REVUE GÉNÉRALE
MOTS CLÉS Résumé La drépanocytose est une pathologie répandue mais parfois mal appréhendée par
Drépanocytose ; les pneumologues qui y sont peu confrontés. Elle mérite d’être connue, compte tenu de sa
Syndrome thoracique principale complication respiratoire : le syndrome thoracique aigu (STA).
aigu ; État des connaissances. — La drépanocytose est une maladie autosomique récessive provoquant
Thrombose ; dans certaines conditions, une falciformation des hématies. Elle touche principalement les
Embolie graisseuse ; individus originaires des pays d’Afrique centrale, de l’ouest et des Antilles. Le STA associe
Infection une douleur thoracique ou de la fièvre à des infiltrats radiologiques d’apparition récente,
chez un individu porteur d’un syndrome drépanocytaire majeur. Ses principales étiologies sont
l’infection, l’embolie graisseuse, et l’hypoventilation alvéolaire. Il est cependant souvent dif-
ficile d’en déterminer l’étiologie car il réalise un cercle vicieux auto-entretenu. Les bases de
la prise en charge, largement sous-évaluées, reposent sur le traitement étiologique, et les
mesures visant à éviter l’aggravation liée principalement aux complications, en particulier
microcirculatoires, de la maladie.
Conclusions. — Le STA est une complication respiratoire grave de la drépanocytose à laquelle
le pneumologue peut être amené à être confronté. Une prise en charge adaptée et rapide est
nécessaire. Les mesures thérapeutiques sont simples mais sous-évaluées.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : gilles.quere@chu-brest.fr (G. Quéré).
1 Conception et mise au point de la revue.
2 Écriture de l’article ou analyse critique amenant des modifications.
3 Approbation finale de la version soumise après relecture critique.
0761-8417/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.pneumo.2011.07.001
336 G. Quéré et al.
KEYWORDS Summary Sickle cell disease is a common but often poorly understood by chest physicians.
Sickle cell disease; The acute chest syndrome represents its main respiratory complication.
Acute chest State of art. — Sickle cell disease is an autosomal recessive disorder inducing, in certain cir-
syndrome; cumstances, sickling of red cells. Natives from western or central Africa and from the Caribbean
Thrombosis; islands are mainly affected. Acute chest syndrome is defined by the association of chest pain or
Fat embolism; fever and recent radiographic infiltrates, in patients suffering from sickle cell disease. Determi-
Infection nation of etiology, infection, fat embolism or hypoventilation, is difficult, as a self-perpetuating
vicious circle is ongoing. Support, largely undervalued, is based on etiological treatment and
measures to avoid worsening linked to complications, especially microcirculatory disease.
Conclusions. — Acute chest syndrome is a severe respiratory complication of sickle cell disease.
Therapeutic measures are simple but undervalued.
© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
incluant des effectifs conséquents, n’ont pas pu obtenir de optimiser la gestion de l’analgésie et de l’hypoxie lors de la
données informatives chez un nombre suffisant de malades crise drépanocytaire.
lors du lavage bronchoalvéolaire (LBA). Ainsi Maître et al.
retiennent le diagnostic d’embolie graisseuse dans 30 des
Et les thromboses ?
41 épisodes de STA pour lesquels les données du LBA sont
contributives, mais une grande proportion de LBA ininter- Plusieurs données suggèrent une forte incidence de la mala-
prétables ne permet pas de conclure sur la fréquence réelle die veineuse thromboembolique dans cette population. Les
de l’embolie graisseuse [1]. Dans d’autres séries, le LBA études de cohortes s’intéressant aux causes de mortalité
n’était pas systématique et seul un recueil des expectora- révèlent une importante part de décès par embolie pulmo-
tions était réalisé, conduisant également à une forte part naire (15,9 % sur une série autopsique de 1976 à 2001 avec
de prélèvements non contributifs [7]. une grande partie des cas d’embolie pulmonaire antérieur
Ces divergences se retrouvent au niveau de la gravité à 1990) [11]. Les mêmes auteurs rapportent une fré-
du STA en rapport avec une embolie graisseuse, l’une des quence accrue d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
plus grandes séries montrant une mortalité supérieure [7], dans cette population [11], donnée également retrou-
l’autre ne retrouvant aucune différence si ce n’est une évo- vée lors d’une étude s’intéressant uniquement à l’HTAP
lution plus longue [1]. dans la population drépanocytaire [16]. Le mécanisme ne
semble toutefois pas univoque : embolies graisseuses ou
cruoriques répétées qu’une série récente innocente plutôt
Les pneumopathies infectieuses : cause ou [17], thromboses in situ vaso-occlusives [18,19] ou phéno-
conséquence ? mène chronique consécutif à un trouble du métabolisme du
La falciformation est responsable, d’un côté, d’une asplénie monoxyde d’azote dans la circulation pulmonaire [16,20].
