L'image-mouvement et L'image-temps moins ". Nous percevons la chose, moins ce qui ne
nous intéresse pas en fonction de nos besoins. Par besoin ou intérêt il faut entendre les lignes et points Gilles Deleuze (1985) que nous retenons de la chose en fonction de notre force réceptrice, et les actions que nous sélectionnons en fonction des réactions retardées L'image-mouvement est la manière de faire dont nous sommes capables. Ce qui est une participer le spectateur au temps du film en excitant manière de définir le premier moment matériel de la ses fonctions sensori-motrices. Dans un film fait subjectivité : elle est soustractive, elle soustrait de la d'une immense image-mouvement, on peut trouver chose ce qui ne l'intéresse pas. six types d'image (l'image-perception, l'image-action, l'image-affection, l'image-pulsion, l'image-reflexion et Dans le cinéma classique nous allons de la l'image-relation), chacune d'elles possédant perception totale objective qui se confond avec la plusieurs signes de reconnaissance. chose à une perception subjective qui se distingue par simple élimination ou soustraction. C'est cette En privilégiant, telle ou telle type de ces six images, perception subjective unicentrée qu'on appelle on obtient trois grands types de cinéma : le cinéma perception proprement dite. Et c'est le premier réaliste avec ses trois types d'images-mouvements avatar de l'image-mouvement : quand on la rapporte (perception, action, affection), le cinéma naturaliste à un centre d'indétermination, elle devient image- avec l'image-pulsion et le cinéma moderne qui joue perception. sur la rupture des liens sensori-moteurs pour proposer des images mentales dont Alfred Hitchcock Lorsque l'univers des images-mouvement est est le précurseur. Celui-ci invente en effet l'image- rapporté à une de ces images spéciales qui forme relation et l'image-réflexion. un centre en lui, l'univers s'incurve et s'organise en l'entourant. On continue d'aller du monde au centre, Dans le cinéma classique c'est ainsi l'image- mais le monde a pris une courbure, il est devenu mouvement qui prédomine. Celle-ci a pour objet de périphérie, il forme un horizon. On est encore dans décrire les relations entre, d'une part, une action ou l'image-perception mais on entre dans l'image- une situation et, d'autre part, une émotion, une action. En effet la perception n'est qu'un côté de pulsion ou une réaction. Dans le cinéma classique, l'écart, dont l'action est l'autre côté. Ce qu'on appelle le réalisateur s'efface devant ses personnages pour action, à proprement parler, c'est la réaction décrire de la façon la plus intense et la plus juste retardée du centre d'indétermination. Or ce centre une émotion, une pulsion ou une action. n'est capable d'agir en ce sens, c'est à dire Le cinéaste moderne, comme le peintre moderne, d'organiser une réponse imprévue, que parce qu'il privilégie l'art à la beauté. Il ne cherche pas tant à perçoit et a reçu l'excitation sur une face privilégiée, mettre en œuvre les moyens de décrire les mystères éliminant le reste. Ce qui revient à rappeler que et la plénitude d'un être, en fait à imiter la nature toute perception est d'abord sensori-motrice… Si le humaine, qu'à exposer les moyens de la création. monde s'incurve autour du centre perceptif, c'est Comme Cézanne, il veut "rendre visible l'activité donc déjà du point de vue de l'action dont la organisatrice du percevoir". Comme dans l'art perception est inséparable. Par l'incurvation, les moderne encore, le cinéma moderne requiert une choses perçues me tendent leur face utilisable, en intervention plus active du spectateur qui ne doit même temps que ma réaction retardée, devenue plus se contenter de reconnaître globalement action, apprend à les utiliser… C'est le même l'image décrite mais s'intéresser au processus de phénomène d'écart qui s'exprime en terme de temps création. dans mon action et en terme d'espace dans ma perception : plus la réaction cesse d'être immédiate et devient véritablement action possible, plus la L'image mouvement perception devient distante et anticipatrice, et dégage l'action virtuelle des choses. Après deux chapitres très théoriques consacrés à Bergson, au cadre et au montage, Gilles Deleuze Tel est donc le deuxième avatar de l'image- commence par définir l'image-perception puis les mouvement : elle devient image-action. On passe cinq autres images-mouvement. Parallèlement, il insensiblement de la perception à l'action. définit une vingtaine de signes, véritables signes de L'opération considérée n'est plus l'élimination, la reconnaissances qui renvoient à l'un des six types sélection ou le cadrage mais