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Reconstitution de la chaîne opératoire de la poterie

Article  in  Les Nouvelles de l'Archéologie · March 2010


DOI: 10.4000/nda.955

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Alexandre Smith
Royal Museum for Central Africa
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endogènes ou exogènes. La chaîne opératoire devient ici indice logique prend en compte tous les tessons de l’assemblage,
chronologique et témoin de la dynamique historique (Manem et donc que la représentativité des données quantitatives se
2008 ; Mayor 2005). Sachant que les matériaux constitutifs rapportant à chaque tradition est ainsi contrôlée. S’agissant du
de l’environnement sont susceptibles de changements aux dernier point, l’hypothèse est que les assemblages varient de
mêmes échelles de temps que les changements culturels, souli- manière plus ou moins forte selon la fonction des sites. Les sites
gnons par ailleurs que l’analyse intégrée des traditions et des d’habitat auraient tendance à présenter des assemblages plus
matériaux argileux, dans un cadre chronostratigraphique à homogènes que les sites de rassemblement où, par définition,
haute résolution, doit permettre d’utiliser comme indice chro- les assemblages comprendront un nombre plus important de
nologique particulièrement fiable les traditions céramiques groupes technopétrographiques reflétant des traditions issues
elles-mêmes, comme cela vient d’être démontré dans le sud du de provenances multiples (exemples pour le Chalcolithique
Levant pour le ve millénaire (Roux et al. sous presse). du Levant sud dans Goren 1995, Roux & Courty 2007, pour le
Bronze moyen des Charentes dans Manem 2008).
L’analyse technologique céramique vise une véritable lecture Sur un axe diachronique, la description de la variabilité
anthropologique de la variabilité synchronique et dia­chronique techno-stylistique des assemblages permet l’examen des dyna­
des assemblages archéologiques. Elle s’oppose aux études miques propres à chaque étape de la chaîne opératoire, et par suite
céramologiques qui caractérisent leur complexité en ne s’ap- des modalités d’évolution des traits techniques et stylistiques. La
puyant que sur le matériau argileux et/ou les types morpho- caractérisation de ces modalités (par exemple l’apparition de
stylistiques, indépendamment des traditions techniques dans nouveaux traits empruntés à un autre groupe) autorise en retour
lesquelles ils s’insèrent. l’étude des mécanismes sous-jacents (par exemple, emprunts par
Sur un axe synchronique, cette description de la variabi- contacts directs) dont on peut supposer qu’ils varient en fonc-
lité techno-stylistique des assemblages céramiques permet de tion du contexte de production (emprunt selon le statut socio-
mettre en évidence tout d’abord la variabilité des traditions ­économique de l’emprunteur et de l’emprunté, Roux 2007b).
ayant cours dans une région à un moment donné (voir les L’investigation sur la variabilité techno-stylistique des
autres contributions du volume), ensuite les « frontières » entre assemblages céramiques en termes anthropologiques, qui doit
groupes sociaux (ibid.), enfin la fonction des sites. L’étude aboutir à l’étude des mécanismes sous-jacents à l’évolution
des traditions techniques est la première étape pour ensuite des traits techno-stylistiques, ne fait que commencer. Elle
analyser l’organisation et la distribution de la production céra- représente un champ de recherche considérable et un véritable
mique (e.g. Boileau 2005, 2009), sachant que l’analyse techno- défi pour les futures études en technologie céramique.

Reconstitution de la chaîne opératoire de la poterie


Bilan et perspectives en Afrique sub-saharienne

Alexandre Livingstone Smith*

O n connaît l’importance de la poterie pour les archéologues ! On sait aussi à quel


point, à quelques exceptions près, son exploitation en tant que document histo-
rique s’est longtemps cantonnée à ces aspects très accessibles que sont les formes et
les décors. Lorsque des éléments techniques sont pris en compte, ce sont aussi les plus
aisément analysables par des méthodes développées par les géologues, les chimistes
ou les physiciens qui retiennent l’attention. Dès 1910 par exemple, Franchet évoque
les trois domaines auxquels s’attachera l’essentiel des reconstitutions durant tout le
xxe siècle : matières premières, préparations et transformations par le feu.

