EN QUESTIONS
Christian BIALÈS
Professeur de Chaire Supérieure
en Économie et Gestion
www.christian-biales.net
Ce site se veut évolutif. Pour cela il fait l’objet d’un enrichissement documentaire régulier.
CHRISTIAN BIALÈS
Professeur de Chaire Supérieure en Économie et Gestion
Montpellier (France)
www.Christian-Biales.net
© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Ch. Bialès P. 2 05/07/2020
I- La nouvelle économie, quelle(s) définition(s) ?
a- Le contour statistique.
Les NTIC sont statistiquement classées en trois groupes : l'informatique (entreprises produisant les
matériels et les services connexes : exploitation, maintenance et commerce) , l'électronique (fabrication
des composants et de certains appareils) et les télécommunications (activités de services et fabrication
d'appareils) mais donnent lieu au développement de quatre nouvelles familles d'activités : la fourniture
d'accès (vente de l'accès à l'Internet), le support de développement (services de conseils et d'assistance),
les dot.com (transposition dans le monde virtuel d'activités traditionnelles telles que le commerce, la
banque, les médias, l'éducation, ...) et l'intermédiation des dot.com (portails et moteurs de recherche pour
mettre en présence les différents acteurs du web).
En définitive, dans la comptabilité nationale française, qui est très proche en cela des conventions de
l'OCDE, le secteur des TIC regroupe la division 30 de la NAF : biens informatiques et matériels de
bureau, la division 32 : composants, équipements de télécommunications et l'électronique grand public,
deux éléments de la division 33 : instruments de mesure et de contrôle, la division 64 : postes et
télécommunications, et la division 72 : les services informatiques.
Remarques :
1) Quand on évoque la nouvelle économie, on pense évidemment globalement aux NTIC mais peut-
être plus particulièrement à Internet, c'est-à-dire à l'apparition (récente) et à la généralisation
(rapide) d'un support universel de communication de données, qu'il s'agisse de textes, de sons ou
d'images.
2) Certains auteurs, arguant du fait qu’aujourd’hui les NTIC ne sont plus vraiment nouvelles,
préfèrent évoquer directement et simplement les « TIC ».
La définition technique de la nouvelle économie se fonde selon nous sur trois critères fondamentaux :
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télécommunications (placées dans le secteur des TIC) et dans celui des produits éditoriaux (rangés dans
les secteurs "non TIC").
-2- La commutativité : les NTIC sont par nature commutatives en ce sens que leur fonction de
base est de créer des relations, à commencer par des relations d'information. Et cette commutation tous
azimuts entraîne une véritable révolution conceptuelle et culturelle.
-3- La transversalité : c'est peut-être la grande différence entre la révolution industrielle des NTIC
et d'Internet par rapport aux révolutions industrielles précédentes ; il s'agit en effet de techniques qui
concernent l'ensemble des secteurs et des activités économiques, elles se répandent dans tout le système
productif.
Remarque 1 : De même qu'au niveau macroéconomique cette transversalité concerne les différents
secteurs économiques, au niveau mésoéconomique elle touche les relations entre entreprises et au niveau
microéconomique elle bouscule les différentes fonctions de l'entreprise : le management doit donc laisser
la place à l'e-management, avec une réflexion délaissant quelque peu les découpages fonctionnels pour se
focaliser sur les modifications apportées par les NTIC dans les domaines de la stratégie et de
l'organisation des entreprises.
Régime de "coopétition"
(coopération et compétition)
entre équipes
Internes :
logique entre métiers
transversale
NTIC entre sites
et Interconnexions
Internet
Externes : avec les clients
logique avec les fournisseurs réseaux
partenariale Stratégie
du même secteur de leadership :
avec les entreprises logique
des autres secteurs "écosystèmes entrepreneuriale
d'affaires"
Principe de "coévolution"
X. Dalloz parle de la "nouvelle économie digitale et connectée" et considère qu'Internet en est le cœur :
avec le réseau des réseaux, un nouveau modèle économique est né, celui de la gratuité, qui s'étend du
monde universitaire d'origine au monde commercial avec l'offre de logiciels libres et la multiplication des
services en lignes gratuits.
Remarque 2 : Comme les NTIC concerne l'ensemble des secteurs économiques, la définition technique de
la nouvelle économie peut conduire à l'appeler "économie numérique".
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Certains parlent même de « civilisation numérique » pour exprimer l’importance du changement de
paradigme que l’on vit actuellement. Le nouveau paradigme se caractérise, comme l’a dit Daniel Kaplan
lors des premiers « Entretiens des civilisations numériques » qui se sont tenus début octobre 2005, à la
fois par l’effacement d’un certain nombre de frontières traditionnelles (entre le naturel et l’artificiel, entre
le mécanique et l’organique et entre le numérique et le physique), et par la « méta-convergence » des
sciences et techniques de la matière (nanotechnologies), de la vie (biotechnologies) et de l’information
(technologies et l’information et sciences cognitives).
Remarque 3 : La version initiale de ce document date de 2002. En août 2005, 10 ans donc après que
Netscape ait été introduit au Nasdaq et ait marqué le début de la « Révolution Internet », on ne peut
qu’être d’accord avec le quotidien Le Monde du 19 août 2005 quand il titre en haut de sa première page :
« Dix ans après, Internet continue sa révolution ». Il est certes vrai qu’entre temps la bulle Internet a
explosé et qu’aujourd’hui seulement 4 sociétés 100 % Internet survivent parmi les 150 capitalisations les
plus importantes des Etats-Unis, après qu’il y ait eu une véritable explosion du nombre de start-up. Mais
il y a déjà 14,6 % de la population mondiale qui sont connectés à la Toile, soit près de 1 milliard
d’internautes dans le monde (dont 36,7% en Asie, 28,7% en Europe, 23,8% en Amérique du Nord), et les
ventes en ligne ont atteint aux Etats-Unis en 2004 6,5% du chiffre d’affaires du commerce de détail, et,
selon Forrester Research, ce taux pourrait atteindre 13% en 2010. Seulement ce commerce en ligne est la
partie émergée de l’iceberg de la nouvelle économie. « La partie la moins visible des transformations,
celles qui affectent le fonctionnement des entreprises, leur organisation, leurs stratégies, est sans doute la
plus lourde de conséquences » (Éric Leser, Le Monde).
Internet constitue depuis le milieu des années 1990 la plate-forme universelle de la convergence de
l’informatique, de l’électronique et des télécommunications ; Internet est devenu le moyen privilégié et
inégalé pour acheminer en un temps record et n’importe où toutes les formes d’informations et de
messages. « Internet, associé aux nouveaux réseaux (Wi-Fi, Wi-Max, GPRS, UMTS...) et outils de la
mobilité (PDA, Smartphones, Tablettes PC, PC Portables...), permet désormais aux artisans, aux
travailleurs nomades, aux commerçants, aux professions libérales et aux petites entreprises industrielles,
jusqu’ici cloisonnés dans des réseaux figés et restreints par manque de ressources financières, humaines
et technologiques, de s’intégrer dans tous les types de réseaux d’affaires à l’échelle locale, régionale,
nationale ou internationale » (Rapport du groupe de travail présidé par O. Midière, de la mission TIC &
TPE, remis au Ministère des PME en février 2006).
La nouvelle économie concerne toutes les évolutions techniques actuelles qui, par leur émergence et leur
diffusion, ont pour conséquence de faire naître des comportements économiques nouveaux et, par là, de
susciter de profonds changements structurels.
Une façon également extensive de définir technologiquement la nouvelle économie est de considérer que
celle-ci se caractérise par l'importance qu'y ont l'immatériel, le savoir, la connaissance : le poids des
dépenses en R & D et celui de l'investissement en capital humain se sont exceptionnellement accrus
comme un tableau le montre plus loin.
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Au-delà de la multiplication des innovations et du poids considérable pris par l'information, donc de
l'immatériel, dans les activités économiques et sociales, la nouvelle économie se reconnaît aussi dans
deux phénomènes nouveaux qui sont liés : l'extension irrépressible de l'économie de marché et la
mutation du système économique et social tout entier.
Non seulement l'économie de l'information et l'économie de l'immatériel étendent la zone d'influence des
mécanismes de marché à de nouvelles activités mais elles modifient aussi les rapports de concurrence
dans les activités traditionnelles (plus grandes transparence et interactivité). Avec la nouvelle économie,
de nouveaux métiers apparaissent et des anciens se reconfigurent. La nouvelle économie donne plus
d’importance à toutes les professions qui ont un fort contenu de savoir et d’information : les professions
gestionnaires, libérales et techniques se développent plus vite que les autres. La tertiarisation et
l’économie de services, spécialement de ceux aux entreprises, s’en trouvent naturellement renforcées.
Mais il convient de rappeler que près des 3/4 des entreprises de services dépendent des liens qu’elles
entretiennent avec l’industrie : celle-ci reste indispensable à la productivité des activités et à la
compétitivité de l’économie nationale. Par ailleurs, la nouvelle économie se reconnaît aussi à la
dimension mondiale des activités de production, de commercialisation et de gestion, comme il est indiqué
ci-après.
L'intermédiation est un bon exemple des transformations du système productif : comme au sein du
système financier, on assiste à la fois à une désintermédiation et à une réintermédiation, en ce sens que
les réseaux font disparaître d'anciennes formes d'intermédiation en même temps qu'ils en nécessitent de
nouvelles car il y a besoin d'intermédiation à chaque fois qu'il y a asymétrie d'information et celle-ci ne se
dissout pas dans la nouvelle économie. "La “révolution numérique“ a même plutôt tendance à
“réintermédier“ les échanges en enrichissant les transactions de nouveaux services. (...) Dans le schéma
classique de la distribution automobile, par exemple, le concessionnaire est mandaté par le constructeur
pour vendre au client. Plus généralement, on dira qu'il s'agit d'une intermédiation de type “push“, dont le
rôle est de pousser les produits du fabricant vers le consommateur. Les nouveaux intermédiaires en ligne,
au contraire, mettent à la disposition de l'acheteur des outils toujours plus puissants et plus individualisés
: sites d'enchères inversées, regroupement des demandes, “infomédiaires“, sites de comparaison des prix,
etc. Ils pratiquent une intermédiation de type “pull“ qui tend à renforcer le pouvoir de marché de
l'acheteur" (Ch. De Perthuis. Sociétal n°31, du 1er trimestre 2001).
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Non seulement la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau, mais, comme l'a montré F. Braudel,
elle a toujours le même dénominateur commun : la mobilité, celle des biens, celle des activités de
production et celle des capitaux. Seulement, selon le type de mobilité qui domine, la configuration de la
mondialisation change :
Mais, s'il est vrai que l'humanité a connu au cours de sa longue histoire plusieurs épisodes de
mondialisation, il ne faut pas aller jusqu'à banaliser de trop les évolutions en cours parce que "jamais,
jusqu'ici, le nombre des hommes n'avait triplé au cours d'une vie humaine ; jamais les besoins n'ont été
autant et aussi vite surmultipliés ; jamais les inégalités ne s'étaient autant creusées que dans le dernier
siècle et les dernières décennies ; jamais les changements techniques n'ont été aussi rapides et radicaux ;
jamais les équilibres de la Terre n'avaient été atteints par les activités humaines ; jamais les groupes
industriels et financiers n'ont constitué de pareilles puissances ; jamais le nombre de démunis souffrant de
pauvreté, de manques et d'impuissance n'a été aussi élevé ; et jamais tant de marchandises et
d'opportunités n'ont été offertes à un nombre aussi élevé de détenteurs de “pouvoir d'achat“" (M. Beaud.
Postface à l'édition 2000 de "Basculement du monde" (La Découverte).
De surcroît, la relation entre nouvelle économie et mondialisation est réciproque. La configuration
actuelle de la mondialisation suscite une intensification des activités d'intermédiation et de logistique, qui
figurent d'ailleurs parmi les secteurs fortement utilisateurs des NTIC et cette intensification des services
de réseaux est en elle-même un facteur supplémentaire d'extension des activités de marché. Comme
l'explique Manuel Castells (in "Croissance-Le Monde en développement" de septembre1999), "avec la
crise économique des années soixante-dix, les entreprises du monde entier réagissent au déclin de leur
rentabilité en adoptant une multitude de stratégies nouvelles, au premier rang desquelles l'élargissement
des marchés. La révolution de l'information joue alors un rôle majeur. Car pour conquérir de nouveaux
marchés ou relier au niveau planétaire les secteurs rentables de chaque pays, le capital a besoin d'une
extrême mobilité et les entreprises de capacités de communication très efficaces. Si l'économie peut
aujourd'hui devenir véritablement globale, c'est grâce à l'infrastructure nouvelle fournie par les
technologies de l'information". La mondialisation, par l'ouverture des marchés et par conséquent par la
possibilité d'économies de dimension, permet aussi les investissements souvent importants qu'exigent les
innovations en matière de NTIC. Celles-ci, de leur côté, favorisent la mondialisation par l'élan qu'elles
donnent à la construction de réseaux internationaux, qui eux-mêmes affinent la DIT entre pays et la DT
au sein des firmes-réseaux-globales, également par la mise en cause des réglementations nationales
dépassées.
Une seconde phase de la mondialisation actuelle se caractérise par la montée en puissance d’économies
émergentes telles que celles de la Chine, de l’Inde, du Brésil. Alors que les États-Unis indiquent encore
quelle est actuellement la « frontière technologique », on assiste à une montée en puissance de nouveaux
territoires technologiques qui vont bientôt être en mesure de repousser cette frontière et par conséquent de
bouleverser la hiérarchie mondiale en matière d’innovation technologique et de puissance économique (la
frontière technologique se définit comme étant l’ensemble des processus de production les plus efficaces
à un moment donné ; elle a pour principaux indicateurs le niveau de productivité, le montant de dépenses
en R&D et le nombre de brevets déposés ; cette notion est centrale dans les développements du rapport au
CAE de Ph. Aghion et E. Cohen sur « Éducation et croissance » ; 2004). Il est remarquable de constater
que l’augmentation des dépenses de TIC est maintenant plus rapide dans les économies émergentes non
membres de l’OCDE, qui connaissent d’ailleurs une progression souvent impressionnante de leurs
échanges, des investissements directs à l’étranger (IDE) et des opérations de fusions-acquisitions. Par
ailleurs, ces économies émergentes deviennent non seulement de puissants producteurs de NTIC mais
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aussi de vastes marchés pour tous les services des TIC, si bien que les entreprises du secteur s’intéressent
de plus en plus à ces économies et que se produit une nouvelle poussée de la mondialisation du secteur
des TIC avec un développement des IDE en leur direction. Il faut donc s’attendre à un développement des
délocalisations vers ces pays à mesure que leur marché des TIC prendra de l’expansion.
Enfin, l'extension de l'économie de marché se repère non seulement dans la mondialisation de l'économie
mais aussi dans l'évolution que connaissent les marchés financiers et le marché du travail. La
globalisation financière correspond à l'intégration de plus en plus forte des marchés financiers nationaux
et à la levée progressive de tous les obstacles à une libre circulation du capital sur le plan international.
Le marché du travail, quant à lui, porte de mieux en mieux son nom : il est de plus en plus régi par le prix
-et sa flexibilité- et de moins en moins par la règle. De surcroît, sur le marché du travail comme sur les
marchés des biens et services, la stratégie de différenciation devient la norme (personnalisation de l'offre)
: différenciation selon les compétences, selon l'expérience professionnelle, etc. Une telle stratégie de
différenciation limite la transparence des marchés et l'économie de marché dont il s'agit n'est pas
forcément une économie au service du plus grand nombre : le développement d'Internet ne rend pas la
concurrence moins imparfaite, tout au contraire (voir plus loin) et celui des NTIC en général risque
d’entraîner des délocalisations dans les emplois de bureau. Et la société de marché qui semble poindre au-
delà de l'économie de marché risque d'aggraver les inégalités (voir plus loin).
Remarque : la nouvelle économie a joué un rôle moteur dans le commerce mondial dans les années 1990.
Mais, dans les premières années du 21ème siècle, si les échanges dans les domaines de la pharmacie et des
composants pour l’audiovisuel et les télécommunications gardent un bon rythme de croisière, cela ne
suffit pas à compenser le ralentissement du commerce des ordinateurs, des composants électroniques et
des équipements de transmission pour l’audiovisuel : ce sont en effet de nombreux secteurs de la « vieille
économie » (métallurgie, chimie, automobile, construction navale, machines et matériels divers,
électroménager) qui donnent alors son dynamisme au commerce mondial. D’ailleurs, depuis 2003,
l’Allemagne occupe à nouveau la place de 1er exportateur mondial, suivi par les États-Unis, et en 2004 la
Chine ravit la 3ème place au Japon. Ce renversement s’explique non seulement par l’éclatement de la bulle
Internet en 2000 mais aussi par une insertion de plus en plus marquée des pays émergents dans les
échanges mondiaux, ce qui modifie profondément et de manière durable la géographie de la production
industrielle mondiale.
Cette mutation se voit d'abord dans sa dimension sociale et même démographique : on constate que le
vieillissement de la population et l'individualisation des comportements renforcent la demande sociale de
services, privés et publics, et rend la consommation marchande plus versatile. Autant de facteurs qui
stimulent la nouvelle économie.
La mutation se lit bien sûr aussi dans la profonde évolution des pratiques stratégiques des entreprises : la
différenciation des produits qui vient d'être évoquée, et donc la segmentation des marchés, constituent
une caractéristique importante de la nouvelle économie. Il faut y ajouter le développement à la fois d'un
côté des stratégies de coopération, des accords de partenariat et des alliances qu'induit le centrage sur les
métiers de base (ces stratégies imposent l'utilisation d'interfaces efficaces), et de l'autre des stratégies de
croissance externe par la multiplication des manœuvres de fusions-acquisitions (ces stratégies nécessitent
des systèmes d'information économique et financière performants).
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CROISSANCE DE L'ENTREPRISE
Par le passé, la croissance interne précédait en général la croissance externe. Aujourd'hui, trois facteurs
expliquent qu'il en soit différemment et que la croissance externe soit devenue la modalité de croissance
la plus répandue :
1- Les NTIC créent des interdépendances fortes entre activités jusque là relativement distinctes
(les fameuses TMT : technologies-médias-télécommunications), ce qui pousse les firmes concernées à
acquérir ou à s'allier avec des firmes complémentaires plutôt qu'à accroître leurs compétences en interne.
La fusion AOL-Time Warner en est un bon exemple.
2- La croissance externe est la stratégie considérée comme la meilleure pour des entreprises
soumises aux contraintes d'une course effrénée aux parts de marché et au leadership et qui ont du mal à
gérer l'accélération des rythmes de marchés et le raccourcissement des cycles de vie des produits dans un
contexte généralisé de "chrono-compétition" (M. Kalika).
3- La stratégie de croissance externe est la moins chère quand les taux d'intérêt sont peu élevés et
surtout quand les cours élevés des valeurs technologiques encouragent les acquisitions par augmentation
de capital.
Rappelons d'abord que poser la question du gouvernement d'entreprise consiste à réfléchir sur le pouvoir
décisionnel. Dès 1932, Berle et Means traitent de la dissociation entre propriété et pouvoir : cela crée une
asymétrie d'information entre les actionnaires et les dirigeants qui peut aboutir; via l'aléa moral, à une
perte de contrôle des actionnaires. Pour éviter ou réduire la perte de contrôle, les actionnaires ont le choix
entre deux systèmes de "gouvernement d'entreprise" : le modèle de type "shareholder" (porteur de parts)
et le modèle de type "stakeholder" (porteur de tutelles).
Le modèle "shareholder" est adapté aux situations où le marché financier est développé et l'actionnariat
atomisé. : c'est par le marché, donc de manière externe à l'entreprise, que les actionnaires exercent
directement leur contrôle, notamment au travers de la menace d'OPA hostile.
Le modèle "stakeholder" est adapté au contraire à des situations où le marché financier est peu développé,
où par conséquent la finance est surtout indirecte, intermédiée, et où l'actionnariat se divise entre
quelques gros actionnaires disposant de blocs de contrôle (les noyaux durs) et des actionnaires très
minoritaires et marginalisés. Le contrôle est alors essentiellement de type interne avec non seulement le
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poids des actionnaires majoritaires mais aussi celui des salariés (cogestion du capitalisme rhénan), avec
de surcroît un dialogue permanent avec les partenaires financiers (banques). On peut dire que le
capitalisme anglo-saxon utilise plutôt le premier modèle tandis que le capitalisme "européen", rhénan
plus précisément, correspond bien davantage au second.
On pourrait considérer que la nouvelle économie se caractérise par la généralisation du modèle
"shareholder". En réalité, en réaction aux limites de ce modèle, on constate dans plusieurs pays
l'émergence d'un modèle hybride empruntant aux deux modèles de base. D'ailleurs, la loi sur les
"nouvelles régulations économiques" de mai 2001 va dans ce sens, puisqu'elle a pour but non seulement
de renforcer la sécurité et la transparence du système financier et de mieux réguler la concurrence mais
aussi de mieux équilibrer le fonctionnement des organes dirigeants des entreprises, notamment en
clarifiant la mission du conseil d'administration et en renforçant les pouvoirs des actionnaires
minoritaires.
Cette évolution vers un nouveau gouvernement d'entreprise a pour conséquence de modifier non
seulement la hiérarchie des objectifs des firmes mais aussi les contours de leur structure organisationnelle
ainsi que les missions assignées à leur système d'information.
Pour D. Plihon, le nouveau gouvernement d'entreprise définit un nouveau capitalisme, le capitalisme
actionnarial (ou patrimonial selon l'expression de M. Aglietta), qui se substitue au capitalisme managérial
de l'époque fordiste :
Selon ce tableau récapitulatif, la nouvelle économie serait par conséquent une économie de fonds propres,
animée essentiellement par la logique financière, pilotée par les investisseurs institutionnels, et fondée sur
un partage de la valeur ajoutée en faveur du capital et des profits.
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Beaucoup d'auteurs estiment que la nouvelle économie correspond à une profonde mutation du système
économique et social. On vient de voir que pour D. Plihon, elle se traduit par le passage du capitalisme
managérial au capitalisme actionnarial. Il y a passage du capitalisme industriel au capitalisme
informationnel pour M. Castells, de la société de l'énergie à la société de l'information et des "sociétés de
croissance" aux "sociétés d'intelligence" pour J. de Rosnay ; pour L. Boltanski et E. Chiapello, la
nouvelle économie traduit "le nouvel esprit du capitalisme", elle est le domaine de "l'entreprise
néolibérale" pour T. Coutrot, "l'âge des accès" pour J. Rifkin, qui en fait aussi l'économie de réseaux. On
trouve chez tous ces auteurs des réflexions relativement critiques qui font utilement contrepoids à celles
de J.-M. Messier ou d'A. Minc, joyaux de la "nouvelle pensée unique internétisée" comme dit J. Gadrey
(Alternatives économiques de janvier 2001 p 73).
Dans son ouvrage, J. Rifkin considère que nous passons de l'économie de marché à une économie de
réseaux. En effet, alors que l'économie de marché est discontinue et fondée sur la propriété de biens,
l'économie de réseaux est continue et basée sur la location de services, ou plus précisément sur la location
de l'accès à des réseaux qui restent la propriété des offreurs. L'abonnement remplacera la propriété. Mais,
de même que l'ère industrielle limite dangereusement la biodiversité, l'ère des réseaux des NTIC peut
réduire selon l'auteur la diversité culturelle, allant jusqu'à pervertir l'ordre politique démocratique.
