Vous êtes sur la page 1sur 18

11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier.

Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

Graduate
Institute
Publications
Afrique : l’épreuve de l’indépendance  | Ben Yacine-Touré

Chapitre premier.
Les fausses
prémisses
p. 17-28

Texte intégral
1 Depuis l’indépendance, l’Afrique vit sous le règne du Tout-
Puissant et Sacro-Saint Développement. En son nom et à son
autel, beaucoup de valeurs et de victimes ont été immolées.

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 1/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

Sous le règne de l’idéologie du développement, c’est le sacre


d’une nouvelle espèce  : celle des «  Développeurs  ». Cette
puissante confrérie qui regroupe les experts étrangers et leurs
apprentis sorciers africains, a importé et imposé en Afrique
l’idéologie du développement. Les experts et théoriciens
étrangers ont conçu l’appareil et les cadres politiques africains
l’ont rafistolé. Selon eux, l’économie africaine se trouve
caractérisée par l’existence de deux secteurs  : le secteur
traditionnel et le secteur moderne ou économie de marché,
dominée par les types d’échange et les modes de production
occidentaux. La nature féodale de nos sociétés, selon cette
hypothèse, constitue une des explications majeures du sous-
développement de nos Etats1. Le développement exige comme
préalable, d’éliminer les réticences et résistances de notre
culture à la modernisation. Toujours selon cette optique,
toutes les sociétés vont nécessairement suivre, imiter le
modèle occidental de développement. C’est une question de
temps  ; et, pourvu que les dirigeants africains acceptent
certaines recettes et qu’ils soient techniquement encadrés et
assistés, ils peuvent réussir à moderniser — entendez
« développer » — leurs sociétés. Car, pour nos sociétés, le salut
et la chance de survie se trouvent dans l’imitation de la seule
voie occidentale de développement.
2 Enfin, estiment nos experts en développement, les besoins
d’une modernisation sont tels aujourd’hui qu’aucun pays ne
peut s’aventurer à se développer par ses seuls moyens : l’aide
étrangère, en particulier sous forme de capitaux associés à
l’assistance technique de toutes sortes, est une condition sine
qua non du développement africain.
3 Depuis l’indépendance, les décisions des gouvernements
africains en matière de développement ont reposé sur ces
fondements. Elles ne reposent sur aucun fondement élaboré
par des sociologues dont les théories soient conçues à partir
des données sociologiques puisées dans le terroir africain
même.

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 2/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

4 L’absence d’une théorie du développement qui établisse


clairement le fonctionnement des économies nationales
explique en partie l’inconséquence et la faiblesse des décisions
gouvernementales en Afrique. Pourquoi une telle théorie reste-
t-elle informulée ? Peut-être parce que nos économistes et les
experts conseillers se sont convaincus de l’existence de lois et
de recettes universelles en matière de développement,
applicables en toutes circonstances et en tous lieux. Or, la
conjoncture et la situation décrite par les sources les plus
autorisées, comme la Commission économique des Nations
Unies pour l’Afrique (CEA) et l’Organisation de l’Unité
africaine (OUA), indiquent clairement que les résultats des
politiques économiques fondées sur cette idéologie appliquée
depuis l’indépendance, sont loin de répondre aux espoirs
suscités. La voie empruntée n’a permis ni développement, ni
construction nationale, ni indépendance réelle. Pire encore,
sur le plan culturel, l’Afrique risque d’y perdre son âme. Les
concepts qui ont pourtant assuré des résultats substantiels
dans le développement de l’Occident, n’ont pas
nécessairement une portée universelle. La vision globale des
problèmes de l’Afrique, les solutions passe-partout proposées
et les résultats obtenus jusqu’alors, appellent une autre
approche de la construction nationale et une autre vision de
l’avenir de l’Afrique.
5 Un bref survol des prémisses qui ont guidé les développeurs
dans leurs analyses, confirme la médiocrité des résultats et
explique la nature des difficultés rencontrées. Parmi ces
prémisses qui concourent à cette démonstration, figurent  : la
conception même du développement comme solution
universelle, et la conception de la science, de la planification et
de la technologie comme clés du développement économique
et socio-culturel des peuples africains.
6 Nous considérerons en premier lieu les prémisses de la
politique économique, puis nous nous pencherons sur celles
qui sous-tendent les options politiques et institutionnelles.

