l'Environnement
Pierron Jean-Philippe. La pensée et le mouvant : le droit à l’épreuve de l’environnement. In: Revue Juridique de
l'Environnement, n°3, 2016. pp. 439-450;
doi : https://doi.org/10.3406/rjenv.2016.6888
https://www.persee.fr/doc/rjenv_0397-0299_2016_num_41_3_6888
Résumé
Éthique et droit de l’environnement, sans sacraliser la nature, travaillent à l’élaboration d’un
nouveau pacte homme-nature, liant conscience forte d’une appartenance et exigence de
responsabilité. Il s’agit de trouver un nouvel équilibre entre l’environnement, la valeur et la loi,
élaborant un nouveau régime interprétatif et une compréhension renouvelée de l’homme. Ce
pacte de soin est celui qui sous-tend une pensée formulée en termes positifs de «contrat naturel »
, même si l’expression est sans doute malheureuse. Le rôle du droit de ce point de vue n’est-il pas
de reprendre dans le champ des décisions pratiques et des arrêts positivement exprimés le sens
retrouvé de nos appartenances ? Ne cherche-t-il pas à mettre un terme, au nom de la valeur
reconnue à la relation homme-nature, la fragmentation infinie de la nature qui prépare son
instrumentation technique ?
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LA PENSÉE ET LE MOUVANT
LE DROIT À L’ÉPREUVE DE L’ENVIRONNEMENT
Jean-Philippe PIERRON
Professeur des Universités, Faculté de philosophie,
Université Jean Moulin-Lyon 3
Summary The thought and the moving. The law facing the environment.
Ethics and environmental law, without sanctify the nature, work towards a new
agreement between man and nature, uniting a great conscience of community
membership and a requirement of responsability. The objective is to find a new
balance between environment, value and law, by devising a new interpretative
regime and an updated understanding of humanity. This agreement underpins a
thought formulated under the unfortunate expression of « natural contract ». From
this perspective, does the law have to convey in practical decisions and positive
expressed decisions the recovered sence of our belonging?
Keywords: : Nature, environment, ethics, membership, responsability.
1 Henri Bergson, La pensée et le mouvant, Essais et conférences, Paris, ed. Alcan, 1934.
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Il s’en est passé des choses pour que l’on veuille articuler à nouveaux frais la pen-
sée et le mouvant, reformulant les conditions d’une rencontre entre la statique du
concept et la dynamique du vivant dans une éthique et un droit de l’environnement.
Ce qui s’est passé peut être placé sous la rubrique générale d’une épreuve de l’en-
vironnement. Elle est engagée dans le souci écologique.
Redéployant non seulement la connaissance que nous avons de la nature (nos savoirs
ne cessent d’épeler ce qui solidarise le vivant humain au non humain : la biologie molé-
culaire, la psychologie évolutionniste, l’écologie, etc.), il mobilise également la significa-
tion que la nature peut avoir pour l’homme comme objet de devoir afin de rediscuter
l’inertie gigantesque de nos pouvoirs. Le souci écologique revisite ce que signifie pour
l’homme « se comprendre comme étant de la nature » (son enracinement) et redéploie
une interrogation sur la portée de l’action humaine (la responsabilité). Il dialectise le sens
d’une appartenance avec l’exigence d’une responsabilité. Ce faisant, la nature est deve-
nue un nouvel objet de responsabilité morale, juridique et politique2. Comment alors
éthique et droit de l’environnement tentent-ils de rendre compte de cette épreuve de
l’environnement ? Quelle incidence a cette épreuve pour l’homme dans la compréhen-
sion qu’il a de lui-même, des autres et des non-humains ? En quoi et comment éthique
et droit de l’environnement contribuent-ils à renouveler la compréhension que l’homme
a de lui-même comme vivant parmi les vivants, et invitent-ils donc à penser autrement
la mondialisation, travaillant à l’avènement d’une communauté de valeurs sortant de
l’opposition présentée comme frontale entre souci écologique et humanisme ?
