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Travaux de la Maison de l'Orient

méditerranéen

Une carte du monde à l'époque d'Auguste : Manilius,


Astronomiques IV, 585-817
Madame Josèphe-Henriette (Joette) Abry

Résumé
La géographie astrologique sur laquelle s'achève le chant IV des Astronomiques est un sujet souvent traité par les astrologues :
les différentes parties de la terre habitée sont placées sous la tutelle des signes du zodiaque. Toutefois l'originalité et
l'importance du texte de Manilius tiennent à ce qu'il livre une description complète, la première que nous possédons en latin, de
l'orbis terrarum et, en modifiant subtilement le système, il justifie l'histoire de Rome et sa mission politique par l'influence des
astres.

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Abry Josèphe-Henriette (Joette). Une carte du monde à l'époque d'Auguste : Manilius, Astronomiques IV, 585-817. In:
L’Espace et ses représentations. Lyon : Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 2000. pp. 83-106. (Travaux
de la Maison de l'Orient méditerranéen, 32);

https://www.persee.fr/doc/mom_1274-6525_2000_sem_32_1_1908

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L'espace et ses représentations
TMO 32, Maison de l'Orient, Lyon, 2000

UNE CARTE DU MONDE A L'EPOQUE D'AUGUSTE


MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV, 585-817 *

Josèphe-Henriette ABRY

RESUME
La géographie astrologique sur laquelle s'achève le chant IV des Astronomiques est un
sujet souvent traité par les astrologues : les différentes parties de la terre habitée sont placées
sous la tutelle des signes du zodiaque. Toutefois l'originalité et l'importance du texte de
Manilius tiennent à ce qu 'il livre une description complète, la première que nous possédons en
latin, de /'orbis terrarum et, en modifiant subtilement le système, il justifie l'histoire de Rome et
sa mission politique par l'influence des astres.

À la fin du chant IV des Astronomiques, Manilius traite une question courante dans les traités
d'astrologie : la chorographie zodiacale, c'est-à-dire le système qui place les différentes parties de la terre
sous la protection des astres, sous leur tutelle :
diuersis dominantia sidéra terris I percipe, IV, 585 l.
Ce chapitre appartient à la partie de l'astrologie dite apotélesmatique universelle 2, celle qui s'occupe
du destin non pas des individus, mais des peuples, des nations prises dans leur ensemble : les événements
futurs sont annoncés par des phénomènes célestes, comètes ou éclipses et, selon le secteur du ciel où se
produit une éclipse, selon l'endroit où apparaît une comète, telle ou telle partie de la terre sera affectée par
un événement, le plus souvent funeste (épidémie, peste, inondation ou sécheresse, guerre ou mort d'un roi).

* Remerciements : Élaboré au cours de l'hiver 1994-1995 lors d'un séjour d'études à l'université de Heidelberg à
l'initiative du Professeur H. -A. Gärtner, puis dans le cadre du séminaire L'espace et ses représentations sous la
responsabilité d' A. Bonnafé, de J.-C. Decourt et B. Helly, ce travail a ensuite fait l'objet d'une communication à
l'université de Florence lors de la journée Terra e cielo nell'Antichità organisée en mars 1997 par les Professeurs
R. Caldini Montanari et Bianchetti (publié dans Sileno 23, 1997, p. 31-47). Grâce à A. Buisson (pour les cartes)
et au service des publications de la Maison de l'Orient Méditerranéen il trouve enfin sa forme définitive. Que tous
en soient remerciés et qu'il soit permis de le dédier à la mémoire du Professeur V. Pöschl qui avait bien voulu
s'intéresser à cette recherche.
1. Manilius, Astronomica, édition avec traduction anglaise par G. P. Goold, 1977, Lœb (Goold1) ; le texte adopté
dans l'édition Teubner (1985, Goold 2) est identique. Poème didactique en cinq chants, les Astronomiques traitent
de la connaissance du ciel et des astres, le chant I formant une introduction astronomique et philosophique au
manuel d'astrologie versifiée que sont les chants II à V. Il a paru bon d'éditer en appendice une traduction française
qui repose sur le texte de Goold 2, en attendant l'édition en préparation pour la CUF.
2. Dite aussi astrologie mondaine ou encore catholique ; sur cette question, v. A. Bouché-Leclercq, 1899, 19632,
L'Astrologie grecque, Paris, réimpr. Bruxelles, chap. XI, p. 326-371 ; H. -G. Gundel, 1972, RE X A, s. v.
« Zodiakos », col. 573-576.
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La nature de l'événement dépend de la nature du phénomène, le secteur du ciel indique le peuple, la région
de la terre qui sera concernée mais aussi le groupe (humains ou animaux) qui sera affecté. On peut aussi
déterminer la date et la durée de l'événement 3. La géographie astrologique des vers IV, 585-817 précède
le développement sur les signes où se produisent les éclipses (818-865, ecliptica signa) : il y a donc un lien
logique très manifeste entre les deux derniers chapitres « techniques » que Manilius a réservés pour la fin
du chant IV.
Toute géographie est une représentation du monde, à la fois héritage des conceptions ou des
représentations antérieures et reflet, plus ou moins conforme, des connaissances contemporaines. Les
astrologues, eux aussi, héritent d'une tradition, ils adaptent les idées qui circulent autour d'eux. Mais leur
représentation a ceci de particulier qu'elle ne vise pas à décrire le monde, c'est-à-dire la réalité terrestre :
elle donne une image de la terre qui est, elle-même, l'image du ciel. Ils dressent en fait deux cartes
symétriques et complémentaires, celle de la terre et celle du ciel : il s'agit de rendre compte de la réalité en
faisant apparaître les traits qui unissent les deux planches du diptyque, la réalité céleste latente sur terre.
Ils superposent plusieurs dessins, plusieurs schémas qu'il faut déchiffrer pour expliquer les liens, les
correspondances qui existent entre terre et ciel.
Toutefois, la chorographie zodiacale des Astronomiques se distingue des autres textes en ceci que,
avant de dresser la carte astrologique - terre et ciel symétriques -, Manilius décrit d'abord l'ensemble du
monde connu, la configuration générale de Yoikoumène dans un long excursus de cent dix vers, suivi d'une
ethnographie en trente-deux vers. Dans l'économie générale du poème, cela peut sembler être une
digression destinée à préparer la chorographie et il faut bien dire que c'est la carte « géographique » qui
accompagne la carte proprement « astrologique » et non l'inverse. Mais l'intérêt de cet ensemble tient d'abord à
la continuité qui le lie aux autres développements scientifiques du poème : cette représentation du monde
s'inscrit dans une trame générale, par rapport à laquelle elle doit être appréciée. De plus, nous avons là la
première description complète qui nous soit parvenue en langue latine de Yorbis terrarum 4 antérieure à
Pline et à Pomponius Mêla ; son importance tient aussi à la date à laquelle a été composé le chant IV des
Astronomiques : très vraisemblablement l'année ou les derniers mois avant la mort d'Auguste, soit 13/14
ap. J.-C. Le texte est donc exactement contemporain de l'œuvre de Strabon (64/63 av. J.-C. - 23 ap. J.-C.)
qui rédige les dix-sept livres de sa Géographie dans la deuxième moitié de sa vie ; il suit d'une bonne
vingtaine d'années la carte du monde dont Agrippa avait réuni les éléments avant sa mort (12 av. J.-C.) et
qu'Auguste acheva ensuite. Enfin ce texte précède de quelques mois la publication du testament d'Auguste
lui-même, les Res Gestae, qui sont un bilan politique, un inventaire de l'état du monde tel qu'Auguste le
laisse à la fin de son Principat. Ainsi la carte du monde du poète Manilius s'inscrit-elle dans un ensemble,
qui comprend le travail scientifique de Strabon, le document cartographique et administratif d'Agrippa et
le testament politique d'Auguste. Son importance tient enfin à ce que les deux, carte géographique et carte
astrologique, inséparables l'une de l'autre, offrent au poète l'occasion de définir, au tout début de l'Empire,
la mission que la géographie, l'histoire et le destin ont assignée à Rome.

3 . Tout cela est expliqué en détail par Ptolémée dans la Tétrabible, F. Boll et JE. Boer éds, 1954, Leipzig / Claudio
Tolomeo, Le previsioni astrologiche (Tetrabiblos), S. Feraboli éd., 1985, Valla : le livre II, consacré à
l'apotélesmatique universelle, commence par un exposé ethnographique (II, 2) suivi de la carte astrologique (II, 3
et 4) ; Ptolémée détaille ensuite le lieu (II, 6), le temps (χρονικόν II, 7), les êtres concernés (γενικόν II, 8), la
qualité de l'événement (ποιότης II, 9). Les chapitres II, 1 à 4, ont été étudiés tout dernièrement par G. Aujac,
1993, Claude Ptolémée, astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité,
éditions du CTHS, Paris, p. 69-105, et traduction p. 283-304.
4. Sur les débuts de la géographie à Rome et les textes disparus, ν. Κ. G. Sallmann, 1971, Die Geographie des
Älteren Plinius in ihrem Verhältnis zu Warm, Versuch einer Quellenanalyse, Berlin-New York, W. de Gruyter, en
particulier sur les œuvres perdues d'Hygin, de Vairon d'Atax (dont la Chorographie, poème didactique en
hexamètres, a pu influencer notre texte), p. 35-39, et sur les œuvres de Vairon de Réate, p. 9-20. « C'est un fait
que pour nous, la géographie latine - conservée - commence avec Pline et Mêla », C. Nicolet, 1988, L'inventaire,
Paris, p. 250, n. 32.
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 85

Le texte, structure et composition

Deux remarques préalables : les astrologues anciens donnent, le plus souvent, une simple
enumeration rapide des pays placés sous la tutelle des signes du zodiaque 5 ; Manilius au contraire consacre
un très long développement (232 vers) à cette question. De plus, ce chapitre, traité de façon indépendante
et longue, est réservé pour la fin d'un chant, il possède donc une importance particulière.

Le texte lui-même est articulé en plusieurs parties distinctes

La carte du monde (IV, 585-695)


Elle est d'abord orientée selon les quatre points cardinaux qui correspondent à la direction des quatre
vents (587-594) ; suit une présentation générale de Y oikoumène, entourée par l'Océan et disposée autour de
la Méditerranée : la description se fait sous forme d'un périple le long des côtes, en partant des colonnes
d'Hercule jusqu'à l'Egypte : à droite, la Numidie, la Libye et Carthage (597-601), à gauche, l'Europe
jusqu'au palus Maeotis, puis les côtes d'Asie jusqu'au Nil (602-629) ; la Méditerranée contient des îles, plus
ou moins importantes, mais innombrables (630-641) ; les mers extérieures : en plusieurs points, l'Océan
pénètre dans Yoikoumène formant la Caspienne au nord-est, les golfes persique et arabique au sud-est (642-
657) ; après une lacune de quelques vers, l'auteur rappelle la division classique en trois continents :
l'Afrique, des colonnes d'Hercule au Nil, est une terre stérile, peuplée seulement d'animaux monstrueux et
de bêtes venimeuses (658-670) ; l'Asie, du Nil au Tanaïs, une terre puissante, riche de trésors de toute sorte
(671-680) ; l'Europe, terre de toute civilisation, dont l'Italie et Rome représentent la partie supérieure,
proche du ciel (681-695) ;
- les v. 696-710 forment, en apparence, une parenthèse : les signes du zodiaque gouvernent les parties
de la terre comme ils gouvernent les parties du corps humain (le Bélier, la tête ; le Taureau, le cou ; les
Gémeaux, les bras, ... les Poissons, les pieds).

