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Revue de Pneumologie clinique (2011) 67, 335—341

REVUE GÉNÉRALE

Le syndrome thoracique aigu de l’adulte


drépanocytaire
Acute chest syndrome of adults suffering from sickle cell disease

G. Quéré a,∗,1,2, A. Tempescul a,2, F. Couturaud b,c,3,


N. Paleiron d,3, C. Leroyer b,c,3,
L. De Saint-Martin b,c,1,2
a
Institut de cancérologie et d’hématologie, hôpital Morvan, CHRU de Brest,
2, avenue Foch, 29200 Brest, France
b
Université Européenne de Bretagne, 29200 Brest, France
c
EA3878 (GETBO) IFR 148, département de médecine interne et pneumologie, hôpital de
La-Cavale-Blanche, CHRU de Brest, université de Brest, 29200 Brest, France
d
Service de pneumologie, hôpital d’instruction des armées Clermont-Tonnerre,
29200 Brest, France

Disponible sur Internet le 13 octobre 2011

MOTS CLÉS Résumé La drépanocytose est une pathologie répandue mais parfois mal appréhendée par
Drépanocytose ; les pneumologues qui y sont peu confrontés. Elle mérite d’être connue, compte tenu de sa
Syndrome thoracique principale complication respiratoire : le syndrome thoracique aigu (STA).
aigu ; État des connaissances. — La drépanocytose est une maladie autosomique récessive provoquant
Thrombose ; dans certaines conditions, une falciformation des hématies. Elle touche principalement les
Embolie graisseuse ; individus originaires des pays d’Afrique centrale, de l’ouest et des Antilles. Le STA associe
Infection une douleur thoracique ou de la fièvre à des infiltrats radiologiques d’apparition récente,
chez un individu porteur d’un syndrome drépanocytaire majeur. Ses principales étiologies sont
l’infection, l’embolie graisseuse, et l’hypoventilation alvéolaire. Il est cependant souvent dif-
ficile d’en déterminer l’étiologie car il réalise un cercle vicieux auto-entretenu. Les bases de
la prise en charge, largement sous-évaluées, reposent sur le traitement étiologique, et les
mesures visant à éviter l’aggravation liée principalement aux complications, en particulier
microcirculatoires, de la maladie.
Conclusions. — Le STA est une complication respiratoire grave de la drépanocytose à laquelle
le pneumologue peut être amené à être confronté. Une prise en charge adaptée et rapide est
nécessaire. Les mesures thérapeutiques sont simples mais sous-évaluées.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : gilles.quere@chu-brest.fr (G. Quéré).
1 Conception et mise au point de la revue.
2 Écriture de l’article ou analyse critique amenant des modifications.
3 Approbation finale de la version soumise après relecture critique.

0761-8417/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.pneumo.2011.07.001
336 G. Quéré et al.

KEYWORDS Summary Sickle cell disease is a common but often poorly understood by chest physicians.
Sickle cell disease; The acute chest syndrome represents its main respiratory complication.
Acute chest State of art. — Sickle cell disease is an autosomal recessive disorder inducing, in certain cir-
syndrome; cumstances, sickling of red cells. Natives from western or central Africa and from the Caribbean
Thrombosis; islands are mainly affected. Acute chest syndrome is defined by the association of chest pain or
Fat embolism; fever and recent radiographic infiltrates, in patients suffering from sickle cell disease. Determi-
Infection nation of etiology, infection, fat embolism or hypoventilation, is difficult, as a self-perpetuating
vicious circle is ongoing. Support, largely undervalued, is based on etiological treatment and
measures to avoid worsening linked to complications, especially microcirculatory disease.
Conclusions. — Acute chest syndrome is a severe respiratory complication of sickle cell disease.
Therapeutic measures are simple but undervalued.
© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction chez un patient porteur d’un syndrome drépanocytaire


