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JUILLET- AOÛT 2019 - N°871-872 - ALL 8,50 € - BEL 8 € - ESP 8 € - GR 8 € - ITA 8 € - LUX 8 € - PORT/CONT 8 € - ANDORRE 7,40 €
M 05067 - 871 - F: 7,20 E - RD CH 12,90 FS - DOM/S 8 € - TOM/A 1700 XPF - TOM/S 950 XPF - MAR 75 MAD - TUN 12,90 TND - CAN 12,50 $ CAN
3’:HIKPKG=\U\WUX:?k@i@h@l@a";
SpŽcial
RŽgion par rŽgion
ÉDITO
8, rue d’Aboukir, 75002 Paris.
www.historia.fr – Tél. : 01 70 98 19 19.
Pour joindre votre correspondant, veuillez composer le 01 70 98
suivi des quatre chiffres figurant à la suite de chaque nom.
DR
Tél. 01 55 56 70 56.
Historia service abonnements, 4, rue de Mouchy,
60 438 Noailles Cedex. E-mail : abo.historia@groupe-gli.com
Tarifs France : 1 an, 10 nos + 1 no double Historia : 60 € ;
1 an, 10 nos + 1 no double Historia (mensuel)
+ 6 Historia Spécial (bimestriel) : 88 €.
Tarifs pour l’étranger : nous consulter.
RÉDACTION
Rédacteur en chef : Éric Pincas (19 39).
L
Rédacteur en chef adjoint chargé des Spéciaux :
Victor Battaggion (19 40). Assistante : Florence Jaccot (19 23).
Secrétaires de rédaction : Alexis Charniguet (19 46) ; ’émotion nationale née de la tragédie de Notre-Dame de Paris
Xavier Donzelli (19 45) ; Jean-Pierre Serieys (19 47). en avril dernier dépasse le cadre de la religiosité. Elle dé-
Directeur artistique : Stéphane Ravaux (19 44).
Rédacteur graphiste : Nicolas Cox (19 43). montre la force de ce lien affectif, culturel, qui nous rattache
Rédacteurs photo : Ghislaine Bras (19 42), à ces « humanités de pierre » sur lesquelles reposent aussi nos
Anne-Laure Schneider (19 07), Raphaëlle Normand (stagiaire).
Conception graphique : Dominique Pasquet. propres fondations. Au XIIIe siècle, le royaume de France
Comité éditorial : Olivier Coquard, Patrice Gélinet,
Catherine Salles, Thierry Sarmant, Laurent Vissière.
compte déjà dans ses villes et ses villages près d’un millier de monastères
La rédaction est responsable des titres, intertitres, et d’abbayes. C’est à ces hauts lieux du patrimoine spirituel que nous avons
textes de présentation, illustrations et légendes.
Responsable administratif et financier : Nathalie Tréhin (19 16) ;
décidé de consacrer ce numéro d’été. Une plongée dans un monde où le
comptabilité : Teddy Merle (19 18). silence est roi, tout au moins en façade… Car pour qui sait tendre l’oreille,
Directeur des ventes et promotion :
Valéry-Sébastien Sourieau (19 11) ; l’histoire de ces sanctuaires résonne souvent d’un écho empli de bruit et
Ventes messageries : À juste titres – Julien Tessier – Réassort de fureur. Celui des raids barbares, des guerres de Religion ou des profa-
disponible : www.direct-editeurs.fr – 04 88 15 12 41.
Agrément postal Belgique n° P207 231. nations de la Révolution… Dans les allées de certains cloîtres flotte encore
Diffusion librairies : Pollen/Dif’pop’. un parfum de scandale, comme à Fontevraud, devenu au XIIe siècle, avec
Tél : 01 43 62 08 07 - Fax : 01 72 71 84 51.
Responsable marketing direct : Linda Pain (19 14). Robert d’Arbrissel, le bastion de toutes les tentations ; ou à l’abbaye de
Responsable de la gestion des abonnements : Isabelle Parez (19 12). Montmartre, dont il ne subsiste plus que
Communication : Marianne Boulat (06 30 37 35 64).
Fabrication : Christophe Perrusson. l’église, qui garde le souvenir de la frivolité POUR QUI SAIT TENDRE
Activités numériques : Bertrand Clare (19 08). des nonnes lors du siège de Paris en 1590. L’OREILLE, L’HISTOIRE
RÉGIE PUBLICITAIRE Et que dire des légendes qui recouvrent
Mediaobs – 44, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris.
encore de leur mystère les sombres dor- DE CES SANCTUAIRES
Fax : 01 44 88 97 79.
Directeur général : Corinne Rougé (01 44 88 93 70, toirs et les scriptoriums endormis : Raoul RÉSONNE SOUVENT
crouge@mediaobs.com).
Directeur commercial : Christian Stéfani (01 44 88 93 79,
Glaber et sa rencontre avec le diable à D’UN ÉCHO EMPLI DE
cstefani@mediaobs.com). Saint-Bénigne de Dijon, les fantômes de
Publicité littéraire : Quentin Casier (01 44 88 97 54,
l’abbaye de Mortemer, l’ombre de la re- BRUIT ET DE FUREUR
qcasier@mediaobs.com). www.mediaobs.com
Impression : Elcograf Spa (Vérone - Italie) cluse de l’abbatiale Notre-Dame de Mou-
Imprimé en Italie/Printed in Italy. Dépôt légal : juillet 2019.
© Sophia Publications. Commission paritaire : n° 0321 K 80413. zon… Mais ce n’est pas tout. Ces lieux de prière furent aussi le théâtre de
ISSN : 1270-0835. Historia est édité par la société Sophia Publications. formidables passions mystiques qui laissent parfois place aujourd’hui à des
Ce numéro contient un encart abonnement Historia sur les
exemplaires kiosque France, un encart abonnement Edigroup sur réflexions plus pragmatiques. Car abbayes et monastères doivent désor-
les exemplaires kiosque Suisse et Belgique, un encart fond de mais survivre. En s’ouvrant au monde, ils participent au dynamisme de nos
dotation du Louvre sur la totalité des exemplaires, un encart
Sophia Boutique sur les exemplaires abonnés, un encart Monnaie régions et tendent des ponts entre les générations : lieux de révision pour
de Paris sur les exemplaires abonnés. les étudiants, centres d’artisanat, viviers de l’agriculture biologique, écrins
PHOTOS DE COUVERTURE : d’art contemporain, brasseries et distilleries, laboratoires de musicolo-
Jean-François Rollinger/Only France, Tetra images / Hemis.fr,
photomontage, Baltel/Sipa.
gie… Une renaissance souvent des plus surprenantes que nous vous fai-
sons partager pour donner à vos balades estivales un goût d’éternité. u
Origine du papier : Autriche - Taux de fibres recyclées : 0% -
Eutrophisation : PTot = +0,008kg/tonne de papier - Ce magazine est
imprimé chez Elcograf Spa (Vérone - Italie), certifié PEFC
8
MÉMENTO
8 Le choix de la rédaction.
14 La chronique d’Emmanuel de Waresquiel
8 18
labORaTOiRe caRaa
DOSSIER
DU MOYEN ÂGE À NOS JOURS.
ABBAYES ET MONASTÈRES,
100 FABULEUSES ÉPOPÉES
Du VIe siècle à aujourd’hui, moines et moniales
ont édifié de superbes monuments de pierre,
chargés d’une histoire parfois tragique, souvent
pieuse, mais toujours étonnante.
20 Des saints, des frères et des pierres
22 Normandie Laurent Vissière
28 Bretagne Pascale Desclos
34 PACA Hugues Demeude
40 Île-de-France Laurent Lemire
46 Grand-Est Claire l’Hoër
52 Loire et Centre Matthieu Frachon
58 Nouvelle-Aquitaine Bruno Dumézil
62 Occitanie Carl Aderhold
68 Languedoc-Roussillon Matthieu Frachon
70 Hauts-de-France Denis Lefebvre
76 Auvergne-Rhône-Alpes Olivier Tosseri
82 Bourgogne-Franche-Comté
18
Jean-Philippe Noël
fORGeT PaTRick/saGaPHOTO.cOM
CONTRIBUTEURS
Gil lefaucOnnieR
Pascale DesclOs
DR
DR
DR
JENNIFER KERNER est LAURENT VISSIÈRE Ancien PASCALE DESCLOS HUGUES DEMEUDE LAURENT LEMIRE Journaliste,
enseignante en préhistoire à élève de l’ENS et de l’École Journaliste spécialisée Journaliste, auteur il a récemment publié
l’université Paris-Nanterre et des chartes, membre du dans les voyages culturels de nombreux scénarios de La chance de A à Z
créatrice de la chaîne YouTube comité éditorial d’Historia, et historiques, elle a écrit documentaires, c’est (Fayard, 2018) et Monstres
d’archéologie et d’histoire de il nous livre ici les secrets plusieurs guides, notamment un amoureux de l’histoire du et monstruosités
l’art Boneless Archéologie. des abbayes normandes. sur la Grèce et le Québec. patrimoine. (Perrin, 2017).
92
RÉCITS
92 LE FUNESTE BAPTÊME DU FEU
DU PRINCE IMPÉRIAL
Martine Devillers Argouarc’h
94 ILS ONT MARCHÉ SUR LA LUNE
Franck Ferrand
100 LES CASTRATS SUR L’AUTEL DE DIEU
Anna Daniela Sestito
102 DES MOTS POUR PANSER LES MAUX
Isabelle Laurent
106 LES PETITS PLATS DANS LES GRANDS
Patrick Rambourg
108
CULTURE
108 SPECTACLES ET EXPOS
92
Joëlle Chevé
114 Il était une fois l’art
Élisabeth Couturier
RoGeR-Viollet
118 LIVRES
La sélection polar, essai, BD et jeunesse.
