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Repères

Recherches en didactique du français langue maternelle

Notes de lecture 2021

Denizot, N., Dufays, J.-L. et
Louichon, B. (dir.). (2019).
Approches didactiques de la
littérature
Namur : Presses universitaires de Namur, 190 p. ISBN : 978-23-
902-9027-8

Christine Boutevin
https://doi.org/10.4000/reperes.3335

Référence(s) :

Denizot, N., Dufays, J.-L. et Louichon, B. (dir.). (2019). Approches didactiques de la littérature. Namur : Presses
universitaires de Namur, 190 p. ISBN : 978-23-902-9027-8

Texte intégral
1 Dans la collection «  Recherches en didactique du français  » des Presses
universitaires de Namur, la publication de l’Association internationale pour la
recherche en didactique du français a pris le parti de ne pas interroger la
discipline de recherche « didactique de la littérature », mais la littérature au sein
de la didactique du français. Dans le prolongement des travaux de synthèse de
Bertrand Daunay1 et Sylviane Ahr2, elle vise à présenter des panoramas
historiques ainsi que des synthèses de notions ou concepts (l’écriture littéraire,
l’histoire littéraire, l’interprétation, la réflexivité, l’autobiographie de lecteur) et à
questionner la didactique de la littérature d’un point de vue méthodologique et
au regard des sciences de l’éducation et de la psychologie cognitive. Cette double
perspective à la fois de mise au point et de questionnement en fonction d’autres
disciplines constitue le point fort de cet ouvrage.
2 Le volume s’ouvre sur une contribution éclairante de Sonia Florey et Noël
Cordonier qui étudient le vaste corpus de textes issus des Rencontres des
chercheurs en didactique de la littérature, réseau constitué à partir de 2000.
L’analyse des dix-sept premières années de publications met en évidence  une
évolution  : alors que les méthodologies au tout début du xxie  siècle semblaient
peu rigoureuses, désormais, parce que la didactique de la littérature s’est
constituée en tant que discipline de recherche à part entière, les auteurs
observent un nombre croissant d’approches qualitatives à visée descriptive
reposant sur des protocoles construits et clairement définis où la subjectivité des
chercheurs constitue un fondement. Ils font alors l’hypothèse très originale et
stimulante que la recherche en didactique de la littérature aurait peut-être
instauré le « sujet chercheur ».
3 Marie-France Bishop, quant à elle, analyse les textes officiels et les manuels de
l’enseignement primaire du cycle  3, sur une vaste période allant de 1880 à nos
jours, afin d’étudier la manière dont y est conçue l’approche de la littérature. Elle
identifie et caractérise quatre moments  : à la fin du xixe  siècle, la lecture
instructive et éducative  ; du début du xxe  siècle jusque dans les années  1970, la
lecture expressive ; dans les années 1970, la lecture fonctionnelle ; de la fin xxe au
xxie siècle, la lecture littéraire. La chercheure explique à quel point cette dernière