majeur (homozygote ou double hétérozygote) [1,6,7]. Pour
La drépanocytose est une pathologie répandue mais parfois d’autres, la simple présence des signes cliniques évocateurs
mal appréhendée par les praticiens qui y sont peu confron- chez un patient drépanocytaire suffit.
tés. Elle mérite d’être connue par le pneumologue, compte
tenu de sa principale complication respiratoire : le syndrome Pourquoi pose-t-il problème ?
thoracique aigu (STA), qui représente une cause fréquente
de morbidité et de mortalité. Cette entité, dont les étiolo- Des études de cohortes datant des années 1990 ont révélé
gies peuvent être multiples et dont la définition est clinique qu’il s’agissait de la seconde cause d’hospitalisation [8] et
et radiologique, associe la survenue, chez une personne por- de mortalité [9,10], après les manifestations vaso-occlusives
teuse d’une drépanocytose, d’une douleur thoracique ou de viscérales, des complications aigues. Le STA et les crises
fièvre et des infiltrats radiologiques d’apparition récente vaso-occlusives sont responsables de la moitié de la mor-
[1]. Plusieurs études ont cherché à mieux comprendre la talité dans cette population. Une série plus récente [11] est
physiopathologie et les étiologies de ce syndrome afin de contradictoire semble à première vue différente, mais les
déterminer les examens et les traitements curatifs et pré- auteurs ne retiennent pas les mêmes définitions et séparent
ventifs les plus pertinents à mettre en œuvre. Dans cette le STA de l’embolie graisseuse. Sa gravité est, par ailleurs,
mise au point, après quelques rappels de notions générales soulignée par la fréquence du recours à la ventilation méca-
sur cette maladie, nous définirons le STA avant d’essayer nique (13 %) et par une mortalité de 3 à 5 % [1,8].
d’en définir les étiologies et d’aborder les grandes lignes
thérapeutiques. Quelles en sont les étiologies ?
Déterminer l’étiologie du STA peut s’avérer difficile car de
Notions générales nombreux évènements peuvent en être à la fois la cause et
la conséquence. On notera également que près de la moitié
Il s’agit d’une maladie autosomique récessive, caracté- des individus présentant un STA sont initialement admis à
risée par la présence chez les individus atteints, d’une l’hôpital pour une autre raison, principalement des douleurs
hémoglobine anormale (HbS), qui entraîne, dans certaines [7].
conditions, une perte de la plasticité des hématies en partie
responsable des manifestations cliniques de la maladie [2]. Une étiologie probablement fréquente : l’embolie
Près de 120 millions de personnes seraient porteuses graisseuse
d’une mutation drépanocytaire [3]. Les flux migratoires Elle est définie par la migration d’un embole lipidique consé-
l’ont importé aux Antilles [4] et en métropole où plus de la cutif à un infarctus au niveau d’un os long. Le diagnostic
moitié des 6000 à 7000 personnes atteintes résident en Ile de ne peut être formellement retenu que sur les données du
France [3]. On dénombre environ 200 nouveaux cas annuels lavage broncho-alvéolaire même si des douleurs osseuses
en île de France lors du dépistage néonatal ciblé [5]. intenses préexistantes sont évocatrices. En effet, même si
la scintigraphie osseuse est fréquemment anormale lorsque
le diagnostic d’embolie graisseuse est retenu et si une dou-
Définition, présentation et étiologies du leur osseuse d’un membre précède le STA dans la moitié des
syndrome thoracique aigu cas [1], cela peut n’être que le reflet d’une crise drépano-
cytaire en cours et non d’un lien de causalité direct. Ainsi,
Définition seule une proportion élevée -supérieure à 5 % — de lipides
dans les macrophages alvéolaires, colorés à l’oil red O (colo-
Il est défini dans plusieurs études par l’association de signes rant neutre et très soluble dans les lipides) [12], affirme
cliniques (fièvre ou douleur thoracique) et d’anomalies l’embolie graisseuse.
radiologiques récentes, de type infiltrats alvéolaires englo- Cette exigence diagnostique explique la variabilité de son
bant au moins un segment, à l’exclusion des atélectasies, incidence selon les séries ; la plupart d’entre elles, tout en
Syndrome thoracique aigu de la drépanocytose 337

