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Revue internationale du Travail, vol.

161 (2022), no 1

Les retombées du COVID-19


sur le marché du travail: qui en souffre,
qui y échappe, avec quel effet
sur les inégalités?
Sergei SOARES* et Janine BERG*

Résumé. Face au COVID-19, les autorités nationales ont adopté des mesures de


nature et de portée variées, avec des effets notables sur les marchés du travail,
notamment pour certains groupes. Les auteurs utilisent les enquêtes sur la popu-
lation active de sept pays à revenu intermédiaire ou élevé pour observer les tran-
sitions professionnelles au premier semestre de 2020 et comparer la situation avec
la même période de 2019. Ils concluent que la volatilité est plus faible dans les pays
qui ont choisi de soutenir les revenus en subventionnant les salaires plutôt que par
d’autres moyens, mais que la pandémie a creusé les inégalités partout.
Mots-clés: transitions professionnelles, COVID-19, inégalités sur le marché du
travail, politique du marché du travail.

1. Introduction: pandémie et mobilité professionnelle


La pandémie de COVID-19 a eu des effets dévastateurs sur l’humanité. Au 3 dé-
cembre 2021, l’Organisation mondiale de la santé recensait plus de 263  mil-
lions de contaminations confirmées, et plus de 5 millions de décès1. L’apparition
du virus et les mesures de confinement qu’elle a entraînées ont eu des réper-
cussions tout aussi catastrophiques sur le plan économique. Selon les estima-
tions du Fonds monétaire international (FMI), l’économie mondiale se serait
contractée de 3,3  pour cent en 2020. Cette récession, sans précédent depuis
la seconde guerre mondiale, est deux fois plus importante que celle qui avait
été enregistrée en 2009, où le recul avait été de 1,7 pour cent (FMI, 2021). Au

* Bureau international du Travail, Genève; suarezdillonsoares@ilo.org (auteur référent) et berg@


ilo.org. Les auteurs remercient Guillaume Delautre ainsi que les deux évaluateurs anonymes de
leurs remarques et suggestions, qui leur ont été d’une grande utilité.
1 Voir à l’adresse https://covid19.who.int/ (consulté le 6  décembre  2021).

Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signifie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Titre original: «The labour market fallout of COVID-19: Who endures, who doesn’t and what are
the implications for inequality» (International Labour Review, vol. 161, no 1). Traduit par la rédaction.
Disponible également en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 141, no 1).
© Auteur(s), 2022.
© Compilation et traduction des articles: Organisation internationale du Travail, 2022.
8 Revue internationale du Travail

deuxième trimestre de 2020 (période sur laquelle portera notre analyse),


94 pour cent des travailleurs de la planète habitaient dans des pays dans les-
quels des mesures de fermeture des lieux de travail étaient encore en vigueur,
sous une forme ou sous une autre, selon les estimations du BIT (2020a). En
outre, les pertes totales en heures travaillées atteignaient 17 pour cent par rap-
port au quatrième trimestre de 2019, et les revenus du travail avaient diminué
de 10,7 pour cent durant les trois premiers trimestres de 2020, en comparaison
avec la même période de 2019 (ibid.).
Partout sur la planète, les autorités nationales ont tenté de stopper la pro-
gression du virus en mettant l’activité économique à l’arrêt. Généralement, l’éco-
nomie et les marchés du travail sont plutôt ébranlés par des chocs de demande.
Mais, dans ce cas précis, les restrictions imposées par les autorités, les entreprises
ou les individus ont créé un choc d’offre brutal, qui a aussi affecté la demande
globale. Les mesures adoptées pour soutenir les entreprises, contraintes de fer-
mer leurs portes, et leurs salariés ont varié, tant par leur nature que par leur
portée. Du fait de cette diversité, et des spécificités institutionnelles et culturelles
du marché du travail dans les différents pays, ces stratégies n’ont pas eu partout
le même effet sur l’emploi.
Les chercheurs du monde entier s’interrogent sur les méthodes à utiliser
pour évaluer précisément l’ampleur de la crise et l’efficacité des politiques adop-
tées pour en limiter la portée. Nous tenterons de contribuer à cette réflexion
en analysant la mobilité professionnelle pendant la période de la pandémie de
COVID-19, et ce dans sept pays. Nous examinerons à la fois les caractéristiques
des individus qui connaissent une transition vers et depuis l’emploi et la nature
de leur poste, afin de repérer quels sont les groupes qui souffrent le plus des ef-
fets de la pandémie, quels sont ceux qui parviennent à s’en prémunir, et quels
sont les effets de cette nouvelle configuration sur les inégalités. En outre, nous
chercherons à évaluer l’efficacité des mesures mises en place par les autorités
publiques.
Pour quantifier les transitions professionnelles, on a le choix entre plusieurs
méthodes. On peut utiliser des séries de coupes transversales afin de comparer
des groupes de travailleurs, et faire sur cette base certaines inductions sur la
tendance des trajectoires professionnelles, mais il faut pour cela faire de nom-
breuses hypothèses. On peut aussi mesurer les transitions directement en utili-
sant les enquêtes sur la population active qui suivent la situation des travailleurs
d’un trimestre sur l’autre.
Si c’est cette seconde méthode que l’on choisit, on est limité aux pays qui
administrent de telles enquêtes, qui donnent accès aux codes d’identification
permettant de suivre des sujets dans le temps et qui ont compilé les données en
question au moins jusqu’au deuxième trimestre de 2020, autant de conditions
qui réduisent considérablement le nombre des possibilités. Quand nous avons
entamé nos travaux, sept pays seulement y répondaient: le Brésil, le Costa Rica,
les États-Unis, le Mexique, la Pologne, le Portugal et le Royaume-Uni. Cependant,
cet échantillon permet déjà des comparaisons intéressantes du fait de la diver-
sité des marchés du travail en question (parce qu’il y a parmi eux des pays à
revenu intermédiaire et d’autres à revenu élevé), mais aussi de la variété des
stratégies adoptées face à la pandémie.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 9