L'ethnographie (711-743)
Dans X oikoumène se trouvent toutes sortes de peuples que caractérisent leur stature, la couleur de leur
peau et de leurs cheveux, depuis les Germains, immenses et blonds, jusqu'aux Africains noirs et brûlés par
le soleil (711-730) ; ces peuples parlent toutes sortes de langues (731-732) ; selon les régions et les
latitudes, les productions (céréales, légumes, vins) diffèrent, les animaux aussi ; tout cela est dû à l'action
des astres.

La chorographie zodiacale
Les douze signes du zodiaque sont énumérés avec les pays que protège chacun (744-806) ;
v. 807-817 : conclusion ; comme les étoiles se répondent les unes aux autres, les terres se répondent
les unes aux autres et les hommes, en connaissant ce système, savent ce qu'ils doivent espérer ou craindre.

5. Les chorographies astrologiques : Teucros de Babylone (v. infra η. 25) ; Dorothée de Sidon (v. infra η. 26) ;
Antiochus d'Athènes, CCAG I-XII, Bruxelles (1898-1953) VIII 3, p. 112, 20-26 ; Vettius Valens, Anthologiae,
D. Pingree éd., 1986, Teubner, I, 2 : Sur la nature des douze signes (Ari, Tau, Gem, Cnc, Leo, Cap, Aqr, Psc) à
compléter par CCAG IV, p. 179-182 Vir, Lib, Sco, Sgr ; trad, française : J.-F. Bara, 1989, Vettius Valens
d'Antioche, Anthologies, Livre I, EPRO 111 ; Paul d'Alexandrie (v. infra, η. 19) ; Liber Hermetis Trismegisti,
:

W. Gundel éd., 1936, chap. 1. Les traditions antérieures (Dorothée, Ptolémée, Hipparque, les Égyptiens...) sont
citées par Héphestion de Thèbes (Apotelesmatica, I, 1, D. Pingree éd., 1973, Teubner, IVe s. ap. J.-C). En
appendice à son édition des poèmes astrologiques de Maximus et d'Ammon (Maximi et Ammonis Carminum,
Teubner, Leipzig, p. 112-119), A. Ludwich, 1877, a édité les différentes chorographies astrologiques rassemblées
dans le manuscrit Laurentianus XXVIII, 34.
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La composition de ce texte appelle plusieurs remarques


1) Composé de façon méthodique, l'exposé progresse apparemment en trois temps : d'abord, la
géographie « physique », la mer Méditerranée et les côtes qui l'entourent, avec les îles et la division
- traditionnelle - en trois continents ; puis la géographie « humaine » : les peuples et leurs principales
caractéristiques (ethnographie), les animaux et les productions de la terre ; enfin, la géographie
astrologique.
Mais il est évident que les Anciens ne marquaient pas la différence moderne établie entre les deux
faces de la géographie, physique et humaine : la description des lieux est souvent inséparable du tableau
des peuples qui habitent là, avec leurs caractéristiques physiques et morales 6. De plus, l'ethnographie des
v. 711-743 est déjà préparée dès la présentation des continents : l'Afrique n'est pas décrite par son climat
ou son relief, mais par les animaux monstrueux qui la peuplent ; de l'Asie, terre puissante et riche (Asiae...
diues, 671, Asiae ... potentis, 680) sont évoquées les richesses naturelles mais aussi les peuples (populi,
671, gentes, 676) ; l'Europe, elle, est définie d'emblée par ses ressources humaines et les civilisations des
cités ou des peuples qui la composent :
maxima terra uiris et fecundissima doctis I artibus {urbibus, codd) IV, 685-686.
En revanche, la géographie astrologique forme bien un développement autonome, hétérogène à la
première partie : en dehors des Astronomiques, l'assemblage des deux (carte du monde et chorographie
astrologique) ne se trouve jamais... sauf chez Ptolémée qui, dans le livre II de la Tétrabible, expose d'abord
les caractéristiques ethniques des différents peuples (chap. 2), puis les affinités des régions avec les
triangles zodiacaux et les planètes (3), les relations entre les pays et les signes du zodiaque (4), enfin les
éclipses (5-10). Toutefois il ne traite pas de la carte physique (donnée dans la Syntaxe et dans la
Géographie) mais elle apparaît, chemin faisant. L'ethnographie, elle, présente des similitudes telles avec le
texte des Astronomiques qu'il y a vraisemblablement une source commune entre les deux œuvres 7.

Quelle que soit cette source, le lecteur a le sentiment de se trouver face à deux parties hétérogènes :
géographie proprement dite d'une part, géographie astrologique d'autre part. Et de fait les deux cartes que
l'on peut dresser à partir de celle qui figure dans l'édition Goold1 correspondent à des réalités différentes
(v. fig. 2a : Carte géographique, et 2b : Carte astrologique). Toutefois Manilius s'est appliqué à donner
une unité à l'ensemble.
- La première partie prépare la seconde, grâce aux détails, aux images qui sont reprises ensuite :
l'Arabie est une terre riche de trésors et de ressources naturelles (654-656, 671-674, 800-802), l'Afrique
comme l'Orient sont soumis à l'action intense du soleil : Libyam calentem (598) Syriamque perustam (624).
Cela explique la couleur de la peau des habitants (723-730), placés sous l'influence du Cancer (758-759).
Ce que les géographes appellent la Propontide et l'Hellespont conserve le souvenir de la chute d'Hellé
(615) ; il est donc logique que le Bélier gouverne cette région (746-749). En multipliant les références
internes et les images récurrentes, Manilius a assurément donné une unité à son texte.
- Du même coup la seconde partie a une fonction explicative : il fallait d'abord montrer la terre et sa
physionomie, avec la diversité des terres et des peuples ; l'astrologie, ensuite, explique les raisons de cette
diversité : c'est l'influence physique des astres qui rend compte de la variété des terres et des hommes ; les

6. Depuis Hérodote ; v. D. Lateiner, 1989, The historical Method of Herodotus, chap. 7 : Ethnography as access to
History, Toronto, p. 145-162.
7. Au moins pour l'ethnographie ; ce serait Posidonius selon F. Boll, 1894, « Studien über Claudius Ptolemaeus,
Ein Beitrag zur Geschichte der griechischen Philosophie und Astrologie », Jahrbücher f. Class. Philol. Suppl.
21, p. 49-244 ; l'édition de W. Theiler, Poseidonios, Die Fragmente, édite les ν. IV, 711-743 (= F. 76) parmi des
textes très proches (Vitruve 8, 3, 12-13 notamment) qui semblent bien remonter à la pensée de Posidonius. Pour
ce qui est des sources, la carte géographique des Astronomiques entre dans un ensemble de textes recensés par
A. E. Housman, 1920, 1937 2, Astronomicon IV, editio maior, p. 73 : la Périégèse de Denys, le chap. 3 du Περί
κόσμου du Ps. Aristote, Strabon (II), Pline (Hist, nat, III- VI), Pomponius Mêla, Martianus Capella (VI, § 590-
703), sans qu'il soit possible, pour autant, d'identifier une source particulière.
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géographes expliquent cette diversité par le climat, la latitude, Posidonius insistait sur l'action du soleil, les
astrologues poursuivent le raisonnement jusqu'à son terme : le soleil, mais aussi les planètes ou les signes
du zodiaque exercent leur influence sur les terres et sur les hommes pour donner des caractéristiques
différentes, qu'elles soient climatiques, physiques (711-714) ou morales (mores, 732).
Les deux grandes parties du texte sont donc inséparables et complémentaires.
2) Apparemment, les vers 696-710 forment une parenthèse qui interrompt l'exposé en résumant la
mélothésie zodiacale déjà expliquée au chant II (453-465) ; il s'agit du patronage qu'exercent les signes du
zodiaque sur les membres du corps humain. En réalité, Manilius a volontairement détaché et accentué, en
lui donnant une position centrale (110 v. + une lacune avant, 106 v. après), l'idée essentielle du passage :
les astres gouvernent les parties de la terre comme ils gouvernent les parties du corps humain (uelut 701 ...
sic 710). L'analogie permet de construire une triple relation : relation terre-ciel, relation homme-ciel, donc
relation terre-homme, et la symétrie entre les deux plans est soulignée par la répétition figura (586) ...
figura (701). L'équation, presque mathématique, sert à démontrer une idée majeure dans la pensée
stoïcienne comme dans le poème de Manilius : le monde est un organisme, un être vivant, théâtre
d'échanges physiques et biologiques, donc aussi spirituels 8. Il n'est pas impossible que cette idée
commande aussi la structure de la carte des v. 585-817 : dans ce cas, la terre, Voikoumène, avec la
Méditerranée, les îles et les continents, serait en quelque sorte le squelette, l'ossature ; l'ethnographie,
amorcée dès l'évocation des trois continents et poursuivie dans les vers 711-743, serait la chair, et la
chorographie zodiacale (les astres) représenterait l'énergie supérieure, les forces spirituelles. Le texte
n'autorise pas formellement le transfert mais il est dans la logique de la pensée de Manilius. L'idée
développée dans la parenthèse a une autre implication, que Manilius a négligée mais qui est clairement
exprimée dans les textes hermétiques : la géographie astrologique a des applications médicales car la terre
(les plantes et les minéraux) est en relation avec le corps humain 9.
3) La conclusion des vers 807-817 repose, elle aussi, sur l'analogie : les terres, les villes, les côtes se
répondent comme les astres se répondent au ciel (utque ... coeunt ... sic respondent, 810... 813), elles
éprouvent des affinités ou des inimitiés comme les signes du zodiaque sont unis par des affinités ou des
inimitiés (II, 520-641). Le monde de Manilius est donc un monde clos où terre et ciel se répondent comme
l'image et son reflet dans le miroir. L'idée est clairement exprimée dans le texte : la Crète, terre d'archers
habiles, est placée sous la tutelle du Sagittaire ; elle reproduit, au moins dans la disposition caractéristique
de ses habitants, l'arc tendu de la constellation :
.... celerisque hinc Creta sagittas
assent intentosque imitatur sideris arcus, 785-786 10 ;
et une autre analogie appuie la première : patrie d'un être double, le Minotaure, elle est placée sous la
protection d'une constellation double, le Sagittaire, mi-homme, mi-cheval :
.... in geminum Minois filius astrum I ipse uenit geminus. 784-785.
La mimesis fixe deux images, celle de la terre et celle du ciel, qui ne se comprennent que l'une par
l'autre et dont il faut faire apparaître l'identité ; elle joue un rôle fondamental dans la géographie de
Manilius comme dans l'ensemble du poème.

8. Cf. Astronomiques I, 134, 138, 148, 247, II, 66, III, 50-51, IV, 888...
9. Le Liber Hermetis Trismegisti donne au chap. 1 , la liste des climata associés aux trente-six décans, et Le Livre
Sacré {RPhil. 32, 1908, p. 247-277), les pierres et les plantes en relation avec les décans, les organes et leurs
maladies.
10. L'analogie est curieuse : autant la comparaison entre le Pont-Euxin et un arc scythe est classique (v. infra, n. 13)
et repose sur le dessin, autant la ressemblance entre la Crète et un arc tendu est peu évidente ; il faut donc
comprendre imitatur au sens figuré. Sur la terre image du ciel dans les Astronomiques, v. J.-H. Abry, 1993, « Le
Nil : réflexions sur les vers III, 271-274 tes Astronomiques », Manilio fra poesia e scienza, Actes du Congrès de
Lecce, Lecce, p. 195-210.
88 J.-H. ABRY

Toutefois, l'image et son reflet ne sont pas immobiles : le monde de Manilius est un monde
dramatique, tendu de rapports d'amitié ou d'inimitié, d'harmonie ou de haine. Les relations harmonieuses
ou conflictuelles des astres (811) entre eux expliquent les relations harmonieuses ou conflictuelles des
terres entre elles. La géographie des Astronomiques n'est pas une description statique, c'est une évocation
dynamique des forces cosmiques à l'œuvre dans l'univers, entre les différentes parties de la terre (dont font
partie les hommes), entre les différentes parties du ciel, entre la terre et le ciel.

