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RONDEAU

CAROLINE VARON POUR « LE MONDE »

Dans le porno français,


une mécanique des larmes
et de la violence
Par Nicolas Chapuis , Lorraine de Foucher et Samuel Laurent

Publié hier à 12h00, mis à jour hier à 12h39

Réservé à nos abonnés Sélections Partage

ENQUÊTE | « Plaintes contre X » (2/4). L’enquête judiciaire d’une


ampleur inédite à laquelle « Le Monde » consacre une série
d’articles lève le voile sur les méthodes de certains personnages
de ce milieu pour contraindre leurs victimes à accepter des
pratiques toujours plus dégradantes.

Au détour d’une boucle de la Seine, la petite ville normande des Andelys


se dévoile. Du Moyen Age, cette commune de l’Eure a hérité son donjon,
sa collégiale, ses remparts. Et de la période récente, le pavillon de Pascal
Ollitrault, 60 ans, producteur star du milieu du porno, mis en examen et
incarcéré pour des dizaines de viols de jeunes femmes. Sur la grille
rouillée, « Pascal OP », son surnom dans le milieu, a tracé l’inscription :
« ATTENTION CHIENS ». A l’intérieur, le salon est presque vide, réservé à
ses trois molosses. Des couteaux ont été scotchés au mur. Au fond, le
bureau avec, sur l’étagère, un godemiché noir. Des caisses servent à
stocker les centaines de vidéos de French Bukkake, son site
pornographique. Devant l’entrée stationne un camping-car noir.
« Délabrement total », notent les gendarmes dans leur procès-verbal.

Lorsqu’ils perquisitionnent sa maison, ce 13 octobre 2020, cela fait déjà


quelques mois que les enquêteurs de la section de recherche de Paris
surveillent Pascal Ollitrault, et d’autres hommes, dans le cadre d’une
information judiciaire ouverte pour des chefs de « viols en réunion »,
« traite aggravée d’êtres humains », « proxénétisme aggravé »,
« blanchiment », « travail dissimulé » et « di usion de l’enregistrement
d’images relatives à la commission d’une atteinte volontaire à l’intégrité
de la personne ».

Une plongée dans cet énorme dossier judiciaire


Plaintes contre X
aide à décrypter les rouages d’une mécanique au Le Monde consacre une enquête en
service des plus grands di useurs français de quatre volets à l'affaire de violences
porno, décidés à satisfaire coûte que coûte les sexuelles dans le milieu du porno français.
Avec une soixantaine de victimes
millions de consommateurs de ces vidéos n’ayant
identifiées, huit producteurs et acteurs
d’« amateur » que le nom et la qualité technique. mis en examen pour des soupçons de
Des mois durant, les gendarmes ont parcouru le viols en réunion, de traite d'êtres humains
pays pour interroger les victimes. Si chaque histoire et de proxénétisme, ce dossier judiciaire,
qui porte sur des vidéos vues par un très
est singulière, la cinquantaine de témoignages sur
large public, fait trembler l'industrie du X.
procès-verbal esquissent un récit polyphonique où
se dessine un système qui consistait à violer à trois reprises le
consentement des victimes : au moment du recrutement, durant les
tournages et lors de la di usion des vidéos.

La violence des traumatismes a éclaté leur mémoire. Ainsi, Imane – les


prénoms des victimes ont été modi és –, une Marseillaise de 22 ans,
con e n’avoir gardé que des «  ashs » de ses trois jours en enfer. A l’été
2015, elle venait de perdre son compagnon et n’avait « plus goût à la vie ».
Le genre de failles exploitées par le « recruteur », Julien D., sous le
pseudonyme féminin d’Axelle Vercoutre, pour mettre en con ance ses
proies, en échangeant durant des semaines, parfois des mois, des
messages sur les réseaux sociaux.

Le supplice dure des heures


Après un long travail de sape, Imane accepte de faire une seule vidéo
pour « Pascal OP ». Les conditions : un partenaire unique, des rapports
limités à la pénétration vaginale et à la fellation, le tout avec préservatif.
On lui assure que la séquence sera réservée à un site canadien
ultracon dentiel. Aucun risque qu’elle sorte ailleurs. C’est faux : ces
images seront di usées dans le monde entier, sur tous les plus grands
sites pornographiques, et vues par des centaines de milliers de
personnes.