incluant des effectifs conséquents, n’ont pas pu obtenir de optimiser la gestion de l’analgésie et de l’hypoxie lors de la
données informatives chez un nombre suffisant de malades crise drépanocytaire.
lors du lavage bronchoalvéolaire (LBA). Ainsi Maître et al.
retiennent le diagnostic d’embolie graisseuse dans 30 des
Et les thromboses ?
41 épisodes de STA pour lesquels les données du LBA sont
contributives, mais une grande proportion de LBA ininter- Plusieurs données suggèrent une forte incidence de la mala-
prétables ne permet pas de conclure sur la fréquence réelle die veineuse thromboembolique dans cette population. Les
de l’embolie graisseuse [1]. Dans d’autres séries, le LBA études de cohortes s’intéressant aux causes de mortalité
n’était pas systématique et seul un recueil des expectora- révèlent une importante part de décès par embolie pulmo-
tions était réalisé, conduisant également à une forte part naire (15,9 % sur une série autopsique de 1976 à 2001 avec
de prélèvements non contributifs [7]. une grande partie des cas d’embolie pulmonaire antérieur
Ces divergences se retrouvent au niveau de la gravité à 1990) [11]. Les mêmes auteurs rapportent une fré-
du STA en rapport avec une embolie graisseuse, l’une des quence accrue d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
plus grandes séries montrant une mortalité supérieure [7], dans cette population [11], donnée également retrou-
l’autre ne retrouvant aucune différence si ce n’est une évo- vée lors d’une étude s’intéressant uniquement à l’HTAP
lution plus longue [1]. dans la population drépanocytaire [16]. Le mécanisme ne
semble toutefois pas univoque : embolies graisseuses ou
cruoriques répétées qu’une série récente innocente plutôt
Les pneumopathies infectieuses : cause ou [17], thromboses in situ vaso-occlusives [18,19] ou phéno-
conséquence ? mène chronique consécutif à un trouble du métabolisme du
La falciformation est responsable, d’un côté, d’une asplénie monoxyde d’azote dans la circulation pulmonaire [16,20].
fonctionnelle fréquente et, de l’autre, d’une atteinte alvéo- Si aucune évaluation systématique (écho-Doppler, scinti-
laire altérant l’immunité locale. Toutefois, si le rôle des graphie pulmonaire ou angioscanner spiralé) de la maladie
infections respiratoires dans la genèse du STA n’est pas indu, veineuse thromboembolique dans le STA n’est disponible,
la mise en évidence de micro-organismes pathogènes reste l’augmentation de la viscosité sanguine et l’alitement fré-
rare ; principalement parce que les prélèvements sont réa- quent lors des crises douloureuses incite à la prudence, et,
lisés après antibiothérapie probabiliste devant l’association outre un traitement anticoagulant prophylactique dès que
fièvre et modifications radiologiques [1]. Les principaux nécessaire, on évoquera le diagnostic d’embolie pulmonaire
micro-organismes retrouvés sont Chlamydia pneumoniae devant tout STA.
(7,2 % des STA), Mycoplasma pneumoniae (6,6 %) et, dans
une moindre mesure, Streptococcus pneumoniae, mais aussi Qu’en est-il de l’association asthme-syndrome
différents virus respiratoires (6,4 %). thoracique aigu (STA) ?
Néanmoins, la possibilité d’une surinfection, par
exemple d’un infarctus pulmonaire graisseux ou throm- L’asthme interviendrait dans le STA plus en tant que cofac-
boembolique, et la gravité précoce des pneumopathies teur aggravant que comme facteur étiologique. Il a été
infectieuses du splénectomisé justifie l’antibiothérapie pro- démontré que l’asthme augmente le risque de STA chez
babiliste dans le STA pour beaucoup d’auteurs [7]. De même, les enfants [21]. Il a également été observé une plus
l’HAS préconise la vaccination antipneumococcique (hep- forte tendance à l’hyper-réactivité bronchique chez les dré-
tavalent avant deux ans puis 23 valent tous les cinq ans panocytaires que dans la population générale [22]. Plus
ensuite) et antigrippale annuelle, et une antibioprophylaxie largement, il existe une surmortalité dans la population dré-
(pénicilline V 25 à 50 000 UI/kg toute les 12 heures) de deux panocytaire asthmatique, sans que les causes de mortalité
à cinq ans au moins. aient pu être clairement identifiées [23].