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 3/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

1. Plannification et développement : l’heure


du diagnostic
7 Pour la plupart des Etats cherchant à assurer leur
indépendance politique et économique après la seconde guerre
mondiale, la planification économique était devenue symbole
de progrès et d’autonomie. En dehors même de ce symbole, les
gouvernements africains ont vu dans la planification un moyen
effectif d’accéder rapidement à l’indépendance économique et
politique réelle. L’idée que la planification constitue un moyen
important pour l’accélération du développement a été l’une
des idées maîtresses de la politique économique préconisée en
Afrique. Cette idée, qui a fait fortune en Afrique et ailleurs
dans le Tiers Monde, est tirée des exemples offerts par les pays
socialistes et, depuis la seconde guerre mondiale, par certains
pays à économie de marché tels que la France et les pays
scandinaves qui ont obtenu des succès certains en matière de
mobilisation et d’investissement des ressources.
8 La planification s’est encore répandue en Afrique sur
l’insistance des organismes internationaux d’assistance
comme la Banque mondiale, dont les prêts étaient
conditionnés par l’existence, dans le pays receveur, d’un plan
de développement économique cohérent. Les nombreuses
études conduites par la Commission économique des Nations
Unies pour l’Afrique, l’ont imposée dans toute la région.
Suivant les idées en vogue en matière de planification, la CEA,
dans ses études, avait préconisé certaines lignes d’action
devant servir de modèle aux Etats africains. L’élément moteur
de ce modèle était, pour l’Afrique, la nécessité d’une
industrialisation, la modernisation de l’agriculture,
l’intensification et la diversification de son commerce
extérieur2. Toujours selon ces études, pour accélérer le
développement du continent, les Etats africains devraient
encore procéder à des réformes de structures internes.
9 Pour mettre en place les structures nécessaires à la réalisation
du plan, on jugea nécessaire d’organiser ou, quelquefois, de

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 4/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

réorganiser l’administration publique et de fournir à ce secteur


les cadres techniques requis.
10 Cette politique va emporter l’Afrique entière dans le puissant
courant de ce qu’il est convenu d’appeler l’idéologie du
développement. L’avènement de cette idéologie, ainsi que la
puissance avec laquelle elle s’est répandue en Afrique,
constitue, sans nul doute, l’un des faits marquants de ces vingt
premières années d’indépendance. Son déploiement se fera
par le truchement d’un nombre considérable d’ouvrages,
d’articles, de réunions, de séminaires, etc., dont le but était de
former les cadres techniques africains dans le domaine du
développement et de la planification économique. L’adhésion
des intellectuels et des cadres africains à cette idéologie
favorisera considérablement sa pénétration et son impact dans
la région.
11 Pour suivre les recommandations des traités d’économie et
celles des différentes réunions régionales et internationales, et
pour mettre en place les organismes de planification, les
gouvernements africains feront appel aux techniciens et
conseillers étrangers, plus communément appelés « Experts ».
Ces experts, dans l’exercice de leurs fonctions, agiront
conformément à leurs convictions et idées personnelles du
développement et du changement social. C’est dans ce sens
que ces planificateurs n’étaient pas, comme on les a souvent
présentés, de simples techniciens du plan, mais des
planificateurs du développement. Ainsi, dans la conception et
la conduite de la politique économique, le développement et la
planification sont-ils devenus inséparables — la seconde étant
considérée comme un moyen de réaliser concrètement le
premier. Pour la première fois sans doute, dans l’histoire de
l’Afrique, le planificateur considéré comme un agent du
changement social, connaît son heure de gloire.
12 En dépit du fait que les divers plans évoluaient avec des
systèmes politiques, des méthodes et des techniques
différentes, leurs objectifs et procédures présentaient

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 5/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

cependant des points communs. Comme le soulignait


l’économiste suédois Gunnar Myrdal :
« Le principe essentiel en matière de planification, c’est le fait
pour l’Etat de prendre une part active — en fait un rôle décisif
— dans l’orientation de l’économie. Il doit pouvoir investir,
créer des entreprises et exercer un contrôle général. Au-dessus
des entreprises privées, l’Etat doit initier, stimuler et tenir la
barre du développement économique. Les politiques devraient
ainsi être coordonnées rationnellement, coordination
permettant une action d’ensemble planifiée à long terme »3.

