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Quelle(s) traduction(s) française(s) de la Bible faut-il préférer ?

Nous avons la chance (ou la malchance ?) de disposer aujourd’hui de plusieurs dizaines de traductions françaises de la
Bible. Face à cette offre, il est parfois difficile de se repérer. Quelle traduction française de la Bible faut-il choisir  ? Y a-t-il des
traductions meilleures que d’autres ?

Beaucoup de choses ont été écrites sur le sujet (voir les références en fin d’article). Je me contenterai ici de rappeler
brièvement quelques principes clés pour aider à comprendre la problématique.

Y a-t-il des traductions plus « authentiques » que d’autres ?

 La question de la traduction de la Bible est une question sensible. Pour le croyant, la Bible n’est pas un texte comme un
autre : nous considérons que Dieu nous parle par ce livre. Or, si nous sommes francophones, c’est d’abord par le biais d’une
traduction française que nous lisons la Bible (Dieu nous parle dans notre langue maternelle !). Par conséquent, lorsque nous
découvrons que d’autres ont traduit différemment ces versets bibliques qui nous parlent tant, c’est forcément perturbant  ! Et
on en devient méfiant : telle traduction est-elle fiable ? Les traducteurs ne sont-ils pas influencés par « le monde » ? N’y
aurait-il pas des Bibles plus « authentiques » (notre Bible préférée) que d’autres ?

Traduire c’est trahir


Autant le dire tout de suite : il n’existe pas de traduction à 100% fiable qui retranscrive exactement le texte original. Non que
les traducteurs ne seraient pas fiables, mais parce que cela est tout bonnement impossible ! « Traduire c’est trahir » comme
on le rappelle souvent. Chaque langue a son mode de fonctionnement, ses spécificités, ses expressions intraduisibles :
aucune langue ne correspond strictement à une autre de telle sorte qu’on pourrait la traduire « mot à mot ».

Les traductions actuelles sont effectuées par des personnes compétentes


Cependant, à part quelques initiatives personnelles un peu farfelues, les versions françaises de la Bible ont été réalisées par
des personnes compétentes. Les traductions modernes sont l’œuvre de sociétés bibliques ou de maisons d’éditions qui font
appel aux meilleurs spécialistes : des spécialistes du grec et de l’hébreu bibliques, des spécialistes du monde de la Bible,
des linguistes, et, souvent, des spécialistes de la langue française. Aujourd’hui, une traduction de la Bible représente un
travail collaboratif d’environ une dizaine d’années.

De plus, ceux qui ont la charge de la traduction de la Bible sont généralement des croyants. Ils ne considèrent pas la Bible
comme n’importe quel texte, et ils sont conscients de leur responsabilité vis-à-vis du reste de l’Église. Ils prennent donc leur
tâche au sérieux !

En résumé, nous n’avons aucune raison de douter du sérieux des traductions modernes de la Bible . Mais alors, me direz-
vous, comment expliquer les différences entre les traductions bibliques que nous possédons ?

Bibles protestantes VS Bibles catholiques

Un canon différent
Si les chrétiens s’accordent sur le canon du Nouveau Testament, ils ne s’accordent pas sur le nombre de livres constituant
l’Ancien Testament. Les protestants ne reconnaissent traditionnellement que les 39 livres de la Bible hébraïque (ceux qui
font autorité pour les Juifs), alors que les catholiques y ajoutent 7 livres et 2 suppléments (les Églises orthodoxes, orientales
ou d’Éthiopie en intègrent encore davantage).

Quelques différences de traduction


Au-delà de cette différence sur l’étendue de la Bible, y a-t-il des différences concernant la traduction ? Certes, un traducteur
ne peut pas aborder le texte biblique en faisant totalement abstraction de ses convictions, de sa foi, ou de son arrière-plan. Il
est donc inévitable qu’apparaissent quelques traces d’influence doctrinale.

Une d’entre elles concerne la traduction difficile de certains emplois du verbe « sauver (grec : sôzô) » à la voix passive (ou
moyenne). Pour certains passages, les traducteurs peuvent hésiter entre la traduction « ceux qui sont sauvés », « ceux qui
sont en train d’être sauvés » ou « ceux qui seront sauvés » (voir Ac 2.47 ; 1 Co 1.18 ; 15.2 ; 2 Co 2.15). Si les traductions
protestantes traduisent généralement par « ceux qui sont sauvés », les traductions catholiques traduisent plus souvent par
un futur (« ceux qui seront sauvés ») ou parfois par l’expression (surprenante !) « ceux qui se sauvent » (Bible de
Jérusalem).

De moins en moins de différences


 Toutefois, si les traductions anciennes pouvaient refléter des influences confessionnelles, c’est beaucoup plus rare au sein
des traductions modernes. Grâce au dialogue œcuménique, les biblistes catholiques et protestants ont pu confronter leurs
lectures respectives des textes bibliques de manière plus paisible que par le passé. De telle sorte que les traducteurs sont
davantage conscients de leurs présupposés et que ceux-ci transparaissent beaucoup moins dans leur traduction.

Par exemple : Matthieu 1.25 est généralement traduit : « [Joseph] ne connut pas [Marie] jusqu’à ce qu’elle eut enfanté…».
L’ancienne traduction liturgique (catholique) ne traduisait pas le « jusqu’à » et proposait : « [Joseph] n’eut pas de rapports
avec elle ; elle enfanta un fils… ». Cette traduction évitait une difficulté pouvant remette en cause la virginité « perpétuelle »
de Marie (selon l’Eglise catholique, Marie serait restée vierge toute sa vie). Toutefois, la Nouvelle Traduction Liturgique
(2013) semble avoir rectifié le tir, et traduit désormais : « il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils ».

Enfin, précisons que plusieurs traductions modernes de référence ont été effectuées par des comités interconfessionnels
comprenant des spécialistes aussi bien catholiques que protestants (voire orthodoxes) : c’est le cas de la Traduction
Œcuménique de la Bible (TOB), de la Bible en Français Courant ou de la traduction Parole de Vie (français fondamental).

Un texte de base différent

Certaines différences entre les traductions de la Bible s’expliquent par le fait que les traducteurs n’ont pas retenu le même
texte hébreu ou grec pour leur traduction (à ce sujet, voir l’article sur la « critique textuelle »).