M. Castells applique la notion de réseau à la société tout entière. Pour lui, l'ère du capitalisme
informationnel est en effet celle d'une société de réseaux où toute centralité disparaît : "de l'entreprise à la
famille, de l'État aux médias, nous passons d'une société où toutes les institutions étaient centralisées à
une société organisée en réseaux. (...) Urbains, industriels, financiers, criminels ou de recherche, les
réseaux constituent la nouvelle morphologie de nos sociétés. (...) Mais dans un tel système, il ne peut y
avoir de centre régulateur".
J. Rifkin a une position encore plus radicale : pour lui, on change de système économique, de "protocole"
: on quitte le capitalisme de marché, on construit en ce moment des réseaux encore sur la base du marché
mais on va vers des réseaux purs.
Le tableau suivant tente de résumer l'opposition que Rifkin établit entre capitalisme de marché et
économie de réseaux purs :
Géographie Cyberespace
Le vendeur et l'acheteur se rencontrent pour Il n'y a ni vendeurs ni acheteurs, il n'y a que
échanger de la propriété et des services des offreurs et des utilisateurs, des serveurs et
des clients.
La propriété existe toujours mais n'est pas
échangée : elle reste entre les mains des
producteurs mais les clients y accèdent pour
un laps de temps donné par adhésion,
abonnement, location, accord de licence, ...
On peut modifier les biens et les services On ne peut jouer que sur le temps, qui devient
la ressource économique par excellence
Ce qui est vendu, ce sont des "choses" Ce qui est vendu, c'est l'expérience
(par exemple l'acquisition d'un livre) d'utilisation des "choses"
(par exemple, le temps de lecture d'un livre)
Ce qui est transformé en biens et services, ce Ce qui est transformé en expériences, ce sont
sont des ressources physiques des ressources culturelles
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Économie de biens et services Économie de contenu : Disney, Sony,
Bertelsmann nous revendent sous forme de
parcs à thème, de jeux, de voyages, ... la
culture que nous avons créée
Activité commerciale discontinue et linéaire Activité commerciale en continu et en réseau
(amazon.com fait du commerce électronique
mais n'est pas un réseau)
La nouvelle économie se reconnaît aussi au travers de la règle que l’on peut appeler des 5D puisqu’elle
consiste à ajouter à la fameuse règle des 3D souvent énoncée (et proposée par Henri Bourguinat) les
phénomènes de la Dématérialisation des marchés et des titres et du Désengagement de l’État. Cette règle
décrit de manière synthétique les transformations de la finance nationale et internationale, mais elle
résume plus largement les mutations de tout le système productif :
On voit bien que toute nouvelle économie repose sur des piliers spécifiques mais qu'elle est également le
lieu de dysfonctionnements particuliers. Le dysfonctionnement économique principal de l'économie
fordiste était l'instabilité monétaire (l'inflation), alors que celui de l'économie patrimoniale est l'instabilité
financière (bulles spéculatives). L'instabilité est certes une caractéristique des systèmes dynamiques mais
ses excès imposent des régulations ; et à chaque type d'instabilité doit correspondre un type adapté de
régulation : la nouvelle économie nécessite un nouveau mode de régulation. Cela pose la question du rôle
renouvelé de l'État et des autorités de contrôle monétaire et financier.
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Marchés Stables Dynamiques
Compétition Nationale Globale et locale
Organisation Hiérarchisée et bureaucratique En réseau
ÉCONOMIE D'ENTREPRISE
EMPLOI ET FORMATION
Compétences Spécifiques Variées et transdisciplinaires
Formation Compétence et/ou diplôme Apprentissage à vie
Emploi Stable Flexibilité, risque et opportunité
Pour mesurer le poids de la nouvelle économie et en apprécier les conséquences, plusieurs indicateurs
peuvent être utilisés : la part des NTIC dans le PIB, la capitalisation boursière des entreprises concernées,
les indices de diffusion et taux de pénétration, les montants investis par le capital-risque dans ces
secteurs, l'importance (en % du PIB) des investissements en logiciels et en R-D, le nombre de PC (en %
de la population), le nombre de sites de commerce électronique (pour 1000 habitants), le nombre d'accès
Internet (en % de la population).
Part des NTIC dans le PIB 6,9 5,9 6,4 7,4 7,8
Capital-risque dans les secteurs 14,7 4,0 0,5 0,1 10,5
de NTIC (Mds de $)
PC ( en % pop. totale) 28 20 16 22 36
Nombre de sites (pour 1000 hts) 2,04 0,76 0,43 0,42 6,13
Investissements en logiciels et 3,3 2,9 3,5 3,6 3,8
R&D (% PIB)
Accès Internet (% pop.) 27 16 13 15 45
© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Ch. Bialès P. 13 05/07/2020
Source : L'économie mondiale 2001. CEPII (La Découverte - Repères- p. 99)
En ce qui concerne la France (dont les statistiques de l'INSEE donnent une part des NTIC dans le PIB un
peu plus faible que celui du tableau puisqu'elle est pour 1998 d'environ 5%), ce sont les filières
"informatique" et "télécommunications" qui expliquent l'essentiel de cette contribution des NTIC au PIB.
L'analyse de la croissance au cours de la période récente montre qu'en valeur elle est déjà plus forte pour
les trois filières des NTIC que pour l'ensemble de l'économie et qu'en volume elle est bien plus
vigoureuse encore. Parce que les fortes baisses des prix relatifs qu'ont connues les produits de ces filières
ont stimulé grandement les volumes (le prix du matériel informatique a été divisé par 130 en 30 ans, entre
1967 et 1997, soit par 2 tous les 4 ans, et les investissements en matériel informatique ont été multipliés
durant la même période par 20).
Ces conclusions sur la contribution des filières des NTIC au PIB se retrouvent également à propos de leur
contribution à la croissance économique. En valeur, et que ce soit en termes de stocks ou de flux, le
capital informatique représente une part relativement modeste de la valeur du capital global des secteurs
non financiers : en 1997, le capital informatique ne représente que 2,6% du capital total. Mais en volume
les évolutions sont par contre très fortes : le taux de croissance du capital informatique est proche de 16%
par an sur la période 1989-1997. La décomposition de la croissance qu'a faite l'INSEE (L'économie
française 2000-2001. Livre de poche, p. 115) montre une forte contribution du capital informatique
(environ le tiers de la contribution du capital total) bien que son poids dans la combinaison productive des
entreprise soit relativement faible (moins de 2% de la valeur ajoutée des entreprises non financières).
Les baisses des prix des matériels informatiques et des services de télécommunications, qui constituent la
première raison de l'essor des NTIC et de leur effet d'entraînement sur toute l'économie, résultent de
plusieurs facteurs : le progrès technique, la production de masse qui répond à l'élargissement du marché,
effet qualité, déflation importée. Notons que ces baisses des prix n'ont pas concerné la branche des
services informatiques dont les prix ont évolué au même rythme que les autres services et n'ont donc pas
reculé ; mais ces services ont bénéficié d'un effet d'entraînement suscité par la baisse des prix des
matériels.
2) L'importance de l'immatériel
Le tableau suivant concerne l'économie américaine. Il montre, pour la seconde moitié du 20ème siècle,
l'évolution comparée de l'investissement matériel et de l'investissement immatériel. Celui-ci est
appréhendé par les seules dépenses en recherche et développement (R & D) et de publicité et de
marketing. On sait par ailleurs que l'indice Dow Jones a été multiplié par 10 entre 1981 et 1999, ce qui
peut signifier que l'accroissement de la part de l'immatériel a entraîné la hausse de la valeur boursière des
entreprises parce que, si les dépenses en R & D diminuent les bénéfices actuels, elles font espérer en
même temps une augmentation des bénéfices futurs : le même tableau précise comment a évolué le PER
(rapport entre le cours de l'action et le montant des dividendes versés par action) :
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Publicité 4,2 3,9 3,4 3,9 4,1
Bénéfice compt. 8,8 8,3 7,7 5,2 6,3
après impôts (1)
Bénéfice éco. 9,3 6,1 6,2 7,6
après impôts (2)
Bénéfice éco. 9,9 6,8 7,1 8,6
après impôts
corrigé de la
R & D (3)
Valeur boursière 110 145 92 75 127
(4)
PER n°1 12,56 17,48 11,90 14,55 20,21
(4)/(1)
PER n°2 15,67 14,98 12,19 16,62
(4)/(2)
PER n°3 14,70 13,55 10,53 14,84
(4)/(3)
Source : d'après article de L. Nakamura reproduit dans Problèmes économiques du 1er décembre 1999.
Note : le bénéfice économique corrige le bénéfice comptable d'une réévaluation des stocks et d'un ajustement de
l'amortissement du capital. Le bénéfice économique corrigé de la R & D résulte d'une assimilation des dépenses de R & D à un
investissement à part entière, donc susceptibles de capitalisation et de dépréciation.
Ce tableau fait clairement apparaître la forte progression des dépenses de R & D : leur part a plus que
doublé depuis 1953 alors que celle de l'investissement matériel n'est pas plus importante pour les années
90 que pour les années 50 et 60. En ce qui concerne l'évolution des bénéfices, on constate non seulement
que les bénéfices économiques corrigés de la R & D sont plus importants que les bénéfices économiques
avant correction et a fortiori que les bénéfices comptables, mais également que l'écart se creuse au fil des
décennies : l'écart a pratiquement doublé entre les années 60 et les années 90. Au total, quand on calcule
le PER sur le bénéfice corrigé de la R & D, il reste sensiblement le même sur les deux périodes.
Remarques :
1) Dans « Le 4 pages » d’août 2006, le SESSI constate qu’un quart des entreprises de 10 salariés ou
plus ont innové au moins une fois entre 2002 et 2004 en lançant de nouveaux produits ou en
utilisant de nouveaux procédés. Si on tient également compte des innovations d’organisation,
c’est près de la moitié des entreprises qui sont innovantes. On trouve les entreprises les plus
innovantes dans l’industrie, les banques et l’assurance. Les entreprises qui innovent sont aussi
celles qui ont le plus de relations à l’international. On constate aussi que les entreprises
innovantes sont les plus grandes, que les innovations les plus nombreuses sont les innovations de
procédés mais que les innovations de produits sont réalisées dans les secteurs les plus novateurs.
2) Dans « INSEE Première » de septembre 2006, il apparaît que la France est tout juste dans la
moyenne de l’UE concernant la part des dépenses des ménages consacrées aux diverses TIC en %
de la consommation totale, à savoir 4% en 2004, dont plus de la moitié pour les services de
téléphonie. Le taux d’équipement des ménages français en téléphonie mobile, ordinateur, Internet
et Internet haut débit est bien plus faible que la moyenne de l’UE dans le 1er cas, dans la moyenne
dans le second, plus faible dans le 3ème mais plus élevé en matière d’Internet haut débit.
Un document d’Eurostat de novembre 2006 indique que dans l’UE près de la moitié des
particuliers ont utilisé Internet au moins 1 fois par semaine en 2006 (les ménages français sont
seulement 39% dans ce cas). La moyenne de 52 % des ménages qui ont un accès à Internet cache
en effet une forte disparité : le taux d’équipement va de 23% en Grèce à 80% aux Pays-Bas, en
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passant par 41% pour la France. 94% des entreprises européennes ont un accès à Internet (les
entreprises françaises sont juste dans cette moyenne).
La mesure de la nouvelle économie s'avère en fait très délicate et largement sujette à caution. Ainsi,
quand les comptables nationaux américains tentent d'en mesurer le poids, ils appliquent la méthode dite
des prix hédoniques pour neutraliser l'impact sur les prix de l'effet qualité que l'on constate spécialement
dans les NTIC : est établie, au moyen d'un modèle sophistiqué, une relation stable entre les
caractéristiques du bien considéré et le prix que le consommateur est censé prêt à payer pour bénéficier
de ces caractéristiques. Si bien que, parce qu'un ordinateur qui valait 2000$ il y a dix ans n'en vaut que
400 aujourd'hui, les statisticiens assimilent la production actuelle d'un ordinateur très performant de
2000$ à celle de 5 ordinateurs à 400$ : on transforme ainsi un effondrement des prix en boom théorique
de la production ! La croissance économique s'en trouve ainsi grandement surestimée ; les gains de
productivité aussi.
En ce qui concerne la mesure du poids de l'immatériel faite ci-dessus, elle est sans doute sous-estimée
parce que ne sont pas pris en compte les achats de logiciels, ni les coûts en créativité, ni les coûts
qu'entraîne le temps passé par les cadres dans la préparation des décisions d'investissement, temps qui
s'est allongé au fil des décennies.
- Baisse des coûts (coûts financiers et coûts en temps de collecte et de diffusion de l'information)
et réduction du nombre d'intermédiaires : amélioration des conditions de production et de distribution.
- Meilleure qualité de la prise de décision et plus grande réactivité.
- Bouleversement des conditions de la concurrence. Il y a d'un côté amélioration de l'adaptation
offre/demande et progrès de l'internationalisation mais de l'autre prime à l'ancienneté et à la notoriété,
d'où constitution de monopoles : la concurrence s'en trouve-t-elle au total favorisée ?
- Baisse des stocks, réduction des délais d'introduction des nouveaux produits et raccourcissement
des cycles de vie des produits (ainsi que de la durée de vie des emplois...).
- Changements organisationnels : externalisation d'activités, emplois moins stables et plus
polyfonctionnels ; primes à la qualification et à l'adaptabilité ; d'où précarité et inégalités. Cependant, les
gains de productivité permettent des hausses de revenu.
Remarques :
1) Dans l'analyse de ces conséquences, il est difficile de dissocier celles qui résultent des NTIC et
celles qui résultent de la déréglementation, et cela d'autant plus que ces deux mouvements se
renforcent mutuellement.
2) Si les TIC permettent effectivement des économies de coûts d’exploitation, elles peuvent malgré
tout nécessiter des coûts d’investissement relativement lourds, qui concurrencent les actifs
traditionnels : la balance entre les gains de productivité que laissent espérer les NTIC et le coût de
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la destruction-créatrice que celles-ci ne manquent pas d’entraîner en mettant en concurrence les
nouvelles technologies avec les actifs antérieurs. La difficulté d’établir cette balance peut être un
motif de réticence, voire d’obstruction, face aux NTIC.
La nouvelle économie tient aussi dans le fait que de grands principes traditionnels semblent remis en
cause : la croissance américaine durable, non inflationniste et créatrice d'emplois remet en cause tout à la
fois la théorie des cycles, la loi de Phillips (relation décroissante entre inflation et chômage) et le
paradoxe de Solow ("on voit les ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité").
Certes, cette triple remise en cause s'explique par plusieurs facteurs liés à l'ancienne économie : la baisse
des prix des matières premières, l'évolution des changes, l'important effet richesse positif que génère la
progression des cours boursiers. Plus spécifiquement, le miracle américain tient aussi à des facteurs qui
sont propres à l'économie des États-Unis : un policy mix particulièrement bien adapté à
l'accompagnement de la croissance (réglage monétaire fin et politique budgétaire vertueuse : par rapport
aux années 80, les années 90 ont été marquées à la fois par des conditions monétaires moins restrictives et
par une politique budgétaire beaucoup plus stricte), un grand dynamisme entrepreneurial, un capital-
risque efficace, des activités de recherche-développement dont la valeur absolue de 1997 équivaut à peu
près à la moitié du total mondial, des réformes structurelles qui améliorent le fonctionnement des
marchés et des conséquences favorables de l'essor des NTIC en matière d'accumulation du capital et de
reconfiguration du système productif.
a- L'analyse des effets de la croissance sur l'emploi et de ses relations avec l'inflation
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rationnée par la seconde. Quantitativement, l'Europe et plus spécialement la France ne disposent pas de la
même marge de souplesse que les États-Unis, leur offre de travail est plus contrainte : démographie peu
dynamique, immigration limitée, faibles taux d'activité des jeunes, ... Qualitativement, l'offre de
qualifications peut s'avérer rapidement insuffisante ; la France n'est pas spécialement bien placée dans les
statistiques de l'OCDE pour les dépenses et les performances de l'enseignement supérieur.
• La nouvelle économie s'est traduite par une surévaluation boursière des valeurs technologiques
qui peut être doublement inflationniste :
+ Directement, parce qu'il s'agit d'une hausse des prix, celles des actifs financiers, ce qui
pourrait au demeurant justifier une prise en compte de cette hausse dans le calcul de l'évolution du niveau
général des prix.
+ Indirectement, par un double effet-richesse :
- un effet-richesse "réel" qui correspond à l'enchaînement traditionnel : hausse du
prix des actifs spéculatifs -> augmentation de la richesse patrimoniale -> augmentation de la demande,
d'où risque de hausse du prix des biens et services de consommation et de production ;
- un effet-richesse "financier" dans la mesure où l'accroissement de la richesse
patrimoniale qu'induit la hausse du prix des actifs a pour effet d'augmenter tout à la fois les capacités
d'endettement des agents non financiers et les possibilités d'intermédiation des agents financiers, tout cela
jouant également dans le sens d'une stimulation de la demande globale et de risques inflationnistes.
Mécaniquement, la croissance augmente les recettes fiscales et diminue le montant de certaines dépenses
publiques ; ce qui améliore les finances publiques, au point d'envisager des excédents budgétaires comme
c'est le cas aux États-Unis. Cette amélioration modifie le paysage budgétaire et autorise un redéploiement
de la politique budgétaire : réduction de l'endettement public, diminution des impôts, reconstitution des
marges de manœuvre budgétaires pour les périodes de ralentissement à venir ou encore abondement des
fonds de retraite.
Une inflation basse semble réduire le rôle des autorités monétaires puisque les scores de désinflation
prouvent que celles-ci ont très bien rempli leur mission de lutter contre l'inflation. Mais là aussi, on peut
envisager un redéploiement de la politique économique : il est en effet sans doute souhaitable que les
autorités monétaires mettent les moyens dont elles disposent au service de la régulation du prix des actifs
financiers. Ce faisant elles seraient tout à fait dans leur rôle non seulement de stabiliser les prix mais aussi
de piloter le contrôle prudentiel puisque d'une part le prix des actifs financiers est une composante -
directe et indirecte- de l'inflation globale et d'autre part les variations erratiques et excessives (par rapport
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aux fondamentaux) des cours boursiers sont un facteur déterminant du déclenchement possible d'une
crises financière via un krach boursier.
Au total, la nouvelle économie soulève au moins deux vieilles questions de l'analyse économique, d'abord
celle de l'importance de l'innovation en économie, ensuite celle des fluctuations économiques, avec pour
chacune un grand auteur de référence : Schumpeter et Kondratieff.
La relation entre innovation et économie renvoie à celle existant entre progrès technique et croissance
économique.
Dans sa perspective millénaire de l’économie mondiale (OCDE), Angus Maddison montre que
l’innovation technologique et institutionnelle fait partie, avec d’une part la conquête ou la colonisation de
zones peu peuplées mais dotées de terres fertiles et de ressources biologiques nouvelles et d’autre part les
échanges internationaux et les mouvements de capitaux, des trois processus interactifs qui commandent
l’augmentation de la population et du revenu au cours du dernier millénaire.
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entrepreneurial, qui se caractérise par de nombreuses opportunités d’innovation, un faible degré
d’appropriabilité et une faible cumulativité : ce type de régime ne pousse par à la concentration et peut
entraîner une certaine instabilité de la structure du secteur. D’autre part, le régime dit routinier, qui se
caractérise par des opportunités technologiques également importantes, mais par de forts degrés
d’appropriabilité et de cumulativité : ce type de régime favorise la concentration industrielle et la stabilité
de la structure du secteur. Les Français M. Willinger et E. Zuscovitch estiment que le changement
technologique est un processus qui se déroule non pas de manière aléatoire mais par étapes : dans un
premier temps, l’innovation trouve des applications au sein d’une niche de marché, puis, dans un second
temps, le processus d’apprentissage rend cette innovation radicale, ce qui, dans un troisième temps, aboutit
à ce que cette innovation entre en compétition avec les technologies alors dominantes et qu’elle change
ainsi le paradigme technologique. Par ailleurs, il semble acquis qu’il y a un lien entre changements
technologiques et évolution de la structure du secteur économique considéré. M. Tushman et P. Anderson
(1987) montrent que le résultat du changement technologique sur la structure du secteur peut être différent
selon les cas. Dans certaines situations, la position des firmes leaders est confortée parce qu’elles profitent
des moyens plus importants dont elles disposent pour maintenir et même accroître leur avantage, et
l’innovation est alors un processus facilitateur de la concentration industrielle. Dans d’autres situations, les
firmes leaders font au contraire preuve d’une inertie dommageable à leur stratégie d’adaptation, et les
innovations sont alors essentiellement le fait des nouveaux entrants. La nature des innovations explique
assez largement que l’on soit dans une situation plutôt que dans l’autre : selon les auteurs, on est dans la
première quand les innovations sont « competence enhancing », alors que l’on est dans la seconde quand
les innovations sont « competence destroing ».
+ Les conceptions centrées sur les interactions. Selon ces diverses conceptions, les innovations se
nourrissent des différentes interactions entre les technologies et les acteurs. Il y a d’abord les interactions
entre les technologies elles-mêmes. Comme le montrent C. Pistorius et J. Utterback (1997), ces interactions
peuvent prendre trois formes : la symbiose (ce sont les interdépendances entre les technologies qui suscitent
l’émergence d’un nouveau système technique), la prédation (les nouvelles technologies prennent la place
des anciennes), et la concurrence, qui peut aboutir aussi bien à la symbiose qu’à la prédation. Il y a ensuite
les interactions entre agents. Ces interactions renvoient à plusieurs analyses (autres que l’analyse
microéconomique standard qui, au travers de la mécanique des marchés, privilégie elle aussi ce type
d’interactions) : il y a celles qui, à l’aide de la théorie des jeux, traitent de la « course aux brevets », celles
qui étudient la mise au point d’innovations par échanges entre entreprises, celles encore qui s’intéressent à
la diffusion des innovations par les reports de connaissances entre entreprises et entre secteurs. Il y a enfin
les interactions entre d’une part le système technique et ses innovations et d’autre part les autres systèmes
et leurs éléments. Ces interactions constituent déjà un thème important pour la conception évolutionniste.
D’autres analyses mettent par ailleurs l’accent sur les différentes formes que peut prendre l’apprentissage et
sur l’impact des caractéristiques nationales, notamment celui des institutions et de la répartition spatiale des
activités d’innovation.
La fonction de production est la relation technique liant la quantité produite à celle des facteurs de
production, dans le cadre d’une combinaison supposée efficace.
Rappelons que les fonctions de production utilisées en analyse macroéconomique sont soit à facteurs
complémentaires (fonctions de type Leontief) soit à facteurs substituables (fonctions de type Cobb-Douglas
ou de type CES – constant elasticity of substitution-). On peut affiner l’analyse en allant jusqu’à distinguer
selon que la substitution éventuelle peut se faire au moment de l’achat ou à tout moment, c’est-à-dire même
quand l’installation est faite. Quand aucune substitution n’est possible (cas de complémentarité des
facteurs), la fonction est dite « clay-clay », quand la substitution est possible à tout moment, la fonction est
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dite « putty-putty » et quand la substitution n’est possible que lors de l’achat, la fonction est dite « putty-
clay ».
Quand la fonction de production est à facteurs complémentaires, cela signifie que le capital n’est pas
«malléable » et que le coefficient de capital est fixe. Par contre, quand la fonction de production est à
facteurs substituables, cela signifie que le capital est considéré comme « malléable » parce que parfaitement
divisible et homogène, et que le coefficient de capital peut varier.
