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Pratiquer l'éducation

thérapeutique
l'équipe et les patients
Chez le même éditeur

Dans la collection Abrégés de médecine :


Médecine des voyages, par O. Bouchaud, P.-H. Consigny, M. Cot, S. Odermatt-Biays. 2012, 900 pages.
Nutrition : principes et conseils, par L. Chevallier. 2009, 3e édition, 272 pages.
Diététique et nutrition, par M. Apfelbaum, M. Romon, M. Dubus. 2009, 7e édition, 528 pages.
Traumatologie du sport, par J.-C. Chanussot, R.-G. Danowki. 2012, 8e édition, 592 pages.
VIH et sida, par C. Katlama, J. Ghosn. 2008, 2e édition, 216 pages.

Autres ouvrages :
Guide pratique du diabète, par A. Grimaldi. 4e édition, collection Médiguides. 2009, 312 pages.
Pharmacie clinique et thérapeutique, par l'Association nationale des enseignants de pharmacie
clinique et F. Gimenez. 2008, 1344 pages.
Endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques, par le Collège des enseignants
d'endocrinologie, diabète et maladies métaboliques. Collection Abrégés connaissances et pratique,
2007, 512 pages.
Guide pratique de l'asthme, par B. Dautzenberg, 3e édition. Collection Médiguides, 2006, 184 pages.
La Réhabilitation du malade respiratoire chronique, par C. Préfaut et G. Ninot, 2009, 528 pages.
Pratiquer l'éducation
thérapeutique
l'équipe et les patients
Sous la coordination du Docteur Xavier
de la Tribonnière
Ce logo a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout
DANGER particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photo-copillage ».
Cette pratique qui s'est généralisée, notamment dans les établissements d'enseignement,
provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les
auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée.
Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont pas-
sibles de poursuites. Les demandes d'autorisation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur
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ou au Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
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TUE LE LIVRE

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sur le site www.has-sante.fr rubrique évaluation & recommandation ».

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© 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés


ISBN : 978-2-294-75202-5
ISBN e-book : 978-2-294-75257-5

Elsevier Masson SAS, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex


www.elsevier-masson.fr
Avant-propos

Cet ouvrage est issu du Guide pratique de mise en œuvre de l'éducation du


patient qui a été réalisé en 2010 et mis à jour en 2011 et 2012, à l'initiative de
l'unité de coordination des actions de prévention et d'éducation pour la santé
(UCAPES) du CHU de Montpellier.
Claudine Zaffran, cadre supérieur de santé (CSDS) à l'UCAPES, a été à l'ini-
tiative de la création du Guide et a coordonné le groupe de travail constitué
pour cette tâche. Les autres auteurs du guide en 2010 étaient (par ordre alpha-
bétique) : Sylvie Gateau, diététicienne, Anne-Muriel ­Guiraud, cadre de santé
(CDS) infirmier, Martine Hinsinger, CDS sage-femme, Françoise Jourdan,
CDS infirmier, et Henri Marteau, CDS infirmier, Annie Perraud, CDS infir-
mier, Claude Terral, médecin, maître de conférence universitaire et respon-
sable de l'UCAPES. Ce document de près de 100 pages a été largement diffusé
au CHU en 2011 et 2012 et a rencontré un vrai plébiscite.
Constatant ce succès, Xavier de la Tribonnière, responsable l'unité transver-
sale d'éducation du patient (UTEP) du CHU de Montpellier, qui a pris la suite
de l'UCAPES en 2012, et Brigitte Ait El Mahjoub, CDS à l'UTEP, ont choisi de
retravailler en profondeur ce guide en réécrivant les textes et en ajoutant de
nouveaux chapitres pour aboutir à cet ouvrage. En plus des chapitres ayant
trait aux principes de l'éducation du patient et à sa méthodologie, celui sur
l'éthique vise à affirmer le sens humaniste de la démarche. La partie sur la psy-
chologie est là pour rappeler qu'il ne peut y avoir de pratique éducative saine
que basée sur une relation partenariale de confiance avec le patient. Celle sur la
pédagogie aide à se préparer au transfert de connaissances et de compétences
vers le patient. La partie traitant du travail en équipe montre que l'éducation
du patient est plurielle. Le processus évaluatif, englobant ce qui est demandé et
acquis par le patient et ce que le professionnel réalise, est traité ensuite. Enfin, le
chapitre sur la recherche ouvre le champ futur des possibles.
L'intention est d'offrir au lecteur des informations pratiques, utilisables direc-
tement sur le terrain. Les fiches pratiques sont là pour faciliter cette transposi-
tion, et de nombreux exemples, émaillant le texte, aident à mieux comprendre
les concepts. Des aspects théoriques rapidement abordés sont aussi proposés,
qui forment le socle de connaissances nécessaires à une pratique ancrée et
éthique. Les bibliographies à la fin de chaque chapitre permettent de référen-
cer les propos et d'offrir au lecteur une possibilité d'aller plus loin. C'est pour-
quoi un parti pris a été de choisir préférentiellement des sources en français.
Les chapitres de ce livre ont été rédigés par les personnes suivantes :
– introduction : Xavier de la Tribonnière, Brigitte Ait El Mahjoub et Claude
Terral ;
– chapitre 1 (généralités) : Xavier de la Tribonnière, Brigitte Ait El Mahjoub ;
– chapitre 2 (généralités ETP)  : Xavier de la ­Tribonnière, Brigitte Ait El
­Mahjoub et co-auteurs de la version initiale (guide) ;
– chapitres 3 à 9 (éthique, psychologie, pédagogie) : Xavier de la Tribonnière ;

V
Avant-propos

– chapitre 10 et 11 (mise en œuvre ETP) : Xavier de la Tribonnière, Brigitte Ait


El Mahjoub et co-auteurs de la version initiale (guide) ;
– chapitres 12 et 13 (équipe, formation) : Xavier de la Tribonnière, Brigitte Ait
El Mahjoub ;
– chapitres 14 et 15 (principes évaluation) : Xavier de la Tribonnière, Brigitte
Ait El Mahjoub et co-auteurs de la version initiale (guide) ;
– chapitres 16 à 24 (évaluations annuelle et quadriennale, recherche) : Xavier
de la Tribonnière.
L'organisation de la rédaction de l'ouvrage a été assurée par Xavier de la
­Tribonnière et Brigitte Ait El Mahjoub. Pour cette production, nous nous
sommes appuyés sur les remarques du comité de pilotage constitué de corres-
pondants en éducation pour la santé du CHU de Montpellier, Anne-Muriel
Guiraud, Françoise Jourdan, et Henri Marteau, tous CDS infirmiers.
La mise en forme du manuscrit a été assurée par Sylvie Noël, assistante
de l'UTEP.
L'ouvrage a bénéficié de la relecture attentive de dix-neuf professionnels
et  acteurs sociaux (présentation par ordre alphabétique), principalement
du CHU de Montpellier  (*)  : Sophie Bentz*, infirmière coordinatrice de la
recherche en soins, Claudine Carillo, formatrice et psychologue, Catherine
Corbeau*, médecin de santé publique, Anne-Sophie Dormont, coordina-
trice de l'unité prévention et promotion de la santé, agence régionale de santé
Languedoc-Roussillon, Sylvie Fabre*, médecin rhumatologue et vacataire
à l'UTEP, Anne-Muriel Guiraud*, CDS infirmier, Olivier Jonquet*, méde-
cin réanimateur, ex-­président de la commission médicale d'établissement,
Françoise J­ourdan*, CDS infirmier, Jean-François Leger, patient expert,
­
Mélina M ­ akinson, maître de conférences, spécialiste de la rhétorique, Henri
Marteau*, CDS infirmier, Olivier Moutot, philosophe et maître de confé-
rences, Alessandra Pellecchia*, pédagogue de la santé et vacataire à l'UTEP,
Marie-Pierre Pancrazi, médecin psychiatre, Rahmouna Petit*, CDS infirmier,
Isabelle Tavares*, médecin rééducateur fonctionnel, Claude Terral*, médecin,
maître de conférences et ex-responsable de l'UCAPES, Pascale Vidal*, psycho-
logue, Claudine Zaffran*, ex-CSDS à l'UCAPES.

VI
Liste des auteurs et relecteurs

Auteurs Corbeau Catherine2, médecin de santé publique,


Centre de lutte anti-tuberculeuse, pneumologie
De la Tribonnière Xavier1, médecin, responsable générale, hôpital Arnaud-de-Villeneuve.
de l'UTEP, hôpital La Colombière. Dormont Anne-Sophie, coordinatrice de l'unité
Ait El Mahjoub Brigitte1, CDS infirmier, UTEP, prévention et promotion de la santé, agence régio-
hôpital La Colombière. nale de santé (ARS) du Languedoc-Roussillon,
Montpellier.
Co-auteurs de la version initiale Fabre Sylvie1, médecin rhumatologue, vacataire à
de 2010–2012, intitulée Guide l'UTEP et praticien hospitalier à la clinique Beau
Soleil, Montpellier.
de mise en œuvre d'une démarche
d'éducation du patient, édité par le Guiraud Anne-Muriel2, CDS infirmier, chirurgie
digestive hospitalisation de jour, hôpital St-Éloi.
CHU de Montpellier
Jonquet Olivier1, médecin réanimateur, départe-
Claudine Zaffran1, cadre supérieur de santé infir- ment de réanimation, hôpital St-Éloi, ex-président
mier à l'UCAPES, à l'initiative de la création du de la commission médicale d'établissement.
Guide, a coordonné le groupe de travail constitué de : Jourdan Françoise2, CDS infirmier, endocrino-
– Gateau Sylvie2, diététicienne, unité diététique, logie – diabétologie – nutrition hospitalisation de
hôpital Lapeyronie ; jour, hôpital Lapeyronie.
– Guiraud Anne-Muriel2, cadre de santé (CDS) Leger Jean-François, patient-formateur, consul-
infirmier, chirurgie digestive hospitalisation de tant en ETP, Nîmes.
jour, hôpital St-Éloi ;
– Hinsinger Martine1, CDS sage-femme, gynéco- Makinson Mélina, maître de conférences, spé-
logie obstétrique, hôpital Arnaud-de-Villeneuve ; cialiste de la rhétorique, université Bordeaux-­
– Jourdan Françoise2, CDS infirmier, endocrino- Montaigne, Bordeaux.
logie – diabétologie – nutrition hospitalisation Marteau Henri2, CDS infirmier, unité sanitaire
de jour, hôpital Lapeyronie ; de Villeneuve-les-Maguelone.
– Marteau Henri2, CDS infirmier, unité sanitaire de Moutot Olivier, philosophe et maître de confé-
la maison d'arrêt de Villeneuve-les-Maguelone ; rences à l'université de Montpellier, UFR de
– Perraud Annie1, CDS infirmier, unité de traitement médecine.
de la toxicodépendance, hôpital La Colombière ; Pellecchia Alessandra1, pédagogue de la santé,
– Terral Claude1, médecin, maître de conférences vacataire à l'UTEP, hôpital La Colombière.
universitaire et responsable de l'UCAPES, hôpi-
tal La Colombière. Pancrazi Marie-Pierre, médecin psychiatre,
Centre mémoire ressource recherche de Corse
(CMRR), hôpital de Bastia.
Relecteurs
Petit Rahmouna2, CDS infirmier, psychiatrie
Bentz Sophie1, infirmière coordinatrice de la Montpellier Littoral Eurydice hôpital de jour,
recherche en soins. hôpital La Colombière.
Carillo Claudine, formatrice chez Myriade Tavares Isabelle2, médecin rééducateur fonction-
Formation et psychologue près de Montpellier nel, médecine physique et réadaptation, hôpital
­(Combaillaux). Lapeyronie.

VII
Liste des auteurs et relecteurs

Terral Claude1, médecin, maître de conférences Zaffran Claudine1, ex-CSDS infirmier à


universitaire et ex-responsable de l'UCAPES, l'UCAPES, hôpital La Colombière.
hôpital La Colombière.
Vidal Pascale1, psychologue, pédiatrie géné- 1
CHU de Montpellier.
rale, infectiologie immunologie clinique, hôpital 2
Correspondant en éducation pour la santé, CHU de
Arnaud-de-Villeneuve. Montpellier.

VIII
Remerciements

Cet ouvrage est le fruit d'un travail collectif de longue haleine. Il prend sa
source dans le "Guide de mise en œuvre de la démarche d'éducation du
patient", auquel ont contribué les membres de l'unité transversale d'éducation
du patient du CHU de Montpellier entre 2010 et 2012, aidés de correspondants
en ETP. Que tous ces auteurs soient sincèrement remerciés de ce texte fonda-
teur, à partir duquel il a été possible d'élaborer cet ouvrage.
Particulièrement, nous remercions le Dr Claude Terral, responsable de
l'UCAPES jusqu'en 2011, qui a œuvré pendant 20 ans, au développement de
l'éducation à la santé et à l'éducation du patient. Précurseur, il a posé les jalons
nécessaires à l'implantation au sein de notre établissement, d'une culture
solide en éducation du patient. Ces fondations nous portent et nous encou-
ragent à toujours innover.
Également, nous sommes redevables à Claudine Zaffran, cadre supérieur de
santé à l'UCAPES, qui a grandement aidé les équipes entre 2008 et 2012, à
construire et mettre en œuvre de nombreux programmes d'ETP. Elle est à
l'initiative du Guide sus nommé, et donc à l'origine de ce livre.
Nos remerciements vont aussi aux nombreuses personnes qui nous ont aidé et
soutenu dans ce défi de rédiger un ouvrage de synthèse sur l'ETP : le groupe des
correspondants en santé du CHU, qui a participé activement depuis plusieurs
années à ce projet ; les 19 relecteurs, qui ont contribué à améliorer la qualité des
textes présentés ; la présidence de la CME, la coordination générale des soins et
l'administration du CHU, qui ont toujours soutenu nos initiatives et favoriser
la culture de l'ETP dans l'établissement ; les équipes médicales et de soins, qui
savent trouver en leur sein la cohésion nécessaire et l'envie de faire, autour et
avec le patient et son entourage ; les coordonateurs des programmes du CHU,
qui forment un groupe de personnes engagées dans la pratique éducative et
qui font preuve de tant d'énergie et d'enthousiasme ; qu'ils soient d'autant plus
remerciés qu'ils ont accepté de partager leurs expériences au travers des nom-
breux exemples pratiques présentés dans ce livre.
Enfin, cette liste ne serait pas exhaustive sans les patients et aidants, patients
experts, ressources ou co-intervenant, et patients bénéficiaires d'ETP, pour
qui cet ouvrage a aussi été écrit, afin qu'ils puissent davantage accéder au rôle
d'acteur auquel ils aspirent face à leur maladie chronique, pour vivre mieux
tout simplement. Car c'est bien grâce à leurs témoignages, sources d'inspira-
tions précieuses, que les professionnels de santé inventent, innovent et se réin-
ventent dans leur pratique professionnelle, basée sur une posture humaniste,
relationnelle, pédagogique et créative.

IX
Préface

Cet ouvrage n'est pas le premier, ni sans doute le dernier, à traiter d'éducation
thérapeutique du patient. Quel est donc son apport spécifique ?
Le premier mot du titre – pratiquer – montre que les auteurs ont le souci de
répondre à la question : « Comment faire concrètement ? » Le profil et l'expé-
rience des rédacteurs, les nombreux exemples qui émaillent les différents cha-
pitres et les 43  fiches qui composent la dernière partie du livre témoignent
effectivement d'un fort ancrage dans la pratique.
Quant au premier mot du sous-titre – équipe – il interpelle.
On peut l'entendre comme une restriction : « Si vous pratiquez l'éducation thé-
rapeutique seul, ce livre n'est pas fait pour vous. »
On peut l'entendre comme un constat : « L'éducation thérapeutique se pratique
toujours en équipe. »
On peut aussi l'entendre comme une injonction : « L'éducation thérapeutique
ne doit se pratiquer qu'en équipe. » Cela fait alors écho aux textes institution-
nels. En effet, selon la Haute Autorité de santé, une éducation thérapeutique
de qualité doit « être réalisée par des professionnels de santé (…) engagés dans
un travail en équipe dans la coordination des actions (…), être multiprofes-
sionnelle, interdisciplinaire et intersectorielle, intégrer le travail en réseau ».
Pluri-, inter- ou transdisciplinarité ? Le choix du préfixe n'est bien sûr pas ano-
din. « Le premier constate, le deuxième met en relation, le troisième tisse entre
les personnes quelque chose de nouveau. »1 Le travail en pluridisciplinarité,
c'est la juxtaposition d'interventions dans un même but  : chacun intervient
avec sa propre analyse de la situation, ses propres méthodes et, dans le meilleur
des cas, (re)connaît l'existence des autres. Les soignants et les patients per-
çoivent bien les limites de cette approche trop cloisonnée. L'interdisciplinarité
repose sur le dialogue, les échanges, la réflexion commune, la collaboration :
chacun connaît et reconnaît les apports spécifiques et complémentaires des autres,
on s'échange des informations et on peut faire appel les uns aux autres. La transdisci-
plinarité est plus ambitieuse, elle vise une construction originale grâce à la synergie des
interventions : la coopération permet de faire face à des situations complexes en créant
des réponses innovantes. Les équipes qui s'engagent dans l'éducation thérapeutique,
ont-elles un autre choix que celui, difficile et exaltant, de la transdisciplinarité ?
Quoi qu'il en soit, le titre de ce livre amène à se demander en quoi l'existence
d'une équipe facilite la pratique de l'éducation thérapeutique du patient… et en
quoi elle la rend plus complexe. « Une équipe de travail est la difficile résultante
d'un objectif commun, d'une volonté commune ainsi que d ­ 'efforts c­ ommuns
et constants de tous les membres qui la composent. »2 À en croire cette défini-
1
Ladsous J. Multi, intertrans. Vie Sociale et Traitements 2005 ; no 86 : 7–9.
2
Bertrand D, Azrour H. Réapprendre à apprendre au collège, à l'université et en milieu de
travail. Montréal : Guérin Universitaire ; 2000, 212 p.

XI
Préface

tion, le travail d'équipe n'est pas une sinécure… D'ailleurs, quelques commen-
taires de professionnels entendus dans le cadre de formations témoignent des
difficultés qu'ils rencontrent lorsqu'ils veulent pratiquer l'éducation thérapeu-
tique en équipe :
« Quand je vois le patient pour la première fois, je me demande toujours ce que
le médecin lui a dit à propos de la maladie et de son évolution, quand il lui en
a fait l'annonce. J'ai toujours peur d'en dire trop, d'effrayer le patient et qu'il ne
revienne plus. J'ai aussi peur de ne pas en dire assez, que le patient prenne ça à
la légère et qu'il ne revienne plus… »
« Quand les jeunes patients arrivent dans notre service d'adultes, on se
demande toujours où ils en sont avec leur traitement, s'ils sont autonomes ou
pas… Comme on ne sait pas ce qui se passe en pédiatrie en matière d'édu-
cation thérapeutique, on reprend tout à zéro… Parfois les adolescents dispa-
raissent dans la nature, on ne les voit plus pendant plusieurs mois ou plusieurs
années, ni pour l'éducation thérapeutique, ni pour le reste… »
« Quand les patients sortent de l'hôpital, nous en tant qu'infirmières libérales, on
n'est au courant de rien. On doit faire les pansements sans même savoir de quoi
ils ont été opérés. Quant à savoir ce qu'on leur a expliqué ou conseillé de faire… »
« Parfois je me rends compte que les conseils que je donne sont tout à fait en
décalage avec la réalité du patient. S'il vit dans la rue ou dans un squat, lui
conseiller de faire de l'activité physique, de manger des fruits et légumes ou
de contrôler sa glycémie, ça n'a aucun sens. Il faudrait être en relation avec les
services sociaux… »
« Quand les patients ont plusieurs pathologies, ils sont soignés dans d­ ifférents
services : c'est encore plus difficile d'organiser et de coordonner l'éducation thé-
rapeutique. Et puis il faut se mettre à leur place : avec tous les médicaments qu'ils
doivent avaler, toutes les choses qu'ils doivent surveiller, tous les rendez-vous qu'ils
doivent prendre…, forcément ils font le tri… ou alors ils abandonnent tout. »
Le fait de s'engager, en équipe, dans une réflexion et une démarche structurée
d'éducation thérapeutique vient souvent révéler des dysfonctionnements en
matière de coordination des soins, de cohérence et de complémentarité des
interventions. Pour développer et améliorer l'éducation thérapeutique, il faut
donc apprendre à mieux travailler ensemble. Quand on s'applique à le faire, il
n'y a pas que l'éducation thérapeutique qui progresse : c'est toute la pratique
soignante qui gagne en qualité et en efficacité.
Dans cette perspective, les formations d'équipe, brièvement évoquées dans ce
livre, constituent un levier efficace. Dans un premier temps, les participants
expriment et entendent les représentations que chacun a de son propre métier
et de celui des autres. Ils découvrent la façon dont chacun contribue aux soins,
à l'éducation thérapeutique et à l'accompagnement des patients. Ils repèrent des
articulations possibles avec leur propre travail. Ils expérimentent, dans le cadre
même de la formation, la réflexion et le travail en équipe pluridisciplinaire.
Cela conduit le groupe à reconnaître les différents domaines d'expertise pro-
fessionnelle et permet ensuite d'engager la réflexion sur l'expertise des patients.
Dans un second temps, la formation – à condition d'être centrée sur les parti-
cipants et non sur des objectifs et des contenus d'apprentissage – soutient une
démarche réflexive : les échanges s'ancrent dans la réalité, l'expérience et les

XII
Préface

préoccupations de l'équipe ; les apports théoriques sont structurés à partir de


ce que les participants expriment, ils viennent nourrir la réflexion, jamais la
conclure. Les soignants développent ainsi leurs capacités à penser leurs pra-
tiques plutôt qu'à suivre des protocoles. Penser ses pratiques c'est d'abord
prendre le temps de les décrire, puis en analyser les avantages et les limites,
puis en tirer enseignement : « Si c'était à refaire, que ferions-nous ? Comment
pourrions-nous améliorer les choses ? » Cela prépare les soignants à mettre en
œuvre, corollairement, une éducation thérapeutique centrée sur les patients et
non sur des objectifs et des contenus d'apprentissage.
Une telle démarche suppose qu'on envisage l'éducation thérapeutique, non pas
comme une activité supplémentaire, totalement nouvelle pour l'équipe qui se
forme, non pas comme un programme autonome, mais comme une dimen-
sion à part entière de l'activité soignante, indissociable de celle-ci, comme une
préoccupation permanente des professionnels : en quoi ma façon de soigner
ce patient, ma façon de m'entretenir avec lui, ma façon de lui prescrire un
traitement, ma façon d'échanger à son propos avec mes collègues, favorise ou
entrave le fait qu'il prenne soin de lui-même ?
Une telle démarche suppose également qu'on ne fasse pas de l'éducation thé-
rapeutique une affaire de spécialiste mais, au contraire, qu'on reconnaisse et
qu'on soutienne la contribution à l'éducation thérapeutique de chaque profes-
sionnel qui travaille auprès des patients, à quelque endroit qu'il exerce dans le
parcours de santé.
Outre les exemples et les fiches pratiques qu'il fournit, ce livre explique les
concepts et les modèles théoriques issus des différentes disciplines qui nour-
rissent ou éclairent l'éducation thérapeutique. Se présentant à la fois comme une
encyclopédie, un dossier documentaire, un guide méthodologique et une boîte
à outils, cet ouvrage polymorphe aidera sans nul doute les équipes à mettre en
œuvre l'éducation thérapeutique du patient mais aussi à penser, à réfléchir, à
concevoir et analyser des pratiques qui, pour être à la fois soignantes et éduca-
tives, seront nécessairement inventives, novatrices… et transdisciplinaires.
Docteur Brigitte Sandrin
Médecin de santé publique, directrice de l'Association française pour
le ­développement de l'éducation thérapeutique (Afdet)

XIII
Préface

Une évolution, une révolution1 dirons certains, des soins et des services de santé
destinés aux patients atteints de maladies chroniques est en pleine progression en
Amérique du Nord, et plus particulièrement au Québec2. En effet, il s'agit pour tous,
patients, professionnels et gestionnaires de la santé, d'évoluer d'une relation « cen-
trée sur le patient ou pour le patient » vers une relation « égalitaire avec le patient »,
dans laquelle le patient est actif et considéré membre à part entière de l'équipe de
soins. Une transformation s'opère d'une relation d'autorité et d'expertise profes-
sionnelle vers une relation de partenariat3. Cette relation s'appuie sur la reconnais-
sance mutuelle des savoirs expérientiels des patients du « vivre avec la maladie » et
des savoirs scientifiques des professionnels « sur la maladie » elle-même.
L'ouvrage « Pratiquer l'éducation thérapeutique l'équipe et les patients », sous la
coordination du Docteur Xavier de la Tribonnière, s'inscrit dans ce paradigme
relationnel, qui nécessite une transformation des pratiques professionnelles de
façon à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont
besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Après avoir
discuté des fondements théoriques de l'éducation thérapeutique, les auteurs
présentent une approche structurée et systémique des interventions qui sera
des plus utiles aux gestionnaires des programmes. Ils proposent également des
fiches pratiques aux professionnels qui désirent intégrer des activités d'édu-
cation thérapeutiques dans le quotidien des soins aux patients. Par exemple :
comment élaborer un bilan éducatif partagé ; comment évaluer la qualité d'une
activité de groupe en éducation thérapeutique ?

1
Tessa Richards, Victor M Montori, Fiona Godlee, Peter Lapsley, Dave Paul. Let the
patient revolution begin. Patients can improve healthcare : it's time to take partnership
seriously. BMJ 2013 ; 346 : f2614 doi : 10.1136/bmj.f2614 (Published 14 may 2013).
2
Pomey M.-P., Flora L., Karazivan P., Dumez V., Lebel P., Vanier M.-C., Débarge B.,
Clavel N., Jouet E. (2015), « Le « Montreal model » : enjeux du partenariat relationnel
entre patients et professionnels de santé », Santé publique, France, Vol. 27, N°1
Supplément, Janvier-février, pp.41–50.

3
Le partenariat de soins et de services se définit comme une relation de collaboration éga-
litaire entre les partenaires que sont le patient, ses proches aidants et les intervenants,
gestionnaires et décideurs de la santé. Cette relation s'inscrit dans un processus dyna-
mique d'interactions et d'apprentissages mutuels qui favorise l'auto-détermination du
patient, ses choix de santé libres et éclairés et l'atteinte de résultats optimaux en fonction
du contexte spécifique du patient. Fondée sur la complémentarité des savoirs de toutes les
parties, cette relation consiste pour les partenaires à planifier, à coordonner leurs actions
et à intervenir de façon concertée, personnalisée, intégrée et continue autour des besoins
et du projet de vie du patient. Définition tirée de : RUISUM, (2013), Guide d'implanta-
tion du partenariat de soins et de service : Vers une pratique collaborative optimale entre
intervenants et AVEC le patient, Réseau Universitaire intégré de santé de l'université de
Montréal. Accessible sur Internet à l'adresse  :http://ena.ruis.umontreal.ca/pluginfile.
php/256/coursecat/description/Guide_implantation1.1.pdf, (Dernière consultation le
05/05/2015).

XV
Préface

Ce changement de paradigme relationnel exige le développement de nouvelles


compétences car les rôles attendus ne sont plus les mêmes pour ces différents
acteurs. Un nouveau partage du pouvoir s'installe, à mesure que les patients
sont habilités, avec l'aide de leurs soignants, à prendre les décisions concernant
leur santé et à prendre soin d'eux-mêmes. Ultimement, les patients deviennent
maîtres à bord de leur destinée en ce qui concerne la gestion de leurs mala-
dies chroniques. Les auteurs consacrent un chapitre au travail d'équipe, à la
synergie des savoirs de tous, y compris ceux du patient, considéré acteur à part
entière de celle-ci.
Au cœur de l'éducation thérapeutique : le projet de vie du patient. Il repré-
sente l'une des sources de motivation les plus puissantes dans l'adoption et le
maintien de nouveaux comportements de santé. Ainsi, le patient sera soutenu
par les professionnels afin d'intégrer une dynamique d'auto-soins dans sa vie
quotidienne, tout en lui permettant de poursuivre son projet de vie dans un
contexte propice à son épanouissement. Ceci ne pourra s'accomplir que si le
projet de vie du patient, ses besoins sont clairement exprimés par lui et connus
de tous ses intervenants. Voilà l'une des premières étapes de l'éducation thé-
rapeutique, clairement mise en évidence par les auteurs et soutenue par des
fiches pratiques (« Questionnaire de besoins à la destination des patients »,
« Guide d'entretien du bilan éducatif partagé », par exemple).
Tout au long du livre, les auteurs soulignent que l'éducation thérapeutique
ne peut s'exercer de façon satisfaisante sans l'adoption d'attitudes profession-
nelles que sont : la reconnaissance des savoirs expérientiels du patient ; l'ou-
verture et l'écoute active ; le respect des décisions du patient alors qu'il a en
main les informations nécessaires pour le faire ; la confiance en la capacité du
patient à prendre soin de lui ; la capacité de se remettre en question ; se perce-
voir comme un guide, un accompagnateur du patient dans sa démarche, plutôt
qu'un expert ; la sensibilité nécessaire pour ajuster ses interventions au rythme
du patient ; la créativité et la flexibilité pour personnaliser les interventions,
au-delà des guides, des protocoles.
Dans la section consacrée aux dimensions psychologiques du patient, les
auteurs nous rappellent qu'un rapprochement de la vision des soignants et des
patients est nécessaire afin qu'une relation de confiance se crée entre eux. Ceci
nécessite le respect du rythme du patient dans l'acceptation et la compréhen-
sion de sa maladie ainsi que du sens qu'elle prend dans sa vie. Ceci nécessite du
temps et une continuité relationnelle, deux éléments peu faciles à réunir dans
le réseau de la santé et des services sociaux sous constante pression. Une équipe
stable d'intervenants qui investit du temps pour bien connaître le patient dès le
début de son programme éducatif est une stratégie gagnante.
Les auteurs introduisent la notion du « patient expert » (patient-ressource4,
pair-aidant au Québec) i.e. un patient qui acquiert au fil du temps, de ses
expériences, de sa formation ou de sa recherche personnelle, un expertise
dans la gestion de sa maladie. Ainsi, il peut être profitable de proposer à
chaque patient, en complémentarité avec les interventions professionnelles, un
accompagnement par un patient ressource. Elle lui permet d'échanger avec un
­v is-à-vis à qui il peut être plus facile de poser des questions et d'exprimer ses

4
DCPP, 2015, Référentiel de compétences des patients, Direction collaboration et parte-
nariat patient, Faculté de médecine, Université de Montréal.

XVI
Préface

émotions parce qu'il a vécu quelque chose de semblable. Plus près encore du
patient dans son quotidien : ses proches, avec qui il est aussi profitable d'inter-
venir en concertation, de telle sorte que le patient se sent appuyé par tous.
Le succès de la démarche d'éducation thérapeutique repose sur la capacité du
patient et des intervenants de poser un regard critique sur le bilan des acquis du
patient : les interventions ont-elles porté fruit ? Si non, où ont été les écueils et
comment peut-on ajuster le tir ? En plus d'inclure cette étape dans la démarche
d'éducation thérapeutique, les auteurs consacrent une section complète du
livre à l'évaluation du programme éducatif avec, là encore, la proposition de
plusieurs fiches techniques qui inspireront les gestionnaires de programme.
Enfin, le succès de la démarche d'éducation thérapeutique est aussi indisso-
ciable de la capacité à mieux préparer les futurs professionnels de la santé à
agir en partenariat avec les patients et à l'instar de l'Université de Montréal, de
développer leurs habiletés par diverses approches :
développer le curriculum de formation en éducation thérapeutique en s'ap-
puyant sur un référentiel de compétences du partenariat patient ;
renforcer leurs compétences de communication, de collaboration et d'éthique
tout au long de leur parcours, particulièrement en médecine ;
exposer les étudiants à des tandems de formateurs Patient-Professionnel de la
santé ainsi que du mentorat par des patients afin qu'ils comprennent mieux la
perspective des patients ;
faire réfléchir les étudiants à partir d'outils éducatifs sur le projet de vie et sur
le plan d'intervention interdisciplinaire réalisé avec et pour le patient
recruter, former et coacher des patients formateurs, en se basant sur un réfé-
rentiel de compétences du patient.
L'éducation thérapeutique permet aux patients de reprendre le contrôle sur
leur vie, en leur offrant la possibilité de développer leurs capacités d'auto-
soins. Ainsi la maladie prend du sens dans leur vie mais n'envahit plus leur vie.
Plus le patient, ses proches et les intervenants conjuguent leurs efforts en mode
partenariat patient, plus les chances de succès sont grandes. C'est pourquoi,
l'avenir de l'éducation thérapeutique dépendra beaucoup de la capacité de tous
les partenaires à co-construire et déployer les dispositifs éducatifs ensemble
car, si tel n'est pas le cas, un des partenaires risque fort bien d'être instrumen-
talisé par l'autre et enlever alors à la démarche tout son intérêt.

Paule Lebel, MD, MSc. et Vincent Dumez MSc.


Co-directeurs de la Direction Collaboration et partenariat patient
Faculté de médecine de l'Université de Montréal

XVII
Abréviations

ACOD anticoagulants oraux directs EBM evidence based medicine (médecine basée
ACT appartement de coordination sur les preuves)
thérapeutique EPP évaluation des pratiques professionnelles
ACT thérapie d'acceptation et d'engagement ETP éducation thérapeutique du patient
AFDET Association française pour le EVA échelle visuelle et analogique
développement de l'éducation FAQSV fonds d'aide à la qualité des soins de ville
thérapeutique FIQCS fonds d'intervention pour la qualité et la
ALD affection de longue durée coordination des soins
ANDAR Association nationale de lutte contre FIR fonds d'intervention régional
l'arthrite rhumatoïde GEASE groupe d'entraînement à l'analyse
ANR Agence nationale pour la recherche de situations éducatives
ANSM Agence nationale de sécurité du GETAID Groupe d'étude thérapeutique des
médicament et des produits de santé affections inflammatoires du tube digestif
ARC attaché de recherche clinique GHS groupe homogène de séjour
ARS agence régionale de santé HAD hospital anxiety and depression scale
AVK antivitamines K (échelle pour l'anxiété et la dépression à
BDSP banque de données en santé publique l'hôpital)
BEP bilan éducatif partagé HAS Haute Autorité de santé
CCTIRS Comité consultatif sur le traitement HCSP Haut Comité de la santé publique
de l'information en matière de recherche HDJ hôpital de jour
dans le domaine de la santé HON (label) Health on Net
CDS cadre de santé HPST (loi) Hôpital patient santé territoire
CSDS cadre supérieur de santé IDE infirmière diplômée d'État
CHU centre hospitalo-universitaire IF impact factor (facteur d'impact)
CME commission médicale d'établissement IMRAD introduction, methods, results, and
CNAM Caisse nationale d'assurance maladie discussion
CNAMTS Caisse nationale de l'assurance maladie INCa Institut national du cancer
des travailleurs salariés INPES Institut national de prévention et
CNIL Commission nationale de l'informatique d'éducation pour la santé
et des libertés INR international normalised ratio
CNOM Conseil national de l'Ordre des médecins (test de coagulation du sang)
COPIL comité de pilotage IRC insuffisance rénale chronique
CPOM contrat pluriannuel d'objectifs et IREPS Instance régionale d'éducation et de
de moyens promotion de la santé
CPP comité de protection des personnes IRESP Institut de recherche en santé publique
CRES comité régional d'éducation pour la santé MBCT mindfulness-based cognitive therapy
DAM dispositif médical d'automesure MBSR mindfulness-based stress reduction
DCGS Direction de la coordination générale des MEC moniteur d'étude clinique
soins MICI maladies inflammatoires chroniques
DGOS Direction générale de l'offre de soins de l'intestin
DOS Direction de l'offre de soins MIGAC mission d'intérêt général et d'aide
DPC développement professionnel continu à la contractualisation
DRDR dotation régionale de développement des MSA Mutualité sociale agricole
réseaux MSP maison de santé pluridisciplinaire
DRDR document régional de développement rural NTIC nouvelles technologies de l'information
DSI direction des systèmes d'information et de la communication
DU diplôme universitaire OGDPC organisme gestionnaire du DPC

XIX
Abréviations

OMS Organisation mondiale de la santé Sida syndrome d'immunodéficience acquise


PHRC programme hospitalier de recherche SIDES système informatique distribué
clinique d'évaluation en santé
PHRIC programme hospitalier de recherche SPA spondylarthrite ankylosante
infirmière et paramédicale T2A tarification à l'activité
POP parcours d'orientation professionnelle TCC thérapies comportementales et cognitives
PREPS programme de recherche sur la TEC technicien d'étude clinique
performance du système de soins UCAPES unité de coordination des actions de
PRME programme de recherche médico- prévention et d'éducation pour la santé
économique (du CHU de Montpellier jusqu'à fin 2011)
PSRS plan stratégique régional de santé UE unités d'enseignement
RCP réunion de concertation pluridisciplinaire URPS union régionale des professionnels
RMM revue de mortalité-morbidité de santé
SETE Société d'éducation thérapeutique UTEP unité transversale d'éducation du patient
européenne UTET unité transversale d'éducation
SF-36 36-Item Short Form Health Survey thérapeutique
(questionnaire de qualité de vie) VIH virus de l'immunodéficience humaine
SHS sciences humaines et sociales

XX
Liste des fiches pratiques

Fiche pratique 1 Fiche pratique 14


Synthèse – Fiches descriptives Exemple – Fiche pédagogique d'une séance
de techniques d'animation en éducation collective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
pour la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Fiche pratique 15
Fiche pratique 2 Exemple – La prise en compte des compétences
Exemple – Exemple d'outils pédagogiques. . . . 220 psychosociales (COMETE). . . . . . . . . . . . . . . 247
Fiche pratique 3 Fiche pratique 16
Exemple – Jeu sérieux appliqué à l'ETP. . . . 221 Exemple – Suivi évaluatif des objectifs
Fiche pratique 4 pédagogiques et d'accompagnement
Synthèse – Enquête sur les besoins éducatifs convenus avec le patient dans le dossier
des patients et détermination des objectifs ETP informatisé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248
éducatifs et d'accompagnement. . . . . . . . . . . 222 Fiche pratique 17
Fiche pratique 5 Exemple – Échelles visuelles analogiques
Synthèse – Réalisation d'un questionnaire. . . . . . 223 pour évaluer les aspects biomédicaux
ou psychosociaux du patient, et présentation
Fiche pratique 6
d'un écran informatique de saisie. . . . . . . . . 250
Synthèse – Technique du focus group . . . . . . 225
Fiche pratique 18
Fiche pratique 7
Exemple – Questionnaire de connaissances
Exemple – Questionnaire de besoins
avec degrés de certitude . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
à destination des patients. . . . . . . . . . . . . . . . 226
Fiche pratique 19
Fiche pratique 8
Synthèse – Explication des degrés
Exemple – Questionnaire de besoins
de certitude. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
à destination des soignants. . . . . . . . . . . . . . . 228
Fiche pratique 20
Fiche pratique 9
Exemple – Ronde de décisions EdDiaS'
Exemple – Programme éducatif et activités
(carte de Barrows) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
éducatives isolées, dans le module ETP
dans le dossier informatisé du patient, Fiche pratique 21
DXCare®, au CHU de Montpellier. . . . . . . . . 231 Exemple – Carnet d'information et de suivi
d'un traitement par antivitamines K . . . . . . 256
Fiche pratique 10
Exemple – Guide d'entretien Fiche pratique 22
d'un bilan éducatif partagé (BEP). . . . . . . . . 237 Exemple – Échelle de qualité
de vie p­ ersonnalisée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258
Fiche pratique 11
Synthèse – Réalisation pratique d'un bilan Fiche pratique 23
éducatif partagé (BEP) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 Exemple – Score de précarité EPICES . . . . . 260
Fiche pratique 12 Fiche pratique 24
Exemple – Liste d'objectifs référents. . . . . . . 241 Exemple – Score d'anxiété
et de dépression (HAD) . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
Fiche pratique 13
Synthèse – Fiche pédagogique d'une séance Fiche pratique 25
éducative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Exemple – Évaluation du patient en étoiles. . . . 262

XXV
Liste des fiches pratiques

Fiche pratique 26 en médecine, faculté de médecine


Exemple – Utilisation des cartes de Montpellier–Nîmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280
conceptuelles en ETP. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265 Fiche pratique 36
Fiche pratique 27 Exemple – Analyse des pratiques :
Exemple – Grille d'observation d'un geste . . 268 méthode GEASE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282
Fiche pratique 28 Fiche pratique 37
Exemple – Questionnaire de satisfaction Synthèse – Rapport synthétique
d'une séance éducative individuelle. . . . . . . . 269 d'autoévaluation annuelle proposé
Fiche pratique 29 par la HAS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
Exemple – Évaluation de la satisfaction Fiche pratique 38
d'une séance éducative collective. . . . . . . . . . 270 Exemple – Support pour l'autoévaluation
Fiche pratique 30 d'un programme d'ETP . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
Exemple – Questionnaire de satisfaction Fiche pratique 39
globale d'un programme. . . . . . . . . . . . . . . . . 272 Synthèse – Rapport synthétique
Fiche pratique 31 d'évaluation quadriennale proposé
Synthèse – Les déterminants par la HAS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
de la non-adhésion à un traitement Fiche pratique 40
au long cours. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 Synthèse – Charte d'engagement
Fiche pratique 32 pour les intervenants des programmes
Exemple – Grille d'évaluation des critères d'éducation thérapeutique du patient
d'interdisciplinarité pour les professionnels autorisés par les ARS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
de santé et les acteurs sociaux . . . . . . . . . . . . 275 Fiche pratique 41
Fiche pratique 33 Exemple – Formulaire d'information
Exemple – Outil d'évaluation des compétences du patient. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292
en ETP des professionnels de santé. Fiche pratique 42
Passeport de compétences . . . . . . . . . . . . . . . 278 Exemple – Offre éducative régionale
Fiche pratique 34 en Languedoc-Roussillon. . . . . . . . . . . . . . . . 293
Exemple – Plan de formation en ETP. . . . . . 279 Fiche pratique 43
Fiche pratique 35 Exemple – Liste non exhaustive
Exemple – Curriculum d'un enseignement de revues médicales pour une publication
initial en ETP validant pour les étudiants sur l'ETP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295

XXVI
Introduction

Au cours des 40  dernières années, l'éducation du sentants, nous abordons les principes fondamen-
patient a pris une place grandissante dans la prise en taux de la relation singulière soignant–soigné.
charge des patients atteints de maladie chronique : Nous rappelons également les règles éthiques
d'une démarche éducative souvent centrée sur le qui président à toute relation de soin. Enfin, la
soignant, nous sommes passés à une démarche démarche de recherche en ce domaine est expli-
structurée et coordonnée dans le parcours de santé quée, assurant des développements futurs.
du patient, ceci sous l'impulsion des différents Les concepteurs de cet ouvrage se veulent « pas-
textes réglementaires et recommandations. seurs » et sont guidés par une éthique du prendre
L'objectif de ce livre est de permettre à des soin. Ils se placent dans le droit fil de l'éducation
­soignants désireux de créer ou d'optimiser des à la santé. L'activité d'éducation du patient favo-
activités d'éducation du patient de suivre une rise la prise de conscience des professionnels de
méthodologie précise et complète dans le cadre santé de la place du patient dans son autodétermi-
d'un programme éducatif ou hors programme. nation et de leur rôle de « soignants-­éducateurs ».
Il offre l'opportunité de réfléchir sur le sens et la Ces compétences alimentent une posture éduca-
finalité de l'éducation du patient et sur la place de tive emprunte d'empathie et d'écoute. Ce para-
chacun dans cette démarche. Il apporte également digme nouveau pour certains, conscientisé pour
des informations d'ordre théorique permettant d'autres, s'associe à une collaboration accrue entre
de comprendre dans quoi s'insère l'éducation du soignants. De pluridisciplinaire, leur organisa-
patient dans le paysage de la santé publique, de tion tend maintenant vers l'interdisciplinarité qui
l'éthique, de la psychologie et de la pédagogie. implique une égalité des positions et un franchis-
Notre ouvrage se veut complémentaire des sement des barrières professionnelles, grâce à une
livres de référence déjà publiés. Nous avons tenté reconnaissance mutuelle et une communication
une synthèse, certes non exhaustive, issue de l'ex- améliorée.
périence et de la pratique de terrain. L'enjeu de tout cela est donc un changement
Au travers de la co-construction du programme culturel dans la pratique du soin. Elle s'en trouve
impliquant tous les professionnels de santé de interrogée et ouvre vers un xxie siècle prometteur
l'équipe ainsi que des patients, aidants ou repré- de perspectives nouvelles.
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Pratiquer l’éducation thérapeutique

1
Contexte de la Chapitre 1
maladie chronique
et prévention

L'éducation du patient est le plus souvent asso- « observants ». Les statistiques montrent que
ciée à la maladie chronique dont l'essor est très seulement 50 % des patients atteints de patholo-
important  : 20  % de la population française en gie chronique prennent leur traitement correc-
serait atteinte, et ce pourcentage a tendance à tement (voir chap. 11, Adhésion au traitement) ;
augmenter avec le temps. En 1994, le Haut Comité • enfin, et ce n'est pas le moindre élément, on sait
de la santé publique (HCSP) mentionne au sujet le rôle important des déterminants de santé
des maladies chroniques que « la spécialisation et dans l'apparition ou l'entretien de la maladie
la technique ne permettront ni de les réduire de chronique, qu'ils soient comportementaux
manière significative, ni de les prendre en charge sociaux ou environnementaux (voir plus loin,
correctement. C'est dans le mode d'organisation Déterminants de santé). Cela n'est pas toujours
des soins, dans le rôle des médecins généralistes, pris en compte dans l'« ordonnance » tradition-
et dans la place faite à l'usager partenaire, que nelle.
l'on trouvera les réponses »  [1]. L'Organisation À ce contexte, s'ajoutent les inégalités de santé
mondiale de la santé (OMS) émet en 1996 un sur le territoire, une baisse de la démographie de
rapport sur cette nouvelle activité d'éducation santé et des difficultés budgétaires.
thérapeutique du patient (ETP), relayé en 1998 Parallèlement à cela, les usagers du système de
par son bureau européen [2]. Il la définit comme soins réclament de la part des soignants davan-
un processus d'apprentissage centré sur le patient tage de transparence, de coordination, d'écoute,
et  adapté à ses besoins, intégré aux traitements d'explications, de prise en compte de la personne
et aux soins, dont le but est de lui permettre de dans sa globalité.
gérer sa maladie et de maintenir, voire d'améliorer Une réponse possible pour le professionnel
sa qualité de vie. de santé est d'intégrer, dans sa pratique de soin,
Les spécificités liées à la prise en charge des une posture éducative qui le met en position de
patients chroniques sont de plusieurs ordres : « ­
­ soignant-éducateur  ». Dans ces conditions,
• par définition, la maladie chronique ne se gué- comme le suggère B. Sandrin-Berthon [3] : « L'édu-
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rit pas. Tout au plus peut-on en ralentir voire cation thérapeutique semble offrir aux profession-
bloquer l'évolution, et réduire certains symp- nels la perspective d'une plus grande efficacité, aux
tômes pendant un certain temps ; associations de patients l'opportunité d'une meil-
• pour le patient, la maladie est présente au leure reconnaissance et à l'assurance maladie, l'es-
Pratiquer l’éducation thérapeutique

­quotidien et l'horizon est bien souvent celui poir d'une meilleure gestion de ses fonds. »
de l'attente de la crise suivante ou des signes
de l'aggravation. Vivre avec une maladie chro-
nique, ou la subir, modifie profondément la per-
ception du temps, de la vie familiale, sociale et Définition de la santé
professionnelle ;
• les soignants constatent que les traitements Avant 1948, on considérait la santé comme le
prescrits ne sont pas toujours suivis et disent « silence des organes » : pas de symptôme, pas de
des patients qu'ils ne sont pas « compliants » ou maladie.

5
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

En 1948, l'OMS donne une définition plus large Deux modèles d'éducation à la santé se
et positive de la santé: c'est un « état de complet côtoient : le modèle biomédical et le modèle global
bien-être physique, mental et social ». Ce n'est plus (tableau 1.1). Nous nous référerons bien entendu
seulement l'absence de maladie. au modèle global.
L'OMS en 1986 fait évoluer cette définition La figure 1.1 représente graphiquement l'éten-
comme suit [4] : « La santé se définit par la mesure due des champs d'action de  : la promotion de
dans laquelle un groupe ou un individu peut la santé, l'éducation à la santé, l'éducation à la
d'une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses santé du patient et l'éducation thérapeutique du
besoins, et d'autre part, évoluer avec le milieu patient [5].
ou s'adapter à celui-ci. La santé est donc p­ erçue
comme une ressource de la vie quotidienne,
et non plus comme le but de la vie. »
Tableau 1.1 Différences entre le modèle
biomédical et global en éducation à la santé
Modèle biomédical Modèle global
Promotion de la santé – Modèle fermé – Modèle ouvert
– La maladie est – La maladie résulte de
Cette démarche vise à aider les populations à organique facteurs complexes
mieux maîtriser leur santé et à l'améliorer. – Elle affecte seulement – Elle affecte l'individu,
La Charte d'Ottawa, portée par l'OMS en l'individu la famille et
1986, est le texte fondateur de la promotion de – Approche curative : l'environnement
• par des médecins – Approche continue avec
la santé  [4]. Elle énonce le postulat que la santé • dans un système centré prévention, soins, et
est une ressource de la vie quotidienne et que ses autour des hôpitaux réadaptation :
conditions sont la paix, un abri, de la nourriture • par une équipe multidisci-
et un revenu. plinaire
La promotion de la santé vise à réduire les • dans un système ouvert
écarts entre les citoyens en matière de santé, dans sur la communauté
un souci d'égalité en : Source : Bury JA. Éducation pour la santé. Concepts, enjeux, planifications.
• renforçant les aptitudes personnelles à la santé ; Bruxelles : De Boeck Université ; 1992, 236 p.
• faisant participer le citoyen aux décisions de sa
santé ;
• agissant sur les environnements favorables à la
santé ; Promotion de la santé
• élaborant une politique cohérente de santé Éducation à la santé

publique. Éducation pour la


santé des patients

Éducation à la santé Éducation


thérapeutique
du patient
L'éducation à la santé (ou pour la santé) vise à
optimiser la capacité de décision de l'individu
pour qu'il puisse prendre soin de sa santé.
L'éducation à la santé doit être essentiellement
libératrice, en éveillant chez chacun le sens de la Figure 1.1 Champs d'action des concepts
responsabilité sur sa propre santé et sur celle des en santé.
Source : Inspiré de Bury JA. Éducation pour la santé.
autres. Concepts, enjeux, planifications. Bruxelles : De Boeck
Elle s'applique aux personnes saines ou malades. Université ; 1992, 236 p.

6
Chapitre 1. Contexte de la maladie chronique et prévention

Préventions primaires • la prévention secondaire a pour objet de diminuer


l'incidence d'une maladie dans une population
à quaternaires malade asymptomatique, donc à réduire la durée
d'évolution de la maladie. Elle tend à détecter une
En matière de santé, la prévention consiste à préser- maladie existante mais non connue de la personne
ver l'intégrité physique et mentale et à développer (dépistages, traitement des premières atteintes…) ;
les ressources vitales de chaque personne (créati- • la prévention tertiaire vise à réduire les pré-
vité, désirs, plaisir, rapport actif avec l'environne- valences des incapacités chroniques ou des
ment). Il s'agit également de réduire les menaces ­récidives dans une population malade sympto-
induites par les environnements physiques, psy- matique, donc à diminuer le nombre d'invali-
chologiques et sociaux propres à chacun. dités fonctionnelles consécutives à la maladie.
Il existe quatre types de prévention (encadré 1.1) : Elle cherche aussi à favoriser la réinsertion pro-
• la prévention primaire vise à diminuer l'inci- fessionnelle par la réhabilitation ;
dence d'une maladie dans une population, donc • la prévention quaternaire consiste en l'accom-
à réduire le nombre de nouveaux cas. Elle fait pagnement de l'invalidité et du processus de
appel à des mesures de prévention individuelles la mort d'une population malade à un stade
(hygiène corporelle, activité physique, vaccina- évolué. Elle correspond à l'ensemble des soins
tions…) ou collective (hygiène de l'habitat, eau palliatifs en phase terminale. Elle ne vise pas
potable, vaccinations…) ; l'amélioration de la santé.
Par ailleurs, des auteurs développent la notion de
prévention primordiale qui consiste à éradiquer, dans
ENCADRÉ 1.1

Les préventions, exemple une population saine, les facteurs de risque connus
de Danielle des maladies. Elle vise ainsi l'arrêt de la consomma-
À l'âge de 38 ans, un diabète de type 2 s'ins- tion de drogues dures, d'alcool, de tabac…
talle progressivement chez Danielle qui ne
le sait pas encore. Sa mère et sa grand-mère
sont décédées des conséquences de cette
affection. Étant donné ses antécédents, la
prévention primaire consisterait à arrêter
Déterminants de santé
le tabac, éviter l'installation d'un surpoids,
pratiquer de l'exercice physique, manger
Définitions et caractéristiques
équilibré et peu sucré. La détection du Les déterminants de santé correspondent à des
diabète naissant relève de la prévention
secondaire. Une fois le diagnostic établi, la facteurs individuels et collectifs, psychosociaux,
­
prévention tertiaire s'attacherait à préve- économiques et environnementaux, que l'on peut
nir l'apparition des conséquences néfastes associer à un problème de santé particulier ou
du diabète (athéromatose, complications encore à un état de santé global. Ils influencent l'état
oculaires, rénales…). Si 50 ans plus tard, la de santé sans forcément engendrer directement une
maladie se développait et que des compli-
cations graves apparaissaient avec un état maladie. C'est la combinaison des effets de plusieurs
morbide avancé, faute de traitement et déterminants qui influe sur l'état de santé.
de prévention, un accompagnement de fin Il existe plusieurs descriptions et classifications
de vie serait mis en place, correspondant à des déterminants de santé. Nous présentons ici
de la prévention quaternaire. La prévention celle émanant d'un rapport canadien sur l'état de
primordiale chez Danielle serait l'adoption
de règles d'hygiène de vie qui se confon-
santé de la population en 2008 [6], repris d'ailleurs
draient volontiers avec celles proposées par l'Institut national de prévention et d'éduca-
en prévention primaire, mais qui rédui- tion pour la santé (INPES) [7] :
raient aussi l'émergence d'autres patho- • développement de la petite enfance : les expériences
logies comme une addiction à l'alcool ou vécues durant la période prénatale et la petite
un risque de contamination par le virus de
l'immunodéficience humaine (VIH)…
enfance ont d'importants effets sur la santé et la
capacité d'adaptation pendant tout le reste de la vie ;

7
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

• niveau d'instruction : plus on est instruit, plus l'activité physique ont une incidence sur la
on a de chances d'avoir un emploi et de le gar- santé et le bien-être ;
der, et plus on a l'impression d'avoir un contrôle • patrimoine génétique et biologique  : l'héré-
sur sa vie, autant d'éléments clés d'une bonne dité, le bon fonctionnement physiologique et
santé ; la dynamique du vieillissement influent sur la
• emploi et conditions de travail : le chômage, le santé ;
sous-emploi et le stress lié au travail sont des • sexe : la place de l'homme ou celle de la femme
facteurs qui minent la santé ; sont différentes dans la société et influent sur
• revenu et situation sociale : l'état de santé s'amé- l'état de santé. Ainsi, dans beaucoup de collec-
liore à mesure que l'on s'élève dans l'échelle des tivités, les femmes sont davantage assujetties,
revenus et dans la hiérarchie sociale ; ont des revenus moindres, une plus grande pré-
• environnements sociaux  : la stabilité sociale, carité et risquent davantage des problèmes de
l'ouverture à la diversité, la sécurité ainsi que la santé ;
cohésion et le soutien de la collectivité contri- • culture  : l'ethnie et le milieu culturel ont une
buent chacun à la bonne santé ; incidence sur la santé, du fait des risques d'ac-
• environnement physique : la qualité de l'air, de croissement de la vulnérabilité ;
l'eau et du sol ont une incidence importante • services de santé : ils contribuent logiquement
sur la santé de la population. De même, le loge- à la santé, qu'ils soient soins de première ou de
ment adéquat, le milieu de travail, la sûreté en deuxième ligne, ou liés à la prévention. L'ETP
collectivité, les villes bien aménagées, les bons est incluse dans cet item.
réseaux routiers, etc. ; Il existe divers modèles explicatifs de ces déter-
• réseaux de soutien social : des familles, des amis minants de santé. Nous présentons ici l'un d'eux, le
et des collectivités sur lesquels on peut compter, modèle proposé par M. Whitehead et G. ­Dahlgren
contribuent au maintien d'une bonne santé ; (figure 1.2) [8]. Ces auteurs regroupent ces déter-
• habitudes de vie et capacité d'adaptation  : minants en quatre niveaux qui interagissent les
les habitudes de vie comme le tabagisme, la uns sur les autres :
consommation de drogues, l'alimentation et • facteurs liés au style de vie personnel ;

i q ue s , c u l t ur e l l es
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Services
Facte

Agriculture de santé
nnel

et pro-
duction
de
nourriture Logement

Facteurs liés au sexe.


à l’âge et à la
constitution

Figure 1.2 Modèle explicatif des déterminants de santé.


Source : adapté de Whitehead M, Dahlgren G, Gilson L. Developing the policy response to inequities in Health: a global
perspective. ill ; .- Challenging inequities in health care : from ethics to action. New York : Oxford University Press ; 2001 :
309-322. Traduit en français par l'INPES et disponible en ligne : http://www.inpes.sante.fr/10000/themes/ISS/
determinants-sante.asp

8
Chapitre 1. Contexte de la maladie chronique et prévention

• réseaux sociaux et communautaires ; habitudes de vie et les comportements de santé


• facteurs liés aux conditions de vie et de travail ; sont eux-mêmes soumis à une forte influence
• conditions socio-économiques, culturelles et sociale et familiale.
environnementales. La considération holistique de la personne,
Ainsi, sur les 30 ans d'espérance de vie gagnés comme établie en ETP, se justifie ainsi pleine-
au cours du siècle dernier, huit années seraient ment. La prise en compte de la situation particu-
attribuables à l'amélioration du système de santé lière et unique du patient l'est plus encore.
(25 %), alors que l'amélioration des conditions de L'accompagnement bienveillant et empathique
vie, de l'environnement et des habitudes de vie est d'autant plus nécessaire que le degré de liberté
serait responsable de 22 années de vie supplémen- de la personne malade est plus réduit qu'il n'y
taires (75 %) [9]. De la même façon, on estime que paraît, vu l'influence des facteurs psychosociaux
l'incidence des déterminants de santé liés à l'envi- et environnementaux. La non-culpabilisation est
ronnement socio-économique et physique sur le donc un principe essentiel. Le patient ne peut être
bilan de santé d'une population occidentale est tenu totalement responsable de ses conduites,
supérieure à celle des soins de santé et des facteurs ayant une liberté d'action relative en la matière.
biologiques et génétiques [10]. La lutte contre les inégalités de santé est éga-
Il existe des disparités de répartition des déter- lement bien inscrite dans notre pratique. Des
minants de santé dans les différentes strates de la réponses spécifiques sont proposées pour com-
société, engendrant ainsi des inégalités de santé. penser les difficultés du patient, notamment sur le
Ces différences sont liées à une distribution inégale plan psychosocial, et pour favoriser l'accessibilité
du pouvoir, des ressources, des biens et des ser- aux soins.
vices. Il a été démontré que même si les comporte- Il convient donc de discriminer, pour le patient
ments individuels défavorables à la santé (comme la atteint de maladie chronique, les déterminants
consommation du tabac, de l'alcool, une mauvaise sur lesquels il a du pouvoir. Si son pouvoir sur son
alimentation, la sédentarité…) sont des facteurs de environnement social et familial reste limité, il
risque de développer une maladie chronique, ils peut agir sur d'autres aspects :
n'en sont pas pour autant prépondérants, au regard • gestion médicale de sa maladie et de son traite-
des autres déterminants de santé, pour expliquer ment ;
les inégalités de santé observées. Ces facteurs sont • habitudes et comportements de santé ;
appelés déterminants sociaux de santé. • connaissance et utilisation du système de soins ;
L'émergence des maladies est donc multifac- • intégration sociale optimisée et recherche de
torielle. En tout état de cause, celle-ci est plus soutiens notamment auprès de l'entourage ;
importante dans les classes sociales moins favo- • équilibre émotionnel et sérénité.
risées  [11]. Ainsi, les classes populaires défavo- Concernant les habitudes de vie et les com-
risées subissent une « double peine », celle d'une portements de santé, le patient peut agir dans les
existence plus courte et des périodes de vie avec domaines suivants :
incapacités ou handicaps plus longues, comparées • alimentation saine et adaptée ;
à celles des classes favorisées  [12]. Cependant, il • exercice physique suffisant et adapté ;
ne convient pas d'opposer la précarité à la non-­ • réduction des addictions ;
précarité, mais plutôt de considérer que cette • gestion du stress et recherche de sérénité ;
question s'inscrit dans un continuum. • bon sommeil ;
• sexualité épanouie (et selon le cas, réduction
Déterminants de santé et ETP des risques de transmission sexuelle d'agents
pathogènes).
Dans le cadre du soutien à la personne et de son Ces thèmes font d'ailleurs souvent l'objet, dans
autonomisation, on voit bien qu'agir en ETP sur les programmes d'ETP, d'activités éducatives spé-
les seuls aspects biomédicaux ne suffit pas ; les cifiques individuelles ou collectives. Leur abord
situations psychologique, sociale, professionnelle, est également majeur dans le contexte des polypa-
spirituelle et environnementale de la personne thologies (voir chap. 11, Polypathologie et éduca-
ont un impact fort sur son état global de santé. Les tion thérapeutique du patient).

9
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

Théorie du care [13, 14] continue pour professionnels de soins dans le


domaine de la prévention des maladies chroniques.
OMS ; 1998.
Le concept du care est proche de celui de l'ETP. Le [3] Sandrin-Berthon  B. L'éducation thérapeutique  :
verbe anglais to care désigne à la fois ce qui relève pourquoi ? Médecine des Maladies Métaboliques
de la sollicitude et du soin. Il comprend l'attention 2008 ; 2 : 155–9.
préoccupée à autrui qui suppose une disposition, [4] Organisation mondiale de la santé (OMS).
1re Conférence internationale pour la promotion de
une attitude ou un sentiment, et les pratiques de la santé. Ottawa : OMS ; 1986.
soins qui font du care une affaire d'activité et de [5] Bury JA. Éducation pour la santé. Concepts, enjeux,
travail. planifications. Bruxelles  : De Boeck Université ;
Joan Tronto définit ainsi le care : « une activité 1992. p. 236.
caractéristique de l'espèce humaine qui inclut [6] Parlement  du Canada. Politiques sur la santé de la
tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de population : enjeux et options. Quatrième rapport du
Sous-comité sur la santé des populations du Comité
continuer ou de réparer notre "monde" de telle sénatorial permanent des affaires sociales, sciences
sorte que nous puissions y vivre aussi bien que et technologie [Internet] ; 2008 avr. Disponible en
possible. Ce monde inclut nos corps, nos indi- ligne sur  : http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/
vidualités (selves) et notre environnement, que Committee/392/soci/rep/rep10apr08-f.htm.
nous cherchons à tisser ensemble dans un mail- [7] Institut national de prévention et d'éducation pour la
santé (INPES). Qu'est-ce qui détermine notre état de
lage complexe qui soutient la vie »  [14]. Ce nou-
santé  ? [Internet]. Disponible en ligne sur  :
veau paradigme se réfère donc au développement http://w w w.inpes.sante.fr/10000/t hemes/ISS/
des êtres humains en réfutant l'autonomie comme determinants-sante.asp
finalité du développement ainsi qu'au fait que tout [8] Whitehead  M, Dahlgren  G. What can we do about
individu est interdépendant avec les autres tout au inequalities in health. Lancet 1991 ; 338 : 1059–63.
long de sa vie. [9] Ministère de la santé et des services sociaux du
Québec, Canada. Rapport national sur l'état de santé
L'éthique du care est une norme morale récente, de la population du Québec. Produire la santé ; 2005.
issue du mouvement féministe dans les pays p. 120.
anglophones. Basée sur l'attention, le soin, la [10] Comité sénatorial permanent des affaires sociales
responsabilité, la prévenance, l'entraide, cette (Institut canadien de recherche avancée). La santé
éthique s'oppose aux valeurs d'individualisme des Canadiens – Le rôle du gouvernement fédéral.
et de compétition souvent rencontrées dans le Volume un  : Le chemin parcouru. Rapport inté-
rimaire sur l'état du système de soins de santé au
monde occidental. Le care valorise l'idée et le fait Canada ; Mars 2001. p. 139.
de vivre les uns avec les autres plutôt que les uns [11] Moatti  JP. Déterminants sociaux des inégalités de
contre les autres. santé  : une priorité absolue pour la recherche en
Dans cette perspective, le concept du care nous santé publique. Rev Epidemiol Sante Publique 2013 ;
interpelle en tant que professionnels de santé, 61(Supplément 3) : S123–5.
[12] Cambois  E. Maladies chroniques et handicap  :
acteur social ou aidant d'une personne malade.
une approche globale à partir de l'enquête décen-
nale santé française de 2003. Rev Epidemiol Sante
Références Publique 2008 ; 56(5, supplément) : 303.
[13] Tronto  J. Le risque ou le care ? Paris  : PUF ; 2012.
[1] Haut Comité de la santé publique (HCSP). La santé en p. 50.
France. Rapport général. Paris  : La Documentation [14] Tronto J. Care démocratique et démocratie du care.
française ; novembre 1994. p. 334. In  : Molinier  P, Laugier  S, Paperman  P, editors.
[2] Organisation mondiale de la santé (OMS). Éducation Qu'est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité,
thérapeutique du patient. Programmes de formation responsabilité. Paris : Payot ; 2009. p. 37.

10
Éducation thérapeutique Chapitre 2
du patient : définition
et généralités

Définition dans la gestion au quotidien de sa pathologie


et de son traitement. Il s'agit donc d'éduquer le
L'ETP fait partie de l'éducation à la santé. Elle patient « pour » qu'il adhère non pas à une norme
s'adresse spécifiquement aux personnes atteintes extérieure, mais bien « à » son projet thérapeu-
de pathologie chronique, d'un handicap ou celles tique singulier [2].
qui bénéficient d'un traitement complexe. De
même, elle s'inscrit dans les préventions secon-
daire et surtout tertiaire.
Il n'y a pas de définition unanime de l'ETP.
Historique de l'ETP [3, 4]
Nous choisissons de retenir celle proposée Du début du xxe siècle aux années 1950, les trai-
dans le rapport de l'OMS-Europe publié en tements ne justifient pas en général d'explica-
1998 [1] : tions compliquées. Il y a à cela deux exceptions
« L'éducation thérapeutique du patient vise à notables :
aider les patients à acquérir ou maintenir les com- • le diabète, pour lequel l'insuline a été décou-
pétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux verte en 1921 ; des informations précises doivent
leur vie avec une maladie chronique. alors être fournies aux patients, chose d'autant
Elle fait partie intégrante et de façon perma- plus nouvelle et difficile qu'en tant que diabé-
nente de la prise en charge du patient. Elle com- tiques asymptomatiques, ils ne se sentent pas
prend des activités organisées, y compris un « malades » ;
soutien psychosocial, conçues pour rendre les • la tuberculose (encadré 2.1) [5].
patients conscients et informés de leur maladie, Aux États-Unis, les premiers programmes
des soins, de l'organisation, des procédures hos- éducatifs sur le diabète et la tuberculose
pitalières, et des comportements liés à la santé et remontent à la fin des années 1940 et dans
à la maladie. les années 1950, à Denver, à Boston et dans
Ceci a pour but de les aider (ainsi que leurs 18 hôpitaux relevant de la Veteran Health Admi-
© 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

familles) à comprendre leur maladie et leur traite- nistration [4, 6].


ment, collaborer ensemble et assumer leurs respon- Au cours de la première moitié du xxe siècle,
sabilités dans leur propre prise en charge, dans les infirmières assument une fonction d'ensei-
le but de les aider à maintenir et améliorer leur gnement vis-à-vis des patients et de leur famille,
Pratiquer l’éducation thérapeutique

qualité de vie. » notamment sur la nutrition, les conseils d'hy-


L'objectif est donc de pouvoir accompagner le giène, la promotion de la santé, et délivrent
patient afin qu'il acquière le plus d'autonomie des informations concernant les interventions
possible vis-à-vis des soignants et éventuelle- médicales. Dans les années 1970, l'éducation du
ment de son entourage, et vivre le mieux possible patient est reconnue comme une composante
sa maladie, autant que faire se peut. Il doit pou- essentielle des soins infirmiers, comme l'éta-
voir renforcer ses connaissances et sa compré- blissaient déjà les travaux de F Nightingale à la
hension de la maladie, ainsi que ses compétences fin du xixe siècle.

11
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

commençant par l'asthme, la bronchopneumo­


ENCADRÉ 2.1
Exemple d'une prise en charge pathie chronique obstructive, les maladies cardio-
holistique et éducative vasculaires et l'infection à VIH. Dans le cadre de
de la tuberculose cette dernière, le rôle des associations de patients,
dans les années 1950 [5] en termes de soutien, d'innovations et de forces de
Retour dans le passé  : en 1955, la Sécurité revendication de droits, est fondamental.
sociale confie au Docteur J.-J. Hazemann la La Charte d'Ottawa, publiée par l'OMS en
création et la direction d'un sanatorium en 1986, établit les principes de la promotion de la
Eure-et-Loir, dans le château de Beaurouvre. santé [9]. L'OMS-Europe définit quant à elle l'édu-
L'objectif assigné est de « guérir un pour-
cation thérapeutique du patient en 1998 [1]. Dans
centage de malades le plus voisin possible
de 100  % dans les délais les plus rapides, ces années-là, deux modèles d'éducation s'op-
aux moindres séquelles ». À cette époque, posent, l'un qualifié de « médico-centré », dans
les traitements antibiotiques existent mais lequel la « compliance » du patient est sollicitée,
l'observance des traitements et de la disci- l'autre « patient-centré », axé sur la recherche de
pline de cure est problématique. Certains
l'autonomie du patient. La notion d'empowerment
directeurs de sanatorium utilisent des
mesures coercitives pour contraindre les apparue aux États-Unis relève de cette dernière
patients à une discipline stricte. Les résul- acception. Rapidement, les contraintes issues de
tats sont désastreux : selon les sanatoriums, la gestion des maladies chroniques amènent à
30 à 50 % des pensionnaires sortent contre faire correspondre l'empowerment du patient aux
avis médical, et les malades refusent même
attentes du système de soins. L'introduction du
le plus souvent d'entrer dans ces établis-
sements. Le Docteur Hazemann, déjà fort concept de démocratie sanitaire permet de réta-
expérimenté en matière de traitement blir un équilibre entre les demandes sociétales
de la tuberculose, décide de s'y prendre et la prise en compte éthique du bien-être, de la
autrement. Outre le traitement médical qualité de vie individuelle du patient [4].
et le repos, les facteurs de réussite d'un
En Europe, la France choisit de normaliser
séjour de plusieurs mois en sanatorium
sont, selon lui, « l'éducation sanitaire per- l'organisation de l'ETP selon une approche socio-
manente systématisée » et « la préparation constructiviste, en l'intégrant dans une loi de
d'un avenir meilleur » par une promotion santé, tandis que la Belgique laisse l'organisation
de la personne malade sur tous les plans  : aux régions du fait de sa structure fédérale, et qu'en
physique, fonctionnel, psychique, culturel,
Suisse, l'organisation et le financement de l'éduca-
moral, professionnel et social. La démarche
qu'il suit est efficace et témoigne d'une tion du patient dépendent d'assurances de santé pri-
éducation thérapeutique avant l'heure pré- vées. Les Pays-Bas sont les premiers à reconnaître
sente tout au long du séjour, indissociable l'importance du rôle des associations de patients
des soins et répondant aux référentiels de dans l'organisation des programmes éducatifs [10].
qualité que nous connaissons actuellement,
Les pays anglo-saxons, quant à eux, développent
établis beaucoup plus tard par l'OMS (1998)
et repris par la HAS en 2007. des modèles pragmatiques et comportementaux,
fidèles à une approche davantage béhavioriste.
En France, la loi relative aux droits des malades
et à la qualité du système de santé est votée en 2002,
En 1972, L. Miller montre que des patients diabé- donnant au patient une place centrale dans les dis-
tiques issus de milieux défavorisés de Los Angeles positifs de soins [11]. En 2004, des lois relatives à la
peuvent bénéficier avantageusement d'un transfert santé publique et à l'assurance maladie en France
de compétences des soignants vers les patients [7]. soulignent le nécessaire décloisonnement du sys-
En 1975, le Pr J.-P. Assal, diabétologue à Genève, tème de soins et le caractère fondamental d'une
crée une unité de « traitement et d'enseignement du politique de prévention pour lutter contre la mala-
diabète »  : une éducation y est délivrée, intégrant die, modifier les comportements à risque et amé-
la prise en compte du vécu du malade comme une liorer la qualité de vie des personnes atteintes de
source de connaissance et d'apprentissage pour lui maladies chroniques [12]. En avril 2007, est publié
et pour les soignants  [8]. Dès lors, l'éducation du le « plan pour l'amélioration de la qualité de vie des
patient se développe dans d'autres maladies, en personnes atteintes de maladies chroniques » [13].