13 Au fur et à mesure que la planification s’est répandue en


Afrique, les gouvernements lui ont assigné des objectifs de
plus en plus complexes  ; mais, dans l’ensemble, ces derniers
visaient à accélérer l’investissement et la croissance du revenu
national brut.
14 La méthode de la planification a revêtu essentiellement trois
formes  : 1) d’abord à travers un bureau central du plan
responsable de la formulation des politiques économiques
fondées sur la macro-économie et les modèles quantitatifs  ;
cette méthode est entièrement conçue au sommet et proposée
à la base  ; 2) ce même bureau peut encore déterminer les
priorités économiques nationales et confier aux différents
ministères et aux régions le soin de présenter leurs besoins qui
seront examinés à la lumière des priorités nationales  ; 3)
certains pays ont encore cherché à combiner ces deux
méthodes4 ; les études macro-économiques, la formulation des
objectifs, des stratégies et les préparatifs initiaux du plan
national ont été généralement confiés au Bureau central du
Plan responsable devant le Premier Ministre ou un Conseil de
ministres.
15 En fait, les méthodes de planification utilisées en Afrique sont
parties des mêmes postulats que les économistes occidentaux5
ont tirés de l’expérience de leur pays au sortir de la seconde
guerre mondiale. Dans l’extraordinaire stabilité
institutionnelle et le haut niveau de développement de ces
pays, le plan avait pour rôle essentiel de permettre l’opération

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 6/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

de certaines corrections susceptibles d’assurer le


fonctionnement du système et, éventuellement, de renforcer
certains rouages de celui-ci sans avoir recours aux
changements structurels. Dans cette conception, le plan était
considéré comme essentiellement indicatif  : un agrégat
d’informations, un instrument d’ajustement et de contrôle des
différentes variables pendant la période d’exécution6. D’une
manière générale, les efforts initiaux de planification en
Afrique manquaient de viabilité politique dans la mesure
même où les fondements des plans ne tenaient pas
entièrement compte des conditions socio-économiques et
politiques prévalant dans la région — ce qui, en d’autres
termes, indiquait que les conditions nécessaires n’étaient pas
réunies pour réaliser le type de planification conçu à partir de
la seule perception de l’expert.
16 Par ailleurs, la méthode du plan conçu comme un instrument
d’ajustement et de contrôle, méthode qui a fait ses preuves
dans le cadre des économies des pays développés, ne devait
pas nécessairement donner les mêmes résultats dans des
économies en voie de développement. En effet, des facteurs
comme l’absence d’un appareil opérationnel dans le système
de planification, la mauvaise coordination entre les plans et les
budgets du secteur public, l’absence de projets, l’absence
d’informations statistiques, l’industrialisation prématurée de
la planification, sont autant de causes responsables, comme
nous allons le voir ci-après, des résultats décevants obtenus
par les Etats africains en matière de planification du
développement.
17 Le commentaire qui précède ne signifie pas que le processus
qui s’est développé depuis une vingtaine d’années en Afrique
n’a pas eu d’aspects positifs. C’est là un fait certain. Dans la
mesure même où ce processus a permis une meilleure
connaissance de la situation à l’intérieur des différents pays, il
a, du coup, jeté les bases d’une adaptation des plans.
Néanmoins, malgré les efforts déployés et les résultats
incontestables obtenus dans certains Etats africains en matière
https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 7/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

de planification, dans l’ensemble, en ce qui concerne le


développement, les fruits n’ont pas tenu la promesse des
fleurs. Beaucoup s’en faut  ! L’analyse de la conjoncture
économique et sociale sur le continent débouche sur un bilan
très peu rassurant.