Cela étant, trois questions peuvent alors être posées :
- Progrès technique autonome ou incorporé ?
Il s’agit de savoir si le progrès technique est autonome par rapport aux deux principaux facteurs de
production (travail et capital) ou si, au contraire, il leur est incorporé en ce sens que l’investissement
(matériel et immatériel, non seulement en capital physique mais aussi en capital humain : le facteur travail
est considéré comme « accumulable », ce qui nous annonce la théorie du capital humain) serait le principal
vecteur du progrès technique en intégrant les innovations. Dans ce cas, la distinction pourtant courante
entre investissement de remplacement et investissement de croissance est alors à rejeter puisque le
remplacement ne se fait jamais à l’identique. Si le progrès technique est autonome, il fait partie du facteur
résiduel de la croissance et/ou est considéré comme « tiers facteur » ; c’est le cas dans les premières
analyses empiriques comme celle menée par Tinbergen sur la croissance de quelques pays sur la période
1874-1914. C’est également le cas de celle menée par Solow lui-même pour les Etats-Unis entre 1909 et
1949 : comme dans son modèle (décrit rapidement ci-après) il utilise une fonction de production avec
seulement 2 facteurs (travail et capital), il considère que toute la part de la croissance qui n’est attribuable
ni au facteur travail ni au facteur capital s’explique par le progrès technique. O. Aukrust utilise la même
façon de procéder pour expliquer la croissance de plusieurs pays entre 1949 et 1959. Cette méthode, dite du
« résidu de Solow » est appliquée en France par P. Dubois pour expliquer la croissance française sur la
période 1896-1984. Mais la méthode est critiquée : on se demande si l’importance du « tiers facteur » n’est
pas due à un défaut de mesure des deux facteurs de base. D’où le passage à un progrès technique
« incorporé ». Cela se traduit par sa prise en compte dans la fonction macroéconomique de production et
par une démarche qui ne tient pas seulement compte des quantités des facteurs travail et capital mais
également de leurs qualités diverses. En 1962, E. Denison propose une méthode qui tient plutôt compte des
qualités du facteur travail et on passe ainsi de la « méthode de Solow » à celle de E. Denison, qui
décompose le résidu en deux parts, celle qui concerne la contribution des économies d’échelle et celle qui
correspond aux progrès des connaissances. Denison publie en 1985 un travail important sur l’explication de
la croissance américaine pour la période 1929-1982. J.J. Carré, P. Dubois et E. Malinvaud utilisent la
« méthode Denison » pour expliquer la croissance économique française sur la période 1951-1965. En
1966, Solow, accompagné en particulier de Tobin, revient sur l’hypothèse de son modèle canonique d’une
fonction de production à facteurs substituables pour fonder le modèle à générations de capital, en
considérant que les facteurs sont complémentaires et que la croissance résulte du remplacement des
équipements anciens par des matériels neufs, lesquels intègrent naturellement le progrès technique. Le
capital est constitué de générations d’équipements successives d’autant plus efficientes qu’elles sont
récentes. Les travaux que A. Maddison commence en 1987 sur l’évolution des économies capitalistes
constituent une sorte de synthèse entre les apports de Denison et ceux de Solow. Cela dit, on peut enfin
considérer que les progrès techniques autonome et incorporé coexistent ; c’est pourquoi certains auteurs
utilisent des fonctions de production « à deux trends ». Par ailleurs, dans l’optique des modèles à
générations de capital, on conçoit facilement que le progrès technique joue un rôle important pour expliquer
le déclassement de certains équipements : l’obsolescence technique fait partie des facteurs déterminants de
la structure du système productif, avec l’usure physique, les mouvements conjoncturels et l’obsolescence
économique (qui signifie que sont déclassés les équipements dont le coût de production unitaire devient
supérieur au prix de vente).
- Progrès technique neutre ou non ?
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Il s’agit de savoir si le progrès technique ne fait qu’accroître les possibilités de production et l’efficacité
productive (par la seule déformation de la fonction de production) ou s’il modifie également la
configuration du système productif.
La neutralité du progrès technique se conçoit de trois façons selon le type de déformation que le progrès
technique fait subir à la fonction de production Y = f (K, L) :
+ à la façon de R.F. Harrod : le progrès technique accroît l’efficacité du facteur travail seulement ;
Yt = f (Kt, a (t) Lt) avec a(0) = 1 et a’(t) > 0
+ à la façon de R.M. Solow : le progrès technique accroît l’efficacité du facteur capital seulement ;
Yt = f (a (t) Kt, Lt) avec a(0) = 1 et a’(t) > 0
+ à la façon de J.R. Hicks : le progrès technique accroît de la même manière l’efficacité des deux facteurs ;
Yt = a (t) f (Kt, Lt) avec a(0) = 1 et a’(t) > 0
À l’occasion de sa démonstration, J.R. Hicks introduit la distinction entre le progrès technique intensif en
capital et le progrès technique intensif en travail selon qu’il améliore plutôt la productivité du capital ou
celle du travail.
- Progrès technique exogène ou induit (ou endogène) ?
Il s’agit de savoir si le progrès technique est indépendant ou non de l’évolution économique en général et
du processus d’accumulation en particulier.
C’est sur cette distinction que les modèles théoriques s’opposent essentiellement.
Dans un ouvrage paru en 1990, Joël Mokyr distingue quatre processus générateurs de croissance
économique : l’investissement des entreprises, l’expansion des échanges commerciaux au travers de la
division du travail (« croissance smithienne »), les effets de taille et d’échelle, et les changements
technologiques avec le mouvement des innovations (« croissance schumpétérienne »).
L'analyse économique met depuis longtemps le progrès technique au cœur de ses explications de la
croissance économique, qu'il s'agisse des auteurs classiques (Smith, Ricardo), de Marx, des auteurs
néoclassiques (théorie du progrès technique exogène) ou des auteurs contemporains (théorie du progrès
technique endogène). J. Schumpeter occupe une place particulière dans l'histoire de la pensée
économique pour deux raisons : il explique les ruptures de rythme de la croissance économique par les
discontinuités du progrès technique (cela renvoie à la théorie des cycles abordée un peu plus loin) et il
met l'entrepreneur au cœur du processus d'innovation.
L’évolution de la pensée économique sur cette relation entre progrès technique et croissance économique
peut être résumée de la manière suivante.
• Fin 18èmedébut 19ème siècle : la pensée économique classique (A. Smith et D. Ricardo) met
l’accent pour expliquer la croissance économique sur l’accumulation du capital et elle considère la
technique comme autonome puisqu’elle s’explique par des facteurs culturels. L’accumulation du capital
est essentiellement le fait des « capitalistes » qui ont la capacité d’épargne nécessaire à l’investissement.
Comme l’un et l’autre pensent que les rendements marginaux des facteurs de production, en en particulier
du capital, sont décroissants, ils craignent l’état stationnaire. Pour l’éviter ou au moins le retarder, A.
Smith compte sur les bienfaits de la division du travail et sur l’extension des marchés, et D. Ricardo mise
sur le progrès technique et sur le commerce international. Le progrès technique apparaît ainsi dans
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l’analyse économique mais Ricardo préfère en définitive évoquer son rôle (négatif) sur l’emploi que son
rôle (positif) sur la croissance.
• Milieu du 19ème siècle : on sait que sur certains points Marx se place dans la continuité de
Ricardo mais il s’en écarte significativement sur bien d’autres. C’est le cas en ce qui concerne le progrès
technique qu’il considère comme un facteur important de productivité. Cependant, pour lui, le progrès
n’est pas en mesure d’empêcher l’épuisement de la croissance.
• Début 20ème siècle :
- Les modèles d’Harrod (1939 et 1948) et de Domar (1946) inscrivent tous deux, mais indépendamment,
l’analyse keynésienne dans le long terme.
Ils sont l’un comme l’autre plutôt pessimistes puisqu’ils aboutissent à la conclusion que la croissance
équilibrée est l’exception. Ces deux modèles sont à facteurs complémentaires et ils raisonnent au départ
avec une hypothèse d’absence de progrès technique puis avec un progrès exogène, autonome et neutre.
E.D. Domar montre que l’équilibre keynésien, par définition de court terme, est loin de conduire à une
croissance équilibrée sur le long terme parce que l’investissement a deux effets, un effet de capacité, sur
l’offre, puisqu’il accroît les capacités de production, et un effet de revenu, sur la demande, puisqu’il est
l’un des éléments de la demande globale (M. Kalecki est le premier, en 1936 à considérer cette double
dimension de l’investissement à propos de l’explication des cycles, suivi en 1939 par P.A. Samuelson,
dans sa présentation de l’oscillateur). Il faut que les deux effets s’équilibrent continûment, ce qui ne va
pas a priori de soi. R.F. Harrod s’intéresse lui aussi à l’instabilité de la croissance par la mise en évidence
d’une solution de « fil du rasoir ». Il distingue 3 taux de croissance : le taux de croissance effectif noté g
avec g = s / v avec s la propension marginale à épargner et v le coefficient de capital ; le taux de
croissance nécessaire ou garanti ou encore d’équilibre noté g* ou gw avec g* = s / v* où v* est le
coefficient de capital désiré par les entreprises en fonction des variations attendues de la demande ; et le
taux de croissance naturel noté gn avec gn = n+m où n est le taux de variation de la population active et m
celui de la productivité apparente du travail. Il y a croissance équilibrée quand les 3 taux sont égaux,
autrement dit quand s / v = s / v* = n + m (situation d’âge d’or) ; ce qui est fort peu probable puisque les
variables en cause sont largement indépendantes. Soulignons ici que le taux naturel dépend des variables
m et n qui sont structurelles et que m dépend directement du progrès technique et des changements
technologiques. Il peut y avoir, dès le court terme, une différence entre g et g*, en particulier à cause de
la combinaison des effets de multiplication et d’accélération. Il peut y avoir aussi une différence, sur le
long terme, entre g* et gn : quand g* > gn on a affaire à un processus de récession cumulatif avec un sous-
emploi croissant (« âge d’or bridé » selon l’expression de J. Robinson), et quand au contraire g* < gn on a
affaire à un processus d’expansion cumulatif avec un risque inflationniste (« âge d’or bâtard » selon J.
Robinson).
- La pensée hétérodoxe de J. Schumpeter.
Cet auteur est réputé en particulier pour avoir mis l’accent sur le long terme. En ce sens, il commence son
analyse là où Walras arrête la sienne. Schumpeter partage certes les conclusions des néoclassiques pour la
courte période. Mais on sait que dans l’analyse microéconomique, le superprofit des entreprises est
amené à disparaître sur longue période lorsque les marchés sont en concurrence pure et parfaite.
Schumpeter considère que le profit subsiste dans le long terme grâce à l’innovation, qui est le moteur de
l’évolution du capitalisme. Pour lui, l’innovation est au cœur de l’explication de la dynamique
économique. Plus précisément, d’une part, il distingue invention et innovation : la première est le fait
d’un inventeur (Hicks oppose à ce sujet les inventions autonomes et les inventions induites, c’est-à-dire
celles qui s’expliquent par une modification des prix relatifs des facteurs de production), et la seconde est
l’apanage de l’entrepreneur puisque c’est lui qui met en œuvre l’invention. D’autre part, sa conception de
l’innovation est large puisqu’il distingue 5 domaines où les innovations peuvent s’exprimer : les produits,
les procédés, les marchés (débouchés), les sources de matières premières, l’organisation des entreprises.
Prolongeant et amplifiant le raisonnement de Marx, Schumpeter estime que pour l’entreprise le but des
innovations est de la protéger de la concurrence puisqu’elles peuvent la faire bénéficier d’une rente de
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monopole le temps que ses concurrents mettront pour l’imiter. L’innovation, gage de progrès technique et
économique, est ainsi motivée par la course à la rente de monopole. C’est le mouvement des innovations
qui explique chez Schumpeter les cycles économiques longs mis en évidence par Kondratieff : les
innovations, lancées par les entrepreneurs, modifient la structure des activités (grâce au processus de
« destruction créatrice », de nouvelles activités se substituent aux anciennes), se développent par
imitation et se diffusent par grappes technologiques. La dynamique de l’offre que les innovations
insufflent par l’effet de synergie qu’elles créent est elle-même accentuée par la poussée de la demande
que suscite l’augmentation du pouvoir d’achat.
• Milieu du 20ème siècle : le modèle néo-cambridgien et les modèles néo-classiques des années
1950-1960.
- Contrairement aux conclusions pessimistes des modèles néo-keynésiens, la période de l’immédiat après-
guerre a été celle d’une économie plutôt prospère. Au cours des années 1950, les économistes ont alors
pensé qu’il existait vraisemblablement des mécanismes d’ajustement permettant aux taux de croissance
d’Harrod de converger. Ce sont ces réflexions qui ont débouché sur les modèles néo-cambridgiens et sur
les modèles néo-classiques de la croissance exogène.
La condition de croissance équilibrée étant : g* = gn = s / v, il y a donc trois façons d’assurer la stabilité
de la croissance.
Elles consistent à prendre pour variable d’ajustement
- soit s (c’est ce que font les modèles néo-cambridgiens en tenant compte de la répartition des
revenus),
- soit v (c’est ce que font les modèles néo-classiques en passant de fonctions de production à
facteurs complémentaires à des fonctions de production à facteurs substituables),
- soit gn (c’est ce que font les modèles « malthusiens » en proposant l’immigration, la modification
des taux d’activité ou de l’âge de la retraite, …).
+ Le modèle néo-cambridgien de N. Kaldor (1955) : la propension à épargner est endogénéisée et c’est
elle qui joue le rôle de variable d’ajustement. Comme la propension à épargner des capitalistes est
supposée plus grande que celle des salariés, la croissance équilibrée impose un certain taux de profit et
par conséquent une certaine répartition des revenus (ainsi, dans le modèle de Kaldor, il y a un lien direct
entre croissance et répartition). Or, ce taux de profit dépend lui-même de la croissance et la croissance
dépend non pas de l’épargne ou de l’investissement, mais d’une « fonction de progrès technique » : la
productivité peut bien sûr croître quand s’accroît le capital par tête, le progrès technique étant supposé
incorporé, avec des rendements d’ailleurs décroissants, mais elle peut s’accroître aussi, à capital par tête
constant, quand le progrès technique concerne le capital humain au travers des effets bénéfiques du
système d’éducation et de recherche. On pourrait penser alors que Kaldor est un partisan de la croissance
endogène. Mais remarquons que pour lui le progrès technique ne dépend pas exclusivement des efforts de
R&D mais également du « learning by doing », du « learning by using » et de l’incertitude qui plane
toujours sur les performances économiques des innovations ; le progrès technique est fondamentalement
évolutif et cumulatif.
+ Le modèle néo-classique canonique de R. Solow (1956). Pour expliquer la croissance, le modèle néo-
cambridgien donne un rôle important à la répartition des revenus ; pour le modèle néo-classique, le rôle
principal revient naturellement à la dynamique spontanée des marchés. Le modèle de Solow part de la
fonction de production de Cobb-Douglas. Cela entraîne plusieurs conséquences : 1) les facteurs de
production sont substituables, autrement dit il y a flexibilité des techniques de production, 2) les
rendements d’échelle sont constants, 3) il y a épuisement du produit, c’est-à-dire répartition intégrale du
produit entre revenus du travail et revenus du capital, avec rémunération de chacun des facteurs de
production à la hauteur de sa productivité marginale (ainsi, le taux de profit est égal à la productivité
marginale du capital), et 4) le coefficient de capital (v) est une fonction du capital par tête, autrement dit,
de l’intensité capitalistique ou encore du rapport capital-travail (K/L). Il prend aussi un certain nombre
d’hypothèses pour la fonction y = f(k) avec k = K/L, que K.I. Inada formalise en 1963 et auxquelles on
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donne le nom de « conditions d’Inada » : cette fonction y est concave (la croissance du produit par tête
est à taux décroissant, ce qui signifie aussi que la productivité marginale est décroissante) ; sans capital,
pas de production ; production non bornée, rendement marginal du capital infini quand le stock de capital
tend vers 0, et inversement. Comme dans le « modèle Harrod-Domar », l’épargne est supposée
proportionnelle au revenu et la propension marginale à épargner s est posée constante au départ, et le
facteur travail évolue à un taux exogène. Alors que les modèles néo-keynésiens mettent l’accent sur la
demande, le modèle néo-classique le met sur l’offre puisque la loi de Say est supposée vérifiée : on est en
particulier au plein emploi des facteurs de production et l’épargne conditionne l’investissement (alors que
c’est l’inverse chez les Keynésiens) ; tous les prix, y compris le salaire, sont parfaitement flexibles. Dans
le modèle initial, il n’y a pas de progrès technique, ce qui a pour conséquence de faire dépendre
négativement du capital par tête les productivités moyenne (1/v) et marginale du capital. Ce sont ces
diverses hypothèses qui garantissent non seulement l’existence mais aussi l’unicité et la stabilité du
modèle de croissance de Solow.
Deux raisonnements peuvent être menés pour parvenir à la solution du modèle.
Le premier raisonnement est en termes globaux. Comme on a affaire à une fonction de production dont
les rendements d’échelle sont constants, le taux de croissance de la production est égal à celui du capital,
lui-même égal au taux de croissance du travail, on a donc DY/Y = DK/K = DL/L. Le taux de croissance
d’équilibre (g*) est donc tel que le taux d’accumulation du capital (DK/K) et le taux de croissance de la
population (DL/L, noté n par ailleurs) sont égaux ; et donc g = n. Comme I = S, que DK = I et que S = s
Y, on a DK = s Y, soit s = DK / Y, on peut écrire g = DK/K = DK/Y * Y / K, donc g = s * 1/v = s / v, avec
g = n. Pour qu’il y ait croissance équilibrée, il faut donc que le coefficient de capital prenne une valeur
telle que, compte tenu des valeurs prises par s et par n, on ait cette égalité g = n = s/v, ce qui est possible
dans le modèle de Solow puisqu’on y raisonne avec l’hypothèse de parfaite substituabilité des facteurs. Il
est ainsi toujours possible de trouver la combinaison des facteurs de production correspondant à
l’intensité capitalistique appropriée. Retenons aussi qu’il y a croissance équilibrée quand le taux
d’accumulation du capital épouse le taux de croissance démographique.
Le second raisonnement est en termes unitaires, par tête : puisque la fonction est homogène linéaire de
degré 1, on peut la transformer en une fonction à une seule variable en passant de Y = F (K,L) à y = f(k)
en posant y = Y / L (le produit par tête) et k = K / L (le capital par tête). Par le calcul différentiel, on
montre que dk/dt = s f(k) – n k. Cela signifie que le taux de croissance du capital par tête est une fonction
croissante de la production par tête et une fonction décroissante du taux de croissance de la population, et
que le taux de croissance du capital par tête est stable à la valeur k* quand les deux forces contradictoires
qui le déterminent s’équilibrent. Autrement dit, l’économie est en équilibre dynamique pour le capital par
tête constant k* donné par l’égalité entre s f(k) et n k.
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f(k)
nk
f(k), s f(k), n k
n
s f(k)
n/s
n
k
k*
dk/dt = s f(k) – n k
k
k*
La courbe « f(k) » progresse à taux décroissant puisque la productivité marginale du capital est
décroissante ; la courbe « s f(k) » est donc de la même forme et son positionnement sous celle de f(k)
dépend de la valeur de la propension marginale à épargner s (et la distance entre les deux mesure la
consommation par tête).
L’équilibre entre s f(k) et n k donne k*. Si s f(k) > n k, autrement dit si s f(k)/k > n, la croissance du
capital est plus importante que celle de la population et la valeur effective de k est inférieure à k* ; alors,
le prix relatif du capital baisse par rapport à celui du travail, ce qui incite les producteurs à substituer du
capital au travail, d’où le cheminement de k vers k*. Et inversement si s f(k) < n k. Dans les deux cas, la
convergence de k vers k* n’est possible que grâce à l’hypothèse des prix des facteurs parfaitement
flexibles.
Comme on a à l’équilibre s f(k) = n k, on peut écrire s f(k)/k = n. Or, s f(k) = sY / K et sY / K = s/v. On
retrouve donc l’égalité d’équilibre exprimée plus haut : g = n = s/v.
La présentation élémentaire qui vient d’être faite du modèle de Solow peut être utilement complétée de
trois façons : la première, qui consiste à faire varier la propension à épargner, va révéler un paradoxe
intéressant, la seconde vise l’introduction du progrès technique dans le modèle et la troisième aboutit à la
règle d’or de l’accumulation.
Lorsqu’on fait varier la propension marginale à épargner, le taux de croissance équilibrée n’en est pas
affectée puisqu’il dépend simplement du taux de croissance démographique. C’est malgré tout un
paradoxe dans la mesure où la variation de s peut a priori laisser penser à une variation du taux
d’investissement puisque l’épargne détermine l’investissement dans le modèle néoclassique. Seulement,
si la propension marginale à épargner augmente et donc l’investissement aussi, il y a accroissement de
l’intensité capitalistique et du coefficient de capital, si bien que le rapport s/v retrouve sa valeur
d’équilibre.
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Quand on introduit le progrès technique dans le modèle de Solow (progrès technique neutre mais au sens
de Harrod, voir plus haut), le taux de croissance équilibrée devient (n+m), en appelant à nouveau « m » la
croissance de la productivité du travail. Le produit par tête et la consommation par tête croissent au taux
du progrès technique.
La « règle d’or de l’accumulation », exprimée par E. Phelps en 1961 (d’où le nom de « règle de
Phelps »), puis par M. Allais en 1962 et par P. Desrousseaux en 1966, indique que le taux de croissance
équilibrée, égal à (n + m), est obtenu quand sont réunies 3 conditions qui se déduisent les unes des autres
: égalité entre le taux de croissance équilibrée et la productivité marginale du capital, rémunération du
capital à ce taux de croissance la population, taux d’épargne égal à la part des profits dans le revenu.
Dans le modèle de Solow, comme d’ailleurs dans celui de « Harrod-Domar », le taux d’épargne est
considéré comme exogène et constant a priori. Mais il est possible d’endogénéiser les comportements
d’épargne des ménages, en particulier en suivant l’analyse proposée dès 1930 par Ramsay. On parvient
ainsi à une « règle d’or d’accumulation modifiée » ou encore « règle de Ramsay », selon laquelle la
productivité marginale du capital est égale à (m + n + r) si on appelle r le taux de préférence pour le
présent.
• Milieu du 20ème siècle : les modèles de croissance en économie ouverte des années 1970.
Il faut citer en particulier les travaux que R. Courbis commence en 1969 et qui aboutissent à la
publication en 1975 de son ouvrage « Compétitivité et croissance en économie concurrencée ». R.
Courbis distingue les secteurs exposés à la concurrence internationale, qui répondent à la logique du
modèle d’offre, et les secteurs abrités, qui répondent à la logique du modèle de demande. La politique
financière et la politique industrielle peuvent accroître la productivité du secteur exposé et améliorer sa
compétitivité, et en définitive faire jouer le « multiplicateur d’offre » qui augmente la production et
l’emploi. Mais ce multiplicateur est bien différent de celui de Keynes puisqu’ ici c’est l’épargne qui est la
variable stratégique et non l’investissement.
• Fin du 20ème siècle : les modèles de croissance déséquilibrée du début des années 1980.
+ Un modèle de déséquilibres d’inspiration néoclassique : le modèle de T. Ito (1980). La croissance
équilibrée du modèle néoclassique suppose la flexibilité de la répartition des revenus et par conséquent
celle du salaire réel. T. Ito admet que le taux de salaire réel peut ne pas être parfaitement flexible : le
marché du travail peut donc se trouver déséquilibré. La réalisation de l’équilibre de plein emploi peut
alors prendre du temps et nécessiter un processus d’ajustement plus ou moins chaotique.