12
Chapitre 2. Éducation thérapeutique du patient : définition et généralités

Dans la même direction, la Haute Autorité de en est d'accord, à parvenir à une autonomie et
santé (HAS) fait paraître en 2007 un guide métho- une aisance qui le satisfassent, dans le cadre de sa
dologique pour la structuration des programmes maladie chronique.
d'éducation thérapeutique dans le champ des Le mot « éducation » suppose un apprentissage
maladies chroniques dont certaines parties servent qu'il soit de l'ordre du savoir, du savoir-faire ou du
de recommandations professionnelles [14]. Puis, la savoir-être. Le mot thérapeutique indique que l'ETP
loi « Hôpital patient santé territoire » (HPST) est est inscrite dans le soin. L'éducation thérapeutique
votée en 2009 et un décret d'application est publié du patient inclut donc la notion d'apprentissage mais
le 2  août 2010, relatif à la mise en place de ces aussi d'accompagnement psychosocial aboutissant à
programmes éducatifs  [15, 16]. En 2011, l'INPES l'autonomie et au « bien vivre » avec la maladie.
publie trois documents, respectivement un réfé- L'éducation ne se limite donc pas à l'informa-
rentiel de compétences en ETP pour les praticiens, tion. Cette dernière est centrée sur le contenu, le
la coordination des programmes d'ETP ainsi que conseil est centré sur celui qui le délivre, alors que
le pilotage et la promotion des politiques et des l'éducation est centrée sur la personne.
programmes d'ETP  [17, 18]. Le décret du 31  mai Le processus éducatif se situe entre l'informa-
2013 en est directement inspiré, établissant une tion simple qui est diffusée indifféremment à tout
liste de compétences requises pour pratiquer l'ETP le monde, et la persuasion de l'individu qui, de ce
et pour coordonner un programme éducatif [19]. fait, n'est pas respecté (figure 2.1).
La HAS émet en avril 2012 des recommandations Les représentations de tout un chacun vis-à-vis
sur l'autoévaluation annuelle de ces programmes, du mot « éducation » et du mot « thérapeutique »
et en 2014 sur l'évaluation quadriennale  [20, 21]. ne sont pas uniformes, aussi bien pour les soi-
Un arrêté régissant l'application de cette dernière gnants que les patients  [24]. Le mot éducation
est publié le 14 janvier 2015 [22]. Un rapport inti- peut résonner positivement auprès de certaines
tulé Pour l'an II de la démocratie sanitaire, paru en personnes qui trouvent valorisant cette possibi-
février 2014, fait le point sur l'application de la loi lité de maîtrise plus grande de leur vie. D'autres se
de mars 2002 sur les droits des malades et propose sentent renvoyées par ce mot à la notion de scola-
des recommandations pour l'avenir [23]. rité, parfois d'échec scolaire, de norme plaquée, de
cadrage, de prise de pouvoir voire de rééducation.
Ces représentations peuvent donc être négatives.
C'est pourquoi certains auteurs préfèrent rem-
Choix des mots « éducation » placer le mot éducation par celui de formation,
et « thérapeutique » d'accompagnement ou d'alliance thérapeutique.
Aucun mot n'apparaît parfait pour désigner
L'éducation thérapeutique du patient est donc ce processus. Il s'agit de prendre conscience des
une démarche qui consiste à aider le patient, s'il représentations du patient, de son entourage, mais

Degré de Degré
respect de la d’accessiblilité/
liberté pénétration de
l’information

Information Education Persuasion

Figure 2.1 Rapports entre information, éducation et persuasion.


Source : Bury JA. Éducation pour la santé. Concepts, enjeux, planifications. Bruxelles : De Boeck Université ; 1992, 236 p.

13
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

aussi des siennes propres en tant que soignant et Construire une démarche éducative suppose
celles de ses collègues dans l'équipe. Une expli- une réflexion éthique et déontologique sur les
citation sur les intentions est souvent nécessaire choix qui vont la fonder. « C'est dans la recon-
et permet de trouver un terrain d'entente sur les naissance du sujet comme auteur de sa vie qu'une
finalités et les objectifs de l'action [24]. action en santé publique peut être construite »,
comme le rappelle P.  Lecorps  [25] (voir chap.  3,
Éléments d'éthiques).
Ces choix affirment les droits du patient à une
Champs d'application de l'ETP : prise en charge et à une protection de son état de
maladie chronique, traitements santé, à l'information, à des soins de qualité, à leur
accessibilité, à la dignité et au respect de la liberté
complexes, handicaps individuelle.
L'ETP s'intéresse particulièrement aux patients
atteints de maladies chroniques. Une maladie chro-
nique est caractérisée par sa longue durée, évolutive, Du soignant au « soignant–
souvent associée à une invalidité et à la menace de
complications graves. Il peut s'agir de maladies cou-
éducateur »
rantes comme le diabète, l'asthme, l'insuffisance Le soignant qui entre dans une démarche édu-
rénale chronique, les maladies cardiovasculaires, cative oscille entre deux postures qui peuvent
etc., mais aussi de maladies rares comme la mucovis- entraîner des tensions [26] :
cidose, la drépanocytose ou les myopathies, comme • en tant que soignant, sa formation et la déon-
il peut s'agir aussi de maladies transmissibles per- tologie de son métier l'ont préparé à donner
sistantes comme l'infection à VIH, de cancers et de des soins de qualité, à proposer des conseils
troubles mentaux de longue durée (dépression, schi- (basés sur le désir de dire ce qui est bien pour le
zophrénie, troubles bipolaires, etc.). La durée mini- patient). C'est l'ordonnance qui renvoie à l'obli-
male d'évolution de la maladie chronique est clas- gation. Cette situation place le soignant dans le
siquement de plusieurs mois (au moins 3 à 6 mois), champ de la morale et de la « conformité bio-
avec un retentissement sur la vie quotidienne. médicale » ;
En sus de ce contexte, l'ETP s'applique aussi • en tant qu'éducateur, le professionnel com-
aux handicaps ainsi qu'aux patients bénéficiant de prend qu'il porte une fonction pédagogique. Il
traite­ments complexes de longue durée (traitement prend aussi conscience que le patient possède
de l'hépatite C, de la tuberculose, patients stomisés, des savoirs, a des représentations et ses propres
etc.). Certaines situations sont aussi concernées, croyances.
comme le risque de chute chez la personne âgée. Beaucoup d'auteurs utilisent le terme de soignant-
éducateur. Aux compétences de soins s'ajoutent
donc des compétences pédagogiques inscrites dans
Valeurs sous-jacentes à l'ETP une relation saine avec le patient.

Au-delà d'une définition, c'est bien le sens de


l'éducation thérapeutique qu'il faut interroger :
• Quelle place pour le patient et son entourage ? Cartographies de pratiques
• Quelle posture pour le soignant ? relevant de l'ETP [4]
• Quelle finalité pour l'éducation du patient, le
rendre observant ou lui permettre l'autonomie ? Les grandes tendances mises en œuvre en ETP
Les valeurs sur lesquelles repose la démarche varient en fonction des intentions qu'elles pour-
éducative sont l'humanisme, la dignité, le partena- suivent, des moyens mobilisés et des types d'ac-
riat, l'autonomie, la responsabilité de la personne tivités. Le tableau  2.1 reprend celui proposé par
malade ou aidante et l'équité dans l'offre proposée C.  Tourette-Turgis présentant cette cartographie
par le système de santé. des pratiques dans une équipe [4].

14
Tableau 2.1 Cartographies de pratiques relevant de l'ETP
Type d'action Intention dominante Public visé Intervenants Compétences visées
Mieux comprendre la Aider les malades à acquérir des Malades chroniques Soignants formés en ETP, patients Compétences d'autosoins et
maladie, les traitements, connaissances et des compétences (adultes, enfants, ou associations de patients compétences psychosociales
gérer les crises, changer ses pour gérer leur pathologie adolescents)
habitudes de vie, etc.
Groupe de parole, Raconter sa vie, partager des Malades chroniques Soignants, patients expérimentés et Capacité à élaborer à partir
estime de soi, soutien, expériences de patients (adultes, enfants, formés, psychologues et psychiatres, de l'expérience vécue
accompagnement Soutenir et accompagner adolescents) socio-esthéticiennes Mobilisation de ses ressources
personnelles et de son pouvoir d'agir

Chapitre 2. Éducation thérapeutique du patient : définition et généralités


Connaître ses droits Pratiquer un accompagnement Malades chroniques Assistantes sociales, organismes Compétences psychosociales
sociaux, retour au travail psychosocial individualisé (adultes, adolescents) d'insertion professionnelle,
Se soucier du maintien de associations de malades
l'intégration sociale
Contribuer à une réinsertion
professionnelle
Formation de patients Former des patients comme Patients désirant Formateurs et patients expérimentés, Compétences dans le champ de la
15

experts acteurs de santé et comme intervenir en ETP ou malades chercheurs communication interpersonnelle, de la
représentants des usagers dans les associations, Universitaires engagés dans la formation formation et de la communication sociale
Intégrer dans les diplômes en malades chercheurs des malades (France, Québec, Grande- Connaissance élargie de l'organisation
éducation du patient, des patients Bretagne, États-Unis…) du système sanitaire
experts Processus de professionnalisation à partir
de validation des acquis de l'expérience
ETP pour les aidants et les Accompagner et soutenir les Proches, aidants, Soignants formés en ETP, associations Compétences relationnelles
proches proches et les aidants, dans les parents, conjoints de patients, psychologues, psychiatres Accompagnement des proches dans
cas de dépendance, de perte leur vie quotidienne
d'autonomie et de handicap
Apprentissage de procédures à utiliser
en urgence
Formations en ETP en Développer des compétences Intervenants en ETP Organismes de formations agréées, Compétences relationnelles,
formation continue et spécifiques à l'éducation auprès de malades formateurs expérimentés en ETP, pédagogiques, méthodologiques et
initiale des patients chroniques universitaires et patients intervenant organisationnelles en lien avec la
auprès d'étudiants en santé pratique de l'ETP
Sensibilisation à l'ETP Inciter, mobiliser des acteurs de Organisations sanitaires Experts reconnus dans le champ de Connaissance des innovations
santé souhaitant connaître le et acteurs de santé l'ETP et des initiatives en ETP
champ de l'ETP
Source : tableau adapté de Tourette-Turgis C. L'éducation thérapeutique du patient : champ de pratique et champ de recherche. Savoirs 2014 ; 35 : 11–48 © Éditions l'Harmattan.
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

Lieux de pratique généralistes vis-à-vis de l'ETP, il apparaît que cette


pratique est souvent vue comme une aide technique
de l'ETP et son financement à améliorer l'observance du patient. Mais la relation
médecin–malade semble évoluer, en s'éloignant
Lieux de pratique d'une relation paternaliste en faveur d'une relation
de l'ETP en France partenariale. Les médecins se situent à mi-chemin
entre une relation d'expertise et une relation éduca-
L'ETP se pratique dans toutes les structures de soins, tive, sans pour autant encore franchir le pas [29].
qu'elles soient ambulatoires ou hospitalières. Dans Pour faire évoluer la posture des soignants, il
notre ouvrage, nous focalisons notre propos sur la convient de développer la formation continue et
pratique en équipe en établissement de santé, sous- maintenant initiale en ETP dans les facultés et
entendu dans le cadre d'un programme éducatif. écoles paramédicales.
La Mutualité Française a recensé en 2015, 2275 Par ailleurs, de nouveaux formats éducatifs plus
programmes autorisés en France  [27] (sachant légers doivent être recherchés afin que les profes-
qu'il y en a en fait 3950 en 2014 – données du rap- sionnels libéraux puissent répondre d'une éduca-
port d'activité FIR 2014). Ces 2275  programmes tion de qualité, suivie dans le temps [28, 31].
portent principalementsur le diabète (30  % des À côté de la médecine libérale isolée, pratiquer
programmes autorisés), les maladies cardiovascu- l'ETP en équipe peut se réaliser dans plusieurs
laires (près de 15 %) et les maladies respiratoires types de structures :
(12 %). Environ 70 % des programmes éducatifs • les établissements hospitaliers et les cliniques [33].
sont portés par des établissements de santé, 7  % Outre des soins spécialisés variés et larges, ces
par des réseaux de santé et moins de 5 % par des lieux offrent des plateaux techniques importants.
professionnels exerçant en ville, les autres exer- Les consultations isolées peuvent s'accompagner
cices étant minoritaires. Cependant, ces chiffres d'activités éducatives. Lors des séjours hospita-
recouvrent de fortes disparités régionales. liers de jour, de semaine ou en court séjour, une
Malgré ce maillage, il apparaît nettement que la disponibilité particulière du patient et des soi-
structuration de l'ETP en programme, telle qu'elle gnants rend possible des temps éducatifs itératifs
a été définie dans notre pays par la HAS en 2007 et et structurés. Dans la réalité, il existe une grande
inscrite dans la loi HPST de 2009, est peu adaptée hétérogénéité des pratiques comme l'a montré
à la pratique de ville. Le médecin généraliste ou l'enquête Epatel en 2009 sur des établissements
spécialiste, qui est censé être le pivot du parcours hospitaliers lorrains  [34], hétérogénéité qui per-
éducatif du patient, est souvent isolé, débordé, siste de nos jours malgré des avancées impor-
peu formé à l'ETP et limité dans cette activité par tantes en termes de structuration des activités
ailleurs non rémunérée en tant que telle [28–31]. éducatives dans le cadre de programmes [28] ;
Il en est de même des paramédicaux qui, malgré • les maisons de santé pluriprofessionnelles  [35,
leur dynamisme, sont aussi isolés et sans rému- 36]. Elles font intervenir autour du patient, des
nération spécifique pour cette activité  [28, 30]. médecins, infirmières, diététiciennes, pédicures,
Quant aux pharmaciens d'officine, malgré une éducateurs sportifs, etc. Sur le plan de la santé
convention signée entre leurs syndicats représen- publique, ces structures tentent de répondre au
tatifs et l'assurance maladie en 2012 pour définir problème de la désertification médicale à un
des missions éducatives rémunérées, ils cherchent niveau local. Ces maisons offrent également aux
encore leur positionnement [28, 32]. professionnels de santé l'opportunité de travail-
Reste que la pratique qualitative de la posture édu- ler ensemble et d'accroître leur efficacité par un
cative, que tout professionnel du soin de première travail en équipe pluriprofessionnelle. Les méde-
ligne peut acquérir, améliore grandement l'écoute, la cins et les paramédicaux développent alors de
bienveillance et la pertinence du soignant vis-à-vis nouveaux modes de coopération dans le soin
du patient, et ouvre une porte à une éducation ciblée ainsi qu'un projet de santé, l'ETP en faisant par-
sur les besoins du malade (voir chap. 4, De la relation tie. L'avenir de la pratique de l'ETP en France va
d'aide à la posture éducative) [28]. Dans une étude probablement passer en partie par le développe-
menée en Savoie sur les représentations de médecins ment de ces maisons de santé sur le territoire ;

16
Chapitre 2. Éducation thérapeutique du patient : définition et généralités

• les réseaux de santé mono- ou plurithématiques. Financement de l'ETP en France


Ceux-ci couvrent des territoires plus importants.
Portant eux-mêmes souvent des programmes Il existe des financements prévus pour l'ETP,
d'ETP, les réseaux peuvent servir d'appui aux mais ils sont parcellaires et insuffisants (voir
pôles de santé et aux maisons de santé pluri- chap.  10, Moyens financiers). Une somme glo-
professionnelles, ainsi qu'aux professionnels de bale de 70  millions d'euros est dévolue chaque
santé libéraux. Ces réseaux ont plusieurs mis- année dans notre pays, répartie entre les ARS,
sions  : proposition de projets de santé locaux pour financer les crédits spécifiques à l'éduca-
dont l'ETP, formations des professionnels de tion thérapeutique par les fonds d'intervention
santé à l'ETP, mise en place de prestations édu- régionaux (FIR) (anciennement missions d'inté-
catives, recours au parcours de soins complexes rêt général et à l'aide à la contractualisation ou
avec les médecins de second recours [36] ; MIGAC), afin de compenser les frais engendrés
• les appartements de coordination thérapeutique par cette pratique, notamment en termes de
(ACT)  [37]. L'ETP peut naturellement prendre charges salariales [39]. Ces crédits sont octroyés
place au sein des ACT, structures sanitaires et à certains établissements hospitaliers sous la
sociales conçues pour héberger, prendre soin forme d'une enveloppe reconductible en fonc-
et accompagner des personnes en situation de tion d'une évaluation annuelle. Ils ne prennent
grande précarité et atteintes d'une ou plusieurs en compte que les activités ambulatoires. En
maladies nécessitant des soins prolongés. Plu- effet, les frais éducatifs pratiqués en hospitali-
sieurs ACT sont en train de co-construire des sation de jour, de semaine ou de court séjour,
programmes d'ETP, et l'un d'entre eux près de rentrent dans le cadre d'une tarification forfai-
Nantes a obtenu une autorisation de son agence taire de l'ensemble des frais engagés pour les
régionale de santé (ARS) en 2014. séjours hospitaliers  [40]. Pour certaines patho-
Des organismes d'assurance maladie « payeurs » logies, le soutien financier d'un programme
s'impliquent parfois dans le pilotage de programmes éducatif passe par d'autres crédits MIGAC/FIR
expérimentaux d'ETP (par exemple, le programme spécifiques (exemples : mucoviscidose, douleur).
« Couleur santé  » en Basse-­ Normandie propose Les crédits ciblés ETP sont gérés par les ARS.
des activités éducatives sur la nutrition). D'autres Nombre d'entre elles choisissent aujourd'hui de
projets ne sont pas des programmes d'ETP mais financer spécifiquement des activités éducatives
peuvent s'articuler avec eux, comme le projet ambulatoires portées par certains réseaux de
Sophia de la Caisse nationale de l'assurance mala- soins voire des maisons de santé, par exemple sur
die des travailleurs salariés (CNAMTS) pour les la base de 250 euros/an pour un parcours éducatif
patients diabétiques en affection de longue durée d'un patient [39].
(ALD) [36]. Les réseaux bénéficient de financements adap-
En termes d'organisation générale, il s'agirait tés depuis 2000  : fonds d'aide à la qualité des
de graduer l'offre suivant la complexité des inter- soins de ville (FAQSV), dotation régionale de
ventions éducatives et de la maladie : éducation de développement des réseaux (DRDR), document
proximité (praticiens de premier recours éducatif, régional de développement rural (DRDR), fonds
gestion des incidents de la maladie) ; programmes d'intervention pour la qualité et la coordination
d'éducation réalisés par des équipes multiprofes- des soins (FIQCS) [36]. Par ailleurs, ils peuvent
sionnelles (réseaux, maisons de santé, hôpitaux parfois prétendre, dans le cadre d'un projet
généraux, hospitalisation à domicile) ; structures d'ETP, à des financements complémentaires.
spécialisées de référence pour les pathologies com- Dans le paradigme de la tarification à l'acti-
plexes et rares (le plus souvent hospitalières)  [38]. vité (T2A), les fonds réservés pour financer
L'organisation des soins éducatifs en France devrait l'ETP en France paraissent très insuffisants.
se poursuivre dans le sens de la transversalité, de Cette situation n'est pas propice à son dévelop-
la pluridisciplinarité et pluriprofessionnalité, de la pement. De plus, en période de pénurie, l'ETP
polypathologie et s'adapter à des parcours de soins risque d'être perçue comme une variable d'ajus-
complexes au long court en développant les articu- tement et d'être sacrifiée. Par exemple, des infir-
lations ville–hôpital [28, 36]. mières normale­ment dédiées à l'ETP peuvent

17
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

être m
­ obilisées pour p­ allier ponctuellement un pour le patient, une accessibilité et un respect de
déficit de personnel ou le temps éducatif dévolu ses rythmes ainsi qu'une efficience. L'une de ces
à des patients présentant des difficultés de com- normes repose sur l'acquisition par les soignants
préhension peut être écourté. Ces patients vul- de compétences particulières en termes de savoir,
nérables sont alors les premières victimes de savoir-faire et savoir-être qui justifie un processus
cette situation, ce qui contribue à aggraver les de formation continue spécifique.
inégalités de santé [28]. Nous choisissons de détailler les critères qualité
issus des recommandations de l'OMS publiées en
1998 dans sa version française (voir ci-après
De la démarche éducative tableau 2.2) [1]. Ces dernières sont fondatrices des
textes officiels ultérieurs en France et dans
au programme nombre de pays.
Nous présentons également les critères de
La démarche éducative interroge avant tout la la HAS, émis en 2007, qui reposent sur les
relation du soignant avec le patient, ou l'aidant. recommandations de l'OMS, les précisent et
Elle commence par une attitude juste, que l'on les complètent (voir plus loin tableau 2.3) [14].
appelle posture éducative. Acquérir cette atti- Ces critères constituent un point de départ à
tude à l'échelon individuel nécessite une remise toute réflexion d'équipe en matière d'ETP, d'au-
en question et une formation spécifique. tant qu'ils créent entre tous un socle de référence
La démarche éducative peut s'appliquer de deux permettant une réflexion éthique sur le sujet.
façons différentes et complémentaires :
• lors d'activités non structurées, intégrées dans
le soin, appelées aussi activités éducatives iso- Critères qualités de l'OMS pour une
lées ou hors programme. Ces actions font déjà éducation thérapeutique structurée
partie de notre démarche de soins ;
• lors d'activités structurées en équipe, centrées Présentation (tableau 2.2)
sur le patient ou l'aidant. Depuis de nom-
breuses années, des recherches dans les champs
biomédical, psychosocial, pédagogique et phi- Tableau 2.2 Critères de qualité de l'OMS pour
losophique ont en effet permis de dessiner une une éducation thérapeutique structurée
méthodologie apportant une efficience vis- 1 L'éducation thérapeutique du patient doit être un
à-vis du patient tout en garantissant un strict processus systémique d'apprentissage centré sur
respect de sa personne et de ses choix. le patient
Le mot « programme éducatif » a été choisi 2 Elle doit prendre en compte, d'une part, les
en France pour représenter cette structuration processus d'adaptation du patient à la maladie
­pédagogique et méthodologique [14]. Il comprend (coping, locus de contrôle, représentations de la
plusieurs activités d'éducation individuelles ou santé et de la maladie, aspects socioculturels,
etc.) et d'autre part, les besoins objectifs et
collectives qui sont animées par des profession- subjectifs, exprimés ou non, des patients
nels de santé travaillant en équipe avec le concours
3 Elle doit être intégrée au traitement et aux soins
d'autres professionnels et de patients. Il est destiné
à des patients et à leur entourage. 4 Elle concerne la vie quotidienne du patient et son
Là aussi, comme pour les mots « éducation » et environnement psychosocial, et doit impliquer
autant que possible la famille et l'entourage proche
« thérapeutique», le mot « programme » peut rebu-
ter certains. La peur du « formatage » peut surgir. 5 C'est un processus continu qui doit être adapté
Il convient de bien expliciter le terme, notamment en permanence à l'évolution de la maladie, de
l'état de santé du patient et de sa vie ; c'est une
avec les patients mais aussi avec ses propres col- partie de la prise en charge au long cours
lègues, et insister sur le caractère ouvert et adap-
table de cette structuration. 6 Elle doit être structurée, organisée et proposée
systématiquement à tous les patients
La construction d'un programme éducatif doit
se référer à des normes de qualité afin de garan- 7 Elle doit utiliser des méthodes et moyens variés
d'éducation et d'apprentissage
tir une éthique, une confidentialité, une sécurité

18
Chapitre 2. Éducation thérapeutique du patient : définition et généralités

8 Elle est multiprofessionnelle (toutes les Critère no 2


catégories de soignants) et multidisciplinaire Elle doit prendre en compte, d'une part, les
(approches de santé, de soins et de sciences processus d'adaptation du patient à la maladie
humaines) et nécessite un travail en réseau
(coping, locus de contrôle, représentations de la
9 Elle doit inclure l'évaluation du processus santé et de la maladie, aspects socioculturels, etc. ;
d'apprentissage et de ses effets voir chap. 5) et d'autre part, les besoins objectifs et
10 Elle est réalisée par des professionnels des soins subjectifs, exprimés ou non des patients.
formés à cet effet Au-delà des aspects du soin, le patient va ten-
Source : Organisation mondiale de la santé (OMS). Éducation ter d'adapter sa vie à sa maladie et sa maladie à sa
thérapeutique du patient. Programmes de formation continue pour vie. Ce processus doit être aidé par les soignants.
professionnels de soins dans le domaine de la prévention des maladies C'est pourquoi, s'enquérir des besoins du patient
chroniques. OMS ; 1998.
est fondamental, afin de rester éthique et efficace.
Analyse des critères qualités Critère no 3
de l'OMS [1] Elle doit être intégrée au traitement et aux soins.
Critère no 1 Comme les soins, l'éducation du patient doit
L'éducation thérapeutique du patient doit être un être :
processus systémique d'apprentissage centré sur • non discriminante ;
le patient. • permanente ;
• Processus  : c'est un ensemble d'actes éduca- • formalisée ;
tifs, consécutifs, réalisés au cours de plusieurs • adaptée à chaque patient et actualisée ;
consultations, hospitalisations…, car le patient • de la responsabilité de tous les soignants.
s'inscrit dans un parcours de vie, une filière D'où la nécessaire réflexion en équipe pour
de prise en charge. C'est la différence avec s'accorder sur :
une simple délivrance d'informations (actes • la finalité que l'on poursuit ;
ponctuels). Un programme éducatif doit être • la reconnaissance de la globalité de la prise en
adapté, modifié en fonction des choix, possibi- charge ;
lités et besoins du patient. Il doit être connu et • l'organisation ou la réorganisation des soins
partagé par les autres professionnels de santé afin d'intégrer cette dimension éducative ;
que le patient rencontrera dans son parcours. • le moyen de « tracer » cette activité au même
• Systémique  : ce processus complexe évolue titre que les autres sur les supports existants
dans un contexte soignant–soigné en constante (dossier patient).
interaction. Il conviendra d'ailleurs d'identifier L'éducation thérapeutique du patient doit donc
sur quelles actions on pourra agir, à chaque être prise en compte dans le pilotage d'une struc-
moment du parcours. ture de soins.
• Apprentissage  : mettre le patient en situation
d'apprendre et l'accompagner pour favoriser Critère no 4
l'appropriation. Chaque patient a des connais- Elle concerne la vie quotidienne du patient et
sances, des compétences, des ressources qui lui son environnement psychosocial, et doit impli-
sont propres. Il faut donc adapter l'apprentis- quer autant que possible la famille et l'entourage
sage à ce « capital ». La situation d'apprentissage proche.
est faite d'échanges entre soignant et soigné, Dans la vie quotidienne du patient, il est impor-
et non de savant à ignorant (d'où une certaine tant de repérer ses habitudes de vie (rythmes de vie,
humilité de la part du soignant…). de travail). Le patient doit pouvoir s'exprimer sur :
• Centré sur le patient : le patient n'est pas « l'objet » • ses objectifs de vie : ses projets, ses incertitudes,
de la démarche éducative. Il doit contribuer à son ses questionnements sur son devenir ;
élaboration. La démarche éducative est « centrée » • la place de son travail, de sa famille, de ses loi-
sur la personne et non sur la maladie. Ainsi, il est sirs, de ses relations sociales, etc.
primordial de respecter les préférences du patient • ses limites : quelles concessions peut-il faire par
et d'acter des décisions partagées. rapport à ses habitudes de vie, ses croyances ?

19
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

• ses ressources  : personnelles, familiales voire • Elle est organisée :


financières, etc. – les moyens nécessaires à la démarche sont
On ajoute qu'il convient d'apprécier la place de listés et mis à disposition (lieu adapté, outils
la famille, de l'entourage du patient et son impli- pédagogiques, etc.) ;
cation. Pour cela, il faut tenir compte : – un calendrier de mise en œuvre est établi ;
• du souhait du patient et de celui de l'entourage – le détail des apports et du contenu est clai-
quant à l'engagement de ce dernier dans la prise rement établi et rédigé, en précisant qui fait
en charge de la maladie ; quoi.
• des interactions relationnelles : permettre à l'en- • Elle est proposée systématiquement à tous les
tourage de s'exprimer quant à la place qu'il sou- patients, car structurée, organisée et non dis-
haite prendre (en termes de responsabilité…). criminante. Le patient a le choix de participer
Par exemple, lorsque le soignant confie à la ou non à un programme d'éducation.
fille ou à l'épouse de « surveiller » les boissons,
le régime, la prise des médicaments, etc., quelles Critère no 7
peuvent en être les conséquences dans les rela- Elle doit utiliser des méthodes et moyens variés
tions familiales ? d'éducation et d'apprentissage.
La démarche éducative trouve ancrage à la
Critère no 5 fois dans la médecine, la pédagogie, les sciences
C'est un processus continu qui doit être adapté en humaines et sociales…
permanence à l'évolution de la maladie, de l'état Elle s'appuie sur des théories de l'apprentissage,
de santé du patient et de sa vie ; c'est une partie de dont les méthodes et les moyens sont reconnus
la prise en charge au long cours. et les résultats éprouvés. Le choix de ces derniers
Ce critère met en exergue le caractère évolutif tient compte des désirs du patient, de sa person-
du contexte global de la maladie et de l'état de nalité et de son rythme. Leur utilisation se fait
santé du patient ainsi que de tout ce qui fait sa vie. au cours d'entretiens individuels, collectifs ou en
Parallèlement, la prise en charge doit favoriser : alternance.
• la capacité permanente d'adaptation du patient ; Ces méthodes et moyens doivent être décrits
• la nécessaire vigilance des soignants  : faire dans le projet éducatif, évalués et réajustés (voir
le point régulièrement avec le patient lors de critère no 9).
consultations de suivi, proposer aux patients
de téléphoner en cas d'éléments nouveaux, per- Critère no 8
mettre d'ajuster… ; Elle est multiprofessionnelle (toutes les catégories
• la réactivité soignante, qui doit rester intacte et de soignants) et multidisciplinaire (approches de
cohérente au fil des nombreuses consultations santé, de soins et de sciences humaines) et néces-
ou hospitalisations. site un travail en réseau.
• Multiprofessionnelle : chaque professionnel doit
Critère no 6 s'emparer de la démarche éducative et y contri-
Elle doit être structurée, organisée et proposée buer au sein de l'équipe. L'approche multiprofes-
systématiquement à tous les patients. sionnelle et multidisciplinaire favorise un ­partage
• Elle est structurée : tout en rassemblant différents points de vue et
– il s'agit d'une démarche : permet l'harmonisation de la prise en charge.
– construite à partir d'une analyse préalable Il paraît de ce fait contre-productif de désigner
des besoins au sens large, des moyens dis- dans une équipe un responsable de l'éducation
ponibles, des objectifs fixés, etc., auprès duquel on adresserait tous les patients.
– dont on peut évaluer le processus de mise • Multidisciplinaire  : la multidisciplinarité ne
en œuvre, fait pas ici référence aux différentes disciplines
– capable d'adaptation (voir le critère no 5) ; médicales (cardiologie, endocrinologie, etc.)
– cela suppose qu'il existe un document écrit de mais plutôt au fait que tous les acteurs d'une
présentation de la démarche, connu et par- équipe doivent acquérir des connaissances
tagé par les membres d'une équipe. et des compétences relevant des sciences

20
Chapitre 2. Éducation thérapeutique du patient : définition et généralités

humaines pour mieux comprendre le patient, Critère no 10


et pouvoir ainsi mieux expliquer et mettre Elle est réalisée par des professionnels des soins
en place avec lui les conditions du soin et du formés à cet effet.
traite­ment. Les compétences nécessaires à la mise en œuvre
• Concernant le travail en réseau  : toute d'une démarche éducative sont diverses et complé-
démarche éducative doit comprendre une étude mentaires : il s'agit de compétences relationnelles,
de la filière de prise en charge du patient, qui pédagogiques, organisationnelles et biomédicales.
permette l'identification des différents acteurs Elles s'expriment également dans la capacité à
concernés, en amont et en aval de l'hospitalisa- travailler en équipe et à coordonner son action
tion, à l'intérieur comme à l'extérieur d'un éta- avec celle de l'autre.
blissement hospitalier. Il convient de déterminer les besoins en forma-
tion des acteurs en fonction de :
Critère no 9 • leurs compétences propres (formations initiale
et continue) ;
Elle doit inclure l'évaluation du processus d'ap-
• leur niveau d'implication dans le projet.
prentissage et de ses effets.
L'évaluation consiste à porter un jugement par
rapport à une norme afin de prendre une déci-
sion. Elle s'applique au déroulement du processus Critères qualités de la HAS pour
et aux résultats. Elle doit être déclinée en équipe, une éducation thérapeutique
le plus tôt possible dans le projet. structurée (tableau 2.3)
La construction des outils d'évaluation appar-
tient au professionnel. Le bilan, lui, est partagé En France, la HAS, dans son guide méthodolo-
entre le professionnel et le bénéficiaire. gique sur l'éducation thérapeutique du patient
L'évaluation doit être continue pour permettre publié en 2007, se réfère et reprend intégrale-
un réajustement des actions mises en place. ment les critères émis par l'OMS décrits ci-dessus

Tableau 2.3 Critères de qualité de l'éducation thérapeutique du patient


Être centrée sur le patient : intérêt porté à la personne dans son ensemble, respect de ses préférences, prise de
décision partagée
Être scientifiquement fondée (recommandations professionnelles, littérature scientifique pertinente,
consensus professionnel) et enrichie par des retours d'expérience des patients et de leurs proches, pour ce
qui est du contenu et des ressources éducatives
Faire partie intégrante du traitement et de la prise en charge
Concerner la vie quotidienne du patient, les facteurs sociaux, psychologiques et environnementaux
Être un processus permanent, qui est adapté à l'évolution de la maladie et au mode de vie du patient ; elle fait partie
de la prise en charge à long terme 
Être réalisée par des soignants formés à la démarche d'éducation thérapeutique du patient et aux techniques
pédagogiques, au travail en équipe et à la coordination des actions
S'appuyer sur une évaluation des besoins subjectifs et objectifs, de l'environnement du patient (diagnostic éducatif)
et être construite sur des priorités d'apprentissage perçues par le patient et le professionnel de santé
Se construire avec le patient et impliquer autant que possible les proches du patient
S'adapter au profil éducatif et culturel du patient, et respecter ses préférences, son style et son rythme
d'apprentissage
(Suite)

21
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

Tableau 2.3 Suite
Être définie en termes d'activités et de contenus, être organisée dans le temps, réalisée par divers moyens éducatifs :
– utilisation de techniques de communication centrées sur le patient
– séances collectives ou individuelles, ou en alternance, fondées sur les principes de l'apprentissage chez l'adulte (ou
l'enfant)
– accessibilité à une variété de publics, en tenant compte de leurs culture, origine, situation de handicap,
éloignement géographique, ressources locales et du stade d'évolution de la maladie
– utilisation de techniques pédagogiques variées qui engagent les patients dans un processus actif d'apprentissage et
de mise en lien du contenu des programmes, avec l'expérience personnelle de chaque patient
Être multiprofessionnelle, interdisciplinaire et multisectorielle ; intégrer le travail en réseau
Inclure une évaluation individuelle de l'ETP et du déroulement du programme
Source : Haute Autorité de santé (HAS). Structuration d'un programme d'éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques.
Guide méthodologique. 109 pages [Internet], 2007. Disponible en ligne sur : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/etp_-_guide_
version_finale_2_pdf.pdf

(tableau  2.2) et propose d'ajouter, notamment, [5] Sandrin  B. Éducation thérapeutique du patient,
quelques critères (tableau 2.3) [14] : retour vers le futur. Santé Éducation 2014 ; 20–3.
• la démarche d'éducation du patient doit être [6] Bartlett EE. Historical glimpses of patient education in
scientifiquement fondée en se référant à des the United States. Patient Educ Couns 1986 ; 8  :
135–49.
recommandations professionnelles, une litté-
rature scientifique pertinente ou des consen- [7] Miller LV, Goldstein V. More efficient care of diabe-
tic patients in county-hospital setting. N Engl J Med
sus professionnels. Elle est enrichie par les 1972 ; 286 : 1388–97.
retours d'expérience des patients et de leurs
[8] Lacroix  A, Assal  JP. L'éducation thérapeutique des
proches ; patients : accompagner les patients avec une maladie
• l'évaluation de l'activité éducative s'applique au chronique  : nouvelles approches. Paris  : Maloine ;
patient, au soignant et au programme ­lui-même ; 2011. p. 220.
• l'offre éducative doit s'étendre à une variété [9] Organisation mondiale de la santé (OMS).
de public, en tenant compte de leur culture, 1re Conférence internationale pour la promotion de
origine, situation de handicap, éloignement la santé. Ottawa : OMS ; 1986.
géographique, ressources locales et du stade [10] van Ballekom  K. L'éducation du patient en hôpital  :
d'évolution de la maladie. Cette notion d'acces- l'autonomie du patient, de l'information à l'éducation :
une étude sur l'éducation du patient en hôpital.
sibilité garantit l'équité de l'offre éducative et
Pratiques et politiques en Belgique, Royaume-Uni,
de soins sur tout le territoire national. France et Pays-Bas. Conclusions et recommandations
pour la Belgique. Godinne  : Centre d'éducation du
patient ; 2008.
[11] Loi no  2002-303 du 4  mars 2002 relative aux droits
Références des malades et à la qualité du système de santé.
[12] Loi no 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance
[1] Organisation mondiale de la santé (OMS). Éducation maladie.
thérapeutique du patient. Programmes de formation
continue pour professionnels de soins dans le domaine [13] Ministère des affaires sociales, de la santé et des
de la prévention des maladies chroniques. OMS ; 1998. droits des femmes. Plan pour l'amélioration de la
qualité de vie des personnes atteintes de maladies
[2] Boutinet JP. Antropologie du projet. Paris : PUF ; 2012. chroniques 2007–2011.
[3] Chambouleyron  M, Lasserre-Moutet  A, Lagger  G, [14] Haute Autorité de santé (HAS). Structuration d'un
Golay  A. L'éducation thérapeutique du patient, programme d'éducation thérapeutique du patient
quelle histoire  ! Médecine des Maladies Métaboliques dans le champ des maladies chroniques. Guide
2013 ; 7 : 543–7. méthodologique. 109 pages [Internet]. 2007.
[4] Tourette-Turgis  C. L'éducation thérapeutique du Disponible en ligne sur http://www.has-sante.fr/por-
patient : champ de pratique et champ de recherche. tail/upload/docs/application/pdf/etp_-_guide_ver-
Savoirs 2014 ; 35 : 11–48. sion_finale_2_pdf.pdf.

22
Chapitre 2. Éducation thérapeutique du patient : définition et généralités

[15] Loi no 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de ETP ? Ampleur du phénomène et implications. In  :
l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux 5e  Congrès de la Société d'éducation thérapeutique
territoires. européenne (SETE) ; 2014 Paris.
[16] Décret no 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux condi- [27] Mutualité française. Les programmes d'éducation
tions d'autorisation des programmes d'éducation thérapeutique du patient près de chez vous [Internet] ;
thérapeutique du patient. 2015. Disponible en ligne sur http://www.priorite-
[17] Institut national de prévention et d'éducation pour la santemutualiste.fr/psm/programmes-etp.
santé (INPES). Référentiel de compétence des prati- [28] Jaffiol C, Corvol P, Reach G, et al. Rapport sur l'édu-
ciens en ETP [Internet] ; 2011. Disponible en ligne sur cation thérapeutique du patient (ETP), une pièce
http://www.inpes.sante.fr/referentiel-competences- maîtresse pour répondre aux nouveaux besoins de la
ETP/pdf/referentiel-praticien.pdf. médecine. Académie nationale de médecine ; 2014.
[18] Institut national de prévention et d'éducation pour la p. 23.
santé (INPES). Référentiel de compétence pour les coor- [29] Gachet  A, Rosier  F, Waterlot  C, Bally  S.
donnateurs de programme [Internet] ; 2011. Disponible Représentations des médecins généralistes de l'édu-
en ligne sur http://www.inpes.sante.fr/referentiel-­ cation thérapeutique du patient  : étude qualitative
competences-ETP/pdf/referentiel-coordination.pdf. menée auprès de 31 médecins généralistes de Savoie.
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identité oscillante. Deux tendances émergentes en

23
Éléments d'éthique Chapitre 3

La pratique de l'ETP, en raison de son sujet, fait recul, voire de l'éradication des maladies infec-
nécessairement surgir un certain nombre de tieuses enregistrée jusque-là.
questionnements d'ordre éthique. Il paraît inté- À partir de là, le malade va revendiquer de plus
ressant d'apporter des éléments de réflexion, sans en plus sa place. Dans notre pays, la loi de 2002
avoir pour autant la prétention d'y répondre de sur le droit des patients inscrit dans le marbre
façon exhaustive. cette évolution sociale et politique. L'ETP émerge
Il ne s'agit pas par ailleurs de remettre en cause dans ce contexte et se réclame d'une conception
les dispositifs décrits dans cet ouvrage. Il nous et d'une pratique fondée sur une prise en soin
importe d'accompagner par ce chapitre chaque holistique de la personne. Mais entre les mots et
professionnel dans une réflexion personnelle par les faits, il peut y avoir dissonance, voire déviance,
rapport à ses pratiques éducatives existantes ou en d'où la nécessité d'une vigilance éthique.
devenir.

Force et poids
Évolution de la relation de la réglementation [2–4]
soignant–patient [1]
Inscrite dans le Code de la santé publique par la
Jusqu'à la fin des Trente Glorieuses, nous avons loi HPST de 2009, l'ETP rentre donc dans l'ordre
appris à guérir les maladies aiguës. De ce fait, social et devient une norme qui va dans le sens de
beaucoup de ces maladies sont devenues chro- l'intérêt collectif. Ce principe vise à favoriser chez
niques, comme dans le cas de l'infection à VIH. le citoyen l'adoption de comportements de santé
Ce changement de paradigme, dans lequel l'ETP adaptés.
s'intègre, constitue une révolution copernicienne. Ces comportements suggérés comme bons sont
En effet, il y a bien longtemps, Gui de Chauliac dotés d'une valeur morale. La recherche d'une
(1298–1368) énonçait que « le médecin attend de bonne santé devient ainsi une valeur civique
son patient qu'il lui obéisse tel un serf à son sei- absolue pour les citoyens. En effet, parce que la loi
gneur ». Au nom de cette soumission, le médecin organise les dépenses de santé de la collectivité,
pouvait prendre des libertés avec la vérité, voire celle-ci se donne un droit de regard moral sur la
mentir au patient « pour son bien ». Quelques gestion des maladies dans le pays.
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siècles plus tard, Louis Pasteur disait aussi : « Je ne À un niveau individuel, la loi met en rapport
te demande pas ta race, ta religion. Tu souffres : tu avec autrui. Toute inscription sociale ne peut se
m'appartiens. » fonder que sur un renoncement partiel de ses
Ces conceptions ont perduré jusque dans les propres envies et pulsions d'individu. Mais, où se
Pratiquer l’éducation thérapeutique

années 1970. Puis la médecine a évolué. D'empi- situent les limites de ce renoncement conscient ? À
rique, elle est devenue scientifique, amenant à l'échelon de l'individu, la réflexion sur les actions
la médecine basée sur les preuves. À partir des relève de l'éthique personnelle, mais l'environ-
années 1980, des avancées médicales considé- nement moral des normes collectives reste tou-
rables, hypersophistiquées et hypertechniques, jours présent en chacun. Ces normes morales en
prennent place. Cependant, des points d'ombre se « rouvrant à elles-mêmes », selon l'expression
persistent ou émergent, comme l'apparition du de J.-M. Mouillié, évitent l'écueil de la sclérose et
Sida qui tient en échec la médecine, en dépit du contribuent à la réflexion éthique [3].

25
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

De la morale sociale à l'éthique logique. Le travail d'éducation avec le soignant


consiste donc à élucider cette intuition normative
individuelle [4, 5] universelle. L'éducation vise à aider le patient à
puiser en lui-même pour bâtir sa normativité sin-
P. Ricœur définissait ainsi la visée éthique : c'est gulière de santé. Ce processus s'accompagne d'une
« la visée de la bonne vie avec et pour les autres restructuration identitaire incluant sa maladie [8].
dans des institutions justes » [5]. Il s'agit donc de De ce fait, le soignant doit composer avec d'une
définir une dynamique vers la vie bonne, et non part la norme médicale, qui renseigne sur les
de définir cette dernière. Les institutions justes conditions scientifiques de la vie bonne, et d'autre
sont là pour garantir la possibilité d'une vie bonne part la norme du patient, ou autonormativité, qui
à tous, sans laisser le plus vulnérable à la merci de est en rapport avec ses désirs et le sens qu'il veut
la violence ou de la bonne volonté des puissants. donner à sa vie [7, 8].
La vie bonne ainsi définie n'est ni la santé, ni ne
se résume à la santé. Certains malades préfèrent
d'ailleurs choisir ce qui a du sens à leurs yeux plu-
tôt que de faire le choix du raisonnable. Le patient est-il libre
Dans le domaine de l'ETP, il y a donc un risque
de confusion, entre l'énonciation de ce qui est dans son environnement ? [11]
« bon pour la santé » et la prescription d'une bonne La réponse est évidemment négative. Toute per-
manière de vivre. C'est en revanche le patient qui sonne s'intègre dans un environnement familial,
choisit ses actions et qui élabore le sens de sa vie, professionnel et social, porteur de sens, mais aussi
en particulier parce que c'est lui qui l'interprète, de contraintes. Toute modification des concep-
lui qui la raconte. La question de la confronta- tions ou des comportements du patient a des
tion de la norme extérieure, celle des soignants, conséquences sur l'environnement proche et réci-
à la norme intérieure, celle du malade, est donc proquement. Considérer l'individu ne peut s'envi-
constamment interrogée. sager qu'à un niveau systémique.
Dans ce cadre, l'environnement influe consi-
dérablement sur le destin de chacun. Les grandes
Entre la norme biomédicale avancées en matière de santé au cours du xxe siècle
ont été réalisées en partie grâce à l'amélioration
et la norme du patient [4, 5–9] des conditions de vie et d'hygiène. Par exemple, la
régression épidémiologique de la tuberculose est
À l'instar de la religion autrefois, l'autorité médi-
davantage liée à l'amélioration du niveau de vie
cale édicte une norme pour dire ce qui est bon.
qu'à l'usage de la vaccination et des antibiotiques.
Prolongeant la définition de la santé donnée par
Ne pas prendre en compte un environnement
l'OMS, celle-ci relèverait d'aspects médicaux mais
nocif pourrait induire chez le patient un senti-
aussi psychologiques et sociaux [10]. Toute trans-
ment de culpabilité non justifié, amenant à une
gression de cette norme risque alors d'engendrer
diminution de l'estime de soi et de son sentiment
une culpabilité.
d'autoefficacité.
Qu'en est-il de la norme du patient ? P.  Barrier
développe la notion d'« autonormativité » [7]. Il la
définit comme une recherche personnelle de sa
propre force, de son désir de se prendre en charge, Y a-t-il une vérité médicale ?
de son désir de soins, d'équilibre et d'harmonie.
La base philosophique de ce concept émane des L'ETP propose une transmission de savoirs
écrits de G. Canguilhem qui établit que la norme d'ordre cognitif, comportemental ou d'attitude.
fait partie du vivant et non du discours du méde- Mais ces savoirs sont-ils certains ? Sont-ils issus
cin : « La norme de la vie, c'est se maintenir et se d'une vérité absolue ? La réponse est là aussi à
développer. » [9] L'homme prend conscience d'une nuancer. Le fait que la médecine soit fondée sur
normativité biologique et, de ce fait, peut ressentir l'existence de preuves (evidence based medicine)
comme tel un état ou un comportement patho- limite le risque d'erreur, mais ne l'annule pas.

26
Chapitre 3. Éléments d'éthique

S'il est vrai que tout est changement, la « vérité Il s'agit donc de garder une souplesse face au
médicale », comme d'autres, évolue et ce qui était patient, afin de rester le plus possible sensible à
vrai hier ne l'est plus nécessairement aujourd'hui. ses particularités et ses besoins. Les programmes
Le rappel de la labilité des connaissances scienti- autorisés par les ARS ne doivent pas non plus
fiques doit nous conduire à davantage d'humilité. devenir des carcans administratifs pour les
Toutefois, une difficulté réside dans le fait que le équipes soignantes, mais rester des soutiens orga-
patient a besoin de percevoir une assurance et une nisationnels.
certitude chez le soignant, afin de pouvoir s'enga- Des recherches sont actuellement en cours sur
ger dans le processus thérapeutique. Là se trouve de nouveaux formats, notamment en soins de
un équilibre subtil qu'il convient d'atteindre. Ainsi, premier recours [15]. L'ETP ponctuelle hors pro-
faire part de doutes en tant que soignant face au gramme, intégrée dans le soin, est également une
patient n'est pas toujours synonyme d'angoisse réponse complémentaire possible [16].
pour ce dernier. Cela peut aussi être porteur d'es-
poir et permettre d'envisager pour demain une
amélioration de la prise en charge d'une maladie Les mots « éducation » et
anciennement incurable, grâce à l'amélioration des « thérapeutique » sont-ils bien
techniques et des traitements. C'est par exemple le cas compris ?
pour l'hépatite C, qui est maintenant guérissable dans
presque la totalité des cas avec les nouveaux antiviraux. Les mots « éducation » et « thérapeutique » ne sont
Enfin, les connaissances médicales s'appuient pas neutres et peuvent être compris différem-
sur des preuves fondées sur des comparaisons sta- ment par tout un chacun. Cela amène à évoquer
tistiques. À l'échelon individuel, la transposition la notion de représentation abordée par ailleurs
de ces vérités collectives n'est parfois plus juste. (voir chap.  2, Le choix des mots « éducation » et
Aussi, convient-il d'accepter de relativiser nos « thérapeutique »).
certitudes. D'autres réalités peuvent exister sans Le mot « éducation » peut rappeler l'enseigne-
qu'une preuve n'en soit encore apportée. ment scolaire ou l'éducation parentale. Or, comme
l'énonce H. Arendt, « on n'éduque pas un adulte
sinon pour le dominer » [17]. Dans l'esprit de cette
philosophe, le mot éducation risque d'infantiliser
Le format de l'ETP en question le patient en présence du soignant. C'est pourquoi
certains auteurs préfèrent le terme d'apprentis-
L'institutionnalisation de l'ETP en France est une sage, car il est concret et investi d'une dimension
grande avancée. La loi garantit une qualité, un artisanale. L'artisan adapte son outil à tout ins-
déploiement sur le territoire, une pérennisation tant, « bricole » avec le réel dans un but déterminé
et, autant que faire se peut, des moyens financiers et harmonieux [7, 18]. D'autres utilisent les termes
spécifiques. de formation  [19], accompagnement, entraîne-
ment, développement personnel, etc. Mais tous
Notion de programme d'ETP  ces mots ont également leurs limites.
Il en va de même pour le mot « thérapeutique ».
[11–14] Son évocation souligne que l'ETP s'inscrit dans le
L'ETP est organisée dans notre pays sous la forme soin et qu'elle est portée par des soignants. Tou-
de programmes structurés portés par des équipes tefois, il ne faudrait pas donner l'impression que
de soignants, en collaboration avec des patients. l'ETP se limiterait à des aspects purement biomé-
Le contenu est co-construit pour un apprentis- dicaux et thérapeutiques, ayant pour finalité prin-
sage du patient dans un but d'autonomie et d'une cipale « une bonne observance » du patient. L'ETP
meilleure qualité de vie. s'intéresse aussi et, parfois, surtout à la sphère
Si ce cadre d'organisation porte en lui beaucoup psychosociale.
d'avantages en termes d'efficacité et de cohésion Il est donc nécessaire que le soignant soit averti
interdisciplinaire, le format proposé peut présen- de l'ambiguïté de ces notions. L'éducation ici envi-
ter un risque de rigidification des contenus et de sagée n'est pas un formatage, mais un accompa-
stéréotypie des attitudes des soignants. gnement dans un apprentissage co-construit. Face

27
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

au patient, il convient donc d'éclaircir dès le début de partager leurs intentions et de les confronter à
ce que l'on entend par ces mots, de confronter et celles du patient. Si le patient donne son accord, il
respecter les conceptions de chacun et d'expliquer mobilise son attention et s'ouvre à la nouveauté, ce
ses propres intentions de soignant. qui est un prérequis pour tout apprentissage.

Les économies de santé Compétences et objectifs éducatifs


engendrées par l'ETP justifient- du patient [8, 11, 13]
elles sa pratique ? [8, 11, 13] L'utilisation du concept de compétence appliqué
Si l'ETP se justifie pour des raisons éthiques et au patient rend compte de l'acquisition de savoirs
sociologiques (besoin du citoyen de décider pour complexes et de leur mobilisation effective dans
sa santé), ainsi qu'épidémiologiques (augmenta- la vie quotidienne  [13]. Pour légitime et efficace
tion des maladies chroniques et allongement de la qu'il soit, ce concept de compétence du patient
durée de vie), elle peut l'être aussi pour des raisons peut être mal compris ou interprété par certains
économiques (économies pressenties en raison de et donner l'impression d'une logique de perfor-
la diminution des complications, hospitalisations, mance. De ce fait, certains auteurs préfèrent l'uti-
etc.). lisation des mots « maîtrise » ou « capacité » qui
Sur ce dernier point, il existe un risque à vouloir évoqueraient pour le patient la liberté de pouvoir
trop souligner la nécessité de promouvoir l'ETP en user à sa guise [8].
pour des raisons économiques. En effet, l'argu- Pour réaliser un plan éducatif personnalisé,
ment pourrait être retourné. Certes, le système les soignants établissent avec le patient une liste
de santé sera moins mis à contribution pour un d'objectifs d'apprentissage et d'accompagnement
patient souffrant d'une maladie chronique qui se à atteindre pour assurer une bonne prise en soin.
soigne correctement, qui fera moins de complica- La position éthique consiste à veiller à ce que le
tions, sera moins souvent hospitalisé et ne connaî- patient ait pu exprimer ses propres besoins, que
tra pas d'escalade thérapeutique dispendieuse. les objectifs soient bien compris et acceptés par le
Mais sans être cynique, les dépenses sociales et de patient et qu'ils ne se limitent pas à ceux du soi-
santé sur le long terme risquent de devenir plus gnant.
importantes sur l'ensemble d'une vie plus longue. Dans cette pédagogie par objectif, une vigi-
C'est pourquoi invoquer des raisons financières lance particulière consiste à ne pas placer la barre
pour le développement de l'ETP est dangereux. trop haut, afin que le patient ne se retrouve pas en
Il convient donc d'assumer que la société impute situation d'échec. Cela aurait pour conséquence
des crédits à l'ETP pour la santé et le bien-être du de le stresser, de le dévaloriser et de le culpabiliser.
plus grand nombre, mais non en vue de réaliser La technique des petits pas semble éthiquement
des économies. justifiée. Elle permet de cultiver les petites réus-
sites, de stimuler ainsi la motivation et de vérifier
que les objectifs et les méthodes pour les atteindre
Le patient est-il bien d'accord sont toujours adéquats [11].
pour participer à l'ETP ?
Demander au patient s'il consent à participer à un Le soignant est-il légitime pour
programme d'ETP fait partie des obligations des « changer » ce que pense ou fait
soignants.
le patient ? [11]
Il convient d'en comprendre l'intention. Il ne
s'agit pas de demander au patient une signature, Il est tentant pour le soignant de vouloir mode-
comme cela se fait pour un protocole de recherche. ler le patient en se référant à l'image du « bon
L'idée est de vérifier avec lui que la proposition patient ». La question est donc double, celle du
d'apprentissage lui convient, qu'il est d'accord pour pouvoir que s'octroierait le soignant et celle de la
commencer à cheminer avec les soignants sachant représentation du patient idéal. Or, le patient idéal
que les objectifs seront convenus avec lui. Ce n'existe pas, heureusement. Cette référence a tout
temps de départ offre l'opportunité aux soignants lieu d'être corrigée.

28
Chapitre 3. Éléments d'éthique

Pour ce qui est du pouvoir que les soignants Au final, s'il y a accord du patient, vouloir évo-
auraient de changer le patient, l'évocation luer par l'ETP amène celui-ci, comme d'ailleurs
même de la notion de pouvoir constitue d'em- aussi le soignant, à un changement de posture et
blée une objection. L'essence de l'ETP repose d'identité.
sur une relation partenariale. Par ailleurs, vou-
loir changer l'autre contre son gré n'a aucune
chance d'aboutir. La liberté de ne pas adhérer
Il convient donc de rechercher un accord du
patient de vouloir changer, par exemple, un com-
au traitement ? [11, 20–22]
portement de santé. Pour ce faire, il existe alors L'une des principales normes médicales consiste
des conditions de réussite qu'il convient de visiter à suivre assidûment la prescription médicale. La
avec le patient [6] : vérité médicale qui justifie cette prescription s'ap-
• son niveau d'acceptation de sa maladie (étapes puie sur des preuves cliniques bien établies par
du deuil de Kübler-Ross) et sa disposition au des études scientifiques. Cependant, en réalité,
changement (Prochaska) : voir chap. 5, Tempo- seuls 50 % des patients suivent correctement leurs
ralité et changement de comportement ; prescriptions, pourcentage encore inférieur pour
• son niveau de connaissances sur la maladie et le les règles hygiéno-diététiques et les changements
traitement ; de comportements de santé (voir chap. 11, Adhé-
• ses croyances et ses représentations sur la mala- sion au traitement).
die et le traitement, mais aussi sur le sens qu'il Malgré les conséquences parfois graves pour le
donne à ce qui lui arrive… patient de ne pas adhérer au traitement, sa déci-
Si les deux premiers critères sont d'ordre psy- sion doit toujours être considérée comme respec-
chologique et cognitif, le troisième relève d'un table, et doit être accueillie comme l'expression de
domaine intime qui touche à l'identité du patient, son énergie vitale, investie dans l'effort de main-
à son histoire, à ses conceptions non seulement tenir son identité et sa liberté.
personnelles, mais aussi culturelles, familiales et Il existe toujours des causes à la non-adhésion,
communautaires [4]. Changer un comportement parfois difficiles à déceler, qu'il convient d'explo-
interfère donc avec ces domaines et reste toujours rer avec le patient. Cette situation souvent délicate
difficile. pour le soignant, peut être l'opportunité pour lui
La question du changement de comportement de faire preuve de créativité pour trouver de nou-
amène à interroger le processus même de l'appren- velles options thérapeutiques plus adaptées.
tissage  [11]. On sait maintenant qu'apprendre ne Une bonne adhésion à un traitement s'accom-
consiste pas à ajouter des informations à d'autres pagne souvent d'une relation de confiance entre le
informations, mais nécessite une réorganisation patient et le soignant [11, 21, 23]. La confiance crée
cognitive qui conduit à des changements. Pour des intérêts réciproques. Le soin est une conversa-
apprendre de nouvelles choses, il faut abandon- tion, ainsi qu'un regard sur soi-même. « Le patient
ner des conceptions antérieures et réorganiser des se soigne s'il a le souci de lui-même, et s'il s'aime ; le
schémas de pensée plus ou moins conscients. Les soignant le soigne s'il a le souci de lui, s'il l'aime et
modifications de pensées et de comportements s'il s'aime ! » nous dit G. Reach [21]. L'instauration
ressenties par le patient peuvent au bout du compte de la relation de confiance contribuerait à créer et
être importantes, voire modifier sa perception iden- maintenir l'adhésion au traitement [11, 21, 23].
titaire. En miroir de la non-adhésion du patient,
Un changement de comportement demande une non-adhésion du soignant est possible. On
donc obligatoirement l'adhésion et la motivation nomme ce phénomène « l'inertie clinique du
forte du patient. Le recueil préalable du consen- médecin » [22]. La non-adhésion du patient et celle
tement éclairé du patient a ici tout son sens. Par du soignant forment un reflet l'une de l'autre : le
cet accord, le patient accepte de se laisser désta- patient sait qu'il existe un traitement, il a compris
biliser. Au cours du processus, des paradoxes et ce qu'il doit faire pour le prendre, il a les moyens
des incohérences risquent fort de survenir, pou- de le faire et n'a pas oublié qu'il doit le prendre, il
vant entraîner un inconfort, voire des angoisses. est d'accord pour le prendre et pourtant, il ne le
Il conviendra alors de savoir les accompagner. prend pas ! Face à cela, le médecin sait qu'il y a des

29
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

recommandations de traitement, il pense que cela laissant advenir autrui dans la réalité de son être
s'applique à son patient, il a les ressources pour les propre, paraît juste  [2, 4]. Le soignant se trouve
appliquer et pourtant, il ne le fait pas [22] ! alors en position d'appui. Il devient conseiller et
témoin, offrant des questionnements,  des ana-
lyses, un dialogue  [2]. Dans cette dyade, deux
Vers quel type de relation expertises s'expriment, celle du patient, dont
soignant–soigné tendre ? le savoir est celui d'un « expert » de sa vie avec
la maladie, et celle du soignant, relevant du
Nous ne sommes plus dans le modèle paterna- domaine scientifique et biomédical. Notons que
liste où le médecin décide et le patient exécute certains désignent l'expertise du patient comme
et fait automatiquement confiance. Pour autant, « profane ». Cette acception risque d'induire un
il ne s'agit pas non plus de s'interdire d'influen- « sacré » en miroir qui reviendrait implicitement
cer le patient. Entre une prise de pouvoir et un au monde des soignants. La position du patient
laisser-aller, il est possible et nécessaire d'envi- resterait ainsi par essence subordonnée à celle des
sager une troisième voie, celle de la rencontre soignants.
partenariale et du partage entre les deux parties. Enfin, dans cette relation, le soignant peut se
Dans le cadre d'une relation d'aide, le soignant, considérer aussi comme apprenant. Comme dans
par une posture éducative adaptée, peut susciter tout échange duel, l'enrichissement est mutuel. Au
l'envie chez le patient d'augmenter sa puissance fil du temps, le soignant se trouve modifier dans
et sa capacité à agir sur son état de santé avec sa posture et dans son identité, par l'expérience
la maladie, surtout lorsqu'il est en situation de partagée avec les patients [27]. Il y a réciprocité au
vulnérabilité [11, 24, 25]. sens de P. Ricœur [5].
Dans la relation, le patient n'est pas objet, mais
sujet désirant [26]. Accepter ce fait, c'est lui recon-
naître sa position « d'auteur » de sa vie. Comme Quelle finalité pour l'ETP ?
toute personne, le patient est un sujet libre de La qualité de vie, l'autonomie,
choix. Certes, il peut être pris dans les filets de
l'ambivalence et des contradictions. Ceci s'ap- la responsabilité du patient ?
plique d'ailleurs aussi aux soignants. Tout un cha- [3, 4, 25, 28]
cun ressent l'attirance de la liberté et la difficulté
à l'assumer. D'après la définition de l'OMS, le but de l'ETP
Sans cette liberté, il ne peut y avoir de chan- est d'aider le patient à maintenir et améliorer sa
gement durable et fécond. L'adaptation d'une qualité de vie. Si les soins et l'éducation visent
personne dépend de sa motivation et sa volonté, à augmenter la durée de la vie, ils aspirent aussi
de son environnement et des soignants avec qui à améliorer sa qualité. En d'autres termes, pas
elle est en relation. Cela confère d'ailleurs aux de quantité de vie sans qualité de vie. Précisons
soignants une responsabilité évidente. Comme qu'une bonne qualité de vie ne signifie pas de
dans toute relation, les mécanismes de défense du revenir à l'état antérieur de la maladie, ce qui n'a
soi, chez le patient comme chez le soignant, sont pas de sens pour une maladie chronique. La qua-
présents pour maintenir plus ou moins consciem- lité de vie ne peut être appréciée que par le patient
ment l'intégrité et l'homéostasie de l'individu. lui-même [4, 6].
L'enjeu réside donc dans la capacité du soignant Pour tendre vers une bonne qualité de vie, ou
à créer un espace apte à recueillir la parole du pourrait-on dire, une bonne vie, l'autonomie est
patient et ses réactions émotionnelles. Ce dernier une condition nécessaire. Elle permet au patient
a donc besoin de confiance, de sécurité et d'em- de choisir aussi librement que possible ses orienta-
pathie pour s'exprimer afin de déposer une par- tions de vie et de soins. Précisons qu'il existe deux
tie de sa souffrance et de se sentir reconnu comme types d'autonomie : une autonomie fonctionnelle,
sujet  [12]. De la part du soignant, cela demande qui concerne les savoirs et savoir-faire que le
humilité et volonté de ne pas exercer d'emprise sur patient déploie pour gérer sa maladie, et une auto-
l'autre. Dès lors, seule une posture empathique, nomie décisionnelle, qui consiste en sa capacité de

30
Chapitre 3. Éléments d'éthique

poser des choix en matière de santé, de traitement rien l'humanité, qui reste inscrite dans le soin [9].
et de vie [29]. Dans le premier cas, c'est « ce que L'ETP relève de ce même tâtonnement [25].
le patient peut faire », dans le second, « ce que le Autant il peut être nécessaire de changer des
patient veut faire » [30]. comportements individuels de santé, autant il
Si le patient adhère à la norme biomédicale qu'on convient d'agir au mieux sur les conditions de vie
lui propose, il le fait parce qu'il en est convaincu collective et sur l'environnement. On rencontre
et qu'il pense que c'est juste pour lui. Notons que alors les préoccupations directrices des éthiques
la notion d'autonomie reste relative, car le malade du care. Si la logique du choix est une logique de
aura toujours besoin de l'aide de l'équipe soi- responsabilité et de culpabilité, celle du soin relève
gnante dans la gestion de sa maladie [4]. d'une logique de l'adaptabilité, de la ténacité et de
L'autonomie engendre ipso facto une responsa- la persévérance. « La liberté est un dur travail qui
bilité, qui ne signifie pas pour autant culpabilité. relève d'une quantité de petites choses. »  [31] Il
Par exemple, il n'est pas responsable de son capi- s'agit donc ici de dépasser les dichotomies libre/
tal génétique ou de l'environnement qui peuvent pas libre, rationnel/affectif, actif/passif et, par
jouer un rôle important dans l'aggravation de la conséquent, paternalisme/autonomie [18].
maladie. La culpabilisation du patient par les soi- Fort de ces principes, il s'agit de développer une
gnants n'est pas justifiée et doit être remplacée par « sagesse pratique », cette phronesis ou « prudence »
un accueil bienveillant [4]. au moyen de laquelle, disait Aristote, il convient d'al-
L'objectif même de développer l'autonomie est ler vers le préférable et d'exclure l'inacceptable [32].
actuellement débattu par certains auteurs. Il en Dans le soin et l'éducation avec le patient, un tel souci
est ainsi d'A.-M. Mol et d'A. Lacroix, qui postulent conduit à mettre en partie de côté l'aspect technique
que le patient serait davantage dans une logique du métier, de passer de la position d'expert à celle de
de soin que de choix  [12, 18, 31]. La logique de médiateur afin de prendre réellement en compte la
choix signifie que le patient a pour priorité d'être personne que l'on a en face de soi.
en capacité de choisir. Or, cette capacité a tou-
jours été présente, même si les choix n'étaient pas Références
toujours appropriés. Il a toujours été actif dans [1] Jonquet  O. Éthique en recherche. In  : Actes de la
ses choix et sa vie, et non passif. C'est pourquoi 1re Journée Recherche en ETP. Montpellier : Compte
la logique de soin paraît plus adaptée. Dans cette rendu par B. Ait El Mahjoub ; novembre 2013.
optique, la première préoccupation du patient [2] Lecorps  P. Éducation du patient  : penser le patient
comme « sujet » éducable ? Pédagogie Médicale 2004 ;
« n'est pas de savoir qui est celui qui décide, mais 5 : 82–6.
ce qu'il serait bon de faire (…). Comment vivre [3] Collège des enseignants de sciences humaines et
avec un corps qui est à la fois fragile et capable sociales en médecine et santé. Médecine, santé et
de ressentir du plaisir ? »  [31]. L'enjeu est ici de sciences humaines : Manuel. 1re éd. Paris : Les Belles
chercher la vie bonne avec la maladie. Dans la Lettres ; 2011. p. 720.
logique du soin, se joue un ajustement constant [4] Gueullette  JM. Une approche éthique de l'ETP  : des
enjeux multiples. "In : Actes des 12es Journées régionales
et indéfini, effectué ensemble par les soignants d'Échanges en Éducation du patient". Montpellier  :
et le patient, entre les désirs et les possibilités, la Compte rendu par X. de la Tribonnière ; 4 avril 2012.
technologie et les habitudes, la maladie et la vie [5] Ricoeur P. Soi-même comme un autre. Paris : Points ;
sociale [18]. Dès lors, le soin « suffisamment bon », 2015.
au sens de D.W. Winnicott, consiste en une mul- [6] Buttet. Le concept d'éducation pour la santé centrée
sur le patient. Rech Soins Infirm 2002 ; 72 : 41–8.
tiplicité d'actes et de relations s'ajustant aux aléas
[7] Barrier P. La blessure et la force. Paris : PUF ; 2010. p. 160.
de la maladie et soutenant, dans la durée, l'indi- [8] Barrier P. L'ETP comme dynamique d'équilibre et de
viduation toujours inachevée du patient  [18, 23, bienfaits. « In  : Actes des 12es  Journées régionales
31]. Ce dernier, aidé des soignants, peut tisser des d'Échanges en Éducation du Patient ». Montpellier :
relations adaptées visant à faire face à la réalité Compte rendu par X. de la Tribonnière ; 4 avril 2012.
de son corps malade. Dans le prolongement de la [9] Canguilhem G. Le normal et le pathologique. 12e éd.
Paris : PUF ; 2013. p. 290.
réflexion de G. Canguilhem, on peut avancer que [10] Organisation mondiale de la santé (OMS). 1re Confé-
la médecine tient de l'art, en sorte que le soin s'ap- rence internationale pour la promotion de la santé.
parente à un bricolage technique qui n'élimine en Ottawa : OMS ; 1986.