La douleur et l’hypoventilation alvéolaire


Le STA est rarement le motif d’hospitalisation initial, et Le syndrome thoracique aigu en pratique
n’apparaît souvent que comme une complication tardive de
la crise drépanocytaire [8]. Différents auteurs incriminent Peu d’essais randomisés contrôlés se sont intéressés au trai-
donc la douleur thoracique, par l’hypoventilation alvéolaire tement du STA de l’adulte. Il existe toutefois des mesures
induite, dans sa genèse ou son aggravation ; que la douleur systématiques à évoquer, quelle que soit l’étiologie du
soit pariétale, liée à un infarctus costal, fréquent dans le STA STA, visant à lutter contre les facteurs aggravants et les
[13—15], pleurale, liée à une embolie pulmonaire ou une complications. Les traitements étiologiques, quand une
pneumonie, ou sous-diaphragmatique, liée à un infarctus cause est identifiée, restent largement sous-évalués.
splénique, une crise vaso-occlusive viscérale voire fréquem-
ment post-chirurgicale. Parfois l’hypoventilation alvéolaire Évaluation de la gravité
est la conséquence des traitements antalgiques en particu-
lier morphiniques. Il convient avant tout d’évaluer la sévérité du STA, afin de
L’hypoventilation par le collapsus alvéolaire crée une discuter un éventuel transfert en unité de soins intensifs.
hypoxie locale puis une falciformation entrainant des phéno- Le bilan systématique suivant est préconisé [24] : gazo-
mènes vaso-occlusifs capillaires pulmonaires qui provoquent métrie artérielle, NFS-réticulocytes, dosage de l’HbS en
ou aggravent le STA. Ainsi Maitre et al. mettent en évidence cas de transfusion récente, taux de prothrombine, temps
une hypercapnie dans 46 % des cas de STA [1], incitant à de céphaline activé, ionogramme sanguin, créatininémie,
338 G. Quéré et al.