+ Un modèle de déséquilibres d’inspiration keynésienne : la théorie du déséquilibre, développée en
France par E. Malinvaud (1980) et J.-P. Bénassy (1984), à la suite des travaux des Américains A.
Leijonhufvud (1968) et R.W. Clower (1969). Cette théorie s’appuie sur la distinction faite en 1965 par J.
Hicks entre les représentations « à prix-flexibles » et celles « à prix-fixes », et sur la notion de « K-
équilibres » que l’on trouve dans les travaux du début des années 1970 de R.-J. Barro et H. D. Grossman
d’un côté et de J.-P. Bénassy de l’autre. Voir sur cette théorie notre document sur les modélisations
macroéconomiques.
• Fin du 20ème siècle : les modèles de croissance endogène de la fin des années 1980.
Ces modèles introduisent une rupture « paradigmatique » avec les précédents :
+ L’origine des théories de la croissance endogène se trouve d’abord dans la contestation « pratique » des
modèles précédents, en particulier du modèle néoclassique standard. En effet, ce modèle entre assez
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franchement en contradiction avec la réalité observable ; et cela de trois manières au moins. D’abord, il
est difficile d’admettre que n’ont pas d’impact sur le taux de croissance les efforts en matière
d’investissement et de recherche et développement ainsi que les décisions gouvernementales en matière
de dépenses publiques et de fiscalité. Ensuite, le modèle standard ne permet pas de comprendre pourquoi
les taux de croissance sont différents d’un pays à l’autre. Enfin, ce modèle laisse penser que le capital
doit se déplacer des pays qui en sont richement pourvus vers les autres pour bénéficier d’une productivité
supérieure, ce qui n’est pas vérifié.
+ L’origine des théories de la croissance endogène se trouve ensuite dans la contestation « théorique » du
modèle néoclassique standard. La contestation porte essentiellement sur le statut des rendements
d’échelle et sur celui du progrès technique que donne ce modèle.
En ce qui concerne le statut des rendements d’échelle, on sait que le modèle néoclassique standard
considère que les facteurs de production sont à rendements décroissants. La conséquence de la
décroissance des rendements du capital est que l’accumulation s’en trouve limitée, et donc la croissance
aussi. Pour éviter l’état stationnaire, il faut compter sur le progrès technique, mais celui-ci est exogène (et
gratuit) : le taux de croissance dépend alors du taux de progrès technique, qui est une donnée sur laquelle
on n’a pas de prise. Les théories de la croissance endogène remettent en cause les conditions d’Inada, en
particulier celle qui pose que la productivité marginale du capital s’annule quand le stock de capital
devient très important. Ces théories supposent au contraire que cette productivité marginale est
constante ; il faut qu’il en soit ainsi pour que la croissance soit auto-entretenue.
En ce qui concerne le statut du progrès technique, on sait que le modèle néoclassique standard considère
qu’i l est exogène parce qu’il dépend des hasards des inventions scientifiques et techniques, et parce qu’il
peut conduire à des rendements croissants, ce qui interdit tout équilibre général. Certes, la plupart des
fonctions macroéconomiques de production considèrent des facteurs de production à rendements
décroissants, mais les investissements que les agents économiques font et les efforts que ceux-ci réalisent
en matière de recherche et développement ont indéniablement pour effet de générer des externalités
positives sur les rendements du capital physique et du capital humain. Il est donc possible de considérer
que la décroissance des rendements des facteurs privés (conforme à la réalisation de l’équilibre général)
est au moins compensée par la croissance des rendements sociaux des investissements en matériel et en
connaissances (nécessaire pour la croissance). Les théories de la croissance endogène mettent donc en
avant la notion d’externalité ; également celle, qui lui est liée, de bien public. La notion d’externalité
soulève la question de la sous-optimalité de l’équilibre concurrentiel walrasien puisque les calculs
microéconomiques privés n’amènent pas les agents économiques à tenir compte des effets externes
positifs que peuvent avoir leurs décisions sur la collectivité. En définitive, l’équilibre concurrentiel de la
théorie néoclassique standard ne peut aboutir qu’à un taux de croissance insuffisant pour réaliser
l’optimum social ; ce qui justifie l’interventionnisme étatique.
+ L’origine des théories de la croissance endogène se trouve enfin dans la pertinence de travaux bien
antérieurs. Pour ne pas alourdir le propos, contentons-nous de renvoyer le lecteur à quelques auteurs-clés.
A. Smith, avec sa fameuse parabole de la fabrique d’épingles.
A. Marshall (1920), et son concept d’économies externes.
A. Young (1928), généralise l’analyse de son illustre prédécesseur A. Smith et montre ce faisant que la
croissance bénéficie de mécanismes endogènes qui la rendent cumulative.
P.J. Verdoorn prouve en 1949 qu’il y a une relation positive forte entre la croissance de la productivité du
travail et celle de la production.
N. Kaldor reprend les résultats empiriques de Verdoorn dans un modèle en 1957 où il propose une
fonction de progrès technique et montre que la croissance de la production par tête dépend de celle du
capital par tête (c’est la « loi de Kaldor-Verdoorn »). En 1966, Kaldor prolonge par ailleurs la réflexion
de Young sur la dimension cumulative de la croissance.
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K. Arrow (1962) montre l’importance de la « connaissance par la pratique ».
Il convient d’abord de préciser que l’on parle de théories de la croissance « endogène », par opposition à
théories de la croissance « exogène », en ce sens que ces théories considèrent que la croissance dépend
essentiellement et directement des comportements des agents économiques : les théories de la croissance
endogène donnent donc à la croissance économique des fondements microéconomiques.
Les apports de ces théories concernent principalement deux domaines, celui des sources de la croissance
et celui du progrès technique endogène.
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Comme le montre le schéma ci-dessous, issu des travaux d’Eurostat et cité dans la revue du Crédit
Agricole « Éclairages » de Décembre 2006, il y a un lien étroit entre l’importance des dépenses de R & D
(mesurées ici en % du PIB) et le taux de croissance.
Par ailleurs, les enquêtes menées en France par le SESSI (Ministère de l’économie, des finances et de
l’industrie) montrent qu’il y a un lien réciproque fort entre innovation et R&D. Elles indiquent aussi que
la taille et l’organisation en groupe des entreprises sont deux moteurs puissants à la fois de l’innovation et
des dépenses de R&D.
3) Le développement du capital humain (modèle de R.E Lucas, 1988) : la formation des individus, leurs
qualifications, leurs expériences mais aussi l’état de leur santé et de l’hygiène. Toutes les politiques
publiques en faveur de ces différents facteurs sont souhaitables pour promouvoir la croissance et agir sur
son rythme. Le modèle de Lucas réunit donc en quelque sorte les apports de Solow qui montrait déjà le
rôle de la formation des travailleurs dans la croissance économique et ceux de Becker sur les motifs de
l’accumulation du capital humain. On peut ajouter ici que la croissance d’aujourd’hui est une croissance
« intensive » en matière grise alors que celle des trente glorieuses était plutôt une croissance
« extensive ».
4) Le capital public (modèle de R.J. Barro, 1990) : la quantité et la qualité des infrastructures et des
services publics développent des externalités positives et permettent des rendements croissants. Par
définition, les pouvoirs publics ont une responsabilité directe en la matière.
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complémentaire de certaines technologies existantes et substituable à d’autres. Dans le même ordre
d’idées se situe le modèle de T. Bresnahan et M. Trajtenberg (1992), qui introduit une relation de
complémentarité dissymétrique. « Une technologie “générique“ (exemples : la machine à vapeur, le
traitement binaire de l’information) se caractérise par trois traits : son évolution est très rapide ; la
multiplicité de ses secteurs d’application ; et l’existence, dans chacun de ceux-ci, d’un potentiel
d’innovations complémentaires, subséquentes à l’innovation générique. Les secteurs situés en aval
incorporent la technologie générique aux côtés de technologies spécifiques à leur usage. Les
développements de la technologie générique encouragent la mise au point des technologies dérivées (en
réduisant les coûts de recherche par exemple), et le développement de celles-ci dynamise en retour la
demande adressée au secteur générique, qui est donc encouragé à innover encore. Il y a donc deux cercles
vertueux, un premier qui lie secteur générique et secteur d’application (fournisseur et client) et un second
qui lie secteurs d’application entre eux (une forte croissance dans l’un d’entre eux va encourager le
secteur générique, ce dont bénéficient tous les secteurs d’application) » (in « Les nouvelles théories de la
croissance » de D. Guellec et P. Ralle. La Découverte, Coll. Repères, n°161 : un livre à consulter). En se
fondant sur les caractéristiques de l’espace des technologies, d’autres modèles de croissance endogène
privilégient la distinction entre les innovations incrémentales et les innovations radicales (voir l’article de
Bruno Amable paru dans le n°44 des Annales d’économie et statistique). Dans leur ouvrage « Fast
second », C. Markides et P. Geroski, (respectivement professeur de management et professeur
d’économie à la London Business School) complètent cette classification de la manière suivante :
1) Conclusion : les limites de ces théories de la croissance. Contrairement à l’annonce d’un effet de
rattrapage par les théories de la croissance exogène, on constate toujours un net retard des pays pauvres
sur les pays riches. Et contrairement à l’annonce des théories de la croissance endogène, on ne constate
pas que ce sont les pays qui ont le capital par tête le plus élevé qui ont systématiquement les meilleurs
taux de croissance. Par conséquent, il semble que d’autres facteurs que ceux avancés par ces différentes
théories jouent un rôle significatif dans les écarts de performances économiques que l’on constate entre
les pays riches et les pays pauvres. Des auteurs, notamment Mancur Olson Jr, considèrent que parmi ces
facteurs la qualité des institutions et celle des politiques économiques et sociales mises en œuvre jouent
un rôle déterminant.
Science Technologie
Système
éducatif
Compétences
Système
financier
Innovation
Institutions
du marché
du travail
Compétitivité
Industrielle
Croissance
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3) Le « SSIP mésocorporatiste », qualifié ainsi parce que les différentes activités (en particulier le
marché du travail et le financement des activités) se structurent autour de grands groupes
industriels. Le Japon et la Corée illustrent ce SSIP.
4) Le « SSIP européen »se caractérise par le rôle que jouent les institutions publiques dans les
différents domaines. La France, l’Allemagne et les Pays-Bas en sont l’illustration directe.
S’ajoutent au SSIP central deux variantes, la variante « alpine » avec l’Autriche et la Suisse, et la
variante « méditerranéenne » avec l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal.
Remarque : La relation progrès économique-emploi (Voir sur ce point notre document sur « Emploi-
Croissance-Productivité-Durée du travail »).
L'analyse économique étudie également depuis longtemps la relation entre innovation et emploi (thèses
par exemple, loin de nous, de D. Ricardo et J.-C. L. Sismondi, et, plus proche de nous, d'A. Sauvy). À
cette question lancinante des effets du progrès technique sur l'emploi, il n'y a pas de réponse quantitative
assurée mais une réponse qualitative indiscutable : le progrès technique modifie toujours la structure des
emplois : émergence de nouveaux métiers, avec d'autres qualifications et d'autres organisations du travail.
Pour les nouvelles technologies en général est émise souvent l’hypothèse dite du « biais technologique »
selon laquelle leur diffusion aurait un effet de substitution du capital au travail et de la main d’œuvre
qualifiée à la main d’œuvre non ou peu qualifiée (à cause essentiellement de la complémentarité entre
capital en nouvelles technologies et main d’œuvre qualifiée). Les études empiriques concernant les NTIC
invalident plutôt cette hypothèse : il semble que les entreprises qui les utilisent de manière intensive
protègent mieux que les autres leurs emplois, y compris les emplois peu ou non qualifiés.
Il est certain que la notion de nouvelle économie est liée à la phase exceptionnelle de croissance que
connaissent les États-Unis depuis maintenant une bonne dizaine d'années et qui trouve son explication
principale dans ce qui est considéré comme étant l'aboutissement de la troisième révolution industrielle,
celle des "nouvelles technologies" (voir ci-après). Deux principales remarques méritent d'être faites pour
relativiser la spécificité de la croissance américaine actuelle. D'abord, les États-Unis ont déjà connu par
le passé de longues phases de croissance soutenue, notamment dans les décennies 1920, 1960 et 1980. Et
à chaque fois de beaux esprits ont parlé de fin des cycles et d'avènement d'une nouvelle économie...
Ensuite, on peut comparer les profils de ces différents épisodes de croissance. En ce qui concerne les
profils des années 60 et 90, on dispose de l'inventaire suivant (RAMSES 2001 - Dunod, p. 29) :
années 60 années 90
-------------------------------------------------------
Taux de croissance totale et réelle du PIB 52,6 % 36,4 %
Taux de croissance totale du nombre d'emplois 29,9 % 17,6 %
Inflation totale 22,9 % 16,3 %
Croissance totale de la Bourse 46,5 % 291,6 %
Alors que la croissance des années 90 est pour le PIB et pour l'emploi moins vive que dans les années 60
-et que dans les années 80-, il apparaît également nettement qu'elle est moins inflationniste et davantage
financière. En matière d'inflation, la croissance actuelle est l'envers de la stagflation des années 70
puisqu'elle marie désinflation et plein emploi et, comme son opposé, elle remet en cause la loi de Phillips
puisque taux d'inflation et taux de chômage baissent ensemble. Autrement dit encore, la croissance
actuelle crée les conditions d'une baisse du NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment :
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taux de chômage qui n'accélère pas le taux d'inflation), par conséquent de celle aussi du taux de chômage
naturel au sens de Friedman ; autrement dit, d'une élévation de la croissance potentielle. Alan Greenspan,
le Président de la Fed, dit à peu près la même chose lorsqu'il se demande si la nouvelle économie ne
repousse pas la "speed limit", la limite de vitesse au-delà de laquelle l'économie est menacée de
surchauffe.
Au contraire, à un stade analogue, les épisodes de croissance précédents se sont essoufflés en même
temps que l'inflation retrouvait de la vigueur.
Cela dit, et pour en revenir à notre question, la spécificité de la croissance actuelle est-elle due aux
NTIC ? Deux réponses opposées coexistent, certains estimant que cette croissance est assimilable à un
simple choc conjoncturel, donc de nature réversible, d'autres pensant au contraire que l'on a affaire à un
nouveau régime de croissance qui se traduit par une augmentation durable de la production potentielle.
La première réponse s'appuie sur l'argumentation selon laquelle la croissance actuelle est le résultat d'un
heureux concours de circonstances (R.J. Gordon en a avancé une bonne douzaine lors d'une conférence
devant l'OCDE en janvier 2000). Il y a un large consensus pour admettre que la croissance américaine
doit beaucoup à la qualité du "policy mix" mis en œuvre, et spécialement à celle de la politique monétaire
menée par le Président de la Réserve fédérale. D'autres facteurs circonstanciels ont également joué : le
cours relativement élevé du dollar, l'accroissement de la concurrence, une modération salariale d'autant
plus marquée que les ménages bénéficient de l'important effet richesse que génère la hausse des prix des
actifs financiers, etc. En ce qui concerne précisément la flambée des cours boursiers, spécialement des
valeurs technologiques, beaucoup rappellent que les vagues d'innovations se sont toujours traduites par
des bulles spéculatives sur les marchés financiers et qu'il y a eu à chaque fois des corrections plus ou
moins rapides et brutales.
La seconde réponse se fonde sur les exceptionnelles vitalité et rapidité des processus d'innovation et de
diffusion en matière de NTIC, lesquelles constituent un puissant facteur non seulement d'accumulation de
capital mais aussi de croissance endogène. La nouvelle économie se partage si l'on peut dire entre
croissance exogène et croissance endogène : il y a une part exogène dans la mesure où des innovations en
"TMT" constituent du progrès technique exogène mais il y a aussi une part endogène très importante
grâce au rôle des externalités générées par les dépenses publiques et privées de R & D, par le progrès des
connaissances, par le développement des infrastructures de réseau et par la diffusion des NTIC que ce
développement lui-même permet. La diffusion des NTIC aux secteurs traditionnels est effet d'autant plus
favorable à toute l'économie que ces secteurs peuvent exercer un double effet d'entraînement
macroéconomique, d'abord un effet quantitatif par la hausse de productivité et par les baisses des coûts et
des prix que cette hausse permet, ensuite un effet qualitatif par les nouvelles fonctionnalités et les
nouveaux biens et services créés grâce aux NTIC.
Il faut cependant remarquer que tous les secteurs ne profiteront pas de la même façon des NTIC et
n'auront donc pas le même effet d'entraînement :
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fort
Effet Commerce
Services financiers
productivité Pharmacie
(pression à la Métallurgie
Transports
baisse des coûts
et des prix) Conseil et assistance
Habillement
Hôtellerie-restauration Recherche-Développement
Cela étant, il est indéniable que les années 90 ont été marquées par le leadership des États-Unis dans
l'ensemble des activités liées aux NTIC comme le prouve de manière éclatante la dynamique des "start-
up". Les arguments sont ici de type structurel et non plus conjoncturel comme ceux avancés plus haut. Ils
militent donc pour un essor durable : la croissance actuelle trouve ses origines et ses raisons de perdurer
dans les efforts de recherche et de développement qui propulsent les innovations, dans les réformes
structurelles qui ont amélioré le fonctionnement des différents marchés (biens, capitaux, travail) et dans
l'esprit entrepreneurial qui favorise la prise de risque nécessaire. Dans un entretien récemment donné à
l'Expansion, le prix Nobel d'économie Gary Becker privilégie aussi les aspects structurels : "Le conseil
que je donnerais à l'Europe, en tant qu'économiste, est de s'intéresser plutôt à la croissance qu'à la
monnaie. Le déterminant principal de l'activité est aujourd'hui la productivité du travail qui, en Europe,
augmente moins vite qu'aux États-Unis. Pour la faire progresser davantage, il faut investir dans ce que j'ai
appelé le capital humain, dans l'enseignement et la formation, l'adaptation aux nouvelles technologies.
Bien sûr, le rôle de l'innovation dans la croissance ne doit pas être surestimé. Le rythme d'innovation est
aujourd'hui plus faible qu'au début du siècle, lorsqu'on a commencé à utiliser l'électricité, par exemple.
Mais, à regarder l'Amérique, on comprend que la “recette“ de la croissance moderne se trouve dans la
subtile interaction entre technologie, formation et organisation des entreprises".
Le propos tenu par Alan Greenspan, Président de la Fed, devant l'Economic Club of New York en janvier
2000, met l'accent sur les mêmes facteurs de croissance : "les technologies les plus récentes ne permettent
de façon évidente de réduire les intrants et surtout d'augmenter la productivité que si elles sont
incorporées dans des projets d'investissement. Investissement est entendu ici au sens large du terme,
comme tout moyen qui augmente les capacités de production futures et, en conséquence, la valeur des
capitaux immobilisés. Mais pour que des investissements soient réalisés, il faut que leur taux de retour
anticipé soit supérieur au coût du capital. La productivité et la capacité supplémentaire créées par dollar
réel investi ont nettement augmenté durant les années 90, alors que, dans le même temps, la montée du
prix des actions, reflétant ce potentiel accru à récolter du bénéfice, a réduit le coût du capital. (...) Un
cercle vertueux de l'investissement s'est à coup sûr mis en place aux États-Unis. Un vaste ensemble de
nouveaux investissements profitables dope la productivité, laquelle dope pour un temps les profits,
poussant davantage encore à la hausse l'investissement et la consommation. Dans le même temps, la
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croissance plus rapide de la productivité maintient un couvercle sur les coûts unitaires et les prix. (...)
Pour tirer avantage des technologies les plus récentes, il faut être capable de réorganiser en profondeur les
processus de production et de distribution. Il est donc logique qu'une hausse marquée des fusions et
acquisitions et une augmentation impressionnante des alliances stratégiques, y compris des alliances
transfrontières, soient en train de modifier profondément le tissu des entreprises pour le conformer aux
impératifs des technologies les plus récentes".
On aura remarqué que ces divers auteurs insistent tous sur la même nécessité que D. Cohen résume bien :
"sans une réorganisation du travail adaptée, la révolution informatique n'est qu'une semence stérile".
En ce qui concerne plus spécifiquement la France, on constate, malgré de vifs progrès réalisés dans le
secteur des NTIC ces toutes dernières années en matière de volumes de capitaux levés, de création
d'entreprises et de développement du marché dans son ensemble, qu'elle est en dernière position parmi les
principaux pays industriels, que ce soit pour le nombre d'ordinateurs hôtes connectés à l'Internet, pour
l'équipement des ménages en micro-ordinateurs, pour le nombre d'utilisateurs de l'Internet ou encore pour
le nombre d'entreprises pratiquant le commerce électronique.
En novembre 2000 s'est tenu à Paris un colloque réunissant des économistes de renom pour savoir
pourquoi les pays européens ont tant de mal à s'engager dans le cercle vertueux qui caractérise les États-
Unis. Le Monde en a relaté les conclusions principales (dans son édition du 21 novembre 2000),en les
accompagnant d'un graphique dont nous donnons ci-après les grandes lignes :
1,5
Australie (I)
1 Danemark
Finlande
0,5 E.U. Canada Suède
Portugal Irlande
0
Allemagne P.B.
-0,5 Japon
(III) (II)
-1 France
-1,5
Espagne Taux annuel de ∆ de
-2 la R&D après 1990,
-0,4 -0,2 0 0,2 0,4 0,6 en % du PIB
Ce graphique met en scène trois groupes de pays. On s'aperçoit notamment que les petits pays et donc
ceux qui n'ont pas nécessairement une forte base technologique, comme le Portugal et l'Irlande,
réussissent aussi bien que les États-Unis, peut-être parce qu'ils n'ont pas eu besoin de se réformer, qu'ils
se sont donc rapidement adaptés aux conditions de la concurrence internationale, et aussi qu'ils n'avaient
pas grand chose à apprendre en matière de destruction créatrice comme l'a dit L. Soete. Les mauvaises
positions de la France, du Japon et encore davantage de l'Allemagne s'expliqueraient donc
essentiellement par leurs rigidités. Pour R. Boyer, les États-Unis et l'Allemagne sont même les miroirs
l'un et de l'autre : les secteurs qui sont forts et/ou se renforcent chez l'un perdent du terrain chez l'autre et
réciproquement, et la comparaison des brevets déposés est édifiante. De nombreux intervenants ont mis
l'accent sur le rôle explicatif déterminant de l'éducation et de la formation. Les États-Unis ont investi
beaucoup plus que l'Europe et le Japon dans l'enseignement supérieur (la baisse du budget militaire
américain a joué un rôle très bénéfique de ce point de vue). Et en prenant l'exemple des pays scandinaves
qui réalisent une étroite coopération entre école et entreprise, R. Boyer considère qu'"un bon système
éducatif, avec apprentissage tout au long de la vie, peut constituer un substitut à un marché du travail
dérégulé".
© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Ch. Bialès P. 39 05/07/2020
Remarques :
-1 Le ralentissement spectaculaire de la croissance que connaissent au tout début des années 2000
les États-Unis (Le 25 janvier 2001, devant la Commission économique du Sénat, Alan Greenspan a
estimé que leur taux de croissance "est probablement très proche de zéro") est une sorte de démonstration
qu'il ne s'agissait pas d'une nouvelle croissance, avec la disparition de l'inflation et des cycles.