La carte des vers IV, 585-695 : une carte géographique ?

Dans son principe, elle témoigne d'une volonté scientifique certaine : Manilius a voulu dresser une
carte complète du monde, avec les quatre points cardinaux et les quatre vents qui donnent l'orientation
générale, puis une présentation d'ensemble de la terre habitée, évoquée dans ses principaux traits. Ce souci
de préparer et d'accompagner un chapitre astrologique par des explications scientifiques a déjà été affirmé
et pratiqué : dès le chant I, v. 118-121, l'auteur explique qu'il est nécessaire d'exposer le système du monde
avant d'aborder l'astrologie, et le chant I tout entier se présente comme une propédeutique astronomique au
manuel d'astrologie ; au chant III, les difficultés que présente le calcul du signe ascendant conduisent
Manilius à faire un long excursus de géographie mathématique sur les variations du temps et des
apparences célestes selon les différentes latitudes terrestres. Ainsi, le procédé qui consiste à doubler un
chapitre astrologique (ici, la chorographie zodiacale) par des éclaircissements scientifiques (la carte du
monde) est constant dans les Astronomiques.
La carte du monde du chant IV n'est donc pas isolée, elle doit être étudiée aussi par rapport à la trame
scientifique du poème qui se déroule en trois temps ; au chant I est réservé l'exposé de cosmologie, avec
la démonstration de la sphéricité de la terre et de sa position centrale au sein de l'univers (168-235) ; il
existe des antipodes, sans doute habités, dans l'hémisphère sud mais nous en sommes séparés par l'Océan
(236-246, v.fig. la : Le globe de Cratès de Mallos) ; les ombres des habitants se projettent en sens inverse
de ce qui se passe à nos latitudes et ils voient d'autres étoiles inconnues de notre hémisphère (377-383) ;
le ciel lui-même tourne autour d'un axe (275-293) et les astronomes y ont reconnu différentes coordonnées
qui expliquent la géographie de la terre (561-683) ; mais aux cercles purement astronomiques (cercles
arctique, antarctique, équateur, tropiques, écliptique), l'auteur ajoute, longuement, ceux qui définissent la
sphère terrestre locale, le méridien (633-647) et l'horizon (648-665). Au chant III, Manilius traite de la
géographie mathématique ; sur la terre, la mesure du temps varie en fonction des latitudes : à l'équateur, il
n'y a pas de saisons, les jours et les nuits ont une durée uniforme de douze heures, au pôle, en revanche, il
n'y a qu'un hiver (= une nuit) de six mois et un été (= un jour) de six mois ; de même, les étoiles et les
constellations que l'on aperçoit diffèrent selon l'endroit de la terre où l'on se trouve (III, 225-274 et 301 -
384). La carte du monde du chant IV forme ainsi le dernier volet de l'exposé scientifique complet : de la
cosmologie à la géographie astronomique, puis à la géographie physique et humaine, il y a une progression
et une continuité évidente avec un même souci scientifique ; elle a aussi pour fonction de préparer le
chant V : la terre est le cadre où se déploie l'activité humaine, objet du dernier chant.
La lecture scientifique de l'ensemble aide aussi à comprendre le sens de certaines expressions : ainsi
Yoikoumène présentée comme « flottant, ceinte de la couronne de l'Océan qui entoure de son étreinte
liquide le monde placé en son milieu (595-596) » semble reprendre la conception ancienne d'un disque plat qui
flotte sur l'Océan comme une île, mais ce n'est plus qu'une image qui ne contredit nullement la sphéricité
de la terre démontrée au chant I. Strabon, de la même façon, rappelle que « la terre, avec la mer, est de
forme sphérique, ne constituant qu'une seule et même surface avec les océans ... Dans l'un des
quadrilatères est situé... notre monde habité, baigné par la mer de toutes parts, et semblable à une île (II, 5, 5, trad.
G. Aujac, CUF) ».
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 89

La volonté, affirmée par Manilius, de faire une présentation complète de la terre habitée suppose une
information scientifique et une méthode. Lesquelles ? En d'autres termes, l'auteur avait-il une carte sous
les yeux ?
Décrire une carte, même à partir de sources littéraires, suppose nécessairement une image, une
représentation mentale, étayée ou non par un support matériel (dessin, schéma, monument...). Par ailleurs, le
recours fréquent à des schémas est une méthode de travail presque obligée pour l'astrologue comme pour
le géomètre : des exposés complexes et fastidieux deviennent clairs et aisés s'ils sont accompagnés d'un
diagramme ; la mélothésie zodiacale peut se résumer en quelques hexamètres (IV, 704-709) mais c'est l'une
des théories élémentaires de l'astrologie que la représentation figurée a le plus contribué à populariser
jusqu'à l'époque moderne n. Il serait donc surprenant que l'auteur en soit resté à une documentation
exclusivement littéraire, et l'emploi at figura (586) est peut-être un indice de l'utilisation d'un document 12.
Il est cependant difficile d'affirmer que notre auteur a eu une carte sous les yeux ; on ne peut que
formuler des vraisemblances : Manilius, dont nous ignorons tout mais dont nous pouvons supposer qu'il
était Romain et vivait à Rome, est (peut-être) allé examiner la carte d'Agrippa sous la Porticus Vipsania.
Cependant les détails qui semblent se référer au tracé d'un dessin sont plus sûrement des souvenirs
littéraires que des observations visuelles personnelles : la comparaison de la Sardaïgne avec un pied
humain (63 1 ) et, surtout, l'image du Pont-Euxin qui affecte la forme doublement recourbée d'un arc scythe
(705) sont largement attestées dans les textes, même si elles remontent à des cartes antérieures 13. De même
le détroit qui relie la mer Caspienne à l'Océan extérieur, situé exactement entre le nord et l'orient déterminé
par le lever du soleil en été (646), introduit une précision qui peut se référer à un diagramme sur lequel
figuraient les levers héliaques du soleil aux solstices d'été et d'hiver, mais ce genre de référence figure aussi
dans les textes (Strabon, II, 2, 28).
Représentation mentale ou matérielle, peut-on avoir une idée de la façon dont Manilius voyait le
monde ? La reconstitution tentée par G. P. Goold s'inspire manifestement de la carte du monde oblongue
en forme de chlamyde bien attestée depuis Ératosthène 14. Or à la différence d'autres textes 15, la
chorographie des Astronomiques ne contient pas la moindre indication qui puisse laisser entrevoir la forme
qui était celle de Voikoumène dans l'esprit de Manilius : forme ronde, dérivée de l'ancienne mappemonde
circulaire des géographes ioniens, archaïque mais remise au goût du jour pendant le Principat en raison de
sa commodité et aussi de sa valeur symbolique ? Ou oikoumène ovale de la géographie scientifique
grecque, qui se concilie mieux avec la sphéricité de la terre et de l'espace dévolu aux terres habitées sur le

11. La représentation la plus populaire et la plus largement diffusée (jusque sur les calendriers des Postes !) est
« l'homme anatomique » tiré des Riches Heures du Duc de Berry, fol. 14V.
12. La sémantique de l'image et de la représentation est bien représentée dans les Astronomiques figura,
30 occurrences, forma, 25, imago, 11, ainsi que le vocabulaire de la ressemblance et de l'imitation ; cependant le
:

texte des Astronomiques n'a jamais comporté de figures ou d'illustrations, à la différence de beaucoup de
manuscrits astrologiques ou astronomiques.
13. La Sardaigne, Sardinia inAfrico mari facie uestigii humani, Sail. Hist. nat. frgt 2, 2 M, Pline, Hist, nat., III, 85 ;
le Pont-Euxin, Sail. Hist. frgt. 3, 63 M, Strabon, II, 5, 22, Pline, Hist, nat., IV, 76, Mêla, I, 102, Val. FI., IV, 728 ;
la comparaison à valeur de symbole remonterait peut-être à Hécatée de Milet.
14. Goold l (Lœb), en regard de la page de garde. Disposition vraisemblable selon E. Montanari, 1992, « Nota
testuale a Manilio 4. 71 1-730 », Prometheus 18, p. 276. La carte proposée dans l'édition Goold, très acceptable
dans sa disposition générale, appelle surtout des critiques mineures : l'introduction de noms étrangers au texte
(les vents, pontus aequatorius, Hammonia, Magna Graecia, Phoenicia...) ne se justifie pas, non plus que le tracé
matériel des côtes de Yoikoumène sur l'Océan extérieur. Et surtout, en surimprimant dans un dessin unique la
carte géographique proprement dite, la division en continents et la carte astrologique, elle aboutit à un ensemble
confus, difficile à lire, dans lequel les différentes strates n'apparaissent plus.
15. Le Songe de Scipion (6, 21 angustata uerticibus, lateribus latior) suppose une représentation en chlamyde :
Cicerone, Somnium Scipionis, Introduzione e commenta di A. Ronconi, 1961, p. 123.
:
90 J.-H. ABRY

globe terrestre 16 ? L'orientation des mers extérieures par rapport aux directions cardinales (la Caspienne
qui débouche entre le nord et le point qui marque le lever du soleil au solstice d'été, 646 ; les golfes
arabique et persique orientés au midi, 650) peut suggérer une forme inscrite dans un quadrilatère comme
celui d'Éphore, avec le nord en bas. Toutefois les côtes de la Méditerranée sont décrites par les notions
internes de droite et de gauche : à partir des colonnes d'Hercule, on trouve à droite la côte africaine et, à
gauche, l'Espagne et l'Europe (dextra, 598, laeua, 602) ; cette indication revient ensuite à trois reprises :
après le golfe de Gênes, l'Italie marque un retour à droite (604) puis à gauche pour former l'Adriatique
(608), comme les côtes grecques en direction de la Thessalie (613). Faut-il supposer une carte sur laquelle
l'est se trouvait en haut, le sud à droite et le nord à gauche, orientation conforme à la tradition romaine 17 ?
S'il est difficile de se prononcer pour la carte proprement géographique, en revanche le diagramme
astrologique, quadripartite, impose la prudence et une disposition qui maintient l'est à droite 18.