31
Partie I. Principes de l'éducation thérapeutique du patient

[11] Lagger  G, Chambouleyron  M, Lasserre Moutet  A, [21] Reach G, Baertschi B. Une théorie du soin : souci et
Golay  A. Questions d'éthique soulevées par la pra- amour face à la maladie. Paris : Belles Lettres ; 2010.
tique de l'ETP. Éduc Thérapeutique Patient - Ther p. 178.
Patient Educ 2013 ; 5 : 409–14. [22] Reach  G. L'inertie clinique. Paris  : Springer ; 2012.
[12] Lacroix  A. Peut-on réconcilier logique médicale et p. 161.
logique du patient ? Santé Éduc 2013 ; 22 : 15–6. [23] Benaroyo L, Marin C. À quel soin se fier. Conversa-
[13] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Apprendre à éduquer le tions autour de Winnicott. Paris : PUF ; 2015.
patient  : approche pédagogique. Paris  : Maloine ; [24] Svanda P. L'autonomie comme expression des « capa-
2016. p. 170. bilités ». Éthique & Santé 2007 ; 74–7.
[14] Haute Autorité de santé (HAS). Structuration d'un [25] Sandrin-Berthon  B. Pourquoi parler d'éduca-
programme d'éducation thérapeutique du patient dans tion dans le champ de la médecine ? In  : Sandrin-­
le champ des maladies chroniques. Guide méthodolo- Berthon B, et al., editors. L'éducation du patient au
gique. 109 pages [Internet] ; 2007. Disponible en ligne secours de la médecine. Paris : PUF ; 2000.
sur http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/ [26] Lecorps P. Le patient comme « sujet ». In : Sandrin-
application/pdf/etp_-_guide_version_finale_2_pdf.pdf. Berthon B, et al., editors. L'éducation du patient au
[15] Haut Conseil de la santé publique. L'éducation thérapeu- secours de la médecine. Paris : PUF ; 2000.
tique intégrée aux soins de premier recours ; 2009 nov. [27] Sandrin-Berthon B. Patient et soignant : qui éduque
[16] Guégan  C. Enquête sur la pratique de l'éducation l'autre ? Médecine des Maladies Métaboliques 2008 ;
thérapeutique intégrée aux soins auprès de soignants 2 : 520–3.
formés. Santé Éduc 2014 ; 3 : 8612. [28] Certain A. L'éducation thérapeutique du patient dans
[17] Arendt H. La crise de la culture. Paris : Gallimard ; le contexte de la promotion de la santé : son déploie-
1989. ment dans le parcours de soins et aspects éthiques.
[18] Lefève  C. Logique du choix ou logique du soin ? Ethics, Medicine and Public Health 2015 ; 393–403.
Réflexions à partir de l'ouvrage Ce que soigner veut [29] Roussel  S, Gagnayre  R, Deccache  A. Difficultés de
dire. Repenser le libre choix du patient, de Anne mise en pratique de l'ETP… Et si les représentations
Marie Mol. Santé Éduc 2014 ; 1 : 30–3. étaient en cause ? Nutritions et Endocrinologie 2013 ;
[19] Lacroix  A, Assal  JP. L'éducation thérapeutique des 169–72.
patients  : accompagner les patients avec une mala- [30] Constans T. Quels objectifs glycémiques chez la per-
die chronique  : nouvelles approches. 3e  éd. Paris  : sonne âgée diabétique ? Y a-t-il un consensus ? Rev
Maloine ; 2011. p. 220. Médecine Interne 2004 ; 25 : 853–5.
[20] Reach  G. Pourquoi se soigne-t-on ? Enquête sur la [31] Mol  A. Ce que soigner veut dire  : repenser le libre
rationalité morale de l'observance. 2e  éd. Latresne  : choix du patient. Presses des Mines ; 2009. p. 197.
Éditions Le Bord de l'eau ; 2007. p. 304 revue et aug- [32] Aristote. Éthique à Nicomaque. Paris : Flammarion ;
mentée. 2004. p. 560.

32
Partie II

Éléments de
psychologie du patient

Chapitre 4. Être en relation avec le patient 35


Chapitre 5. Situation psychologique du patient 43
Chapitre 6. Différentes approches psychothérapeutiques au service de l'éducation
thérapeutique du patient 53
La relation éducative et de soin nécessite certaines ne permet souvent pas d'acquérir une culture suf-
connaissances en psychologie. De la confiance fisante en psychologie, qui paraît pourtant des
et de la compréhension de la personne malade plus profitables.
dépendent son apprentissage, la mise en œuvre du Dans cette partie, nous présentons, sans les
plan de soin et son vécu positif de la relation avec approfondir toutefois, diverses notions de psycho-
les soignants. logie intéressantes pour une bonne pratique de
Cette qualité relationnelle se travaille. Elle n'est l'ETP. Notre objectif est de susciter chez le lecteur
que très partiellement abordée lors des études ini- la curiosité d'aller plus loin.
tiales du soignant. L'apprentissage « sur le terrain »
Être en relation Chapitre 4
avec le patient

L'ETP doit s'inscrire dans une relation soignant– • de plus en plus souvent, le patient exige d'être
patient de qualité. Il ne peut y avoir d'apprentis- considéré comme une personne et un citoyen
sage et d'accompagnement sans ce socle basé sur autonome ou en voie de l'être ;
la confiance. • le développement de la responsabilité et de l'au-
S'il est vrai que la qualité du soin se juge sur tonomie du patient est susceptible de favoriser
la qualité technique associée à la qualité rela- une meilleure prise en charge et une meilleure
tionnelle, nous postulons que la qualité du soin adhésion de celui-ci au plan de soin proposé.
éducatif est liée à celle de l'abord pédagogique et Cette situation contribue à une optimisation de
du soutien psychosocial associé à la qualité de la l'utilisation des moyens mis à disposition par la
relation avec le patient. L'ETP offre donc l'oppor- société pour la santé de la population.
tunité de revisiter la relation que le soignant vit Du modèle paternaliste, on glisse donc vers un
avec le patient. modèle partenarial. À défaut d'égalité, cette rela-
L'ETP est basée sur un modèle de relation par- tion implique une équivalence des prérogatives
tenariale. Le soignant rentre dans une relation des deux parties. Plusieurs éléments la caracté-
d'aide. Il est à l'écoute des besoins du patient et risent :
les fait émerger. Il considère particulièrement l'en- • le patient est au centre. Plus précisément, c'est la
tourage de ce dernier. Afin de gérer au mieux les relation soignant–soigné qui se trouve au centre
situations souvent délicates rencontrées dans la du dispositif. Pour être cohérent avec cette nou-
pratique clinique, il a tout avantage à développer velle vision, il serait sans doute plus judicieux
des compétences de communicant. d'inverser le sens de la proposition et de parler
de la relation « patient–soignant » ;
• la relation repose sur l'empathie  : ce terme
désigne l'aptitude à reconnaître la souffrance du
Du modèle paternaliste malade et à le lui signifier. Elle est différente de
au modèle partenarial [1–6] la compassion qui se définit comme une souf-
france partagée, ou de la sympathie où l'iden-
La relation soignant–soigné est une rencontre sin- tification est la règle. Notons tout de même que
gulière, imprévisible, asymétrique et inégale. Elle ces définitions varient selon les auteurs. Nous
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se construit autour d'un double langage particu- prenons donc le partie de ces désignations ainsi
lièrement complexe, celui du corps et de la parole. proposés ;
Dans le « modèle paternaliste » traditionnel, le • un climat de confiance. Celui-ci est basé sur
Pratiquer l’éducation thérapeutique

soignant est censé savoir et être objectif. Prenant une bienveillance et une bonne distance soi-
en charge les intérêts du patient, il décide pour lui. gnant–soigné qui favorisent l'expression libre
Le principe de bienfaisance dont il se prévaut, se du patient ;
décline comme suit : ne pas nuire, prévenir et sup- • l'expertise du patient est reconnue : elle est issue
primer le mal ou la souffrance, faire et promou- de son expérience mais aussi de ses propres
voir le bien. recherches personnelles (l'Internet offre cette
Ce modèle est maintenant obsolète pour plu- possibilité). Il s'instaure entre les deux acteurs
sieurs raisons [1] : une délibération, avec de riches échanges tenant

35
Partie II. Éléments de psychologie du patient

compte de l'expertise scientifique du soignant


et celle profane du patient ;
De la relation d'aide à la posture
• la capacité du patient à décider est reconnue. Si éducative
le patient n'a pas les connaissances médicales
requises, il est cependant en mesure d'évaluer La relation d'aide, telle que l'a définie C. Rogers,
les impacts de la décision médicale sur son est en adéquation parfaite avec la philosophie par-
mode de vie, et vérifier la cohérence avec ses tenariale présentée ci-dessus [7, 8]. Se référant aux
propres valeurs, son histoire personnelle et le travaux de cet auteur qui ont débuté en 1942, la
sens qu'il donne à son existence. Une fois ren- notion de relation d'aide consiste, dans un cadre
seigné, le patient pourra donner son accord et d'optimisme, à aider une personne en difficulté,
établir avec les soignants une sorte de contrat à mobiliser ses propres ressources plutôt qu'à lui
moral concernant le plan de soin ; imposer des solutions venant de l'extérieur. L'au-
• l'éducation du patient est réalisée en fonction teur part du principe que la personne a en elle de
de ses besoins exprimés ; vastes ressources pour se comprendre et changer
• la discussion s'établit avec l'ensemble de l'équipe de manière constructive sa façon d'être et de se
soignante. La décision n'est plus prise unique- comporter. La considération positive incondi-
ment par le médecin au sommet de la hiérarchie tionnelle du professionnel aide alors la personne
des intervenants. à accéder à ses propres ressources.
De cette relation partenariale s'établit une véri- Cette démarche humaniste se fonde sur l'empa-
table alliance thérapeutique entre les deux par- thie qui sous-tend la communication entre le théra-
ties  [1, 5]. La dimension affective de la relation peute et le patient. Le thérapeute interagit comme un
permet de mieux répondre au principe de bien- miroir. La thérapie rogérienne se veut centrée sur la
veillance qui doit toujours prévaloir. L'alliance personne dans sa globalité et non pas sur le problème.
thérapeutique signifie un lien particulier entre Il s'agit d'une approche non directive, située dans le
le patient et le médecin ou le soignant, en vue présent. Elle s'adapte aux capacités de changement
d'un accord sur des décisions thérapeutiques. Les du patient pour l'aider à aller vers son mieux-être et
modalités en sont les suivantes : respect de la per- son développement personnel. Il se sent accepté, et
sonne, partenariat, écoute des besoins, définition ses défenses et rigidités sont atténuées d'autant. Il
conjointe des objectifs. Cette alliance est soutenue peut alors acquérir une compréhension de lui-même
par une éthique et des valeurs communes. Loin à un degré qui le rend capable de progresser. Et n'ou-
d'être figée, elle évolue selon un mouvement fait blions pas que, le plus souvent, le patient demande à
de moments de ruptures et de réparation [5]. accroître son savoir sur lui-même.
Certains auteurs ont défini quatre « états » du Selon C. Rogers, la relation d'aide serait favori-
patient – passivité, dépendance, coopération, sée par quatre attitudes non directives de l'accom-
autonomie – et quatre « états » du soignant – pagnant :
contrôle, expertise, partenariat, facilitation. La • l'empathie qui se traduit par la capacité à se
relation s'équilibre sans être forcément éthique, mettre à la place de l'autre avec bienveillance,
lorsqu'il y a correspondance entre ces positions implication et détachement émotionnel. Cette
deux à deux : passivité du patient et contrôle du attitude favorise une reconnaissance expérien-
soignant, dépendance du patient et expertise du tielle du patient et donc l'expression de son récit
soignant, coopération du patient et volonté de de vie. L'empathie revêt une fonction thérapeu-
partenariat de la part du soignant, autonomie du tique grâce au partage et s'oppose à la compré-
patient et facilitation du soignant. Le quatrième hension purement rationnelle de la situation ;
type de relation, autonomie–facilitation, est le • une bonne communication, avec une écoute
plus fonctionnel, et l'ETP s'inscrit naturellement active. Le soignant est activement présent à
dans cette visée. l'autre. La communication est claire et sans
« Accompagner toujours, soulager souvent, ambiguïté. Elle est davantage ciblée sur des res-
guérir parfois ! » disait Hippocrate. La fonction sentis que sur des faits extérieurs ;
d'accompagnement est plus que jamais essentielle • la congruence, c'est-à-dire l'alignement entre ce
dans l'exercice de la médecine moderne. C'est sa que l'on est, ce que l'on fait et ce que l'on dit.
part d'humanité qui prévaut. En d'autres termes, il s'agit de l'authenticité.

36
Chapitre 4. Être en relation avec le patient

Le soignant est alors ressenti comme digne de sonne à vivre correctement avec sa maladie dans
confiance, dans une relation interpersonnelle son milieu et à se sentir reconnue et acceptée plei-
sécurisante ; nement malgré sa pathologie. Le cinquième niveau
• le non-jugement qui implique d'accepter le relève de la réalisation de soi. L'émergence  de la
patient tel qu'il est. C'est un regard positif maladie fait vivre au patient une crise existen-
inconditionnel. tielle profonde, aiguillonnée par une recherche de
Ces principes de communication et d'ajuste- sens. Cette quête est le propre de l'homme. Le sens
ment de la relation sont largement utilisés en ETP. que le patient donne à sa maladie l'aide à se réap-
Ainsi, on définit classiquement la posture éduca- proprier son corps, à apprivoiser la maladie et à
tive en utilisant quasiment les mêmes termes. Elle trouver une certaine paix. L'angoisse de la souf-
est constituée d'empathie, d'écoute active (ques- france et de la mort, bien que toujours présente,
tions ouvertes, attention soutenue, intérêt, expres- est canalisée. Peu à peu, le malade peut intégrer la
sivité, etc.), de reformulation (vérifier que l'on a maladie comme acceptable. Il va apprendre à vivre
compris et donner au patient le sentiment d'avoir avec. Là encore, la pratique de l'ETP prend tout son
été entendu) et de renforcement du sentiment sens dans cet apprentissage. Le patient apprend
d'autoefficacité (voir chap.  5, Sentiment d'effica- seul mais pas tout seul. L'aide des soignants, tout
cité personnelle ou d'autoefficacité). comme celle de son entourage, est déterminante.

Besoins et attentes du patient Entourage immédiat


La question est donc de faire émerger les besoins du patient [1, 11, 12]
du patient, de les entendre et de les prendre en
compte en établissant un plan de soin et une édu- Par entourage immédiat, nous entendons le
cation en fonction. conjoint, ou des parents, ou des enfants ou des
Il est intéressant de visiter les besoins fondamen- amis… Les termes de proches, d'accompagnants
taux, tels que décrits par A. Maslow. Ces besoins ou d'aidants sont aussi usités.
de base sont hiérarchisés en cinq niveaux [9]. Le La maladie impacte la sphère familiale et ami-
passage d'un niveau à l'autre est schématiquement cale du patient. La maladie inflige un trauma-
lié à la satisfaction du niveau précédant [9, 10] : tisme psychique à l'entourage, dont l'intensité
• les besoins physiologiques indispensables à varie en fonction du lien qui le lie au patient.
l'homéostasie corporelle (manger, boire, respi- Le soutien de l'entourage fait partie des soins
rer) ; prodigués au patient. Dans le cadre de cette
• le besoin de sécurité d'existence physique et solidarité, les rapports que le patient entretient
psychique (concernant famille, emploi, loge- avec son entourage sont complexes, ambivalents
ment, finances, santé) ; et fluctuants. Il est important de les décrypter
• le besoin de reconnaissance et d'appartenance autant que faire se peut, afin de débusquer les
sociale ; pièges. Rappelons que le malade doit rester au
• le besoin de reconnaissance et d'estime en tant centre dans la relation patient–soignant.
que personne ; La place de l'accompagnant n'est pas facile. Il
• le besoin de réalisation et de dépassement de se sent souvent seul et démuni. Il subit la maladie
soi, de quête de sens. sans avoir la considération dont le malade est l'ob-
Si l'on peut considérer que le soin est censé jet. Il ressent un intolérable sentiment d'impuis-
répondre au premier niveau de besoin, à savoir sance. En épaulant l'aidant, on permet au patient
un fonctionnement physiologique satisfaisant, d'aller mieux, avec un retentissement positif sur la
le patient ressent juste après d'autres besoins, qualité de vie de chacun.
de sécurité liés à son milieu de vie, ainsi que de L'éventail des réactions de l'entourage à la maladie
reconnaissance sociale en tant qu'individu. peut s'étendre de la sur protection au rejet du patient :
La place de l'ETP se situe donc au premier niveau • quand le système familial est souple et ouvert,
mais aussi aux suivants, en visant à aider la per- des mécanismes d'adaptation se mettent en

37
Partie II. Éléments de psychologie du patient

place. La maladie est en général l'occasion d'un • ne pas parler de choses difficiles, comme la
renforcement des liens préexistants. L'excès sexualité…
résiderait dans une surprotection ressentie L'auteure propose des conduites à tenir [1] :
par le patient et pouvant soit l'exaspérer, soit le • le malade doit rester la personne centrale ;
rendre passif et déléguant ; • voir le malade seul dans un premier temps ;
• à l'inverse, dans des systèmes familiaux rigides • proposer de voir l'accompagnant seul dans cer-
et fermés, l'émergence de la maladie entraîne des tains cas ;
dysfonctionnements : les ruptures sont fréquentes, • aider chacun à s'exprimer et à communiquer ;
tant sur les plans des liens affectifs, que de la com- • évaluer la souffrance de chacun.
munication ou du soutien. La maladie exacerbe
les conflits et les rivalités familiales, amplifie les
sentiments de culpabilité ou de dette, ainsi que les
attitudes de soumission ou d'agressivité. Mécanismes de défense
La communication entre le malade et son
entourage est parfois difficile. Pourtant, chacun a
du patient et du soignant [1, 6]
besoin d'exprimer ses difficultés et sa souffrance.
Défenses du patient
Le malade ne demande pas forcément d'être com-
pris, mais accompagné, accepté, dans l'amour et La rencontre du patient avec la maladie est dou-
le respect de sa personne. loureuse. Pour s'adapter, le patient met en œuvre
Pour répondre au mieux à la situation, le soi- des mécanismes de défense dès l'annonce. En
gnant doit se poser certaines questions face à la restant à l'écoute du patient, le soignant peut les
dyade patient–aidant [1, 12] : repérer et l'aider au mieux.
• concernant le patient : quelle est sa place dans I. Moley-Massol énumère les principaux méca-
la famille ? que représente pour lui la maladie ? nismes de défense du patient [1] :
à quelle place est-il mis depuis qu'il est malade ? • l'annulation : en remaniant les informations qui
est-ce confortable ? y a-t-il rupture avec les lui sont fournies, le patient empêche la réalité
autres ? comment a-t-il déjà fait face à d'autres d'accéder à sa conscience ;
événements difficiles ?… • le déni : c'est un refus de reconnaître une partie
• concernant l'accompagnant  : qui est-il ? quelle de la réalité. Le patient intègre la part tolérable
est sa représentation de la situation ? quelle de la vérité et rejette ce qui lui est insupportable,
relation a-t-il avec le patient ? est-il en souf- aboutissant à un clivage intérieur ;
france ?… • la rationalisation  : tout en reconnaissant son
• concernant la relation malade–proche  : com- état, le patient neutralise le retentissement
ment fonctionne-t-elle ? existe-t-il des modifica- affectif de ce savoir. Il intellectualise froide-
tions depuis l'apparition de la maladie ? ­existe-t-il ment sa maladie ;
des difficultés relationnelles, sexuelles ?… • le déplacement : l'angoisse liée à la maladie est
D'après I.  Moley-Massol, plusieurs pièges sont reportée sur un élément substitutif plus accom-
à éviter [1] : modant, en relation ou pas avec la maladie ;
• infantiliser le patient ou les proches ; • la maîtrise  : le patient veut rester maître de la
• favoriser une collusion familiale qui exclurait le situation. Il a besoin de rationaliser, de com-
patient au nom d'une soi-disante protection ; prendre l'origine de son mal pour mieux l'ap-
• imposer aux proches un fardeau trop lourd à préhender et le contrôler ;
porter ; • la régression  : elle consiste à retourner à un
• sous-estimer la souffrance des proches ; stade antérieur de son développement. Le
• laisser l'accompagnant prendre toute la place patient devient passif et dépendant ;
pendant la consultation, le laisser parler à la • la projection agressive  : le sujet projette sur
place du malade ; l'extérieur la menace qui est en lui, pour mieux
• exclure de toute information utile certains l'anéantir ;
membres de la famille ; • la combativité et la sublimation  : ces méca-
• faire la morale ; nismes de défense sont plus positifs et moins

38
Chapitre 4. Être en relation avec le patient

douloureux pour l'entourage. La combativité Le jargon médical est alors utilisé comme une
est une forme de refus de la soumission à la langue étrangère qui rend impossible toute
réalité. Il s'agit de transformer son infortune en communication. Ce langage obscur démunit le
projet de vie et en reconstruction. La sublima- patient mais rassure le soignant en lui conférant
tion, en réponse à l'angoisse et à l'impuissance, un sentiment de puissance ;
est sûrement le mode de défense le plus réussi. • « l'information abandon » : le soignant dit tout
Elle se réalise par exemple, par une création et tout de suite. Il se décharge du fardeau, sans
littéraire, artistique ou intellectuelle, ou une tenir compte de la demande du patient et de ses
démarche associative ou humanitaire. capacités à entendre. C'est une forme de passage
En prenant conscience de ces réactions, le soi- à l'acte verbal, de fuite en avant ;
gnant peut comprendre que celles-ci ne sont pas • l'identification massive au patient et l'apitoie-
dirigées contre lui, mais sont bien l'expression ment : cette attitude efface la distance entre le
d'un profond désarroi. Il est essentiel de recon- soignant et le soigné. Le soignant, incapable de
naître ces comportements réactionnels pour faire front, préfère faire corps avec le patient. Il
mieux aider le patient. L'aide d'un psychologue est n'est plus à l'écoute de l'autre, mais de lui-même.
parfois utile. Face à ces constatations, quelles sont les solu-
tions ? Le premier réflexe pourrait être d'­apprendre
Défenses du soignant des techniques relationnelles et de communica-
tion de façon à se mettre à distance pour mieux
Le soignant n'est pas épargné par le bouleversement gérer la situation. Mais le soignant ne peut éviter
émotionnel créé par l'émergence de la maladie. son propre malaise, ses propres angoisses et doit
Lui-même peut être en difficulté face au patient, à de ce fait comprendre ses réactions. En acceptant
son entourage et tout simplement face à sa propre ses peurs, ses faiblesses, ses limites, il peut se libé-
impuissance. Il est alors douloureusement ren- rer petit à petit, pour être davantage présent dans
voyé à ses propres limites, à sa vulnérabilité, à ses sa relation au patient, en toute humilité.
angoisses face à la maladie ou face à sa propre mort.
Dans cette situation, I.  Moley-Massol énonce
certains comportements réactionnels de défense
du soignant [1] : Cadre et clés d'une bonne
• le mensonge : il croit ainsi « protéger » le patient. communication
En réalité, il ne fait que se préserver temporaire-
ment de sa propre angoisse. Le mensonge prive Dans la suite des commentaires précédents, un
le patient d'une représentation de sa maladie et travail sur soi de conscientisation et de gestion de
l'empêche de donner du sens à ses symptômes. ses propres émotions n'est pas contradictoire avec
Celui-ci n'est pas en mesure de se préparer à l'acquisition d'une aisance à communiquer. L'un
l'évolution de sa pathologie. De plus, le men- renforce potentiellement l'autre.
songe interdit tout échange authentique et toute Aussi, nous allons explorer brièvement l'espace
véritable confiance ; de communication qui relie le soignant au soigné.
• la banalisation : elle ne tient pas compte de l'im- Au début de la rencontre, il convient d'abord de
portance que revêt la maladie pour le patient. définir un cadre de la relation (lieu de la rencontre,
Ce dernier ne se sent pas reconnu ; horaire, durée, périodicité, secret professionnel,
• la fuite et l'évitement : ils permettent d'éviter sa niveau d'interactivité, etc.). Celui-ci offre une qua-
propre angoisse ; lité d'accueil, de soutien mais aussi de contenant :
• la fausse réassurance : c'est une forme de men- tout en restant solide, il devra être flexible et mal-
songe car elle vise à entretenir, chez le patient léable pour résister à l'afflux des tensions [13].
qui n'y croit plus, un espoir impossible. Parfois, Le cadre est empreint de la figure du soignant
le malade feint de croire les paroles faussement qui requiert certaines qualités [13] :
apaisantes du soignant ; • une solidité et une constance pour accueillir ce
• le refuge dans la science : le soignant se cache que le patient vient déposer, avec toute la charge
derrière un discours médical hermétique. émotionnelle que cela peut supposer ;

39
Partie II. Éléments de psychologie du patient

• un ajustement pour assurer constamment sécu- • prendre le temps. Le temps réel n'est pas le
rité, stabilité et disponibilité ; temps ressenti. Parfois, il vaut mieux prendre
• une attention bienveillante, à maintenir malgré un nouveau rendez-vous pour aller plus loin.
des débordements éventuels ; Différencier le temps de l'examen clinique du
• une disponibilité interne, une écoute, signes temps de l'information, a fortiori de l'éduca-
d'une acceptation du patient tel qu'il est. tion, est important ;
Lorsque le soignant entre en communica- • l'information doit être claire, loyale, sincère,
tion avec le patient, trois grandes stratégies sont compréhensible et adaptée à la demande, aux
opérantes, et souvent s'associent dans la ren- besoins, aux ressources du patient, à ce qu'il est
contre [13] : prêt à entendre au moment donné. Elle doit être
• l'évaluation qui vise à détecter, clarifier ou véri- délivrée graduellement, au rythme du patient et
fier des informations ; répétée ;
• l'éducation qui cherche à répondre aux attentes • vérifier que l'information a été comprise. Pour
du patient et à structurer l'entretien et la rela- cela, la reformuler et/ou faire reformuler ;
tion ; • favoriser l'expression des peurs et des émotions ;
• le soutien qui favorise la confiance et permet au • répondre à toutes les questions embarrassantes
patient de se sentir rassuré, compris et accepté et aborder les sujets sensibles ;
tel qu'il est. • s'il y a saisie d'information sur papier ou sur
Ces trois modes s'entremêlent ou se succèdent ordinateur, l'expliquer et éventuellement dire
au cours d'une consultation d'ETP. Même si le au patient ce que l'on écrit ;
temps éducatif et le soutien sont l'essence même • rester en congruence avec soi-même, c'est-à-
de l'ETP, l'évaluation qui porte non sur le champ dire en adéquation avec ses propres pensées et
médical mais sur les besoins et les acquisitions des ressentis. Cette harmonie et cette cohérence
compétences constitue un enjeu fort. favoriseront la même attitude chez le patient.
Une fois que le cadre est posé, que le soignant- • s'autoévaluer et se remettre en question.
éducateur est conscient de la démarche qu'il entre- Fort de toutes ces notions, le soignant-­éducateur
prend, à savoir une évaluation de la situation, une aura ainsi à sa portée des outils de communica-
éducation et/ou un soutien, il est apte à établir de tion qui favoriseront une relation chaleureuse et
bonnes règles de communication [1, 13, 14] : éthique avec le patient.
• l'accueil est un moment important  : un mot de
bienvenue, une poignée de main, un sourire sont
signes de bienveillance. S'asseoir face au patient, au
même niveau que lui, le regarder, être ouvert sont
des clés incontournables d'une bonne relation ;
Cas particulier de l'annonce
• vérifier d'emblée ce que souhaite le patient, ce d'une mauvaise nouvelle 
qu'il sait déjà, comment il se représente sa mala- [1, 15–17]
die et ses traitements… ;
• rentrer en contact avec lui en repérant son canal S'il est des moments particuliers dans la vie d'un
de communication privilégié. En effet, chacun patient, mais aussi des soignants, où les émotions
communique et donc apprend en utilisant s'entrechoquent, l'annonce d'une mauvaise nou-
préférentiellement un canal visuel, auditif ou velle, comme une maladie grave en fait large-
kinesthésique qu'il sera utile de détecter afin de ment partie. En raison des émotions fortes qui y
se synchroniser avec lui ; sont attachées, les conditions de l'annonce seront
• être attentif à ce que dit le patient, en parole et fortement mémorisées et auront une répercus-
avec son corps (la communication non verbale sion marquée sur l'avenir. Il s'agit donc d'éviter
représente 70  % de la communication globale la double peine pour le patient d'une maladie et
entre êtres humains) ; d'une annonce blessante. Il convient d'apporter
• poser des questions ouvertes, permettant au réconfort, réassurance et soutien. En outre, l'ac-
patient d'exprimer son point de vue, ses inter- ceptation future de la maladie par le patient est
rogations et ses besoins ; conditionnée par cette annonce.

40
Chapitre 4. Être en relation avec le patient

Précisons tout de suite que le temps de l'annonce thérapeutiques possibles, proposer des objectifs
n'est pas un moment propice à une quelconque édu- atteignables ;
cation. L'ETP doit débuter à distance, une fois que le • le suivi de l'annonce : celle-ci doit être reprise à
patient a « repris pied » dans sa réalité. Cependant, distance, en s'appuyant sur ce qui a été entendu
connaître les aspérités de cette situation délicate est et compris. Un relais doit être fait avec l'équipe
fondamental pour le soignant-­éducateur, au moins pluridisciplinaire (soignants, psychologue).
pour comprendre les répercussions après coup Il est fréquent que l'on doive dans une démarche
d'une annonce mal faite ou mal vécue. De plus, éducative, revenir sur le moment de l'annonce. Le
l'annonce d'une mauvaise nouvelle n'est jamais for- faire en groupe avec d'autres patients peut être
cément derrière soi, et d'autres pourraient surve- très réconfortant et contribuer à guérir cette bles-
nir. Aussi, aider le patient à apprendre à anticiper, sure ancienne, mais toujours aussi présente.
autant que faire se peut, ces moments de stress peut
être très salutaire.
La dynamique de l'annonce obéit à quelques Références
règles [1, 15, 16] : [1] Moley-Massol I. Relation médecin-malade : enjeux,
• le cadre : l'annonce se prépare à l'avance. Pour pièges et opportunités – Situations pratiques.
cela, on prévoira un entretien en tête à tête, Courbevoie : DaTeBe Éditions ; 2007. p. 131.
[2] Lacroix  A, Assal  JP. L'éducation thérapeutique des
dans un lieu calme et adapté, sur un temps suf- patients : accompagner les patients avec une maladie
fisant (3/4 h–1 h), sans être dérangé. La présence chronique  : nouvelles approches. 3e  éd. Paris  :
d'un proche est possible, avec l'assentiment du Maloine ; 2011. p. 220.
patient. L'attente entre le diagnostic et l'annonce [3] Barrier P. La blessure et la force. Paris : PUF ; 2010.
doit être courte ; p. 160.
• le rythme : elle se fait progressivement, de façon [4] Kempf  MO. Réflexions sur la distance profession-
nelle dans le soin. Santé Éducation 2015 ; 20–5.
hiérarchisée et adaptée aux caractéristiques [5] Bachelard  M. L'alliance thérapeutique. In  : Bioy  A,
socioculturelles du patient ; editor. L'aide-mémoire de psychologie médicale et
• l'écoute  : privilégier l'écoute active, inciter le psychologie du soin en 58  notions. Paris  : Dunod ;
patient à poser des questions ; 2012. p. 372.
• les attentes du patient  : vérifier par quelques [6] Sandrin-Berthon  B. Pourquoi parler d'éducation
questions préalables, ce que le patient sait déjà dans le champ de la médecine ? In  : Sandrin-
Berthon B, et al., editors. L'éducation du patient au
et ce qu'il souhaite savoir et ne pas savoir. En secours de la médecine. Paris : PUF ; 2000.
d'autres termes, il convient de s'aligner sur son [7] Rogers C. La relation d'aide et la psychothérapie. In :
point de vue. Pour savoir jusqu'où aller dans la 14e  éd Issy-les-Moulineaux  : ESF Éditeur ; 2005.
révélation et à quel rythme, le patient montre p. 235.
souvent le chemin ; [8] Dieu E. Les attitudes relationnelles. In : Bioy A, edi-
tor. L'aide-mémoire de psychologie médicale et psy-
• être vrai et sincère : éviter le mensonge, la bana- chologie du soin en 58 notions. Paris : Dunod ; 2012.
lisation, la dénégation, l'esquive, la dérobade. p. 372.
Instaurer une communication sincère et vraie : [9] Maslow AH. A theory of human motivation. Psychol
ne rien dire qui ne soit vrai ; Rev 1943 ; 50 : 370. 96.
• le choix des mots : nommer la maladie, connaître [10] Vatageot S. Les besoins fondamentaux. In : Bioy A,
le nom d'une chose permet de mieux la maîtri- editor. L'aide-mémoire de psychologie médicale et
psychologie du soin en 58  notions. Paris  : Dunod ;
ser. Choisir ses mots, le dire simplement, faire 2012. p. 372.
attention à la phonétique, source d'ambiguïté. [11] Hazif-Thomas C, Tritschler-LeMaître MH, ­Thomas P.
Éviter les termes techniques sans explication ; Les aidants familiaux, le chronic care model et
• expression du patient  : laisser s'exprimer le la dignité de la dépendance. NPG ­ Neurologie –
patient, notamment sur le plan émotionnel. ­Psychiatrie – Gériatrie 2012 ; 12 : 182–5.
Respecter les réactions de défense ; [12] Poivret  D, Gossec  L, Delannoy  C, et  al. Place des
« proches » dans les programmes d'éducation théra-
• le silence : accepter les temps de silence, ne pas peutique des patients en rhumatologie : état des lieux
vouloir les remplir à tout prix ; et perspectives. Rev Rhum Monogr 2013 ; 80 : 193–6.
• rassurer, dire la vérité en ménageant de l'espoir, [13] Bissler  L. Penser et construire un cadre d'accueil et
laisser une porte ouverte. Révéler les solutions communicationnel. In : Bioy A, editor. L'aide-mémoire

41
Partie II. Éléments de psychologie du patient

de psychologie médicale et psychologie du soin en [16] Bissler  L. Dire et annoncer. In  : Bioy  A, editor.
58 notions. Paris : Dunod ; 2012. p. 372. L'aide-mémoire de psychologie médicale et psy-
[14] Mucchielli R. L'entretien de face à face dans la relation chologie du soin en 58  notions. Paris  : Dunod ;
d'aide. In  : Issy-les-Moulineaux  : ESF Éditeur ; 2011. 2012. p. 372.
p. 172. [17] Haute Autorité de santé (HAS). Annoncer une mau-
[15] Giraudet-Le Quintrec  JS. L'annonce diagnostique vaise nouvelle [Internet]. 2008. Disponible en ligne
dans la maladie chronique. Educ Thérapeutique sur http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_698028/
Patient - Ther Patient Educ 2010 ; 2 : S223–7. fr/annoncer-une-mauvaise-nouvelle.

42
Situation psychologique Chapitre 5
du patient [1–6]

Être en relation avec le patient demande de l'écou- de représentations chez le patient : dans certains
ter, l'entendre et le comprendre. Mais si l'empathie cas, la maladie est vécue comme destructrice,
est nécessaire, elle n'est pas suffisante. aboutissant à la souffrance et l'isolement, ou au
Dans le cadre de l'ETP, avoir l'ambition d'aider contraire libératrice, par le fait même qu'elle incite
le patient à passer d'un point A à un point B exige le patient à s'émanciper de son environnement.
de bien connaître, notamment, son état d'esprit et Parfois, la maladie représente un  « métier », en
ses capacités à se mobiliser. Entre d'autres termes, raison de la lutte quotidienne du patient contre
cela revient à interroger ses savoirs, son pouvoir et elle [7].
son vouloir agir. Dans le cadre d'un apprentissage, il convient
Dans cette optique, nous allons examiner donc de toujours prendre en compte les repré-
quelques notions en psychologie de la santé affé- sentations préexistantes du patient afin de pou-
rentes d'une part, aux représentations et aux voir s'accorder et interférer consciemment avec
croyances du patient et d'autre part, à la dyna- elles. Mais autant que le patient, le soignant a
mique de changement. ses propres représentations. La communication
passe donc à travers un double filtre de ces deux
mondes subjectifs.
Il en va ainsi des intentions initiales de cha-
Représentations et croyances cun des partenaires  : le patient souhaite guérir,
bien vivre, reprendre une vie la plus normale
Représentations ou possible, concrétiser ses projets, tandis que le
conceptions [1, 3, 5, 6] soignant compte prendre soin du patient pour le
La représentation est l'idée que l'on se fait de guérir, obtenir une rémission, une cicatrisation,
quelque chose. Ce concept issu de la psychologie le soutenir. Le soignant considère naturellement
sociale désigne une interprétation plutôt collec- les conditions biomédicales de la maladie, tandis
tive d'un phénomène. Mais elle est tout aussi indi- que le patient est dans une demande d'aide pour
viduelle. Certains auteurs préfèrent le terme de moins souffrir, s'adapter et vivre le mieux possible
conception qui correspond à un état de connais- (figure  5.1)  [8]. Le soignant offre une expertise
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sance imaginée et antérieure à un apprentissage scientifique, tandis que le patient fait part de son
systématique. La conception peut être de l'ordre expertise profane. Dans cette relation, un enrichis-
du réel ou du fictif. Elle est basée sur le croire plu- sement et un apprentissage mutuels s'établissent.
tôt que sur le savoir. Elle est souvent consciente,
Pratiquer l’éducation thérapeutique

mais pas toujours. Modèle des croyances de santé


Chez un patient, ses représentations sur la mala-
die ou le traitement témoignent de ses valeurs et
(health belief model)
du sens particulier qu'il leur appose. Comme tout Issu des années 1960, le modèle de croyance de
un chacun, il y est attaché car elles touchent à son santé développé la première fois par Hochbaum,
identité profonde. C. Herzlich définit trois types Rosenstock et Kegels est l'approche p­ sychosociale

43
Partie II. Éléments de psychologie du patient

Maladie chronique pouvant être


contrôlée par un traitement Demande d’aide pour
améliorer la qualité de vie
Handicap conséquence
d’un accident, d’une maladie
Demande d’aide
pour comprendre
Condition Maladie
chronique vécue
Demande d’aide
Critères médicaux Lien possible Demande d’aide pour accepter
éventuelle
Addiction qui augmente
statistiquement un risque
Demande d’aide spirituelle,
sociale, psychothérapeutique
Comportement alimentaire,
sédentarité, conduites à risques Demande d’aide pour changer
Figure 5.1 Représentation schématique de la distinction entre la vision des soignants et celle des
patients sur la maladie chronique.
Source : Lagger G, Chambouleyron M, Lasserre-Moutet A, et al. Éducation thérapeutique, 1re partie : origines et modèle.
Médecine 2008 ; 4 : 223–6.

la plus utilisée pour expliquer les comporte- de celui de l'efficacité personnelle, car le premier
ments de santé et prendre en compte le rôle que est lié à une notion de valeur et le second, à une
la connaissance et les perceptions jouent dans la notion d'action.
responsabilité personnelle. L'estime de soi est :
Transposé à la question de l'adhésion au traite- • renforcée par la confiance en soi, la capacité
ment, il aide à mieux comprendre pourquoi une à faire des choix sans culpabilité, à aller de
personne se soigne ou pas. Ainsi, un patient se l'avant, à se sentir à l'égal des autres, à collabo-
traitera avec le traitement qu'on lui propose, selon rer avec les autres, à accepter la différence chez
qu'il est convaincu : les autres, en restant ouvert, etc. ;
• d'être atteint de la maladie en question ; • diminuée en cas de culpabilité excessive et d'au-
• que cette maladie peut avoir des conséquences tocritique, de perfectionnisme, de rumination
graves pour sa santé, son intégrité ou la pour- des erreurs du passé, de position défensive, de
suite de sa vie ; pessimisme, de jalousie, etc.
• que le traitement proposé peut lui être béné- Dans le cadre de la relation de soin, renforcer l'es-
fique ; time que peut avoir le patient de lui-même est essen-
• que les bienfaits qu'il peut en attendre contreba- tiel, afin qu'il puisse affirmer ses sentiments positifs
lancent les désagréments et les efforts deman- ainsi que sa capacité à agir et à collaborer. Cette atti-
dés par le traitement. tude du soignant est d'autant plus primordiale face
Les deux premiers items concernent la maladie à un patient vivant en situation de précarité sociale.
et les deux suivants, le traitement. De même, elle est aussi très utile face à un adolescent.
Pour qu'un comportement de santé soit adopté
par le patient, il convient que les quatre conditions
soient toutes validées. Sinon, il y aura négligence,
Lieu (locus) de contrôle
refus ou abandon. Le lieu de contrôle (ou locus de contrôle), proposé
par Julian Rotter en 1954, renseigne sur l'attitude
Estime de soi [9, 10] d'un individu face à des événements de sa vie,
selon qu'il considère que leur cours dépend ou non
L'estime de soi désigne le sentiment de sa propre de lui-même.
valeur. Elle est issue de l'intégration et l'inter- On parle de locus externe ou interne, ou de
prétation des expériences vécues par un individu cadre de référence externe ou interne :
durant sa vie. Avoir une bonne estime de soi favo- • externe : l'individu croit que sa santé ne dépend
rise le fait de se vouloir du bien. Ce concept diffère que d'événements ou d'actions externes qui

44
Chapitre 5. Situation psychologique du patient

échappent à son contrôle (« Dieu », « le destin », « salutogenèse », plutôt que de se concentrer sur ce
« c'est écrit », « les autres », le médecin…). Il a qui produit la maladie, la « pathogenèse », comme
tendance à être passif ; on le fait depuis des siècles. Ce modèle s'inscrit
• interne  : l'individu pense qu'il a une capacité dans le courant de la psychologie positive.
propre à agir et à modifier le cours des événe- Le terme de « salutogenèse » se compose du mot
ments. Il a tendance à être actif. latin salus, salutis = santé et du mot grec genesis
Au cours de la maladie chronique, la réussite du =  origine. La salutogenèse pose la question de
soin passe par une attitude active du patient qui se l'origine de la santé. Tandis que le terme « patho-
prend en charge. Aussi, s'il est en locus externe, ce genèse » est constitué de deux mots grecs origi-
qui est très souvent le cas au début d'une maladie, nels, pathein =  souffrir et genesis =  origine  : on
il conviendra de l'aider à passer progressivement interroge ici l'origine de la souffrance.
d'un état de passivité et de dépendance vis-à-vis Passer de la pathogenèse à la salutogenèse cor-
du monde soignant, à un état plus autonome, indé- respond donc à un changement de paradigme.
pendant et actif. C'est l'objectif même de l'ETP. Dans la pathogenèse, la prévention consiste essen-
Ce concept de santé est complémentaire du modèle tiellement à exclure les facteurs pathogènes. Tan-
de croyance de santé vu plus haut. Car, pour qu'un dis que la salutogenèse pose la question de ce qui
patient se soigne, il faut qu'il remplisse les quatre peut renforcer la santé ou les conditions de son
conditions vues ci-dessus, et qu'il ait la conviction maintien. Elle interprète la santé comme un pro-
qu'il peut agir, c'est-à-dire qu'il soit en locus interne. cessus, non comme un état.
Le locus de contrôle interne ou externe se dis- L'ETP s'inspire volontiers du concept de salu-
tingue du sentiment d'estime de soi. Dans le pre- togenèse, en mettant l'accent sur la prise de
mier concept, on considère la tendance qu'a un conscience du patient de son état de santé, la prise
sujet à s'attribuer à lui-même ou à son environne- en compte de ses ressources, de sa capacité à agir
ment la cause des événements de sa vie. Tandis que et du développement de son bien-être.
le second porte sur la représentation positive ou
pas de sa propre personne. On peut tout de même
avancer que les personnes en locus interne ont Optimisme
probablement une meilleure estime d'elles-mêmes. L'optimisme a été démontré comme favorisant
la bonne santé. Ce sentiment positif est moteur
d'initiatives et de confiance en soi et en la vie.
Attribution causale Tout comme la salutogenèse, l'optimisme s'inscrit
L'attribution causale, proposée par F.  Heider, est dans le courant de la pensée positive.
un processus consistant à rechercher des causes à Le sujet optimiste aura tendance à voir « le bon
un événement que l'on vit. côté des choses », à penser du bien des autres, à
Appliqué à la maladie et au stress engendré par considérer que des événements même fâcheux,
elle, l'individu cherche à expliquer sa survenue de prendront finalement une tournure positive dans
façon à pouvoir mieux la maîtriser et à lui donner la mesure où l'on trouve toujours une solution aux
du sens. Il tente alors de comprendre, de prédire problèmes. Au contraire, le pessimiste, empreint
et de contrôler son environnement en isolant les d'expériences douloureuses à répétition, nourrit
causes potentielles sur lesquelles il pourrait agir. un sentiment d'impuissance.
Ces causes peuvent être internes ou externes, Autant l'optimisme est un facteur de bonne
biologiques, psychologiques ou environnemen- santé, autant il peut devenir dangereux s'il s'avère
tales. La question qui fait suite est : « Puis-je agir excessif ou déplacé. Des comportements inadap-
sur cette cause ? » On voit ici le lien de ce concept tés de santé sont alors possibles.
avec celui du lieu de contrôle, interne ou externe.
Processus de changements
Salutogenèse
L'ETP s'inscrit dans un processus de changement.
Au milieu des années 1970, A. Antonovsky pro- Si le patient le souhaite, le soignant-éducateur lui
pose de comprendre ce qui génère la santé, la propose un cadre d'apprentissage et de soutien

45
Partie II. Éléments de psychologie du patient

afin qu'il puisse développer son autonomie, mobi- Temporalités du patient


liser ses ressources et accéder à un état de meil-
leure santé et de vie meilleure. La temporalité du patient est essentielle à considé-
La capacité du patient à agir pour lui, corres- rer en ETP. En effet, l'apprentissage et l'accompa-
pond au concept d'empowerment, proche de ce gnement du patient seront d'autant plus efficaces
que vise l'ETP. Pour agir, le patient doit être prêt, que ce dernier est d'accord pour recevoir de l'aide.
soulignant ainsi la nécessité de la prise en compte On parle ici du moment opportun d'intervention,
de sa temporalité. Pour aller mieux, il considérera du « kairos ».
tous les aspects de la maladie à gérer, et s'il atteint Dans le cadre de son évolution de conscience et
une limite, il devra faire avec, traduisant la notion de changement, chacun a son rythme qu'il convient
de coping. Cette action sera d'autant plus efficace absolument de respecter. La prise en compte de la
que le patient aura le sentiment de sa propre com- temporalité du patient rend parfois délicate l'ap-
pétence. L'ensemble du cheminement pour gérer sa plication systématique d'un programme éducatif
santé et aller mieux revêt un caractère existentiel de préétabli qui pourrait rapidement paraître plaqué,
transformation, relevant du concept de résilience. d'où l'importance de toujours repérer ses besoins
à un moment donné, et de les actualiser régulière-
ment. Tout ne peut pas se définir au départ.
On aborde ici le thème des temporalités au plu-
Empowerment
riel, car il en existe plusieurs qui se croisent, selon
L'empowerment est un terme anglais qui désigne le le plan où l'on se place.
processus par lequel un individu agit pour gagner
la « maîtrise » de sa vie. Par là même, il peut acqué-
rir une capacité à prendre des décisions lorsqu'il
Temporalité et acceptation
est confronté à une maladie ou un traitement, seul de la maladie [1, 12]
ou en interaction avec des personnes ressources L'acceptation de la maladie est un long proces-
(professionnels de santé, aidants, entourage…), sus de maturation par lequel l'individu doit pas-
dans le but de s'y adapter et d'exercer un contrôle ser lorsqu'il est confronté à la nouvelle réalité de
sur sa vie  [11]. Ce concept a aussi été développé la maladie. Elle signifie un consentement lucide à
pour les communautés. une réalité ou à une situation qu'il se décide d'as-
L'empowerment permet le développement des sumer. Elle se distingue de la résignation, qui est
ressources et des compétences individuelles et une tendance à se soumettre, à subir le sort sans
collectives. L'estime de soi en est renforcée, de protester, mais dans la douleur. L'acceptation signe
même que le sens critique, la capacité de prise de un nouvel équilibre émotionnel grâce auquel le
décision et d'action. Cette démarche ne peut pas patient est en mesure de gérer plus sereinement
être engendrée de l'extérieur mais seulement favo- son traitement dans la vie quotidienne et de mieux
risée. vivre avec sa maladie.
En définitive, l'empowerment est un proces- Le processus d'acceptation suit le modèle du
sus, mais aussi le résultat d'un processus. Appli- deuil proposé par Freud puis E. Kübler-Ross. Les
qué au patient atteint de maladie chronique, il se six stades du deuil sont le choc initial, la déné-
traduit par un mouvement social qui va dans le gation, la révolte, le marchandage, la tristesse et
sens d'une meilleure reconnaissance de ses capa- l'acceptation. La succession de ces étapes n'est pas
cités à prendre en compte ses propres besoins et linéaire et stricte, l'évolution se fait par strates et
à résoudre ses problèmes. C'est aussi un résultat la personne peut revenir à un stade antérieur ou
atteint lorsque le patient a réussi à faire la transi- restée bloquée à une étape.
tion entre un état initial de crise et un état d'accep- Appliqué à la maladie chronique, le chemi-
tation de la maladie et d'adaptation en ­intégrant nement psychologique du patient passe par
un traitement dans sa vie de tous les jours. une succession de pertes  : pertes de l'image de
Comme on le voit, les concepts d'empowerment soi, de ses projets, de son rapport antérieur aux
et d'ETP sont très proches. Ils sont respectivement autres et au monde, d'une partie de son corps, de
issus des mondes anglo-saxon ou francophone et son sentiment de normalité, de l'illusion de son
sont donc empreints de ces cultures différentes. immortalité. Le travail de deuil s'accomplit par

46
Chapitre 5. Situation psychologique du patient

l­'élaboration et l'acceptation de la perte. Pour à une situation d'acceptation ou de résignation


dépasser ces différentes étapes, il faut du temps. (figure 5.2). La trajectoire de gauche allant vers l'ac-
Le temps du patient n'est pas le même que celui ceptation correspond à un processus d'intégration
du soignant [13]. Le patient pense et réagit diffé- de la perte et montre les étapes d'un déroulement
remment selon le stade d'acceptation de la mala- normal du travail de deuil. Celle de droite allant
die dans lequel il se trouve. En miroir, le soignant vers la résignation représente un risque d'échec
peut mal interpréter l'attitude du patient et réagir de ce travail, car elle décrit un processus de mise
de façon inappropriée. Il gagne alors à en prendre à distance de la perte de l'état de santé antérieur.
conscience afin de développer une attitude La réalité est un peu plus complexe, et on observe
plus adaptée. Dans le tableau  5.1, sont présentés des patients qui oscillent volontiers entre les deux
quelques exemples de réactions plus ou moins alternatives, indiquant qu'une alliance thérapeu-
adaptées de soignants, selon les différents stades. tique doit s'instaurer afin de les soutenir et de les
Suite à une annonce de diagnostic, le patient aider à cheminer [1]. Cela nous rappelle qu'au-delà
pourra cheminer de deux façons, aboutissant des modèles, une p­ ersonnalisation de l'analyse de

Tableau 5.1 Comportements liés aux phases d'acceptation de la maladie du patient


et du soignant : exemple d'une personne infectée par le VIH, adapté d'A. Lacroix [12]
Stade Patient Exemple Comportement Attitude adéquate
habituel du
praticien
Choc Surpris à angoissé « Je ne réalise pas Donne un maximum Soutenir, aider le
très bien… » d'instructions patient à se retrouver
Dénégation Détaché, banalise, « Ce n'est pas Persuasif Instaurer un climat de
n'entend pas possible, il y a confiance, chercher
l'information une erreur de en quoi le patient se
diagnostic », ou « il y sent menacé
a des maladies plus
graves… »
Révolte Agressif, « C'est la faute Se sent attaqué. Juge Accueillir la colère,
revendicateur de… », « C'est ma le patient caractériel chercher l'objet de la
faute », « C'est révolte
injuste…»
Marchandage ± Collaborant, « Je n'accepterai Irrité, remis en Négocier sur des
négocie les de nouveaux question points secondaires
conditions, tendance antirétroviraux que
à la manipulation si… »
Dépression Triste, replié, « Je réalise que je me Peu attentif Renforcer l'écoute
angoissé suis servi de mon VIH active, susciter un
pour… », « je ne vaux projet d'avenir
rien…»
Résignation Passif, docile « Je m'en remets à Dévoué Éviter la
vous, docteur… » chronicisation
iatrogène
Pseudo-acceptation Refuse « Je refuse d'être un Impuissant, Tenter de rejoindre le
inconsciemment de handicapé… » menaçant niveau émotionnel
se sentir malade
Acceptation Tranquille, « Je vis avec et non Gratifié Renforcer le parcours
collaborant malgré mon infection éducatif personnalisé
à VIH… » du patient
Source : tableau adapté de Lacroix A. Approche psychologique de l'éducation du patient : obstacles liés aux patients et aux soignants. Bulletin
d'Éducation du Patient 1996 ; 15 : 78–86.

47
Partie II. Éléments de psychologie du patient

Annonce du diagnostic

Choc
(Stupeur)

Incrédulité passagère Angoisse

Stratégies

confrontation évitement

Révolte
(Accusation)

Processus de distanciation
Processus d’intégration

Déni/refus
(banalisation) (honte)

Capacité dépressive
(tristesse)

Acceptation Résignation
(coping +) (dépression)

Figure 5.2 Le résultat de deux processus différents face à la maladie.


Source : Lacroix A, Assal JP. L'éducation thérapeutique des patients : accompagner les patients avec une maladie
chronique : nouvelles approches. 3e éd. Paris : Maloine ; 2011, 220 p.

la situation du patient et de la prise en charge est expérimenté et validé dans d'autres situations de
toujours nécessaire. changement de comportements en santé et s'avère
bien utile dans la pratique de l'ETP.
Les stades de changement sont les sui-
Temporalité et changement vants (figure 5.3) [14] :
de comportement [1, 3] • précontemplation : le patient ne pense pas avoir
Chez tout un chacun, un changement de compor- de problème avec le comportement nocif de
tement de santé est difficile à opérer. Il demande santé en question. Il l'envisage pour les autres,
des prises de conscience de la réalité du problème, mais pas pour lui. Il ne souhaite donc pas chan-
un effort d'autopersuasion, souvent des aides et ger car il n'est pas concerné par le sujet ;
des impulsions extérieures, et surtout du temps. • contemplation  : à ce stade, le patient com-
Le rythme de chacun en la matière est spécifique. mence à manifester une ambivalence. Il se sent
À la fin des années 1970, deux psychologues, concerné par le problème, mais pas encore prêt
James O. Prochaska et Carlo C. DiClemente, ont à agir. Il envisage un changement de comporte-
construit un modèle permettant de mieux com- ment mais il hésite à renoncer aux bénéfices de
prendre les étapes du changement chez l'individu. la situation actuelle ;
Il s'agit du modèle transthéorique du changement. • détermination, décision, préparation : à ce stade,
Ils ont d'abord appliqué leur modèle à des per- le patient est convaincu et décidé à opérer un
sonnes souffrant de dépendance. Ils ont alors changement. Il se sent prêt à démarrer la phase
montré que pour s'en sortir, celles-ci traversaient d'action dans un futur proche. Cette phase est
sept stades de changement. Ce modèle a été depuis très labile ;

48
Chapitre 5. Situation psychologique du patient

• préparation : pseudo-acceptation ;
• action et maintien : acceptation.
Lorsqu'il y a rechute, la durée et l'intensité de
chaque stade sont souvent réduites.
En fonction du stade où se trouve le patient, le
thérapeute doit donc adapter son discours aux
représentations du patient sur son comportement
problématique, de façon à l'aider à passer au stade
suivant [1, 12] :
• précontemplation : il convient de faire prendre
conscience au patient qu'il présente un compor-
tement de santé inadapté, qu'il est concerné et
qu'il peut agir. Lors de cette phase, un travail
sur les représentations est nécessaire ;
• contemplation  : la prise de conscience est
acquise, et le thérapeute va aider le patient
Figure 5.3 Stades du changement selon à prendre confiance en lui, à lui indiquer la
le modèle de Prochaska et DiClemente. marche à suivre, à recueillir ses ressentis, ses
Source : Les étapes changement de comportement. La
théorie de Prochaska et DiClemente. Le Médical Education doutes, ses peurs et ses espoirs. Le thérapeute
sur Mesure. [Internet]. Help médicale, Paris. Disponible en utilise ici la technique de la balance décision-
ligne sur : http://www.editionshelpmedical.com/web/ nelle, qui amène à comparer les pour et les
conseils-sante/les-etapes-de-changement-de-
comportement contre d'un changement ;
• détermination, décision, préparation  : le soi-
gnant aide le patient à établir son plan d'action, à
rechercher des aides extérieures, à choisir le bon
• action  : le changement est engagé vers des moment. Il montre aussi les risques de rechutes
modifications du style de vie. Les difficultés à et les façons de les prévenir et de s'en prémunir ;
traverser sont importantes ; • action : il s'agit ici d'accompagner le patient et
• maintien  : à cette phase de consolidation, il de l'encourager ;
convient de rester prudent car les tentations • maintien  : tout en valorisant le patient pour
sont nombreuses de retourner au comporte- l'effort accompli, en l'encourageant à maintenir
ment problématique antérieur ; le changement et en lui faisant rechercher les
• rechute : la rechute est possible et fait partie du aides extérieures, le soignant rappelle les situa-
processus normal de changement. Ce n'est pas tions à risque de rechute et aide à y remédier
une manifestation pathologique mais un temps aussi précocement que possible ;
nécessaire à la réussite finale du processus ; • rechute : si elle a lieu, il convient de déculpabiliser
• accomplissement, guérison définitive  : ce stade le patient, en montrant que la rechute fait partie
marque la réussite finale du processus dans du processus du changement. Elle ne doit pas
lequel la personne consolide le stade de main- réduire la confiance en soi. Le nouveau point de
tien. départ n'est pas le même qu'auparavant, le patient
La prise de conscience par le patient de son ayant la preuve même qu'il peut y arriver.
fonctionnement, inhérent d'ailleurs à tout être Évidemment, les choses sont en réalité plus com-
humain, lui permet de mieux se repérer dans sa plexes que dans cette description somme toute assez
propre évolution et de comprendre que la rechute schématique. Il existe plusieurs stades de « sous-
fait partie de la normalité. changements » dans un changement ; les prises de
Une transposition au modèle du deuil de conscience sont graduelles ; il existe des va-et-vient
Kübler-Ross vu ci-dessus est possible : dans les décisions. Mais ce modèle a le mérite de
• précontemplation : déni ; donner des repères au patient et au soignant, et donc
• contemplation  : révolte, marchandage ou de rassurer et de convaincre qu'un changement de
dépression ; comportement durable est bien possible.

49
Partie II. Éléments de psychologie du patient

Sentiment d'efficacité personnelle stratégies d'ajustement au problème. C'est dans


ou d'autoefficacité cette situation que l'ETP peut aider. Ces straté-
gies s'appliquent à l'un au moins des trois déter-
Le sentiment d'autoefficacité développé par minants suivants :
A. ­Bandura (1977) est la croyance que possède un – le problème. L'action est dirigée sur le pro-
individu en sa capacité à produire ou non une tâche. blème en lui-même, source de stress, par un
Plus grand est le sentiment d'autoefficacité, plus acte cognitif ou comportemental. Par exemple,
élevés sont les objectifs que s'impose la personne résoudre le stress engendré par l'émergence
et plus grand est son engagement. Ce sentiment d'épisodes inopinés et récurrents d'hypogly-
permet un dépassement de soi et constitue alors cémie, par l'utilisation régulière d'un ­matériel
un formidable moteur. de surveillance glycémique avec adaptation
Ce sentiment s'appuie sur quatre éléments : du traitement,
• les succès antérieurs : ils construisent une solide – les émotions liées au problème. Si le problème
croyance d'efficacité personnelle tandis que les ne peut être résolu, il est préférable de s'en
échecs en général la minent. Cependant, pour accommoder tant bien que mal. Les straté-
ceux qui disposent à la base d'un bon sentiment gies d'adaptation axées sur les émotions ou les
d'efficacité, les revers peuvent être bénéfiques représentations peuvent rendre alors un grand
et renforcent, car ils enseignent sur les erreurs service : elles correspondent à une démarche
futures à éviter et sur l'habitude d'un effort sou- émotionnelle et cognitive, visant à diminuer,
tenu ; voire à éliminer le stress en percevant diffé-
• l'apprentissage social  : l'individu tire bénéfice remment la réalité gênante. La relaxation sous
à observer les actions réalisées dans le même ses diverses formes (training autogène, sophro-
cadre que lui, par des personnes vis-à-vis logie, yoga, méditation, mindfulness, etc.),
­desquelles il peut s'identifier ; l'humour, l'expression des émotions, favo-
• la persuasion par autrui  : la confiance que lui risent la gestion de celles-ci. Par exemple, ce
manifestent d'autres personnes renforce la per- peut être le cas vis-à-vis d'une chimiothérapie
sonne dans sa confiance en elle ; qu'il faut absolument suivre et qui engendre
• l'état physiologique et émotionnel  : la régula- des angoisses : le patient peut être soulagé par
tion des émotions favorise une bonne gestion des exercices de sophrologie qui diminuent le
du stress, et donc une meilleure performance. stress et/ou par un travail sur ses représenta-
En ETP, le sentiment d'autoefficacité est très tions négatives de ce type de traitement,
souvent considéré et valorisé, car il favorise l'au- – l'hygiène de vie. Il s'agit ici de renforcer les
tonomie. ressources internes de l'individu par une
meilleure hygiène de vie. Ainsi, il sera plus à
même de supporter les demandes environne-
Stratégies de coping mentales. Par exemple, la pratique régulière
et d'ajustement d'un sport favorise une meilleure capacité à
gérer une maladie en réduisant la fatigue et le
Le mot coping vient du verbe anglais to cope with stress, en valorisant le corps.
signifiant « faire face à ». Selon R.  Lazarus et
S. Folkman (1984), les capacités à « faire face » ou
« coping » correspondent à l'ensemble des pensées Conativité
et des actes développés par le sujet pour résoudre
les problèmes auxquels il est confronté. Avec les croyances et la motivation, elle représente
Le coping vise donc à minimiser le stress. C'est la troisième composante nécessaire à l'action. Elle
un processus autant inconscient que conscient : désigne l'effort et la volonté.
• inconscient  : citons ici les mécanismes de Une forte conativité laisse penser que le
défenses comme le déni, le déplacement, la patient est enclin au changement et peut mettre
régression, l'intellectualisation, etc. ; en œuvre de nouvelles compétences. Dans ce
• conscient : le processus de coping est ici modi- cas, il a implicitement une image suffisamment
fiable par l'apprentissage. On parle alors de bonne de lui-même, possède un sentiment positif

50
Chapitre 5. Situation psychologique du patient

­ 'autoefficacité par rapport à ses actions et peut


d une force qui l'aide à se reconstruire et poursuivre
formaliser son projet sans ambiguïté [15]. son chemin.
La résilience peut s'appuyer sur une ou plu-
Résilience sieurs rencontres avec un individu suffisamment
attentif et bienveillant pour aider à restaurer la
À l'origine en physique, le terme résilience désigne confiance en soi, dans les autres et dans la vie.
la capacité d'un matériau soumis à un impact à Dans le cadre de la maladie chronique, cet indi-
retrouver son état initial. vidu peut être un soignant ou un aidant, qui peut
Après E. Werner et R. Smith (1939–1945), puis jouer ce rôle de « tuteur de résilience » en écou-
J.  Bowlby et S.  Ionescu en France, B.  Cyrulnik tant, en favorisant l'expression des émotions, la
(2004) a médiatisé le concept de résilience en psy- réflexion, la parole. La notion de soutien social est
chologie en l'appliquant aux survivants des camps ici fondamentale.
de concentration. La résilience est un phénomène En conclusion, nous présentons le cas de
psychologique qui consiste, pour un individu Sandrine, qui au travers de son parcours de
­
affecté par un traumatisme important, à prendre patiente souffrant d'un diabète, traverse des situa-
acte de l'événement traumatique pour ne plus tions qui font échos aux concepts visités dans ce
vivre dans la dépression et se reconstruire. Du chapitre (encadré 5.1).
dépassement du traumatisme, il développe en lui
ENCADRÉ 5.1

Explorations des concepts de santé chez Sandrine qui souffre d'un diabète
évoluant depuis l'enfance
Sandrine a maintenant 27  ans. Elle connaît (modèle des croyances de santé). Sa volonté
bien sa maladie, un diabète de type  1 qui a et sa motivation sont faibles (conativité).
marqué sa jeunesse. Très tôt, ses parents ont Le médecin lui propose alors de bénéficier
tout fait pour qu'elle apprenne à se traiter d'un programme d'ETP. Lors du bilan éduca-
par insuline et qu'elle « suive son régime ». tif partagé (BEP), Sandrine peut s'exprimer
Adolescente, elle a eu une période difficile, pleinement, se sent écoutée, peut pleurer.
faite de révoltes et de déprimes (corres- Elle comprend les objectifs de la démarche et
pondant aux différents stades du processus y adhère. Des objectifs éducatifs sont conve-
de  deuil de la vie sans maladie). Parfois, elle nus avec elle. Elle a confiance dans l'équipe
stoppait tout traitement pour oublier et être soignante et accepte la main tendue (relation
« comme les autres » (phase de déni). Parve- d'aide, posture éducative, alliance thérapeu-
nue à l'âge de 18 ans, elle entame des études tique). Sandrine bénéficie de séances indivi-
de comptabilité. Elle se traite irrégulière- duelles avec une psychologue pour qu'elle
ment. Elle ne se sent pas bien dans sa peau et puisse mieux se connaître, dépasser ses résis-
a une faible estime d'elle-même. Elle se voit tances et s'ouvrir au changement (psychothé-
sans défense face au diabète qu'elle imagine rapie, entretien motivationnel). Elle participe,
comme une pieuvre qui va la dévorer petit avec une grande satisfaction, à plusieurs ate-
à petit (représentations négatives). Face à la liers collectifs. Enfin, elle se sent beaucoup
maladie, elle se sent démunie et sans pouvoir moins isolée et démunie. Elle comprend mieux
(locus externe). Elle attribue sa malchance à la maladie et les traitements. Elle modifie pro-
ses parents et à Dieu, vis-à-vis desquels elle gressivement ses représentations. Elle reprend
nourrit de forts ressentiments (attributions du pouvoir sur sa maladie et sur sa vie et sait
causales). qu'elle va pouvoir techniquement gérer ses
Un nouveau traitement lui est proposé par injections quotidiennes (empowerment, sen-
son diabétologue mais bien qu'elle en voie timent d'efficacité personnelle, locus interne,
l'intérêt, Sandrine ne se sent pas prête à phase de préparation au changement, cona-
reprendre ses injections quotidiennes (stade tivité). Au bout de 3 mois, elle se sent prête,
de contemplation, stade de la révolte). Elle et elle débute avec succès son nouveau trai-
se sait malade, elle connaît les graves consé- tement (stade d'acceptation de la maladie
quences à long terme du diabète, elle sait que et du traitement, passage à l'action – Pro-
l'insuline est efficace mais elle n'est pas prête chaska, croyances de santé validées). Elle gère
à dépasser les contraintes liées à ce traitement mieux son problème de santé et ses ­émotions

51
Partie II. Éléments de psychologie du patient


(­coping). Après plusieurs mois, elle maintient ces expériences et grâce à l'aide apportée par
son traitement et en est fière (­estime de soi). les soignants (­accompagnement et soutien)
Son attitude positive et responsable se renforce mais aussi par sa famille et ses amis toujours
petit à petit au fil des années (­empowerment) présents à ses côtés (­ aidants), elle décide
et elle adopte un style de vie axé davantage d'écrire un livre et expose son expérience,
sur la santé que sur la maladie (salutogenèse, qu'elle considère maintenant comme positive
optimisme). Dix ans plus tard, transformée par et constructive (résilience).

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52
Différentes approches Chapitre 6
psychothérapeutiques
au service de l'éducation
thérapeutique du patient

Il est utile pour un soignant de se repérer dans les cela, notamment, les rêves, les lapsus, les actes
différentes approches de relation d'aide et psycho- manqués… Bien que ces processus restent
thérapeutiques. essentiellement inconscients, la psychana-
La relation d'aide désigne l'accompagnement lyse dispose d'une théorie et d'une technique
le plus souvent sous forme d'entretiens en tête- à même de comprendre ces logiques incons-
à-tête, d'une personne vivant des difficultés cientes et d'aider éventuellement le sujet qui
d'ordre médical, psychologique ou social. Cette en souffre à résoudre ses problèmes.
relation est classiquement assumée par un psy- Atteint d'une maladie chronique, le patient fait
chologue ou un psychiatre, mais un profession- part non seulement des souffrances liées à ses
nel de santé ou un acteur social peut s'impliquer symptômes mais aussi de la façon dont il vit sa
naturellement dans ce cadre tout en détermi- maladie, du sens qu'il lui donne, de ses interroga-
nant ses limites et son niveau de compétence tions, de ses croyances…
(voir chap.  4, De la relation d'aide à la posture La maladie ne sépare pas le corps de l'esprit.
éducative). Tout symptôme peut être accompagné d'un
La relation psychothérapeutique consiste sentiment ou d'une émotion qui envahit tout
à aider une personne souffrante par un pro- le champ de la pensée, réduisant le patient à la
fessionnel formé spécifiquement pour cela. seule expression de sa maladie. Face à cela, il ne
Elle s'inscrit dans un contrat de soin établi au peut que montrer sa souffrance et son impuis-
départ. Différentes formes de psychothérapie sance. Il doit réorganiser sa vie, tant physique
existent, reposant chacune sur des bases théo- que psychique. Le vécu émotionnel de la mala-
riques spécifiques. die chronique et celui de sa douleur physique ne
font plus qu'un.
La question de l'origine psychologique d'une
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maladie chronique est souvent évoquée. Appa-


Approches psychothérapeutiques : raît alors la participation du psychique sur le
psychanalyse et thérapies somatique, mettant en avant des liens pluriels
Pratiquer l’éducation thérapeutique

de causalité. L'approche psychosomatique ne


cognitivo-comportementales (TCC) fait pas prévaloir le psychique sur le somatique,
mais apporte une autre explication sur la façon
Psychanalyse [1–3] de comprendre certaines maladies somatiques.
Mise au point par S.  Freud, la psychanalyse Le « conflit psychique » utilise le corps comme
consiste en l'explication de certains actes ou lieu d'expression. Le risque dans l'interpré-
pensées par des déterminismes psychiques tation de ce modèle serait pour le patient une
présents dans l'inconscient. Le but est de com- culpabilisation qu'il convient d'emblée d'éviter
prendre les liens. La psychanalyse explore pour et de prévenir.