2. Uu bilan économique et social loin de la


mesure des potentialités africaines
18 L’Afrique n’est pas un continent pauvre  : ses ressources
humaines et naturelles sont considérables. Notre continent
détient aujourd’hui 97 % des réserves mondiales de chrome et
85  % des réserves mondiales de platine  ; 64  % des réserves
mondiales de manganèse, 25  % des réserves mondiales
d’uranium et 13  % des réserves mondiales de cuivre, et une
très importante réserve de bauxite et de nickel  ; 20  % des
réserves mondiales du pétrole commercialisé aujourd’hui
proviennent d’Afrique7. Notre région produit actuellement
70  % de la production mondiale de cacao  ; 30  % de la
production mondiale de café et 50  % de celle de l’huile de
palme...
19 Mais ce qui précède concerne les potentialités de l’Afrique  :
qu’en est-il de la mise en valeur de ces ressources par les
nouveaux Etats depuis l’indépendance ?
20 En dépit de ses vastes ressources naturelles et d’efforts
méritoires de nos populations et de certains gouvernements
depuis deux décennies, l’indépendance économique de
l’Afrique est loin d’être effective. L’émancipation économique,
qui devrait doubler l’indépendance politique d’une
transformation économique du continent et entraîner un
relèvement sensible du niveau de vie de nos populations, n’est
encore aujourd’hui qu’un espoir pour la plupart des Etats
africains.
21 Malgré les modifications de structures opérées au cours des
vingt dernières années, l’économie africaine reste sous-
développée  : faible revenu par habitant, pourcentage très
important de la population employée dans l’agriculture, faibles
https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 8/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

niveaux de productivité, infrastructure industrielle fragmentée


et limitée, économie largement tributaire d’une gamme
restreinte de produits d’exportation primaires, un système de
transports axé essentiellement sur le secteur des exportations,
un pourcentage élevé d’analphabètes et une espérance de vie
courte.
22 Le produit national brut calculé à l’échelle africaine ne
représente que 2,7 % du produit mondial. Avec 365 $ par tête
en moyenne, l’Afrique a le revenu annuel le plus bas du
monde  ; avec une mortalité infantile de 137  ‰ , le taux
mondial le plus élevé. Résultat d’une politique de
développement centrée sur les zones urbaines, le sous-emploi
et le chômage affectent 45 % de la population active. Et si l’on
compte actuellement un médecin pour 672 habitants dans les
centres urbains, il n’y a en moyenne qu’un médecin pour
26  000 habitants dans les zones rurales. Toujours dans ces
zones, où vit et travaille la majorité de nos populations, l’eau et
l’électricité font encore défaut, l’enseignement et les services
de santé restent inadéquats et les services d’appui aux activités
de production sont insuffisants.
23 L’économie africaine est à l’heure actuelle une économie
particulièrement exposée, exagérément tributaire du
commerce extérieur, des technologies et des compétences
étrangères. Dans le domaine de la banque, du commerce, des
finances, de l’industrie et de la gestion, les sociétés étrangères
dominent. Les échanges et les structures commerciales
continuent à suivre presque uniquement le courant Nord-Sud.
Ce legs du passé favorise les lois de l’échange inégal et ses
conséquences néfastes : détérioration des termes de l’échange,
extraversion de la production, faible valorisation sur place des
matières premières.
24 Les stratégies de développement appliquées par les
gouvernements africains depuis l’indépendance découlent de
théories du développement économique d’origine étrangère
conçues durant la période coloniale et néocoloniale en Afrique.
Ces théories — qui lient le rythme et l’orientation de
https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 9/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

l’évolution socio-économique interne aux marchés


d’exportation et à l’importation de compétences, de
techniques, de biens d’équipement, de services et de produits
de consommation modernes — ont accentué la dépendance
économique de l’Afrique. Le résultat cumulatif de tous ces
facteurs est qu’aujourd’hui l’économie africaine n’a pas atteint
un taux de croissance élevé, n’est parvenue ni à diversifier
suffisamment ses activités, ni à atteindre un degré croissant
d’autonomie et de développement. En ce qui concerne la
coopération régionale, l’orientation verticale — Nord-Sud — de
l’économie africaine a constitué un obstacle sérieux à
l’élaboration et à la mise au point de politiques d’une
coopération économique intra-africaine efficace au niveau
régional et sous-régional.
25 Ainsi, l’absence de progrès au niveau régional combiné avec
une structure de production qui, pour l’essentiel, date de la
période coloniale, contribue à maintenir, aujourd’hui encore,
l’économie africaine dans une situation de sous-
développement.

