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de religion dans la philosophie. Un seul impératif Le faux soutient lêtre même du sujet, et, pour cela,
sentend dans la philosophie à travers les siècles, qui nous considérons lhystérie comme létat
est Il n’y a qu’à sacrifier la jouissance pour fondamental du sujet. Dans la psychanalyse, le
obtenir la vérité. On peut aussi entendre cela chez refoulement même, comme concept clinique,
Freud, et peut-être aussi dans la logique qui soccupe signifie si nous essayons de ne pas nous enfermer
de vider le dit de tout intérêt humain, pour lintérêt dans nos propres concepts et de communiquer avec
de maintenir le dit dans lélément de la vérité. le discours universel que le sujet ne dit pas la
Ce terme a fini par susciter dans la philosophie vérité.
même une rébellion, la tentative de Nietzsche Quand nous impliquons la vérité, nous avons la
dinverser le platonisme, et de dire, au contraire, que possibilité de ne pas nous enfermer dans notre
nous devons sacrifier la vérité pour obtenir la pratique et de communiquer avec les problèmes de
puissance. Nietzsche a cette position dans lHistoire la pensée depuis des siècles. Aussi, de ce point de
de la philosophie, celle de demander le sacrifice de vue, parler cest mentir. Le sujet ment. De telle sorte
la vérité pour donner accès à la puissance. Et on peut que le plus vrai quil puisse dire, cest Je mens,
dire que, dans tout éloge de la vérité, il y a comme méritant alors dobtenir la réponse Tu dis la vérité.
une odeur dimpuissance, que, dans toute déclaration Dans la parole, réside le mensonge fondamental. La
damour à la vérité, se fait entendre le - . parole est le proton pseudos.
Où se situe la vérité, dans ce sens ? Elle se situe à la Cela a tourmenté les philosophes depuis le début, au
place de la jouissance comme impuissance. moins depuis le Sophiste de Platon le fait que la
parole permette de dire ce quil ny a pas, et, le
Donc, je jouis disant, le fasse exister. Sans cette propriété du
langage de créer à partir de ce quil ny a pas, les
On pourrait dire, en sinspirant dune formule aventures du phallus maternel ne pourraient exister.
inspirée de Heidegger, L’impuissance est la Le rien entre dans le monde par la voie du langage,
maison de la vérité, ou L’impuissance est la vérité et, ainsi, commence la dialectique.
de la vérité. Mais cette formule nest quune vérité La tentative logique, présente dans nos Journées,
partielle, et il y a une seconde vérité. La vérité nous allons dire le désir de logique commence
partielle est la souffrance du manque-à-jouir. La bien avant la logique mathématique. La logique
seconde vérité, par laquelle nous entrons mathématique moderne commence au XIXe siècle,
véritablement dans le freudisme, cest que, malgré le mais le désir de logique est beaucoup plus ancien
manque-à-jouir, malgré lannulation de jouissance, nous le rencontrons déjà chez Aristote et chez les
malgré limpuissance, malgré le - , néanmoins, ça Stoïciens.
jouit, et quil est légitime de dire, à partir du Le désir de logique, cest, depuis toujours,
manque-à-être, donc, je jouis. Il y a un être de représenter ou créer un langage, dans lequel on ne
jouissance. Et ce que Lacan appelait l’énigme de la pourrait rien dire sinon le vrai, et où, sil se disait
castration, cest le fait que, dans le sein même de quelque chose de faux, cela pourrait se voir
limpuissance, je jouis. immédiatement. Cela conduit à des propositions
L’énigme de la castration est une expression elle- comme Sil y a la lumière, il y a la lumière, qui ne
même énigmatique, qui désigne pourquoi il y a une présente pas un intérêt humain passionnant ou
énigme dans la castration. Lénigme de la castration évident. Il nous apparaît, dans cette proposition
a à voir avec ce qui se formule finalement comme vraie, un certain sens qui, à travers lHistoire de la
une contradiction où apparemment ça ne jouit pas, philosophie jusquà aujourdhui, a suscité la satire
où il y a manque-à-jouir, il y a néanmoins une des philosophes contre les logiciens sur le manque
jouissance. Cest une contradiction que Freud dintérêt de ces vérités. Hegel a été un des plus
élabore de façons multiples dans la dernière partie critiques du formalisme logique, de ceux qui
de son uvre. De telle sorte que la question de la cherchent la vérité dans quelque manuvre sur les
vérité, dans la psychanalyse, se situe entre symboles mathématiques.
jouissance et castration, et quelle se pose, sélabore, Dans le désir de logique, nous pouvons voir comme
comme relation du sujet à la pulsion. une tentative de faire obstacle à lémergence du
Les trois termes de notre titre le vrai, le faux et le plus-de-jouir à travers lannulation de tout sens, ce
reste – se prêtent à une traduction en concepts qui nous fait voir la parenté quil y a entre le sens et
cliniques. Le vrai, cest la castration, le faux, cest le le plus-de-jouir, ce que Lacan condensera dans
sujet, et le reste, cest le plus-de-jouir. lexpression jouis-sens.