128 MOTS CROISÉS
108
130 La chronique de Guillaume Malaurie
akG-imaGes/WHa/WoRlD HistoRy aRcHiVe
94
Pascal foulon
CONTRIBUTEURS
Gil lefauconnieR
DR
DR
DR
DR
BRUNO DUMÉZIL Professeur JEAN-PHILIPPE NOËL ANNA DANIELA SESTITO ISABELLE LAURENT PATRICK RAMBOURG
d’histoire médiévale Journaliste, il est auteur d’une Artiste lyrique, professeur Elle a écrit plusieurs Historien des pratiques
à la Sorbonne, il va publier dizaine de livres sur la nature. de chant et chercheur romans pour la jeunesse alimentaires et culinaires, il
Le Baptême de Clovis : Michel-Ange et les Fesses de en musicologie à l’institut ainsi qu’un essai sur la est notamment l’auteur
24 décembre 505 ? Dieu est sa première pièce international Domenico famille, Les Yeux d’une mère de L’Art et la Table (Citadelles
(Gallimard). pour le théâtre. Scarlatti de Naples. (Artège, 2012). et Mazenod, 2016).
Deux os du pied, des dents et un fragment d’os long : c’est à partir de ces précieux
vestiges, mis au jour dans une grotte des Philippines, que les paléontologues vont devoir ASIE
travailler à un portrait-robot d’Homo luzonensis. Un nouvel ancêtre PHILIPPINES
contemporain d’Homo sapiens. Millions d’années
Homo habilis
Il y a
Homo rudolfensis
50 000 ans
Homo gautengensis
Aujourd’hui
Homo erectus
Homo ergaster
Gr
Grotte
de Callao
Île de Homo heidelbergensis
Luçon
Océan
HUGUES PIOLET - SOURCE UNIV. POITIERS/PACEA BORDEAUX/UNI. TOULOUSE/VISACTU
Homo neanderthalensis
Manille Pacifique
Homo naledi
Homo floresiensis
Homo denisoviensis
Homo luzonensis
300 km
Homininés :
D
ans votre jardin, toujours été ainsi. La
des mésanges paléontologie nous révèle
la famille
bleues, charbon- qu’une humanité plurielle
nières et peut-être a peuplé la terre pendant
même des mésanges à la Préhistoire.
s’agrandit
longue queue… Imaginer Tout le monde connaît
un monde où la mésange l’homme de Neandertal,
bleue serait l’unique capable de tailler la pierre,
espèce représentante de de produire des parures et
Et un de plus ! Le grand puzzle de la lignée son genre paraît impos- d’enterrer ses morts,
humaine s’enrichit d’une nouvelle pièce, sible. Ne serait-ce pas comme nous. En 2004, les
avec Homo luzonensis, qui vivait il y a contre nature ? Si ! C’est paléontologues ont mis au
pourtant ce qu’ H o m o jour les restes d’un autre
67 000 ans. Un temps où plusieurs formes sapiens vit actuellement : homininé, l’homme de
d’humanité peuplaient la planète. au sein du genre Homo, il Flores. Depuis 2010, il faut
est la dernière espèce sur- également compter avec
vivante. Mais il n’en a pas l’homme de Denisova.
L
de l’Inrap ont identifié ce cheval quasi complet, accompagné ongtemps portés disparus, des manuscrits,
notamment d’un aurochs. Cette plaquette intrigue car, estampes, livres, pour certains médiévaux, ont
à cette époque dite « azilienne », l’abstraction resurgi lors d’une vente aux enchères en 2017.
avait déjà pris le pas sur le figuratif. Alertés par l’apparence troublante de ces ouvrages,
L’archéologue Michel Biard le les experts ont découvert qu’ils appartenaient à la
compare à un « alien », un dessin bibliothèque régionale et universitaire de Bonn, qui
complètement anachronique. fut pillée après la guerre alors que la ville était occu-
Comme toute bonne BD, on pée par les Alliés. 600 documents graphiques, qu’une
attend désormais la suite de Belge tenait d’un père soldat affecté à Bonn, ont été
l’histoire… ÉRIC PINCAS restitués à l’institution le 11 avril. MARGOT BOUTGES
U
n match de foot qui d’une guerre qui durera des chaînes d’histoire sur le Web,
tourne à la guerre : cent heures, fera près de ainsi que sa vidéo sur www.historia.fr
D.R.
voilà le dénouement 5 000 morts et plus de
incroyable qu’ont connu
deux pays d’Amérique cen-
15 000 blessés !
Pourtant, on ne peut pas
ZHENG HE, LE DRAGON
trale en 1969… Depuis les comparer des sportifs sur la DES OCÉANS
S
années 1960, les paysans pelouse d’un stade avec des i l’Occident a eu son lot d’explorateurs
du Salvador émigrent au militaires sur un champ de connus, Colomb, Gama, Magellan et bien
Honduras voisin, qui voit bataille. Encore que… Foo- d’autres, on évoque rarement leurs
d’un mauvais œil l’afflux teux et troufions s’en- homologues venus d’Asie. La Chine, par exemple,
de ces travailleurs étran- traînent, défendent leur a vu passer d’incroyables marins, repoussant les
gers. Dans ce climat tendu, camp, contre-attaquent. Ils frontières maritimes et lançant de nombreuses
les deux pays se disputent obéissent à leur capitaine et expéditions pour tisser des liens diplomatiques et
en juin 1969 une place ont des buts à atteindre – ou commerciaux. Au début du XVe siècle, Zheng He,
pour la Coupe du monde à marquer. Sur le terrain, les qui bénéficie du titre cocasse de « Grand
au Mexique. Le match (dis- avants-centres (surnommés Eunuque aux trois joyaux », est nommé amiral de
puté sur trois rencontres) les « canonniers ») arment la flotte impériale. Choix étrange, quand on sait
dégénère : rixes de suppor- leur tir et défendent leur que le bougre n’a jamais posé le pied sur un
ters, soupçons de triche- drapeau. N’oublions pas bateau. Peu importe ! Zheng He sait mener des
rie… Le 14 juillet, les que le football est un sport, hommes et il n’aura aucun mal à diriger les 30 000
relations diplomatiques qui n’a rien à voir avec la marins et la centaine de navires mis à sa
sont rompues – prémices guerre. Encore que… u disposition. Pendant vingt-huit ans, ce navigateur
malgré lui mène sept expéditions, transporte plus
de 300 messagers et neuf rois. Il tisse des liens
POLLUTION UN ARSENAL SOUS-MARIN avec l’île de Java et celle de Sumatra. Mais aussi
avec le Siam, le Sri Lanka, l’Inde puis, encore
C’est un drame écologique plus loin, l’Iran, le Yémen, l’Arabie saoudite et
bien connu : pour se tout le long de la côte africaine jusqu’à la Somalie
débarrasser de leurs armes en passant par le Kenya, d’où il se paie le luxe de
chimiques après les guerres rapporter une girafe ! L’amiral fait même un petit
mondiales, les pays détour par La Mecque… La réputation de Zheng
belligérants n’ont pas hésité He est telle que certains historiens prétendent
à les déverser dans la mer. qu’il aurait découvert l’Australie et l’Amérique.
Ces produits restent Sans accorder de crédit à ces derniers, le
cependant toxiques et les obus se corrodent. En Belgique, palmarès de l’amiral, qui décède à 62 ans dans sa
Rea PRoDuctions
LA PHOTOGRAPHIE DU MOIS
UNE MER DE MOSAÏQUE
C
’est pendant les fouilles archéologiques qui ont pré- cheval ailé Pégase en compagnie de trois muses ou d’une
cédé la construction d’un hôtel qu’une immense ribambelle d’oiseaux qui ornaient le sol d’une villa. Envi-
mosaïque a été mise au jour à Antakya, en Turquie. ron 30 000 pièces archéologiques ont également été
S’étendant sur 1 050 m2, il s’agit peut-être de la plus retrouvées, parmi lesquelles une statuette d’Eros, des
grande jamais retrouvée. Datant du IVe siècle et ornée de pièces de monnaie ou des poteries. En raison de ces
motifs géométriques, elle décorait probablement le sol découvertes, l’hôtel a vu ses plans transformés. Grâce à
d’une place publique. Elle témoigne, tout comme d’autres un système de pilotis, il a été surélevé afin que les
mosaïques découvertes dans le périmètre, de l’époque où mosaïques puissent être admirées au sein d’un musée
Antakya s’appelait Antioche et était la capitale de la pro- géré par le ministère de la Culture et du Tourisme. Les
vince romaine de Syrie. Ainsi d’une représentation du deux établissements voisins ouvriront en juillet. M. B.
HOMMAGE
LES ITALIENS DU
PÈRE-LACHAISE
Dans la foulée du numéro
« Ces Italiens qui ont fait la
France » (Historia no 861),
la consule générale d’Italie,
Emilia Gatto, travaille à un
projet d’archivage et de
valorisation de la mémoire
italienne en France. Pre-
mier jalon : un livre sur les
60 people transalpins inhu-
més au Père-Lachaise, dont de baignade dans
12 juillet 1921 : scène
rap hie de presse, agence
Bellini, Rossini, Modigliani, la Seine. Photog
nat ion ale de France,
Rol. Bibliothèque
Cernuschi (le collection- et Photographie,
département Estampes
.bnf.fr/Ces
neur), le clown Zavatta ou EI-13 (804). https ://c
GallICa/BNF
L
a France connaît une canicule par des pontons flottants. Peut-on se
SHOAH durant l’été 1921. À Paris, le baigner dans un fleuve où se déversent
DEVOIR DE thermomètre flirte avec 36 °C à
l’ombre. Si les familles les plus aisées
en 1921 égouts et rejets industriels ?