3. Menaces de crises sociales


26 Si les mêmes politiques et stratégies sont poursuivies, cette
situation générale inquiétante de l’économie africaine ne peut
que s’aggraver dans un avenir plus ou moins lointain. Les
prévisions préliminaires de la Commission économique des
Nations Unies pour l’Afrique, concernant la situation et les
tendances du développement économique des pays africains
aux environs de l’an 2000 sont éloquentes sur ce point.
27 Le taux de natalité dans les Etats africains en développement
est actuellement de 46,3 ‰, c’est-à-dire qu’il est le plus élevé
du monde. Le taux brut de mortalité, qui est d’environ 19,8 ‰
reste également ; élevé par rapport au reste du monde8. Quant
à la mortalité infantile, elle est d’environ 137  ‰ . En
conséquence, le taux annuel moyen de croissance
démographique, actuellement de 2,64  %, est le plus élevé du
monde. La population de l’Afrique en développement, qui se
https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 10/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

chiffrait  : à 401 millions en 1975, atteindrait 813 millions en


l’an 20009, c’est-à-dire que cette population doublerait en
vingt-cinq ans. En d’autres termes et implicitement, le taux
annuel moyen de croissance démographique qui est
actuellement de 2,65  %, serait de 2,9  %. Selon ces mêmes
projections, l’espérance de vie à la naissance, qui est
actuellement de 45 ans pour l’ensemble des pays africains en
développement, devrait atteindre 56,6 ans en moyenne vers
l’an 2000. Les projections signalent également une
augmentation de la population appartenant au groupe d’âge
des 15-65 ans (qui constitue le gros de la population active) qui
passerait de 212 millions (chiffre de 1975) à 437 millions en
l’an 2 000. Cela signifie que la population africaine en âge de
travailler augmentera entre 1975 et l’an 2  000 à un rythme
annuel moyen de 3  %. On prévoit que le rythme annuel de
croissance de la population active, qui a été calculé en tenant
compte des variations qui interviendront dans les taux
d’activité des hommes et des femmes, s’accélérera et passera
de 2,3 % à 2,6 % dans les années 80 pour atteindre 2,8 % dans
les années 90.
28 Il ressort également des projections qui ont été établies, que
les enfants âgés de 5 à 15 ans (soit la grande majorité des
enfants d’âge scolaire) qui étaient 105 millions en 1975, seront
216 millions en l’an 2000, soit un taux de croissance moyen
pour cette partie de la population de 2,9 % par an. Etant donné
qu’actuellement 60  % seulement des enfants d’âge scolaire
reçoivent un enseignement primaire, il faudrait, si l’on voulait
parvenir à scolariser d’ici à l’an 2000 tous les enfants d’âge
scolaire, construire des établissements d’enseignement
primaire à un rythme moyen de 5 % par an. Ne parlons pas de
l’enseignement secondaire ni de l’enseignement supérieur qui
devraient se développer à un rythme beaucoup plus rapide
encore.
29 En Afrique, la population rurale représente plus de 75 % de la
population totale, alors que dans l’ensemble du monde elle
n’en représente que 60  %. De 1970 à 1976, la population
https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 11/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