1. Les poteries noires ont fait, souvent, l’objet de recherches spéciales dont le but était
La plus célèbre est sans doute celle de déterminer si les potiers préhistoriques utilisaient des terres naturelles ou des terres
de Shepard (1936) sur la céramique préparées et si, d’autre part, ils possédaient des méthodes particulières de cuisson.
amérindienne, mais en Europe il faut noter (Franchet 1910 : 298)
les travaux d’Obenauer (1936) sur la céramique
du néolithique ancien de Köln Lindenthal.
Forcément incomplètes, les premières approches n’en permettent pas moins des
développements importants, par exemple en ce qui concerne la provenance des
artefacts1. Le mouvement prend de l’ampleur à partir des années 1950 avec le déve-
loppement de l’archéométrie, mais il faut attendre la fin des années 1980 pour que
* Musée royal de l’Afrique centrale,
Geography, Archaeology and les recherches se focalisent sur d’autres étapes de la chaîne opératoire, notamment
Environmental Studies – Wits University, celles pour lesquelles les méthodes développées dans d’autres disciplines ne sont pas
université libre de Bruxelles,  directement applicables en archéologie : façonnage, traitements des surfaces, traite-
alexandre.smith@africamuseum.be. ment pré- ou post-cuisson. Cette évolution résulte de multiples facteurs, dont trois