l'incurvation de d'image. l'univers, d'où résultent à la fois l'action virtuelle des choses sur nous et notre action possible sur les La chose et la perception de la chose sont une seule choses. C'est le second aspect matériel de la et même chose mais rapportée à deux systèmes de subjectivité. référence distinctes. La chose, c'est l'image telle qu'elle est en soi, telle qu'elle se rapporte à toutes Mais l'intervalle ne se définit pas seulement par la les autres images dont elle subit intégralement spécialisation de ces deux faces-limites, perceptive l'action et sur lesquelles elle réagit immédiatement. et active. Il y a l'entre-deux. L'affection, c'est ce qui Dans la perception ainsi définie, il n'y a jamais autre occupe l'intervalle, ce qui l'occupe sans le remplir ni le combler. Elle surgit dans le centre l'affect en tant qu'exprimé (ou exposé) dans un d'indétermination, c'est à dire dans le sujet, entre espace quelconque. Un espace quelconque est soit une perception troublante à certains égards et une un espace vidé, soit un espace dont le action hésitante. Elle est donc coïncidence du sujet raccordement des parties n'est pas fixe ou fixé et de l'objet, ou la façon dont le sujet se perçoit lui- même, ou plutôt s'éprouve et se ressent " du dedans ". Le fétiche : signe de l'image-pulsion. Représentation des morceaux arrachés au monde Dans le cinéma réaliste c'est le couple perception- dérivé. La pulsion est un acte qui arrache, déchire, action qui est privilégié. Il articule des milieux et des désarticule : le fétiche est un gros plan objet. Le comportements, des milieux qui actualisent et des fétiche c'est l'objet de la pulsion, c'est à dire le comportements qui incarnent. Le cinéma naturaliste morceau qui à la fois appartient au monde originaire ne fait qu'opposer deux milieux particuliers : le milieu et est arraché à l'objet réel du milieu dérivé. C'est des mondes dérivés et celui des mondes originaires. toujours un objet partiel, quartier de viande, pièce Une pulsion n'est pas un affect, parce qu'elle est une crue, déchet, culotte de femme, chaussure. La impression, au sens le plus fort, et non pas une chaussure comme fétiche sexuel donne lieu à une expression. confrontation Stroheim-Bunuel particulièrement dans Dicisigne, reume, engramme, icône, qualisigne, La veuve joyeuse de l'un et Le journal d'une femme potisigne, fétiche, symptôme, synsigne, binôme, de chambre de l'autre. indice, empreinte, vecteur, figure, marque, Le symptôme : signe de l'image-pulsion. Evoque la démarque et symbole sont les dix-sept signes qui présence des mondes originaires dans le monde permettent de reconnaitre les six types d'images- dérivé. Chez Stroheim le sommet de la montagne de mouvement : Maris aveugles, la cabane de sorcière de Folies de Le dicisigne : signe de l'image-perception. Il femmes, le palais de Queen Kelly, le marais de renvoie à une perception de perception, et se l'épisode africain du même film, le désert à la fin des présente ordinairement au cinéma quand la caméra rapaces ; chez Bunuel, la jungle de studio dans La " voit " un personnage qui voit ; il implique un cadre mort en ce jardin le salon de L'ange exterminateur la ferme, et constitue ainsi une sorte d'état solide de la rocaille de L'âge d'or. Le dépôt d'ordures où le perception. cadavre sera lancé, dans Folies de femmes et Los olvidados. Le reume : signe de l'image-perception. Il renvoie à une perception fluide ou liquide qui ne cesse de Le synsigne : signe de l'image-action. Ensemble de passer à travers le cadre. qualités et de puissances en tant qu'actualisées dans un état de choses, constituant dès lors un L'engramme : signe de l'image-perception. Signe milieu réel autour d'un centre, une situation par génétique de l'état gazeux de la perception, la rapport à un sujet formant une spirale. les indiens se perception moléculaire, que les deux autres découpant sur le fond du ciel dans un paysage de la supposent. monument valley chez Ford. L'icône : signe de l'image-affection. Désigne l'affect Le binôme : désigne tout duel, c'est à dire ce qui est en tant qu'exprimé par un visage, ou un équivalent proprement actif dans l'image action. Les feintes, les de visage. parades, les pièges sont des binômes exemplaires. Il y a expression d'une qualité lorsque le visage L'indice : signe de la petite forme de l'image-action pense à quelque chose, se fixe sur un objet. Il (qui va d'une action, d'un comportement à une admire ou s'étonne. Il marque un minimum de situation partiellement dévoilée). Action (ou un mouvement pour un maximum d'unité réfléchissante équivalent d'action, un geste simple) qui dévoile une et réfléchie