Le texte de l’Ancien Testament


Pour l’Ancien Testament, la plupart des traductions récentes se basent sur le « Texte Massorétique » qui est le texte hébreu
traditionnel. Malheureusement, les plus anciennes copies complètes de ce texte datent d’autour de l’an 1000 après Jésus-
Christ (soit environ 2000 ans après David !). Les découvertes des manuscrits de la mer Morte ont permis de montrer que ce
texte représente une forme particulièrement ancienne et répandue du texte hébreu. Toutefois, certains de ces manuscrits
révèlent une forme différente du texte hébreu. De même, des traductions très anciennes, comme la traduction grecque de la
Septante, supposent par endroit un texte hébreu différent.

Par conséquent, si les traducteurs prennent le Texte Massorétique comme texte de base, ils vont par endroit retenir des
variantes qu’ils estiment plus proches du texte original. Le nombre de variantes retenues dépendra des traductions : la Bible
de Jérusalem est par exemple réputée pour faire davantage appel aux variantes de la Septante.

Le texte du Nouveau Testament

Pour le texte du Nouveau Testament, les traductions peuvent utiliser trois types de texte :

 L’immense majorité des traductions françaises modernes se basent sur une édition du texte grec dite « critique »
(ou « éclectique »). Il s’agit d’une reconstitution du texte original le plus probable, à partir de la comparaison des
manuscrits disponibles. L’édition de référence est celle dite de « Nestlé-Aland ».
 Les traductions protestantes anciennes dans la lignée de la Bible d’Olivétan (Bible de Genève, Martin,
Ostervald…) se basent sur un texte grec dit « Texte reçu ».
 La Bible Segond 21 se base sur un texte grec dit « Texte majoritaire ».
J’explique en détail les différences entre ces textes au sein d’un autre article de ce blog. J’estime, avec l’immense majorité
des spécialistes, que le texte « critique » est le plus proche de l’original, mais qu’il ne faut pas exagérer les différences qui
restent minimes.

Par ailleurs, même si la plupart des traductions modernes utilisent le texte de « Nestlé-Aland » comme texte de base, les
traducteurs conservent une certaine liberté. Ainsi, on constate qu’ils choisissent par endroit de ne pas le suivre.

Par exemple, en 1 Corinthiens 13.3, le texte de Nestlé-Aland (et la plupart des spécialistes) pensent qu’il convient de suivre
les manuscrits qui ont : « quand même je livrerais mon corps pour en tirer fierté ». Toutefois, un bon nombre de manuscrits
grecs ont plutôt un texte qu’on traduit par : « quand je livrerais mon corps pour être brûlé ». En grec, la différence entre les
deux verbes ne porte que sur une seule lettre. De façon surprenante, bon nombre de traductions modernes basées sur le
texte de « Nestlé-Aland » ne le suivent pas sur ce point, et préfèrent le texte qui contient le verbe « brûler » (p. ex. Français
Courant, Parole de Vie, TOB, Jérusalem, Traduction liturgique).

Des principes de traduction différents

Traduction littérale vs Traduction dynamique


Une des différences principales entre les traductions modernes s’explique par l’emploi de principes linguistiques différents.
Sur ce point, deux grandes écoles s’affrontent :

 Certains estiment qu’il convient de privilégier la langue source. On cherche à traduire en restant le plus proche
possible de la forme du texte original : en employant un même nombre de mots, en respectant les tournures
originales, en traduisant le plus possible un mot hébreu/grec par un même mot français, etc. Les versions utilisant
ces principes sont dites « à correspondance formelle» ou « littérales ».
 D’autres préfèrent privilégier la langue cible. On cherche à traduire en rendant le mieux possible le sens du texte
original. Pour cela, on n’hésite pas à s’écarter de la formulation grecque ou hébraïque : on cherche d’abord à
transposer le sens. Les versions utilisant ces principes sont dites « à équivalence dynamique» ou
« fonctionnelle ».

Avantages et inconvénients d’une traduction à équivalence dynamique


La plupart des traducteurs modernes qui traduisent, par exemple, du français à l’anglais, privilégient le sens sur la forme.
Une traduction mot à mot en anglais de l’expression française « il fait beau » n’aurait aucun sens (« it is making beautiful »).
On traduira plutôt par « The weather is nice », ce qui n’a rien à voir d’un point de vue formel. On comprend donc facilement
la logique d’une traduction à équivalence dynamique : le but d’une traduction est avant tout de transmettre le sens d’un
texte !

L’inconvénient principal d’une telle méthode est qu’elle implique de faire davantage de choix sur le sens du texte original. Il
arrive que pour certains passages, le sens d’un mot ne soit pas clair. Par exemple, dans le Nouveau Testament, le terme
grec pistis peut signifier foi/confiance ou fidélité. Une traduction dynamique va donc traduire, selon le contexte, par foi ou par
fidélité. Toutefois, pour certains passages, le contexte ne permet pas toujours de trancher et nécessite un choix : comment
faut-il, par exemple, traduire pistis au sein de la liste des « fruits de l’Esprit » en Galates 5.22 ? Foi ou fidélité ?

Avantages et inconvénients d’une traduction à équivalence formelle


L’avantage majeur d’une traduction à équivalence formelle est de moins imposer un sens particulier du texte. Pour reprendre
l’exemple de la traduction de pistis, une traduction littérale traduira toujours par « foi ». Elle laissera donc le lecteur décider
du sens qu’il faut donner au mot, en fonction du contexte.

Une traduction à équivalence formelle aura aussi l’avantage de laisser transparaître davantage les répétitions d’un même
mot, ou les jeux de mots de l’original.

L’inconvénient principal d’une telle traduction est qu’elle nécessite que le lecteur ait une certaine connaissance du
vocabulaire biblique ou de son contexte. Par conséquent, elle entraîne plus facilement des mauvaises compréhensions du
texte biblique. Un lecteur inexpérimenté ne saura pas forcément que là où il lit « foi », il lui faut parfois entendre « fidélité ». Il
comprendra généralement de travers (ou de manière partielle) une expression comme « vivre selon la chair » ou « se
repentir ».

Quelle Bible utilise quel principe ?


Chaque traduction de la Bible va essayer de trouver un juste milieu entre traduction littérale et transmission du sens
(équivalence dynamique). Une traduction purement mot à mot serait illisible et incompréhensible. Une traduction aussi
dynamique soit-elle ne pourra jamais éliminer totalement tous les termes techniques qui sont propres au monde de la Bible.

Toutefois, les traducteurs ne vont pas situer ce « juste milieu » au même endroit. Certaines seront beaucoup plus formelles
ou littérales que d’autres ; et inversement.

Afin d’aider à se repérer parmi les traductions les plus courantes, je propose le classement approximatif ci-dessous. Ceci
étant, il faut noter qu’il arrive qu’au sein d’une même traduction, certains livres soient traduits de manière plus littérale que
d’autres (c’est le cas en particulier de la TOB).
 