-2 Se poser la question de savoir si l'on assiste depuis le début des années 90 à l'accélération du
progrès technique revient aussi à se demander si la nouvelle économie infirme le paradoxe de la
productivité, comme il va en être question ci-après.
-3 La notion de croissance n'est pas assimilable à celle de développement économique et social :
la première est essentiellement quantitative tandis que la seconde est d'ordre surtout qualitatif. Peut-on
alors dire que la nouvelle économie sert le développement économique et social, qu'elle est favorable à la
santé sociale des populations, en tenant non seulement compte de la situation des individus mais aussi du
"capital social" que représente l'ensemble des ressources collectives qui permettent à ceux-ci de coopérer
pour leur bénéfice mutuel ? La perte de confiance dans les autres et le désengagement des actions menées
ensemble, qui expliquent et/ou concrétisent la montée de l'individualisme, semblent indiquer une érosion
de ce capital social. Le paradigme productiviste dominant ne donne pas les outils pour appréhender avec
toute la rigueur nécessaire cette réalité.
-4 En 2006, 57% des plus de 18 ans ont un ordinateur chez eux, 43% ont Internet et 38% ont
l’Internet à haut débit. Le taux d’équipement des plus de 18 ans en téléphonie mobile est passé de 47% en
2000 à 74% en 2006 pendant que celui en téléphonie fixe est passé de 90% à 83%.
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V- La nouvelle économie : quel paradoxe de
Solow ?
Depuis Adam Smith, toute croissance économique a son fondement dans les progrès de l'efficience du
travail. L'évolution tendancielle de la productivité du travail est par conséquent la base de tout diagnostic
sur la trajectoire de long terme de l'économie.
Dans un article de juillet 1987 -l'année de son Nobel- R. Solow s'étonne de "voir des ordinateurs partout,
sauf dans les chiffres de la productivité". Cela explique que ce paradoxe de la productivité s'appelle aussi
paradoxe de Solow. Car, les États-Unis, qui étaient déjà le pays le plus avancé en matière de nouvelles
technologies et d'innovations, ont à cette époque une productivité médiocre. D'ailleurs, l'évolution de
celle-ci sur l'ensemble de la période 1959-1995 enregistre clairement une rupture à partir de 1973,
puisque son taux annuel de croissance qui était de 2,94% avant cette date tombe à 1,41% après. Depuis
1996, ce taux annuel remonte nettement et la progression s'est même accélérée en 1999 et 2000. Ce
récent retournement semble remettre en cause le constat de Solow.
Les statistiques françaises montrent en revanche pour la période 1995-2000 que les NTIC ont un faible
effet sur la croissance et sur les gains de productivité du travail : non seulement notre pays a du mal à
profiter des avantages des NTIC, mais aussi on a cessé de reprendre du terrain sur les États-Unis. Alors
qu’aux États-Unis, la productivité du travail progresse de 2,66% par an sur la période 1996-1999, soit
près d’un point de plus que sur la période 1991-1995 et même de deux points de plus que sur la période
1975-1982, elle s’est accrue en France seulement de 1,6% par an sur la période 1990-1998 contre un taux
annuel de 2,6% sur la période 1975-1989.
Le tableau suivant (cité par H. Baudchon dans la Lettre de l'OFCE de juillet 1999) précise, selon les
grands cycles qui ont marqué l'histoire économique des États-Unis lors des quatre dernières décennies,
l'évolution des gains de productivité horaire du travail et l'investissement :
GAINS DE PRODUCTIVITÉ
(taux de croissance annuel moyen)
Secteur manufacturier 2,8 2,7 2,9 3,9
Secteur non agricole 3,1 1,7 1,2 1,7
INVESTISSEMENT
(Part dans la FBCF productive)
Bâtiments 54,4 43,0 38,8 26,5
NTIC 2,6 5,7 15,7 29,3
(part dans le PIB) (0,2) (0,5) (1,6) (3,2)
Équipements industriels 25,9 23,6 17,4 15,5
- D'autres explications se fondent sur les délais nécessaires à la montée en puissance des gains de
productivité nés des NTIC (certains travaux de modélisation de la diffusion technologique concluent à
des délais dépassant parfois le quart de siècle).
La première raison en est que les NTIC présentent comme spécificité de concerner l'ensemble des
organisations, d'en bouleverser la structure et le fonctionnement, si bien que, surtout pour celles qui sont
très intégrées, les problèmes de maintenance et de gestion des dysfonctionnements sont spécialement
difficiles et coûteux à résoudre. Les organisations peuvent donc surestimer la rentabilité des
investissements en NTIC.
Surtout que, et c'est la seconde raison, la mise en œuvre des NTIC nécessite d'importants investissements
humains et organisationnels qui demandent beaucoup de temps d'apprentissage individuel et collectif.
Une troisième raison tient en ce que l'efficacité de son utilisation des NTIC pour une organisation dépend
de la façon dont ses propres clients et fournisseurs les utilisent eux-mêmes. La productivité des NTIC est
liée à leur effet de club.
- D'autres explications encore consistent à remarquer que les NTIC représentent encore une faible
part du stock net global de capital : il est donc normal qu'elles ne contribuent que modestement aux gains
globaux de productivité. D. Sichel a calculé que la contribution des NTIC à la croissance est encore
aujourd'hui (période 1996-1998) inférieure à 10% (0,35 point de contribution pour une croissance de
4,2% du PIB).
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1995 à 42 % depuis 1995. Selon R. J. Gordon, cette progression explique à elle seule l'amélioration
structurelle de la productivité des biens durables qui est passée d'une période à l'autre de 3,1 % à 6,8 %.
Le tableau suivant, produit par le Ministère américain du travail, et reproduit dans un document du Centre
d’économie industrielle de l’École nationale supérieure des Mines de Paris (2001) montre que le trend de
croissance suit bien une pente plus marquée à partir de la moitié des années 1990 :
S'il est naturel que les innovations en NTIC stimulent les gains de productivité globale dans les secteurs
producteurs, comment expliquer le peu d'impact qu'ont les progrès constatés dans la production
informatique sur l'ensemble de l'économie ? L'argument essentiel semble résider dans le fait qu'il y a
substitution de l'outil informatique à d'autres facteurs de production, en particulier à d'autres formes de
capital productif, si bien que les "effets de débordement" sont négligeables et que la productivité globale
ne s'en trouve pas sensiblement affectée. En effet, R. J. Gordon montre dans un article récent de la revue
économique américaine (de mai 1999 et cité dans le Financial Times du 4 août 1999) que la productivité
globale des facteurs a connu des taux de croissance annuelle en augmentation entre 1870 et 1964 mais
que depuis cette date ils sont en diminution régulière (+ 1,8 % pour 1950-1964, +1,6 % pour 1964-1972,
+1 % pour 1972-1979, +0,3 % pour 1979-1988 et +0,25 % pour 1988-1996). La seconde révolution
industrielle, celle liée à l'invention de l'électricité, du moteur à explosion et des industries de la
communication et du loisir (radio, télévision, cinéma), semble par conséquent être à l'origine d'une
progression de la productivité bien supérieure à celle que permet le mariage de l'électronique et d'Internet.
La "nouvelle économie" ne correspondrait donc pas à un nouvel âge d'or.
Il apparaît clairement que l’Europe a connu au cours des années 1987-1995 une phase de rattrapage et
que les TIC ont joué un rôle important dans les gains de productivité de part et d’autre de l’Atlantique.
Mais dès le milieu des années 1990, l’Europe décroche à nouveau des États-Unis en matière de gains de
productivité, encore plus nettement entre 2000 et 2004 qu’entre 1995 et 2000. Entre 1995 et 2000, le
décrochage est surtout dû à l’écart dans la contribution des TIC et entre 2000 et 2004 l’écart s’explique
principalement par l’arrêt en Europe des gains de productivité dans les secteurs non producteurs de TIC.
Cela signifie qu’en Europe non seulement la diffusion des TIC est moins bonne qu’aux États-Unis mais
aussi qu’il y a chez nous un déficit d’investissement en capital non-TIC. Cela est peut-être le résultat de
la substitution du travail non qualifié au capital à laquelle beaucoup de pays européens ont incité par leurs
politiques de l’emploi au cours des années 1990.
La diffusion des NTIC plus intense aux États-Unis qu'ailleurs est le résultat du jeu convergent de
plusieurs facteurs :
- le coût d'accès à ces nouvelles technologies plus bas,
- les investissements en R & D plus importants,
- l'esprit d'entreprise plus marqué,
- une réorganisation du travail plus rapide et plus radicale,
- les facilités faites à la création d'entreprise (performances du système financier et importance du
capital-risque),
- un policy mix plus adapté,
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- le fait d’être un pays non seulement utilisateur de TIC mais aussi d’en être le principal producteur
(d’où un jeu total des effets d’apprentissage)
- et le poids moins lourd des diverses réglementations affectant les marchés de produits et du travail
(L'indice du fardeau de la réglementation pesant sur les start-up élaboré par l'OCDE atteint 4,5 en
Italie, 3,4 en France, 2,8 en Espagne, 2,65 en Belgique contre 1,6 aux Pays-Bas et 0,8 au
Royaume-Uni).
Il ne faut donc peut-être pas enterrer complètement le "paradoxe de Solow"... même si de toutes récentes
statistiques du ministère français de l’économie (voir « Le 4 Pages » n°223 de novembre 2006) montrent
que sur la période 2002-2004 les entreprises qui utilisent des logiciels et progiciels ont une productivité
supérieure de 4% et que l’écart est même de 11% quand les entreprises utilisent un extranet, un centre
d’appels et la visioconférence. Car cette corrélation ne correspond pas à un lien de causalité : ces
entreprises peuvent tout aussi bien être mieux équipées et utiliser davantage les NTIC parce qu’elles
disposent au départ d’un plus grand pouvoir de marché et qu’elles sont plus performantes.
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VI- La nouvelle économie,
nouvelle révolution industrielle ?
Le concept de croissance économique et le problème de sa mesure sont nés avec les révolutions
industrielles : car, c'est sous l'impulsion des révolutions industrielles que la croissance se traduit par la
progression de la production par tête (donc du niveau de vie à long terme), par celle aussi de
l'accumulation de capital, de la productivité et des échanges internationaux, ainsi que par la
transformation des structures non seulement économiques (notamment le phénomène de déversement
sectoriel) mais aussi sociaux (par exemple le phénomène d'urbanisation).
Le concept de révolution industrielle exprime le basculement dans une ère nouvelle d'économies et de
sociétés considérées a posteriori et a contrario comme traditionnelles.
Cette sorte de définition soulève une double question : en quoi la révolution est-elle industrielle ? Et le
basculement dont il s'agit est-il révolutionnaire au sens de brusque et même brutal ? L'histoire
économique nous apprend que la profonde mutation de l'économie et de la société anglaises au 18ème
siècle a commencé dans l'agriculture ; que par conséquent la "révolution industrielle" n'y aurait pas été
possible sans la "révolution agricole" qui l'a précédée. Par conséquent, la révolution industrielle a eu le
développement agricole pour condition nécessaire à son "décollage", comme dirait Rostow. Pour dire les
choses autrement, toute révolution industrielle trouve sa racine dans le système technique existant et
émerge lorsque ce système se heurte à des dysfonctionnements de plus en plus préjudiciables à son
efficacité. Puis suit une période de consolidation (où très souvent se présentent plusieurs bifurcations
possibles qui aboutissent à des abandons ainsi qu'une période de diffusion où s'affirment de plus en plus
une complémentarité entre les interdépendances technologiques et les interdépendances sectorielles ainsi
qu'une dynamique autant socio-économique que technologique : c'est alors que l'on change de système
technique. (Exemples de bifurcations lors de la phase de consolidation : l'abandon de la stratégie du
contenu-contenant qu'avaient choisie les entreprises Vivendi Universal, Bertelsmann et AOL Time
Warner, et l'affaire des licences UMTS qui rappelle à certains la "tulipomanie" du 17ème siècle).
Comme autres conditions nécessaires au développement d'une révolution industrielle, on trouve
évidemment les grappes d'innovations techniques qui, par leur diffusion, transforment les divers
domaines de la production : la révolution industrielle est une révolution technique. Il faut également un
contexte institutionnel et social favorable : la révolution industrielle est de ce point de vue une révolution
culturelle ; elle n'est pas seulement économique, elle est également sociale. De même, aujourd'hui, la
révolution des NTIC s'appuie sur les progrès de l'informatique et des télécommunications, ces progrès se
situant eux-mêmes dans le prolongement de ceux enregistrés depuis plus longtemps dans les domaines de
l'électronique et de la téléphonie ; elle se développe aussi grâce à un contexte de libéralisation des
marchés, de mondialisation des échanges et d'individualisation des comportements. Pour tenir compte de
la continuité de ces phénomènes et de leur inscription dans le temps long cher à Braudel, il peut paraître
souhaitable de parler d'industrialisation plutôt que de révolution industrielle. D'ailleurs, des auteurs
comme A. Smith, D. Ricardo ou J.-B. Say, contemporains de la "1ère révolution industrielle", n'en ont
pas eu conscience. Il faut attendre 1837 pour qu'Adolphe Blanqui utilise le premier l'expression de
"révolution industrielle", suivi en 1848 par J. Stuart Mill dans ses principes, en 1867 par Marx dans le
livre premier du Capital, en 1884 par Arnold Toynbee dans ses "Conférences sur la révolution industrielle
en Angleterre", en 1905 par Paul Mantoux dans sa "Révolution industrielle au 18ème siècle", etc. On peut
se demander si aujourd'hui, la perspective n'est pas inversée : alors que les contemporains parlent d'une
révolution des NTIC, d'une révolution de l'Internet, avec le recul du temps, les générations qui viennent
apprécieront peut-être différemment les présentes évolutions. D'ailleurs, pour les professeurs E.
Brousseau et A. Rallet, auteurs d'un rapport du Commissariat général du Plan sur les TIC, "il vaut mieux
abandonner la notion même de nouvelle économie. Cette vision d'Internet devenant le support d'un
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immense marché coordonné par les seules vertus de l'autorégulation et abattant toutes les formes
antérieures d'organisation et d'institutions est trompeuse. Ces technologies sont en effet une des
composantes d'une mutation, commencée de longue date, de l'ensemble de l'économie. Ce développement
répond aux besoins accrus de coordination induits par l'approfondissement de la division du travail dans
tous les secteurs et toutes les activités" (Alternatives économiques d'octobre 2000).
Le tableau suivant "positionne" sur l'axe des décennies la succession des trois grandes révolutions
industrielles qui ont marqué l'histoire des économies développées, en considérant les différentes étapes
comme des enchaînements plutôt que comme des ruptures :
Remarque : La féodalité a connu deux phases. Une première phase, du 8ème au 11ème siècles, est celle
d’une stagnation économique et d’économies fermées, avec la fin du grand commerce méditerranéen des
ères mésopotamienne, hellénistique et romaine. Puis, du 11ème au 13ème siècles, une seconde phase est
marquée au contraire par des croissances économique et démographique soutenues, avec pour cause
essentielle ce qui est pour F. Braudel la véritable première révolution industrielle : des progrès techniques
importants ont en effet lieu tout spécialement dans le domaine des transports, d’où le développement du
capitalisme commercial.
La "révolution des NTIC" fonde donc son essor sur les avancées scientifiques et techniques en matière
d'électronique et d'informatique, de télécommunications aussi.
Et elle se déploie en plusieurs étapes en étendant progressivement son principe d'automatisation des
opérations de production, de traitement et d'échanges d'informations :
- années 1960 : automatisation de la logistique administrative (comptabilité, paie, facturation,
gestion des stocks) ;
- années 1970 : automatisation de la production industrielle (robotique, productique, ateliers
flexibles) ;
- années 1980 : automatisation du travail individuel de bureau (passage de l'informatique
centralisée à l'informatique répartie et distribuée) ;
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- années 1990 : automatisation des processus de communication (mise en réseaux des systèmes
informatiques et des micro-ordinateurs ; développement des EDI -échanges de données informatisés) ;
- années 2000 : automatisation des échanges économiques (commerce électronique).
Une question mérite d'être posée : y a-t-il nouvelle économie parce que la révolution industrielle en
cours serait d'une nature particulière ?
Au préalable, il convient de repérer deux points communs à toutes les révolutions industrielles.
Le premier point commun est que chaque révolution industrielle a quelque chose d'un iceberg en ce sens
qu'elle a toujours une partie visible, à court terme et une partie cachée qui concerne le long terme et qui
est en général beaucoup plus importante. Cela pour deux raisons spatiotemporelles.
D'abord, un délai de plusieurs années s'écoule toujours d'une part entre l'invention initiale et les
innovations qui en découlent et d'autre part entre le développement de ces innovations et le moment où
elles ont un effet significatif sur l'économie : selon F. Caron (Les deux révolutions industrielles du XXe
siècle. Albin Michel. 1997), les différentes révolutions industrielles se sont à chaque fois traduites par
l'épanouissement d'une société de masse en ce sens qu'une de leurs constantes est que la grande majorité
de la population a toujours profité, au début de chaque révolution industrielle, des résultats des conquêtes
de la révolution industrielle précédente (équipement généralisé en automobiles lors des années 60 et large
diffusion aujourd'hui de l'équipement en ordinateurs personnels).
Ensuite cet effet se manifeste souvent au sein de l'économie assez loin du secteur à l'origine du processus
d'innovation. Les économistes américains parlent des « General Purpose Technologies » (GPT) pour
indiquer que les nouvelles technologies ont une portée très générale qui dépasse largement les
applications imaginées au départ par leurs inventeurs, que leur développement répond certes initialement
à un besoin relativement précis mais qu’il s’étend ensuite rapidement à une foule de besoins bien
différents. C’est ainsi qu’à propos des NTIC, certains anticipent actuellement une nouvelle phase de leur
développement grâce à des « applications technologiques émergentes ».
(Note terminologique : la distinction entre invention et innovation consiste à définir l'invention comme
résultant d'une démarche économique rationnelle qui aboutit à une découverte destinée à être proposée
sur un marché en vue d'abord d'innover et ensuite d'être diffusée, tandis que l'innovation est la décision
d'exploiter économiquement une invention et, pour cela, de faire les investissements nécessaires ; une
innovation majeure a pour effet direct d'introduire une rupture dans le système des techniques utilisé
jusque là et pour effet indirect d'engendrer des flux d'innovations secondaires, qui constituent toutes
ensemble une grappe d'innovations).
Le phénomène actuel de l'Internet et des NTIC n'échappe pas à la règle : ces nouveaux outils vont se
banaliser et se généraliser, si bien que les "valeurs technologiques", les valeurs "TMT" comme on dit
(Technologies, Médias, Télécommunications), devraient disparaître en tant que telles comme ont disparu
les "valeurs électriques" en leur temps ; la nouvelle économie correspond moins à un nouveau secteur en
développement qu'un puissant facteur de développement de l'ensemble des secteurs de l'économie, à
commencer par les secteurs traditionnels, ceux des entreprises "brick and mortar" (littéralement, des
entreprises faites de briques et de mortier). Comme l'écrit P. Cohendet (Newbiz de nov. 2000), "une
société classique s'efforce de gérer au mieux une chaîne d'activités (ou “briques“). “Préparer les avions“,
“ enregistrer les bagages“ ou “transporter les passagers“ dans le cas d'une compagnie aérienne. Tout cela
appelle un immense besoin d'informations (pour affréter les vols, il faut connaître l'état des réservations,
l'itinéraire des passagers...). Le système d'information est ainsi le “mortier“ qui lie toutes les activités de
production. (...) L'entrée dans la nouvelle économie n'est donc pas réservée qu'aux start-up. Les “brick
and mortar“ peuvent réussir leur conversion en “click and mortar“ à condition de savoir épouser le grand
chambardement en cours. Celui-ci concerne tous les secteurs de l'ancienne économie, où les chaînes
d'activités sont amenées à se recomposer". Elie Cohen (Le Revenu du 5 janvier 2001) estime lui aussi que
"toutes les vagues d'innovation ont connu ce phénomène. Beaucoup de petites unités très dynamiques se
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créent. Plusieurs sont ensuite reprises par des entreprises traditionnelles. Celles-ci ont à la fois la capacité
financière, le management et le marketing pour les développer et les rentabiliser. La dynamique du
capitalisme est rythmée par de telles vagues qui suscitent un foisonnement entrepreneurial et un
enrichissement du tissu économique. Viennent ensuite des phases de consolidation et de rationalisation.
On peut même en arriver à la constitution de monopoles qui sont remis en cause par la vague suivante".
Le second point commun aux révolutions industrielles est que le phénomène de « rupture » ne concerne
pas que le domaine technologique. Il concerne également quatre autres domaines : celui de l’organisation,
du travail en particulier mais aussi de la société en général, celui de la finance macroéconomique et de la
gouvernance microéconomique, et celui de la mondialisation. La révolution actuelle des NTIC se
développe dans le cadre d’une « seconde » mondialisation, après une première mondialisation qui s’est
développée entre 1860 et 1914 (de même que l’on peut défendre l’idée qu’il y a eu une première
révolution industrielle lors de la deuxième phase de la féodalité – du 11ème au 13ème siècles-, il serait
concevable de parler de première mondialisation à cette époque-là ; de toute façon, il est clair que ces
phases de mondialisation s’accompagnent toutes de progrès techniques décisifs, spécialement dans les
domaines des transports et des communications).
Par ailleurs, le schéma suivant montre le lien historico-économique que l'on peut établir, pour la France
du 20ème siècle, entre la première vague d'industrialisation, marquée par l'interventionnisme étatique, et la
seconde, qui s'est développée dans le cadre d'une économie de marché d'abord internationale puis
carrément mondialisée :
SECONDE VAGUE
D'INDUSTRIALISA- RÉGULATION
TION SPONTANÉE
DU MARCHÉ
Enfin, on peut établir un schéma d'évolution générale d'une révolution industrielle à l'autre qui retrace le
passage successif de l'économie primaire du 19ème siècle à l'économie quaternaire du 21ème siècle en
passant par l'économie industrielle et par celle des services du 20ème siècle :
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Impact des transports
HORIZON SPATIAL
Court Long
Long Économie agraire Économie industrielle
(secteur primaire) (secteur secondaire)
La petite exploitation La firme multinationale
agricole familiale
XIXe siècle
Impact
des HORIZON XXe siècle
NTIC TEMPOREL
XXIe siècle
Court
Siècles
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D'après O. Torrès-Blay (Économie d'entreprise. Économica. 2000)
"En ce début de XXIe siècle, l'entreprise doit être capable de réagir de plus en plus vite (Temps court) et
d'agir de plus en plus loin (Espace long). Dans cette nouvelle économie, le modèle du réseau est
incontestablement le plus adapté car ce mode d'organisation permet de fonctionner dans un cadre spatial
long et dans un cadre temporel court" (O. Torrès-Blay).
Mais au-delà de ces points communs aux différentes révolutions industrielles et de ces liens qui existent
entre elles, il est possible de trouver de notables spécificités à la période actuelle.
Premièrement, les inventions se diffusent à un rythme beaucoup plus rapide aujourd'hui qu'hier : 46 ans
ont été nécessaires pour qu'un quart des ménages américains soient raccordés à l'électricité (inventée en
1873) ; il en a fallu 35 pour le téléphone (1876), 55 pour l'automobile (1886), 22 pour la radio (1906), 26
pour la télévision (1926), 30 pour le micro-onde (1953). Alors qu'il aura suffi de 16 ans pour le PC
(1975), 13 pour le téléphone cellulaire (1983) et 7 pour Internet (1991).