En effet, pour présenter Yoikoumène, Manilius a choisi un exposé en forme de périple, de croisière le
long des côtes de la Méditerranée : point de départ, les colonnes d'Hercule (597-598), point d'arrivée, le
delta du Nil ; le bateau longe d'abord la côte d'Afrique à droite, puis, à gauche, l'Europe et l'Asie (602-627).
Partant de l'Occident et se dirigeant vers l'Orient, le lecteur découvre le monde comme s'il était un marin :
Inde ubi in angustas reuocatus nauita fauces
Hellespontiacis iterum se fluctibus effert... IV, 619-620
Forme d'exposé classique : le périple est le mode le plus simple de présentation géographique, celui
qu'avaient adopté Artémidore (aux environs de 100 av. J.-C.) dans les onze livres de ses Geographoumena,
Scylax de Caryandre, Éphore, Dicéarque pour sa description de la Grèce, Agatharchides pour la Mer
Rouge 19. Méthode que Strabon juge naturelle et commode et qu'il utilise lui-même :
« Notre mer possède une grande supériorité et c'est par elle qu'il faut commencer notre tour du
monde... Le golfe qu'elle forme débute par le détroit des Colonnes ; une fois franchi... le goulet,
on voit les rivages prendre de la distance, celui de gauche surtout ; et voici que l'œil découvre
l'étendue de la haute mer ! Elle est limitée sur le côté droit par le rivage de la Libye jusqu'à
Carthage, de l'autre côté par les côtes de l'Ibérie, de la Celtique vers Narbonne et Marseille, puis
de la Ligystique, et finalement de l'Italie jusqu'au détroit de la Sicile... » (Strabon, II, 5, 19).
C'est encore la méthode que retiendra Pomponius Mêla, quelques décennies plus tard, pour sa
Choro graphie.
Toutefois, en l'absence de toute indication d'échelle, de distance et de coordonnées géographiques
(aucun axe ni parallèle de référence), la carte de Manilius reste vague : les côtes de Yoikoumène se limitent
à un dessin 20, à une simple ligne qui sépare la terre de la mer :
haec medium terris circumdat linea pontum, 628 ;
les continents ne possèdent aucune profondeur spatiale et, pour suggérer leurs dimensions, l'auteur recourt
à des hyperboles : l'Inde est trop vaste pour être connue (674), l'Empire parthe est un monde à lui seul

16. Sur ces formes, v. O. A. W. Dilke, 1985, Greek and Roman Maps, Thames and Hudson, Londres ; et l'analyse
des hypothèses qu'elles entraînent à propos de la carte d'Agrippa, P. Trousset, 1993, « La "carte d' Agrippa",
nouvelle proposition de lecture », Dialogues d'histoire ancienne, p. 137-157.
17. C. Nicolet, 1988, Inventaire, p. 123.
18. Cf. infra, n. 31.
19. Sur Artémidore d'Éphèse, v. C. Nicolet, 1988, Inventaire, p. 80 et n. 28, p. 249 ; les textes de Scylax, Dicéarque
et Agatharcides sont édités dans les GGM, C. Müller éd., 1855, p. 15-195.
20. C'est précisément la caractéristique et l'inconvénient du périple : le schéma est donné par le pourtour des côtes
avec toutes les déformations que cela peut entraîner, cf. Strabon, II, 5, 17 et C. Nicolet, 1988, Inventaire, p. 1 1 1
et 120.
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 91

(674-675) dont la puissance est suggérée par les peuples qu'il a soumis (803) et par l'énumération des villes
qui forment la Mésopotamie (804-805). Le manque de profondeur spatiale tient aussi à ce que les
montagnes et les fleuves sont absents ou qu'ils figurent avec une valeur qui est moins objective et
géographique qu'affective ou politique : à part le Taurus (623 et 675), les montagnes de Scythie (753) et
d'Arménie (761), Manilius ne mentionne aucun élément de relief, ni les Alpes 21, ni les Pyrénées. La
remarque vaut pour les fleuves : ne sont cités que ceux qui séparent les continents, le Nil (passim), le Tanaïs
(677) et des cours d'eau qui ont une valeur plus symbolique et mythique que réelle, l'Éridan (610), le Tigre
et l'Euphrate (800 et 806) ; l'absence de toute mention du Rhône, du Rhin et du Danube correspond à
l'absence des Alpes. Même s'il ne faut pas demander à un poète les données scientifiques et précises que
les géographes eux-mêmes ne fournissent pas toujours, on doit reconnaître que la géographie, surtout celle
de l'Occident, dans les Astronomiques, est imprécise et sommaire et qu'il y a là un décalage sensible par
rapport aux connaissances de l'époque.
La preuve la plus évidente de ce décalage est fournie par le manque de toute référence à l'île de la
Bretagne : la lacune qui suit la mention du golfe arabique (657) permet de supposer que Manilius traitait
de l'Océan qui entoure notre monde, après avoir rappelé les trois mers formées par l'avancée de la mer
extérieure à l'intérieur de Yoikoumène, la Caspienne et les golfes persique et arabique. Parlait-il aussi des
îles qui se trouvent dans l'Océan extérieur, la Bretagne et Taprobane, au sud de l'Inde ? Ce n'est pas
impossible, mais le doute est permis car la chorographie zodiacale ne mentionne pas la Bretagne, qui
devrait figurer avec l'Espagne, la Gaule et la Germanie dans le quart nord-ouest de Yoikoumène, sous la
tutelle du Capricorne 22.
Bien qu'elle s'inscrive dans les parties scientifiques du poème, la carte géographique des
Astronomiques est donc sensiblement plus faible en ce qui concerne l'Occident que l'Orient. Bien plus
proche de la carte du monde de Dicéarque (3e s. av. L-C,fig. lb) que de celle de Strabon dont elle est
pourtant contemporaine (fig. le), elle témoigne d'un écart notable par rapport aux connaissances
contemporaines et d'une information mal approfondie (fig. 2a).

Les cartes des astrologues

Ce décalage est vraisemblablement une trace des sources astrologiques : en doublant son exposé d'une
carte géographique, Manilius ne s'affranchit pas pour autant des chorographies antérieures, reflets de
connaissances sensiblement plus anciennes (fig. 2b) ; la remarque vaut pour Ptolémée, dont la chorographie
astrologique est nettement plus archaïque que la géographie 23.

21. Sauf l'adjectif Alpinas (659), mais c'est un rappel purement historique de la seconde guerre punique. De même
le Taurus n'est pas présenté comme une donnée géographique du schéma mais évoqué en termes affectifs : il
« menace les flots » (623), « ses murailles se dressent vers le ciel » (675). La même remarque vaut pour les mers
extérieures : l'Océan « vient battre Yoikoumène » (644), il « mène la guerre » dans les golfes persique et arabique
(650), mais les montagnes l'empêchent de « vaincre » (645) ; Ibiza, elle, « triomphe » de l'Océan (640). Même
s'il s'agit de métaphores, elles sont révélatrices : la carte de Manilius n'est pas statique, mais animée de tensions
internes.
22. Après l'expédition de César et les explorations des côtes de Germanie sous Auguste (C. Nicolet, 1 988, Inventaire,
p. 100), l'absence de toute mention de la Bretagne est surprenante. Est-ce parce qu'elle n'est pas encore soumise,
qu'elle se trouve encore en dehors de l'Orbis Romanus (J. Vogt, 1960, Orbis, Ausgewählte Schriften, p. 167) ou
qu'elle correspond à un échec d'Auguste ? Dans les Res Gestae (32, 1), Auguste mentionne seulement les deux
rois bretons qui ont trouvé refuge auprès de lui.
23. F. Boll, 1894 (art. cit. n. 7), p. 205-206, a relevé les principales différences géographiques entre les deux textes.
Mêmes conclusions de G. Aujac, 1993, Ptolémée, p. 76-77 : la carte du monde de la Tétrabible est, en gros, celle
d'Ératosthène que Ptolémée s'est peu soucié de modifier.
92 J.-H. ABRY

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Fig. le. Carte du monde de Strabon.


MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 93

HELICE

um aestate
nitentem

NUMIDAE CarthaS
MAURETANIA

AUSTER
MEDIOS CALORES

Fig. 2a. Manilius, Astr., IV, 744-805, carte géographique.

Oceanus

MONTES
SCYTHIAE
8

ülespontus PHRYGIA CAPPADOCIA D.ÜTUIÄ


oniaïïj Λ & PARTHIA

LIBYA AETHIOPES
AETHIOPES (ASIATICI)

Légende
°P Aries Cz Libra
ü Taurus ïï\ Scorpio
Π Gemini f -Sagittarius
œj Cancer y*> Capricornus
Λ Leo ess Aquarius
DJ Virgo X Pisces

Fig. 2b. Manilius, Astr., IV, 744-805, carte astrologique.


94 J.-H. ABRY

Les différentes étapes de l'évolution d'un genre

a) Le papyrus de Vienne est la copie faite probablement au second siècle de notre ère, par un scribe
habile, de deux livres séparés ; le texte A, un traité sur les éclipses de soleil et de lune, accompagnées de
leurs divers omina, transcrit un texte rédigé peu après la conquête par les Perses de l'Egypte (6e s.) par un
Égyptien qui avait à sa disposition un ou plusieurs traités babyloniens sur les éclipses 24. Celles-ci sont
mises en relation non pas avec les signes du zodiaque mais avec les mois et les heures du jour et de la nuit
et avec les parties du ciel qui « appartiennent » à cinq pays : l'Egypte, la Crète, la Syrie, la terre des
Hébreux et le pays d'Amor, ou, plus exactement, les omina (famine, inondation, stérilité, guerre)
concerneront l'une de ces cinq régions, selon la partie du ciel où ils apparaissent. À l'image du monde des
Babyloniens qui limitaient l'étude des phénomènes célestes à leur propre pays (Akkad) et aux régions
contiguës : Elam à l'est, Amurru à l'ouest, Subartu / Gutiu au nord, succède celle d'un Égyptien recentrée
sur l'Egypte et sur les pays en relation avec elle.

b) Teucros de Babylone et Paul d'Alexandrie transmettent l'image du monde tel que se le


représentaient les astrologues avant le début de notre ère 25 ; image sommaire (un signe = un pays) et presque
exclusivement orientale, elle ne comporte que la Méditerranée orientale et l'Asie, l'Occident est représenté
par l'Italie et le Nord par l'Arménie. Lorsque l'on met bout à bout les indications éparses qui figurent parmi
les définitions et les caractéristiques de chaque signe zodiacal, on obtient une liste sèche (v. tableau en
regard, col. 2) sans aucun élément qui explique les raisons pour lesquelles les différents pays sont attribués
aux différents signes. Le lecteur, même le plus curieux, a le sentiment d'entrer dans un domaine qui relève
de la fantaisie pure et de l'arbitraire.

c) Comme Manilius, Dorothée de Sidon a écrit (en grec) un poème astrologique en cinq chants qui
date sensiblement du milieu du Ier s. de notre ère 26. Les deux textes sont totalement différents,
indépendants l'un de l'autre, et c'est peut-être sur la géographie astrologique qu'ils offrent le plus de points
communs. D'abord l'image du monde qu'ils présentent s'est étendue vers l'Occident, avec l'apparition de
l'Espagne, de la Gaule et de la Germanie (la terre des Cimmériens pour Dorothée), et vers le nord, avec la
Scythie (Manilius) ; mais Dorothée conserve un champ géographique plus étroit qui ne dépasse pas le Pont-
Euxin au nord, Babylone et la Mésopotamie à l'est (v. tableau, col. 3). De la chorographie astrologique
antérieure, Manilius et Dorothée gardent trois attributions : la Crète au Sagittaire, l'Egypte au Verseau, la
mer Rouge aux Poissons, mais ils procèdent à une redistribution importante des tutelles pour sept signes :
Arabie (Tau), Ethiopie (Cnc), Phrygie (Leo), Rhodes, Arcadie (Vir), Hespérie, Rome / Italie (Lib),
Carthage, Libye (Sco), Occident / terre des Cimmériens (Cap). Enfin ils fournissent des éléments
d'explication essentiellement mythologiques, moins nombreux chez Dorothée que dans les Astronomiques.