fonctionnelle fréquente et, de l’autre, d’une atteinte alvéo- Si aucune évaluation systématique (écho-Doppler, scinti-
laire altérant l’immunité locale. Toutefois, si le rôle des graphie pulmonaire ou angioscanner spiralé) de la maladie
infections respiratoires dans la genèse du STA n’est pas indu, veineuse thromboembolique dans le STA n’est disponible,
la mise en évidence de micro-organismes pathogènes reste l’augmentation de la viscosité sanguine et l’alitement fré-
rare ; principalement parce que les prélèvements sont réa- quent lors des crises douloureuses incite à la prudence, et,
lisés après antibiothérapie probabiliste devant l’association outre un traitement anticoagulant prophylactique dès que
fièvre et modifications radiologiques [1]. Les principaux nécessaire, on évoquera le diagnostic d’embolie pulmonaire
micro-organismes retrouvés sont Chlamydia pneumoniae devant tout STA.
(7,2 % des STA), Mycoplasma pneumoniae (6,6 %) et, dans
une moindre mesure, Streptococcus pneumoniae, mais aussi Qu’en est-il de l’association asthme-syndrome
différents virus respiratoires (6,4 %). thoracique aigu (STA) ?
Néanmoins, la possibilité d’une surinfection, par
exemple d’un infarctus pulmonaire graisseux ou throm- L’asthme interviendrait dans le STA plus en tant que cofac-
boembolique, et la gravité précoce des pneumopathies teur aggravant que comme facteur étiologique. Il a été
infectieuses du splénectomisé justifie l’antibiothérapie pro- démontré que l’asthme augmente le risque de STA chez
babiliste dans le STA pour beaucoup d’auteurs [7]. De même, les enfants [21]. Il a également été observé une plus
l’HAS préconise la vaccination antipneumococcique (hep- forte tendance à l’hyper-réactivité bronchique chez les dré-
tavalent avant deux ans puis 23 valent tous les cinq ans panocytaires que dans la population générale [22]. Plus
ensuite) et antigrippale annuelle, et une antibioprophylaxie largement, il existe une surmortalité dans la population dré-
(pénicilline V 25 à 50 000 UI/kg toute les 12 heures) de deux panocytaire asthmatique, sans que les causes de mortalité
à cinq ans au moins. aient pu être clairement identifiées [23].
transfusionnels [1]. Les deux techniques possèdent leurs pratique il n’existe pas d’attitude consensuelle vis-à-vis de
avantages et leurs inconvénients : les échanges manuels sont leur utilisation mais le centre de référence français des
moins coûteux, mais posent le problème du non respect de syndromes drépanocytaires recommande la mise en place
la volémie ; les échanges par érythrocytaphérèse sont plus d’un traitement par amoxicilline dans les formes peu graves
rapides, isovolémiques et évitent les déficits en facteurs de et d’une bithérapie par amoxicilline et macrolide dans les
coagulation dans les heures suivant le geste, mais sont plus formes plus sévères lorsqu’il existe une hyperthermie [24].
difficiles à mettre en œuvre et plus coûteux. D’autres traitent tous les patients admis pour STA par cépha-
losporine de troisième génération et macrolide en raison
Oxygénation et Lutte contre l’hypoventilation de la forte prévalence des infections à pneumocoque d’une
alvéolaire part, et de celle des infections à mycoplasme et chlamydia
d’autre part [7].