urbaine en Afrique a augmenté au rythme de 5  % par an en


moyenne et la population rurale au rythme de 3,2  %, alors
qu’au niveau mondial la population urbaine augmenterait à un
rythme de 3,2 % et la population rurale à un rythme de 1,3 %.
30 On prévoit qu’aux alentours de l’an 2000, 37,7  % de la
population africaine (soit 306,5 millions contre 100 millions
en 1975) vivraient dans les villes, alors que dans l’ensemble du
monde et dans les pays développés la population urbaine
représente respectivement 49,6  % et 69  % de la population
totale.
31 L’explosion démographique générale, l’augmentation de la
population d’âge scolaire et de la population active, le
développement de l’urbanisation, l’accroissement de la
demande de services sociaux, s’ils se produisent, auront de
graves incidences sur l’alimentation, l’habillement,
l’éducation, le logement, les services de santé, les offres
d’emploi, la congestion urbaine et la stabilité politique et
sociale générale. Selon les projections préliminaires qui ont été
établies, la population active atteindrait 225 millions vers l’an
2000, et la moitié seulement des personnes qui arriveraient
sur le marché de l’emploi d’ici là pourraient obtenir un emploi
rémunéré, l’autre moitié venant s’ajouter à la masse de
chômeurs que compte déjà l’Afrique. On estime que dans les
zones urbaines le pourcentage de chômeurs déclarés
représente actuellement 10 % de la population active des villes.
Le sous-emploi toucherait quelque 26  % de la population
active urbaine et 40  % de la population active rurale. En
d’autres termes, si aucune politique appropriée n’était mise
sur pieds, en l’an 2000, plus de 70 millions de personnes, soit
39  % de la population active, seraient sans emploi ou sous-
employés10.
32 Les projections concernant le produit intérieur brut (PIB), ne
sont pas plus encourageantes. Pendant vingt ans, le PIB a
augmenté dans l’ensemble de l’Afrique en développement à un
rythme annuel moyen de 4,8  % seulement en prix constants.
Cependant, même cette tendance à long terme dissimule des
https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 12/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

écarts importants existant entre pays exportateurs et pays non


exportateurs de pétrole. Alors que les pays exportateurs de
pétrole ont eu un rythme de croissance d’environ 7 %, qui s’est
accéléré quelque peu dans les années 7011, les pays non
exportateurs de pétrole ont continué d’avoir une croissance de
3,8  % par an entre 1960 et 1978, soit un taux de croissance
annuelle par habitant de 1,1 % seulement. Le groupe des pays à
faible revenu12 ayant un PIB inférieur à 100 $ par habitant ont
enregistré en vingt et un ans un taux de croissance de 2,9  %,
soit un taux de croissance par habitant presque nul. Ceci alors
que le groupe des pays à revenu moyen, qui avaient un taux de
croissance de 4 % par an, soit 1,3 % par habitant, ont eu par la
suite un taux de croissance de 6  % par an, soit 3,3  % par
habitant. Eu d’autres termes, seuls les quatre principaux pays
exportateurs de pétrole, et six pays non exportateurs de
pétrole, mais ayant des revenus par habitant élevés, ont atteint
l’objectif fixé pour la deuxième Décennie  ; des Nations Unies
pour le développement. Cela signifie qu’en 1977, dix pays au
total contrôlaient 45  % du PIB de l’Afrique et que 27  %
seulement de l’ensemble de la population africaine disposaient
d’un revenu s’élevant à un rythme de 3 à 4  % par an,
représentant l’objectif à atteindre. Les 39 autres pays africains
en développement, notamment les pays à faible revenu et ceux
les moins avancés, venaient loin derrière.
33 Si l’on considère la part de chacun de ces groupes de pays en
développement dans le PIB total des pays d’Afrique, on peut
en conclure que pour l’Afrique en développement dans son
ensemble, on peut prévoir que le PIB n’augmentera, au mieux,
que de 4,3  % jusqu’à l’an 2000 (soit 5  % par an pour les
principaux pays producteurs de pétrole, 4,5 % pour les pays à
faible revenu, 3  % pour le groupe des pays à revenu moyen,
7  % pour le groupe des pays à revenu élevé et 3,9  % au total
pour les pays non exportateurs de pétrole).

