre 3. La théorie marxiste
3.1. Les principes de base : le matérialisme historique.
3.2. La théorie marxiste de l’état.
3.3. L’héritage de Marx.
3.4. Les apports de Lénine.
3.5. Les apports de Gramsci.
3.6. L’état gestionnaire de l’économie capitaliste.
3.7. Résumé
Lectures complémentaires.
Chapitre 4. La théorie du pouvoir politique
4.1. La théorie des groupes de pression.
4.1.1. La notion de groupe de pression.
4.1.2. Comment s’exerce la pression des groupes ?
4.1.3. Où se fait la pression ?
4.1.4. Les fonctions des groupes de pression.
4.1.5. La notion de conflit.
4.1.6. Tendances actuelles de la recherche.
4.1.7. Résumé et critique.
4.2 La théorie des parties politiques.
4.2.1. La loi d’airain de l’oligarchie.
4.2.2. Les causes organiques.
4.2.3. Les types de parties.
4.2.4. Les fonctions des parties politiques.
4.2.5. Résumé et critique.
Chapitre 5. Les théories élitistes
5.1. Les principes de base.
5.2. La concentration du pouvoir : C.W. Mills.
5.3. Résumé et critique.
Lectures complémentaires.
Chapitre 6. La théorie de la polyarchie

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6.1. Le principe de base : La concurrence des leaders.


6.2. Les conditions de la polyarchie.
6.3. Résumé et critique.
Lectures complémentaires.
Chapitre 7. La théorie politique d’inscription économique
7.1. Les principes de base.
7.2. La logique du choix.
7.3. La logique du choix des gouvernements.
7.4. La logique du choix des citoyens.
7.4.1. Le jeu politique en situation d’information parfaite.
7.4.2. La logique du choix en situation d’information imparfaite.
7.5. Résumé et critique.
Lectures complémentaires.
Chapitre 8. La théorie systématique
8.1. Les principes de base.
8.2. Le concept de système.
8.3. Le concept de système politique.
8.4. Le concept de persistance.
8.5. Le fonctionnement du système politique.
8.6. Les inputs.
8.7. Les soutiens.
8.8. Les exigences et les soutiens comme source de stress.
8.9. La production des outputs et la boucle de rétroaction.
8.10. Résumé et critique.
Lectures complémentaires.

Conclusion.

Introduction
Introduire signifie présenter succinctement les éléments les plus déterminants de la
littérature théorique en science politique. Une telle démarche exclut l’exhaustivité car elle impose
des choix guidés par un souci pédagogique d’intelligibilité progressive. En conséquence, cet
ouvrage ne s’adresse pas à des spécialistes, mais plutôt à des esprits curieux qui en sont à leurs
premiers pas dans la compréhension du phénomène politique. Il ne faut pas y chercher d’apport
nouveau et original à la discipline. Notre contribution a consisté à synthétiser la littérature existante
et à la présenter de façon structurée et facile d’accès pour tout novice en la matière.
Nous avons tenté d’intégrer les diverses théories en usage en science politique en respectant
la démarche scientifique qui procède par l’accumulation des connaissances. Nous avons opté pour
une grille chronologique éliminant autant que possible le préjudice idéologique. Cette façon de
procéder nous permettait de baliser l’évolution de la science politique et de marquer avant tout le
passage de la philosophie politique à la théorie scientifique, ces deux domaines étant souvent
confondus dans les manuels de théorie politique. Cette organisation chronologique de la littérature
n’est pas toujours adéquate puisqu’en science politique il y a plusieurs théories concurrentes qui se
chevauchent dans le temps. Cette grille de lecture, malgré ses limites, a toutefois l’avantage de
distinguer et de situer les diverses théories les unes par rapport aux autres et de faciliter ainsi la
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compréhension de la science politique qui est trop souvent perçue comme un univers abstrait,
confus et rebutant.
Nous avons aussi choisi de ne retenir que les approches théoriques qui se rapportent à la vie
politique interne des sociétés, ce qui exclut les théories en relation internationales, quoique certains
modèles présentés dans ce manuel, comme le marxiste ou l’analyse systémique, puissent toujours
par extension, s’appliquer aux relations internationales. Nous devons aussi préciser que notre champ
d’investigation ne s’étend pas systématiquement à toutes les théories politiques, mais se concentrent
sur les principaux modèles en usage et n’englobe pas toutes les versions ou les multiples
interprétations particulières de ces modèles. Par souci de concision, nous avons choisi de présenter
les théories les plus classiques ou les plus générales et de négliger les théories portant sur des
questions spécifiques comme les élections, le développement ou la modernisation politique, la
socialisation, le leadership, la bureaucratie, etc.

Chapitre 2 : Une science à la recherche de son objet


Le premier pas de tout effort théorique consiste à définir l’objet, à désigner ses principaux
attributs et finalement à comprendre de quelle manière cet objet est lié à ceux qui lui sont adjacent
ou voisin. Pour la science politique, cette mise en place ne s’est pas produite instantanément, au
contraire. De l’antiquité grecque jusqu’à nos jours, on peut distinguer un effort progressif pour
définir l’objet du politique.
Dans ce chapitre, nous retraçons les principales tentatives d’élaboration de l’objet politique.
Nous prenons pour point de départ l’Antiquité grecque et nous nous rendons jusqu’au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale, au moment où la science politique a revêtu ses formes actuelles.

2.1 La période gréco-romaine : une réflexion normative soumise à la morale


Les premiers essais pour penser le politique dans le monde occidental remontent aux
philosophes grecs. Certes, le phénomène politique existait avant cette époque ou dans d’autres
régions du monde, mais aucun fragment de théorisation ne nous est parvenu.
Le concept de politique vient du mot grec Polis (en grec dans le texte) qui signifiait
l’ensemble des citoyens qui habitent la ville. Le concept de Polis est à la fois plus large et plus
restrictif que ce que nous entendons aujourd’hui par le mot ville. Ainsi, la ville chez les Grecs
n’était pas limitée par une frontière précise et désignait une réalité qui se rapproche plus de ce que
nous appelons l’État. Mais tous ceux qui habitent la ville d’Athènes n’étaient pas considérés
comme des citoyens ; les esclaves et les métèques (c’est-à-dire les étrangers) par exemple ne
pouvaient porter ce titre et participer aux décisions politiques.
Dans la philosophie grecque le mot politique a deux significations. Il désigne, premièrement,
la connaissance des principes de la gouverne collective et, deuxièmement, la pratique du
gouvernement ou l’art de diriger les affaires publiques. Ainsi, à l’origine, la théorie et la pratique
politique n’étaient pas dissociées ; alors qu’aujourd’hui, on a plutôt tendance à distinguer les deux
dimensions : le politique désignant la connaissance du phénomène et la politique la pratique, l’art
de faire de la politique.
Il faut enfin souligner que la philosophie grecque se caractérisait par des fortes
préoccupations éthiques, car la politique se définissait comme l’activité qui devait réaliser le bien.
La connaissance devait conduire à l’établissement du meilleur gouvernement possible.
Ainsi chez Platon1, qui vécut de 428 à 347 avant J. –C., la connaissance politique n’est pas
fondée sur des préoccupations stratégiques ; elle ne vise pas à établir les moyens à prendre pour
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conquérir le pouvoir. La préoccupation de Platon est plutôt de déterminer de façon spéculative ce


que serait un régime politique parfait en vertu du postulat suivant : le juste est préférable à
l’injuste. Dès lors, le but de la théorie politique est de découvrir les principes d’un gouvernement
qui ferait régner la Justice.
Il ne s’intéresse pas à ce qui est, mais à ce qui devrait être. Ainsi, dans la République2,
Platon ne cherche pas à connaitre les avantages respectifs des différents régimes politiques existant
à son époque, il tente plutôt de définir abstraitement ce que devrait être un régime politique parfait
et il conclut son analyse en soutenant que le meilleur régime politique serait celui qui serait dirigé
par ceux qui connaissent les principes de la gouvernance collective, les philosophes.
Un autre philosophe grec, Aristote3, qui vécut de 384 à 322 avant J. –C., définit la science
politique comme la science maitresse, celle qui est la plus générale et qui chapeaute les autres
champs du savoir. Chez Aristote, la politique est présentée comme un phénomène naturel et
nécessaire :
Il est donc évident que toute Cité est dans la nature, et que l’homme est naturellement fait
pour la société politique. Celui qui par sa nature, et non par l’effort du hasard, existerait sans aucune
partie, serait un individu détestable, très au-dessus ou très au-dessous de l’homme.
Si, pour Aristote, la vie en société est une caractéristique de la nature humaine, c’est parce
que l’homme cherche non seulement à vivre, mais aussi à bien vivre et, pour y arriver, il se donne
donc une organisation politique. Le raisonnement d’Aristote est le suivant : pris isolément, les
hommes ne peuvent se suffire à eux-mêmes ; ils ne peuvent satisfaire tous leurs besoins essentiels.
Pour s’assurer le bien-être, ils cherchent donc à s’associer et la politique est l’art d’associer les
hommes en communauté. Cette activité est au service du bien commun parce qu’elle définit le juste
et l’injuste ; par les lois qu’elle impose, elle prescrit et interdit.
Mais pour définir le régime qui permet d’atteindre la société juste, Aristote n’adopte pas la
même démarche que Platon. Il ne cherche pas à définir a priori ce que devrait être la Cité parfaite.
Sa méthode consiste à observer les différents régimes politiques qui avaient cours à son époque
(démocratie, aristocratie et tyrannie) et à comparer leurs effets pour déterminer lequel produit les
meilleurs résultats.
Dans la Grèce antique, non seulement la connaissance politique est considérée comme la
science maîtresse, mais elle est aussi liée à une éthique, à une conception de la perfection. Elle est
prescriptive, elle s’efforce de définir ce qui devrait être. Pour Platon, le bon gouvernement est celui
qui est dirigé par ceux qui possèdent la sagesse. Pour Aristote la perfection est définie de façon plus
empirique par l’analyse des constitutions. Dès l’origine, sont donc posés les principaux dilemmes
de la science politique, c’est-à-dire le rapport entre la théorie et la pratique, entre connaissance et
action, entre les faits et les valeurs.
Bien qu’Aristote reste profondément marqué par la volonté de trouver le bien, sa démarche
présente néanmoins un progrès dans la mesure où sa réflexion sur le « bien » a pour point de départ
une étude comparative de ce qui existe. L’objet commence donc à se constituer.
Dans la Rome antique, Cicéron4 (qui vécut de 106 à 43 avant J. –C.) prolonge l’œuvre des
penseurs grecs tout en ajoutant un volet que ces derniers avaient peu touché, c’est-à-dire le droit. À
Rome, le droit privé, le droit public, les bases constitutionnelles de la vie politique vont occuper
presque tout l’espace conceptuel de la théorie politique. La clé magique devient donc la « loi ». Les
Romains utilisent le terme Res Publica pour désigner la vie politique, ce qui signifie la « chose
publique ».’