Deuxièmement, les NTIC se développent selon le nouveau modèle de la tornade : d'une part, plusieurs
technologies -l'informatique, les télécommunications, l'audiovisuel, la robotique, ...- convergent vers le
même standard technique, celui du numérique, et, d'autre part, la tornade progresse tout en déplaçant son
centre de gravité qui est passé successivement de l'univers de la production industrielle à celui des
activités tertiaires, à celui de la gestion des organisations puis, présentement, à celui des échanges (e-
commerce) et des réseaux. Et les réseaux constituent en eux-mêmes un facteur de mutation extraordinaire
au travers de ce que l'on pourrait appeler la quadruple logique de "l'inter" : intercommutabilité (qui
favorise les relations entre outils appartenant à des plate-formes différentes), l'interopérabilité (qui
autorise les connexions entre réseaux différents), l'intercréativité et l'interactivité.
Ce modèle de la tornade se poursuit par la multiplication des nouvelles applications des NTIC, comme
l’identification par radiofréquence ou la géolocalisation et surtout l’Internet participatif comme le prouve
l’extension formidable de la blogosphère (50 millions de blogs à la mi-2006). Il ne faut pas hésiter à
parler de 2ème génération de l’Internet : « à l’époque du Web première version, ou Web 1.0, on bâtissait sa
page personnelle. Les internautes la consultaient et pouvaient la recommander à d’autres. Désormais, le
contenu d’un blog est commenté, corrigé, repris globalement ou en partie sur d’autres blogs et d’autres
sites. Avec la page personnelle, le format lui-même était imposé. Dans le Web 2.0, certains voient une
révolution, une prise de pouvoir des internautes » (Le Monde du 23/11/2006. La multiplication des sites
« collaboratifs » est l’un des aspects les plus significatifs et les plus intéressants de cette nouvelle version
d’Internet. À cela s’ajoute depuis peu la première vague des « mondes virtuels », qui, au moyen de
programmes informatiques, hébergent sous forme d’avatars les utilisateurs pour qu’ils s’y déplacent et
interagissent. Ce nouveau média constitue selon certains le « web de demain » (voir Le Monde du
4/12/2006, p. 20).
Troisièmement, alors que les précédentes révolutions industrielles concernaient en priorité un secteur
d'activité, la révolution des NTIC présente la propriété d'être transversale et de se diffuser à l'ensemble
des secteurs de l'économie. D’ailleurs, on parle aujourd’hui par exemple de « bio-informatique ».
Quatrièmement, on constate une convergence des diverses nouvelles technologies entre elles : en
particulier, la convergence entre les NTIC, les biotechnologies et les nanotechnologies annonce des
progrès considérables en matière de santé et de production robotisée.
Remarques importantes :
1- Deux lois résument d'une certaine façon ces principales spécificités de la nouvelle économie.
D'un côté, la loi de Moore selon laquelle il y a une progression exponentielle de la puissance des
composants électroniques : le rapport performance / prix des composants double tous les 18 mois (au
début des années 1970, un processeur Intel correspond à 2000 transistors ; à la fin des années 1990, un
Pentium III correspond à 20 millions de transistors). De l'autre, la loi de Metcalffe selon laquelle l'activité
d'un réseau maillé progresse comme le carré du nombre de personnes qui y sont reliées. Certains ajoutent
une 3ème loi, celle dite d'Amdhal, qui est l'équivalente à la loi de Moore pour les progrès dans les
télétransmissions. De toute façon, le jeu combiné de ces lois d'accélération a un rôle décisif dans la
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dynamique du monde Internet, surtout qu'il intervient à un moment où l'accumulation des savoirs permet
un puissant progrès technique général ; d'où parfois l'impression d'un emballement des techniques et le
sentiment d'être dépassé par elles. (Note : selon des experts, à l’instar de l’informatique, la génétique
« double » aussi ses connaissances chaque année).
Cette progression vertigineuse des connaissances technoscientifiques et des possibilités techniques des
matériels en matière de TIC s’accompagne de deux autres mouvements puissants : la baisse des prix des
ordinateurs et le développement du transport des informations par fibre optique.
2- La transversalité des NTIC fait que la frontière entre ancienne économie et nouvelle économie
ne passe pas par leur utilisation ou non dans la mesure où tous les secteurs ont vocation à les mettre en
œuvre, peu ou prou. Pour Ph. Lemoine, "la frontière est beaucoup plus précise. La nouvelle économie,
c'est l'informatisation de l'échange par opposition à une ancienne économie où domine encore le modèle
stratégique impliqué par l'informatisation de la production et de la gestion" (Conférence donnée le 27 mai
2000 à l'Université de tous les savoirs). Pour cet auteur, l'opposition entre ancienne économie et nouvelle
économie se lit aussi dans la manière bien différente d'utiliser les gains de productivité et de gérer les
entreprises : alors que pendant de nombreuses années, les gains élevés de productivité, réalisés en
particulier grâce à l'informatisation des processus de production et de gestion, ne servaient pas à baisser
les prix des biens et services mais à alimenter des budgets considérables de recherche, de publicité et
autres dépenses commerciales (ce qui fait que l'âge de l'immatériel avait déjà débuté avec cette phase
d'informatisation massive puisque 15 à 30 % seulement de la valeur finale des produits de consommation
correspondent à un véritable traitement industriel), avec la nouvelle économie au contraire l'accent est
mis sur la baisse des prix, fondée elle-même sur une innovation mercatique de proximité-client et de
fidélisation de la clientèle -qui traduit une recherche permanente d'une meilleure adaptation de l'offre à la
demande et du meilleur accès possible au client-, sur une accélération de la rotation de stocks, c'est-à-dire
sur une meilleure rentabilité des capitaux circulants. Ph. Lemoine en déduit que de nouveaux mécanismes
de création sont à l'œuvre et que le principe de la "shareholder value" s'en trouve sérieusement bousculé,
ainsi que toutes les stratégies qui lui sont attachées, en particulier le re-engineering. Il trouve là une
explication à ce qu'il appelle le paradoxe boursier.
3- Le développement au 18ème siècle de l'économie moderne (en tant qu'activité et donc en tant
que science aussi) s'est essentiellement traduit par l'émergence d'un nouveau rapport social appelé depuis
à devenir dominant : le rapport capital-travail. Avec pour chacun des deux une obligation spécifique :
pour le capital, l'obligation d'être profitable et pour le travail celle d'être employable pour utiliser un mot
à la mode.
Dans leur récent ouvrage (Les modèles productifs. La Découverte -Repères- nov. 2000), R. Boyer et M.
Freyssenet font une analyse particulièrement éclairante : "Tout capital investi est en effet placé dans
l'obligation de dégager sur moyenne période un profit au moins égal au profit moyen pour ne pas être un
jour ou l'autre concurrencé, éliminé ou absorbé par plus profitable que lui. D'où la recherche incessante
de marchés, de sources de profit et de moyens de production nouveaux. Les travailleurs, quant à eux, ont
été contraints de faire évoluer, voire de changer, leurs compétences pour qu'elles soient achetables par les
employeurs et de se déplacer au gré de la localisation du capital. Il en est résulté une accélération
considérable du changement technique et de la mobilité professionnelle et géographique, qui se manifeste
historiquement par grandes vagues, d'où le sentiment de révolutions industrielles successives".
Le schéma suivant tente d'articuler les principaux concepts utilisés par les deux auteurs, en renvoyant le
lecteur à la lecture de leur ouvrage, spécialement aux pages 14, 15, 20, 21 et 111 qui comportent des
tableaux récapitulatifs :
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Promouvoir la
compétitivité des
entreprises et
l'attractivité du territoire
Obligation Nécessité de réduire
pour le capital les incertitudes liées et/ou
d'être profitable au marché
Agir sur les sources de
la croissance éco. et sur
la distribution du revenu
Passer un contrat de
confiance avec les
Obligation Nécessité de réduire salariés
pour le travail les incertitudes liées et/ou
d'être employable au travail
Diviser le travail et mettre
en place une
organisation hiérarchique
la politique-produit
Les modes Les stratégies
de croissance MEC de profit pour MEC
pour les les entreprises l'organisation productive
économies MEC
Compromis sur le
gouvernement la relation salariale
d'entreprise
Adaptation des
moyens à la stratégie
MODÈLE PRODUCTIF
"Un modèle productif se constitue au terme d'un processus, largement inintentionnel, de mise en
cohérence de la politique-produit, de l'organisation productive et de la relation salariale avec la stratégie
de profit poursuivie. Ce terme n'est atteint qu'à deux conditions : la stratégie doit être pertinente dans le
cadre du mode croissance qui est celui de l'entité économique et politique dans laquelle la firme déploie
son activité ; un compromis durable de gouvernement d'entreprise doit être construit, entre ses acteurs
(propriétaires, dirigeants, salariés, syndicats et fournisseurs), à propos des moyens employés pour mettre
en œuvre de manière cohérente la stratégie retenue".
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Pour présenter leur thèse sur les modèles productifs et l'évolution de ceux-ci sur longue période, R. Boyer
et M. Freyssenet étudient le cas de l'industrie automobile dans le monde ; mais leurs observations et leurs
analyses sont riches d'enseignements pour comprendre l'histoire économique des autres secteurs de
"l'ancienne économie".
En ce qui concerne plus précisément l'impact des NTIC, les deux auteurs notent dans leur conclusion que
celles-ci transformeront sans aucun doute la production, la gestion et la distribution, ce qui amène les
constructeurs à explorer un nouveau modèle productif. Mais ils émettent en substance deux réserves sur
l'importance de cet impact :
- Les NTIC se diffuseront comme l'a fait l'automatisation, c'est-à-dire de manière très différenciée
selon le type de modèle productif existant et selon le type de stratégie privilégié (ainsi les NTIC serviront
plutôt à mettre en concurrence les fournisseurs lorsque le modèle dominant est "fordien" ou "sloanien", et
plutôt à améliorer la lutte contre les coûts inutiles si le modèle dominant est "toyotien").
- L'impact des NTIC sur la recomposition du modèle productif et sur la redéfinition des stratégies
sera sans doute moins grand que celui des deux autres facteurs déterminants que sont
l'internationalisation productive et la montée en puissance de la finance.
4- Non seulement il est possible de parler à propos des NTIC de révolution industrielle, mais
certains n’hésitent pas à considérer qu’une nouvelle civilisation est née : la « civilisation numérique ».
D’ailleurs, en octobre 2005 se sont ouverts dans le Bordelais, pour un cycle de trois ans, les « Entretiens
des civilisations numériques ». Les thèmes retenus sont « conquêtes et conflits » pour 2005, « visions et
décisions » pour 2006 et « négociation et action » pour 2007.
Dans une étude publiée en 1925 et diffusée en occident seulement en 1936, Nikolaï Dimitrievich
Kondratieff met en évidence l'évolution séculaire de l'activité économique avec l'alternance sur environ
50 ans d'ondes longues d'expansion (dites phases A, ascendantes) et de ralentissement (dites phases B,
descendantes). Cette découverte révolutionne l'idée que l'on se faisait de l'évolution du capitalisme
puisque la durée de ces cycles est nettement plus importante que celle des cycles d'affaires d'environ 8
ans mise en évidence par Clément Juglar en 1860 et a fortiori que celle des cycles de 40 mois étudiés par
Joseph Kitchin en 1923.
Même si N. Kondratieff fournit un début d'explication à son constat statistique, c'est Joseph Schumpeter
qui élabore en 1939 la première analyse des cycles de Kondratieff.
L'analyse de Schumpeter s'appuie sur trois concepts-clés : l'innovation, l'entrepreneur et la destruction
créatrice et fournit ainsi une explication de la dynamique du système capitaliste qui intègre l'évolution
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technologique et les cycles longs. L'innovation présente pour lui selon deux caractéristiques importantes :
elle est multiforme parce qu'il s'agit à la fois les innovations de produit, de processus, de marché, des
organisations, ... et elle n'est pas linéaire dans la mesure où elle se développe par sauts et par vagues avec
le surgissement de grappes d'innovations majeures qui vont progressivement se diffuser à l'ensemble de
l'économie par l'intermédiaire d'innovations mineures. Dans toute cette période d'innovations majeures et
mineures -la phase A, de prospérité et d'expansion-, le crédit joue selon Schumpeter un rôle
irremplaçable. L'absorption des innovations par l'ensemble du système économique, l'épuisement des
occasions d'opportunités, l'exacerbation de la concurrence et par conséquent la réduction des profits et la
chute des investissements marquent la fin de cette phase A , le point de retournement du cycle et le
passage à la phase B, phase de dépression et de récession, qui correspond en quelque sorte à une purge,
purge des capacités de production excédentaires et des dettes excessives. Mais cette phase B est en même
temps une période où se préparent des générations nouvelles d'innovations qui verront le jour une fois
l'assainissement réalisé : ce sera la reprise.
J. Adda note que "si l'on s'en tient à la périodicité observée au cours des deux derniers siècles, le
quatrième cycle de Kondratieff devrait être sur le point de s'achever. Pour certains observateurs,
cependant, l'économie mondiale serait déjà entrée, durant les années 90, dans une nouvelle phase A, dont
l'essor prodigieux des industries de l'information constituerait la base. Ainsi, en jouant légèrement avec
les dates de démarrage des grandes ondes d'expansion, il est possible de soutenir l'idée que la durée
moyenne des cycles de Kondratieff diminuerait d'un cycle à l'autre. (...) On s'approcherait alors du point
de retournement du cinquième cycle, qui pourrait se situer vers 2005. Mais la datation traditionnelle des
cycles laisse place à plus d'optimisme. Selon celle-ci, nous vivrions actuellement la fin du quatrième
Kondratieff et serions à l'aube d'une nouvelle grande phase de prospérité. La longue expansion
américaine des années 90 ne marquerait pas le début d'un nouveau cycle long mais le déroulement normal
d'un cycle de Juglar, le troisième depuis le début de la phase B en 1973. (...) L'ampleur des turbulences
financières en 1997-1998 et des bouleversements monétaires en cours serait caractéristique d'une fin de
phase B. Les développements technologiques intervenus dans la période récente (dont la révolution
Internet) ne seraient que les signes avant-coureurs d'une mutation plus fondamentale des modes de
consommation et de production".
Alors que la théorie économique a tendance à privilégier depuis les années 1980 les causes monétaires
dans l'explication des fluctuations économiques, la dynamique de la nouvelle économie est une preuve du
rôle crucial que joue l'innovation dans les phénomènes cycliques, à la fois dans son histoire boursière et
dans la structuration de son marché. Son histoire boursière est en effet faite de trois principales étapes :
d'abord une étape euphorique avec le gonflement d'une bulle spéculative ; puis une purge avec le krach
(voir l'article de J.-P. Betbèze dans Le Monde du 4 juin 2002) ; enfin une étape de consolidation. La
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structuration du marché connaît également une évolution en trois phases : une concurrence intense avec
un foisonnement d'entreprises et d'opérateurs, une croissance extensive avec une multiplication des
faillites, une stabilisation progressive au travers d'une oligopolisation du marché pour rationaliser les
capacités productives et financières.
1) La relativisation théorique
Les théoriciens de l'école de la régulation contestent l'explication de l'évolution longue du capitalisme par
les cycles. Ainsi, R. Boyer estime que "les économies capitalistes ne suivent pas une tendance simple où
l'avenir serait le seul prolongement du présent. Après trente ans de crise ne surviendront pas
nécessairement trente années de prospérité, comme l'imaginait Kondratieff. Ni linéaire ni cyclique, le
cours du capitalisme suit plutôt une trajectoire en spirale : chaque crise profonde fait naître de nouveaux
modes de régulation, qui transforment les règles existant auparavant ; ce qui a pour effet de changer
complètement la forme des cycles et des crises majeures susceptibles d'en interrompre le cours"
(Alternatives économiques de nov. 2000).
2) La relativisation pragmatique
La question est de savoir si l'accélération de la productivité de la 2ème moitié des années 1990 est
seulement "procyclique" ou si elle a une dimension structurelle.
La logique veut que cette accélération ait forcément une composante procyclique puisque toute
croissance se traduit par une utilisation plus intense des différents facteurs de production (il existe une
corrélation de 0,8 entre la croissance et la productivité globale des facteurs).
Mais non seulement la dimension procyclique des gains de productivité s'exprime surtout lors de la phase
de reprise quand les facteurs de production disponibles commencent à être plus et mieux utilisés, mais
aussi l'analyse sectorielle montre que les investissement en NTIC sont très différents selon les domaines
d'activité : selon une étude de la Fed, les secteurs dont l'intensité du capital en NTIC est plus élevée que
la médiane connaissent une accélération de la productivité de 1,4 point alors que les autres n'enregistrent
aucune modification significative.
Par conséquent, les forces procycliques n'expliquent pas entièrement l'accélération des gains de
productivité : une composante structurelle existe bien et elle concerne l'importance des investissements
en NTIC et l'intensité de l'utilisation de ces nouvelles technologies. Aux Etats-Unis, l’investissement
technologique a presque continûment progressé du début des années 1990 à celui des années 2000,
passant de 2% du PIB à plus de 6%. La productivité aussi s’y est accrue plus vite qu’ailleurs ; et pas
seulement la productivité du travail mais également la productivité globale des facteurs, ce qui traduit une
élévation du sentier de la croissance américaine au-delà du seul effet de l’augmentation de l’intensité
capitalistique. Une autre preuve de l’impact de la nouvelle économie dans la sphère réelle de l’économie
américaine est la diffusion de plus en plus large et importante des gains de productivité issus de
l’économie numérique : c’est ainsi que tout au long de la décennie 90 le trend de l’évolution de la
productivité par tête dans le commerce de détail est nettement croissant.
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VIII- À nouvelle économie,
nouvelles lois économiques ?
A- Les lois technologiques de la nouvelle économie
ne contredisent pas les lois économiques traditionnelles
On a présenté plus haut les lois de Moore et de Metcalffe qui semblent constituer les deux lois
fondamentales de la nouvelle économie. Certes, elles en décrivent effectivement le fonctionnement
typique.
Mais ces deux lois ne démentent en rien pour autant les principes de base de l'analyse économique. Ainsi,
la loi de Moore, qui affirme que la puissance d'un microprocesseur double tous les 18 mois (plus
précisément le nombre de transistors installés sur une puce), que c'est grâce à cela que le prix des
ordinateurs baisse constamment et que donc leur développement s'accentue, se ramène à un constat
maintes fois établi dans l'histoire économique : l'innovation dégage des gains de productivité qui
permettent un effet sur le coût et par là un effet sur le prix et la réduction des coûts est renforcée par la
recherche d'économies d'échelle et d'apprentissage.
En ce qui concerne la loi de Metcalffe, selon laquelle la valeur d'un réseau varie avec le carré du nombre
de ses membres, quantifie en quelque sorte l'effet de club, phénomène que les économistes évoquent
chaque fois qu'ils analysent une industrie de réseau.
Le fait que les NTIC soient à l'origine d'une croissance exceptionnellement soutenue n'est pas surprenant
en soi : il est normal que le stock de capital accumulé en informatique soit de plus en plus important
quand les prix des matériels baisse de 20 % par an en moyenne (avec en même temps des capacités de
mémoire et de calcul qui s'accroissent sans cesse), et qu'il en résulte, parce que sont de plus en plus
nombreux dans l'économie les travailleurs qui utilisent les NTIC, une forte hausse de la productivité. L.
Summers, ancien secrétaire d'État au Trésor, analyse l'effet des NTIC comme une réduction du coût
d'extraction d'une matière première essentielle à nos économies développées, l'information.
En définitive, on pourrait considérer comme M. Didier qu'il s'agit "plus d'une économie de nouveautés
que d'une nouvelle économie".
Pour la théorie microéconomique, le producteur recherche la maximisation de son profit : "le profit
réalisé est toujours fondé sur la capacité des entreprises de créer des rentes, de les conserver, de les
protéger, et l'on trouve bien les deux catégories classiques de rentes : rentes de monopole, fondées sur le
pouvoir de marché, et rentes différentielles, fondées sur l'efficacité" (J.-M. Chevalier). Seulement, la
nouvelle économie crée un environnement plus incertain et plus risqué, ce qui brouille les calculs
économiques des producteurs et rend par conséquent moins modélisable leur processus décisionnel. Pour
les firmes "virtuelles" ou "immatérielles" qui se développent au détriment des firmes traditionnelles, aux
rentes différentielles et de monopole s'ajoutent des rentes d'innovation particulièrement hasardeuses, et
toutes ces rentes sont plus fragiles et surtout plus éphémères à cause d'une destruction créatrice
aujourd'hui beaucoup plus rapide.
De la même façon, tout système économique moderne tente de "faire plus avec moins" en développant au
maximum la productivité des facteurs de production. Nous avons vu que la nouvelle économie permet
d'accroître effectivement la productivité. Mais elle ne le fait pas de la même façon que "l'ancienne
économie". Celle-ci a privilégié au cours des décennies précédentes tous les moyens pour abaisser les
coûts au maximum : incorporation du progrès technique, externalisation de certaines activités,
reconfiguration organisationnelle, chasse aux coûts inutiles ou cachés, etc. La nouvelle économie réalise
des réductions de coûts par la rapidité et la réactivité des systèmes d'information, par l'accélération des
processus de transaction, par l'augmentation de la pression concurrentielle, par la généralisation des
stratégies d'externalisation et d'alliances, etc. (Signalons cependant que la productivité tirée des NTIC est
limitée par les coûts cachés qu’entraîne l’informatique répartie lorsque celle-ci est insuffisamment
maîtrisée).
De plus, avec la nouvelle économie, la productivité "quantitative" (paradigme dominant qui définit
l'efficacité en termes de quantité produite) laisse place à une productivité plus "qualitative" si l'on peut
dire, pour tenir compte d'une double capacité des firmes : celle à gérer les relations avec les partenaires,
clients et fournisseurs (productivité par la relation) et celle à maîtriser l'incertitude (productivité devant
l'aléa).
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IX- À nouvelle économie,
nouvelle finance ?
Ces mouvements d'une rare amplitude font se poser la question de la valorisation boursière des
entreprises de la nouvelle économie.
D'abord, il convient d'affirmer haut et clair que la nouvelle économie ne transforme pas les principes
économiques de l'évaluation des actifs financiers : le cours d'un titre reste toujours la valeur actuelle des
flux futurs qu'il est certain (cas d'une obligation du Trésor public) ou susceptible (cas des actions) de
générer dans le futur, ce qui le fait dépendre directement à la fois des prévisions de flux et du taux
d'actualisation choisi. On peut donc déduire de ces principes simples que si les cours des valeurs
technologiques ont beaucoup augmenté pendant plusieurs années, c'est que les investisseurs ont d'abord
d'année en année revus à la hausse leurs perspectives de flux et qu'ils ont ensuite diminué leurs taux
d'actualisation. En effet, étant donné le côté révolutionnaire des NTIC au niveau mondial et leur diffusion
à tous les secteurs d'activité, il n'est pas étonnant que les investisseurs aient revu régulièrement à la
hausse leurs perspectives de profits, renforcés qu'ils furent dans leurs anticipations par l'évolution très
favorable des chiffres de la productivité -qui ont progressivement dénoncé le paradoxe de Solow- et de
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ceux de l'inflation. En ce qui concerne la baisse des taux d'actualisation, elle s'explique logiquement par
celle des deux éléments dont ces taux dépendent : des taux d'intérêt du marché, qui ont en effet diminué
sous l'effet de la désinflation, et de la prime de risque que les investisseurs exigent pour compenser le
surcroît de risque que font courir les actions par rapport aux obligations d'État. Malgré les difficultés de
mesure rencontrées, il semble que la prime de risque ait diminué (5% au début des années 1980 et 3%
aujourd'hui) ; notamment parce qu'il y a diminution de la volatilité des cours et réduction de l'aversion au
risque des investisseurs en actions.