24. A Vienna Demotic papyrus on eclipse - and Lunar - omina, edited with translation and commentary by
R. A. Parker (1959), VII, 59 p., 9 pi ; le traité Β ne contient que des omina lunaires : selon l'apparence et les
couleurs du disque de la Lune et des étoiles qui l'accompagnent, on pourra déduire telle ou telle conséquence ;
les pronostics sont toutefois plus détaillés que dans le texte A.
25. Teucros de Babylone (Ier s. av. ?) = Rhetorius, CCAG VII, p. 212 ; Paul d'Alexandrie a écrit au IVe s. ap. J.-C.
un traité d'astrologie, les Elementa apotelesmatica, JE. Boer éd., 1958, puisé à des sources très antérieures : la
chorographie qu'il donne au chapitre 2 {passim) est presque identique à celle de Teucros. Ce premier état a été
analysé par F. Cumont, 1909, « La plus ancienne géographie astrologique », Klio 9, p. 263-273 et S. Weinstock,
1948, « The geographical catalogue in Acts II, 9-11 », JRS 38, p. 43-46.
26. Dorothei Sidonii Carmen astrologicum, D. Pingree éd., 1976, coll. Teubner. Les fragments de la chorographie
zodiacale ont été conservés par Héphestion de Thèbes, cf. supra n. 5.
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 95

Manilius Teucros / Paul Dorothée


Ari Propontis άρχαίη Βαβυλών
Syriae gentes Τυρίου πόλισμα
Persis Περσίς ύστατα
Aegyptus (γείτων Αίγύπτοιο)
Tau Scythiae montes κλίμα Μηδικόν
Asia Βαβυλών Άρραβίη
Arabas πέδον Αίγύπτοιο
Gem Euxinus Καππαδοκία κλίμα Καππαδοκών
Thracia Περραιβών
Ganges, Indica sola Φοινίκων

Cnc Aethiopes 'Αρμενία Θρηικίων, Αιθιόπων κλίμα


Leo Phrygia 'Ασία 'Ελλάς
Cappadocum iuga Φρυγίη
Armenia στόμα Πόντου
Bithynia
Macetum tellus
Vir Rhodos Ελλάς / 'Ρόδος, Κυκλάδες νήσοι
Ioniae urbes 'Ιωνία
Dorica rura
Arcades Άρκάδες
Caria

Lib Hesperia Αιβύη Ίταλίη χώρη


Roma Κυρήνη κλίμα Κυρήνης
Sco Carthaginis arces πάσα Καρχηδών
Libyam 'Ιταλία
Cyrenes Άμμωνος Λιβύη
Sardinia, Insulae Σικελίη χθων
Sgr Creta Κιλικία / Κρήτη κλίμα Γάλλων
Trinacria Κρήτη
Magna grecia

Cap Hispanas gentes Συρία Κιμμερίη χθων


Gallia
Germania
Aqr Aegyptus Αίγυπτος κλίμα Αιγύπτου
Tyriae arces ή Μεσση των ποταμών
Cilicum gentes
Lycia
Psc Euphrates, Tigris
rubri ponti litora Ερυθρά θάλασσα 'Ερυθρά θάλασσα
Parthi
Bactra 'Ινδική χώρα
Aethiopes
Babylon, Susa, Ninus

Tableau comparé des chorographies zodiacales.


96 J.-H. ABRY

d) La carte de Ptolémée, bien qu'elle soit postérieure de plus d'un siècle aux Astronomiques, mérite
une mention particulière : comme Manilius, Ptolémée traite la chorographie astrologique pour elle-même,
réservant à cette question trois chapitres du livre II de la Tétrabible 27. La construction qui en résulte est
d'une complexité assez décourageante pour le profane, mais elle repose sur les mêmes principes que la
carte de Manilius : l'association des signes du zodiaque par triangles et la théorie des domiciles planétaires.

Les éléments structurels : triangles zodiacaux et domiciles planétaires


Si la carte géographique de Yoikoumène suit la forme d'un périple à l'intérieur du cadre donné par les
points cardinaux, sans aucune indication de coordonnées (axe ou parallèle), en revanche la carte
astrologique, que l'on pourrait croire distribuée au gré d'analogies qui relèvent de la fantaisie pure 28, obéit à
des lois géométriques assez précises et reconnaissables.
* Le premier principe, à la fois physique et symbolique, est commun à tous les astrologues. Les signes
du zodiaque sont groupés en quatre triangles :
Δ1 : Bélier-Lion-Sagittaire Δ2 : Taureau- Vierge-Capricorne
Δ3 : Gémeaux-Balance- Verseau Δ4 : Cancer-Scorpion-Poissons
et ces triangles zodiacaux sont attribués aux quatre points cardinaux et aux vents selon des associations qui
se veulent scientifiques. Le meilleur exemple de cette démarche intellectuelle est fourni par Geminos : dans
son manuel d'astronomie, YIntroduction aux Phénomènes, il donne toutes les définitions de cette science,
parmi lesquelles les notions qui concernent le zodiaque. Il commence donc par définir les aspects
géométriques et, parmi eux, le triangle qui groupe les signes trois par trois (II, 7) puis il explique
l'association avec les points cardinaux et l'intérêt du système :
« On appelle le premier triangle, construit sur le Bélier, triangle boréal, car si la lune se trouve
dans l'un des trois signes quand le Borée se met à souffler, ce type de temps dure pendant plusieurs
jours. C'est en se fondant sur cette observation que les astronomes prédisent la persistance des
vents du nord ; en effet si la lune se trouve dans un autre signe quand le vent se met à souffler du
nord, ce Borée s'apaise assez facilement ; si le Borée souffle en revanche dans l'un quelconque des
signes qui font partie du triangle boréal, c'est l'indice que le même genre de temps s'installe pour
bien des jours. Le triangle suivant, construit sur le Taureau, s'appelle triangle austral ; de même en
effet, si la lune se trouve dans l'un des trois signes qui le composent quand le vent du sud se met à
souffler, le même type de temps s'installe pour bien des jours. Le triangle suivant, construit sur les
Gémeaux, s'appelle triangle du zéphyr, pour une raison analogue. Le dernier triangle, construit sur
le Cancer, s'appelle triangle du vent d'autan (άφηλιωτικόν) pour la même raison. » (II, 8-11, trad.
G. Aujac, CUF).
L'association entre les triangles zodiacaux et les directions cardinales auxquelles correspondent les
quatre vents a donc une utilité évidente en astro-météorologie : elle permet de connaître le temps à partir
de la position de la lune et de l'affinité qui lie les signes zodiacaux aux points cardinaux. C'est l'une des
applications de l'idée essentielle rappelée par Manilius dans les v. 696-710 : la sympathie qui unit toutes
les parties de l'univers entre elles ; la mention des quatre points cardinaux et de la rose des vents au début
du texte (587-594) n'est donc pas seulement une orientation d'ensemble, même si l'auteur ne signale à
aucun moment les applications météorologiques du système.

27. Au Ptolémée de G. Aujac (v. supra n. 3), on peut ajouter R. Uhden, 1933, « Das Erdbild in der Tetrabiblos des
Ptolemaios », Philologus NF 42, 88, p. 302-325 ; S. Feraboli, 1985, « Un' insolita rappresentazione della terra »,
Μα/α 37, p. 13-15.
28. C'est le jugement sans pitié de Bouché-Leclercq, 19632, L'astrologie, p. 329 : « Manilius, le très précieux
néophyte, à qui il arrive de trouver des raisons naïves et primesautières à l'appui de sa répartition ». Le seul article
qui traite des sources astrologiques, A. Bartalucci, 1961, « Una fonte egizia di età Tolemaica nella geografia
zodiacale di Manilio », SIFC, p. 91-100, s'est surtout attaché à cerner l'époque des écrits astrologiques, sources
de notre texte.
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 97

L'association entre triangles zodiacaux et directions cardinales n'est d'ailleurs pas constante ; il
semble que les astrologues aient une certaine liberté pour décider des orientations des trigones et qu'ils le
fassent selon des raisons qui nous échappent souvent : le premier triangle peut être oriental 29 ou
septentrional 30, le second est septentrional ou austral, le troisième est soit occidental soit oriental, enfin le
quatrième triangle peut se trouver au sud, au nord ou à l'ouest, mais jamais à l'est.
Le système est connu de Manilius qui signale explicitement sa présence (811). Les indications
contenues dans le texte permettent d'établir le diagramme suivant :

Cap
Germania
Gallia, Hispania

(Gem) Leo
Phrygia
Ο Δ3 Lib Ari Λ1 Ε
Roma, Hesperia Syria, Persis
(Aqr) Sgr Creta

Sco Psc
Carthago, Ruber Pontus
Libya, Sardinia

Fig. 3. Les triangles zodiacaux

II fait apparaître que les signes du premier triangle gouvernent exclusivement les pays orientaux, ceux
du quatrième triangle gouvernent exclusivement le Sud ; le système fonctionne partiellement pour le
second triangle au nord ; seule la Balance, dans le troisième triangle, est occidentale. Deux directions
cardinales suffisent à orienter l'ensemble et, si le système ne fonctionne pas dans tous les cas, il rend
compte de neuf cas sur douze.
Une question se pose : en vertu de quelles raisons les triangles sont-ils associés aux directions
cardinales ? Geminos nous livre l'application du système, non l'explication. Celle-ci ne figure dans les
textes qu'à partir du second siècle, lorsque les triangles sont systématiquement associés à un élément, Δ1 :
le feu, Δ2 : la terre, Δ3 : l'air, Δ4 : l'eau. Il est certain que l'on passe alors dans le domaine des spéculations

29. Cas le plus fréquent : Manilius, Teucros, Dorothée, Valens.


30. Geminos, II, 8, 1 1 ; Ptolémée, I, 19 ; Firmicus Maternus, Maîhesis, II, 12, « Quels signes sont soumis à quels
vents ? », t. I, P. Monat éd., 1992, CUF, Paris. Sur ce système et la façon dont les astrologues l'appliquent,
v. Sphujidhvaja, The Yavanajataka, edited, translated and commented on by D. Pingree, 1978 (Harvard Oriental
Series 48, 2 vol.) ; triangles et points cardinaux : I, 66-67, commentaire : t. Il, p. 223-227 ; et les schémas établis
par W. Hübner, 1982, « Die Eigenschaften der Tierkreiszeichen in der Antike », Sudhoffs Archiv 22, p. 261-273.
98 J.-H. ABRY

physiques et symboliques sur le lien entre les quatre éléments et les quatre points cardinaux : il n'est pas
indifférent, dans l'image que l'on se fait du monde, de placer tel ou tel élément à l'une ou l'autre des
directions cardinales. Au début de notre ère, l'astrologie de Manilius révèle les premières traces d'une
théorie qui ne semble pas encore systématiquement constituée : au chant II, lorsqu'il traite des triangles
zodiacaux, le poète ne signale que certaines de leurs caractéristiques, mais il souligne fortement la polarité
qui oppose le triangle des signes humains (Δ3, Gémeaux, Balance, Verseau, auxquels il faut ajouter la
Vierge) aux signes animaux (le reste du zodiaque) ; en particulier les trois « animaux » du premier triangle
se caractérisent par leur férocité, plus prononcée pour le Lion, plus tempérée pour le Bélier et le Sagittaire,
et par leur attitude énergique (ils courent ou galopent) qui les distinguent des autres signes animaux :
Taureau et Capricorne sont des signes assis (sedentia) tandis que Cancer, Scorpion et Poissons sont
étendus (iacentia). Seuls les signes humains sont représentés debout (stantia), position qui, précisément,
caractérise l'homme et l'oppose aux animaux dans l'anthropologie stoïcienne 31. Il n'est pas impossible que
la disposition des triangles dans la chorographie zodiacale reflète une symbolique qui s'esquisse, les signes
iacentia ou sedentia, donc « passifs » (παθητικά), se trouvant au nord et au sud, tandis que les signes
« actifs » (δραστικά) occupent l'Orient et l'Occident dans une polarité déjà accentuée qui, un siècle plus
tard, sera clairement résumée par l'opposition feu (mouvement) - air (équilibre) 32.
Il faut donc bien souligner que la disposition des triangles associés aux quatre points cardinaux et, en
filigrane, aux quatre éléments structure en partie la chorographie des Astronomiques, mais que Manilius
n'applique pas intégralement le système 33.