L’un de nos objectifs était d’apporter une réponse, provisoire au moins, à la


question de savoir si les transitions observées avaient un effet sur les inégalités
sur le marché du travail. Pour ce faire, nous aurions pu partir des données por-
tant sur la période qui précède le COVID-19, simuler l’analyse d’une distribution
complète en utilisant les modèles de simulation standard, comme dans Lustig
et al. (2020), et en introduisant une variable sur les transitions sur le marché
du travail. C’est une solution intéressante, qui permettrait des mesures et des
attributions de causalité complètes, mais qui fait à nouveau intervenir de nom-
breuses hypothèses, et qui pose des problèmes du fait de l’endogénéité inhérente
au marché du travail et aux politiques propres aux pays. C’est pour cette raison,
mais aussi parce que la compréhension de la pandémie et de son effet sur les
transitions professionnelles est encore limitée, qu’il nous a semblé plus judicieux
d’utiliser une méthode reposant sur les mesures directes de la réalité observée.
Par conséquent, nous limitons notre analyse à l’observation directe des tran-
sitions professionnelles au sein de groupes spécifiques. Nous commençons par
enregistrer la mobilité entre le premier et le deuxième trimestre de l’année 2019,
qui constitue notre point de comparaison (période de référence ou «réf.» dans
les tableaux), puis celle qui a pu être observée entre le premier et le deuxième
trimestre de 2020. Nous calculons ensuite l’écart entre les valeurs de 2020 et
celles de 2019, chiffre fondamental pour notre analyse car nous considérons
qu’il rend compte de l’effet de la pandémie. En effet, notre hypothèse d’identifi-
cation est la suivante: puisque nous considérons 2019 comme une année «ordi-
naire», tout écart avec 2020 sera mis sur le compte des effets de la pandémie. La
figure 1 nous donne les probabilités de transition de 2010 à 2019 pour six pays
de notre échantillon (Brésil, Costa Rica, États-Unis, Mexique, Portugal et Pologne).
Au Portugal, nous observons une tendance de longue durée vers une diminu-
tion du nombre de transitions de l’emploi vers le non-emploi, alors qu’au Costa
Rica la volatilité est plus marquée que pour les autres pays. Mais rien ne porte
à penser que 2019 est une année différente des autres.
Nous soulignerons encore que nous utilisons une méthode originale par rap-
port à la plupart des autres auteurs qui ont cherché à analyser l’effet de la pandé-
mie sur des groupes spécifiques (les femmes et les jeunes notamment). En effet,
nous faisons la comparaison pour des groupes définis en fonction des caracté-
ristiques démographiques des individus, mais aussi de la nature de leur emploi.
Nous organisons la suite de notre article de la façon suivante. Après une
deuxième partie dans laquelle nous présentons brièvement nos données et notre
méthode (titre 2), nous passerons en revue les stratégies adoptées par les sept
pays de notre échantillon, tout en résumant les conclusions de la littérature – en-
core embryonnaire – sur l’effet du COVID-19 sur les transitions professionnelles
(titre 3). Dans la partie suivante (titre 4), nous comparons les chiffres de l’emploi
pour chacun des pays pris en compte, mais aussi l’importance des flux vers et
depuis l’emploi, avant et après la pandémie. Dans la cinquième partie (titre 5),
nous entrons dans le vif du sujet: nous présentons et commentons les résultats
de notre comparaison des probabilités de transition selon trois variables démo-
graphiques et huit variables relatives à la nature de l’emploi. Dans une dernière
partie, nous évaluons la riposte des autorités nationales, à la lumière des don-
nées analysées, et présentons nos conclusions (titre 6).
10 Revue internationale du Travail

Figure 1. Transitions professionnelles dans six pays, 2010-2019 (en pourcentage)


A. Transitions emploi - non-emploi
16

14
Emploi à T1 = > Non-emploi à T2

12

10

0
2010 2012 2014 2016 2018 2020
Année
B. Transitions non-emploi - emploi
25
à T1 = > Emploi à T2

20
Non-emploi

15

10

0
2010 2012 2014 2016 2018 2020
Année
Mexique Costa Rica Brésil
États-Unis Portugal Pologne
Note: T1 = premier trimestre; T2 = deuxième trimestre.
Source: Calculs des auteurs à partir de microdonnées issues des différentes enquêtes sur la population active
mentionnées sous le titre 2 (BAEL pour la Pologne, CPS pour les États-Unis, ECE pour le Costa Rica, ENOE et ETOE
pour le Mexique, IE pour le Portugal, LFS pour le Royaume-Uni et PNADC pour le Brésil). Pour la CPS, résultats
fondés sur les données de panel publiées par Sarah Flood, Miriam King, Renae Rodgers, Steven Ruggles et J. Robert
Warren (Integrated Public Use Microdata Series, version 8.0, Minneapolis, IPUMS, 2020).