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Cest pour cela que, jusquà il y a peu, il y avait aboutir aussi éventuellement à la corrélation, la
comme un refus humain des sectes de logiciens. correspondance, entre le langage et la pensée, cest-
Comme le dit Abélard, par ces paroles immortelles, à-dire quà chaque phrase correspond une idée, assez
Odiosum me mundo reddidit logica, La logique bien en tout cas pour pouvoir être communiquée à
m’a rendu odieux au monde. Il faut dire que sa lautre. Et la théorie du signe chez Peirce se situe de
propre histoire est une histoire vraie, mais qui même ainsi. Quand il dit quun signe représente
mériterait dêtre un mythe Abélard, comme quelque chose pour quelquun, il indique aussi
logicien, est en même temps un paradigme de la lexigence de correspondance entre le signe et une
castration. Nous savons que, malgré toute sa chose. Cest là toute une grande catégorie des
logique, il ne put sempêcher de jouir de son élève, théories de la vérité.
et, pour cela, fut castré, et le fut inscrit dans sa Il y en a une autre. Nous avons, à travers lhistoire
chair, de telle sorte quil fut obligé de retourner à la des idées, la théorie que nous pourrions appeler la
logique. théorie articulatoire de la vérité ou théorie
systématique de la vérité. Cette théorie ne situe pas
L’autonomie de la vérité la vérité sans correspondance avec quoi que ce soit,
mais pose, dirons-nous, lautonomie de la vérité
De manière un peu rapide, je vais tenter de situer, de dans lordre symbolique, et étudie les avatars dune
réordonner, quelques points pour moi-même, de vérité interne au discours et en correspondance avec
distinguer finalement entre les deux catégories de rien.
théories de la vérité quil y a dans la réflexion sur la Pourquoi cette catégorie, que jai créée pour la
vérité, pour situer ensuite celle de Lacan. circonstance ? Pourquoi cette classe correspond-elle
Je dirais quil y a une grande catégorie de théories à quelque chose qui permit à Lacan daller de Hegel
de la vérité qui sont les théories spéculaires de la jusquà la logique ?
vérité. Dans son enseignement, Lacan a pu aller de Hegel
Nous pouvons référer la théorie spéculaire de la jusquà la linguistique structurale de Saussure et
vérité au dit scolastique de adequatio rei et jusquà la logique mathématique, parce que le point
intellectus, ladéquation de lentendement à la chose. commun entre Hegel qui détestait, méprisait, le
Cest, disons-le ainsi, un schéma qui fait dépendre la formalisme logique et le formalisme logique, cest
vérité de la correspondance toujours une cette localisation de la vérité dans larticulation
correspondance entre lidée et la chose, une interne du discours. Ainsi Hegel, par exemple dans
correspondance que nous pouvons appeler, en la Phénoménologie de l’esprit, se fonde sur un
termes mathématiques, correspondance biunivoque, développement autonome de la vérité. Il présente sa
par exemple, entre lidée la perception et la contradiction partant de létat le plus simple de la
chose. Mais ceci a aussi sa validité dans la conscience, à savoir ce niveau de la certitude
correspondance du langage avec le monde et dans sensible qui dit Il y a de la lumière, quand il est
lexigence, par exemple, dutiliser un lexique où la midi, qui constate quil y a de la lumière. Mais, à
phrase correspond à quelque chose qui existe et ici minuit, ce qui était vrai douze heures avant est
commence la chasse aux phrases vides, cest-à-dire devenu mensonge. Cest la première expérience de
des phrases auxquelles ne correspond rien dans le la contradiction que présente Hegel. Et on peut dire
monde , ou, si on parle des énoncés, sobliger à une comment, dans cette inversion de la vérité en
discipline qui est de dire ce quil y a, et laisser de fausseté, Hegel critique toute théorie spéculaire de la
côté la possibilité toujours présente de dire ce quil vérité.
