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TA’WEN-Ã-NALIK-TU1
ANIMISTE SUPPLIQUE
AU SOLSTICE D’ÉTÉ CHANTÉE
POUR QUE RENAISSE
EN VÉNÉRABLE CONFRÉRIE
UN NOBLE ANTHROPOLOGUE
1
En mamãindê, dialecte nambikwara du nord, littéralement : forêt (ta’wen), infixe du génitif (ã),
souvenir, pensée (« nalik » qui se décompose en « na », tête et « lit » (arriver) qui se phonétise
« lik » devant un « t »), suffixe des substantifs (tu) ; autrement dit : "la pensée sauvage". Ou si
l’on préfère : la passe (en) tête de la forêt (vierge).
I
La hotte du Père Noël
Lévi-Strauss fut un sage et comme tout sage, il fut admiré d'une toute
petite élite de pairs ou d'honnêtes gens cultivés, mais ignoré pour ne pas
dire moqué, « condescendé » par l'opinion dite publique.
L'amérindien, tout Primitif (ne riez pas, ne vous moquez pas des seuls
êtres humains aptes encore à survivre dans les pires conditions terrestres, ce
que tout civilisé serait incapable, du moins à long terme, sans médecine,
commerce au coin du bois ou feu dans un abri de fortune), tout Primitif
donc a le respect austère et pointilleux de la Nature et de son équilibre ainsi
que sa déesse-mère la Terre. La gratter simplement pour en tirer profit
déchire le cœur aux plus farouches chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, si ce n’est
en quelque jardin discret, secret à effleurer sa croûte respectable, oui sa
peau. Nature et Culture ne font qu'un chez eux. Espèce humaine et croûte
terrestre, comme fut titré l’un des ouvrages posthumes de Bordiga.
Claude Lévi Strauss fut des grands dans la contrée reculée des
anthropologues, tel un Malinowski ou encore un abbé Breuil, un
Haudricourt, un Leroi-Gourhan qui, chacun en leur domaine, ont réalisé à
la fois œuvre scientifique (de "sciences humaines") et œuvre poétique. Lire
ou contempler Les Argonautes du Pacifique Occidental, Les Nuer, Quatre
Cents Siècles d’Art Pariétal, L'Homme et la Charrue à Travers le Monde 2
et Préhistoire de l'Art Occidental relève pour tous, tout autant du plaisir
esthétique que du plaisir de découvrir des mondes ignorés. L’œuvre écrite
du spéléologue « à l’ancienne » Norbert Casteret, récits quasi romanesques
qui ont bercé ma jeunesse, est de la même trempe. Il en va de même pour
Lévi-Strauss, connu par moi nettement plus tard, sans doute de la bande le
plus philosophe et moraliste (dans le sens du terme à l'époque classique).
2
L’un de ses nombreux ouvrages, celui-ci écrit en collaboration avec Mariel Jean-Brunhes
Delamarre géographe et ethnologue.
Oyons donc, des limbes d'un au-delà des cieux, les remembrances
d’un vieillard, tout sauf idiot, à une vieille Dame que nous voulons croire
non indigne, et qui dans la hotte en bois du Père Noël a dressé des écrits de
sa complainte au supplicié. Bribes éparses de mémoires, dispersées aux
vents perdus de sa mémoire.
Lévi-Strauss n’est pas même athée, mais plutôt indifférent ou ami des
religions-philosophies orientales et du Bouddha stoïque et contemplatif. Et
de ses formes les plus douces. Il nous dit exactement, il suffit de le lire ou de
l’écouter, voix lointaine déjà :
3
Cf. Le Père Noël supplicié aux éditions des Sables, sur la route de l'Eglise à Pin-Balma, 1996.
4
Yasû`a est le nom de l’oint Jésus dans la Bible des chrétiens arabes et 'Îsâ celui du prophète Jésus
fils de la vierge Maryam, précurseur, annonciateur du Prophète (sic).
5
Littéralement "le monsieur évêque » en breton.
Aussitôt, chacun des groupes vantant sa morale, et la préférant à
toute autre, il s'éleva de culte à culte une nouvelle dispute plus
violente (opus cité, ci-après).
