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Auteur :
Dimitri Houtcieff, professeur à l'université Paris-Saclay
L'absence de date sur l'acte de cautionnement ou dans la mention manuscrite n'est pas une cause de nullité de cet acte.
Une personne physique s’était rendue caution de l’exécution par une société de deux contrats de crédit-bail portant sur du matériel auprès d’une
banque. La société fut placée en liquidation judiciaire et la banque assigna la caution en paiement. Cette dernière opposa la nullité de ses
engagements en raison, notamment, de leur absence de datation. Les cautionnements ayant été souscrits à durée déterminée, la caution prétendait
qu’elle n’avait pas été en mesure d’appréhender la durée de son engagement en l’absence de la spécification d’un quelconque point de départ sur les
garanties.
Cette argumentation ne convainquit pas les juges de première instance. Le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer releva qu’il ne ressortait
« d’aucune disposition légale que la datation de l’engagement de caution [fût] prescrite à peine de nullité » : il jugea donc que « l’absence de date
n’était pas une cause de nullité et que ce fait n’empêchait pas la caution d’avoir eu une connaissance suffisante de l’étendue de l’engagement »1. La
cour d’appel de Douai infirma ce jugement2. Selon elle, en effet, « si la datation de l'engagement de caution n'est pas une mention prescrite à peine de
nullité, il n'en demeure pas moins qu'elle a une incidence sur le point de départ de la durée déterminée qui doit être précisée dans la mention
manuscrite prescrite par l'article L. 341-2 du Code de la consommation » dans sa rédaction alors applicable. Or, en l’espèce, les durées des crédits-bails
indiquées sur l'acte de caution de 60 et 36 mois étaient inférieures aux durées des engagements de caution, et aucune clause des actes de
cautionnement ne précisait le point de départ de l'engagement de la caution ni n'indiquait qu'il correspondrait à la date de départ du contrat
cautionné : la banque avait elle-même admis dans ses conclusions que les dates de départ et de fin du contrat garanti avait « fait l’objet d’une
adjonction postérieure ». Relevant encore « qu’aucun élément ne [permettait] d’établir à quelle date la caution [avait] reproduit la mention manuscrite,
de sorte qu’il [n’était] même pas certain qu’au moment de son engagement elle connaissait la date de début du contrat », la cour d’appel en déduisit
que « l’omission portant sur la datation des actes de cautionnement [avait] nécessairement affecté la compréhension de la portée de l’engagement de
la caution, puisqu’il n’était pas possible de déterminer le point de départ de la durée de ceux-ci » : elle prononça l’annulation des garanties considérées.
La banque se pourvut en cassation, faisant valoir que l’absence de date sur l’acte de cautionnement ne pouvait fonder aucune action en nullité. Par cet
arrêt du 15 mai 2019, la Cour de cassation accueille cette argumentation et censure froidement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai : « en statuant
ainsi, alors que l'absence de date sur l'acte de cautionnement ou dans la mention manuscrite n'est pas une cause de nullité de cet acte, la cour d’appel
a violé les [articles 2292 du Code civil et L. 341-2 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars
2016] ».
L’affirmation n’est pas absolument inédite. La chambre commerciale a déjà affirmé – par une décision d’ailleurs évoquée par le jugement rendu dans
cette affaire par le tribunal de Boulogne-sur-Mer – que « l’absence de date sur l’acte de cautionnement ne peut fonder une action en nullité »3. L’arrêt
commenté va cependant un brin au-delà, qui précise que la solution ne varie pas même en l’absence de date « dans la mention manuscrite ». De prime
abord, cette position peut surprendre. Certes, la mention manuscrite de l’article L. 341-2 – devenu L. 331-1 – n’exige aucune datation du cautionnement4.
Pour autant, à quoi bon préciser la durée du cautionnement, comme l’exige la disposition considérée, s’il est impossible d’en déterminer le point de
départ en l’absence de date précise ? Comment s’assurer de ce que la caution a mesuré la portée et l’étendue de son engagement si, comme en
l’espèce, le moment de la rédaction de la mention manuscrite est douteux et qu’il n’est pas contesté que le cautionnement litigieux n’a été daté qu’a
posteriori par le créancier ?