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La république est la chose du peuple ; et par peuple, il faut entendre non tout assemblage
d’hommes groupés en troupeau d’une manière quelconque, mais un groupe nombreux d’hommes
associés les uns aux autres par leur adhésion à une même loi et par une certaine communauté
d’intérêts. Quant à la cause première de ce groupement, ce n’est pas tant la faiblesse qu’une sorte
d’instinct grégaire naturel, car le genre humain n’est point fait pour l’isolement et la vie errante.
Tout comme Aristote, Cicéron pense que la justice est un effet de la loi. Le citoyen doit donc
se conformer aux lois car, ce faisant, il obéit à la raison et peut réaliser son intérêt. La loi est donc
ce qui définit les droits et les devoirs du citoyen.
Les auteurs de l’antiquité vont exercer une influence gigantesque sur tout le développement
de la pensée et de la théorie politique. Les chrétiens, les penseurs de la Renaissance, et même les
fondateurs de la république américaine vont chercher à maitriser les concepts construits par les
penseurs de l’Antiquité.
Toutefois, les penseurs grecs ne sont pas déracinés de leur propre histoire. Ils ont une
conception restreinte de la démocratie, justifient l’esclavagisme et souhaitent un gouvernement
confié à des philosophes… La proximité entre la théorie et un jeu concret, soit le pouvoir, est
manifeste, et la distance entre le sujet et l’objet intervient peu dans les préoccupations des premiers
théoriciens politiques.

2.2 La période chrétienne : une réflexion normative soumise à la religion


« La révolution chrétienne » fut inaugurée par Saint Augustin5 qui vécut de 354 à 430 après
J.-C. Dans son livre, La Cité de Dieu6, saint Augustin, tout en maintenant le cap sur la recherche de
la perfection, introduit une distinction qui modifie radicalement le sens du politique. Cette mutation
s’explique par le contexte historique de la décadence de l’Empire romain qui s’effrite sous les
invasions barbares. L’Église prend la relève de Rome et devient une puissance temporelle. Elle
impose son autorité à l’ensemble de l’Europe et établit sa suprématie politique. Pour justifier ce
nouveau pouvoir, saint Augustin propose de distinguer entre la Cité de Dieu et la cité des hommes
et il veut démontrer que, pour les chrétiens, la première doit avoir la priorité sur la seconde.
Deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu fit la cité
terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi fit la cité céleste.
Marcel Prélot7 caractérise ainsi la contribution de saint Augustin è l’évolution de la pensée
politique : « Comme le peuple de Cicéron, le peuple selon La Cité de Dieu est défini comme un
agrégat humain, une multitude raisonnable, mais elle est unie par la paisible et commune possession
de ce qu’elle aime et non par le droit et l’intérêt. Nous passons avec saint Augustin d’une
conception juridique du politique à une conception affective ». La justice n’est plus fondée sur le
respect des lois naturelles, mais elle dépend du respect des lois divines révélées par les saintes
Écritures et interprétées par les Pères de l’Église
Saint Augustin invoque deux arguments pour soutenir sa thèse. Il soutient premièrement que
la cité terrestre est intrinsèquement imparfaite, car, par nature, elle est corrompue par le péché. Il
affirme ensuite que la cité des hommes doit être subordonnée à la Cité de Dieu parce que tout
pouvoir vient de Dieu puisque Dieu est à l’origine du monde. La pensée de saint Augustin justifie
donc le passage du pouvoir de l’État au pouvoir de l’Église parce que seule cette dernière peut
accéder à la perfection. Dès lors, le seul gouvernement légitime est celui qui s’exerce par les
représentants de Dieu sur terre, ce qui implique aussi que la communauté politique soit fondée sur
la foi chrétienne. Toute recherche, toute découverte doit s’opérer à la lumière des Écritures. Dans sa
correspondance, il écrit ainsi : « … il est raisonnable que la foi précède la raison pour accéder à
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certaines grandes vérités… » Le prophète Isaïe ne disait-il pas « Si vous ne croyez pas, vous ne
comprendrez pas. » Dans le contexte de la révolution chrétienne, la science politique perd sa
suprématie et est subordonnée aux impératifs théologiques.
Saint Thomas d’Aquin8 vécut de 1224 à 1274 après J.-C. complétera cette évaluation vers la
monarchie de droit divin. Saint Thomas soutient dans son livre Du Royaume9 (1266) que le régime
monarchique est le meilleur régime parce qu’il est le plus conforme au plan de Dieu qui veut que
« l’un commande au multiple ». La notion d’État qui, pour les penseurs de l’Antiquité, désignait la
chose du peuple et dont l’autorité reposait sur l’adhésion rationnelle de la collectivité, cette notion
est maintenant utilisée pour désigner le gouvernement et surtout le pouvoir de la personne qui
gouverne.
À cette étape, nous pouvons déjà constater que la définition de l’objet du politique a
beaucoup varié dans le temps et que ces changements ne sont pas indépendants du contexte social.
On a vu que dans l’Antiquité gréco-romaine, la théorie politique est entièrement soumise à la
morale ; elle vise à justifier, à consolider des postulats moraux ; les explications sont alors
accessoires. Avec la chute de Rome, l’éclatement et le fractionnement de l’empire romain, l’Église
deviendra la seule organisation capable d’imposer son autorité. Elle affirmera sa suprématie sociale
et politique. La théorie politique sera donc soumise à la foi. Du reste, l’ensemble du savoir subira
des restrictions semblables.

2.3 La période de la Renaissance et du libéralisme montrant une réflexion où


l’exploitation émerge à travers le normatif
Avec la Renaissance, et surtout à partir du Prince de Machiavel, les théoriciens cherchent
davantage à comprendre le réel ; les obligations morales ou religieuses sont mises de côté. En ce
sens, il y a aussi renaissance de la réflexion théorique dans la mesure où, après l’obscurantisme
moyenâgeux, on redécouvre les œuvres de l’Antiquité gréco-romaine. La politique continuera à être
associée au pouvoir monarchique, mais il y aura une révolution dans la façon d’analyser le pouvoir
politique. À ce moment, l’émergence d’une démarche scientifique devient manifeste. Il existe une
volonté marquée d’être systématique, de vérifier à travers l’histoire, de dégager des lois. Certes,
bien des énoncés restent limité quant à leur portée scientifique ; le concept de nature humaine est
utilisé à outrance et revêt un caractère magique. Il n’en demeure pas moins que les théoriciens
cessent d’interroger le ciel ou de s’attarder à des utopies pour davantage dégager les comportements
réels des agents politiques.
Le Prince10 est le titre de l’ouvrage qui est généralement reconnu comme le point de départ
de la pensée politique moderne. C’est le florentin Machiavel11 (1469-1527) qui inaugure cette
révolution, car il considère que le but de la science politique n’est pas la recherche du bon
gouvernement qui assure la justice aux citoyens. Il soutient que la politique ou l’État n’a pas comme
finalité de faire le bonheur de ses sujets, mais de découvrir les moyens qui assureraient à l’Italie un
gouvernement efficace et libéré de la tutelle religieuse. La science politique n’est plus liée à des
objectifs éthiques ou religieux, elle vise à découvrir les moyens de conquérir et de conserver le
pouvoir. Machiavel laïcise en quelques sorte la définition de la vie politique, c’est-à-dire qu’il ne
fait plus dépendre le pouvoir de la volonté divine mais de la stratégie. Il présente ainsi son nouveau
point de vue. Expliquant le contenu de son ouvrage, Machiavel écrit :

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Introduction à La Science Politique


SOMMAIRE
INTRODUCTION
I. –L’EXPLICATION POLITIQUE
A) LA Tradition marxiste
B) L’analyse systématique
C) Le fonctionnalisme
D) Constructivisme
E) Interactionnisme
II. – LE CADRE INSTITUTIONNEL D’EXPRESSION DU POLITIUQE
A) L’État
1. Un ordre juridique
2. UN pouvoir politique
3. L’acceptation de l’ordre étatique
4. Rôle et fonctionnement
B) Les patries politiques
1. Structure, fonctions et fonctionnement des partis politiques
2. La légitimation des partis politiques
C) Les groupes d’intérêts
1. Importance et influence
2. Cadres normatifs

III. – LES PRATIQUES DE PARTICIPATION POLITIQUE


A) Les mobilisations : origines et enjeux
1. L’approche psychosociale
a. Action collective et frustration relative
b. L’analyse marxiste
c. Mouvements sociaux et historicité (Alain Touraine)
2. Action collective et « mobilisation des ressources »
a. Approche en termes de calculs coûts/avantages
b. Approche en termes de contrôle social
c. Approche en termes de constructivistes
B) Les élections
1. L’étude de la participation électorale
2. La mesure de la participation électorale
3. Modèles explicatifs de la participation électorale
a. L’approche écologique
b. L’approche psychosociologique
c. Le modèle du marché
CONCLUSION