* Le second principe qui ordonne la chorographie zodiacale est purement astrologique : ce sont les
domiciles planétaires.
Selon les astrologues égyptiens, chaque planète possède deux signes qui sont en quelque sorte ses
« demeures », l'un pour le jour, l'autre pour la nuit. Cette théorie provient du thema mundi, c'est-à-dire de
la disposition du ciel telle qu'elle était au moment de la création de l'univers 34. L'horoscope établi pour le
moment symbolique de la naissance du monde a fixé à jamais les énergies de planètes, et les signes qui
leur appartiennent : être animé, chacune déploie pleinement ses influences lorsqu'elle se trouve dans l'un
de ses séjours. Manilius ne traite pas du thema mundi, il laisse délibérément de côté la théorie astrologique
sur ce point, et la cosmogénèse (I, 122-172) est une revue des opinions des philosophes sur la question.
Cependant, lorsque l'on place le texte sous cet éclairage, on constate que la théorie des domiciles
planétaires transparaît d'une façon très évidente dans la chorographie zodiacale :

31. Opposition entre Δι et Δ3 Astronomiques, II, 523-524, 531-534 (humains et animaux) ; posture des signes,
currentia, sedentia, stantia, iacentia : II, 244-255 ; sur la nature de l'homme debout, tourné vers le ciel, II, 105-
108 et IV, 895-909 ; sur les incidences de l'anthropologie stoïcienne dans l'astrologie de Manilius, v. W. Hübner,
« Manilius als Astrolog und Dichter », ANRW 32, 2, p. 150-171.
32. Le feu est aussi associé à l'orient dans l'ethnographie de Ptolémée, Tétrabible, II, 2, 8 : « Les peuples qui habitent
vers l'orient sont ... assez virils, énergiques au moral, très expansifs : il semble normal en effet que le levant
participe de la nature du soleil. Aussi ce secteur est-il diurne, viril et droitier », G. Aujac, 1993, Ptolémée, p. 286.
33. Il n'est pas davantage prisonnier du système des triangles : il y a une interversion entre la Vierge (qui devrait
appartenir aux signes sedentia, mais que l'iconographie représente debout) et la Balance qui, du coup, change de
catégorie pour se classer parmi les signes sedentia, II, 243 et 25 1 .
34. A. Bouché-Leclerq, 19632, L'astrologie, p. 188. Le résumé le plus clair de cette théorie est fourni par Firmicus,
Mathesis, III, 1 .
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 99

Aegyptus Germania

Creta

Carthago

Vénus / Italia Roma

Ionia

Légende
Aries Libra
g Taurus Scorpio
π Gemini Sagittarius
SD Cancer Capricornus
Λ Leo CSSft Aquarius
Virgo κ Pisces

Fig. 4. Les domiciles planétaires.

- Saturne, planète froide et humide dans l'opinion commune 35, a pour domicile solaire le
Capricorne ; il gouverne donc le nord de l'Occident, la Germanie en particulier, « qui suit tantôt la mer
tantôt la terre, au gré des marées » (796) ; son domicile lunaire, le Verseau, protège l'Egypte, terre tout aussi
aquatique que la Germanie (mais moins froide : JEgyptum ad tepidam, 798 !).
- Le Sagittaire protège la Crète, non seulement parce qu'elle est la patrie du Minotaure et des archers,
mais aussi parce que, domicile diurne de la planète Jupiter, elle est (heureuse coïncidence !) le cadre de
l'enfance mythique du dieu Jupiter (634).
- Le Scorpion mordant, domicile solaire de la belliqueuse planète Mars, gouvernait l'Italie, terre de
guerriers, dans la chorographie antérieure de Teucros ; dans le monde de Manilius (et de Dorothée) il régit
désormais une terre maudite par les guerres qu'elle a menées : Carthage...
- À l'inverse, la Balance ne protège plus la ville de Didon, mais Rome et l'Italie ; bien que le texte ne
le signale pas, il faut rappeler que le signe est le domicile solaire de la planète Vénus, cette même planète
qui, dans son domicile nocturne, le Taureau, règne sur les Arabes amollis (mollis Arabas, 754) 36.

35. A. Bouché-Leclerq, 19632, L'astrologie, p. 96.


36. Ptolémée applique conjointement les deux systèmes, triangles et domiciles planétaires, ce qui donne des résultats
partiellement semblables : les habitants de la Parthie, de la Médie et de la Perse, gouvernées par le Taureau et
par Vénus, portent de longues robes brodées qui laissent la poitrine découverte et ils sont efféminés
(άβροδίαιτοι, II, 3, 27).
100 J.-H. ABRY

- enfin, Mercure a toujours régi l'intelligence : il est donc naturel que son domicile solaire, la Vierge,
patronne la Grèce (Teucros), les villes d'Ionie (Paul, Manilius) 37.
Le système des domiciles planétaires est donc parfaitement lisible dans la géographie astrologique de
Manilius. L'a-t-il appliqué sciemment, mais partiellement et sans le signaler (si les domiciles diurnes des
planètes jouent véritablement un rôle, les domiciles nocturnes n'interviennent que dans deux cas et les deux
luminaires semblent exclus du système) ou bien, le trouvant dans ses sources, l'a-t-il repris sans en avoir
une conscience très claire ?

Astrologie et mythologie
II serait tentant de penser que la mythologie fait partie intégrante de l'astrologie, construction
arbitraire de l'imagination humaine... En fait, la question est plus complexe : le processus de
« mythologisation » du ciel et des constellations a été graduel et assez irrégulier 38. L'identification des
constellations à des personnages ou à des êtres de la mythologie s'opère depuis Homère jusqu'aux
Catastérismes d'Ératosthène, qui marquent pratiquement le terme du processus ; les mythographes des
siècles suivants ne feront qu'ajouter des variantes aux légendes qui expliquent le ciel. La carte du ciel, avec
les'fables qui s'y attachent, est donc fixée au IIP s., au moment où naît l'astrologie : les astrologues héritent
des figures célestes et des légendes qui expliquent chacune de ces figures, mais ils font rarement appel à
la mythologie et leur mode de raisonnement, leur pensée est symbolique plus que mythique 39.
L'un des traits qui distinguent précisément les Astronomiques des traités d'astrologie est le recours
fréquent à des explications, à des etiologies qui relèvent de la mythologie. La chorographie zodiacale en
fournit plusieurs exemples : l'un, antérieur à Manilius, est la tutelle qu'exerce le Sagittaire sur la Crète (783-
786) non seulement en vertu du principe d'analogie (les archers crétois), mais aussi parce que c'est la patrie
du Minotaure et, à la fois, le cadre de l'enfance mythique de Zeus et le domicile de la planète Jupiter :
analogie, astrologie et mythologie se superposent dans un lacis étonnant. De même, à la Vierge est dévolue
l'Arcadie, pays mythique des premiers temps, car la Vierge est aussi identifiée à Dikè, la Justice, qui régnait
sur terre au temps de l'âge d'or (768, Arcades antiquï). Ces deux etiologies, qui se trouvent aussi chez
Dorothée 40, montrent que le recours à la mythologie était une possibilité latente dans le système de pensée
des astrologues, mais ce sont des poètes qui en jouent et Manilius plus largement que Dorothée : le Bélier
protège la Propontide où tomba Hellé lorsque l'animal à la toison d'or emporta la jeune fille et son frère en
Colchide pour les soustraire à leur belle-mère (615, 746-749) ; les Gémeaux régissent à la fois le Pont-
Euxin, qui a la forme d'un arc car Phébus, le dieu-archer, est identifié à l'un des Gémeaux (755-756), et le
Gange à l'extrémité du monde (757), en souvenir de la part prise par Héraclès aux expéditions guerrières
de Dionysos contre les Indiens. Le mont Ida et la Phrygie appartiennent au Lion, animal qui tire le char de

37. De même Ptolémée : la Grèce, l'Achaïe et la Crète sous la protection de la Vierge et de Mercure qui rendent leurs
habitants λογικοί και φιλομαθείς καί της ψυχής ασκούντες πρό του σώματος (Π, 3, 21) ; la Babylonie, la
Mésopotamie et l'Assyrie, sous l'influence de la Vierge et de Mercure, sont, pour la même raison, la patrie de
l'astronomie et de l'étude des planètes (II, 3, 28).
38. Sur ce point, v. J. Seznec, 19802, La survivance des dieux antiques, Paris, p. 41-44 ; et, en dernier lieu,
W. Hübner, 1998, « Astrologie et Mythologie dans la Tétrabible de Ptolémée d'Alexandrie », Actes du Congrès
Sciences exactes et sciences appliquées à Alexandrie, Publications de l'Université de Saint-Étienne, p. 325-345.
39. Pour les planètes, la chronologie est différente : les Grecs ont appris des Babyloniens à reconnaître leur cours et
les divinités auxquelles chacune était consacrée ; les pythagoriciens semblent avoir contribué à adapter le
système au Ve s., en substituant aux dieux babyloniens des dieux grecs qui offraient des ressemblances. Mais au
IIIe s., les astronomes grecs usent encore d'une terminologie purement scientifique ; ce n'est qu'au Ier s. av. J.-C.
que les sept planètes sont véritablement identifiées aux principales divinités de la mythologie et de la religion ;
cf. F. Cumont, 1935, « Les noms des planètes et l'astrolâtrie chez les Grecs », AntClass IV, 1 ; J. Seznec, 19802,
La survivance, p. 43.
40. Carmen astrologicum : Κρητή, Κρονίδαο Διός τροφός, ν. 161 ; et à propos de la Vierge : δρύες Ώγύγιαι, ας
Αρκάδες άνδρες εδεσκον, ν. 103. C'est l'un des points où la différence avec Ptolémée est la plus évidente il
fait plus rarement intervenir la mythologie.
:
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 101

Cybèle, la Magna Mater (759-760, Idaeae matris famulus). Dernière légende que Manilius évoque
volontiers : la fuite de Vénus et de Cupidon devant le géant Typhon et leur métamorphose en poissons :
c'est l'adaptation grecque d'une légende sémitique, l'aventure de la très ancienne déesse syrienne Atargatis,
représentée à Ascalon, moitié femme moitié poisson, et identifiée à l'époque classique avec Aphrodite. Cela
explique que la Mésopotamie, entre le Tigre et l'Euphrate, revienne au signe des Poissons, alors qu'elle est
dévolue au Verseau chez Dorothée (v. 201).
En insérant la mythologie dans le réseau d'analogies et de correspondances symboliques sur
lesquelles roule la pensée des astrologues, Manilius élargit et enrichit très nettement le champ interprétatif.
En même temps, l'analyse redevient plus familière pour le lecteur, ancien ou moderne : les légendes
donnent à la carte et au dessin figuratif leur agrément ; elles invitent aussi à scruter tous les niveaux
d'interprétation que le mythe peut comporter dans la pensée antique, notamment la portée politique.

Une carte politique

En effet la carte double des Astronomiques tend vers une fin bien précise ; la géographie, dont nous
avons montré les limites, l'astrologie et ses arcanes ne se suffisent pas à elles-mêmes : elles doivent faire
apparaître le destin que les astres assignent à Rome.
Premier point : la géographie astrologique est, en elle-même, de nature politique car elle concerne
l'avenir, le destin d'un groupe, d'une collectivité, peuple ou nation, et de celui qui la dirige. L'astrologie la
plus ancienne, avant de traiter des destins individuels, formulait des pronostics seulement pour les rois et
l'ensemble d'un pays, à partir des données astronomiques et des phénomènes visibles au ciel. Le papyrus
démotique de Vienne en fournit une bonne démonstration : « Si le soleil est éclipsé dans IIII prt, étant
donné que le mois appartient aux Cretois, cela signifie que) : le maître des Cretois... » ; ou encore : « Si la
lune subit une éclipse dans II smw, puisque le mois appartient à l'Egypte, cela signifie que le maître du pays
sera capturé. L'armée sera battue en bataille rangée... 41. » Les omina annoncés, sécheresse, inondation,
stérilité, famine ou abondance touchent la collectivité, même si ce ne sont pas des événements politiques
au sens moderne du terme ; guerre, mort d'un roi ou invasion sont, elles, strictement politiques. Dans la
géographie astrologique, c'est bien le destin collectif qui est en jeu.

