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Hommage! Tribute
8 Henri Tardieu 11946-2010)
Sam i Bo uarfa, François Brell e,Th ierry Rieu, Jean-Phil ippeTort erot ot,
Al ain Vidal, Al ain Villocel
C o h A ri ,20 11 ; zo : 1 /
-
Sommaire/Contents
Tous leurs remerciements vont aussi à la rédaction de la revue, et en particulier aux rédacteurs
en chef, j ean-Pascal Pichot et Didier Picard, ainsi qu 'à Cha ntal Delooz-Karageorgiadès,
Christine Rawski, Florence Sillé et Christine Silyy.
* Tardieu H, 2011. Eau, alimentation et développement : s'adapter aux changements globaux. Cah
Décédé en avril 2010, Henri Tardieu avait écrit
Agric 20 : 5-7. doi : 10.1684/agr.2011.0478
cet éditorial juste avant sa disparition.
H
enri Tardieu nous a quittés le 2 avril 2010.
Passionné par l’eau et l’environnement, il était devenu Ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts après avoir été l’un
des plus jeunes diplômés de l’École polytechnique.
Originaire de la région parisienne, il commence sa carrière professionnelle dans le développement agricole au Sénégal et en
Algérie. En 1974, il entre à la Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG) dont il deviendra directeur
général en 1990 et qu’il quittera à sa retraite en 2007. Tout au long de ces années, il a contribué à la définition de la majorité des
schémas d’aménagement hydraulique de bassin en Adour-Garonne, participé au développement de la gestion intégrée des
associations syndicales autorisées (ASA) d’irrigation, lancé les commissions de concertation par rivière, dont celle du système
Neste, et contribué à la définition et à la mise en œuvre des pratiques modernes d’une gestion quantitative de l’eau. C’est
également dans le cadre de son mandat de directeur général qu’il accompagne l’insertion régionale de la CACG dans les
collectivités locales. Depuis 2007, Henri Tardieu demeurait très impliqué dans les réflexions conduites au sein de sa région en
tant que membre du comité de bassin Adour-Garonne, et depuis peu membre du Conseil économique et social régional de
Midi-Pyrénées.
Sa profonde connaissance de l’agriculture irriguée et de l’aménagement des territoires du Sud-Ouest de la France a permis à Henri
Tardieu de développer une vision originale de la gestion de l’eau fondée sur le partage et la solidarité. Tout au long de sa carrière,
il a su la faire partager en France et à l’international en tant que président de l’Association française pour l’eau, l’irrigation et le
drainage (AFEID) et de vice-président de la Commission internationale des irrigations et du drainage (CIID).
Henri Tardieu avait à cœur que l’AFEID porte des messages forts sur l’eau et l’alimentation. Il a ainsi contribué à rapprocher
l’AFEID de l’Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement, de la Société hydrotechnique de France et de
l’Académie de l’eau, afin de développer des synergies pour leur assurer un plus grand rayonnement local, national, et
international. Il participait activement à la définition de la position gouvernementale française lors des forums mondiaux de l’eau.
Il soutenait aussi les initiatives de l’AFEID pour faire vivre le débat sur l’eau, l’agriculture et l’environnement dans les territoires
français.
Au sein de la CIID, Henri Tardieu a été le maı̂tre d’œuvre de la réorganisation des activités techniques. Il y a également animé les
réflexions sur le thème de la stratégie de gestion de l’eau par bassin hydrographique et ce, jusqu’à la dernière réunion à New
Delhi en décembre 2009. Il a présidé l’équipe chargée de préparer un rapport sur la durabilité socio-économique des services
fournis par les projets d’irrigation, de drainage et de maı̂trise des crues, qui sert depuis plusieurs années de référence à la Banque
mondiale. L’an dernier, il a contribué de manière remarquable à la prise de position de la CIID sur le thème « L’eau et la nourriture
pour mettre fin à la pauvreté et la faim » au 5e Forum mondial de l‘eau à Istanbul.
Pour citer cet article : Bouarfa S, Brelle F, Rieu T, Torterotot JP, Vidal A, Villocel A, 2011. Henri Tardieu (1946-2010). Cah Agric 20 : 8-9. doi : 10.1684/
agr.2011.0479
Henri Tardieu était convaincu de l’importance de l’enseignement et de la recherche pour penser et construire les nouveaux
paradigmes d’un secteur qui dépasse la vision de l’ingénieur, et dont la maı̂trise constitue l’une des clés de la satisfaction des
besoins alimentaires de l’humanité.
Henri Tardieu, enfin, était proche des jeunes et aimait enseigner. Depuis les années 1990, il donnait régulièrement des
conférences à AgroParisTech, sur les équilibres à trouver entre agriculture irriguée et environnement. La base de ses cours
reposait sur son métier exercé à la CACG, mais aussi sur ses nombreuses expertises internationales, dans lesquelles il trouvait les
ressorts pour illustrer son propos et provoquer les étudiants au débat. Mais s’il est un projet qui suscita particulièrement son
enthousiasme, c’est la mise en place d’un séminaire annuel sur la gestion de l’eau, ouvert aux doctorants du Nord comme du Sud,
sous l’égide de l’AFEID et de l’unité mixte de recherche (UMR) G-Eau. Il s’y impliqua chaque année, dans la revue des
présentations, et dans la présidence des ateliers ; il apportait alors au doctorant le regard du professionnel et de l’employeur sur
les travaux et leur utilité sociale. Il trouvait là un complément indispensable, expliquait-il, aux comités de thèse, puis aux jurys
auxquels il participait régulièrement.
Son charisme, ses compétences, sa curiosité intellectuelle et sa bonne humeur étaient unanimement appréciés, ce dont
témoignent les très nombreux messages de peine, d’amitié et d’admiration de celles et ceux qui l’ont connu dans tous les cercles
auxquels il participait, français et internationaux. &
Sami Bouarfa1
<sami.bouarfa@cemagref.fr>
François Brelle2
<francois.brelle@canal-de-provence.com>
Thierry Rieu3
<rieu@agroparistech.fr>
Jean-Philippe Torterotot4
<jean-philippe.torterotot@cemagref.fr>
Alain Vidal5
<a.vidal@cgiar.org>
Alain Villocel6
<a.villocel@cacg.fr>
1
Cemagref/UMR G-Eau
2
Société du Canal de Provence
3
AgroParisTech
4
Cemagref
5
CGIAR-CPWF
6
Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne
Pour citer cet article : Jamin JY, Bouarfa S, Poussin JC, Garin P, 2011. Les agricultures irriguées face
à de nouveaux défis. Cah Agric 20 : 10-5. doi : 10.1684/agr.2011.0477
Tirés à part : J.-Y. Jamin
Abstract
Crossed destinies: 30 years of research in large-scale irrigation systems
Large-scale irrigation development is based on a scientific and civilizing model, designed
and managed by engineers since the second half of the 19th century. Passing through
several crises, it has fostered innovative research at numerous occasions. Three paradigms,
based on State supremacy in public action, then on collective action, and later on
individualistic action and market regulation, have guided research and influenced public
action in irrigation systems over the past 30 years. These paradigms, to which science has
contributed considerably, have changed the outlook of policy makers and donors on water
management, but also influenced the research agenda and the vision of research itself. The
results of this study, pertaining to irrigation systems but probably valid also for other fields
of research, show that ever-increasing interactions between science and society often
produce an unproductive tête-à-tête with main stream ideas, but are also an opportunity to
continually renew action research with a critical view on development.
Key words: hydraulic systems; irrigation; research policies.
Subjects: tools and methods; water.
doi: 10.1684/agr.2011.0467
Pour citer cet article : Kuper M, 2011. Des destins croisés : regards sur 30 ans de recherches en
grande hydraulique. Cah Agric 20 : 16-23. doi : 10.1684/agr.2011.0467
Tirés à part : M. Kuper
L
a production agricole des pays besoins alimentaires de leurs popula-
sahéliens ouest-africains est tions. Les importations de blé, riz,
non seulement très variable huile, lait et sucre sont massives (un
doi: 10.1684/agr.2011.0475
Pour citer cet article : Barbier B, Ouedraogo H, Dembélé Y, Yacouba H, Barry B, Jamin JY, 2011.
L'agriculture irriguée dans le Sahel ouest-africain. Cah Agric 20 : 24-33. doi : 10.1684/agr.2011.0475
Tirés à part : B. Barbier
rimètre irrigue
Pe public e depuis une ressource abondante
Superficie de plus de 100 hectares, irrigue
grand ou moyen (fleuve, retenue, lac), par pompage ou derivation. Re
seau de surface, riziculture
dominante, mais petits espaces de diversification.
rimètre irrigue
Pe villageois Quelques dizaines d'hectares, attribue s à de nombreux petits agriculteurs. Irrigation
public depuis une rivière ou une retenue, par pompage ou de rivation. Riziculture dominante,
comple te
e par de
crue et/ou pluvial. Quelques puits ou forages en oasis ou en horticulture.
rimètre irrigue
Petit pe Quelques dizaines d'hectares, ame nage
s sommairement à faible coût. Irrigation par pompage,
communautaire rivation, ou par branchement sur des ouvrages d'État (barrages au Burkina Faso,
par de
grands reseaux au Senegal ou à l'Office du Niger). Riziculture dominante.
rimètre irrigue
Petit pe rieurs à 1 hectare. Petit agriculteur pe
Souvent infe riurbain ou proche d'une route.
individuel Pompage individuel, souvent manuel, dans une retenue, une rivière ou une nappe peu
e.
profonde. Évolution possible vers des petites motopompes et l'irrigation localise
rimètre
Petit ou moyen pe Quelques dizaines d'hectares, amenages avec des capitaux d'origine non agricole
commercial
irrigue s. Émergence d'irrigation
(fonctionnaire, homme d'affaires, migrant). Ouvriers salarie
sous-pression, avec aspersion ou goutte-à-goutte, pour une e conomie de main-d'œuvre.
e
Submersion contrôle Ame nagement sommaire de cuvettes en bord de fleuve. Riz flottants ou à paille
en bord de fleuve longue au Mali (Segou, Mopti) et en Guine e (Kankan). Cultures tributaires de la pluie en
debut de cycle, puis de la crue (qui doit coïncider avec la croissance des plantes).
Bas-fonds en submersion Quelques dizaines d'hectares. Ame nagement simple, prise au fil de l'eau ou seuil de
versant.
e
contrôle pandage des crues par digue
Riziculture en saison des pluies. En zones plus sèches, e
filtrante pour apport d'eau de comple ment aux cultures pluviales (sorgho, maïs). Nappe
utilisable en saison sèche pour du maraîchage (puisard).
crue
De Zone de battement de fleuve, lac ou retenue. Cultures (sorgho, maïs) ou pâturages
(bourgoutières) soumis au cycle crue-de crue (eau stockee dans le sol et remonte
es
crue parfois contrôle
capillaires). De e par barrage (Mauritanie) ou endiguement (lacs du Mali).
typologie distingue les grands péri- Si ces différents systèmes ont été décrits En termes de superficie, les systèmes
mètres d’initiative publique et les depuis longtemps (Guillaume, 1960 ; de décrue et de submersion contrôlée
petits périmètres, d’initiative publique, Boutillier, 1962), on connaı̂t mal dominent. Les cultures de décrue sont
communautaire, ou individuelle. Au l’importance des surfaces concernées très pratiquées dans la boucle du Niger
sein des périmètres privés agro-indus- par les systèmes traditionnels, l’irriga- et sur les deux rives du Sénégal, même
triels, elle distingue aussi les petits des tion informelle ou les petits aménage- si les sécheresses, puis la régulation
grands. La taille et le mode de finance- ments de bas-fonds (Payen et Gillet, par les barrages, ont réduit les crues et
ment de l’aménagement conditionnent 2007). De plus, les surfaces cultivées au donc les surfaces inondées cultivables
en effet beaucoup son fonctionnement. sein des aménagements en MPE varient en décrue. La submersion contrôlée
Parmi les systèmes à maı̂trise partielle fortement d’une année à l’autre en est essentiellement pratiquée le long
de l’eau (MPE), elle distingue la sub- fonction des crues. Même au sein des du Niger, dans son cours supérieur en
mersion contrôlée, les bas-fonds amé- aménagements en MTE, il est souvent Guinée et au Mali, et dans son delta
nagés, et la décrue, contrôlée ou libre. difficile de savoir quelles sont les intérieur. Mais elle existe aussi dans
Du fait de l’absence de maı̂trise, même surfaces réellement exploitées aux une multitude de petits bas-fonds
partielle, de l’eau, la submersion libre différentes saisons (Raes et al., 1994). répartis dans tout le Sahel (Windmeijer
n’est pas incluse dans cette typologie L’Association régionale pour l’irrigation et al., 2002 ; Venot et Cecchi, 2011).