7
Saturne une des anciennes divinités romaines, est un deus otiosus, dieu en sommeil une
bonne partie de l’année ;lors des Saturnales, on le libère des bandelettes dont il est lié le
reste de l’année. Il a été assimilé à Cronos le père « infantophage » de Zeus.
solaire retrouvée. L'un des aspects de l'éternel retour des saisons. Puis avec
le temps, logiquement, Saturne fut associé au cycle de l'agriculture.
« Inciter, vivifier, stimuler », Savitar est l'aspect actif du Soleil, le soleil en
tant qu'énergie qui stimule le monde par opposition à Sûrya qui est le soleil
en tant que réalité matérielle, présence au ciel, maître du ciel et de la
lumière du jour. Principe primordial. L’un agit, l’autre a créé et maintient.
C'est une forme d'opposition ou de dualité, de complémentarité plutôt, que
l'on retrouve entre Réa8 et Aton. Réa « celui qui fait », s'est créé lui-même
en se nommant, comme il créa l'univers et les éléments de la vie en les
faisant sortir du Noun, l'océan primordial. Réa est également le maître de
l'année. Le jour de l'an est le jour de la naissance ou de la renaissance de
Réa, vers la mi-juillet correspond au début de la crue du Nil . Aton est le
principe visible de Réa, ou d'Atoum-Réa, Atoum ou Toum signifierait quant
à lui l'Indifférencié. Aton est la personnalisation du disque solaire. Ce n'est
pas le démiurge du monde, principe créateur de la Nature, mais son
symbole et sa réalité présente, son principe abstrait mais également actif en
tant que lumière. Le nom d'Akh-én -Aton ne signifie-t-il pas : Éclat d'Aton.
9
À ne pas confondre avec la scatologie judaïque qui fait baigner le mauvais frère Jésus dans un
chaudron d’excréments brûlants pour toute éternité.
10
Volney est un pseudonyme, un nom de plume formé avec le Vol de Voltaire et le Ney de
Ferney. De son vrai nom : Constantin, François Chasseboeuf de La Giraudais, né à Craon
en Anjou en 1757, mort à Paris en 1820, comte et pair de France, personnage fortement
misanthrope et misogyne.
11
sixième [et derniere] édition corrigée de nouveau par l’auteur, Baudouin frères, Paris,
1820.
Maintenant, si vous résumez l’histoire entière de l’esprit
religieux, vous verrez que dans son principe il n’a eu pour
auteur que les sensations et les besoins de l’homme ; que l’idée
de Dieu n’a eu pour type et modèle que celle des puissances
physiques, des êtres matériels agissant en bien ou en mal, c’est-à-
dire en impressions de plaisir ou de douleur sur l’être sentant ;
que, dans la formation de tous ces systèmes, cet esprit religieux
a toujours suivi la même marche, les mêmes procédés ; que dans
tous, le dogme n’a cessé de représenter, sous le nom des dieux,
les opérations de la nature, les passions des hommes et leurs
préjugés ; que dans tous, la morale a eu pour but le désir du
bien-être et l’aversion de la douleur ; mais que les peuples et la
plupart des législateurs, ignorant les routes qui y conduisaient,
se sont fait des idées fausses, et par-là même opposées, du vice et
de la vertu, du bien et du mal, c’est-à-dire de ce qui rend
l’homme heureux ou malheureux ; que dans tous, les moyens et
les causes de propagation et d’établissement ont offert les mêmes
scènes de passions et d’évènemens [sic], toujours des disputes de
mots, des prétextes de zèle, des révolutions et des guerres
suscitées par l’ambition des chefs, par la fourberie des
promulgateurs, par la crédulité des proxélytes, par l’ignorance
du vulgaire, par la cupidité exclusive et l’orgueil intolérant de
tous : enfin, vous verrez que l’histoire entière de l’esprit
religieux n’est que celle des incertitudes de l’esprit humain, qui,
placé dans un monde qu’il ne comprend pas, veut cependant en
deviner l’énigme ; et qui, spectateur toujours étonné de ce
prodige mystérieux et visible, imagine des causes, suppose des
fins, bâtit des systèmes ; puis, en trouvant un défectueux, le
détruit pour un autre non moins vicieux ; hait l’erreur qu’il
quitte, méconnaît celle qu’il embrasse, repousse la vérité qui
l’appelle, compose des chimères d’êtres disparates, et rêvant
sans cesse sagesse et bonheur, s’égare dans un labyrinthe de
peines et de folies. »
(…)
La Concorde, en désespoir,
Transforma les autres fruits
En oursins, pommes de mer,
Ou de terre :
Du côté d'Amerigo,
La moisson fut conséquente
Et le vol de ses contrées
Achevé.