53
Partie II. Éléments de psychologie du patient

Thérapies cognitivo- un objectif réaliste. Le professionnel renonce


comportementales (TCC) [2, 4, 5] ainsi à la prescription du changement qui induit
chez le patient des réactions de résistance forte-
Issues de la fusion d'approches cognitivistes et ment prédictives du maintien du comportement
comportementalistes dans les années 1960–1980, problématique. Il s'appuie bien davantage sur la
les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) responsabilisation du patient dans son chemine-
reposent sur le postulat que le comportement ment. Devant toute perspective de changement,
peut être modifié en agissant sur les déterminants l'ambivalence est naturelle. En la respectant, en
cognitifs (connaissances, représentations), émo- l'explorant, le professionnel vise à diminuer les
tionnels et physiques. peurs et les résistances du patient et à augmen-
Les TCC considèrent les difficultés du patient ter sa motivation au changement. Le patient for-
dans « l'ici et maintenant ». Par des exercices mule les arguments en faveur du changement.
pratiques centrés sur les symptômes et par Ses préoccupations prennent le pas sur celles du
l'accompagnement par le thérapeute, la théra- soignant.
pie vise à intervenir sur les processus mentaux Cette technique demande de la part de ce der-
conscients ou non, considérés comme l'origine nier les attitudes et actions suivantes :
des croyances, des émotions et de leurs désordres. • exprimer de l'empathie, qui est différente de la
Ces techniques sont souvent utilisées dans la prise sympathie où il y a partage de la détresse. Elle
en soin des troubles anxieux (notamment les pho- diffère également de « l'apathie », qui se définit
bies), dépressifs et les addictions. par une distance émotionnelle aboutissant à
Dans le cadre de la maladie chronique, l'objectif minimiser la souffrance de l'autre ;
est d'amener le patient à réussir des changements • développer les divergences, c'est-à-dire le senti-
de comportement afin qu'il puisse mieux vivre au ment de discordance entre ce que le patient vit
quotidien. Il peut ainsi apprendre à mieux gérer et fait et ses valeurs personnelles. L'ambivalence
sa maladie et ses comportements et à rendre les est soulignée. Il convient de faire émerger dans
conséquences de sa maladie moins négatives. la parole du patient ses soucis et les raisons qu'il
Plusieurs techniques en sont dérivées, comme aurait de changer, sans exprimer d'accord ou de
l'entretien motivationnel, la psychoéducation et la désaccord ;
thérapie « d'acceptation et d'engagement ». • rouler avec la résistance du patient, c'est-à-dire
l'accepter et faire avec. Il convient alors d'appro-
Entretien motivationnel [4, 6] fondir les raisons de cette résistance, en évitant
Décrit pour la première fois en 1983 par WR. Miller la confrontation, la persuasion et le jugement.
et S. Rollnick, l'entretien motivationnel a d'abord Le patient est le premier générateur de réponses
été une approche d'intervention en addicto­ et de solutions. Un autre regard est posé don-
logie [6]. nant un autre sens, une autre perspective ;
C'est une méthode de communication à la fois • développer le sentiment d'efficacité person-
directive et centrée sur la personne, ayant pour nelle.
objectif d'aider aux changements de comporte- La balance décisionnelle consiste à peser les
ment en renforçant les motivations intrinsèques avantages et les désavantages du statu quo ou du
de la personne par l'exploration et la résolution de changement. La décision revient entièrement au
ses ambivalences. La démarche est possible si le patient.
changement est voulu par le patient et que celui-ci Pour aboutir à ces résultats, quatre outils rela-
demande de l'aide pour y parvenir. tionnels sont utilisés par le thérapeute : pratiquer
Dans beaucoup d'autres champs que l'addicto- l'écoute active et réflexive, valoriser, reformuler et
logie, la technique de l'entretien motivationnel est résumer. On voit ici une forte convergence avec la
utilisée, notamment en ETP. Cela dit, la pratique définition de la posture éducative (voir chap. 4, La
de l'ETP n'oblige pas ce type d'approche. Il s'agit posture éducative).
juste d'un possible. Cette méthode s'avère ainsi particulière-
La démarche motivationnelle privilégie la col- ment utile dans les situations où le patient est
laboration entre les soignants et le patient vers en difficulté pour reconnaître la gravité d'un

54
Chapitre 6. Différentes approches psychothérapeutiques …

problème. Également, lorsque sa motivation

ENCADRÉ 6.1
est faible. Dans les situations où le comporte- Exemple d'un programme
ment d'un sujet est un élément déterminant du d'ETP intégrant une démarche
pronostic, comme dans la prise en charge de la de psychoéducation
maladie chronique ou la gestion individuelle des Un programme d'ETP au CHU de Montpel-
facteurs de risque (diabète, obésité, sédentarité, lier intègre une démarche de psychoédu-
hypercholestérolémie), l'approche motivation- cation nommée « Profamille ». Il s'adresse
nelle augmente l'efficacité de l'accompagnement à des familles dont un membre (enfant,
conjoint…) souffre de schizophrénie. Le ca-
thérapeutique. nevas psychoéducatif a été créé à ­Montréal
en 1987 par H. Cormier. Le modèle a ensuite
Psychoéducation [2, 7] été repris en Europe et actualisé. Le but
est d'aider l'entourage familial d'une per-
La psychoéducation est née au Québec au sonne schizophrène à réduire la souffrance
milieu des années 1950. Elle est adaptée pour psychique, physique et sociale de cette
des personnes souffrant d'inadaptation psy- personne, de réduire les perturbations du
chosociale. fonctionnement familial et de ­ diminuer
Elle est utilisée dans les domaines des patho- les rechutes. L'efficacité du processus a
été prouvée (outre la satisfaction des par-
logies mentales et comportementales. L'objectif ticipants, division par quatre du nombre
pour le patient est d'acquérir des compétences de rechute à 1  an et par deux les années
pour mieux connaître la maladie et les traite- suivantes). Le programme comprend
ments, ainsi que les signes d'alerte. En connaissant 14  séances hebdomadaires sur 4  mois, et
mieux sa maladie, celui-ci pourra la gérer plus aborde les thèmes suivants  : connaissance
sur la maladie et les traitements, développe-
efficacement et prévenir les risques de rechute ou ment des habiletés relationnelles, gestion
d'aggravation. Il sera également à même de mieux des émotions, développement de cogni-
l'accepter et l'assumer. tions adaptées (gérer ses pensées parasites,
Cette démarche est voisine de celle de l'ETP. avoir des attentes réalistes…) et développe-
Les différences tiennent au fait qu'en psychoé- ment des ressources (aides, réseaux). Pour
convenir au canevas de l'ETP, plusieurs élé-
ducation, il n'y a pas d'étude de besoins du ments ont été travaillés, ajoutés et mis en
patient et que la norme est extérieure. Cepen- place : un bilan éducatif partagé (BEP), un
dant, intégrer une démarche de psychoéduca- suivi et une évaluation davantage person-
tion dans un programme d'ETP est possible nalisée, un partage en équipe des données
(encadré 6.1). éducatives.
Source : Programme d'ETP Profamille. Équipes
du pôle de psychiatrie, hôpital La Colombière,
Technique de la « pleine CHU Montpellier. Coordonnateurs : Docteurs
J. Attal, A. Carré et P. Clément, et R. Petit, cadre
conscience » ou mindfulness [8] de santé.
Issue de la psychologie positive, cette tech-
nique émane dans les années 1990 de la ren-
contre de méthodes ancestrales de méditation Les ruminations mentales qui sont au cœur de la
bouddhistes avec des recherches récentes en névrose cessent progressivement.
neuroscience. La méthode, extraite de toute La « pleine conscience » est appliquée à diffé-
­conception religieuse, consiste à observer acti- rentes formes de psychothérapie, comme cer-
vement les pensées et les émotions au moment taines thérapies cognitives – mindfulness-based
présent, sans juger, en acceptant pleinement congintive therapy (MBCT) ou mindfulness-based
l'expérience qui se déroule. stress reduction (MBSR) – ou la thérapie « d'accep-
Au lieu de fuir continuellement des conditions tation et d'engagement » (ACT).
psychologiques douloureuses, cette approche fait L'effet positif, sur la santé tant psychique que
considérer les situations inconfortables comme physique, a été démontré. Aussi, ces techniques
des expériences à vivre. Porter intentionnelle- commencent à être de plus en plus utilisées dans
ment son attention sur ce qui est dans l'instant, le cadre de séances d'ETP pour réduire le stress
offre une ouverture au monde, aux autres, à soi. (encadré 6.2).

55
Partie II. Éléments de psychologie du patient

ENCADRÉ 6.2
Des ateliers de pleine conscience pour des patients insuffisants rénaux
Le Professeur C.  Isnard, néphrologue, a mis sont nombreuses dans un parcours d'insuffi-
en place des ateliers collectifs de pleine sant rénal (toutes les étapes de changements
Conscience (mindfulness) dans le cadre d'un de traitement, la préparation à la greffe, le
programme d'éducation thérapeutique pour ­début de la dialyse, la réalisation d'examens
des personnes qui vivent avec une maladie médicaux et même parfois chaque visite chez le
rénale, la dialyse ou la greffe (extrait synthé- néphrologue…). Pratiquer la pleine conscience
tisé de [9]). mène également à mieux gérer les ressentis
Dans un format de 8  semaines, des séances douloureux en permettant un vécu très amé-
de 2  à 3  heures par semaine et une journée lioré des situations de douleur. C'est enfin un
entière après la 6e  séance (en général un moyen puissant de se reconnecter avec les
samedi) sont dispensées. Cette participation sensations du corps, ce corps qui est si souvent
demande un fort engagement personnel. Les mis de côté lorsqu'il est porteur d'une maladie.
participants doivent en effet s'entraîner en Pouvoir ressentir à nouveau des sensations cor-
réalisant à la maison 45  minutes d'exercices porelles permet de se réapproprier son corps,
par jour. Une fois le stage réalisé, ils peuvent et d'être davantage présent aux signaux qu'il
continuer à mettre en place une pratique nous donne, qui sont parfois si importants
méditative quotidienne et se retrouver en lorsque l'on a une maladie chronique.
groupe de temps en temps pour partager Aux États-Unis, depuis 30  ans, des stages de
leurs expériences et se remotiver ensemble, pleine conscience sont dispensés dans les
car le maintien de la pratique quotidienne est hôpitaux pour les malades chroniques. Mais
évidemment difficile. cette pratique est débutante en France et s'in-
Les avantages de cette technique sont de trois tègre souvent dans le cadre d'une recherche.
ordres. D'abord, elle aide la personne à mieux Elle est possible dans les établissements de
gérer son stress. Or, les situations stressantes santé ou en ville.

Thérapie d'acceptation La thérapie propose donc, plus qu'une réduc-


et d'engagement (ACT) [10] tion des symptômes, une nouvelle flexibilité
Intégrant des éléments de « pleine conscience », mentale en apprenant à être davantage présent,
ce nouveau modèle de psychothérapie, mis au pleinement conscient et ouvert à l'expérience
point par S. Hayes (1990), aide le patient à per- de soi et de son environnement, en posant des
cevoir différemment ses émotions et ses pen- actes guidés par ses valeurs. En outre, l'individu
sées. Ce n'est qu'en acceptant ce que nous ne apprend à défusionner de ses propres pensées et
pouvons pas changer que l'on réussit à dégager à les considérer comme témoins de son monde
les ressources nécessaires pour agir là où c'est intérieur et de son passé.
possible afin d'orienter notre vie dans le sens de Avec cette nouvelle attitude, de l'énergie est
nos propres valeurs. récupérée, ce qui permet à la personne de s'enga-
L'ACT est issu d'un présupposé que l'individu ger dans des actions épanouissantes et ayant du
vivant un état psychologique douloureux aura sens pour elle. De ce fait, l'ACT est une thérapie
tendance naturellement à vouloir résoudre, de l'action.
contrôler ou fuir le problème. Or, c'est le refus Cette nouvelle approche est en plein dévelop-
même de ce vécu émotionnel qui alimente pement. La clinique et les recherches suggèrent
nombre de processus psychopathologiques. En son efficacité dans des problématiques variées :
parallèle, s'installe une certaine rigidité men- troubles anxieux, troubles de l'humeur, troubles
tale qui consiste à ressasser les mêmes pensées de la personnalité, douleur chronique, troubles
et à ne plus bouger dans sa vie. Enfin, l'individu du comportement alimentaire, psychose, stress
a tendance à croire ses propres pensées comme professionnel, performances sportives, ges-
vraies et objectives. Or ces trois mécanismes tion du diabète, addictions… De ce fait, son
sont les sources même de la perpétuation du utilisation dans le cadre de l'ETP paraît très
mal-être. ­i ntéressante.

56
Chapitre 6. Différentes approches psychothérapeutiques …

Comparaison des pratiques Place des professionnels


psychothérapeutiques intervenant en ETP
(psychanalyse et TCC) dans la prise en charge
avec la relation d'aide en ETP [2] psychologique du patient [2, 11]
Le tableau 6.1 propose une comparaison des trois Face à la complexité de l'être humain, la prise en
abords, l'ETP, les TCC et la psychoéducation, soin prend en considération plusieurs dimen-
sachant que les intersections et les influences sont sions. L'équipe soignante, en tant qu'entité, recèle
nombreuses. en son sein nombre de compétences, biomédicales,

Tableau 6.1 Différences entre ETP, TCC et psychoéducation


ETP TCC Psychoéducation
Domaine d'intervention Maladies chroniques Conduites addictives (alcool, Pathologies
tabac, toxicomanies), troubles comportementales (jeunes
du comportement alimentaire, et adolescents)
dépression, anxiété sociale, Conduites addictives,
phobies, obésité… schizophrénie, troubles
bipolaires…
Équipe Multidisciplinaire Médecin, psychologue Psychiatre, psychologue
± infirmière
Formation Formation spécifique Diplôme universitaire Formation spécifique
(> 40 h)
Incluse dans le Oui Pas toujours Oui
processus du soin
Processus d'analyse Bilan éducatif partagé Analyse fonctionnelle 0
(ou diagnostic éducatif)
Projet Éducatif et thérapeutique Thérapeutique Thérapeutique
Norme Intérieure Intérieure Extérieure
Co-construction +++++ +++ +
Évaluation initiale Ligne de base* Ligne de base* Ligne de base*
(+ humeur et anxiété) (+ humeur et anxiété)
Intervention Individuelle et collective Individuelle ++ ou collective Collective
Entourage Patient et entourage Patient Patient et/ou entourage
Pairs Pairs
Partage de l'information ++++ + +
Évaluation finale Objectifs atteints, Objectifs atteints, Objectifs atteints,
empowerment, empowerment, arrêt de prise empowerment,
suivi au long cours en charge (fin de cycle) arrêt de prise en charge
Si objectifs non ou (fin de cycle)
partiellement atteints, Si objectifs non ou
nouvelle analyse fonctionnelle partiellement atteints,
nouveau cycle
* La ligne de base (ou de référence) apprécie l'état d'être ou de comportement avant tout traitement.
Source : Pancrazi MP, Ortuno E, Delbosc C, de la Tribonnière X. Écho des 12es Journées régionales d'échanges sur l'éducation du patient, Montpellier,
29 et 30 novembre 2012. Éducation thérapeutique du patient, psychothérapie, thérapie cognitivo-comportementale et psychoéducation :
quels équilibres ? Santé Éducation 2013 ; 32–5 © Edimark SAS.

57
Partie II. Éléments de psychologie du patient

p­ sychologiques et sociales qui sont nécessaires pour il convient d'orienter vers un psychologue ou au
répondre aux besoins du patient. L'interdisciplina- psychiatre lorsqu'émergent des ressentis tels qu'un
rité qui prévaut alors dans l'équipe, qui se définit par sentiment d'impuissance face au patient, l'impres-
le fait de travailler ensemble en échangeant de façon sion de ne plus être assez compétent, le manque de
intense dans un but commun, devient un principe disponibilité, une distance qui ne paraît plus adé-
fondateur de l'équipe. Dans ce cadre, on perçoit la quate ou, chez le patient, un deuil pathologique,
complémentarité entre tous les professionnels de une pathologie psychiatrique, un besoin d'accom-
santé, intégrant le psychiatre et/ou le psychologue. pagnement approfondi… (encadré 6.3).
Le psychiatre et le psychologue ont acquis des
compétences pour manier des outils et des tech-
niques thérapeutiques permettant de prendre

ENCADRÉ 6.3
soin du psychisme. Ils s'inscrivent dans un cadre Rôles du psychologue en ETP
thérapeutique. Dans ce cadre, ils accueillent À l'issue d'une étude qualitative sur la
l'expression du patient, sa souffrance, ses repré- place du psychologue en éducation théra-
peutique, Léger et  al. ont synthétisé sous
sentations… Ils tentent de lui offrir un étayage
la forme de métaphores les différents rôles
relationnel servant d'assise à l'expression de son possibles du psychologue vus par des soi-
vécu et de ses difficultés. Une attitude bienveil- gnants [11] :
lante et soignante permet de renforcer l'alliance  le psychologue comme éponge, un absor-
thérapeutique et offre au patient une contenance beur d'émotions ;
rassurante, sur laquelle il prend appui.  le psychologue comme métier à tisser  :
Ces deux professionnels participent au travail de il accompagne le sujet vers le « retissage de
l'équipe, par la mise en commun de leur éclairage soi », en lien avec la résilience ;
 le psychologue comme traducteur : il per-
sur les aspects psychologiques. Ils ont aussi parfois
met de rendre « intelligibles » les discours,
pour mission de soutenir et de prendre en compte par exemple, du médecin au patient ou du
la parole de chacun dans l'équipe. Ils peuvent assu- patient au médecin ;
rer ainsi un rôle de supervision qui consiste en une  le psychologue comme accordeur : il fait
analyse des pratiques et un soutien de l'équipe afin, partie de l'équipe, il est en interaction avec
le système. Il donne le « la » ;
notamment, de repérer un risque de burnout.
 le psychologue comme fenêtre : il apporte
L'abord psychologique du patient relève égale- un vent frais, de la créativité à l'équipe ;
ment des autres professionnels de l'équipe. Dans  le psychologue comme bateau  : c'est un
l'ETP, les intervenants sont majoritairement des passeur.
paramédicaux (infirmier, aide-soignant, dié- Ces métaphores indiquent que ces s­ oignants,
téticien, masseur-kinésithérapeute, etc.). Leurs dans leur majorité, ont une vision ­positive
compétences professionnelles, issues de leur for- des fonctions du psychologue dans un
­programme d'ETP.
mation (professions réglementées), leur donnent
une légitimité pour participer à la prise en charge
psychologique du patient. À des degrés divers,
tous ont des compétences en soin et/ou en accom- Références
pagnement psychosocial.
L'accompagnement réalisé par les associations [1] Lacroix  A, Assal  JP. L'éducation thérapeutique des
patients : accompagner les patients avec une maladie
de patients est un complément important à cette chronique  : nouvelles approches. In  : 3e  éd Paris  :
prise en soins psychologique du patient. Il aide Maloine ; 2011. p. 220.
aussi à faire le lien entre l'hôpital et la ville. [2] Pancrazi  MP, Ortuno  E, Delbosc  C, et  al. Écho des
Même si les professionnels de santé et les acteurs 12es Journées régionales d'échanges sur l'éducation du
sociaux ont de réelles compétences en psycholo- patient, Montpellier, 29 et 30 novembre 2012. Éducation
gie, ceux-ci doivent pour autant connaître leurs thérapeutique du patient, psychothérapie, thérapie
cognitivo-comportementale et psychoéducation : quels
limites. Ils gagnent à cultiver une position d'humi- équilibres ? In : Santé Éducation. 2013. p. 32–5.
lité : ne pas trop en faire et ne pas faire trop vite. Il [3] Tourette-Turgis  C. L'éducation thérapeutique du
s'agit d'écouter l'autre de sa place et de ne pas trai- patient : champ de pratique et champ de recherche.
ter autre chose que ce pourquoi on est là. Parfois, Savoirs 2014 ; 11–48.

58
Chapitre 6. Différentes approches psychothérapeutiques …

[4] Golay A, Lagger G, Giordan A. Comment moti- [9] Méditation : du nouveau dans l'accompagnement des
ver le patient à changer ? In Paris  : Maloine ; malades en néphrologie. Entretien avec C.  Isnard
2010. p. 247. Bagnis. Renaloo [Internet], avril 2013. Disponible en
[5] Cottraux  J. Les thérapies comportementales et ligne sur  http://www.renaloo.com/actualites2/
cognitives. 4e éd Paris : Elsevier Masson ; 2004. les-dernieres-actualites-liste/1139-meditation-du-
[6] Rollnick  S. Pratique de l'entretien motivationnel. nouveau-dans-l-accompagnement-des-malades-en-
InterEditions ; 2009. nephrologie ?showall=1&limitstart=.
[7] Bonsack  C, Rexhaj  S, Favrod  J. Psychoéducation  : [10] Ducasse  D, Fond  G. La thérapie d'acceptation et
définition, historique, intérêt et limites. Ann Méd- d'engagement. Encéphale 2015 ; 41 : 1–9.
Psychol Rev Psychiatr 2015 ; 173 : 79–84. [11] Léger P, Garnier PH, Bauer D, et al. Expériences de
[8] Csillik A, Tafticht N. Les effets de la mindfulness et psychologues cliniciens en éducation thérapeutique.
des interventions psychologiques basées sur la pleine Éduc Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ
conscience. Prat Psychol 2012 ; 18 : 147–59. 2012 ; 4 : 23–8.

59
Partie III

Éléments de pédagogie

Chapitre 7. Les grands modèles explicatifs de l'apprentissage 63


Chapitre 8. Principales méthodes pédagogiques 67
Chapitre 9. Transposition pédagogique à l’éducation thérapeutique du patient 69
Le professionnel de santé qui se forme à l'ETP, tant que telle dans les études médicales ou paramé-
développe des compétences en pédagogie, lui per- dicales. Aussi, sans être exhaustif, nous abordons
mettant à terme d'assumer un rôle de « soignant- ici quelques éléments succincts afin que le soi-
éducateur ». La pédagogie n'est pas enseignée en gnant puisse se repérer davantage en ce domaine.
Les grands Chapitre 7
modèles explicatifs
de l'apprentissage [1–6]

La pédagogie a toujours considéré avec la plus


grande attention les apports de la psychologie. À
Modèle transmissif
côté de la psychologie du développement qui s'ap- Cette pédagogie, encore appelée traditionnelle ou
plique à caractériser les stades évolutifs de l'enfant frontale, consiste à transmettre de l'information du
et de l'adolescent en vue de devenir un adulte maître à l'élève, ce dernier s'organisant au mieux pour
vivant en société, la psychologie de l'apprentissage apprendre. La méthode est centrée sur les savoirs et
explore la façon dont un être humain apprend. sur l'enseignant. Le contenu des savoirs est déjà struc-
turé. Il est transmis et répété pour être mémorisé.
Dans cette approche, l'enseignant et l'apprenant
Définitions [1] partagent de fait un même langage au service de
l'objectif fixé par le maître. L'avantage consiste à
La pédagogie désigne l'art de l'éducation. Elle transmettre simultanément et rapidement à beau-
présente toutes les activités visant à développer coup d'apprenants des informations comprises a
des apprentissages chez autrui. Par extension, ce priori par tous.
terme rassemble non seulement les méthodes et La limite réside dans la supposée homogénéité
pratiques d'enseignement et d'éducation, mais des apprenants, ce qui n'est souvent pas le cas.
aussi les compétences requises de la part de l'en- Cette pédagogie est utilisée dans les cours
seignant pour transmettre un savoir, un savoir- magistraux emblématiques des études de méde-
faire ou un savoir-être, tout en tenant compte cine et pour une partie des études paramédicales.
des connaissances antérieures et du comporte-
ment du sujet.
Étymologiquement, « pédagogie » signifie « conduire, Modèle comportementaliste
mener, accompagner, élever l'enfant ». Dans l'Anti- ou béhaviorisme
quité, le pédagogue était un esclave qui accompa-
gnait l'enfant à l'école, lui portait ses affaires, mais Le modèle béhavioriste ou comportementaliste a
© 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

aussi lui faisait réciter ses leçons et faire ses devoirs. longtemps inspiré le monde de l'instruction ou de
On distingue pédagogie et didactique. La péda- l'enseignement scolaire.
gogie est généraliste, tandis que la didactique est L'enseignement inspiré du béhaviorisme tend à
Pratiquer l’éducation thérapeutique

spécifique, appliquée à telle ou telle discipline ; on faire reproduire un comportement observable au


parlera ainsi de la didactique de la santé. La didac- sujet. La mémorisation passe ensuite par le ren-
tique fait l'hypothèse que la spécificité des conte- forcement positif qui incite le sujet à reproduire le
nus est déterminante dans l'appropriation des comportement attendu. Des exercices progressifs
connaissances, tandis que la pédagogie porte son sont proposés afin de modeler le comportement
attention sur la relation entre celui qui enseigne et par touches successives. L'encouragement du sujet
celui qui reçoit l'enseignement. passe donc par ses réussites itératives.

63
Partie III. Éléments de pédagogie

L'éducation est ici centrée sur l'enseignant


davantage que sur l'apprenant. Ce premier
Modèle cognitiviste
applique des normes préétablies. Son objectif est Ce modèle est fondé sur des recherches en psycho-
d'assurer une continuité sociale et de créer des logie et en neuroscience. Il fait l'hypothèse que la
repères fiables et rassurants pour la personne pensée procède d'un traitement de l'information.
éduquée. Il vise à expliquer comment l'apprenant construit
Il existe plusieurs limites à cette approche  : ses connaissances, et comment il fonctionne sur
la segmentation des connaissances et l'état de les plans émotionnel et comportemental.
dépendance du sujet par rapport à l'expert. Mieux comprendre les états internes de la
personne qui apprend permet de déduire des
méthodes et des pratiques de pédagogie adaptées.
Modèle constructiviste Par exemple, le cognitivisme peut tenter d'expli-
quer la construction d'images mentales et de
et socioconstructiviste représentations dans un contexte médical donné
Dans le modèle constructiviste proposé par ­Piaget, pour mieux appréhender les potentialités d'ap-
le développement de la personne est considéré prentissage (encadré 7.1).
comme singulier. L'idée centrale est d'accorder un
rôle majeur à l'action dans le développement des
connaissances. L'apprentissage ne peut être réduit
à un entraînement avec simple transfert de don-
Modèle allostérique [5, 7, 8]
nées. L'action engendre une conceptualisation qui À la fin des années 1990, A. Giordan, spécialiste
est au cœur de la construction des connaissances. en science de l'éducation, a développé un nou-
En d'autres termes, les connaissances ne sont veau modèle pédagogique, qu'il a appelé « allosté-
pas transmises d'un individu qui sait vers un rique ». Ce terme fait référence aux propriétés de
autre qui ne sait pas, mais elles sont reconstruites certaines protéines qui modifient complètement
par celui qui apprend. leur structure sous l'action d'un facteur extérieur,
Le processus éducatif est ici centré sur la per- afin de pouvoir remplir leur fonction. Ce modèle
sonne et ses potentialités, mises à l'épreuve de repose sur trois hypothèses :
l'expérience. Dans cette relation fondée sur l'em- • l'importance des multiples interactions entre le
pathie, il n'y a pas de directivité et le pouvoir est patient, sa pathologie, son traitement, son envi-
partagé. ronnement, son entourage, les soignants et le
Le principal intérêt de ce modèle est de recon- système de soins ;
naître le sujet dans tous ses aspects et de le consi- • la prise en compte de ses multiples dimensions
dérer comme acteur. La limite tient à l'exigence qui interfèrent dans nombre d'apprentissages :
d'une formation spécifique de l'enseignant.
L'approche constructiviste a été enrichie par la
prise en compte du groupe social dans lequel vit
ENCADRÉ 7.1

Une démarche cognitiviste chez


l'apprenant et du sens que l'apprentissage prend,
Pierre, souffrant d'un asthme
confronté aux savoirs antérieurs. On parle alors
de socioconstructivisme. Dans ce modèle, issu sévère
notamment des travaux de Vygotski, l'éducation Un processus éducatif d'inspiration
est centrée sur les potentialités collectives. ­cognitiviste consisterait à chercher à com-
prendre quelles sont les connaissances
L'enseignant participe à la production sociale,
et les croyances de Pierre sur l'asthme, et
fait émerger le potentiel et le savoir du groupe, et comment ces éléments sont reliés entre
facilite les partages d'expériences. eux. Cette architecture et l'exploration de
L'intérêt principal est de valoriser les interac- ses façons de penser permettent de mieux
tions multiples entre les personnes rassemblées. envisager son contexte cognitif et donc de
mieux l'aider dans la compréhension de sa
Ses limites résident dans la nécessité pour l'en-
maladie, ses symptômes, l'acquisition de
seignant d'accepter d'être formé à la gestion de compétences d'autosoins, etc.
groupe et de partager le pouvoir.

64
Chapitre 7. Les grands modèles explicatifs de l'apprentissage

– la dimension cognitive qui se rapporte à la même, voit sa maladie, les apprentissages à


connaissance, acquérir, l'institution et le personnel de soins,
– la dimension émotionnelle (peurs, angoisses, ou encore ses projets de vie… ;
colères, etc.), • l'introduction d'une pédagogie systémique
– la dimension perceptive, les ressentis, basée sur la transformation des conceptions
– les dimensions infra : du patient. Avant de débuter un apprentissage,
– infra-cognitive, faisant référence à des il convient de prendre en compte les concep-
processus de pensée implicite ou cachée tions fonctionnelles du patient, ses représenta-
pour la personne elle-même. On évoque tions, son système de pensée. Le patient ne peut
ici les raisonnements intimes, c'est-à- apprendre que si l'information nouvelle entre
dire les phrases intérieures répétitives, les en résonance avec ses conceptions antérieures.
croyances, la structuration de la pensée que Dans le même temps, cette nouvelle donnée
le patient habituellement n'interroge pas, entre souvent, totalement ou partiellement,
– infra-affective, désignant les expériences en opposition avec ses conceptions préexis-
émotionnelles oubliées ou refoulées, tantes. Il faut donc envisager au préalable leur
– infra-perceptive, par les sensations corpo- déconstruction. Quand celles-ci constituent
relles non ou peu conscientisées. Il est pos- un réel obstacle à la compréhension, un « envi-
sible de devenir conscient de tels processus. ronnement didactique » peut être mis en place
Par exemple, certains patients diabétiques, pour ébranler ces dernières. Le conflit cognitif
dits « patients sentinelles », arrivent par engendré doit être accompagné par des « aides
un travail sur eux-mêmes à ressentir leur à penser » ou des ancrages adaptés aux concep-
niveau de glycémie [9] ; tions du patient.
– la dimension métacognitive, qui correspond Ce modèle pédagogique a été proposé pour la
à la façon dont le patient se considère lui- pratique de l'ETP (figure 7.1).

J'apprends à mieux vivre avec mon diabète si...

Je prends appui sur Je fais des liens


mes conceptions Je suis concerné,
interpellé, questionné

Je me lâche J'ancre les données


J'y trouve un plus
(intérêt, plaisir, sens)
Je trouve des aides
J'ai confiance
à penser
(moi, situation, médiateur)
Je me confronte (symboles, schémas,
(autres réalités, informations) analogies, métaphores, modèles)

Je prends conscience
Je mobilise mon savoir
du savoir
(intérêt, structure, processus)

Figure 7.1 Environnement didactique pour une ETP pour un patient diabétique.


Source : Giordan A. Éducation thérapeutique du patient : les grands modèles pédagogiques qui les sous-tendent.
Médecine des Maladies Métaboliques 2010 ; 4 : 305–11.

65
Partie III. Éléments de pédagogie

Références [6] Tourette-Turgis  C. L'éducation thérapeutique du


patient : champ de pratique et champ de recherche.
[1] Raynal F, Rieunier A, Postic M. Pédagogie, diction- Savoirs 2014 ; 11–48.
naire des concepts clés  : Apprentissage, formation, [7] Lagger G, Golay A. A 5 dimension therapeutic patient
psychologie cognitive. 10e édi. Issy-les-Moulineaux : education for type 1 diabetic patients. Éduc
ESF Editeur ; 2014. p. 542. Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ 2010 ; 2 :
[2] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Apprendre à éduquer le S117–24.
patient  : Approche pédagogique. 5e  éd. Paris  : [8] Giordan A. Apprendre ; Paris : Belin. 1998. p. 254.
Maloine ; 2016. p. 170. [9] Crozet C, d'Ivernois JF. L'apprentissage de la percep-
[3] Beauté J. Courants de la pédagogie contemporaine. tion des symptômes fins par des patients diabé-
5e  édition. Namur  : Érasme ; 2004. p. 184. Lyon  : tiques  : compétence utile pour la gestion de leur
Chronique Sociale. maladie. Rech Éducations 2010 ; 3 : 197–219.
[4] Bru  M. Les méthodes en pédagogie. 2e  éd Paris  :
PUF ; 2012.
[5] Giordan  A. Éducation thérapeutique du patient  : les
grands modèles pédagogiques qui les sous-tendent.
Médecine des Maladies Métaboliques 2010 ; 4 : 305–11.

66
Principales méthodes Chapitre 8
pédagogiques [1–8]

Les méthodes pédagogiques émanent des modèles De cette conception, sont issues la pédagogie
vus dans le chapitre 7. Elles doivent être choisies à par projet, la pédagogie différenciée ou la péda-
bon escient en fonction de l'objectif de l'entretien gogie de groupe. Comme on le verra, ces trois
éducatif. approches ont des points communs et sont com-
plémentaires. Elles sont particulièrement utilisées
en ETP.
Pédagogie traditionnelle Pédagogie par projet
ou frontale
Elle propose la transmission d'apprentissages à
Elle est issue du modèle transmissif (voir chap. 7, travers la réalisation d'une production concrète.
Le modèle transmissif). L'enseignant est en posi- Celle-ci peut être individuelle (maquette, œuvre
tion dominante, face au groupe. Il transmet un artistique, exposé, etc.) ou collective (organisa-
savoir et suppose que les bénéficiaires en sont tion d'un événement, spectacle, week-end, voyage,
d'accord, qu'ils comprennent le langage et les etc.).
concepts utilisés et qu'ils sont en capacité d'inté- Cette approche permet de mobiliser des
grer les nouvelles informations dans ce qu'ils connaissances déjà acquises et d'en rechercher de
connaissent déjà. nouvelles en vue d'une réalisation concrète. Cette
activité soutient la motivation à apprendre.
Lorsque le projet est réalisé en groupe, des liens
se créent entre les acteurs. Les connaissances de
Pédagogies actives tous, incluant l'animateur, sont mobilisées.
La vertu du projet est de concilier le besoin
Elles sont centrées sur l'apprenant. Elles sont d'activité et la persévérance. La satisfaction n'est
sous-jacentes au mouvement pédagogique de pas immédiate mais différée, et donne à l'appre-
l'éducation nouvelle, incarné notamment par nant l'opportunité de se projeter dans le temps et
M. ­Montessori (1900), O. Decroly (1921), C. Freinet d'anticiper.
(1924) ou R. Cousinet (1959). Ces pédagogies sont
© 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

à relier au constructivisme et au socioconstructi-


Pédagogie différenciée
visme (voir chap. 7, Le modèle constructiviste et
socioconstructiviste). La pédagogie différenciée part du constat que
Pratiquer l’éducation thérapeutique

Elles sont basées sur le principe que l'appren- le sujet est unique. Il a des caractéristiques, des
tissage ne relève pas d'une absorption passive connaissances antérieures, des expériences et des
mais d'une construction. C'est par la construction motivations différentes de tout un chacun. L'en-
des activités mentales en interaction avec l'envi- seignant prend donc conscience de l'univers de
ronnement, la sensorialité et les émotions, que se l'apprenant et s'y adapte.
construisent les apprentissages. Cette pédagogie prend tout son sens face à un
Ce type de pédagogie nécessite du formateur groupe. L'éducateur s'adresse alors collectivement
une bonne connaissance de l'apprenant, de ses à tous et successivement à chacune des personnes
connaissances et de ses expériences antérieures. présentes. Il prend soin de vérifier régulièrement

67
Partie III. Éléments de pédagogie

que chacun est pris en compte et suit le processus objectif est dénommé précisément et partagé
d'apprentissage proposé. entre l'enseignant et l'apprenant. L'objectif étant
homogène et concret, son acquisition est facile-
Pédagogie de groupe ment observable et évaluable.
L'avantage de cette méthode est de faciliter
Dans cette pédagogie, le groupe est utilisé comme l'évaluation de ce qui est acquis. La limite est liée
moteur et acteur de résolution de problèmes. L'in- à ce que certains nomment « un saucissonnage du
tervention pédagogique vise moins le contenu de savoir ». Le lien entre les différents objectifs peut
la formation que les mécanismes et les compor- faire défaut et le sens général de l'apprentissage
tements de chacun. La dynamique de groupe est peut en être altéré.
ici fondamentale, nécessitant une participation Toujours est-il que cette méthode est largement
homogène de chaque participant. Elle permet reprise en ETP.
des liens, des mobilisations de savoirs collectifs
et créé du plaisir d'être ensemble. Elle stimule la Références
motivation. Le vécu des participants est interrogé.
[1] Raynal F, Rieunier A, Postic M. Pédagogie, diction-
Les techniques d'apprentissage sont diverses  : naire des concepts clés  : Apprentissage, formation,
brainstorming (remue-méninges), panel de dis- psychologie cognitive. 10e édi. Issy-les-Moulineaux :
cussion, jeux de rôle, etc. ESF Editeur ; 2014. p. 542.
La pédagogie de groupe constitue la base de la [2] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Apprendre à éduquer le
formation continue, et prend une place grandis- patient  : Approche pédagogique. 5e  éd. Paris  :
sante en formation initiale. Maloine ; 2016. p. 170.
[3] Beauté J. Courants de la pédagogie contemporaine.
5e  édition. Namur  : Érasme ; 2004. p. 184. Lyon  :
Chronique Sociale .
Pédagogie par objectifs [4] Giordan  A. Éducation thérapeutique du patient  : les
grands modèles pédagogiques qui les sous-tendent.
Cette pédagogie, centrée sur l'apprenant, est reliée Médecine des Maladies Métaboliques 2010 ; 4 : 305–11.
au modèle béhavioriste (voir chap.  7, Le modèle [5] Tourette-Turgis  C. L'éducation thérapeutique du
patient : champ de pratique et champ de recherche.
comportementaliste ou béhavioriste). Elle pré- Savoirs 2014 ; 11–48.
conise la définition d'objectifs généraux en lien [6] Lagger  G, Golay  A. A 5 dimension therapeutic
avec des activités précises. Ceux-ci sont décli- patient education for type 1 diabetic patients. Éduc
nés en objectifs pédagogiques qui permettent de Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ 2010 ; 2 :
développer ou d'acquérir des connaissances et des S117–24.
[7] Giordan A. Apprendre ! . Paris : Belin ; 1998. p. 254.
compétences pendant le processus de formation.
[8] Lacroix  A, Assal  JP. L'éducation thérapeutique des
Le principe de base consiste à acquérir progres- patients : accompagner les patients avec une maladie
sivement des connaissances ou des compétences chronique  : nouvelles approches. 3e  éd. Paris  :
faisant partie d'un programme structuré. Chaque Maloine ; 2011. p. 220.

68
Transposition Chapitre 9
pédagogique à l'éducation
thérapeutique
du patient [1–3]

Comment le patient Attention


apprend-il ? [1, 3, 4] La motivation favorise l'attention qui est incon-
tournable. Elle est soutenue d'autant plus que les
Pour revenir au domaine de l'éducation thérapeu- informations sont simples et utilisables facile-
tique, il est important de s'interroger sur la façon ment. Le nombre de données nouvelles doit res-
dont le patient apprend, compte tenu que l'appren- ter raisonnable et les méthodes de transmission
tissage relève d'un phénomène complexe. Il ne utilisées, variées (explicitation, reformulation,
­
suffit pas d'écouter, de mémoriser et de répéter. métaphores…). Là encore, il y a attention si l'ap-
De plus, apprendre ne produit pas forcément un prentissage fait sens pour la personne. Cepen-
changement de comportement. Il convient donc dant, elle reste fragile, et décline vite après un
de créer un environnement propice aux acquisi- exposé de 45 minutes. D'où l'importance de varier
tions et aux changements attendus. les méthodes.

Mémorisation et intégration
Accord du patient
Une nouvelle information s'insère toujours dans
L'accord du patient est fondamental, dans la un ensemble de connaissances déjà acquises,
mesure où il est le seul auteur de son apprentis- constituant un réseau cognitif (voir chap.  7,
sage et de son évolution. Le soignant doit l'aider Modèles cognitivistes et  allostériques). Ce subs-
à prendre conscience du processus d'apprentissage tratum constitue un maillage complexe de
dans lequel il s'engage. C'est l'un des apports de conceptions mentales. Ces dernières forment
l'ETP que de formaliser ce cadre, qui était souvent le socle de la personnalité de l'individu, et sont
implicite et flou auparavant. Ainsi, la personne sous-tendues par une tension émotionnelle. La
© 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

s'ouvre et se mobilise davantage. Elle s'implique mémoire émotionnelle permet, de ce fait, un arri-
d'autant plus que l'apprentissage proposé et les mage très efficace dans la mémoire à long terme.
changements induits ont un sens pour elle, dans sa Pour trouver sa place, l'information nouvelle
vie et son parcours de soins.
Pratiquer l’éducation thérapeutique

doit être congruente avec celles préexistantes et ne


pas être contradictoire. S'il y a opposition même
partielle entre ces données, on parlera de conflit
Motivation cognitif. Lors de l'apprentissage, un processus de
Pour apprendre, la motivation est primordiale. Le déconstruction de l'assemblage antérieur est pré-
sujet gagne à considérer la matière à apprendre alable à l'implantation d'une conception nouvelle.
comme intéressante, utile, et s'insérant bien dans Ce phénomène est d'autant plus difficile à s'opérer
ses projets et dans sa vie. La dimension de plaisir que des émotions fortes sont associées au substrat
mérite également d'être soulignée. préexistant. Les conceptions du sujet sont alors

69
Partie III. Éléments de pédagogie

f­ortement ancrées et constituent des croyances, apprend toujours dans un environnement par-
nécessitant du temps et de l'énergie pour être remo- ticulier. Il convient donc d'extraire les informa-
delées. tions de ce contexte, de dé-contextualiser, pour
Ainsi, si un traitement quotidien par corti- appliquer ensuite la chose apprise à une autre cir-
coïdes inhalés est prévu pour un patient asthma- constance, constituant la re-contextualisation. Ce
tique, il faut repérer les connaissances et surtout phénomène s'appelle transfert. Cette phase déli-
les croyances qui s'attachent aux représentations cate gagne à être appréhendée pour aider à une
sur les corticoïdes, qui sont parfois négatives. Les meilleure utilisation ultérieure de l'apprentissage.
ignorer expose à un mauvais suivi du traitement
et représente un non-sens pédagogique de la part
du soignant-éducateur.
Il convient donc que l'éducateur prenne en
Modèle systémique
compte les connaissances et les croyances anté- adopté en ETP [1]
rieures de l'individu. Apprendre est donc un pro-
cessus paradoxal, voire conflictuel, où l'ancien La pédagogie de l'ETP proposée par R. Gagnayre
et le nouveau se confrontent. Dans ce processus, et J.-F.  d'Ivernois relève d'une approche systé-
l'apprenant est seul, mais il n'apprend pas tout seul. mique [1]. Issues des années 1950, ce modèle est
L'éducateur a un rôle fondamental dans ce chemi- particulièrement adapté aux éducations finali-
nement. Il fait face à une résistance naturelle du sées, aboutissant à des compétences objectivables
sujet et doit faire avec. Cette situation est fréquem- chez les apprenants.
ment rencontrée dans la relation de soin, et nombre Ce modèle suit quatre étapes (voir figure 9.1) :
de patients ayant des difficultés à suivre un traite- • l'identification des besoins du patient sur les
ment au long court, résistent du fait de conceptions plans médical, psychologique, social ou péda-
qui n'ont pas été assez considérées au préalable. gogique ;
• l'identification des objectifs du patient, qui
peuvent être traduits en compétences. On
Ressources convient avec lui de ces compétences à acqué-
En apprenant, le sujet va utiliser et développer ses rir. Celles-ci s'insèrent dans un contrat d'édu-
capacités et ses ressources déjà existantes, dont il cation personnalisé. Elles se déclinent en
n'avait peut-être pas vraiment conscience ou qu'il compétences d'autosoins et d'adaptation (voir
n'avait pas forcément mobilisées auparavant. chap. 11, Convenir des objectifs avec le patient
pour l'acquisition de compétences). Elles seront
nécessaires pour que le patient puisse vivre au
Temporalité mieux avec sa maladie dans sa vie quotidienne.
Chaque patient apprend à son propre rythme et L'utilisation du concept de compétences appli-
au moment où il est prêt. Une convergence des qué au patient permet une définition précise
temporalités du patient et du soignant-éducateur des éléments à apprendre, de favoriser le trans-
doit s'opérer. fert en situation et de les évaluer ;
• la détermination du contenu et des méthodes
pédagogiques, définis en fonction du choix
Droit à l'erreur des compétences à acquérir. Il conviendra
Le droit à l'erreur est incontournable. L'erreur ici de limiter le contenu au strict nécessaire,
est un support pour revoir la situation et ancrer car le patient risque d'être vite submergé par
davantage les éléments profitables pour le  patient. l'ensemble des connaissances nouvelles à
La  culpabilisation n'est jamais une bonne apprendre. Certaines méthodes pédagogiques
méthode. sont particulières à certaines compétences,
comme l'analyse de situation, de résolution
de problèmes. Devant convenir au patient, ces
Transfert à une situation nouvelle méthodes doivent également avoir été com-
L'application d'une chose apprise à un nouveau prises et intégrées par les soignants qui les uti-
contexte est le but de l'apprentissage. Or, on lisent ;

70
Chapitre 9. Transposition pédagogique à l'éducation thérapeutique du patient

• l'évaluation systématique de ce que le patient a • la recherche des ressources et des difficultés du


acquis. Évaluer le patient est un acte qui garantit patient est centrale ;
sa sécurité, et peut donc être considéré comme • les projets du patient doivent être abordés, car
un acte thérapeutique. Selon les compétences ils sont un levier important pour la personnali-
choisies, l'évaluation portera sur des connais- sation et l'apprentissage ;
sances, des raisonnements, des décisions, des • des objectifs pédagogiques sont définis en fonc-
gestes techniques, des attitudes. Elle sera répé- tion des compétences à acquérir. Ils orientent
tée régulièrement à distance de l'éducation ini- vers des axes d'apprentissage et d'accompa-
tiale. Les erreurs seront considérées comme des gnement. Ils permettent une évaluation sim-
informations et non comme des échecs. plifiée et la définition facilitée du contenu des
Le caractère cyclique de l'approche par sys- séances d'éducation. Pour ne pas être stan-
tème permet tous les ajustements pédagogiques dardisés et coupés de la réalité du patient, les
(figure 9.1). objectifs gagnent à être définis conjointement
Au modèle décrit ci-dessus, nous ajoutons par ­lui-même et le soignant, en phase avec les
quelques précisions : valeurs des acteurs en présence ;
• rappelons que toute pédagogie n'existe qu'au • les entretiens éducatifs sont individuels et/ou
sein d'une relation entre le soignant et le patient. collectifs ;
Une relation de qualité, basée sur le respect, la • l'approche individuelle offre une personna-
confiance et le partenariat est le prélude à des lisation optimale de l'éducation. La relation
possibilités d'apprendre pour le patient ; duelle favorise une connivence et une confiance
• l'éducation est centrée sur le patient. On pri- mutuelle. La définition précise des besoins, des
vilégie ici les méthodes actives, interactives compétences et leur évaluation est facilitée ;
et personnalisées. Le patient est acteur de son • l'utilisation de la pédagogie de groupe, quant
apprentissage et le contenu est adapté à ses à elle, présente de nombreux avantages. Les
besoins propres ; patients regroupés ont a priori les mêmes

Comprendre les attentes


et les besoins du patient
(bilan éducatif partagé/
diagnostic éducatif)

Évaluer le processus,
Convenir des objectifs
l’atteinte des objectifs et Démarche d’éducation
éducatifs et
l’acquisition des thérapeutique du patient
d’accompagnement
compétences
avec le patient
Prévoir un suivi éducatif

Choisir et mettre
en œuvre
des activités éducatives

Figure 9.1 Modèle systémique propre à l'ETP.


Source : inspiré de d'Ivernois JF, Gagnayre R. Apprendre à éduquer le patient : Approche pédagogique. 5e éd. Paris :
Maloine ; 2016, 170 p.

71
Partie III. Éléments de pédagogie

besoins ou les mêmes pôles d'intérêt. Les sage, difficultés de compréhension de la langue,
échanges entre pairs sont favorisés et facilitent situation de handicap sensoriel, etc. ;
les changements. L'identification à l'autre aide • la durée de la séance.
à relativiser sa propre situation. Dans ce cadre, Différentes techniques pédagogiques sont
l'animateur doit prendre en compte les carac- utilisables en entretien individuel ou collectif
téristiques et les besoins différents de chacun. (tableaux 9.1 et 9.2).
C'est pourquoi l'accompagnement individuel
est complémentaire. Il favorise la différencia-
tion et la personnalisation des contenus ;
• les méthodes et les techniques pédagogiques sont Supports et outils pédagogiques
choisies en fonction du type d'apprentissage ; en ETP [6, 7]
• l'éducation est continue. Elle s'inscrit dans un
continuum dans lequel prend place une pre- Outils d'information et outils
mière éducation, des éducations de suivi, de
renforcement ou de reprise ;
d'animation
• l'équipe qui assure l'éducation est multiprofes- Comme l'indiquent Y.  Magar et S.  Jacquemet, il
sionnelle. L'éducation est portée par différents pro- existe deux types d'outils pédagogiques  [7]  : les
fessionnels au sein d'une équipe, mais également outils d'information et les outils d'animation.
en dehors, comme dans les soins ambulatoires.
Des patients peuvent collaborer et co-animer des
entretiens éducatifs. Chaque acteur dans l'équipe a
Tableau 9.1 Techniques pédagogiques
sa spécificité, et tous sont concernés à titre divers.
utilisables en entretien individuel d'ETP
Il revient à l'équipe de veiller à la répartition des au regard des objectifs poursuivis
tâches et des rôles de chacun de ses membres.
Catégorie Noms des techniques
d'objectifs
Savoir Entretien
Techniques pédagogiques en ETP Étude de cas
Simulation
Les techniques pédagogiques sont des procédés
utilisés par le formateur au service d'une démarche Pilulier
pédagogique : exposé, tour de table, étude de cas, Classeur-imagier
mise en situation, etc. (fiche pratique 1) [5]. Planning thérapeutique
Elles visent à favoriser les apprentissages. Elles Conseil téléphonique,
permettent de gérer, expliquer, découvrir et éva- aide à la décision
luer les objectifs pédagogiques. Elles peuvent Échanges par courriels
concerner le savoir, le savoir-faire ou le savoir-être. Savoir-faire Pilulier
Les critères de choix d'une technique pédago- Travaux pratiques
gique sont les suivants [6] :
Simulation de gestes techniques
• la mise en lien avec le contenu à traiter ;
Apprentissage gestuel, activité
• la pertinence, au regard de la compétence à physique
acquérir et des objectifs de la séance d'ETP ;
• le respect des principes d'apprentissage : parti- Savoir-être Entretien centré sur l'émotion
cipation active, interactivité, progression à un Jeu de rôle*
rythme individuel ; Entretien à partir d'une lecture,
• la commodité de la technique : facilité d'appli- d'un film
cation et emploi régulier dans le contexte où se * Voir fiche pratique 1.
déroulent les séances, préférences de l'anima- Source : d'Ivernois JF, Gagnayre R. Apprendre à éduquer le patient :
Approche pédagogique. 5e éd. Paris : Maloine ; 2016, 170 p. et Comité
teur ; régional d'éducation pour la santé Languedoc-Roussillon et IREPS
• l'adaptation au public  : âge, niveau de lecture Languedoc-Roussillon. Techniques d'animation en éducation pour la
et de compréhension, difficultés d'apprentis- santé. Fiches synthétiques 2009.

72
Chapitre 9. Transposition pédagogique à l'éducation thérapeutique du patient

Tableau 9.2 Techniques pédagogiques • 30 % de ce que nous voyons ;


utilisables en séance de groupe • 50 % de ce que nous entendons et voyons à la
d'ETP au regard des objectifs poursuivis fois ;
• 80 % de ce que nous disons ;
Catégorie Noms des techniques
d'objectifs • 90 % de ce que nous disons et faisons à la fois.
Un outil d'information gagne à être proposé au
Accueil et Tour de table
présentation Portrait chinois*
patient après l'activité éducative, pour renforcer
Portrait minute* les acquisitions.
Présentation croisée* Les outils d'animation sont un support pour le
Savoir Tour de table des idées et des soignant qui anime une séquence éducative indi-
besoins viduelle ou collective. Ils apportent une double
Exposé interactif contribution : pour le soignant, ils lui permettent de
Étude de cas mieux structurer son intervention ; pour le patient,
Remue-méninges (brainstorming)* ils l'aident à participer, à susciter sa curiosité, ils l'in-
Metaplan®*
Technique de l'arbre*
citent à se questionner, à remettre en cause certaines
Photolangage*, art langage* idées préconçues et lui donnent l'envie d'apprendre.
Dessin de l'esprit, cartes Les outils pédagogiques sont construits à par-
conceptuelles (mind map)* tir des représentations, des préoccupations des
Savoir-faire Simulation de gestes techniques patients et de l'expérience des professionnels. Une
Atelier cuisine, lecture d'étiquettes aide extérieure peut permettre leur réalisation  :
alimentaires, courses… association, institution, firme pharmaceutique, etc.
Activités physiques et sportives, Dans tous les cas, ces supports doivent répondre à
promenades didactiques des critères de qualité et éthiques (tableau 9.3). Ils
Savoir-être Table ronde seront partagés en équipe pour une appropriation
Remue-méninges (brainstorming)* par tous. Quelle que soit leur origine, il sera néces-
Jeu de rôle*
saire de les tester au préalable auprès de quelques
Étude de cas*
Technique de l'arbre* patients.
Séances de relaxation Ils contribuent pour l'équipe soignante à ren-
Projection d'un film forcer, lors d'une séance éducative, l'acquisition
Activité sportive de connaissances et le développement de compé-
Activité esthétique tences par le patient.
* Voir fiche pratique 1. Notons que beaucoup d'outils pédagogiques
Source : d'Ivernois JF, Gagnayre R. Apprendre à éduquer le patient : ont aussi valeur d'outils d'évaluation du patient et
Approche pédagogique. 5e éd. Paris : Maloine ; 2016, 170 p. et Comité
régional d'éducation pour la santé Languedoc-Roussillon et IREPS
réciproquement (voir chap. 11, Outils et méthode
Languedoc-Roussillon. Techniques d'animation en éducation pour d'évaluation du patient).
la santé. Fiches synthétiques 2009. Nous présentons dans la fiche pratique  2, des
catalogues d'outils pédagogiques élaborés par
l'Instance régionale d'éducation et de promotion
de la santé (IREPS) des Pays de la Loire.
Les outils d'information (dépliant, guides,
fiches de conseil, brochure, DVD, vidéos, etc.)
sont destinés à combler un manque de savoir Choix de l'outil pédagogique
du patient. Leur impact est limité lorsqu'ils
sont distribués seuls, sans interaction avec un Rappelons que quelle que soit la qualité de l'outil,
soignant. En effet, nous ne mémorisons qu'une son efficacité dépendra surtout de la qualité de
petite partie de l'information que nous perce- l'animation pédagogique. Pour choisir un outil
vons [8] : pédagogique, Y. Magar et S. Jacquemet proposent
• 10 % de ce que nous lisons ; de raisonner en fonction des objectifs que l'on
• 20 % de ce que nous entendons ; veut atteindre [7].

73
Partie III. Éléments de pédagogie

Tableau 9.3 Proposition de critères de qualité pour des outils pédagogiques en ETP


Critères de qualité Commentaires
Créateur Facilement identifiable
Absence de conflits d'intérêts
Conception La création d'un outil pédagogique se base sur :
– une analyse de la littérature
– une analyse des besoins des patients
– une analyse de la population ciblée et des nécessités d'adaptation pédagogiques
(enfants, adolescents, personnes âgées, migrants, analphabétisme, etc.)
L'outil est préalablement testé auprès de patients
Contenu Introduction claire et simple
Existence éventuelle d'un guide d'utilisation
Consignes, règles et modalités d'utilisation claires
Sources identifiées et référencées
Informations scientifiques vérifiées et d'actualité
Absence de promotion d'un produit pharmaceutique ou d'une marque
Pertinence par rapport au thème ou à la pathologie
Pédagogie Favorise une mise en situation active, inspirée des principes de pédagogie active
Favorise des interactions entre les participants et les intervenants
Absence de référence à des sentiments négatifs ou de crainte
Niveau de difficulté adapté au destinataire
Éthique L'outil est éthique si :
– non discriminatoire
– accessible à tous (ou avec aide prévue à l'avance)
– sans notion de jugement de valeur de la personne
– absence de mise en échec de la personne
– prise en compte des représentations de la personne et de ses croyances
– adaptation aux particularités culturelles du patient
– absence de conflits d'intérêts des concepteurs ou sponsors

Faciliter la prise de conscience et ses ressentis. Le Photos-Outils® en est un


La première question consiste à savoir si le patient exemple : le Centre régional de ressources et de
se sent concerné par sa pathologie. En est-il compétences en ETP (CERFEP) a construit cet
conscient et impliqué émotionnellement ? Cette outil de photo-expression transpathologique à
étape relève des représentations, des croyances destination des praticiens et des formateurs en
et des facteurs psychologiques intimes. Il existe éducation du patient [9] ;
quelques outils pour aider à cela : • l'art langage est un dérivé de la technique du
• le photolangage ou la photo-expression  : le photolangage. Il propose de travailler avec des
principe consiste à demander au patient de reproductions d'œuvres d'art afin d'ouvrir
choisir parmi des photos ou images, celles qui l'expression des participants à une dimension
rentrent en résonance pour lui avec le sujet décalée de la réalité quotidienne [10] ;
évoqué. Ce peut être des représentations de la • l'outil « carte postale » : on propose au patient de
santé, de la maladie, des traitements, etc. Après se projeter plusieurs années en avant et d'écrire
avoir fait part de son choix, il pourra les expli- à un ami qu'il n'a pas revu depuis longtemps
citer et par là même évoquer ses représentations en imaginant deux éventualités  : dans l'une,

74
Chapitre 9. Transposition pédagogique à l'éducation thérapeutique du patient

il a géré correctement sa maladie, et dans l'autre Soutenir la motivation


au contraire, il l'a négligée. Cette confronta- Dans la phase ambivalente où le patient mesure
tion aide le patient à contempler les consé- les avantages et les inconvenants à se traiter,
quences à long terme de la gestion de sa maladie ce qu'il a à perdre et à gagner, le soignant peut
(figure 9.2). s'aider d'outils qui représentent clairement la
pesée des enjeux et des arguments. On peut
par exemple s'appuyer sur la « balance déci-
sionnelle » issue de la technique de l'entre-
tien motivationnel (voir chap.  6, Thérapies
cognitivo-comportementales). Cet outil est
­
utile, notamment dans le cadre de la décision
de la prise d'un traitement.

Développer des compétences


d'autosoins et d'autogestion
Les outils ici convoqués ont trait aux connais-
sances sur la maladie, les traitements, les règles
hygiéno-diététiques, l'autosurveillance, etc. Il en
existe de nombreux exemples :
• outils fondés sur les représentations visuelles :
– les chevalets–imagiers, constitués d'images
ou de dessins représentant la maladie, les
traitements, etc., sont en pratique cou-
rante fort utiles et appréciés des patients.
Il existe également des jeux de cartes illus-
trées sur des manifestations cliniques,
divers ­médicaments, des facteurs d'aggra-
vation…,
Figure 9.2 Lettre à la cigarette,
– des comprimés disposés dans un récipient,
mon amie/ennemie.
Source : Magar Y, Jacquemet S. Outils pédagogiques pour
un pilulier ou autre sont également des outils
l'éducation des patients. In : Simon D, et al. pédagogiques en eux-mêmes. Les regarder,
Éducation thérapeutique. Prévention et maladies chroniques. les manipuler peut aider le patient à se les
Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2009, p. 239–54. approprier (figure 9.3) [11] ;

Figure 9.3 Présentation de comprimés antiépileptiques dans un pilulier ou en « bouquet ».


Source : Lefevre F, Thomas-Vialettes F, Labrosse C, Gerbi D. Éducation thérapeutique du patient montrant une épilepsie
sévère. Les Cahiers d'Épilepsies 2014 ; 18–22.

75
Partie III. Éléments de pédagogie

• outils vidéo : ils sont aussi de plus en plus uti- p­articulièrement vrai depuis que de multiples
lisés. Des situations complexes peuvent être informations sur la santé sont disponibles.
exposées, intégrant parfois des témoignages
­ L'accompagnement du patient dans cet auto-
d'autres patients ; apprentissage peut s'avérer utile, notamment
• outils fondés sur des mises en situation  : le dans la gestion des informations disponibles sur
principe consiste à soumettre au patient des l'Internet. En effet, les nouvelles technologies de
cas-problèmes qui l'entraînent à analyser des l'information et de la communication (NTIC)
situations relativement complexes inspirées de sont en plein essor (voir ci-dessous).
situations réelles, puis à décider.
D'autres supports de ce type existent : le jeu
de l'oie, le chevalet–imagier déjà cité plus haut
qui peut aussi symboliser une mise en situation. Nouvelles technologies
La reproduction d'un geste ou d'une technique de l'information
peut aussi être soutenue par des images descrip-
tives des différentes étapes nécessaires.
et de la communication (NTIC)
Les nouvelles technologies de l'information et de
Outils d'aide à la prise régulière la communication (NTIC) sont les techniques
des traitements utilisées pour le traitement et la transmission de
Le pilulier favorise les prises des traitements en les l'information : l'informatique, Internet et les télé-
structurant dans la journée (pilulier journalier) communications.
ou sur la semaine (semainier). Il existe aussi des
piluliers électroniques d'usage plus limité, sou- Multimédias [2, 12]
vent circonscrit au domaine de la recherche. Le
planning thérapeutique aide également à l'organi- De nombreux supports ont été créés afin de four-
sation des prises dans la vie quotidienne. nir des données complètes sur les maladies et les
traitements, sous des formes imagées, ludiques et
visuelles. La valeur pédagogique de ces outils est
Développer des compétences
parfois inégale, et donc à vérifier.
d'adaptation et de communication La projection de vidéos ou de films est forte utile
Les compétences d'adaptation visent chez le patient lors de séances éducatives, surtout collectives, en
une implication active dans sa maladie, grâce à une apportant de façon ludique ou émouvante des infor-
meilleure confiance en soi, une bonne image de soi, mations complexes. Ainsi, un film sur la technique
un sentiment d'autoefficacité, une capacité à gérer d'inhalation de corticoïdes chez un patient asthma-
son stress ou à prendre des décisions. tique remplace parfois de longs discours. De même,
Pour ce faire, des jeux de rôle ou des mises en situa- le témoignage filmé d'un récit de vie avec la maladie
tion sont très aidantes. Ces méthodes permettent peut être aidant pour mieux vivre avec.
de travailler des attitudes et des comportements dans Rappelons que la limite d'utilisation de ces
des situations de la vie courante. Les supports peuvent supports multimédias tient à la nécessité pour le
être des témoignages, des reportages filmés  ou une patient de pouvoir parler avec les soignants de ce
série de photos. Les expériences vécues dans un cadre qu'il a découvert ou ressenti. Une discussion doit
sécurisant, seul ou en groupe, sont aidantes pour avoir lieu après visualisation, autour des compré-
une transposition future dans la vie réelle. hensions réelles nécessitant des reformulations, et
afin de permettre l'expression des ressentis.

Auto-apprentissage Internet [12]
Même si dans son principe, l'apprentissage L'Internet  2.0 fait partie de notre quotidien. Les
dans le cadre de l'ETP s'entend au sein d'une courriels sont apparus en 1990, les discussions
relation ­
soignant–patient, le patient peut vou- à distance par les chats en 1997, puis les forums
loir apprendre seul de façon autonome. Ceci est avec échanges de pair à pair par le Web  2.0 en

76
Chapitre 9. Transposition pédagogique à l'éducation thérapeutique du patient

2005. Une sociabilité virtuelle se développe. Cha- conscients des risques et modulent d'eux-mêmes
cun peut, de façon individuelle ou collective, en recherchant des confirmations. Parallèlement,
­contribuer, échanger et collaborer sur un sujet il existe plusieurs outils de régulation à faire
donné. De ce fait, on constate deux grands chan- connaître aux patients :
gements dans notre société : la rapidité de la cir- • proposer de se fier aux seuls sites institution-
culation de l'information et le développement de nels  : Haute Autorité de santé (www.has-sante.
l'intelligence et d'un savoir collectif. fr), Institut national de prévention et d'éducation
L'utilisation de l'Internet en santé est impor- pour la santé (www.inpes.sante.fr), Ministère de
tante. La moitié des personnes vont sur l'Internet la Santé (www.sante.gouv.fr), etc. mais les infor-
effectuer un autodiagnostic, un quart pour com- mations disponibles sont souvent réglementaires
prendre la cause d'un mal et un quart pour avoir et organisationnelles, et peu pratiques ;
des informations supplémentaires. • utiliser des moteurs de recherche médicaux
Une fracture numérique est crainte par beau- (comme PubMed, doc'CISMef, MedlinePlus,
coup. En effet, les personnes âgées, handicapées ou etc.), mais les données sont scientifiques et
isolées socialement, ainsi que les personnes à reve- souvent en langue anglaise et très techniques.
nus limités sont plus éloignées de l'usage de l'Inter- Notons tout de même l'existence d'un moteur de
net que la moyenne de la population. Cependant, recherche médicale d'utilisation intuitive comme
cette situation tend à se réduire avec le temps et la www.moteur-de-recherche-medical.org ;
véritable fracture numérique pourrait finalement • consulter les sites ayant reçu le label HON
concerner davantage les individus qui négligent (Health on Net). HON est une organisation
l'importance ou l'existence des NTIC plutôt que non gouvernementale basée à Genève. Sa mis-
ceux, de moins en moins nombreux, qui n'y ont pas sion est d'aider les patients, les professionnels
accès. et les établissements de santé en certifiant les
Une autre limite serait la faible compréhen- sites.
sion, par certains, des informations de santé Finalement, le plus important consiste, pour
décrites sur l'Internet (voir plus loin, Littératie tout soignant, de proposer au patient de parler
en santé). librement de ce qu'il a glané sur l'Internet, afin
L'attitude des soignants, et des médecins en par- de vérifier si ce qu'il a compris est correct, vrai et
ticulier, est parfois rétive par rapport aux NTIC et utile dans sa situation.
à la médiatisation de ces apprentissages via l'ordi- Nous présentons dans le tableau 9.4, les NTIC
nateur. Ils reprochent souvent à l'écran de consti- utilisables en ETP, avec leurs potentialités et leurs
tuer un obstacle à la relation de proximité avec limites.
les patients. Pour certains, cela traduit plutôt un
désarroi devant ce qu'ils ressentent comme une
perte de maîtrise dans la relation soignante. Jeux sérieux (serious games) [13]
Or, on constate qu'après une consultation, les Le jeu sérieux est une application informatique
patients ont bien souvent le sentiment de n'avoir pas dont l'objectif est de combiner des intentions
obtenu une réponse satisfaisante à leur demande, sérieuses à des ressorts ludiques issus du jeu
voire de ne pas avoir été entendus. Ils recourent vidéo. Ce face à face interactif avec l'utilisateur
alors à l'Internet pour obtenir des réponses. Cela fait appel à un espace virtuel. Les avancées tech-
vise à : nologiques fulgurantes de ces dernières années
• mieux comprendre les explications données par s'accompagnent d'une offre de plus en plus large,
le médecin ; concernant tant l'enseignement, l'apprentissage
• confirmer l'information reçue ; que la communication.
• trouver d'autres informations que celles four- Le jeu sérieux est maintenant détourné vers la
nies par les médecins ; santé. Il favorise l'interaction entre les patients,
• obtenir un second avis. leurs proches, et les professionnels du soin. Son
L'une des limites de l'Internet dans le domaine utilisation en ETP est prometteuse. L'adhésion à
de la santé réside dans la validité des données. un processus d'apprentissage et de rééducation
Face à cela, les utilisateurs sont de plus en plus peut en être facilitée.

77
Partie III. Éléments de pédagogie

Tableau 9.4 Description des NTIC qui peuvent être utiles aux patients et/ou aux soignants
Nouvelles technologies disponibles Intérêts et limites pour l'éducation thérapeutique
Courriels Contact des plus simples, mais pas de changement décisif dans la
conversation avec le patient
Sites non interactifs, où l'on va chercher Aide informative ponctuelle analogue à celle que l'on trouve dans une
une simple information revue ou une encyclopédie
Les vidéos (Youtube, Dailymotion, etc.) permettent la visualisation de
certains gestes techniques (débitmètre de pointe, contrôle de glycémie, etc.)
Les blogues tenus par des médecins aident le patient à aller plus loin
Certains blogues tenus par des patients rapportent une expérience de vie
avec la maladie qui peut intéresser d'autres personnes
Dropbox ou autre espace de stockage Permet de partager des fichiers avec les patients, en particulier des fiches-
de données conseil que le soignant aura rédigées
Forums-santé Même si la qualité des échanges semble à première vue médiocre, il existe
souvent une autorégulation par la communauté : correction des erreurs,
repérage des réflexions les plus pertinentes
Réseaux sociaux (Facebook, Google +, Frontière pouvant paraître floue entre vie publique et vie privée, risque
Linkedin, etc.) pour la confidentialité
Communication de proche en proche, fédérant autour d'un intérêt
commun des personnes éloignées, abolissant les distances physiques,
générationnelles ou temporelles
Microblogging comme Twitter Grande réactivité, acquisition rapide de connaissances opératoires sur une
(140 signes) maladie ou un traitement
Plates-formes collaboratives, Connaissance sur le vécu de la maladie
sites communautaires de patients Efficacité et réactivité en rapport avec la « force du nombre » de patients
(Patientslikeme, Carinity, Inspire,
Entrepatients, etc.)
Agrégateurs de liens (Pearltreees, Sélection des informations pertinentes parmi les millions de pages traitant
Scoop.it, etc.) : indexation des d'un thème, gain de temps, réactivité, adaptation immédiate aux nouvelles
recherches sur un même thème connaissances
effectuées par différents contributeurs
Rappels par système de relance Techniques qui se développent à travers les applications téléchargeables
interactif sur les téléphones mobiles des patients
Source : Mazuez M. Internet, éducation thérapeutique et soins de premiers recours. Santé Éducation 2014 ; 15-9 © Edimark SAS.

De nombreuses applications émergent ces En raison de l'explosion technologique et des


derniers temps sur divers thèmes  : lombalgie investissements très importants de certains opé-
chronique, post-accident vasculaire cérébral, rateurs comme Microsoft, Orange, Google et bien
­éducation nutritionnelle, insuffisance cardiaque, d'autres, les jeux sérieux vont se multiplier dans les
diabète, polyhandicap, etc. années à venir et s'intégrer dans nombre de pro-
La conception d'un jeu sérieux comprenant des grammes éducatifs proposés aux patients. L'ETP en
aspects ludiques, physiques et éducatifs pour une ce domaine offre un terrain propice à l'expérimen-
population spécifique implique deux conditions : tation. Elle évite une consommation excessive de
• d'être fondée sur les besoins éducatifs, psycho- temps soignant, qui a tendance à être actuellement
comportementaux et fonctionnels des patients ; saturé. Elle offre une opportunité d'autonomie au
• d'induire une implication des utilisateurs, domicile du patient. Son emploi s'entend, bien sûr,
indispensable pour évaluer la perception d'uti- en complément d'un parcours éducatif personnalisé.
lité, l'adaptation de l'interface, l'intérêt et l'évo- Un exemple de jeu sérieux en ETP est présenté
lutivité de l'outil. dans la fiche pratique 3 [14].