 A qui s’adresse la traduction ?

Un autre point qui explique les différences entre les traductions concerne celui du public ciblé. Le choix ici est plus un choix
éditorial qu’un débat de fond sur le principe de la traduction. La question qui se pose est : dans quelle langue va-t-on traduire
la Bible ?

S’adresse-t-on à des croyants de longue date, baignés de culture biblique ou à des non-croyants qui ne connaissent rien au
monde de la Bible ? S’adresse-t-on à des français habitués à lire de la haute littérature ou au « français moyen » ?

Même si les traductions cherchant à employer un langage simple vont généralement utiliser « l’équivalence dynamique »
plutôt que la traduction littérale, cela n’est pas toujours vrai. Par exemple, la Bible du Semeur utilise davantage l’équivalence
dynamique que la Bible Parole de Vie, pourtant elle va faire appel à un niveau de français bien plus élevé. A l’inverse, la
Segond 21 est assez littérale alors qu’elle utilise un niveau de français assez simple.

Conclusion : Quelle traduction de la Bible faut-il préférer ?

Mises à part les traductions réalisées de manière isolée par un individu ou un mouvement «  sectaire », aucune des
traductions courantes modernes n’est une « mauvaise traduction ». Toutes les traductions courantes et modernes sont
globalement fiables et de bonne qualité. Chacune a ses intérêts et ses limites.

Le choix d’une traduction biblique dépendra donc de l’utilisation :

Pour la méditation ou la lecture personnelle, nous avons tendance à privilégier une Bible avec laquelle on se sent à l’aise.
Celle-ci correspond souvent à « celle avec laquelle on a grandi ». En deuxième lieu, cela dépendra de nos exigences
littéraires, mais aussi de nos a priori confessionnels. Toutefois, je conseillerais de changer de temps à autre de «  Bible » en
en prenant une que nous connaissons peu : cela peut permettre de renouveler la méditation de textes bien connus.

Pour l’étude, il est impératif de lire un même passage dans plusieurs traductions (à moins de lire le grec et l’hébreu). Il sera
surtout important de consulter des Bibles utilisant des principes de traduction différents (équivalence dynamique ou
formelle). Nous avons un grand privilège de disposer de nombreuses traductions de qualité en français  : ne nous en privons
pas !
Pour la lecture avec d’autres : on privilégiera une traduction qui correspond au niveau de langage de la personne ou du
groupe avec qui on fera la lecture.

 Avec des enfants : la traduction « Parole de Vie » sera excellente.


 Avec des jeunes, ou avec des « débutants »: des traductions comme la « Français Courant », la « Semeur » ou la
« Segond 21 » seront souvent plus faciles à utiliser
 Pour une étude biblique avec des chrétiens « non-débutants »: on privilégiera une traduction à équivalence
formelle comme la NBS, la Segond ou la TOB.
 Pour une lecture publique non commentée (par exemple pour introduire un temps du culte ou un chant) : on
privilégiera une traduction qui se lit facilement. Personnellement, j’utilise souvent la traduction « Parole de Vie ».
Les catholiques utiliseront obligatoirement la « Traduction Liturgique ». Celle-ci peut s’avérer également utile pour
des non-catholiques puisque la traduction a été pensée en vue de la lecture publique.

Le « Texte majoritaire » et la question du texte original du Nouveau Testament

La Bible selon Shora Kuetu (2)

Papyrus 52, contenant un extrait de Jean 18, daté du début du 2ème siècle

Mon précédent article analysait la « révision » de la Bible proposée par Shora Kuetu, et intitulée « La Bible de Jésus-
Christ ». Parmi les raisons avancées par Shora Kuetu pour proposer sa révision de la Bible, on trouve l’affirmation suivante :

"La plupart des bibles modernes les plus diffusées sont basées sur le texte minoritaire comportant une quantité importante
de fautes de traduction, d'omissions et de rajouts qui altèrent la compréhension du message et induisent par conséquent le
lecteur en erreur." (source ici).
Ainsi, la Bible de Jésus-Christ (BJC) est présentée comme s’appuyant sur le « texte majoritaire » (source ici).

Shora Kuetu évoque ici le débat autour du texte grec du Nouveau Testament dit « majoritaire ». Les partisans du « Texte
majoritaire » remettent en cause les méthodes et les conclusions courantes des spécialistes de la critique textuelle : le texte
grec du Nouveau Testament élaboré par ces spécialistes serait un texte de moins bonne qualité que leur « Texte
majoritaire ». Le débat est particulièrement virulent parmi les évangéliques américains, mais il n’épargne pas totalement les
évangéliques francophones. Ces affirmations sont notamment véhiculées par des amateurs plus ou moins « éclairés » via
certains sites Internet. Il arrive aussi que certains théologiens évangéliques comme Jean-Marc Berthoud prennent la défense
du « Texte majoritaire » (voir un de ses articles ici). Afin de tenir compte du débat, la traduction récente et populaire Segond
21 a choisi d’intégrer à son texte les leçons du « Texte majoritaire » (voir l’explication de l’éditeur ici).

Malgré cet intérêt, il me semble qu’il y a de bonnes raisons d’estimer, avec l’immense majorité des spécialistes, que le
« Texte majoritaire » est en réalité plus éloigné du texte original du Nouveau Testament que celui proposé par les éditions
critiques actuelles.

Petite introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament

Pour le croyant que je suis, la Bible est la Parole de Dieu faisant autorité pour ma vie. Toutefois, ce sont les manuscrits
originaux que les auteurs bibliques (Paul, Pierre, Luc, etc.) ont rédigé qui font autorité, et non pas telle traduction française
ou tel manuscrit grec du 10ème siècle. Malheureusement, nous n'avons pas accès à ces manuscrits écrits par Paul, Pierre
ou Luc : les manuscrits originaux (ou "autographes") du Nouveau Testament ne nous sont pas parvenus. Nous en disposons
cependant de nombreuses copies manuscrites plus ou moins anciennes. Or, quand on compare les divers manuscrits, on
constate qu’ils ne sont jamais strictement identiques. La question que se pose tout croyant qui cherche à connaître le texte
de "la Parole de Dieu", c'est donc : comment savoir quel était le texte original ?