*
II
Le Sage émerveillé
Idylle amère. De là-haut, de là-bas, de tout là-bas si loin, ou d’ici-bas
– De Près et de Loin – ou plutôt d’aussi loin que la Matrix a enseveli ses
restes, très loin même – « ounkén » dit-on en langue nambikwara du
dialecte latoundé… dit-on, ou disait-on ? – si Loin du Brésil, et plus encore
du Mato Grosso, au cœur du continent enchanté des Cros, réminiscence de
La Pensée Sauvage, de la pensée tout court, de celle dont Claude Lévi-
Strauss, poète un peu froid et distant, non réservé et pudique, qui disait en
digne héritier de l’Ordre du Soleil Levant et en substance : les religions sont
des représentations comme les autres, des images de l'humanité pensante,
des rites curieux, moraux, souvent intransigeants, au mieux des rêves ou
autres utopie ad patres auxquels je dénie toute spécificité supra-humaine.
Claude nous dit encore :
La pensée est une fleur, plus fleur des champs que fleur de culture,
plus Flor des poètes qu'oignon de tulipe calibré, transmuté, voire bulbe
infertile, bubon ogéhèmisé. Pitoyables coopératives agricoles ! Ô
conservateurs et diffuseurs d'espèces rares ou négligées, bouilleurs de cru
du cru, oui, la Pensée est Sauvage.
17
Fusion de deux extraits d’entretiens à L’Express (de mai 1988) et au Quotidien de Paris
(du 2 octobre 1989). Il aurait pu dire à la suite de Georges Soulès plus connu sous le nom de
plume de Raymond Abellio, ingénieur et écrivain gnostique, qui lui vira collaborateur, mais qui
auparavant milita à la Sfio : « Avec une équipe de la section socialiste, je passai une partie de mes
nuits à coller des affiches. » (in Ma Dernière Mémoire, 1971-1980).
aux yeux de Bouddha, toutes les espèces se valent dans la nature ; et
l’homme n’y a aucun privilège.
Pourtant, ces occasions sont rares, et les prohibitions qui les limitent
n’expliquent cet état de choses que partiellement. Le véritable
responsable semble être plutôt le tempérament indigène. Au cours des
jeux amoureux auxquels les couples se livrent si volontiers et si
publiquement, et qui sont souvent audacieux, je n’ai jamais noté un
18
Plus précisément : je fais l'amour, c'est bon. Tamindige, se décompose littéralement en "ta" (je,
moi) suivi de "minẽ" (père, avec apocope du son "in" ) clos par les suffixes de temps et de verbe :
di-gé. cf Garvin Paul L. Esquisse du système phonologique du Nambikwara-Tarunde. In Journal
de la Société des Américanistes. Tome 37, 1948. pp. 133-189.
début d’érection. Le plaisir recherché paraît moins d’ordre physique
que ludique et sentimental. C’est peut-être pour cette raison que les
Nambikwara ont abandonné l’étui pénien dont l’usage est presque
universel chez les populations du Brésil central. En effet, il est
probable que cet accessoire a pour fonction, sinon de prévenir
l’érection, au moins de mettre en évidence les dispositions paisibles du
porteur. Des peuples qui vivent complètement nus n’ignorent pas ce
que nous nommons pudeur : ils en reportent la limite. Chez les
Indiens du Brésil comme en certaines régions de la Mélanésie, celle-ci
paraît placée, non pas entre deux degrés d’exposition du corps, mais
plutôt entre la tranquillité et l’agitation.
La débandade matérialiste
Argent, Veau d'Or, économie frileuse ou folle, esprit destructeur,
utilitaire, mentalité non partageuse, technique tout autant au service du
mal, de l'avilissement ou de l'abêtissement, que du bien, qu'êtes-vous à
l'échelle du monde, je veux dire de l’Univers ou du simple Soleil, le solitaire,
notre bienfaiteur ?
19
dans la revue le Feu Follet dont il était le directeur-fondateur (in volume 1885-1886).
20
Et non pas un Saint Maritain, ni un Jacques Maritain qui, élevé dans un milieu anticlérical,
eut pour parrain, ainsi que sa femme d'origine juive russe et uktainienne, Léon Bloy.
