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Généralités sur le droit à la nationalité

Éric MONTCHO AGBASSA


Agrégé des Facultés de Droit
Université d’Abomey-Calavi
Introduction
La nationalité peut être un sujet banal, dans la mesure où on est appelé à décliner sa
nationalité à chaque coin de rue. Il suffit, cependant, d’envisager les conséquences de sa
négation, l’apatridie1, pour mesurer l’importance qu’elle revêt pour chaque personne2.
Au sens étymologique, le terme « nationalité » dérive du mot « nation » et suggère que
la nationalité traduit l’appartenance d’une personne à une nation. Au sens sociologique,
la nationalité exprime le lien d'un individu avec une nation, c'est-à-dire une
communauté de personnes unies par des traditions, des aspirations, des sentiments ou
des intérêts communs. C'est donc la volonté, fondée sur un ou plusieurs éléments
communs, de vivre avec un groupe d'individus. Pour le juriste, la nationalité est « un
lien juridique et politique, défini par la loi d’un Etat, unissant un individu audit Etat »3.
En clair, la nationalité sert à identifier une personne par rapport à un Etat. On la distingue
de la notion de « citoyenneté », car par citoyen, on désigne une « personne qui, dans un
Etat démocratique, participe à l’exercice de la souveraineté, soit dans la démocratie
indirecte par l’élection de représentants, soit dans la démocratie directe par
l’assistance à l’assemblée du peuple »4. La citoyenneté a donc « des connotations de
participation et d’exercice des droits civils et politiques qui ne sont pas portées par le
mot de nationalité5 ».
La notion de nationalité est plus précise que celle de citoyenneté, car aux termes de
l’article 1er de la Convention de la Haye du 13 avril 1930 relative aux conflits de lois
sur la nationalité, « il appartient à chaque Etat de déterminer par sa législation quels
sont ses nationaux… ». Cette compétence exclusive de l’Etat l’autorise à fixer les règles
générales applicables à la nationalité qui reposent sur deux piliers : les modes d’accès à
la nationalité (I) et voies de rupture du lien de nationalité (II).
I-L’accès à la nationalité
L’accès à la nationalité se fait par deux modes : l’attribution (A) et l’acquisition (B).
A- L’attribution de la nationalité
L’attribution de la nationalité s’entend du mode d’accès naturel (nationalité d’origine).
En règle générale, l’attribution de la nationalité repose sur le lien du sol (jus soli) ou le
lien du sang (jus sanguini).

1 V. SOMA/KABORE, « Les causes et conséquences de l’apatridie », Revue CAMES/SJP, n°001/2016, 1


pp. 177 et s.
2
UNHCR, Nationalité et apatridie en Afrique de l’Ouest. Note d’information, janvier 2017.
3 Sébastien TOUZE, « La notion de nationalité en droit international, entre unité juridique et pluralité

conceptuelle », in SFDI, Droit international et nationalité, colloque de Poitiers, Paris, Pedone 2012, p.10.
4 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2014, V° Citoyen.
5 UA-CADHP, Le droit à la nationalité en Afrique, CADHP, Banjul, 2015, p. 9.
1-Le jus soli
Le jus soli littéralement appelé la loi ou le « droit du sol », est une mesure, une règle
selon laquelle un individu obtient la nationalité d’un Etat parce qu’il est né sur son
territoire. Le jus soli peut être simple ou double. S’il est simple, il suffit de naître sur le
territoire d’un Etat pour avoir sa nationalité (Etats-Unis, Lesotho, Mozambique,
Tanzanie). S’il est double, on acquiert la nationalité lorsqu’on naît sur le territoire d’un
Etat où est né l’un des parents6.
Le jus soli est fortement recommandé par la Convention de 1961 sur la réduction des
cas d’apatridie. Ladite Convention stipule en son article 1er « Tout Etat contractant
accorde sa nationalité à l’individu sur son territoire et qui, autrement, serait apatridie.
Cette nationalité sera accordée, de plein droit, à la naissance … ». De toute évidence,
l’application de cette règle est une garantie fondamentale contre le risque d’apatridie.
2-Le jus sanguinis
Le « jus sanguinis » encore appelé droit du sang ou la nationalité par la filiation
permet d’accorder à un enfant la nationalité de l’un de ses parents. En d’autres termes,
la nationalité est obtenue par un individu sur la base de la nationalité de son père ou de
celle de sa mère (indépendamment de son lieu de naissance). Ce critère est parfois
discriminatoire à l’égard des femmes ainsi que l’illustre la législation béninoise. En
effet, l’enfant né d’un père béninois est considéré comme béninois, sans aucune autre
condition particulière (article 12- 1°). En revanche, l’enfant né d’une mère béninoise est
également béninois quand :
- son père est inconnu ou n’a pas de nationalité connue (article 12-2°)
- il est né à l’étranger d’un père ayant une nationalité étrangère. Dans ce dernier cas, il
lui est permis de répudier cette nationalité dans les six mois qui précèdent sa majorité
(article 13).
Ces dispositions sont anéanties par la Cour constitutionnelle à travers la décision DCC
14-172 du 14 septembre 20147 qui porte également sur l’acquisition de la nationalité.

