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Chapitre 3

Espaces de Hilbert

Les espaces de Hilbert sont les espaces vectoriels de dimension infinie les plus simples. Ils interviennent
entre autres
• dans l’étude des équations différentielles et aux dérivées partielles
• en mécanique classique (fréquences propres d’un système)
• en physique (équation de Schrödinger, mécanique quantique).

On se placera ici dans le cas d’espaces vectoriels complexes, le cas réel étant analogue.

Avant de parler des espaces de Hilbert, on doit rappeler certaines (pas toutes) propriétés d’une structure
plus simple à savoir les espaces vectoriels.

Espaces Vectoriels - Rappels


Soit 𝕂𝕂 le corps des réels ℝ ou des complexes ℂ.

Définition
On appelle espace vectoriel (ℰ, 𝕂𝕂) l’ensemble des vecteurs (éléments de ℰ) vérifiants

• Tout 𝑢𝑢, 𝑣𝑣 dans ℰ et tout 𝜆𝜆, 𝜇𝜇 dans 𝕂𝕂, alors 𝜆𝜆𝜆𝜆 + 𝜇𝜇𝜇𝜇 est aussi dans ℰ.

• Il existe un élément neutre (vecteur nul) 0ℰ tel que ∀𝜆𝜆 ∈ 𝕂𝕂, 𝜆𝜆 0ℰ = 0 et ∀𝑢𝑢 ∈ ℰ, 𝑢𝑢 + 0ℰ = 𝑢𝑢

Exemples :
• Les vecteurs de la géométrie euclidienne 1D, 2D ou 3D (ℝ𝑛𝑛 ) forment un espace vectoriel.

• L’ensemble des matrices ℳ(𝑛𝑛, 𝑚𝑚)(𝕂𝕂) forment un espace vectoriel dont es vecteurs sont les matrices
d’éléments 𝑀𝑀𝑖𝑖𝑖𝑖 dans 𝕂𝕂.

• Les fonctions 𝑦𝑦𝑖𝑖 (𝑥𝑥) solutions d’une équation différentielle homogène forment un espace vectoriel dont
les vecteurs sont des fonctions. (Toute combinaison linéaire de solutions de cette équation différentielle
est aussi une solution)

Familles libres :
• Finie : une famille {𝑒𝑒1 , 𝑒𝑒2 , … , 𝑒𝑒𝑛𝑛 } finie de vecteurs de ℰ est dite libre si et seulement si
𝑛𝑛
pour tout 𝜆𝜆𝑖𝑖 ∈ 𝕂𝕂, ∑𝑖𝑖 𝜆𝜆𝑖𝑖 𝑒𝑒𝑖𝑖 = 0ℰ ⇒ 𝜆𝜆𝑖𝑖 = 0.

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• Infinie : une famille infinie {𝑒𝑒𝑛𝑛 }𝑛𝑛∈𝐼𝐼 avec 𝐼𝐼 un ensemble d’indexation finie, infinie, dénombrable ou
pas, est dite libre si et seulement si tout sous-famille finie de cette famille est aussi libre.

Familles génératrices :
Une famille {𝑢𝑢𝑖𝑖 }𝑖𝑖∈𝐼𝐼 finie, infinie, dénombrable ou non est dite génératrice si et seulement si pour toute
sous-famille {𝑣𝑣1 , 𝑣𝑣2 , … , 𝑣𝑣𝑛𝑛 } finie de cette famille nous avons ∀𝑥𝑥 ∈ ℰ, 𝑥𝑥 = ∑𝑛𝑛𝑗𝑗=1 𝜆𝜆𝑗𝑗 𝑣𝑣𝑗𝑗 , 𝜆𝜆𝑗𝑗 ∈ 𝕂𝕂.

Base algébrique :
Une famille ℬ à la fois libre et génératrice est dite une base algébrique de l’espace vectoriel ℰ.

ℬ = {𝑒𝑒𝑖𝑖 }𝑖𝑖∈𝐼𝐼
∀𝑢𝑢 ∈ ℰ, ∃! 𝐽𝐽 ⊂ 𝐼𝐼: 𝑢𝑢 = � 𝜆𝜆𝑗𝑗 𝑒𝑒𝑗𝑗
card 𝐽𝐽

de telle sorte que cette dernière composition est unique.

Dimension d’un espace vectoriel :


Cardinalité :
Deux ensembles 𝐴𝐴 et 𝐵𝐵 de même cardinalité s’il existe une bijection 𝑓𝑓 entre eux : ∀𝑥𝑥 ∈ 𝐴𝐴, ∃! 𝑦𝑦 ∈ 𝐵𝐵: 𝑦𝑦 =
𝑓𝑓(𝑥𝑥) ∧ 𝑥𝑥 = 𝑓𝑓 −1 (𝑦𝑦)
Exemple :

ℕ et ℕmod 2 (les nombres entiers naturels et les nombres entiers naturels pairs) ont le même cardinal car :
∀𝑝𝑝 ∈ ℕmod 2 , ∃𝑛𝑛 ∈ ℕ | 𝑝𝑝 = 2𝑛𝑛 malgrès que ℕmod 2 ⊂ ℕ.