Page du NA28 (Jude)

Cette question n’est pas nouvelle, puisqu’elle préoccupait déjà les Pères de l’Eglise : dès le deuxième siècle, Irénée de Lyon
signale des divergences entre des manuscrits du Nouveau Testament dont il a connaissance. Bien que la question du texte
original ait parcouru les siècles, c’est essentiellement à partir du 19 ème que l’on a commencé à rassembler les nombreux
manuscrits anciens du Nouveau Testament disséminés à travers le monde. Ce travail, qui continue jusqu’à aujourd’hui, a
permis d’aboutir à une collection de plus de 5000 manuscrits, désormais photographiés et pour la plupart consultables en
ligne sur des sites comme celui de l’université allemande de Münster. Certains de ces manuscrits remontent jusqu'au 2ème
siècle, mais la grande majorité d’entre eux date de la période qui précède l’invention de l’imprimerie (1300 à 1500 ap. J.-
C.). La collecte, la datation, et la comparaison de ces manuscrits donna lieu au développement d’une science que l’on
nomme « critique textuelle du Nouveau Testament ».

Le développement de cette science donna lieu à diverses éditions dites « critiques » du Nouveau Testament grec. Ceux qui
travaillent à l’élaboration de ces éditions critiques essayent de proposer le texte original le plus probable, « en l’état actuel »
des connaissances. L’édition la plus aboutie du Nouveau Testament grec est la 28 ème édition du Novum Testamentum
Graece de Nestlé et Aland (souvent désignée par le sigle « NA28 »). Le NA28 est un outil de travail : pour chaque problème
de critique textuelle, il indique en note les variantes trouvées dans les manuscrits. De telle sorte que l'on peut soi-même se
faire son propre avis concernant telle ou telle proposition.

La plupart des traductions modernes du Nouveau Testament se basent sur une édition critique du Nouveau Testament grec.

Qu’est-ce que le « Texte majoritaire » ?

Le « Texte majoritaire » désigne, pour ses défenseurs, le texte grec du Nouveau Testament, tel qu’il est conservé dans la
majorité des manuscrits grecs connus. Lorsqu’ils constataient des divergences entre les manuscrits, beaucoup de
théologiens anciens préféraient généralement retenir le texte grec le plus courant, le plus connu ou le plus utilisé. Toutefois,
la défense argumentée du concept de « Texte majoritaire » est assez récente. Celle-ci s’est essentiellement développée à
partir du XIXème siècle en réaction au développement de la critique textuelle. Toutefois, ce n’est qu’en 1982 qu’on assiste à
la première édition d’un texte dit « majoritaire », réalisé sous la direction des américains Zane C. Hodges et Arthur L.
Farstad. Concrètement, les éditeurs vont comparer les manuscrits connus du Nouveau Testament pour chaque verset :
lorsqu’ils constatent une divergence, ils vont, par principe, choisir de suivre le texte retrouvé dans la majorité des manuscrits.

Qu’est-ce que le Texte reçu ?

Dernière page du Nouveau Testament grec/latin d'Erasme

Le « Texte majoritaire » est parfois confondu avec le Texte reçu (Textus Receptus) qui est le nom donné aux multiples
révisions du Nouveau Testament grec d’Erasme (début du 16 ème siècle). Le Textus Receptus est un texte grec édité à partir
d’une poignée de manuscrits tardifs auxquels Erasme avait accès (le plus ancien datant du 10 ème siècle). Erasme a lui-même
reconnu qu’il avait réalisé son édition à la « va-vite », à partir des manuscrits qu’il avait sous la main. Toutefois, son édition
et ses révisions furent portées par des imprimeurs influents, ce qui explique probablement le succès « commercial » de ce
Nouveau Testament grec. Certains réviseurs comme Théodore de Bèze (fin du 16 ème siècle) avaient accès à des manuscrits
différents et bien plus anciens que ceux utilisés par Erasme. Toutefois, ils n’osèrent pas modifier substantiellement le texte
d’Erasme, qui fut considéré assez rapidement comme le texte grec de référence : le texte « reçu par tous ». Le titre de
« Texte reçu » ne vient donc pas de ce qu’il serait vu comme ayant été « reçu de Dieu » mais bien dans le sens d’un texte
ayant été « bien reçu » parmi les croyants.

C’est le Textus Receptus qui a servi de base aux anciennes traductions protestantes du Nouveau Testament dans la lignée
de la Bible de Genève (Martin, Ostervlad, etc.) ou en anglais, à la traduction King James.

Les différences entre le Texte reçu et le « Texte majoritaire »

Le Texte reçu est assez proche du texte de la majorité des manuscrits connus actuellement (« Texte majoritaire »), mais il
n’y correspond pas strictement : il y a, selon les décomptes, entre 1000 et 2000 différences sur les quelques 138 000 mots
que contient le Nouveau Testament. Ainsi, certaines variantes du Texte reçu ne se retrouvent pas dans le « Texte
majoritaire » et sont parfois attestées par très peu de manuscrits. Cela signifie que dans 1000 à 2000 cas, les traductions
protestantes anciennes du Nouveau Testament, et la Bible de Jésus-Christ à leur suite, reposent sur un texte
« minoritaire » !

1 Jean 5 dans le manuscrit 88 (12ème siècle) : le texte d'origine est difficilement lisible, mais on peut voir qu'un scribe
(probablement du 16ème siècle) a signalé dans la marge la version longue d'1 Jean 5.7-8

Un des exemples les plus connus concerne 1 Jean 5.7-8 :


 La Bible de Martin et la BJC ont : « Car il y en a trois dans le ciel qui rendent témoignage : Le Père, la Parole, et le
Saint-Esprit ; et ces trois-là ne sont qu'un. Il y en a aussi trois qui rendent témoignage sur la terre, à savoir l'Esprit,
l'eau, et le sang, et ces trois-là se rapportent à un. »
 Alors que les traductions modernes, mais aussi le « Texte majoritaire » ont : « Car il y en a trois qui rendent
témoignage : l’Esprit, l’eau et le sang, et les trois sont d’accord. » (NBS).
La version longue que l’on trouve dans le Texte reçu n’est attestée que par 8 manuscrits grecs, et le plus souvent sous
forme de corrections marginales : elle est donc loin d’être majoritaire ! De plus, il s’agit de manuscrits tardifs et peu fiables.
Erasme n'a introduit la version longue que dans la 3ème édition de son Nouveau Testament grec, suite aux reproches de
ceux qui étaient habitués à lire cette version dans la Vulgate utilisée à l'époque (la version longue n'étant pas présente dans
la Vulgate rédigée par Jérôme). Erasme indiqua qu'il n'avait pas trouvé la formule trinitaire dans les manuscrits grecs qu'il
avait consultés. On lui fit alors découvrir un codex du Nouveau Testament qui le contenait (le manuscrit 61) : ce codex est
généralement daté du début du 16ème siècle, et les spécialistes estiment que la version longue y a été traduite du latin vers
le grec.