C’est possible, assurent les médecins,
MÉMOIRE 2.0 sont parties en vacances en bord à condition de se fermer la bouche
L’initiative divise : raconter de mer, les populations modestes ne et d’être vacciné contre la fièvre
sur Instagram la vie d’Eva savent plus comment se préserver de typhoïde. Possible, disent les mora-
Heyman, déportée à l’âge la chaleur. Les glacières franciliennes listes, si vous ne redoutez pas la mixité
de 13 ans, en 1944. Depuis sont vidées pour fournir à la capitale et la vue de corps semi-dénudés. Et
mai 2019, le compte @eva. la glace nécessaire aux glaçons et sor- pourtant, qu’ils ont l’air heureux, ces
stories, créé par l’agence bets. Mais, pour ceux qui voudraient baigneuses et baigneurs qui ont revêtu
Leo Burnett Israel, publie faire trempette, les choses se com- leurs costumes de bain ! La concur-
photos et vidéos inspirées pliquent. On annonce pour l’année sui- rence est rude pour avoir une place :
du journal de la Hongroise, vante la construction de la première il faut débourser deux francs (le prix
découvert en 1948. La piscine municipale à la Butte-aux- de deux kilos de pain) pour barboter.
production n’a pas lésiné Cailles. La baignade dans la Seine, trop Pour les plus en fonds, une buvette
sur les moyens : plusieurs dangereuse en raison des courants, est propose sandwichs et vin blanc…
millions de dollars de interdite à Paris, et la brigade fluviale AGNÈS SANDRAS, CONSERVATRICE CHAR-
budget, 400 comédiens et patrouille pour surveiller les impru- GÉE DES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE DE
figurants. Eva compte déjà dents. Restent cinq bains aménagés en FRANCE AU DÉPARTEMENT PHILOSOPHIE,
1,7 million d’abonnés. X. D. bord de Seine, étroits bassins délimités HISTOIRE ET SCIENCES DE L’HOMME
O
n ne voyage plus. On se déplace d’un point à Fouquet, sa Pietà, qui autrefois avait peut-être été l’un des
un autre en espérant oublier le temps qui panneaux d’un triptyque disparu. Joseph d’Arimathie et Ni-
passe. J’ai la nostalgie de mes voyages d’au- codème déposent le Christ mort aux longs cheveux tombant
trefois, de ces voyages à la billebaude où l’on sur les genoux de sa mère vêtue de bleu et comme recou-
ne savait pas ce que serait l’étape du soir, et verte du suaire de son fils, tandis qu’à droite un donateur
qui me conduisaient de surprise en surprise agenouillé, revêtu du surplis des chanoines, la quarantaine,
par des routes de traverse à moitié vide, dans une France le cheveu rare, les regarde. La scène est imprégnée de la bien-
encore champêtre et rurale. Gracq aimait déjà cela dans ses veillance des morts et de l’inquiétude des vivants. Des
Carnets du grand chemin : « Le voyage sans idée de retour hommes portent des turbans à la façon des juifs du XVe siècle ;
peut changer votre vie. » L’été se prête à ce genre de vagabon- des femmes, vêtues du voile noir des nonnes, pleurent. Aux
dage. Il m’est donc arrivé récemment de pieds de la Vierge, on voit les clous de la
renouer avec mes vieilles habitudes et de Croix et la Couronne d’épines. Tout est à la
me retrouver dans l’une de ces rares ré- fois simple, douloureux et serein, en une
gions françaises oubliées de nos modernes sorte de face-à-face qui n’aurait eu pour
aménageurs, aux confins de la Touraine et J’Ai lA nostAlGie Des unique raison que le silence et l’émotion.
du Berry. Les villages y sont blancs et silen- J’ai pensé aux vers d’Apollinaire dans Zone :
VoYAGes D’AntAn, Qui
cieux, leurs églises sages, leurs jardins or- « Tu te moques de toi et comme le feu de
donnés. De loin, on dirait les mâts d’un Me ConDuisAient De l’Enfer ton rire pétille / Les étincelles de ton
bateau fantôme sur une mer sans orage. surPrise en surPrise, rire dorent le fond de ta vie / C’est un ta-
On s’y promène à la manière des archéolo- bleau pendu dans un sombre musée / Et
PAr Des routes De
gues, dans un fouillis d’architecture, quelquefois tu vas le regarder de près. » J’ai
quelque part entre le XIVe et le XVIe siècle. trAVerse À MoitiÉ pensé aussi à son ami Max Jacob, qui était
C’est la France des Valois et de Baudelaire : ViDes, DAns une FrAnCe venu là alors qu’il s’était réfugié non loin, à
« le vert paradis des amours enfantines ». l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, dans les
CHAMPÊtre et rurAle
Imbert de Batarnay, le chambellan de années 1930, avant que les Allemands ne
Louis XI, dort à Montrésor sur une dalle de AuJourD’Hui DisPArue l’emmènent pour toujours en février 1944 :
marbre noir, revêtu du collier de Saint-Mi- « Je remercie Dieu du martyre qui com-
chel, un lévrier à ses pieds, tandis que les ruines de son châ- mence. » Peut-être a-t-il pensé ce jour-là à la Vierge de Fou-
teau veillent sur le village. Les abbayes y ont été tellement quet : « Marie reçue en grâce / Reine d’une éternelle couronne
détruites par les guerres de Religion et par celles de la Révo- / Il faut bien que je vous pardonne. » J’aurais aimé encore être
lution que c’est à peine si l’on aperçoit les restes d’un cloître à la place de Paul Vitry, un ancien conservateur du Louvre,
ou d’une chapelle. Ceux qui les dirigeaient étaient des lorsqu’en 1912 celui-ci, le premier, découvrit le tableau. On
hommes puissants. À l’entrée de Villeloin, j’ai vu au-dessus ne sait toujours pas qui l’a commandé : Jean Jouvenel des
d’une porte les deux ailes accolées des armes de Michel de Ursins, le fils de Guillaume, ou Nicolas Cœur, le frère de
Marolles, abbé de ces lieux, traducteur de Lucain et collec- Jacques, le grand argentier de Charles VII, ou un autre ? On
tionneur de ce qui sera le premier grand fonds de gravures ignore quand il a été peint, et comment il est arrivé là, oublié
de la Bibliothèque royale de Paris. Cette France-là, c’est celle pendant des siècles dans une église du bout du monde. Peut-
de la Renaissance, des humanités, du grec et de l’hébreu. Elle être mon émotion eût-elle été différente si je l’avais décou-
était habitée par des paysans, des érudits et des croyants. On vert dans un musée entouré d’autres tableaux. Ce genre de
ne sait jamais ce qu’on peut y trouver. Dans le cœur de l’église moment tient à peu de chose : une porte qu’on ouvre, la pé-
de Nouans-les-Fontaines, j’ai vu un immense tableau écla- nombre, l’inattention, le choc et la surprise. Quand l’Histoire
boussé de blanc et comme illuminé par la jeunesse de ses rencontre la vie, dans la confusion de ses traces et la convic-
visages. Il s’agit de l’une des rares œuvres retrouvées de Jean tion que dès lors nos questions ne seront plus les mêmes. u
ABBAYES ET
MONASTÈRES
100
FABULEUSES
ÉPOPÉES
Ces hauts lieux spirituels ont souvent été
dévorés par les passions de l’Histoire. Passions
politiques, passions de la chair, passions
mystiques. Ils ont accueilli des saints et des
voyous, des fermiers bio et le Vert Galant…
Ils vous attendent dans des sites souvent
somptueux. Arrêtez-vous et profitez d’un
instant d’éternité. e t ro u vez la
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18 - Historia n° 871-872 / Juillet-août 2019
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A ABBATIALE Les moines C SALLE CAPITULAIRE l’objet de plaintes de la part dormiront chacun dans un lit
qui sont prêtres se placent C’est dans ce local qu’est lu des clercs, qui rendaient à part », dans un même lieu,
dans le chœur (ils sont dits chaque jour un chapitre de la compte de cette situation et « une lumière éclairera le
« moines de chœur »), tandis règle de l’ordre. Les moines en annotant discrètement dortoir continuellement
que les convers s’installent s’y réunissent aussi pour les marges de leurs copies… jusqu’au matin ».
dans la nef. délibérer des questions
concernant la communauté. E RÉFECTOIRE G JARDINS DES SIMPLES
B CLOÎTRE De « clôture », Les religieux y prennent leur L’herbularius rassemble des
c’est un espace central de D SCRIPTORIUM C’est repas en silence. herbes médicinales, utilisées
circulation intermédiaire l’atelier dans lequel les pour soigner moines, pèlerins,
entre le monde sacré et le moines copistes réalisent des F DORTOIR Le chapitre 22 familiers de l’abbaye.
profane, qui permet de se livres. Bien que chauffée de la règle de saint Benoît
rendre aux offices. l’hiver, cette pièce faisait détaille : « Les moines H CIMETIÈRE
Rouen. Le peintre a illustré une légende du l’abbaye naissante, qui put dès lors se tar-
Moyen Âge : les deux fils de Clovis II (635- guer de la plus noble des protections.
657) et de Bathilde auraient profité du dé- Ce qui est un peu énervant dans cette his-
part de leur père en pèlerinage pour se toire d’énervés, c’est qu’elle ne repose sur
révolter. Ils furent cependant vaincus. Que aucun fondement historique et ne semble
faire d’eux ? Sur le conseil de Bathilde, on pas remonter au-delà du XIIe siècle. Mais
« leur fit cuire les jarrets », afin de handica- en l’honneur de ces prestigieux précur-
Les fils de Clovis II et de Bathilde se per définitivement ces opposants poli- seurs, les moines de Jumièges eurent
rebellent ? Mal leur en prend : « Je juge tiques en évitant de les tuer (dans le même l’idée d’ériger un tombeau monumental,
que doivent être affaiblies la force et la registre, on peut aussi leur crever les dont on peut toujours admirer les vestiges
puissance de leur corps, puisqu’ils ont osé yeux). Les jeunes princes furent installés au musée lapidaire de l’abbaye. Bien que
les employer contre le roi leur père », dans une barque et abandonnés à la volon- saccagée à la Révolution, celle-ci continue
déclare la reine, qui ordonne de couper té de Dieu et au courant de la Seine. Très à dresser ses ruines majestueuses dans
les tendons des deux insolents. loin en aval, leur esquif s’échoua du côté l’un des plus beaux sites de Normandie. X
Abandonnés sur la Seine, ils aborderont de Jumièges, où vivait un saint homme,
bientôt Jumièges…
Philibert. En découvrant la belle vêture INFORMATIONS : www.abbayedejumieges.fr. Ouvert tlj.