2.  Données et méthode


Puisque notre recherche porte sur l’effet de la pandémie de COVID-19 sur les
transitions professionnelles, nous devons pouvoir observer les individus à deux
points dans le temps. L’échantillon est donc limité aux pays pour lesquels nous
disposons de séries chronologiques (avec panels rotatifs) au moins jusqu’au
deuxième trimestre de 2020. Au moment où nous avons lancé l’étude, nous
avions des séries de ce type jusqu’au troisième trimestre de 2020 pour plusieurs
pays d’Amérique latine, à savoir le Brésil (avec la Pesquisa Nacional por Amostra
de Domicílios Contínua ou PNADC) et le Costa Rica (Encuesta Continua de Empleo
ou ECE). Pour le Mexique, des données étaient disponibles pour le premier et le
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 11

troisième trimestre (Encuesta Nacional de Ocupación y Empleo ou ENOE), alors


que le deuxième trimestre était couvert partiellement par l’Encuesta Telefónica
de Ocupación y Empleo (ETOE). Cette seconde étude n’est pas tout à fait compa-
rable à la première (elle est administrée par téléphone et l’échantillon est plus
restreint), mais elle permet au moins de savoir ce qu’il advient au deuxième tri-
mestre des travailleurs observés au premier trimestre dans l’ENOE. Aux États-
Unis, le bureau du recensement a publié des rapports mensuels sur les résultats
de la Current Population Survey (CPS) jusqu’à octobre 2020. Pour ce pays, nous
n’avons pas utilisé la totalité des données relatives au premier et au deuxième
trimestre. En effet, compte tenu de la structure du panel rotatif de la CPS, cer-
tains individus sont interrogés deux mois de suite. Pour contourner le problème,
nous avons comparé la situation au point médian de chaque trimestre (février
et mai). En Europe, les données pour le Portugal et le Royaume-Uni, issues de
l’Inquérito ao Emprego (IE) et de la Labour Force Survey (LFS) respectivement,
étaient disponibles jusqu’au troisième trimestre de 2020. En Pologne, pour finir,
les données de la Badanie Aktywności Ekonomicznej Ludności (BAEL) avaient
été publiées jusqu’au deuxième trimestre de 2020.
Il existait d’autres enquêtes sur la population active avec échantillons rota-
tifs mais, dans leur cas, les informations dont nous avions besoin et les codes
permettant d’apparier les données n’étaient pas forcément disponibles au mo-
ment de notre étude. L’analyse n’était donc possible que pour les sept pays cités
plus haut (Brésil, Costa Rica, États-Unis, Mexique, Pologne, Portugal et Royaume-
Uni), un échantillon qui permet déjà une comparaison intéressante, puisqu’il
présente une bonne diversité, sous l’angle du niveau de développement, de la
réglementation du travail et des stratégies adoptées face à la crise. Nous verrons
du reste que l’effet de ces stratégies est lui aussi tout à fait différent selon le pays.
Nous présentons dans le tableau 1 des indications sur la taille de nos échan-
tillons. Malgré l’attrition, celle-ci reste raisonnable. L’échantillon le plus réduit,
celui du Costa Rica, compte autour de 15 000 personnes, et le plus gros, celui du
Brésil, quelque 322 000. Cependant, puisque nous nous intéressons à l’évolu-
tion des inégalités (soit à la variation de l’écart entre les groupes dans le temps),
l’échantillon doit avoir une taille plus importante. Dans quelques cas peu nom-
breux, les valeurs élevées de p sont imputables à la taille trop restreinte de
l’échantillon.

Tableau 1.  Taille des échantillons


Pays Taille de l’échantillon (15 +) Taille du panel (15 +)
T1 2019 T2 2019 T1 2020 T2 2020 2019 2020

Brésil 439 002 437 466 388 559 296 588 322 138 239 487


Costa Rica 19 594 19 568 19 140 16 101 14 717 14 970
Mexique 300 547 302 541 311 771 70 160 239 628 15 347
États-Unis 97 550 96 509 96 834 81 020 21 088 20 413
Pologne 58 222 54 964 52 209 55 593 26 876 44 856
Portugal 33 035 31 848 30 591 26 566 24 101 21 257
Royaume-Uni 69 793 72 300 62 279 56 641 25 175 23 438
Note: T1 = premier trimestre; T2 = deuxième trimestre.
Source: Idem figure 1.
12 Revue internationale du Travail

Tous les chiffres que nous commentons dans la suite de l’article ont été obte-
nus en pondérant les microdonnées avec les poids fournis dans la série en ques-
tion. Ces poids ne correspondent pas forcément à la composition de l’échantillon
rotatif, mais cela ne pose pas de problème, car tous nos résultats (à part la taille
des échantillons) sont des chiffres relatifs.
Comme nous l’avons vu plus haut, la plupart des auteurs qui ont travaillé
sur les conséquences de la pandémie sur des groupes de population se sont li-
mités à faire un instantané de la situation des individus d’âge actif au moment
de l’apparition du problème. Si on se limite à analyser l’évolution entre le pre-
mier et le deuxième trimestre de 2020, l’opération – qui a certes son intérêt –
ne permet pas de savoir si ce que l’on observe suit le cours normal des choses,
étant entendu que tous les marchés du travail présentent aujourd’hui des taux
de transition élevés, en particulier dans les pays en développement. C’est pour-
quoi nous avons choisi de comparer, là où c’était possible, le taux de transition
enregistré entre le premier et le deuxième trimestre de 2020 et celui que l’on
pouvait observer un an auparavant, soit entre le premier et le deuxième tri-
mestre de 2019. Quand nous présenterons nos résultats, nous nous efforcerons
donc de faire ressortir l’écart entre les deux périodes, en faisant la comparaison
entre une situation pouvant être considérée comme ordinaire et celle qui a pu
être observée après l’apparition du COVID-19.

