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professeure associée à l’université d’Hiroshima,


sociologue spécialisée en violences sexuelles et
Au Japon, pas d’avortement sans
responsable de deux associations.
consentement du partenaire
PAR JOHANN FLEURI
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 31 MAI 2022

Dans une rue de Tokyo, en 2019. © Photo Charly Triballeau / AFP

«Si l’avortement est pratiqué au Japon, il est toujours


Dans une rue de Tokyo, en 2019. © Photo Charly Triballeau / AFP considéré comme un crime, selon le Code pénal,
Si l’avortement est pratiqué dans l’archipel japonais, rappelle la professeure. De nombreux Japonais eux-
il reste considéré comme un crime. Pour se mêmes ne le savent pas.» La loi tolère l’avortement
protéger d’éventuelles poursuites judiciaires, les sous certaines conditions: lorsque la grossesse
médecins exigent la preuve écrite du consentement présente un danger pour la santé de la mère ou pour des
du partenaire. Au plus grand désarroi des femmes raisons économiques. «Il n’est pas écrit que la femme
victimes de violences. peut décider d’avorter de son plein gré, elle doit se
Tokyo (Japon).– En 2020, une femme, tombée justifier.»
enceinte après avoir été victime d’un viol, s’est Selon la loi dite de «protection maternelle», en place
vu refuser l’avortement dans plusieurs cliniques depuis 1996, une femme mariée doit fournir la preuve
japonaises. Elle n’avait pas pu fournir la preuve écrite écrite du consentement de son mari si elle souhaite
du consentement du «partenaire». Particulièrement avorter, sous peine de se voir refuser la procédure. Par
médiatisé, ce cas est pourtant loin d’être isolé, selon crainte de poursuites judiciaires, les médecins du pays
les associations de protection de victimes de violences poussent le système encore plus loin, en demandant à
sexuelles. toutes les femmes, y compris à celles qui ne sont pas
Au Japon,«nombreuses sont les femmes qui donnent mariées, de fournir le fameux papier.
naissance à des enfants pour la seule raison qu’elles Les droits bafoués des femmes mariées
n’ont pas pu avorter»,affirmeChisato Kitanaka, «Il est fréquent que les femmes non mariées ne soient
pas au courant qu’elles ne sont pas obligées de fournir
le papier,expliqueChisato Kitanaka. Elles se fient aux
cliniques qui les réclament.» L’ironie sordide de ce
papier reste que pour la femme non mariée, «les
cliniques ne vérifient pas si la personne qui a signé est
bien ledit partenaire».
La femme mariée est quant à elle pieds et poings liés
si son époux s’oppose à la procédure: une situation
insoutenable dans un pays où «le viol conjugal n’est
pas reconnu». Chisato Kitanaka affirme que «dans les
foyers où règne la violence, il y a souvent beaucoup
de naissances».

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Elle expose également un cas de figure: «Dans les Le gouvernement a cependant promis que la demande
couples qui divorcent après des faits de violence, la d’approbation auprès du ministère de la santé
séparation officielle peut prendre des années. Si la du mifépristone et du misoprostol par la société
femme refait sa vie et tombe enceinte de son nouveau pharmaceutique Linepharma serait validée cette
compagnon et qu’elle souhaite avorter, c’est le mari année. Mais l’enthousiasme des militantes a été
qui doit signer le consentement: aux yeux de la loi, il rapidement douché: comme pour la procédure
reste le père.» Si elle donne naissance à l’enfant, «il chirurgicale, la pilule sera prescrite sous réserve de
ne peut pas être inscrit sur le registre d’état civil»: pouvoir fournir le consentement du partenaire et elle
des enfants qui ne peuvent, par exemple, pas aller coûtera la somme de 100000 yens (800euros).
à l’école. «Ils existent, ils vivent cachés»,s’alarme la En 2021, la forte mobilisation des associations de
sociologue. soutien aux victimes de violences sexuelles a ouvert
Autre obstacle de taille, le prix. L’avortement au Japon une brèche sur la question du consentement écrit.
coûte cher, entre 100000 et 500000yens (entre 800 Acculé par les critiques, le ministère de la santé a
et 4000euros), «une fortune pour une lycéenne ou déclaré, en mars de la même année, que dans les
une étudiante».La procédure se fait par curetage, une situations de violence domestique, la femme mariée
méthode chirurgicale qui consiste à gratter la surface n’aurait plus besoin de prouver le consentement écrit
interne de l'utérus. L’OMS recommande pourtant de son mari.
qu’elle soit remplacée par l’aspiration, plus sécurisée Une victoire qui ne rassure pas Chisato Kitanaka. Elle
et plus fiable: mais, au Japon, ce n’est pas à l’ordre du craint que, sur le terrain, cela ne change pas. «Combien
jour. de médecins vont appliquer cette nouvelle mesure?
Pas de pilule abortive J’ai des doutes.» Car, «aujourd’hui encore, ce papier
Environ 160000avortements sont pratiqués chaque est quasi systématiquement demandé aux femmes non
année dans le pays, dont 19000 sur des jeunes femmes mariées, alors que ce n’est même pas dans la loi». Tant
âgées de moins de 20ans, «qui restent particulièrement que l’avortement sera inscrit comme un crime dans le
éprouvées par la méthode du curetage». La pilule Code pénal, la situation risque de perdurer.
abortive, utilisée dans 55% des avortements en France,
n’est toujours pas disponible sur le marché nippon.

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