Les jeunes femmes, dont la situation nancière est souvent précaire, sont
appâtées par des promesses de rémunération allant jusqu’à 2 000 euros.
« Pascal OP » omet de préciser qu’en réalité son tarif est xé autour de
250 euros pour une seule scène. Mais pour l’instant, face à Imane, il
affiche un visage avenant. Il lui fait tourner une vidéo où elle dit être
consentante et n’avoir consommé ni alcool ni stupé ants. La voici
bientôt dans un appartement parisien face à un premier partenaire. Puis
elle tourne d’autres scènes, avec deux hommes. Une sodomie, qu’elle
refuse avant de céder. « Comparé à la suite, c’était propre », dira-t-elle aux
enquêteurs.

« Pascal OP » la conduit aux Andelys. « Là, il a


commencé à me parler très mal. » Le producteur
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l’entraîne dans une chambre au prétexte de faire
Cinq sites pornographiques sommés par le
une vidéo, mais la caméra ne tourne pas : il lui
CSA d’empêcher l’accès des mineurs à leurs
extorque un rapport sexuel. Le lendemain matin, contenus
« Pascal OP » refuse de la payer. Elle doit faire la
vaisselle. Les souvenirs d’Imane sont parcellaires :
une scène tournée dans la voiture sur la route pour
Paris, une autre à l’arrivée dans un appartement, « type location, où il n’y
a pas grand-chose », sinon trois hommes, qu’on ne lui présente pas.
« J’avais mal, je leur ai dit, mais ils s’en foutaient. Là, ils m’ont tout fait,
plusieurs en même temps, double pénétration, sodomie, etc. » Percluse de
douleur, elle tente de protester. « Je me suis un peu énervée, mais ils m’ont
forcée, ils ont appuyé ma tête contre le sol et ils ont continué. »

D’autres ashs lui reviennent. Le producteur est en colère, la menace de


mort, de la livrer à ses chiens. Puis, alors qu’elle pense en n pouvoir
rentrer à Marseille, il lui impose de tourner une dernière séquence,
l’acmé de ses lms, le bukkake, cette pratique consistant à faire éjaculer
des dizaines d’hommes sur la même femme. « C’était un hangar, dans
une vieille casse de voitures abandonnée. » A l’intérieur, une quarantaine
d’individus cagoulés attendent. « Il me dit : “C’est des gars des quartiers, ils
sont là pour te faire du mal, pour te faire du sale.”  » Imane est terri ée.
« C’est un cauchemar. Je dois me mettre à genoux, toucher tout le monde,
me laisser faire. » Le supplice dure des heures. Le producteur veut la
garder encore, un homme nit par l’ex ltrer du hangar. Elle ne sera
jamais payée.

Le piétinement du consentement
« Je conteste tous les faits, elle a été payée, elle a signé tous les contrats,
rétorque « Pascal OP » devant la juge d’instruction. Pour moi, sur la vidéo,
si je me rappelle, elle avait le sourire, ça s’est bien passé. » Ce sera peu ou
prou sa réponse face aux récits très similaires des 52 autres victimes.
Réalisés dans des locations saisonnières, des squats, des hôtels, des forêts
ou des camping-cars, les tournages sont ultra-low cost. Plusieurs femmes
ont la même expression : le sentiment d’avoir été réduites à des
« morceaux de viande ».

Le pavillon de Pascal Ollitrault, producteur de porno, aux Andelys (Eure), le 2 décembre 2021.


CHRISTOPHE CAUDROY POUR «LE MONDE»

Pascal Ollitrault et ses associés se retranchent derrière la même défense :


pourquoi, dès lors, n’avoir pas quitté les tournages ? L’état de sidération,
sans doute. « Il y a cette pression de (…) tous ces hommes dans une pièce,
on est la seule lle », analyse Héloïse. Surtout, le personnage du
producteur les e rayait. Il y a aussi les soupçons de soumission
chimique. Les analyses des cheveux de Samira, la dernière victime en
date, présentent des traces de zolpidem, un hypnotique. « Pascal OP », lui,
dément avoir administré la moindre substance à qui que ce soit.