Les éditions et révisions successives du Texte reçu reposent donc sur une comparaison de quelques manuscrits grecs du
Nouveau Testament. Il semble même que pour quelques rares passages (notamment les derniers versets de l'Apocalypse),
le texte d’Erasme soit en réalité une rétroversion du texte latin vers le grec !

Notons encore qu’à la différence des défenseurs modernes du « Texte majoritaire », Erasme n’avait pas développé
d’argumentation particulière pour défendre son édition : il s’agit avant tout du texte grec qu’il avait sous la main.

« Texte majoritaire » et « texte minoritaire »

Les spécialistes des manuscrits anciens mirent en évidence dès le 19 ème siècle que les manuscrits qui représentent le
« Texte majoritaire » appartiennent à une famille spécifique de manuscrits que l’on appela « Texte byzantin ». Cette
désignation vient du fait qu’on considère qu’il s’agit de la forme grecque du Nouveau Testament utilisée dans l’Eglise de
langue grecque de l’Empire Byzantin (celui-ci n’ayant pris fin qu’en 1453).

Selon des critères scientifiques, l’immense majorité des spécialistes de la critique textuelle estime que cette famille de
manuscrits est moins fidèle au texte original que d’autres familles de manuscrits. Ces autres familles sont représentées par
un nombre bien inférieur de manuscrits, ce qui leur vaut l’appellation de « minoritaires » par leurs détracteurs. Ainsi, lorsque
le « Texte majoritaire » diffère du texte d’autres familles de manuscrits, les spécialistes choisissent généralement de suivre
le texte « minoritaire ». Par conséquent, lorsque les manuscrits divergent, l’édition de référence ( NA28) ne suit presque
jamais le « Texte majoritaire ».

Pourquoi certains estiment-ils que le « Texte majoritaire » est le meilleur texte ?

Les défenseurs du « Texte majoritaire » avancent principalement des arguments de trois types :

 Des arguments logiques: il est logique que le texte attesté par le plus grand nombre de manuscrits représente le
texte le plus ancien. De plus, le texte dit « majoritaire » est très largement majoritaire : dans la plupart des cas il
représente plus de 80% des manuscrits connus.
 Des arguments liés à la provenance des manuscrits: les spécialistes de la critique textuelle estiment généralement
que les meilleurs et plus anciens manuscrits sont de type « alexandrin ». Cette désignation, contestée, viendrait du
fait que la plupart des manuscrits de cette famille proviendraient de l’Egypte romaine (la région d’Alexandrie). Or,
aucun texte du Nouveau Testament n’a été rédigé en Egypte, ni adressé à l’origine à une église d’Egypte  : on a un
éloignement géographique avec les manuscrits originaux. A l’inverse, le texte « byzantin » provient des régions
d’Ephèse, de Corinthe, de Galatie, de Philippes ou de Colosses où furent envoyées des lettres de Paul. De plus,
du point de vue évangélique conservateur, les premiers siècles de l’Église égyptienne ont connu plusieurs
« hérésies » qui pourraient expliquer que les chrétiens de cette région aient modifié le texte biblique pour le
conformer davantage à leur doctrine. Enfin, l’Egypte a un climat plus sec, ce qui peut contribuer à la préservation
plus favorable des manuscrits dans cette région.
 Des arguments théologiques : Dieu n’a pas seulement veillé à ce que le texte biblique original soit sa Parole sans
erreur, il a aussi veillé à ce qu’elle soit préservée sans erreur au fil des siècles. C’est ce qu’on nomme la doctrine
de la « préservation » de l’Écriture. Dans ce cas, comment peut-on dire que 80% des manuscrits grecs
présenteraient une version moins fiable du texte original que les quelques pourcents restants ? De plus, comment
Dieu aurait-il pu permettre que toutes les traductions protestantes du Nouveau Testament antérieures au XIXème
siècle reposent sur un texte grec de mauvaise qualité ?

Le « Texte majoritaire » ou le Texte reçu sont-ils si différents du texte grec utilisé par les traductions récentes ?

Certains défenseurs du « texte majoritaire » ou du Texte reçu semblent convaincu que les éditions critiques du Nouveau
Testament, comme celle du NA28, auraient volontairement choisi de diluer certaines affirmations bibliques ou d’introduire
des erreurs doctrinales. En effet, le « Texte majoritaire » contient des précisions que l’on ne retrouve pas dans le texte
retenu par le NA28. Par exemple, en 1 Timothée 3.16, là où le NA28 propose : « lui qui s’est manifesté dans la chair », le
« Texte majoritaire » propose : « Dieu s’est manifesté dans la chair » : on a une affirmation claire de l’incarnation. A d’autres
endroits, le « Texte majoritaire » propose un texte un peu plus conventionnel avec la doctrine traditionnelle. Par exemple, en
Luc 2.33, le NA28 mentionne « son père et sa mère » au sujet de Jésus, là où le « Texte majoritaire » propose « Joseph et
sa mère » : le « Texte majoritaire » cherche à préserver la doctrine de la naissance virginale de Jésus.

Cependant, la théorie du complot développée par certains défenseurs du « texte majoritaire » n’a aucun fondement.

 1 Timothée 3.15-16 dans le manuscrit 061 (5ème siècle)


D’une part, on aurait tort d’accentuer les différences entre les familles de manuscrit. Les différences entre le
« Texte majoritaire » et le texte du NA28 ne concernent qu’un tout petit pourcentage du texte du Nouveau
Testament. De plus, parmi ces différences, la plupart ne changent absolument rien au sens du verset concerné.
Enfin, les quelques différences significatives n’affectent en rien le message général ou la doctrine que l’on peut
élaborer à partir de l’ensemble du Nouveau Testament. L’absence de la mention explicite de « Dieu » en 1
Timothée 3.16 ne suffit pas à abandonner la doctrine de l’incarnation : bien d’autres passages bibliques viennent
en appui à cette doctrine ! De même, ce n’est pas parce que Luc 2.33 présenterait Joseph comme le père de
Jésus que cela nie la naissance virginale de Jésus : celle-ci est affirmée clairement au chapitre précédent (Lc
1.30-35) !
 Contrairement à ce que l’on peut lire dans certains pamphlets, ceux qui adoptent l’approche courante de la critique
textuelle ne sont pas tous des athées modernistes francs-maçons voulant détruire le texte biblique  ! La plupart des
spécialistes de la critique textuelle sont des croyants qui ont beaucoup de respect pour le texte biblique. La plupart
des évangéliques qui, comme moi, affirment l’inerrance du texte biblique original, estiment que le « Texte
majoritaire » n’est pas un bon témoin du texte original. Parmi les spécialistes évangéliques qui ont écrits sur le
sujet, citons Donald Carson, Gordon Fee ou Daniel B. Wallace (voir références en bas de cet article).