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INTRODUCTION
La réflexion sur le problème politique remonte très loin dans l’histoire des idées. Ce sont les
philosophes, tels Platon (428 ou 427 à 348 ou 347 av. J.C.), Aristote (384 à 322 av. J.C.),
Thucydide (env. 460-395) qui, dès le Ve et IVe siècle avant Jésus-Christ, ce sont intéressés à ce
problème. Mais les préoccupations centrales de ces penseurs tournent autour de la question de
savoir quel type de gouvernement convient-il de mettre en place pour mieux garantir une
coexistence harmonieuse et pacifique des individus, ce qui les conduit à des considérations morales
qui travestissent (présenter de façon inexacte et trompeuse) souvent la réalité des faits. Ces
questionnements apparaissent comme une réaction aux spectacles de guerre à répétition, de
désordres et de violences permanentes qui mettent en cause la pérennité de la Cité. Ils cherchent
alors le principe de l’ordre politique à instituer impérativement dans l’idée de Bien et de Juste tirée
de leur « méditation métaphysique ». Le débat politique prend alors la forme d’une quête de
connaissance relative au type de conduite – individuelle, politique et religieuse – auquel l’homme
doit se conformer en vue de la réalisation de l’ordre, de la raison, c’est-à-dire la bonne
correspondance entre l’organisation du cosmos, celle de la Cité et la hiérarchie des âmes.
L’ouvrage de Machiavel (1469-1527), Le Prince, écrit vers la fin de l’année 1513 marque un
renversement de la problématique de la philosophie politique classique. Machiavel fut un haut
fonctionnaire de la République de Florence. Entre 1498 et 1512, il a occupé les fonctions de
secrétaire de la chancellerie, de secrétaire des Dix de Liberté et de paix ainsi que de conseiller
auprès de Pierre Soderini, magistrat suprême de la République. Il est déchu de ses fonctions par les
Médicis qui ont envahi et soumis Florence à leur autorité en 1512. Pour mieux comprendre les
raisons de la défaite de sa République, il s’est mis à l’observation d’une République qui elle a
réussi : la République romaine. Il s’agit pour lui de repérer les mécanismes de la durée et de la
grandeur de Rome. Il entend montrer les effets des actions des dirigeants et des modes de
configurations socioculturelles sur la pérennité ou non de tout régime politique : « Lorsque les pays
qu’on acquiert, comme on a dit, sont accoutumés à vivre selon leurs lois et en liberté, pour les tenir
il y a trois procédés : le premier, le détruire ; le deuxième, y aller habiter en personne ; le troisième,
les laisser vivre selon leur lois, en en tirant un tribut et en y créant un gouvernement oligarchique
qui te conserve leur amitié. Car créé par ce prince, ce gouvernement sait qu’il ne peut durer sans son
amitié et sa puissance, et doit tout faire pour le maintenir. Et l’on tient plus facilement une cité
accoutumée à vivre libre par le moyen des citoyens eux-mêmes que d’aucune autre, façon, si on
veut l’épargner. »
La rupture opérée ici se situe dans le type de questionnements. Il ne s’agit plus de
déterminer le statut de l’homme vertueux, l’ordonnance politique qui l’exprime et le rend possible
et les principes qui fondent l’un et l’autre, mais chercher à savoir comment fonctionne le pouvoir
politique. Il donne ainsi à la science politique son objet et sa méthode. Cette démarche positive va
être, peu à peu, systématisée dans l’analyse politique. Pour expliquer la particularité du régime
politique selon les sociétés, Montesquieu (1689-1755) se réfère dans L’esprit de lois au système des
facteurs socioculturels et climatiques qui caractérisent chacune d’entre elles. Pour lui, la différence
entre les régimes politiques est liée à la différence des organisations et des structures sociales. Dans
De la démocratie en Amérique, Tocqueville (1805-1859) suit la même démarche positive lorsqu’il
tente de cerner les facteurs déterminant le caractère libérale et démocratique de la société en
Amérique. Il relie le régime démocratique à un processus social global : l’égalisation de conditions
entre les individus qui composent la société américaine. C’est cette même préoccupation
méthodologique (1818-1883) qui conduit Marx à créer le concept de mode de production. Concept
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qui tend à rendre compte concrètement des processus par lesquels les groupes sociaux produisent
leurs moyens d’existence.
La science politique n’a connu son véritable essor qu’à partir du XIX e siècle et du début du
XXe siècle, notamment avec les œuvres de Max Weber mettant l’Etat et sa bureaucratie,
l’intervention étatique et sa rationalité, le pouvoir et les mécanismes de sa légitimation, bref, les
mécanismes de la domination, au centre de l’analyse politique de premier plan. La création des
départements de science politique dans certaines universités américaines à partir de 1890 et la
fondation, en 1903, de l’American Political Science Association présidée successivement par
Goodnow, Prince, Lowelle et Wilson, permettent à cette discipline de s’affirmer et de se développer
aux Etats-Unis. En Europe, la science politique ne s’affirme véritablement qu’aux lendemains de la
seconde guerre mondiale, notamment en Grande-Bretagne, en France, en Italie et en Allemagne.
Cette institutionnalisation n’évacue pas pour autant les grands débats sur les contours de
l’objet même de la science politique. En quoi les phénomènes dits politiques se distinguent-ils des
autres phénomènes sociaux ? Quels sont les types de phénomènes que l’on désigne par la notion
politique ? Constituent-ils des phénomènes politiques en soi ? Sinon comment le deviennent-ils ?
L’étymologie grecque, TTOAIG, désigne les affaires de la Cité, c’est-à-dire, par extension,
ce qui se rapporte immédiatement aux activités du gouvernement. En dehors de ce sens classique, la
notion de politique se caractérise par son extraordinaire fluidité sémantique. Elle est utilisée pour
désigner des champs et des types d’activités extrêmement variés :
1) Des actions visant la réalisation de projets personnels non conformes aux normes
d’action sociale : La notion de politique recouvre ici les activités visant la réalisation de fins
personnelles. Ces activités relèveraient des calculs égoïstes, qui s’opposent à la loyauté et au respect
de l’intérêt général. La notion de politique indique, de ce point de vue, la disqualification du
comportement. C’est le sens de l’expression « politique politicienne ». Cette connotation péjorative
conduit les acteurs politiques à se défendre de « faire de la politique » ou à clarifier leurs intentions
et leurs démarches, en montrant qu’elles sont conformes à l’intérêt général.
2) Les activités visant la réalisation d’une fin particulière conforme aux normes
d’action sociale : cela concerne tant les actions des hommes politiques pour conquérir et exercer le
pouvoir que celles déployées par une marque pour rehausser son prestige auprès des
consommateurs, par un syndicat pour accroitre son audience auprès des salariés. Dans cette
perspective, la notion politique ne se réfère pas à l’  «univers politique » classique, c’est-à-dire les
affaires de la Cité. Elle indique simplement une ligne de conduite méthodique, en vue d’une plus
grande efficacité dans la réalisation d’une fin quelconque jugée digne par une communauté
d’individus.
3) L’ensemble de solutions cohérentes apportées à un problème dans un domaine
donné : La notion politique recouvre ici les activités mises délibérément en œuvre par les pouvoirs
publics pour faire face à des faits ou des comportements qui deviennent source de problème et qui,
par conséquent, suscitent des inquiétudes et des angoisses chez les membres de la collectivité. Elle
se rapporte au processus de maintien de la cohésion sociale. Les politiques de la ville, de la famille,
de l’éducation, de l’emploi, de la justice, bref, les politiques publiques en général, remplissent les
mêmes fonctions : prévenir les faits et comportements non souhaitables ou les corriger s’ils sont
déjà produits dans un domaine donné. La politisation d’un fait ou d’un comportement donné
signifie que ce fait ou ce comportement est identifié par les membres de la collectivité comme une
menace pour leur coexistence, pour leur sureté et pour leur sécurité personnelle et que ces derniers
exigent des interventions publiques.

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4) Les processus décisionnels : La notion de politique signifie un pouvoir de décision,


de choix. L’action publique peut avoir des conséquences multiples et contradictoires : diminuer les
impôts sur la fortune peut entrainer l’attractivité d’un pays pour les riches et, dans le même temps,
conduire à l’affaiblissement de la solidarité nationale par la suppression obligée des crédits
finançant les politiques socioculturelles et sanitaires. De même, la suppression des contraintes
juridiques pesant sur l’entreprise est susceptible d’accroitre tant l’efficacité économique de celle-ci
que la subordination quasi-absolue des salariés aux patrons. Ici c’est la qualité du modèle social ou
la nature des rapports sociaux qui est en jeu. La notion politique renvoie aux processus par lesquels
les gestionnaires publiques écartent tels corps de principes de choix pour en adopter d’autres.
5) Les processus de régulation : L’usage masculin (le politique) de la notion politique
renvoie au phénomène multiforme de régulation des conflits d’intérêts. Selon cette dernière
acceptation, la régulation des activités humaines est la question politique centrale. Cette régulation
s’opère par le biais d’un ordre juridique caractérisé par un système d’injonctions obligatoires (agir,
s’abstenir…) faisant l’objet d’un travail de redéfinition permanent et garanti par l’Etat. Cette
activité spécifique constitue l’objet de la science politique qui comprend quatre branches : théorie
politique incluant l’histoire des doctrines et mouvements des idées ; relations internationales ;
Administration publique et politique publique ; Sociologie politique.
Le concept science politique contient en soi le programme de la discipline. Il s’agit d’un
discours systématique sur les faits et les comportements divers et changeants tenus pour politiques à
un moment donné par une communauté d’individus déterminés. Ayant la prétention scientifique, ce
discours ne se borne pas à constater ces phénomènes ou à décrire les flots des impressions qu’ils
produisent chez l’observateur, mais à les ordonner sous une représentation commune, à établir leur
liaison en un ensemble qui fournit les lois permettant de comprendre les mécanismes politiques. Il
s’agit de produire, plus précisément, de la connaissance sur ces faits et comportements qui sont
considérés comme politiques, c’est-à-dire leur attribuer un sens, montrer leur caractère pertinent.
C’est ce but que poursuit l’explication politique.  
Ce cours s’articule autour de trois axes fondamentaux. Dans un premier temps, nous nous
tacherons de présenter les divers modèles d’explication politique (I). Après avoir, dans un second
temps, précisé le cadre institutionnel d’expression de la politique (II), nous entrerons, pour finir,
dans la discussion des différents formes de pratiques de participation politique (III).

I. –L’Explication Politique
L’explication politique s’inspire de deux types d’approche classique en science sociales.
Le premier type prend la société globale comme point de départ de l’analyse. Dans cette
perspective, la société est comprise comme un système organique dans lequel chaque individu ou
groupe joue un rôle déterminé. La finalité supposée de ce rôle consiste à assurer le maintien du
système. La socialisation constitue le mécanisme par lequel chacun acquiert les éléments normatifs
de son rôle et les intègres dans sa personnalité propre. Les comportements aussi bien que les
jugements les plus personnels de l’individu sont tenus pour de simples modes de manifestations
concrètes des normes incorporées. Dans ce type d’approche, l’unité des rapports des individus les
uns avec les autres est une donnée immédiate du système. Elle repose fondamentalement sur la
dépendance mutuelle ainsi que sur le contrôle que les individus s’exercent réciproquement. Cette
démarche dite déterministe qu’on retrouve chez Durkheim est utilisée dans un certain nombre de
courants sociologiques, tels le marxisme, le systémisme et fonctionnalisme, pour expliquer les
comportements et les faits politiques.
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Le deuxième type d’approche part au contraire de l’individu, considéré comme un acteur


autonome poursuivant ses fins personnelles en raison de sa logique propre ou de ses intérêts privés.
Dans ces approches, l’activité spécifique de chaque individu est perçue comme le produit de calcul
rationnel. Le système social est compris comme le résultat aléatoire des transactions sociales
dépourvues de principes d’unité en soi. Ainsi, le sens de l’action sociale est-il déduit des logiques
individuelles, lesquelles sont variables selon le rapport cout/avantage. Cette approche inspirée par la
sociologie webérienne est mise en œuvre dans les analyses de type interactionniste et
constructiviste.