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au moins méritent d’être soulignés. Premièrement, le concept On a vu que la caractérisation des matières premières
de chaîne opératoire initialement proposé par André Leroi- intéresse les archéologues depuis longtemps. La nature des
Gourhan (1971 [1943]) et développé plus tard par Hélène terres exploitées peut ainsi être identifiée : dépôts fluviaux,
Balfet (1965, 1966) et Robert Cresswell (1972) contribue à dépôts lacustres ou marécageux, dépôts éoliens, dépôts
faire émerger en France un intérêt anthropologique et archéo- marins, argiles d’altération de roches (granites, calcaires, etc.),
logique pour les techniques. Deuxièmement, les chercheurs terres de termitières. Ces matériaux présentent des caractéris-
prennent conscience, des deux cotés de l’Atlantique, que tiques minéralogiques et granulométriques distinctes, parfois
celles-ci participent pleinement de la culture des sociétés et identifiables au terme de toutes les modifications que leur
constituent de ce fait un moyen d’en approcher la diversité font subir les artisans. Le protocole d’analyse proposé par
et l’histoire (Lechtman 1977 ; Lechtman & Steinberg 1979 ; Peacock (1969 et 1970) à la fin des années 1960, aujourd’hui
Lemonnier 1986, 1992). Troisièmement, on voit émerger avec largement adopté, affirme la nécessité de débuter systémati-
l’ethnoarchéologie et l’archéologie expérimentale un intérêt quement par une observation à l’œil nu et à la loupe binocu-
pour la compréhension des processus techniques et la consti- laire, si l’on veut éviter l’utilisation déraisonnée de méthodes
tution de référentiels applicables à l’archéologie (Rye 1981). d’analyses plus sophistiquées (pour une application rigou-
Les deux dernières décennies du xxe siècle ont connu une évolu- reuse de cette démarche sur du matériel syrien, voir Vokaer
tion considérable des études céramiques, qui accordent désormais 2005). Au niveau des observations directes, il est important
une place importante aux techniques de fabrication. Comme le de procéder de manière systématique en analysant la nature,
démontrent les études ethnographiques menées à travers le monde, la morphologie, l’abondance, la distribution et le classement
tous les aspects de la chaîne opératoire, même les plus anodins, des inclusions (Courty, Goldberg & Macphail 1989 ; Tucker
peuvent nous renseigner sur l’organisation sociale, économique 1981). On peut ainsi caractériser et différencier les maté-
et idéologique des communautés humaines (Arnold 1985, 1993 ; riaux et, si l’environnement géologique est suffisamment
Bowser 2002 ; Cort, Lefferts & Narasaki 1995 ; David & Hennig contrasté, localiser leur origine. L’application à des matériaux
1972 ; David, Sterner & Gavua 1988 ; Degoy 1997 ; Fowler 2008 ; ethnographiques a permis de valider cette démarche et d’en
Gallay 1991-1992 ; Gelbert 2000 ; Gosselain 2002 ; Pétrequin & illustrer le potentiel (Echallier & Roset 1986 ; Jacobson 2005 ;
Pétrequin 1999 ; Reith 1997 ; Sillar 2000 ; Stark 1992). Langdon & Robertshaw 1985 ; Senasson 1995). Le second cas
Ce potentiel interprétatif ne peut néanmoins se développer de figure est notamment documenté sur le site de Uan Tabu
en archéologie que si l’on arrive à reconstituer finement les (Libye) : une part importante des poteries est fabriquée à