Une (fausse) idée reçue : la critique textuelle courante ne reposerait que sur deux manuscrits anciens (les codex Sinaïticus

et Vaticanus)

Page du Codex Vaticanus

Avant d’évoquer les arguments en défaveur du « Texte majoritaire », je voudrais rectifier une idée reçue que l’on lit
fréquemment chez ceux qui critiquent les méthodes courantes de la critique textuelle. Selon ces derniers, les éditions
critiques actuelles du Nouveau Testament grec se baseraient essentiellement sur les manuscrits du codex Sinaïticus et du
codex Vaticanus ! Certes, il s’agit des deux plus anciens manuscrits complets (ou presque complets) du Nouveau Testament
grec (4ème siècle), et par conséquent, ils reçoivent un certain prestige. A la fin du 19 ème siècle les travaux de Wescott et Hort
mirent en évidence la valeur de ces deux manuscrits. Toutefois, la critique textuelle a beaucoup évolué depuis cette
époque ! Ainsi, pour chaque verset, les éditions actuelles répertorient et classent des centaines de manuscrits.

Un travail monumental est actuellement en cours à travers la réalisation de l’Editio Critica Maior du Nouveau Testament : les
spécialistes travaillant à l’édition de cet ouvrage prennent le temps de consulter l’ensemble des milliers de manuscrits
connus aujourd’hui pour pouvoir proposer ensuite le texte grec le plus probable pour chaque verset. Les résultats de ce
travail sont déjà accessibles pour les épîtres dites « catholiques » (Jacques, 1 et 2 Pierre, 1, 2 et 3 Jean, Jude) et ont été
intégrés au NA28. 

Le « texte majoritaire » n’est pas si majoritaire : Critères scientifiques

La critique textuelle est une science en constante évolution : les chercheurs se font souvent une joie de remettre en question
les conclusions de leurs confrères. Ainsi, il existe un débat important sur les méthodes de la critique textuelle ou sur la
reconstruction de l’histoire des manuscrits. Toutefois, la question du « Texte majoritaire » semble faire consensus :
l’immense majorité des spécialistes des manuscrits du Nouveau Testament estime que les manuscrits représentant le
« texte majoritaire » proposent un texte grec plus éloigné du texte original que bien d’autres familles de manuscrits.
Autrement dit, le « texte majoritaire » serait un des témoins les plus corrompus et les moins fiables pour reconstituer le texte
original.

 Plusieurs arguments plaident en défaveur du « Texte majoritaire ».


Mentionnons tout d’abord les arguments basés sur les comparaisons des manuscrits existants (ce que les spécialistes
appellent la « critique externe »).

La critique textuelle n’est pas une science réservée au texte biblique. Celle-ci est utilisée également pour toute édition
moderne d’un texte ancien : qu’il s’agisse des écrits de Platon, de Jules César ou de Flavius Josèphe. Or, une des règles
fondamentales pour reconstituer le texte original d’un texte ancien est de ne pas se fier au nombre de manuscrits en faveur
d’une variante ou d’une autre. Imaginons que pour un texte donné l’on dispose 10 manuscrits d’une même époque  : si 9 de
ces manuscrits ont « blanc » là où un seul autre a « noir », les spécialistes ne concluront pas forcément que le texte
« majoritaire » est le texte original. En effet, les 9 manuscrits qui ont « blanc » ont très bien pu être copiés à partir d’un
même manuscrit qui leur est quasi-contemporain. Alors que le manuscrit qui a « noir » pourrait avoir été copié à partir d’un
manuscrit différent et beaucoup plus ancien. Dans ce cas, le manuscrit « minoritaire » aurait bien plus de valeur que les
manuscrits « majoritaires » car sa source est historiquement plus proche de l’original.

Le critère de la « quantité » n’est donc pas un critère suffisant : il doit être associé à un critère « d’ancienneté » et surtout à
un critère de « qualité ». 

La difficulté majeure par rapport au « texte majoritaire » du Nouveau Testament est qu’il est très peu attesté pour les
périodes les plus anciennes. 

 Le « Texte majoritaire » n’est attesté par aucun manuscrit grec antérieur au 5 ème siècle. Nous disposons
aujourd’hui de plus d’une centaine de manuscrits grecs du Nouveau Testament datant du 2 ème au 4ème siècle. Or,
aucun d’entre eux ne contient les caractéristiques typiques du « Texte majoritaire ».
 Les manuscrits grecs ne sont pas les seuls témoins du texte original. Deux autres types de documents sont utiles :
les citations bibliques des Pères de l’Eglise ; et les plus anciennes traductions du Nouveau Testament.
o Dès les premiers siècles de l’Eglise, le Nouveau Testament a été traduit en plusieurs langues. On
connaît notamment des traductions coptes, latines, syriaques ou éthiopiennes antérieures au 5 ème siècle.
On imagine mal que les traducteurs n’aient pas choisi le texte grec qui faisait autorité dans l’Eglise de
leur époque. De plus, étant donné la répartition géographique de ces traductions, il n’est guère possible
de faire valoir l’argument d’une provenance « alexandrine ». Or, aucune des traductions les plus
anciennes ne se base sur un texte du même type que le « Texte majoritaire »
o Il en est de même pour les citations des Pères de l’Eglise, disséminés dans tout le bassin
méditerranéen : aucun écrit des Pères de l’Eglise antérieur au milieu du 4 ème siècle, lorsqu’il cite le
Nouveau Testament, n’utilise un texte grec conforme au « Texte majoritaire ».
En résumé, aucun document ne permet d’attester l’existence du « Texte majoritaire » avant le milieu du 4ème siècle, soit plus
de 250 ans après la rédaction des textes originaux.

 Si on classe les manuscrits par siècle, le « Texte majoritaire » ne devient réellement majoritaire qu’à partir du
9ème siècle. Pour tous les siècles précédents, le « Texte majoritaire » est en réalité minoritaire parmi les manuscrits
connus à ce jour.
Tous ces éléments plaident en faveur du développement tardif du texte grec dit « majoritaire » : si une partie des variantes
typiques du « texte majoritaire » semble avoir été introduite par des copistes de la fin du 4 ème siècle, ce n’est qu’à partir du
9ème siècle que le « texte majoritaire » devient réellement majoritaire parmi les manuscrits grecs du Nouveau Testament.