malgré son importance dans la vallée et le drainage (ARID, 2004) a tenté Dans la sous-région, l’irrigation en MTE
du Niger (Gallais, 1984 ; Marie et al., d’estimer ces surfaces à dire d’experts représente moins de 1 % des terres
2007). (tableau 2 et figure 1). cultivées (Frenken, 2005 ; Aquastat,
rimètre irrigue
Pe public État/bailleur OP + État Totale Riz, polyculture Familiale
grand ou moyen e
+ salarie
rimètre irrigue
Pe villageois État/bailleur/ONG OP Totale re
Riz, ce ales, Familiale
public polyculture
rimètre irrigue
Petit pe Groupe d'exploitants OP Totale re
Riz, ce ales, Familiale
communautaire polyculture
rimètre irrigue
Petit pe Exploitant individuel Exploitant Totale re
Ce ales, fruits, Familiale
individuel maraîchage
rimètre
Petit ou moyen pe Entrepreneur
Salarie Totale Riz, fruit, e
Salarie
commercial
irrigue particulier maraîchage
2010). Les aménagements (et donc les les pays. Le Mali a, de loin, les plus nariat (Seck, 2009). Dans un contexte
investissements) se concentrent au grandes surfaces irriguées de la sous- social très spécifique et conflictuel, la
Mali, avec près de 100 000 hectares région ; il promeut le passage de la Mauritanie a favorisé, dès le milieu
pour l’Office du Niger (Keı̈ta et al., submersion libre à un contrôle partiel des années 1980, le développement de
2002 ; ABN, 2007), et dans la vallée du ou total de l’eau, tout en maintenant un grands périmètres privés dans le delta, la
Sénégal (Raes et al., 1994). Les quel- appui aux rizicultures pluviales et de moyenne vallée restant plutôt occupée
ques grands périmètres agro-indus- bas-fonds (République du Mali, 2008 ; par des périmètres publics (Schmitz,
triels privés sont des casiers sucriers République du Mali, 2009). Le Burkina 1993 ; Haefele et al., 2001). Le Niger
(Faivre Dupaigre et al., 2004). Mais les Faso, qui n’a pas d’aussi grands fleuves, a encouragé des formes très variées
acquisitions de grandes surfaces irriga- a construit environ 1 700 petits barra- de petits périmètres, individuels ou
bles par certains pays manquant de ges (contre 800 au Mali), mais qui sont collectifs, périurbains ou oasiens, dans
terres se développent depuis peu, encore peu utilisés pour l’irrigation les vallées fossiles ou sur le fleuve Niger,
notamment dans la zone de l’Office (République du Burkina Faso, 2008 ; exploitant ainsi ses différents types de
du Niger (Brondeau, 2011). Venot et Cecchi, 2011). L’aménage- ressources (République du Niger 2008 ;
La petite irrigation en MTE est en ment des bas-fonds concerne surtout ARID, 2004).
développement rapide partout (ARID, les zones méridionales, à climat plus L’Autorité du bassin du Niger (ABN,
2004). Depuis le gel des investisse- soudanien, du Burkina Faso, du Mali et 2007) envisage des plans ambitieux
ments publics dans les années 1990, du Sénégal (Windmeijer et al., 2002). d’expansion des surfaces irriguées.
les individus et les communautés En irrigation par pompage, le Sénégal a La surface rizicole en MTE pourrait
ont étendu eux-mêmes les surfaces, d’abord privilégié les grands et les quadrupler, en hivernage et en saison
notamment dans les zones périurbai- petits périmètres publics (Diemer et sèche ; le maraı̂chage et la canne à
nes (Payen et Gillet, 2007). Les inves- van der Laan, 1987), même si le casier sucre devraient aussi se développer.
tissements réalisés par des urbains aisés sucrier privé de la CSS s’est installé dès Avec les projets de nouveaux barrages
s’accélèrent et provoquent parfois des le début des années 1970 ; depuis le hydroélectriques, la régulation du
conflits fonciers avec les villageois milieu des années 2000, il a mis en fleuve écrêtera les crues et soutiendra
(Ouedraogo, 2003). place, dans le delta, un partenariat l’étiage ; les surfaces cultivées en décrue
On observe de fortes différences de public-privé, qui prend plus la forme ou en submersion libre devraient alors
développement de l’irrigation selon d’une coexistence que d’un réel parte- régresser, tandis que l’irrigation pourrait
Source : ARID, 2004 ; ABN, 2007 ; Vandersypen et al., 2006. 655, 96 F CFA = 1 euro.
responsabilités depuis les sociétés d’excellent fourrage, ce qui, en termes échappent largement aux statistiques,
d’État vers les producteurs (Abernethy énergétiques, correspond à une per- parce qu’elles ne concernent souvent
et Sally, 1999 ; Jamin et al., 2005). Si, à formance supérieure à celle de la que de petites surfaces. De plus, elles
l’Office du Niger ce transfert est plutôt riziculture inondée (Marie et al., 2007). sont fréquemment entreprises par les
considéré comme un succès (Bonneval, En termes économiques, la compéti- jeunes et les femmes, et pas seulement
2002 ; Coulibaly et al., 2006), il s’est tivité de la riziculture irriguée est par les chefs de famille qui sont en
ailleurs révélé décevant, comme dans la l’objet de nombreux débats (Faivre général les seuls considérés comme
vallée du Sourou (Bethemont et al., Dupaigre et al., 2004). Si les faibles agriculteurs par les organisations pro-
2003), et reste souvent problématique taxes à l’importation dans la zone de fessionnelles et l’Administration. Enfin,
pour la gestion de l’eau, même à l’Office l’Union économique et monétaire le suivi agricole dans les pays sahéliens
du Niger (Vandersypen et al., 2008). Le ouest-africaine (UEMOA) et la suréva- concerne essentiellement les céréales
renforcement des compétences des luation du franc CFA (arrimé à l’euro) – stratégiques pour leur sécurité ali-
producteurs dans les différentes fonc- pénalisent la production rizicole mentaire et dont les offices de déve-
tions que requiert l’irrigation reste à locale, les évolutions inquiétantes loppement contrôlaient autrefois
développer (Legoupil et al., 1999 ; du marché mondial poussent les pays étroitement la commercialisation –
Compaoré et al., 2002 ; Vidal et al., sahéliens à rechercher la sécurité ainsi que les cultures industrielles
2006). Les difficultés de gestion des alimentaire. Celle-ci est quasiment comme le coton.
périmètres collectifs, mais aussi la atteinte au Mali, où la riziculture L’arboriculture fruitière se développe
recherche de nouveaux investisseurs, irriguée profite de l’absence de coûts partout dans les bas-fonds (Ahmadi et
poussent les bailleurs de fonds et les de pompage et de coûts de mécanisa- Teme, 1998), mais plus sous la forme de
pays à privilégier l’irrigation indivi- tion peu élevés (en raison du choix plantations de bordure de bas-fonds
duelle ou agro-industrielle (Banque historique, favorisé par l’enclavement, que de grands vergers irrigués. La
mondiale, 2009 ; Brondeau, 2011). de la traction animale et de la fabrica- canne à sucre est cultivée en régie
En submersion contrôlée, les perfor- tion locale des outils), ainsi que des par de grandes entreprises maintenant
mances sont mitigées (République coûts d’acheminement élevés du riz toutes privatisées, au Mali, au Sénégal
du Mali, 2009), même si l’utilisation importé depuis les ports de Dakar et au Burkina Faso. Mais elle con-
croissante de barrages seuils ou de et Abidjan. Elle est plus difficile à somme beaucoup d’eau, en particulier
motopompes permet de corriger les atteindre ailleurs, notamment au Séné- en saison sèche. Elle est aussi peu
faibles crues. Grâce à cette meilleure gal où il y a pourtant peu d’alternatives compétitive au niveau mondial (Faivre
maı̂trise de l’eau, la production agri- à la culture irriguée pour répondre Dupaigre et al., 2004), ce qui menace
cole pourrait être concentrée sur une localement à la demande urbaine une agro-industrie fortement pour-
surface plus réduite en préservant en riz. voyeuse d’emplois salariés. Cela amène
ainsi les pâturages et la biodiversité Même si le riz est de loin la culture les États à protéger leur marché. Le
en bordures des fleuves et des bas- irriguée la plus répandue, les autres différentiel de prix avec le marché
fonds. Les pâturages inondés, par cultures irriguées (de diversification mondial entraı̂ne alors un important
exemple les bourgoutières, peuvent par rapport au riz) progressent. Mais, commerce transfrontalier illégal, par
produire 20 à 30 t/ha de matière sèche à l’exception de la canne à sucre, elles exemple entre la Mauritanie et le
rimètre irrigue
Pe public + ++ - + + ++
grand ou moyen
rimètre irrigue
Pe villageois public ++ + - = ++ ++
rimètre irrigue
Petit pe ++ = + = ++ ++
communautaire
rimètre irrigue
Petit pe individuel ++ ++ ++ = + ++
rimètre
Petit ou moyen pe ++ ++ ++ = + ++
commercial
irrigue
Bas-fonds en submersion + ++ = + ++ +
e
contrôle
l’impact environnemental doit aussi de grands projets, mais peu se sont des considérations non agricoles,
être pris en compte. concrétisés pour l’instant : entre effets comme les besoins urgents de la
d’annonce, accaparement des terres et sous-région en énergie. La régulation
jeux politiques, leur concrétisation des débits opérée par les barrages
dans une production effective reste hydroélectriques de Manantali sur le
Conclusion problématique. Sénégal et de Sélingué sur le Niger, se
L’avenir des systèmes irrigués sahéliens renforcera et favorisera l’extension de
Les systèmes irrigués du Sahel recou- est encore incertain, mais de grandes l’irrigation en saison sèche. Elle va aussi
vrent un ensemble très varié de lignes se dessinent. Les grands périmè- contribuer à faire reculer les cultures et
pratiques d’aménagement et de mise tres connaissent de nouvelles évolu- les pâturages de décrue, déjà affectés
en valeur. Avec les évolutions clima- tions, notamment au Sénégal et au Mali, par les évolutions climatiques. La
tiques et les aménagements en cours, avec le développement de l’agro- nature et l’importance des investisse-
les formes de maı̂trise de l’eau les industrie. Les petits périmètres privés ments dans l’irrigation annoncés par
plus coûteuses en investissement, en sont aussi en pleine extension, sponta- certains pays vont être déterminan-
intrants et en travail vont être favori- nément et avec l’appui des gouverne- tes : orientation vers des cultures
sées, tandis que les valorisations ments et de la Banque mondiale énergétiques (bioéthanol à partir de
traditionnelles de l’eau, plus extensi- (Sonou et Abric, 2010). Les modèles à la canne à sucre, pourghère) ou vers
ves, devraient continuer à reculer. Si le faible maı̂trise de l’eau régressent des cultures alimentaires, et dans ce
choix de la riziculture, fortement partout : la culture de décrue est peu dernier cas, destinées au marché local
consommatrice d’eau, a souvent été à peu remplacée par des formes ou à la sécurité alimentaire des pays
critiqué, les solutions alternatives res- d’irrigation ; l’irrigation en maı̂trise investisseurs ?
tent cependant limitées en termes de partielle de l’eau en bordure des L’avenir de l’irrigation au Sahel sera
marchés. Seul le maraı̂chage de saison fleuves stagne ou régresse. En revan- d’abord porté par les dynamiques
sèche a pris une part significative en che, la culture des bas-fonds se déve- rurales, car les agricultures familiales
termes de revenus et d’emploi, mais il loppe fortement, surtout dans les zones assurent encore la quasi-totalité de la
ne couvre encore que de petites de savanes, aussi bien en hivernage production céréalière et maraı̂chère
surfaces et les marchés sont encore (riziculture inondée) qu’en saison irriguée. Mais il va aussi être déterminé
étroits et soumis à des difficultés de sèche (maraı̂chage sur nappe). par de puissants changements en
transport importantes. La canne à Les choix futurs d’aménagements cours : forte croissance urbaine indui-
sucre et les biocarburants font l’objet hydrauliques sont surtout guidés par sant des demandes alimentaires en
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D
ans de nombreux pays en désengagement des États et de concur-
développement, les agricultu- rence croissante sur les marchés agrico-
res familiales sont appelées à les. Le « transfert » du progrès technique
doi: 10.1684/agr.2011.0471
Pour citer cet article : Bouzidi Z, Abdellaoui EH, Faysse N, Billaud JP, Kuper M, Errahj M, 2011.
Dévoiler les réseaux locaux d'innovation dans les grands périmètres irrigués. Cah Agric 20 : 34-9.
doi : 10.1684/agr.2011.0471
Tirés à part : Z. Bouzidi
Abstract
When small-scale farms adopt drip irrigation: Local initiatives and state programs in
the Gharb (Morocco)
Small-scale farmers often adopt simplified and low-cost drip irrigation systems rather than
the sophisticated systems promoted conventionally. We studied different drip irrigation
systems in small-scale farms in the Gharb (Morocco), equipped through state-driven or
local initiatives. The first ‘high-tech’ system, promoted by state subsidy programs, concerns
large commercial farms, but does not reach small-scale farmers. The second system is
based on local expertise. Simpler and less expensive, it concerns small-scale horticultural
farms. The third is a low-cost system with second-hand mobile equipment for small plots.