En tant qu'il pense à quelque chose, le situation qui n'était pas donnée. La situation est visage vaut surtout par son contour enveloppant. A donc conclue de l'action par inférence ou par quoi penses-tu ? Ce sont des traits de raisonnement relativement complexe. Selon les visagéification que l'on trouve majoritairement dans deux sens du mot ellipse, on distingue les indices de l'art classqiue, chez griffith ou keaton. manque des indices d'équivocité. Il y a expression d'une puissance lorsque le visage Puisque la situation n'est pas donnée pour elle- est soumis au désir, inséparable de petites même, l'indice est ici indice de manque, implique un sollicitations ou d'impulsions qui composent une trou dans le récit et correspond au premier sens du série intensive exprimée par le visage. Qu'est-ce qui mot "ellipse". Par exemple dans L'opinion publique, te prend, qu'est-ce que tu as, qu'est-ce que tu sens Chaplin insistait sur le trou d'une année que rien ne ou tu ressens ? Ce sont des traits de visagéité que venait combler, mais que l'on concluait du nouveau l'on retrouve majoritairement dans l'art baroque, comportement et de l'habillement de l'héroïne, chez Eisenstein ou Chaplin. devenue maîtresse d'un homme riche. L'indice est Le qualisigne ou Le potisigne: signe de l'image- souvent d'autant plus fort qu'il enveloppe un affection. Terme créé par Pierce pour désigner une raisonnement rapide ainsi lorsque la femme de qualité qui est un signe. Employé ici pour désigner chambre ouvre une commode, et le col d'un homme tombe accidentellement sur le sol, ce qui révèle la d'elle puisse ensuite se détacher de la série : liaison d'Edna. Chez Lubitsch on trouve comme dit Hitchcock, Les oiseaux doivent être des constamment ces raisonnements rapides. Dans oiseaux ordinaires. Sérénade à trois l'un des deux amants voit l'autre La démarque : signe de l'image-relation. Lorsqu'une vêtu d'un smoking, a petit matin chez l'aimée image saute hors de la trame de la série coutumière, commune : il conclut de cet indice (et le spectateur surgit dans des conditions qui l'en extraient ou la en même temps) que son ami a passé la nuit avec mette en contradiction avec elle. Certaines la jeune femme. L'indice consiste donc en ceci qu'un démarques de Hitchcock sont célèbres, comme le des personnages est "trop" habillé, trop bien habillé moulin de Correspondant 17 dont les ailes tournent d'un costume de soirée, pour ne pas avoir été durant en sens inverse du vent, ou l'avion sulfateur de La la nuit dans une situation très intime qui n'a pas été mort aux trousses qui apparaît là où il n'y pas de montrée. C'est une image-raisonnement. champ à sulfater. De même le verre de lait que sa Il y a un second type d'indice, plus complexe indice luminosité rend suspect dans Soupçons ou la clé qui d'équivocité. Dans L'opinion publique la scène du ne s'adapte pas à la serrure dans Le crime était collier jeté et rattrapé fait que l'on se demande si presque parfait. Edna n'aime pas d'un amour compréhensif et profond son amant riche. C'est comme si une action, Le symbole : signe de l'image-relation. Le symbole un comportement recelait une petite différence qui n'est pas une abstraction, mais un objet concret suffit pourtant à la renvoyer simultanément à deux porteur de diverses relations, ou des variations situations tout à fait distantes et éloignées. Dans To d'une même relation, d'un personnage avec d'autres be or not to be, on se demande quand un spectateur ou avec soi-même. Le bracelet est un tel symbole quitte son siège dès que l'acteur commence son dès The ring comme les menottes dans Les trente monologue c'est parce qu'il en a assez ou parce qu'il neuf marches ou l'alliance de Fenêtre sur cour. Les a rendez-vous avec la femme de l'acteur ? Une très démarques et les symboles peuvent converger petite différence dans le geste mais aussi l'énormité particulièrement dans Les enchaînés ; la bouteille de la distance entre deux situations telles qu'une suscite une telle émotion chez les espions qu'elle question de vie ou de mort. saute par delà même la série habituelle vin-cave- La petite forme de l'image-action englobe , outre la dîner ; et la clé de la cave ; que l'héroïne tiens dans comédie, le genre du film noir, Le grand sommeil, Le sa main serrée, porte l'ensemble des relations faucon maltais, L'invraisemblable vérité. Dans ce qu'elle entretient avec son mari à qui elle la volée, dernier film où le héros fabrique de faux indices qui avec son amoureux à qui elle va la donner, avec sa l'accusent d'un crime mais les preuves de la mission qui consiste à découvrir ce qu'il y a dans la fabrication ayant disparus il se