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Sartre prône que l'humain a en son être la liberté. Qu'est-ce que la liberté?

La liberté humaine
vient du fait que l'humain a la possibilité de nier une affirmation. À chaque fois que l'on pose une
question, on pose un non-être à l'être, on le nie. Évidemment, si on nie une chose, cela signifie
que la possibilité existe qu'il en soit autrement. Conséquemment, si des possibles existent, la
liberté existe automatiquement. Puisqu'en effet, nous venons de rompre la chaine causale. Si
l'humain n'est pas lié causalement à son passé, il est libre.

Sartre semble radical. Il laisse ainsi entendre que le déterminisme psychologique est de la
foutaise*. Dès que je perçois chez moi une inclination problématique, je n'ai plus le droit de me
réfugier derrière l'excuse du déterminisme. Car en effet, j'ai la liberté de changer. Est-ce nier la
réalité de la dépendance à la drogue? au jeu? Dans l'exemple ci-dessous, Sartre montre une
vision moins caricaturale.

L'angoisse devant le passé

"C'est celle du joueur qui a librement et sincèrement décidé de ne plus jouer et qui, lorsqu'il
s'approche du "tapis vert", voit soudain "fondre" toutes ses résolutions. On a souvent décrit ce
phénomène comme si la vue de la table de jeu réveillait en nous une tendance qui entrait en
conflit avec notre résolution antérieure et finissait par nous entraîner malgré celle-ci. Outre
qu'une pareille description est faite en termes chosistes et qu'elle peuple l'esprit de forces
antagonistes (c'est par exemple la trop fameuse "lutte de la raison contre les passions" des
moralistes), elle ne rend pas compte des faits. En réalité _ les lettres de Dostoïevski sont là pour
en témoigner _ il n'y a rien en nous qui ressemble à un débat intérieur, comme si nous avions à
peser des motifs et des mobiles avant de nous décider. La résolution antérieure de "ne plus jouer"
est toujours là et, dans la plupart des cas, le joueur mis en présence de la table de jeu se retourne
vers elle pour lui demander secours : car il ne veut pas jouer ou plutôt, ayant pris sa résolution la
veille, il se pense encore comme ne voulant plus jouer, il croit à une efficace de cette résolution.
Mais ce qu'il saisit alors dans l'angoisse, c'est précisément la totale inefficience de la résolution
passée. Elle est là, sans doute, mais figée, inefficace, dépassée du fait même que j'ai conscience
d'elle. Elle est moi encore, dans la mesure où je réalise perpétuellement mon identité avec moi-
même à travers le flux temporel, mais elle n'est plus moi du fait qu'elle est pour ma conscience.
Je lui échappe, elle manque à la mission que je lui avais donnée. Là encore, je la suis sur ce
mode du n'être-pas. Ce que le joueur saisit à cet instant, c'est encore la rupture permanente du
déterminisme, c'est le néant qui le sépare de lui-même : j'aurais tant souhaité ne plus jouer
; même, j'ai eu, hier, une appréhension synthétique de la situation (ruine menaçante, désespoir
de mes proches) comme m'interdisant de jouer. Il me semblait que j'avais ainsi constitué une
barrière réelle entre le jeu et moi, et, voici que je m'en aperçois tout à coup, cette appréhension
synthétique n'est plus qu'un souvenir d'idée, un souvenir de sentiment : pour qu'elle vienne
m'aider à nouveau il faut que je la refasse ex nihilo et librement : elle n'est plus qu'un de mes
possibles, comme le fait de jouer en est un autre, ni plus ni moins. Cette peur de désoler ma
famille, il faut que je la retrouve ♥ , que je la recrée comme peur vécue, elle se tient derrière moi
comme un fantôme sans os, il dépend de moi seul que je lui prête ma chair. Je suis seul et nu
comme la veille devant la tentation ♥ ♥ ♥ et, après avoir édifié patiemment des barrages et des
murs, après m'être enfermé dans le cercle magique d'une résolution, je m'aperçois avec angoisse
que rien ne m'empêche de jouer. Et l'angoisse c'est moi, puisque par le seul fait de me porter à
l'existence comme conscience d'être, je me fais n'être pas ce passé de bonnes résolutions que je
suis."

EN, p.68-69.

Cet extrait est intéressant car il permet non seulement d'illustrer à quel point la liberté peut être
angoissante, mais aussi comment elle se vit dans le quotidien d'un être dépendant. Cela fait
naturellement penser aux gens qui font des cures de désintoxication ou ceux qui suivent des
thérapies cherchant ainsi à se libérer de leurs "démons". Il faut remarquer que malgré tout et au
bout du compte, c'est une décision à chaque jour et même à chaque instant. On est "seul et nu
comme la veille devant la tentation". De façon inattendue, Sartre montre ici une perception assez
fine du problème. En effet, cela peut consoler en quelque sorte les gens qui rechutent malgré le
fait qu'ils ont arrêté depuis un bon moment.

*EN, p.76.

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