Définition :
La dimension d’un espace vectoriel ℰ est le cardinal d’une base quelconque ℬ de ℰ.
dim ℰ = card ℬ
Quelques propriétés :
• card(famille libre) ≤ dim ℰ
• card(famille génératrice) ≥ dim ℰ

Produit Scalaire
Définition
Soit ℰ un espace vectoriel sur 𝕂𝕂 (noté (ℰ, 𝕂𝕂)). On appelle produit scalaire sur ℰ toute application
〈⋅,⋅〉: ℰ × ℰ ⟶ 𝕂𝕂
Qui vérifie pour tout 𝑥𝑥, 𝑦𝑦, 𝑧𝑧 ∈ ℰ et 𝜆𝜆, 𝜇𝜇 ∈ 𝕂𝕂

1) Linéarité à droite

〈𝑥𝑥, 𝜆𝜆𝜆𝜆 + 𝜇𝜇𝜇𝜇〉 = 𝜆𝜆〈𝑥𝑥, 𝑦𝑦〉 + 𝜇𝜇〈𝑥𝑥, 𝑧𝑧〉


2) Sesquilinéarité (ou semi-linéarité) à gauche

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〈𝜆𝜆𝜆𝜆 + 𝜇𝜇𝜇𝜇, 𝑧𝑧〉 = 𝜆𝜆̅〈𝑥𝑥, 𝑧𝑧〉 + 𝜇𝜇̅〈𝑦𝑦, 𝑧𝑧〉

3) 〈𝑥𝑥, 𝑦𝑦〉 = ��������������


〈𝑦𝑦, 𝑥𝑥〉
4) La norme est définie positive (voir en bas)

〈𝑥𝑥, 𝑥𝑥〉 ≥ 0
5) 〈𝑥𝑥, 𝑥𝑥〉 = 0 ⇒ 𝑥𝑥 = 0𝐸𝐸
Remarques :

• Le symbole 𝑍𝑍 ̅ représente le conjugué de l’élément 𝑍𝑍 si 𝕂𝕂 = ℂ

• Dans le cas réel (𝕂𝕂 = ℝ), la condition 2) devienne linéarité et 3) s’écrit 〈𝑥𝑥, 𝑦𝑦〉 = 〈𝑦𝑦, 𝑥𝑥〉

Espaces pré-Hilbertiens
Définition :
Un espace pré-Hilbertien est un espace vectoriel muni d’un produit scalaire.
L’espace pré-Hilbertien est dit réel (respectivement complexe) si 𝕂𝕂 = ℝ (respectivement 𝕂𝕂 = ℂ).

• L’espace 𝕂𝕂𝑛𝑛 = 𝕂𝕂
�� ×��� × 𝕂𝕂 (𝑛𝑛 ∈ ℕ⋆ ) est un espace pré-Hilbertien par rapport au produit scalaire
𝕂𝕂 × ⋯��
𝑛𝑛 fois
𝑛𝑛
⟨𝑥𝑥, 𝑦𝑦⟩ = � 𝑥𝑥̅𝑗𝑗 𝑦𝑦𝑗𝑗
𝑗𝑗=1
𝑛𝑛
𝑥𝑥 = (𝑥𝑥1 , 𝑥𝑥2 , … , 𝑥𝑥𝑛𝑛 ), 𝑦𝑦 = (𝑦𝑦1 , 𝑦𝑦2 , … , 𝑦𝑦𝑛𝑛 ) ∈ 𝕂𝕂 .

Inégalité de Cauchy-Schwarz
Soit (ℰ, 〈⋅,⋅〉) un espace pré-Hilbertien, pour tout 𝑥𝑥, 𝑦𝑦 ∈ ℰ l’inégalité suivante est vraie

|〈𝑦𝑦, 𝑥𝑥〉|2 ≤ 〈𝑥𝑥, 𝑥𝑥〉〈𝑦𝑦, 𝑦𝑦〉


• |〈𝑥𝑥, 𝑦𝑦〉|2 = 〈𝑥𝑥, 𝑥𝑥〉〈𝑦𝑦, 𝑦𝑦〉 si et seulement si 𝑥𝑥 et 𝑦𝑦 sont colinéaires (𝑥𝑥 = 𝛼𝛼𝛼𝛼 ou bien 𝑦𝑦 = 𝛼𝛼𝛼𝛼).