Il chante, il nous en musique21 au ton juste le « foutu poète» (comme disait
Gilbert-Lecomte de l’un de ses amis). Écoutons les puissantes scansions de
notre désespéré « rêvasseur bardique », cet autre être brisé d’humain, cet
espèce de pouilleux de la trempe de Nerval, Nietzsche, Bloy (d'autres
finalement mystiques et tant poètes, mais d'autant de mystères), en sa rage
impuissante d’écorché-vif dont la conscience est taraudée d’infinie
désespérance, ce génie rigodon, ce damné prophète :
Mais très très vite / On reçoit la visite / D'une tendre petite / Qui vous
offre son cœur / Alors on cède / Car il faut qu'on s'entraide / Et l'on
vit comme ça / Jusqu'à la prochain’ fois / Et l'on vit comme ça /
Jusqu'à la prochain’ fois / Et l'on vit comme ça / Jusqu'à la prochain’
fois !
Nos sociétés croulent sous les richesses matérielles, mais elles crèvent
de pauvreté spirituelle.
Ceci suffit pour nous montrer jusqu'à quel point nos contemporains,
bien qu'ils croient satisfaire leurs goûts, obéissent à cette tyrannie
invisible qui se nomme «l'esprit du temps».
(…)
(…)
Le pire de cette vie actuelle est que les forces uniquement matérielles
brisent par leur action continue des modes de vie vénérables ; de
même, à mesure qu'au XVe siècle l'artillerie récemment inventée
battit en brèche les solides forteresses du Moyen Âge.
Il ne disparaîtrait pas celui qui dit que ce changement est fatal et fatal
aussi l'abaissement de la valeur de l'homme que cela en résulte ;
d'autres se demandent s'il y a moyen d'empêcher une telle
dégradation. Ce serait très difficile. Pour le tenter, cela, il y aurait à
se représenter en premier le péril en toute son extension et après
déployer une énergie inébranlable.
La question reste ainsi posée et l'homme actuel doit décider s'il se
laissera mettre en déroute : roulé par les facteurs matériels d'une
force accablante, ou s'il essayera de les dompter, les soumettant à son
âme. 23
23
Extrait de l’article El automovil, paru dans La Vanguardia Española du mardi 27
septembre 1955. Traduit par nous-même.
IV
Pauvres poètes
Le poète autrefois a tout créé. Le poète est un démiurge. Dêmiourgos,
dêmi-ourgos, le (grand) architecte, le (dieu) ouvrier. "Poieô" signifie "faire"
dans les sens de "créer, façonner, former, fabriquer" ; le "poiêtês" (latin :
poeta) est le créateur, c'est la langue grecque antique qui le dit, l'affirme et
le maintient, le poète plus encore que le simple aède, troubadour et chantre
antique ou même que le philosophe, et pourtant… ; " ê poiêsis" (latin :
poesis) n'est rien que " la création, l'acte de créer" et "to poiêma" (latin :
poema) est "la chose faite par excellence, l'œuvre".
Le poète est celui qui fait, qui crée, il est aussi celui qui sait, qui a
deviné ou réglé l’incompréhensible, qui détient le sens de la vie. La vérité et
la beauté. C’est cet être bicéphale, mi aède ni devin, relié à la fois à la tribu ,
ou à la cité antique, et au dieu suprême de la cité et partant au panthéon des
cieux, abîmes terrestres ou aquatiques, faits d’emprunts et réemplois divers
comme pierres et briques de vieilles urbanités, faits de manifestations
différées, revisitées, faits d’oubli et de mort des dieux, de renaissances,
d’éternels retours.
24
De "dru", arbre et "wéid", connaître.
le savoir de l'Arbre 25 par excellence, le chêne : arbre du Monde, pilier divin
de l'univers et du ciel.
Les hommes ne sont pas tous semblables, et même dans les tribus
primitives, que les sociologues ont dépeintes comme écrasées par une
tradition toute-puissante, ces différences individuelles sont perçues
avec autant d’application que dans notre civilisation dite
'individualiste'.
En des temps plus rapprochés, le chaman ou son double, fut de ceux qui
créèrent les dieux des cités, les vieux mythes poétiques, mais aussi
l'arithmétique, l'astronomie, l'écriture, l’agriculture raisonnée mais aussi
sans doute… les castes, les classes sociales et les états ; et j'en passe, enfin le
début de nos malheur de civilisés plus ou moins urbanisés, plus ou moins
esclavagisés. Dans La Pensée Sauvage, Lévi-Strauss nous signale :
25
Tandis qu'en grec ancien, "druas, druados" est la dryade, la nymphe attachée à un arbre.