3.  Les effets de la pandémie sur les marchés


du travail et la riposte des États
Face au COVID-19, les pays ont lancé diverses mesures visant à protéger la santé
des populations, mais aussi à limiter l’impact des confinements sur l’économie.
Selon les données compilées par un institut de recherche de l’Université d’Ox-
ford, les sept pays de notre échantillon ont tous adopté des mesures de ferme-
ture des lieux de travail ou de télétravail à partir de la mi-mars 20202. Comme
la figure 2 permet de le constater, il s’agissait parfois de simples recommanda-
tions (soit le niveau 1 sur notre échelle de l’intensité des mesures de lutte contre
le COVID-19), mais parfois aussi de dispositions obligatoires, limitées à certains
types d’établissements (niveau 2), ou applicables à l’ensemble de l’économie à
l’exception des activités essentielles (niveau 3). La majorité de ces mesures ont
été imposées jusqu’au deuxième trimestre de 2020 (Hale et al., 2020).
Nous relevons que la plupart des pays avaient déjà mis en place des mesures
de confinement au cours de la dernière ou des deux dernières semaines du pre-
mier trimestre de 2020. Cela diminue un peu l’efficacité de notre stratégie d’iden-
tification, puisque le premier trimestre n’est pas une période «pré-COVID-19» à
strictement parler. Malheureusement, à part pour le Mexique, les enquêtes utili-
sées ne permettent pas de savoir quelle semaine précisément le questionnaire a

2 Base de données sur les mesures de lutte contre le COVID-19 (COVID-19 Government Re-

sponse Tracker). Voir à l’adresse https://www.bsg.ox.ac.uk/research/research-projects/covid-19-government-


response-tracker.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 13

Figure 2. Intensité des mesures de lutte contre le COVID-19


(fermetures et télétravail)
3,5

3
(fermetures/télétravail)
Intensité des mesures

2,5

1,5

0,5

0
1er janv. 20
6 janv. 20
11 janv. 20
16 janv. 20
21 janv. 20
26 janv. 20
31 janv. 20
5 févr. 20
10 févr. 20
15 févr. 20
20 févr. 20
25 févr. 20
1er mars 20
6 mars 20
11 mars 20
16 mars 20
21 mars 20
26 mars 20
31 mars 20
5 avr. 20
10 avr. 20
15 avr. 20
20 avr. 20
25 avr. 20
30 avr. 20
5 mai 20
10 mai 20
15 mai 20
20 mai 20
25 mai 20
30 mai 20
4 juin 20
9 juin 20
14 juin 20
19 juin 20
24 juin 20
29 juin 20
États-Unis Costa Rica Portugal Pologne
Brésil Royaume-Uni Mexique
Note: Degré d’intensité des mesures officielles (fermeture des lieux de travail ou télétravail): 1 = simple recomman-
dation; 2 = obligatoires pour certains secteurs/groupes de travailleurs; 3 = obligatoires pour tous, sauf services
essentiels.
Source: Hale et al., 2020.

été administré3. Dans ces conditions, on interprétera les valeurs obtenues comme
une limite inférieure de l’effet du COVID-19 sur les transitions professionnelles.
Si les mesures de confinement sont très similaires dans les sept pays suivis,
celles qui ont été adoptées pour soutenir les entreprises et les travailleurs le sont
beaucoup moins et varient considérablement dans leur conception comme dans
leur portée. Ainsi, les chiffres du tableau 2 montrent que les dépenses publiques
liées à la pandémie représentent 0,6 pour cent du PIB à peine au Mexique, mais
jusqu’à 11,8 pour cent aux États-Unis. Les mesures financées n’ont pas été par-
tout les mêmes non plus, ce qui a eu des conséquences importantes sur la sta-
bilité de l’emploi, notamment dans la période à l’examen.
En ce qui concerne les mesures axées sur la main-d’œuvre, le Brésil, la Po-
logne, le Portugal et le Royaume-Uni ont plutôt utilisé les subventions visant à
protéger la relation professionnelle, alors que les États-Unis et le Costa Rica (mais
dans une mesure bien moindre pour ce dernier pays) ont privilégié les dispo-
sitifs visant à prêter assistance à ceux qui avaient perdu leur emploi. D’autres
pays, mais aussi certains États du Mexique, ont également adopté des mesures
de ce type, en plus des subventions destinées à protéger la relation de travail.
C’est au Royaume-Uni que l’on observe le programme de subventionne-
ment des salaires le plus ambitieux avec le Coronavirus Job Retention Scheme.
Avec ce dispositif, l’État prend en charge 80 pour cent du salaire mensuel des