Small-scale farmers prefer the latter two systems, installed by informal intermediaries,
because of their low cost, simpler and more flexible procedures, and rapid return on
investment. We show that the dynamics of local initiatives and state programs are mutually
reinforcing. The large farmers initiated the diffusion of high-tech drip irrigation, which was
later consolidated by the state subsidy program. The same farmers were also at the origin of
doi: 10.1684/agr.2011.0476
Pour citer cet article : Benouniche M, Kuper M, Poncet J, Hartani T, Hammani A, 2011. Quand les
petites exploitations adoptent le goutte-à-goutte : initiatives locales et programmes étatiques
dans le Gharb (Maroc). Cah Agric 20 : 40-7. doi : 10.1684/agr.2011.0476
Tirés à part : M. Benouniche
A
ujourd’hui, les agriculteurs (services de l’État, sociétés agréées), actuels de subvention autour du goutte-
adoptent de plus en plus le leur préférant des intermédiaires infor- à-goutte.
goutte-à-goutte pour amélio- mels tels que les ouvriers des grandes
rer leur quotidien dans un contexte de exploitations, des voisins, ou de petits
pénurie d’eau. Deux logiques d’adop- bureaux d’études locaux (Poncet et al., Méthode
tion de ce mode d’irrigation s’oppo- 2010) Les intermédiaires sont définis
sent selon Shah et Keller (2002) : la comme des personnes ou des ins-
première fondée sur un équipement titutions qui apportent un appui au Pour étudier les conditions d’adoption
coûteux, correspondant à une agri- processus d’innovation en procurant du goutte-à-goutte, nous avons choisi
culture à haute valeur ajoutée, déve- information, connaissances, conseil, de travailler dans la région du Gharb
loppée par de grandes exploitations ; capital, ou en agissant comme média- (nord-ouest du Maroc), où cette tech-
et une deuxième, reposant sur un teurs (Howell, 2006). nique s’est fortement développée
équipement plus sommaire, moins per- Selon Schumpeter (1911), une innova- depuis les années 1990. On peut y
formant, mais adapté aux moyens des tion est une « invention qui a réussi, distinguer deux zones, où les trajectoi-
petits agriculteurs, accessible à travers ou qui a rencontré des utilisateurs ». res d’adoption sont bien différentes.
de nombreux processus informels. Ces L’adoption des innovations ne peut La zone côtière est une zone non
auteurs constatent que les petits agri- avoir lieu sans réunir les facteurs aménagée par l’État. Le goutte-à-goutte
culteurs n’arrivent pas à adopter un susceptibles d’enrôler les acteurs par s’y est développé avec l’arrivée d’inves-
système conforme aux normes inter- la création d’un environnement socio- tisseurs espagnols dès les années 1990.
nationales, le coût de l’installation et le technique approprié (Akrich et al., La zone est caractérisée par des sols
risque d’échec étant trop élevés. 1988). Les processus d’innovation sableux, un climat tempéré et une
Au Maroc, on observe aussi ces deux commencent souvent par une période nappe peu profonde de bonne qualité,
logiques. Les programmes de subven- de perte de maı̂trise, que les acteurs utilisée pour l’irrigation et permettant la
tion à l’installation du goutte-à-goutte, récupèrent en construisant les connais- production de cultures à haute valeur
mis en place par l’État pour aider sances nécessaires à la conduite des ajoutée (banane, fraise, maraı̂chage).
la modernisation de l’agriculture et nouvelles pratiques (Darré, 1996). Ils Des infrastructures agro-industrielles
réduire les consommations d’eau, ont s’approprient à leur manière des sys- (stations de stockage et de condition-
concerné essentiellement les grandes tèmes techniques, qui évoluent par nement) se sont développées pour ces
exploitations, capables de cofinancer rapport aux systèmes établis par les filières. En 2009, la superficie équipée
leur projet et de gérer des procédures concepteurs. en irrigation localisée, subventionnée
parfois complexes (Bekkar et al., Dans cet article, nous examinons les ou non, était de l’ordre de 27 000 hec-
2007). Dans les zones aménagées, différents types d’installations techni- tares dans cette zone, selon l’Adminis-
l’État propose aux petites exploita- ques d’irrigation au goutte-à-goutte tration agricole.
tions une reconversion collective pour existant dans les petites exploitations Dans la zone aménagée (rive droite du
diminuer le coût d’investissement. Ces du Gharb au Maroc. À partir de là, nous périmètre irrigué du Gharb), l’eau
projets collectifs, qui en sont à leurs analysons les processus par lesquels provient du réseau collectif étatique,
débuts, concernent la reconversion à les agriculteurs se sont équipés à progressivement mis en place depuis le
l’échelle d’un secteur hydraulique, soit travers des programmes étatiques et début des années 1980. Certains sec-
plusieurs exploitations. Cette recon- des initiatives locales. Nous posons teurs sont aménagés pour une irriga-
version introduit une complexité de l’hypothèse que ces deux dynamiques, tion gravitaire, d’autres pour une
gestion supplémentaire (dimension étatique et locale, se croisent et se irrigation sous pression pour l’asper-
collective, matériel sophistiqué). Face renforcent mutuellement. À travers sion. Le réseau est géré par une
à cette situation, Poncet (2010) a mis l’étude des différentes installations structure d’État, l’Office régional de
en évidence un grand nombre d’ini- techniques, des intermédiaires impli- mise en valeur agricole du Gharb
tiatives locales informelles d’installa- qués dans ces processus et des moti- (ORMVAG). Les cultures industrielles
tion du goutte-à-goutte à bas coût par vations des agriculteurs pour l’adoption (canne à sucre, betterave à sucre, riz),
de petits exploitants. Ces derniers font du goutte-à-goutte, nous nous inter- les fourrages, le tournesol et les
peu appel aux intermédiaires officiels rogeons sur la pertinence des processus céréales dominent. Des usines de
19 4
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others who lack access to water are forced to use their sloping land for rainfed rice
Pour citer cet article : Jourdain D, Quang DD, Cuong TPV, Jamin JY, 2011. Différenciation des
exploitations agricoles dans les montagnes du Nord du Vietnam : le rôle clé de l'accès à l'eau ?
Cah Agric 20 : 48-59. doi : 10.1684/agr.2011.0470
Tirés à part : D. Jourdain
L
e Vietnam est souvent pris Certains ménages ont également cons- Cependant, cette répartition spatiale
comme l’exemple d’une poli- truit des terrasses rizicoles sur les initiale des groupes ethniques et des
tique de libéralisation réussie. pentes. systèmes de production a été boule-
De fait, le retour à l’agriculture fami- Les zones moyennes, intermédiaires, versée, à partir des années 1960, par la
liale, la libéralisation des marchés et les peuvent être peuplées d’ethnies spéci- création des coopératives de produc-
restrictions à l’exploitation des forêts fiques ou de groupes qui habitent tion, les programmes de sédentarisa-
ont eu un impact important sur les également les zones hautes, en parti- tion et les migrations organisées des
stratégies des ménages agricoles. Dans culier les Dao. Leurs systèmes de habitants des deltas. Pour un temps,
les montagnes du Nord, de nombreux production composites (Lam et al., ces populations d’origines diverses
ménages ont augmenté leur produc- 2004) combinent souvent la production ont été intégrées dans les mêmes
tion de riz irrigué grâce à l’ajout d’un de riz dans des bas-fonds aménagés en structures collectives. L’habitat a été
cycle de production au printemps ou à rizières irriguées et des cultures plu- concentré dans les altitudes basses ou
l’utilisation accrue d’intrants chimi- viales (riz, maı̈s, manioc) entrecoupées moyennes et les conditions de vie des
ques. Cela a permis de diminuer forte- de jachères longues sur les pentes. différentes populations ont donc été
ment la riziculture pluviale sur les terres
de pentes, sur lesquelles des activités
nouvelles ont pu être développées
(cultures destinées à la vente, élevage,
etc.). Les productions et les revenus
des ménages ont augmenté et la
pauvreté a reculé (Minot et Goletti,
2000 ; Niimi et al., 2004).
Cependant, ce modèle de transition Zone de hautes montagnes
repose implicitement sur un accès des
ménages agricoles à des rizières irri- Altitudes
guées, prérequis nécessaire à l’intensi- Nam Bung 2 469 m
fication.
Les montagnes du Nord peuvent être
73
divisées en trois zones « topo-ethni-
ques » qui forment des « paysages N
culturels » différenciés (Tran, 2003). Suoi Giang
W E
Les zones basses, généralement des
fonds de vallées, sont mieux arrosées, S
bénéficient de températures moins
froides et sont bien connectées aux
marchés ; elles sont généralement
peuplées depuis de nombreux siècles
par les ethnies Tay, Muong et Thai, qui
cultivent principalement le riz irrigué
au sein de périmètres collectifs.
Les zones hautes sont plus difficiles
d’accès, l’eau y est rare et les tempé-
ratures froides constituent un frein aux
cultures d’hiver ; elles sont souvent kilomètres
0 5 10 20
occupées par des peuples monta-
gnards tels les H’Mongs et les Dao,
arrivés plus récemment au Vietnam. Figure 1. Le district de Van Chan.
Les activités agricoles principales sont
le maı̈s, le riz pluvial et le petit élevage. Figure 1. Van Chan District.
nage
Taille du me 4,9 ac
4,1 a
5,8c 8,4b 10,0b 6,0c
Proportion des terres de pentes 34,7b 29,6ab 20,7a 27,6ab 59,7b 23,9a
avec riz pluvial (%)
Ratios
e par personne
Superficie plane cumule 1,4 2,4a 9,3b 3,2a 2,4a 6,1c
Des lettres abcd différentes indiquent des différences significatives de moyenne par le test HSD de Tukey (95 %) ; toutes les superficies sont exprimées en ares ; PEPT :
pauvres en eau et en terres de pentes ; PERT : pauvres en eau, riches en terres de pentes ; TERUPL : riches en terrasses irrigables ; TERLAB : riches en terres et en travail,
pauvres en eau ; OFFW : travail extérieur ; RRIZ : riches en rizières de bas-fonds.
taire net du me
Revenu mone nage (million VND/an) 7,9 17,9 39,6 38,0 33,5 35,6
rieur dans le revenu mone
% travail exte taire (%) 76 34 29 47 80 33
taire (%)
% vente de produits dans le revenu mone 24 66 71 53 20 67
nage (millions de VND/an)
Revenu total net du me 14,0 24,7 44,5 44,5 39,1 40,4
taire (PPA/tête/jour)
Revenu net mone 0,9 1,61 2,97 2,14 2,15 2,67
Revenu total net (PPA/tête/jour) 1,57 2,22 3,34 2,50 2,51 3,03
VND : Dong vietnamiens ; 1 euro = 22 000 VND en 2008 ; PPA = parité de pouvoir d'achat ; 1 PPA = 6 100 VND (source : World Economic Outlook Database,
October 2008).
PEPT : pauvres en eau et en terres de pentes ; PERT : pauvres en eau, riches en terres de pentes ; TERUPL : riches en terrasses irrigables ; TERLAB : riches en terres et en
travail, pauvres en eau ; OFFW : travail extérieur ; RRIZ : riches en rizières de bas-fonds.
et par jour et les avons exprimés en les ménages récemment établis sont Caractérisation des groupes
parité de pouvoir d’achat ou PPA moins bien lotis en terres irrigables.
(Deaton et Heston, 2010), unité qui Enfin, cela montre que les ménages Une fois les types identifiés, nous pou-
permet de faciliter les comparaisons n’ayant pas accès à l’eau ont une vons analyser les caractéristiques de
avec les standards internationaux de proportion importante de leurs terres chaque groupe typologique (tableau 2).
pauvreté en s’affranchissant des pro- de pentes cultivées en riz pluvial ; ces
blèmes de change entre monnaies ménages cherchent avant tout leur Pauvres en eau
(tableau 3). autosuffisance en riz : si la production et en terres de pentes (PEPT)
de riz irrigué n’est pas suffisante, les
terres de pentes sont plus fortement Les ménages PEPT sont les plus mal
Résultats mobilisées pour le riz pluvial. dotés en ressources productives et en
Le deuxième axe (20 % de la variabi- capital humain (peu d’adultes, niveau
lité) oppose principalement les varia- d’éducation le plus faible).
Six groupes typologiques bles TAIL et TREXT aux variables THE, Installés récemment, ils ne contrôlent
marqués ETABLI et SUPCUMTET. La taille des que peu de terres (62 ares/ménage),
ménages (donc le nombre de travail- qui sont essentiellement situées sur les
Les caractéristiques générales des leurs) et la disponibilité des terres par pentes. Leurs terres sont largement
ménages examinés et de leurs exploi- bouche à nourrir conditionnent donc utilisées pour la production de riz
tations agricoles sont présentées deux stratégies différentes, l’une fon- pluvial, donc avec un temps de jachère
pour chaque bassin-versant dans le dée sur le développement du travail court. Du fait des jachères courtes, les
tableau 4. hors de l’exploitation agricole, et ménages constatent souvent que la
À l’aide de l’indice de silhouette, nous l’autre, quand les terres de pentes fertilité des sols décroı̂t et que le temps
avons retenu une répartition en six sont importantes, fondée sur la culture de travail dédié à la culture du riz est
groupes typologiques. L’ACP donne du thé, elle aussi exigeante en main- plus important. En effet, en l’absence
une bonne discrimination visuelle des d’œuvre. Ces deux stratégies oppo- d’herbicides, le contrôle des mauvai-
corrélations entre variables constituti- sées caractérisent l’axe 2. ses herbes demande des temps de
ves des axes (figures 3 et 4) et des L’axe 3 (12 % de la variabilité) oppose travaux de plus en plus importants
groupes typologiques (figures 5 et 6). RIZIERE et ETABLI à TERRA et THE. (Husson et al., 2004).