Besoin est-il de rappeler la justesse d’une telle « pensée de civilisé »
qui a tout prendre – derrière la technique, les machines, l’horaire de trains,
les files aux caisses des supermarchés, les immeubles démesurés et aux
autres normes, les téléphones portables et les autoroutes qui ne mènent à
rien de bon et voyagent du banal – est encore moins libre dans sa marche et
démarche vitales que le premier venu des gueux primates de l’espèce de
l’homo erectus ; non ! des nobles et fiers Bororo par exemple aux panaches
colorés faits de plumes d’arara,26 autrement humains, robustes et beaux que
la déliquescente espèce d’oies gavées des « cités du progrès » poussant
péniblement un chariot de victuailles industrielles douteuses ou aseptisées,
des tonnes de futurs excréments débiles. Moins esclave de ces tabous que
des saisons, du don des Cieux et de la Terre, le primitif se rit, se moque,
ignore ou juge « fou » le pire esclavage d’homme à homme qui fut et qui a
nom pognon, thune ou pèze et j'en passe et partant salariat, cet esclavage
librement consenti. Comme l’écrivait Boris Vian : « Le travail ? C’est
horrible, cela rabaisse l’homme au rang de la machine » .
Lévi-Strauss a passé sa vie à nous dire et redire que notre esprit est
dans la nature, non à côté, qu’il n’y a pas de différence entre celui qui
observe et veut comprendre et le monde observé. Que les hommes ne sont
pas des dieux, qu’ils sont uniquement les témoins démunis d’une nature
omnisciente. Que l’infime être terrestre dénommé « être humain » est
embarqué en une arche terrestre, sous le globe du ciel infini, fait d’un
espace-temps si limité à l’échelle de l’Univers. Lévi--Strauss n’a rien à dire
sur le destin de l’homme, il décrit à sa manière, décrit l’essence de l’homme,
n’attend rien d’autre de lui. Il affirme que les religions ne sont que
représentations et que l’âme de l’homme est insondable. Linguiste, il
rappelle qu’il n’y a pas d’homme, en nul lieu sans langage articulé, tout
27
Voir sa quadrilogie (magique) Mythologiques, t. I : Le Cru et le Cuit, Paris, Plon, 1964. ; t. II :
Du miel aux cendres, Paris, Plon, 1967. , t. III : L'Origine des manières de table, Paris, Plon, 1968.
; t. IV : L'Homme nu, Paris, Plon, 1971.
28
Regarder , écouter, lire ; Paris, Plon, 1993, résume les ferments de sa vie intellectuelle
primitif qu’il fût et que le sauvage a jeu complexe du langage, a nuances à
l’infini, a tout ce qui fait notre grandeur et notre petitesse angoissante à la
fois d’êtres perdus dans le vide abyssal accroché à du rien qui se tient,
moins formé de matière que de force d’attraction ou de répulsion entre des
éléments infiniment petits noyés dans le vide. Que la sagesse est partout et
plus encore en ces contrées perdues en harmonie avec la nature, harmonie
on en convient sévère, difficile, sans intermédiaires, sans média, si ce n’est
ces bons chamans qui soignent l’âme et le corps avec leurs plantes et leurs
grigris, enfin toujours avec sincérité ; qui soignent rien de moins que « de la
mort » ou que « du malheur » plus encore que « l’inconvénient » d’être né.
Toute loi mémorielle, inscrite dans le Codex des lois d’un État, est une
régression, un élément d’inconstitutionnalité « démocratique » – des grec
dêmos, peuple et cratos, gouvernement – un déni de Liberté d’Expression,
de Conscience et de Publication. Nouvelle forme de dictature,
d’intolérance, de tyrannie. De charia laïque, enfin, pas tant que ça laïque.
Retour en force des cléricatures. L’histoire des peuples demande toujours à
être revisitée, comme l’histoire des langues ou des plantes cultivées.