3 Pour le Mexique, nous avons fait l’analyse en excluant les deux dernières semaines du pre-

mier trimestre et nous avons constaté que cela ne modifiait pas les résultats.
14 Revue internationale du Travail

Tableau 2. Dépenses publiques engendrées par la pandémie


(en pourcentage du PIB)
Pays Dépenses totales Dépenses de santé Autres

Brésil 8,3 0,9 7,4


Costa Rica 1,4 0,3 1,1
Mexique 0,6 0,2 0,5
États-Unis 11,8 1,5 10,3
Pologne 6,7 0,4 6,3
Portugal 3,2 0,8 2,4
Royaume-Uni 9,2 1,5 7,6
Note: Total des dépenses au 30 septembre 2020.
Source: FMI (Database of fiscal policy responses to COVID-19).

travailleurs visés par une mesure de chômage technique, jusqu’à concurrence de


2 500 livres. Cette politique marquait un tournant par rapport à celles qui avaient
été adoptées lors de récessions précédentes en ceci qu’elle visait à préserver la
relation de travail (même s’il n’y avait, en réalité, plus d’activité puisque les tra-
vailleurs étaient renvoyés chez eux). De ce fait, le déclin de l’activité économique
s’est soldé par une baisse du nombre moyen d’heures travaillées, mais pas par
une baisse du nombre d’emplois. Au Portugal, le gouvernement a lui aussi mis
le maintien des contrats de travail au cœur de son plan de sauvetage en s’enga-
geant à couvrir 70 pour cent des salaires, grâce aux fonds de la sécurité sociale,
les 30 pour cent restants étant à la charge de l’employeur. En Pologne, l’État était
moins généreux puisque le subventionnement ne portait que sur 40 pour cent
du salaire mensuel moyen, calculé sur le trimestre précédent. Dans ces deux
pays, les gouvernements ont aussi pris des mesures pour aider les travailleurs
qui étaient obligés de rester à la maison pour s’occuper de jeunes enfants, quand
les écoles et les crèches ont fermé4.
Au Brésil, le marché du travail a tiré profit de mesures préexistantes, notam-
ment d’un système d’annualisation du temps de travail qui donnait déjà une cer-
taine souplesse aux employeurs, et que les autorités ont complété par d’autres
mesures, dont le Benefício Emergencial de Preservação do Emprego e da Renda
(prestation d’urgence pour la préservation des emplois et du salaire). Ce pro-
gramme visait à autoriser les employeurs à réduire le nombre d’heures travail-
lées, avec baisse proportionnelle du salaire, ou à suspendre provisoirement les
contrats de travail en application d’accords individuels ou collectifs avec leurs
salariés. Le gouvernement fédéral versait une contrepartie financière. Les auto-
rités estiment que la prestation a permis de sauver plus de 10 millions d’emplois.
Un autre dispositif d’urgence (l’Auxílio Emergencial) a été mis en place en pa-
rallèle afin de distribuer des prestations en espèces aux travailleurs du secteur
informel. Pour atteindre cette cible, il avait été décidé que la prestation serait
versée à tous les adultes qui n’étaient pas employés dans le secteur formel et qui
ne touchaient aucune autre prestation sociale.

4 Nous tirons les informations présentées dans cette partie d’une compilation préparée par le

BIT. Voir à l’adresse https://www.ilo.org/global/topics/coronavirus/regional-country/country-responses/


lang--fr/index.htm (consulté en janvier 2021).
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 15

Si ces quatre pays – et d’autres États européens – ont plutôt subventionné


les employeurs, dans l’idée de protéger la relation de travail, les États-Unis ont
choisi pour leur part d’encourager le recours aux allocations de chômage en élar-
gissant les critères d’admissibilité au système. De nouveaux groupes ont ainsi pu
en bénéficier, notamment les indépendants. En outre, les citoyens ont reçu des
chèques d’«encouragement» (stimulus cheques) qui ne dépendaient pas de la si-
tuation professionnelle. Sachant que leurs salariés seraient mieux protégés s’ils
étaient au chômage, et compte tenu du caractère peu restrictif de la législation
contre le licenciement, les employeurs états-uniens ont réagi à la pandémie et
aux confinements en licenciant en masse. En conséquence, le taux de chômage,
corrigé des variations saisonnières, a augmenté jusqu’à 14,8 pour cent en avril
2020, un niveau que l’on n’avait plus observé depuis la crise de 1929. Fort heu-
reusement, beaucoup de ces travailleurs licenciés ont été réembauchés pendant
l’été, si bien que le taux de chômage est redescendu à 10,2 pour cent en juillet
2020, une tendance qui s’est poursuivie les mois suivants.
Au Costa Rica et au Mexique, les travailleurs n’ont reçu qu’une assistance
limitée. Dans le premier de ces deux pays, on peut citer la création d’un fonds
de solidarité à l’intention des travailleurs licenciés, et une législation visant à
faciliter les licenciements. Quant au Mexique, dont les mesures de relance ont
été jugées largement insuffisantes par le FMI, il lui était difficile d’augmenter
les dépenses publiques, en particulier à cause d’une clause constitutionnelle
– certainement contestable – qui pose des restrictions à l’émission de nouvelles
dettes (ONU, 2021; Martín Cullell, 2020). Les autorités se sont donc contentées,
pour l’essentiel, d’assouplir les conditions des lignes de crédit, une mesure très
utilisée aussi dans les autres pays de l’échantillon.
L’effet de la portée et de la nature des mesures mises en place apparaît clai-
rement dans les indicateurs du marché du travail agrégés que nous analyserons
dans la partie suivante de notre texte. Il est plus difficile en revanche de savoir
comment les différents groupes de travailleurs et types d’emplois y ont réagi.
C’est cette question qui nous occupera principalement ici.
Quelques auteurs ont déjà tenté d’y répondre depuis l’apparition de la pan-
démie. Parmi les premiers, on peut citer Adams Prassl et ses coauteurs (2020), qui
ont comparé l’effet de cet événement sur le marché du travail en Allemagne, aux
États-Unis et au Royaume-Uni, en se fondant sur une enquête en ligne conçue à
cet effet. Ils concluent que les suppressions d’emplois ont été particulièrement
nombreuses aux États-Unis, un peu moins au Royaume-Uni et beaucoup plus
limitées en Allemagne, un pays connu pour son système de chômage partiel
(Kurzarbeit), qui repose sur des subventions salariales à court terme. En outre,
l’étude montre que les femmes et les jeunes sont plus exposés que les autres à
la perte d’emploi, et ce dans les trois pays considérés, alors que les travailleurs
très qualifiés semblent mieux protégés aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais
pas en Allemagne. Les auteurs concluent que la pandémie a accru les inégalités
sur le marché du travail, mais que cet effet est plus faible dans ce dernier pays.
Dans une analyse fondée sur les données de la CPS, que nous utilisons nous-
mêmes, Cowan (2020) étudie les transitions professionnelles aux États-Unis. Il y
établit – ce qui ne surprend pas – que la pandémie a eu des effets considérables,
dont une hausse du chômage et une diminution des taux d’activité. Il montre en
16 Revue internationale du Travail