La plus britannique
des abbayes
normandes
Les cinq derniers archevêques de
Cantorbéry ont tous rendu visite à
Notre-Dame du Bec. Certes, cette abbaye,
toujours en activité, ne manque pas de
charme : même si l’église a disparu à la
Révolution, les bâtiments conventuels,
édifiés au XVIIIe siècle, témoignent encore
de sa splendeur. Ce n’est évidemment pas
cela qui attire les chefs de l’Église
d’Angleterre, mais l’ombre de Guillaume
le Conquérant. En 1070, celui-ci nomme à
la tête de l’archevêché de Cantorbéry l’un
de ses fidèles, Lanfranc de Pavie, abbé du
Bec. Après sa mort va lui succéder son
élève Anselme, qui était également abbé
du Bec. Un troisième abbé, Thibaut,
deviendra encore archevêque de
Cantorbéry. Et c’est en leur mémoire que
les communautés du Bec et de Cantorbéry
ont signé une charte œcuménique en
2007, permettant aux catholiques
anglicans et catholiques romains de
mieux se connaître. X
GUY CHRISTIAN/HEMIS.FR
Le Mont-Saint-Michel /
abbaye du Mont-Saint-Michel
Un vrai trou
normand
Tout aurait commencé en 708 quand
Aubert, l’évêque d’Avranches, vit
l’archange Michel terrasser un dragon
au-dessus du mont Tombe. Par trois fois,
l’archange lui aurait ensuite demandé de
fonder, au sommet de ce lieu désertique,
un sanctuaire en son honneur.
Excédé par les hésitations de l’évêque,
saint Michel lui aurait alors touché la
tête de son doigt… jusqu’à y faire un
trou. Aubert aurait enfin compris où
était son devoir ! Une légende ? Peut-
être, mais l’église Saint-Gervais
d’Avranches conserve toujours une Pauvre évêque
étonnante relique : le crâne d’un homme d’Avranches !
âgé, dont le pariétal s’orne d’un trou Ses hésitations
circulaire – et qui n’a pas entraîné sa à fonder un
mort. D’après des analyses récentes, il monastère au
semblerait que ce trou provienne en fait sommet d’un
d’un kyste épidermoïde (dont la mont (qui
particularité est d’entraîner une perte de deviendra
célèbre) lui
substance osseuse), et il pourrait bien
HERVE GYSSELS/LEEMAGE
donnent de forts
s’agir du crâne de saint Aubert ! X
maux de tête…
INFORMATIONS : www.abbaye-mont-saint-michel.fr.
Ouvert tlj.
Guillaume le
Conquérant fait
édifier deux
abbayes dans
sa bonne ville de
Caen afin de
plaire au pape.
Et ce seront
les paysans
anglo-saxons
qui financeront
les travaux !
AKG-IMAGES/BRITISH LIBRARY
L
a cité de Caen s’enorgueillit de deux évêque ne désirant se compromettre, cette la capitale secondaire de son duché : il y
somptueuses abbayes, l’une jadis ha- union princière va être célébrée par un fait construire un vaste palais fortifié… et
bitée par des moines et l’autre par des simple chapelain. Reste à trouver un com- ces deux abbayes bénédictines, qui affir-
moniales. Guillaume le Conquérant promis honorable avec l’Église de Rome… ment sa légitimité politique. Les chan-
et Mathilde, son épouse, les fondèrent en Pour prouver leur piété, les jeunes mariés tiers commencent au début des années
expiation d’un prétendu péché. L’histoire ne tardent pas à fonder deux établisse- 1060 et bénéficient de la manne finan-
s’avère en réalité des plus nébuleuses. En ments monastiques très ostentatoires. cière que représente la conquête de l’An-
1051, Guillaume de Normandie s’unit avec Mais pas dans la région de Rouen, déjà bien gleterre. Guillaume et Mathilde feront
Mathilde de Flandre : ce mariage, qui scelle pourvue en abbayes. Ils préfèrent marquer d’ailleurs le choix de se faire enterrer sur
l’alliance de deux puissantes principautés, de leur empreinte la Basse-Normandie, place, chacun dans « son » abbaye. X
inquiète, entre autres, le pape Léon IX, qui plus rétive à leur autorité.
cherche à s’y opposer – les deux époux ont Guillaume le Bâtard a en effet choisi de INFORMATIONS : www.caen.fr/annuaire-equipement/
un vague lien de consanguinité. Aucun faire de Caen, un gros bourg anarchique, abbaye-aux-hommes. Les deux sites sont ouverts tlj.
COLLECTION CL/KHARBINE-TAPABOR
« Mortemer » désigne simplement la présence de marais et
d’étangs, il revêt une connotation sinistre qui semble appeler les
affaires de meurtres et de fantômes. C’est du moins ce
qu’affirme Jacqueline Charpentier-Caffin, qui, depuis 1985, fait
revivre ces ruines. Il paraîtrait que Mathilde l’Emperesse, la fille
d’Henri Ier, hanterait ainsi les lieux pour y avoir été enfermée L’aristocrate devenu abbé de Rancé réforme de manière stricte
(mais comment une femme aurait-elle pu l’être dans un couvent une communauté cistercienne sur le déclin. Ce sera un succès.
d’hommes ?). On y croiserait aussi une louve-garou et un
poltergeist ! Si les lieux ont bien été exorcisés en 1921, il faut
croire que le prêtre de l’époque a raté son affaire. Mais loin de Soligny-la-Trappe /
faire fuir le visiteur, tous ces spectres permettent au contraire de abbaye Notre-Dame de La Trappe
l’appâter et, chaque année, les « Nuits des fantômes », en août et
septembre, attirent des milliers de visiteurs. X
Rancé :
une vie passée
INFORMATIONS : www.abbaye-de-mortemer.fr. Ouvert tlj d’avril à août.
à La Trappe
F
ort austère, l’abbaye de La Trappe doit sa renais-
sance à un personnage sulfureux. Au XVIIe siècle,
cet établissement médiéval, tombé en décadence,
arrive dans l’escarcelle d’Armand Jean Le Bouthil-
VALERIO VINCENZO/GEO
BRIDGEMANIMAGES.COM
Fécamp / abbaye de la Trinité
Du Précieux Sang
à la Bénédictine
Cette abbaye bénédictine fut fondée par
un comte mérovingien, et c’est vers elle
qu’aurait vogué, depuis la Palestine, un
tronc de figuier contenant quelques
gouttes du sang du Christ. D’où la très
fantaisiste étymologie du lieu : Fici
Campus (« Champ du figuier »).
En 1171, on redécouvre deux étuis
JEAN-MATTHIEU GAUTIER/CIRIC
S
accagée par les Vikings au et il faut se recycler. L’abbaye possède mettre au point une liqueur.
IXe siècle, par les huguenots au une « porte du Houblon » et consommait En 1863, ce négociant en vins et spiritueux
XVIe siècle, par les révolution- force bière au Moyen Âge. Comment ne commercialise la Bénédictine : il ne la
naires dans les années 1790, et pas y voir un signe à l’heure où les bières présente pas comme un produit nouveau,
lors de la Seconde Guerre mondiale, artisanales ont le vent en poupe ? Deux mais comme la reprise d’une recette
l’abbaye Saint-Wandrille n’offre plus au frères de la communauté se forment au inventée par un moine alchimiste vénitien.
visiteur que des ruines. Persévérant lycée agricole de Douai, et la commu- Alexandre Le Grand est surtout un
malgré tout, les Bénédictins réta- nauté convainc les banques de prêter affabulateur de génie, animé par un sens
blissent, en 1931, une communauté dans l’argent nécessaire à la création d’une aigu de la réclame. Il commande des
ces lieux magnifiques. Fidèles à l’esprit brasserie… En juin 2016, la première affiches aux meilleurs artistes et fait
de saint Benoît, les moines entendent cuvée est produite dans l’abbaye. Saint- construire dans sa ville le palais
vivre de leur travail. Dès 1936, ils créent Wandrille est ainsi devenue la seule Bénédictine, l’un des plus étonnants
leur marque de cire d’abeille et d’en- « bière d’abbaye » brassée en France. X bâtiments de la Belle Époque. X
caustique – activité qu’ils ont poursuivie
jusqu’en 1993. Mais les temps évoluent, INFORMATIONS : www.st-wandrille.com. Ouvert tlj. INFORMATIONS : www.abbatialefecamp.fr. Ouvert tlj.
L’abside de l’abbatiale où officiait Abélard a conservé ses colonnes romanes, reliées par des arcs en plein cintre et surmontées de sept arcades.