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principe de stabilité, un socle et une assise qui permettaient de dire qu’il y a un ordre des
choses qui pouvait servir de principe d’ordre pour les choses. Sans aller jusqu’à l’idée
que la nature faisait bien les choses, on a longtemps pu penser que la nature définissait
un cours des choses relativement fixe, parce qu’elle réalisait un dessein, un plan divin ;
qu’elle était porteuse d’une finalité. Une conception substantielle de la nature faisait d’elle
un principe d’ordre théorique et pratique. La version canonique de cette idée se trouva
formulée par Thomas d’Aquin avec l’idée de loi naturelle. Une référence ontologique à la
nature pose que les choses, les êtres et les hommes obéissent à une règle préalable de
fonctionnement, soumis qu’ils sont à la loi du Créateur qu’ils découvrent dans l’ordre des
choses, la structure des êtres ou la conscience humaine. « Dieu est celui qui gouverne
tous les actes et tous les mouvements que l’on remarque en chaque créature […] Il est
donc évident que la loi naturelle n’est pas autre chose qu’une participation de la loi éter-
nelle dans la créature raisonnable »3. La nature est un grand code. Ainsi, la Nature a-t-elle
été, pendant des siècles, pensée comme une réalité massive, inébranlable par l’activité
humaine. Elle était un décor, éventuellement manipulable, mais immuable. Désacralisée,
désenchantée au point d’en être instrumentalisée et exploitée par la modernité, elle est
devenue aujourd’hui, dans un étrange renversement, l’objet de responsabilités. De l’anti-
quité à la modernité - on pense aux droits de l’homme tout d’abord -, et plus loin encore
de la modernité à la modernité tardive – au droit de l’environnement – si l’on conserve
l’idée de nature, la référence à cette dernière dit une tout autre chose. « Dans le monde
chrétien, la loi naturelle dessinait un cercle de contraintes ; dans le monde moderne elle
porte un ordre de libertés, dont témoigne du reste la promulgation des diverses décla-
rations des droits »4. Et, rajouterons-nous, dans le monde de la modernité tardive, entre
métaphysique et physique, la nature prend le sens d’une référence à une anthropologie
de la finitude, d’une substance retrouvée mais sans référence-révérence– est-ce pos-
sible, tel est bien le problème ? – à une métaphysique substantialiste de la nature.
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Avec la crise environnementale, il est devenu commun de dire que l’extension des pou-
voirs des hommes métamorphose la compréhension qu’ils peuvent avoir de ce qui les
lie à la nature. Elle étend le champ de leur devoir, ouvre sur de nouvelles responsabilités,
mais modifie également la compréhension anthropologique qu’ils ont d’eux-mêmes.
Ceci a un sens clair en droit. Lorsque meurt la nature, naît l’environnement. Mais entre-
temps, la modernité a tendu autant qu’il était possible et jusqu’à l’écartèlement, la
distinction entre les choses (res) et les personnes (persona). Il n’y aura pas de demi-me-
sure : « Les choses ont un prix, les personnes une dignité » dira Kant, les personnes
n’étant que les êtres raisonnables. Éthique et droit de l’environnement apparaissent ainsi
lorsqu’à une conception substantielle de la nature fait place une intelligence relationnelle
des vivants humains et non humains avec leurs milieux. Il faudrait d’ailleurs travailler à
distinguer voire opposer environnement comme réalité spatiale (topos) et milieu comme
épreuve de l’habiter la Terre (chora). Néanmoins, des concepts comme ceux d’environ-
nement, de biodiversité, d’écosystème, d’équilibre biologique, de milieu, d’être vivant
sensible occupant l’entre-deux du quelqu’un et du quelque chose sont plus fragiles,
intégrant une dimension processuelle et relationnelle dans les réalités naturelles que l’on
pensait autrefois comme fixes, sinon fixées. Témoins en sont aujourd’hui ces concepts
singuliers en droit de l’environnement que sont ceux de « trame verte » ou « de trame
bleue ». La nature était un programme (le Grand Code) qu’il fallait honorer ; l’environne-
ment serait un processus (des relations) avec et au sein duquel nous serions engagés. Il
faut alors examiner en quoi consiste cette dimension processuelle, cette compréhension
relationnelle de la nature et quels effets cela peut avoir sur notre compréhension de la
responsabilité, sur l’éthique et sur le droit de l’environnement.