La lecture des 4 premiers axes (72 % de Les ménages plus anciens – installés La main-d’œuvre étant limitée et
la variabilité) permet une première dans les années 1970-1980 – disposent mobilisée pour la production de riz
identification des différentes stratégies d’une superficie importante de rizières pluvial, ces ménages travaillent peu à
des ménages en fonction de leurs de bas-fonds. Les ménages établis plus l’extérieur. Cependant, le travail exté-
ressources. Le premier axe (30 % de la récemment (dans les années 1990) ont rieur représente une part importante
variabilité) oppose les variables d’accès moins accès aux bas-fonds et déve- du revenu monétaire du ménage et est
à l’irrigation (PLATCUM, EAUETE et loppent deux stratégies : l’une passe absolument vital pour le fonctionne-
EAUPRINT) à la date d’installation par l’aménagement de terrasses sur ment de ces exploitations (tableau 4).
(ETABLI) et à la proportion des terres leurs terres de pentes, et l’autre par le En effet, ne pouvant être autosuffi-
de pentes cultivées avec du riz pluvial développement du thé. Ces deux sants avec leur faible production, ces
(PR_RPLUV). L’accès aux ressources en dernières stratégies sont opposées ménages sont contraints d’acheter une
eau est donc un facteur très discrimi- sur l’axe 4 (10 % de la variabilité), partie de leur consommation alimen-
nant. Cela met aussi en évidence que montrant leur complémentarité. taire sur le marché.
nage
Taille du me 6.5 5.3 ***
Ratios
Seuils pour l'analyse de variance: * P < 0,1 ; ** P < 0,05 ; *** P < 0,01 ; les superficies sont exprimées en ares.
meter of water, respectively, for milk and live weight gain. The use of balanced diets made it
Pour citer cet article : Sraïri MT, Kuper M, Le Gal PY, 2011. Accompagnement d'exploitations
laitières pour mieux valoriser l'eau d'irrigation dans la plaine du Tadla au Maroc. Cah Agric 20 :
60-6. doi : 10.1684/agr.2010.0462
Tirés à part : M.T. Sraïri
L'
évaluation et l’amélioration de encore. En effet, l’eau est vitale pour par les bovins et les voies d’améliora-
la valorisation de l’eau d’irriga- cette activité : au Maroc, 60 % du lait et tion ne se déclinent pas de la même
tion par l’élevage bovin laitier à 30 % de la viande proviennent de manière pour les éleveurs, les coopé-
l’échelle de l’exploitation agricole grands aménagements hydrauliques, ratives de collecte, l’industrie laitière et
amènent à considérer la chaı̂ne de où la production des fourrages néces- l’ORMVAT. En effet, l’industrie n’est
fonctions de production allant des site des dotations importantes (20 % et pas directement concernée par l’usage
consommations hydriques à la bio- plus des volumes totaux). de l’eau, mais la production laitière (via
masse fourragère récoltée et finale- L’accompagnement des agriculteurs les fourrages) est en concurrence avec
ment aux quantités de lait et de viande dans un processus d’amélioration de d’autres productions irriguées. L’ORM-
produites (Le Gal et al., 2007). L’ana- la valorisation de l’eau par la produc- VAT tente d’intervenir en promouvant
lyse de la variabilité des performances tion bovine repose sur une interaction des cultures et technologies économes
de cette chaı̂ne, en fonction des types instrumentée (Moisdon, 1984) entre (irrigation localisée), et en s’appuyant
d’exploitations agricoles et des prati- éleveurs et chercheurs. Elle vise, pour sur la tarification et les subventions.
ques des éleveurs, permet d’identifier les premiers, à dynamiser leurs pro- L’agriculteur est sensible à la rareté de
des voies d’intervention mobilisant cessus d’apprentissage et leurs capa- l’eau et à son coût, qui est proportion-
l’ensemble des disciplines impliquées cités de réflexion prospective et, pour nel au volume consommé. Ses choix de
(hydraulique, agronomie, zootechnie les seconds, à mieux comprendre les culture, ses pratiques et ses performan-
et économie). Cela peut ensuite mener logiques, contraintes et marges de ces techniques et économiques ont un
à l’instauration de processus manœuvre possibles. Cet article relate effet direct sur la valorisation de l’eau
d’accompagnement des éleveurs afin une expérience conduite dans des (Le Gal et al., 2009).
de les aider à remédier aux lacunes coopératives marocaines de collecte Dans ce contexte, une recherche-
techniques diagnostiquées. laitière situées dans le périmètre intervention (Hatchuel et Molet,
Au Maroc, où prévaut une situation de irrigué du Tadla (centre-est du Maroc). 1986) a été conduite de 2004 à 2009
« pauvreté en eau » (Blinda et Thivet, Cette expérience illustre un processus sur la base d’un diagnostic préalable de
2009), une gestion rigoureuse de cette allant du diagnostic à l’intervention la valorisation de l’eau par l’élevage
ressource et des effets des stress auprès d’un échantillon d’exploita- bovin dans six exploitations familiales
hydriques sur le développement tions d’élevage bovin valorisant l’eau conventionnelles de la région (moins
humain est nécessaire. Du fait de de manière très variable. Dans cet de 5 hectares), n’ayant pas accès à l’eau
sécheresses récurrentes, l’irrigation échantillon, des ajustements des souterraine. Le protocole comprenait
demeure le moyen privilégié pour apports alimentaires aux vaches lai- les mesures suivantes : volumes d’eau
sécuriser les productions agricoles. Or tières ont été effectués en continu utilisés sur les parcelles fourragères,
les niveaux actuels de consommation pour améliorer les performances du biomasse produite, consommations
d’eau dans les grands périmètres système d’élevage et la valorisation de d’aliments et d’eau respectivement
irrigués au sud de la Méditerranée l’eau. Le contexte et la démarche sont pour la production de lait et de viande
ne sont pas soutenables, car ils présentés dans une première partie. et coûts de production. L’analyse
entraı̂nent une surexploitation crois- Les résultats obtenus en termes de prenait aussi en considération les prix
sante des ressources souterraines valorisation de l’eau par l’élevage et « départ ferme » pour le lait et le poids vif
(Iglesias et al., 2007). Par ailleurs, les les effets des méthodes et outils mis en des bovins : 0,27 et 2,40 euros/kg
évolutions récentes des cours inter- œuvre sont ensuite rapportés avant respectivement. À cet égard, le prix du
nationaux des matières agricoles ont d’être discutés. lait « départ ferme » n’ayant pas évolué
montré la fragilité d’un approvision- depuis 1992, de nombreux éleveurs ont
nement alimentaire trop fortement été amenés à accorder un intérêt
dépendant des importations. Dans croissant à la production de viande,
les pays tempérés du Nord où les
Contexte et démarche en dépit des caractéristiques de leurs
ruminants consomment surtout des bovins de races laitières – Holstein
fourrages pluviaux, le changement Le réseau hydraulique du périmètre importée et croisés avec des races
climatique amène à raisonner la loca- irrigué du Tadla (98 000 hectares) situé locales (Sraı̈ri et al., 2009).
lisation des élevages (Gilibert, 1992). au sud-est de la ville de Casablanca est Suite à ce diagnostic, deux interven-
Plus au sud, où l’eau est plus rare, son géré par l’Office régional de mise en tions ont été menées pour améliorer
utilisation pour la production bovine valeur agricole du Tadla (ORMVAT). les performances des élevages et la
demande une plus grande attention Les termes de la valorisation de l’eau valorisation de l’eau. La première a
Tableau 1. Exemple d'évaluation de rations distribuées aux vaches laitières (extrait de la feuille Excel1).
Table 1. An example of the assessment of the dietary rations used for dairy cows (from Excel1 sheet).
Son de ble 0,65 880 0,57 0,73 0,47 74 48 92 60
s
Concentre Pulpes sèches 1,00 890 0,89 0,98 0,98 81 81 61 61
de betterave
Aliment compose 0,85 930 0,79 0,88 0,75 84 71 84 71
e
Total ration distribue - - 10,89 - 9,65 - 1 278 - 1 375
NB : en vert gras les valeurs à saisir par l'utilisateur caractérisant la ration simulée ; le calcul des productions permises par les apports énergétiques et azotés permet de
déceler d'éventuels déséquilibres dans la ration ; la comparaison entre la production potentielle (calculée par ailleurs en fonction du potentiel génétique de la vache et de
son stade moyen de lactation) et la production permise de la ration permet de déceler des problèmes de sur- ou sous-alimentation de l'animal.
MS : matière sèche ; UFL : unité fourragère lait ; PDIN : protéine digestible dans l'Intestin lorsque l'azote dégradable est déficitaire dans la ration ; PDIE : protéine
digestible dans l'intestin lorsque l'énergie est le facteur limitant de la synthèse microbienne.
a
besoins d'entretien pour une vache de type croisé (Holstein x locale) de poids vif 550 kg.
b
une fois les besoins d'entretien de la vache satisfaits.
Exploitation 1 2 3 4 5 6 Moy.
Surface agricole utile (ha) 5,0 6,3 6,5 1,4 1,6 1,8 3,8
Surface fourragère (ha) 2,7 3,4 2,6 0,8 0,8 1,0 1,9
Maïs 0,2 - - - - - -
Charge bovine (vaches/ha de surface fourragère) 2,4 2,1 2,4 2,4 2,5 3,0 2,4
gie lait (L), viande (V) ou mixte (M)
Strate M M M L V V -
Exploitations 1 2 3 4 5 6
Lait total produit (kg) 14 820 11 900 13 312 6 800 3 800 4 950
Eau totale 31 170 25 950 22 200 7 750 5 740 8 970
Lait elle + virtuelle) utilise
(re e (m3)
Valorisation de l'eau (m3/kg) 2,1 2,2 1,7 1,1 1,5 1,8
Valorisation economique 0,02 0,03 0,08 0,14 0,09 0,09
(euros/m3)
Gain de poids total (kg) 2 100 1 740 1 760 430 712 1 290
Eau totale 19 710 22 500 9 980 3 820 6 720 10 800
Viande elle + virtuelle) utilise
(re e (m3)
Valorisation de l'eau (m3/kg) 9,4 12,4 5,6 8,9 9,4 8,4
Valorisation economique 0,21 0,14 0,37 0,26 0,24 0,24
(euros/m3)
6
Du diagnostic
à l'accompagnement
4
des éleveurs
Vers une maîtrise individuelle 2
du rationnement
Des propositions d’amélioration du 0
Nov 2006 Déc 2006 Jan 2007 Fév 2007 Mars 2007 Avril 2007 Mai 2007
rationnement ont été formulées à
partir de l’étude des performances Production potentielle (kg/v/j) Production effective (kg/v/j)
de valorisation de l’eau par l’élevage
bovin. Le niveau d’adéquation entre
les apports en nutriments des rations Figure 2. Effet de rations équilibrées par rapport au potentiel sur l'amélioration du rendement laitier dans
un troupeau de 6 vaches de type croisé.
(incluant une éventuelle complémen-
tation) et les besoins optimaux des Figure 2. Effect on milk output improvement of balancing rations according to the potential for a herd of 6
vaches a ainsi fait l’objet d’un suivi cross-bred cows.
Tableau 4. Effets de différents scénarios simulés sur la valorisation de l'eau par l'élevage.
Table 4. Effects of various simulated scenarios on water productivity through cattle farming.
Nombre de vaches 2 2 2
des techniciens qui leur viendraient en Sraïri MT, Touzani I, Kuper M, Le Gal PY, 2008.
Armstrong DP, 2004. Water-use efficiency and Valorisation de l'eau d'irrigation par la production
appui. profitability on an irrigated dairy farm in Northern bovine laitière dans un périmètre de grande
Cet objectif a justifié l’utilisation d’un Victoria: a case study. Austr J Exp Agr 44 : 137-44. hydraulique au Maroc. Cah Agric 17 : 271-9. doi:
logiciel informatique courant (tableur), doi: 10.1071/EA02123. 10.1684/agr.2008.0202.
Abstract
Should water rules be formalized? An experiment in the High Atlas
At present and in many countries, efforts are being made to increase the control of water.
To this end, administrations can simply choose to formalize locally-produced rules
(‘‘customary law’’) by putting them in writing. However, in many cases this process of
writing is not so easy. Such is the case in the Aı̈t Bou Guemez Valley (Morocco): in this oral
tradition society, the writing of local water rules is faced with an extremely complex set of
rules and practices. Some are explicit while others are not. Local water management
requires a set of diversified rules, principles and customs. The overall coherence and
efficiency of this ‘‘set of rules’’ is based on the way it is implemented by people in situ. The
analysis of the Aı̈t Bou Guemez case allows us to make recommendations about the writing
of these sets of rules. The aim of this paper is to suggest a way of formalizing local rules
with respect to the coherence of local water management practices.