ny a pas, cest-à-dire se contraindre à la Pour critiquer la théorie spéculaire de la vérité
correspondance. Cela, qui est comme un impératif, cest-à-dire que le vrai serait de dire Il y a de la
vaut aussi, par exemple, pour les logiciens lumière, quand il y a de la lumière , pour critiquer
positivistes, qui cherchaient à forcer le langage ce qui serait la correspondance, lopérateur quil
philosophique, à le limiter au caractère spéculaire de utilise dans cette simple phrase, cest lécriture. Il
la vérité. demande quon écrive II y a de la lumière, de telle
On a beaucoup discuté pour savoir si le premier sorte que la phrase qui se maintient écrite devient
Wittgenstein, celui du Tractatus, entrait dans ce type fausse ensuite. Lécriture en elle-même introduit
de théories. Dune certaine manière, il le fait, dans la lauto-référence de la vérité. La vérité ne dépend pas
mesure où il parle du dit, de la proposition, comme de lobservation dun fait extérieur, mais se situe
dun tableau du monde. Ceci situe effectivement la dans une auto-référence à elle-même.
vérité dans un schéma de représentation et peut
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En cela, le premier Wittgenstein donne raison à Que se passe-t-il si nous situons la position du sujet
Hegel, dune certaine façon, quand il réduit les en analyse à partir du Je mens ? Cette proposition
mathématiques à la logique. Cest la thèse de nous allons lexprimer de la manière la plus simple
Bertrand Russell, le logicisme, qui dit Tout le formule, implique, que si c’est vrai, c’est faux, et si
langage formel n’est que tautologie. Le formel, cest c’est faux, c’est vrai. Tout le monde sait que cest là
dire toujours le même, moyennant quelques une façon de concevoir lattribution de la valeur de
transformations de formes, ce qui est exactement la vérité de cette proposition. Il y en a beaucoup
critique que Hegel fait au formalisme. dautres.
Cela va sans dire que les mathématiciens nont Que signifie ce Je mens ? Cest une proposition qui
jamais apprécié cette réduction des mathématiques à paraît circuler entre le vrai et le faux de manière
la logique. Ils disent que toute la vie de la exactement inconsistante il y a en cela une
mathématique nest quinvention, et que, si vous inconsistance logique. Si nous situons la position du
réduisez les mathématiques à la logique comme sujet à partir du Je mens, nous pouvons dire que le
système de tautologies, on ne peut rien comprendre à sujet est une inconsistance logique. Cest la formule
la vie, ni à lhistoire, ni aux mathématiques. nécessaire pour comprendre lautre formule, que le
Malgré cette autoréférence de la vérité, qui est le petit a est une consistance logique.
point commun de toutes ces théories, on ne peut pas Que le sujet soit une inconsistance logique, nous
sempêcher de se demander à quoi se réfère ce pouvons le référer aux impasses du désir à savoir
langage formel. Il y a un certain nombre de que, dans le mouvement même de désirer, il y a un
solutions. mouvement contre le désir, que la défense fait partie
Pour le premier Wittgenstein, la proposition logique du désir même , de telle sorte que nous
est comme un fait du monde. rencontrons, de manière habituelle dans le désir
Il y a aussi la réponse de Frege à la question De névrotique, le Je désire, donc je ne désire pas. Cest
quoi parle une proposition logique ? Elle parle à ce point quest fondamentale, dans le désir,
seulement du vrai et du faux, de telle sorte quil fait linconsistance logique du désir.
du vrai et du faux, non seulement des propriétés des Et la jouissance ? De la jouissance, oui, on aimerait
propositions, mais aussi des références, comme si pouvoir en parler à propos des contradictions de la
chaque proposition logique était le nom du vrai et le jouissance par exemple, la frigidité pourrait être
nom du faux. Il est difficile déliminer la considérée comme une contradiction de la
représentation. jouissance , mais au niveau de ce que Lacan
Lacan a commencé par situer la vérité, dans sa appelle le plus-de-jouir, il ny a pas de contradiction.
dialectique autonome, en référence à Hegel, et, dans Le plus-de-jouir est toujours vrai. Nous dirons, pour
un second temps, il a tenté de situer la vérité dans la le différencier de la jouissance annulée, que le plus-
connexion, dans larticulation, de S1 à S2. Ce sont de-jouir est ce que Lacan appelle la jouissance
deux modes très distincts, mais qui ont quelque nécessaire chez le sujet, la jouissance qui ne cesse
chose en commun, qui est lautonomie de la vérité. jamais de sécrire. De telle sorte que, si la chaîne
Mais, de plus, Lacan a traduit la théorie autonome de signifiante peut très bien être logiquement
la vérité en termes de théorie spéculaire, disant que inconsistante, et elle lest en règle générale au
le signifiant représentait le sujet. Il a utilisé les moins en psychanalyse, parce quelle véhicule le
termes de la théorie spéculaire pour la détruire et la sujet avec son inconsistance logique , néanmoins,
conduire à la théorie autonome à savoir que le la jouissance comme plus-de-jouir est toujours
signifiant, en connexion avec un autre signifiant, assurée. Le plus-de-jouir ne pâtit pas de
représentait le sujet, et le sujet comme référence linconsistance logique.