Or la carte du monde des v. 585-817 n'est pas un excursus atemporel, un dessin coloré sur lequel
l'esprit s'évade pour se livrer à des réflexions détachées de l'instant. On y lit, au contraire, des échos à la
politique conduite pendant le Principat d'Auguste ou à l'actualité immédiate. La politique, c'est (peut-être)
l'évocation des trophées qui se dressent en Asie (622-623), les deux mentions de l'Inde (674 et 755) 42 et,
sûrement, l'Empire parthe, cité à deux reprises et longuement (674, 803). L'actualité immédiate, ce sont les
deux allusions à la guerre d'Illyrie (610, 690), la mention du séjour de Tibère à Rhodes (764-766) et, enfin,
la Germanie, citée à trois reprises (692, 715, 794-796). Le monde tel que l'évoque Manilius porte la marque
tout à fait claire des questions politiques qui se posent à Rome dans les ultimes années du règne d'Auguste :
le désastre subi par Varus, les guerres au nord et dans l'Europe centrale où s'est illustré Tibère, revenu de
ses années d'exil à Rhodes et désormais corégent et héritier désigné.

41. A Vienna Demotic papyrus, p. 15 et 25.


42. Derrière la double allusion, géographique et mythologique, il y a sans doute un souvenir des ambassades
indiennes envoyées à Auguste en 25 et en 20 av. J.-C. {Res Gestae, 31, 1 et Suétone, Aug., 21) ; cf. F. Stok, 1993,
« Physiognomonica maniliana », Manilio fra poesia e scienza, Actes du Congrès de Lecce, p. 169-184, en
particulier p. 177.
102 J.-H. ABRY

Mais la carte du monde de Manilius ne reflète pas uniquement l'actualité immédiate : elle porte aussi
le sceau de l'histoire de Rome, à laquelle s'est opposée Carthage. Le souvenir des guerres puniques revient,
lui aussi, avec force :
magnae quondam Carthaginis arces..., 599,
quondam Carthago regnum sortita sub armis..., 658-661,
inferius uictae sidus Carthaginis arces..., 778 s.,
mais c'est pour rappeler chaque fois que la grandeur de Carthage appartient à un passé définitivement
révolu. Et l'ethnographie vient appuyer l'histoire : l'Afrique est un continent détestable, stérile (horrida
tellus, 667), une terre peuplée d'animaux monstrueux, serpents, éléphants, singes (des caricatures
d'hommes, portentosos cercopum ... in ortus, 668), bêtes venimeuses qui vivent de la mort (mortis pastu
uiuentia, 665), une terre pire que des sables stériles (669) où ne pousse guère que la plante du silphium
amer (780) ; ses habitants sont à son image, noirs, desséchés par la poussière des sables et brûlés par
l'action du soleil (728-729).
À l'Afrique et à Carthage s'opposent, naturellement, dans une antithèse sommaire et appuyée,
l'Europe et Rome.
L'Europe intervient au terme d'une progression : après l'Afrique vient l'Asie (671-680), continent
énorme, terre puissante (nitentis, 621, potentis, 680, 753, diues, 67Ί, 653), riche de ressources naturelles
qui suscitent l'étonnement (miratur, 622) : les fleuves qui roulent de l'or (672), sur les côtes la mer brillant
de pierres précieuses (656, 672, 806), les forêts aromatiques (673, 754), le Taurus prodigieux qui se dresse
vers le ciel (675) et menace la mer (623)... Puissance de l'espace, richesses minérales et végétales
caractérisent ce second continent, mais les hommes sont molles (654, 754) et la Perse, drapée dans ses
vêtements, ne connaît pas l'usage de la ceinture (750). Les topoi qui évoquent une terre fabuleuse (les forêts
qui embaument, les rivières qui roulent de l'or) sont aussi, et surtout, des réminiscences de l'un des passages
les plus importants des Géorgiques, les laudes Italiae (II, 136-176), où Virgile définit les conditions d'un
nouveau bonheur, d'un nouvel espoir, en opposant à l'Orient fabuleux les richesses naturelles et les
ressources qui font de l'Italie une terre où l'âge d'or est toujours possible (Saturnia tellus) si les hommes
veulent reprendre courage :
« Mais ni la terre des Mèdes, si riche en forêts, ni le beau Gange, ni l'Hermus, dont l'or trouble
les eaux, ne sauraient lutter de mérites avec l'Italie... », Géorg. II, 136 s.
Cependant, les laudes Italiae que l'on attend sont provisoirement différées au profit des laudes
Europae, elles aussi célébrées en termes virgiliens :
maxima terra uiris et fecundissima doctis I artibus, 684-685 43.
L'Europe est riche de ses hommes (uiris), de ses villes, Athènes, Sparte, Thèbes, Pella, autant de noms qui
résument l'histoire de la Grèce ; elle tire sa force des terres qu'habitent des peuples guerriers (Thessalie,
Épire, Illyrie, Thrace, Germanie, Espagne), de ses richesses naturelles (Gallia per census, 693, diues, 793),
des civilisations qui s'y sont développées (Athènes, regnum ... oris), de ses dieux (Thèbes). Au sommet (et
au terme de la progression) se trouve l'Italie que Rome toute puissante a placée à la tête du monde, tandis
qu'elle-même touche au ciel :
Italia in summa, quam rerum maxima Roma
imposuit terris caeloque adiungitur ipsa, 694-695.
La mention de l'Italie et de Rome, pont entre les terres qu'elle domine et le ciel auquel elle s'égale,
intervient donc au terme d'une double progression dans le texte, progression entre les trois continents,
progression à l'intérieur de l'Europe. Elle se trouve exactement à la césure du texte (110 v. + une lacune
avant, 119 v. après) ; elle révèle l'axe sur lequel repose, en fait, la géographie de Manilius : Rome. Ce
« romano-centrisme » est clairement repris ensuite dans l'ethnographie : aux peuples du Nord, Germains
et Gaulois, déséquilibrés dans leur stature et dans leur complexion par le manque de soleil (715-716), aux

43. Reprise évidente de Géorg. II, 173-174 : Salue magna parens frugum, Saturnia tellus, I magna uirum.
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 103

peuples méridionaux, brûlés et ratatinés par une insolation excessive (723-730), s'oppose la morphologie
équilibrée des peuples méditerranéens rendus plus vigoureux et harmonieux par l'action du soleil (les
Espagnols, 717), par leur civilisation (les Grecs, 720-721) ou leur ascendance divine (les Romains, 718-
718) ^. II est tout aussi évident que la chorographie zodiacale est centrée, elle aussi, sur la Balance,
septième signe zodiacal à la charnière des deux hémisphères : les vers 769-777 sont sans doute le point
focal de la chorographie et un des temps les plus importants du chant IV. L'astre sous lequel Rome est née
explique l'histoire qui est la sienne, il détermine son destin et définit sa mission : faire régner la justice et
gouverner avec équilibre les peuples qui lui sont soumis.

En effet dès le proœmium a été posé le thème essentiel du chant : le destin, qu'il s'agisse du destin des
individus ou du destin collectif. Comment se fait-il que les hommes naissent avec des aptitudes si diverses
et que leurs vies suivent des cours si inattendus (69-105) ? Comment Rome, simple agrégat de bergers au
départ, a-t-elle pu surmonter les vicissitudes et les crises de son histoire (notamment les guerres puniques,
37-42) pour devenir la maîtresse du monde (23-42) ? Pour les individus, les réponses sont données au fil
du chant IV, notamment dans les deux séquences zodiacales, 122-293 et 505-584 ; il est donc normal que
le poète revienne sur le destin collectif de Rome à la fin du chant.
L'explication est fournie par l'horoscope des vers 769-777. Dresser l'horoscope d'une ville n'est pas
une nouveauté : l'astrologie s'est véritablement constituée dans le monde hellénistique ; après le règne
d'Alexandre, elle a fourni aux chefs, aux généraux, aux rois et aux villes la possibilité d'affirmer que leur
charisme, leur fortune, félicitas ou τύχη, ne reposait plus seulement sur la faveur des dieux mais qu'il était
voulu, déterminé par la protection des êtres divins que sont les astres qui régissent le monde selon un ordre
et une loi absolue. L'astrologie pénètre donc peu à peu le monde politique ; les premiers témoignages sûrs
dont nous disposons datent du Ier s. av. notre ère, mais le processus est certainement antérieur et il s'est
vraisemblablement amorcé au lendemain de l'aventure d'Alexandre et, peut-être, autour de la personnalité
et de la légende d'Alexandre : la Macédoine avait déjà comme symbole monétaire antérieur le lion, de
même qu'un certain nombre de cités d'Asie Mineure (Milet notamment). Après le IIIe s. le symbole a pris
aussi une signification astrologique, et une tradition apocryphe donne le Lion comme signe de naissance
pour Alexandre et pour la fondation d'Alexandrie 45.

Sur l'horoscope de Rome, nous sommes mieux informés : ce n'est pas l'œuvre de Manilius, mais le
calcul astronomique et les premières spéculations ont eu lieu à l'initiative de Vairon, sans doute dans les
années 46/45, en tout cas au moment de la crise de la guerre civile et de la dictature de César 46. C'est alors
que s'est produit, vraisemblablement, le chassé-croisé relevé par F. Cumont : le Scorpion, signe belliqueux
et mauvais, domicile de Mars, qui gouvernait l'Italie dans la chorographie de Teucros, règne désormais sur
Carthage et l'Afrique tandis que l'Italie passe sous la protection de la Balance. Si cet horoscope n'est pas
l'invention de Manilius, en revanche le texte des Astronomiques en propose une interprétation, une
exégèse : la Balance est un signe rector, elle a vocation à gouverner 47 car l'instrument de mesure qui donne