A l’inverse, les femmes sont nombreuses à parler


de stupé ants. Selon elles, le producteur leur
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faisait boire de l’alcool et prendre de la cocaïne,
Avec la pornographie, des hommes
drogue dont il serait lui-même un grand
sous influence
consommateur, ce qu’il nie. « Il m’a dit : “Si tu ne
bois pas tout ton verre, on ne tourne pas” », se
souvient Maud. « J’ai réalisé que j’allais vivre un des
pires moments de ma vie, ajoute encore Héloïse. Quand Pascal, à 8 heures
du matin, me dit de boire et de prendre de la cocaïne, bah je m’exécute. »

Cette violence se voit à l’image. Dans les vidéos de French Bukkake, les
larmes et la douleur alimentent le script de l’ingénue qui subit la
domination masculine. Le piétinement du consentement des femmes,
celle scénaristique de « Pascal OP », se retrouve dans son obsession
pour la pénétration anale imposée, même hors caméra, comme le relate
Jeanne : « Il m’a fait comprendre que je n’avais pas le choix. J’ai laissé faire
parce que j’étais épuisée. » Les jeunes femmes ne sont pas non plus
protégées contre les MST. « Ils m’ont tous pénétrée sans préservatif », se
souvient Cécile. « Pascal OP » l’enjoint de sourire malgré la douleur.
Devant les juges, ce dernier a contesté tout comportement sexuel
répréhensible et tenté de minimiser la « visibilité moyenne » de son site.
Pourtant, interrogé en 2017 par Charlie Hebdo, il revendiquait èrement
200 000 visiteurs par mois.

Le troisième homme, l’associé


Dans son ombre s’active souvent un autre homme : Mat Hadix de son
nom de scène, 38 ans, crâne rasé et barbe de trois jours. Après le recruteur
(Julien D., sous le faux pro l d’Axelle Vercoutre) et le producteur (« Pascal
OP »), c’est le troisième personnage de cette bande organisée : l’associé.
Son rôle : fournir les caméras, louer les appartements. En échange,
« Pascal OP » mutualise la « matière première » (les femmes) piégée par
Julien D. Quand une lle pense réaliser une vidéo, elle tourne en réalité
plusieurs scènes pour diverses productions.

Plus récent que « Pascal OP » dans le métier, Mat Hadix travaille pour les
pontes du porno français, notamment pour Dorcel Vision, la plate-forme
de vidéos à la demande du producteur français Marc Dorcel, sur laquelle
ont été publiées nombre de vidéos de victimes. Ces dernières se
retrouvent aussi dans le magazine Union. Mat Hadix est, par ailleurs, l’un
des producteurs les plus actifs pour Jacquie et Michel, le principal site de
porno dit « amateur » français, sur lequel « Pascal OP » a également été
di usé.

Contactée par Le Monde, la société qui gère Jacquie


et Michel n’a pas répondu, tout comme Union.
Lire aussi
Dorcel se défend de toute responsabilité. « Nous
Les dessous pas si chics des films
n’avions évidemment pas connaissance des
porno Marc Dorcel
suspicions de recours à de telles pratiques et nous
n’avons, à ce jour, reçu aucun signalement d’aucune
sorte quant aux productions que nous avons
di usées », affirme la responsable de la communication de la société, qui
précise n’avoir travaillé qu’avec Mat Hadix, et pas avec « Pascal OP », dont
ils jugeaient les vidéos « extrêmes et dégradantes ». Un reportage de
« Dorcel TV » en 2012 montre pourtant un tournage de bukkake.
L’entreprise assure qu’il s’agissait d’un « travail d’enquête journalistique »
qui « alerte justement sur le caractère extrême » de ces productions. On
peut en douter au vu du texte du début de la vidéo , annonçant un
contenu « drôle, provocant, écoeurant… et à prendre au second degré ».