outre que c’est pour les groupes les plus fragiles – les femmes, les jeunes et les
travailleurs les moins bien formés – que les pertes d’emplois et d’heures travail-
lées sont les plus lourdes. Dans une autre étude, Montenovo et ses collaborateurs
(2020) concluent qu’aux États-Unis les très nombreuses suppressions d’emplois,
qui ont exacerbé les inégalités, peuvent être expliquées pour l’essentiel par les
caractéristiques des emplois: certains métiers ont été particulièrement pénali-
sés, à savoir ceux qui font intervenir davantage de contacts directs et se prêtent
moins au télétravail. Or les femmes, les jeunes et les personnes peu instruites
sont surreprésentés dans ces professions.
On retrouve des méthodes d’analyse des transitions professionnelles simi-
laires à la nôtre dans des études sur le Brésil (Hirata et Machado, 2010), le Costa
Rica (Castro Vincenzi, Garita Garita et Odio Zúñiga, 2014), l’Amérique latine
(Beccaria et Maurizio, 2020) et l’Europe (Ward-Warmedinger et Macchiarelli,
2013; Theodossiou et Zangelidis, 2009), et d’autres auteurs ont étudié l’effet dif-
férencié de la crise sur des groupes de population (voir notamment BIT, 2020b).
Cependant, nous sommes les premiers à comparer les probabilités de transition
selon les caractéristiques des individus et celles de l’emploi, dans plusieurs ré-
gions à la fois, à la suite de la pandémie.

4. Statistiques descriptives et probabilités


de transition
Pour commencer, il faut s’intéresser au taux d’emploi, établi en rapportant le
nombre d’actifs occupés (indépendants y compris) à la population en âge de tra-
vailler. Aux États-Unis, des millions de personnes sont venues grossir les rangs
des chômeurs et des inactifs, une situation amplement relayée par les médias.
En Europe, la situation n’a pas été aussi dramatique, pendant la plus grande
partie de l’année 2020 tout du moins. Les deux graphiques de la figure 3 font
bien apparaître le contraste entre le comportement des taux d’emploi dans les
pays de l’échantillon pendant la période à l’examen. En Amérique latine et aux
États-Unis, on observe une baisse massive du pourcentage des personnes occu-
pées (salariés et indépendants confondus). Le taux d’emploi chute de 6 points
de pourcentage au Brésil, 8 aux États-Unis, 11 au Mexique et 12 au Costa Rica.
Si l’on considère le graphique B maintenant, on observe des situations bien dif-
férentes. Au Portugal, le recul du taux d’actifs occupés atteint 2 points de pour-
centage seulement. Au Royaume-Uni, la baisse est de 1 point à peine. En Pologne,
aucune diminution n’est décelable. On retiendra de la figure 3 que la baisse du
taux d’emploi, qui est tout à fait exceptionnelle dans les Amériques, se confond
quasiment avec les variations saisonnières en Europe.
Les tendances de l’emploi dépendent de deux flux: celui des actifs occupés
qui perdent leur travail (et qui rejoignent le groupe des chômeurs ou alors celui
des inactifs) et celui des individus sans emploi qui rejoignent le marché du tra-
vail. Les données de panel permettent de mesurer ces deux flux directement.
C’est ce que nous faisons dans le tableau 3. Dans cette matrice de transition, la
partie de gauche et la partie intermédiaire portent sur les flux enregistrés en
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 17

Figure 3. Taux d’emploi trimestriels de T1/2019 à T3/2020 (en pourcentage)


A. Amériques
65
Taux d’emploi (en %)

60

55

50

45

40
Oct. 18

Janv. 19

Avr. 19

Juil. 19

Oct. 19

Janv. 20

Avr. 20

Juil. 20

Oct. 20
Année et trimestre
États-Unis Mexique Brésil Costa Rica

B. Europe
65
Taux d’emploi (en %)

60

55

50

45

40
Oct. 18

Janv. 19

Avr. 19

Juil. 19

Oct. 19

Janv. 20

Avr. 20

Juil. 20

Oct. 20

Année et trimestre
Royaume-Uni Portugal Pologne
Source: Idem figure 1.