4. Sous-alimenation générale et chômage

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 13/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

34 Le secteur agricole est le plus important de l’économie


africaine : 65 % de la population africaine en était tributaire en
1977 contre 75 % en 1970. Plus de 50 % de la population active
travaille dans ce secteur. Pendant la même période, la
population agricole s’est accrue de 1,3 % par an en moyenne. Si
l’on considère la part de l’agriculture dans le PIB, la proportion
de la population agricole par rapport à l’ensemble de la
population et le taux de croissance de la production agricole
(1,9 % par an en moyenne), on peut penser que le revenu par
habitant, autre que le revenu agricole qui, en 1970, était 4,9
fois supérieur au revenu agricole par habitant, n’a guère varié
(le chiffre correspondant pour 1977 étant de 4,8). Etant donné
que dans les pays en développement d’Afrique le revenu par
habitant est très bas (200 $ des Etats-Unis en prix courants),
le fait que l’on enregistre toujours de tels écarts de revenus
laisse supposer que le paupérisme est généralisé dans
l’agriculture et que les conditions de vie des personnes dont le
revenu se situe au-dessous du seuil de pauvreté ne
s’améliorent pas. En raison des mauvais résultats obtenus, la
part de l’agriculture dans le PIB a diminué, tombant de 42,3 %
en 1960 à 27,8  % en 1977. Si l’on prend pour hypothèse un
taux d’accroissement de la population de l’ordre de 2,7 % par
an et une élasticité de la demande correspondant à une
augmentation moyenne de revenu par habitant de 3,5  % par
an, on prévoit que la demande de denrées alimentaires
augmentera de 4  % par an en moyenne. A supposer que le
revenu par habitant augmente de 2  % par an en moyenne et
que le taux d’accroissement de la population soit de 3  %, on
prévoit que la demande de denrées alimentaires progressera
d’environ 3,5 % par an en moyenne13.
35 Et si la production alimentaire continue à n’augmenter que de
1,9  % par an, l’accroissement des approvisionnements d’ici à
l’an 2000 ne représentera que 60  % de la demande et de ce
fait, le coefficient d’autosuffisance des pays en développement
d’Afrique ne sera plus que de 60 à 68  % en l’an 2000, ce qui
serait particulièrement grave, compte tenu du fait que les
https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 14/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

produits alimentaires constituent les principaux éléments des


dépenses des ménages et qu’à l’heure actuelle plus d’un quart
de la population africaine ne consomme pas la ration
minimale de calories indispensables.
36 La conclusion à laquelle on parvient inévitablement est que, si
la production agricole n’augmente pas de 3,5 à 4 % par an au
minimum, la sous-alimentation se généralisera, les
exportations diminueront et l’Afrique n’aura pas les moyens
d’importer les denrées alimentaires nécessaires.
37 Depuis deux décennies, la valeur ajoutée, à prix constants,
dans le secteur manufacturier pour l’ensemble des pays
africains a augmenté en moyenne de 6 % par an et sa part dans
le PIB est passée de quelque 8,6 % en 1960 à environ 10 % en
1970 et 11 % en 1977. La part actuelle de notre continent dans
la production industrielle mondiale ne dépasse pas 0,6  %
contre 6,4 % pour l’Asie et l’Amérique latine, et 93 % pour les
pays développés.
38 Dans la production industrielle, qui reste forcément
concentrée dans quelques pays africains, la part des industries
lourdes a sensiblement augmenté, passant de 32 % en 1970 à
quelque 39,8  % en 1977, l’ensemble de la production
manufacturière effective s’accroissant à un taux annuel moyen
de 6  %, ce qui signifie que les industries lourdes se sont
développées au rythme de 9,3  % par an, tandis que les
industries légères ont progressé à raison de 4,1  % par an
seulement.
39 Si l’on extrapole ces tendances jusqu’à l’an 2000 en prenant
1977 comme année de référence, on constate que la part du
secteur manufacturier dans le PIB global des pays africains en
développement passerait de 11 % en 1977 à 16 % seulement en
l’an 2000. La part des industries lourdes dans l’ensemble de la
production manufacturière serait de 67  %, contre 39,8  %
actuellement ; et la part des pays africains dans la production
mondiale du secteur manufacturier passerait du chiffre actuel
de 0,6 % à 0,9 %. Les fortes disparités entre les différents pays
africains iraient en s’accentuant.
https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 15/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