chaînes opératoires de la poterie. Or, malgré la relative abondance l’aide d’un matériau dont la source la plus proche se situe à
des publications sur le sujet, les études céramiques connaissent 70 kilomètres à vol d’oiseau (Livingstone Smith 2001c :138).
encore de gros problèmes méthodologiques en matière d’identi- Bien qu’une localisation précise des gisements reste souvent
fication, de description et d’interprétation des paramètres tech- difficile, comme dans la vallée du Nil (De Paepe & Brijse 1987)
niques. Les progrès en ce domaine sont récents et liés en grande par exemple, ou aux alentours de Jebel Uweinat en Libye (De
partie au développement des recherches sur le continent africain. Paepe 1986), ces études révèlent des territoires d’exploitation
Il est donc légitime d’en résumer les lignes directrices, pour faire préférentiels et la diversité des lieux d’approvisionnement.
le point non seulement sur ce qui a été fait, mais également sur ce
qui reste à faire ou continue à poser problème. Dans cette optique, Préparation de la pâte
je suivrai ici les principales étapes de la chaîne opératoire.
Beaucoup d’artisans se contentent d’homogénéiser la terre
Sélection et extractions des matières premières et d’en éliminer les éléments les plus grossiers. Il existe
néanmoins des modes de préparation plus complexes. On
En Afrique sub-saharienne, comme dans le reste du monde, distinguera ainsi les techniques qui impliquent une homogé-
les artisans utilisent des « terres » de composition très variable, néisation de la matière première (séchage, trempage, pour-
mais contenant une proportion d’argile suffisante pour rissage, pétrissage, malaxage) et celles qui en modifient la
permettre la fabrication de la poterie. Ce type de matériau composition, soit par retrait (triage, pilonnage, concassage,
est très répandu, ce qui ne signifie pas que la sélection des broyage, tamisage et décantation), soit par adjonction de
gisements soit aléatoire. Plusieurs critères entrent en considé- matériaux d’origine minérale (autre terre, roche broyée, sable,
ration (Gosselain 1995 ; Gosselain & Livingstone Smith 2005 ; chamotte, terre brûlée, etc.), végétale (paille, balle de mil ou
Nicklin 1979) : appréciation des caractéris­tiques phy­siques de riz, sciure de bois, etc.) ou animale (coquillages, crottin,
de la matière (par exemple, argiles jugées « sableuses » ou os, poils, graisse, etc.). Comme pour la sélection des matières
« gluantes »), localisation du site par rapport aux zones premières, le choix des techniques de préparation se fonde sur
d’habitations et d’activités, accessibilité saisonnière ou non, une multitude d’enjeux d’ordre technique, social et symbo-
propriété, conceptions et pratiques religieuses, etc. Il est lique ; Gosselain (2002 : 65-66) note aussi des parallèles entre
important de comprendre que l’appréciation de la qualité la préparation de la pâte et la préparation des aliments.
d’une argile dépasse donc ses propriétés strictement physiques En règle générale, c’est surtout l’adjonction de matière,
et s’inscrit dans une relation plus large avec l’environnement ou « dégraissant », qui a une chance d’être identifiée. On
naturel, relation fondée sur des représentations géo­graphiques, procédera par analyse à la loupe binoculaire et par analyse
sociales et symboliques. pétrographique en lame mince. Les analyses chimiques sont