B-L’acquisition de la nationalité
On parle d’acquisition lorsque l’accès à une nationalité intervient après la naissance. On
distingue ici le mariage, la naturalisation ainsi que la naissance et la résidence.
1- Le mariage
Le mariage est défini comme « l’union légitime de l’homme et de la femme résultant
d’une déclaration reçu en forme solennelle par l’officier d’état civil qui a reçu création
d’une famille et d’une aide mutuelle dans la traversée de l’existence »8. Le mariage est

6C’est le cas au Bénin, au Burkina-Faso, au Congo, en Guinée-Equatoriale, au Niger, au Sénégal… 2


7 Lire E. MONTCHO AGBASSA, « La nationalité de la femme mariée en droit béninois », Bulletin
d’Information des Droits de l’Homme, octobre 2015, pp. 309-320.
8Raymond GUIILLIEN et Jean VINCENT, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2010, V°
Mariage.
l’un des modes privilégiés d’acquisition de la nationalité par les adultes. Il permet, en
effet, d’acquérir la nationalité directement ou de bénéficier de conditions favorables de
naturalisation lorsque l’acquisition automatique par l’effet du mariage n’est pas prévue.
On peut l’illustrer avec l’exemple du Bénin. Selon l’article 18 du Code de la nationalité,
la femme étrangère qui épouse un Béninois acquiert la nationalité béninoise au moment
de la célébration du mariage. Or, il n’est pas prévu que l’homme étranger qui épouse
une béninoise acquiert la nationalité béninoise au moment de la célébration du mariage.
La Cour constitutionnelle a alors décidé qu’il s’agissait d’une discrimination à l’égard
de la femme béninoise9.
2- La naturalisation
La naturalisation est l’acquisition volontaire d’une nouvelle la nationalité qui emporte
parfois l’abandon de la nationalité d’origine. La plupart des Etats africains permettent,
en principe, l’acquisition de la nationalité par naturalisation suivant des critères comme
la durée de la résidence légale (elle varie de cinq à trente-cinq ans), une enquête de
morale et la preuve de l’assimilation culturelle en particulier, la connaissance de la ou
des langues nationales10.
3- La naissance et la résidence
On utilise souvent ces deux critères cumulativement pour accorder la nationalité. Par
exemple, tout individu né au Bénin de parents étrangers acquiert la nationalité béninoise
à sa majorité si, à cette date, il a au Bénin sa résidence et s’il y a eu, depuis l’âge de seize
(16) ans, sa résidence habituelle (article 24)11. Cependant, les enfants de diplomates ne
bénéficient pas de ce mode.
La nationalité, qu’elle soit d’origine ou acquise, n’est pas l’abri d’une perte.

II-La perte de la nationalité


La rupture du lien de nationalité peut être involontaire (A) ou volontaire (B). C’est une
décision grave, car elle comporte un risque d’apatridie encadrée que son acquisition.
C’est pourquoi, elle fait l’objet d’un régime juridique strict.

A-La perte involontaire


La perte involontaire est celle qui est survenue en dehors de la volonté de l’individu ou
par le concourt des circonstances. Cette perte est extérieure et tout à fait indépendante

9 DCC 14-172 du 14 septembre 2014 ; Voir Arrêt de la Haute Cour du Botswana, Unity Dow contre 3
Attorney General, MISCA 124/1990, juin 1991. Recueil africain des décisions de droits de l’homme 99
(BwCA 1992) « Le temps où les femmes étaient traitées comme du bétail et n’existaient que pour obéir
aux caprices et aux désirs des homes est depuis longtemps révolu et ce serait faire injure à la pensée
moderne et à l’esprit de la Constitution que de juger que la Constitution a été délibérément faite pour
permettre la discrimination fondée sur le sexe. » (Traduction non officielle).
10 Article 35 du Code de la nationalité du Bénin.
11 Voir aussi, articles 8 et 9 du Code de la nationalité du Togo.
de la volonté de l’individu. Parmi les causes involontaires de la perte de la nationalité,
on s’intéressera à la déchéance de la nationalité.
La déchéance est généralement définie comme la perte d’un droit, d’une fonction, d’une
qualité ou d’un bénéfice, encourue à titre de sanction, pour cause d’indignité,
d’incapacité, de fraude, d’incurie.12 Appliquer à la nationalité, elle est une sanction
consistant à priver un individu de sa nationalité, en raison de son comportement indigne
ou préjudiciable aux intérêts de l’Etat. La Convention de 1961 prévoit en son article 8
(1) qu’un Etat signataire ne peut déchoir une personne de sa nationalité si cette
déchéance le rendrait apatride. L’article 8 (3) pose l’exception à cette règle qui porte sur
les cas de trahison à l’égard de l’Etat : un manque de loyalisme envers l’État
contractant ; préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État ; allégeance, ou a fait une
déclaration formelle d’allégeance à un autre État…

En clair, il s’agit de faits suffisamment graves de nature à briser l’allégeance de


l’individu à son Etat. En l’absence de ces faits, la voie de la renonciation est ouverte.

B-La perte volontaire


La perte volontaire est celle qui intervient par suite de l’effet de la volonté de l’individu.
L’exercice de cette faculté est généralement encadrée afin d’éviter le risque d’apatridie
à la personne qui entend en faire usage. En règle générale, cette renonciation est un
préalable à l’acquisition de la nationalité d’un Etat qui n’admet pas la double
nationalité ; l’Allemagne en est un exemple.
Quelle que soit sa nature, la perte de la nationale met fin à l’allégeance de la personne
vis-à-vis de l’Etat concerné, avec corrélativement, la protection qui lui était accordée.
En principe, c’est une mesure strictement individuelle qui ne devrait pas s’étendre au
conjoint ou aux enfants de l’intéressé.

12 Gérard CORNU, Vocabulaire des juridique, Paris, PUF, 2014, V° Déchéance. 4

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