Revisitée, mais non pas érigée en dogmes et doctrines relevant de la
croyance et de la religion de qui que ce soit. À chaud, les interdits sont
grotesques, mesquins, inclinant, déclinants, déférents, bas, rendent mon
âme suspicieuse encore plus vive, encore plus contestataire, encore plus
dissidente et déviante des « bonnes » mœurs morales, éthiques, esthétiques
du moment. Tout peuple qui s’endort s’esclavagise, vend à l’encan son âme
aux mercenaires, aux colons immigrés maffieux et autres communautés et
sectes allogènes, tue sa communauté nationale et même continentale ; il
n’est que de voir l’état déplorable de la Vieille Europe pour s’en rendre
compte : Malthus est chez nous perdant ; le métissage généralisé, qui n’est
pas qui ne sera jamais en l’état actuel du monde une élévation culturelle et
morale ; est une calamité, le déclin, la chute finale de l’Intelligence, de la
Culture, la paupérisation achevée de l’humanité entière face à une
oligarchie fermée et communautariste elle-même décadente faite
d’empereurs d’opérette, de seigneurs barbares, d’analphabètes cruels aux
commandes d’un bateau ivre de pirates, pitoyables déchets humains sans
foi ni loi, si ce n’est les leurs de fois et de lois ; l’Omerta, la contrebande et
l’esclavage salarié annoncé comme le Paradis même pour l’immense
majorité du monde. Supra autorité, gang international des malfaisants non
élus, d'inconnus même et autres auto-élus, en divers entités officieuses ou
officielles comme le FMI, et les banques en général, le Capital est érigé en
malheur, en malheur entretenu, en guerre froide. Le partage ne pourrait
que l’annihiler, le détruire, le rendre risible et vain. Il ne construit rien, il
détruit tout. Il n’a aucune valeur humaine, réellement humaine en soi. Le
monde n’est pas Beau, la Technique pavoise sur le vide. Espionnite 29, gels
29
J’apprends par ces temps-ci, la découverte à partir de satellites nord-américains, des sites
de dix-sept pyramides de l’Égypte antique, j’eusse préféré leur non-découverte de cette
manière techniciste : ils tuent tout, même le rêve, la Lune, le plaisir de chercher en aveugle
ou par le raisonnement, le plaisir sacré de la saine découverte. Résolution des caméras
de comptes bancaires, non prescription de délit, droit d'ingérence (sic),
criminel de guerre et autres fadaises à sens unique, comme si la guerre
n’était pas un crime en soi. L’encore Belle Terre devient une vaste prison,
sans lieu de fuite ou de simple tranquillité. Un lieu sans repos. Fait de
bruits et d’éclairs. Fulgurences de malheur. Devenu pire que le Meilleur des
Mondes, le Jardin des Délices, volet enfer du triptyque, et 1984 réunis.
Or, le propre de toutes les sciences, du moins de celles qui ne sont pas
bridées par le religieux ou le préjugé imbéciles (citons Galilée, mais il y en
eut bien d’autres), y compris bien sûr des sciences que l’on dit humaines est
d’être révisées, revisitées en permanence. Du moins depuis quelques siècles,
un peu plus tolérants en ce domaine. Mais à Athènes aussi ou à Sumer ou en
Égypte antique, où transparait des formes de Raison, de pensée logique et
de Science derrière dogmes et doctrines heureusement souvent multiples,
concurrentes ou mieux syncrétiques, rien n’était encore figé en ce domaine.
La diversité, c’est la vie… la tolérance même et l’enrichissement des
savoirs.
Depuis que le monde humain écrit des bribes de son histoire entre
réalité et mythe, l’Histoire vraie ou tout au moins vérace – car la globalité
des faits, des biographies de tous les hommes qui nous ont précédés, nous
échappera toujours – a convenu avec sagesse qu’il faut parfois des siècles
voire des millénaires pour faire la lumière sur le passé. Et d’autant plus
qu’il est proche de nous, car il est encore source d’enjeux de pouvoir ou de
prestige divers (idéologiques, politiques, religieux…) Laissons Cauchon
brûler et rebrûler dix fois Jeanne d’Arc, laissons passer le temps. L’âme en
dit toujours long, presque trop long lorsqu’on lui laisse le temps. L’âme des
choses, des faits, des gens. Dérangeant, s’il en est ; toujours !
Mais où sont, que sont devenus les poètes ? Pour nous narrer épiques,
les grands faits d’arme ? Tout est devenu piteux, fors la médiocrité, la
bassesse, la lâcheté. Il n’y a plus d’Homère des temps modernes. Il est vrai
qu’entre libre arbitre et intime conviction, liberté de pensée, d’expression et
de publication, les vrais poètes sont depuis quelques siècles fortement
entachés d’esprit iconoclaste.