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dique des concepts issus des sciences écologiques (cf. les habitats, les biotopes,
l’équilibre biologique, la connectivité écologique, la résilience, la biosphère) est un pro-
blème épistémologique majeur que nous ne pouvons aborder systématiquement ici.
En effet, s’agit-il d’analogie, de juxtaposition, de subordination, de transposition ou
de traduction des concepts scientifiques en normes ? On suggérera au moins que
si le fait scientifique est bien un « fait construit », il est probable qu’il y ait autant de
références épistémologiques distinctes pour asseoir factuellement les éthiques et le
droit de l’environnement. On rajoutera qu’il parait bien que dans une éthique anthro-
pocentrée, il y ait simplement juxtaposition entre le discours des sciences et celui
des normes (conception mécaniste d’une nature intelligible mais non intelligente) ; que
dans l’éthique biocentrée, il y ait subordination de l’éthique à une conception holiste
de la nature (Gaia) ; et que dans l’éthique écocentrée il y ait une tentative de traduction
de l’une dans l’autre (Aldo Leopold et la communauté biotique).
On le voit, les mots ne sont pas synonymes et interrogent ce qu’il en est de la nature de
l’herméneutique juridique eu égard aux concepts développés par les sciences écolo-
giques8. En ce sens, le droit de l’environnement signe l’acte de naissance de la prise en
compte de la nature en droit, pensant au-delà de la dichotomie des res et des persona
mais en travaillant techniquement à l’assumer. Il fait valoir la pertinence d’une concep-
tion écocentrée des relations hommes/non humains et milieux qui dépasse le dualisme
homme/nature (cf. John Baird Callicott) mais en la déployant au sein d’un droit, hérité du
droit romain et du droit canon, anthropocentré. Sans aller jusqu’à parler d’un braconnage
normatif, éthique et droit de l’environnement nous semblent porteurs d’une dimension
subversive. Ils testent une métamorphose du droit des gens en se souvenant qu’il fut un
temps où il était pensé comme droit de la nature et des gens. Éthique et droit de l’en-
vironnement cherchent à penser ensemble deux soucis : la prise de conscience d’une
appartenance avec la nature en même temps que la conscience aiguë d’une respon-
sabilité à son égard. En ce sens, ils pourraient faire leur, cette idée de Michel Serres :
« Curieusement, ce siècle-ci seulement, la nature vient de naître, et réellement sous nos
yeux, en même temps que l’humanité réellement solidaire »9. En somme, éthique et droit
de l’environnement, dans la diversité de leurs expressions et de leurs questions (la ques-
tion du statut et de la valeur de l’animal, du végétal et des milieux) engagent une réflexion
générale sur ce que signifie prendre soin de la nature et des hommes dans une culture
marquée par un désenchantement de la nature qui prépare sa domination et son exploi-
tation. Éthique et droit de l’environnement veulent prendre soin du monde commun (on
pense ici au rôle que prennent aujourd’hui l’éthique et la politique du care mais également
les philosophies de la vulnérabilité dans une réflexion sur l’écologie) parce que la Terre
8 Ce problème de la traduction juridique des concepts issus des sciences écologiques (cf.
les habitats, les biotopes, l’équilibre biologique, la connectivité écologique) est un problème
épistémologique en soi que nous n’aborderons pas ici. S’agit-il de transposition, de reflet, de
calque, de traduction ? Les mots ne sont pas synonymes et interrogent ce qu’il en est de la
nature de l’herméneutique juridique.