A) La tradition marxiste
Dans l’analyse marxiste, les besoins – primaires (manger, dormir, se reproduire, se protéger,
besoins dit vitaux) et secondaires (loisirs, luxe, confort, savoir, prestige, reconnaissance, etc.) – sont
considérés comme le mobile fondamental de l’action individuelle. L’existence de ces besoins chez
l’individu inclut la tendance naturelle de les satisfaire. Il en résulte l’engagement de celui-ci dans
les rapports de production qui contiennent la possibilité de leur satisfaction. Les intérêts des uns et
des autres au sein de ses rapports sont déterminés selon leur apport spécifique (capital ou force de
travail). Ces divergences d’intérêts impliquent un système d’affrontements et de luttes des classes.
Dans ces conditions, l’unité des rapports que l’interaction sociale implique ne peut être produite que
par une force extérieure : l’Etat traduit dans une superstructure juridique et politique.
L’Etat a donc une fonction essentiellement de coercition. Son rôle fondamental consiste à
contenir les forces sociales susceptibles de mettre en cause la stabilité des rapports de production, à
les tenir en échec.
L’analyse marxiste s’articule sur deux postulats : la séparation des individus d’avec l’Etat et
l’identité des intérêts de la classe dominante avec ceux de l’Etat.
1) La séparation des individus d’avec l’Etat : Marx montre qu’il n’existe aucun lien
interne qui rattache les individus à l’Etat. C’est la liaison extérieure avec la superstructure juridique
et politique qui légitime la domination de celui-ci sur ceux-là. L’Etat est ainsi perçu comme une
simple forme ajoutée à la dynamique des forces productives pour garantir leur unité et leur
universalité. Alors, intérêt privés et formes étatique se contredisent, ceux-là sont déterminés selon
les classes, et donc contingents, celui-ci est transcendant et universel.
2) L’identité des intérêts de la classe dominante avec ceux de l’Etat : Marx établit
un lien entre le développement de l’industrie, l’intensification de l’échange des produits à l’échelle
mondiale vers la fin du XVe siècle et la construction de l’Etat moderne. Il montre comment le
niveau atteint par le capitalisme à cette époque nécessite la liberté et l’égalité des droits. Il s’agit de
libérer les travailleurs des entraves corporatives et le commerce des privilèges féodaux, de garantir
les chances égales pour les concurrents bourgeois, d’assurer la sécurité juridique des échanges et de
la propriété privée. Ces impératifs économiques constituent, selon lui, les contours des prérogatives
fondamentales de l’Etat moderne. Il en résulte immédiatement l’identité des intérêts des capitalistes
et les intérêts de l’Etat.
Marx insiste sur le fait que la traduction des intérêts de la classe politiquement dominante
dans l’Etat demeure quelque chose de purement formel. Alors, la contradiction entre intérêts de
classe et forme étatique persiste. Car si ces intérêts s’étaient effectivement élevés au rang de
l’universel, c’est-à-dire rendus conformes aux aspirations ou aux besoins de tous les individus ou
groupes qui composent la société, le recours à un système de coercition pour assurer le maintien de
l’ordre social (le statu quo) serait non seulement superflu mais encore absurde ; et cela, dans la
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mesure où ces derniers se plierait spontanément à cet ordre dans lequel leur volonté particulière est
pleinement restituée.
Selon lui, les modes de rapports de production antérieurs et actuels (esclavagisme,
féodalisme et capitalisme) contiennent une contradiction, qui se traduit dans l’affirmation du
caractère absolu aussi bien des intérêts de classe que des intérêts de l’Etat. Or les intérêts ne peuvent
être pensés universellement qu’en perdant leur caractère de classe, c’est-à-dire en se généralisant ;
et l’universalité de l’Etat n’est véritablement affirmative que dans la suppression des classes elle-
même ainsi que dans leurs intérêts particuliers. Ce qui implique immédiatement l’abolition de l’Etat
dont l’existence n’était justifié, jusque-là, qu’en tant que possibilité de coexistence pacifique et
tranquille de classes aux intérêts antagoniques. Cette configuration sociale dans laquelle les
individus ou groupes et leurs intérêts sont indifférenciés se rapporte au communisme. C’est en ce
sens que ce mode de production est tenu pour la fin de l’histoire. Car selon Marx :
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. Homme libre
et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maitre de jurande et compagnon, en un mot
oppresseur et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue tantôt
secrète, tantôt ouverte et qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de
toute société, soit par la ruine commune des classes en lutte »
Le maintien des intérêts de classa s’oppose immédiatement à l’universalité effective de
l’Etat. Alors, les injonctions juridiques et les normes institutionnelles garantissant leur intégration
s’anéantissent comme principes universels. C’est ce qui se passe dans les modes de production
antérieurs et actuels. Dans le communisme, la généralisation des intérêts de classes que celle de
l’Etat. Le communisme est ainsi posé comme possibilité de « l’association libre et égale des
producteurs ». Les individus ou groupes sont ainsi unis par un mode interne, la volonté qui se
traduit dans Y acceptation mutuelle. Il en résulte la tendance chez l’individu à respecter
spontanément les règles de cette société fraternelle : « Le travail, au lieu d’être un fardeau, sera une
joie » déclare Engels. Tout appareil de coercition est devenu inutile.
S’inspirant de l’analyse marxiste, certains auteurs, comme Gramsci et Althusser, ont cherché
à cerner les mécanismes de contrôle étatique dans le capitalisme. Le premier a mis en évidence le
rôle de l’idéologie dans l’établissement et le maintien des valeurs de la classe dominante et de son
pouvoir. Le second a fait état de l’articulation des « Appareils Idéologiques d’Etat » (AIE)
[constitués par les églises, les écoles, la famille, le droit, les médias] et l’ »appareil répressif
d’Etat » (ARE) [comme l’armée, la police, la bureaucratie] dans le processus de légitimation et de
maintien des rapports de production établis. La notion de violence symbolique développée par
Bourdieu rejoint ce cadre d’analyse. Cette notion désigne les efforts déployés par les dominants
pour poser leurs propres conditions et leurs manières de vivre particulière comme universelles, et
donc à disqualifier celles des dominés. La critique politique implicite consiste dans le fait de
considérer l’Etat comme le support de cette entreprise.

B) L’analyse systémique
Dans l’analyse d’inspiration marxiste la notion politique désigne les processus par lesquels
la coexistence d’un ensemble d’individus donné aux intérêts originairement contradictoires est
rendue possible. L’Etat, qui est l’organe jouant cette fonction, est compris comme un construit
social. Il dépend de l’état des rapports de force à un montant donné. Toute modification de ces
rapports est susceptible d’entraîner sa transformation. L’analyse systémique conserve l’idée selon
laquelle la société serait le produit des interactions entre des individus cherchant la satisfaction de
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leurs besoins personnels. Mais ici la notion politique désigne le processus de répartition des
ressources et des avantages entre ces derniers. Processus qui se matérialisent dans des décisions
faisant autorité. Dans ces conditions, la politique désigne l’ensemble d’activités visant à influencer
ces décisions. Ces activités se présentent comme un système, dans la mesure où elles sont
cohérentes, selon la finalité. En outre, elles mettent en scène des groupes d’acteurs ayant des rôles
distincts et placés en situation d’interdépendance dans la société globale. Toutes activités qui ne
poursuivent pas immédiatement ces fins sont ainsi écartées du champ politique.
David Easton construit un modèle d’analyse dans lequel les interactions du système et son
environnement sont représentées sous la forme d’un circuit cybernétique fermé. Dans ce modèle, le
système politique est considéré comme un lien opaque et obscur qui échappe à l’entendement. D’où
sa désignation par la notion de boîte noire. Pour Easton la seule réalité connaissable dans ces
processus est celle qui se donne à observer uniquement dans les transactions multiformes entre le
système et son environnement. Alors, le but de l’analyse politique consiste à connaître les
mécanismes de ces transactions. Il s’agit plus précisément de cerner les types d’influences que
l’environnement exerce sur le système et la manière dont ces influences sont communiquées à celui-
ci. Les modes d’adaptation du système constituent pour l’analyse un moment très important.
Les indicateurs de l’analyse sont déduits de quatre problèmes spécifiques à un système
politique donné. Ils sont rangés en deux catégories distinctes : les inputs et les outputs.

Frontières du
Système
Inputs Outputs
Exigences
Décisions
et actions
Soutiens

Réaction
Environnements

Les inputs consistent dans les messages ou les impulsions que le système reçoit de
l’environnement. Il s’agit des exigences et des soutiens. Les exigences relèvent des attentes ou des
demandes sociales relatives, par exemple, aux droits de l’homme. Dans ces cas, l’analyse consiste à
déterminer la nature de ces exigences et leur mode de traitement. Il est bien entendu que
l’expression incontrôlée de ces exigences est susceptible de provoquer la surcharge qualitative –
content stress. Les soutiens sont constitués soit par des manifestations publiques d’adhésion à
l’action gouvernementale, soit par l’attachement des citoyens aux règles de fonctionnement du
système politique. La socialisation politique, l’intégration culturelle, la grammaire politique
(l’univers de sens, le fait linguistique) deviennent des objets privilégiés de l’analyse.
Les outputs. Sont le produit de la réaction du système à l’expression des exigences et aux
offres de soutiens. Ils prennent essentiellement la forme de décisions et d’actions matérialisées dans
les politiques publiques. Le but supposé de ces outputs est de satisfaire les demandes et de renforcer
les soutiens nécessaires au maintien du système politique. Pour l’analyse, il s’agit d’observer la
nature de la réaction du système en rapport avec la satisfaction, la relance, le déplacement ou le

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durcissement des exigences. Il en est de même pour les soutiens. Contribue-t-elle à les renforcer ou
au contraire à les affaiblir ?
Cette démarche considère le système politique comme un lien de circulation d’informations.
Celles-ci consistent dans les signes et dans les messages envoyés au système par les citoyens. Le
rôle des dirigeants du système est de les interpréter, de les sélectionner, de les traiter, de les
convertir en décisions et en actions publiques.
Cette approche s’insère dans le cadre de la théorie générale des systèmes. Selon cette
théorie, tout système comporte en soi sa propre finalité : son maintien ou sa propre reproduction.
Alors, l’analyse se borne à étudier les conditions de son adaptation à son environnement porteur
d’élément de déséquilibre et de perturbation. Dans cette adaptation, les décisions et les actions
publiques apparaissent comme des éléments déterminés qu’on peut comparer à d’autres, comme
une marchandise contre laquelle on peut en échanger une autre, à savoir les soutiens. Le système
politique comme puissance dispensatrice des ressources et ses avantages tient un marché avec des
produits appelés exigence et soutiens qui sont en vente contre d’autres produits, décisions et
actions ; et le droit en constitue le tarif.
Cette analyse séduit un certain nombre de chercheurs en sciences politiques par sa clarté, sa
simplicité et son caractère opérationnel. Le classement des éléments du système selon leur fonction
offre des critères de jugement particulièrement solides. Mais l’exagération de la tendance supposée
du système à la survie restreint, dans le même temps, le champ d’investigation. Car tout est ramené
à cette interrogation fondamentale. Tout ce qui ne contribue pas à cet impératif fonctionnel est
écarté du champ politique. Partant d’une conception plus large de la notion de fonction, l’analyse
fonctionnaliste – développée par Almond et Powell dans Comparative Politics(1966) – s’efforce de
définir d’autres critères relatifs aux fonctions politiques dites de base et d’en étudier les rapports.