trouve arrêté et cave. On voit qu'un même objet, une clé par condamné ; tout près d'obtenir sa grâce, lors d'une exemple peut suivant les images où il est pris dernière visite à sa fiancée, il se coupe, laisse fonctionner comme un symbole (Les enchaînés) ou échapper un indice qui fait comprendre à celle-ci une démarque (Le crime était presque parfait). Dans qu'il est coupable et qu'il a vraiment tué. La Les oiseaux la première mouette qui frappe l'héroïne fabrication de faux indices était une manière efficace est une démarque puisqu'elle sort violemment de la d'effacer les vrais, mais aboutissent par une voie série coutumière qui l'unit à son espèce, à l'homme détournée à la même situation que les vrais. Aucun et à la nature. Mais les milliers d'oiseaux, toutes autre film ne livre une telle dans d'indices avec une espèces réunies, dans leurs préparatifs, dans leurs telle mobilité et convertibilité des situations attaques, dans leurs trêves, sont un symbole : ce ne opposées. sont pas des abstractions ou des métaphores, ce sont de véritables oiseaux, littéralement, mais qui Le vecteur : ligne brisée qui unit des points présentent l'image inversée des rapports de singuliers ou des moments remarquables au l'homme avec la nature, et l'image naturalisée des sommet de leur intensité. L'espace vectoreil se rapports des hommes entre eux. Les démarques distingue de l'espace englobant. Par exemple les sont des chocs de relations naturelles (série) et les moments de folie destructrice dans les quatre symboles des nœuds de relations abstraites parties de Intolérance. (ensemble). L'empreinte : signe de l'image-action. Lien intérieur L'image-temps entre la situation et l'action. Il se passe quelque chose dans le cinéma moderne La figure : signe de l'image-reflexion. Au lieu de qui n'est ni plus beau, ni plus profond, ni plus vrai renvoyer à son objet, le signe en réflechit un autre que dans le cinéma classique mais seulement autre. (image plastique) , ou bien réfléchit son propre objet C'est que le schème sensori-moteur ne s'exerce mais en l'inversant (image inversée); ou bien plus, mais n'est pas davantage dépassé, surmonté. réflechit directement son objet (image discursive). Il est brisé du dedans. Des personnages pris dans La marque : signe de l'image-relation. Une image des situations optiques ou sonores, se trouvent renvoie à une autre image dans une série condamnés à l'errance ou à la balade. Ce sont de coutumière telle que chacune peut être interprétée purs voyants, qui n'existent plus que dans l'intervalle par les autres. Il est donc très important que ces de mouvement et n'ont même pas la consolation du images soient tout à fait ordinaires, pour que l'une sublime, qui leur ferait rejoindre la matière ou conquérir l'esprit. Ils sont plutôt livrés à quelque chose d'intolérable qui est leur quotidienneté même. C'est là que se produit le renversement : le mouvement n'est plus seulement aberrant, mais l'aberration vaut pour elle-même et désigne le temps comme sa cause principale. "Le temps sort de ses gonds" : il sort des gonds que lui assignaient les conduites dans le monde, mais aussi les mouvements du monde. Ce n'est pas le temps qui dépend du mouvement, c'est le mouvement aberrant qui dépend du temps. Au rapport, situation sensori- motrice -> Image indirecte du temps, se substitue une relation non localisable, situation optique et sonore pure -> image directe du temps. L'opsigne, le sonsigne, l'instat, le constat sont les signes de l'image-temps.
Retranscriptions
L'image-mouvement :
• chapitre 2 : cadre et plan, cadrage et découpage.
Voir : le cadre, le plan • chapitre 3 : montage • chapitre 4 : L'image-mouvement et ses trois variétés • chapitre 6 : L'image-affection. Voir : Le visage • chapitre 7 : L'image affection : qualités, puissances, espaces • Chapitre 8 : De l'affect à l'action : l'image-pulsion. Voir : naturalisme • chapitre 9 : L'image-action : la grande forme. Voir : John Ford • chapitre 10 : l'image action : la petite forme • chapitre 11 : transformation des formes : Eisenstein, Mizoguchi, Kurosawa • chapitre 12 : La crise de l'image-action. Voir : Alfred Hitchcock
L'image-temps :
• Chapitre 1 : Au-delà de l'image-mouvement : voir
Néoréalisme, Ozu • Chapitre 2 : Récapitulation des images et des signes • Chapitre 3 : Du souvenir au rêve. Voir : Joseph Mankiewicz. • Chapitre 4 : Les cristaux de temps. Voir : Jean Renoir • Chapitre 5 : Pointes de présent et nappes de passé. Voir : Citizen Kane • Chapitre 6 : Puissances du faux • Chapitre 7 : La pensée et le cinéma. Voir : Jean- Luc Godard • Chapitre 8 : Cinéma, corps et cerveau, pensée. Voir : Michelangelo Antonioni