78
Chapitre 9. Transposition pédagogique à l'éducation thérapeutique du patient

Utilisation de l'art en éducation

ENCADRÉ 9.1
Expérience du théâtre
thérapeutique [15–17] du vécu [18]
Créé en 2000 par J.-P.  Assal, médecin diabé-
Les aspects psychosociaux du patient sont essen- tologue bien connu à Genève, et M. ­Malavia,
tiels et devraient être largement pris en compte metteur en scène, le théâtre du vécu offre une
en ETP. Laisser un espace d'expression verbale et ressource originale aux soignants et à leurs
émotionnelle au sujet est essentiel. Or, certaines patients autour de la mise en scène d'un texte
libre écrit par la personne. Celle-ci (patient ou
personnes s'expriment plus facilement à partir
soignant) écrit un texte de deux pages et par-
d'un support. Ce support peut être de nature esthé- ticipe activement à sa mise en scène dans un
tique. L'idée d'utiliser une œuvre d'art comme sup- théâtre. La sensation de  se découvrir « créa-
port d'expression et de ressenti pour les patients teur » de soi-même a un effet très impor-
a été expérimentée dans maints endroits. Cette tant pour reprendre un élan personnel. De
démarche s'appuie, d'une part, sur une réflexion telles expériences créatrices existent depuis
une quinzaine d'années et plus de 500  per-
théorique de l'impact de l'art sur l'état psycho- sonnes en Suisse, Italie, France, ­Guadeloupe,
émotionnel des personnes et, d'autre part, sur les Madagascar et Bolivie en ont déjà bénéficié.
nombreuses expériences dans le domaine de l'art- Un quart était des soignants ou des huma-
thérapie. Précisons que la différence majeure entre nitaires, trois quarts, des patients ou des vic-
l'art en ETP et l'art-thérapie tient à ce que cette times. L'étonnement devant la découverte de
ses propres ressources créatives a été majeur
dernière propose aux patients une expérience de pour tous. Dans cet environnement psycho-
création matérielle plutôt que de contemplation. logique, la créativité soutenue par des pro-
De nombreuses expériences d'utilisation de fessionnels naît presque spontanément chez
l'art dans des programmes d'ETP (dessin, pein- chacun. Le médecin n'a pas à jouer son rôle de
ture, danse, écriture, musique, etc.) se sont thérapeute et les patients n'ont pas nécessai-
rement à se plaindre de leur ­maladie. Après
­révélées intéressantes  [17] et ont même permis ces séances, tous se sentent allégés, libérés.
l'acquisition de compétences psychosociales de Chacun est entendu, les échanges naissent
l'ordre de : la réflexivité, la créativité, la capacité dans la tranquillité et le respect.
d'adaptation, la prise d'initiatives et la conception
de projets [15, 16]. De ce fait, la qualité de vie per-
çue du patient peut s'en trouver améliorée et sa À l'inverse, un faible niveau de littératie en santé
motivation renforcée (encadré 9.1). constitue un obstacle à l'intégration par le patient
Ces nouvelles méthodes demandent également de l'apprentissage dans le cadre de l'ETP. D'une
de la part des soignants, une ouverture, voire façon générale, on considère que la moitié des
une formation spécifique. L'apport d'un artiste patients ont une littératie en santé insuffisante.
dans l'équipe éducative est particulièrement De fait, le soignant-éducateur doit s'intéresser à
riche (encadré 9.2). cette aptitude chez chaque patient et en fonction,
l'accompagner dans le développement de sa littératie
en santé. Parfois, des partenariats entre des équipes
Littératie en santé portant un programme d'ETP et des organismes
(health Literacy) [19] qui luttent contre l'illettrisme et l'analphabétisme
s'avèrent judicieux pour certaines populations,
La littératie en santé se définit comme l'aptitude ceci concourant à réduire les inégalités de santé.
à comprendre et à utiliser l'information écrite en
matière de santé et à l'utiliser dans la vie courante,
en vue d'atteindre ses buts personnels. Elle relève Un exemple de situations
donc d'une compétence informationnelle. À l'ère d'apprentissage
de l'Internet, il est essentiel de savoir trouver, cri-
tiquer et utiliser l'information. Nous proposons, dans le récit développé dans
Depuis plus de 10  ans, de nombreuses études l'encadré 9.3, d'illustrer les modèles, les méthodes
montrent que le niveau en littératie en santé a et les outils pédagogiques auxquels se réfèrent les
un impact fort sur l'état de santé de l'individu. professionnels.

79
Partie III. Éléments de pédagogie

ENCADRÉ 9.2
Témoignage d'un artiste intervenant
Éric Senen, chorégraphe et plasticien, est insisté sur ce fait : y a-t-il un espace, un ailleurs,
­intervenu dans le programme « art et ETP ». une autre réalité, des moments de rêves ou
Il commente ainsi son implication  : « On m'a d'éblouissement ? La réponse était “oui”, mais
demandé d'intervenir mais je ne voyais pas
­ ces moments restent brefs, furtifs à cause de la
très bien à quoi je pouvais être utile. (…) Fi- réalité de la maladie. La chorégraphie Handen
nalement j'ai accepté en me disant : “Qu'est- a déclenché des discussions autour de l'état
ce que je peux apprendre d'eux  ?” (…) et du corps : le corps qui change, le corps abîmé,
aussi que j'étais un artiste au service des le corps subi comme un poids. Les Encres ont
patients. Après plusieurs séances, le contact provoqué chez certains patients une envie de
avec les malades devient simple et amical. Ils faire, de développer leur propre créativité.
montrent une grande concentration pendant Chez d'autres, elles ont ouvert les portes de
mes interventions, qui suscitent réactions l'imaginaire ou du souvenir. En conclusion, le
et commentaires. Au début, ils ont eu plu- rapport avec l'art semble permettre une rup-
tôt une approche ­intellectuelle, mais en leur ture de l'isolement, semble créer une disponi-
expliquant qu'il n'y avait rien à comprendre bilité à un ailleurs, autoriser des possibles ou
et tout à ressentir, ils se sont livrés avec beau- plus simplement adoucir le quotidien. »
coup plus d'émotions. Le débat s'est ouvert sur Source : Pellecchia A, Gagnayre R. L'art comme sup-
leurs propres expériences, leurs souffrances, la port dans l'éducation thérapeutique des personnes
solitude, mais a
­ ussi le plaisir. Notre échange a atteintes de cancer : résultats d'une étude explora-
toire. Pédagogie Médicale 2010 ; 11 : 57–66.
ENCADRÉ 9.3

Exemple de modèles, techniques et outils pédagogiques choisis


pour Paul, souffrant d'un asthme sévère et ses parents
Paul est asthmatique depuis l'âge de 2 ans. Ses physiologiques sont montrés sur un imagier et
parents ont pris soin de lui autant qu'ils le pou- un DVD. Dans une séance ultérieure, les enfants
vaient. Il a maintenant 12  ans, se traite avec apprennent à manipuler correctement des
difficulté et vit mal cette maladie qu'il abhorre. ­inhalateurs et les débitmètres de pointe et font
Un programme d'ETP lui est proposé en pré- des exercices de respiration avec un kinésithé-
sence de ses parents. Le principe leur est expli- rapeute (modèle comportementaliste). Enfin,
qué, intégrant un bilan de départ, des activités il leur est proposé de jouer avec un jeu sérieux
éducatives et une évaluation continue et finale appliqué à l'asthme : ils en raffolent et font des
(­pédagogie systémique). Un bilan éducatif par- concours entre eux (jeux sérieux multimédias).
tagé est réalisé avec l'enfant et les parents et des Parallèlement, les parents assistent à une séance
objectifs sont définis (pédagogie par objectifs). où la maladie et les traitements sont expliqués
Lors de la première séance collective, les enfants par un médecin, qui s'aide d'un PowerPoint
sont placés en cercle et chacun se présente et (modèle transmissif, pédagogie frontale). Dans
exprime ses ressentis et ses besoins d'adapta- une autre séance, ils abordent les mécanismes
tion et d'apprentissage (pédagogie active et des émotions de leur enfant, comment elles se
différenciée, centré sur l'apprenant, pédagogie mettent en place et comment ils peuvent les
de groupe). Les enfants s'expriment ensuite sur gérer (modèle cognitiviste). Il leur est montré
leurs représentations de la maladie (technique également comment trouver des informations
du photolangage) et un résumé est inscrit sur fiables sur Internet dans le domaine de la ­santé
paperboard. Il leur est demandé de la dessiner et utiliser des applications sur smartphone (nou-
et de figurer les traitements associés (représen- velles technologies de l'information). Dans le
tations). À partir de là, des modèles de bronches groupe, se trouvent deux parents d'origine
en plastique leur sont montrés afin qu'ils com- argentine, qui comprennent mal le français.
prennent les mécanismes de la bronchoconstric- Ils bénéficient alors d'un accompagnement
tion et de l'inflammation et qu'ils puissent faire spécifique (pédagogie différenciée, littératie
­
les liens avec ce qu'ils connaissent déjà (modèle en ­santé). À la fin du programme, il est proposé
constructiviste). Un travail en petit groupe est aux enfants de passer un week-end ensemble à
proposé ensuite pour assembler correctement la montagne et de faire des activités en plein air,
les éléments du puzzle qui constituent les pou- intégrant de longues marches. Les enfants parti-
mons d'un mannequin (modèle socioconstruc- cipent à l'organisation et préparent leur séjour
tiviste, pédagogie de groupe). Les mécanismes (pédagogie par projet).

80
Chapitre 9. Transposition pédagogique à l'éducation thérapeutique du patient

Références [11] Lefevre  F, Thomas-Vialettes  F, Labrosse  C, et  al.


Éducation thérapeutique du patient montrant une
[1] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Apprendre à éduquer le épilepsie sévère. Les Cahiers d'Épilepsies 2014 ;
patient  : Approche pédagogique. 5e  éd. Paris  : 18–22.
Maloine ; 2016. p. 170. [12] Mazuez  M. Internet, éducation thérapeutique et
[2] Lacroix  A, Assal  JP. L'éducation thérapeutique des soins de premiers recours. Santé Éducation 2014 ;
patients : accompagner les patients avec une maladie 15–9.
chronique  : nouvelles approches. 3e  éd. paris  : [13] Dupeyron  A. Présentation d'un projet « serious
Maloine ; 2011. p. 220. game » : construction et évaluation. In : Actes de la
[3] Golay A, Lagger G, Giordan A. Comment motiver le 2e  Journée régionale sur recherche et ETP, compte
patient à changer ? Paris : Maloine ; 2010. p. 247. rendu par X de la Tribonnière. 2015. Montpellier.
[4] Giordan  A. Apprendre !. In  : Paris  : Belin ; 1998. [14] Mauvezin  C. Ce que les patients nous apprennent.
p. 254. Compte rendu du déjeuner-débat au congrès de
[5] Comité régional d'éducation pour la santé ­l'AFDET. D'après la communication de Frédérique
Languedoc-Roussillon et IREPS Languedoc- Quinio, ingénieur ETP, formatrice, infirmière.
Roussillon. Techniques d'animation en éducation Patients dialysés et éducation thérapeutique : béné-
pour la santé. Fiches synthétiques ; 2009. fice patient-soignant. In  : Santé Éducation. 2015.
[6] Haute Autorité de santé (HAS). Structuration d'un p. 25–8.
programme d'éducation thérapeutique du patient [15] Pellecchia A, Gagnayre R. L'art comme support dans
dans le champ des maladies chroniques. Guide l'éducation thérapeutique des personnes atteintes de
méthodologique. 109 pages [Internet]  ; 2007. cancer : résultats d'une étude exploratoire. Pédagogie
Disponible en ligne sur Médicale 2010 ; 11 : 57–66.
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/appli- [16] Pellecchia  A, Gagnayre  R. Entre cognition et émo-
cation/pdf/etp_-_guide_­version_finale_2_pdf.pdf. tion : les potentialités de l'art dans l'éducation théra-
[7] Magar  Y, Jacquemet  S. Outils pédagogiques pour peutique. Pédagogie Médicale 2006 ; 7 : 101–9.
l'éducation des patients. In : Simon D, et al., editors. [17] L'art dans la relation de soin et dans la formation des
Éducation thérapeutique. Prévention et maladies soignants. In  : Congrès de l'Association française
chroniques. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; pour le développement de l'éducation du patient
2009. p. 239–54. (AFDET). Paris, 2013. Santé Éducation 2013, no spé-
[8] Hagan L. In : Boulet LP, editor. L'Asthme, notions de cial congrès ; février 2013.
bases, éducation, intervention. Montréal : Presses de [18] Assal  JP. Se rendre plus efficace comme soignant !
l'université de Laval ; 1997. p. 388. Par ou faut-il encore passer ? In : Congrès de l'Asso-
[9] Centre régional de ressources et de compétences en ciation française pour le développement de l'éduca-
ETP (CERFEP). Le Photos-Outils®. [Internet]. 2015. tion du patient (AFDET). Paris, 2013. Santé Éducation
Disponible sur demande en ligne sur 2013, no spécial congrès ; février 2013. p. 10–2.
http://www.crrcetp.fr/documentation-et-outils/ [19] Margat  A, De Andrade  V, Gagnayre  R. « Health
photos-outils. Literacy » et éducation thérapeutique du patient  :
[10] Pellecchia A. Des supports artistiques expérimen- Quels rapports conceptuel et méthodologique ? Éduc
tés dans la formation des Professionnels à l'éduca- Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ 2014 ; 6 :
tion thérapeutique. Santé Éducation 2013 ; 3 : 4–6. 10105.
no spécial.

81
Partie IV

Mise en œuvre d'un


programme éducatif :
un projet en soi

Chapitre 10. Cadrage du projet 85


Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée 99
Construire et mettre en œuvre un programme En pratique, il est tourné vers un objectif final
d'ETP relève du concept de projet. Celui-ci est un et intègre des modifications fréquentes. Ainsi, il
ensemble finalisé d'activités et d'actions entre- s'inscrit dans une action limitée dans le temps,
prises dans le but de répondre à un besoin défini. mobilisant des ressources bien identifiées et fait
L'essence d'un projet est d'être innovant et unique. appel à l'intelligence collective.
Il comporte toujours une notion de nouveauté et Il s'agit donc d'impulser une dynamique col-
de changement. lective, ambitieuse sur le long terme et porteuse
Le projet s'articule autour d'une équipe et de sens à travers un projet commun. S'il amène
s'insère dans l'existant. Sa gestion comporte une des contraintes temporaires, c'est pour apporter à
composante humaine et organisationnelle. l'équipe une liberté d'action.
Cadrage Chapitre 10
du projet [1–4]

En s'appuyant sur la méthodologie de projet, il cites, mis spontanément en avant, il s'agit notam-
conviendra de s'interroger sur [1] : ment de repérer les enjeux implicites, plus cachés,
• la composition de l'équipe projet ; qui ont leur importance dans la dynamique et
• la nature du problème, ce qui permettra de l'orientation globale. Par exemple, il peut s'agir
mettre en évidence la problématique de santé et d'un enjeu de travail universitaire et scientifique
d'établir la finalité du projet ; pour un médecin, en dehors d'une demande
• les causes inhérentes à cette problématique à d'équipe.L'enjeu le plus solide est bien entendu
partir de l'expérience des professionnels, de la celui qui repose sur l'intérêt des patients. Mais il
recherche bibliographique ; doit être en relation avec les intérêts de l'équipe ;
• la définition des objectifs du projet à atteindre. • le questionnement et le ressenti des patients.
Ceux-ci prennent en considération les causes
sur lesquelles on peut et souhaite agir ;
• les ressources et les moyens dont on dispose et
dont on a besoin ; Mise en place d'une équipe projet
• les activités éducatives que l'on veut mettre en place ;
• la déclinaison d'objectifs opérationnels pour Elle se met en place le plus tôt possible car une
ces activités ; de ses premières missions est de réaliser le bilan
• l'évaluation. de l'existant et d'identifier les ressources dispo-
nibles (en moyens humains, matériels et com-
pétences).
L'équipe projet est représentative du ou des uni-
Identification des conditions tés concernées.
d'émergence du projet Elle doit être pluriprofessionnelle et pluridisci-
plinaire : le choix des membres de cette équipe est
Avant de s'engager dans la mise en œuvre d'un fondé sur l'étude de la filière de prise en charge
programme éducatif, on s'interroge sur ses condi- du patient. Elle peut faire appel à des personnes
tions d'émergence. Différents points devront être dédiées (membres de l'unité transversale d'éduca-
questionnés : tion du patient ou UTEP, correspondants en édu-
© 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

• l'origine de l'idée : un médecin, un paramédi- cation pour la santé…).


cal, un acteur social, une réflexion d'équipe, Elle devra choisir un leader. Celui-ci fera preuve
des patients, une demande extérieure ou de d'esprit collectif et démocratique. Le leader doit
Pratiquer l’éducation thérapeutique

l'établissement hospitalier… Quelle que soit la être connu et reconnu des autres membres de
personne à l'origine de l'intention, un travail l'équipe et mieux encore, de la hiérarchie médi-
d'appropriation par le plus grand nombre sera cale et paramédicale du pôle hospitalier (voir
nécessaire à l'ancrage du projet ; chap. 12, Leadership et programme d'ETP).
• la volonté de partage du projet dans l'équipe Elle donne une place à un(des) représentant(s)
soignante. Le projet ne peut se concevoir qu'au d'association ou à un(des) patient(s) ou aidant(s) au
sein d'une équipe pluriprofessionnelle ; sein de ses réunions et de sa réflexion. Les moda-
• les enjeux de ce projet pour le pilote, l'équipe, lités de participation sont à négocier avec la(les)
l'institution, le patient. À côté des enjeux expli- personne(s) retenue(s).

85
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

Ses taches seront de plusieurs ordres :

ENCADRÉ 10.1
• cerner la problématique de santé qui va sous- Exemples de problématique de
tendre le projet, puis définir la finalité et les santé pour un programme d'ETP
grands axes du programme envisagé ;
 Les patients adultes atteints de lombalgie
• prendre en compte les éléments du contexte chronique d'origine mécanique, âgés entre
et de l'environnement, ainsi que les aspects 18 et 63 ans, présentent des répercussions à
méthodologiques et organisationnels ; fort impact sur leur vie personnelle, profes-
• s'enquérir de la faisabilité des propositions sionnelle et sociale.
émises dans le cadre du projet et des ressources  La mauvaise compréhension des patients
nécessaires, notamment en termes de compé- adultes sur leur traitement antivitamine  K
ou antiagrégants plaquettaires entraîne
tences des « futurs éducateurs » ; un risque iatrogène majeur avec des consé-
• organiser le déroulement du processus, établir quences lourdes, morbides ou mortelles.
un calendrier de mise en œuvre et gérer les réu-
nions de travail ;
• assurer des retours réguliers vers l'équipe sur • Le programme envisagé permettra-t-il d'agir
un état de l'avancement du projet et rechercher sur un(des) déterminant(s) de santé (accessi-
l'adhésion de l'équipe sur la réalisation progres- bilité aux soins, facteurs comportementaux,
sive et concrète du projet ; facteurs environnementaux, facteurs géné-
• rédiger les documents nécessaires et établir les tiques) ?
contacts avec l'extérieur ;
• chercher des relais possibles au sein de l'équipe
afin que ceux-ci soit gardiens du sens du projet. Finalité
La finalité d'un programme d'ETP est d'offrir au
patient la possibilité d'un apprentissage et d'un
accompagnement afin de mieux vivre avec sa
Problématique, finalité maladie (encadré 10.2).
et objectifs du programme Elle évoque de façon peu détaillée le type de
patients concernés par le programme au regard de
Problématique la pathologie ciblée.
Elle émane d'une problématique de santé éta-
La problématique de santé est la constatation
blie à partir d'un constat. Elle précède le libellé
de la difficulté que vit le patient au quotidien. Il
des objectifs du programme que l'on souhaite
s'agit ici de formuler en quelques mots la patho-
mettre en place.
logie concernée, le type de patients pressentis, les
conditions particulières associées que l'on jugera
utiles de définir. Elle s'énonce à plusieurs, après Objectifs du programme
concertation en équipe. Ils représentent les buts que l'équipe souhaite
La problématique de santé constitue le socle de atteindre au terme du programme éducatif pro-
la construction du programme (encadré 10.1). posé aux patients. Ils sont globaux et décrivent les
Sur un plan de santé publique, il est inté- intentions de l'équipe adressées à l'ensemble des
ressant de repérer si la problématique définie patients. Pour exemple :
relève d'un problème concernant le territoire de
santé. Dans ce cas, il convient de s'appuyer sur
les préconisations du plan stratégique régional
ENCADRÉ 10.2

Exemples de finalité pour


de santé (PSRS) pour répondre aux trois ques-
tions suivantes : un programme d'ETP
• Un grand nombre de personnes est-il touché  Bien vivre au quotidien avec sa sclérose
par le problème de santé identifié ? en plaques.
 Assurer une transition consentie à l'âge
• Ce problème a-t-il des conséquences graves
adulte de jeunes patients adolescents
pour la santé physique et/ou psychique du atteints de cardiopathie congénitale.
patient ?

86
Chapitre 10. Cadrage du projet

• contribuer à l'amélioration de la qualité de vie • dans un listing de programmes déjà autorisés.


des patients atteints de telle maladie ; Ces listes sont disponibles sur les sites Inter-
• diminuer le recours aux urgences et le nombre net des agences régionales de santé (ARS). En
d'hospitalisations par an ; 2015, on pouvait consulter sur le site Inter-
• faciliter un retour au domicile sécurisé par l'ac- net de la Mutualité Française, une liste des
quisition de gestes de soins ; 2275  programmes autorisés en France  [5]
• assurer une prise en charge éducative sur l'en- (sachant qu'il y en a, en fait, 3950  recensés
semble du parcours de soins de la personne en 2014 – données du rapport d'activité FIR
atteinte de telle maladie. 2014). Pour l'Île-de-France, il existe une plate-
Ces objectifs dits globaux correspondent aux forme sur les programmes d'ETP avec moteur
cibles à atteindre pour le programme donc pour de recherche [6] ;
l'équipe porteuse. Ils peuvent être quantitatifs ou • par une recherche bibliographique sur le sujet ;
qualitatifs. • par des rencontres opportunes à l'occasion de
Ils pourront être évalués dans le cadre de l'auto­ congrès médicaux ou au sein de société savante,
évaluation et de l'évaluation quadriennale du d'associations de patients, etc.
programme. Il s'agira de mesurer l'écart entre Les informations venant de France sont utiles,
ce que le programme a prévu d'atteindre et les au vu des spécificités méthodologiques deman-
effets observés chez les patients et chez les inter- dées. Elles peuvent aussi émaner d'un pays fran-
venants. L'écart s'évalue aussi sur les changements cophone, aux méthodologies voisines. Les pays
intervenus au niveau des activités éducatives, anglo-saxons fonctionnent selon d'autres modèles
de  la  ­coordination et de la communication, de d'organisation, mais un contact peut toujours être
l'organisation et du contenu du programme d'ETP. riche (par exemple, par rapport à une étude de
Les objectifs du programme sont différents besoins).
des objectifs du patient qui eux détaillent de Contacter ces autres professionnels permet-
façon très précise les acquisitions attendues de tra de recueillir leurs expériences en termes
celui-ci (voir chap.  11, Convenir des objectifs de difficultés rencontrées, de besoins éducatifs
avec le patient). repérés auprès des patients, d'outils ou de tech-
niques pédagogiques, de supports éducatifs uti-
lisés pour retranscrire les données concernant
Recherche d'expériences en cours le patient. Un partage est toujours le bienvenu
(encadré 10.3).
sur le thème éducatif envisagé
Actions éducatives
déjà existantes dans l'équipe Description
Au moment de l'émergence d'un projet éducatif,
des patients concernés
existent souvent des expériences éducatives anté-
Description de la file active
rieures. Il convient de s'appuyer sur elles, de les
valoriser et de les prolonger en les structurant locale des patients
dans un ensemble cohérent. Il convient de décrire les caractéristiques de la
Les personnes déjà porteuses de ces activités population visée par le projet éducatif.
devront être considérées et valorisées. La file active se définit par le nombre de patients
habituellement suivis sur une année dans une
Expériences émanant équipe médicale. Il convient donc de :
• relever le nombre des patients suivis par l'équipe,
de l'extérieur
concernés par la problématique de santé ;
D'autres équipes ont peut-être l'expérience d'un • déterminer les patients pouvant bénéficier prio-
programme éducatif similaire à celui envisagé. ritairement de ce processus éducatif : s'interro-
Pour le savoir, il est possible d'essayer d'en repérer ger sur les critères de priorisation tels que l'âge,
les acteurs de différentes façons : le stade de la maladie, le type de traitement, etc.

87
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

ENCADRÉ 10.3
Expériences extérieures aidant à la construction d'un programme
pour des personnes vivant avec une sclérodermie
Pour créer un programme d'ETP multisecto-  Un abstract de congrès intitulé : « Qu'attendent
riel pour des patients atteints de sclérodermie les sclérodermiques d'une éducation thérapeu-
systémique, les équipes de soins ont fait une tique ? Enquête monocentrique dans une cohorte
revue de la bibliographie sur « sclérodermie de patients ».
et ETP » en français (du fait du format franco- Par ailleurs, un rapprochement avec l'équipe
phone de l'ETP), et ont retrouvé trois articles : de médecine interne du CHU de Lille, ­auteure
 « Analyse croisée des besoins d'éduca- des deux premiers articles a permis des
tion thérapeutique exprimés par les patients échanges lors de réunions, avec récits d'expé-
atteints de sclérodermie systémique et par leurs riences, échanges d'outils pédagogiques et
soignants d'un service hospitalier référent  » formation d'équipe à l'animation de certains
dans Éducation thérapeutique du patient– ateliers.
Therapeutic Patient Education en 2008 ; Source : Programme d'ETP multi-équipes en cours de
 « Plaintes et besoins des patients atteints construction pour des patients atteints de scléroder-
mie systémique (médecine interne, ­rhumatologie,
de sclérodermie systémique  : une meilleure
médecine vasculaire). ­Coordonnateurs :
connaissance afin d'améliorer le suivi », paru ­Professeurs A. Lequellec et J. Morel, CHU Montpellier.
dans la Revue de Médecine Interne en 2011 ;

L'adéquation entre les besoins identifiés et la se situer les temps éducatifs comme l'accueil avec
possibilité d'y répondre en termes de moyens doit présentation du programme éducatif, l'obtention
être interrogée. Il est en effet possible de prévoir, du consentement, le bilan éducatif partagé (BEP),
dès cette étape, des relais avec d'autres établisse- les entretiens individuels et/ou collectifs, ou l'éva-
ments de santé ou en ville. luation de fin de programme (ou fin de cycle). On
La démarche sert aussi à vérifier que la construc- envisagera aussi d'emblée le suivi éducatif ultérieur.
tion d'un programme se justifie, au vu du nombre Cette description permettra d'avoir une vision
annuel espéré de bénéficiaires dans cette patho- précise des organisations, des acteurs à impliquer
logie. Ce nombre est habituellement considéré et des adaptations à prévoir (figure 10.1).
autour de 50 patients par an, mais un chiffre plus
petit est envisageable en fonction de la patholo- Recueil et analyse des besoins
gie, notamment s'il s'agit d'un enjeu prioritaire de
santé publique ou d'une pathologie rare. des patients et de leur entourage
Recueil des besoins des patients
Parcours de soins et parcours et de leur entourage
éducatif du patient Dans le cadre du programme, des activités édu-
Cette étape consiste à décrire le parcours de soins catives vont être proposées. Pour les construire,
du patient atteint de la pathologie donnée, c'est- il convient d'abord de repérer les besoins de
à-dire sa filière de prise en charge intra- et extra- cette population les plus fréquemment rencon-
hospitalière : trés à partir de publications et de l'expression
• intra-hospitalière  : les unités de soins ou les de patients. Les besoins des patients seront aussi
professionnels de santé qui interviennent sur ce investigués à partir du point de vue des soignants.
parcours ; Ces besoins sont de différents ordres  : médi-
• extra-hospitalière : les professionnels de santé, caux, psychologiques ou sociaux (fiche pratique 4).
les structures en amont et en aval de la prise en
charge hospitalière ainsi que les associations de Existence de publication
malades, en lien avec cette thématique sur le Dans un premier temps, on vérifiera si ceux-ci ont
territoire de santé. déjà été explorés et publiés. Si c'est le cas, il faudra
Le parcours éducatif s'insère dans le parcours voir si une transposition des résultats au contexte
de soins. Il s'agit de repérer assez tôt où pourront local est possible. Pour cela, il conviendra de :

88
Chapitre 10. Cadrage du projet

Figure 10.1 Exemple d'un parcours éducatif.


Dans le cadre d'un programme éducatif pour des patients insuffisants respiratoires bénéficiant d'une assistance par trachéotomie
au CHU de Montpellier, l'équipe a formalisé le parcours type d'un patient et les moments propices à un temps éducatif. Source :
Programme d'ETP « Être autonome avec mon assistance respiratoire », équipe de l'UARP-soins intensifs et consultation, CH
Lapeyronie, CHU Montpellier. Coordonnateurs : Docteurs V. Moulaire-Rigollet et P. Reverbel.

• vérifier si les patients concernés dans les publi- Ce terme est aussi utilisé en rapport avec les
cations ressemblent bien à ceux impliqués dans besoins du patient les plus fréquemment ren-
le programme en question ; contrés et les plus importants sur les plans sécu-
• évaluer la qualité scientifique et l'actualité de ritaire, mais aussi psychologique et social. Par
l'article, qui s'apprécient notamment par l'an- extension, un référentiel de besoins aboutit à un
cienneté de l'étude, la méthodologie choisie, référentiel de compétences à acquérir : ce dernier
l'envergure nationale voire internationale de la se traduit par les compétences de base, biomédi-
revue et la réputation des auteurs. cales et psychosociales, qui seront nécessaires au
Il existe parfois des référentiels de besoins éta- patient pour qu'il puisse combler ses besoins seul
blis dans le cadre d'une société savante, situation ou avec d'autres personnes ressources afin de
particulièrement appréciable. bien gérer sa maladie et vivre avec. C'est à partir
Le référentiel est un document énonçant des de ces besoins et compétences repérés que seront
exigences de qualité relatives à une pratique pro- définis les objectifs du patient convenus avec lui
fessionnelle ou à un mode de fonctionnement. (encadré 10.4).
ENCADRÉ 10.4

Référentiel de compétences pour un programme sur la dermatite atopique


Dans le cadre de la dermatite atopique, une les adultes atteints. Elles sont classées en trois
équipe de dermato-allergologie ayant construit rubriques : savoir, savoir-faire et savoir-être.
son programme en 2011 a pu s'adosser au réfé- Le patient sera capable de…
rentiel en ce domaine établi par S. Barbarot et al.
avec le groupe ETP de la Société française de der- Savoirs/connaissances
matologie « Dermatite atopique : un référentiel 1. Expliquer ce qu'est l'eczéma atopique, nom-
d'éducation du malade », paru dans Annales de mer la maladie, expliquer les notions suivantes :
Dermatologie et Vénéréologie en 2007 [7]. maladie chronique et poussées, inflammation,
Les compétences à acquérir sont présentées génétique (atopie), facteurs aggravants, envi-
pour les petits enfants, les parents d'enfants ronnement psychologique, altération de la
de moins de 5 ans ainsi que les adolescents et barrière cutanée, non-contagiosité.

89
▲ Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

2. Reconnaître sur la peau  : une sécheresse 3. Adapter le traitement aux conditions par-
cutanée, une lésion inflammatoire, une lésion ticulières (piscine, mer, soleil, voiture, séjour
suintante, une lésion inhabituelle (herpès, court en dehors de l'habitation habituelle,
infection bactérienne). vacances, etc.).
3. Identifier une lésion d'urticaire. 4. Utiliser une méthode d'évaluation du prurit
4. Appliquer les conseils de toilette, d'habil- et de la qualité du sommeil.
lage, d'environnement.
5. Reconnaître les différents traitements et Savoir-être
leurs modes d'action, leurs effets secondaires, 1. Expliquer la maladie à son entourage
la stratégie thérapeutique. ­(famille, école).
6. Appliquer des alternatives au grattage. 2. Savoir négocier l'implication des parents
7. Repérer les situations dangereuses (aller- dans les soins
gies alimentaires, herpès). 3. Exprimer ses émotions à un adulte, parta-
ger son(ses) expérience(s) de la maladie avec
Savoir-faire quelqu'un.
1. Adapter les traitements en fonction de l'état 4. Évoquer ses difficultés.
de la peau  ; choisir le traitement adéquat Source : Programme d'ETP pour les patients atteints
et indiquer  : endroit, quantité, application, de dermatite atopique : Educ@top. Équipe de der-
rythme, durée, aides. matologie, CH St-Eloi, CHU Montpellier. Coordonna-
2. Savoir que faire en cas de poussée, de prurit teur : C. Séguret, cadre de santé.
aigu, de réveil nocturne, de lésion inhabituelle.

Pas de publication sur le sujet La co-construction du programme avec un ou


Les besoins n'ont pas déjà été répertoriés par des patients permettra de vérifier que les besoins
d'autres équipes. Il convient alors d'en faire soi- mis en évidence sont bien ceux des patients
même la liste, en interrogeant un échantillon de locaux. En effet, certains besoins spécifiques au
patients, mais aussi de soignants, et de croiser lieu de vie et de soins peuvent exister.
les deux visions pour en faire une synthèse. Les Le recueil des besoins des patients peut s'asso-
patients évoquent surtout la vie avec la mala- cier à ceux de leur entourage, qui sont souvent un
die, alors que les soignants sont plus attachés peu différents. Parfois, un programme éducatif ne
aux aspects du soin spécifiques de la pathologie s'adressera qu'aux aidants (par exemple, entourage
concernée. de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer).
Concrètement, que ce soit auprès d'une popu- En parallèle, une recherche des besoins des
lation de patients et/ou leur entourage ou de patients vus par les soignants de l'équipe est
soignants, les techniques de recueil sont les sui- nécessaire. En effet, les patients ne sont pas
vantes : conscients de tout ce qu'ils gagnent à apprendre,
• entretiens individuels semi-dirigés ; n'étant pas médecins eux-mêmes. Les soignants
• renseignement d'un questionnaire auto-­ auront à cœur de penser aux besoins d'autosoins,
administré ; a fortiori sécuritaires. Pour ce faire, les mêmes
• technique du focus group ou brainstorming en méthodes citées ci-dessus peuvent être utilisées.
petit groupe. À l'issue de ces deux démarches parallèles, une
La combinaison des trois méthodes est possible mise en commun et une synthèse des besoins les
et même optimale. plus fréquents et les plus importants seront éta-
Pour aider à la réalisation de ces enquêtes, nous blies.
proposons de se référer aux fiches pratiques 5, 6 et 7. Dans la plupart des cas, nous recommandons
Notons que pour investiguer au mieux les d'associer l'analyse de la bibliographie et une
besoins des patients et/ou leur entourage, il sera enquête des besoins des patients pris en charge
important d'explorer différents champs comme localement. Cela permet d'être certain de l'adé-
les attentes, les représentations mentales, les quation de ce que l'on va construire avec les
désirs et les choix prioritaires des patients ainsi besoins locaux, tout en se référant et comparant à
que les modalités d'organisation (tableau 10.1). des travaux scientifiques extérieurs (encadré 10.5).

90
Chapitre 10. Cadrage du projet

Tableau 10.1 Champs à explorer pour investiguer les besoins des patients


Attentes et représentations :
• Représentation du patient sur sa maladie, ses traitements, sur les soignants
• Perception des attentes du patient vis-à-vis de la relation avec les soignants
Désirs d'intervention éducative sur :
• la maladie, les comorbidités, les traitements, les règles d'hygiène, les précautions à prendre, la prévention ; etc.
• Les personnes et les structures ressources à l'intérieur et à l'extérieur de l'établissement, les associations de patients
• Ses droits juridiques et d'assuré social
• Ses possibilités d'adaptation professionnelle
• L'implication de proches pour l'aider à se prendre en charge
• Des échanges avec un psychologue ou psychiatre pour parler de son vécu de la maladie
Modalités d'expression :
• Types d'entretiens éducatifs individuels ou collectifs
• Lieux et durées préférentiels de ces activités
• Rencontres avec d'autres patients
• Implication de patients intervenants ou d'associations de patients

des deux. Il conviendra alors de croiser les besoins


ENCADRÉ 10.5

Enquête de besoins auprès des patients, recueillis auprès des patients/aidants et


des patients auprès des soignants, et d'en faire une synthèse qui
Reprenant l'exemple précédant sur la couvre les champs de la sécurité biomédicale et de
co-construction d'un programme pour le
­ l'adaptation psychosociale du patient.
­patient atteint de sclérodermie systémique Il s'agit maintenant de les répertorier selon les
(voir encadré 10.3 et plus haut, Expériences
thèmes suivants : connaissance de la maladie et du
émanant de l'extérieur), en plus des éléments
de la bibliographie et de l'échange avec traitement, apprentissage d'une technique, gestion
l'équipe lilloise, les équipes ont mené, avec d'un ou des symptômes gênants, gestion psycho-
l'association locale des malades concernés, logique de la maladie, habitudes de vie (diététique,
une enquête auprès de 45  patients habitant exercice physique, addictions, etc.), adaptation
le Languedoc-­ Roussillon. Le questionnaire professionnelle, ressources sociales, échanges avec
construit ensemble comportait 25  questions,
fermées et ouvertes. Les patients venant en d'autres patients, tissu associatif, vécu de la mala-
consultation ont été sollicités pour remplir ce die, etc. Il est aussi possible d'établir un classement
document ; celui-ci a aussi été envoyé par l'asso- par type de savoir : savoir, savoir-faire et savoir-être.
ciation des patients à ses adhérents. L'analyse des
réponses a aidé à déterminer les thèmes éduca-
tifs principaux à prévoir en séances collectives.
Établissement d'un référentiel
Source : Programme d'ETP multi-équipes en
cours de construction pour des patients atteints d'objectifs pour le programme
de sclérodermie systémique (médecine interne,
rhumatologie, médecine vasculaire). Coordonna-
Les besoins les plus importants et fréquemment
teurs : Professeurs A. Lequellec et J. Morel, CHU rencontrés constituent un référentiel qui s'in-
Montpellier. sère naturellement dans le programme éducatif.
Celui-ci peut correspondre à une liste de  10 à
15  besoins principaux. En se référant à la péda-
gogie par objectifs (voir chap.  8, Pédagogie par
De l'analyse des besoins objectifs), ces besoins seront traduits en objectifs
à la définition d'objectifs éducatifs éducatifs et d'accompagnement [8]. Leur atteinte
On dispose donc à cette étape de besoins issus soit avec application dans la vie quotidienne signifiera
de la littérature, soit d'une enquête locale auprès de l'acquisition de compétences (encadré  10.6 ; voir
patients et/ou de leur entourage et des soignants, soit chap. 11, Convenir des objectifs avec le patient).

91
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

En interne
ENCADRÉ 10.6
Listes d'objectifs les plus
fréquents et les plus importants • L'encadrement médical et paramédical, dont il
faudra vérifier la position et l'engagement vis-à-
Dans la suite de l'exemple précédant (voir vis du projet. Notamment, il s'agit de s'enquérir
plus haut, Recueil des besoins des patients
de l'appui ou pas du ou des médecins respon-
et de leur entourage), voici la liste des
12  objectifs les plus fréquents et les plus sables des unités concernées, du chef de dépar-
importants établis au décours de l'ana- tement et du chef de pôle. Parallèlement, cette
lyse bibliographique, de la rencontre avec même démarche sera faite auprès des cadres de
l'équipe lilloise et des résultats de l'enquête santé des unités concernées et du cadre supé-
locale sur 45 patients atteints de scléroder-
rieur de santé du pôle.
mie systémique :
• L'unité transversale d'éducation du patient
 comprendre sa maladie, les facteurs
environnementaux influents et son deve-
(UTEP) nommée aussi unité transversale
nir ; d'éducation thérapeutique (UTET), s'il en
 comprendre et suivre ses traitements existe une dans l'établissement. Ce sont des
médicamenteux ; unités de coordination des activités éducatives.
 prévenir et gérer les complications pul- Il en existait probablement autour de  100 en
monaires ; France en 2015 ; leur nombre est en constante
 s'adapter à la gêne fonctionnelle liée à la augmentation. Leurs missions consistent,
maladie ;
 gérer les problèmes digestifs et adapter notamment, à coordonner les activités et les
son alimentation ; programmes éducatifs, à les accompagner, à les
 prendre soin de ses mains ; soutenir dans leur construction et leur évalua-
 gérer sa fatigue : vivre avec, lutter contre ; tion. Elles aident la direction de l'institution à
 évaluer et gérer sa douleur ; définir une politique vis-à-vis de l'ETP au sein
 préserver une activité physique ;
 connaître et utiliser le système de soins de l'établissement. Elles favorisent les liens
et d'aide sociale, comprendre les courriers entre les équipes, les programmes et les établis-
médicaux ; sements de santé dans la région, ainsi qu'avec la
 parler de sa maladie et trouver un sou- médecine de ville afin de soutenir la continuité
tien parmi l'entourage ; de l'éducation du patient dans son parcours de
 maintenir une bonne qualité de vie psy-
chologique et sociale. soins. Elles soutiennent enfin la diffusion de la
pratique de l'ETP dans l'établissement (enca-
Source : Programme d'ETP multi-équipes en
cours de construction pour des patients atteints
dré 10.7) [9].
de sclérodermie systémique (médecine interne, • Un réseau de professionnels impliqués en ETP
rhumatologie, médecine vasculaire). Coordonna- avec :
teurs : Professeurs A. Lequellec et J. Morel, CHU
Montpellier. – un réseau formalisé et dévolu au développe-
ment de l'ETP (encadré 10.8) ;
– un réseau informel des coordonnateurs
des programmes déjà autorisés. Ces pro-
À la suite de quoi, les interventions éducatives fessionnels peuvent être des personnes res-
pourront être envisagées et construites en fonction sources, du fait de leur expérience en ETP
des objectifs définis. Les formes individuelles et/ et de l'équipe d'ETP qu'ils coordonnent. Ils
ou collectives seront décidées. sont des acteurs précieux pour la diffusion
de la culture éducative dans l'établisse-
ment.
Équipe soignante portant • L'institution : ce projet est-il reconnu par l'ins-
titution comme un axe ou une priorité à déve-
le programme lopper ? L'engagement de cette dernière dans
la création d'une UTEP/UTET ou la mise en
Repérer les alliés au projet
œuvre d'un plan de formation propre à l'ETP
Il s'agit de s'enquérir des appuis en interne et en peut en être une preuve (voir chap. 13, Les for-
externe à l'établissement de santé. mations continues en ETP).

92
Chapitre 10. Cadrage du projet

ENCADRÉ 10.7

ENCADRÉ 10.9
Historique de l'organisation Un réseau de soins thématique,
de structures gérant l'éducation intégrant l'ETP pour des
thérapeutique du patient personnes souffrant d'hépatite C
dans un CHU [10] Dans le Languedoc-Roussillon, un réseau
Au CHU de Montpellier, la démarche insti- formalisé sur le thème de l'hépatite C a été
tutionnelle envers l'éducation à la santé et créé il y a quelques années, associant des
l'éducation du patient a débuté en 1994, professionnels de la région travaillant sur
avec la création du comité hospitalier le sujet, à savoir dans des services d'hépa-
d'éducation pour la santé et de prévention tologie, de gastroentérologie, de maladies
(CHESP). En 2000 est créée, par le Dr Claude infectieuses et de médecine interne, des
Terral, une unité fonctionnelle dévolue réseaux ambulatoires locaux, des associa-
­
à l'éducation à la santé, prenant rapide- tions de patients et des associations de pro-
ment le nom d'unité de coordination des fessionnels de santé.
actions de prévention et d'éducation pour Parmi eux, sept équipes et deux associa-
la santé (UCAPES), en faisant l'une des deux tions de patients portent un programme
ou trois premières unités traversables en d'ETP pour ces patients.
France. En 2001, un diplôme universitaire Dans le cadre de ce réseau, un référentiel régio-
sur l'éducation du patient est mis en place. nal sur l'ETP pour les patients souffrant d'hé-
Des journées régionales sont instituées éga- patite C a été élaboré de 2013 à 2015. Une en-
lement au tout début des années 2000. En quête régionale de besoins auprès de patients
2012, l'UCAPES devient UTEP pour marquer et de soignants a été menée. Le document
l'émergence de nouvelles missions et d'une final établi en 2015 comprend une charte des
nouvelle équipe. L'UTEP est en lien avec patients, une liste d'objectifs les plus fréquents
la Direction de l'offre de soins (DOS) ainsi et les plus importants, un guide d'entretien
qu'avec la Commission médicale d'établis- du BEP, des fiches pédagogiques pour des
sement (CME) et la Direction coordination entretiens éducatifs, des outils pédagogiques
générale des soins (DCGS). Parallèlement, et d'évaluation ainsi que des possibilités de
un comité interdisciplinaire d'éducation du formations d'équipe.
patient (CIDEP) est mis en place, en rempla- Source : Réseau hépatite C Languedoc-Roussillon.
cement de l'ancien CHESP, précédemment L'éducation thérapeutique du patient. Le référen-
décrit, pour définir la stratégie et le déve- tiel régional partagé sur l'éducation thérapeutique
des patients atteints d'hépatite virale chronique C
loppement de l'éducation du patient au
[Internet]. 2015. Disponible en ligne sur :
CHU, dans le respect des valeurs et des cri- http://www.chu-montpellier.fr/fileadmin/
tères de qualité reconnus et partagés. user_upload/Pole_Digestif/ReseauHepatitesLR/
ETP_VHC/2015_Referentiel_Regional_ETP_VHC_
SITE_INTERNET.pdf
ENCADRÉ 10.8

Exemple d'un réseau


d'acteurs impliqués en ETP En externe
dans un CHU [10] • La filière de soins : repérer en dehors de l'établis-
sement de santé, les professionnels impliqués
Un réseau d'acteurs très engagés dans
l'éducation du patient existe au CHU de
dans la filière de prise en charge de la patholo-
Montpellier depuis plus de 10  ans. Il était gie concernée. Ceci permettra de constituer un
constitué en 2015 de 15 membres nommés réseau participant au projet éducatif.
« correspondants en ETP ». Ces profession- • Un réseau thématique ciblé sur une pathologie
nels médicaux ou paramédicaux ont une (encadré 10.9) [11].
compétence reconnue et certifiée en ETP
(obtention a minima d'un diplôme universi-
• Le réseau de soins ambulatoire (encadré 10.10).
taire en ETP), et travaillent en étroite colla- • Les associations de patients. Leur rôle en matière
boration avec l'UTEP. d'ETP est incontournable. L'association constitue
Ils participent à des projets communs et se un allié précieux à plusieurs titres : collaboration
portent volontaires pour apporter de l'aide pour la co-construction du programme, la co-
aux équipes de leur pôle qui le souhaitent,
pour la construction ou l'optimisation de
animation et/ou la ­co-­évaluation ; participation
leur projet éducatif. à une enquête de besoins des patients ; relais de
l'offre éducative parmi ses adhérents ; initiation

93
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

ENCADRÉ 10.10

ENCADRÉ 10.11
Un réseau de coordination Exemple d'une association
de soins et d'ETP ambulatoire [12] initiatrice avec un médecin
La région de Nancy et certains bassins de d'un programme d'ETP
population proches de Nancy dans le dépar- L'association ENDOFRANCE, regroupant des
tement de Meurthe et Moselle disposent, femmes souffrant d'endométriose, a été
depuis 2005, d'un réseau de coordination l'instigatrice, avec un médecin de l'équipe
à la fois de soins et surtout d'éducation d'un service de gynécologie-obstétrique/
thérapeutique pour des personnes souf- médecine de la reproduction, d'un pro-
frant de diabète et/ou en surpoids, enfants, gramme d'ETP sur cette thématique. En
adolescents et adultes. Le réseau Maison effet, l'endométriose est une pathologie
du diabète et de la nutrition de Nancy et  fréquente, qui touche une femme sur dix
54 (MDN54) a pour vocation d'être un ou- en âge de procréer. Elle est assez mécon-
til pour la médecine libérale. L'adhésion à nue et beaucoup de femmes s'en trouvent
cette structure est proposée aux patients très affectées en raison, notamment, des
récemment diagnostiqués et peu compli- douleurs fréquentes et des projets de vie
qués, habituellement non suivis par le ser- impactés, comme la grossesse. La respon-
vice de diabétologie du CHU. Cette struc- sable scientifique de l'association fait partie
ture de premier recours à l'ETP, copilotée du comité de pilotage et assure la gestion
par le médecin et des professionnels de san- des réunions. L'enquête de besoins auprès
té ­libéraux, est opérationnelle en médecine des patients a été réalisée par elle. Une
de ville et capable d'améliorer le contrôle ­co-­animation avec les professionnels de santé
métabolique des patients à court terme et la co-évaluation du programme est prévue.
voire à moyen terme (données non pu-
Source : Programme d'ETP en cours de construc-
bliées). Des liens peuvent être établis entre tion sur l'endométriose. Équipe de gynécolo-
le programme éducatif du réseau et ceux gie-obstétrique, CH Arnaud-de-Villeneuve, CHU
des autres structures territoriales hospita- Montpellier. Coordonnateur : Docteur C. Vincens.
lières ou non (programme d'ETP du réseau
pour l'insuffisance rénale par exemple).

proposition dans le cadre d'un questionnement


d'activités éducatives ; création d'outils pédago- constructif. Une enquête préalable auprès de
giques ; soutien institutionnel… (encadré 10.11). l'équipe, par questionnaire ou entretien indivi-
duel ou collectif est possible (fiche pratique 8).
Recenser les professionnels Il est donc important de prévoir des moyens
et des temps d'échanges sur l'avancement des
concernés dans les unités
travaux. Cette démarche facilite l'adhésion de
Par une enquête interne, il va être possible de l'équipe aux changements que le projet pourra
repérer les envies, les motivations et les compé- engendrer.
tences de chacun (voir chap.  13, Compétences
pour pratiquer l'ETP). Identifier les représentations
Il s'agit d'impliquer autant que possible tous les des professionnels
secteurs concernés. En effet, l'idée de la construction
d'un programme émerge en général d'une unité, et
de l'équipe sur l'ETP
il conviendra de prendre rapidement en considéra- Cette discussion collective est particulièrement
tion l'ensemble des unités concernées dans la filière importante. Au travers de ces conceptions, elle
afin d'être plus efficace et exhaustif. On rejoint ici le permet de déceler des attitudes plutôt bienveil-
parcours complet de soins du patient. lantes ou plutôt hostiles au projet, en vertu de ce
Par ailleurs, cette démarche entre dans le cadre d'un qu'évoquent pour chacun, les notions d'éduca-
projet d'équipe. Outre son accord initial, il convient tion, de programme, de structuration, de métho-
donc de vérifier qu'elle en a les moyens et qu'elle est dologie, d'évaluation (encadré 10.12).
stable. Si l'on n'y prend pas garde, un turn-over exces- Il ne s'agit pas de tous penser la même chose
sif de ses membres peut fragiliser fortement le projet. mais d'accepter les points de vue différents
La démarche doit favoriser les échanges et de chacun, d'expliquer et de rassurer sur les
l'écoute, et permettre à chacun d'être force de valeurs communes, les principes éthiques

94
Chapitre 10. Cadrage du projet

• mise à disposition de techniques ou d'outils


ENCADRÉ 10.12
Représentations pédagogiques ;
des soignants sur l'ETP • salle adaptée, dévolue à l'éducation individuelle
Un projet de programme sur l'infection à VIH ou collective ;
est présenté dans une équipe. Un médecin, • organisation explicite pour tout le monde…
le cadre de santé et deux infirmières du ser- Pour identifier ces besoins, les trois méthodes de
vice se proposent de porter ce projet et de recueil vues précédemment peuvent être utilisées
le mener à bien, avec un patient qu'ils ont
déjà contacté. Lors d'une réunion de service,
(entretien semi-dirigé, questionnaire, focus group ;
plusieurs médecins et une psychologue s'op- voir plus haut, Recueil et analyse des besoins des
posent au projet en refusant un quelconque patients et de leur entourage). Un exemple de ques-
« formatage du patient ». L'un d'entre eux tionnaire des besoins à destination des soignants
reprend la phrase de la philosophe Hannah est présenté dans la fiche pratique 8.
Arendt : « On n'éduque pas un adulte. » Une
discussion approfondie et vivante a permis à
ce que tout le monde s'exprime et précise ses
points de vue. Des règles éthiques communes
ont été affirmées. Sans vouloir s'investir dans
Moyens disponibles
le projet, les professionnels précités se sont
montrés finalement plus conciliants. Moyens matériels
Il conviendra d'identifier :
• les locaux pour des séances individuelles ou
de l'ETP, l'intégration de l'ETP dans le soin collectives ;
et la dimension d'accompagnement de l'hu- • les supports pédagogiques : outils et techniques
main [13]. (tableau  10.2 ; voir chap.  9, Supports et outils
pédagogiques en ETP) [14] ;
Identifier les besoins des soignants • les supports d'information du patient (pla-
impliqués dans ce programme quettes, etc.) ;
• les supports d'évaluation du patient (voir chap. 11,
Ces besoins peuvent être de différents ordres : Outils et méthode d'évaluation du patient) ;
• formations en ETP ou en d'autres domaines, • les supports de traçabilité de la prise en
par exemple en accompagnement individuel, en charge éducative (dossier éducatif papier ou
animation de groupe, en pédagogie, etc. ; informatisé).

Tableau 10.2 Exemple d'outils éducatifs liés à l'asthme de l'enfant, choisis en fonction


de son âge, de sa maturité, de ses capacités individuelles et de son contexte de vie
Outils Savoir Savoir-faire Savoir-être
2–5 ans Chansons Inhalateurs Plan action
Théâtre Chambre d'inhalation Projet accueil individualisé
Débitmètre de pointe siffleur Carnet de suivi
6–11 ans Classeur Inhalateurs, débitmètre de pointe Plan action
Livre, bande dessinée Sifflet Projet accueil individualisé
Vidéos, CD-ROM Jeux Carnet de suivi
12–18 ans Classeur Inhalateurs, débitmètre de pointe Carnet de suivi
Internet Sifflet Projet accueil individualisé
CD-ROM Jeux Jeux de rôle
Parents Classeur Inhalateurs, débitmètre de pointe Carnet de suivi
Sifflet Projet accueil individualisé
Source : inspiré des travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l'Association française de pédiatrie ambulatoire. Éducation thérapeutique de
l'enfant asthmatique et de sa famille en pédiatrie. Référentiel d'autoévaluation des pratiques en pédiatrie. HAS ; juin 2005, 11 p.

95
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

Si des aides financière ou matérielle, comme éducative requiert une compétence particulière et
un outil ou un support pédagogique, sont pro- ne peut se confondre avec une évaluation biomédi-
posées par un intervenant extérieur (laboratoire cale classique. (voir partie VII, Recherche en ETP).
pharmaceutique par exemple), l'équipe devra Cela dit, si toutes les conditions sont réunies,
garder la maîtrise des conditions matérielles et cette source de financement peut être très appré-
éthiques de ce partenariat (choix des objectifs et ciable (supports, paiement de salaire d'attachés de
finalités). recherche, etc.).
L'industrie pharmaceutique peut également
aider au financement. Il est alors essentiel de bien
Moyens financiers prévoir une indépendance totale vis-à-vis de la
firme et une transparence comme le demande la
Il convient de lister les éventuelles sources de loi. L'apport de supports éducatifs non estampil-
financement du programme en précisant, pour lés est possible de même que, dans certains cas,
chacune d'entre elles, le montant du financement la prise en charge d'un salaire de soignant.
(voir chap. 2, Financement de l'ETP en France).
Les crédits des fonds d'intervention régionaux Moyens d'échanges d'informations
ou FIR (anciennement missions d'intérêt géné-
éducatives entre soignants
ral et à l'aide à la contractualisation ou MIGAC),
spécifiques à l'éducation thérapeutique, sont ver- Il s'agit de recenser :
sés chaque année pour compenser les frais hos- • les supports de transmission, notamment infor-
pitaliers dévolus à cette pratique, notamment matiques :
en termes de charges salariales. Ils sont parfois – ces supports sont habituellement les recueils
octroyés à l'établissement hospitalier sous la de données d'entrée, les courriers et les trans-
forme d'une enveloppe reconductible en fonc- missions de sortie. Ils doivent inclure les don-
tion d'une évaluation annuelle. Ils ne prennent nées éducatives,
en compte que les activités ambulatoires (c'est-à- – parmi les outils de transmission adaptés et
dire hors hospitalisation de jour, de semaine ou de accessibles à tous, l'outil informatique aide à
court séjour). Cela ne concerne pas la psychiatrie l'échange en interne d'informations en temps
qui est financée par des crédits spécifiques. réel entre les professionnels hospitaliers, et
Dans certaines pathologies, la prise en compte vers l'extérieur par l'émission de courriers
d'un programme éducatif par d'autres crédits de synthèse. Disposer d'un logiciel dans
MIGAC/FIR spécifiques est possible (exemples  : lequel un dossier éducatif complet est intégré,
mucoviscidose, douleur). amène une aide importante pour l'équipe
Au départ du projet, il est préférable de raisonner (encadré  10.13). L'interdisciplinarité autour
en termes de moyens constants, car rien ne garantit du patient en est alors grandement facilitée ;
qu'une dotation supplémentaire ne soit octroyée au • les temps de travail en commun de l'équipe :
pôle lorsque le programme deviendra effectif. – l'organisation de staffs pluriprofessionnels
Des sources spécifiques de financement peuvent permet la mise en commun des informations
également être trouvées pour des structures non propres à un patient. Un fonctionnement
hospitalières, comme des réseaux ou des services interdisciplinaire apporte une plus-value
de soins de suite, via l'ARS, la Caisse nationale importante pour l'élaboration des objectifs
d'assurance maladie (CNAM), etc. éducatifs dans le cadre du BEP,
Une autre source de financement est possible – de même, ces temps d'échange aident les pro-
en s'inscrivant dans une recherche médicale. La fessionnels à mieux connaître le patient et à
tentation est grande pour certains de construire mieux se positionner lors des prochaines ren-
un programme d'ETP conjointement à une étude contres avec lui.
scientifique évaluative. Bien que possible, ce pro-
jet conjoint ne doit pas, à notre sens, être la règle.
De graves confusions peuvent en découler. La co-
Temporalité de l'ETP [1, 16, 17]
construction du projet risque d'en être biaisée. Pour la mise en œuvre d'une démarche d'ETP, la
De plus, l'évaluation scientifique de la démarche notion du temps se décline de deux façons :

96
Chapitre 10. Cadrage du projet

à repérer et à co-construire dans le parcours


ENCADRÉ 10.13
Informatisation du patient des moments propices où celui-ci est
des données éducatives réceptif et demandeur d'une éducation. Cela
L'UTEP du CHU de Montpellier a créé en demande de la part du professionnel de santé qu'il
2012 un module ETP dans le logiciel du dos- se mette en état de « vigilance éducative » [18].
sier informatisé du patient, DXCare®  [15].
Une enquête approfondie auprès des utili-
sateurs a été réalisée au début, ce qui a per- Éléments de pérennité [19]
mis la construction d'un cahier des charges
précis. Celui-ci a été développé par la direc- Une fois construit, le programme devra être
tion des systèmes d'information (DSI) et de pérenne dans le temps. Or, des conditions sont
nombreux tests ont eu lieu afin d'aboutir à connues pour favoriser la pérennité, et elles
une première version. Très vite, des limites s'inscrivent dans toutes les étapes d'élaboration,
ont été ressenties, qui ont conduit à des
ajustements et à une deuxième version
de construction et de vie du programme (enca-
stabilisée début 2014. Un enrichissement dré 10.14). Aussi, elles doivent être d'emblée envi-
progressif se poursuit depuis 2014 avec, sagées, elles se déclinent de la façon suivante :
notamment, des questionnaires génériques • une vision juste de l'environnement et du contexte ;
(questionnaires de satisfaction, évaluation • une équipe stable ou qui apporte des éléments
du patient, etc.), des requêtes sur l'activité
éducative et un e-Learning pour aider à
de continuité et de pérennité ;
l'utilisation (fiche pratique 9). • l'implication d'une part importante de l'équipe ;
• un leadership fort et démocratique (voir
chap. 12, Leadership en ETP) ;
• le soutien par les responsables médicaux et
• la durée nécessaire à l'élaboration du projet qui paramédicaux du département et du pôle ;
doit prendre en compte la co-construction du • une culture d'ETP dans l'équipe avec un taux
programme, l'organisation de l'équipe, la for- élevé de compétences et de formation, ainsi
mation des acteurs, etc. Ce temps important de qu'une ancienneté dans la démarche ;
gestation est un élément déterminant pour la • l'écriture du projet  : la description détaillée du
réussite de la mise en place du projet ; programme éducatif est un élément indispen-
• le moment opportun pour cette mise en place. sable à la continuité et à la qualité de la démarche.
Celui-ci se détermine à partir des réponses aux
questions suivantes  : Est-ce le bon moment
pour cette équipe de se lancer maintenant dans
ENCADRÉ 10.14

ce projet de construction ? Y a-t-il un moment La pérennité d'un programme


plus propice ? Faut-il des étapes préalables et pour des patients insuffisants
décaler ce projet dans le temps ? rénaux [19]
De ce fait, il s'agit d'évaluer les temporalités sui- L'équipe du service de néphrologie-dialyse du
vantes : centre hospitalier de Chambéry porte d ­ epuis
• pour les acteurs : Combien de temps chacun des 2011 un programme d'ETP intitulé « Insuf-
fisance rénale chronique pour les patients
acteurs peut-il consacrer au projet ? Quels sont
­atteints de maladie rénale chronique stades 3
pour eux les moments privilégiés ? Peut-on s'or- et  4 (non dialysés) ». Elle est constituée de
ganiser de manière à libérer du temps ? Le temps six médecins et de 70  soignants paramédi-
nécessaire sera-t-il reconnu par les responsables caux, acteurs psychosociaux et administratifs.
médicaux et paramédicaux, et par la direction ? L'équipe pilote multidisciplinaire d'ETP est
constituée de 13  personnes. Cette grande
• pour le projet : déterminer la durée nécessaire et
équipe a vite été confrontée au problème du
raisonnable pour la réalisation de ce projet ; éla- renouvellement fréquent du personnel, sur-
borer un échéancier étalé dans le temps. Il faut tout paramédical, et au risque de dilution de
d'emblée envisager le temps nécessaire entre la culture éducative au fil du temps. Des élé-
9 mois et 1 an, voire parfois davantage. ments de pérennité ont été mis en évidence
et travaillés afin que le programme reste actif
En termes de moment et de lieu adéquats pour
et efficace au travers des aléas. La culture
l'éducation, M.  Balcou-Debussche propose la éducative dans l'équipe en est renforcée.
notion de « nid d'apprentissage », qui consiste

97
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

Il convient de faire connaître en interne le fruit de [7] Barbarot S, Gagnayre R, Bernier C, et al. Dermatite
cette rédaction et de la rendre disponible à tous ; atopique : un référentiel d'éducation du malade. Ann
Dermatol Vénéréologie 2007 ; 134 : 121–7.
• la traçabilité des actions éducatives dans le dossier
patient et dans tout document de transmission à [8] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Propositions pour l'éva-
luation de l'éducation thérapeutique du patient.
l'intention du patient et des autres s­ oignants : ADSP 2007 ; 57–61 : .
– dossier éducatif informatisé (au mieux),
[9] Chauvin  F. Unités transversales d'éducation théra-
– dossier éducatif sous forme papier, peutique à l'hôpital. Résultats de l'enquête menée par
– dossier de soins, à défaut de dossier spéci- l'AFDET. In : Santé Éducation. 2013. p. 16–20.
fique ETP, [10] Zaffran C, Terral C. L'éducation du patient au CHU
– courrier de sortie… de Montpellier  : de l'émergence d'une politique de
Dans ce cadre, l'informatisation est un élé- promotion de la santé à la structuration d'un disposi-
ment de pérennité dans la mesure où les ren- tif de soutien à l'éducation. Educ Patient Enjeux
dus des actions éducatives sont facilement Santé 2011 ; 29 : 36–41.
consultables par tous ; [11] Réseau hépatite C Languedoc-Roussillon. L'éducation
• l'évaluation, qui est un outil de pilotage indis- thérapeutique du patient. Le référentiel régional par-
tagé sur l'éducation thérapeutique des patients
pensable. Les ajustements qui en découlent atteints d'hépatite virale chronique  C [Internet].
font vivre et grandir le projet. Seul un projet en 2015. Disponible en ligne sur  : http://www.chu-­
évolution est susceptible de correspondre à une montpellier.fr/fileadmin/user_upload/Pole_­Digestif/
réalité changeante par nature ; ReseauHepatitesLR/ETP_VHC/2015_Referentiel_
• la possible recherche médicale et paramédicale Regional_ETP_VHC_SITE_INTERNET.pdf.
sur la thématique éducative ; [12] Böhme P, Durain-Siefert D, Contal I, et al. Éducation
• la valorisation du projet, qui pourra se faire à thérapeutique et suivi du patient diabétique de type 2
par un réseau de ville : comparaison avec un service
travers : de diabétologie. Éduc Thérapeutique Patient - Ther
– le recueil des activités éducatives en termes Patient Educ 2010 ; 2 : 7–14.
de suivi d'activité. L'informatisation est ici [13] Roussel S, Deccache A. Représentations variées des
aidante pour gérer ce recueil en flux continu, concepts en éducation thérapeutique du patient chez
– la communication sur le projet en interne, au les professionnels de soins de santé  : réflexions et
sein de l'équipe, du pôle et de l'établissement, perspectives. Éduc Thérapeutique Patient - Ther
et en externe. Patient Educ 2012 ; 4 : S401–8.
[14] Haute Autorité de santé (HAS). Éducation thérapeu-
Références tique de l'enfant asthmatique et de sa famille en
pédiatrie. Référentiel d'auto-évaluation des pratiques
[1] Boutinet JP. Enjeux et perspectives autour de l'édu- en pédiatrie. HAS ; juin 2005. p. 11.
cation thérapeutique du patient. Savoirs 2013 ; 33  : [15] De la Tribonnière X, Ait El Mahjoub B, Fabre S, et al.
83–94. Favoriser l'interdisciplinarité dans l'équipe par le par-
[2] Haute Autorité de santé (HAS). Structuration d'un pro- tage des données éducatives à l'aide d'un dossier éducatif
gramme d'éducation thérapeutique du patient dans le transversal informatisé en éducation thérapeutique du
champ des maladies chroniques. Guide méthodologique. patient. In : 5e Congrès international de la Société euro-
HAS ; 2007. p. 109. [Internet]. Disponible en ligne sur péenne d'éducation thérapeutique (SETE) ; 2014. Paris.
http://w w w.has-sante.fr/portail/upload/docs/­ [16] Roquet P, Gonçalves MJ, Roger L, Viana-­Caetano AP.
application/pdf/etp_-_guide_version_finale_2_pdf.pdf. Temps, temporalité et complexité dans les activités
[3] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Apprendre à éduquer le éducatives et formatives. Paris : L'Harmattan ; 2013.
patient : approche pédagogique. 5e éd Paris : Maloine ; p. 222.
2016. p. 170. [17] Lacroix  A, Assal  JP. L'éducation thérapeutique des
[4] Sandrin-Berthon B. Recommandations et principes patients : accompagner les patients avec une maladie
de mise en place d'un programme d'éducation théra- chronique  : nouvelles approches. 3e  éd paris  :
peutique. J Mal Vasc 2009 ; 34(supplement :  S12). Maloine ; 2011. p. 220.
[5] Mutualité française. Les programmes d'éducation [18] Balcou-Debussche M. L'éducation des malades chro-
thérapeutique du patient près de chez vous [Internet]. niques  : une approche ethnosociologique. Archives
2015. Disponible en ligne sur http://www.priorite- Contemporaines Éditions ; 2006. p. 280.
santemutualiste.fr/psm/programmes-etp. [19] Davaut  A, Bally  A, Gachet  X, de la Tribonnière  X.
[6] CART'EP Île-de-France [Internet]. Disponible en Pérenniser l'éducation thérapeutique dans un ser-
ligne sur  : http://www.educationtherapeutique-idf. vice de néphrologie-dialyse, malgré le turn-over du
org/_front/Pages/page.php. personnel. Santé Éducation 2014 ; 3 : 5–7.

98
Organisation et mise C 11 hapitre

en place d'une démarche


éducative personnalisée [1–5]

Une démarche éducative repose sur un programme


défini, pour une maladie chronique donnée. La
Bilan éducatif partagé :
structuration du programme implique de se poser comprendre les attentes
les questions suivantes : qui fait quoi, pour qui, où, et les besoins du patient
quand, comment et pourquoi ? Il permet une coor-
dination des ressources matérielles et humaines. Définition
La démarche éducative construite sous la forme
d'un programme, correspond à une planification Selon J.-F. D'Ivernois et R. Gagnayre, « le diagnos-
en quatre étapes (figure 11.1 et tableau 11.1). tic éducatif est la première étape de la démarche

ETP: une méthodologie et une organisation


Offre éducative proposée systématiquement au patient − sans obligation

Bilan éducatif partagé :


Comprendre les attentes et les besoins du patient
Équipe
pluriprofessionnelle
Formée en ETP
± Patient expert-
Centré sur le patient Convenir des
patient: acteur objectifs
Evaluer l’atteinte des avec le patient
© 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

objectifs, l’acquisition
des compétences,
prévoir un suivi. Et son entourage
Pratiquer l’éducation thérapeutique

Choisir et mettre en œuvre


les activités éducatives

Evolutif dans le temps

Figure 11.1 Structuration méthodologique des étapes éducatives dans le cadre d'un programme,
schéma inspiré du modèle systémique.
Source : Inspiré d'Ivernois JF, Gagnayre R. Apprendre à éduquer le patient : approche pédagogique. 5e éd. Paris : Maloine ;
2016, 170 p.