A ces arguments s’ajoutent des arguments concernant le type de différences entre les manuscrits (ce que les spécialistes
appellent la « critique interne »). Lorsque le « Texte majoritaire » diffère du texte retenu par le NA28, on constate souvent
qu’il propose un grec plus facile à lire, qu’il supprime une difficulté théologique ou qu’il harmonise un passage avec un autre
passage (pour éviter toute apparence de contradiction). Par endroit, le « Texte majoritaire » propose un texte plus long qui
semble avoir additionné les variantes retrouvées dans d’autres manuscrits. Toutes ces caractéristiques sont considérées par
les spécialistes comme les traces d’un travail de révision. En effet, on peut comprendre qu’un réviseur ait cherché à
améliorer le texte, en supprimant des difficultés théologiques ou ce qu’il estimait comme des incohérences. Par contre, les
copistes étant essentiellement des chrétiens, on comprendrait mal qu’un réviseur ait retravaillé le texte pour le rendre plus
compliqué, ou plus difficile à comprendre.
Le « texte majoritaire » n’est pas si majoritaire : Critères théologiques

La science évolue : les conclusions ou les méthodes d’aujourd’hui seront peut-être remises en cause par celles de demain.
Du point de vue du croyant qui considère la Bible comme Parole de Dieu sans erreur, ce sont certainement les arguments
théologiques qui pèsent le plus. Comment Dieu aurait-il pu permettre que sa Parole ne soit pas préservée fidèlement au
point que l’immense majorité des manuscrits grecs du Nouveau Testament propose un texte moins fiable qu’une minorité
d’entre eux ?

Tout d’abord, je ne pense pas que la Bible affirme que Dieu préservera l’Écriture sainte au point qu’aucune lettre ne puisse
jamais en être changée. Les textes bibliques souvent avancés (Ps 119.89 ; Es 40.8 ; Mt 5.17-18 ; Jn 10.35 ; 1 P 1.23-25 ; Ap
22.18-19) évoquent davantage la validité éternelle de la Parole de Dieu plutôt que sa préservation sous une forme écrite
exacte au fil des siècles. Ce que la Bible affirme plutôt c’est que les promesses et les avertissements de Dieu contenus dans
l’Écriture ne passent pas : ce que Dieu a dit demeure valable.

La « Parole de Dieu » n’est pas tel verset tiré hors de son contexte : ce qui fait autorité pour le croyant c’est la Bible dans
son ensemble. Satan lui-même est capable de citer un verset de l’Écriture (Mt 4.6) pour dire quelque chose de faux. Le fait
qu’on ne soit pas sûr à 100% du texte original de quelques versets ne devrait donc pas inquiéter le croyant. Dans
l’ensemble, les textes bibliques sont très bien conservés, et que l’on suive l’une ou l’autre variante trouvée par les
manuscrits, aucune décision n’aura de grande conséquence sur les affirmations essentielles de la Parole de Dieu, prise
dans son ensemble.

Deuxièmement, même si on tenait à la doctrine de la « préservation » de l’Écriture, on peut s’interroger sur l’appellation
« Texte majoritaire ». En effet, ce que ses défenseurs appellent « Texte majoritaire » n’a jamais été au cours de l’histoire le
texte du Nouveau Testament majoritairement utilisé ou lu à travers le monde.

D’une part, ce n’est qu’à partir du 9 ème qu’on peut clairement affirmer que le « Texte majoritaire » est majoritaire parmi les
manuscrits grecs. Avant cela, il semble plutôt avoir été minoritaire.

De plus, il est important de se souvenir que, si au premier siècle, le grec est la langue commune de l’Empire romain, cela ne
resta pas le cas bien longtemps. Dès les 3 ème ou 4ème siècle, la majorité des chrétiens ne lisent plus le Nouveau Testament
en grec, mais dans une langue qu’ils comprennent mieux : le syriaque, le copte, l’éthiopien ancien, l’arménien ou surtout le
latin. Le grec restera utilisé principalement dans l’Eglise de langue grecque et encore aujourd’hui, l’Eglise orthodoxe de
langue grecque utilise un Nouveau Testament assez proche du « Texte majoritaire ». C’est de ce milieu ecclésial que
proviennent les très nombreux manuscrits qui attestent le « Texte majoritaire ». Cependant, ces chrétiens de langue grecque
sont loin de représenter la majorité des chrétiens dans le monde au fil des siècles ! Ainsi, le Nouveau Testament le plus
utilisé à travers le monde jusqu’à la Réforme est celui de la traduction latine dite de la Vulgate. On possède d’ailleurs près de
deux fois plus de manuscrits latins du Nouveau Testament que de manuscrits grecs. Or, la Vulgate n’a pas été traduite à
partir d’un texte grec correspondant à celui du « Texte majoritaire ». Par conséquent, jusqu’à la Réforme, le « Texte
majoritaire » n’est pas celui qui est le plus lu ou le plus diffusé.

A partir du 16ème siècle, les réformateurs vont encourager la traduction de la Bible en langue vernaculaire. Pour le Nouveau
Testament, c’est le Texte reçu qui va servir de base à ces traductions. Cela sera le cas jusqu’au développement de la
critique textuelle au 19ème siècle. Du 16ème au 19ème siècle, c’est donc un texte proche du « Texte majoritaire » qui va être
utilisé dans le monde protestant. Toutefois, à cette époque, le protestantisme n’est pas le courant « majoritaire » du
christianisme. Or, dans l’Eglise catholique, c’est la Vulgate qui continue d’être utilisée.

Enfin, depuis la fin du 19ème siècle, la plupart des traductions du Nouveau Testament ne suivent pas le « Texte majoritaire ».

En résumé, à aucune époque de l’histoire, le « Texte majoritaire » ne fut réellement la forme du Nouveau Testament la plus
lue ou la plus utilisée dans le monde. Si le « Texte reçu » eut un certain succès du 16ème au 19ème siècle parmi le
protestantisme, le « Texte majoritaire » ne fut jamais « majoritaire » dans son usage. L’argument de la « préservation de
l’Écriture » ne peut donc pas servir de base à la défense du « Texte majoritaire ».
Réflexions finales

Le texte grec du Nouveau Testament qui sert de base à nos traductions modernes est particulièrement fiable, et c’est
scientifiquement prouvé !