9 Le Contrat Naturel, op. cit., p. 172.
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n’est pas qu’un espace que l’on domine mais un milieu que l’on habite. De ce point de
vue, on rappellera qu’écologie et éthique ont ceci en commun de penser le milieu comme
un lieu d’habitation. Pas d’écologie sans oikos c’est-à-dire sans maisonnée, sans maison
commune et bonne intendance. Pas d’éthique sans ethos c’est-à-dire sans séjour, sans
chez soi et sans habitudes grâce et par lesquels habiter et rendre habitable le monde. S’en
souvenir invite à réarticuler physis et ethos, cosmos et polis. Le grand défi est de chercher
à les penser ensemble dans une relation, alors qu’une grande partie de la pensée occi-
dentale nous a appris à les distinguer, les séparer pour établir un rapport de domination.
Aussi, éthique et droit de l’environnement enregistrent-ils une métamorphose du rapport
que nous entretenons avec la nature. Ni cosmos, ni carrière, elle est milieu (Fudô10). Sans
doute que l’expression droit de l’environnement de ce point de vue est problématique
parce qu’elle tente de dépasser le paradigme occidental moderne qui pose un dualisme
de la nature et de l’histoire, mais en pensant malgré tout la nature comme un dehors.
Il serait peut-être plus juste de parler d’un droit du/des milieux, expression sans doute
moins audible en termes de communication ou d’exposition mais plus précise en ce
qu’elle assumerait clairement le projet consistant à penser les conditions et les consé-
quences d’une solidarité de l’histoire naturelle et de l’histoire humaine.
10 Voir Watsuji Tetsurô, Fudô, Milieu humain, trad. Augustin Berque, ed. CNRS. Voir égale-
ment, Augustin Berque, Poétique de la Terre, Histoire naturelle et histoire humaine, Essai de
mésologie, Belin, 2014.
11 Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressos, L’évènement anthropocène, la Terre,
l’histoire et nous, Seuil, 2012.
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On ne peut plus asseoir éthique et droit sur une image déterminée du monde parce
que la nature n’est plus un oratoire à contempler et à déchiffrer symboliquement en son
dessein. Ainsi dans la préface que le réformateur protestant Andreas Osiander rédigea
pour le De revolutionibus orbium celestium de Nicolas Copernic (1543), ce dernier distin-
guait-il déjà entre articulus fidei et hypothèse comme fundamentum calculi, entre article
de foi et intelligence calculante, pour séparer discours de salut et discours de science.
En déconnectant livre de la nature et livre de la Bible, il donnait son autonomie au déchif-
frage scientifique. Ce faisant, il ouvrait la porte à l’idée que la nature n’est plus un mystère
sacré mais une énigme à décoder et bientôt une carrière à exploiter. Lorsque la nature
n’est plus un oratoire, c’est à partir du laboratoire qui parle le langage analytique et sys-
tématique des mathématiques que l’on va vouloir chercher à formuler la règle. Le rôle
des scientifiques et des experts dans le cadre des controverses relatives, dans le débat
public, aux choix technologiques, en est la filiation directe et aujourd’hui la manifestation
évidente. La pensée en termes de risque est l’expression typique de cette pensée-labora-
toire. Les acteurs de l’innovation technoscientifique en matière environnementale tendent
ainsi à cantonner et infléchir la discussion publique aux seules dimensions techniques,
négligeant tous les autres aspects qui font qu’un monde humain est un milieu (avec ses
capacités, ses valeurs, ses symboles). Or aujourd’hui, avec la nature pensée comme un
milieu, s’engage une intelligence relationnelle. Ni l’oratoire, ni le laboratoire ne la satisfont,
et pour ce faire, elle encourage ce que l’on pourrait appeler une pensée-territoire. Le
modèle de l’écologue n’est pas le même que celui du biologiste et avant lui du naturaliste
et à l’approche analytique systématique du biologiste répond l’approche systémique de
celle-là. Mais en droit de l’environnement, la question se pose de préciser le statut épisté-
mologique du recours aux sciences écologiques. Éthique et droit peuvent-ils trouver dans
le discours des sciences contemporaines une « image » de la nature sur laquelle asseoir
le discours normatif, alors même que ces sciences ont intégré la dimension d’incertitude
et de relativité comme faisant partie de leurs données ? C’est le problème difficile de l’ar-
ticulation entre sciences écologiques et éthique/droit de l’environnement qui se pose là.