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peu utiles à ce stade de la chaîne opératoire. Le principe de ces éléments sont observables à l’œil nu ou à la loupe bino-
l’identification repose sur une caractérisation préalable de la culaire. Pour caractériser les structures internes, il faut aussi
matière première et la mise en évidence « d’anomalies » dans utiliser des techniques d’imagerie médicale.
la pâte des récipients archéologiques. Les analyses réalisées L’analyse de séries de récipients collectés en Afrique (voir par
sur des matériaux ethnographiques ou expérimentaux ont exemple, Bedaux 1994 : 200 ; Gelbert 2003 ; Huysecom 1994 ;
permis de déblayer le terrain en ce qui concerne la déter- Livingstone Smith 2001b et c ; Van Doosselaere 2005a et b)
mination de diverses techniques – addition de paille, de a permis la mise sur pied d’un référentiel de macrotraces qui
crottin, de chamotte, de roches broyées ou mélange d’argiles a été enrichi d’observations
(Livingstone Smith 2000 et 2001b). L’étude plus détaillée des par analyse radiographique 2.
2 Il faut aussi signaler les observations
matières organiques incluses dans les pâtes a permis à la fois sur sections brutes et polies . en lame mince faites par Senasson (1993)
d’affiner les méthodes d’identification et de mettre en valeur La combinaison des macro- et Pierret (1995a).
des informations qui dépassent le cadre strictement technique traces et des caractéristiques
– relation avec les pratiques agricoles, la collecte de graminées structurelles ainsi reconnues permet de reconstituer finement
sauvages, etc. (voir Van Dooselaere & Hayes 2006). l’ensemble des techniques mises en œuvre lors de l’ébauchage.
L’identification est évidemment d’autant plus simple que les Il faut préciser que tous les fragments de poteries ne présentent
matériaux ont peu de chance d’être naturellement inclus dans pas nécessairement de traces significatives, et qu’aucune technique
la pâte. L’un des cas les plus célèbres à cet égard est celui d’analyse, prise isolément, ne permet de garantir la reconstruc­
des spicules d’éponges dans des céramiques de la vallée du Nil tion des différentes étapes du façonnage. Pour bien faire, il faut
Blanc (Soudan) et du delta intérieur du Niger (Mali) (Adamson, examiner une grande quantité d’échantillons et multiplier les
Clack & Williams 1987 ; Brisseau & Houdayer 1986 ; McIntosh & approches analytiques, car la reconstitution des techniques mises
MacDonald 1989). Ces éléments sont naturellement présents dans en œuvre par les artisans se fonde davantage sur une convergence
les dépôts alluviaux. Adamson et al pensent cependant qu’ils ont d’indices que sur une reconnaissance de traits singuliers.
pu être ajoutés délibérément. En effet, on observe une plus forte En dépit de ces avancées, les applications archéologiques sont
proportion de spicules dans la pâte que dans les sédiments – ainsi encore peu courantes. Il existe de grandes synthèses fondées essen-
qu’une concentration et une conservation des parties fragiles tiellement sur des observations macroscopiques ou sur des infor-
de l’éponge – ce qui laisse supposer que les artisans les auraient mations contextuelles (Bedaux 1994 ; Huysecom 1992 ; Mayor
ajoutées sous forme de cendre. La présence de minéraux instables 2005, à paraître ; Sterner & David 2003), mais les études détaillées
ou fragiles en bon état dans des poteries égyptiennes a aussi présentant les résultats d’analyses combinées sont encore très rares
été interprétée comme preuve d’une addition de roche broyée (Livingstone Smith 2001c ; Van Doosselaere 2005a et b).
(Mallory-Greenough, Greenough & Owen 1998 : 398).
Les techniques ornementales
Techniques de façonnage
Si aucune synthèse n’a été entreprise pour l’Afrique sub-saharienne,
Pour cette étape de la chaîne opératoire, les recherches menées la documentation disponible témoigne de l’extraordinaire diversité
en Afrique ont eu un impact énorme sur les études céramiques, des comportements techniques à ce stade de la chaîne opératoire.
qu’il s’agisse de l’interprétation des comportements techniques Réalisés sur pâte humide ou sur pâte sèche par déplacement, retrait
ou de la constitution d’un référentiel destiné à l’archéologie. ou addition de matière, au doigt ou à l’aide d’un outil, les décors
Les observations effectuées depuis la fin du xixe siècle ont varient également du point de vue des matières premières, des
permis l’identification d’au moins sept grandes techniques modalités de fabrication et du mode d’utilisation des outils.
d’ébauchage en Afrique sub-saharienne : le modelage, le Les premières tentatives de reconstitution visaient essen-
colombinage, le creusement/étirement d’une motte, l’étirement tiellement à reconnaître les grandes catégories techniques au
d’un anneau, l’étirement d’anneaux superposés, le moulage et départ d’un référentiel expérimental (De Meulesmeester 1975 ;
le martelage (Gosselain 2002). Ces techniques peuvent être Soper 1979, 1985), mais la finalité était avant tout comparative
appliquées ou combinées de diverses manières et des dizaines et non analytique. La première étude analytique a été réalisée
de méthodes d’ébauchage distinctes ont été identifiées. Dans sur du matériel archéologique (Caneva 1987). Tout en insistant
le cas de l’ébauchage au colombin, par exemple, des segments sur la nécessité de distinguer le geste et l’effet sur la matière,
de colombins de dimensions variables peuvent être accolés, son auteur formalise les protocoles d’identification technique
pincés ou écrasés, en chevauchement interne ou externe, en partant de photos de tessons. La méthode consiste alors à
voire simplement superposés. Il en est de même pour d’autres analyser les rapports entre les éléments individuels du décor
techniques comme le martelage, qui connaît de nombreuses pour identifier la partie agissante de l’outil. Une fois celui-ci
variantes de postures, de gestes ou d’outils (Huysecom 1992 ; identifié, on peut reconnaître le geste. Cette approche est faci-
Livingstone Smith 2001b ; Sterner & David 2003). litée par l’utilisation d’agrandissements digitaux des surfaces
Pour assurer la reconstitution de ces techniques, quatre et leur importation dans un logiciel de dessin (pour une
types d’éléments doivent être systématiquement pris en description détaillée, voir Livingstone Smith sous presse).
compte : 1)  la morphologie des fractures, 2)  les variations L’absence de synthèse sur les décors observés en contexte
d’épaisseur, 3)  les irrégularités des surfaces, 4)  la structure ethnographique est compensée par une abondante littérature
interne (orientation des inclusions et des pores). La plupart de sur l’ornementation des poteries archéologiques. Dans ce cas,