Key words: customary law; local communities; Morocco; water conservation; water
scarcity.
Subjects: economy and rural development; water.
doi: 10.1684/agr.2010.0465
Pour citer cet article : Riaux J, 2011. Faut-il formaliser les règles de gestion de l'eau ? Une
expérience dans le Haut Atlas. Cah Agric 20 : 67-72. doi : 10.1684/agr.2010.0465
Tirés à part : J. Riaux
Règles structurantes Les ayants droit de la source X sont les proprie taires de parcelles situe
es sur les territoires
Exemple du partage irrigables des villages 1, 2 et 3.
de l'eau Les territoires irrigables des villages sont delimite
s par des canaux, il est interdit d'arroser
au-dessus de ces canaux.
L'eau de la source X est attribue e pendant x jours au village 1, y jours au village 2 et z
jours au village 3.
L'eau est distribue e entre les villages selon un tour d'eau, de l'amont vers l'aval.
repose sur l’ancestralité : la délimita- les travaux d’entretien sont terminés, Des corpus de règles
tion du groupe d’ayants droit, le tour courant avril, que le tour d’eau est mis
d’eau intervillageois, les modalités de
répartition de l’eau, etc. (tableau 1).
en œuvre. Lorsque débute la campa-
gne d’irrigation, et jusqu’à son terme,
adaptés à la gestion
Ces règles doivent être respectées par
tous les ayants droit et font référence
c’est-à-dire en octobre, l’eau est par-
tagée selon le tour d’eau intervilla-
des aléas
en cas de litige. En revanche, cet geois. Les parts d’eau attribuées aux
ensemble de règles ne prévoit pas groupes villageois sont ensuite répar- La gestion locale de l’eau repose donc
d’autorité hydraulique chargée d’orga- ties entre les parcelles de chaque sur des corpus de règles associant un
niser le partage de l’eau à l’échelle du territoire selon des modalités décidées cadre structurant et une capacité
groupe d’ayants droit. Chaque groupe au sein des groupes villageois (par d’adaptation au contexte pour la
villageois peut mandater ses repré- quartiers hydrauliques, par groupes gestion collective de l’eau puis de la
sentants (naı̈b, amghar n’targa) pour d’intérêt, etc.). Lorsque l’eau vient à pénurie. L’opérationnalité de cette
organiser et surveiller la distribution, manquer, la fréquence des arrosages gestion ne repose pas seulement sur
mais c’est une autorité extérieure au de chaque parcelle décroı̂t : si le temps les règles en présence mais sur la
groupe sociohydraulique (le caı̈d) qui entre deux irrigations devient trop manière dont elles sont agencées et
sanctionne le non-respect des règles et long, des mesures sont prises par mises en œuvre.
arbitre les litiges entre villages. chaque groupe villageois. Cela nous D’abord, les règles de répartition
Ces règles structurantes se déclinent amène au troisième temps de l’eau, permettent de partager des quantités
de diverses manières au cours de la celui où la règle du tour d’eau ne suffit d’eau fluctuantes tout au long de la
campagne d’irrigation, associées à plus à assurer correctement la réparti- campagne d’irrigation selon les
d’autres règles, contextuelles et adap- tion d’une eau devenue insuffisante mêmes modalités. Les Aı̈t Bou Gue-
tables. Le partage de l’eau est, en effet, pour satisfaire les besoins de chacun. mez ne distribuent ni des volumes
organisé en fonction de trois périodes, Il ne s’agit plus alors de partager l’eau, quantifiés, ni des temps d’eau mesu-
ou temps de l’eau (Wateau, 2002). La mais bien de répartir la pénurie. Pour rés ; en période de tour d’eau, chaque
première se déroule entre octobre et cela, les solutions adoptées diffèrent parcelle reçoit l’eau à son tour pen-
avril, alors que la pluviosité est la plus au sein de chaque groupe villageois, et dant le temps nécessaire à sa submer-
abondante et que les quantités d’eau entre les années (tableau 1). Les sion complète. Les variations de l’offre
mobilisables pour l’irrigation suffisent principales règles mises en œuvre ou de la demande ne sont pas
à satisfaire une demande limitée. À concernent les chemins de l’eau (de considérées. Un accès à l’eau théori-
cette période, l’eau est utilisée « à la nouvelles modalités de distribution quement égal est attribué aux diffé-
demande » ; les ayants droit, parfois sont testées régulièrement pour amé- rentes parcelles de l’espace ayant
même des individus n’appartenant pas liorer l’efficience du transport), les droit. L’égalité de traitement des
au groupe d’ayants droit, prélèvent interdictions ou restrictions culturales, parcelles n’enraye pas les distorsions
l’eau lorsqu’ils le souhaitent, sans les amendes qui sanctionnent les liées à la possession du foncier
qu’aucun dispositif de régulation ne détournements illicites d’eau (aug- irrigable ou aux modalités concrètes
vienne les contraindre. C’est lorsque mentation des tarifs ou du contrôle). de respect des règles et de sanction
Extraits du règlement intérieur d'une AUEA. Pratiques de gestion en cours et faisant règle
Chapitre Ier : l'adhésion, art. 3.
« L'irrigation s'effectue à tour de rôle L'eau est partagee selon un tour d'eau entre les villages
le long de chaque canal, de la source ayants droit d'une source bien identifie e, puis l'eau est
jusqu'au dernier point de ce canal. » e au sein des territoires villageois selon des modalite
distribue s
cide
de es par chaque groupe villageois.
« Toute personne qui ne respecte pas Le non-respect des règles entraîne le paiement d'amendes
l'une des règles d'irrigation ou la dont le montant est fixe par le groupe villageois en fonction
detourne devra payer une amende du type d'infraction commise. L'amende est verse e au groupe
pecuniaire de l'ordre de 500 dirhams villageois. Si le contrevenant n'accepte pas de payer, le problème
qui est versee au compte de l'association. » devant le caïd qui fait appliquer les règles villageoises
est porte
ou negocie une solution avec les deux parties.
« En cas de manque d'eau (. . .) sera interdit ce qui suit : En cas de manque d'eau, chaque groupe villageois fixe des
– l'irrigation des champs non seme s ou ce que l'on règles qui lui sont propres. Les interdictions ou restrictions
appelle localement « tikkelt » ; rentes dans chaque groupe villageois,
culturales sont diffe
rents quartiers hydrauliques d'un terroir
voire dans les diffe
– la plantation d'une deuxième culture sans l'accord
de l'association. » villageois.
corpus de règles nous semblent devoir à une autorité extérieure nécessaire des associations listent un ensemble de
être préservées. pour faire respecter les règles collecti- prescriptions qui ne reflète ni la
D’abord, le fonctionnement des corpus ves ou pour arbitrer les litiges. La complexité des modalités de gestion,
de règles repose sur l’articulation de préservation de ce fonctionnement ni leur variété (tableau 2). De fait, les
règles structurantes et de règles adapta- passe par la prise en compte du rôle ayants droit sont probablement les
bles. Cette articulation permet de de cette autorité extérieure, mais aussi mieux à même de définir le corpus
garantir des principes du droit local et par la prise en compte des différents de règles à écrire, encore faut-il qu’ils en
une adaptabilité aux aléas de l’accès à niveaux de décision à l’intérieur d’un éprouvent le besoin.
l’eau. Il s’agit également de garantir les groupe d’ayants droit. Pour cela, la
droits d’eau collectifs et individuels formalisation peut s’appuyer sur le
quelles que soient les modalités de niveau le plus actif en matière de
répartition de l’eau adoptées. Cette décision, ici le groupe villageois, et Conclusion
capacité d’adaptation à l’intérieur d’un organiser des fédérations pour officia-
cadre bien défini doit être préservée. liser l’ensemble du groupe d’ayants Sur le terrain, la formalisation des
Pour cela, l’activité de formalisation droit. Des corpus de règles différents droits et des règles de gestion de l’eau
pourrait être sélective, notamment en mais complémentaires doivent être se présente d’abord comme un pro-
précisant clairement les règles structu- associés à ces niveaux de régulation. blème d’écriture. Or l’écriture n’est pas
rantes mais sans fixer les modalités de Enfin, l’analyse montre que c’est un seulement un acte technique. L’exa-
leur application. Il s’agit donc plus de système d’organisation qu’il faut for- men approfondi d’un cas montre que
formaliser un cadre pour des écarts à la maliser et non une simple liste de l’écriture des droits rencontre l’épais-
règle, que de lister un ensemble de prescriptions et d’interdictions. Il appa- seur sociotechnique et politique des
règles. raı̂t alors nécessaire de bien identifier le pratiques de gestion et de leur traduc-
Le deuxième élément essentiel contenu des corpus de règles et de tion en règles relevant de corpus
concerne la mobilisation de plusieurs prendre en compte la multiplicité des juridiques. Dès lors, l’observation de
niveaux d’organisation territoriaux et pratiques qui font règle. Rester au terrain se présente comme un pré-
politiques. L’emboı̂tement de ces niveau des règles énoncées ne suffit alable utile à l’action. C’est dans cette
niveaux permet l’existence d’une plu- pas. D’autant que dans la plupart des perspective qu’est orientée l’analyse
ralité de sources de décision, ainsi cas, ces règles énoncées par les irrigants des corpus de règles de gestion.
qu’un fonctionnement acéphale du en direction des intervenants extérieurs L’effort reste bien sûr à poursuivre.
groupe d’ayants droit (Hunt, 1988). Il ne reflètent pas la complexité de leur L’un des apports de l’analyse paraı̂t
n’existe pas de hiérarchie de la déci- mise en œuvre. C’est probablement la évident, mais il doit être souligné,
sion ; chaque groupe villageois peut raison pour laquelle la formalisation puisqu’il demeure encore trop sou-
adopter les règles qui lui conviennent des règles dans la vallée des Aı̈t Bou vent négligé par les intervenants
dans le respect des règles structuran- Guemez n’a pas rencontré l’adhésion extérieurs à ces sociétés de tradition
tes. Cette organisation rend le recours des irrigants. Les règlements intérieurs orale dont les pratiques de gestion
Abstract
The appropriation of the water user association model by a community in the Middle
Atlas region in Morocco
In Morocco, several projects aim at improving the performance of community-based
irrigation schemes. They intend to assign the management to local water user associations,
based on a single legally defined model. The created associations usually play only a role as
intermediary between irrigation farmers and external institutions. The article investigates the
conditions for appropriation of this form of association by an irrigation farmers’ community,
based on the analysis of the shift from traditional management to management by a formal
association in a village of the Middle Atlas in Morocco. The results show that this
appropriation process resulted from collective action around a local project. When such
appropriation process is successful, it can revitalize the way the community manages water.
Key words: community involvement; irrigation methods; Morocco; user association.
Subjects: economy and rural development; water.
D
e nombreuses études condui- systèmes de gestion de ressources
tes dans le monde montrent communes autogérés et durables à
doi: 10.1684/agr.2011.0474
Pour citer cet article : Bekkari L, Yépez del Castillo I, 2011. L'appropriation du modèle d'association
d'usagers de l'eau par une communauté villageoise du Moyen Atlas au Maroc. Cah Agric 20 : 73-7.
doi : 10.1684/agr.2011.0474
Tirés à part : L. Bekkari
Tableau 1. Répartition des parts d'eau en fonction des lignages du village Toufestelt.
Table 1. Distribution of the water rights among lineages of the Toufestelt village.
Gestion de l'irrigation
dans les montagnes du Nord du Vietnam :
vers une autonomie accrue des irrigants ?
Pour citer cet article : Jourdain D, Rakotofiringa A, Quang DD, Valony MJ, Vidal R, Jamin JY, 2011.