une scintigraphie osseuse [13] pour mettre en évidence des


POINTS FORTS À RETENIR signes évocateurs d’infarctus au niveau des os longs, sans
impact thérapeutique majeur.
• Le STA est défini par l’association de fièvre ou de
douleur thoracique à des anomalies radiologiques
récentes, de type infiltrats alvéolaires englobant au
Mesures thérapeutiques communes
moins un segment.
Hydratation
• C’est la seconde cause d’hospitalisation chez les
patients drépanocytaires. Les mesures symptomatiques initiales visent à assurer une
• La fréquence du recours à la ventilation mécanique hydratation optimale. Une hydratation suffisante est main-
est de13 % et la mortalité de 3 à 5 %. tenue pour limiter l’hyperviscosité sanguine favorisant les
• Une étiologie probablement fréquente mais dont thrombi sans toutefois dépasser deux litres d’apports quoti-
l’incidence est difficile à chiffrer est l’embolie diens qui pourraient induire une surcharge. En cas de fièvre
graisseuse. importante, une estimation des pertes hydriques doit tou-
• La séquence douleur, hypoventilation alvéolaire, tefois être compensée par une augmentation des apports
hypoxie locale va entraîner des phénomènes vaso- [24]. Ces mesures visent à prévenir l’auto-aggravation du
occlusifs à l’origine ou entretenant le STA. syndrome consécutive aux complications microcirculatoires
• La pneumopathie infectieuse et la maladie de l’hypoxémie et de la déshydratation.
veineuse thromboembolique, fréquentes dans
le STA, participent également à l’initiation ou la Traitement de l’anémie
pérennisation du STA. L’une des conséquences fréquemment observée du STA est
l’anémie. Elle est liée à un phénomène d’hémolyse et
conduit à une hypoxie tissulaire qui peut entraîner diverses
complications viscérales, notamment neurologiques [6], et
transaminases, phosphatases alcalines, ␥GT, LDH, bilirubine aggraver les lésions pulmonaires. Si le groupage sanguin et
totale et conjuguée. la recherche d’agglutinines irrégulières doivent être systé-
Aux signes habituels de gravité, cliniques (polypnée supé- matique, la transfusion et les échanges transfusionnels ne
rieure à 30/minute ou bradypnée inférieure à 10/minute, semblent pas devoir être réalisés de façon systématique
difficulté à parler, anomalies auscultatoires étendues, car les données de Maitre et al. [1] ne mettent pas en
signes d’insuffisance ventriculaire droite et troubles de évidence plus de complications chez les patients non trans-
conscience), biologiques (pO2 < 60 mmHg), paCO2 > 45 mmHg fusés, mais ces derniers présentaient au départ des tableaux
ou acidose respiratoire) [24], et radiologiques (atteinte respiratoires moins sévères. Il n’existe pas d’étude rando-
« étendue ») [24], s’ajoutent des signes de gravité spéci- misée contrôlée pour évaluer leur impact ; toutefois, les
fiques de la drépanocytose (Hb < 10 g/dL ou Ht < 30 % et taux indications consensuelles retenues par le centre français de
d’hémoglobine S supérieur à 30 %). référence sont les suivantes : présence d’un signe de gravité,
sepsis grave, période postopératoire (chirurgie thoracique
Bilan étiologique et abdominale principalement), contexte de grossesse ou
de post-partum immédiat, patient en programme transfu-
Après un examen clinique complet à la recherche d’une étio- sionnel au long cours, taux d’hémoglobine inférieur à 8 g/dL
logie extra thoracique, certains examens complémentaires ou anémie mal tolérée [24]. Ces moyens thérapeutiques
peuvent être utiles pour orienter la prise en charge. La réa- doivent être mis en œuvre en unité de soins intensifs.
lisation d’hémocultures, le dosage de la C-réactive protéine
Transfusion de culots globulaires
et d’une antigénurie lésionnelle et pneumocoque sera systé-
Lorsque le taux d’hémoglobine est inférieur à 8 g/dL,
matique alors que les sérologies mycoplasme et chlamydia
on propose plutôt une transfusion simple avec du sang
d’intérêt rétrospectif restent discutables [7,24].
phénotypé et compatibilisé, sans dépasser 11 g/dL pour évi-
Initialement, une tomodensitométrie thoracique à la
ter les complications de l’hyperviscosité. D’un point de
recherche d’arguments pour une pneumopathie infectieuse,
vue pratique, les transfusions exposent au risque d’allo-
voire un angioscanner spiralé en cas d’élément clinique
immunisation, surtout chez des patients régulièrement
évocateur d’embolie pulmonaire (D-dimères plasmatiques
transfusés, d’autant plus que les donneurs sont statistique-
positifs, écho-Doppler veineux des membres inférieurs néga-
ment plus souvent d’origine caucasienne et les receveurs
tif). Ces examens ne semblent pas devoir être réalisés de
afro-antillais [25]. Si la RAI est négative, on transfusera des
façon systématique au vu de la faible incidence de l’embolie
culots globulaires phénotypés (Rhésus, Kell) et compatibili-
pulmonaire par occlusion de vaisseaux proximaux [17]. En
sés. Si elle est positive, le phénotype sera étendu aux autres
l’absence de réponse au traitement initial, on réalisera une
systèmes immunogènes et à l’anticorps spécifique [24].
fibroscopie bronchique, dont la tolérance n’a été évaluée
que chez l’enfant (13 % de désaturation transitoire, laryn- Échanges transfusionnels
gospasme, pneumothorax voire recours à une intubation Dans les autres cas, ou en l’absence d’amélioration initiale,
oro-trachéale 8/219) [7]. Cet examen permet de collecter on propose les échanges transfusionnels manuels (transfu-
des données microbiologiques et de rechercher la propor- sion et saignée concomitante) ou par érythrocytaphérèse
tion de lipides contenus dans les macrophages alvéolaires (échanges globulaire HbS / Hb saine avec conservation
[12]. Enfin, à la recherche d’arguments en faveur d’une du plasma) [1,25]. Il n’existe pas de différence de survie
embolie graisseuse, certains auteurs suggèrent de réaliser entre les patients transfusés et ceux bénéficiant d’échanges
Syndrome thoracique aigu de la drépanocytose 339