période est un véritable tournant, car la didactique de la littérature intègre


l’école primaire.
4 Après ces perspectives historiques, la première notion questionnée est celle de
l’écriture littéraire. Marion Mas propose une synthèse d’une très grande clarté
qui tente de mettre en évidence les diverses significations de l’expression
apparue dans les années 2000. Elle rappelle d’abord les éléments contextuels qui
ont permis son émergence : critique de la didactique de l’écriture, apparition de
l’écriture d’invention dans les programmes, intégration dans la didactique de la
génétique textuelle et réapparition de la notion de créativité dans la didactique
du français. Ce contexte la conduit à poser les bases d’un questionnement
interrogeant soit l’interaction entre lecture et écriture soit l’articulation entre
créativité et savoirs littéraires, soit le « scripteur littéraire ». L’écriture littéraire
selon le questionnement choisi suit des orientations différentes  : on trouve des
approches au sein desquelles le texte est à la source de l’écriture  ; d’autres où
l’articulation entre pratiques d’écrivains et pratiques scolaires intègrent les
notions de sujet lecteur, sujet scripteur  ; d’autres encore où les activités de
lecture et d’écriture tendent parfois à être confondues comme dans les écritures
de la réception. Marion Mas conclut en revenant subtilement à la définition de la
notion et à ses reconfigurations successives. Si l’écriture littéraire n’est pas
encore stabilisée en tant que concept didactique, la notion s’actualise aujourd’hui
dans l’enseignement comme un processus dynamique à trois pôles  : lecture
littéraire, acquisition de connaissances littéraires et démarche de création.
5 Lætitia Perret analyse ensuite la notion d’histoire littéraire dans les
publications des Rencontres des chercheurs en didactique de la littérature
comme Sonia Florey et Noël Cordonier. Elle relève que si cette notion est absente
des titres des contributions, elle est bien présente dans le corps des textes.
L’autrice souligne que la notion décriée au sens traditionnel, est aujourd’hui
articulée aux notions de patrimoine et de classique et qu’elle entre en tension
avec celle de sujet lecteur et de lecture littéraire. Cet éclairage est intéressant au
regard des programmes de collège et de lycée en vigueur actuellement puisque
les finalités de l’enseignement de la littérature allient histoire, culture littéraire et
formation personnelle du citoyen. La notion demeure donc pertinente pour la
formation et la recherche, nous en convenons avec Lætitia Perret.
6 La troisième notion abordée est « le concept flou d’interprétation » comme le
qualifie Sylviane Ahr qui se donne pour objectif ambitieux de mieux le cerner.
Elle propose tout d’abord une approche dans le contexte scolaire en étudiant les
discours des enseignants mis en regard des discours institutionnels. Dans le
discours des enseignants, elle note que les professionnels ont certaines difficultés
à cerner la notion, qu’ils mêlent souvent analyse des textes et interprétations et
que certains hiérarchisent comprendre et interpréter. Sylviane Ahr explique
ensuite que les programmes actuels envisagent l’interprétation comme  un
processus qui irait du recueil des impressions de lecteurs à l’analyse des sources
possibles des réceptions singulières. Mais elle regrette que ces discours ne
définissent pas les éléments de ce processus et mentionne que d’autres textes
institutionnels s’appuient sur les travaux scientifiques de la didactique de la
littérature mais aussi sur le concept scientifique d’interprétation, lui-même
présent dans le champ des sciences humaines. L’intérêt de la contribution est
ensuite de revenir au concept scientifique du point de vue historique et de
montrer comment sont liées interprétation et herméneutique. Enfin, Sylviane
Ahr consacre la dernière partie de son article aux débats didactiques. Elle
rappelle un numéro de la revue Pratiques qui, en 1992, mettait déjà en évidence
que certains didacticiens défendaient l’idée d’imbrication étroite entre
compréhension et interprétation, mais qu’à partir du moment où se développent
les recherches en didactique sur la lecture littéraire, une clarification du concept
d’interprétation apparait. On y associe alors la notion à l’expérience subjective
du lecteur réel.
7 La notion de réflexivité en didactique de la littérature fait l’objet d’une étude
de Marion Sauvaire qui en propose une synthèse théorique constatant tout
d’abord une pluralité de définitions dans les domaines contributoires de la
littérature. Il est juste de souligner que la notion n’est pas propre ni à la
littérature ni à la didactique du français. Marion Sauvaire rappelle
pertinemment le modèle du «  praticien réflexif  » dans la formation des
enseignants sur lequel repose la réflexion sur la notion et relève que ce modèle
ne permet pas d’envisager le problème en littérature. Revenant sur ses propres
travaux de recherche en didactique de la littérature qui s’appuient sur les écrits
de Paul Ricoeur, Marion Sauvaire fait des propositions originales pour définir ce
que serait la réflexivité du sujet lecteur dans la lecture littéraire. Quatre
dimensions pourraient la définir : la mise à distance des pratiques langagières, la
mise à distance et l’appropriation des interprétations, le retour sur soi comme
lecteur et la mise en relation des discours d’autrui. Cette nouvelle approche très
stimulante laisse penser que la notion de réflexivité en didactique de la
littérature n’est pas loin de devenir un concept didactique, même si Marion
Sauvaire craint qu’elle ne se dilue dans une variété de pratiques hétéroclites.
8 Enfin, Chiara Bemporad propose une synthèse des démarches didactiques
autour de l’autobiographie de lecteur en rappelant tout d’abord les travaux
fondateurs d’Annie Rouxel, Gérard Langlade, Séverine De Croix et Jean-Louis
Dufays qui l’ont abordée en didacticiens. Ensuite, elle recherche les sources
épistémologiques convoquées par ces derniers. Du côté de la littérature, ce sont
les autobiographies de lecteurs de renom. Du côté de la sociologie, ce sont l’étude
des pratiques effectives de la lecture qui servent de base méthodologique et