44. Ce point a été bien étudié par F. Stock, 1993 (cité supra, n. 42). À rapprocher de Vitruve VI, 1,3-12.
45. Cf. W. Gundel, 1925, RE XII, 2, s. v. « Leo », col. 1979 et 1983 ; sur les traces fragmentaires mais certaines de
cet horoscope, et son utilisation ultérieure à des fins politiques, v. J.-H. Abry, 1993, « À propos d'un symbole de
Marc Antoine, le Lion », Actes du Colloque Marc Antoine, son idéologie et sa descendance, Lyon, p. 64, n. 26.
De fait, dans la géographie de Manilius, la Macédoine est placée sous la protection du Lion : et Macetum tellus
quae uicerat orbem, 762.
46. Les circonstances dans lesquelles l'horoscope de Rome a été calculé ont fait l'objet d'un article complémentaire
de celui-ci : J.-H. Abry, 1996, « L'horoscope de Rome (Cicéron, Diu., II, 98-99) », Actes du Congrès international
Les Astres, Montpellier, 23-25 mars 1 995, t. II, p. 121-1 40. La Balance est le domicile diurne de la planète Vénus,
et le détail n'était sûrement pas indifférent à un moment où César inaugurait son Forum, avec le temple de Venus
Genitrix et la statue de la déesse, ancêtre des Iulii.
47. Cuncta régit, 770, cf. IV, 216, 338, 551 ; les vers 770-777 reprennent des formules et des images données dans
les deux portraits antérieurs des natifs de la Balance, IV, 207-216 et 549-552. Voir les relevés faits par W. Hübner,
1982, p. 568-570.
104 J.-H. ABRY

sa forme et son nom à la constellation pèse, soupèse et apprécie le poids et la valeur des choses 48. D'où sa
capacité à faire les bilans, les additions 49 et, en dernier ressort, à décider et à trancher 50. De cette
« technicité » découle une conséquence fondamentale : la vocation à la justice, la faculté de juger avec
équité lorsque les plateaux arrivent à leur point d'équilibre. L'équilibre est aussi caractéristique de la saison
à laquelle correspond le signe : lorsque le soleil parcourt le secteur de la Balance, la nuit et le jour sont
égaux, les saisons se rejoignent et s'équilibrent à mi-chemin entre la chaleur de l'été et le froid de l'hiver :
tempora quo pendent, coeunt quo nox diesque, 772.
Le signe marque donc un moment d'équilibre cosmique, comme la position de l'Italie entre les peuples du
Nord, immenses, clairs et farouches, et les peuples du Sud, secs et noirs, ou les Orientaux amollis, vaut à
ses habitants des corps bien proportionnés et les heureuses dispositions accordées respectivement par Mars
et Vénus (719). L'équilibre est la vertu constitutive de Rome, sa qualité intrinsèque qui correspond au plan
supérieur à la vertu de justice symbolisée par l'instrument 51 avec l'aiguille {examen) et les deux plateaux.
Le destin qui est le sien, ce pour quoi elle a été fondée, est de régir le monde en faisant régner la
justice parmi les peuples qui lui sont soumis. Cette justice est active et dure : puissance arbitre du destin
des autres peuples, elle les élève et les abaisse selon leurs mérites :
lancibus et positas gentes tollitque premitque, 775 ;
la comparaison avec Dorothée est instructive : dans le Carmen astrologicum, l'Italie est sous (= sous
l'influence des) les plateaux de la Balance,
'
Ιταλίη χώρη τε πέλει πλάστιγγας ύπ' αύτάς, 122 ;
chez Manilius, elle les porte, elle les détient et s'en sert activement comme Zeus dans Ylliade détenait la
balance et arbitrait les destinées des hommes. L'astrologie résume et justifie l'impérialisme universel et la
notion morale et politique qui le fonde, la justice, l'une des quatre vertus cardinales que l'homme d'État doit
posséder et appliquer avec rigueur. À bien des égards, le texte de Manilius semble être un commentaire
astrologique au chant VI de Y Enéide, où Virgile définit la mission supérieure dont est investie Rome :
Tu regere imperio populos, Romane, memento
(hae tibi erunt artes), pacique imponere morem
parcere subiectis et debellare superbos, 851-853,
où les deux verbes symétriques, parcere ... debellare, peuvent être illustrés par le mouvement des plateaux
dont l'un s'abaisse tandis que l'autre s'élève jusqu'à réaliser l'équilibre.
Un second horoscope double celui de Rome : sous le même signe est né le César, nouveau conditor
Urbis, dont le pouvoir s'étend à l'univers entier qu'il gouverne d'un simple mouvement de tête. Qui se cache
derrière les v. 776-777, dont le texte est bien malmené dans les manuscrits ? ... Auguste ? Mais, bien qu'il
fût né un 23 septembre (selon la tradition) sous le signe solaire de la Balance qui, de plus, était à
l'Ascendant, il a revendiqué de bonne heure la protection du Capricorne, son signe lunaire qui, en raison
de ses résonances symboliques et mythologiques, est apparu comme un symbole bien meilleur pendant la
guerre civile et le début du Principat 52. Tibère ? Mais il était né sous le signe du Scorpion ; il vient d'être
question de son exil à Rhodes et il semble difficile de lui rapporter à la fois l'allusion antérieure (le signe
de la Vierge, 764-765) et le signe de la Balance ; et à supposer même qu'il faille retarder la datation du
chant IV de quelques mois ou d'un an, rien dans les débuts, empreints de modestie, du règne de Tibère

48. Rerum pondéra nouit, 770, cf. IV, 205.


49. IV, 205-208, et 383, mensuris ... Libra potens.
50. Retineî discrimina rerum, 11 A.
51. Iniquum separat aequo, 111, cf. III, 305, iustae examina Librae, IV, 216 et, surtout, 548-550.
52. Sur ce point v. J.-H. Abry, 1988, « Auguste : la Balance et le Capricorne », REL 66, p. 103-121 Les conclusions
auxquelles tendait cet article ont été confortées récemment par le travail de M. Schütz, 1991, « Der Capricorn als
.

Sternzeichen des Augustus », A&A, 36, p. 55-67 qui, toutefois, ne semble pas en avoir eu connaissance.
MANILIUS, ASTRONOMIQUES, IV 105

n'autorise à penser qu'il se soit présenté comme un nouveau Conditor Urbis doté d'un pouvoir
cosmocratique. La difficulté des v. 776-777 tient à ce qu'ils sont à la fois une allusion précise, avec un
contenu idéologique clair qui convient mieux au Princeps vieilli qu'à celui de son successeur désigné, sans
que la démonstration puisse apporter de certitude.
Quelques observations peuvent - peut-être - faire avancer la question : la fondation de Rome (v. 773)
fait, vraisemblablement, référence aux résultats auxquels parvint Tarutius : selon Plutarque, sollicité par
Vairon, il établit que Rome avait été fondée le 9 Pharmouthi et que Romulus, conçu le 23 Choïac, était né
le 21 Thoüth. La conversion de ces dates dans le calendrier romain est source de grosses difficultés mais
une chose est claire : dans l'esprit de Tarutius (et de Vairon, auteur de la question), il y a un lien entre la
fondation de Rome et la naissance de Romulus, lien identique à celui que Manilius relève entre la fondation
de Rome et la naissance du César qui gouverne le monde. Ce lien, astrologique, est donné par le signe de
la Balance, il implique une communauté de destin entre la Ville, celui qui l'a fondée une première fois et
celui qui la gouverne après l'avoir fondée une seconde fois. C'est une théorie astrologique bien attestée 53 ;
elle peut aider à résoudre l'épineuse question des dates : la Balance, signe dans lequel se trouvait la lune
au moment de la fondation de Rome 54, est (peut-être) le signe solaire de la naissance de Romulus 55, c'est
sûrement le signe solaire et ascendant dans l'horoscope d'Auguste tel que l'on peut le reconstituer, c'est
aussi le signe dans lequel se trouvait la lune lors de la naissance de Tibère 56. Cette série de coïncidences
(mais s'agit-il de coïncidences ?) peut expliquer l'insistance avec laquelle Manilius évoque l'horoscope de
Rome, alors que celui-ci n'a jamais fait l'objet d'une diffusion officielle, et l'ambiguïté du portrait impérial :
il est difficile de ne pas reconnaître Auguste dans le double portrait des natifs de la Balance 57, mais il est
possible que, après la publication officielle de la géniture d'Auguste, en 1 1 ap. J.-C, des spéculations aient
souligné la continuité astrologique entre les trois horoscopes, celui de Rome, celui d'Auguste et de son
successeur futur. Dans les Astronomiques, l'astrologie sert non seulement à expliquer et à justifier
l'impérialisme et la mission historique de Rome, mais aussi à définir le Princeps idéal dont le destin se
confond avec celui de la Ville.

53. Sur la synastria, communauté astrologique de destin entre une ville et son fondateur, Ptolémée est tout aussi net :
pour les villes capitales, lorsqu'on ignore précisément leur thème de naissance, il faut se référer à la naissance de
leurs princes ou de leurs gouvernants (II, 4, 6). La tradition romaine connaissait déjà de telles rencontres (Numa
serait né le jour même de la fondation de Rome) ; sous l'Empire, elles seront institutionnalisées : Timgad et
Lambèse furent fondées selon un axe (decumanus) orienté à 87° / 267° correspondant au lever du soleil le
18 septembre, dies natalis de Trajan, W. Barthel, 1911, « Römische Limitation », Bonner Jahrbücher 120,
p. 102-111.
54. Cicéron, Diu. II, 98 ; Plutarque donne simplement les dates sans préciser les positions planétaires, Romulus 12.
55. Si l'on convertit les dates indiquées par Plutarque (selon le calendrier égyptien, vague) dans le calendrier julien,
on obtient, pour les années 46/45, 9 ou 10 avril (fondation de Rome), 24/25 décembre (conception de Romulus),
23/24 septembre (naissance de Romulus). En raison des incertitudes sur la date à laquelle a eu lieu la consultation
de Tarutius (46/45 av. J.-C. ?), sur la date à laquelle est entré en vigueur le calendrier alexandrin fixe (30 / 26
av. J.-C. ?) et sur la méthode utilisée par Tarutius, l'hypothèse est fragile mais peut-être assez proche de la vérité ;
elle a l'avantage de maintenir la date traditionnelle de la fondation de Rome en avril et de « faire naître » Romulus
aux environs du 23 septembre, date qui sera diffusée par la suite pour Auguste... Sur cette épineuse question, v. J.-
H. Abry, « L'horoscope de Rome », note 9 (v. supra, n. 46).
56. La théorie développée par Housman (1, p. LXXI et 4, p. 104) est confirmée par les éphémérides : le jour de la
naissance de Tibère, 16 novembre 42 av. J.-C, la lune se trouvait dans le signe de la Balance, longitude 204°
B. Tuckerman, 1962, Planetary, Lunar and Solar Positions, 601 B.C. to A.D. 1, Philadelphie.
:

57. Les v. 769-777 reprennent très précisément le premier portrait tracé aux v. 549-552 : le natif de la Balance
possédera un sens inné de la justice qui en fera un législateur, un juge suprême détenant le pouvoir de vie et de
mort en même temps qu'une puissance cosmocratique. L'article de J. Bayet, 1939, « L'immortalité astrale
d'Auguste ou Manilius, commentateur de Virgile », REL 17, p. 141-171, reste essentiel sur ce point.
106 J.-H. ABRY

Au terme du parcours, il est plus facile d'apprécier l'ensemble : à partir de sources sèches, ingrates,
l'auteur a construit un texte d'une singulière complexité qui exige plusieurs approches successives,
plusieurs analyses pour le placer sous l'angle de la géographie et de ses différentes faces, des mécanismes
qui s'entrecroisent dans l'astrologie, des différents niveaux de pensée inhérents à la mythologie et à la
réflexion sur la structure du monde. Derrière la complexité apparaît alors l'intention du poète : faire une
construction rigoureuse qui exclue toutes les dérivations auxquelles la géographie astrologique peut se
prêter, dans ses applications pratiques (météorologie, astrologie médicale) ou polémiques car la
chorographie astrologique, système sommaire et mécanique fournit un des arguments « de choc » aux
détracteurs de l'astrologie, et Firmicus, en énonçant les critiques de ses adversaires avant d'y répondre,
témoigne de la virulence de la querelle 58. Manilius a négligé tous ces à-côtés pour orienter sa
démonstration vers une fin unique et claire : montrer que la position centrale que la géographie a accordée
à Rome au sein des terres et des peuples est l'effet du destin 59. Il a fixé en même temps, dans les astres, la
mission historique qui lui incombe : faire régner l'équilibre et la justice parmi les peuples dont elle a la
responsabilité. À la réflexion sur le destin de Rome commune aux écrivains du siècle d'Auguste, Manilius
apporte la sanction de l'astrologie en même temps qu'il amorce une théorie providentialiste du Principat en
couplant le destin de la Ville et celui de son fondateur, image idéale du Princeps destinée à se perpétuer.

58. Firmicus Maternus, Mathesis, I, 2, 1-4.


59. Firmicus (I, 2, 3-4) fait une allusion rapide à cette idée qu'Augustin combattra de son côté {Cité de Dieu, V, 190).

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