transfusionnels [1]. Les deux techniques possèdent leurs pratique il n’existe pas d’attitude consensuelle vis-à-vis de
avantages et leurs inconvénients : les échanges manuels sont leur utilisation mais le centre de référence français des
moins coûteux, mais posent le problème du non respect de syndromes drépanocytaires recommande la mise en place
la volémie ; les échanges par érythrocytaphérèse sont plus d’un traitement par amoxicilline dans les formes peu graves
rapides, isovolémiques et évitent les déficits en facteurs de et d’une bithérapie par amoxicilline et macrolide dans les
coagulation dans les heures suivant le geste, mais sont plus formes plus sévères lorsqu’il existe une hyperthermie [24].
difficiles à mettre en œuvre et plus coûteux. D’autres traitent tous les patients admis pour STA par cépha-
losporine de troisième génération et macrolide en raison
Oxygénation et Lutte contre l’hypoventilation de la forte prévalence des infections à pneumocoque d’une
alvéolaire part, et de celle des infections à mycoplasme et chlamydia
d’autre part [7].
Oxygénation
L’objectif de saturation est fixé à 96 % (98 % en présence de
signe de gravité) [24]. Le traitement de l’embolie graisseuse
Il n’existe aucune mesure spécifique à mette en œuvre dans
Les moyens « mécaniques » le cadre de la prise en charge des STA consécutifs à une
La ventilation non invasive a récemment été évaluée de embolie graisseuse.
façon rétrospective chez les enfants et semblerait montrer
un intérêt avec une diminution des admissions en réanima-
Quelle est la place des anticoagulants ?
tion [26]. Il manque toutefois de données quand aux critères
de mise en œuvre et aux modalités. Elle ne doit en aucun cas La seule indication du traitement anticoagulant est
retarder le recours à la ventilation mécanique quand celle- l’existence d’une embolie pulmonaire cruorique. La pré-
ci est indiquée. Dans ce cas, une ventilation protectrice à sence de phénomènes thrombotiques dans la microcir-
volume limité est recommandée [27]. culation et l’embolie graisseuse ne constituent pas des
Les mesures visant à éviter l’hypoventilation par spiro- indications à ces traitements. La prévention d’évènements
métrie incitative répétée ont prouvé leur efficacité. Il s’agit thrombotiques surajoutés reste toutefois de rigueur dans ces
de séries de manœuvres inspiratoires maximales répétées cas.
toutes les deux heures à l’aide d’un Respiflow® [28]. Elles
peuvent être source de douleur limitant leur efficacité et Place des autres thérapeutiques
peuvent dans ce cas être remplacées par l’application d’une
pression expiratoire positive intermittente via un appareil Quelle est la place du monoxyde d’azote ?
de type TheraPEP® , qui consistent à réaliser des manœuvres Le monoxyde d’azote inhalé a été proposé dans les cas
expiratoires à l’aide d’un tube de calibre limité appliqué à sévères en l’absence de réponse au traitement initial [7].
la bouche augmentant le temps et la pression expiratoire En effet, la concentration de ce gaz diminue lors des
favorisant ainsi l’ouverture alvéolaire et limitant les atélec- crises drépanocytaires car, capté par l’hémoglobine libre
tasies. Il ne semble pas exister de différence d’efficacité produite par l’hémolyse, il perd son action physiologique
entre ces deux techniques [29]. (anti-agrégante, inhibitrice du tonus vasculaire pulmonaire
et inhibitrice des radicaux oxydatifs responsables des lésions
La lutte contre la douleur
d’ischémie-reperfusion). Il n’existe pas cependant à ce jour
Comme nous l’avons déjà évoqué, la douleur intervient à
d’étude randomisée de qualité permettant de valider de
plusieurs niveaux dans la genèse ou dans l’aggravation des
façon formelle son utilisation [31].
STA. Les mécanismes sont directs (limitation de l’ampliation
thoracique ou de la mobilité diaphragmatique) ou indirects
(hypoventilation alvéolaire induite par un traitement mor-
Quelle est la place des broncho-dilatateurs
phinique mal conduit), incitant à optimiser la gestion de inhalés ?
l’analgésie chez les patients drépanocytaires. Les bronchodilatateurs de courte durée d’action trouvent
une justification dans la plus forte prévalence de
Les traitements étiologiques l’hyperréactivité bronchique chez les drépanocytaires
[22,23], entraînant semble-t-il une surmortalité dans les
L’antibiothérapie STA. Ils sont donc proposés, sous forme de bronchodilata-
Le traitement antibiotique déjà évoqué a deux objec- teurs de courte durée d’action nébulisés, par les auteurs
tifs : curatif face à une infection des voies aériennes d’une revue de la littérature de la Cochrane library, chez les
inférieures ; préventif, compte tenu du risque de surin- patients aux antécédents de syndrome obstructif, ou ceux
fection. Une revue récente de la Cochrane library se présentant un épisode spastique ou une obstruction réver-
révèle assez décevante pour établir un consensus quand sible au moment du STA. Il n’existe là non plus pas d’étude
au choix de l’antibiothérapie la plus adaptée face au STA : validant cette attitude ; alors qu’un quart des patients rece-
en effet, aucun essai randomisé contrôlé n’a été effectué vrait ce traitement [22].
dans cette situation. Les auteurs soulignent la nécessité
d’initier des études visant à comparer différentes classes Une occasion de « refaire le point »
d’antibiotiques. Ils relèvent la difficulté potentielle de Le STA est l’occasion, comme toute crise drépanocytaire,
mettre en œuvre ce genre d’essai, qui nécessiterait de de réévaluer toutes les mesures préventives (vaccination,
déterminer la cause du STA et d’établir dans chaque cas antibioprophylaxie, hydratation, lutte contre l’hypothermie
si l’infection en est la cause ou la conséquence [30]. En et l’hypoxie. . .), les consignes de prudence (consultation
340 G. Quéré et al.