• L’inégalité de Cauchy-Schwarz permet de déterminer l’angle entre deux éléments non nuls par la
formule
〈𝑥𝑥, y〉
cos(𝑥𝑥,
�𝑦𝑦 ) =
�〈𝑥𝑥, 𝑥𝑥〉〈𝑦𝑦, y〉

Norme
Tout espace pré-Hilbertien (ℰ, 〈⋅,⋅〉) est un 𝕂𝕂-espace vectoriel normé. La norme associée au produit
scalaire 〈⋅,⋅〉 est définie par
�|𝑥𝑥|� = �〈𝑥𝑥, 𝑥𝑥〉, ∀𝑥𝑥 ∈ ℰ

• Bien que le produit scalaire est une opération algébrique, il induit sur l’espace ℰ une structure
topologique

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Identité du parallélogramme
Un 𝕂𝕂-espace vectoriel normé (ℰ, |(|⋅|)|) est un espace pré-Hilbertien si et seulement si sa norme vérifie
l’égalité :

�|𝑥𝑥 + 𝑦𝑦|�2 + �|𝑥𝑥 − 𝑦𝑦|�2 = 2�|𝑥𝑥|�2 + 2�|𝑦𝑦|�2 (⋆)

• Le produit scalaire défini à partir d’une norme est donné par


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〈𝑥𝑥, 𝑦𝑦〉 = (�|𝑥𝑥 + 𝑦𝑦|�2 − �|𝑥𝑥 − 𝑦𝑦|�2 − 𝑖𝑖�|𝑥𝑥 + 𝑖𝑖𝑖𝑖|�2 + 𝑖𝑖�|𝑥𝑥 − 𝑖𝑖𝑖𝑖|�2 )
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• (⋆) signifie que la somme des carrés des longueurs des côtés d’un parallélogramme est égale à la
somme des carrés des longueurs de ses deux diagonales. (C’est le Théorème de Thales qui est une
généralisation du théorème de Pythagore)

Espaces de Hilbert
Définition :
Un espace de Hilbert est un espace pré-Hilbertien complet.

• Un espace de Hilbert est un espace de Banach dont la norme est issue d’un produit scalaire.
• Tout espace pré-Hilbertien de dimension finie est un espace de Hilbert.

Complétude :
Le mot complet dans la définition signifie que :
Toute suite de Cauchy dans l’espace pré-Hilbertien converge dans cet espace, i.e., l’élément limite de la
suite est aussi un élément de ce même espace.

Exemples d’espaces de Hilbert


• L’espace ℒ2 (ℤ, ℂ) est l’ensemble des suites complexes {𝑥𝑥𝑛𝑛 ∈ ℂ}𝑛𝑛∈ℤ telles que

� 𝑥𝑥2𝑛𝑛 < +∞
𝑛𝑛=−∞
2 2
L’espace ℒ ≡ ℒ (ℤ, ℂ) est muni du produit scalaire

〈𝑥𝑥, 𝑦𝑦〉 = � 𝑥𝑥̅𝑛𝑛 𝑦𝑦𝑛𝑛 ; 𝑥𝑥, 𝑦𝑦 ∈ ℒ2
𝑛𝑛=−∞

qui fait de lui un espace de Hilbert puisque ℂ est complet.

• L’espace 𝒞𝒞([𝑎𝑎, 𝑏𝑏], ℂ) est l’ensemble des fonctions continues sur [𝑎𝑎, 𝑏𝑏] à valeurs complexes
(𝑎𝑎, 𝑏𝑏 ∈ ℝ, 𝑎𝑎 < 𝑏𝑏).

L’espace 𝒞𝒞([𝑎𝑎, 𝑏𝑏], ℂ) est muni du produit scalaire


𝑏𝑏
����������� d𝑥𝑥
〈𝑓𝑓, 𝑔𝑔〉 = � 𝑓𝑓(𝑥𝑥)𝑔𝑔(𝑥𝑥)
𝑎𝑎
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L’espace pré-Hilbertien (𝒞𝒞([𝑎𝑎, 𝑏𝑏], ℂ), 〈⋅,⋅〉) n’est pas complet, I.E., une suite {𝑓𝑓𝑘𝑘 ∈ 𝒞𝒞}𝑘𝑘∈ℕ peut ne pas
converger dans 𝒞𝒞([𝑎𝑎, 𝑏𝑏], ℂ).

• L’espace de Lebesgue 𝐿𝐿2 (Ω, ℂ) (Ω ⊂ ℝ𝑛𝑛 ) est l’ensemble des fonctions mesurable 𝑓𝑓: Ω ⟶ ℂ telles que
�|𝑓𝑓(𝑥𝑥)|2 d𝑥𝑥 < +∞
𝛺𝛺
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L’espace de Lebesgue 𝐿𝐿 (Ω, ℂ) est muni du produit scalaire

�����������d𝑥𝑥
〈𝑓𝑓, 𝑔𝑔〉 = �𝑓𝑓(𝑥𝑥)𝑔𝑔(𝑥𝑥)
Ω

qui lui donne la structure de l’espace de Hilbert.

• L’espace des fonctions d’onde décrivant un système quantique est un espace de Hilbert. (Voir
Tannoudji, Mécanique Quantique, Tome I)
Note : Du moment que la linéarité est l’un des principes fondamentaux de la mécanique quantique
(principe de superposition des états, expérience d’interférences), les fonctions d’onde (ou vecteurs
d’état) doivent respecter cette linéarité.

Note :
Bien que le thème traité dans ce chapitre est purement abstrait, nous nous reviendrons aux
espaces de Hilbert dans presque tous les chapitres qui suivent. Dans ces chapitres nous nous
rencontrerons des applications concrètes permettant de bien comprendre des différents
aspects des espaces de Hilbert.

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