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Ftash-back Kiarostami, lmamura, Chahine, Poirier...

Un palmarès pointu
qui fait la part belle à un cinéma d'audace, de poésie et d'engagement.

Place
aux a e palmarès fera date. Sous l' autorité certain du contraire. Dès la séquence d ' ouver-

C qu ' on a dite pointilleuse de la prési-


dente Isabelle Adjani , des jurés exi -
geants ont affiché un parti pris qui ne
l'était pas moins : sans la moindre concession à
la diplomatie ou aux arguments commerciaux ,
ture, on devine qu'il ne faudra pas prendre trop au
sérieux les péripéties à venir. Quand le héros poi-
gnarde sa femme , qui le trompe, le sang gic le
partout, y compris sur l'objectif de la caméra. On
ne saurait mieux annoncer la couleur: l ' audace
ils ont distingué les auteurs, les vrais, ceux qui fantaisiste sera un ingrédient essentiel du jeu.
bâtissent une œuvre tïlm à fi lm , qui expriment Comme cette anguille dont notre homme fera sa
une vision singulière du monde et du cinéma. A plus fidèle compagne, comme tous ces zigotos
leurs risques et périls souvent. Cela est parti- agités qui peuplent le décor, comme cette mamma
culièrement éclatant pour le trio majeur de lau- nipponne qui se prend pour une reine du fla -
réats : Abbas Kiarostami, Shohei lmamura (Pal- menco. Irnamura s 'am use des situations hétéro-
me d'or ex aequo) et Youssef Chahine (Prix du c lites qu'il crée, où il embrouille les genres dans
cinquantième Festival). une es pèce de fourre-tout un peu bancal, mais
De haut en bas et La seule présence de 1'Iranien Kiarostami en assez « gonflé ». On peut supposer que cette
de gauche à droite : compétition était en soi un événement. Une vic- Palme qui lui avait échappé en 1989 pour un film
Atom Egoyan (De toire contre les « durs » de Téhéran, qui avaient autrement important, Pluie noire, récompense sa
beaux lendemains), retenu Le Goût de la cerise jusqu ' au dernier position insolite dans la compétition : il était
Shohei lmamura moment, sous prétexte que le suicide - thème ailleurs, à contre-courant de la noirceur ambiante.
(L'Anguille), Wong central du film- est, paraît-il, sujet tabou dans le On chercherait en vain quelque faux pas fla-
Kar-wai (Happy code de censure local. La réponse à ce dérisoire grant dans ce palmarès. Elle est archi méritée, la
together) et Manuel prétexte ayatollesque, c'est ce film très élaboré récompense attribuée à Manuel Poirier et à son
Poirier (Western). dans l'épure, où les tourments indicibles d ' un emballant Western. A son quatrième film , cet
homme qui veut en finir avec la vie sont appro- auteur radicalement<<perso », attaché à ne mettre
chés avec une constante dignité, tandis que la en scène que ce qu'il connaît, les « petites gens »,
réflexion se développe sans s ' imposer, ouverte, et les filmant comme personne, franchit un pas
avec une simplicité poétique (voir page 38). décisif. On aurait aimé aussi que l' un des ftlms les
D ' une certaine manière, l' ovation s.pontanée plus originaux de la sélection , De beaux lende-
faite à Youssef Chahine lors de la proclamation mains, du Canadien Atom Egoyan (voir Télé-
du palmarès constituait un triple hommage. rama de la semaine dernière), soit distingué avec
A une œuvre profuse, d'abord , comme ncée il plus d'éclat. Mais , finalement , le Grand Prix ,
y a quarante-sept ans . Au film présenté cette couronnant un fi lm qui invente, qui innove, lui
année, ensuite , ce Destin chatoyant, tonique, va bien. Quant au Prix de la mise en scène, décerné
où 1' inspiration du cinéaste est apparue comme à Wong Kar-wai pour Happy togethe1; il est on ne
régénérée , et pour la meilleure des causes : peut plus judicieux : le Chinois de Hongkong est
l'appel à la tolérance. Hommage, enfin , au com- bien l'un des styl istes les plus inventifs du moment.
bat que le bonhomme infatigable mène depuis Reste à souhaiter que ce palmarès << pointu >>
des lustres dans son pays , 1' Egypte, contre les donne à un public élargi l'envie de découvrir des
censeurs de tout poil, pour un cinéma qui vit, cinéastes importants mais encore assez confi-
bouge et fait aimer la vie (voir page 40). dentiels. Alors, ce cinquantenaire serait vraiment
Il n'est pas sûr qu 'avec L'Anguille Shohei Irna- à marquer d'une pierre blanche ... •
mura ait signé un chef-d ' œuvre. On est même Jean-Claude Loiseau

36 Télérama N• 2472- 28 mal1997


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Le palmarès du soe Festival


• Palme d'or • Mise en scène t Prix du jury t Caméra d'or t Prix Cannes Junior
ex aequo Le Goût de Happy together, Western, de Manuel Suzaku, de Naomi Le Cercle parfait,
la cerise, d'Abbas de Wang Kar-wai Poirier (France) Kawase (Japon) d'Ademir Kenovic
Kiarostami (Iran) ; (Hongkong) t Palme d'or • Mention Caméra d'or (Bos nie)
et L'Anguille, de Shohei t Meilleure actrice du court métrage La Vie de Jésus, de t Prix de la jeunesse
lmamura (Japon) Kathy Burke dans ls it the design Bruno Dumont (France) J'ai horreur de l'amour,
• Prix du cinquantième Ne pas avaler, on the wrapper ?, t Prix de la commission de Laurence Ferreira
festival de Cannes de Gary Oldman de Tessa Sheridan supérieure technique Barbosa (France) ;
Youssef Chahine (Grande-Bretagne) (Grande-Bretagne) Thierry Arbogast. Bent, de
pour Le Destin (Egypte) • Meilleur acteur t Prix du jury pour chef opérateur du Sean Mathias
et l'ensemble de Sean Penn dans le court métrage Cinquième Elément, (Grande-Bretagne)
son œuvre She's so /ove/y, Leonie, de Lieven de Luc Besson (France),
t Grand Prix du jury de Nick Cassavetes Debrauwer (Belgique); et de She's so /ove/y
De beaux lendemains, (Etats-Unis) et Les Vacances, t Prix Gervais/
d'Atom Egoyan • Meilleur scénario d'Emmanuelle Bercot Un certain regard
(Canada) James Schamus pour (France) Marius et Jeannette,
lee Storm, d 'Ang Lee de Robert Guédiguian
(Etats-Unis) (France)

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