médicale au dessus de 38 ◦ C, numération régulière, automé-


dication antalgique prévue), la programmation du suivi sys- • Une forte incidence de la maladie veineuse
tématique (rétinopathie, insuffisance cardiaque, rénale. . .) thromboembolique est observée dans cette
et, éventuellement, les traitements de fond d’exception population.
(transfusion mensuelles « préventives », greffe de moelle, • Il existe peu d’essais randomisés contrôlés.
hydroxyurée, hydroxycarbamide) voire l’inclusion dans des • Il faut toujours discuter un éventuel transfert en
protocoles de recherche (L-glutamine. . .) en lien avec le unité de soins intensifs ou de réanimation.
centre de référence. • Les mesures thérapeutiques communes sont non
spécifiques (hydratation, traitement de l’anémie,
lutte contre l’hypoxie et l’hypercapnie. La prise en
POINTS FORTS À RETENIR charge de la douleur doit être optimale en se méfiant
de l’hypoventilation induite par les morphiniques.
• Il existe peu d’essais randomisés contrôlés. • Le traitement étiologique doit être envisagé quand
• Il faut toujours discuter un éventuel transfert en la cause est identifiée.
unité de soins intensifs ou de réanimation.
• Il n’y a pas de consensus quand au bilan étiologique
à réaliser.
• Les mesures thérapeutiques sont non spécifiques
(hydratation, transfusion, oxygénation, lutte contre Déclaration d’intérêts
l’hypoventilation, analgésie) mais doivent être
optimisées. Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
• Le traitement étiologique doit être envisagé mais relation avec cet article.
une cause univoque est rarement retrouvée.
• Le traitement de fond est affaire de centres
hautement spécialisés.
Références
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souvent difficile de déterminer l’origine, mais dont la [cited; available from: http://www.orpha.net/data/patho/
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récentes, de type infiltrats alvéolaires englobant au [8] Castro O, Brambilla DJ, Thorington B, Reindorf CA, Scott RB,
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• C’est la seconde cause d’hospitalisation chez les disease: incidence and risk factors. The Cooperative Study of
patients drépanocytaires. Sickle Cell Disease. Blood 1994;84:643—9.
• La fréquence du recours à la ventilation mécanique [9] Platt OS, Brambilla DJ, Rosse WF, Milner PF, Castro O, Steinberg
MH, et al. Mortality in sickle cell disease. Life expectancy and
est de13 % et la mortalité de 3 à 5 %.
risk factors for early death. N Engl J Med 1994;330:1639—44.
• Les cause du STA est souvent difficile à établir. Les
[10] Platt OS. The acute chest syndrome of sickle cell disease. N
causes les plus fréquentes sont : les pneumopathies Engl J Med 2000;342:1904—7.
infectieuses, la douleur et l’hypoventilation [11] Darbari DS, Kple-Faget P, Kwagyan J, Rana S, Gordeuk VR,
alvéolaire, l’embolie graisseuse. Toutes ces causes Castro O. Circumstances of death in adult sickle cell disease
peuvent être à l’origine ou entretenir le processus. patients. Am J Hematol 2006;81:858—63.
• Les modifications ventilatoires vont entraîner [12] Godeau B, Schaeffer A, Bachir D, Fleury-Feith J, Galacte-
des phénomènes vaso-occlusifs au niveau de la ros F, Verra F, et al. Bronchoalveolar lavage in adult sickle
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