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les éléments techniques peuvent être à la base des grandes (enfumage, frottage, aspersion ou trempage à chaud ou à
séquences établies (voir par exemple Gallin 2002 ; Jesse 2004 ; froid) et des matériaux utilisés (eau, écorces, racines, fruits,
Langlois 2001 ; Mayor 2005 ; Wiesmueller 2001). Ces travaux résine, etc.). La technique d’application pourrait avoir un effet
ont permis de distinguer des phases chronologiques et des faciès sur la microstructure de la pâte (interruption des phénomènes
culturels mis en relation avec d’éventuels processus linguis­ résultant d’un refroidissement lent), tandis que les matériaux
tiques. En général, l’étude des décors reste néanmoins fondée sur appliqués en modifieraient la composition (présence dans la
une comparaison des ressemblances visuelles plutôt que sur une pâte de composés organiques spécifiques).
approche analytique du type de celle qu’a développée I. Caneva. À ma connaissance, on ne dispose d’aucune information
sur l’effet des techniques d’application sur la microstructure
Les techniques de cuisson des récipients. Par contre, en ce qui concerne les matières
utilisées, des analyses par chromatographie liquide ont permis
Pour un archéologue habitué à entendre parler de cuisson en d’identifier des résidus pyrolisés de tanins présents dans
four ou en feu ouvert, de cuisson à 700° C ou d’atmosphère quatre espèces végétales utilisées pour enduire des récipients.
oxydante, la diversité des techniques de cuisson observées Des composants similaires ont ensuite été identifiés sur des
aujourd’hui en Afrique sub-saharienne est tout simplement poteries congolaises vieilles de 2 000 ans, ce qui a permis,
extraordinaire. La structure, le combustible et, d’une manière pour la première fois, d’affirmer l’ancienneté de ce type de
générale, la manière dont les artisans mènent l’opération, techniques (Diallo, Vanhaelen & Gosselain 1995).
varient considérablement d’une tradition technique à une
autre (Gosselain 1992, 1995 ; Livingstone Smith 2001a et b). Le principal objectif de cet article était de dresser un bref
L’appréhension archéologique de cette diversité pose cepen- bilan des recherches consacrées aux chaînes opératoires de la
dant d’énormes problèmes. Elle a longtemps reposé sur une céramique en Afrique sub-saharienne et à leur reconstitution
évaluation des conditions de cuisson (température et atmo­ archéologique. J’espère avoir attiré l’attention sur l’intérêt d’un
sphère), fondée sur le degré d’altération des argiles et des dialogue plus systématique et plus rigoureux entre l’ethnologie
minéraux (pour un aperçu de la question, voir Livingstone et l’archéologie. Si la combinaison des approches historique,
Smith 2001a ; Tite 1995). On se contentait alors de distinguer ethnographique et archéométrique est prônée depuis long-
les poteries cuites en four de celles cuites en feu ouvert – caté- temps, il reste manifestement bien des problèmes à résoudre.
gorie regroupant tous les autres procédés. L’idée qui sous-tend Cette démarche pluridisciplinaire aide tout d’abord à prendre
ces travaux est que la structure est la principale cause de l’évo- conscience de la diversité et de la complexité des comportements
lution thermique d’une cuisson et donc le principal paramètre humains liés à la fabrication des récipients en terre cuite. Il est
influençant les caractéristiques physiques de la poterie. Cette dès lors possible de mieux définir les objectifs à atteindre lors des
conception présente de nombreuses faiblesses. Tout d’abord, les reconstitutions archéologiques et d’établir une grille d’analyse
phénomènes qui affectent les argiles et les minéraux lors d’une permettant une comparaison des résultats. Ainsi, on a vu par
cuisson ne sont pas seulement liés à la température. Des carac- exemple qu’un examen à l’œil nu et à la loupe binoculaire permet
téristiques physiques similaires peuvent résulter de méthodes de de dégager les principales caractéristiques d’un assemblage. On
cuisson très différentes. Ensuite, l’opposition entre « feu ouvert » peut alors, pour répondre à des questions plus précises, procéder à
et « four » est largement insuffisante pour rendre compte de des analyses nécessitant un appareillage plus sophistiqué.
la diversité et de la complexité des procédures de cuisson Les matières premières, les outils et les récipients collectés
(Gosselain 2002). Dans une telle perspective, les sept types de auprès d’artisans contemporains permettent également de
structures de cuisson reconnues aujourd’hui en Afrique sub- tester les méthodes analytiques et d’établir un référentiel de
saharienne devraient être réunies en une seule catégorie. Enfin, traces techniques. Ici, il ne s’agit pas seulement de consti-
l’analyse des données thermométriques obtenues lors de cuis- tuer une collection de référence à laquelle les échantillons
sons ethnographiques montre qu’il est impossible de distinguer archéologiques peuvent être comparés, mais aussi de réfuter
les différentes méthodes sur la base des seules caractéristiques des concepts erronés empruntés à d’autres disciplines pour
thermiques (Gosselain 1992 ; Livingstone Smith 2001a). élaborer enfin une méthodologie propre à l’archéologie. Peut-
Ces différents éléments soulignent l’énorme difficulté à être cessera-t-on alors d’utiliser le terme pompeux d’analyse
laquelle sont confrontés les archéologues par rapport à cette scientifique pour toutes les recherches qui nécessitent un
étape de la chaîne opératoire. À ce jour, aucune des pistes moyen analytique annexe tel qu’un microscope optique ou un
analytiques explorées n’a apporté de réponse satisfaisante. microscope électronique à balayage. Le constat n’est pas neuf,
mais il conserve malheureusement toute sa pertinence.
Les traitements post-cuisson
Remerciements
En dehors de l’enfumage, les traitements post-cuisson – applica-
Ce travail a été rendu possible par le soutien de plusieurs institu-
tion d’eau ou d’enduits organiques, à chaud ou à froid, après la
tions : Musée royal de l’Afrique centrale, université libre de Bruxelles,
cuisson – sont rarement évoqués en archéologie. Il s’agit certai- Geography, Archaeology and Environmental Studies - Wits University.
nement de l’aspect le moins connu de la chaîne opératoire. Je remercie également Olivier pour son soutien habituel !
En vue d’une reconstruction archéologique, il faut distin-
guer les techniques en fonction des modalités d’application

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