99
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

Tableau 11.1 Synthèse des étapes éducatives dans le cadre d'un programme


Comprendre les attentes • Appréhender les différents aspects de la vie et de la personnalité du patient
et les besoins du patient : • Identifier ses connaissances, ses besoins, faire émerger les besoins
réaliser le bilan éducatif
partagé (BEP) • Évaluer ses potentialités et ses limites
• Prendre en compte ses demandes et ses projets
Convenir avec le patient • Formuler avec le patient des objectifs pédagogiques et de soutien, et établir avec lui
des objectifs à atteindre des priorités au regard de ses projets et de ses capacités (objectifs personnalisés et
(programme personnalisé) atteignables)
• Co-construire un programme personnalisé
• Le communiquer aux autres professionnels de santé impliqués
Mettre en œuvre les • Planifier et mettre en œuvre les activités éducatives (négociées avec le patient,
séances éducatives individuelles et/ou collectives), selon l'offre éducative du programme proposé
• Réaliser ces activités
• Transmettre aux autres professionnels des informations y afférant
Évaluer le chemin • Être à l'écoute des préoccupations du patient
parcouru, réaliser un bilan • Analyser avec lui le chemin parcouru : ce qu'il a acquis, ce qui n'est pas résolu (ses
de suivi difficultés)
• Convenir alors de nouveaux objectifs
• Informer les professionnels qui assureront un relais de cette prise en charge éducative
dans un autre lieu (mutation de service, d'établissement), voire au domicile du patient

d'éducation qui permet d'appréhender différents et situations de vulnérabilité associée pour lesquels
aspects de la personnalité du patient, d'identifier une prise en charge spécifique sera proposée. Il offre
ses besoins, d'évaluer ses potentialités, de prendre également l'opportunité de repérer des projets qui
en compte ses demandes dans le but de proposer tiennent à cœur au patient, qu'ils soient personnels
un programme d'éducation personnalisé » [6]. ou professionnels, à court, moyen et long terme.
Tout en restant dans cette disposition, nous préfé- Ainsi, le BEP constitue une opportunité :
rons au terme « diagnostic éducatif », celui de « bilan • pour le patient, d'exprimer ses besoins, ses
éducatif partagé » (BEP). B. Sandrin-Berthon l'argu- attentes, ses craintes… ;
mente en soulignant que « le diagnostic renvoie, • pour le soignant :
qu'on le veuille ou non, au diagnostic établi par la – d'expliquer ses intentions éducatives et la
seule équipe médicale : c'est le point de vue que le démarche proposée,
professionnel porte sur l'état de santé du patient » [4]. – de comprendre les différents facteurs chez le
Nous utiliserons ce terme dans le reste de l'ouvrage. patient qui influencent son comportement de
santé,
Réalisation pratique – d'évaluer avec le patient sa situation,
– de convenir avec lui d'un plan d'action per-
Avant de débuter, il convient de présenter l'in- sonnalisé.
tention du programme éducatif et de vérifier que Le BEP peut être réalisé en une ou plusieurs
cela convienne au patient. Un support d'infor- fois, en hospitalisation ou en consultation. Il est
mation le résumant pourra lui être remis. De consigné dans le dossier du patient.
même, un consentement oral ou écrit sera pro- Un guide d'entretien est élaboré préalablement
posé, sachant que le patient aura toute liberté de par l'équipe pour aider les professionnels à sa réa-
se retirer, s'il le souhaite, à tout moment et sans lisation (fiche pratique 10).
justification. Il s'agit de répondre à six questions sur le patient
Un BEP se construit avec le patient. Il va per- concernant les points suivants [2] :
mettre d'appréhender les caractéristiques médico- • ce qu'il a : son état de santé, l'histoire de sa ou
psycho-sociales du patient et ses besoins. Outre ses ses maladies, ses comorbidités, son ou ses traite-
ressources, il permettra aussi de dépister les troubles ments… ;

100
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

• ce qu'il fait : sa situation familiale et profession- • ce dont il a envie  : ses centres d'intérêt et ses
nelle, ses activités sociales et de loisirs, son lieu projets grands ou petits. Ils sont sources de
de vie, ses habitudes, son niveau de ressources, motivation. Le projet de soins et d'éducation
ses comportements de santé… ; doit prendre en compte ces projets et s'y insé-
• ce qu'il sait : ses connaissances sur la maladie et rer. Il peut s'agir d'un voyage, d'une rencontre
les traitements, sur le système de soins, sur les en famille ou entre amis, de sortir à nouveau,
associations de patients… ; de retrouver des loisirs, de renforcer des liens
• ce qu'il croit  : à qui ou à quoi attribue-t-il un sociaux, mais aussi de trouver un travail, de
contrôle sur sa santé (à lui-même, à la médecine, refaire une pièce de maison, de rencontrer
à Dieu, à la chance… ?) ; ses croyances relatives quelqu'un… ;
aux conséquences de son comportement ou À la suite de ces questions, une synthèse est éta-
de la maladie, aux bienfaits et aux méfaits des blie, ciblant les thèmes suivants (encadré 11.1) :
traitements ; ses conceptions ou représentations • problématiques biomédicale, psychologique,
de la santé, de la maladie, du traitement, autre- sociale et professionnelle ;
ment dit, l'idée qu'il s'en fait ; • expression du patient ;
• ce qu'il ressent  : vis-à-vis de sa santé, de sa • ressources du patient  : en termes de motiva-
maladie ; quel est son stade d'acceptation de tion, de volonté, de compréhension, de soutien
la maladie (stades du deuil)  : est-il révolté, social, de ressources financières, environne-
inquiet, résigné, impuissant, serein… ? ; quelle mentale, professionnelle… ;
est sa temporalité quant à un éventuel change- • difficultés du patient  : en termes médi-
ment de comportement de santé (Prochaska et cal, ­ psychologique avec souffrance associée
DiClemente) : est-il prêt pour un traitement, ou ­(dépression, anxiété, etc.), socioprofessionnel
est-il au stade de « contemplation » ? ; ressent-il (précarité, chômage, problème de logement, etc.)
de l'estime pour lui-même, a-t-il un sentiment et familial/amical (isolement, rupture affective,
d'autoefficacité ?… ; etc.). Des addictions associées sont à noter ici ;
ENCADRÉ 11.1

Synthèse d'un BEP pour un patient lombalgique chronique


Cette synthèse de BEP est issue d'un pro- Difficultés
gramme sur la lombalgie chronique.  Se dit être en conflit avec sa mère et aura a
Problématiques priori peu de soutien de sa part.
 A beaucoup de mal à suivre son traitement
 Patient de 32 ans, célibataire, suivie dans l'uni- quotidien inhalé pour son asthme.
té pour lombalgie chronique sur discopathie.  A dû abandonner son projet de voyage à
 Depuis 7  mois, installation progressive l'étranger.
d'une douleur sur une pratique sportive  Exprime un sentiment d'injustice par rap-
­intensive  : natation, vélo, escalade, randon- port à sa situation  : « J'ai une très bonne
née. A cessé toute activité sportive depuis jan- ­hygiène de vie et c'est à moi que cela arrive ! »
vier 2015. Douleur importante à la position
debout prolongée, assis et accroupie. Projets de vie
 Asthmatique allergique et antécédents de  «  Ne plus avoir mal et faire du sport à
dépression il y a 5 ans. ­volonté.  »
 Gérant adjoint dans un magasin  : porte  « Réaliser son rêve de partir en voyage
régulièrement des cartons assez lourds. ­durant 1 an.  »
Ressources Source : Programme d'ETP et de réentraînement à
l'effort s'adressant aux patients lombalgiques chro-
 Très motivée pour bénéficier du programme niques, « École du mouvement ». Équipe du dépar-
d'ETP. tement de médecine physique et de réadaptation
 Il dit : « Je tiens à mon travail, je ne veux pas thérapeutique, CH Lapeyronie, CHU Montpellier.
être en arrêt. » Coordonnateur : Docteur I. Tavares.
 Il vit en colocation avec trois autres loca-
taires, a de nombreux amis.

101
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

• projets de vie : il s'agit comme vu ci-dessus, de


grands ou surtout de petits projets qui émaillent
Convenir des objectifs
la vie de tous les jours. avec le patient pour l'acquisition
Des objectifs visant à répondre à ses besoins de compétences
sont ensuite convenus avec lui, avec détermina-
tion d'un ordre de priorité (voir plus loin, Conve- À l'issue du BEP, le soignant et le patient
nir des objectifs avec le patient). conviennent des objectifs à atteindre.
Un plan personnalisé d'éducation est également Notons que le mot « objectif » peut avoir une
établi avec le patient, comprenant des activités connotation négative pour certaines personnes.
éducatives individuelles et/ou collectives conve- Une explication est souvent utile pour éviter des
nant aux objectifs définis (voir plus loin, Choisir quiproquos et l'utilisation d'un autre terme est
et mettre en œuvre les activités éducatives). parfois nécessaire, comme attentes, priorités, pré-
L'évaluation de l'atteinte des objectifs fixés avec occupations, etc.
le patient est réalisée avec lui, au fur et à mesure Un objectif pédagogique ou d'accompagnement
des rencontres. Ces éléments sont consignés dans est le but à atteindre par le patient. Certains uti-
son dossier. Ces données sont retranscrites dans lisent aussi les termes d'objectifs de formation
un dossier éducatif spécifique qui lui est remis et ou de compétences à développer par un patient.
qu'il peut transmettre lui-même aux différents L'objectif décrit le niveau de performance que l'ap-
professionnels de la filière de prise en charge ou à prenant pourra atteindre. Il permet de convenir et
tout autre de son choix. de planifier des activités éducatives, individuelles
La synthèse du BEP comme les objectifs négo- et/ou collectives. Celles-ci correspondent au plan
ciés doivent apparaître dans le dossier éducatif du éducatif personnalisé. Cet apprentissage finalisé
patient. prépare le patient à mobiliser ses compétences en
Une synthèse de la démarche est proposée dans situation.
la fiche pratique 11. Les objectifs à définir s'apparentent à différents
domaines :
• l'acquisition de connaissances ;
Partage en équipe • l'acquisition de savoir-faire ;
Le partage du bilan éducatif se fait : • le développement d'attitudes adaptées ;
• avec le patient  : les priorités sont posées en • l'évolution des représentations ;
concertation ; • la motivation au changement.
• avec le reste de l'équipe : à partir du dossier du Les objectifs doivent être spécifiques, mesu-
patient, en staff, lors de réunions spécifiques, rables, acceptables, réalistes et progressifs pour le
de temps de transmission afin d'échanger sur le patient et les soignants.
contenu du bilan et la pertinence du plan d'ac- Ils correspondent à des compétences à acqué-
tion ; rir. Un ensemble de compétences a été défini par
• avec les relais hors de l'établissement. J.-F. d'Ivernois et R. Gagnayre (tableau 11.2) [6].
Un support informatisé reproduisant la syn- Ces compétences répondent aux besoins du
thèse du BEP favorise le partage entre tous. patient de savoir, de pouvoir et de vouloir. Celles-
ci se répartissent en compétences d'autosoins et
Évolution dans le temps d'adaptation :
• les compétences d'autosoins regroupent celles
Ce bilan évolue au fur et à mesure du parcours du ayant trait aux soins médicaux. Elles repré-
patient. Il sert de référence tout au long du suivi pour : sentent des actions que le patient met en œuvre
• mesurer le chemin parcouru : ce qui va mieux, avec l'intention de modifier l'effet de la mala-
ce qui n'est pas résolu ; die sur sa santé. Elles consistent à soulager les
• offrir à chacun un espace d'expression de ses symptômes, à prendre en compte les résultats
préoccupations ; d'une autosurveillance ou d'une automesure,
• convenir de nouveaux objectifs, de nouvelles à suivre un traitement au long cours… Elles
priorités, et définir un plan personnalisé. incluent les compétences dites de sécurité, qui

102
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

Tableau 11.2 Compétences à acquérir et exemples objectifs spécifiques au terme d'un programme


d'éducation thérapeutique, quels que soient la maladie, la condition ou le lieu d'exercice
Compétences Objectifs spécifiques ou composantes (exemples)
Faire connaître ses Exprimer ses besoins, ses valeurs, ses connaissances, ses projets, ses attentes, ses
besoins, informer son émotions
entourage
Comprendre, s'expliquer • Comprendre son corps, sa maladie, s'expliquer la physiopathologie, les répercussions
socio-familiales, de la maladie
• S'expliquer les principes du traitement
Repérer, analyser, mesurer • Repérer des signes d'alerte, des symptômes précoces, analyser une situation à risque,
des résultats d'examen
• Mesurer sa glycémie, sa pression artérielle, son débit respiratoire de pointe, etc.
Faire face, décider • Connaître, appliquer la conduite à tenir face à une crise (hypoglycémie, hyperglycémie,
crise d'asthme, etc.)
• Décider dans l'urgence
Résoudre un problème • Ajuster le traitement, adapter les doses d'insuline. Réaliser un équilibre diététique sur
de thérapeutique la journée, la semaine
quotidienne, de gestion • Prévenir les accidents, les crises
de sa vie et de sa maladie,
résoudre un problème de • Aménager un environnement, un mode de vie favorable à sa santé (activité physique,
prévention gestion du stress, etc.)

Pratiquer, faire • Pratiquer les techniques (injection d'insuline, autocontrôle glycémique, spray, chambre
d'inhalation, débitmètre de pointe)
• Pratiquer les gestes (autoexamen des œdèmes, prise de pouls, etc.)
• Pratiquer des gestes d'urgence
Adapter, réajuster • Adapter sa thérapeutique à un autre contexte de vie (voyage, sport, grossesse)
• Réajuster un traitement ou une diététique
• Intégrer les nouvelles technologies médicales dans la gestion de sa maladie et de son
traitement
Utiliser les ressources du • Savoir où et quand consulter, qui appeler : rechercher l'information utile
système de soins, faire • Faire valoir des droits (travail, école, assurances, etc.)
valoir ses droits
• Participer à la vie des associations de patients…
Source : d'Ivernois JF, Gagnayre R. Apprendre à éduquer le patient : approche pédagogique. 5e éd. Paris : Maloine ; 2016, 170 p. et d'Ivernois JF,
Gagnayre R. Mettre en œuvre l'éducation thérapeutique. ADSP 2001 ; 36 : 11-3.

correspondent à celles que les soignants jugent et de le modifier. Elles peuvent se décliner ainsi :
nécessaires que le patient acquiert afin de gérer se connaître soi-même et avoir confiance en soi ;
au mieux sa maladie en toute sécurité [2, 6] ; savoir gérer ses émotions et maîtriser son stress ;
• les compétences d'adaptation sont essentielle- développer des compétences en matière de com-
ment d'ordre psychosocial, c'est-à-dire reliées au munication et de relations interpersonnelles ;
champ du « vivre avec ». Ces compétences sont prendre des décisions et résoudre des pro-
personnelles et interpersonnelles, cognitives et blèmes ; se fixer des buts à atteindre et faire des
psychiques. Elles permettent aux personnes de choix ; s'observer, s'évaluer et se renforcer [2, 7].
maîtriser et de diriger leur existence, et d'acqué- J.-F.  d'Ivernois et R.  Gagnayre proposent une
rir la capacité de vivre dans leur environnement classification présentée dans le tableau 11.3.

103
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

Tableau 11.3 Proposition de compétences d'adaptation à la maladie et exemples d'objectifs


spécifiques
Compétences d'adaptation Objectifs spécifiques ou composantes (exemples)
Informer, éduquer son entourage Expliquer sa maladie et les contraintes qui en découlent ; former
l'entourage aux conduites à tenir en cas d'urgence
Exprimer ses besoins, solliciter l'aide de son • Exprimer ses valeurs, ses projets, ses connaissances, ses attentes,
entourage ses émotions
• Associer son entourage à son traitement, y compris diététique, et à
ses soins
• Associer son entourage aux modifications de l'environnement de vie
rendues nécessaires par la maladie
Utiliser les ressources du système de soins • Savoir où et quand consulter, qui appeler
Faire valoir ses droits • Faire valoir ses droits au travail, à l'école, vis-à-vis des assurances,
etc.
• Participer à la vie des associations de patients
Analyser les informations reçues sur sa Savoir rechercher l'information utile et spécifique ; confronter
maladie et son traitement différentes sources d'information ; vérifier leur véracité
Faire valoir ses choix de santé • Justifier ses propres choix et ses priorités dans la conduite du
traitement ; expliquer ses motifs d'adhésion ou de non-adhésion au
traitement
• Exprimer les limites de son consentement
Exprimer ses sentiments relatifs à la • Verbaliser des émotions ; se dire ; rapporter ses sentiments de vécu
maladie et mettre en œuvre des conduites de sa maladie
d'ajustement • Exprimer sa fatigue de l'effort quotidien de prendre soin de soi
• Mobiliser ses ressources personnelles, ajuster sa réponse face aux
problèmes posés par la maladie
• S'adapter au regard des autres
• Gérer le sentiment d'incertitude vis-à-vis de l'évolution de la maladie
et des résultats des actions mises en œuvre
Établir des liens entre sa maladie et son • Donner du sens ; s'expliquer la survenue de la maladie dans son
histoire de vie histoire de vie
• Décrire ce que la maladie a fait apprendre sur soi-même et sur la vie
Formuler un projet, le mettre en œuvre • Identifier un projet réalisable, conciliant les exigences du traitement
• Rassembler les ressources pour le mettre en œuvre
• Évoquer des projets d'avenir
Source : d'Ivernois JF, Gagnayre R, les membres du groupe de travail de l'IPCEM. Compétences d'adaptation à la maladie du patient : une proposition.
Éduc Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ 2011 ; 3 : S201-5.

Pour chaque patient, on choisira avec lui dans définis en fonction de ses besoins et désirs, de sa
la liste des objectifs référents du programme édu- situation propre, de son vécu de la maladie et de
catif, ceux qui lui conviennent (voir chap. 10, Éta- ses projets (fiche pratique 12).
blissement d'un référentiel d'objectifs pour le pro- Notons ici que les projets de vie sont particu-
gramme). On ajoutera des objectifs spécifiques lièrement importants à considérer. Ils peuvent
qui ne sont pas considérés dans le référentiel, correspondre à de grands projets existentiels, ou

104
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

à des petits projets dans la vie de tous les jours. repérage des signes d'alerte, gestion adaptée
L'avantage de ces derniers est leur proximité et d'un traitement, etc.) ;
leur réalisation plus aisée. • l'intégration de la maladie dans la vie du patient
Les projets de vie sont l'expression de la pro- au quotidien.
jection dans l'avenir de la personne malade, ainsi Ces objectifs tiennent compte des ressources du
que l'expression de ses aspirations et de ses choix. patient, de ses envies, du stade d'acceptation de la
Ils donnent du sens à ce qu'elle vit. Ils sont singu- maladie, de ses projets de vie.
liers et évolutifs. Le projet thérapeutique élaboré
ensemble entre soignants et patient doit s'intégrer
dans les projets de vie et les permettre. Choisir et mettre en œuvre
Outre le sens de la vie et son plaisir, les projets les activités éducatives
soutiennent la motivation à se soigner, à prendre
soin de soi et à apprendre ce qui doit l'être. Ils Élaborer les contenus dans les
pourront aussi être des objets d'évaluation témoi- différents domaines des savoirs
gnant de l'efficacité des démarches éducatives et
de soins. On peut regrouper les contenus des activités édu-
Parfois, il y a dissonance entre le projet thé- catives en savoirs, savoir-faire et savoir-être. Cela
rapeutique des soignants et les projets de vie du dit, une activité éducative correspond toujours
patient  : un va-et-vient s'instaure alors afin de à une situation complexe d'apprentissage, où
concilier les deux aspirations. La concertation ces trois champs sont présents et intriqués à des
avec le patient est ici primordiale pour débuter degrés divers.
une relation de soin juste, éthique et efficace. Les « savoirs » (biomédicaux, psychosociaux)
Dans cette négociation, le patient garde toujours sont les connaissances sur la maladie, les traite-
le dernier mot (encadré 11.2). ments, le suivi et l'évolution, la reconnaissance
Au final, nous pouvons considérer que l'en- des signes d'alerte, les droits par rapport à cette
semble de ces objectifs répondent à : maladie… Ces contenus font appel à un consen-
• l'acquisition des compétences dites d'autosoins sus d'équipe. Ils sont scientifiquement fondés et
et de sécurité (maîtrise de gestes techniques, approuvés par elle.
Les « savoir-faire » comprennent :
• des gestes techniques (injections, inhalation,
ENCADRÉ 11.2

Projets de vie d'un patient atteint auto-examens, application de médication, etc.).


d'hépatite C chronique Ces gestes seront décrits selon les règles de
Un patient âgé de 48  ans présente bonnes pratiques. Ils peuvent justifier l'écri-
une ­hépatite C qu'il convient de traiter par ture de fiches descriptives spécifiques validées
une  multithérapie antivirale. Le patient par l'équipe. Celles-ci aideront à l'évaluation
accepte de bénéficier du programme d'ETP homogène par différents soignants ;
sur cette thématique et fait rapidement
part de ses difficultés à se motiver. Il est en
• des situations de réajustement, d'adaptation
situation de précarité sociale, au chômage, (traitement, diététiques, etc.) en fonction du
en rupture affective, et assez déprimé. Des contexte de vie (voyage, situation profession-
objectifs éducatifs et d'accompagnement nelle, sports, etc.) ;
adaptés à sa situation sont convenus avec • des situations de crise qui nécessitent des décisions
lui et un travail important sur ses projets est
réalisé. À ce titre, cinq projets sont définis :
à prendre en cas de survenue de signes d'alerte.
à court terme, recontacter dans les 8 jours Toutes ces situations peuvent être rédigées sous
des amis qu'il avait délaissés et qu'il veut forme de situations problèmes, imaginées avec
revoir ; prévoir d'aller avec eux au prochain le patient. Elles permettront de déterminer des
match de football ; se réinvestir dans la « situations types » qui mobilisent particulière-
marche à pied systématique tous les jours ;
reprendre contact avec Pôle Emploi ; com-
ment la réflexion et le sens de l'adaptation. Par
mencer son traitement anti-VHC. exemple, un oubli de traitement peut ainsi être
abordé, avec analyse avec le patient des avantages

105
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

et des inconvénients de cette situation, de ses res- Élaborer les séances


sources et de ses difficultés en rapport et des déci-
sions en termes d'actions qu'il souhaite prendre. Le choix d'un temps individuel ou collectif s'ap-
Les « savoir-être » concernent la capacité du préciera en fonction de l'avis du patient et de la
patient à : plus-value que représentent l'une ou l'autre de ces
• exprimer son ressenti ou ses émotions sur la mala- modalités dans la démarche éducative proposée.
die vis-à-vis de son entourage et du monde médical ; Ces dernières ont chacune des avantages et des
• exprimer ses attentes, son projet de vie, ses inconvénients (tableau 11.4 et encadré 11.4) [8].
priorités ;
• exprimer ses valeurs, ses représentations, ses Entretiens individuels
craintes ; Des échanges personnalisés, centrés sur un ou
• développer sa motivation ; plusieurs de ces objectifs convenus ensemble, sont
• trouver du sens à ses comportements… l'objet de cette rencontre. C'est aussi l'opportunité
En guise d'exemple, si l'on prend le cas de l'alimen- de favoriser l'expression et d'entendre le ressenti
tation d'une personne diabétique, la déclinaison sui- du patient sur sa maladie. Durant ce moment,
vante est possible : connaître la teneur en sucre des d'autres objectifs peuvent émerger (non repérés
principaux aliments (savoir), établir un menu adapté initialement lors du BEP), qu'il conviendra de
et le réaliser (savoir-faire), gérer la frustration par prendre en compte. Les objectifs négociés à l'issue
rapport à certains aliments déconseillés (savoir-être). du BEP sont repris au début de la séance indivi-
L'ensemble de ces savoirs et des compétences à duelle.
acquérir par le patient est répertorié par l'équipe Après la séance, un temps d'analyse est néces-
et fait l'objet d'un consensus (encadré 11.3). saire :
• évaluation du ou des objectifs initiaux ;
• évaluation du déroulement de l'entretien ;
ENCADRÉ 11.3

Liste d'objectifs référents • évaluation du ressenti du patient et de sa satis-


pour un patient atteint de faction ;
sclérose en plaque • transcription de la synthèse de l'entretien et
Dans le cadre d'un programme éducatif transmission aux autres acteurs de soins.
pour des personnes souffrant de sclérose
en plaques (SEP), un consensus d'équipe a Séances collectives
abouti à la formalisation des objectifs édu-
catifs et d'accompagnement suivants : La séance collective d'ETP se caractérise par
 mieux comprendre la maladie ; la présence simultanée de plusieurs patients au
 savoir gérer ses problèmes urinaires, ses même moment. Le thème de la séance et les objec-
douleurs, sa fatigue, sa sexualité, sa grossesse ; tifs éducatifs sont en relation avec les attentes des
 mieux comprendre son traitement ; patients et les compétences à acquérir.
 mieux gérer les effets indésirables ; Les séances collectives ont deux principaux
 pratiquer l'auto-injection du traitement ; avantages  : rassembler en un même lieu des
 exercer une activité physique régulière ;
 gérer la vie quotidienne (travail, loisir, patients qui ont globalement en commun les
automobile, voyage, etc.) ; mêmes objectifs éducatifs et qui sont propices au
 mieux communiquer sur sa maladie avec partage d'expériences, et optimiser la disponibi-
ses proches, l'entourage professionnel, les lité des ressources et des professionnels qui dis-
soignants ; pensent l'ETP (encadré 11.5).
 identifier les personnes ressources ;
 impliquer son entourage dans la gestion
Construction de la séance collective
de la SEP ;
 exprimer ses besoins, ses attentes, son et aspects pratiques
projet, ses émotion. Il convient de structurer la séance collective en
Source : Programme d'ETP « Mieux vivre avec la déclinant son organisation et son contenu. Cela
SEP ». Équipe du département de neurologie, CH peut se faire à travers une fiche pédagogique (fiche
Gui-de-Chauliac, CHU Montpellier. Coordonna-
teur : Professeur P. Labauge.
pratique 13). Cette dernière est un document pré-
senté sous forme d'un texte libre ou d'un tableau,

106
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

Tableau 11.4 Avantages et inconvénients de l'éducation en entretien individuel et en groupe


Entretien éducatif individuel Séance éducative en groupe
Avantages • Personnalisation • Échanges d'expériences entre patients
• Permet d'aborder le vécu du patient • Confrontations de points de vue
• Meilleure connaissance du patient • Convivialité
• Possibilité de cerner les besoins • Rupture du sentiment d'isolement
spécifiques du patient • Émulation, interactions
• Respect du rythme du patient • Soutien y compris émotionnel
• Meilleur contact • Stimulation des apprentissages
• Relation privilégiée • Apprentissages expérientiels par
« situations problèmes »
• Gain de temps
Inconvénients • Pas de confrontation avec d'autres • Enseignement frontal ou vertical
patients • Profils de patients trop hétérogènes
• Absence de dynamique de groupe • Difficulté de faire participer les patients
• Risque d'enseignement peu structuré • Difficulté des patients à s'exprimer
• Risque d'incompatibilité avec un patient • Difficulté d'accorder de l'attention à chacun
difficile
• Difficulté à gérer un groupe
• Risque d'emprise du soignant sur le
patient • Horaires fixes des sessions

• Lassitude due à la répétition


• Demande du temps
Source : Lacroix A. Pédagogie de groupe ou individuelle. Diabète Éducation 2007 ; 6-8 © Edimark SAS.
ENCADRÉ 11.4

Séance individuelle ou collective


ENCADRÉ 11.5

pour une patiente atteinte d'une Séances collectives du programme


polyarthrite rhumatoïde ? pour les patients atteints
Madame  B. est atteinte d'une polyarthrite de diabète de type 2
rhumatoïde. Elle a déjà bénéficié d'un Dans le cadre d'un programme pour des
BEP et de deux séances collectives dans le patients souffrant de diabète de type  2,
cadre du programme d'ETP dont elle a été des ateliers collectifs aux thèmes variés sont
ravie, car elle a rencontré d'autres patients proposés. La liste s'est enrichie progressive-
comme elle. Au décours, elle a pourtant ment avec le temps :
émis le souhait de voir seule l'infirmière
 Qu'est-ce que le diabète de type II ?
qui pratique l'ETP, afin d'aborder d'une
part, son traitement par biothérapie dont  Adaptation des doses d'insuline
elle n'a pas compris tous les aboutissants  Hypoglycémie et resucrage
et d'autre part, sa relation avec son mari,  Les équivalences glucidiques
notamment en termes de sexualité. À l'is-  L'activité physique, pourquoi ?
sue de la demi-heure accordée, l'infirmière  B.a.-ba des aliments
a pu vérifier que les informations fournies  Sensations alimentaires
avaient été bien comprises. Ce partage a  Séance d'activité physique
permis à Madame B. de s'exprimer sur sa vie  Rencontre entre diabétiques
de couple. Celle-ci a dit sa reconnaissance Source : Programme d'ETP « Bien vivre avec son
de ce temps particulier. Un rapide écrit de diabète ». Équipe unité nutrition, CH Lapeyro-
cet échange a été inscrit dans le module ETP nie, CHU Montpellier. Coordonnateur : Docteur
du dossier informatisé. C. Boegner.

107
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

ayant pour finalité de décrire précisément les Dans la fiche pratique 15, nous présentons des
séquences éducatives. éléments permettant de mieux prendre en compte
Le temps consacré à cette écriture est particu- les compétences psychosociales.
lièrement utile pour formaliser la pensée et diffu-
ser le savoir-faire au sein d'une équipe. Animation de la séance collective
La fiche pédagogique contient généralement les Quelques conseils sont utiles pour animer une
éléments suivants : séance éducative :
• un titre ; • concernant les patients :
• le public cible avec le nombre minimal et maxi- – demander à chacun dès le début de la séance,
mal de personnes ; une confidentialité absolue,
• l'objectif principal et les objectifs opératoires ; – proposer éventuellement d'inclure à la séance
• le contenu en fonction de ces objectifs, seg- éducative l'entourage du patient (famille,
menté en différents temps ; aidant, etc.),
• les intervenants, le public et le moment de leur – laisser une large place aux témoignages
implication ; (patients, soignants),
• les conditions matérielles de réalisation ; – susciter et favoriser la reformulation par les
• les méthodes pédagogiques ; patients,
• les outils d'évaluation prévus ; – reconnaître un droit à l'erreur au patient et
• une date de rédaction avec numérotation de la permettre des ajustements possibles ; décul-
version. pabiliser,
L'intérêt de la réalisation de cette fiche (fiche – susciter la contribution de certains patients,
pratique 14) réside en : en leur proposant d'intervenir auprès d'autres
• un guide pour l'animation de chaque séance ; participants pour résoudre certaines situa-
• une optimisation de la qualité, par le fait que tions problèmes ou pour compléter, à partir
toute l'équipe a pris le temps de formaliser par de leurs connaissances et leur vécu, les mes-
écrit et de valider la mise en place de cette séance ; sages délivrés par les soignants ;
• une visibilité par tous les membres de l'équipe • concernant les co-animateurs (soignants et
du contenu de la séance, y compris pour ceux éventuellement patients-intervenants) :
qui n'y assistent pas ; – exiger de tous les règles de confidentialité, notam-
• la possibilité à un soignant non habitué de ment aux éventuels co-intervenants patients ou
s'impliquer et de s'intégrer plus facilement dans représentant d'association de patients,
cette activité ; – exprimer des messages simples et compré-
• une réponse au turn-over important des per- hensibles par tous, formulés avec un vocabu-
sonnels de soins dans une équipe qui peuvent laire accessible aux patients,
ainsi s'enquérir de la démarche dès leur arrivée – accorder à cette activité toute son attention
dans celle-ci ; en tant qu'animateur (éviter tout dérange-
• une visualisation des ajustements au cours du ment), laisser la blouse à l'entrée…,
temps, et donc une meilleure évaluation du pro- – renforcer éventuellement les compétences
cessus éducatif ; d'animation des soignants ou des patients
• un élément en faveur de la pérennisation du intervenants (formation complémentaire,
programme. volontariat des soignants plutôt qu'activité
Concernant l'organisation de ce temps éducatif, imposée par la hiérarchie, etc.),
il faudra s'assurer de la disponibilité des : – réaliser un véritable partenariat entre les ani-
• patients concernés ; mateurs pour la gestion du groupe (messages
• personnels formés à l'éducation et aptes à ani- éducatifs complétés ou renforcés par chacun
mer l'atelier ; des partenaires, reformulation de la part d'un
• locaux adaptés à l'activité envisagée (matériel, soignant du discours de son binôme, passage
espace, lieu, ergonomie, accès, etc.) ; de la parole de l'un à l'autre, relais dans l'ani-
• outils pédagogiques devant être utilisés lors de mation, encadrement du groupe, etc.),
la séance, ainsi que les supports comme paper- – veiller à l'existence d'une interactivité entre les
board ou vidéoprojecteur… participants (dynamique de groupe, a­ ttention

108
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

soutenue) tout en assurant un l'équilibre dans BEP avec la détermination d'objectifs non encore
l'expression de chacun, abordés.
– éviter de « faire un cours » en utilisant des Le suivi éducatif du patient peut se faire au
techniques pédagogiques scolaires comme décours en établissement de santé ou en relais en
un PowerPoint, ville. Dans les deux cas, une bonne coordination
– prévoir la présence d'un observateur, même est nécessaire, avec tracé écrit des données édu-
occasionnel, pour contribuer à l'amélioration catives.
de la qualité de celles-ci ; La situation actuelle des programmes nous
• concernant la séance éducative elle-même : amène à reconnaître que cette étape est souvent
– organiser une alternance de moments infor- peu appréhendée par les équipes. Autant les soi-
matifs avec des périodes d'apprentissages, gnants savent maintenant construire et animer un
de mises en situation, d'exercices à réaliser, programme initial pour le patient, autant le suivi
etc., éducatif pose problème. Des efforts de structura-
– appuyer les activités proposées sur le vécu, tion sont à soutenir, de façon à ce que le processus
l'expérience, les compétences du public pré- éducatif devienne partie intégrante de l'ensemble
sent lors de la séance, du parcours de soin.
– concevoir des exercices programmés dans le
temps (prévoir une certaine durée adaptée
à la nécessité de l'activité envisagée, ni trop
courte, ni trop longue…), Évaluation concernant
– délivrer des documents reprenant ou illus- le patient [2, 3, 9–11]
trant la séance éducative (servant de support
à la réflexion, ou de rappel ou encore de réfé- Finalité de l'évaluation
rence pour les patients),
– noter dans le dossier éducatif une synthèse L'évaluation du patient met en valeur ses transfor-
brève par patient, mations, le chemin parcouru et mesure l'atteinte
– prévoir en fin de séance, un temps de débrie- des objectifs éducatifs. Elle favorise la prise de
fing. Il permet de repérer les moments clés conscience et la valorisation des acquis. Ce temps
de la séance, les problèmes éventuels pour est également l'occasion pour le patient de s'expri-
tel ou tel participant, les besoins d'améliora- mer sur son vécu de la maladie chronique.
tion (concernant l'organisation, l'animation, Le partage autour de l'évaluation doit s'exemp-
le contenu, etc.) et le ressenti des animateurs ter de tout discours moralisateur et culpabilisant,
eux-mêmes dans ce travail, y compris vis-à-vis de l'entourage. Il n'a de sens
– exploiter les remarques de l'éventuel observa- que pour chercher à améliorer la situation.
teur pour améliorer la qualité de la séance en
termes d'organisation, de contenu, de déroule-
Moments de l'évaluation
ment, d'outils utilisés, de pertinence de l'anima-
tion…, L'évaluation du patient débute dès lors que l'on
– prévoir une pause si la séance dure plus de tente de mieux le connaître, à l'occasion de la réa-
2 heures, voire une petite restauration. lisation du BEP et lors des temps éducatifs qui sui-
vront, et lors de l'évaluation de fin de programme.
Elle est proposée au patient à tout moment de sa
Entretien d'évaluation de fin prise en charge (voir chap. 10, La temporalité du
de programme patient) :
L'évaluation de fin de programme clôt le cycle • si le professionnel de santé le juge nécessaire ;
éducatif. En fonction de la mise en évidence de • si le patient est en difficulté ou le demande.
nouveaux besoins et de ceux initiaux non satisfaits, Cependant, un temps spécifique en fin de pro-
un nouveau cycle de reprise ou de renforcement gramme doit être envisagé et planifié à l'avance.
pourra être proposé au patient. Les éléments du L'évaluation du patient est en général réalisée en
précédent BEP seront ainsi revisités et actualisés. entretien individuel afin de respecter son aspect
Les éléments relevés alimenteront un nouveau personnalisé. Elle est basée sur un dialogue entre

109
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

le soignant-éducateur et le patient afin de faire le • perception d'utilité des nouveaux acquis et de la


point. satisfaction vis-à-vis du processus éducatif ;
Elle permet de réajuster l'offre éducative, en • processus de métacognition, c'est-à-dire conscience
concertation avec le patient, et constitue donc une du patient sur lui-même. Cela touche à la capacité
étape incontournable de la clôture d'un cycle éducatif. à s'autoévaluer, à planifier ses actions, à anticiper, à
s'adapter à la réalité ;
Évaluation des objectifs éducatifs • capacité sensitive à ressentir les « symptômes
fins » émanant de son corps, à mieux les perce-
du patient voir, ce qui a pour intérêt d'avoir une meilleure
Celle-ci débute par l'évaluation de l'atteinte nulle, conscience de son organisme et de prendre les
partielle ou totale des objectifs fixés au départ décisions en fonction. Cette capacité particu-
avec le patient lors du BEP. Si l'acquisition n'est lière a été, notamment, étudiée chez les diabé-
pas satisfaisante, il s'agira d'en rechercher les tiques et les hémophiles [12, 13].
causes (objectif mal formulé, trop vaste, irréaliste,
mal compris, non abordé lors des séances, inadap- Domaine psychosocial
tation des méthodes pédagogiques…) et d'envisa- On apprécie ici avec le patient les modifications
ger les moyens d'y remédier. de certains aspects de sa vie et de son vécu (voir
chap. 6, Éléments de psychologie de la santé). On
Évaluation biomédicale et  peut considérer les critères suivants :
psychosociale du patient • capacité à formaliser des projets ;
• capacité à gérer ses émotions, notamment les
De multiples critères d'évaluation peuvent être peurs, la colère et la tristesse ;
mesurés. Il ne s'agit pas d'être exhaustif, mais • capacité à rompre l'isolement social ;
simplement pertinent. Le temps dont on dispose • capacité à informer et entraîner son entourage
étant limité, il convient de choisir un nombre dans le sens d'une collaboration pour une meil-
minimal de critères à évaluer qui donnent une leure adaptation à la réalité de la maladie ;
vision suffisamment juste de la réalité du patient. • capacité à gérer au mieux l'alimentation, l'acti-
Aussi, leur choix doit être réfléchi à l'avance et vité physique et d'éventuelles addictions ;
ceux-ci doivent être déclinés dans les domaines • capacité à trouver ou retrouver une position
bioclinique, pédagogique, psychosocial. sociale et/ou professionnelle ;
• capacité à savoir accéder aux prestations de soins ;
Domaine bioclinique • capacité à communiquer avec les soignants ;
Ce domaine est en général le premier à être évo- • capacité à exprimer ses croyances de santé et ses
qué par les médecins ou les paramédicaux. Il représentations (ou conceptions) ;
concerne des paramètres clés propres à la patho- • déplacement de l'attribution que le patient fait
logie concernée, en termes d'adhésion aux traite- des changements qu'il perçoit en lui : cela vient-
ments ou d'apparition de complications. il de lui ou du monde extérieur ? Cela revient à
apprécier le lieu de contrôle (ou locus control) ;
Domaine pédagogique • stade ou degré d'acceptation de la maladie ;
• image et estime de soi, qui sont si importantes,
Il s'agit ici d'explorer l'acquisition de connais-
surtout dans les contextes de précarité ;
sances et de compétences choisies en fonction
• perception de l'autoefficacité, du pouvoir de sa
de priorités établies avec le patient (voir chap. 9,
propre action sur soi-même et sa santé.
Techniques pédagogiques utilisées en ETP et Sup-
ports pédagogiques utilisés en ETP). Nous propo-
sons ci-dessous quelques exemples : Outils et méthode d'évaluation
• connaissances sur la maladie et les traitements ; du patient
• acquisition d'autodiagnostic ou de gestes d'au-
tosoins ; Objectifs pédagogiques
• résolution de situations problèmes avec déci- La mesure de l'atteinte des objectifs du patient
sions pertinentes ; se fait selon une échelle de Likert, en a­ cquisition

110
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

nulle, partielle ou totale, ou sur une échelle L'utilisation des degrés de certitude est intéres-
visuelle analogique (EVA)  [14]. La présentation sante pour affiner l'évaluation (fiche pratique 19).
peut se faire sur un dossier papier ou un dossier Le principe de base est qu'il n'y a action que si la
informatisé (fiche pratique 16) [15]. personne est sûre de ce qu'elle sait. Il convien-
dra donc de renforcer les connaissances justes
Outils et méthodes d'évaluation mais sans certitude, et corriger les connaissances
fausses, a fortiori si la personne en est sûre. La
des champs biomédicaux
mise en évidence de ces situations par cette
et psychosociaux méthode est rapide et efficace.
Pour aider à cette évaluation complexe, de nom-
breux outils sont disponibles. Ils explorent les Ronde de décisions avec des cartes
champs pédagogiques ou médico-psycho-sociaux de Barrows
et doivent tenir compte du patient pour ne pas se Cet outil permet d'évaluer la compétence de déci-
limiter à des critères standardisés. Ils sont là pour sion d'un patient, de suivre ses acquis, ses diffi-
faciliter les échanges et permettre au patient de cultés en termes d'action à entreprendre. À partir
s'exprimer dans un cadre qui ne lui rappelle pas d'une situation décrite, plusieurs réponses sont
un contexte scolaire ou professionnel. proposées. Le patient fait un choix de réponse(s).
Notons que certains outils pédagogiques pré- Sont alors évoquées avec lui les conséquences de
sentés avant (voir chap.  9, Supports et outils ses choix (fiche pratique 20).
pédagogiques en ETP) sont potentiellement aussi Par cet outil, est sollicitée la capacité du patient
des méthodes d'évaluation. Nous présentons ici à entreprendre des actions adaptées à la situation
quelques autres outils. proposée, à les argumenter et à en mesurer les
conséquences.
Échelles visuelles analogiques (EVA)
De nombreux domaines médicaux ou psycho- Analyse de situation
sociaux peuvent être quantifiés par le patient Elle aborde des questions du type : comment s'est
lui-même, en renseignant une échelle visuelle passé le dernier voyage ? la séance de sport ?, etc.
analogique de 0 à 10. Une échelle de Likert avec
quatre possibilités sur la satisfaction (très bonne, Analyse d'un carnet de suivi
moyenne, médiocre, nulle) est aussi possible. Le carnet de suivi est rempli par le patient lui-
Dans la fiche pratique  17, nous présentons plu- même, ce qui favorise son implication et sa capa-
sieurs échelles utiles. cité à s'autoévaluer (fiche pratique 21).

Questionnaire de connaissances, Analyse d'incidents rapportés


avec ou sans degré de certitude par le patient ou simulés
Ce questionnaire doit être expliqué par le profes- Plutôt que de taire un incident médical, mieux
sionnel de santé (modalités, finalités) et analysé vaut en parler sans culpabilisation, afin d'éviter
avec le patient lors de l'entretien (fiche pratique 18). qu'il ne se reproduise.
Le but de ce type de questionnaire n'est pas de Une simulation d'incident est possible et l'étude
« donner une note » au patient, mais bien de repé- des réactions du patient est alors intéressante à
rer rapidement avec lui ses lacunes ou ses fausses analyser avec lui.
croyances qu'il conviendra de travailler ensemble.
Il est donc utile de formuler cette intention posi- Questionnaire de qualité de vie
tive avant le remplissage afin que le patient ne L'utilisation en pratique courante d'un question-
juge pas ce moment comme désagréable. Dans naire de qualité de vie est délicate. D'une part,
certains cas, aider le patient à comprendre les l'outil doit être spécifique de la pathologie concer-
questions lui permettra de répondre au mieux. Ce née et être validé scientifiquement. D'autre part,
questionnaire peut être renseigné lors du BEP, ce son utilisation à un échelon individuel est sujette
qui permet de repérer rapidement les lacunes. Au à caution. En effet, les résultats obtenus peuvent
décours, le nouveau remplissage permet d'évaluer donner une fausse estimation de l'évolution selon
les acquis. le moment où l'échelle est remplie  : en situation

111
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

de bonne forme ou en moment de difficulté, de la précarité. Il a été construit en 1998 et a été


parfois sans rapport aucun avec la maladie ou le validé scientifiquement (fiche pratique 23) [17].
traitement. Aussi, nous ne préconisons pas cette
utilisation en pratique clinique courante. Ces Évaluation de l'anxiété
outils relèvent de la recherche (voir chap. 20, Des et de la dépression
exemples d'outils d'évaluation quantitative). L'échelle HAD (hospital anxiety and depres-
Évaluer la qualité de vie sur une échelle analo- sion scale) permet d'évaluer l'état émotionnel
gique est par contre plus facile, mais l'interpréta- d'une personne, sur les dimensions anxieuse et
tion doit rester prudente pour les mêmes raisons. dépressive. Elle a été créée par A.S.  Zigmaond
Il existe enfin des outils simples pour évaluer et R.P.  Snaith avec une traduction française par
la qualité de vie selon des domaines de la vie que J.-P.  Lépine. Elle est validée scientifiquement,
le patient juge les plus importants pour lui dans y compris en traduction française (fiche pra-
l'instant. La méthode proposée dans la fiche pra- tique 24) [18].
tique 22 a été construite pour des populations en
situation de précarité [16]. Mais la transposition à Évaluation en étoile
tout patient atteint de maladie chronique est pos- La représentation graphique en étoile d'une éva-
sible. luation de diverses compétences ou ressentis est
possible par :
Évaluation de la précarité sociale • une étoile à 10  branches des compétences du
Le score EPICES est un score individuel de préca- patient, présentée dans la figure 11.2 : dans ce
rité et d'inégalité sociale créé à l'origine pour les schéma, plus les degrés de positionnement des
centres d'examen de santé de la Sécurité sociale. Il patients par compétence ou capacité se situent
prend en compte le caractère multidimensionnel vers l'extérieur de l'étoile, plus le patient tend

Maîtrise du geste
ou de la technique
Efficacité du geste
Projet de vie
4 ou de la technique
4 3 4
3 3 % de connaissances correctes
2
2 2 avec un degré de certitude
Auto-efficacité 10 1 moyen entre 60 et 100 %
98 1 1
76 75
54 50
32
1 25
Connaissances et degré
10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 de certitude
Image de soi
1 75
1 50
2 25 % de connaissances incorrectes
1
3 2 avec un degré de certitude moyen

4 2 3
entre 60 et 100 %

3 4
Adaptation/anticipation
vis-à-vis d’une nouvelle 4 Stratégie de résolution
situation/problème d’un événement/problème

Auto-évaluation
de la stratégie de résolution
d’un événement/problème
Figure 11.2 Outil de représentation graphique des compétences évaluées chez les patients.
Source : Gagnayre R, Marchand C, Pinosa C, et al. Approche conceptuelle d'un dispositif d'évaluation pédagogique du
patient. Pédagogie Médicale 2006 ; 7 : 31–42.

112
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

vers une gestion de sa maladie et de son traite- Grille d'observation d'un geste technique
ment [19] ; (fiche pratique 27)
• une étoile à 5  branches, où l'on interroge Elle permet d'évaluer la dextérité du patient dans
la santé physique, sociale, sexuelle, affec- la réalisation d'un soin technique, ainsi que la
tive, et l'équilibre psychologique (fiche pra- maîtrise des différentes étapes à respecter dans sa
tique 25) ; réalisation.
• une étoile à 8 branches (fiche pratique 25). Les
thèmes sont différents et ont trait à la maladie, Évaluation de la satisfaction
au traitement, à l'organisation des soins, à des La satisfaction du patient peut être évaluée à deux
aspects psychologiques et à l'entourage. niveaux :
• celui d'une séance individuelle ou collec-
Carte conceptuelle tive. Elle est alors recueillie au décours de
(fiche pratique 26) [20, 21] ce temps, par oral ou par écrit (fiches pra-
La carte conceptuelle, ou mind map, permet de tiques 28 et 29) ;
représenter la structure cognitive d'un individu, • celui du programme, où le patient est ques-
et donc l'organisation de ses connaissances. Ses tionné à la fin de son cycle éducatif. Ce recueil
intérêts sont pluriels  : elle favorise l'apprentis- peut se faire en individuel ou en collectif. Les
sage en le rendant plus signifiant pour l'appre- résultats compilés permettront aux profession-
nant, et elle permet au formateur d'évaluer la nels de s'améliorer. Et le patient aura le senti-
façon dont l'apprenant intègre et organise ses ment d'avoir été écouté et entendu. Il participe
connaissances. ainsi à la co-évaluation du programme (fiche
Les modalités d'élaboration et d'analyse d'une pratique 30).
carte conceptuelle sont variables, qu'elle soit réa- Notons que la satisfaction peut aussi être mesu-
lisée individuellement ou en groupe. Son utilisa- rée sur une EVA.
tion est possible en ETP et constitue actuellement Pour aller plus loin, nous proposons une liste
un thème de recherche et d'application dans ce non exhaustive d'outils classés par champ exploré
domaine. et par compétences du patient (tableau 11.5).

Tableau 11.5 Listes d'outils pédagogiques et d'évaluation pour le patient et des compétences


concernées
Champs explorés Compétences ou objectifs Critères, indicateurs ou outils utilisés
du patient
Biomédical Suivre son traitement ou la • Taux d'adhésion au traitement
surveillance médicale • Taux d'adhésion au suivi médical
• Nombre de consultations
• Perte de vue
• Marqueurs biologiques avec par ex. : hémoglobine
glyquée (diabète), international normalized ratio
(antivitamine K), charge virale (VIH, VHC, VHB), CD4
(VIH), nombre de crises (asthme), poids (obésité), etc.
• Analyse d'un carnet de suivi (ex: diabète, asthme)
Réduire les complications • Nombre de crises
• Nombre d'hospitalisations
• Analyse d'incidents rapportés par le patient ou simulés
Évaluer la douleur • Questionnaire
• EVA

(Suite)

113
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

Tableau 11.5 Suite


Champs explorés Compétences ou objectifs Critères, indicateurs ou outils utilisés
du patient
Pédagogique Connaître la maladie et le • Questionnaire de connaissances
traitement • Degré de confiance du patient dans ses connaissances :
utilisation des degrés de certitude
• Organisation des connaissances, par des cartes
conceptuelles
• Connaissance du vocabulaire médical le plus courant
dans la pathologie concernée : quiz, etc.
• Compréhension des processus biologiques clés
impliqués : explication de processus
• Perception d'utilité des nouveaux acquis : questionnaire
Savoir pratiquer un geste Grille d'observation gestuelle (ex. : injection d'insuline)
technique de soins
Résoudre une situation complexe Résolution de problème par mise en situation : description
d'actions vécues ou simulées par le patient
Ressentir des « symptômes fins » Exploration par le récit
S'impliquer dans le processus • Taux de satisfaction
pédagogique • Participation active dans les activités
Avoir un regard sur soi-même • Métacognition : élaboration évaluée par le discours
• Exercices personnels d'autoévaluation
Psychosocial Identifier ses croyances de santé Entretien
Repérer les causes des • Évaluation du locus de contrôle
événements de santé vécus • Évaluation de l'attribution causale
Explorer l'image de soi • Entretien
• Questionnaire
• EVA
Développer ses compétences • Entretien
d'autoefficacité • Questionnaire
• EVA
Acquérir une aisance dans sa vie • Évaluation de la qualité de vie : questionnaire spécifique
quotidienne et validé
• EVA sur la qualité de vie
Élaborer des projets • Entretien d'explicitation
• Réalisation de projets
Gérer ses émotions • Entretien
• Évaluation du stress (EVA)
• Évaluation de l'anxiété et de la dépression (score HAD,
etc.)
Accepter la maladie ou les Stades d'acceptation (Kübler-Ross, Lacroix)
traitements
S'apprêter au changement Stades de Prochaska et DiClemente

114
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

Rompre l'isolement social • Entretien


• Réseau social
• Nombre de sorties
• Questionnaire spécifique sur l'isolement social
Développer des comportements • Exploration de l'alimentation (grille diététique)
favorisant une hygiène de vie • Tabagisme : consommation
• Alcool : consommation
• Autres addictions : consommation
• Activité physique : description, quantification
• Qualité du sommeil
Impliquer l'entourage • Nombre de personnes impliquées
• Estimation subjective par le patient de la capacité à
parler de sa maladie
• Aides concrètes de la part de l'entourage (matérielle,
morale)
Maintenir une insertion • Activité professionnelle
professionnelle • Activité de recherche d'emploi
• Questionnaire spécifique sur l'insertion professionnelle
Accéder aux ressources de soins, • Démarches auprès d'organisme
faire valoir ses droits • Acquisition d'aides sociales
Bénéficier de suffisamment de • Entretien
ressources pour vivre • Score EPICES

Thèmes particuliers difficultés que présentaient les malades atteints de


pathologie chronique à suivre durablement et cor-
rectement un traitement médical. Cette situation
Difficultés d'adhésion met le monde des soignants en échec.
au traitement ou aux règles Adhérer à un traitement revient à le prendre
d'hygiène de vie [22–24] correctement et régulièrement. L'adhésion totale
L'adhésion du patient à un traitement pose, notam- à long terme n'est pas possible. Aussi, selon les
ment, la question des difficultés qu'il rencontre à pathologies, une adhésion à 80–95 % serait consi-
le prendre au long court. Nous prendrons comme dérée comme satisfaisante.
prérequis de considérer que la prescription médi- L'ampleur du phénomène de la non-adhésion
camenteuse est justifiée et pertinente. Dans le cas est grande si l'on considère qu'environ la moitié
contraire, l'adhésion aurait des effets dangereux. La des patients ne prennent pas correctement leur
première responsabilité incombe donc au médecin. traitement en phase chronique. Cela a été constaté
quels que soient la pathologie, la population, la
tranche d'âge, le type de traitement ou les règles
Ampleur du problème hygiéno-diététiques. Plus de 15 000 articles scien-
S'il est bien établi que l'ETP touche aux domaines tifiques sont parus sur ce sujet à ce jour, montrant
médical, psychologique, social et pédagogique, il bien la préoccupation des soignants.
n'en reste pas moins que pour beaucoup d'auteurs, L'OMS souligne que résoudre le problème de
l'une des premières motivations à développer cette la non-adhésion aux traitements constituerait
activité dans les années 1980 et 1990 a été liée aux un progrès plus important que n'importe quelle

115
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

découverte médicale. Or, il s'agit de la liberté graves en raison de l'augmentation des dépenses
du patient, les soignants peuvent tout au plus de soins (visites plus fréquentes, hospitalisations
apporter leur aide à ce dernier. Pour ce faire, ils non prévues ou plus longues, etc.), des arrêts de
doivent acquérir une vision large de la situation travail pour raison de santé, voire des années de
du patient, englobant tous les aspects de sa vie, et vie perdues [22]. Ainsi, des auteurs ont chiffré à
pas seulement les aspects biomédicaux. 100 milliards de dollars par an aux États-Unis le
surcoût lié à la non-adhésion aux traitements [29].
Dans un contexte d'infection, des traitements
Choix des mots mal pris conduisent à un risque augmenté de
Le terme « observance » a été longtemps utilisé transmission de souches résistantes ayant des
pour désigner le fait que le patient suit son traite- effets épidémiologiques délétères.
ment. À l'origine, ce mot émane de la sphère reli-
gieuse : on observait la « règle ». Pour les soignants
L'observance relève d'un comportement et rend
Les soignants vivent généralement mal le fait que
peu compte de l'état d'esprit du patient. Aussi,
les patients ne suivent pas leurs prescriptions.
nous préférons utiliser le terme « adhésion », qui
Cela engendre souvent chez eux frustration, hos-
prend davantage en compte l'attitude, le consen-
tilité, sentiments d'impuissance et d'échec. Un
tement à faire. Le patient adhère à l'idée du
état défensif peut s'ensuivre. Dans certains cas,
­traitement, en accepte les conditions et s'engage
émerge un état d'inertie médicale (voir chap. 3, Le
­vis-à-vis de lui-même à le prendre régulièrement.
format de l'ETP en question).
Le terme « alliance thérapeutique » a davantage
trait à la qualité de la relation du patient et du soi-
gnant. Elle constitue un accord équilibré avec un Effets positifs de la non-adhésion
objectif partagé à partir des propositions du soignant au traitement
et des souhaits de vie du patient. Chacun peut devoir Pour toute chose, existe une intention positive.
renoncer à certaines choses pour parvenir à un Dans notre sujet, le patient peut, par son attitude
objectif partagé et évolutif. Le pouvoir et la liberté de de refus, affirmer sa position et retrouver une
choix n'appartiennent plus au seul soignant [25, 26]. partie de son pouvoir ; il assoit ses choix.
Pour le soignant, c'est l'occasion de se remettre
Conséquences négatives en question dans sa relation au patient, sa façon
de la non-adhésion au traitement de faire et d'être, mais aussi de chercher d'autres
Pour le patient alternatives thérapeutiques plus adaptées.
Un traitement mal pris peut amener à une aggra-
vation de la maladie, à l'apparition de complica- Déterminants de la non-adhésion
tions ou à des hospitalisations non prévues, voire Il existe de nombreuses causes à cette situation.
un risque accru de mortalité. Des auteurs en ont dénombré plus de  150. La
Prendre un traitement témoigne d'un souci du cause la plus fréquente semble être la dépression,
patient de sa propre santé. Une étude a même mon- du fait du manque d'envie, de la mésestime de soi,
tré que le fait de prendre assidûment un placebo des émotions négatives, de l'inertie.
dans un essai clinique réduisait la mortalité, ceci en Une description fine en est proposée (fiche pra-
raison d'autres comportements de santé associés. Il tique 31).
s'agit donc aussi d'un état d'esprit [27, 28]. De plus, la non-adhésion est un processus
Dans le cas de maladies infectieuses comme dynamique et évolutif. À long terme, dans une
l'infection à VIH ou la tuberculose, des oublis de situation de maladie chronique, une diminution
prises d'anti-infectieux favorisent l'émergence de temporaire de la motivation s'avère quasi inéluc-
résistances. table à un moment ou un autre.
Beaucoup d'auteurs ont étudié ce processus
Pour la société qui consiste à ne pas se soigner alors que l'on sait
L'augmentation consécutive de la morbidité et que cela est utile pour soi. Parmi eux, G. Reach a
de la mortalité a des conséquences économiques introduit la notion d'akrasia (en grec) ou faiblesse

116
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

de la volonté [30]. La récompense à prendre soin par  : des résultats cliniques et/ou biologiques
de soi est d'une façon générale abstraite et loin- insuffisants, des dosages de médicaments trop
taine. À l'inverse, celle de la non-adhésion est bas, des marqueurs biologiques particuliers, des
concrète et immédiate. Or lorsque nous faisons non-renouvellements d'ordonnances, etc.
un choix, nous le faisons sur la base de la valeur Bien des fois, on constate une perception plus
que nous attribuons aux choses au moment du fine des paramédicaux à voir ces difficultés par
choix. L'homme étant impatient, il aura tendance rapport aux médecins, probablement en raison
à privilégier le gain sur le court terme comparé à d'une plus grande proximité.
celui à plus long terme.
Prédiction de l'adhésion
Différentes formes au traitement
de ­­­non-adhésion P.  Ley a développé un modèle de prédiction de
Concernant le traitement l'adhésion (il utilisait le terme observance) [23, 32].
Elle peut se présenter sous la forme d'un arrêt Il postule que trois conditions cognitives influent
définitif, forme la plus marquée amenant à la particulièrement sur le comportement futur de prise
« perte de vue ». Elle peut aussi se voir sous la régulière du traitement (figure 11.3) : la satisfaction
forme d'arrêts momentanés, ou d'oublis, situa- du patient vis-à-vis de la consultation ; sa compré-
tions fréquentes et peu détectables par le méde- hension du contenu de la consultation, de la maladie
cin, ou de prises groupées, comportements moins et du traitement ; les informations retenues par le
fréquents [31]. patient. Cette dernière est influencée par une multi-
tude de facteurs, comme l'anxiété, les connaissances
Autres formes de non-adhésion médicales préalables, le niveau intellectuel, etc.
Cela peut s'exprimer par une difficulté à assurer Pour intéressant que soit ce modèle, on consi-
un bon suivi de la maladie, à se soumettre à des dère maintenant que d'autres facteurs psychoso-
examens complémentaires, à suivre des règles ciaux non cognitifs ont une importance cruciale
hygiéno-diététiques, à arrêter une addiction, etc. (fiche pratique 31).

Comment mettre en évidence Quelles réponses apporter face


la non-adhésion ? à une non-adhésion ?
La mauvaise prise d'un traitement est souvent Sur un plan général, plusieurs solutions ont été
tue par le patient, qui ressent fréquemment de la identifiées et parfois essayées, tant par les autori-
culpabilité, voire de la honte. tés sanitaires que les assurances privées [26] :
Des mesures indirectes permettent parfois aux • améliorations technologiques : piluliers à alarme,
soignants de se douter des difficultés du patient utilisation de SMS de rappel, prises uniques

Compréhension

Satisfaction Observance

Mémoire

Figure 11.3 Le modèle de la prédiction d'adhésion au traitement.


Sources : Ley P. Communicating with Patients. London : Croom Helm ; 1988 et Ogden J. Psychologie de la santé.
Bruxelles : De Boeck ; 2008, 426 p.

117
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

de médicaments, les pompes i­mplantables, cer qu'il est sain qu'un individu prenne de temps
etc. ; en temps de la liberté avec ses traitements  : cela
• sanctions réglementaires  : par exemple, tenta- témoigne d'une volonté d'autonomie.
tive de refus de prise en charge par l'assurance Partant de là, une posture ouverte, tolérante
maladie, de matériels suppléant à l'apnée du et compréhensive permettra d'offrir au patient
sommeil en cas d'utilisation insuffisante. Cette un espace de parole libre où il pourra exprimer
dernière mesure a été annulée en 2015 ; cette réalité, ses émotions associées, ses désirs,
• incitations financières : augmentation du taux ses revendications, ainsi que les raisons qui le
de remboursement en cas d'observance avérée, poussent à refuser le traitement. Dans le cadre
paiement des frais de participation à des pro- de cet échange, la confiance doit être à tout prix
grammes d'accompagnement, etc. ; préservée.
• apprentissage à se traiter soi-même, correspon- Par la suite, l'exploration des causes est à entre-
dant ici à l'ETP. prendre. Pour suivre le modèle des croyances de
Les trois premières solutions visent à contour- santé (voir chap. 5, Modèle de croyance de santé),
ner le patient et sa volonté de se soigner, ou à il convient de vérifier si le patient se sent vraiment
inciter à un comportement favorable. L'ETP malade, s'il a perçu la gravité de sa maladie, s'il
quant à elle reste un choix. Un choix tant pra- est convaincu de l'efficacité du traitement et si les
tique (efficacité) que social (droit à l'autodéter- bénéfices supplantent les effets indésirables et les
mination) et éthique (respect de l'autonomie des efforts nécessaires pour le prendre.
personnes) [26]. Les conditions de l'engagement du patient à
Avant de rechercher des solutions avec le suivre ce traitement gagnent à être revisitées.
patient, il s'agit comme l'énoncent A. Deccache et Peut-être celui-ci ne convient-il plus, peut-être la
F.  Sanguignol, de vérifier deux conditions préa- temporalité du patient n'est-elle plus en phase avec
lables [26] : l'idée de se traiter, le patient a peut-être d'autres
• le patient doit être en position de comprendre priorités, d'autres besoins non assez entendus ?
et de décider. Les difficultés de compréhension (voir chap.  5, Les temporalités du patient). Face
liées au langage doivent être appréhendées. Les à une indécision du patient à s'engager de nou-
temps de compréhension et d'intégration du veau, le soignant peut l'aider en explorant avec
patient sont à respecter ; lui les raisons de ses difficultés, les avantages et
• les comportements thérapeutiques doivent être les inconvénients de la prise et de la non-prise,
réalistes et atteignables. Il y a en effet une gra- les émotions associées, les succès passés liés au
duation dans les difficultés à se soigner : bon suivi du traitement, les moyens de réduire les
– le premier niveau correspond à des compor- inconvénients, les soutiens dans son entourage,
tements simples n'interférant pas avec les ses projets sources de motivation… Il convient de
habitudes de vie (par exemple, médicament « rouler avec la résistance » plutôt que de confron-
avec peu d'effets indésirables), ter le patient à une réalité qu'il ne peut tolérer.
– le deuxième niveau implique des change- Les principes de l'entretien motivationnel sont
ments de vie liés au traitement, ici utilisés (voir chap. 6, Les thérapies cognitivo-­
– le troisième niveau a trait à des modifications comportementales).
de comportements addictifs (troubles ali- Par la suite, une fois que les raisons du patient à
mentaires, tabac, alcool, médicaments, etc.), ne pas être adhérant sont décodées, il est possible
beaucoup plus difficiles à changer. de rechercher avec lui des solutions pratiques en
Dans le cadre de la relation avec le patient, si considérant les facteurs modifiables des causes de
l'on s'aperçoit d'une non-adhésion par-devers le sa non-adhésion (fiche pratique 31) :
patient, il convient d'en parler sans le culpabiliser. • concernant le patient :
C'est essentiel. La valorisation de tous les efforts – les connaissances médicales ou leur compré-
déjà entrepris est légitime et nécessaire. La prise hension peuvent être insuffisantes, relatives à
d'un traitement au long cours est difficile, et la maladie ou au traitement. Un apport sur ce
nombre de médecins et de paramédicaux peuvent thème est alors nécessaire,
en témoigner, car ils sont en général eux-mêmes – la situation sociale est difficile. À ce titre,
souvent peu observants. On pourrait même avan- une précarité doit être recherchée en premier.