C) Le fonctionnalisme
L’analyse fonctionnaliste en sciences politiques prend naissance dans un contexte générale
de questionnements sur les problèmes posés par l’importation des modèles politiques occidentaux
dans le tiers monde. La nature de la question conduit Almond et Powell à postuler l’existence de
fonctions politiques de base contribuant à assurer l’autoreproduction d’un système politique et son
adaptation à un environnement donné. Ces fonctions sont ensuite tenus pour consubstantielles à tout
système politique. L’analyse se borne à identifier les structures qui les remplissent effectivement,
selon l’environnement social donné.
Quatre fonctions politiques de base sont ainsi répertoriées à priori. La capacité extractive
qui consiste dans l’aptitude du système à prélever et à mobiliser les ressources financières et
humaines nécessaires à la réalisation de son but. La capacité régulatrice consistant dans les
mécanismes de contrôle juridique et institutionnel des comportements et des échanges socio-
économiques dans l’espace déterminé en vue de désamorcer les conflits d’intérêts et les
contestations sociales. La capacité distributive porte sur l’allocation des ressources, des avantages
et des privilèges aux citoyens pour renforcer leurs soutiens au système. La capacité réactive ou
responsive concerne l’efficacité du système à cerner, voir à anticiper les exigences en vue de
prévenir les frustrations susceptibles de mettre en cause sa survie.
L’analyse fonctionnaliste part des structures politiques occidentales comme modèles. Les
besoins de la comparaison avec les structures politiques extra-occidentales la conduit à forger
d’autres notions permettant de saisir la spécificité de chaque structure particulière, en rapport avec
la question fondamentale : L’autoreproduction et l’adaptation du système politique. Il s’agit de
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« équivalents fonctionnels » et « multifonctionnalité des structures ». La notion d’ «équivalent


fonctionnel »  désigne le fait qu’une même fonction peut être remplie par des structures différentes,
selon l’environnement. Par exemple, les fonctions de filtrage et de formulation des exigences
peuvent être remplies tant par les partis politiques que par des structures syndicales, associatives ou
religieuse. Celle de « multifonctionnalité des structures » indique le fait qu’une même structure
peut remplir une multitude de fonctions qui, ailleurs, sont prises en charge par des structures
spécialisées. La présidence en Haïti s’occupe par exemple de toute une série de questions comme
l’alphabétisation, l’élaboration et la mise en œuvre de projets de développement ou d’aides sociales,
domaines qui en Occident relèvent de la compétence d’autres structures institutionnelles,
notamment des ministères.
Les différentes approches présentées brièvement ci-dessus mettent l’accent sur les processus
sociaux globaux. L’analyse consiste essentiellement à découvrir les lois générales inhérentes à ces
processus. Ce qui laisse peu de place à la liberté des acteurs en présence. Les individus concrets et
leurs logiques particulières sont négligés ou même ignorés. C’est en réaction contre cette prétention
de découvrir des lois régissant la réalité sociale que se sont construits les courants constructivistes et
interactionnistes.

D) Constructivisme
Le constructivisme est un courant de pensée qui met en cause la validité du discours
scientifique. La science prétend révéler l’enchaînement des phénomènes (ou lois générales) dans le
monde sensible. Cet enchaînement est tenu pour positif, dans la mesure où il existe
indépendamment de l’observation du chercheur. Dans ces conditions, les concepts – produits de la
raison – ne peuvent contenir que la possibilité de cet enchaînement. L’existence de ceci dans cette
conception scientifique. Dans ces approches, l’interrogation fondamentale est celle de la
détermination des comportements des parties politiques.
Les tenants du courant dit constructiviste tiennent la connaissance du réel pour impossible.
Pour eux, le discours scientifique ne se rapporte qu’à la réalité qu’il fabrique. Autrement dit, la
vérité de ce discours ne repose sur aucune pénétration de la nature des objets d’études. Donc
l’assimilation des représentations socialement construites avec des réalités qui fait toute l’autorité
de ce discours. Peter Berger et Thomas Luckmann vont jusqu’à considérer la structure sociale
comme la somme des typifications et des modèles récurrents qui consistent dans des catégories par
lesquelles nous pensons le monde.
Ces auteurs décrivent les processus par lesquels les représentations deviennent des réalités.
Dans un premier temps, les individus attribuent un sens aux objets de leur interaction. Sens qui
devient par habitude évident pour tous. Il s’agit de la phase dite de « typification ». Ils insistent sur
le fait que cette « typification » n’est non pas corrélative à la réalité concrète mais simplement à
notre sensibilité, à nos impressions, lesquelles sont elles-mêmes conditionnées immédiatement par
la situation d’interaction. Cette « typification » débouche, dans un second temps, sur des
représentations sociales qu’ils appellent « institutions ». Celles-ci n’existent que dans les catégories
descriptives (peuples, Etats, nations, familles, écoles, entreprises) et dans les valeurs de référence
(liberté, égalité, légalité). Ces catégories ou notions se rapportent non pas immédiatement à des faits
réels mais à des représentations (« institutions ») qui, dans un troisième temps, sont vécues comme
des réalités par les individus.
Avec le critère de l’existence des faits sociaux est la subjectivité individuelle. Le principe
d’explicitation de ces faits ne renvoie à rien de plus ni à rien de moins qu’à ce qui avait été accepté
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dans les croyances. Les concepts de vérités, d’objectivité n’ont nullement de sens, puisque la
connaissance des faits étudiés est tenue pour impossible. Les objets ne nous sont pas du tout connus
en eux-mêmes, et ce que nous nommons objets extérieurs consistent dans de simples
représentations.
Sur le plan politique, l’interrogation fondamentale consiste non pas dans les comportements
collectifs dont les raisons réelles sont censées être impénétrables mais dans l’apparition d’un
langage (un univers de représentations) qui détermine la politisation des faits et des problèmes. Il
s’agit d’étudier plus précisément les contextes d’interaction qui déterminent a priori le
fonctionnement social est ignorée. L’interactionnisme va aller jusqu’au bout de cette logique, en
renfermant immédiatement le social (entendu comme système de contraintes) dans l’individu.

E) Interactionnisme
L’Interactionnisme tient les contraintes structurelles pour des effets des calculs rationnels
qui conduisent l’individu à adopter des comportements, à assurer des rôles sociaux dans la poursuite
de ce qui est utile. Dans l’ordre d’enchaînement des faits sociaux, ce sont les intentions des acteurs,
leurs calculs et leurs stratégies qui sont tenus pour déterminants. Le principe de l’action n’est pas
dans les normes sociales ou juridiques incorporées ou connues des acteurs. Ce principe consiste
simplement en une règle qui, dans la poursuite de l’utilité donnée, impose à l’individu de
maximiser ses gains en raison directe de ses fins particulières. Le critère de la rationalité des acteurs
est l’efficacité. Il ne s’agit nullement d’un principe constitutif du politique, destiné à étendre la
rationalité au-delà des intérêts privés. C’est un principe qui fait poursuivre et étendre l’utilité le plus
loin possible, et d’après lequel aucune norme positive ne doit avoir la valeur d’une limite absolue.
Par conséquent, c’est un principe qui postule comme règle ce qui est utile pour l’individu et
n’anticipe pas ce qui est donné dans le vivre ensemble antérieurement à l’action particulière de
l’acteur.
L’interactionnisme ne peut penser les phénomènes sociaux collectifs que comme des « effets
émergents », conçus comme la résultante d’actes individuels. Echappant à la maîtrise de leurs
auteurs, ces actes peuvent, selon Raymond Boudon, générer « des effets pervers », c’est-à-dire
d’effets émergents qui ne sont souhaités par personne, voire qui sont redoutés par tout le monde.
Comme en témoigne la situation de pénurie ou de panique générée par la peur de manquer qui
pousse les individus à stocker. La raison de ces comportements est recherchée non dans les
circonstances extérieures (hausse de prix anticipée, crises annoncée, ruptures de stock, mauvaises
gestions, déclarations politiques hasardeuses) mais dans les mesures de précaution prises
spontanément et souverainement par les acteurs individuels. Dans la régression qui consiste à
remonter des faits à expliquer (la situation de pénurie ou de panique) aux facteurs explicatifs,
l’interactionnisme s’arrête au moment des décisions individuelles. Une partie de l’enchaînement est
méthodiquement occultée.
L’explication interactionniste présuppose l’inconditionnalité de l’acteur, état qui permet à
celui-ci de décider ou de choisir en toute liberté. Michel Crozier et Erhard Friedberg définissent cet
état en dehors des contraintes structurelles et des processus sociaux globaux signifiés par les normes
sociales, les normes juridiques et institutionnelles. Ce sont dans les zones d’ombres, dans les
marges de non-droit, dans les interstices du contrôle social que s’affirment la liberté de l’acteur, qui
est identique aux contours de sa marge d’initiative. Les limites de la démarche des individus sont
posées non pas dans les nécessités du vivre ensemble mais dans les zones d’incertitude : incapacités
d’accumuler et de traiter l’ensemble des informations utiles, difficultés d’identifier exactement les
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intérêts des autres partenaires d’interaction et d’anticiper leurs capacités de résistance ou


d’influence. Toute prédication des résultats des actions individuelles est rendue impossible.
L’interactionnisme s’inspire de la sociologie wébérienne. Pour Weber la relation sociale
consiste dans « le comportement de plusieurs individus, en tant que, par son contenu significatif,
celui des uns se règle sur celui des autres et s’oriente en conséquence ». L’action collective est donc
considérée comme la résultante de comportements individuels orientés vers la réalisation des buts
personnels conformes à divers types de rationalité (rationnels en finalité et rationnels en valeur).
Dans cette approche le lien politique qui rattache les individus les uns aux autres, la régulation des
conflits d’intérêts, ne sont perçus que comme des effets d’une puissance supérieure dominante. La
définition classique de l’Etat est déduite de cette conception.

II. -Le Cadre Institutionnel d’expression du Politique


Dans les analyses politiques exposées ci-dessus, l’activité politique désigne l’effort soit pour
apaiser ou réguler les conflits d’intérêts (Marxisme), soit pour repartir les avantages et les
ressources entre les citoyens, soit pour influencer les décisions orientées en ce sens (systémisme et
fonctionnalisme). Ces derniers aspects rentrent dans le cadre de la définition wéberrienne de
l’activité sociale dite politique : « Nous dirons qu’une action sociale, et tout particulièrement une
activité de groupement, est orientée politiquement lorsque et tant qu’elle a pour objet d’influencer la
direction d’un groupement politique, en particulier l’appropriation, l’expropriation, la redistribution
ou l’affection des pouvoirs directoriaux ».
Ces activités prennent une forme « objectivitée » dans des dispositifs de rôles différenciés
interdépendants, des pratiques multiples, et des règles de comportements. Elles se réalisent donc
dans un cadre institutionnel qui prend des formes diverses : Etat, partis politiques, groupes
d’intérêts, etc., groupements qui permettent négociations et compromis entre acteurs aux intérêts
antagoniques. Il s’agira de déterminer la nature et le mode de fonctionnement de ces structures
institutionnelles.