épistémologique. Elle s’interroge alors sur ce que l’on peut observer grâce aux
autobiographies de lecteurs, puis analyse trois exemples de discours d’étudiants
de français et de français langue étrangère. Cette focalisation sur ce public parait
intéressante pour étudier les verbalisations de trois observables  : le mode de
lecture, la bibliothèque intérieure et l’identité de lecteur. Dans un second temps,
elle aborde la méthode biographique en didactique des langues en se demandant
si cela peut être une ouverture pour la didactique de la littérature. Cette
perspective alléchante amène à penser que des travaux comparatifs seraient tout
à fait pertinents.
9 L’article de Christophe Ronveaux et de Bernard Schneuwly présente la
spécificité d’exposer très minutieusement tous les éléments constitutifs d’une
méthode de recherche. Ils se sont ainsi fixé pour objectif de déployer le cadre
conceptuel, les hypothèses et le cadre d’analyse de la recherche GRAFElitt qui a
fait l’objet d’une publication3 d’ampleur en 2018, sur les pratiques effectives d’un
enseignement de la littérature au fil des niveaux scolaires. Ils cherchent ici à
expliquer en quoi l’approche descriptive et explicative quasi expérimentale
parait la solution adéquate pour décrire la transformation de la littérature
enseignée. Après un retour sur la notion de disciplination comme « processus à
travers lequel un élève est exposé à des modes de penser, parler et faire
correspondant à une discipline et se les approprie  » (p.  143), ils expliquent
quelles ont été les trois focales pour analyser le travail de l’enseignant  : la
structure des séquences d’enseignement  ; les outils et les instruments de
l’enseignant (sont retenus  : le résumé, le questionnaire, l’écriture de texte, la
lecture à voix haute et les supports)  ; et les gestes professionnels ainsi que les
actions langagières spécifiques du travail des enseignants et des élèves sur les
textes littéraires. On l’aura compris, cette contribution a le mérite de compléter
les publications antérieures de l’équipe concernant cette recherche et d’offrir
une méthodologie fort utile.
10 Les deux dernières contributions interrogent la didactique de la littérature au
regard de savoirs issus d’autres disciplines scientifiques. Patricia Richard-
Principalli et Jacques Crinon s’interrogent sur la manière de faire entrer tous les
élèves, même les plus fragiles, en littérature. Pour cela, ils font l’hypothèse d’un
dialogue fécond entre les champs de la didactique de la littérature et des sciences
de l’éducation. Les auteurs reviennent alors sur des concepts heuristiques pour
penser des inégalités, développés par l’équipe ESCOL de l’université de Créteil : le
rapport au savoir, la coconstruction (école et famille) des inégalités scolaires et la
secondarisation. Selon eux, les didacticiens de la littérature analysent les
difficultés pour l’appropriation des textes littéraires en laissant de côté ces
concepts. Ils proposent alors trois pistes exemplifiées articulant les deux
champs  : il s’agirait de prendre en compte les logiques familiale et scolaire
adverses, de questionner des usages différents de l’écrit et d’interroger l’usage du
langage par l’enseignant qui révèle parfois des malentendus.
11 Enfin, grâce à une recension d’articles publiés dans trois revues de didactique
du français (Le français aujourd’hui, Pratiques et Enjeux), la contribution de Julie
Babin questionne la manière dont les fondements de la psychologie cognitive est
prise en compte dans les recherches sur l’enseignement de la littérature dans
l’enseignement secondaire. Elle commence par rappeler les processus cognitifs à
l’œuvre lors de la lecture littéraire  : la mémoire, la référence aux inférences et
les stratégies de lecture. L’analyse des résultats obtenus à partir des 116 articles
retenus est éclairante. Si peu d’entre eux convoquent explicitement les
fondements de la psychologie cognitive, en revanche lorsqu’il s’agit d’évoquer
des activités de lecture de la littérature, un grand nombre s’appuie implicitement
sur des savoirs de cette discipline surtout lorsqu’ils abordent les opérations
cognitives complexes à enseigner à des adolescents et envisagent des aides pour
développer des compétences de lecture littéraire. Finalement, cette étude a le
mérite de mettre en évidence la nécessaire articulation entre les deux disciplines
pour mener des recherches portant sur un public de collégiens et de lycéens qui
n’a pas encore fini d’apprendre à lire les textes littéraires.
12 L’ouvrage parait donc tout à fait intéressant pour les éclairages synthétiques
proposés  : il constitue une nouvelle étape de mise au point théorique
complémentaire de la récente publication du Dictionnaire de didactique de la
littérature4. Il met en évidence le rôle majeur que constitue le réseau des
Rencontres sans s’en tenir à la seule discipline de recherche qui lui est propre. Il
interroge des liens existants et potentiellement riches avec d’autres champs. Pour
ces raisons, le volume pourrait aussi devenir un ouvrage de référence pour les
étudiants qui sont amenés à se former par la recherche en didactique du
français.

Notes
1 Daunay, B. (2007). État des recherches en didactique de la littérature. Revue française
de pédagogie, 159, 139-189.
2 Ahr, S. (2015). Enseigner la littérature aujourd’hui  : «  disputes  » françaises. Honoré
Champion.
3 Ronveaux, C. et Schneuwly, B. (dir.). (2018). Lire des textes réputés littéraires  :
disciplination et sédimentation. Enquête au fil des degrés scolaires en Suisse romande. Peter
Lang.
4 Brillant Rannou, N., Le Goff, F., Fourtanier, M.-J. et Massol, J.-F. (2020). Un Dictionnaire
de didactique de la littérature. Honoré Champion.

Pour citer cet article


Référence électronique
Christine Boutevin, « Denizot, N., Dufays, J.-L. et Louichon, B. (dir.). (2019). Approches didactiques
de la littérature », Repères [En ligne],  | 2021, mis en ligne le 06 mai 2021, consulté le 28 mars
2022. URL : http://journals.openedition.org/reperes/3335 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/reperes.3335

Auteur
Christine Boutevin
Université de Montpellier

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