Mais ces mouvements de hausse ont sans doute aussi une dimension irrationnelle (l'exubérance
irrationnelle dont a parlé Alan Greenspan dès l'automne de 1996 ; ou encore l'euphorie boursière et la
bulle spéculative pour reprendre d'autres expressions consacrées). Marc Guillaume donne un exemple
significatif lorsqu'il compare deux situations trouvées dans la conjoncture boursière américaine de
1999 (en milliards de dollars) :
Une telle distorsion semble bel et bien extravagante et le récent renversement boursier (que certains
qualifient d'e-krach) correspond à une correction sans doute salutaire. La valeur en Bourse des sociétés
d'Internet prises dans leur ensemble a diminué de moitié entre fin 1999 et fin 2000 ; selon une étude de
CEA Regent Associates (cabinet anglosaxon de fusions et acquisitions), le krach de la nouvelle économie
ne serait pas terminé. Dans leur article paru dans Le Monde du 19 juin 2002, L. H. Summers et J.V.
DeLong tentent d'expliquer l'e-krach en distinguant soigneusement l'avenir de la nouvelle économie qu'ils
jugent brillant en termes de diffusion au profit du plus grand nombre et celui, beaucoup plus sombre, des
entreprises qui produisent les NTIC et des actionnaires qui les financent : pour ces auteurs, le cas de
l'Internet est en définitive assimilable au cas de l'eau dans le paradoxe de l'eau et du diamant, et "le crash
du Nasdaq montre que la nouvelle économie va avoir pour conséquence une diminution des bénéfices, et
non le maintien d'une sorte de rente à longterme pour les investisseurs".
Cette distorsion est aussi la preuve que la valorisation boursière des valeurs technologiques pose des
problèmes spécifiques : elle ne peut pas reposer, faute d'expériences et de recul suffisants, sur les deux
fondements habituels de toute valorisation boursière :
- la "profondeur chronologique", c'est-à-dire la possibilité de projeter dans l'avenir une séquence
passée de résultats et de structure financière en fonction de trajectoires types d'entreprises ;
- le "référentiel de positionnement", c'est-à-dire la place occupée par la firme au sein d'un groupe
homogène d'entreprises comparables.
La valorisation boursière des entreprises de la nouvelle économie (celle en particulier des start-up, des
jeunes pousses...) est donc sujette à des appréciations très subjectives et aléatoires : ce n'est pas un tableau
de rentabilité prévisionnelle que l'on est amené à juger mais seulement un concept, au lieu de produits
avec un cycle de vie relativement prévisible, on a affaire à des produits à obsolescence accélérée, et on ne
dispose d'aucun référentiel sectoriel sérieux (marques mal connues, brevets inexistants, parts de marché
peu calculables, ...).
De plus, ces entreprises sont monoproductrices, au moins lors de leur création. Le risque est forcément
plus élevé que dans le cas d'entreprises diversifiées. Si bien que l'investissement dans une "start-up"
prend l'allure d'un véritable pari, celui que l'entreprise choisie fera partie du petit nombre qui subsistera
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au bout de quelques années. La volatilité du cours des titres de la nouvelle économie s'explique aussi par
les comportements des investisseurs qualifiés de "noise traders" parce qu'ils fondent leurs anticipations et
leurs opinions sur des manies ou des modes, ce qui perturbe complètement la situation boursière.
Enfin, il est utile ici, comme plus haut lorsqu'il s'est agi d'analyser la nouvelle économie en termes de
révolution industrielle, de faire appel à l'histoire économique. Lors de tous les bouleversements
technologiques les investisseurs ont considéré que le marché potentiel était énorme, qu'il y avait par
conséquent beaucoup de profit futur en perspective mais sans savoir exactement quelles seraient parmi
toutes les valeurs technologiques celles qui seraient les heureuses élues.... Ainsi, dans les années 1920, la
révolution de l'automobile mettait aux prises en France 300 producteurs, tous promis à un brillant avenir,
mais dont les actionnaires ne se sont pas enrichis pour autant. Plus près de nous, la révolution de
l'électricité amène aux mêmes conclusions. Elle n'a eu d'effets positifs sur la productivité et sur la
croissance que sur le long terme. Il y eu des baisses de prix qui ont profité en priorité aux entreprises et
aux ménages consommateurs d'énergie. Mais les cours des actions des opérateurs du secteur, même s'ils
ont été multipliés en France de 1920 à 1929 par 7, à peu de chose près comme ceux des sociétés de
télécoms pendant les années 1990, ont nettement "sous-performé" la moyenne des valeurs industrielles
sur longue période, alors que les grands gagnants de la Bourse furent au contraire les fournisseurs
d'équipements électriques... "Une façon de dire qu'au cours d'une ruée sur l'or on s'enrichit plus
facilement quand on vend des pelles ou des tamis que quand on est orpailleur" (A. de Tricornot.
L'Expansion du 14 au 27 septembre 2000). Et comme l'écrit A. Minc dans Le Monde du 24 août 2002,
"une révolution technologique dont l'enthousiasme pousse à anticiper les effets économiques, au prix d'un
vieux principe : les premiers investisseurs se brûlent les doigts, les suivants sauvent les meubles, les
troisièmes triomphent". J. Gadrey considère même que la nouvelle économie est un pur et simple
argument utilisé pour faire croire en la poursuite ininterrompue de la croissance économique, de la
progression des profits et de la montée des cours (voir son "Commerce des promesses". Seuil. 2001) ;
alors que si les NTIC baissent effectivement beaucoup le coût des calculs, elles ne modifient pas celui des
opérations intellectuelles, et l'augmentation de la puissance des ordinateurs sert surtout à ajouter aux
logiciels existants des fonctionnalités nouvelles mais à utilité marginale décroissante.
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Crédit Création monétaire
INTERMÉDIATION
FINANCIÈRE
Information privée Confiance Asymétrie
d'information
1 2 3
Effet de coût sur Effet de club
l'information à la hausse
à la baisse
NOUVELLE
ÉCONOMIE
(1) : L'information est d'un coût moins élevé, d'où le renforcement des banques de données.
(2) : La multiplication des réseaux, avec les externalités positives qu'elle génère, rend l'information moins
privée et l'information que détient chaque institution devient plus lacunaire.
(1) + (2) : L'information privée est certes de moins en moins chère mais elle est également de moins en
moins privée...
(3) : En plus de l'effet négatif sur la confiance que produit la synergie (1) + (2), le développement des
réseaux et le fait qu'un client puisse appartenir à plusieurs d'entre eux ont deux conséquences sur la
qualité de l'intermédiation financière :
- le banquier connaîtra moins son client, d'où accroissement de l'asymétrie d'information ;
- le client peut chercher des sources de financement plus adaptées à sa situation et à ses besoins :
le banquier va perdre non seulement de l'information mais aussi de l'activité, d'où l'augmentation possible
de sa prise de risque.
X- À nouvelle économie,
nouvelle entreprise ?
À la fin des années 90, près de 70 % des entreprises industrielles françaises de plus de 20 salariés sont
connectées à l'Internet, 80 % ont des micro-ordinateurs connectés en réseaux et près de 90 % utilisent le
téléphone mobile. 95 % d'entre elles utilisent les outils principaux des NTIC. La diffusion des NTIC dans
l'industrie concerne tous les secteurs mais plus spécialement l'énergie, l'industrie des TIC, la pharmacie,
la chimie. Les quatre facteurs les plus discriminants pour expliquer l'équipement des entreprises
industrielles françaises en NTIC sont, par ordre décroissant d'importance : la taille, l'ouverture sur
l'extérieur, l'appartenance à un groupe (surtout étranger) et la capacité innovatrice. Les raisons de
l'équipement en NTIC sont, par ordre décroissant d'importance : améliorer le service au client (grâce en
particulier à l'interactivité), réduire les coûts, améliorer l'organisation interne, faciliter la coordination
avec les clients et les fournisseurs, améliorer la flexibilité de la production, améliorer la qualité des
produits, ... (voir les résultats de l'enquête faite par le SESSI fin 1999 dans sa publication "Les 4 pages"
n° 135 d'août 2000).
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A- À nouvelle économie, nouvelles catégories d'entreprises ?
Dans "l'odyssée de l'e-économie" (Descartes & Cie. Sept. 2000), Marc Guillaume montre que la nouvelle
économie structure l'univers des entreprises sous la forme d'une pyramide à trois niveaux selon le nombre
de celles qu'elle concerne :
Au premier niveau, on trouve toutes les entreprises ou presque. Le courrier électronique est devenu
d'utilisation courante, ce qui, paradoxalement, a limité l'importance de son impact. Mais il n'en est déjà
pas de même d'usages plus sophistiqués des NTIC comme le groupware, les recherches hypertextuelles,
la généralisation de l'EDI (échange de données informatisées), .... qui favorisent non seulement la veille
technologique, l'intelligence économique mais aussi et surtout la gestion des connaissances ou gestion du
savoir : le "knowledge management", ou le KM comme disent les spécialistes. Le KM amène à
considérer le savoir comme un actif à part entière -un actif stratégique- et toute organisation comme un
portefeuille spécifique de savoirs (il convient ici de distinguer données, informations et connaissances ou
savoirs : les données ne concernent que la mise en forme de certains faits, l'information est un ensemble
de données placées dans un contexte précis qui les rend compréhensibles et les connaissances sont des
informations suffisamment riches de sens pour pouvoir générer un impact sur une décision).
L'effet Internet se fait surtout sentir dans les activités tertiaires : il a les mêmes conséquences que
l'introduction des machines à commande numérique sur les processus de production dans le secteur
industriel.
Au second niveau, on a les entreprises qui, grâce à une meilleure maîtrise des NTIC, enrichissent leurs
relations à la fois en externe, avec leur environnement et l'ensemble de leurs partenaires (clients,
fournisseurs), et en interne. En mettant dans les deux cas la réactivité au centre de leurs préoccupations :
en externe, pour que les clients en particulier soient plus profitables en faisant en sorte qu'ils soient mieux
informés, donc plus exigeants mais aussi plus fidèles ; en interne, pour que l'organisation soit
"apprenante", c'est-à-dire non seulement qu'elle apprenne plus et mieux que les autres mais aussi qu'elle
exploite ses savoirs de manière plus efficace que les autres, en étant plus flexible, plus ouverte, plus
autonome, et avec une plus grande capacité d'intégration. Les entreprises apprenantes sont en priorité
celles où les besoins de coordination latérale l'emportent sur les gains que procure la spécialisation des
fonctions et des hommes.
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Entreprise traditionnelle Entreprise apprenante
_____________________________________________________________________________
Remarque : le passage de l'entreprise traditionnelle à l'entreprise apprenante ne va pas sans soulever des
difficultés et des risques : un manque de mémoire, une surcharge informationnelle et le syndrome de
saturation cognitive, pas assez d'informel, trop d'interdépendance, des décalages par rapport aux
partenaires, pas assez de hiérarchie, d'où une augmentation du stress. "Ce qui est en jeu dans l'univers soft
de l'entreprise horizontale postbureaucratique et coopérative, c'est l'escamotage de l'institution même du
pouvoir. Et cet escamotage est d'autant plus dangereux que le pouvoir réel ne cesse de se concentrer" (P.
Veltz, in "Le Nouveau monde industriel". Gallimard. 2000).
Au troisième niveau, se trouvent des entreprises encore moins nombreuses : il y a d'un côté les fameuses
start-up qui exploitent des niches et de l'autre des entreprises de l'économie "traditionnelle" qui,
directement ou en créant des filiales, se mettent en réseau pour créer des places de marchés. Ces
entreprises, apprenantes et innovantes, sont à l'origine de la création de nouveaux produits et de nouveaux
métiers en procédant souvent par extension d'activité : elles proposent toute une palette de services
associés aux biens et aux savoir-faire qui constituent leur métier de base, autrement dit des services
intégrés qui permettent au client d'exprimer une demande de service global.
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Remarque : l'"internétisation" concerne d'abord les grandes entreprises ; les PME font leur e-révolution
plus tard. Elles y sont non seulement incitées par le souci de réaliser en interne des gains de productivité
mais aussi et en premier lieu un peu forcées par leur environnement, la nouvelle organisation des marchés
et la pression de leurs partenaires.
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complexes élèvent les coûts d'organisation. Par là, la nouvelle économie affaiblit l'intérêt de l'entreprise
par rapport au marché.
Internet fait naître de nouveaux modes de production et surtout de nouvelles formes d'échange puisque la
plupart des transactions qui s'y déroulent sont hors de la sphère marchande. Le succès des logiciels libres
révèle une sorte de néocommunautarisme.
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Internet est né dans une culture du partage et de la gratuité, qui s'est évidemment facilement propagée, et
il va être difficile de mettre en place les règles et les péages pour organiser la rareté et le secteur. Pour
l'instant, les bases de la rentabilité d'Internet sont très fragiles : ce n'est ni une rentabilité directe comme
dans le téléphone (tarification "au compteur" comme pour l'électricité) ni une rentabilité indirecte comme
dans l'audiovisuel (recettes publicitaires et abonnements). La rentabilité d'Internet se trouve
essentiellement dans ses fichiers et sa capacité d'en exploiter hypertextuellement les gisements
d'informations et la question d'un système de tarification adapté reste entière comme le démontre la
bataille des portails.
Ces dernières décennies on a assisté à une remise en cause théorique du paradigme walrasien de la
concurrence pure et parfaite (CPP), tant ses hypothèses semblaient de plus en plus éloignées de la réalité,
d'où son remplacement par un nouveau paradigme censé répondre mieux à la compréhension des
mécanismes du marché :
Conc. par le prix (les agents sont Conc. par le prix (les agents sont faiseurs de prix
preneurs de prix -"price takers") -"price makers") mais aussi par la qualité,
sur des marchés parfaits et complets sur des marchés ni parfaits ni complets
entre des firmes égales, petites et entre des firmes de tailles inégales souvent peu très
nombreuses, nombreuses, exerçant des effets de domination,
qui n'ont aucun pouvoir qui ont un pouvoir de marché (capacité d'agir sur
de marché, les conditions du marché),
avec liberté d'entrée, avec des barrières à l'entrée et/ou des accords de
collusion,
Les acteurs sont absolument rationnels : Les acteurs ont une rationalité procédurale et
rationalité substantielle ; limitée (par la quantité d'information et la capacité
cognitive) ;
ils calculent la maximisation de leur ils recherchent une satisfaction minimale.
fonction d'utilité.
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Certains soutiennent que la révolution des NTIC et d'Internet remet en quelque sorte le paradigme
walrasien au devant de la scène théorique de l'économie.
En effet, Internet donne l'impression que les entreprises sont bel et bien des nœuds d'échanges instantanés
et constamment révisables, que les libertés d'entrée et de sortie sont totales, et surtout que les
informations sont disponibles instantanément et gratuitement. Car Internet renforce a priori la
transparence des marchés : les acheteurs potentiels peuvent facilement rechercher l'ensemble des
fournisseurs possibles, trouver l'information souhaitée, négocier les conditions de la transaction
éventuelle, organiser les enchères ou tout autre forme d'achat, conclure une transaction et la régler ; les
fournisseurs peuvent afficher leur catalogue, leur tarif, leurs références, ... Bref, le commerce
électronique (e-business), qui s'est d'abord développé au travers du "B2B" (Business to Business) puis
avec le "B2C" (Business to Consumer), modifie substantiellement les relations entre acheteur et vendeur
ainsi que les structures de distribution. On parle même de "C2C" (Consumer to Consumer) pour désigner
les échanges interindividuels qui peuvent déboucher sur la constitution de nouvelles communautés dans
les diverses sphères de l'activité humaine. Grâce à Internet, le surplus global s'en trouve augmenté parce
que la satisfaction des consommateurs et le profit des entreprises sont accrus à la fois par la réduction des
coûts de transaction portant sur les produits existants et par le développement de nouveaux services.
Du point de vue du consommateur final, le commerce électronique ("cyber-commerce" ou encore "e-
commerce") apparaît souvent comme le vecteur d'une concurrence plus franche, d'une plus grande
démocratie économique. Mais, même si sa progression est incontestable, il ne représente encore, dans la
France de 1999, que 0,05% du chiffre d'affaires du commerce de détail (le seuil du 1% a été dépassé aux
États-Unis). Surtout, il n'a pas vocation à se substituer aux formes traditionnelles de distribution : il y a en
réalité complémentarité plus que concurrence entre les différentes formes de commerce, ce qui répond
aux nouvelles mentalités des consommateurs "zappeurs". Chaque formule présente des avantages mais
aussi des inconvénients différents : si aller dans les magasins entraîne des désutilités en termes de
déplacement, de fatigue, de stress, surfer sur Internet oblige à renoncer au contact avec le produit et à la
relation avec le vendeur, de supporter la lenteur du débit et les défauts des sites, ... De toute façon, tout ne
peut pas se vendre sur Internet. Plusieurs caractéristiques doivent être réunies par un produit pour
intéresser les cyber-consommateurs : il doit être transportable à faible coût (comme c'est naturellement le
cas des biens informationnels et de nombreux services), ses caractéristiques et qualités doivent être
aisément évaluables (d'où la priorité donnée aux produits clairement identifiés), il doit ne pas être trop
"impliquant" (comme le sont les habits, les bijoux, le mobilier) et correspondre plutôt à un "achat-corvée"
(comme c'est le cas pour l'eau, le lait, la lessive, ...) ; le cyber-commerce est particulièrement efficace
également pour les produits "rares" et très spécifiques (que recherchent les clients "chineurs"), ce qui fait
de lui un facteur d'individualisation des modèles de consommation. Notons que la transportabilité est ici
évoquée en premier parce que la logistique est bien le principal problème rencontré par les cyber-
consommateurs : au cours de l'année 2000, près d'un quart des produits commandés par l'Internet ont été
perdus et seul un produit sur dix a été livré dans les délais prévus. La complémentarité entre cyber-
commerce et commerce traditionnel peut être d'autant plus forte que d'abord les magasins mettent l'accent
sur leurs avantages comparatifs (notamment sur l'achat-plaisir) et qu'ensuite les consommateurs
combinent souvent les deux formules au sein de la séquence "avant-achat, achat, après-achat"
(notamment en se servant d'Internet comme d'un canal d'information avant l'achat).
Quand on quitte l'optique du consommateur final et que l'on explore l'univers du "BtoB", la mutation des
échanges économiques semble être plus profonde. L'instrument et le symbole de cette mutation est sans
conteste la place de marché (appelée aussi "plate-forme"). Celle-ci fait inévitablement penser au marché
parfait des théoriciens. Car il s'agit d'un lieu virtuel, sur le web, où les entreprises se rencontrent pour
échanger des biens ou des services grâce à des outils de navigation standard, ce lieu étant organisé à
l'initiative des acheteurs, à celle des vendeurs ou encore par des intervenants extérieurs jouant le rôle
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d'intermédiaire. Les places de marché ont pour fonctions d'abord de résoudre le paradoxe selon lequel les
NTIC font qu'il est de plus en plus difficile de trouver l'information dont on a besoin alors que
l'information pullule et ensuite de fédérer des communautés d'acheteurs et de vendeurs autour de
préoccupations semblables, avec pour objectif de réduire leurs coûts d'accès à l'information et leurs coûts
de transaction. Le magazine américain Business 2.0 propose une typologie des places de marché que l'on
peut présenter de la manière schématique suivante :
Les places
de L'offre est fragmentée mais Places de marché
marché la demande est concentrée dominées par les acheteurs
("buyer-side")
Dans le cas général, où l'offre et la demande sont fragmentées, on distingue les plates-formes verticales
(ou e-hubs verticaux, e-hub signifiant littéralement entrepôt virtuel) et les plates-formes horizontales (e-
hubs horizontaux) : les premières sont des lieux de négoce et d'expertise qui réunissent les professionnels
d'une même filière et les secondes rassemblent des entreprises de tous secteurs qui ont le même type de
besoin comme la maintenance ou la fonction achat par exemple. Les places de marché affinitaires sont
celles qui répondent à des centres d'intérêt précis : sportifs, politiques, sociaux, religieux, etc. Ajoutons
que sur les places de marché, les transactions se font le plus souvent selon la procédure des "enchères
inversées" : l'acheteur prend l'initiative en mettant en ligne les détails de son cahier des charges et les
fournisseurs intéressés disposent d'un délai limité pour faire leurs propositions de prix. Il est clair que la
procédure des enchères, quelles qu'en soient les modalités techniques, se démarque nettement du
mécanisme des prix prévu par le modèle de la CPP.
Aux États-Unis, on comptait à la fin de 1999 environ 1000 places de marchés verticales ; il y en avait
plus de 10 fois plus à la fin de 2000. Les prévisions faites par les uns et les autres laissent deviner un
essor considérable des places de marché dans les années qui viennent.
Seulement, les places de marché ne concernent pas nécessairement toutes les entreprises et leur vitalité
dépend d'un certain nombre de facteurs :
- Les places de marché concernent en priorité les biens et les services qui peuvent être décrits
simplement au moyen d'un nombre limité et standardisé de caractéristiques.
- Pour qu'une place de marché puisse remplir convenablement ses fonctions, il faut de plus que les
différentes phases du processus d'achat (cahier des charges, catalogue, tarif, négociation, ...) soient
aisément informatisables et industrialisables.
- Il faut aussi que les niveaux de sécurité et de confidentialité soient du même ordre que dans
l'ancienne économie, et à un coût raisonnable.
- Enfin, le bon fonctionnement d'une place de marché impose qu'elle dispose d'une bonne
liquidité, c'est-à-dire d'une masse critique en termes de nombres de vendeurs et d'acheteurs. Des
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économistes estiment que pour être viable, une place de marché doit réunir dans le domaine considéré au
moins 50% des acheteurs et 50% des fournisseurs (rappelons que la plupart des places de marché se
rémunèrent par une commission perçue sur les transactions générées). Cela explique la course à la taille
et les opérations d'alliances et de restructuration auxquelles on assiste à l'heure actuelle. On comprend
donc qu'à terme les places de marché qui se rapprochent selon leurs thuriféraires des marchés parfaits
vont en réalité rapidement devenir des mondes de concurrence très imparfaite : selon le cabinet
d'analystes Giga Information Group, il ne devrait rester bientôt que deux acteurs majeurs par industrie...
Comme l'écrit D. Cohen (Le Monde du 11/11/2000), "la nouvelle économie confronte les analystes à une
paradoxe étonnant. Ses apologistes l'acclament habituellement comme un vecteur puissant de la
concurrence. Internet serait l'incarnation de la célèbre “main invisible“ d'Adam Smith, que l'on pourrait
enfin serrer en cliquant avec la souris.(...) L'ironie, toutefois, est que les acteurs de la nouvelle économie
sont eux-mêmes rien moins que concurrentiels". On peut reprendre ici aussi l'expression de
"cyberillusion" utilisée par M. Didier (Expansion du 15 au 25 octobre 2000) ou encore le titre que G.
Lacroix a donné à son ouvrage paru en 1997 : "le mirage Internet".