2019 et en 2020, respectivement, alors que la partie de droite donne l’écart entre
ces deux valeurs, c’est-à-dire l’effet de la pandémie de COVID-19 sur le marché
du travail, si l’hypothèse de détermination du modèle – à savoir que 2019 est
une année «normale» – est fondée. Dans ce tableau – comme dans les suivants,
sauf indication contraire –, nous rangeons dans la catégorie «emploi» aussi bien
les salariés que les indépendants, et le groupe «non-emploi» englobe à la fois les
chômeurs et les inactifs; on relèvera en outre que les pays sont présentés par
ordre géographique, du sud au nord.
Hors contexte pandémique, la mobilité vers et depuis l’emploi est en règle
générale bien plus forte en Amérique latine qu’en Europe. Ainsi, au Brésil et au
Costa Rica, 49 pour cent de la population en âge de travailler est occupée à la fois
au premier et au deuxième trimestre en 2019. Les chiffres équivalents sont de
53 pour cent au Portugal et en Pologne, 57 pour cent aux États-Unis et 70 pour cent
18 Revue internationale du Travail

Tableau 3. Matrice des transitions professionnelles


(en pourcentage de la population d’âge actif)
2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart (p. p.)

Brésil T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
  T1 E 49 6 47 8 –2 2
  T1 NE 6 39 2 42 –4 4
 Statut idem: 88 89 Total: 12

Costa Rica T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
  T1 E 49 8 41 15 –7 6
  T1 NE 8 35 3 41 –5 6
 Statut idem: 84 82 Total: 24
Mexique T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
  T1 E 51 8 45 18 –5 10
  T1 NE 9 33 5 32 –4 –1
 Statut idem: 83 77 Total: 19

États-Unis T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
  T1 E 57 4 50 10 –7 7
  T1 NE 3 36 2 37 –1 1
 Statut idem: 93 87 Total: 16

Portugal T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
  T1 E 53 3 50 3 –3 0
  T1 NE 3 41 3 44 0 2
 Statut idem: 94 94 Total: 5

Pologne T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
  T1 E 53 1 53 2 0 1
  T1 NE 1 45 1 44 0 –1
 Statut idem: 98 97 Total: 1

Royaume-Uni T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
  T1 E 70 2 70 3 0 1
  T1 NE 2 26 2 25 0 0
 Statut idem: 96 96 Total: 1
Note: T1 = premier trimestre; T2 = deuxième trimestre; E = emploi (salarié ou indépendant); NE = non-emploi
(chômage ou inactivité); p. p. = points de pourcentage; chiffres arrondis à l’unité.
Source: Idem figure 1.

au Royaume-Uni5. A contrario, la part des actifs qui ne sont pas occupés, que
ce soit au premier ou au deuxième trimestre, atteint 35 pour cent seulement
au Costa Rica, et 45  pour cent seulement en Pologne. Il faut sans doute y
voir l’effet d’une forte présence du travail indépendant non déclaré, en par-
tie du moins.

5 Les chiffres du Royaume-Uni ne sont pas parfaitement comparables à ceux des autres pays.

En effet, dans la LFS, les femmes au foyer, les étudiants et les plus de 64 ans n’entrent pas dans le
décompte de la population active. La valeur du dénominateur est donc plus faible, ce qui fait aug-
menter la valeur du rapport entre actifs occupés et population active.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 19