40 Un rapport emploi/production dans le secteur manufacturier


d’environ 0,9 et un taux de croissance annuel de 6  % pour la
production manufacturière fourniraient un taux de croissance
de l’emploi d’environ 5,4 % par an. Etant donné le glissement
vers les industries lourdes, à forte consommation de capital et
à utilisation modérée de main-d’œuvre, le taux de croissance
des possibilités d’emploi dans le secteur manufacturier ne
dépasserait pas 4 % par an.
41 La part actuelle du secteur manufacturier dans la masse de
main-d’œuvre étant d’environ 8  % de l’emploi total, en l’an
2000, l’emploi dans le secteur manufacturier ne représenterait
que 10  % de la main-d’œuvre totale. En d’autres termes,
l’emploi dans le secteur manufacturier absorberait 12  %, soit
27 millions de travailleurs seulement sur 225 millions, chiffre
de l’accroissement de la main-d’œuvre estimé plus haut. Cela
confirme la conclusion précédente selon laquelle le maintien
des politiques et des paramètres actuels peut difficilement
fournir un emploi productif pour plus de la moitié de
l’accroissement prévu de la main-d’œuvre.
42 La main-d’œuvre agricole représentait 106,8 millions de
travailleurs en 1977  ; si elle continue à s’accroître au rythme
annuel moyen de 1,3  % seulement, en l’an 2000 l’agriculture
fournirait des emplois pour environ 37 millions de travailleurs
de plus. Par conséquent, les prévisions relatives aux
possibilités totales d’emploi pour le secteur manufacturier et le
secteur agricole ensemble (secteur des produits de base) ne
seraient que de 64 millions, c’est-à-dire 28 % seulement de la
main-d’œuvre.

Notes
1. Rostow et les autres : Robert Hirshmann, François Perroux, etc.
2. Voir en particulier  : Economic Bulletin for Africa, vol.  II, no. 2, June
1962.
3. Gunnar Myrdal, An Approach to Asian Drama: Methodological and
Theoretical, New York, Vintage Books, 1970, p. 175.

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 16/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

4. C’est notamment l’exemple de la Côte-d’Ivoire et du Maroc (Plan


quinquennal, 1973-1977).
5. En particulier les travaux de Jan Tinbergen et de Pierre Massé.
6. Foxley Alejandro, Estrategia de desarrollo y modelos de planificación,
Mexico City, Fondo de Cultura Economica, 1975, p. 15.
7. Exception faite ici des productions de l’URSS et des Etats-Unis
d’Amérique.
8. Organisation de l’Unité africaine  : Rapport final du Colloque de
Monrovia sur les Perspectives du Développement de l’Afrique à l’horizon
2000, Monrovia, Liberia, 12-16 février 1975, p. 69.
9. Ibid., p. 70.
10. Ibid., p. 73.
11. Ibid., p. 74.
12. Ibid., p. 74.
13. Ibid., p. 81.

© Graduate Institute Publications, 1983

Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de


Modification 3.0 non transposé - CC BY-NC-ND 3.0

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par


reconnaissance optique de caractères.

Référence électronique du chapitre


YACINE-TOURÉ, Ben. Chapitre premier. Les fausses prémisses In  :
Afrique  : l’épreuve de l’indépendance [en ligne]. Genève  : Graduate
Institute Publications, 1983 (généré le 28 novembre 2021). Disponible sur
Internet  : <http://books.openedition.org/iheid/4338>. ISBN  :
9782940549450. DOI : https://doi.org/10.4000/books.iheid.4338.

Référence électronique du livre


YACINE-TOURÉ, Ben. Afrique  : l’épreuve de l’indépendance. Nouvelle
édition [en ligne]. Genève : Graduate Institute Publications, 1983 (généré le
28 novembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/iheid/4333>. ISBN  : 9782940549450.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.iheid.4333.
Compatible avec Zotero

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 17/18
11/28/21, 1:05 PM Afrique : l’épreuve de l’indépendance - Chapitre premier. Les fausses prémisses - Graduate Institute Publications

Afrique : l’épreuve de l’indépendance


Ben Yacine-Touré

Ce livre est cité par


Kamga, Osée. (2019) Difficile émergence d’un journalisme objectif
en Afrique. Communication. DOI: 10.4000/communication.9827

https://books.openedition.org/iheid/4338?lang=fr 18/18

Vous aimerez peut-être aussi