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Finaliste
Jury
Viviane Clément
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C'est en haut, tout en haut de la butte. Le jardin est caché. De la route on ne voit rien,
mais on entend le bruit sourd de la bêche ou de l'arrosoir qui heurte la paroi du bassin.
Des souvenirs reviennent, si vivaces que j'entends encore la voix de mon père :
« Bloque ! Bloque ! » me crie-t-il. Vite, il faut dévier la rigole pour arroser la rangée
suivante. Il souffle un peu. Le manche lisse de la bêche est doux et chaud. Dans le
de petits lézards gris chauffent au soleil. Ils sont si vifs et si changeants qu'en un clin
d'œil ils glissent dans un trou du muret. Près du bassin quatre marches de pierres usées
grimpent vers le pré. C'est le champ de l'olivier. Ses petites feuilles vertes bruissent
doucement. Est-ce le vent ou une grive matinale qui agite ses rameaux ?
vide et puis petit à petit l'eau gargouille. Elle monte dans le tuyau et tout d'un coup elle
sort, fraîche et limpide, puis se jette, musicale, dans le bassin. C'est mon père qui pompe
pompe et une gerbe d'eau arrose mon visage, pénètre ma bouche et mon nez, mouille
Aujourd'hui le jardin est encore en bon état. La terre est meuble et propre. Deux pins
ont poussé au milieu et font beaucoup d'ombrage, mais qu'importe, leur ombre ne nuit
J'allais toujours au jardin avec mon père. C'est l'unique endroit où nous étions très
proches. À la maison, c'était mon père avec un grand P. Il m'intimidait un peu, parlait et
souriait rarement. À table, car c'est là que nous nous retrouvions, je regardais son visage
sévère où brillaient deux yeux sombres, ses grandes mains burinées où un mince fil d'or
Mais au jardin j'étais la reine. Loin de la maison, cachée par les lilas et les lauriers, le
jardin était mon royaume. J'arrosais, les pieds nus dans la boue, le nez au sol je
regardais pousser les radis, avec un bâton je déterrais de longs vers de terre gluants, de
petits insectes biscornus que je portais à mon père. Il me disait alors leur nom :
ramenais tout ce petit monde vers leur vie souterraine, car chez mon père on ne tuait
pas. Il y avait le lézard vert qu'on appelait Topaze qui fuyait si j'étais là, mais qui tenait
l'attendre accroupie près du bassin, mais en vain. Alors lassée je reprenais mes jeux
bruyants. Je sautais au-dessus des salades, esquivait, mais pas toujours, les rigoles d'eau
fraîche, piochait avec ardeur un coin de terre que mon père m'avait confié pour mes
semis.
Je jetais à la volée des graines de radis tel l'Auguste semeur. Puis sur les conseils de mon
père je traçais un sillon dans la terre que j'arrosais abondamment ensuite je déposais
les graines de haricots à intervalles réguliers et les recouvrais légèrement avec une
petite pioche. Quelquefois, en cachette, je croquais une de ces graines magiques. C'était
Je dénichais de gros escargots baveux dans les salades. Je touchais de mon doigt leurs
cornes tremblotantes et dès qu'ils se cachaient dans leur coquille j'allais les déposer loin
Et puis il y avait le coin des fleurs. J'étais chargée de les arroser avec l'arrosoir en fer qui
était plus lourd que moi. Je le trainais tant bien que mal et déversais l'eau sur les tulipes,
Avant de partir, mon père en faisait un bouquet et c'est moi qui l'offrais à ma mère.
Quand il avait bien arrosé, d'un tour de main, il sortait une carotte de la terre. Sa fane
était verte et humide. Il la lavait sous l'eau claire de la pompe avant de me la donner. Je
croquais à pleines dents. C'était frais, dur et tendre à la fois. Je n'ai jamais rien mangé
d'aussi bon.
À côté du jardin se trouvait un petit lopin de terre où mon père enterrait nos animaux
domestiques. Ils étaient bien souvent morts de vieillesse, car chez nous les bêtes étaient
bien traitées. Chats, chiens entraient et sortaient librement. Il n'y avait pas de chaîne ni
C'est devant ce petit bout de terre qu'il me parlait de Tayau, Blackou, la Grisette... J'en
En hiver nous allions moins souvent au jardin. Il fallait pourtant protéger les cardons
fièrement dans le froid de décembre. Les choux montraient leur tête ronde et la salade
frisée cachait son cœur tendre et blanc. Mon père avait préparé un tas de fagots où les
hérissons hibernaient tout l'hiver. À quatre pattes devant le bois je guettais le moindre
Avant de partir, il me regardait puis il ajustait mon chemisier, frottait mes genoux
« lampourdes » collantes qui s'y étaient accrochées. Je regardais avec gravité ses gestes
ma mère.
Puis nous rentrions doucement. La côte était raide et mon père avançait lentement
mesurant ses efforts. Il portait un lourd panier rempli de légumes et moi quelquefois un
bouquet de fleurs, du persil, des feuilles de menthe. Je courais et tournais autour de lui.
Puis doucement, sans faire de bruit, je glissais ma main dans sa main dure et forte et