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Barbara Cassin
2014/2 n° 90 | pages 25 à 36
ISSN 0762-7491
ISBN 9782749241838
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2014-2-page-25.htm
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Barbara Cassin 1
Penser en langues
4. C’est un terme emprunté à Jean-Paul Nerrière, Don’t speak English, parlez globish (Eyrolles,
2e éd. mise à jour et complétée, 2006).
5. M. Heidegger, De l’essence de la liberté humaine, Introduction à la philosophie [1930], tr.
E. Martineau, Paris, Gallimard, 1987, p. 57 sq. Une note à la fin de la phrase indique : « Cf. Maître
Eckhart et Hegel. »
6. « Fragment de monographie sur les Basques » [1822], traduit dans P. Caussat, D. Adamski,
M. Crépon, La langue source de la nation, Mardaga, 1996, p. 433.
mots. Cet angle d’attaque, les langues, s’impose d’autant plus que chacun
des trois livres se pose, d’une manière ou d’une autre, comme « révélé » dans
un lien organique avec une langue, susceptible ou non de traduction. Nous
avons commencé à travailler quelques mots-clés, autour desquels chaque
livre s’enroule. De manière plus globale, nous devrons également, au moyen
d’articles généraux portant sur l’ensemble d’une source, instruire le rapport
entre chaque texte sacré et la langue dans laquelle il est révélé, le statut
du livre et son rapport à l’oralité, les langues dans lesquelles il est ensuite
translittéré, traduit, transmis, interprété et glosé, ce rapport avec les autres
langues étant à la fois religieusement et historiquement déterminé.
ajouts en question. D’autre part, parce que ces ajouts ont eux-mêmes voca-
tion à entrer en résonance entre eux, pour constituer visiblement un maillage
comparatif des traditions et des cultures philosophiques.
Un tel réseau prend pour point d’ancrage, donc pour « mots-clés »,
non seulement les lemmes analogues dans les différentes langues, mais les
citations (ou leur référence) autour desquelles se constituent les articles, de
manière à les faire apparaître à la fois dans leur langue originale et dans
leurs traductions, multiples dans l’espace et dans le temps. Nous poursui-
vons ainsi le travail initié lors de la participation au projet echo (European
Cultural Heritage Online, piloté par le Max Planck Institut, lors du 5e pcrd)
et qui a donné lieu à un prototype de numérisation intelligente, avec repré-
sentation cartographique des rapports entre entrées, navigation hypertexte,
ensemble de liens externes, via mots-clés, noms propres et citations, permet-
tant d’accéder aux œuvres en langues (échantillon consultable également
sur le site du Max Planck et sur celui du Robert [http ://robert.bvdep.com/
public/vep/accueil.html], voir en particulier l’article « Bild »). Nous voulons
étendre cet échantillon, qui porte sur le vocabulaire de l’image à partir du
dictionnaire français, aux adaptations des mêmes entrées dans certaines
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Une telle recherche ouvre, à plus long terme, sur une réflexion quant aux
modèles à l’œuvre dans la traduction automatique.
Le principal modèle à l’œuvre jusqu’à aujourd’hui, lié à Systran, consiste
à passer d’une langue à l’autre via une langue-pivot, l’anglais, qui fonctionne
comme commun dénominateur. L’anglais est lui-même préalablement
désambiguïsé (essentiellement via Wordnet), donc transformé pour passer
du statut de langue naturelle à celui de langue-pivot. La désambiguïsation
est comprise comme le moyen de passer du mot, singulier et éclairé par la
langue, au concept universel. Cette conception est celle d’une bonne partie
de la tradition philosophique, depuis Aristote qui construit l’homonymie
comme le mal radical du langage, jusqu’à Leibniz dont la caractéristique
universelle vise une réduction aux identiques permettant des opérations
de calcul. Traduire consiste alors à ramener toutes les langues naturelles à
une unique langue conceptuelle neutre, sans qualités, autorisant comme un
échangeur un nouveau passage à une quelconque autre langue naturelle.
Dans cette perspective, la différence entre les langues naturelles est acciden-
telle et réductible.
En partant du Vocabulaire et de ses traductions, nous voudrions explorer
la possibilité d’un modèle inverse : affronter et exploiter la pluralité au lieu
de viser l’unité. La comparaison requiert non pas un tertium quid commun
Un mot pourtant pour conclure près de nous. Prenons appui sur cette
phrase, valide dans son ordre. Mais grave dès qu’on l’exporte. La qualité,
propriété émergente de la quantité : c’est là une transformation qui affecte
des domaines hétérogènes, certes non liés à la traduction automatique ou
assistée même si elle en met en exergue les dangers potentiels, et dont nous
subissons l’emprise au quotidien. L’exportation tous azimuts du quantitatif
pour tout critère de qualité porte en elle une toxicité sans équivalent. L’Appel
des appels vient de l’explorer en ce qui concerne l’évaluation, et ses grilles
qui nous emprisonnent, avec son dernier ouvrage Derrière les grilles. Pour en
finir avec le tout-évaluation (Les 1001 nuits, 2014). Elles servent à mesurer le
non-mesurable, pour faire en sorte que la performance devienne l’alpha et
l’omega de nos vies et de nos actions, sans plus de langue que celle des croix
dans les cases à cocher. L’omnitraductibilité des grilles en lieu et place des
intraduisibles…
Résumé
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Mots-clés
Traduire, intraduisibles, dictionnaire des intraduisibles, vocabulaire européen des philoso-
phies, globish, nationalisme ontologique, philosopher en langues, pratique sophistique, relati-
visme conséquent.
Summary
Our point of departure is the European Vocabulary of Philosophies, Dictionary of
Untranslatables (Seuil-Robert, 2004), An « untranslatable » expression is nothing but a
symptom of the differences of tongues, something that never cease (not) to be trans-
lated. The French edition intended to help Europe to prefer the diversity of tongues,
and to prevent to choose either Globish (global English) or a kind of ontological
nationalism (some heideggerian hierarchy of languages). The paradoxical transla-
tions of this first Dictionary of Untranslatables in different languages, such as English
Keywords
Translate, untranslatables, dictionary of untranslatables, European vocabulary of philoso-
phies, globish, ontological nationalism, philosophizing in tongues, sophistical practice, conse-
quent relativism.
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