À bien y réfléchir, la position retenue par la Cour de cassation doit malgré tout être approuvée. Si le cautionnement doit être exprès et s’interprète
restrictivement – ainsi que l’affirme l’article 2292 du Code civil qui fonde également la censure –, il n’en demeure pas moins un contrat consensuel5 : à
défaut de disposition contraire, sa validité n’est soumise à aucune forme particulière, au point qu’il peut en théorie être verbal6. Les règles de forme ont
beau avoir crû et multiplié en matière de cautionnement, l’exception du formalisme n’a pas à déborder le principe du consensualisme : les mentions
manuscrites imposées afin de protéger la caution ne sauraient être appliquées autrement que restrictivement. Peut-être faut-il reprocher au législateur
de n’avoir pas imposé la précision des dates de départ et de fin de l’engagement ? Il ne revient cependant pas au juge de pallier cette carence. Le
formalisme est par nature la chose du législateur7 : les tentatives de formalisme prétorien ont d’ailleurs laissé quelques mauvais souvenirs en matière
de mention manuscrite et de cautionnement8…
Que le défaut de datation ne soit pas une cause de nullité du cautionnement ne signifie pas qu’il soit sans conséquence, à ceci près qu’elles retentissent
sur le terrain de la preuve. Comme l’a affirmé il y a près de 25 ans la même chambre commerciale, l'absence de date sur le titre constatant
l'engagement de la caution affecte sa valeur probante9. Il appartient donc au créancier – le cas échéant – de rapporter la preuve de la date de
l’engagement selon les dispositions rigoureuses du Code civil10. Évidemment, la caution a peu à espérer d’une pareille affirmation : lorsque le créancier
s’enquiert de démontrer la date du cautionnement, c’est souvent parce qu’il prétend que ses droits l’emportent sur ceux d’autres et non pour attester
de la réalité de la dette de la caution. L’orthodoxie de la décision commentée n’en doit moins être saluée. Préservant autant que faire se peut
l’engagement de la tentation du formalisme, elle cantonne la protection de la caution à la mesure du nécessaire : en tant qu’il est une garantie, le
cautionnement ne saurait être tendu vers autre chose que les intérêts du créancier.
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NOTES DE BAS DE PAGE
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3 – Cass. com., 1er févr. 2011, n° 09-17411. Adde déjà, mais implicitement : Cass. com., 12 juill. 2004, n° 03-13937 ; Cass. com., 29 oct. 2002, n° 99-19087 ;
Cass. com., 8 févr. 1994, n° 91-16855.
4 – Selon cette disposition, « Toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier
professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci : “En me portant caution de X………, dans la
limite de la somme de……… couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée
de………, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X……… n’y satisfait pas lui-même”. »
5 – Sur cette question, v. Barthez A.-S. et Houtcieff D., Traité des sûretés personnelles , 2010, LGDJ, spéc. 498 et s.
6 – Cass. civ., 10 mai 1909 : DP 1911, 1, p. 439 ; S. 1912, 1, p. 169 – Cass. req., 8 juin 1931 : Gaz. Pal. 1931, p. 245 ; Cass. req., 7 mars 1932 : S. 1932, 1, p. 128.
7 – Flour J., « Quelques remarques sur l’évolution du formalisme », Le droit français au milieu du XX e siècle, Études Ripert, t. 1, 1950, LGDJ, p. 97 et s.
8 – On se souvient comment, en prenant appui sur les articles 2292 et 1326 (devenu 1376) du Code civil, la première chambre civile a un temps
affirmé que les formalités requises de la caution au titre de la mention manuscrite « ne constitu[aient] pas des règles de preuve, mais [avaient] pour
finalité la protection de la caution ». Parmi de très nombreux exemples, v. Cass. 1re civ., 22 févr. 1984, n° 82-17077 : Bull. civ. I, n° 71 ; JCP G 1985, II
20442, note Storck M. – Cass. 1re civ., 30 juin 1987, n° 85-15760 : Bull. civ. I, n° 210 ; D. 1987, p. 442, obs. Aynès L. V. égal. Sargos P., « L’opération glasnost
de la Cour de cassation en matière de cautionnement ou cinq brèves observations sur une jurisprudence », Gaz. Pal. Rec. 1998, 1, doct., p. 209.
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Dimitri Houtcieff, professeur à l'université Paris-Saclay
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