Le mal que font les bons est le plus nuisible des maux... La bêtise des
bons est une sagesse insondable... C'est le créateur qu'ils haïssent le
plus : celui qui brise des tables et de vieilles valeurs, le briseur, c'est
lui qu'ils appellent criminel ... Car les créateurs sont durs... Les
esprits soumis sont la règle... Car les bons ne peuvent pas créer : ils
sont toujours le commencement de la fin… « Nous avons inventé le
bonheur », disent les derniers hommes, et ils clignent de l'œil.
V
Immémoral
Les lois ne pourront jamais rien contre la Pensée Libre, non la Libre Pensée
association reconnue d’intérêt public qui peut ester en justice et injustice, à
bon ou mauvais escient, corporation frelatée, ersatz anodin et sectaire qui
ignore tout du vrai et positif sens du Sacré lié à l'essence même et si
pitoyable de l'Homme. Ce qui en fait sa grandeur même. Toutes les ligues
de vertus, de bonnes vertus dans l’air du temps ne valent tripette devant la
liberté totale de pensée. Les biens attentionnés sont toujours ridicules, pipés
trompeurs trompés, ayatollahs, chefs de propagande, agents des ministres
de l’information, estacades dans l’air du temps, « pédagogues » – ô le beau
mot qu’ils ont déchu, renversé de son piédestal, ces politicards tartempions
– quand les media imbéciles, grotesques et propagandistes (redondances) en
leur concert de klaxons plus ou moins accordés, ou en leur silence éclatant
éditent, étiquettent, récompensent, mettent aux nues puis tirent sur les
ambulances et surtout… anathémisent.
Histoire de Lynx… Les Paroles ont été Données… Le Regard s’est Éloigné…
La Voie des Masques s’est ouverte, La Potière Jalouse a jasé… Ah !
connaître L'Autre Face de la Lune, à l’ancienne. T’ont-ils bien même violé
le sol, ces petits hommes, derniers des hommes, t’ont-ils « vidés de ton
pipeau », ma Lune ? Pégase en rit, en hennit, en gémit, la vieille rosse
virevoltante, le bon génie. Au grand spectacle hollywoodien, le récit est
illusoire, le film médiocre, antipoétique à souhait mon bon Méliès, en faux
acteurs et mauvais studio tralala… Mais c’est encore un autre ahan, une
autre fantasia pour les smalas du déclin.
Agonie 30
Triste Occident,
Triste "progrès" des oxydants !
Pauvres tropiques
Où sont perdus tes utopiques ?
30
Substantif (du verbe « agoniser ») ou participe passé au féminin du verbe « agonir »
Emmonnayés !…
Hirsutes !...
Meurtris, perclus
De forclusion académique,
Au cœur du FMI ; au cœur de l'infamie.
31
Ce genre d'expression comme « franco-belge », me fait toujours penser à « franco-
russe » qui pour moi, m'évoque toujours deux choses : les emprunts d'avant la révolution
russe et surtout une marque d'entremets qui a bercé ma jeunesse.
32
C'est-à-dire : universitaire et vaseuse.
inapplicables, ajoutées à une somme d’interdits divers médiatisés – dans un
État de Droit. Pourquoi Olivier Mathieu ne pourrait-il pas se présenter à
l'Académie française? Ou mieux encore : pourquoi un écrivain, quel qu'il
soit, ne pourrait-il pas se présenter à l'Académie française? Le règlement de
l'Académie ne dit-il pas que "toute personne peut postuler à un fauteuil" ?
Olivier Mathieu (lequel, faut-il le rappeler, a suscité la "une" du journal
"Le Figaro" du 8 avril 2011, sous la plume d'Etienne de Montety, lors de sa
précédente candidature au fauteuil de Maurice Druon, le 7 avril) n'est-il
pas toute personne?
Sais-tu que c’est toi que tu tues en tuant la forêt, en forant les abîmes
et entrailles de la Terre aux enfers de feu ? Inexorable et prévisible,
manifestement débile, sacrilège homo fric, homo dégoûtation, minus
habens. Et même lorsque tu te prends pour l'Aigle noir, tu es moins
puissant fort et rusé que le moindre mulot. Écoute ce conte : "Le Mulot,
apologue, par Léon Bloy33 " :
33
Revue Le Feu Follet, in volume 6, juin 1885-mai 1886.
corps d'enfant
de mulot.