A) L’Etat
L’Etat est un concept qui se rapporte à un ensemble d’individus qui, à l’intérieur d’un
espace territorial donné, entretiennent des liens juridiquement réglés et jouissent d’une certaine
souveraineté. Dans la réalité, cet ensemble apparaît comme la résultante d’actions réciproques de
gouvernants, d’agents administratifs et d’autres acteurs sociaux les uns sur les autres. La
configuration sous laquelle il se présente varie selon l’espace déterminé, le nombre, les ressources
disponibles (financières et humaines), le mode de rapport de production, l’efficacité des systèmes
de régulation des conflits d’intérêts et d’intégration. Ainsi, la réalité désignée par la catégorie Etat
en Haïti paraît différente à bien des égards de celle désignée par cette même catégorie aux Etats-
Unis d’Amérique ou en France. La même remarque reste valable pour d’autres configurations
sociales auxquelles se rapporte cette notion. Tant et si bien que nombre de critiques proposent, dans
les années cinquante, sous l’influence du systémisme et du constructivisme, de bannir ce mot du
vocabulaire de la vie politique. Les tenants de cette position y voient une sorte d’écran qui fait
obstacle au progrès de l’analyse savante. D’autant plus qu’il laisse supposer l’existence d’un être
collectif séparé de la société civile qu’il régit.
La nécessité du discours conduit la communauté scientifique à ne pas renoncer à l’emploi de
cette notion, bien que consciente du caractère hétéroclite des configurations sociales concrètes
auxquelles elle renvoie. Dans ces conditions, le problème suprême est de déterminer la
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représentation qui contient les caractéristiques supposées générales des entités collectives diverses
qu’elle désigne. Ces suppositions signifient que toutes configurations sociales, quelles qu’elles
soient, fournissent des éléments d’où l’on peut tirer une règle suivant laquelle les actions
réciproques des acteurs les uns sur les autres obéissent à une certaine régularité et présentent un
caractère universel.
L’Etat est le concept par lequel cette régularité et cette universalité sont pensées. Il
représente l’unité des interactions multiformes entre les acteurs aussi bien que l’harmonisation des
intérêts conflictuels. Pour certains, l’Etat est identique à un ordre juridique. Dans cette perspective,
l’Etat ne désigne pas seulement le pouvoir central qui se subordonne les institutions (familles,
associations, entreprises) et les intérêts des individus, mais la société toute entière envisagée comme
un être collectif dont l’identité est déterminée par les normes juridiques. Pour d’autres, il est
corrélatif à une entreprise extérieure de domination qui maintient le respect des normes du « vivre
ensemble » parmi les individus par la menace de châtiment à l’encontre des contrevenants, c’est-à-
dire un pouvoir politique. Ici l’Etat se rapporte essentiellement au pouvoir central. Nous allons
essayer de cerner le mode d’argumentation développé par les uns et par les autres.

1. Un ordre juridique
L’identité de l’Etat avec l’ordre juridique est postulée par les juristes allemands et français
(Jelinek, Laban, Carré de Malberg) au début du XXe siècle. Le juriste autrichien, Hans Kelsen
(1881-1973), qui désigné en Autriche et en Allemagne, a systématisé ces postulats de base dans son
ouvrage intitulé Théorie pure du droit. Il montre que les trois éléments considérés comme
traditionnellement constitutifs de l’Etat : la population, le territoire et la puissance (pouvoir
d’injonction et de coercition), n’existent pas en dehors d’un cadre juridique. Autrement dit, l’Etat
n’est rien d’autre que la forme de l’unité entre une population donnée, un territoire déterminée et
une organisation politique structurée par des normes juridiques. A partir de là, il convient de
percevoir l’Etat et le Droit non comme deux entités qui sont étrangères l’une de l’autre mais comme
deux moments distincts d’une même totalité. Par conséquent, la formule d’  « Etat de droit »
apparaît comme un pléonasme (répétition dans un même énoncé d’un sens avec des termes
différents). Car, tout Etat est forcément un ordre juridique.
A la question de savoir de quoi cet ordre juridique tire son origine, et partant sa légitimité,
Kelsen répond que c’est de lui-même. Il justifie cette « auto-référence » de l’ordre juridique en
s’appuyant sur un rapport hiérarchique entre les diverses classes de normes. Dans ce rapport,
chacune des classes de normes tire directement sa légitimité dans sa conformité à formant ainsi une
chaîne, sont, de manière nécessaire, reliées à une norme fondamentale : la Constitution. L’autorité
supérieure de celle-ci résulte de la maxime d’  « obéir aux commandements du constituant ». Il ne
s’agit ni plus ni moins que d’une loi que Kelsen produit à partir du néant, et donc en dehors des
actions réciproques des individus les uns sur les autres. La raison juridique apparaît comme la
faculté de subsumer sous des règles, c’est-à-dire de discerner si des textes, des pratiques, des
comportements rentrent ou non sous une règle donnée (casus datae legis).
Ce ne serait donc pas la coexistence en soi d’un nombre déterminé d’individus sur un
territoire donné qui est à la base de la constitution de l’Etat, mais l’existence d’’une norme
fondamentale qui la conditionne. Dans cet ordre d’idée, Kelsen soutient que :
« La communauté de pensées, de sentiments et de volontés, la solidarité d’intérêts où l’on
veut voir le principe de son unité sont, non pas des faits, mais de simples postulats d’ordre
éthique ou politique que l’idéologie nationale ou étatique donne pour réalités grâce à une

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fiction si généralement reçue qu’on ne la critique même plus. En vérité, le peuple n’apparaît
un, en un sens quelque peu précis, que du seul point de vue juridique ; son unité – normative –
résulte, au fond, d’une donnée juridique : la soumission de tous ses membres au même ordre
étatique. Par cette allégeance commune, en effet, les actes de ces individus – du moins ceux
qui tombent sous la prise des règles de cet ordre – rentrent dans un système normatif. Et c’est
cette unité de multiples actes individuels, et elle seule, qui, en réalité, constitue le peuple
élément de cet ordre social particulier, l’Etat. Le « peuple » n’est donc point – contrairement à
la conception naïve que l’on s’en fait – un ensemble, un conglomérat d’individus, mais
uniquement un système d’actes individuels déterminés et régis par l’ordre étatique. »
Autrement dit, l’ordre étatique n’est pas immédiatement déterminé par le système de « la
communauté de pensées, de sentiments et de volontés, la solidarité d’intérêts » ni par leur
représentation, mais par l’acte d’affirmation des règles juridiques qui ordonnent certains aspects des
comportements individuels et collectifs :
« Car l’individu n’appartient à une collectivité sociale – même à celle qui établit sur lui
l’emprise la plus forte, l’Etat, - par la totalité de son être, de ses fonctions et de sa vie
psychique et physique. Surtout dans un Etat dont l’idée de liberté détermine la forme
d’organisation, l’ordre étatique ne saisit jamais que des manifestations très déterminées de la
vie individuelle ; toujours, nécessairement, une part plus ou moins grande en échappe à cet
ordre ; toujours et nécessairement, il subsiste une certaine sphère où l’individu est libre de
l’Etat. Aussi est-ce une fiction que donner l’unité d’une multiplicité d’actes individuels, -
unité que consiste l’ordre juridique -, en la qualifiant de « peuple », pour un ensemble
d’individus et d’éveiller ainsi l’illusion que ces individus forment le peuple par tout leur être,
alors qu’ils n’y appartiennent que par quelques-uns de leurs actes, ceux que l’ordre étatique
ordonne ou défend. »
Pour Kelsen, les appareils répressifs (bureaucratie, Justice, Armée, Police, etc.) aussi bien
que les organisations de la société civile (familles, entreprises, groupes d’intérêts) ne sont pas autre
chose que les produits de la norme fondamentale :
« Nous supposons ici admis que ce que l’on a l’habitude d’appeler, par image
anthropomorphique (qui attribue un caractère humain à ce qui ne l’est pas) , la « volonté » des
collectivités et notamment de l’Etat, n’est pas une donnée psychologique – car
psychologiquement, il n’y a de volontés qu’individuelles – mais bien l’ordre idéal de la
communauté, posé par une multitude d’actes individuels et en formant le contenu. Comme tel,
l’ordre collectif est un système de normes, de prescriptions qui déterminent la conduite des
individus membres de la collectivité et qui, en vérité, constituent par là même cette
collectivité. Les membres de la collectivité et qui, en vérité, constituent par là même cette
collectivité. Les membres de la collectivité doivent se conduire d’une certaine façon, tel est le
contenu intellectuel en quoi consiste l’ordre collectif ; mais la façon la plus sensible et par
suite la plus intelligible pour la grande masse, qu’il s’agit précisément d’atteindre, d’exprimer
cette relation purement spirituelle est de la traduire : la collectivité, l’Etat (qu’on hypostasie
en une personne) « veut » -comme un homme ou un surhomme – que ses membres se
conduisent de telle ou telle façon. On présente l’  « obligation » établie par l’ordre étatique
comme la volonté d’une personne étatique. La « formulation de la volonté étatique » est donc
simplement le procès de création de l’ordre étatique ».
La manière dont Kelsen envisage la « formation de la volonté étatique », apparaît dans cette
remarque :

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« Or ce procès a pour trait essentiel et caractéristique que, partant d’une forme première
abstraite, il aboutit, à travers des étapes plus ou moins nombreuses, à une forme concrète,
qu’il conduit d’un ensemble de normes générales à une multitude de décisions ou de
dispositions, de normes étatiques individuelles. C’est un procès – tout différent de celui par
lequel se forme la volonté psychologique dans l’individu – de concrétisation et
d’individualisation, dans lequel la création des normes générales et abstraites se distingue
clairement que celle des dispositions concrètes et individuelles, de l’édictions des ordres ou
décisions individuels. Il appartient à la phénoménologie juridique de monter la diversité des
fonctions ».
Ces postulats conduisent logiquement Kelsen à reconnaître au système légal de la période
hitlérienne une valeur juridique formelle. La pensée kelsenienne a eu une influence déterminante
sur les constituants de 1958 en France. Cette vision du droit est aujourd’hui contestée, en particulier
en ce qu’elle considère la personne non pas comme une réalité substantielle existant en soi et pour
soi, c’est-à-dire un sujet digne de respect absolument, mais comme un présupposé du droit. Dans la
liste de ces critiques, nous pouvons citer celles de Norbert Rouland.

2. Un pouvoir politique
A côté de la vision juridiciste de Kelsen, existe une vision historiciste de l’Etat. Cette
vision s’efforce de saisir cette organisation à travers les actions réciproques des individus, les
sources de revenus et les conflits sociaux, la division du travail et la séparation des rôles sociaux,
les représentations sociales et les dispositions d’esprit des acteurs en présence. Dans cette vision,
l’Etat est représenté comme un processus, c’est-à-dire comme étant engagé dans un mouvement, un
changement, une transformation et une évolution constants. L’Etat apparaît non pas comme un
enchevêtrement de normes placées au-dessus des liens ordinaires qui rattachent les individus les uns
aux autres, et que le Législateur est amené à découvrir, parce qu’initié, mais comme les processus
évolutif des groupements humain eux-mêmes ; et l’analyse a pour tâche d’en suivre la lente marche
progressive à travers tous ses détours et de démontrer en lui, à travers toutes les contingences
apparentes, la présence de lois universelles.
Cette vision a trouvé sa forme achevée dans la sociologie wébérienne. Max Weber considère
l’Etat moderne comme « une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction
administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la
violence ». Cela n’a pas toujours été le cas historiquement. Au moyen-âge, les seigneurs détenaient
les prérogatives en matière de guerre. Pouvoir qui conduisait les seigneurs rivaux à s’engager dans
des querelles meurtrières sans fin pour acquisition de la terre. Il en résulte l’établissement d’un
climat de violences permanent, et un état de dévastation interrompue dans la société féodale. Par
ailleurs, ils exerçaient sur les populations soumises une autorité multiforme, dont le droit de
justice. Jean-Marie Carabasse montre que cette « justice seigneuriale n’est guère alors qu’un simple
pouvoir arbitraire de police, un moyen de contraindre les rustres (personne grossière qui ignore la
politesse), une distincto ». La centralisation politique, avec l’affirmation de la suprématie du
pouvoir royal, apparaît comme un processus d’éradication de ces violences dans le corps social, et
cela conformément aux vœux des populations qui souhaitent en finir avec cet état d’arbitraire et
d’incertitudes.
En Europe occidentale, l’Etat moderne apparaît comme le produit de la prise de
conscience du désordre politique dans la société féodale et du caractère archaïque des systèmes de
privilèges dans les rapports économiques. « Privilèges locaux, douanes différentielles, lois