P. Dockès (dans Espérances et menaces de la nouvelle économie. Descartes & Cie. Décembre 2000)
estime que "les hypothèses du nouveau paradigme s'opposent trait pour trait au paradigme walrasien". La
rationalité des acteurs n'est pas substantielle mais procédurale et limitée (par les capacités
informationnelles et cognitives). Le mécanisme des prix et l'information ne sont pas gratuits, d'où des
coûts et de l'incertitude : les marchés ne sont ni parfaits ni complets. Les acteurs ne sont pas tous "price
takers", ils ne recherchent pas la maximisation de leur fonction économique mais une satisfaction
minimale et leur comportement est stratégique en ce sens qu'il dépend en grande partie des réactions
anticipées des autres participants au marché.
Avec Internet et les places de marché dont il vient d'être question, l'industrie des NTIC présente beaucoup
de points communs avec les activités de réseau (l'impact du réseau Internet sur l'ensemble des structures
est d'ailleurs peut-être plus grand que celui des réseaux qui l'ont précédé comme celui des chemins de fer
ou celui des télécommunications) ; elle a donc des caractéristiques propres au monopole naturel.
L'essentiel des coûts est dépensé au début, lors de la phase initiale de développement ou de production,
alors qu'ensuite les coûts marginaux de production de chaque unité sont négligeables, voire nuls. Les
coûts fixes prédominent dans la fonction de production. Pour les produits technologiques, le poids
croissant des dépenses en recherche-développement joue un rôle déterminant ; pour les produits
informationnels, se rajoute comme facteur explicatif, le fait que leur dématérialisation permet leur
reproduction à coût quasiment nul. Selon M. Volle, "la nouvelle économie, avec la diversité de ses
aspects et propriétés, s'explique par les rendements croissants qui caractérisent les nouvelles
technologies". Cela caractérise ce qu'il appelle le système technique contemporain : le STC ; et la
structure des marchés en est totalement bouleversée. Pour se donner le temps d'amortir ces coûts initiaux
très élevés, les entreprises élèvent des barrières à l'entrée. Le montant de l'investissement de départ
© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Ch. Bialès P. 71 05/07/2020
constitue déjà une barrière technologique importante, mais celle-ci est renforcée par une politique
commerciale agressive de différenciation des produits. Si bien que les entreprises se trouvent dans une
structure de marché à mi-chemin entre la concurrence oligopolistique et la concurrence monopolistique,
de toute façon dans un contexte de concurrence très imparfaite où elles sont faiseuses de prix ("price
makers"). On est loin du modèle de la concurrence pure et parfaite où les producteurs sont preneurs de
prix et où le prix est égal au coût marginal, avec un coût marginal croissant ! D. Cohen (art. cité)
considère que le champ de la nouvelle économie peut être défini à partir de cette caractéristique de coût
marginal décroissant : "on y inclurait de plein droit l'ensemble de l'audiovisuel (un filme coûte cher à
réaliser, pas à diffuser), mais également l'industrie pharmaceutique (où ce qui compte est l'invention du
vaccin et non sa fabrication), et, au-delà, des secteurs tels que les articles de sport, qui coûtent pour le
design ou le contrat des champions bien plus que pour la fabrication de la chaussure elle-même...". Une
autre caractéristique importante d'Internet se rencontre dans de nombreux biens de la nouvelle économie :
il s'agit de l'effet de club et des externalités positives de réseau : l'utilité de ces biens augmente avec le
nombre de leurs utilisateurs. C'est bien sûr le cas du Web et du téléphone mobile mais c'est aussi celui des
logiciels par exemple. Il est évident que l'existence de ces externalités pousse les entreprises à augmenter
leur part de marché et à accroître leur taille, par fusion ou alliances ; d'où l'apparition progressive de
firmes dominantes et la modification du jeu de la concurrence.
L'actualité récente nous fournit une parfaite illustration du problème économique posé avec le procès de
Microsoft : les avocats de la célèbre entreprise de logiciels prétendent d'ailleurs "que pour amortir les
coûts de recherche et de développement, une firme de la nouvelle économie doit absolument bénéficier
d'une rente de situation ; le secteur ne peut être concurrentiel au sens habituel du terme". Autrefois, les
États nationalisaient les entreprises à rendements croissants pour s'en approprier la rente mais ils se
contentent aujourd'hui de réguler, de réglementer. Les autorités antitrust s'emploient à surveiller en
permanence la concurrence ; en s'attaquant en particulier aux barrières à l'entrée qu'élèvent souvent les
firmes en couplant deux activités complémentaires (d'où la solution envisagée par les juges de scinder
Microsoft en deux entités). La nouvelle économie donne bien du travail aux juristes et à l'appareil
judiciaire ; car tout est bon, y compris corrompre les acheteurs, pour accroître la rente que nourrissent les
rendements croissants.
L'exemple également récent du téléphone mobile de 3ème génération montre que l'importance
phénoménale des investissements que doivent faire les opérateurs de télécommunications désireux
d'acheter les licences UMTS amène ceux-ci à s'endetter lourdement et donc, à s'engager rapidement dans
une stratégie de concentration. Pour beaucoup d'observateurs, les méga-fusions se font en parallèle avec
Internet. Cette concomitance explique que les entreprises tout à la fois augmentent de taille et de
puissance financière et qu'elles cherchent à externaliser le plus grand nombre de fonctions, d'où les
expressions d'entreprise-réseau et d'entreprise virtuelle.
Les NTIC constituent un puissant moteur qui transforme les relations : pas seulement les relations entre
les organisations, mais aussi les relations au sein des organisations ; et également les relations entre
industrie et services.
Comme on l'a rappelé déjà plus haut, selon la théorie des coûts de transaction de R. Coase, l'entreprise se
substitue au marché quand celui-ci n'est pas efficace. "Internet modifie ce schéma : il ouvre l'organisation
verticale des chaînes de valeur, décompose les métiers en sous-métiers articulés et complémentaires. La
firme qui a compris l'intérêt du Net peut ainsi acheter sur le marché à meilleur compte le produit ou le
service qu'elle fabriquait ainsi auparavant. Elle acquiert plus de flexibilité, elle diminue ses coûts, elle
peut devenir à l'extrême une entreprise virtuelle qui organise et connecte les métiers de différents
prestateurs. Internet est un puissant contestataire des hiérarchies existantes et des cultures qui y sont
associées" (J.-M. Chevalier. Conférence donnée le 25/5/2000 à l'Université de tous les savoirs).
© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Ch. Bialès P. 72 05/07/2020
Par ailleurs et par surcroît, le comportement stratégique des firmes consiste toujours à tenter d'échapper
au maximum à la compétition par les prix et à rechercher d'une manière ou d'une autre une rente de
monopole.
Dans la nouvelle économie, cette quête d'une position dominante se traduit par une course de vitesse sur
deux terrains à la fois :
Spéculation Opérations de
financière croissance externe
"Les gros mangent les petits" "Les rapides mangent les lents"
À l’issue de ce chapitre sur les structures de marché, on peut faire un pas supplémentaire et se demander
si « à nouvelle économie, nouveau capitalisme ? ».
En effet, avec le développement d’Internet et des « géants du Net », certains parlent de « capitalisme de
plateforme », comme Nick Srnicek dans son ouvrage paru en français en 2018 pour traiter de l’hégémonie
de l’économie numérique. Selon cet auteur, les plateformes désignent des infrastructures numériques qui
permettent à deux ou à plusieurs groupes d’interagir, ce sont donc des intermédiaires entre différents
usagers qui reposent par définition sur des effets de réseau, d’où la recherche systématique que font ces
plateformes pour avoir toujours davantage d’utilisateurs et des clientèles de plus en plus variées. Quel que
soit le type de plateforme, « publicitaire », « nuagique », industrielle, de produits ou « allégée » pour
reprendre la typologie de Srnicek, leur point commun est d’être essentiellement des dispositifs d’extraction
de données. En effet, on peut dire qu’à chacun de nos clics sur les portails des GAFAM, on renseigne
toujours un peu plus sur notre profil et on donne ainsi, sans même le savoir, des informations précieuses
aux ingénieurs des mégadonnées et data scientists qui vont permettre aux Big brothers du Net de les
monétiser à leur profit. Ces entreprises sont poussées par la recherche d’économies d’échelle, comme
depuis toujours dans l’économie industrielle, mais c’est surtout par la recherche d’effets réseaux de plus en
plus puissants, caractéristique distinctive des industries de réseau modernes, que les plateformes
numériques constituent des oligopoles discriminants, à tendance monopolisatrice forte. En effet, il n’est pas
vraiment question de se faire entre elles la guerre à partir de la différence entre prix et coûts mais par la
capacité à collecter les données, à les traiter et à les monétiser, d’où le rôle important des investissements
en matériels de plus en plus sophistiqués, en logiciels de plus en plus performants, en personnels de plus en
plus pointus, et de la recherche systématique de nouveaux marchés : par conséquent, dans dette nouvelle
économie comme dans l’ancienne, le processus d’innovations tous azimuts joue un rôle déterminant. Et là
comme ailleurs, l’importance des sommes investies, tout à la fois, alimentent la concurrence entre les
entreprises présentes sur le marché mais aussi rendent difficile l’entrée de nouveaux concurrents : ce sont
des barrières à l’entrée. Or, on sait que pour des marchés de concurrence imparfaite, la liberté d’entrée est
capitale pour réduire les risques de monopolisation. D’où le rôle important des lois anti-trusts, des autorités
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de la concurrence et des régulateurs sectoriels. Pour aller encore plus loin, certains proposent la
construction de plateformes coopératives, d’autres celle de plateformes publiques.
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Ces schémas montrent la puissance économique des mastodontes du Net. Cela explique que l’on propose
souvent leur démantèlement (« Break them up »), sans quoi ils pourraient devenir notre gouvernement à
tous et ils pourraient finir par choisir ce que nous voyons et ce que nous savons du monde. Il est
insupportable que les GAFA abusent si souvent de leur position dominante, en particulier dans la publicité
en ligne (Facebook et Google ont aux États-Unis, en 2016, monopolisé 76% des recettes publicitaires et ils
ont gagné 85% de chaque dollar supplémentaire issue de la publicité), qu’Amazon jouisse d’une telle
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suprématie dans l’e-commerce et qu’Apple ait le contrôle absolu sur son magasin d’applications. Mais cette
solution radicale est assez difficile à mettre concrètement en œuvre pour des raisons pratiques bien sûr (ce
serait de la « chirurgie » d’autant plus lourde que contrairement aux industries traditionnelles il n’y pas
dans le numérique de couche d’infrastructure facilement identifiable) mais aussi juridiques, économiques et
politiques, surtout que la question est à envisager au niveau mondial. Il n’empêche que les GAFAM eux-
mêmes en arrivent à souhaiter un renforcement de la régulation (ce qui, paradoxalement, pourrait renforcer
la légitimité du démantèlement). Le RGPD (règlement européen de protection des données personnelles)
constitue à ce titre un progrès important.
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Le creusement des inégalités ne peut surprendre lorsque l'on sait qu'un être humain sur deux n'a jamais
passé un seul coup de téléphone, qu'actuellement 50% des internautes sont américains, que 95% des
Africains qui sont connectés à Internet appartiennent au seul et même pays, l'Afrique du Sud, que
plusieurs pays censurent ou interdisent carrément à leur population l'accès à Internet pour des raisons
idéologiques, que seulement un Français sur cinq est connecté et initié... Il y a donc une véritable
"fracture numérique" entre le Nord et le Sud mais aussi au sein de chaque pays, y compris les plus riches,
ce à quoi des plans gouvernementaux ambitieux tentent de remédier : la volonté de favoriser l'accès
général à Internet a été affirmée par les membres du G8 lors de la réunion à Okinawa au Japon, en juillet
2000, et un sommet mondial doit avoir lieu en 2003 pour "mettre la révolution de l'information au service
du développement humain" pour reprendre les termes de l'objectif que s'est fixé le PNUD (Programme de
l'ONU pour le développement). Mais ce fossé numérique est difficile à combler car il est creusé de trois
manières : c'est un fossé sur le plan financier ("je n'ai pas les moyens"), sur celui du savoir-faire ("je n'y
connais rien et c'est trop compliqué pour moi") et sur celui du sens ("à quoi cela pourrait bien me servir").
On relève dans l’étude statistique produite en octobre 2005 par Eurostat que 50% des ménages français
ont un ordinateur personnel à domicile, contre 54% pour l’Europe à 25, qu’ils sont 34% à avoir une
connexion Internet à domicile contre 43% (on note aussi dans cette étude que la proportion des 16-24 ans
à avoir un ordinateur personnel est 3 fois supérieure à celle des 55-74 ans et que l’écart est sensiblement
le même entre ceux qui ont un niveau élevé d’instruction et ceux qui en ont un faible).
Selon une enquête du Crédoc faite en juin 2006, les Français sont de mieux en mieux équipés en NTIC.
Près de 3 adultes sur 4 ont un téléphone mobile, 57% ont un ordinateur à la maison, 43% sont connectés à
Internet. Mais, si le nombre d’ouvriers connectés à Internet est deux fois plus important que trois ans plus
tôt, cela ne représente cependant que 38% de leur nombre total, alors que chez les cadres supérieurs le
pourcentage atteint 82%. Les écarts sont d’ailleurs relativement plus importants chez ceux qui gagnent
moins de 900 euros par mois (22%), chez les non-diplômés (12%) et chez les plus de 70 ans (6%). Les
jeunes sont nettement les plus équipés et les plus connectés. Et la différence entre hommes et femmes
s’est atténuée. L’enquête du Crédoc révèle aussi que l’usage d’Internet a profondément évolué et n’est
plus limité aux applications traditionnelles de la navigation, du courrier électronique et de la messagerie
instantanée : il y a en particulier une forte progression du téléchargement et de la création de sites
personnels et de blogs.
Dans "Espérances et menaces de la nouvelle économie" (Descartes & Cie. décembre 2000), M. Aglietta
considère qu'il y a, avec le nouveau régime de croissance capitaliste qui se met actuellement en place au
travers de la nouvelle économie, aggravation des risques de tensions entre le dynamisme du capitalisme
et la cohésion sociale, en particulier sur le statut et les conditions de travail, sur la propriété du capital
face à l'essor de l'actionnariat salarié, sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, et sur l'avenir
de la famille face à l'exacerbation de l'individualisme.
Remarques :
- On doit signaler aussi les effets inégalitaires d'Internet en matière de territoire. La plupart des
auteurs sont d'accord pour estimer que va s'en trouver renforcé le pouvoir des grandes métropoles, des
"villes globales" comme les appelle Saskia Sassen. P. Veltz considère lui aussi que "des capitales
régionales ou nationales en pleine expansion au sein de régions ou de pays en récession ne sont pas rares.
Alors que les réseaux de proximité reliant “verticalement" les villes à leurs arrière-pays déclinent
souvent, les réseaux “horizontaux“ entre mégavilles se renforcent, donnant naissance à une économie
d'archipel qui, dans certaines sphères d'activité financières ou technologiques, monopolise littéralement
l'activité et les échanges".
- Dans son récent ouvrage consacré exclusivement à l'Internet (L'ère de l'information -Fayard),
Manuel Castells montre malgré tout un certain optimisme : il estime que la "culture hacker", du nom
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donné à ces passionnés d'informatique et de télécommunications qui inventent sans cesse, imprègne une
partie de plus en plus importante de la société et favorise l'émergence d'une société civile planétaire avec
l'éclosion de réseaux, en particulier ceux développés par les différentes ONG qui se consacrent aux
grands problèmes mondiaux.
1) Ignorer la spécificité des NTIC et par conséquent leur appliquer les principes
juridiques existants.
Cette posture s'explique par la normativité du système juridique français : c'est le droit qui façonne la
réalité et non l'inverse. Elle a essentiellement une double conséquence : quand les nécessités l'exigent le
catalogue des prescriptions est enrichi et quand les difficultés se durcissent c'est aux professionnels de
s'organiser pour y répondre.
2) Ne pas méconnaître les particularités des NTIC mais les traiter par analogie avec
d'autres domaines déjà réglementés.
Cette posture s'explique par l'ambition du droit d'être sans lacune : face à une difficulté nouvelle, il doit
toujours y avoir une règle analogiquement applicable.
De ce point de vue, deux analogies peuvent guider le "droit d'Internet" : celle avec le droit des réseaux
(application de la théorie des facilités essentielles), et celle avec le droit de la communication publique
(question par exemple de la protection contre la diffamation).
Cette dernière posture pose encore plus que les deux autres le problème du rôle de l'État, dans la mesure
où la définition d'un droit d'Internet -comme de tout droit- passe par l'affirmation d'un bras séculier pour
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le faire respecter. " Là où il y a de l'État, il y a du droit, mais pour qu'il y ait du droit, il faut qu'il y ait de
l'État" (M.-A. Frison-Roche, in "Internet et nos fondamentaux". PUF. Nov. 2000). Or, Internet est
souvent présenté comme un espace de "non-droit" précisément parce qu'aucune autorité étatique ne
semble en mesure d'exprimer un quelconque pouvoir de contrainte sur cette réalité dématérialisée et
"déterritorialisée".
Face à cette difficulté, deux réactions sont possibles, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre et doivent
même se compléter l'une l'autre :
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Ère industrielle Ère numérique
Les noms de domaine sur Internet posent des problèmes juridiques redoutables en matière de biens
juridiques, quant à leur qualification, à leur propriété et à leur protection, autrement dit et de manière plus
générale en matière de "patrimonialisation" de l'information.
La protection des enfants et des consommateurs sur Internet met à mal le droit des personnes car
l'anonymat et le manque de corporéité des utilisateurs du Web rend difficile l'identification des "sujets de
droit". Pourtant, sur Internet, "il peut arriver que ce qui doit être dit soit caché et ce qui doit être caché
soit dit. Le droit doit alors intervenir parce qu'il est à la fois ce qui protège les libertés individuelles, donc
ce qui doit rester caché, et ce qui est garant des libertés publiques, donc ce qui doit être dit. La tâche est
rude sur Internet du fait que le droit doit pour cela exercer une contrainte directe, par la sanction de la
violation du secret, d'une part, par l'obligation à la divulgation, d'autre part" (M.-A. Frison-Roche, op.
cit.).
Des affaires comme celle du fournisseur d'hébergement de sites Yahoo, accusé d'avoir ouvert un accès
sur un site contraire à l'ordre public, pose la question de la responsabilité. Trois positions sont en
présence :
- Celle des tribunaux qui font porter entièrement la responsabilité sur les professionnels.
- Celle du législateur, moins catégorique, qui admet la difficulté pour les professionnels de faire
seuls la police de l'Internet. Sa politique est alors de les soumettre à un ensemble d'obligations précises, et
de déclarer leur responsabilité engagée dès lors qu'ils ne respectent pas ces obligations.
- Celle des professionnels, qui contestent les décisions de justice prises jusqu'ici, en prétendant
qu'elles sont contraires à la liberté d'expression et qu'elles ne respectent pas le principe selon lequel il ne
peut y avoir de responsabilité sans démonstration de la faute. À ce dernier argument il est opposé une
conception non seulement individuelle mais également systémique de la responsabilité : pour que la
responsabilité d'un acteur soit engagé, il n'est pas nécessaire qu'il ait commis personnellement une faute,
il suffit qu'il ait décidé (réaffirmation ici du rôle de la volonté) d'occuper une position dans le système qui
lui soit profitable, ce qui entraîne en effet pour lui en contrepartie des ... responsabilités.
© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Ch. Bialès P. 80 05/07/2020
4) La question des blogs.
Un blog est un site personnel qui ressemble à un journal de bord ; mais ce n’est pas un journal intime
puisqu’il peut être consulté par n’importe qui, à tel point que les lecteurs peuvent y déposer des
commentaires. Cela signifie par conséquent que l’on ne peut pas y écrire n’importe quoi. La liberté
d’expression ne s’entend qu’à partir du moment où elle ne nuit à personne. Non seulement, le contenu
d’un blog ne peut être illicite mais également il ne doit pas injurier ni diffamer ni attenter à la vie privée
de qui que ce soit. La responsabilité du blogueur va d’ailleurs plus loin que ce qu’il écrit lui-même : le
blogueur est également responsable de ce qu’écrivent ceux qui font des commentaires puisqu’il sollicite
de ceux-ci leurs réactions.
© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Ch. Bialès P. 81 05/07/2020
TABLES DES MATIÈRES
I- La nouvelle économie, quelle(s) définition(s) ?.................................................................................................... 3
A- Les définitions par une nouvelle évolution technique ................................................................................................ 3
B- Les définitions par un nouveau contexte économique et social général ...................................................................... 5
II- La nouvelle économie, quelles mesures ?.......................................................................................................... 13
A- Les mesures proposées........................................................................................................................................... 13
B- Des mesures contestables ....................................................................................................................................... 16
III- La nouvelle économie, quels impacts ? ............................................................................................................ 16
A- Les impacts sur les comportements microéconomiques .......................................................................................... 16
B- Les impacts sur les évolutions macroéconomiques.................................................................................................. 17
IV- La nouvelle économie, nouvelle croissance ? .................................................................................................. 19
A- La relation générale entre progrès technique et croissance ...................................................................................... 19
B- La relation actuelle entre les NTIC et la croissance ................................................................................................. 36
V- La nouvelle économie : quel paradoxe de Solow ? .......................................................................................... 41
A- Au départ, le paradoxe de Solow semble exister... .................................................................................................. 41
B- ... puis une hausse de la productivité est enregistrée... ............................................................................................. 42
C- ... mais cette hausse de la productivité est variable selon les secteurs et contrastée selon les pays............................. 43
VI- La nouvelle économie, ........................................................................................................................................ 46
nouvelle révolution industrielle ? ............................................................................................................................ 46
VII- À nouvelle économie,......................................................................................................................................... 55
nouveau cycle économique ?..................................................................................................................................... 55
A- Les cycles ne sont pas morts... ............................................................................................................................... 55
B- ... mais la théorie des cycles est relativisée ............................................................................................................. 57
VIII- À nouvelle économie, ....................................................................................................................................... 58
nouvelles lois économiques ? .................................................................................................................................... 58
A- Les lois technologiques de la nouvelle économie .................................................................................................... 58
ne contredisent pas les lois économiques traditionnelles .............................................................................................. 58
B- La nouvelle économie respecte les lois traditionnelles mais elle en modifie le fonctionnement ................................ 58
IX- À nouvelle économie, .......................................................................................................................................... 60
nouvelle finance ? ....................................................................................................................................................... 60
A- La nouvelle économie est une nouvelle finance ...................................................................................................... 60
au travers des évolutions boursières qu'elle suscite ...................................................................................................... 60
B- La nouvelle économie offre-t-elle une nouvelle finance par ses effets sur l'intermédiation financière ? .................... 62
X- À nouvelle économie, ............................................................................................................................................ 63
nouvelle entreprise ? .................................................................................................................................................. 63
A- À nouvelle économie, nouvelles catégories d'entreprises ? ...................................................................................... 64
B- À nouvelle économie, nouveaux modèles d'entreprises ? ........................................................................................ 66
C- À nouvelle économie, nouvelles organisations d'entreprises ? ................................................................................. 67
XI- À nouvelle économie, .......................................................................................................................................... 67
plus ou moins de concurrence ? ............................................................................................................................... 67
A- Les NTIC semblent être un puissant facteur de concurrence ................................................................................... 67
B- La nouvelle économie s'écarte en fait beaucoup du modèle traditionnel de la concurrence ....................................... 71
XII- À nouvelle économie, nouvelle élite ? Nouvelles inégalités ? ...................................................................... 76
XIII- À nouvelle économie, nouvelle régulation juridique ? ............................................................................... 78
A- Les postures possibles du droit face à la révolution des NTIC et d'Internet .............................................................. 78
B- Difficultés ponctuelles, questions fondamentales .................................................................................................... 80
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