 Le Nouveau Testament est probablement le texte ancien le mieux conservé : nous avons aujourd’hui à accès à
des milliers de manuscrits, dont certains sont particulièrement proches de l’époque du texte original.
 Le Nouveau Testament est probablement le texte ancien dont la reconstitution est discutée par le plus grand
nombre de spécialistes.
 Les éditeurs du texte grec du NA28 ne font pas un travail "caché" puisqu'ils expliquent clairement leurs méthodes
de travail. Ils sont ouverts à la critique puisqu'ils dialoguent avec les spécialistes à travers le monde, et révisent
régulièrement le texte de "Nestlé-Aland". De plus, il est aujourd'hui possible d'aller vérifier soi-même les images de
nombreux manuscrits du NT consultés par les éditeurs, car ils ont été photographies et les images sont rendues
accessibles en ligne par ceux qui travaillent à l'édition du NA28. On a donc un travail totalement vérifiable par
quiconque prendrait le temps de le faire sérieusement.
Ces trois arguments sont, à mon avis, la meilleure réponse à ceux qui pourraient dire que la Parole de Dieu a été falsifiée.
Certes, quelques doutes subsistent sur quelques rares versets. Mais dans l'ensemble, nous pouvons dire aujourd'hui : le
texte qui sert de base à la plupart de nos traductions est un texte fiable, et c'est scientifiquement prouvé !

 Le débat sur la question du « Texte majoritaire » ne devrait pas diviser les chrétiens.
 Comme j’ai essayé de le montrer, que l’on retienne le « Texte majoritaire » ou le texte du NA28, les différences ne sont pas
si importantes. De plus, elles n’affectent aucunement l’enseignement du Nouveau Testament dans son ensemble. Le choix
de l’un ou l’autre texte n’affectera pas nos positions doctrinales ! 

Même si je considère le texte du NA28 plus proche de l’original que le « Texte majoritaire », les affirmations que l’on
retrouve dans le « Texte majoritaire » sont tout à fait cohérentes avec ce qu’on trouve ailleurs dans la Bible. Je ne considère
pas le « Texte majoritaire » comme un texte dangereux ou anti-biblique. Je ne considère donc pas le choix du «  Texte
majoritaire » comme un critère de division avec des frères ou sœurs chrétiens qui préfèreraient ce texte-là.

Par contre, je déplore l’attitude de ceux qui « excommunient » par principe tous ceux qui remettraient en cause l’autorité
suprême du « Texte reçu » ou du « Texte majoritaire ». Je ne vois pas l’intérêt de déclarer haut et fort que nos bibles
modernes seraient « corrompues ». Je ne comprends pas l’utilité de recourir à la théorie du complot pour dénoncer ceux qui
auraient participé à cette « corruption » du texte du Nouveau Testament. Cela, au contraire, me semble discréditer le
témoignage chrétien.

Rappelons-nous que les apologètes musulmans reprochent aux chrétiens d’avoir un texte « corrompu ». Il n’est donc pas
surprenant que des musulmans  reprennent le débat autour du « Texte majoritaire » pour discréditer la fiabilité de la Bible
(voir un exemple ici).

La question du « Texte majoritaire » n’a pas lieu d’être une pierre de discorde entre chrétiens. C’est d’ailleurs dans ce sens
que la Société Biblique de Genève, à l’origine de la traduction Segond 21, justifie son choix d’intégrer et de signaler les
leçons du « Texte majoritaire » :

« La conviction qui sous-tend cette manière de faire? Celle que le lecteur pourra se rendre compte par lui-même que les
divergences ne portent pas à conséquence et qu’aucun élément de la foi chrétienne «orthodoxe» n’est remis en cause par
elles. Ce qu’un texte dit peu clairement dans une des traditions manuscrites est enseigné plus clairement dans un autre
passage, et cela n’empêche pas Dieu de se révéler au lecteur. » (source ici)

 Pourquoi Dieu a-t-il permis que le texte biblique ne soit pas préservé au mot près ?
La réalité historique de l’absence de la préservation absolue du texte biblique peut interroger le croyant. Certes, les
différences et les incertitudes sont minimes, mais elles existent. Pourquoi notre Dieu a-t-il permis qu’au fil des siècles, on ait
perdu la formulation originale d’un verset ou d’un autre ?

Je n’ai pas de réponse toute faite à cette question. Je ne prétends pas connaître la pensée de Dieu sur le sujet. Toutefois, je
me demande si notre Dieu n’a pas permis cette situation afin de nous encourager à nous centrer vers le cœur de l’Evangile :
l’œuvre de Jésus-Christ.
En tant qu’exégète, je passe souvent beaucoup de temps à m’attarder sur l’étude d’un verset ou même d’un mot particulier.
Il m’est souvent tentant de m’embarquer dans des débats et discussions sans fin sur le sens d’un verset donné.
Régulièrement, une exhortation de Paul me rappelle à l’ordre : « évite les querelles de mots » ou les « débats absurdes ».
Cette exhortation se retrouve dans chacune des trois épîtres pastorales (1 Tim 6.3-5 ; 2 Tim 2.14 ; Tt 3.9). Dans ces trois
cas, l’exhortation est mise en rapport avec ce qui doit être au cœur de l’enseignement de Timothée ou Tite  : la présentation
de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ (1 Tim 6.13-16 ; 2 Tim 2.8-13 ; Tt 3.3-8). Autrement dit, dans leur approche de
la Parole de Dieu, Paul encourage Timothée et Tite à ne pas s’engager dans des discussions sans fin autour du sens d’un
mot, de détails généalogiques ou de polémiques autour de la Loi. A l’inverse, il les invite à se centrer sur ce qui fait le cœur
de l’Evangile : Jésus-Christ. C’est là ce qui est au centre de l’enseignement du Nouveau Testament.

Quelle que soit la version du Nouveau Testament utilisée par les chrétiens au fil des siècles, la Bonne Nouvelle de Jésus-
Christ en reste le cœur. Malgré les quelques différences de mots, malgré les quelques imprécisions de certaines traductions,
Dieu a fait en sorte que le message qui est au cœur du Nouveau Testament soit préservé. Peut-être a-t-il choisi de procéder
ainsi afin de nous encourager à ne pas nous attarder sur tel ou tel mot, mais sur le Verbe incarné : Jésus-Christ !

Si vous souhaitez aller plus loin, voici deux articles de spécialistes défendant un point de vue similaire au mien, en accès
libre :

 En français : on pourra consulter l’article-interview de Heinrich von Siebenthal, paru dans Théologie Evangélique,
et accessible en cliquant ici.
 En anglais : un des articles les mieux documentés sur le sujet, est celui de Daniel B. Wallace, « The Majority-Text
Theory: History, Methods and Critique », consultable ici.

https://timotheeminard.com/etudier-un-texte-biblique-en-8-etapes-introduction/

https://timotheeminard.com/

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