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Après douze ans de silence, Kate Bush envoûte de nouveau avec “Aerial”
Discrète, mystérieuse, indépendante… la chanteuse s’est créé un univers sonore singulier.
Un timbre rare
Au cœur de Londres, la mythique bâtisse
blanche des studios d’Abbey Road, sobre et
élégante, dégage un sentiment d’intempora-
lité. Dès l’entrée, une plaque commémorant
le compositeur anglais Edward Elgar (1857-
1934) rappelle que la mémoire du lieu re-
monte bien au-delà des années 60. L’endroit
est hanté par les plus prestigieux et sympa-
thiques esprits, dont les photos (Fats Waller,
Glenn Miller, Elisabeth Schwarzkopf, Ra-
diohead et, bien sûr, les Beatles) ornent les
longs couloirs ou l’escalier étriqué. Le stu-
dio 2, où les quatre de Liverpool ont gravé
toute leur œuvre, trône au rez-de-chaussée.
Mais c’est au troisième étage, dans un petit
studio de mixage donnant sur un jardin d’un
autre âge, que nous reçoit une autre légende
des lieux, la revenante Kate Bush.
Aussi chaleureuse qu’intimidée, l’énig-
matique sirène de la pop britannique n’a
rien d’une pro de la communication, comme
Bowie ou McCartney. Par choix, par volonté.
L’oiseau rare, aux manières simples et cour-
toises, brise enfin son long silence médiati-
que pour accompagner la sortie de son nou-
vel album, Aerial. Son premier depuis douze
ans. Autant dire une éternité. « Avec Peter
Gabriel, on a fait le concours de celui qui met-
trait le plus de temps à réaliser un disque »,
plaisante-t-elle. Les Beatles avaient réalisé
douze albums en sept ans, Kate Bush n’en
est qu’à son huitième depuis 1978. Question
d’époque, mais pas seulement. De tempéra-
ment, aussi. Dès ses débuts précoces, Bush
a réussi à imposer ses propres conditions et
rythme de travail. Un cas presque unique :
pour trouver un équivalent, il faut songer aux
plus confidentiels Robert Wyatt, Roy Harper
ou David Sylvian, des artisans qui, comme
elle, font toute la noblesse d’un certain rock
progressif anglais sensible et habité…
Pourtant, Kate Bush n’ignore rien des
rouages et des règles du business. Mais elle
agit comme s’ils ne la concernaient pas. To-
tale ingénue dans un monde de calculs 2
BRUCE ELDER/INTERTOPICS/DALLE
que, fascinée tôt par le piano et dont la tranquillité permet de
les idoles du glam, Marc Bolan, rester au plus près de leur pas-
Elton John et David Bowie (en sion première : la création. »
1973, à 14 ans, elle assista, bou- Kate Bush enchaîne un second
leversée, aux « adieux » de Ziggy album, suivi d’une tournée, en
Stardust), Kate occupait son 1979, qui reste gravée dans les
temps libre à pondre chanson sur mémoires : chaque titre y donne
2 et de compromissions. « L’être premier single, en 1978 – le tour- chanson. Signée chez EMI, elle lieu à une mise en scène avec
humain n’est pas équipé pour billonnant Wuthering Heights, quitte l’école, se rode sur scène, costumes, décors et chorégraphie
supporter une renommée ex- aux étourdissantes pirouettes vo- suit des cours de danse et de mi- adaptés. « C’était insensé. Le plus
cessive. A moins de la viser ex- cales –, Kate Bush œuvrait déjà me. Deux ans de travail intense drôle, c’est qu’on avait inventé ce
pressément, comme une Ma- dans l’exception. Mais peu imagi- font d’elle un petit phénomène : petit micro “casque” que l’on re-
donna, on finit inévitablement naient qu’elle s’inscrirait dans la une artiste confirmée, d’allure trouve aujourd’hui dans tous les
par se perdre, par oublier ce que durée. Tant de grâce, de talent fragile mais férocement détermi- spectacles avec chorégraphie.
l’on souhaite vraiment. La célé- et d’originalité pour une seule née. Kate sait ce qu’elle veut. On croit que j’ai détesté faire 2
brité n’a jamais été une motiva-
tion pour moi. Seuls la création
et son processus m’intéressent, CRITIQUE
me font vibrer », affirme-t-elle,
rappelant le ton d’un de ses fans KATE BUSH
les plus ardents, Robert Smith AERIAL
(de The Cure). 1 double CD EMI
Aerial, double album somptueux, A l’ère de l’iPod, de la lecture aléatoire
vient compléter une discogra- ffff et du téléchargement d’airs jetables, un
phie exemplaire, enrichissant un disque de Kate Bush tient de l’anachro-
peu plus un des univers sonores nisme. Comme Pink Floyd autrefois ou Radiohead
les plus singuliers de la musique aujourd’hui, son œuvre se prête peu au saucis-
populaire. Et ouvertement admi- sonnage. Et rappelle que le terme « album » a
ré par une flopée d’artistes di- encore un sens. Celui d’une suite construite de
vers – Björk, Prince, Outkast, chansons à l’intérieur d’un univers musical auquel
John Lydon, PJ Harvey, Rufus et l’auditeur doit accorder une attention particulière.
Martha Wainwright – ayant pour Bush ne livre pas des tubes clés en main, mais entraîne entre ciel et mer, insouciance de l’enfan-
point commun de refuser d’em- invite à un voyage stimulant à travers une contrée ce et sérénité adulte. Des chansons dominées par
prunter les sentiers balisés d’une lyrique personnelle qu’elle ne cesse d’explorer le piano, le chant des oiseaux et, bien sûr, les mé-
chanson rock formatée. Dès son depuis près de trente ans. lodies minérales et apaisées de Bush (finies les
Avec le bien nommé Aerial (« Aérien »), double al- épuisantes acrobaties vocales). Des textes semi-
bum constitué d’un CD de chansons distinctes et oniriques où les anecdotes du quotidien (la lessive,
d’un autre composé en neuf mouvements, elle se les jeux d’enfant) se mêlent aux interrogations sur
renouvelle sans décevoir, s’aventure sans s’éga- le mystère de la création et le désarroi des icônes
rer. Telle une synthèse de ses albums précédents (de Jeanne d’Arc à Elvis). Une œuvre subtile. Ni
(Hounds of love et The Sensual World), Aerial nous moderne, ni datée. Juste intemporelle. H.C.
Lyon
Le Centenaire de l’Orchestre
National de Lyon
www.telerama.fr