La relation entre Mat Hadix et « Pascal OP », qui partagent leurs


tournages, est pourtant au cœur de ce dossier, révélé par Le Parisien. Mat
tient la caméra quand Pascal s’invite dans la scène en cours, sans
prévenir les femmes. Le premier a toujours un billet sur lui quand le
second est à court d’argent ; il est aussi là pour recoller les morceaux
quand il brusque trop une lle. Mat Hadix réalise des scènes classiques
quand « Pascal OP » fait sa notoriété sur la violence. Le bon et la brute ?
Les enquêteurs semblent surtout penser que les deux interprétaient à
parts égales le rôle du truand.

« Ce n’était pas convenable »


Confronté à une avalanche de témoignages et à des échanges
embarrassants avec Julien D., Mat Hadix esquisse un mea culpa : « Je
commence à comprendre que des femmes qui viennent sur des tournages
sans savoir ce qui se passe, sans connaître le nombre d’hommes, ni les
pratiques, ce n’était pas convenable. » Il rejette les accusations de viol.
Pourtant, les témoignages le chargent. « Mat, il forçait. Il restait derrière et
insistait », raconte Clara, qui a dit non à plusieurs reprises. Contactée par
Le Monde, l’avocate de Mat Hadix n’a pas souhaité s’exprimer à ce stade.
Celle de Pascal Ollitrault n’a pas répondu. « Jamais le porno n’avait été
associé au viol. Dans ce dossier, il y a un tel vice à construire des
stratagèmes, une telle atteinte aux femmes, j’ai mal à mon genre », réagit,
pour sa part, Me Quentin Dekimpe, côté partie civile.

Parfois, les victimes tentent de se rebeller. Les deux


producteurs sortent alors la carte de la meilleure
Lire la tribune :
amie virtuelle : Axelle. Au deuxième jour de
« Les méthodes de l’industrie
tournage, Karine s’échappe dans les toilettes.
pornographique sont identiques à celles
« Pascal OP » menace de la jeter dehors sans ses des réseaux de traite des êtres humains »
a aires et de di user ses vidéos. Par messages,
Axelle la convainc de poursuivre le tournage coûte
que coûte. Au bout de deux, trois jours, de dizaines
de pénétrations non consenties, la lumière se rallume en n. Les victimes,
exsangues, dépossédées, sont libérées sans la moindre considération.
Avant de partir, elles sont payées en liquide, souvent moins que la
somme convenue, contre la signature non pas d’un contrat de travail,
mais d’une autorisation de di usion immatriculée au Canada. « Pascal
me ramène à la gare. C’est limite il me jette », se souvient Karine. Héloïse
est déposée dans une gare abandonnée, après un bukkake. Un participant
lui a volé son manteau.

Une fois relâchées par le réseau, les femmes découvrent qu’Axelle est


désormais injoignable sur Internet. De fait, Julien D. est occupé à autre
chose : il visionne les images de leurs « prestations », envoyées par
« Pascal OP » et Mat Hadix. C’est sa seule rémunération : regarder ses
proies livrées à French Bukkake. Devant les juges, il insistera sur son
sentiment de culpabilité : « Ça peut vous paraître insigni ant, mais je
n’arrivais pas à mettre le son. »

L’ENQUÊTE
TENTACULAIRE QUI
FAIT TREMBLER LE
PORNO FRANÇAIS
Le Monde consacre une enquête en quatre volets à l'a aire de
violences sexuelles dans le milieu du porno français. Avec une
soixantaine de victimes identi ées, huit producteurs et acteurs
mis en examen pour des soupçons de viols en réunion, de traite
d'êtres humains et de proxénétisme, ce dossier judiciaire, qui porte
sur des vidéos vues par un très large public, secoue l'industrie du X.
À À
PA R A Î T R E PA R A Î T R E
LE LE
VENDREDI SAMEDI
ÉPISODE 1 ÉPISODE 2 É P I S O1 D
7E 3 É P I S O1 D
8E 4
DÉCEMBRE DÉCEMBRE

Le réseau, le recruteur et les La mécanique des larmes et Les supplices de Les réactions en chaîne d’un
proies de la violence l’internationale du porno #metoo du porno

Nicolas Chapuis
Lorraine de Foucher
Samuel Laurent

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