C
hacun connaît la triste histoire d’Abélard et Hé- joindre le corps des plus hauts dignitaires de l’Église. En
loïse. Mais sait-on que, après avoir connu la 1127, l’érudit va passer un an, peut-être deux, sur cette
gloire et le scandale, Pierre Abélard « terre barbare », dont il ne parle pas la langue. Sa mis-
devint l’abbé de ce monastère ? sion : corriger des mœurs monastiques déréglées, dans
Fondée au VIe siècle sur les ves- la lignée de la réforme grégorienne. Mais son manque
tiges d’un oppidum romain par le moine de fortune personnelle l’empêche de redres-
Gildas, venu d’Angleterre, tombée en ser la barre et lui vaut l’hostilité des
ruines après les invasions normandes, moines. À deux reprises, ceux-ci
cette abbaye du bout du monde a été tentent de se débarrasser de leur
reconstruite dans le style roman. abbé, en versant du poison dans le
Conan III, duc de Bretagne et nou- calice de la messe et en comman-
vel allié du roi Louis VI, rêve de lui ditant un guet-apens à des bri-
redonner son éclat d’antan, en gands. Rescapé de justesse, Abé- Castré par
nommant à sa tête un homme pres- lard finit par quitter le navire… l’oncle de sa
tigieux. De son côté, Abélard est Tombé en désuétude au fil des bien-aimée,
dans le collimateur des autorités siècles, puis vendu à la Révolu- Abélard doit
ecclésiastiques. Si ses leçons restent tion, le monastère a été restauré ensuite
courues des étudiants à Nogent-sur- au XIXe siècle. Dans l’église, le visi- échapper aux
Seine – dans l’abbaye du Paraclet, où il teur découvre intacte l’abside où offi- tentatives
a trouvé refuge –, il garde un souvenir cia le malchanceux abbé et philosophe, d’assassinat
ourdies par
amer de sa mutilation et de sa condamnation entre les magnifiques chapiteaux sculptés
NEURDEIN/ROGER-VIOLLET
les moines de
à Soissons, où il a dû brûler son traité sur la Trinité de l’époque romane… X
son abbaye…
en public. Devenir l’abbé de Saint-Gildas-de-Rhuys, c’est
l’exil, mais aussi l’occasion de fuir le danger et de re- INFORMATIONS : www.abbaye-de-rhuys.fr. Ouvert tlj.
A
ujourd’hui gérée par le Conservatoire du littoral, l’abbaye de
Beauport déploie ses ruines du XIIIe siècle sur la baie de
Paimpol. Comme toute seigneurie côtière, elle tirait autrefois
une partie de sa richesse de la mer. Entre 1200 et 1790, les
chanoines percevaient ainsi des droits féodaux sur les pièges à pois-
sons utilisés dans la baie, le sel produit par chauffage et la pêche en
mer par les populations des paroisses dépendant de l’abbaye – notam-
ment les habitants de Bréhat, qui envoyaient des navires en Islande et à
Terre-Neuve dès la fin du XVe siècle. L’abbaye avait aussi construit des
digues, pour protéger son domaine des assauts de la mer et transfor-
mer les marais en vergers et pâtures. Forte de ces connaissances,
DR
C’est un trou de verdure, à 3 km du centre de Beauport fut-elle aussi une école maritime ? « L’inventaire de sa biblio-
Saint-Dolay, et il faut se pincer pour se persuader thèque, aujourd’hui disparue, a révélé de précieux ouvrages de naviga-
que l’on est encore en Bretagne. Derrière la tion et d’astronomie, note l’historienne Annie-Claude Ballini, prési-
palissade, un monastère en bois flambant neuf dente de l’association des Amis de Beauport. Au début du XVIIIe siècle,
semblant tout droit venir de Russie : clocher à il y eut aussi un projet de regroupement avec l’abbaye de Daoulas, l’un
bulbe, croix de Saint-André, iconostase et quatre des enjeux étant de fournir des aumôniers à la marine royale. » Ce pro-
moines barbus (huit, en ajoutant les quatre sœurs jet échoua, mais laisse supposer que Beauport était en capacité d’assu-
de la même mouvance du proche couvent de rer des cours d’hydrographie, comme cela se faisait dans d’autres ab-
Sainte-Clotilde…). Pauvre, très pauvre en bayes maritimes. X
adeptes, l’Église celtique orthodoxe est surtout
riche de ses nostalgies. Celle d’un christianisme INFORMATIONS : abbayebeauport.com. Ouvert tlj.
anglais, écossais, breton qui, face à l’autoritaire
cléricature romaine, afficha du IVe au VIIe siècle la La fortune des chanoines venait de la
fidélité au premier christianisme oriental, hérité mer. Et aujourd’hui, le site est propriété
des moines évangélisateurs syro-égyptiens et qui du Conservatoire du littoral.
procédait à un syncrétisme avec les spiritualités
druidiques. « Oui, confie l’évêque Marc, nous
cultivons une approche cosmique proche de celle
de François d’Assise. Nous pratiquons d’ailleurs la
permaculture et notre monastère est partie
prenante du “réseau des écosites sacrés”. » Cet
ancien agent de la répression des fraudes affiche
un œcuménisme débordant : « Notre liturgie est
très semblable à celle des catholiques, notre
DR
calendrier est grégorien, et nos chants le plus
souvent en français. » Ni Rome ni aucun patriarcat
ne les reconnaît, mais les rapprochements avec
l’Église de Vannes ou l’institut théologique
orthodoxe Saint-Serge, à Paris, sont fréquents.
Pour s’initier à cette tradition celto-orientale
disparue vers le XIIe siècle et ressuscitée vers
1866 par le prêtre dominicain Jules Ferrette, une
retraite à Saint-Dolay s’impose. Un conseil :
commencer l’immersion en feuilletant la série
policière de l’Irlandais Peter Tremayne, avec son
personnage de la religieuse chrétienne Fidelma,
rebelle face aux diktats canoniques romains…
JÉROME HOUYVET/ONLYFRANCE.FR
Q
u’on y arrive à pied ou à vélo, et de privilèges. Des origines de ce fa-
l’abbaye offre un magnifique ta- meux « roi breton », les historiens
bleau avec son église et ses ignorent tout. Mais on sait qu’il entra en
ruines romantiques nichées dans 831 au service des empereurs francs
la verdure, au pied du village. Ses bâti- Louis le Pieux et Charles le Chauve, fils
ments datent du XIIe siècle, mais sa fon- et petit-fils de Charlemagne, qu’il exerça
dation remonte à l’an 850. Six ermites qui son autorité sur une partie de la Bretagne
vivaient dans les bois, rapportent les sous le titre de dux, princeps ou gouver-
BRIDGEMANART.COM
chroniques bretonnes, allèrent trouver le nans in Brittaniam. Il mena aussi un
« roi breton » Nominoë pour lui deman- double jeu, conduisant des rébellions
der de construire une abbaye. Il accepta, contre les Francs. Résultat : les historiens
à condition que des reliques y soient vé- régionaux, au XVe siècle, en firent le fon- Portrait présumé de Jeanne Maillot, la mère
nérées, pour le protéger lors de ses expé- dateur de la Bretagne unifiée. Quant aux de Charles de Gaulle (v. 1920).
ditions. Par un mystérieux subterfuge, os de Magloire, mis à l’abri à Paris en 956
les ermites parvinrent à voler les reliques quand les Normands attaquèrent la Bre-
de saint Magloire aux moines de l’île de tagne, ils sont revenus à Léhon, mille ans Paimpont / abbaye Notre-Dame
Sercq et à les rapporter sur les bords de
la Rance. Nominoë tint sa promesse et
après leur départ… X
Les heures
combla la nouvelle abbaye de domaines INFORMATIONS : www.dinan-capfrehel.com. Ouvert tlj. bretonnes de la
famille de Gaulle
« Ici, Mme Henri de Gaulle a entendu le
18 juin 1940 l’appel de son fils, le général
de Gaulle, libérateur de la France »,
rappelle une plaque apposée sur une
maison en granit, dans le bourg de
Paimpont. À 100 m, au bord du lac,
s’ouvrent les portes de l’église abbatiale,
unique vestige de la riche abbaye fondée
au XIIIe siècle par des moines bénédictins.
« En 1939, Xavier, le frère aîné du Général,
était mobilisé comme officier de réserve
à l’école militaire de Coëtquidan et avait
YVON BOELLE/ONLY FRANCE
DR
Le roi Nominoë compte sur les prières des moines – et sur les os de saint Magloire. INFORMATIONS : www.abbayedepaimpont.org. Ouvert tlj.
B
lottie au cœur de la forêt de Quénécan,
l’abbaye est enfin sortie de son sommeil.
Cette histoire de Belle au bois dormant
commence en 1196, quand le vicomte
Alain III de Rohan fonde l’abbaye. Durant quatre
siècles, cette puissante famille lui assurera la
prospérité et en fera sa nécropole. Nombre des
seigneurs de Rohan et de leurs épouses reposent
encore dans la crypte de l’église. Mais patatras !
Après la Révolution, l’abbaye est vendue comme
bien national et tombe peu à peu en désuétude,
jusqu’à devenir une carrière de pierres. Elle est
réduite à l’état de ruines quand, un beau jour de
1986, une poignée de passionnés décide de rele-
ver le bâtiment. D’abord animée par des béné-
voles et financée par des dons, l’association des
Compagnons de l’abbaye de Bon-Repos, désor-
mais soutenue par diverses institutions, a mené
depuis un vaste chantier de restauration. Au-
jourd’hui, l’abbaye est ouverte au public. L’été,
elle est la scène d’un son et lumière avec 400 fi-
gurants en costumes, des chevaux, des car-
rosses, mais aussi des expos, un marché de pro-
duits locaux, une crêperie, des balades en petit
train et le désormais mythique trail du Guerlé-
dan (63 km, 2 500 m de dénivelé). L’hiver, les visi-
teurs laissent place aux ouvriers, qui pour-
suivent les travaux. X
DR
Art contemporain, expositions et, bien sûr, son et lumière, Bon-Repos ne somnole plus
grâce à l’activité débordante de l’association des Compagnons de l’abbaye ! INFORMATIONS : www.bon-repos.com. Ouvert tlj.