Gestion de l'irrigation dans les montagnes du Nord du Vietnam : vers une autonomie accrue des
irrigants ? Cah Agric 20 : 78-84. doi : 10.1684/agr.2010.0464
Tirés à part : D. Jourdain
1 ou quelques Village/commune
Gestion Village Entreprise étatique
foyers /entreprise étatique
Riz 1 a 2 cycles par an 1 a 2 cycles par an 1 a 2 cycles par an 2 cycles par an +
e
3 cycle
x% x%
x%
50 %
80 %
Nghia van Commune Commune
Villages Villages
100 % 100 %
irrigants ; il ne sera positif que si l’État du canal tête morte du périmètre de irrigants se sont organisés en associa-
continue à investir dans les infrastruc- Khe Cum. Cesser de rémunérer ce tions de propriétaires, afin d’effectuer
tures d’irrigation. responsable n’était pas envisageable des travaux collectifs de réhabilitation
Cette réforme induit une plus grande étant donné les risques liés à la de canaux ; elles donnèrent naissance
implication des irrigants dans la gestion topographie très accidentée. L’organi- ensuite aux associations syndicales
de leurs périmètres. Nous avons cons- sation collective a donc été immédiate autorisées (Valony, 2004).
taté que des contributions monétaires, pour prendre en charge directement le
qui correspondent de fait à de nouvel- salaire de ce responsable, afin que le Une mesure peu équitable
les redevances, mais instaurées et système puisse continuer à fonction-
gérées localement, ont été rapidement ner. Dans cette même commune, pour En mettant en place cette mesure
mises en place dans les périmètres où le système irrigué intervillages de d’exemption, l’Administration vietna-
existait un fort besoin de maintenance Khe Quat, l’abolition de la taxe a mienneaconsidérélaredevancehydrau-
ou de contrôle, par exemple pour permis au village aval d’utiliser plus lique comme un impôt pour les
rémunérer des responsables de canal librement les fonds, sans passer par la paysans, et non comme une redevance
ou effectuer des réparations en cas de commune, et de changer les règles de payée pour rémunérer un service. À
dégâts sur le réseau, fréquents en maintenance des canaux. Les villageois l’échelle des exploitations agricoles,
saison des pluies. Cette réactivité de l’aval cotisent maintenant pour la une partie des paysans devraient voir
illustre la capacité des usagers à maintenance des canaux qui assurent leurs charges de production diminuer
s’organiser rapidement lorsqu’ils le leur propre alimentation en eau, en du fait de cette exemption. Mais s’agira-
doivent. Ainsi, dans la commune de amont de leur territoire, et non plus t-il des paysans les plus pauvres comme
Tan Thinh, la part des redevances pour ceux qui traversent leur territoire le visait cette décision ?
hydrauliques qui était reversée au pour desservir d’autres villages. Pour les irrigants des grands périmè-
village était auparavant utilisée pour Ces changements rappellent un autre tres des plaines, dont les systèmes de
rémunérer le responsable du barrage et contexte, en France, lorsque des production sont les plus rentables de
Pour citer cet article : Ammar Boudjellal A, Bekkar Y, Kuper M, Errahj M, Hammani A, Hartani T,
2011. Analyse des arrangements informels pour l'accès à l'eau souterraine sur les périmètres
irrigués de la Mitidja (Algérie) et du Tadla (Maroc). Cah Agric 20 : 85-91. doi : 10.1684/agr.2010.0458
Tirés à part : M. Kuper
Discussion
(dons, vente d’eau) ne concernent que disparition des arrangements (figure 5). et conclusion
l’eau (no 12-16). On peut distinguer trois périodes.
La première période correspond à
l’époque où les EAC étaient unies Importance
Les arrangements
(1987–1990). Un grand nombre des arrangements
comme dispositifs d’EAC disposant d’agrumes n’avaient pour l'agriculture irriguée
d'adaptation plus accès aux puits des anciens
au changement domaines. Les arrangements concer- Pour les irrigants, l’arrangement est
naient l’investissement par les EAC avant tout un dispositif d’adaptation
Ayant connu de profondes mutations dans l’installation de forages (illicites). aux changements aussi bien structu-
dans un laps de temps réduit, la Mitidja La deuxième période – très perturbée rels que conjoncturels. Par définition
se prête bien à l’analyse diachronique – s’ouvre avec « l’éclatement » des EAC évolutif, il peut à son tour impulser le
de l’émergence, de l’évolution et de la et dure jusqu’en 2000. Cela conduit à changement. En effet, pour que ces
20
18
16
14
12
10
8
6 Installation
4 des forages
2
0
1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
institutions d’irrigation soient fonc- Deuxièmement, les arrangements dynamiques et porteurs d’innova-
tionnelles, les règles doivent pouvoir mutualistes diminuent l’incertitude tions techniques. Plus de 600 jeunes
être appliquées, mais aussi adaptées de l’accès à la nappe (North, 1990). se sont installés dans la commune de
(Ostrom, 1992). Ces institutions ont Ils sécurisent un accès à moyen Mouzaı̈a, profitant du peu de forma-
montré une utilité multiple et s’avèrent terme, dans des situations foncières lités nécessaires. Ces locataires, pra-
bien distinctes selon le contexte. complexes, des attributaires de la tiquant le maraı̂chage sous serre et
Premièrement, la solidarité entre irri- Mitidja, mais ils concernent aussi les utilisant des systèmes goutte-à-
gants permet à ceux qui n’ont pas les héritiers d’exploitations indivises du goutte, obtiennent une marge brute
moyens d’avoir un forage individuel Tadla. Plus fortement présents dans la de 2 euros/m3 d’eau contre 1,1 euro
de sauver une campagne agricole par Mitidja (plus de difficultés à installer pour les systèmes les plus perfor-
des arrangements ponctuels. Au des forages, foncier moins sécurisé), mants (agrumes) des attributaires
Tadla, plusieurs milliers de petites ces arrangements font que 75 % des (Imache et al., 2009). Au Tadla, ces
exploitations se maintiennent par forages appartiennent à des collectifs arrangements d’accès à la nappe sont
l’apport d’eau aux moments cruciaux d’attributaires, conduisant en relative un moyen d’accès à la terre, au
du calendrier cultural pour conduire à sécurité une agriculture irriguée inten- capital, à la main-d’œuvre et à la
terme des céréales ou sauver des sive (agrumes, rosacées). technicité. Il s’agit d’associations de
fourrages pour l’élevage bovin. Dans Troisièmement, les arrangements production (maraı̂chage, en particu-
la Mitidja, où la pression sur la terre est « capitalistes » permettent une meil- lier) qui attirent une population de
plus forte, la capacité des forages plus leure valorisation de l’eau et d’autres jeunes. Cependant, les protagonistes
limitée, et la présence de locataires facteurs de production (capital, main- de ces arrangements individualisent
venus d’ailleurs plus accentuée, ces d’œuvre, énergie). Dans la Mitidja, l’accès à la nappe dès que possible, ce
arrangements de solidarité ont ten- ces arrangements ont attiré une qui reste beaucoup plus difficile dans
dance à fortement diminuer. population de jeunes locataires, très la Mitidja.
Abstract
What cooperative behaviour for farmers? Challenging experimental economics with
field investigation
Many developing countries are committed to a decentralization process of their
irrigation system. Farmers have to self-govern their productive activities. Such
developments raise the usual challenges of cooperation in collective action providing
collective goods. The aim of this investigation is to examine farmers’ cooperative
behavior. For this purpose, we set up a public good experiment. Public good games are
relevant to investigate cooperative behavior. Game theory predicts a free riding strategy
as a best reply to the strategic issue of the game. The player maximizes his welfare by
benefiting from the effort provided by other members of his group. Experimentation
shows that subjects are more cooperative than the theoretical prediction. However,
they learn to free ride during the experiment. Several critics are addressed to
such experiments, especially concerning the issue of external validity of the results.
doi: 10.1684/agr.2011.0468
Pour citer cet article : Bchir MA, 2011. Quel comportement coopératif chez les agriculteurs
irrigants ? Cah Agric 20 : 92-6. doi : 10.1684/agr.2011.0468
Tirés à part : M.A. Bchir
E
n Tunisie, la superficie des La coopération au sein des actions Protocole expérimental
périmètres irrigués est passée collectives soulève le problème du
de 65 000 hectares au lende-
main de l’indépendance, en 1956, à
dilemme social. Celui-ci découle de
l’existence de deux logiques de
d'un jeu
243 000 hectares en 1985 et à plus de
400 000 hectares en 2006. Tout au long
comportement au sein d’une action de coopération :
collective : celle de l’individu et celle du
de cette période, les autorités ont mis groupe. Deux intérêts s’opposent : la contribution
en œuvre une politique d’offre : chaque celui de l’agriculteur qui cherche à
pénurie d’eau était compensée par la maximiser son profit en tant qu’indi- volontaire
création de nouvelles ressources. Cette vidu et celui du groupe qui tient
politique de l’offre a été conduite grâce compte de l’intérêt général de tous à un bien public
à un montage institutionnel très cen- les agriculteurs. Le niveau de coopéra-
tralisé fondé sur les offices de mise en tion au sein de l’action collective reflète Une expérience en économie expéri-
valeur. À leur début, ces offices ont l’intensité de ce dilemme social. Plus mentale se déroule selon les étapes
réussi à gérer l’agriculture irriguée. l’agriculteur agit selon une logique suivantes : en premier lieu, le recru-
Cependant, au fur et à mesure de égoı̈ste et plus la probabilité de produire tement des sujets et la préparation de
l’expansion des périmètres, les charges moins de bien collectif est grande. Plus la salle expérimentale, ensuite l’accueil,
de gestion ont augmenté et la gestion l’agriculteur est coopératif et plus le l’installation des sujets, l’explication et
centralisée a atteint ses limites. L’État bien-être social généré par l’action la vérification de la compréhension du
tunisien a donc décidé de se désenga- collective augmentera. jeu, et enfin la rémunération selon les
ger et de créer des associations d’agri- L’économie expérimentale, grâce au résultats de l’expérience.
culteurs irrigants. L’objectif est double : contrôle qu’elle permet sur la produc-
d’une part, décentraliser la gestion, les tion des données, est appropriée à
usagers ayant une connaissance pré- l’étude du comportement coopératif.
Expérience de laboratoire
cise de leurs besoins ; d’autre part, Toutefois, de nombreuses critiques ont L’expérience de laboratoire a été
amorcer une politique de gestion de la été adressées aux « expérimentalistes » réalisée avec 24 étudiants. La phase
demande, car de nouvelles ressources quant au degré de validité externe de de recrutement commence quelques
en eau sont de plus en plus difficile- leurs résultats. En effet, les expériences jours avant le début de l’expérience.
ment mobilisables. L’État tunisien a en économie expérimentale se dérou- Les sujets sont tirés au sort et convo-
doté progressivement ces associations lent au laboratoire avec des étudiants qués à partir de la base de données
d’irrigants naissantes du cadre légal comme sujets de référence. Dans ce du laboratoire qui comprend des
nécessaire pour qu’elles puissent travail, nous nous proposons de étudiants issus de différentes discipli-
s’épanouir. C’est ainsi que les usagers conduire une expérience directement nes (économie, droit, agronomie, etc.).
peuvent désormais organiser leur avec des agriculteurs de périmètres Le jour de l’expérience, l’expérimenta-
activité d’irrigation (tour d’eau et irrigués. Cette opportunité a été rendue teur accueille les sujets et leur demande
tarification), assurer l’entretien de leur possible grâce au projet « Économie de s’installer dans la salle devant
infrastructure (réparation des pannes d’eau en système irrigué au Maghreb » le poste d’ordinateur de leur choix.
de forage et du réseau) et développer (SIRMA). Ce dernier vise à analyser les L’expérimentateur lit les instructions à
des actions économiques collectives problématiques des systèmes irrigués haute voix et vérifie la compréhension
(achats groupés d’intrants et exper- en prenant comme point de départ les de chaque sujet à l’aide d’un ques-
tise). Toutefois, malgré le caractère pratiques des agriculteurs dans les tionnaire. Le jeu de contribution
volontariste de cette réforme, la ges- actions collectives (Kuper et al., 2009). volontaire à un bien public suit alors
tion du périmètre irrigué s’est heurtée Ci-après nous décrivons la conception le déroulement ci-après.
aux difficultés inhérentes aux actions du jeu, les prédictions théoriques et Chaque sujet est doté d’un budget de
collectives (Ostrom, 1990), en parti- l’adaptation aux contraintes du terrain. vingt jetons pour lequel il doit prendre
culier, celles liées au comportement Puis nous présentons les résultats pour deux décisions de placements par
coopératif des agriculteurs (Bchir et les discuter ensuite avant de conclure rapport à deux comptes. Le premier
Bachta, 2007). dans la dernière section. est un compte privé. Il procure au sujet
L
a réalisation d’infrastructures pour des aménagements à bonne
hydro-agricoles est un axe prio- maı̂trise de l’eau (Kébé et al., 2004).
ritaire de développement agri- Cette politique publique s’inspire des
doi: 10.1684/agr.2011.0469
Pour citer cet article : Adamczewski A, Hertzog T, Dosso M, Jouve P, Jamin JY, 2011. L'irrigation
peut-elle se substituer aux cultures de décrue ? Cah Agric 20 : 97-104. doi : 10.1684/agr.2011.0469
Tirés à part : A. Adamczewski
Matériel et méthode
Cet article présente le cas du lac Horo, développement des cultures irriguées. permis d’identifier des repères géogra-
distant de 7 km du lit mineur du Niger Ainsi, ce site offre près de 70 ans de phiques et historiques. Nous avons
et situé au sud du cercle de Goundam recul sur l’évolution des modes de ainsi pu combiner des approches
(figure 1). La cote du fond de cette mise en valeur traditionnels et irrigués qualitatives et quantitatives pour ana-
dépression endoréique est inférieure à induits par son aménagement. lyser l’évolution dans le temps et dans
celle du lit mineur du fleuve Niger. Le L’évolution des dynamiques agraires l’espace des différents usages de l’eau
lac se remplit par gravité lors de la crue a été analysée à partir du concept et des terres, et des rapports entre les
du fleuve et une lente décrue a ensuite de « système agraire » (Jouve, 1992 ; usagers (Adamczewski et Hertzog,
lieu par évaporation et infiltration, Mazoyer et Roudart, 1997). La diversité 2008).
sans vidange vers le fleuve. L’exonda- des usages des ressources naturelles a
tion progressive des rives du lac été étudiée en considérant que les
durant la décrue permet le dévelop- pratiques paysannes traditionnelles
pement de différentes activités de s’appuient sur une longue expérience
production. D’une superficie de près empirique (Scoones et Thompson, Résultats : évolution
de 20 000 hectares, le lac Horo, est 1999) et qu’elles sont le résultat de
représentatif des dépressions lacustres stratégies d’adaptation aux conditions des dynamiques
du nord du Mali, dont le potentiel de du milieu (Chauveau, 1995 ; Jouve,
production est exceptionnel dans un 2007). Des enquêtes ont été conduites agraires
milieu aride (pluviométrie moyenne dans les villages et campements du lac
de 200 mm/an) où l’agriculture plu- Horo, sous la forme d’entretiens col- Le tableau 1 offre un aperçu syn-
viale est peu développée. Il a fait lectifs et individuels semi-directifs. Des thétique du développement de l’irri-
l’objet depuis 1940 d’une politique de visites de terrain avec les acteurs ont gation au lac Horo.