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d’exception de toute sorte frappaient dans leur commerce non seulement l’étranger ou l’habitant des
colonies, mais assez souvent aussi des catégories entières de ressortissants de l’Etat ; des privilèges
de corporations s’installaient partout sans avoir ni fin ni cesse, en barrant la route au développement
de la manufacture. Nulle part, la voie n’était libre, ni les chances égales pour les concurrents
bourgeois, -et pourtant, c’était là la première des revendications et celle qui se faisait de plus en plus
pressante ».
Le droit romain qui est développé sur la base de l’égalité entre personnes privées et de la
reconnaissance de la propriété privée offre alors la possibilité de libérer la bourgeoisie des entraves
des privilèges et des lois d’exception et les travailleurs, des liens de corporation. Liberté qui permet
aux uns et aux autres de mettre en valeur leurs ressources en propre (capital ou force de travail).
C’est en se manifestant comme le garant de cet ordre juridique, qui rend possible la libre
circulation des marchandises et la conservation de la propriété privée, que l’Etat moderne s’impose
aux consciences individuelles comme quelque chose d’intéressant ; et, partant, doit être obéi.
Max Weber affirme que : « L’Etat moderne consiste pour une part non négligeable en une
structure de genre – en tant qu’il est un complexe d’activités d’êtres solidaires – parce que des
hommes déterminés orientent leur activité d’après la représentation qu’il existe et doit exister sous
cette forme, par conséquent que des réglementations orientées juridiquement en ce sens font
autorité ».

3. L’acceptation de l’ordre étatique


L’interrogation fondamentale est la validité de l’ordre étatique. Dans cette vision, la validité
de l’Etat est recherchée non pas dans sa conformité avec une norme fondamentale (dont le concept
impliquerait l’obéissance), mais dans l’attitude consciente des acteurs sociaux à son égard. C’est la
prise de conscience de sa nécessité relativement aux besoins d’ordre, de sécurité juridique des
échanges économiques, de protection de la propriété et de la liberté qui conduit les acteurs à se
représenter ses injonctions orientées en ce sens comme quelque chose qui fait autorité.
La validité d’un ordre étatique s’observe donc dans les actions ouvertes favorables aux choix
des gouvernements ou dans les dispositions d’esprit des citoyens qui consistent dans l’acceptation et
dans la soumission loyale aux normes établies, c’est-à-dire dans les diverses formes de
manifestation de soutiens. La légitimité de l’Etat est déduite non pas immédiatement de sa
conformité à l’ordre juridique, mais des représentations sociales dans lesquelles l’existence de cet
ordre prend une valeur absolue, c’est-à-dire comme valant la peine d’être représenté
impérativement. Les normes juridiques deviennent ainsi non pas des fins en soi, mais des moyens
d’institutionnalisation des conduites sociales souhaitables ou de prévention de celles indésirables
ou redoutées par tout le monde dans la société ; et l’Etat, le moyen de garantir extérieurement
l’ordre normatif donné en raison de sa capacité de dissuasion des passions individuelles et des
intérêts privés, l’échec des prétentions ou des intentions individuelles tenues pour démesurées ou
dangereuses, dans le cadre d’un territoire donné, et cela par l’usage du droit reconnu par tout le
monde comme valide absolument.
Cette origine fait que l’Etat présente des traits différents selon les expériences historiques,
l’état des rapports sociaux, l’élément de base du rapport de l’économie nationale (agriculture,
industrie, manufactures, rentes, trafics) et les dispositions d’esprit des acteurs. En Europe
occidentale, les besoins relatifs à un système de garanties de la liberté d’entreprendre, de travail, de
commerce, d’aller et venir, du droit de contracter nécessaire au développement de l’industrie

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conduisent à la revendication avec succès du droit à une valeur politique ou sociale égale pour tous,
au moins dans chaque localité prise à part.
Dans certaines sociétés, les rentes de produits fonciers ou pétroliers et de la contrebande, les
trafics de toute sorte, la corruption constituent encore la source de revenus principale pour les
acteurs appartenant aux couches supérieures ; et la débrouillardise, pour les éléments des couches
inférieurs. Dans ces conditions, le système de privilèges ou de franchises, les liens de dépendance
personnelle au détenteur du pouvoir, les archaïsmes socioculturels, les incertitudes de la propriété,
ne peuvent pas être représentés comme des entraves aux rapports économiques. D’ailleurs, les
éléments des couches dominantes s’en servent comme des ressources pour protéger leurs intérêts, et
se mettre à l’abri de la concurrence. L’Etat qui y est établi n’a qu’une fonction de simple police, en
vue de mieux faire échec aux contestations sociales. Car la création des conditions nécessaires à
l’échange de produits entre des acteurs égaux en droit n’apparaît pas comme une priorité.

4. Rôle et fonctionnement
L’Etat apparaît comme un acte conscient et intentionnel qui régule les actions et les
conduites diverses des acteurs en présence selon la nécessité du maintien de la coexistence
indépendante, égale et harmonieuse de ces derniers. Il se manifeste comme une forme rationnelle
dans laquelle l’interaction des individus entre eux, et leur dépendance réciproque, se fixent,
prennent une signification durable. Son adaptation s’opère grâce à un certain nombre d’organes qui
existent relativement à certaines fonctions spécifiques qu’il est appelé à remplir : Légiférer,
Exécuter, Juger. Il s’agit du Gouvernement, du Parlement, de la Cour suprême et de
l’Administration. Il n’existe pas de frontières étanche entre ces fonctions. Tant et si bien qu’une
même fonction peut-être remplie par des organes différents.

Fonctions et organes de l’Etat


Fonctions Organes de l’Etat
Légiférer Parlement (loi stricto sensu)
Gouvernement (règlement autonome)
Cours suprême (arrêts de principe)
Exécuter Gouvernement (textes d’application, mesures individuelles) Administration (textes
d’application, mesures individuelles, opérations matérielles) Parlement (mesures
individuelles exceptionnelles)
Juger Parlement (lois d’amnistie) Gouvernement et
Administration (recours gracieux) Autorités
Juridictionnelles (recours contentieux)

B) Les partis politiques


« On doit entendre par partis politique des associations reposant sur un engagement (formellement)
libre ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un groupement et à leurs militants
actifs des chances – idéales ou matérielles – de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des
avantages personnels, ou de réaliser les deux ensemble. Ils peuvent constituer des associations
éphémères ou permanentes, se présenter dans des groupements de tout genre et former des
groupements de toute sorte : clientèle charismatique, domesticité traditionnelle, adhésion rationnelle
(en finalité ou en valeur, « fondée sur une représentation du monde »). Ils peuvent être de
préférence orientés vers des intérêts personnels ou des buts objectifs. En pratique, ils peuvent en

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particulier, officiellement ou effectivement, se borner à l’obtention du pouvoir pour leurs chefs et à


l’occupation des postes de la direction administrative par leur appareil (parti de patronage
[Partonage- Partei]. Ils peuvent surtout s’orienter consciemment, dans l’intérêt d’ordres ou de
classes (parti d’ordre ou de classe), ou vers des buts matériels concrets ou vers des principes abstrait
(parti inspiré par une représentation du monde [Weltanschauungs-Partei]. Habituellement, la
conquête des postes de la direction administrative est secondaire ; il n’est pas rare que le
« programme matériel d’un parti ne soit qu’un moyen pour provoquer les adhésions. »
Cette définition présuppose trois caractéristiques essentielles des partis politiques : 1)
cadres d’actions individuelles orientées vers la réalisation des buts objectifs et/ou l’obtention des
avantages personnels, 2) espace d’agrégation et d’articulation des intérêts privés divers – et ce en
raison d’une représentation commune favorable au compromis entre les intéressés [adhésion
rationnelle], 3) formes de mobilisation orientée vers la conquête du pouvoir. Les partis se présentent
comme des formes sociales qui tendent à accroître l’efficacité des actions individuelles visant à
exercer une influence quelconque sur la direction administrative de l’Etat. L’exigence d’efficacité
conduit à la professionnalisation de ces groupements, à mesure que se complexifie le jeu politique
relativement à la diversification et à l’accroissement des paramètres constitutifs de l’accès et de
l’exercice du pouvoir (concurrence électorale élargie qu’introduit le suffrage universel,
renforcement des prérogatives du parlement et des compétences juridiques des collectivités
territoriales, élargissement des exigences sociales prises en charge par ces instances étatiques, etc.).
Cette professionnalisation ne manque pas d’influencer leur structuration et leur fonctionnement.

1. Structure, fonctions et fonctionnement des partis politiques


Dans son ouvrage Les Partis politiques (1911), Roberto Michels (Cologne, 1876-Rome,
1936) montre comment la spécialisation des tâches politiques entraîne une organisation
oligarchique des partis politiques à vocation démocratique : les partis socialistes au début du siècle
dernier. Il souligne que le souci d’efficacité conduit les membres à rechercher des chefs et des
organisateurs, qui se spécialisent à des tâches diverses, c’est-à-dire des professionnels ayant des
connaissances et des compétences spécialisées dans les questions politiques. Il s’agit pour les
masses de déléguer leur pouvoir à un groupe de techniciens de la politique, patentés et éprouvés.
Processus qui se renforce avec l’apparition de possibilités de carrière au sein de ces organisations et
l’établissement d’un système de formation contribuant à la formation d’une élite dirigeante. Selon
Roberto Michels, cette évolution entraîne la réduction des influences des masses sur la direction de
ces organisations, et, proportionnellement, de l’accroissement du pouvoir des chefs :
« Tous ces instituts d’éducation destinés à fournir des fonctionnaires au parti et aux
organisations ouvrières, écrit-il, contribuent, avant tout, à créer artificiellement une élite
ouvrière, une véritable caste de cadets, d’aspirants au commandement des troupes
prolétariennes. Sans le vouloir, on élargit ainsi de plus en plus le fossé qui sépare les
dirigeants des masses. La spécialisation technique, cette conséquence inévitable de toute
organisation plus ou moins étendue, rend nécessaire ce qu’on appelle la direction des affaires.
Il en résulte que le pouvoir de décision, qui est considéré comme un des attributs spécifiques
de la direction, est à peu près retiré aux masses et concentré entre les mains des chefs seuls. Et
ceux-ci qui n’étaient au début que les organes exécutifs de la volonté collective, ne tardent pas
à devenir indépendants de la masse, en se soustrayant à son contrôle. Qui dit organisation dit
tendance à oligarchie. »

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Cette transformation structurelle est corrélative au rehaussement du rôle de ces organisations


dans les processus de régulation des exigences présentées au système politique. Les partis politiques
endossent progressivement la fonction de filtrage ainsi que d’homogénéisation de ces exigences
souvent contradictoire et de conversion de ces attentes en objet d’action publiques ou de politique
publiques. Ils sont également appelés à anticiper les exigences de leurs publics. Le développement
des aptitudes en ce qui à trait à l’écoute de leurs mécontentements, de leurs doléances et des
capacités à les prendre en charge est redu prétendent endosser des fonctions de représentations
politiques. Il importe donc de savoir parler et se tenir en public, se comporter face à des
représentants d’autres groupes d’intérêts, de maîtrise de soi, d’être apte à accepter les
compromissions de l’intégration institutionnelle. Ces normes disqualifient les attitudes purement
protestataires et valorisent les tendances au compromis, au respect des décisions résultant des
processus de négociation et de concertation. En exigeant ces lignes de conduites à leurs membres,
les partis politiques jouent un rôle de socialisation politique.
Divers acteurs interviennent dans l’accomplissement de ces rôles : militants bénévoles (non
professionnels), salariés et des élus (professionnels de la politique). Des conflits surgissent souvent
entre militants bénévoles et professionnels pour le partage des responsabilités. Les revendications
des militants portent souvent sur des gratifications matérielles et symboliques auxquelles ils
aspirent.