DOSSIER LA FRANCE DES ABBAYES
T
erres, forêts, métairies, moulins : Pillages, exécutions sommaires, actes de
durant des siècles, l’abbaye, fondée représailles se succèdent entre tenants de
en 1136 par le duc Conan III, a régné la République et contre-révolutionnaires
sans partage sur la région du chouans. Grâce à son isolement et à la
Faouët, au cœur de la basse Bretagne. En complaisance de ses habitants, l’abbaye
1789, la Révolution éclate. Après la sup- de Langonnet devient le refuge des
pression des ordres religieux, les moines troupes d’insurgés… Ils en seront délogés
sont expulsés, leurs terres sont revendues le 10 août 1795 par un détachement de sol-
comme bien national et l’abbaye, en partie dats républicains qui vandalisent les lieux
détruite, est louée à une famille de négo- et s’y installent pour surveiller les envi-
ciants… Mais, au village de Langonnet, les rons. Quelques mois plus tard, la région
méthodes de la République en agacent est pacifiée.
plus d’un. « En 1793, la levée de L’abbaye, devenue haras public sous Na-
300 000 hommes décrétée par la Conven- poléon Ier, ne retrouvera sa vocation reli-
tion cristallise le mécontentement des gieuse qu’en 1850. Aujourd’hui restaurée,
paysans de l’ouest de la France, la tenta- elle sert de lieu de repos aux mission-
tive de déchristianisation achève de les naires de la congrégation du Saint-Esprit,
fédérer. Les Bretons deviennent royalistes qui prennent toujours leurs repas dans la
et Langonnet s’insurge », relate l’historien salle capitulaire du XIIIe siècle… X
Pierre-Yves Quémener. La guerre de Ven-
dée (1793-1796), qui met la région à feu et INFORMATIONS : www.abbayedelangonnet.fr.
à sang, n’épargne pas le pays du Faouët. Ouvert tlj, mais réservations conseillées.
BRIDGEMANIMAGES.COM
BRIDGEMAN IMAGES
La population bretonne s’oppose à la levée de 300 000 conscrits décidée par la Convention et se révolte. Des chouans feront de la vieille abbaye
médiévale leur refuge et harcèleront sans relâche les « Bleus ». • « La Bataille de Quiberon », de Jean Soreuil (1824-1871). Musée des Beaux-Arts, Arras.
amateurs de découvertes. X
Abbaye de
Chapelle
Matisse
Silvacane NICE
des Saintes-Maries- Abbaye
de-la-Mer de Lérins
MARSEILLE Abbaye du
Basilique Thoronet
Saint-Victor Basilique
Sainte-
Madeleine
BASTIA
Couvent
d’Alesani
JEROME KELAGOPIAN
E
n 2019, il n’y a pas plus chic que l’abbaye
cistercienne de Lérins. Face à Cannes, nos
MOIRENC CAMILLE/HEMIS.FR
CHRISTOPHE GRÉMIOT
l’année des concerts et des expositions
d’artistes contemporains. X
INFORMATIONS : http://www.abbaye-silvacane.com. Pillée puis abandonnée après les guerres de Religion, l’abbaye échappe à un triste destin
Ouvert tlj sauf lundi. – devenir une carrière de pierres. Aujourd’hui, le chant grégorien a laissé la place au piano.
Ganagobie / restaurées, elles permettent de parcourir par la loi de 1901. Réfugiés en Italie, puis
monastère Notre-Dame du regard ce grand livre d’images qui installés pendant soixante-dix ans à
S
elon la tradition, une barque aurait présentes au pied de la Croix au moment Jean l’évangéliste et Jacques, vénéré à
accosté il y a deux mille ans sur le de sa crucifixion : Marie-Madeleine, Ma- Compostelle – s’établirent dans ce delta
rivage de l’actuelle ville de Saintes- rie-Salomé et Marie-Jacobé. du Rhône. La ville antique est évangélisée
Maries-de-la-Mer, capitale de la Ca- Si la première partit vivre en retrait du à l’initiative de Césaire, évêque d’Arles,
margue. À son bord, un groupe de chré- monde au creux des falaises provençales qui y installe une communauté de mo-
tiens persécutés ayant quitté la Palestine. de la Sainte-Baume, Marie-Jacobé ainsi niales. L’église du monastère sera forti-
Parmi eux, les trois disciples de Jésus que Marie-Salomé – mère des apôtres fiée au XIIe siècle pour se protéger de la
piraterie sarrasine. En 1448, des fouilles
ordonnées par le roi René permirent de
Trois Marie ont découvrir les reliques de Marie-Jacobé et
abordé la côte, deux de Marie-Salomé. Un sanctuaire fut alors
sont restées… et construit pour abriter leur corps et devint
parcourent encore vite un important lieu de pèlerinage. À
les rues de la cité, leur intention, mais pas seulement…
chaque 25 mai. Un autre très grand culte vit le jour en la
personne de la brune Sarah, la servante
des deux Maries, considérée comme
leur sainte patronne par les Gitans. Dès
le XVe siècle, grâce à la place que lui fit
le roi René, le pèlerinage des Gitans
dans ce sanctuaire ne fit que prendre de
l’ampleur. Jusqu’à aujourd’hui où,
chaque 24 et 25 mai, des milliers de gens
du voyage venus des quatre coins de
l’Europe se retrouvent pour vénérer les
reliques des deux Marie et suivre les
processions avec la statue de Sarah.
Deux autres pèlerinages provençaux s’y
MOIRENC CAMILLE/HEMIS.FR
D
totale, une réussite… ans l’arrière-pays niçois, sur les hauteurs
de Vence, une grande croix en fer forgé
s’élance vers le ciel comme pour mieux
signaler la présence du petit bâtiment qui
lui sert d’assise. Ornée de croissants de
lune et de flammes dorées, elle jaillit dans le paysage
depuis un toit aux tuiles bleues et blanches dont
l’originalité tranche avec la simplicité architecturale de
l’édifice. La chapelle du Rosaire des sœurs dominicaines
ne fait pas montre d’une beauté ostentatoire ni d’un
luxe tapageur. Henri Matisse, son concepteur, l’a voulue
épurée. Le maître du fauvisme s’est investi avec passion
dans ce projet, imaginant ses plans du sol au plafond.
Quatre ans de travaux (1947-1951) ont été nécessaires
pour que cette chapelle voie le jour. L’artiste, alors âgé
de 80 ans, « la considère malgré toutes ses imperfections
comme [son] chef-d’œuvre ». À l’intérieur, de grands
vitraux colorent les trois œuvres murales réalisées en
DIMITRI KESSEL/THE LIFE PICTURE COLLECTION/GETTY IMAGES
aux Saintes-Maries (lire p. 36), elle aurait ouvrage, Les Pierres sauvages, qui
d’abord prêché la bonne parole à Mar- recevra le prix des Deux Magots en
seille, avant de choisir de vivre en retrait 1965. Ce roman, qui se présente
du monde à partir de l’an 47 au milieu de Les reliques de Marie-Madeleine, comme le journal du maître d’œuvre
cette barre rocheuse. miraculeusement redécouvertes en 1279. qui, au XIIe siècle, édifia l’abbaye,
C’est lors de fouilles, à l’initiative de célèbre la rencontre entre l’art et la
Charles d’Anjou, roi de Naples et comte la période post-révolutionnaire a mis foi, et demeure encore aujourd’hui le
de Provence, que les reliques de Marie- entre parenthèses l’intense activité reli- bréviaire indispensable pour
Madeleine auraient été retrouvées en gieuse sur la Sainte-Baume, avant la réap- comprendre ce lieu magique. X
1279 dans une crypte. Lieu sur lequel il fit parition des dominicains en 1859. X
bâtir la basilique de Saint-Maximin ainsi INFORMATIONS : www.le-thoronet.fr. Ouvert tlj.
qu’un couvent – il désigna les domini- INFORMATIONS : http://www.paroissesaintmaximin.fr.
cains pour garder ces lieux sacrés. Seule Ouvert tlj.
Un joyau
provençal
en péril
DR
Notre-Dame de Sénanque fut la quatrième abbaye cistercienne fondée en Provence, après Le Thoronet, Aiguebelle et Silvacane. Aujourd’hui,
des désordres structurels importants menacent l’abbatiale, balafrée par des fissures qui ne cessent de s’élargir.
S
ituation d’urgence à l’abbaye de Sénanque ! Les chaque année, d’attirer toujours autant de visiteurs :
failles qui entaillent la voûte de l’église abbatiale et 400 000, précisément, ce qui en fait le deuxième monu-
les fissures qui lézardent ses murs n’augurent rien ment le plus touristique du Vaucluse ! Si l’abbaye est en
de bon. Si d’importants travaux de consolidation situation de grand danger, cette communauté religieuse
– évalués à 1,2 million d’euros – ne sont pas rapidement en a pourtant vu d’autres. Les incendies, le brigandage,
entrepris, l’édifice menace de s’effondrer. C’en serait les guerres, les expulsions se sont succédé au cours des
alors fini de cette abbaye emblématique du Vaucluse, bâ- siècles, mais elle a toujours trouvé les capacités de se
tie au milieu du XIIe siècle au creux d’un vallon verdoyant. relever et de prospérer. Une communauté qui mise désor-
Finie aussi l’existence, au milieu de ces pierres chargées mais sur les mécènes et les donateurs pour que l’histoire
d’histoire, de la petite communauté de moines cisterciens de Sénanque se poursuive. D’ores et déjà, des échafau-
qui perpétue la tradition des fondateurs en suivant la dages de maintien provisoires ont été installés. Mais cha-
règle de saint Benoît. Une communauté active, bien cun ici espère que le provisoire ne dure pas, afin que ce
connue pour ses champs de lavandins que les moines patrimoine en péril puisse se survivre à lui-même. X
cultivent autour de l’abbaye pour en tirer des huiles es-
sentielles. Une image de carte postale qui continue, INFORMATIONS : www.senanque.fr. Ouvert tlj.
de Chateaubriand
P
lus funèbre, plus shakespearien,
plus immensément historique,
ça n’existe pas. Alors, on se de- « Au milieu des ossements,
mande bien pourquoi aucun réa-
lisateur n’a jamais eu l’idée de je reconnus la tête de la reine
consacrer un film à la gigan-
tesque exhumation des dépouilles prin- par le sourire que cette tête
cières de l’ancienne abbaye royale. Dans
l’odeur fétide des caveaux de la basilique, m’avait adressé à Versailles »
les restes de 46 rois, 32 reines, 63 princes
et dix serviteurs de la couronne sont ex-
humés sur ordre de la Convention, de l’au-
tomne 1793 à janvier 1794. « La main puis-
sante de la République doit effacer
impitoyablement ces épitaphes superbes
et démolir ces mausolées qui rappelle-
raient des rois l’effrayant souvenir », ex-
plique Barrère en juillet 1793.