(…)
Plus besoin d’avoir une âme en face des trous pour s’exprimer
humainement…
Hymne à Belzébuth.
Pour lui l’homme est cet "insupportable enfant gâté qui a occupé trop
longtemps la scène philosophique et empêché tout travail sérieux en
réclamant une attention excessive" Autrement dit : humanisme mal
ordonné commence par soi-même. Lévi-Strauss rejette un humanisme qui
fait de l’homme le seigneur absolu de la création, un humanisme sans vertu,
ni devoir, partisan et dévoyé. « Un humanisme bien ordonné ne commence
pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le
respect des autres avant l’amour-propre ». 36
36
Comme la différence que l'on établit entre un homme pacifique et un pacifiste, il conviendrait
d'établir une différence entre "être humain" (sans –isme) et "humaniste". On a vu tant et plus de
pacifistes ou de pseudo humanistes se faire les pires bellicistes et tortionnaires ou les thuriféraires
des dictatures. Mais on n'a rarement vu un simple être humain et pacifique déroger.
Première mutilation culturelle, dont s’ensuivirent tant d’autres
mutilations technicistes et scientistes, l'homme a commencé par se couper
de plus en plus fortement de la nature; il a ainsi cru effacer son caractère le
plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Ce qui n'était
pas encore le cas aux origines des cités et de l'écriture ou les dieux savaient
encore nous le rappeler. Dieux, demi-dieux trop faiblement humains.
Champ ouvert laissant libre cours avec le temps à toujours plus d'abus
scandaleux, déviances barbares et aberrations. En s’arrogeant le droit
grossier et sacrilège de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en
accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, en conférant à certains ce
qu’il ôtait à d’autres, l’Homme, l’homme occidental en ces derniers siècles –
et autrefois colon, aujourd’hui largement colonisé en retour – a ouvert un
cycle maudit. Écoutons Claude Lévi-Strauss :
… Que règne enfin l’idée que les hommes, les animaux et les plantes
disposent d’un capital commun de vie, de sorte que tout abus commis
au dépend d’une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie
indigène, par une diminution de l’espérance de vie des hommes eux-
mêmes. Ce sont là autant de témoignages peut-être naïfs, mais
combien efficaces d’un humanisme sagement conçu, qui ne commence
pas par soi-même mais fait à l’homme une place raisonnable dans la
nature, au lieu qu’il s’en institue le maître et la saccage, sans même
avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui
viendront après lui…
Dit-il autre chose que Cioran ? Cioran dit-il autre chose que lui ?
Chacun a ses mots, son axe d’approche, mais le fond est unique et
foncièrement pessimiste. Né d’un engagement sincère et naïf, celui de la
jeunesse chez l'un comme l'autre, qui avec le temps et parfois même assez
rapidement confère aux plus perspicaces que rien ne peut évoluer des
mentalités humaines et que le progrès réel (ou apparent) technique arrivé à
un certain stade, que la médiatisation à outrance, que l’outil pour l’outil ne
sont pas un bienfait mais un fléau pour l’Homme en général. 38
Déjà, bien plus tôt en sa vie, dans Tristes Tropiques, il affirmait en une
portée plus générale :
(…)
… rien n’y fait et ni fera jamais. Dehors le vent pousse. En dedans le dor
matador dort, lent, dolent, indolent. Lancinant et tenace dor :
Jean-Pierre FLEURY,
Docteur en Sociologie de l'Université de Nantes,
directeur des "Editions des Petits Bonheurs",
39
mot à mot : en mamadindê, Ta-‘yaih-thã-tu (Ma tristesse) -ã- (par) hãi-khanẽn-tu-wô
(cette boule, ô) ; Sõna thothon-latha-wa (ce Soleil noir qui est).
texte écrit sur Claude Lévi-Strauss à l'occasion de la candidature d'Olivier Mathieu (dit
Robert Pioche), le 23 juin 2011, à l'Académie française, au fauteuil laissé vacant par le
décès de M. Lévi-Strauss.
Ce texte (que nous avons voulu publier avant le 23 juin 2011) sera probablement encore
corrigé, amplifié et augmenté, dans l'avenir.