2. La légitimation des partis politiques


Les partis politiques tirent leur légitimité non pas seulement de leur capacité à influencer
l’Etat et à peser l’attribution des ressources qu’il détient, mais plus encore des garanties qu’ils
présentent relativement au maintien des règles du jeu politique. Il en résulte la réussite de leur effort
pour avoir le monopole de la sélection des dirigeants politiques :
« L’appartenance à une organisation politique accroît généralement les chances d’être reconnu
ou sélectionné comme susceptible d’occuper une position dirigeante, c’est-à-dire d’être
effectivement « cooptable », « désignable » ou « éligible ». Elle fait bénéficier le candidat
d’un préjugé de compétence à gouverner et d’aptitude à représenter une « famille » politique,
un groupe d’électeurs, une unité de cohésion sociale, voire la collectivité tout entière. Elle
garantit de surcroît que le candidat, s’il accède au poste qu’il revendique, y exercera ses
fonctions selon les règles et les exigences qu’il s’est engagé pratiquement à respecter en
sollicitant l’appui de l’organisation ; en ces sens, l’appartenance au parti politique a valeur
d’engagement « moral », le parti tenant le rôle d’un garant de fidélité à des principes et à des
pratiques. »
En occident, les exigences de la concurrence électorale induite par le suffrage universel et la
complexification des tâches liées aux fonctions de représentation politique (au parlement et dans les
mairies des grandes villes) finissant par rendre les parties politiques indispensables. Dans la mesure
où ceux-ci apparaissent comme une forme de globalisation et de capitalisation des ressources pour
candidats et élus. Il s’agit de soutiens qui s’avèrent déterminants dans la perspective de conquête et
d’exercice du pouvoir. Tout cela contribue à réduire considérablement les chances de succès de tous
ceux qui veulent briguer un mandat électif, en dehors des parties politiques.
Ce rôle central tend à renforcer la légitimité du droit de ces organisations à représenter des
groupes sociaux ou des catégories d’individus, comme celle de leur droit à sélectionner les
dirigeants. Il s’agit d’un type de légitimation né au cours des processus d’interaction, constitué par

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des luttes permanentes entre divers groupes pour le contrôle des moyens d’influence sur l’Etat et sur
le mode de répartition des ressources qu’il détient.
En France, cette évolution se fait aux dépens des notables des régimes censitaires dont la
réussite matérielle et le prestige social tenaient lieu de qualification aux postes revendiqués avec
succès au sein de l’Etat. Jouissant d’une forte notoriété dans la société, leur nom suffisait à leur
assurer l’élection aux postes politiques. Leurs prises de position politiques nationales,
l’investissement dans le travail parlementaire n’avaient aucune incidence sur leur élection ou leur
réélection. La légitimité des partis entraîne la disqualification de ce mode de pouvoir personnel lié
aux privilèges de la naissance. L’imposition du programme politique, défini par un parti politique,
comme base d’un contrat moral liant le candidat et les électeurs traduit une nouvelle forme de
légitimité. Celle-ci est plus conforme à la position sociale des nouveaux concurrents issus de la
petite et moyenne bourgeoisie que l’introduction du suffrage universel à favorisée la participation
aux joutes politiques :
« Partout en Europe, l’élargissement plus ou moins rapide et important du droit de suffrage se
traduit par l’arrivée de candidats socialement plus modeste, sinon toujours en raison de leur
profession d’origine mais par leur origine sociale. Ces derniers compensent leur illégitimité
sociale relative et leur manque de notoriété en recourant à de nouvelles techniques de
mobilisation. Réunions publiques, professions de foi, tournées électorales font alors leur
apparition […] Leur chances de succès auraient été cependant bien minces, s’ils n’avaient
dans le même temps réussi à s’organiser au moins à s’appuyer sur des organisations
préexistantes non expressément politiques. Les cafés, les cercles ou encore les loges
maçonniques constituent ainsi, dans la France des débuts de la III e République, des relais
politiques essentiels, tout comme un peu plus tard, les cabarets, les mutuelles, et les syndicats
le seront pour les partis ouvriers ».
On peut dire que les partis politiques en Occident traduisent le succès des prétentions des
acteurs issus des catégories sociales modestes à influencer, à exercer ou à participer au pouvoir. En
France, il fallu attendre la loi de 1901 sur les associations pour que les partis politiques obtiennent
une reconnaissance et 1958 pour qu’ils aient une existence constitutionnelle. En dehors des partis
politiques, il existe d’autres formes de participations politiques. Il s’agit des groupes d’intérêts.

C. Les groupes d’intérêts


La notion de groupe d’intérêts désigne des communautés structurées, organisées et
composées d’individus qui partagent des vues et des objectifs communs. Ils regroupent les
associations professionnelles, les syndicats, et autres groupement sociaux. Leurs programmes visent
à influencer les fonctionnaires du gouvernement et les politiques publiques. Leur but n’est pas de
tenter de se faire élire mais bien d’assurer des traitements de faveur pour eux-mêmes, pour leurs
membres et la satisfaction des attentes et des exigences qu’ils prennent en charge. Ils apparaissent
comme des formes de globalisation des ressources pour patrons, salariés, entrepreneurs moraux et
autres acteurs sociaux.

1. Importance et influence
L’importance et l’influence de ces groupes varient selon le contexte socioculturel et
politique de chaque pays. Elles dépendent des conditions générales de la participation des citoyens
au processus décisionnel et de la conscience des exigences des grands équilibres socio-économique
et politiques chez les acteurs en présence. Dans les pays qui connaissent des divisions sociales et
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politiques profondes, il s’avère difficile de s’entendre sur l’idée du bien commun et la classe des
réalités sociales qu’elle couvre. Dans ces contextes, le pouvoir politique est souvent confisqué par le
groupe social homogène le plus puissant qui dénie aux autres groupes d’intérêts les droits de
participation politique. Les activités de chacun de ces groupes visent la plupart du temps le
renversement du gouvernement et la neutralisation de l’autorité de la loi.
Dans les sociétés où aucun groupe social n’a les moyens d’imposer durablement son
hégémonie (domination totale ; suprématie) sur tous les autres, l’existence et la mobilisation des
groupes d’intérêts finissent par être reconnues comme légitime. Des cadres légaux des activités de
ces groupes sont alors institués. C’est le cas dans les pays occidentaux. La plupart des groupes
d’intérêts engagent des professionnels pour diriger des programmes qui visent à influencer les
concepteurs de politiques, les politiques et les électeurs. Ces personnes consacrent du temps et de
l’argent pour influencer ceux qui établissent les règlements en leur fournissant de l’information
factuelle dans leur domaine d’intérêts. Ils peuvent devenir des parties tierces et acheter de la
publicité dans les grands médias en faveur de certaines campagnes ou pour appuyer certaines
opinions.

2. Cadre normatifs
Certes, les lobbyistes (membre d’un groupe organisé qui défend un intérêt ou une idée)
cherchent avant tout à promouvoir les intérêts de leurs clients. Mais ils le font dans le respect des
règles et des règlements conformes aux normes sociales et juridiques existantes. Cela peut vouloir
dire la divulgation du nom de leur employeur, de leurs sources de financement, de leurs activités et
de leurs dépenses. Ces règles sont fondées sur la croyance que l’Etat doit garantir le compromis
entre des intérêts contradictoires et réaliser les grands équilibres sociaux. Elles reposent également
sur l’acceptation consciente de l’autorité de la Constitution et des lois qui encadrent les interactions
politiques et la confiance dans des agents publics, qui sont appelés à accomplir leur tâches pour le
bien public et non pour des fins personnelles ou partisanes. Ces croyances impliquent que toute
personne occupant un poste de responsabilité, qu’il soit du gouvernement, de la communauté des
affaires ou de la société civile, a le devoir d’agir avec intégrité et d’encourager la démocratie et la
justice.
Les méthodes et habilités de groupes d’intérêts à influencer le pouvoir politique varient d’un
pays à un autre. Dans certains pays, les groupes d’intérêts ne sont pas politiquement actifs.
Cependant, dans d’autres pays, comme aux Etats-Unis, les groupes d’intérêts se sont organisés et
ont proliféré à tel point qu’ils sont reconnus comme des « groupes de pression ». En Europe, le
renforcement des compétences juridiques des institutions européennes entraîne le développement
des activités de ces groupes ayant ces institutions pour cible. C’est le cas des organisations
patronales regroupées au sein de l’UNICE (Union Interprofessionnelle des Chefs d’Entreprises) et
de nombreux syndicats de salariés, au sein de la CES (Confédération Européenne des Syndicats).
Ces groupes agissent donc à tous les niveaux, infra-étatique, national ou européen, tant
auprès des assemblées délibérantes, des instances exécutives qu’auprès des services administratifs.
Philippe Braud montre qu’au niveau des institutions européennes ces pratiques de lobbying créent
les « conditions favorables à des commissions payées à l’occasion de certains marchés, comme
l’ont montré plusieurs affaires récentes à l’échelle internationale, (par exemple, les arrière-plans de
la vente des frégates à Taïwan, en 1992, révélés par la justice en 1998, ou encore le scandale
déclenché en Allemagne, en 1999, par le financement illégale de la CDU). Il faut aussi noter les
liens étroits, personnels, juridiques ou financiers qui peuvent unir certains groupes d’intérêts. Des

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dirigeants syndicaux ont pu siéger ès qualité au bureau politique de certaines formations (CGT et
PCF) ; des adhésions collectives ont pu parfois être instituées : les Trade-unions comme membres
du Labour Party en Grande-Bretagne ; surtout, beaucoup plus généralisées sont les contributions et
facilités matérielles accordées par des groupes d’intérêts à des partis pour en faciliter le
fonctionnement ou assurer le financement de leur campagne électorales… »

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