Une fois le plomb et les
objets précieux récupé- Francois Joseph
rés, les dépouilles sont Heim peint le
précipitées dans deux retour des
fosses creusées sur le ossements royaux
parvis. Une poubelle de dans la basilique,
l’Histoire où tout l’An- en janvier 1817.
cien Régime doit se Parmi eux, un crâne,
consumer dans la chaux reconnu par
l’écrivain…
vive. Du mérovingien
Dagobert en passant par
le premier capétien, Hugues, pour finir par
le dernier disponible : Louis XV. « Son ca-
davre, encore entier, flottait dans une as-
sez grande quantité d’eau salée. […] Le
tout répandait une odeur épouvantable. »
Le paradoxe, c’est que cette version répu-
blicaine du Jugement dernier consacre
l’ancienne abbaye comme nécropole
royale. D’abord, parce que Louis XVIII
fera exhumer les restes des fosses com-
munes en 1817 pour réintégration dans la
basilique. Ensuite et surtout parce qu’une
Commission des monuments issue de la
Convention avait eu la sagesse de mettre
à l’abri 80 % des monuments funéraires de
la basilique. Ainsi naissaient le tout pre-
BRIDGEMAN IMAGES/LEEMAGE
Paris / Saint-Germain-des-Prés
Une grande dame des lettres
Elle est l’âme de ce quartier science historique. Avec Mabillon
lettré, reconstruite au XIe siècle ou Jacques Bouillart naissent la
sur une première église paléographie, la patristique et
mérovingienne. Bâtie à l’extérieur l’historiographie. Sa bibliothèque
de la muraille de Philippe fait l’admiration des érudits du
Auguste (XIIIe s.), elle affirme monde entier. À la Révolution,
ainsi une certaine autonomie par l’église est transformée en
rapport à l’autorité royale. Au fabrique de salpêtre. En 1794, une
MARC-ANTOINE MOUTERDE/CIRIC
La tombe
perdue
de Clovis
«
I
l mourut à Paris et fut enseveli
dans la basilique des Saints-
Apôtres que lui-même avait
construite avec la reine Clotilde. » C’est
ainsi que s’achève le livre II de l’Histoire
des Francs. Grégoire de Tours rappelle que
sainte Geneviève y fut inhumée vers 502
par la volonté du roi – qui voulait honorer
celle qui avait repoussé l’assaut des Huns
BRIDGEMANIMAGES.COM
Saint-Maur-des-Fossés / Élancourt /
abbaye Saint-Maur commanderie de Villedieu
L
’abbaye « Saint-Pierre de Fossez », sainte, c’est le but d’une commanderie
GAUTIER STEPHANE/SAGAPHOTO.COM
fondée en 639, devient « Saint-Maur – « circonscription avec une maison mère
de Fossez » lorsqu’en 868 elle reçoit […] et un certain nombre de maisons […]
les reliques de saint Maur, un dis- et domaines dépendants », précise
ciple de saint Benoît. Commence alors l’historien Alain Demurger – comme celle
un âge d’or intellectuel et économique. de La Villedieu, fondée à la fin du XIIe siècle.
Du scriptorium des moines bénédictins Notre-Dame des Miracles, priée depuis 1328. Après la dissolution de l’ordre en 1312, elle
sortent des manuscrits exceptionnels, passe aux Hospitaliers puis, en 1474, à
aujourd’hui conservés à la Bibliothèque entendu une voix. Lorsqu’il revient, l’hôpital Saint-Jean-de-Latran à Paris.
nationale de France et à la médiathèque l’œuvre en bois polychrome est achevée. Ruinée durant la guerre de Cent Ans, elle
de Troyes. Parmi eux, le Livre noir, un Cette statue achéiropoïète (« image due est transformée en ferme au XVe siècle.
cartulaire détaillant l’état des domaines à un miracle ») est connue sous le nom de C’est aujourd’hui un établissement culturel,
de l’abbaye, et qui constitue une source Notre-Dame des Miracles. Ruinée par la qui appartient à l’agglomération de
d’information importante sur l’organisa- guerre de Cent Ans, l’abbaye tombera en Saint-Quentin-en-Yvelines. X
tion au XIIe siècle. Une légende rapporte ruine avant même la Révolution. X
qu’un moine travaillant sur une statue de INFORMATIONS : www.saint-maur.com. La statue INFORMATIONS : /www.lacommanderie.sqy.fr.
la Vierge sort de l’atelier croyant avoir Ouvert du mercredi au dimanche.
Paris / abbaye Saint-Pierre de Montmartre charme de l’une d’entre elles, Marie de Beauvilliers, âgée de
16 ans. Certains historiens assurent qu’il s’agirait de sa sœur
Un loup dans aînée, Claude de Beauvilliers. Mais Henri Sauval (1623-1676) écrit
dans ses Amours des rois de France : « Le couvent ne
une bergerie fut guère mieux conservé que les religieuses ;
et le roi, dit-on, se trouva si bien avec
Jouissant d’une réputation de sainteté l’abbesse qu’autant de fois qu’il parlait
par leur dévotion et l’austérité de de ce couvent, il l’appelait son
leur vie, les bénédictines de monastère, et disait qu’il en avait
l’abbaye royale de Montmartre, été religieux. » Elle devient sa
fondée en 1133, ont animé l’une maîtresse et, une fois le siège
des plus importantes levé, elle présente à Henri IV sa
institutions de l’Ancien cousine Gabrielle d’Estrée, qui
Régime. Et aussi l’une des plus lui sera préférée. En guise de
riches. Les pèlerins y venaient dédommagement, le roi lui
de toutes parts et Montmartre trouve une place de choix et la
dépendra économiquement fait nommer abbesse de
de l’abbaye pendant près de Montmartre. Devenue pieuse,
six cents ans. Pourtant, elle ne cessera jusqu’à son
d’exemplaire, la conduite des retrait, en 1657 – elle meurt dix
moniales sombra peu à peu. ans plus tard –, de remettre de
L’épisode du siège de Paris en 1590 l’ordre dans le délabrement
reste à ce titre marquant. matériel et spirituel dans lequel était
Henri IV et ses troupes installent deux tombé le couvent. X
pièces d’artillerie sur la Butte. Le roi loge à
INFORMATIONS : www.saintpierredemontmartre.net. Ouvert tlj.
l’abbaye. De ce séjour du Vert Galant parmi
BIANCHETTI/LEEMAGE
INFORMATIONS : jerusalem.cef.fr/paris-saint-gervais.
Ouvert tlj.
BRITISH LIBRARY BOARD/ROBANA/LEEMAGE
Un ange remet à un ermite de Joyenval les nouvelles armoiries de Clovis : trois fleurs de lys.
Le saint homme les transmettra à la reine, qui en revêtira enfin le roi franc devenu chrétien.
D
étruite à la Révolution, ange demandait à Clovis de retirer de
l’abbaye, dont il ne reste ses armes les « trois croissants ou trois
que quelques ruines, fut crapauds » et d’adopter un écu « dont
FMJ - FRATERNITES-JERUSALEM.ORG
PHOTO12/ALAMY
Paris / couvent des Cordeliers Madeleine, associée au couvent, consacrée en 1262, était
l’une des plus grandes de la ville et la bibliothèque comp-
Franciscains ta plus de 20 000 manuscrits. Au XVIe siècle, l’activité
monastique reprit le dessus sur l’enseignement. Un incen-
D
ès le Ve siècle, de très prestigieux monastères se dissous en 1790, la vaste église est occupée par la Société
sont installés à Paris, par exemple Saint-Germain- des amis des droits de l’homme et du citoyen, connue
des-Prés ou Saint-Denis. La plupart ont été englou- sous le nom de « club des Cordeliers ». Danton, Marat,
tis par l’essor urbain. Du couvent des Cordeliers de Desmoulins s’y rencontrent ; le club dynamise la Révolu-
Paris, fondé sous Louis IX, ne subsiste plus aujourd’hui tion – même s’il est déplacé à l’hôtel de Genlis en
que le réfectoire, qui vient de faire l’objet d’une restaura- mai 1791. Après la fermeture du club en 1795, l’église est
tion remarquable. Jusqu’à la Révolution, il s’agissait de démantelée. L’école de médecine utilise les bâtiments
l’un des plus vastes ensembles parisiens. Chapelle, biblio- conventuels, avant qu’ils soient abattus en 1877 ; seul le
thèque, cloître, jardins avaient été peu à peu construits sur réfectoire survécut. Le musée Dupuytren, consacré à
un vaste espace concédé à l’extérieur de l’enceinte pari- l’anatomie, y fut fondé en 1835. X OLIVIER COQUARD
sienne de Philippe Auguste. Les bâtiments abritaient une
intense activité intellectuelle : en 1231, le couvent avait INFORMATIONS : refectoiredescordeliers.rivp.fr. Site fermé pour cause
acquis le statut de collège universitaire. L’église Sainte- de travaux.