Ce problème difficile est double : il est théorique et il est pratique.
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sont responsables des atteintes à la nature, mais le contrat social qui leur abandonne
la nature »15. On attend donc de l’éthique et du droit de l’environnement qu’ils assu-
ment des régulations de l’activité des hommes eu égard à la nature parce que cette
dernière ne peut plus les absorber et les réguler seule. Il y a des lois de la nature mais
il faut encore des lois pour la nature, sous entendu telle qu’elle s’offre aujourd’hui à
nous et à laquelle nous tenons. La nature peut très bien continuer sans nous – l’avenir
est aux bactéries – mais si nous pensons à la valeur de la relation hommes/nature,
il s’agit de l’accompagner éthiquement et juridiquement. C’est ici le rôle des comités
d’éthiques, des forums hybrides, du droit de l’environnement par le biais du judiciaire,
de la démocratie écologique, etc. que de complexifier et d’enrichir la compréhension
du « contrat naturel » et social liant techno-sciences et citoyens en montrant que les
activités scientifico-techniques ne font pas à elles seules un monde.
Ce rôle dévolu au droit et à l’éthique apparaît d’autant plus majeur qu’il est égale-
ment lié à un processus général de désenchantement du monde. La sécularisation
est telle que la nature n’est plus pensée comme une création au sens théologique
du terme. De ce point de vue, le changement de vocabulaire et la stabilisation de
ce dernier dans les sommets internationaux qui parlent désormais de sommets de
la Terre (Earth) et non de Création signale cette sécularisation. Cela a deux effets.
D’un côté, quand la nature n’est plus une création, quand elle n’est plus un sacré il
n’y a plus de transgressions et le déploiement technique est alors sans limitations.
C’est qu’il n’y a pas de sacrilège quand la nature n’est plus sacrée. La nature n’est
plus mythifiée. On pense ici à l’avertissement de Levinas contre la nature idole : « le
mystère des choses est la source de toute cruauté à l’égard des hommes ». Et un
peu plus loin : « […] La terre est pour cela. L’homme est son maître pour servir les
hommes. Restons maîtres du mystère qu’elle respire »16. Pour autant, la séculari-
sation de la nature scientifique, technique et juridique est-elle la disparition de tout
15 Hubert Faes, « Contrat social et contrat naturel, La nature comme objet de responsabi-
lité », in De la nature. De la physique classique au souci écologique, dir. Pierre Colin, Revue
Philosophie n° 14, Éditions Beauchesne, 1992, p. 124.
16 Emmanuel Levinas, « Heidegger, Gagarine et nous [1961] », in Difficile liberté, Albin
Michel, Paris, 1976, p. 325 et p. 327.
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D’un autre côté, il incombe à l’éthique et au droit de faire apparaître des normes qui
puissent imposer des limites à l’illimitation de nos pouvoirs, mais des limites quand
il n’y a plus de « bornes au pouvoir de l’empire humain » pour parler comme Bacon.
L’intensité du débat éthique qui cherche à déterminer s’il est une valeur intrinsèque
de telle espèce ou variété le manifeste assez. C’est donc à la délibération rationnelle,
éthique et juridique, dans une intense activité délibérative argumentée de limiter une
puissance d’illimitation qui pose a priori que tout est possible sans ne plus pouvoir
s’appuyer sur une sacralisation de la nature.
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