118
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

L'utilisation du score EPICES peut être utile lier ou un semainier. Il favorise l'intégration du
(fiche pratique  23). L'aide d'une assistante traitement dans une routine quotidienne ;
sociale est alors fondamentale. L'accès aux • concernant la relation avec les soignants : cela
soins est à privilégier, passe pour les soignants par l'adoption d'une
– la vie professionnelle peut être un obstacle. posture éducative, d'une écoute des besoins du
Il peut s'agir d'horaires contraignants  : une patient, d'une éthique du soin. L'aider à s'expri-
organisation doit être réfléchie ensemble. mer, à oser dire ses éventuelles difficultés ou
L'aide du médecin du travail est parfois utile, ressentiments, est essentiel.
– des facteurs socioculturels, comme faire le Comme l'écrit G.  Reach, restaurer le lien du
ramadan, sont à prendre en compte. Il convient patient avec lui-même paraît fondamental  [33].
alors, autant que faire se peut, d'essayer d'insérer C'est proposer au patient de se réunifier par le
la prise en charge dans les habitudes du patient, soin. C'est la meilleure signification que l'on
– l'état psychologique et émotionnel est fonda- puisse donner de l'éducation thérapeutique.
mental à prendre en compte. La dépression est « Comment amener la personne devenue malade
le facteur le plus prégnant et convient d'être à comprendre qu'elle peut, si elle le désire, s'élever
considéré et pris en charge. Une estime de soi au rôle d'arbitre dans cette lutte entre elle et elle-
déficiente doit être recherchée, car elle n'incite même. » L'amour de soi serait alors une solution
pas le patient à prendre soin de lui. Le rôle de à l'ambivalence, et permettrait la reconstruction
l'anxiété est ambigu  : elle peut favoriser l'ad- du lien à soi. « En s'aimant elle-même, la personne
hésion au traitement lorsque le patient a peur fait taire ses conflits intérieurs  : elle est sans
de la maladie ; au contraire, elle peut être un réserve avec celle dont elle a le souci, c'est-à-dire
­obstacle quand elle est dirigée à l'encontre du celle qui met en jeu le futur. Être sans réserve et
­traitement. La prise en compte d'éventuelles s'aimer, c'est la même chose. ». L'auteur émet la
addictions, comme un alcoolisme, est essen- proposition suivante : « Soignez-vous, prenez soin
tielle. La représentation de la maladie et des de vous. Aimez dès à présent la personne que vous
traitements doit parfois être investiguée et tra- serez, parce que vous le vaudrez bien ! » [33, 34]
vaillée. Enfin, l'adhésion au traitement est d'au- Le partage en équipe interdisciplinaire des dif-
tant plus facile que le patient accepte sa maladie ficultés vécues par le patient optimisera les pos-
et la thérapeutique. Un travail à ce niveau, pour sibilités de l'aider. L'intervention en synergie de
l'aider à cheminer à travers son deuil de l'état plusieurs professionnels de métiers différents,
avant la maladie, est parfois nécessaire ; agissant sur un même temps, sur plusieurs déter-
• concernant le traitement. Une simplification des minants de non-adhésion, offre l'espoir d'une
traitements est souvent possible (monoprises, issue favorable.
libération prolongée, galénique, associations Au final, l'alliance thérapeutique entre l'équipe
fixes). Il convient de privilégier la forme la mieux soignante et le patient, de nature active, coopé-
tolérée et de prévenir et d'aider le patient à gérer rative et participative, sera la condition sine qua
les éventuels effets indésirables. L'usage du pilu- none du dépassement de cette situation d'échec
lier est très aidant, que ce soit un pilulier journa- thérapeutique (encadré 11.6).
ENCADRÉ 11.6

Farida, ou la difficulté de se prendre en soin


Farida, âgée 49 ans et d'origine marocaine, est Farida adhère à ses traitements et l'immunité
infectée par le VIH depuis 1998. Elle a été conta- s'améliore nettement (le taux de lymphocytes
minée par voie hétérosexuelle, elle est sans CD4 passe de  60 à  200/mm3). Mais la bonne
profession. Elle accepte très mal sa maladie et volonté de Farida s'épuise vite après l'accou-
ses traitements ; elle vit tout cela dans le secret. chement et le traitement est très mal pris. En
Son état immunitaire se dégrade irrésistible- 2007, survient une toxoplasmose cérébrale  ;
ment. En 2002, elle se marie et deux petits gar- elle est hospitalisée, traitée et guérie mais le
çons naissent de l'union. Pendant la grossesse, suivi reste par la suite aléatoire. Entre 2008 et

119
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi


2011, plusieurs récidives de cette pathologie familiales, sociales et religieuses jouent un
opportuniste se manifestent, avec un suivi très grand rôle pour elle. Heureusement, le lien
chaotique. positif, chaleureux et inconditionnel avec
Face à cette situation dangereuse, l'analyse l'équipe soignante est toujours maintenu.
exhaustive des difficultés et des ressources La situation médicale devient catastrophique.
de la patiente est réalisée à plusieurs reprises Après avoir déjà «  tout essayé  », l'équipe
et de multiples démarches éducatives et de propose en 2011 plusieurs choses  : le chan-
soutien sont entreprises (explication figura- gement de médecin référent, un traitement
tive de l'infection à VIH et des traitements, ­antidépresseur, la participation à des séances
motivation, travail psychologique approfondi, éducatives en groupe, la poursuivre du tra-
changements de traitements, de posologie et vail psychologique en individuel (travail sur
de galénique, pilulier, travail sur les représen- la honte, jeu de rôle sur la révélation de sa
tations et les fausses croyances, implication séropositivité à une de ses sœurs, travail en
forte de son mari…), mais sans effet à moyen constellation familiale…). On lui suggère éga-
terme. La patiente décide même de divorcer, lement de faire un bilan de compétences pour
mais son attitude vis-à-vis des traitements ne pouvoir reprendre une activité profession-
se modifie pas pour autant. Sur le plan psycho- nelle. La patiente accepte tout, essaye tout
logique, elle est très ambivalente, n'arrive pas mais rien n'y fait. En fin de compte, le nou-
à maintenir une décision ; elle est bloquée au veau médecin référent décide, avec l'accord
stade de la précontemplation (Prochaska), est de la patiente, de dévoiler la séropositivité à la
plutôt en phase de déni partiel, est référencée famille, en sa présence. Le choc est rude, mais
à l'extérieur (locus externe), a un faible res- sa mère et sa sœur la rassurent en lui disant
senti de la gravité de la situation et une très qu'elles l'aimeront toujours. Un changement
faible estime d'elle-même. En toile de fond, on d'attitude s'opère alors. Et Farida reprend son
retrouve constamment une forte culpabilité et traitement antirétroviral avec succès. Mais la
une honte intense vis-à-vis du VIH. Les normes situation reste fragile…

Automédication [35–37] qualité et l'innocuité des produits achetés. Les médi-


caments remboursables achetés en automédication
Une réalité sont remboursés par la Sécurité sociale s'ils sont
L'automédication est une réalité qui s'impose, Elle prescrits.
concerne deux Français adultes sur trois. Elle est en Les raisons de l'émergence de l'automédication
augmentation et représentait près de 10 % de part du sont multiples :
marché pharmaceutique global en France en 2015. Elle • les usagers du système de soins sont de mieux
va dans le sens de l'autonomisation du patient promue en mieux informés, notamment grâce à l'usage
par l'ETP, mais doit aussi rester sécurisée et encadrée. d'Internet ;
Les indications se limitent principalement aux • ils expriment un besoin croissant d'autonomie
petits maux (rhinite, maux de dos, migraines, dans le domaine sanitaire [38] ;
maux de gorge, etc.). Les catégories de médica- • consulter un médecin généraliste n'est pas tou-
ments le plus souvent concernées sont les sui- jours facile ;
vantes  : antitussifs ; analgésiques ; antiseptiques • l'ETP peut contribuer à l'automédication
cutanés, urinaires ou intestinaux ; régulateurs du accompagnée pour une plus grande autonomie
transit ; antibiotiques ; anxiolytiques. du patient.
La vente des médicaments peut se faire en pharmacie
d'officine, dans la grande distribution et sur Internet.
Le pharmacien d'officine joue un rôle central en
Risques inhérents
ce domaine, en raison de sa position de proximité, à l'automédication
ses missions de conseil, de dépistage et d'accom- Il existe des risques à l'automédication, dont nous
pagnement du patient. Depuis début 2013, il peut résumons ici les principaux :
vendre des médicaments par Internet, mais cela • liés au médicament : par la méconnaissance des
reste soumis à une autorisation administrative et à composés et de leurs éventuelles toxicités, le
l'obligation de conseils sur le bon usage du médica- dépassement de la date limite d'usage, un mau-
ment. En dehors des pharmacies, rien ne garantit la vais stockage ;

120
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

• liés à la prise du médicament, par des interac- mousse). Toujours mentionner au médecin les
tions médicamenteuses non prévues, une erreur médicaments pris en automédication ;
de posologie, une méconnaissance d'effets indé- • pendant le traitement, respecter la posologie et
sirables rares mais graves, un risque d'allergie ; la durée ;
• liés à la non-prise en charge médicale, par • si pas d'amélioration des symptômes ou aggra-
un autodiagnostic erroné, un mauvais choix vation ou récidive, consulter le médecin généra-
de traitement, un retard au diagnostic, un liste ou le pharmacien ;
­masquage de certains symptômes, une inter- • si apparition d'un événement indésirable même
prétation fausse de résultats biologiques, une mineur, le signaler au médecin ou au pharmacien.
aggravation de maux, un risque de dépendance.
Polypathologie et éducation
Possibilités d'améliorer thérapeutique du patient
l'automédication Nombre de patients présentent plusieurs patholo-
Pour améliorer les conditions de l'automédication gies chroniques en même temps. Parmi elles, il y a
par le patient, il convient de : celles correspondant à une pathologie index et aux
• assurer une bonne information du patient, tant comorbidités associées, et celles de nature différente
sanitaire qu'économique ; qui s'additionnent. Quoi qu'il en soit, des situations
• respecter les exigences de sécurité ; simultanées s'imposent (encadré 11.7) [40].
• lui faire prendre conscience des limites de
l'automédication, notamment de bénéficier de
ENCADRÉ 11.7

soins plus appropriés s'il y a lieu. Le cas de Robert souffrant


L'Agence nationale pour la sécurité des médi- de plusieurs pathologies
caments a émis en 2008, des conseils dans un
Robert a 68 ans. Il est diabétique de type 2
document appelé Les 7  Règles d'or  [39]. On peut depuis l'âge de 35  ans, souffre d'une obé-
les résumer ainsi : sité importante (110  kg, indice de masse
• avant d'acheter un médicament : corporel à  42). Il fume quelques cigarettes
– valider le choix avec le médecin généraliste par jour. Plusieurs autres pathologies sont
ou le pharmacien d'officine, associées : insuffisance coronaire, hyperten-
sion artérielle, arthrose des genoux et une
– lire sur la boîte, l'indication, la ou les dépression réactionnelle modérée. Toutes
substance(s) active(s), le mode de prise, le ces pathologies sont correctement prises en
nom des excipients, le pictogramme pour la charge et le patient suit tant bien que mal
conduite automobile, etc. ; ses traitements. Une démarche éducative lui
• prendre en compte les situations à risque : gros- est proposée pour le diabète, l'insuffisance
coronaire et l'hypertension artérielle. Il
sesse, allaitement, allergies, âge avancé, mala- ­accepte de s'inscrire dans deux programmes,
die chronique (foie, cœur, rein, diabète), prise l'un sur le diabète de type  2 et l'autre sur
d'anticoagulants. Pour un enfant, demander l'athéromatose et les facteurs de risque car-
toujours conseil au médecin ou au pharmacien ; diovasculaires. Plusieurs mois plus tard, au
• avant de prendre un médicament : terme de ses programmes qu'il a apprécié et
grâce auxquels il a beaucoup appris et parta-
– toujours lire la notice : vérifier la posologie, gé, il se sent mieux et accepte davantage ses
les indications, les contre-indications, les pré- pathologies et les traitements y afférents.
cautions d'emploi, les interactions et les effets Un programme transversal de type « polypa-
indésirables éventuels, thologie » lui est alors proposé qu'il accepte
– conserver toujours le médicament et sa notice volontiers. Après un BEP complémentaire, il est
décidé avec Robert de participer à des ateliers
dans la boîte d'origine, collectifs dont les titres sont les suivants  : Les
– vérifier la date de péremption ; médicaments génériques, Comment s'y retrou-
• ne pas prendre de sa propre initiative plusieurs ver dans le système de soins ?, La place de l'acti-
médicaments différents, en raison des risques vité physique dans ma vie, La nourriture que je
d'interactions. Attention en cas de jeûne, de choisis, Je vis avec plusieurs maladies : si on en
parlait ensemble ? et Réduire son stress par le
prise d'alcool (bière, vin, etc.) ou de certaines mindfulness. L'aventure vers soi se poursuit…
boissons (à base de plantes, jus de pample-

121
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

Les caractéristiques de ces patients méritent pathologies ; la part plus ou moins importante
d'être clairement définies  [41]. Sur le plan édu- qu'occupe une pathologie dans l'activité du
catif, il n'existe pas actuellement de modèle opé- patient (qu'est-ce qu'il fait ?) ;
ratoire d'ordre didactique qui propose une forme • les exigences cumulées du traitement (phar-
éducative adaptée à cette situation [42]. Il est dif- macologique, nutritionnelle, activité physique,
ficile d'imaginer un parcours éducatif consistant etc.) des différentes pathologies : charge de tra-
à suivre plusieurs programmes liés à chacune des vail d'autosoins (qu'est-ce qu'il fait ?) ;
pathologies en question, car d'une part, l'offre • les savoirs relatifs aux pathologies et à leur com-
éducative est encore limitée et d'autre part, il est binaison : vision globale de la part du patient,
nécessaire pour le patient de faire des liens entre de sa situation et des traitements associés, per-
ces pathologies et les traitements. ception qu'il a de l'importance relative des dif-
De ce fait, la complexité de la situation amène férentes pathologies (qu'est-ce qu'il sait ?) ;
à revenir à celle du patient, à sa nature et à son • le ressenti des pathologies, le vécu résultant, la
identité [43]. Plusieurs pathologies s'additionnent charge émotionnelle, psychique (qu'est-ce qu'il
et s'intègrent en un être unique. La prise en soins est ? qu'est-ce qu'il vit ?) ;
holistique s'impose ici plus que jamais. • le ressenti social des pathologies, leur impact
En plus des compétences liées à chaque patho- respectif sur la vie sociale et les projets du
logie, d'autres s'imposent que l'on appellera patient (quel est son projet ? qu'est-ce qu'il vit ?).
« compétences transversales". Pour les caractéri- Les compétences des soignants doivent être
ser, J.-F.  d'Ivernois et R.  Gagnayre en proposent adaptées à cette situation, passant par une forma-
une liste reliée à l'autosoin et à l'adaptation [42] : tion renforcée dans les autres champs que ceux
• la nutrition (différentes recommandations habituels à la pathologie chronique qu'ils ont
nutritionnelles en fonction des pathologies, habituellement en charge [42].
parfois contradictoires) ; Le processus évaluatif du patient en sera aussi
• la reprise et le maintien de l'activité physique ; impacté. Il conviendra de se référer aux compé-
• la compréhension des maladies en présence, de tences ciblées dans chaque pathologie et aux com-
leur évolution et surtout de leur intrication ; pétences transverses.
• la compréhension des traitements (buts, effets La situation complexe du patient nécessite une
indésirables et interactions) et leur gestion quo- adaptation de l'organisation des soins [44]. Le sys-
tidienne ; tème de soins, qui était adapté à la résolution de
• l'utilisation adéquate du système de soins et de problèmes de santé par spécialités et limités dans
ses ressources ; le temps, doit évoluer pour davantage de globa-
• l'éducation et l'implication de l'entourage ; lité, intégrant accessibilité, continuité et coordi-
• le maintien des activités sociales du patient. nation des soins autour du patient. Les soins des
Parmi les compétences à acquérir, une priorisa- premiers recours sont ici au centre [45].
tion devra être conjointement établie par le patient Dans le parcours éducatif du patient polypa-
et le soignant. Les compétences les plus sécuri- thologique, les professionnels en général sont
taires dans chaque pathologie et au sein des aspects nombreux, ne se connaissent pas forcément, sont
­transversaux susnommés seront logiquement privi- éloignés géographiquement, a priori sans culture
légiées par les soignants, mais le patient pourra par- commune en ETP, sans coordination claire, sans
faitement prioriser selon ses besoins et son ressenti. réunions physiques et communiquant lentement
Ce nouveau modèle transversal implique de et difficilement. L'équipe requise dans le por-
réfléchir sur un BEP adapté  [42]. D'après J.-F. tage d'un programme éducatif n'existe donc pas
d'Ivernois et R. Gagnayre, les thèmes abordés et laisse place à un ensemble dispersé d'acteurs
peuvent être les suivants : sanitaires et sociaux. De ce fait, le fonctionne-
• les différentes pathologies du patient (qu'est-ce ment interdisciplinaire entre ces acteurs devient
qu'il a ?), leur apparition respective et leur degré plus difficile à trouver. Des adaptations de l'orga-
d'intrication ; nisation, passant notamment par une meilleure
• les activités du patient et leur éventuelle réduc- communication entre les acteurs, est nécessaire.
tion/limitation en fonction des différentes L'importance de la traçabilité devient ici centrale,

122
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

et peut être favorisée par le numérique et surtout • l'identité du coordonnateur du programme ;


le patient lui-même qui porte son dossier éduca- • l'intitulé du programme ;
tif. Par ailleurs, les médecins traitants, les phar- • la population ciblée ;
maciens et les paramédicaux de ville jouent ici un • le lieu de son déroulement ;
rôle crucial [46]. • les objectifs et les modes d'organisation du pro-
gramme ;
• les effectifs et la formation en ETP des profes-
sionnels engagés dans le programme ;
Demande d'autorisation à l'ARS • la participation de patient(s) ou de représentant(s)
pour un programme d'ETP d'association de patients à la co-construction,
ainsi qu'à la co-animation ou co-évaluation ;
Les agences régionales de santé (ARS) sont nées • le guide d'entretien du BEP et les fiches pédago-
de la loi « Hôpital, patient, santé, territoire » (loi giques des séances collectives ;
HPST)  [5]. Elles constituent en France un des • les modes d'évaluation prévus pour le patient et
piliers de la réforme du système de santé. Elles le programme ;
assurent un pilotage unifié de la santé en région • les modèles de lettre aux médecins traitants ou
afin de mieux répondre aux besoins et d'accroître référents ;
l'efficacité du système de santé. • les sources prévisionnelles éventuelles de finan-
Les dispositions de cette loi, et plus particu- cement.
lièrement l'article 1161-2, confèrent aux ARS le À la demande d'autorisation devront être joints
régime d'autorisation des programmes d'ETP. plusieurs documents :
Pour être mis en œuvre, un tel programme doit • une charte d'engagement de confidentia-
être conforme à un cahier des charges pour justi- lité, dont un format actualisé est fourni
fier de cette autorisation. dans l'arrêté du 14  janvier 2015 (fiche pra-
Ainsi, la loi HPST a permis de donner un cadre tique 40) [49] ;
légal à l'ETP. Elle précise que « l'éducation thé- • un document d'information au patient concer-
rapeutique s'inscrit dans le parcours de soins du nant le programme (fiche pratique 41) ;
patient » et qu'« elle a pour objectif de rendre le • les photocopies des diplômes, les attestations de
patient plus autonome en facilitant son adhésion formation ou les justificatifs d'expériences en
aux traitements prescrits et en améliorant sa qua- ETP de la part des professionnels participant au
lité de vie » [5]. programme.
À partir des décrets et arrêtés d'application [47–
49], nous proposons de répondre aux questions les Auteurs d'une demande
plus courantes concernant les demandes d'autori-
sation auprès des ARS.
d'autorisation
La formalisation de la demande d'autorisation se
Cahier des charges à renseigner fait en équipe, à l'aide d'un écrit descriptif de cette
offre éducative, comme précisé ci-dessus. Il s'agit
Le descriptif du programme éducatif à mettre en d'un référentiel de prise en charge éducative que
place, est intégré dans un cahier des charges pro- l'équipe a construit.
posé par l'ARS locale, intitulé Demande d'autori- Le coordonnateur du programme, en collabora-
sation d'un programme d'éducation thérapeutique tion avec l'équipe, renseigne le cahier des charges
du patient auprès de l'agence régionale de santé. Ce et le soumet à l'ARS.
cahier des charges a été revu et modifié par l'ar- Les professionnels de santé concernés par l'ETP
rêté du 14 janvier 2015 [49]. En guise d'exemple, peuvent être médecins, infirmiers, a­ ides-­soignants,
nous donnons en référence le lien pour téléchar- masseurs-kinésithérapeutes, diététiciens, ergo-
ger ce document pour la région Languedoc-Rous- thérapeutes, sages-femmes, puéricultrices,
sillon [50]. auxiliaires puéricultrices, pharmaciens,  prépa-
Dans le cahier des charges, plusieurs informa- rateurs en pharmacie, chirurgiens-dentistes,
tions sont sollicitées relatives à : manipulateurs en radiologie, psychomotriciens,

123
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

orthophonistes, orthoptistes, techniciens de labo- est à moduler : dans le temps de la co-construc-


ratoire médical, audioprothésistes, opticiens-lune- tion qui peut être longue, des activités éducatives
tiers, prothésistes et orthésistes pour l'appareillage peuvent être débutées afin de tester sur le terrain
des personnes handicapées, pédicures-podolo- la validité de l'organisation et des outils. Il existe
gues… À ceux-ci peuvent s'associer des psycholo- alors une intention de dépôt de demande d'autori-
gues, des assistantes sociales, des pédagogues, des sation qui se fera dans un deuxième temps.
éducateurs spécialisés, des animateurs sportifs,
des conseillers médicaux en environnement… Obligations d'évaluation
Des patients ou des représentants associatifs de
patients se joignent à l'équipe afin d'enrichir l'or-
du programme
ganisation et le contenu du programme. Tout programme est soumis à une autoévaluation
Le coordonnateur peut être un médecin, un annuelle et à une évaluation quadriennale.
autre professionnel de santé ou un représentant L'autoévaluation annuelle est à différencier
dûment mandaté d'une association de patient de l'évaluation quadriennale dans le fait qu'elle
agréée, ou un patient expert. La mise en œuvre du relève d'une approche pédagogique pour l'équipe
programme doit reposer sur deux professionnels (voir chap.  16, Évaluation du programme édu-
de professions différentes. Au moins un membre catif). En effet, elle permet à celle-ci de se ques-
de l'équipe doit être un médecin. tionner sur ses pratiques en ETP, de mettre en
Le coordonnateur et les membres de l'équipe lumière les forces et les faiblesses du programme
intervenant dans le programme doivent avoir d'ETP. Elle repose sur une analyse qualitative
bénéficié d'une formation de base en ETP, comme et quantitative des pratiques, de l'organisation
le stipule l'arrêté du 14 janvier 2015 [49]. et de la coordination par rapport à un réfé-
rentiel construit par l'équipe elle-même. C'est
Réponse de l'ARS une démarche qui doit apporter un bénéfice à
l'équipe puisqu'à partir de l'analyse réalisée, les
Selon le décret précité, « le dossier est réputé professionnels peuvent prendre à bon escient des
complet si le directeur général de l'ARS a délivré décisions pour ajuster le programme et améliorer
un accusé de réception ou n'a pas fait connaître, sa qualité. L'autoévaluation est avant tout à usage
dans le délai d'un mois à compter de sa récep- interne pour l'équipe.
tion, au demandeur, par lettre recommandée avec La HAS a établi en mars 2012 un guide d'aide
demande d'avis de réception, la liste des pièces pour les coordonnateurs et les équipes intitulé
manquantes ou incomplètes » [49]. Autoévaluation annuelle d'un programme d'édu-
Le dossier étant complet, « le directeur général cation thérapeutique du patient [51].
de l'ARS se prononce dans un délai de deux mois Cette autoévaluation annuelle n'est pas censée
à compter de la présentation d'une demande com- être portée systématiquement à la connaissance
plète. Sauf avis contraire, l'autorisation est réputée de l'ARS. Cependant, demandeuse d'un rapport
acquise au terme de ce délai » [47]. d'activité annuel, l'ARS peut réclamer certains
éléments de l'autoévaluation ou sa totalité.
Durée de validité de cette A contrario, la transmission à l'ARS des résul-
tats de l'évaluation quadriennale est obligatoire,
autorisation associée à la demande de renouvellement de
L'autorisation est valable pour une durée de 4 ans. l'autorisation. Cette évaluation a pour objectif de
Elle devient caduque si le programme n'est pas déterminer si le programme fonctionne dans son
mis en œuvre dans les 12 mois qui suivent l'auto- ensemble. Elle « s'appuie sur les conclusions des
risation par l'ARS ou s'il n'est plus mis en œuvre autoévaluations annuelles successives et les effets
durant 6 mois consécutifs. du programme sur les patients, l'équipe et l'offre
Il est à noter qu'en référence à l'article L. 1162-1 éducative » [49]. Elle permet à l'ARS de se pronon-
du Code de la santé publique, est puni de cer sur sa poursuite.
30 000 euros d'amende, le fait de mettre en œuvre Pour se faire, la HAS a édité un guide à l'usage
un programme sans autorisation. Cette clause des coordonnateurs de programme pour ­réaliser

124
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

cette évaluation quadriennale  [52]. En guise suit dans la mise en œuvre du programme et
d'exemple, l'ARS du Languedoc Roussillon a son évaluation, les modalités de cette participa-
choisi de réunir, en un document unique, le tion seront précisées. Une description de l'éven-
cahier des charges de l'évaluation quadriennale tuelle expérience d'implication dans l'ETP ou
d'un programme et la demande de renouvelle- de formation spécifique des patients sera asso-
ment d'autorisation, afin de faciliter le travail des ciée [49].
équipes [53]. • La prise en compte de l'entourage du patient est
fortement conseillée. Si cela n'est pas envisa-
Quelques clés pour renseigner le geable, il est important d'argumenter.
• Dans la mesure du possible, les programmes
dossier de demande d'autorisation doivent aussi s'adresser aux populations vul-
Nous proposons de souligner les éléments nérables et précaires. Il est donc nécessaire de
indispensables à développer dans le cahier des mettre en évidence les éléments qui répondent
charges. à ces exigences ou argumenter en cas d'impos-
• Il est nécessaire de justifier la création de ce sibilité (ex. : séance collective réalisée unique-
programme éducatif, au regard des caracté- ment en français). Notons que tout établis-
ristiques notamment épidémiologiques ou sement public de santé se doit d'accueillir les
médicales de la pathologie. Celle-ci peut s'im- usagers, quelle que soit leur situation.
poser car la maladie fait partie de la liste des • Il convient que des relais soient prévus et
affections de longue durée exonérant du ticket formalisés entre l'institution et le médecin
­
modérateur (liste ALD  30), ou bien corres- traitant ou médecin spécialiste, ou tout autre
pond à l'asthme ou à une maladie rare, ou à professionnel de santé, réseau ou association
un ou plusieurs problèmes de santé considérés de malades. Ce lien se traduit en général par
comme prioritaires au niveau régional [49]. En un courrier ou un compte rendu faisant état de
dehors de ce cadre, il convient de justifier le l'avancée du patient dans le programme et de
besoin particulier. ses acquisitions. Un modèle du courrier utilisé
• La description du parcours éducatif du patient est maintenant demandé [49].
intégré dans le soin gagne à être précisée. • Les liens peuvent aussi s'entendre par l'arti-
• L'équipe doit être pluriprofessionnelle, avec la culation avec d'autres programmes éducatifs
présence d'au moins un médecin. Dans cette concernant la même pathologie dans des lieux
équipe dévolue à l'ETP, toutes les personnes différents (ville, hôpital) ou sur d'autres patho-
devront avoir été formées, y compris le coor- logies pour des patients polypathologiques.
donnateur [49]. Le niveau de la formation n'est • Une charte d'engagement de confidentia-
pas précisé dans l'arrêté de janvier 2015, mais lité devra être signée par tous les membres de
on peut penser implicitement qu'une formation l'équipe d'ETP, y compris les patients inter-
de niveau  1 (40  heures) est souhaitable. Si des venants ou les représentants d'association de
professionnels ne sont pas encore formés, ils patients [49]. Un exemplaire de la feuille d'in-
pourront l'être dans les 2 ans à venir à condi- formation remise aux patients devra également
tion de se prévaloir d'une expérience suffisante être transmis (fiche pratique 40).
en ETP. Si des professionnels non formés s'en- • L'évaluation est à décliner selon deux domaines :
gagent dans des activités éducatives, ils devront évaluation du patient et évaluation du pro-
le faire accompagner d'un membre formé de gramme en termes d'autoévaluation et d'éva-
l'équipe. luation quadriennale. L'évaluation de l'équipe
• L'équipe formée porte la co-construction, la s'intègre dans l'évaluation du programme.
mise en œuvre et l'évaluation du programme. • Le dossier de demande d'autorisation est à
• La présence d'un patient ou d'un représentant envoyer à l'ARS avec la triple signature du coor-
d'association de patients (ou aidant si le pro- donnateur du programme, du médecin chef de
gramme s'adresse à des aidants) est nécessaire l'équipe qui porte le programme, des représen-
à l'élaboration du programme et doit être spéci- tants de patients ou des responsables d'associa-
fiée. Dans le cas où cette collaboration se pour- tions de patients associés [49].

125
Partie IV. Mise en œuvre d'un programme éducatif : un projet en soi

Références [16] De la Tribonnière  X. Précarité  : trans… former les


pratiques, les équipes, l'éducation thérapeutique ?
[1] Haute Autorité de santé (HAS). Structuration d'un Partages d'expériences. Compte rendu du déjeuner-
programme d'éducation thérapeutique du patient débat au congrès de l'AFDET. Santé Éducation 2015 ;
dans le champ des maladies chroniques. Guide 2 : 29–30.
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Disponible en ligne sur http://www.has-sante.fr/­ un score individuel de précarité. Construction du
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126
Chapitre 11. Organisation et mise en place d'une démarche éducative personnalisée

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127
Notion d'équipe Chapitre 12

Définition • compétences de l'autonomie, interculturelles et


émotionnelles ;
Nous définissons l'équipe comme un groupe de • savoirs expérientiels (individuels et collectifs) et
professionnels de catégories différentes, devant savants ;
se compléter, s'articuler et dépendre les uns des • déontologie qui vise la recherche de la bonne
autres pour réaliser un objectif [1]. distance vis-à-vis de leur propre histoire, de
En matière d'ETP, l'efficacité de l'équipe leurs pairs et des professionnels de santé ;
demande une clarification de l'organisation, le • éthiques, de l'utilité et de l'efficacité.
partage d'une stratégie, une définition des rôles Cette même auteure avec R. Gagnayre a décrit
de chacun et une description des processus de deux typologies de patients experts : les uns plu-
feedback. tôt portés sur les problématiques biomédicales de
Il n'en demeure pas moins que la tâche à la maladie et les autres, plutôt sur les aspects psy-
accomplir confère à cette communauté une chosociaux. Ces deux types de patients cherchent
unité socio-affective  [2]  : ainsi la proximité à améliorer la prise en charge et/ou la prévention
entre les partenaires, la connaissance mutuelle de la maladie. À cet effet, ils sollicitent 13 compé-
et les échanges intensifs sont au service de cette tences qui relèvent du registre des compétences
volonté partagée de développer les prises en liées à l'autonomie, à l'interculturalité et émotion-
charge éducatives. nelles [7].
La place du patient expert dans l'amélioration
de l'offre de soins et de l'offre éducative devient
incontournable et se nourrit des réflexions sur la
Le patient acteur dans l'équipe démocratie sanitaire [8]. Le modèle de partenariat
entre les patients et les professionnels de santé, qui
Depuis peu, est apparue la notion de « patient s'appuie sur la reconnaissance des savoirs expé-
expert ». La définition exacte n'est pas encore stabi- rientiels du patient, s'inscrit dans un continuum
lisée [3–5]. Certains auteurs préfèrent les termes de d'engagement des patients et peut s'appliquer dans
« patient intervenant », « patient tuteur », « patient les milieux de soins, de la formation des profes-
ressource » ou « patient formateur ». Nous garde- sionnels, de l'enseignement et de la recherche
rons l'expression de patient expert. (encadré 12.1) [9, 10].
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Le patient expert acquiert au fil du temps, de ses Dans le cadre de l'ETP, la collaboration du
expériences, de ses rencontres, de sa formation ou patient expert est envisageable lors de trois temps :
de sa recherche personnelle, une expertise dans la • la co-construction du projet ;
gestion de sa maladie et dans le « vivre avec ». Son • la mise en œuvre des pratiques éducatives de
Pratiquer l’éducation thérapeutique

identité sociale fait l'objet de recherches récentes. groupe ;


D'après O. Gross, elle repose sur sept piliers [6] : • l'évaluation du programme.
• sentiment de vulnérabilité lié à sa maladie ; Il existe plusieurs conditions à sa participation :
• sentiment d'étrangeté du fait de sa situation, • une prise de recul vis-à-vis de sa maladie et un
« entre » le patient et les soignants ; équilibre psychologique personnel suffisants.
• passion pour les connaissances, pour l'action Cet équilibre n'est jamais définitivement acquis
servant à améliorer l'organisation des soins, à et peut varier dans le temps. Une supervision
aider d'autres patients ; est appréciable ;

131
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

pour l'intérêt de chacun et de l'équipe elle-


ENCADRÉ 12.1
Parcours d'un patient expert : même ;
Monsieur Raymond Merle [10] • un discours scientifiquement exact. Celui du
Raymond Merle est atteint d'insuffisance patient expert ne devra pas être en contradic-
rénale chronique depuis 25 ans. Il fait partie tion avec celui des soignants ;
des patients que l'on qualifie aujourd'hui • l'acceptation des mêmes règles éthiques de
d'« experts  ». Son cheminement l'a pro- confidentialité et de respect du secret profes-
gressivement conduit à se professionnaliser
pour devenir formateur, puis à débuter un
sionnel que les soignants, vis-à-vis des propos
travail de recherche dans le cadre universi- des autres patients [11].
taire. Lors de la co-construction d'un programme,
C'est à l'âge de 34  ans qu'il apprend sa l'équipe a avantage à repérer le plus tôt possible
maladie. Marié et père de deux enfants, il est des patients ou représentants d'associations de
responsable d'entreprise. Il doit rapidement
arrêter son activité pour être soigné. Après
patients susceptibles de s'engager avec elle dans
une phase de révolte face à cette injustice le projet. Cette collaboration est d'autant plus
ressentie, et grâce à une amie, Raymond efficace qu'elle démarre tôt. Les modalités de ce
Merle devient membre adhérent bénévole partenariat sont, bien sûr, à négocier avec eux.
d'une association, puis accède à sa coordi- Co-animer avec un patient relève d'un nouveau
nation. Pendant plusieurs années, par un
travail intense sur lui-même et entouré des
paradigme. Les co-animateurs gagnent à bien se
soignants, il se reconstruit petit à petit pour connaître. Une formation du patient à l'ETP et/
parvenir finalement à « vivre avec » la mala- ou à la pédagogie est souvent nécessaire. Quant à
die. Cela passe par l'établissement d'une l'évaluation du programme, la place des patients
relation de confiance avec les soignants, une est mise en avant mais reste souvent encore insuf-
prise de distance vis-à-vis de la maladie, une
acceptation des traitements et la possibi-
fisante [12].
lité d'évoquer sa situation avec objectivité. Il existe plusieurs avantages et des limites à
Avec d'autres patients, il s'investit au côté de cette collaboration (encadré 12.2) [7, 10, 13] :
professionnels de santé dans un projet col- • avantages :
laboratif, le Centre de santé rénale Mounier – pour le professionnel de santé :
AGDUC à Grenoble. Après plus de 20 ­années
d'investissement dans le domaine de la
– une meilleure compréhension des problé-
santé, Raymond ressent l'envie de suivre un matiques que rencontrent les patients,
cursus universitaire. À 55  ans, n'étant pas – une aide à changer son comportement et sa
titulaire du bac, il passe une validation des posture vis-à-vis des patients,
acquis de l'expérience (VAE) pour obtenir – le besoin de se former en ETP et en pédago-
une licence professionnelle « Promotion de
la santé et éducation à la santé » à l'universi-
gie avec des patients, individuellement ou
té de Savoie Chambéry en 2010, puis un mas- en équipe,
ter 1, « Éducation thérapeutique du patient » – se placer en partenariat avec le patient, cha-
à l'université Paris-6 Pierre et Marie Curie en cun remplissant son rôle ;
2011 et enfin, un master  2 « Modélisation – pour le patient expert :
au service de l'apprentissage en santé » à
l'université Joseph-Fourier de Grenoble en
– sentiment d'être reconnu,
2013. Il devient doctorant en 2015 à l'école – sentiment d'être utile aux autres patients,
doctorale ingénierie de la santé, de la cogni- aux soignants et à la société,
tion et environnement (EDISCE) de Grenoble – possibilité de se former notamment à l'ETP,
et intègre un laboratoire de recherche, – contribution à l'amélioration de « son bien
l'objectif étant de « terminer sa carrière de
“patient usager” dans l'enseignement et la
vivre » avec la maladie ;
recherche » © Edimark SAS. – pour les patients bénéficiaires :
– la crédibilité  : la parole d'un patient a du
poids auprès de ses pairs,
• une neutralité dans ses jugements. Outre l'ab- – la valeur de l'expérience : les patients auront
sence d'effet nocif pour le patient lui-même, les tendance à considérer l'expérience d'autrui
soignants devront veiller aux interactions entre comme profitable et applicable à lui,
ce patient expert et les patients bénéficiaires, – la communauté de langage ;

132
Chapitre 12. Notion d'équipe

ment mal acceptées, comme l'infection à


ENCADRÉ 12.2
Expérience dans un service VIH,
de l'implication de patients – les limites du bénévolat et la prise en charge
intervenant dans un programme financière absente ou limitée des déplace-
éducatif [17] ments et autres frais ;
L'implication de patients intervenants a – pour les patients bénéficiaires :
été envisagée dès l'élaboration d'un pro- – la difficulté à identifier ce que leur enseigne
gramme d'ETP dédié au lupus systémique à l'expérience du patient expert : en effet, ce
l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. L'ob- dernier transmet ses savoirs acquis sous
jectif était de recruter des patients pour
une forme tacite, implicite, éminemment
des co-interventions en ateliers de groupe
avec des professionnels de santé. Les rôles personnelle, donc difficilement transmis-
et les compétences requises de ces patients sible [14],
ont d'abord été définis. Sur les 300 patients – la crainte du manque de confidentialité de
suivis, 25  ont été pressentis (8  %). Parmi la part du patient expert [11].
eux, un tiers a accepté une formation
Il existe actuellement un mouvement pour
­pédagogique de 12  heures. Au final, seuls
deux patients ont co-animé des séances ouvrir les formations continues en ETP aux
collectives. Une évaluation des co-interven- patients. Ce peut être des formations de niveau 1,
tions a eu lieu. Les résultats montrent que communes à celles de professionnels de santé, ou
trois fonctions des patients intervenants bien des formations spécifiquement créées pour
ont été identifiées  : partage d'expérience,
eux  [15] ou encore des parcours universitaires,
transmission de « trucs et astuces » et favo-
risation des échanges. Pour les patients comme « l'université de patients » à Paris [16, 17].
intervenants comme pour les soignants, la
co-animation semble bénéfique (EVA à 7,5
et 9,5/10, respectivement). Bien que difficile
à mettre en place, cette démarche mérite
d'être valorisée.
Fonctionnement
en interdisciplinarité
• limites : L'éducation se pratique en équipe, rassemblant
– pour le professionnel de santé : médecins, soignants et autres partenaires (assis-
– la nécessité de partager le pouvoir, tantes sociales, éducateurs sportifs, patients
– le changement d'habitude et de posture, ou représentants d'association, etc.). Le fonc-
– le manque de compétence pour cette nou- tionnement de cette équipe peut relever de
velle collaboration, divers concepts, comme la pluri-, l'inter- ou la
– le temps imparti, ­transdisciplinarité. Ces mêmes mots se déclinent
– le manque de formations spécifiques en en professionnalité : pluri-, inter- et transprofes-
ETP, sionnalité.
– le sentiment d'une « compétition » entre le Si la pluridisciplinarité implique une juxtapo-
patient expert et certains paramédicaux, sition des tâches, l'interdisciplinarité suggère des
– la nécessité de coopter un patient avec qui il interactions fortes entre les acteurs. Au-delà, la
sera possible de travailler ; transdisciplinarité demande une intégration des
– pour le patient expert : savoirs. La figure  12.1 résume la progression,
– la difficulté de communiquer avec le même depuis la disciplinarité vers la transdisciplinarité,
langage, permettant une meilleure compréhension du réel
– la disponibilité limitée à participer réguliè- dans toute sa complexité [18].
rement à la vie d'un programme, Le terme d'interdisciplinarité paraît convenir
– les limites psychologiques et émotionnelles le mieux pour qualifier le fonctionnement d'une
liées au fait de côtoyer davantage la mala- équipe dans le domaine de l'éducation thérapeu-
die et les malades, tique [19]. Il en existe de nombreuses définitions.
– le fait de se faire connaître d'autres patients, Nous proposons celle élaborée par Hébert  [20]  :
difficile dans certaines pathologies sociale- « Une équipe interdisciplinaire consiste en un

133
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

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Compréhension de la complexité du monde


Figure 12.1 Continuum entre disciplinarité et transdisciplinarité.
Source : adapté de Valentine V. L'interdisciplinarité dans le projet Mumur in Utero [Internet]. Disponible en ligne sur :
http://www.corps.fiction.uqam.ca/valentine_metaphore.htm et repris dans : de la Tribonnière X, Gagnayre R.
L'interdisciplinarité en éducation thérapeutique du patient : du concept à une proposition de critères d'évaluation. Educ
Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ. 2013 ; 5 : 163-76, et de la Tribonnière X. Mesurer et améliorer
l'interdisciplinarité dans le cadre de formations d'équipes soignantes à l'éducation thérapeutique. Santé Éducation 2014 ;
2 : 19–22.

regroupement de plusieurs intervenants, ayant Au cours de cet exercice, l'équipe prend


une formation, une compétence et une expérience conscience des atouts sur lesquels elle peut s'ap-
spécifiques, qui travaillent ensemble à la com- puyer : le sentiment d'appartenance à l'unité, la
préhension globale, commune et unifiée d'une cohésion, la culture commune en ETP, le plai-
personne, en vue d'une intervention concentrée sir de travailler ensemble, l'ambiance positive,
à l'intérieur d'un partage complémentaire des le peu de tensions dans l'équipe, la volonté de
tâches. L'interdisciplinarité exige une synthèse progresser ensemble, l'implication de tous, un
et une harmonisation entre les points de vue qui bon niveau de formation en ETP (formations
s'intègrent en un tout cohérent et coordonné. » individuelles, formation-action), etc. (enca-
Nous préférons parler d'interdisciplinarité dré 12.3).
plutôt que d'interprofessionnalité car, dans une Les pistes d'amélioration suivantes sont fré-
équipe d'éducation thérapeutique, se côtoient quemment mises en évidence :
­plusieurs disciplines  : sciences médicales, mais • la construction du programme en équipe et
également humaines, sociales, pédagogiques, avec des patients ou leurs représentants. La pré-
administratives, etc. De plus, bien qu'ils ne soient sence de patients ou d'associations de patients
pas des professionnels, des patients, qualifiés ou est d'ailleurs un atout important dans la forma-
non d'experts, et des associations de patients s'as- tion d'une équipe ;
socient au processus de développement de l'ETP • la détermination précise du rôle de chacun et la
et y jouent souvent un rôle majeur. reconnaissance par tous de ce rôle ;
Soulignons à ce propos que l'interdisciplina- • la formalisation de temps dédiés à l'ETP et la
rité relève d'une véritable « philosophie de vie mise en évidence des ressources humaines et
professionnelle », pourvoyeuse de sens, d'ouver- matérielles y attenant. Des temps pour l'édu-
ture et de bienveillance vis-à-vis de soi-même cation peuvent ainsi être prédéfinis avec des
et des autres. Ce processus nourrit d'ailleurs le plages horaires d'entretien d'ETP, assurées par
concept du « soi professionnel » qui allie créati- des soignants ;
vité, flexibilité, habileté, compétence et satisfac- • l'existence de réunions d'équipe, parfois sur
tion au travail. l'ETP ;
Des critères d'interdisciplinarité ont été définis • des liens formalisés avec d'autres secteurs hos-
(tableau 12.1) [19, 21]. Ils peuvent aider les équipes pitaliers (pharmacie, etc.) et avec l'extérieur
à s'interroger, afin d'améliorer le travail commun (appartements thérapeutiques, réseaux, asso-
(fiche pratique 32). ciations de patients, etc.) ;

134
Chapitre 12. Notion d'équipe

Tableau 12.1 Liste de critères d'interdisciplinarité classés en quatre domaines


Domaines Le programme, L'équipe en ETP La communication La formation en ETP
sa construction,
son déploiement
Critères  Co-construction en  Cohésion, respect,  Facilité à  Niveau personnel
équipe, avec des patients/ confiance communiquer de compétence
associations de patients  Culture commune en  Réunions d'équipe en ETP
 Ressources humaines et ETP ± ETP  Taux de formations
matérielles suffisantes  Taille réduite de  Supports communs individuelles des
 Temps dédié à l'ETP l'équipe et disponibles pour membres de
 Rôle défini de chacun et  Implication homogène l'ETP l'équipe
connu de tous des médecins et  Dossier médical  Existence d'un plan
 Connaissance commune paramédicaux informatisé, annuel de formation
du programme  Leadership fort et existence d'un en ETP
 Autoévaluation en équipe démocratique module d'ETP  Ancienneté de
 Sentiment de  Peu de tensions dans et appropriation l'expérience
reconnaissance par l'équipe et possibilité  Liens avec la ville personnelle en ETP
l'institution, le pôle, le de les exprimer et/ou des  Existence d'une
département, l'unité  Plaisir de travailler associations de formation–action
 Dynamique de recherche ensemble patients d'équipe
 Architecture rassemblée  Autonomie par rapport
à la hiérarchie
Source : de la Tribonnière X, Gagnayre R. L'interdisciplinarité en éducation thérapeutique du patient : du concept à une proposition de critères
d'évaluation. Educ Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ 2013 ; 5 : 163–76.
ENCADRÉ 12.3

Exemple de l'utilisation de la grille d'interdisciplinarité dans deux équipes [22]


Un médecin et une infirmière travaillant res- d'interdisciplinarité se sont avérées nettement
pectivement dans des services de soins inten- plus élevées dans le service d'algologie que
sifs – assistance respiratoire prolongée (UARP) dans celui de l'UARP. Ceci s'explique facilement
et algologie – ont ressenti la nécessité d'inter- par le fait que, dans le service d'algologie, l'édu-
roger le concept d'interdisciplinarité dans leur cation thérapeutique est au cœur même de la
équipe. Elles ont utilisé la grille d'interdisci- prise en charge des patients, ceux-ci étant hos-
plinarité proposée dans la fiche pratique  32. pitalisés pour des séances d'ETP. Au contraire,
Elles sont toutes les deux coordonnatrices d'un à l'UARP, ce projet s'intègre dans une prise en
programme concernant respectivement l'assis- charge globale et ne concerne que certains
tance respiratoire et la douleur chronique. patients. Ceux-ci sont atteints de pathologies
Les autoquestionnaires ont été distribués dans très diverses et de gravité différente. Il est
les deux services  : 21  questionnaires ont été difficile de prendre en charge simultanément
recueillis à l'UARP (correspondant à trois méde- des pathologies aiguës et chroniques, donc
cins, quatre aides-soignants, treize infirmières de réaliser l'éducation thérapeutique avec des
diplômées d'État ou IDE et un cadre de santé) patients de soins intensifs. L'équipe est donc
et huit questionnaires en algologie (six  IDE, globalement moins impliquée, et certaines per-
deux médecins). Le recueil des questionnaires sonnes le sont davantage que d'autres.
rempli a été important (taux respectif de retour Des pistes d'amélioration dans les deux services
de 65 et 100 %). Le thème proposé correspon- ont été définies lors de réunions d'équipe.
dait donc à une préoccupation de chacun. Le Source : Programme d'ETP « Être autonome avec
temps nécessaire pour le remplissage du ques- mon assistance respiratoire ». Équipe de réanima-
tionnaire était de l'ordre de 10  à 15  minutes, tion médicale, CH Lapeyronie, CHU Montpellier.
ce qui paraît raisonnable. Dans les deux cas, Coordonnateur : Docteur V. Moulaire-Rigollet et
des scores d'interdisciplinarité par domaine ont Madame P. Reverbel (IDE). Programme d'ETP « Édu-
cation du patient douloureux chronique ». Équipe
été établis permettant une analyse et une com-
du Centre d'évaluation et de traitement de la dou-
paraison entre les deux services. D'emblée, les leur, CH St-Eloi–Gui-de-Chaulliac, CHU Montpellier.
valeurs obtenues pour l'ensemble des critères Coordonnateur : Madame D. Tonnerre (IDE).

135
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

• l'implication réelle des médecins, ceux-ci étant Assumer cette posture de leader, c'est aussi
souvent un peu en retrait dans le processus ; être en capacité de réguler les conflits potentiels
• l'existence d'un dossier médical informatisé entre les différents membres de l'équipe. Cette
interdisciplinaire ; obligation d'arbitrage est essentielle afin de ne
• un leadership équilibré, c'est-à-dire porteur pas détourner chacun de l'objectif visé, de ne pas
d'énergie, d'enthousiasme et de persévérance, nuire à la performance des uns et des autres dans
avec le souci démocratique de prendre en la concrétisation du projet. Enfin, un leadership
compte l'avis de tous pour des décisions parta- équilibré est facteur de pérennité du programme
gées ; d'ETP.
• une reconnaissance de l'ETP par l'institution Ainsi, le leader mène le projet d'ETP, ancré
et/ou par le pôle ou le département ; dans la réalité des situations vécues par l'équipe.
• des formations individuelles en ETP avec Parallèlement, il fait la part belle aux idées et
un plan prévisionnel de formation pour les impulsions de chacun dans le projet. Il s'agit
membres de l'équipe, et surtout une formation bien là de bâtir ensemble et de contribuer à la
en équipe : c'est un atout majeur pour améliorer construction de compétences collectives propres
l'interdisciplinarité. à l'ETP (voir chap.  13, Compétences et forma-
tions en ETP). L'expérience nous montre que
dans les établissements de santé, le médecin res-
Leadership et programme d'ETP ponsable ou le cadre de santé de l'unité, même
s'ils ne sont pas les coordinateurs du programme,
L'ETP se conçoit en équipe, autour du patient. Il assument cette tâche de mobiliser l'équipe autour
n'en reste pas moins qu'un leadership est néces- du projet d'ETP. Ce choix est le plus souvent
saire. conditionné par leur statut institutionnel qui
La racine étymologique des termes anglo- leur confère une légitimité. Il n'en demeure pas
saxons lead, leader et leadership est lead, qui moins que ces personnes et le coordonnateur du
signifie chemin ou route, le verbe leaden voulant programme doivent questionner leur leadership
dire voyager. Le leader est par conséquent, celui (encadré 12.4).
qui marche en tête et qui indique le chemin [23]. Nous choisissons de résumer ce concept par la
Il s'agit bien de la faculté à pouvoir mener les définition suivante  : « Le leadership est un pro-
hommes vers un objectif [24]. cessus d'influence sociale par lequel un individu
D'un point de vue opérationnel, cela revient à amène un groupe à atteindre des objectifs. Il n'im-
répondre à la question  : « Y a-t-il un pilote dans plique pas seulement le fait de faire faire quelque
l'avion ? » Si cette sentence peut paraître triviale, elle chose à d'autres individus, mais également (ce
est néanmoins incontournable. En effet, toutes les qui n'est pas le cas pour les relations d'autorité)
fois qu'il est nécessaire de coordonner et de réguler la capacité à changer l'attitude des membres du
des efforts simultanés et convergents, un coordina- groupe, à les mobiliser et à entraîner leur adhé-
teur s'impose. Celui-ci exerce son rôle à l'identique sion à des buts communs. De ce fait, le leader doit
d'un leader à partir du moment où il sait interroger savoir susciter les motivations et entraîner ceux
le « comment faire ensemble ? » et qu'il met son cha- qui le suivent bien plus que les diriger de manière
risme au service du projet d'ETP à construire. autoritaire. » [26]
La notion de charisme est centrée sur la per- Ainsi, le leader est un « chercheur d'équilibre »
sonne du leader et conditionne sa manière d'agir, qui utilise son leadership comme « processus d'in-
sa relation aux autres. Celui-ci se doit d'être doté fluence sociale » pour aider à la pratique de l'ETP
de caractéristiques telles que la détermination par le collectif, au profit du patient.
d'arriver à ses fins, un sens social affirmé, une Le leadership est parfois assumé par un repré-
réceptivité aux idées et expériences nouvelles, une sentant d'association de malades, dans le cadre
fiabilité inconditionnelle. Son leadership dans la d'un programme porté par cette structure. Plus
concrétisation du projet s'exprime par sa capacité rarement, la coordination est portée par un
à créer et partager une vision, à déléguer et mobi- binôme au profil original tel professionnel de
liser chacun dans sa réalisation. santé–représentant associatif (encadré 12.5).

136
Chapitre 12. Notion d'équipe

ENCADRÉ 12.4

ENCADRÉ 12.5
Témoignages de trois cadres de Le binôme partenaire, un
santé exerçant une fonction de modèle de coproduction patient–
leadership au sein de programmes professionnel de santé [27]
d'ETP [25] Un médecin et une dirigeante de l'Asso-
Lors d'une enquête qualitative au CHU de ciation nationale de défense contre l'ar-
Montpellier, la place du cadre en tant que thrite rhumatoïde (ANDAR) coordonnent
leader d'équipe a été interrogée. Nous pré- en duo, depuis 2012, un programme pour
sentons ci-dessous quelques verbatim, en des personnes souffrant de polyarthrite
réponse à la question, « En tant que cadre rhumatoïde. Cette collaboration équili-
de santé, quelle place prenez-vous dans la brée est représentative des nouvelles rela-
construction et dans la mise en œuvre du tions entre les professionnels de santé et le
programme d'ETP autorisé dont vous avez mouvement–patient dont la mutation rend
la charge en tant que coordonnateur ? » : archaïque l'image du soignant tout-puissant.
� « Il s'agit pour moi d'un objectif person- Le binôme a appris à travailler ensemble.
nel. » Le principe de la décision médicale parta-
� « Aller jusqu'au bout, en faire un exemple gée est appliqué, basé sur un respect et une
d'aboutissement du travail aux yeux des reconnaissance des compétences de cha-
soignants. » cun. Le binôme intervient régulièrement
� « Il a fallu que je sois derrière chacun des dans des colloques et mène, notamment,
soignants comme une vendangeuse. (…) Ça des recherches sur la formation des patients
a été mon rôle. » intervenants.
� « En tant que cadre de santé, je suis le Source : Programme d'ETP « Bien vivre avec sa
capitaine du bateau, (…) dans le même polyarthrite rhumatoïde ». Équipe de rhumatolo-
bateau, je vais mener l'équipe à bon port. » gie, CH Lapeyronie, CHU Montpellier. Coordon-
nateurs : Docteur J.-D. Cohen, Madame S. Tropé
� « Je fais le lien dans l'équipe, le soignant
(ANDAR).
est dans le faire, je dois l'amener à l'analyse
du faire ».
Au travers des différents entretiens menés,
le rôle prépondérant du cadre de santé est
mis en exergue dans la construction ou la [7] Gross  O, Gagnayre  R. What expert patients report that
mise en œuvre sur le long terme d'un tel they do in the French health care system, and the compe-
projet. tencies and personality traits required. Éduc Thérapeutique
Patient - Ther Patient Educ 2014 ; 6 : 20104.
[8] Rapport Compagnon. Pour l'an  II de la démocratie
sanitaire [Internet], In  : 2014. p. 259 disponible sur
Références internet. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_
DEF-­version17-02-14.pdf. Paris.
[1] Mucchielli  R. Le travail en équipe   : clés pour une [9] Pomey MP, Flora L, Karazivan P, et al. Le « Montreal
meilleure efficacité collective. 13e  éd hiron  : ESF model »  : enjeux du partenariat relationnel entre
Éditeur ; 2012. p. 203. patients et professionnels de la santé. Sante Publique
[2] Fournier C. Travailler en équipe autour du patient. 2015 ; S1 : 41–50 [HS].
Paris : Table ronde. Congrès de l'AFDET ; 2012. [10] Chauvin  F. Entretien avec Raymond Merle, patient
[3] Wintz L, Sannié T, Ayçaguer S, et al. Patient resources expert, devenu formateur puis chercheur Propos
in the therapeutic education of haemophiliacs in recueillis. In : Santé Éducation ; 2014 ; 3 : 25–9.
France : their skills and roles as defined by consensus [11] Baillet  AS, Gagnayre  R, de Andrade  V, et  al.
of a working group. Haemoph Off J World Fed Éducation thérapeutique et responsabilité juridique
Hemoph 2010 ; 16(3) : 447–54. des équipes soignantes dans le cadre de la loi Hôpital,
[4] Grimaldi A. Patient expert ou patient ressource ? In : Patient, Santé, Territoire de juillet 2009, Du devoir
Lettre du Cancérologue. 2014. p. 48–9. du médecin au droit du patient. Éduc Thérapeutique
[5] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Apprendre à éduquer le Patient - Ther Patient Educ 2011 ; 3 : S207–15.
patient   : approche pédagogique. In  : 5e  éd Paris  : [12] Ledain B. La place des patients dans l'évaluation des
Maloine ; 2016. p. 170. programmes d'ETP. Santé Éducation 2015 ; 3 : 14–7.
[6] Gross  O. Les caractéristiques de l'identité profes- [13] Cohen  J-D, Tropé  Chirol S. Les patients dans les pro-
sionnelle du patient-expert. Communication orale. grammes d'ETP. Rev Rhum Monogr 2013 ; 80 : 197–201.
1er Colloque international sur la recherche en éduca-
[14] Reach  G. Une critique du concept de
tion thérapeutique du patient : « De la pratique à la ­patient-­éducateur. The concept of lay-led educatio-
recherche en éducation thérapeutique du patient  : nal programmes : a critical appraisal. Médecine des
aspects méthodologiques ». 29 janvier 2015. Paris. Maladies Métaboliques 2009 ; 3 : 89–94.

137
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

[15] Flora  L. Le patient formateur   : nouveau métier de soignantes à l'éducation thérapeutique. In  : Santé
la santé ? Comment les savoirs expérientiels de l'en- Éducation. 2014 ; 2 : 19–22.
semble des acteurs de santé peuvent relever les défis [22] Moulaire  V. Améliorer l'interdisciplinarité au sein
de nos systèmes de santé. In : Presses Académiques d'une équipe  : est-ce possible ? [Mémoire de DU
Francophones, 2015. p. 700. ETP]. Montpellier, 2015.
[16] Tourette-Turgis  C. L'éducation thérapeutique du [23] Kets de Vries MK de. La face cachée du leadership.
patient : la maladie comme occasion d'apprentissage. 2e éd Éditions Pearson ; 2010. p. 346.
Bruxelles : de Boeck ; 2015. [24] Meyfret  S. Gagnez en impact – Développez votre
[17] Hervier B, Magar Y, Allab F, et al. Intervention des charisme, votre leadership et votre influence. 2e  éd
patients dans l'animation d'un programme d'édu- Paris : Eyrolles ; 2014. p. 182.
cation thérapeutique dédié au lupus systémique  : [25] Ait El Mahjoub B. « Si l'ETP m'était conté », la place
définitions, mise en place et bénéfices. Rev Médecine du cadre de santé et la mise en débat des pratiques
Interne 2015 ; 36 : 645–50. d'éducation thérapeutique [Mémoire de Master 2
[18] Valentine V. L'interdisciplinarité dans le projet Analyse du travail]. CNAM ; 2014.
Mumur in Utero [Internet]. Disponible en ligne sur : [26] Lévy-Leboyer  C, Louche  C, Rolland  JPRH. les
http://www.corps.fiction.uqam.ca/valentine_meta- apports de la psychologie du travail. Tome 1 : mana-
phore.htm. gement des personnes. Paris  : Éditions d'Organisa-
[19] de la Tribonnière  X, Gagnayre  R. L'interdiscipli- tion ; 2006. p. 495.
narité en éducation thérapeutique du patient   : du [27] Tropé  S, Cohen  JD. La coproduction patients-­
concept à une proposition de critères d'évaluation. professionnels de santé, une autre façon de penser la
Educ Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ relation de soins. In  : Au-delà de la maladie et des
2013 ; 5 : 163–76. problèmes psychosociaux : co-production, valorisa-
[20] Hebert  R. Définition du concept de l'interdiscipli- tion des savoirs expérientiels et évaluation de la dif-
narité. Communication au colloque « De la multi- férence. 5e édition Sherbrooke, Québec, Canada : des
disciplinarité à l'interdisciplinarité ». 4  avril 1997. rencontres scientifiques universitaires Sherbrooke–
Québec. Montpellier ; 2015.
[21] de la Tribonnière  X. Mesurer et améliorer l'inter-
disciplinarité dans le cadre de formations d'équipes

138
Compétences et Chapitre 13
formations en éducation
thérapeutique
du patient

Compétences pour pratiquer 2 août 2010 [2] précisent les compétences requises


pour dispenser l'ETP, ce texte est modifié par le
l'ETP décret et l'arrêté du 31  mai 2013  [3]. Ce dernier
décrit, de façon plus fine et opérationnelle, les
Définition de la compétence compétences requises pour d'une part dispenser
Plusieurs définitions existent. Nous prenons le l'ETP, d'autre part la coordonner.
parti de choisir celle émise par Wittorski  : « La Ces compétences sont réparties en trois
compétence correspond à la mobilisation dans domaines : technique, relationnel et pédagogique,
l'action d'un certain nombre de savoirs com- ainsi que socio-organisationnel. Leur définition
binés de façon spécifique en fonction du cadre est issue d'un important travail mené par l'Insti-
de perception que se construit « l'auteur » de la tut national de prévention et d'éducation pour la
situation. »  [1] En d'autres termes, la compé- santé (INPES) chargé d'élaborer un référentiel de
tence consiste à pouvoir répondre à une situation compétences en ETP [1].
concrète et complexe en matière de savoir, savoir- Un prolongement de ce travail a permis en juin
faire, savoir-être et savoir agir. 2013 la publication par l'INPES d'un référentiel
Une compétence est acquise par l'expérience, pour les praticiens, pour dispenser l'ETP dans
par une formation initiale ou continue, ou mieux le cadre d'un programme  [4] et d'un autre pour
par les deux. Elle a, de plus, besoin d'un terrain les coordonnateurs  [5]. Ces référentiels sont des
propice, de moyens matériels et d'une reconnais- compléments aux annexes  1 et  2 de l'arrêté du
sance d'autrui (notamment de l'encadrement et 31 mai 2013. Ils aident le praticien ou le soignant,
de l'institution) pour être réellement et complète- le coordonnateur ou le pilote, à faire son autoéva-
ment opérationnelle. luation pour repérer les points où il identifierait
Pour qualifier une compétence, on débute sou- un manque de compétences. Ce questionnement
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vent par la périphrase : « la personne est capable aboutit soit à définir un besoin de formation
de… » en considérant la situation dans sa globa- complémentaire, soit à chercher, parmi les autres
lité. Du fait de son caractère concret, une compé- membres de l'équipe, une ou des personnes qui
possèdent les compétences en question et peuvent
Pratiquer l’éducation thérapeutique

tence est également évaluable.


agir en complément vis-à-vis du patient.

Référentiel de compétences Compétences nécessaires


en ETP pour pratiquer l'ETP
Si dans le prolongement de la loi « Hôpital patient Les situations décrites dans le décret de 2013 sont
santé territoire » (HPST), le décret et l'arrêté du au nombre de six (figure 13.1).

139
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

Situation 1
Créer un climat
favorable
à l’ETP

Situation 6
Coévaluer avec le patient, les Situation 2
pratiques et les résultats de la Les situations Analyser avec le patient sa
démarche d’ETP situation, ses pratiques de santé et
convenir de ses besoins en ETP

Situation 3
Situation 5 S’accorder avec le patient et son
Mettre en œuvre le plan d’action entourage sur les ressources
avec le patient et son entourage nécessaires pour s’engager dans un
Situation 4 projet et construire avec lui un plan
Se coordonner avec les différents d’action
acteurs de la démarche d’ETP pour
déployer les activités

Figure 13.1 Situations significatives rencontrées dans la pratique de l'ETP.


Source : inspiré de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (INPES). Référentiel de compétence des
praticiens en ETP. 2011. Disponible en ligne sur : http://www.inpes.sante.fr/referentiel-competences-ETP/pdf/referentiel-
praticien.pdf ; illustration reprise de : Sandrin B, Chauvin F. Compétences pour pratiquer et coordonner l'éducation
thérapeutique : les nouveaux textes officiels sont arrivés  ! Santé Éducation 2013 ; 1 : 29–31.

Compétences nécessaires pour les responsables, les gestionnaires, les directions


coordonner un programme d'ETP de centres, à la gestion des aléas quotidiens et,
de manière sous-jacente, aux financements ;
La coordination s'évalue aussi à travers six situa- • initier et faire vivre une dynamique commune
tions (figure 13.2). dans l'équipe pour articuler des compétences
complémentaires, construire des connaissances
Compétences d'équipe en ETP et savoir-faire au fur et à mesure des réalisa-
Dans ses travaux susnommés, l'INPES définit tions, créer des démarches et outils communs ;
cinq compétences collectives d'une équipe [1] : • créer des liens avec les partenaires extérieurs,
• construire l'équipe  : faire connaissance, se faire appel à d'autres professionnels qui vont
reconnaître mutuellement, trouver sa place s'inscrire dans un fonctionnement collectif,
dans l'équipe, apprendre à connaître ses parte- les connaître et les reconnaître, et mettre en
naires, pouvoir faire entendre son point de vue place des démarches pour maintenir des liens
et respecter le point de vue des autres ; constants.
• donner un même cadre à l'équipe pluridiscipli-
naire : un langage commun autour de l'ETP, des Exemple d'outil d'évaluation
connaissances et savoir-faire partagés par tous des compétences du soignant-
les membres de l'équipe, une organisation col-
lective de la démarche d'ETP, la connaissance
éducateur
du rôle de chacun ; Le centre hospitalier universitaire (CHU) de
• prendre le temps des rencontres, des échanges Montpellier a choisi de doter les professionnels
pour construire le collectif, s'organiser, favo- impliqués dans la prise en charge éducative d'un
riser la communication régulière entre les outil d'évaluation de leurs compétences, nommé
membres de l'équipe, se former, participer aux Passeport de compétences en ETP [6]. Basé sur le
réunions, et tout simplement exercer l'ETP. Le principe de l'autoévaluation, ce support permet à
rapport au temps renvoie inévitablement aux chaque personne de faire le point à titre individuel
négociations indispensables avec les collègues, sur ses compétences en ce domaine.

140
Chapitre 13. Compétences et formations en éducation thérapeutique du patient

Situation 1
Constituer une équipe
transversale autour d’une
démarche d’ETP

Situation 6
Communiquer sur l’expérience de Situation 2
l’équipe d’ETP, par oral et par écrit Analyser le contexte et concevoir
une démarche d’ETP
Les situations

Situation 3
Situation 5
Organiser et conduire une démarche
Évaluer et faire évoluer la
d’ETP
démarche et les pratiques d’ETP

Situation 4
Animer et coordonner les acteurs
de l’ETP, suivre le déroulement de
la démarche d’ETP

Figure 13.2 Situations significatives rencontrées pour la coordination d'une démarche d'ETP.


Source : inspiré de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (INPES). Référentiel de compétence pour les
coordonnateurs de programme. 2011. Disponible en ligne sur : http://www.inpes.sante.fr/referentiel-competences-ETP/
pdf/referentiel-praticien.pdf ; illustration reprise de : Sandrin B, Chauvin F. Compétences pour pratiquer et coordonner
l'éducation thérapeutique : les nouveaux textes officiels sont arrivés ! Santé Éducation 2013 ; 1 : 29–31.

L'outil s'inspire de la déclinaison très précise des Ainsi cet outil d'autoévaluation se veut une aide
compétences en ETP issue de l'arrêté du 31  mai à l'analyse des pratiques professionnelles en ETP
2013 [3]. Il propose aux professionnels de les interro- (fiche pratique 33).
ger à partir de leur pratique du moment, mais aussi Les réflexions personnelles des professionnels
à partir de leurs différentes expériences antérieures peuvent enrichir l'analyse réalisée par l'équipe
et de leur cursus de formation initiale et continue. à l'occasion des autoévaluations annuelles et de
Par ce passeport, l'autoévaluation constitue une l'évaluation quadriennale du programme.
démarche personnelle que le professionnel peut En dehors de ces aspects réglementaires, le pas-
entreprendre pour mettre en valeur ses savoirs en seport de compétences peut se révéler avant tout un
matière d'ETP. Celle-ci contribue à valoriser ce formidable viatique de reconnaissance d'un savoir-
que sait faire et fait le professionnel dans sa pra- faire  : une reconnaissance à différents niveaux,
tique de l'ETP. De même, elle l'aide à repérer ses personnel, collectif et institutionnel dont tout pro-
manques et de faire des choix stratégiques pour fessionnel a besoin. Une validation des acquis en
les combler. Ceux-ci mis en évidence peuvent être ETP par une unité transversale pour l'éducation du
comblés par un relais au sein de l'équipe ou par patient (UTEP) ou une unité transversale d'éduca-
l'amélioration des compétences personnelles par tion thérapeutique (UTET) est ainsi envisageable.
le biais de la formation continue.
Cet outil s'adresse autant aux praticiens en
ETP qu'aux coordonnateurs. Pour ces derniers, il
s'agit bien de s'interroger sur leur savoir-faire en
Formations continues en ETP
matière d'ETP concernant l'animation et la coor-
dination d'une équipe employée à la réalisation
Niveaux des formations
des prises en charges éducatives. Par l'intermé- en ETP [2, 7]
diaire de ce professionnel, ce sont les pratiques Les recommandations de la Haute Autorité de
collectives qui sont interrogées et par là même santé (HAS) classent la formation professionnelle
réajustées si besoin. en ETP en niveaux :

141
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

• Sensibilisation : sensibilisation à l'ETP (congrès, conduite de réunion, d'animation de groupe, de


enseignements post-universitaires, réunions, communication, de pédagogie, d'utilisation de
lectures, etc.) ; moyens didactiques, etc. ?
• niveau 1  : formation de base d'au moins
40 heures en ETP ; Stratégie de formation
• niveau 2 : formation approfondie en ETP (for- La formation des professionnels de santé nécessite
mation d'au moins 70 heures, ou diplôme d'uni- la mise en œuvre d'une réelle stratégie qui prenne
versité sur l'ETP) ; en compte les besoins et les ressources de ces pro-
• niveau 3 : expertise en ETP (master ou doctorat fessionnels.
en ETP). La décision de formation d'un ou des membres
Le contenu des formations n'est pas prévu par d'une équipe gagne à être prise en concertation
le législateur. Cependant, des propositions de avec tous afin que la cohésion et la cohérence
critères de qualité ont été émises sur les thèmes générales soient maintenues. Elle s'inscrit alors
suivants  : compétences visées des participants, dans une perspective de projet d'équipe, autour
compétences et expertises des formateurs, apport du patient.
d'exemples concrets d'ETP, prise en compte du Si le décret de 2010 prévoyait la formation de
transfert des acquis sur le terrain, compétences en base d'au moins une personne dans l'équipe pour
évaluation, suivi de formation, recueil de la satis- qu'un programme éducatif soit autorisé, l'arrêté
faction, validité par le suivi des recommandations du 14 janvier 2015 demande maintenant à ce que
officielles et la recherche actualisée en ETP [8]. tous les membres de l'équipe d'ETP soient formés,
Les formations de niveau 1 peuvent se faire sur au moins dans les 2 ans, y compris le coordonna-
6 jours consécutifs ou en modules de 2 ou 3 jours, teur [10]. La formation ciblée dans l'arrêté de 2015
ou également sous la forme de journées étalées sur est implicitement celle des 40 heures. Cette nou-
quelques mois, sur site. velle exigence va dans le sens d'une augmentation
Les professionnels qui animent ces formations du niveau de compétence collective en ETP et de
s'aident souvent d'outils pédagogiques vidéo, la diffusion de la culture d'ETP dans l'équipe au
comme ceux contenus dans le DVD créé par sens large du terme. Dans ces conditions, la qua-
l'INPES [9]. lité est optimisée et le projet a toutes les chances
de rester pérenne. De plus, les soignants-éduca-
Analyse des besoins de formation teurs ne risquent pas de se sentir isolés au sein du
dans une équipe groupe. À l'inverse, le risque de cette mesure est
Avant de s'engager dans une formation en ETP, il de circonscrire la pratique de l'ETP à quelques-
convient de répertorier et d'analyser les besoins uns formés, excluant par là même les autres pro-
en formation des personnes concernées dans fessionnels de l'équipe. Heureusement, certaines
l'équipe : ARS considèrent qu'il est légitime que des pro-
• les compétences qu'il s'avère nécessaire d'acqué- fessionnels n'ayant pas suivi une formation de
rir. Cela demande la réalisation d'un état des niveau 1 puissent participer à des actions éduca-
lieux prenant en compte les expériences anté- tives, sous condition qu'ils soient accompagnés
rieures et les formations initiales et continues par un autre soignant dûment formé. Il convient
des professionnels, ainsi que la motivation de donc de rester vigilant à ne pas enclaver la pra-
chaque membre de l'équipe. Le passeport de tique de l'ETP dans une sous-équipe restreinte.
compétences en ETP sus-décrit permet une
évaluation individuelle à ce niveau (voir plus Offres de formations en ETP
haut, Exemple d'outil d'évaluation des compé- L'offre de formation est diverse et variée. Elle peut
tences en ETP) ; émaner :
• le niveau d'engagement de ces professionnels • du plan de formation continue interne à l'éta-
dans le projet  : membres de l'équipe projet blissement de santé ;
et/ou soignants éducateurs et/ou animateurs • d'organismes extérieurs, assurant des forma-
d'ateliers collectifs. Par exemple  : qui, dans le tions financées par le service de la formation
service, est compétent en matière de gestion, de continue ou par d'autres partenaires (tels que

142
Chapitre 13. Compétences et formations en éducation thérapeutique du patient

les firmes pharmaceutiques ou organismes connaissances et des compétences. L'EPP, éta-


privés). Dans ce dernier cas, il convient de res- blie par la loi de 2004, consiste en l'analyse de
ter vigilant sur les contenus qui doivent rester la pratique professionnelle en référence à des
éthiques et dans le cadre défini par la HAS. recommandations selon une méthode élaborée et
En guise d'exemple, nous proposons le plan de validée par la HAS ; elle inclut la mise en œuvre
formation en ETP 2016 du CHU de Montpellier et le suivi d'actions d'amélioration des pratiques
(fiche pratique 34). (figure 13.3) [14].
Il s'agit d'une obligation individuelle qui s'ins-
Dispositif de développement crit dans une démarche permanente. Elle favo-
rise un décloisonnement entre les professionnels
professionnel continu (DPC)
médicaux et paramédicaux.
appliqué à l'ETP [11, 12] Le professionnel de santé satisfait à son obliga-
Les décrets du 30 décembre 2011 de la loi HPST tion de DPC en participant, au cours de chaque
définissent le développement professionnel année civile, à un programme de DPC collectif
continu (DPC) et le contenu de l'obligation des annuel ou pluriannuel.
professionnels  [13]  : « Le DPC comporte l'ana- Ce programme doit :
lyse par tous les professionnels de santé de leurs • être conforme à une orientation nationale ou
pratiques professionnelles ainsi que l'acquisition régionale ;
ou l'approfondissement de connaissances ou de • comporter une des méthodes et des modalités
compétences. » Cette démarche prend en compte validées par la HAS après avis des commissions
les priorités de santé publique définies au niveau scientifiques ;
national et régional, et la maîtrise médicalisée des • être mis en œuvre par un organisme enregis-
dépenses de santé. Elle a pour but l'amélioration tré auprès de l'organisme gestionnaire du DPC
de la qualité et de la sécurité des soins. (OGDPC). En l'occurrence, beaucoup d'établis-
En d'autres termes, le principe du DPC est de sements de santé sont eux-mêmes enregistrés
réunir dans un concept commun les notions de comme OGDPC.
formations professionnelles continues et d'éva- Sur le thème de l'ETP, un programme de DPC
luation des pratiques professionnelles (EPP). doit permettre de [15] :
La formation professionnelle continue a pour • perfectionner ses connaissances/compétences
objectif l'entretien et le perfectionnement des lors d'une séquence consacrée telle qu'une

acquisition / approfondissement
des analyse des pratiques
connaissances / compétences

Développement
Professionnel
Continu

suivi des actions d’amélioration


de la qualité et de la sécurité des
soins

Figure 13.3 Développement professionnel continu (DPC) : deux activités, trois temps.


Source : Haute Autorité de santé (HAS). DPC & Pratiques – numéro spécial du 18 juin 2013.