Le mystère de l’octogone
STRASBOURG
TROYES Abbaye
Abbaye d’Ebersmunster
de Clairvaux
E
n faisant construire une abbaye à cette même forme. Sans doute Rodolphe Abbatiale
Ottmarsheim vers 1040, Rodolphe, ignore-t-il qu’Aix s’inspire de Saint-Vital d’Ottmarsheim
ancêtre des Habsbourg, participe à de Ravenne, qui s’inspire de Saints-Serge-
la renaissance du Saint Empire ro- et-Bacchus de Constantinople ! L’octo-
main germanique, alors dirigé par Ot- gone, transition parfaite entre la terre L’architecture de l’abbatiale
ton Ier. Le pouvoir des héritiers des Caro- (carré défini par les quatre points cardi- (en haut, à g.) s’inspire de
lingiens est symbolisé par la chapelle naux) et le ciel (cercle sans début ni fin), l’église Saints-Serge-et-
octogonale d’Aix-la-Chapelle, où les em- est plus qu’un symbole carolingien : c’est Bacchus de Constantinople
pereurs se font couronner. La couronne l’harmonie entre les hommes et Dieu. X (en bas,à g.) et aussi
impériale est elle-même octogonale. de la chapelle palatine
L’église d’Ottmarsheim adoptera donc INFORMATIONS : www.ottmarsheim.fr. Ouvert tlj. d’Aix-la-Chapelle (à dr.) .
AKG-IMAGES/GERARD DEGEORGE
RIEGER BERTRAND/HEMIS.FR
Les morceaux de
l’ampoule seront
récupérés discrètement
par quelques spectateurs,
une partie de son contenu L’austérité bénédictine fait place à l’exubérance du baroque…
ayant déjà été vidée
nuitamment par l’abbé
Ebersmunster / abbatiale Saint-Maurice
PASCAL LEMAÎTRE/CENTRE DES MONUMENTS NATIONAUX
Q
u’est-ce qu’un reclusoir ? C’est ce
que nous explique Alain Renard,
président des Amis du patrimoine Au début des
de Mouzon : ce terme fait référence
Dom Pérignon,
entre légende et vérité
SOBERKA RICHARD/HEMIS.FR
E
xact contemporain de Louis XIV, dom Sa vie durant,
Pérignon (1638-1715) s’occupait bien de la dom Pérignon
vinification à l’abbaye d’Hautvillers. En mènera un
revanche, il n’est pas à l’origine de la travail de
« méthode champenoise » – c’est-à-dire bénédictin pour
l’effervescence du vin, due aux Anglais. Son apport est réaliser les
tout autre. Dom Pérignon invente l’« assemblage meilleurs
raisonné ». Jusque-là, dès la vendange faite, les assemblages de
cépages.
moines venaient prélever la dîme – un dixième de la
récolte – sans souci des cépages. Dom Pérignon met
en place une nouvelle pratique : une grappe de chaque
parcelle doit être posée sur le bord de sa fenêtre. Au
petit matin, le palais vierge de tout aliment, il goûte
les raisins et formule un assemblage qui permet de
gommer les défauts de certaines parcelles et
d’obtenir une qualité régulière d’année en année. Le
résultat ne se fait pas attendre : les vins d’Hautvillers
se vendent fort bien, au grand bénéfice de l’abbaye.
Après la Révolution, les moines, qui cherchent à
BRIDGEMANIMAGES.COM
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RI M
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NDS MANUEL/ENAP–CR
HCP
Depuis 1808, les
bâtiments de l’abbaye
SONNET SYLVAIN/HEMIS.FR
Ville-sous-la-Ferté / abbaye de Clairvaux n’ont été ni jugés ni condamnés. Leur forte organisation les
Ténors des barreaux amène à refuser le traitement des prisonniers de droit commun
et ils obtiennent de mettre en œuvre des conférences, contreve-
nant ainsi à l’obligation de silence qui règne alors dans les pri-
«
O
n suit les soubresauts de l’Histoire à travers les inter- sons. En 1941, ces internés sont rejoints par les résistants arrêtés
nés de la prison centrale de Clairvaux », déclarent par les Allemands, comme le jeune Guy Môquet, qui sera fusillé.
Dominique Fey et Lydie Herbelot, spécialistes de À partir de 1944, les choses s’inversent : Clairvaux devient la pri-
l’histoire carcérale de cette abbaye, célèbre d’abord son VIP des vichyssois, de Xavier Vallat, commissaire général aux
pour avoir été fondée par saint Bernard au XIIe siècle. Si plusieurs Questions juives, à Lucien Rebatet, journaliste à Je suis partout,
abbayes ont été transformées en prisons par la volonté de Napo- en passant par Benoist-Méchin, membre du gouvernement de
léon, aucune n’a reçu autant de prisonniers politiques que Clair- Vichy, et Pierre-Antoine Cousteau, collègue de Rebatet. Tous ont
vaux. Dans le grand cloître de 52 m de côté transformé en cel- été condamnés mais bénéficieront d’une remise de peine. Charles
lules, le défilé commence au XIXe siècle avec les canuts lyonnais. Maurras est sans doute le plus prestigieux de ces résidents. Âgé
Parmi les communards en 1871, on retrouve Auguste Blanqui. de 77 ans, il est libre de déjeuner avec les autres prisonniers,
L’apogée est atteint lors de la Seconde Guerre mondiale. Clair- d’écrire, de recevoir des visites. À son service, et faisant office de
vaux est d’abord le lieu de détention des « internés administra- majordome, se trouve un autre interné à l’histoire mouvementée :
tifs » : le parti communiste a été interdit par décret en septembre Eugène Rosenfelder. Espion au service de l’Allemagne avant la
1939 puisque la France est en guerre contre l’Allemagne nazie et guerre, il a été arrêté en 1939, libéré sous l’Occupation puis réin-
que Hitler et Staline ont conclu un pacte. Les communistes fran- terné à la Libération… X
çais sont donc perçus comme des ennemis de l’intérieur. Le direc-
teur de Clairvaux est bien marri de voir arriver ces militants : ils INFORMATIONS : www.abbayedeclairvaux.com. Ouvert tlj.
A
utrefois fermées au monde, MIC
HA
TAS
de la tentation
BIANCHETTI/LEEMAGE
Prêcheur exalté, Robert d’Arbrissel teste sa résistance au désir en couchant au milieu des religieuses. Ce qui n’ira pas sans médisances…
D
u haut de Fontevraud, dix siècles nous contemplent. chissent à tout va. Robert d’Arbrissel se fait ermite, puis
Fondé en 1101, c’est un lieu chargé d’histoire : on y prédicateur. En 1099, l’évêque de Poitiers lui octroie un
trouve les Anglais, un ermite, de la mixité et des vallon, dans la province d’Anjou. Il y fonde l’abbaye de
prisonniers. Le Breton Robert d’Arbrissel Fontevraud en 1101. Robert fait scandale : son abbaye est
(v. 1047 - v. 1117) brillant étudiant en théologie, ermite, af- mixte ! Elle accueille hommes et femmes et ne les sépare
fiche à la fin de ce XIe siècle des positions audacieuses. Il pas. De plus, l’ancien ermite se pique de syneisaktisme,
est adepte de la pensée grégorienne, qui affirme la primau- une pratique qui consiste à soumettre sa foi à la tentation :
té de l’Église sur le pouvoir royal, le contrôle des moines le vœu de chasteté étant de mise, le prieur couche chaque
sur les comptes des religieux, la puissance du pape et le nuit au milieu des religieuses. Les autorités ecclésias-
célibat des prêtres. tiques tordent le nez devant tant d’abnégation. Il reprend
Dit comme cela, rien ne semble révolutionnaire dans la sa vie de prêche après avoir lancé son abbaye, qui va rapi-
pensée propagée par le pape Grégoire VII, mais, alors que dement s’étendre. À sa mort, vers 1117, on se hâte d’ou-
l’Église est en crise, la réforme cause un certain bruit. La blier cet étonnant fondateur. Moderne avant la lettre,
moralisation par la chasteté est en marche, dans une pé- d’Arbrissel impose que l’abbé chargé de diriger Fonte-
riode où les princes de l’Église concubinent et s’enri- vraud soit une abbesse. L’abbaye devient un ordre qui
A
u début du XIe siècle, un prieuré est fondé à chant grégorien. En 1880, le manuel fixant les règles du
Solesmes. Jusqu’au XIXe siècle, il ne se passe… chant sacré est publié. Depuis lors, l’abbaye de Solesmes
rien ! Le prieuré atteint péniblement les promeut le chant grégorien avec, en 1954, l’édition
12 moines en moyenne, traverse les guerres sans d’un manuel de sémiologie grégorienne. En termes de
événements notables. En 1791, les religieux sont expulsés. musicologie, Solesmes est dans le ton. X
En 1825, des marchands rachètent l’ancien prieuré et, en
INFORMATIONS : www.abbayedesolesmes.fr. Ouvert tlj.
1832, décident de le démolir. Ite missa est ? Non ! Le
11 juillet 1833, des moines menés par
dom Prosper Gueranguer décident de
réinvestir les lieux. L’obstiné va rendre
célèbre son abbaye en restaurant le
chant grégorien – musique liturgique
de l’Église catholique, « allégée et
modifiée » par Rome au XVIe siècle. En
ce début de XIXe siècle, il ne reste rien
de cet art sacré. Ou presque : dom
Prosper Gueranguer exhume des
manuscrits, retrouve des partitions.
Pour déchiffrer les écrits venus du
passé, deux moines viennent à sa
ARCHIVES ABBAYE SAINT-PIERRE DE SOLESMES
BRIDGEMANIMAGES.COM
rangelle devient centrale dans la
vie du royaume. Le roi Charles VI INFORMATIONS : www.tours-tourisme.fr/
agenda/682728-rendez-vous-tours--lancienne-
a épousé Isabeau de Bavière en
abbaye-de-marmoutier. Visites guidées
1385. Il guerroie contre les An- les 1er, 15, 22 et 29 juillet, les 5, 12 et 26 août La reine Isabeau, en pleine guerre de Cent Ans, mène grand
glais et doit se méfier des intri- et le 13 septembre. train dans la charmante abbaye tourangelle.
Le jeune Louis, futur Louis IX (ici, un portrait de jeunesse présumé), fait rebâtir l’abbatiale après un miracle de la Vierge.