AOF : Afrique occidentale française ; GTZ : Deutscher Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (Coopération allemande).
NIGER
Plan d'eau B. Central
mants y conduisaient leurs troupeaux résiduel Remplissage
B Tonka I
en saison sèche, pour les y abreuver, B. Ouest
et exploiter les pâturages de décrue Côte IrrigationGuichard
formés d’herbacées à haute valeur de remplissage
nutritionnelle poussant au retrait des Digue
eaux. La zone lacustre était d’ailleurs du Takoudoust
avant tout une zone d’élevage : en
1927, le cheptel du cercle de Goun-
dam était estimé par l’Administration
coloniale à près de 250 000 têtes (dont
40 % de bovins et 56 % de petits Terres hautes Terres basses
ruminants). A irrigables de décrue
Agriculture et élevage étaient des
activités complémentaires, fondées
sur des relations sociales fortes entre B
agriculteurs et éleveurs. Jusqu’en Champ attribué (2 000 m)
1940, les éleveurs Peuls et Tamasheqs
confiaient l’agriculture à leurs popu-
Ouvrage Zone irrigable Office du Niger
lations serviles. Ils bénéficiaient ainsi
Prise d'irrigation Extension de la zone irrigable
de céréales pour leurs familles et des de l'Office du Niger réhabilitée par la GTZ
résidus de récolte des cultures pour Nouvelle prise d'irrigation Zone cultivable en décrue
leurs troupeaux. De ce fait, les lacs Canal principal
constituaient de véritables bases
arrière des systèmes d’élevage mobile.
Figure 2. Évolution de l'aménagement hydro-agricole au lac Horo.
Terres hautes
primaire
Maraîchage
À partir de 1980, la coopération Patate
Patate
allemande (GTZ) est intervenue au Mil
lac Horo dans un contexte de lutte Niébé
contre la sécheresse au Sahel. Elle avait 800 m
pour objectif d’irriguer l’ensemble des
surfaces cultivées en décrue pour Sorgho
Terres basses
intensifier les systèmes de culture, par Hauteur maximale
une amélioration de la productivité (pépinière)
de crue
de la terre et du travail grâce à une Riz blanc
meilleure gestion de l’eau. Le réseau
d’irrigation primaire a été réhabilité et Riz blanc
étendu pour ceinturer le lac (figure 2),
et irriguer des casiers organisés en 2 000 m
mailles hydrauliques autour de réseaux
Distance
secondaires. Pour dominer le maxi- au canal primaire
mum de surfaces, les deux canaux
primaires de ceinture ont été placés
plus haut sur la topo-séquence, à Figure 3. Calendrier agricole et répartition des cultures vulgarisés par le projet GTZ au lac Horo.
proximité des dunes, avec pour consé-
quence une faible efficience du trans- Figure 3. Crop calendar and spatial organisation of crops as defined by the GTZ project of Lake Horo.
port de l’eau dans le réseau primaire,
estimée à 40 % en 1990 d’après les
données disponibles ; cela est faible
pour ce type de casier (Verheye, 1995) maraı̂chères, et des cultures plus faciles Discussion :
et n’a pas permis d’irriguer toute la à stocker comme la patate douce. Les
dépression jusqu’à son centre.
Les cultures de décrue, qui avaient été
cultures maraı̂chères ont ainsi constitué
le cœur des activités de vulgarisation
intérêts et limites
réimplantées par les paysans depuis du projet GTZ, occupant les 800 pre- du développement
1949, ont été maintenues sur les terres miers mètres des parcelles (figure 3).
basses grâce à l’installation de vannes La comparaison entre le schéma de des cultures irriguées
de fond dans la digue à l’entrée du lac. mise en valeur prévu (figure 3) et celui
Celles-ci ont permis d’assurer le rem- observé en 2008 au lac Horo (figure 4)
plissage du lac indépendamment de montre une diminution des surfaces Adaptation des cultures
l’eau des canaux d’irrigation, et de maraı̂chères et le développement du irriguées au contexte aride
cultiver en décrue des variétés amé- manioc en zone irriguée, ainsi que le
liorées de riz (figure 2). maintien des cultures pluviales sur le Le cas du lac Horo est un exemple des
Le schéma de mise en valeur des terres cordon dunaire ; les pluies précoces difficultés à développer l’irrigation
aménagées a donc associé culture de 2008 ont d’ailleurs permis d’enre- dans les marges arides du Sahel en
irriguée et culture de décrue (figure gistrer des rendements exceptionnels l’absence d’encadrement rapproché.
3). Les parcelles ont été attribuées en en pluvial, pouvant atteindre près de Le déficit d’investissements réguliers
bandes de culture longues de 2 km et 0,8 t/ha avec les variétés locales de dans le réseau entraı̂ne une diminu-
larges de 2 m, par homme en âge de mil pénicillaire. Les surfaces cultivées tion de l’efficience de l’irrigation. En
travailler au sein de l’exploitation. Le en riz de décrue en 2008 sont l’absence de pompage, cette faible
schéma de mise en valeur a été conçu supérieures à celles qui sont préconi- performance hydraulique du réseau
en fonction du gradient de disponibi- sées dans le schéma de mise en valeur. n’induit pas de surcoût pour le
lité en eau d’irrigation le long de la Les variétés locales d’Oryza glaber- gestionnaire, mais elle entraı̂ne un
pente (zone de culture irriguée), et de rima restent utilisées en décrue, approvisionnement en eau irrégulier
la durée d’inondation/exondation de même si leurs rendements de 1,5 à des parcelles, ce qui ne permet plus de
chaque niveau topographique (zone 3 t/ha, sont inférieurs à ceux que garantir aux exploitants des revenus
de culture de décrue). L’organisation peuvent atteindre les variétés amélio- monétaires significatifs à partir de
de l’espace cultivé en différentes fran- rées d’Oryza sativa (BG 90-2 ou Adny l’irrigation (Faivre Dupaigre et al.,
ges devait permettre de produire toute 11), plus de 4 t/ha, mais seulement 2004). En revanche, la faible perfor-
l’année des cultures à forte valeur dans des conditions de bonne maı̂trise mance hydraulique du réseau contri-
ajoutée, comme le niébé ou les cultures de l’irrigation. bue au remplissage de la dépression
primaire
Henné déficit hydrique, déprédation) et les
Terres Bissap Bissap
irriguées
contraintes foncières (1,6 hectare en
Maraîchage
Manioc
moyenne par famille). En plus de
Patate Patate facteurs de production insuffisants, la
Zone 400 m faible implication des cultivateurs dans
d'humectation Patate Niébé Patate la conception des nouveaux systèmes
Sorgho
capillaire
600 m techniques, et le décalage de ces
(pépinière) Hauteur maximale systèmes avec leurs objectifs, consti-
tuent des obstacles à leur adoption.
Terres basses
Abstract
A simulation game to prepare water governance: An experiment in Central Tunisia
Until the 2000s, water resources in Tunisia were managed solely by official services
without consulting water users. At the local scale, Commissariats Régionaux de
Développement Agricole (CRDA), representing the official services, managed water
resources. Then, the Tunisian government decided to involve farmers in the local
management of water resources by creating the Agricultural Development Association
(GDA). At present, water resource management by the CRDA must take into account water
demands from GDA farmer representatives, and farmers must become aware of water
scarcity and resource sharing. How can the CRDA and GDA envisage cooperative water
management? In this paper we present a simulation game requested by Kairouan CRDA
agents for building cooperative management of the water resources in a typical small
watershed of Central Tunisia. Our aim was to use this game to increase farmers’ awareness
of resource sharing, scarcity and overexploitation impacts, as well as CRDA agents’
awareness of uses that determine the water demand. This game is based on a hydrological
model of the watershed and an agroeconomical model of farming systems that use the
doi: 10.1684/agr.2010.0463
water resources for irrigation. A simulation game was played with concerned farmers in the
GDA but without CRDA agents because of tensions between the groups. This partial failure
Pour citer cet article : Le Bars M, Le Grusse P, Albouchi L, Poussin JC, 2011. Un jeu de simulation
pour préparer une gouvernance de l'eau : une expérience en Tunisie centrale. Cah Agric 20 :
105-11. doi : 10.1684/agr.2010.0463
Tirés à part : M. Le Bars
D
epuis les années 1990 et le évolution (Mahé et al., 2005). À production agricoles qui repose sur une
congrès de Rio sur l’environ- l’opposé, les économistes utilisent sou- typologie des exploitations.
nement, on observe un chan- vent la voie de l’optimisation pour
gement des politiques dans les rendre compte de ces usages
domaines de l’environnement et (Thoyer et al., 2001). Toutefois, la
notamment de la ressource en eau. recherche d’une solution optimale qui Matériel et méthode
La centralisation et l’interventionnisme maximise l’utilité collective a ses limi-
de l’État, surveillant les usagers et les tes. Les approches fondées sur la
écartant de la gestion des ressources, simulation et la participation des Le bassin de l’oued El Fej est situé dans
sont remis en question. acteurs constituent alors des alternati- le gouvernorat de Kairouan en Tunisie
La Tunisie a suivi ce mouvement. ves (Affisco, 2000). Ces approches centrale (358 450 N-98 500 E) ; il est
Jusqu’au début des années 2000, les s’inspirent des jeux de rôles caractéristique des régions semi-arides
services de l’État géraient les ressour- (d’Aquino et al., 2003) ou des jeux de (Le Goulven et al., 2008). Un sous-
ces en eau sans aucune concertation simulation (Mayer et De Jong, 2004). bassin amont collecte les eaux de
avec les usagers. Localement, cette Pour la gestion des ressources, le pluie, une (ou plusieurs) retenue(s)
gestion était le monopole des commis- Collectif ComMod (2006) utilise la permet(tent) de stocker l’eau de sur-
sariats régionaux de développement combinaison entre des systèmes multi- face, et les usages – exclusivement
agricole (CRDA), rassemblant les agents (SMA) et des jeux de rôles. Ces agricoles – de l’eau se concentrent
différents services du ministère de jeux de rôles ont une portée sociale et dans la plaine aval de Rouissat où
l’Agriculture et des Ressources sont généralement utilisés pour l’oued alimente une nappe et achève
hydrauliques dans chaque gouverno- comprendre les interrelations entre son cours dans une sebkha1. Les
rat. Le CRDA était chargé de gérer les acteurs autour d’une situation 267 agriculteurs qui exploitent cette
barrages et de maintenir le niveau des (Barreteau et al., 2003). Quant aux jeux plaine ont divers modes d’accès à l’eau
nappes. Mais, dans les zones où l’eau de simulation, tels qu’utilisés dans ce et sont regroupés en GDA. Depuis
était en accès libre, cette tâche n’était travail, ils visent à faire comprendre aux 1974, la nappe a fortement baissé sous
pas simple et on observait une surex- joueurs le fonctionnement technique l’effet des pompages pour l’irrigation
ploitation des nappes (Le Goulven et et/ou économique d’un système qu’ils et du déficit de pluviosité (Béji, 1998).
al., 2008). Depuis le début des années ont à gérer (Carton et Karstens, 2002). Cette surexploitation s’est accompa-
2000, pour impliquer les agriculteurs, Les jeux de simulation combinent ainsi gnée certaines années d’une invasion
l’État tunisien encourage la création de jeu de rôle et modèle de simulation d’eau salée depuis la sebkha. Le
groupements de développement agri- classique (Le Bars et Le Grusse, 2008). stockage de l’eau est assuré par deux
cole (GDA), interlocuteurs locaux des Pour répondre à la demande du CRDA retenues (4 millions de m3 au total). Le
CRDA pour la gestion des ressources. de Kairouan, nous avons construit un CRDA est chargé de gérer ces retenues
D’un côté, le CRDA doit prendre en jeu de simulation – intitulé AquaFej – et réalise des lâchers d’eau pour :
compte dorénavant les demandes en pour la gestion de l’eau dans le petit – entretenir un débit dans l’oued,
eau exprimées par le GDA représentant bassin-versant de l’oued El Fej. exploité pour l’irrigation par des
les usagers. De l’autre, les agriculteurs L’objectif de ce jeu était : groupes motopompes ;
doivent prendre conscience que la – de sensibiliser les agriculteurs au – recharger la nappe, exploitée par
ressource doit être partagée et qu’il partage de la ressource en eau, aux des puits et des forages, pour mainte-
est dangereux de la surexploiter. Mais risques engendrés par sa surexploita- nir son niveau et éviter sa salinisation ;
comment GDA et CRDA peuvent-ils tion et à la gestion collective de la – générer des crues artificielles utili-
construire cette gestion concertée ? En pénurie ; sées pour l’irrigation par épandage
2005, un responsable du CRDA de – de sensibiliser les agents du CRDA (figure 1).