143
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

f­ ormation, un congrès, l'obtention d'un diplôme ces derniers peut, à terme, constituer un cas d'in-
universitaire (DU), etc. ; suffisance professionnelle.
• évaluer ses pratiques professionnelles lors
d'une séquence explicite, par exemple, par la
­participation à des réunions de concertations Formation–action d'équipe [17–19]
pluridisciplinaires (RCP), des revues de morta- Il s'agit d'une formation sur site assurée pour tous
lité-morbidité (RMM), des staffs, des EPP, etc. ; les membres d'une équipe travaillant habituelle-
• mettre en place des actions d'amélioration et en ment ensemble, ou d'une partie importante de cette
assurer leurs suivis. équipe, autour du projet commun de co-construc-
Les documents requis pour participer à une tion ou d'optimisation d'un programme éducatif.
démarche de DPC pour l'ETP sont les sui- Elle se déroule en général sur 4 à 6 jours, répar-
vants [16] : tis sur une période de 6 mois à 1 an.
• le programme d'ETP autorisé par l'ARS sous Les professionnels appelés à participer sont
sa forme écrite ; l'existence d'un dossier d'ETP en général entre 8 et 15. Ils représentent tous les
papier ou informatique avec le suivi du BEP ; corps de métier intervenant dans l'équipe, comme
l'écriture de fiches pédagogiques concernant des médecins, infirmiers, aides-soignants, phar-
la réalisation de séances individuelles et collec- maciens et préparateurs en pharmacie, psy-
tives ; chiatres, psychologues, diététiciens, assistants
• le rapport d'autoévaluation annuelle du pro- sociaux, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, ani-
gramme d'ETP dans lequel est impliqué le pro- mateurs sportifs, secrétaires… sans oublier un ou
fessionnel de santé ; des patients/aidants ou représentants associatifs
• les attestations de formation ou de perfection- de patients. La présence de ces derniers est essen-
nement relatives à l'ETP et aux thèmes concer- tielle pour vraiment co-construire. Elle constitue
nés par le programme. également un élément parfois modérateur, sou-
En termes de traçabilité, il est demandé de : vent stimulant, pour l'ensemble de l'équipe (enca-
• décrire son implication dans le programme de dré  13.1 ; voir chap.  12, Le patient acteur  dans
DPC en renseignant chaque année un bilan l'équipe).
individuel d'activité (intégrant notamment la Cette formation d'équipe présente plusieurs
participation à l'autoévaluation annuelle du avantages :
programme) ; • elle offre un moment privilégié pour l'équipe de
• assurer la traçabilité de ses actions en gardant se retrouver et de prendre le temps d'échanger,
par-devers soi tous les documents justificatifs de créer de nouveaux savoirs et de nouveaux
susceptibles d'être demandés. Par exemple  : outils, d'analyser ensemble des situations com-
pratiques de l'ETP auprès de patients, rapport plexes, de décider ensemble et de co-construire.
d'autoévaluation annuelle du programme Ces moments sont très appréciés, car ils sont
d'ETP, comptes rendus de réunion, attesta- rares ;
tions de participation aux réunions, fiche de • elle donne l'occasion d'expérimenter ensemble
suivi d'actions d'amélioration, attestation de des techniques pédagogiques particulières
présence à une formation, résultats d'évalua- (jeux de rôle, etc.) ;
tion, adaptation du programme d'ETP, actua- • elle favorise l'obtention rapide de consensus ;
lisation de son contenu, suivi d'indicateurs, • elle fédère l'équipe autour d'un projet dans
etc. lequel tout le monde va se retrouver et définir sa
Pour les médecins, les pharmaciens ou les place et ses fonctions ;
chirurgiens-dentistes, l'OGDPC responsable du • elle est un formidable activateur d'un fonction-
cursus de formation transmettra une attestation nement en interdisciplinarité, appelé par la pra-
à l'Ordre départemental de la profession concer- tique de l'ETP autour du patient ;
née (responsable du contrôle de cette obligation). • elle permet de diffuser une culture de l'ETP
Pour les établissements de santé, la Direction des dans l'équipe et d'harmoniser le niveau des
affaires médicales trace le suivi du DPC des pro- compétences de chacun. Les compétences
fessionnels. Le manquement à cette obligation de d'équipe telles que définies par l'INPES en

144
Chapitre 13. Compétences et formations en éducation thérapeutique du patient

ENCADRÉ 13.1

Exemple d'une formation–action en maison de santé pluridisciplinaire [19]


En 2010, l'ETP constituait un projet impor- tion collective et l'évaluation. Le coût de cette
tant pour la maison de santé pluridisciplinaire formation a été pris en charge par le fonds
(MSP) de Savenay (près de Nantes en Loire-­ alloué par l'ARS des Pays de Loire au pôle de
Atlantique). Mais malgré la motivation de tous, ressources en ETP.
des freins à l'organisation étaient constatés. Les évaluations en fin de formation ont été très
Une formation–action assurée par l'instance positives  : satisfaction entre 3,5 et 3,9 sur 4,
régionale d'éducation et de promotion de la progression du sentiment de compétence pour
santé (IREPS) Pays de Loire, a été décidée au deux tiers des participants, progression dans la
printemps 2011 sur trois jeudis, entre 13  et compréhension de l'ETP, l'avancée du projet, et
18 heures. Elle a réuni trois des cinq médecins la dynamique du travail ensemble.
généralistes, un angiologue, quatre infirmières Selon les participants, les principaux atouts de
et deux diététiciennes. Sur le thème des risques cette formation sont liés au fait qu'elle se soit
cardiovasculaires (accident cardiovasculaire, déroulée au sein de la MSP et qu'elle ait été
surpoids, hypertension artérielle, tabagisme, adaptée à leurs besoins. Elle a aussi permis à
diabète, etc.), plusieurs axes ont été travaillés : l'équipe de mieux se connaître. Quelques ver-
remettre en question le sens du projet basé sur batim :
le « changement des comportements » au pro- � « Je pensais, avant cette formation, que  ce
fit de « l'acquisition de compétences » par les serait compliqué de prendre le temps de faire
patients ; la conduite du diagnostic éducatif et de l'ETP dans ma pratique quotidienne [et
des séances éducatives ; le parcours du patient. maintenant que] c'est tout à fait faisable
La formation s'est poursuivie à l'automne 2012, ­durant les consultations ».
par des observations non participantes de deux � « 
[Certains faisaient] trop de bla-bla [ou
séances collectives avec retour vers le groupe, ­essayaient] de donner des bons conseils à leurs
et par l'abord d'autres thèmes : le concept de patients [et maintenant, ils veulent faire] parti-
compétences, la construction d'outils d'anima- ciper les patients en proposant plus d'outils. »

seront renforcées (voir plus haut, Compétences


d'équipe en ETP) [1] ;
Formations initiales en ETP
• elle développe la motivation à travailler La formation initiale des étudiants en ETP se
ensemble, l'envie de s'investir et de créer, et est développe de plus en plus et constitue un levier
une opportunité de reconnaissance pour cha- essentiel pour la diffusion d'une culture édu-
cun ; cative.
• elle favorise la cohésion du groupe dans les acti-
vités de soins, bien au-delà de l'ETP ;
Études en soins infirmiers
• elle est un moment de convivialité et de plaisir à
se retrouver. Le nouveau programme d'études des infirmiers
Cette formation présente aussi quelques incon- s'articule depuis 2009 autour de dix compétences.
vénients : La compétence numéro 5 est relative à l'ETP : ini-
• elle est lourde à mettre en place et nécessite tier et mettre en œuvre des soins éducatifs et pré-
un gros effort d'organisation. Libérer autant ventifs [20].
de professionnels au même moment est dif- En voici le détail [20] :
ficile ; • repérer les besoins et les demandes des per-
• elle s'applique à un projet d'ETP sur une patho- sonnes et des populations en lien avec les pro-
logie donnée et n'aborde donc pas des spécifici- blématiques de santé publique ;
tés pédagogiques, liées à d'autres pathologies ou • accompagner une personne, ou un groupe de
d'autres types de patients. personnes, dans un processus d'apprentissage
La formation–action n'en demeure pas moins pour la prise en charge de sa santé et de son
un complément très puissant des formations indi- traitement ;
viduelles en ETP. En général, elle marque l'équipe • accompagner une personne dans un processus
dans son histoire. décisionnel concernant sa santé : c­ onsentement

145
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

aux soins, comportement vis-à-vis de la également en priorité. Des méthodes de pédago-


santé… ; gie active sont utilisées. Mais surtout, la rencontre
• concevoir et mettre en œuvre des actions de avec des patients qui racontent leur expérience
conseil, de promotion de la santé et de pré- de vie avec la maladie est le facteur le plus appré-
vention répondant aux besoins de populations cié, ces échanges impactant durablement les étu-
ciblées ; diants [21, 24, 25].
• conduire une démarche d'éducation pour la L'autre difficulté est le temps nécessaire à cet
santé et de prévention par des actions pédago- enseignement, d'une part pour les enseignants,
giques individuelles et collectives ; car ils sont en général peu nombreux, d'autre part
• concevoir, formaliser et mettre en œuvre une pour les étudiants qui ont un curriculum déjà
démarche et un projet d'éducation thérapeu- très fourni. Mais beaucoup s'accordent à dire que
tique pour une ou plusieurs personnes ; l'ETP est une priorité.
• choisir et utiliser des techniques et des outils Une organisation a été mise en place à la faculté
pédagogiques qui facilitent et soutiennent l'ac- de médecine de Montpellier à l'automne 2015, et
quisition des compétences en éducation et pré- est présentée en guise d'exemple dans la fiche pra-
vention pour les patients. tique 35.
On considère classiquement qu'un infirmier,
ayant terminé ses études en 2012, a acquis des
compétences en ETP comme un professionnel
Enseignement en pharmacie [26]
de santé qui aurait réalisé une formation de et en maïeutique
niveau 1 (40 heures). Il est certain qu'il manque À part les études en soins infirmiers, celles
à ces jeunes professionnels une pratique et une de pharmacie sont les seules où un enseignement
expérience qu'ils acquerront petit à petit. Les de l'ETP est rendu obligatoire, à raison d'une
investir d'emblée dans la pratique de l'ETP au durée de 20 heures pour tous les étudiants, quelle
sortir de leurs études risquerait de les mettre en que soit la filière. La réforme des études recom-
difficulté. Il conviendra de les tutorer quelque mande même de proposer un deuxième volet
temps. de 20  heures plus spécifiquement destiné aux
étudiants des parcours d'orientation profession-
nelle (POP) officine et hôpital, avec des mises en
Études universitaires en santé situation, ce qui est déjà appliqué dans certaines
facultés et recommandé par l'Académie nationale
Enseignement en médecine de pharmacie. Il est par ailleurs envisagé, à très
[21–23] court terme, de mettre en place des sessions de
La formation initiale en ETP des étudiants en formation commune avec les autres professions
médecine se met en place progressivement dans de santé, afin d'articuler les interventions des dif-
plusieurs facultés en France, mais de façon assez férents acteurs de santé et d'anticiper les interven-
hétérogène. tions en réseau de santé, au sein de programmes
La question actuelle est de définir les com- ambulatoires ou ville-hôpital.
pétences que l'on souhaite voir acquérir par les Les mêmes réflexions s'appliquent à l'ensei-
futurs médecins. Cette réflexion devrait être gnement initial en maïeutique. Des expériences
menée en fonction du référentiel de compétences ça où là existent mais sont encore peu dévelop-
inscrit dans le décret de mai 2013. pées.
Toujours est-il que la tendance actuelle est
de privilégier le développement d'une prise en Autres études en santé
charge holistique de la personne, intégrant les
aspects médicaux, psychologiques, sociaux et à l'instar des compétences attendues au décours
pédagogiques. L'histoire de vie dans la maladie des études en soins infirmiers, des réflexions
plutôt que l'histoire de la maladie dans la vie est sur les compétences attendues du kinésithéra-
privilégiée. La posture éducative est enseignée peute existent et des applications pratiques sont

146
Chapitre 13. Compétences et formations en éducation thérapeutique du patient

en train de se mettre en place dans plusieurs développement des projets socioéducatifs ». Ces
endroits [27, 28]. professionnels ont des compétences reconnues
En dehors de ces cas, il n'existe pas en 2015 de en termes d'« information et conseil à des tiers
référentiel de compétences en ETP pour les for- dans leur domaine d'activité » renforcées par
mations initiales concernant les psychologues, les des savoir-faire comme « la conduite d'entretien
diététiciens, les aides-soignants. Mais des cours en d'aide » et « le travail en équipe ». Ces pratiques
ETP sont assez souvent délivrés dans ces différents donnent aux assistantes sociales toute légitimité
domaines, sans se référer à un abaque préétabli. dans les prises en charge éducatives en équipe du
Cependant, il est possible d'aborder le sujet par patient.
le biais des compétences métiers qui sont pour Ainsi, l'éducation thérapeutique peut être par-
leur part bien définies. C'est ainsi qu'en se réfé- tagée et travaillée entre professionnels médical,
rant aux répertoires des métiers de la fonction paramédical et social.
publique  [29], ergothérapeutes et diététiciens
présentent des compétences en « éducation thé-
rapeutique pour le patient et son entourage dans
le cadre du projet de soin, relatif à leur domaine Enseignement interdisciplinaire
d'activité ». Ces compétences sont étoffées d'un
savoir « travailler en équipe ou en réseau ». Ces Des enseignements interdisciplinaires com-
métiers sont d'ailleurs classés dans la famille des mencent à se développer dans les facultés et les
« soins de rééducation ». écoles de santé, soulignant la nécessité pour les
Pour sa part, le métier d'assistante sociale est futurs professionnels de mieux se connaître et de
classé dans la famille « Social, éducatif et culturel, commencer à travailler ensemble avant même la
sport et loisirs » et plus finement « conception et fin de leurs études (encadré 13.2).
ENCADRÉ 13.2

Exemple d'un séminaire interprofessionnel pour des étudiants en santé


et en sciences sociales [30]
Créé à Rennes en 2009 par Françoise Annézo, peutes, assistants sociaux, ergothérapeutes,
alors coordinatrice du réseau Diabète  35, le diététiciens, orthophonistes, pharmaciens,
séminaire Apprendre à travailler ensemble est éducateurs de jeunes enfants et podologues.
aujourd'hui porté par l'Association française Sa particularité étant d'être entièrement
pour le développement de l'éducation théra- conçu et animé par une équipe composée d'un
peutique (AFDET). Ce séminaire expérimen- formateur de chaque institut présent, il s'agit
tal, rassemblant des étudiants en formation donc d'une conception collective et collégiale.
initiale dans différentes filières des champs Outre les universités et instituts concernés, les
de la santé et du social, en était en 2014 à sa partenaires institutionnels sont les agences
7e édition et a déjà eu lieu à Rennes, Besançon, régionales de santé (ARS), les conseils régio-
Créteil et Lille. naux, les unions régionales des professionnels
Il repose sur trois piliers, éléments indispen- de santé (URPS), la Mutualité sociale agricole
sables du « travailler ensemble » : se rencontrer, (MSA), etc.
se connaître ; réfléchir et penser e ­nsemble ; Ce séminaire expérimental apparaît comme
construire, agir ensemble. Le thème de l'ETP précurseur de cette démarche. Il va continuer
y est abordé. de vivre dans les lieux où il existe déjà, et
Il est généralement organisé sous la forme devrait être mis en place dans d'autres terri-
de trois sessions de 2  jours consécutifs, réali- toires. Le souhait serait qu'il soit intégré à la
sées à 2 ou 3 mois d'intervalle. Il réunit envi- formation initiale des différentes professions
ron 100  étudiants sur la base du volontariat, des champs de la santé et du social. Il s'agirait
aux profils divers  : sages-femmes, médecins donc de passer d'une phase expérimentale à
généralistes, infirmiers, masseurs-kinésithéra- un enseignement à l'interprofessionnalité.

147
Partie V. Équipe interdisciplinaire et formations en éducation thérapeutique du patient

Références [13] Décret no 2011-2116 du 30 décembre 2011 relatif au


développement professionnel continu des médecins.
[1] Institut national de prévention et d'éducation à la [14] Décret no 2005-346 du 14 avril 2005 relatif à l'évalua-
santé (INPES). Élaboration d'un référentiel de com- tion des pratiques professionnelles.
pétences en éducation thérapeutique du patient ;
2011. Disponible en ligne sur http://www.inpes. [15] Thebaut. Développement professionnel continu, pré-
s a nt e . f r/re fe re nt ie l- c omp e t e nc e s -E T P/p d f /­ sentation sur le DPC. Collège HAS, Organismes de
referentiel-coordination.pdf. DPC ; 21 mars 2013.
[2] Décret no 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux condi- [16] Haute Autorité de santé (HAS). Développement pro-
tions d'autorisation des programmes d'éducation fessionnel continu (DPC). Fiche méthode. Mise en
thérapeutique du patient. œuvre de l'éducation thérapeutique. HAS ; mai 2014.
mise à jour janvier 2015.
[3] Décret no 2013-449 du 31 mai 2013 relatif aux com-
pétences requises pour dispenser ou coordonner [17] de la Tribonnière X, Pennel MP, Carillo C. Intérêt
l'éducation thérapeutique du patient. des formations-actions pour favoriser l'interdisci-
plinarité, nécessaire à la mise en place des pro-
[4] Institut national de prévention et d'éducation à la grammes ETP : expérience de la formation Myriade
santé (INPES). Référentiel de compétence des prati- ETP dans le champ du VIH. In : Santé Éducation ;
ciens en ETP ; 2011. Disponible en ligne sur  http:// 2012 ; 2 : 2–5.
www.inpes.sante.fr/referentiel-competences-ETP/
pdf/referentiel-praticien.pdf. [18] Chauvin F. Comment susciter puis accompagner les
changements de pratiques professionnelles ? In  :
[5] Institut national de prévention et d'éducation à la santé Santé Éducation ; 2015 ; 2 : 16–9.
(INPES). Référentiel de compétence pour les coordonna-
teurs de programme ; 2011. Disponible en ligne sur [19] Lamour P, Michenaud J. Comment, par des forma-
http://www.inpes.sante.fr/referentiel-competences-ETP/ tions actions, soutenir le développement de l'éduca-
pdf/referentiel-coordination.pdf. tion thérapeutique dans les maisons de santé
pluridisciplinaires : l'exemple de Savenay. In : Santé
[6] Ait El Mahjoub B, Trousselard M, Belleil M, et al. Un Éducation ; 2014. p. 16–8.
passeport de compétences individuelles en ETP à
l'usage des professionnels. Proposition du CHU de [20] Arrêté du 31  juillet 2009 relatif au diplôme d'État
Montpellier. Congrès Santé Éduc, 13-14 février 2014. d'infirmier.
[7] Haute Autorité de santé (HAS). Structuration d'un [21] Fabre  S, de la Tribonnière  X, Visier  L, et  al.
programme d'éducation thérapeutique du patient Enseignement initial en ETP en étude de santé : de la
dans le champ des maladies chroniques. In : Guide mise en place à la création d'un curriculum basé sur
méthodologique. : HAS ; 2007. p. 109. Disponible en les compétences requises en ETP. 5e  Congrès de la
ligne sur  http://www.has-sante.fr/portail/upload/ Société européenne d'éducation thérapeutique
doc s/appl ic at ion /pd f /e t p_-_ g u ide _version _ (SETE) ; juin 2014 Paris.
finale_2_pdf.pdf. [22] Jaffiol C, Corvol P, Reach G, et al. Rapport sur l'édu-
[8] Gagnayre R, d'Ivernois JF. Pour des critères de qua- cation thérapeutique du patient (ETP), une pièce
lité des formations (niveau 1) à l'éducation thérapeu- maîtresse pour répondre aux nouveaux besoins de la
tique du patient. Éduc Thérapeutique Patient - Ther médecine. In  : Académie Nationale de Médecine ;
Patient Educ 2014 ; 6 : 10401. 2014. p. 23.
[9] Vincent I. Une boîte à outils pour les formateurs en [23] De la Tribonnière  X, Fabre  S, Jourdan  N, et  al.
éducation du patient. ADSP ; 2009. p. 35–6. Proposition d'un enseignement optionnel en ETP
pour les étudiants en médecine, équivalent à une for-
[10] Arrêté du 14 janvier 2015 relatif au cahier des charges mation de niveau  1 (40  heures). In  : Congrès de
des programmes d'éducation thérapeutique du ­l 'AFDET ; février 2016. Paris.
patient et à la composition du dossier de demande de
leur autorisation et de leur renouvellement et modi- [24] Pomey MP, Flora L, Karazivan P, et al. Le « Montreal
fiant l'arrêté du 2 août 2010 modifié relatif aux com- model »  : enjeux du partenariat relationnel entre
pétences requises pour dispenser ou coordonner patients et professionnels de la santé. Santé Publique ;
l'éducation thérapeutique du patient. 2015. p. 41–50 S1(HS) .
[11] CHU de Montpellier. Fascicule sur « Le Développement [25] Flora L. Le patient formateur : nouveau métier de la
Professionnel Continu des médecins, pharmaciens et santé ? Comment les savoirs expérientiels de l'en-
odontologistes au CHU de Montpellier ». 2013. semble des acteurs de santé peuvent relever les défis
de nos systèmes de santé. Presses Académiques
[12] Haute Autorité de santé (HAS). Évaluation et amé- Francophones ; 2015. p. 700.
lioration des pratiques. Développement profession-
nel continu. Méthodes et modalités de DPC. HAS ; [26] Académie nationale de pharmacie. « Éducation thé-
janvier 2015. mise à jour. rapeutique du patient. ». In  : Recommandations ;
2013. p. 3.

148
Chapitre 13. Compétences et formations en éducation thérapeutique du patient

[27] Conseil de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes. [Mémoire de fin d'étude de masseur-kinésithéra-


Masseurs kinésithérapeutes et éducation thérapeu- peute]. 2015 Montpellier.
tique. 2011. p. 57. [29] Ministère de la Santé et des Solidarités. Répertoire
[28] Larribe Monery M. Compétences des masso-kinési- des métiers de la fonction publique hospitalière et
thérapeutes en éducation thérapeutique du patient réingénierie des diplômes des professionnels de
(ETP). Analyse des pratiques professionnelles au santé ; 2012.
cours d'un programme hospitalier de restauration [30] Annezo  F. Apprendre à travailler ensemble en for-
fonctionnelle du rachis agréé ETP par l'ARS mation initiale. In : Santé Éducation 2014 ; p. 23–5.

149
Principes Chapitre 14
de l'évaluation

L'évaluation consiste à mesurer l'écart qui existe gramme. Des patients ou des associations de
entre une situation concrète et une norme que patients doivent être associés au processus [7].
l'on prend pour référence, afin de pouvoir prendre
une décision et agir.
Avant d'élaborer une évaluation, il s'agit de se
poser les questions suivantes [1–6] : Quels sont les « objets »
ou « sujets » à évaluer ?
L'objet d'évaluation est ce sur quoi porte l'éva-
Pour quoi faire ? luation. Dans le cadre de l'ETP, les « sujets » ou
« objets » de l'évaluation sont triples :
S'agit-il d'une évaluation normative (pour amé- • le patient ;
liorer) ou évaluative (pour prouver) ? Ce dernier • les professionnels et l'équipe ;
champ sera abordé dans le chapitre 18, Évaluation • le programme lui-même.
et recherche en ETP. Le processus évaluatif est multifactoriel et inter-
Suite à une évaluation normative, des ajuste- dépendant. Aussi, il agit en « cascade », l'évalua-
ments seront décidés au décours. Cependant, rap- tion du patient interagissant sur celle de l'équipe
pelons que ce processus reste subjectif et que les qui interagit sur celle du programme. La considé-
améliorations ne seront jamais parfaites. ration de la somme des évaluations des patients
et des soignants renseignera sur la fonctionnalité
du programme et pourra être intégrée dans cette
Quels types d'évaluation ? dernière évaluation. D'un certain point de vue, la
réciproque est vraie (encadré 14.2).
Il existe deux types d'évaluation qui rendent
compte de la différence entre ce qui était prévu au
départ et ce qui est réalisé à la fin (encadré 14.1) :
ENCADRÉ 14.1

• évaluation quantitative qui correspond à la Exemples de différences entre


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mesure d'un écart chiffré ; une évaluation quantitative


• évaluation qualitative qui explore la différence et qualitative
de nature. Dans un programme d'ETP, on peut comp-
Une évaluation mixte inclut les deux aspects
Pratiquer l’éducation thérapeutique

tabiliser le nombre de patients bénéficiant


dans le même processus. C'est cette méthode qui de séances collectives sur 1 an (quantitatif),
est choisie pour évaluer une démarche d'ETP. et recueillir l'avis de l'équipe sur l'amélio-
ration à apporter à l'organisation et au
contenu de ces mêmes séances (qualitatif).
Dans un questionnaire de satisfaction du
Qui fait l'évaluation ? patient, on peut évaluer sur une échelle
numérique, entre  0 et  10, le taux de satis-
faction (quantitatif) et donner un espace de
Elle est menée par l'équipe pluriprofessionnelle commentaire libre (qualitatif).
sous la responsabilité du coordonnateur du pro-

153
Partie VI. Évaluation de l'équipe et du programme

ENCADRÉ 14.2

ENCADRÉ 14.3
Exemple d'évaluations en cascade Exemple de critère et
Évaluer la satisfaction d'un patient sur le d'indicateurs d'évaluation
programme éducatif qu'il vient de termi- Dans un programme, la formation en ETP
ner renseigne sur son adhésion au proces- des professionnels investis est un critère
sus éducatif et sa volonté de poursuivre d'évaluation important. Les indicateurs
ses efforts. S'enquérir de la satisfaction des peuvent être le taux de personnes formées
soignants à pratiquer l'ETP dans leur pro- dans l'équipe d'ETP, et le taux de personnes
gramme renseigne sur leur implication dans nouvellement formées dans l'année en
ce projet. L'association de ces deux évalua- cours, ainsi que celles qui devront l'être
tions est un élément intéressant pour l'éva- l'année suivante. Ces trois indicateurs sont
luation de la pertinence du programme. les expressions concrètes choisies du critère
« formation en ETP ».

Quels sont les critères et les


indicateurs que l'on choisit

ENCADRÉ 14.4
Exemple d'un critère valide
d'évaluer ? Le critère de la participation à une séance
éducative collective est pertinent, car il
Un critère est un système de référence à partir renseigne sur son adéquation par rapport
duquel un jugement peut être formulé sur les qua- aux besoins habituels des patients. Il est fai-
sable, car il est facile de compter le nombre
lités ou les caractéristiques que « l'objet » de l'éva- de patients qui s'y inscrivent. Il est cohérent
luation doit idéalement posséder. avec la démarche éducative car le contenu
L'indicateur est la manifestation concrète de la séance amène beaucoup d'informa-
d'une réalité. Il peut être quantitatif ou qualita- tions et de possibilités d'explications et
tif. Il est en principe toujours relié à un critère. d'échanges entre les patients. Les indica-
teurs (nombre de personnes participant sur
Un bon indicateur devrait être simple, facile l'année ou par session, taux de participa-
à repérer ou calculer, reproductible, précis et tion par parcours éducatif, etc.) sont choisis
valide. avec la même exigence.
En somme, il existe entre un et plusieurs indi-
cateurs pour un critère. Dans la pratique, ces deux
termes sont souvent confondus (encadré 14.3). La même démarche doit être réalisée pour les
Le choix des critères et des indicateurs dépend indicateurs.
des «  sujets » ou «  objets » d'évaluation. Leur Les critères les plus courants pour mesurer
nombre peut être important. Aussi, il convient de un résultat ou un effet sont les suivants (enca-
les choisir avec minutie et parcimonie, afin d'être dré 14.5) :
le plus pertinent possible pour un minimum d'ef- • critère d'efficacité, avec comparaison des
fort et d'énergie dépensés à cette activité. Leur ­résultats par rapport aux objectifs de départ,
nombre doit être le plus faible possible pour un (évaluation qualitative et quantitative) : taux de
rendu maximal. réalisation du projet ;
Le choix du critère est parfois délicat et doit • critère d'efficience qui compare les résultats
être bien réfléchi (encadré  14.4). D'une manière obtenus par rapport aux ressources allouées
générale, trois caractéristiques doivent être véri- (moyens humains et matériels)  : activités par
fiées : rapport aux moyens, étude des coûts ;
• la pertinence du critère qui permet de rendre • critère de cohérence qui rend compte du
compte de la façon la plus large possible de la bien-fondé des activités menées au regard du
réalité du sujet ou de l'objet en question ; contexte interne et externe ;
• la faisabilité, notamment du recueil des infor- • critère de pérennité qui permet de voir si l'ac-
mations ; tion est durable et soutenable (c'est-à-dire si elle
• la cohérence  : par exemple, toutes les dimen- se poursuit de manière autonome sans appui
sions – et pas uniquement celles biomédicales – extérieur). C'est aussi la capacité des bénéfi-
du patient doivent être considérées. ciaires de pérenniser les actions menées.

154
Chapitre 14. Principes de l'évaluation

évaluatif soit important, il n'en reste pas moins


ENCADRÉ 14.5
Exemple de choix de critères pour que le temps et l'énergie qui y sont dévolus ne
un programme d'ETP doivent pas entamer excessivement ceux de l'ac-
Dans un programme d'ETP, un critère d'effi- tion elle-même. En d'autres termes, beaucoup
cacité serait le nombre de patients partici- d'auteurs conviennent arbitrairement que ce
pant sur 1 an aux activités éducatives et leur temps d'évaluation ne doit pas dépasser 10 % du
satisfaction à cette participation. En termes temps imparti au processus [9].
d'efficience, on pourrait prendre en compte
le temps passé par chaque professionnel
à cette activité et estimer l'adéquation en
rapport au critère d'efficacité vu ci-dessus.
Un critère de pérennité serait d'une part, Comment procéder ?
la capacité du programme à continuer à
exister dans le contexte actuel du soin et de La démarche du processus évaluatif doit être pen-
l'organisation de l'équipe, et d'autre part, sée dès le début de la mise en place du projet et
la capacité des patients à garder les béné-
être écrite. Une réécriture itérative sera nécessaire
fices de leurs acquis dans leur vie. Enfin,
un critère de cohérence serait l'adéquation pour coller à la réalité évolutive.
entre ce programme et les aspirations des Outre les animateurs du processus, les objets ou
soignants d'une part, et la réglementation sujets d'évaluation et les critères, il convient éga-
extérieure d'autre part. lement de choisir les méthodes et les outils d'éva-
luation qui permettront de mesurer les critères en
renseignant les indicateurs.
Des outils d'évaluation déjà employés par
Quelle est la différence entre d'autres équipes et qui ont prouvé leur effica-
cité peuvent être utilisés. Certains sont parfois
résultats, effets et impact ? [8] validés et bénéficient d'une publication scien-
Les résultats correspondent aux changements pro- tifique.
duits directement par l'action. La comparaison se Il est indispensable de prévoir une restitu-
fait avec les objectifs initiaux du programme. tion des résultats à l'équipe soignante et aux
Les effets rendent compte des incidences patients, et d'apporter les réajustements néces-
directes et indirectes de l'action, au-delà des résul- saires.
tats. Cela inclut aussi des dynamiques propres au
programme sans relation directe avec les objectifs
de départ. Les effets sont donc plus larges que les
résultats. Ils peuvent être anticipés, mais avec une Quand évaluer ?
marge d'incertitude.
L'impact de l'action correspond aux change- Que ce soit pour le patient, pour le soignant ou
ments à plus long terme sur un domaine plus pour le programme, l'évaluation doit être plani-
large. Ces changements prennent en compte des fiée au démarrage de la démarche pour :
facteurs extérieurs au programme et le temps • le patient : au départ lors du BEP, tout au long
qui passe. L'impact se juge donc à distance et du parcours éducatif et lors d'une évaluation
est difficilement prévisible (figure 14.1 et enca- finale en fin de programme (voir chap. 11, Éva-
dré 14.6). luations concernant le patient) ;
• les soignants  : en individuel, dans le cadre
d'autoévaluations personnelles (évaluation des
pratiques, atteintes d'objectifs personnels, etc.),
Quels sont les moyens dévolus ou en collectif, lors de temps définis en équipe,
à l'évaluation ? afin de faire le point pour évaluer la qualité des
interventions et réajuster ;
Ces moyens doivent être en rapport avec les • le programme : une fois par an (autoévaluation
moyens dédiés à l'action. Le dispositif d'évalua- annuelle) et tous les 4 ans (évaluation quadrien-
tion doit être réaliste. Pour autant que le temps nale).

155
Partie VI. Évaluation de l'équipe et du programme

s
effet
des
Zone Impact

Action Résultats

Evaluation Evaluation Evaluation Evaluation


ex-ante intermédiaire finale ex-post
Figure 14.1 Différences entre résultats, effets et impact.
Source : Graugnard G, Heeren N. L'évaluation de l'impact. Guide méthodologique. Prise en compte de l'impact et
construction d'indicateurs d'impact [Internet]. CIEDEL ; 1999. Disponible en ligne sur : http://www.agrhymet.ne/portailCC/
images/pdf/guideImpact

[5] Haute Autorité de santé (HAS). Évaluation qua-


driennale d'un programme d'éducation thérapeu-
ENCADRÉ 14.6

Exemple de résultat, effet et tique du patient  : une démarche d'auto-évaluation


impact d'un programme éducatif [Internet]. 2014. Disponible en ligne sur
http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1748115/fr/
Un résultat serait le nombre de personnes evaluation-quadriennale-d-un-programme-d-edu-
ayant suivi le programme éducatif sur 1 an. cation-therapeutique-du-patient-une-demarche-
Un effet correspondrait à l'estimation de d-auto-evaluation.
leur satisfaction. L'impact serait l'évalua- [6] Contandriopoulos AP, Champagne F, Denis JL, et al.
tion des modifications engendrées par le L'évaluation dans le domaine de la santé : concepts et
processus éducatif, dans la gestion de leur méthodes. Rev Epidemiol Santé Publique 2000 ; 48 :
maladie, au quotidien et à domicile. 517–39.
[7] Arrêté du 14 janvier 2015 relatif au cahier des charges
des programmes d'éducation thérapeutique du
Références patient et à la composition du dossier de demande de
leur autorisation et de leur renouvellement et modi-
[1] Deccache  A. Précautions et implications des choix fiant l'arrêté du 2 août 2010 modifié relatif aux com-
d'évaluation en éducation thérapeutique des patients. pétences requises pour dispenser ou coordonner
In : Démarches et méthodes. ADSP ; 2009. p. 26–8. l'éducation thérapeutique du patient.
[2] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Propositions pour l'éva- [8] Graugnard  G, Heeren  N. L'évaluation de l'impact.
luation de l'éducation thérapeutique du patient. Guide méthodologique. Prise en compte de l'impact
ADSP ; 2007. p. 57–61. et construction d'indicateurs d'impact [Internet].
[3] d'Ivernois  JF, Gagnayre  R. Apprendre à éduquer le CIEDEL  ; 1999. Disponible en ligne sur
patient  : approche pédagogique. 5e  éd. Paris  : http://ciedel.org/images/stories/docs/documenta-
Maloine ; 2016. p. 170. tion/Prise_en_compte_de_limpact__construction_
[4] Haute Autorité de santé (HAS). Auto-évaluation dindicateurs_dimpact.pdf.
annuelle d'un programme d'éducation thérapeu- [9] Skate R. Program evaluation, particularly responsive
tique du patient. Guide pour les coordonnateurs et evaluation. In  : Evaluation Models  : viewpoints on
les équipes [Internet]. Disponible en ligne sur  : educational and human services evaluation/student
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/appli- edition. Student. Boston  : Kluwer Academic
cation/pdf/2014-06/evaluation_annuelle_maj_ Publishers ; 1983. p. 423.
juin_2014.pdf

156
Évaluation Chapitre 15
des soignants
et de l'équipe

La vie de l'équipe est modifiée par la pratique Autoévaluation courte


éducative. Au fil du temps, il se produit un véri- du soignant
table changement culturel, tant individuel que
collectif. Le soignant peut la réaliser lui-même en quelques
Nous aborderons donc l'évaluation des minutes, à l'issue d'une séance éducative. Il répond
s­oignants et de l'équipe, ainsi que celle du à quelques questions explorant sa relation éduca-
­programme, celle du patient ayant déjà été trai- tive et réfléchit au degré de cohérence entre une
tée (voir chap.  11, Évaluations concernant le volonté de posture éducative et la réalité de ce qui
patient). s'est réellement produit (encadré 15.1).

Recueil de satisfaction de l'équipe


Critères des soignants
Cette enquête peut se faire par des questionnaires
Les critères possibles d'évaluation concernant les
ou des entretiens.
soignants sont variés :
Le questionnaire sera en général simple avec
• le nombre de soignants impliqués dans l'ETP
des questions ouvertes et fermées. Elles pour-
ou animant des séances collectives ;
ront porter sur le sentiment de satisfaction
• le nombre de soignants formés à l'ETP ;
• la qualité des interventions éducatives ;
• la qualité de la relation éducative ;
ENCADRÉ 15.1

• le degré de satisfaction du soignant et de Exemple d'autoquestionnaire


l'équipe par rapport au programme et à son du soignant
fonctionnement ;
� Je m'adresse directement au patient.
• le degré d'interdisciplinarité dans l'équipe, etc.
� J'ai une attitude ouverte, bienveillante et
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sans jugement.
� Je considère que le patient est un acteur
Méthodes et outils à part entière de la relation de soins.
� Je favorise l'expression du patient et son
Pratiquer l’éducation thérapeutique

entourage.
En pratique, nous proposons ici une liste non � J'aide le patient à trouver ses propres
exhaustive de méthodes et d'outils d'évalua- solutions.
tion. Leur choix doit faire l'objet d'un consen- � Je laisse un espace pour l'expression des
sus dans l'équipe et tenir compte du temps et émotions du patient.
� Je suscite chez le patient des besoins non
des moyens disponibles. Là aussi, il s'agit de identifiés jusque-là.
limiter l'énergie dévolue à ce processus pour un � Je considère l'entourage du patient.
rendu maximal.

157
Partie VI. Évaluation de l'équipe et du programme

globale, la place de chacun et celle perçue des Analyse des formations en ETP
autres collègues, le sentiment d'appartenance, de l'équipe
des propositions d'optimisation de l'organisa-
tion de l'équipe ou de nouvelles pratiques ou L'analyse des formations en ETP de l'équipe se fait
techniques éducatives, etc. La somme des éva- en précisant leur niveau (sensibilisation sans véri-
luations fera d'ailleurs partie de l'évaluation du table formation ; 1 pour les formations de base d'au
programme lui-même. Nous soulignons ici que moins 40 heures ; 2 pour les formations d'au moins
l'analyse de la satisfaction dépasse largement la 70 heures ou un DU ; 3 pour les masters ou docto-
pratique éducative et touche à la vie dans et de rats en ETP). L'arrêté du 14 janvier 2015 demande
l'équipe. à ce que tous les membres de l'équipe d'ETP soient
formés, y compris le coordonnateur, au moins
dans les 2 ans suite à la demande d'autorisation [1].
Staff interdisciplinaire Par ailleurs, une évaluation individuelle des com-
Le staff interdisciplinaire d'équipe autour de pétences est possible. Nous avons créé à l'UTEP
l'éducation est un moment partagé et régulier, du CHU de Montpellier, en collaboration avec le
dont les dates sont établies à l'avance et connues réseau des correspondants, un passeport de com-
de tous. Il permet de discuter du parcours édu- pétences qui est un support aidant à cette autoéva-
catif de certains patients. Ce moment peut être luation (fiche pratique 33 ; voir chap. 10, Passeport
aussi l'occasion de faire le point sur les activi- de compétences).
tés éducatives et la vie de l'équipe autour du
programme. Ce type de rencontre est essentiel
au bon déroulement de l'activité éducative en
Évaluation du fonctionnement
équipe. interdisciplinaire de l'équipe
Une liste de critères d'interdisciplinarité dans
Supervision de type Balint le champ éducatif est disponible et aide grande-
ment à voir les forces et les points à améliorer de
Elle permet d'exprimer les ressentis dans des l'équipe (fiche pratique 32) [2, 3]. L'hétérogénéité
accompagnements qui ne sont pas toujours des réponses de chaque participant souligne la
simples. Les frontières avec le soin sont ici diversité et la complémentarité des approches
poreuses. La présence du psychologue est alors professionnelles (voir chap.  12, Fonctionnement
précieuse. en interdisciplinarité).
La pratique de l'ETP, surtout dans le cadre d'un
Analyse des pratiques programme structuré, exige de l'équipe une orga-
professionnelles nisation spécifique, des remises en question, une
optimisation de l'efficacité des fonctionnements
C'est une méthode de groupe dont la méthodolo- de chacun dans le groupe, des lieux d'échanges,
gie est bien définie. Elle constitue une très bonne un respect, une éthique et un leadership démocra-
façon d'évaluer des compétences professionnelles tique. Ces conditions définissent l'interdiscipli-
en situation. Dans un groupe, une personne va narité, qui va au-delà de la pluridisciplinarité où
exposer une situation dont elle a été témoin ou chacun agit l'un à côté de l'autre, en ­juxtaposition.
actrice, et que le groupe s'entraîne à analyser. Cha- L'interdisciplinarité demande des interactions
cun va intervenir pour explorer la situation. Parmi fortes et donc des liens intenses de communi-
les différentes méthodes, la méthode GEASE cation. Un fonctionnement interdisciplinaire,
(groupe d'entraînement à l'analyse de situations notamment dans une pratique d'ETP, favorise
éducatives) a prouvé son efficacité (fiche pra- l'épanouissement dans sa fonction soignante de
tique 36). tout professionnel et réduit le risque de burnout [2].

158
Chapitre 15. Évaluation des soignants et de l'équipe

Références [2] de la Tribonnière X, Gagnayre R. L'interdisciplinarité


en éducation thérapeutique du patient : du concept à
[1] Arrêté du 14 janvier 2015 relatif au cahier des charges une proposition de critères d'évaluation. Éduc
des programmes d'éducation thérapeutique du Thérapeutique Patient - Ther Patient Educ 2013 ; 5 :
patient et à la composition du dossier de demande de 163–76.
leur autorisation et de leur renouvellement et modi- [3] de la Tribonnière X. Mesurer et améliorer l'interdis-
fiant l'arrêté du 2 août 2010 modifié relatif aux com- ciplinarité dans le cadre de formations d'équipes soi-
pétences requises pour dispenser ou coordonner gnantes à l'éducation thérapeutique. Santé Éducation
l'éducation thérapeutique du patient. 2014 ; 2 : 19–22.

159
Évaluation du Chapitre 16
programme éducatif

Principes est proposée à l'ARS qui instruit la demande de


renouvellement (voir plus loin, Évaluation qua­
driennale).
Pourquoi évaluer le programme
éducatif ?
Quoi évaluer ?
Le but de l'évaluation d'un programme en ETP est
de vérifier que l'action que l'on mène a des effets et On peut évaluer le processus lui-même et les
permet de mettre en évidence des voies d'amélio­ résultats obtenus par la mise en œuvre du pro­
ration. On s'intéresse donc au processus (le pro­ gramme. Dans le cadre d'un projet complexe, il
gramme) et aux effets. est classique de considérer sept critères d'éva­
luation. Ceux-ci sont questionnés par rapport à
Processus une norme déjà définie. Nous résumons dans le
La vie d'un programme est en perpétuel mouve­ tableau 16.1 la démarche générale.
ment, de même que celle des équipes qui le
portent. Des adaptations continuelles sont néces­ Comment pratiquer
saires pour que l'objectif final, qui est d'aider le cette évaluation ?
patient à mieux vivre et gérer sa maladie, soit
atteint. La loi HPST de 2009 et l'arrêté de 2015  [1, 2]
Aussi, ce temps engage les équipes et les coor­ prévoient de réaliser deux types d'évaluation, la
donnateurs à évaluer eux-mêmes et pour eux- première tous les ans et la seconde tous les 4 ans.
mêmes leur programme afin de prendre des déci­ Elles sont demandées à partir du moment où le
sions pour en améliorer la qualité et apporter des programme éducatif a été autorisé par l'ARS.
réajustements. C'est un temps pédagogique pour Nous allons envisager ces deux abords séparé­
l'équipe. ment en sachant que, là aussi, nous sommes dans
L'évaluation du programme repose sur une un processus complexe en cascade où les intersec­
analyse qualitative et quantitative. tions sont multiples. La figure 16.1 résume la com­
plémentarité de ces deux temps évaluatifs.
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Effets
De même, il est nécessaire de rendre compte à un
moment donné des effets obtenus, au regard des
moyens alloués. On les mesure alors selon un cer­ Autoévaluation annuelle
Pratiquer l’éducation thérapeutique

tain nombre de critères normés, biomédicaux et du programme éducatif


psychosociaux.
L'évaluation des effets du programme est Pourquoi une autoévaluation
demandée par la loi HPST et l'arrêté de 2015, annuelle ?
dans le cadre de l'évaluation quadriennale, 4 mois
avant la fin de la 4e année après la date d'autori­ L'autoévaluation est une démarche pédagogique
sation du programme  [1]. Si celui-ci fonctionne à usage interne au cours de laquelle le coor­
correctement dans son ensemble, sa poursuite donnateur et l'équipe évaluent eux-mêmes et

161
Partie VI. Évaluation de l'équipe et du programme

Tableau 16.1 Caractéristiques des critères pour e­ux-mêmes leur programme d'ETP  [3]. Ils
d'évaluation d'un programme éducatif émettent leur propre jugement sur l'objet évalué.
Cette autoévaluation est au service de l'améliora­
Évaluer On compare… On répond tion des pratiques et de l'organisation de la coor­
quoi ? à la question
dination. Elle met en évidence les points positifs,
Évaluation du processus décèle les difficultés, pour permettre à l'équipe qui
La pertinence Les objectifs aux La stratégie met en œuvre le programme d'ETP de l'améliorer
besoins choisie, les et de l'ajuster au cours de son développement.
objectifs fixés sont-
ils adaptés aux
besoins identifiés ?
La cohérence Les moyens aux Le programme
Comment réaliser l'autoévaluation
objectifs proposé, les annuelle ?
moyens humains
et financiers sont- La formalisation de cette autoévaluation s'appuie
ils adaptés aux sur plusieurs rencontres participatives des acteurs
objectifs fixés ? du programme intégrant un ou des patients.
La qualité Le programme Le programme Le produit de ces réunions alimente l'évaluation
mis en place à respecte-t-il les annuelle. Ce temps évaluatif devra être réalisé
un référentiel de critères de qualité pour la date anniversaire de l'autorisation.
qualité d'un programme Un guide émanant de la HAS en 2012 aide les
d'éducation équipes à réaliser ce travail  [3]. L'autoévaluation
thérapeutique ?
annuelle se décline en quatre étapes :
Le Ce qu'on a fait Les étapes se sont- • Étape 1, choix des objets et des critères d'évalua-
déroulement à ce qu'on avait elles déroulées
tion. Les objets se réfèrent à l'activité globale du
prévu de faire comme prévu ?
programme, au processus lui-même et à l'at­
Évaluation des effets teinte des objectifs prédéfinis du programme
L'efficacité Les objectifs Les objectifs ont-ils (tableau 16.2). Les critères proposés ne sont pas
atteints aux été atteints ? exhaustifs et ne sont pas forcément à prendre
objectifs fixés tous en compte ;
L'efficience Les résultats aux Les moyens • étape 2, recueil de données :
coûts mobilisés sont-ils – pour chaque critère, un recueil d'informa­
acceptables tions sera nécessaire. C'est ici que l'on prend
compte tenu des
résultats obtenus ? conscience de l'importance de prévoir à
l'avance l'étape de l'évaluation, car la collecte
L'impact La situation L'impact attendu
des données choisies se fait alors au fur et à
créée à la s'est-il produit ? Un
situation initiale impact non prévu mesure et de façon organisée. Un minimum
(changements est-il apparu ? de temps dédié est nécessaire,
produits)
Autorisation Demande de
du programme renouvellement
Evaluations annuelles Evaluations
du programme quadriennale

Poursuite du
programme
Réalisation et amélioration en continu
Elaboration du Actualisation
programme d’ETP du programme

Figure 16.1 Processus évaluatif d'un programme éducatif au cours du temps.


Source : Haute Autorité de Santé (HAS). Évaluation annuelle d'un programme d'éducation thérapeutique du patient : une
démarche d'auto-évaluation. Guide méthodologique pour les coordonnateurs et les équipes [Internet]. Disponible sur :
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-06/evaluation_annuelle_maj_juin_2014.pdf

162
Chapitre 16. Évaluation du programme éducatif

Tableau 16.2 Choix des critères en fonction des objets d'évaluation dans l'étape 1
Objets d'évaluation Exemple de critères (quantitatifs et qualitatifs)
Processus • Co-construction en équipe
• Co-construction avec un ou des patients
• Exploration des besoins des patients en amont de la construction
du programme
• Partage de l'information entre soignants
• Partage de l'information dans le parcours de soins
• Existence d'un dossier ETP par patient (informatisé)
• Existence d'un bilan éducatif partagé (BEP)
• Enchaînement des étapes éducatives
• Description des activités éducatives, fiches pédagogiques
• Prise en compte de l'entourage
• Coordination du programme
• Nombre de réunions pluridisciplinaires
• Intégration de patients dans le processus d'évaluation
• Description du processus d'autoévaluation en équipe

Les effets du En termes d'activité • Type de patients pouvant bénéficier du programme par rapport à la file
programme globale du programme active de patients susceptibles de bénéficier du programme
• File active de patients éduqués
• Caractéristiques démographiques de ces patients
• Nombre d'activités éducatives individuelles ou collectives
• Nombre d'objectifs éducatifs par patient
• Taux d'objectifs éducatifs atteints par patient
• Nombre de patients ayant refusé le programme
• Nombre de sorties prématurées de programme
• Nombre de patients dans la précarité
• Nombre de professionnels impliqués dans les activités éducatives
• Taux de formation à l'ETP des membres de l'équipe
• Connaissance du programme dans l'environnement local
• Courrier au médecin traitant
• Liens avec d'autres services, hôpitaux ou ville
• Prévisions budgétaires

En termes d'effets sur • Atteinte des objectifs éducatifs pour les patients et/ou l'entourage
les patients et l'équipe • Accessibilité du programme
• Satisfaction des patients et/ou de leur entourage, inclus dans le
programme
• Satisfaction des professionnels impliqués dans le parcours éducatif du
patient
Source : Haute Autorité de santé (HAS). Auto-évaluation annuelle d'un programme d'éducation thérapeutique du patient. Guide pour les
coordonnateurs et les équipes [Internet]. Disponible en ligne sur : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-06/evaluation_
annuelle_maj_juin_2014.pdf


les données peuvent être quantitatives etc.) ou qualitatives (existence d'un dossier
(nombre de patients engagés, nombre de ­éducatif, partage des informations, documents
séances éducatives, taux de satisfaction, de synthèses, lien avec le médecin traitant, etc.),

163
Partie VI. Évaluation de l'équipe et du programme

– dans ce cadre, la saisie des données sur un – à la suite de quoi, les membres de l'équipe
support informatisé, au mieux à partir d'un pourront discuter et décider des possibles
dossier éducatif informatisé, aide grandement actions de réajustement, avec une hiérarchi­
le travail. Des requêtes spécifiques renseignent sation (encadré 16.1) ;
automatiquement sur l'activité du programme, • étape 4, mise en œuvre des actions d'améliora-
– ce recueil peut aussi impliquer le remplissage tion  : à ce stade, il s'agit de s'accorder sur un
d'autoquestionnaires, des entretiens individuels, plan d'actions d'amélioration de la qualité du
des analyses de pratiques, des consultations de programme. Un calendrier des actions est utile.
dossiers sur un échantillon de patients… afin Un suivi régulier de l'avancement des change­
d'élargir la vision globale du processus et son ments est nécessaire tout au long de l'année.
examen par chacun, de la place où il se trouve, À l'issue de ce travail, le coordonnateur rédi­
– à la suite de ces recueils, la synthèse des gera, en concertation avec les autres membres de
données ouvrira à une discussion collective l'équipe, un rapport final qui sera par la suite lar­
pour une analyse pertinente. Cette dernière gement diffusé en interne. Les décisions d'optimi­
est renforcée si des patients y participent ; sation prises seront également rendues disponibles
• étape 3, identification des forces et des faiblesses auprès des patients et associations de patients.
du programme et hiérarchisation des choix Nous rapportons dans la fiche pratique 37, une
d'amélioration : aide à la rédaction d'un rapport synthétique d'au­
– à partir de l'analyse des données recueil­ toévaluation annuelle proposée par la HAS. Nous
lies, une liste de points forts et de points à proposons également dans la fiche pratique 38, un
améliorer pourra être établie. Il conviendra exemple de liste de critères demandés par l'ARS
notamment de repérer les critères sur lesquels du Languedoc-Roussillon pour l'autoévaluation
l'équipe peut agir directement, d'un programme autorisé.
ENCADRÉ 16.1

Une première autoévaluation d'un programme éducatif


Nous reprenons ici une partie des points listés par ficier d'ETP par manque de moyens humains,
une équipe de gastroentérologie en termes de de temps dédiés et d'ajustements de l'organi-
forces et de faiblesses et de réajustements envisa- sation.
gés pour leur programme destiné à des patients � Fréquentation des patients de la perma-
souffrant de maladies inflammatoires chroniques nence mensuelle de l'association François
de l'intestin (MICI). Aupetit (AFA) au sein du pôle digestif à opti-
miser.
Points forts
� ETP organisée : les séances coïncident avec Ajustements envisagés
un rendez-vous en imagerie médicale ou un � Expérimenter la participation de deux
traitement pour grouper dans la mesure du patients experts de l'association François
­
possible les venues du patient à l'hôpital. ­Aupetit (AFA) aux séances éducatives lors du
� Composition de l'équipe : multiprofession- dernier trimestre 2012 pour une officialisa-
nelle, intersectorielle =  médecin, infirmières, tion en 2013.
stomathérapeute, diététicienne. � Redéfinir l'organisation de la mise en
� Participation de patients à la mise en œuvre œuvre du programme (moyens humains et
et à l'évaluation du programme. Formation de matériels) afin d'en faire bénéficier davan-
deux patients experts en cours par l'association tage de patients.
de patients François Aupetit (AFA). � Poursuivre l'inclusion des patients dans un
� Approche globale de la personne et prise protocole national d'évaluation coordonné
en compte de ses besoins : utilisation de l'outil par le Groupe d'étude thérapeutique des
d'autoévaluation « étoile des 5 santés » affections inflammatoires du tube digestif
­
� Entourage pris en compte  : avec l'accord (GETAID)  : 10  patients inclus en juin, 20  à
du patient, celui-ci assiste et participe aux ­inclure d'ici décembre 2012.
séances d'éducation. Source : Programme d'ETP « EDUMICI ». Équipe du
pôle digestif, CH St-Eloi, CHU Montpellier. Coor-
Difficultés, points à améliorer donnateur : Docteur R. Altweg. Autoévaluation de
� Inadéquation de l'offre éducative par rap- 2012.
port à la file active de patients pouvant béné-

164
Chapitre 16. Évaluation du programme éducatif

Au niveau d'un centre hospitalier, une synthèse Dans de nombreuses régions, ce rapport d'acti­
peut être faite par l'UTEP pour estimer les aides vité inclut des éléments de l'autoévaluation, voire
nécessaires à déployer (encadré 16.2). se limite à cette dernière.
Le rapport d'activité est demandé selon l'ARS,
soit sur l'année civile du 1er janvier au 31 décembre,
Rapport annuel d'activité soit de date anniversaire à date anniversaire. Il
contient, notamment, des éléments quantitatifs
En plus de ces autoévaluations annuelles qui
comme la description de la file active des patients
portent sur la période annuelle suivant la date
inclus dans le programme.
anniversaire de la date d'autorisation, la régle­
mentation issue du décret du 2 août 2010 demande
à ce qu'un rapport d'activité du programme d'ETP Rapport annuel dans le cadre
soit transmis à l'ARS. du contrat pluriannuel d'objectifs
et de moyens (CPOM)
• Parallèlement au canevas évaluatif présenté
­ci-dessus, des demandes d'évaluation de l'ac­
tivité en ETP sont faites dans le cadre de la
ENCADRÉ 16.2

Une synthèse des autoévaluations


annuelles de 19 programmes justification des dotations complémentaires
éducatifs [4] dévolues à cette activité aux établissements
de santé, établies sous la forme de fonds d'in­
L'UTEP du CHU de Montpellier a réa- tervention régional (FIR) destinés à l'ETP
lisé, en 2014, une synthèse des auto­
évaluations de 2012 et 2013, émanant
(anciennement missions d'intérêt général ou
de 19  programmes éducatifs. La file MIGAC). Seules les activités ambulatoires sont
active globale était estimée à 4804 début ici considérées. La période s'étend du 1er  jan­
2014. Le nombre d'équivalents temps vier au 31  décembre. Les activités en hospi­
plein impliqués dans ces activités étaient talisation (complète, de semaine ou de jour)
de 30,3 (rapports paramédicaux/médi-
caux  : 2,8). Les points forts étaient les
n'entrent pas dans le champ des FIR ETP. De
suivants  : bonne structuration des pro- plus, les programmes de spécialités financés
grammes, ­ implication de patients dans par d'autres MIGAC ou enveloppes, comme la
la co-construction des programmes, réu- psychiatrie, la mucoviscidose ou la douleur, ne
nions d'équipe pour suivre le programme, sont pas concernés.
implications de nouveaux professionnels
dans l'équipe et formation en ETP, réalisa-
• Dans le cadre du CPOM 2014 et de la contrac­
tion de BEP. Les points à améliorer étaient tualisation des dotations finançant l'ETP, les
définis ainsi  : le traçage interprofession- critères émanant de la Direction générale de
nel des informations éducatives notam- l'offre de soins sont les suivants [5] :
ment par le biais du dossier informatisé, – file active de patients entrant dans le pro­
la poursuite de l'implication de nouveaux
professionnels dans l'équipe et leur for-
gramme d'éducation ;
mation, ­l'évaluation du patient et de sa – nombre de bilans d'éducation partagés (ou
satisfaction, l'implication de patients dans diagnostics éducatifs) initiaux réalisés ;
le processus évaluatif du programme, les – nombre de bilans remis aux médecins trai­
liens avec l'extérieur (médecin traitant et tants à l'issue du suivi d'un cycle d'ETP (en
autres institutions), la visibilité du pro-
d'autres termes, nombre de courriers) ;
gramme à l'extérieur, la systématisation
des BEP, la prise en compte de l'entou- – intervention de patients au sein du pro­
rage du patient. Les principales difficultés gramme (à la conception, au cours des
tenaient aux moyens jugés insuffisants et séances, à l'évaluation du programme, etc.) ;
aux nécessités organisationnelles. – nombre de professionnels formés à l'ETP par
Tout ceci témoigne d'un fort dynamisme
programme ;
des équipes et d'une diffusion en tache
d'huile de la culture éducative dans les – existence d'une UTEP ou UTET dans l'éta­
­milieux de soins. blissement ;
– programme(s) rattaché(s) à une UTEP.

165
Partie VI. Évaluation de l'équipe et du programme

Évaluation quadriennale cédure est soutenue par un arrêté ministériel du


14 janvier 2015 qui donne un cadre précis à cette
du programme éducatif démarche [1].
Elle est orientée sur l'analyse systématique
Pourquoi une évaluation des effets spécifiques du programme et de ses
quadriennale ? évolutions dans son contexte de mise en œuvre
(figure 16.2).
L'évaluation quadriennale d'un programme édu­
catif permet, au coordonnateur et à l'équipe,
d'analyser le processus éducatif et de mesurer les Effets du programme
effets de l'ETP. Après discussion en commun, des Le terme « effet » a été préféré à celui de « résultats
évolutions du programme sont décidées dans son d'efficacité ». En effet, il ne s'agit pas ici de prouver
contexte de mise en œuvre [6]. une efficacité de la stratégie thérapeutique inté­
Cette évaluation doit être réalisée au cours de grant l'ETP sur l'état de santé des patients et le
la 4e année après l'autorisation par l'ARS. Suite à recours aux soins, car cette démarche relèverait
ce travail, le coordonnateur et l'équipe décideront alors d'une recherche clinique.
de demander ou pas à l'ARS une autorisation de Pour mesurer les effets d'un programme, la
reconduction de leur programme pour quatre méthodologie proposée est la suivante :
années supplémentaires. • réfléchir aux différentes catégories d'effets
concernant :
– le patient,
Comment réaliser l'évaluation – le fonctionnement de l'équipe qui met en
quadriennale ? œuvre le programme,
– l'intégration du programme dans l'offre
Les données ci-dessous sont issues du guide locale de soins ;
de la HAS sur la mise en œuvre de l'évaluation • solliciter plusieurs points de vue : ceux des bénéfi­
quadriennale, paru en mai 2014  [6]. Cette pro­ ciaires, de l'équipe et de professionnels du parcours

Effets du programme d’ETP Evolutions du programme d’ETP


Changements attendus chez les dans son contexte
bénéficiaires grâce à la mise en œuvre du Evolutions de la mise œuvre du
programme d’ETP programme grâce aux évaluations
annuelles
Conséquences du programme sur le
fonctionnement de l’équipe Suivi des indicateurs pour l’analyse de la
Intégration du programme sur l’offre de qualité du fonctionnement, de la mise en
soins œuvre et de la coordination du
programme

Puis mises en liens Evolution de la structuration du


programme

Conclusions de l’analyse
Décisions concernant la poursuite du programme
Rapport d’évaluation Quadriennale

Figure 16.2 Principes d'ensemble de l'évaluation quadriennale, avec une analyse double


et une prise de décision concertée.
Source : adapté de Haute Autorité de santé (HAS). Évaluation quadriennale d'un programme d'éducation thérapeutique du
patient : une démarche d'auto-évaluation [Internet]. 2014. Disponible en ligne sur : http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1748115/
fr/evaluation-quadriennale-d-un-programme-d-education-therapeutique-du-patient-une-demarche-d-auto-evaluation

166
Chapitre 16. Évaluation du programme éducatif

des patients notamment les médecins généralistes – la continuité de l'ETP : coordination et par­
et spécialistes. Pour recueillir leur avis, différentes tage des informations en interne et avec l'ex­
méthodes sont utilisables  : entretiens collectifs térieur ;
ou groupes de discussion, entretiens individuels, – une vision partagée dans l'équipe des
questionnaires, analyse de documents, etc. ; approches et démarches pour la mise en
• expliquer le lien entre la mise en œuvre du œuvre du programme ;
programme et les effets identifiés. Ce lien peut – l'intégration des objectifs éducatifs dans la stra­
concerner : tégie thérapeutique et leur complémentarité ;
– l'accès au programme ; – les changements apportés au programme au
– l'adaptation du programme aux besoins et fil du temps ;
aux attentes des bénéficiaires ; – les évolutions de l'environnement et du
– la mise en œuvre des étapes de l'ETP  : la contexte de mise en œuvre du programme.
préparation, la réalisation et l'animation des Plus précisément, les critères à considérer sont
séances ; présentés dans le tableau 16.3.
Tableau 16.3 Exemples d'effets d'un programme d'ETP à recueillir en sollicitant plusieurs points de vue
La mise en œuvre du programme d'ETP a-t-elle abouti aux changements attendus
chez les bénéficiaires ?
Du point de vue de l'équipe Jusqu'à quel point les bénéficiaires dans leur ensemble acquièrent-ils des compétences
à l'issue des séances d'ETP ?
Dans quelle mesure les bénéficiaires dans leur ensemble ont-ils développé un processus
de changement et d'adaptation dans la vie quotidienne ?
Du point de vue des Dans quelle mesure les bénéficiaires estiment-ils que le programme est utile pour :
bénéficiaires (patients, • mettre en œuvre des compétences dans la vie quotidienne ?
entourage)
• accompagner leur développement personnel ?
• accompagner leur capacité d'autodétermination (au sens d'autonomie) ?
• faciliter la communication avec les professionnels de santé ?
Du point de vue du Jusqu'à quel point la participation des bénéficiaires (patients, proches) au programme
médecin généraliste et favorise-t-elle leur adhésion et leur implication dans la gestion de la maladie ?
autre spécialiste et des Dans quelle mesure la relation interpersonnelle entre patients, proches et soignants a-
professionnels de santé du t-elle évolué du fait de la participation des bénéficiaires à une offre d'ETP
parcours de soins personnalisée ?
La mise en œuvre du programme d'ETP a-t-elle eu des conséquences
sur le fonctionnement de l'équipe ?
Du point de vue de l'équipe Dans quelle mesure la mise en œuvre du programme d'ETP a-t-elle :
• entraîné une dynamique au niveau collectif et au niveau individuel ?
• fait évoluer la relation interpersonnelle avec les bénéficiaires ?
• fait évoluer la relation avec les médecins traitants et les professionnels de santé du
parcours de soins ?
La mise en œuvre globale du programme d'ETP a-t-elle permis son intégration dans l'offre
de soins locale ?
Du point de vue de l'équipe Dans quelle mesure :
• les actions de communication sur les objectifs, le contenu du programme et son
déroulement ont-elles rendu le programme visible et attractif au niveau local ou régional ?
• le programme tend-il à réduire, ou à ne pas accroître, les inégalités de santé ?
• la continuité du parcours éducatif est-elle assurée, en lien avec le médecin traitant ?
Source : Haute Autorité de santé (HAS). Évaluation annuelle d'un programme d'éducation thérapeutique du patient : une démarche d'auto-évaluation.
Guide méthodologique pour les coordonnateurs et les équipes [Internet]. Disponible sur : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/
pdf/2014-06/evaluation_annuelle_maj_juin_2014.pdf

167
Partie VI. Évaluation de l'équipe et du programme

Sur un plan pratique, il convient de recueillir • les effets favorables confortent l'équipe dans ses
des données quantitatives et qualitatives néces­ bonnes pratiques et son organisation ;
saires pour ce travail (encadré 16.3). Ces données • les effets défavorables, ou l'absence d'effets
peuvent émaner : favorables, peuvent révéler une insatisfaction
• des trois rapports d'autoévaluation annuelle dans la mise en œuvre du programme.
précédents ; De ce fait, des actions seront décidées pour des
• d'entretiens individuels ou collectifs de patients, changements réalistes.
de membres de l'équipe ou de l'équipe entière,
d'associations de patients ou de professionnels
du parcours de soin. La technique du focus Évolutions du programme
group peut ici être utile (fiche pratique 6) ; d'ETP dans son contexte
• d'enquêtes de satisfaction sur le déroulement du de mise en œuvre
programme et ses effets, auprès de patients, de
l'équipe soignante ou de professionnels du par­ Pour rendre compte de l'évolution du pro­
cours de soins ; gramme, c'est-à-dire de sa vitalité, trois questions
• éventuellement, sur des résultats d'évaluation se posent :
de pratiques professionnelles, ou sur l'ana­ • Comment a évolué la mise en œuvre du pro-
lyse de dossiers d'ETP  : synthèses, courriers, gramme ? C'est-à-dire les principaux points forts,
comptes rendus, etc. points faibles, les difficultés résolues, les condi­
À la suite de cette analyse, des constats sur les tions de réussite et les freins à la mise en œuvre du
effets favorables ou défavorables du programme programme, les principales améliorations appor­
seront avancés : tées à la qualité du processus. Il s'agira d'expliquer
les améliorations apportées ou poursuivies ;
• Comment ont évolué les indicateurs associés au
programme ? Ces indicateurs sont communs
ENCADRÉ 16.3

Exemple de modalités de
réalisation de l'évaluation à tout programme et sont non exhaustifs  : ils
quadriennale portent sur le fonctionnement (intervenants, for­
mation), la mise en œuvre (programme person­
Une équipe en charge d'un programme pour nalisé, offre de suivi) et la coordination (partage
la préparation à la chirurgie bariatrique de
patients obèses décrit son processus d'éva-
d'information sur les étapes clés de la démarche
luation quadriennale de la façon suivante : éducative). Ils sont présentés dans le tableau 16.4.
« L'évaluation quadriennale a permis à De plus, les raisons d'une évolution positive, néga­
l'équipe soignante d'échanger sur le fond tive ou d'une stabilité des résultats des indicateurs
et la forme du programme éducatif. Les sont attendues. À ce niveau, se pose la question
membres de l'équipe se sont réunis à plu-
sieurs reprises entre les mois d'avril et juin
des formations en ETP de tous les membres de
2015. Au cours d'une de ces réunions, le l'équipe d'ETP, comme l'exige l'arrêté du 14 jan­
coordonnateur a sollicité chacun pour le vier 2015 [1]. Le contenu de cette formation n'est
renseignement d'un questionnaire interro- pas précisé dans l'arrêté, mais implicitement, le
geant chaque professionnel sur sa vision du niveau 1 est requis (formation de 40 heures). On
programme, de sa place. L'exploitation et
peut imaginer des membres associés à l'équipe
la restitution de l'analyse des réponses ont
enrichi le débat. Les trois dernières autoé- qui ne nécessitent pas d'être spécifiquement for­
valuations ont été exploitées. Les échanges més en ETP, comme par exemple une assistante
nous ont permis d'identifier les points forts sociale, une psychologue ou une aide-soignante,
et les points faibles du programme, et de intervenant ponctuellement dans le programme ;
prendre ensemble des décisions pour le
un médecin ou une infirmière peuvent aussi être
poursuivre avec des ajustements jugés
­mineurs, priorisés sur les 4 années à venir. » concernés par les mêmes conditions. Dans ce cas,
ils doivent être accompagnés dans l'activité édu­
Source : Programme d'ETP « Éducation thérapeu-
tique du candidat à la chirurgie de l'obésité ». cative par une personne formée ;
Équipe du département endocrino-diabéto-­ • Comment a évolué la structuration du programme ?
nutrition, CH Lapeyronie, CHU Montpellier.
Coordonnateur : Docteur P. Lefebvre.
Cela renvoie aux ajustements apportés au pro­
gramme dans sa mise en œuvre et son écriture,

168
Chapitre 16. Évaluation du programme éducatif

Tableau 16.4 Fiche descriptive de trois séries d'indicateurs qualité permettant d'évaluer le suivi
du programme par l'équipe
Fonctionnement du programme d'ETP : intervenants directs auprès des patients
Objectif Suivre l'évolution des intervenants au contact du patient au travers de la
multiprofessionnalité et de la formation spécifique à l'ETP
Indicateurs 1 : nombre d'intervenants directs (professionnels et patient intervenant)
auprès des patients et leur profession
2 : nombre d'intervenants directs (professionnels et patient intervenant) formés
spécifiquement à l'ETP
Exemple 6 personnes interviennent directement auprès du patient dans ce programme,
4 de ces intervenants sont formés (F) spécifiquement à l'ETP :
• 1 médecin
• 2 infirmières (F)
• 1 diététicienne (F)
• 1 éducateur sportif
• 1 patient intervenant (F)
Mise en œuvre du programme d'ETP (activité) : patients ayant bénéficié d'un programme
personnalisé d'ETP
Objectif Suivre l'intégration des étapes clés dans la personnalisation du programme quelle que
soit l'offre d'ETP proposée
Indicateurs Pourcentage de patients ayant bénéficié d'un programme personnalisé lors d'une offre
initiale d'ETP contenant les étapes suivantes :
• 3 : BEP ou diagnostic éducatif individuel aboutissant à un programme personnalisé
+ séances collectives/individuelles + évaluation lors d'une séance individuelle des
compétences acquises + proposition d'une modalité de suivi éducatif
• 4 : actualisation du BEP ou diagnostic éducatif + au moins 1 séance collective/
individuelle + évaluation lors d'une séance individuelle des compétences acquises
+ proposition d'une modalité de suivi éducatif
Exemple 34 patients ont participé en 2013 à ce programme (participation à au moins 1 séance)
21 patients ont bénéficié d'un programme personnalisé en offre INITIALE
6 patients ont bénéficié d'un programme personnalisé en offre de SUIVI
21/34 × 100 = 62 %
Parmi l'ensemble des patients venus en 2013 pour suivre le programme :
• 62 % ont bénéficié d'un programme personnalisé en offre INITIALE 6/34 × 100 = 18 %
• 18 % ont bénéficié d'un programme personnalisé en offre de SUIVI 62 + 18 = 80 %
• 80 % ont bénéficié d'un programme personnalisé (offre INITIALE ou de SUIVI)
Coordination du programme personnalisé d'ETP : le partage d'information sur les étapes clés
du programme personnalisé
Objectif Suivre la coordination entre les intervenants du programme et les acteurs de la prise en
charge du patient sur les étapes clés du programme personnalisé, coordination nécessaire
à la cohérence et la continuité du programme personnalisé avec la stratégie thérapeutique
Indicateurs Pourcentage de patients ayant bénéficié d'un programme personnalisé d'ETP pour lesquels
la synthèse a été transmise au minimum à leur médecin traitant, concernant : le BEP ou
diagnostic éducatif individuel accompagné du programme personnalisé et l'évaluation des
compétences acquises accompagnée d'une proposition de modalité de suivi éducatif
Source : Haute Autorité de santé (HAS). Évaluation annuelle d'un programme d'éducation thérapeutique du patient : une démarche d'auto-évaluation.
Guide méthodologique pour les coordonnateurs et les équipes [Internet]. Disponible sur : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/
pdf/2014-06/evaluation_annuelle_maj_juin_2014.pdf

169
Partie VI. Évaluation de l'équipe et du programme

concernant : les objectifs pédagogiques, le contenu • reprendre les conclusions de l'analyse des effets
du programme, les méthodes pédagogiques et et de celle des évolutions du programme ;
d'évaluation, la complémentarité des compé­ • identifier les actions à prévoir pour améliorer
tences des intervenants, la place des patients inter­ le contenu, l'organisation et la mise en œuvre
venants, la continuité de l'éducation et sa coordi­ du programme commun aux deux analyses et
nation, l'adaptation réelle du programme au profil propre à chaque analyse.
des patients et la prise en compte de nouveaux Les actions à prévoir doivent être réalistes. Pour
besoins et attentes des bénéficiaires. le vérifier, il s'agit d'apprécier les marges de pro­
Il conviendra d'expliquer les raisons pour les­ gression possibles et leur faisabilité en analysant
quelles la mise en œuvre du programme s'est rap­ les contraintes, en termes de ressources, de délai
prochée ou éloignée de ce qui était prévu dans le de mise en œuvre, de perspective de la levée de
programme autorisé. difficultés locales ou institutionnelles, et les rela­
Sur un plan pratique, ce travail sur le processus tions avec les acteurs.
du programme reposera sur l'analyse de données Pour conclure, il convient de s'engager en équipe
issues : sur une décision d'avenir pour le programme :
• des trois autoévaluations annuelles, reprenant : • poursuite à l'identique ;
– les points forts, les points faibles, les diffi­ • poursuite avec des changements et améliora­
cultés et leur résolution, les améliorations tions mineurs, faisables à court terme ;
apportées au processus, • poursuite avec des changements et améliora­
– la modification de la structuration du pro­ tions importants, applicables à moyen ou long
gramme d'ETP au regard des critères de qua­ terme ;
lité, des attentes du cahier des charges national ; • difficultés à poursuivre le programme sans sou­
• du suivi des indicateurs de qualité et de sécurité tien et aide, en précisant les motifs.
des soins ; Le coordonnateur rédigera un court argumen­
• de l'évolution du profil des b