vide. De sorte que la vérité na à voir avec aucune Cest ce que Freud a situé comme étant la pulsion,
correspondance entre un symbole et un fait, mais est cest-à-dire la chaîne signifiante considérée en tant
un effet de larticulation, et qui plus est avec une que consistance logique, la chaîne signifiante en tant
valeur variable selon larticulation. quen elle on peut toujours dire donc, ça jouit, et
ce donc, ça jouit est toujours vrai. De telle sorte que,
Les modes de jouir de l’inconscient oui, le lieu de lAutre est marqué par linconsistance
logique en tant que cest le lieu du sujet, alors quau
Revenons maintenant au Je mens, comme étant la contraire le petit a a une consistance logique.
formule qui nous indique au mieux la position du Lérection du grand Autre a à voir avec un transfert
sujet, comme celle qui implique le concept même de de consistance du petit a à lAutre.
refoulement.
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Dès lors, la difficulté est que le petit a nest pas Tout ceci ouvre à la question Comment sopère un
seulement pure logique, mais quil faut, en plus, le transfert de consistance du plus-de-jouir, de lobjet
référer au corps. Ceci apparaît comme une impasse petit a, au moi ?, parce que ce transfert de
de la cure analytique qui, parce quelle se situe dans consistance sobserve cliniquement de manière
le champ du langage, ne pourrait traiter ce qui se fondamentale dans le moi du sujet. Léquation
passe dans le corps. moi = moi est celle qui incarne ce transfert de
Il faut se rappeler, premièrement, que ce que nous consistance de lobjet petit a au moi.
appelons petit a nest pas tant un corps que quelque 1 Texte rédigé par Catherine Bonningue, avec la précieuse collaboration de
chose prélevé sur le corps, et deuxièmement, quil a Louis Soler pour la traduction de lespagnol, à partir dune transcription
assurée par Javier Garda Orcero. Publié avec laimable autorisation de J.-
une valeur en ce point exactement, de ce que, nous A. Miller.
dit Lacan, on jouit du fantasme, cest-à-dire on jouit
dun scénario, dune chaîne signifiante, dimages
significantisées. La jouissance essentielle est ce jouir
du fantasme.
La thèse de la consistance logique du petit a permet
de dire que le fantasme est comme un axiome pour
le sujet, cest-à-dire une proposition de valeur
logique, qui est vraie, par hypothèse, pour le sujet,
non par démonstration, cest-à-dire quil ne peut
connaître dinconsistance logique en soi.
Dans la proposition On bat un enfant, il ne sagit pas
de savoir si cest le cas ou non dans le monde, si cela
correspond à quelque chose, sinon que cest une
proposition érotique, en tant quelle fait jouir par le
langage.
Nous ne pouvons pas dire, de manière simple, quon
jouit du corps. Je nai pas commencé en disant On
ne jouit pas du corps, pour créer une surprise, mais,
au point où nous en sommes arrivés maintenant, on
peut dire quon ne jouit pas du corps.
Dans le fantasme, le plus-de-jouir prend une valeur
de vérité, cest-à-dire porte la marque Vrai, Made in
Wahrheit. Ainsi, la difficulté de la conclusion de la
cure serait aller de la jouissance de la vérité, que
lanalyse même entretient, à la vérité de la
jouissance, même si ces formules inversées sont
suspectes.
On na pas besoin de la psychanalyse pour dire
quon ne jouit pas du corps. Nous devons arriver à
dire, comme Lacan vint à le dire, quon jouit
fondamentalement de linconscient, cest-à-dire on
jouit du signifiant.
Autant le symptôme que le fantasme sont des modes
de jouir. Et limpératif de lanalyste nest pas tant de
faire choisir la vérité contre la jouissance, cest
dinspirer, de stimuler chez le sujet son mode de
dire, pour transformer son mode de jouir de
linconscient, son mode de jouir de la langue quil
parle. Ceci sobtient, quand cela sobtient, par une
désarticulation du signifiant, cest-à-dire en
attaquant larticulation même S1-S2. Par la
désarticulation du signifiant sétablit un changement
du mode de jouir de linconscient du sujet.
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