Kairouan nous a demandé de déve- aux déterminants des usages agricoles Le jeu de simulation AquaFej permet
lopper un instrument pour sensibiliser de l’eau pour réfléchir à une gestion d’évaluer les conséquences économi-
ses agents à une gestion concertée avec des retenues. ques et environnementales de scéna-
les GDA, sensibiliser les membres du Aquafej repose sur une représentation rios combinant niveaux initiaux des
GDA aux risques engendrés par la du fonctionnement du bassin au plan retenues et de la nappe, pluviométrie
surexploitation de la ressource, et de la ressource en eau et de ses usages annuelle, gestion des lâchers d’eau, et
établir une gouvernance. agricoles, avec un modèle hydro- usages agricoles.
Pour gérer la ressource, on utilise le logique construit sur la base des travaux
plus souvent des modèles hydrologi- d’un agent du CRDA et un modèle 1
mot désignant une dépression salée dans les
ques sans représenter ces usages et leur technico-économique des systèmes de régions arides.
Olivier 143 6
Autre 493 22
Sources Inondation
Captages Oued
Modèle hydrologique surface totale). L’irrigation concerne
en priorité le maraı̂chage, puis les
Nappe Sebkha céréales et les fourrages si de l’eau est
Pluie
Salinisation disponible. La typologie des exploita-
tions a été construite en fonction du
mode d’accès à l’eau, de la taille et des
Figure 1. Image satellite de la zone d'étude avec les différents acteurs et le modèle hydrologique.
activités de production. Nous avons
distingué sept types (tableau 3) : les
Figure 1. Satellite image of the Rouissat plain with actors and a hydrologic model. quatre premiers types accèdent à la
nappe via des puits et forages, un type
utilise des motopompes sur l’oued, un
Représentation logie, nous avons réalisé une enquête autre utilise des sources, et le dernier
sur un échantillon de 110 exploita- type pratique l’épandage de crue. Les
des usages agricoles tions. La majorité des exploitations exploitations de type « puits éloigné »
et du fonctionnement (40 %) a une taille inférieure à 10 (par rapport au barrage et à l’oued)
hydrologique hectares (tableau 1). Les céréales et les sont plus rapidement concernées par
fourrages, destinés à l’élevage, domi- la baisse de la nappe que celles de
La représentation des activités agrico- nent l’assolement (environ 70 % de la type « puits proche ». Les performances
les dans la plaine repose sur une surface totale) (tableau 2). L’intensifi- de chaque activité de production
typologie des exploitations agricoles cation s’effectue par le maraı̂chage agricole ont également été caractéri-
et activités de production (Poussin et (10 % de la surface totale) et les sées en termes de consommations
al., 2008). Pour construire cette typo- plantations d’olivier (10 % de la – notamment d’eau – et de produc-
tions unitaires. La conduite des cultu-
res peut être plus ou moins intensive.
Tableau 1. Répartition des exploitations de l'échantillon par classe Les cultures irriguées ont ainsi des
de taille. rendements et des consommations en
eau plus ou moins forts selon leur
Table 1. Farming systems distribution. conduite.
Les travaux de Béji (1998) ont permis
Classe de taille (hectares) Nb exploitants % SAU (ha) % de construire une représentation sim-
plifiée du fonctionnement hydro-
0 à 10 44 40 285 12,6 logique du bassin. Un modèle calcule :
11 à 20 29 26,4 419 18,6 – la recharge des retenues et de la
nappe en fonction de la pluviométrie
21 à 40 26 23,6 698 30,9 sur les deux sous-bassins ;
– la recharge artificielle de la nappe et
41 à 75 9 8,2 515 22,8 le débit dans l’oued engendrés par les
lâchers d’eau.
> 75 2 1,8 340 15,1 Ce modèle permet ainsi d’établir le
Total 110 100 2 257 100 volume total d’eau disponible pour
chaque mode d’accès à l’eau : sources,
SAU : surface agricole utile. motopompes sur l’oued, épandage de
Source : calculé sur l'échantillon. crue de l’oued et puits sur nappe.
Résultats : le déroulement
de la séance de jeu
Figure 3. Les agriculteurs pendant le jeu de simulation.
Une dizaine d’agriculteurs du GDA
Figure 3. Farmers playing the AquaFej game.
d’El Fej ont été invités à l’automne
2008 par le CRDA de Kairouan pour
une séance de jeu (figure 3). Aucun
sept groupes d’usagers. Cette poli- permet d’ajuster les prix selon une loi lâcher d’eau n’avait eu lieu depuis
tique de lâchers et ces quotas font offre-demande. Le revenu de chaque 2006 et une forte tension existait entre
l’objet de négociations entre les jou- exploitation type peut ensuite être GDA et CRDA. Pour les agents du
eurs. Les joueurs agriculteurs décident calculé sur la base de sa production et CRDA, le remplissage insuffisant des
ensuite des surfaces cultivées et irri- selon le niveau des prix agricoles. retenues était la cause de cet absence
guées, en respectant ou non les quotas On peut faire autant de tour de jeu que de lâchers. Pourtant, le modèle hydro-
qui leur ont été alloués. Les surfaces souhaité ; tout dépend de la disponi- logique d’AquaFej montrait un rem-
des cultures irriguées déterminent les bilité des joueurs. Multiplier les tours plissage correct avec la pluviométrie
besoins en eau de chaque exploitation de jeu permet par exemple d’observer enregistrée en 2007-2008 – et donc la
type. Ces besoins sont agrégés à « l’apprentissage » des joueurs et possibilité d’effectuer des lâchers – et
l’échelle du territoire et comparés l’évolution de la ressource en eau. l’observation directe du remplissage
aux ressources disponibles. En cas des retenues confirmait ce résultat
de surexploitation, les rendements simulé. Le jeu AquaFej – conçu autour
sont ajustés en fonction du déficit Préparation de la séance de la gestion de ces lâchers – semblait
hydrique et les joueurs discutent de de jeu avec les acteurs alors inadapté pour rendre compte de
l’établissement ou non d’une taxe de la situation que vivaient les agricul-
surexploitation. Les productions des La séance de jeu a eu lieu en 2008, teurs, et réaliser une séance réunissant
exploitations types sont ensuite agré- alors que les agents du CRDA à GDA et CRDA était difficilement
gées sur l’ensemble du territoire ; cela l’origine de la demande avaient été envisageable.
Tableau 4. Choix des assolements selon les deux scénarios avec ou sans lâchers d'eau.
Table 4. Cropping patterns chosen by farmer-players according to the water allocation.
Puits proches 2 20 7 5 6 4 4 10
loigne
Puits e s 1 7 4 3 (-) 4 (+) 3 (+)
loigne
Puits e s 2 30 8 5 7 (-) 9 5 6 (+)
Source 50 8 35 1 5 38 1
Groupe motopompe 23 8 5 11 3 5
Épandage 13 7,5 3 5
Les signes (+) et (-) indiquent une conduite plus ou moins intensive.
Abstract
Use-value or performance: Towards a better understanding of small reservoirs in sub-
Saharan Africa
Small reservoirs are a reality of rural sub-Saharan Africa. They trigger technical and
institutional innovations, appear to be in high demand among local communities, and
remain popular on the agendas of national policy-makers and international development
partners in spite of recurrent analyses highlighting that these systems function well below
the expectations of their promoters. This paper proposes an analytical framework to
understand this apparent contradiction. Local communities do make use of small
reservoirs in many ways but not always as implied by policy discourses and development
strategies. Social, eco-technical and managerial analyses would then not disclose the real
use-value of these innovations at either the local or the regional (watershed) scales.
Understanding the opportunities and risks linked to an intensification of the multiple uses
of small reservoirs requires considering them as rural development and planning
interventions. They induce changes in the relations that societies nurture with their
doi: 10.1684/agr.2010.0457
Pour citer cet article : Venot JP, Cecchi P, 2011. Valeurs d'usage ou performances techniques :
comment apprécier le rôle des petits barrages en Afrique subsaharienne ? Cah Agric 20 : 112-7.
doi : 10.1684/agr.2010.0457
Tirés à part : J.-Ph. Venot
L
es agricultures pluviales et irri- des petits barrages d’Afrique subsaha- posée par Bos et al. (2005) permet de
guées font face au défi de rienne dans leur vocation multifonc- présenter les critères les plus commu-
produire plus, de façon durable, tionnelle. Nous proposons ensuite un nément utilisés (tableau 1). De telles
parfois avec moins d’eau. L’accroisse- cadre d’analyse intégrateur de leurs études restent souvent techniques et
ment de la productivité – des terres, de multiples dimensions territoriales et managériales et ne permettent pas
l’eau, du travail comme du capital environnementales. Au-delà de simples d’appréhender les dynamiques socia-
investi – est activement recherché, mais infrastructures, ce cadre d’analyse les les complexes qui se développent au
l’efficience des systèmes de production pose comme des construits sociaux. La sein des systèmes irrigués
et des aménagements hydro-agricoles conclusion souligne les futures étapes (Molden et al., 2007). La reconnais-
est abondamment critiquée. L’évalua- de recherche : il ne s’agit pas ici sance des aménagements par les
tion des performances et les critères d’élaborer des outils pratiques ou de acteurs locaux, leur intégration dans
retenus pour ce faire paraissent toute- donner des exemples concrets mais de les systèmes de production, et les
fois peu satisfaisants (Molden et al., proposer un cadre d’analyse systé- processus d’innovation qui s’y déve-
2007). Une meilleure perception des mique des petits aménagements loppent, sont pourtant centraux, tant
opportunités et des contraintes est hydro-agricoles en Afrique subsaha- les résistances sociales peuvent en
nécessaire, surtout pour la petite irriga- rienne. obérer l’exploitation et la durabilité.
tion qui reste sous-étudiée au regard
des grands aménagements hydrauli-
ques. Reconsidérer les aménagements Évaluation Participation et performance
hydro-agricoles, et les petits barrages institutionnelles
en particulier, comme des socioéco-
systèmes peut permettre une meilleure
des performances Suite aux sécheresses des années
compréhension de leurs utilisations en irrigation 1970 et 1980 et aux controverses
multiples et donc une meilleure appré- concernant les grands aménagements
ciation de leurs valeurs d’usage. La hydrauliques, l’attention s’est tournée
première partie de cet article fait une Performances techniques, vers la « petite irrigation ». Son
synthèse rapide des approches existan- économiques potentiel agronomique était identifié
tes pour évaluer les performances des et managériales de longue date et sa taille semblait
systèmes d’irrigation. Dans une deu- compatible avec son appropriation
xième partie, nous soulignons pour- Les facteurs influençant la perfor- locale comme avec les politiques de
quoi ces analyses sont insuffisantes mance des systèmes d’irrigation sont décentralisation. L’importance des
pour appréhender les valeurs d’usage bien connus. La grille d’analyse pro- dimensions sociales et institutionnel-
les dans la gestion des systèmes
Tableau 1. Critères de performance des systèmes irrigués (d'après irrigués est désormais largement
Ostrom, 1990 et Bos et al., 2005). reconnue et un consensus s’est
imposé : une action collective expli-
Table 1. Performance criteria for the assessment of irrigation projects (after cite et durable est nécessaire pour leur
Ostrom, 1990 and Bos et al., 2005). bonne performance. En outre, de
nombreux auteurs soulignent le
Critères communément utilisés besoin d’une professionnalisation
Techniques Environnementaux des agriculteurs et d’un soutien ins-
« Rendement » global de l’aménagement titutionnel fort (Rigourd et al., 2002 ;
Efficience multiniveaux (périmètre /champ) Participation/Action collective Poussin et Boivin, 2002). D’autres se
Efficience du système de distribution Clarté sont attachés à comprendre les déter-
Efficience organisationnelle Équité minants et conséquences de l’action
Efficience de la maintenance Adaptabilité collective en termes de gestion des
Économiques et productifs Transparence ressources naturelles (Baland et
Viabilité financière Respect des règles Platteau, 1996). Ostrom (1990) a ainsi
Efficacité opérationnelle des gestionnaires Résolution des conflits proposé huit principes directeurs pour
Satisfaction des usagers vis-à-vis du service Autonomie
Coût relatif de l’eau Multiples niveaux emboîtés de responsabilités
guider l’analyse institutionnelle de la
Système de production gestion des biens communs que sont
Avantage comparatif de l’irrigation les systèmes d’irrigation (tableau 1).
En considérant les communautés