Oxygénation
L’objectif de saturation est fixé à 96 % (98 % en présence de
signe de gravité) [24]. Le traitement de l’embolie graisseuse
Il n’existe aucune mesure spécifique à mette en œuvre dans
Les moyens « mécaniques » le cadre de la prise en charge des STA consécutifs à une
La ventilation non invasive a récemment été évaluée de embolie graisseuse.
façon rétrospective chez les enfants et semblerait montrer
un intérêt avec une diminution des admissions en réanima-
Quelle est la place des anticoagulants ?
tion [26]. Il manque toutefois de données quand aux critères
de mise en œuvre et aux modalités. Elle ne doit en aucun cas La seule indication du traitement anticoagulant est
retarder le recours à la ventilation mécanique quand celle- l’existence d’une embolie pulmonaire cruorique. La pré-
ci est indiquée. Dans ce cas, une ventilation protectrice à sence de phénomènes thrombotiques dans la microcir-
volume limité est recommandée [27]. culation et l’embolie graisseuse ne constituent pas des
Les mesures visant à éviter l’hypoventilation par spiro- indications à ces traitements. La prévention d’évènements
métrie incitative répétée ont prouvé leur efficacité. Il s’agit thrombotiques surajoutés reste toutefois de rigueur dans ces
de séries de manœuvres inspiratoires maximales répétées cas.
toutes les deux heures à l’aide d’un Respiflow® [28]. Elles
peuvent être source de douleur limitant leur efficacité et Place des autres thérapeutiques
peuvent dans ce cas être remplacées par l’application d’une
pression expiratoire positive intermittente via un appareil Quelle est la place du monoxyde d’azote ?
de type TheraPEP® , qui consistent à réaliser des manœuvres Le monoxyde d’azote inhalé a été proposé dans les cas
expiratoires à l’aide d’un tube de calibre limité appliqué à sévères en l’absence de réponse au traitement initial [7].
la bouche augmentant le temps et la pression expiratoire En effet, la concentration de ce gaz diminue lors des
favorisant ainsi l’ouverture alvéolaire et limitant les atélec- crises drépanocytaires car, capté par l’hémoglobine libre
tasies. Il ne semble pas exister de différence d’efficacité produite par l’hémolyse, il perd son action physiologique
entre ces deux techniques [29]. (anti-agrégante, inhibitrice du tonus vasculaire pulmonaire
et inhibitrice des radicaux oxydatifs responsables des lésions
La lutte contre la douleur
d’ischémie-reperfusion). Il n’existe pas cependant à ce jour
Comme nous l’avons déjà évoqué, la douleur intervient à
d’étude randomisée de qualité permettant de valider de
plusieurs niveaux dans la genèse ou dans l’aggravation des
façon formelle son utilisation [31].
STA. Les mécanismes sont directs (limitation de l’ampliation
thoracique ou de la mobilité diaphragmatique) ou indirects
(hypoventilation alvéolaire induite par un traitement mor-
Quelle est la place des broncho-dilatateurs
phinique mal conduit), incitant à optimiser la gestion de inhalés ?
l’analgésie chez les patients drépanocytaires. Les bronchodilatateurs de courte durée d’action trouvent
une justification dans la plus forte prévalence de
Les traitements étiologiques l’hyperréactivité bronchique chez les drépanocytaires
[22,23], entraînant semble-t-il une surmortalité dans les
L’antibiothérapie STA. Ils sont donc proposés, sous forme de bronchodilata-
Le traitement antibiotique déjà évoqué a deux objec- teurs de courte durée d’action nébulisés, par les auteurs
tifs : curatif face à une infection des voies aériennes d’une revue de la littérature de la Cochrane library, chez les
inférieures ; préventif, compte tenu du risque de surin- patients aux antécédents de syndrome obstructif, ou ceux
fection. Une revue récente de la Cochrane library se présentant un épisode spastique ou une obstruction réver-
révèle assez décevante pour établir un consensus quand sible au moment du STA. Il n’existe là non plus pas d’étude
au choix de l’antibiothérapie la plus adaptée face au STA : validant cette attitude ; alors qu’un quart des patients rece-
en effet, aucun essai randomisé contrôlé n’a été effectué vrait ce traitement [22].
dans cette situation. Les auteurs soulignent la nécessité
d’initier des études visant à comparer différentes classes Une occasion de « refaire le point »
d’antibiotiques. Ils relèvent la difficulté potentielle de Le STA est l’occasion, comme toute crise drépanocytaire,
mettre en œuvre ce genre d’essai, qui nécessiterait de de réévaluer toutes les mesures préventives (vaccination,
déterminer la cause du STA et d’établir dans chaque cas antibioprophylaxie, hydratation, lutte contre l’hypothermie
si l’infection en est la cause ou la conséquence [30]. En et l’hypoxie. . .), les consignes de prudence (consultation
340 G. Quéré et al.
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