La mesure de la stabilité professionnelle (pourcentage d’individus d’âge actif


qui conservent le même statut sur le marché du travail au cours de deux tri-
mestres consécutifs, situation que nous désignons par «statut idem» dans le ta-
bleau 3) nous donne une indication des flux vers et depuis l’emploi. En Pologne,
98 pour cent des individus conservent le même statut professionnel au premier
et au deuxième trimestre de 2019, un taux qui passe à 84 pour cent au Costa
Rica. Pour cet indicateur, les États-Unis semblent plus proches de l’Europe que
de l’Amérique latine, puisque le taux de maintien dans le même statut y atteint
93 pour cent.
Ces niveaux sont-ils conformes à ceux qui sont décrits dans d’autres analyses
sur la situation avant la pandémie? Oui, à peu de choses près. Parmi les études
sur les déterminants des transitions sur le marché du travail brésilien, Hirata
et Machado (2010) et Cuco et Barreiro de Souza (2019), pour ne citer qu’eux,
présentent des chiffres conformes aux nôtres, même s’il faut souligner qu’ils
observent plutôt les transitions entre emploi formel et emploi informel. Les va-
leurs présentées par Castro Vincenzi, Garita Garita et Odio Zúñiga (2014) pour
le Costa Rica se rapprochent aussi de celles que nous présentons ici, de même
que celles obtenues par Escobedo González et Moreno Treviño (2020) pour le
Mexique. En revanche, dans une étude sur les États-Unis, dans laquelle ils uti-
lisent également la CPS, mais en observant les transitions d’un mois sur l’autre,
Kroft et ses coauteurs (2016) présentent des taux de transition un peu inférieurs
aux nôtres, mais c’est parce que nous enregistrons les variations d’un trimestre
sur l’autre. Pour le Royaume-Uni, les chiffres de Gomes (2012) correspondent à
peu près à ceux de notre analyse.
Parmi les études sur la mobilité professionnelle après la pandémie, il n’y a
que Cowan (2020) qui présente des statistiques comparables aux nôtres, et son
analyse ne porte que sur les États-Unis. Chez lui, le taux de transition emploi-em-
ploi est de 47 pour cent, contre 50 pour cent ici, et celui des flux depuis et vers
le non-emploi de 36 pour cent, contre 37 pour cent. Ces valeurs sont donc très
similaires, et le petit écart vient certainement de ce que l’auteur envisage une
troisième catégorie de travailleurs (ceux qui sont en emploi mais absents de leur
lieu de travail), que nous n’utilisons pas dans notre étude. Comme chez Cowan,
nous faisons porter la comparaison sur le deuxième mois de chaque trimestre.
Nous avons établi un peu plus haut une distinction entre deux types de mo-
bilités professionnelles sur le marché du travail. Il faut se demander maintenant
quelle est la meilleure méthode pour repérer les modifications éventuelles des
flux en question avec la pandémie. Le plus simple, c’est d’observer l’écart entre
la valeur des flux après l’arrivée de la pandémie (2020) et avant (2019), exprimé
en points de pourcentage, et obtenu en retranchant les chiffres de 2019 de ceux
de 2020 (voir partie notée «Écart» du tableau 3).
Pour la Pologne et le Royaume-Uni, les valeurs de l’écart sont très proches
de zéro, ce qui signifie que les flux ne sont pas modifiés. Au Portugal, on observe
une légère baisse des transitions emploi-emploi, associée à une hausse des tran-
sitions du non-emploi vers l’emploi. Pour les États-Unis, l’écart fait apparaître
une diminution très marquée des flux emploi-emploi (avec moins 7 points) et
une baisse modérée des flux du chômage ou de l’inactivité vers l’emploi. Enfin,
20 Revue internationale du Travail

les pays d’Amérique latine affichent une tendance commune à la baisse des flux
vers l’emploi, que ce soit depuis l’emploi ou depuis le non-emploi.
La somme des entrées de la colonne dans laquelle nous avons consigné
l’écart entre les chiffres de 2019 et ceux de 2020, en valeur absolue, constitue
un indicateur de la volatilité sur le marché du travail (notons que la somme des
écarts en valeurs réelles sera toujours égale à zéro car, en fin de compte, tout
le monde se retrouve dans un groupe donné). Au Costa Rica, au Mexique et au
Brésil, la volatilité atteint 24, 19 et 12 points de pourcentage, respectivement. Aux
États-Unis, elle est de 16 points. Enfin, elle est de 5 points au Portugal, 1 point au
Royaume-Uni et 1 point également en Pologne. Pour synthétiser, on peut dire que
la pandémie modifie peu les flux entre situations professionnelles en Europe,
mais beaucoup dans les Amériques.
L’analyse de notre matrice de transition débouche sur une dernière obser-
vation: le recul de l’emploi ne dépend pas des mêmes flux aux États-Unis et
en Amérique latine. Aux États-Unis, 89 pour cent de cette baisse dépend direc-
tement des pertes d’emploi, soit des passages de la case emploi à la case chô-
mage ou inactivité. En effet, pour les transitions du non-emploi vers l’emploi,
elles affichent certes une tendance vers le bas, mais celle-ci reste modérée. En
Amérique latine, au contraire, la baisse des flux vers l’emploi est aussi forte que
celle des sorties de l’emploi. Au Brésil, 62 pour cent du recul vient d’une dimi-
nution du nombre des travailleurs qui rejoignent le marché du travail en 2020,
par rapport à 2019. Par conséquent, on peut dire que la pandémie a modifié la
tendance de la mobilité professionnelle dans les deux sens au Brésil et dans les
autres pays latino-américains.

5.  L’effet de différentes variables sur les transitions


professionnelles
Comment les différents groupes de travailleurs sont-ils touchés par les flux pro-
fessionnels décrits plus haut? Peut-on associer des caractéristiques (covariables)
à ces transitions et, si oui, lesquelles? Par exemple, le fait d’être une femme,
d’avoir été embauché en CDI ou d’exercer une profession intellectuelle ou scien-
tifique a-t-il une influence sur la probabilité de connaître une transition vers
telle ou telle situation sur le marché du travail? Plutôt que de présenter tous nos
résultats à la fois, dans un tableau récapitulant l’effet de toutes les covariables,
nous avons décidé de les décliner les uns après les autres, en procédant cova-
riable après covariable. Nous commençons par le sexe, avant de passer à deux
autres caractéristiques individuelles, l’âge et le niveau d’études. Nous observons
ensuite l’effet du revenu, du temps de travail, du statut professionnel (salarié
ou indépendant), du secteur d’emploi (public ou privé), de la durée de l’enga-
gement (contrat de durée déterminée – CDD – ou de durée indéterminée – CDI)
et de la nature de la relation de travail (formelle ou informelle). Nous analy-
sons également l’effet de deux variables relatives au poste occupé: le niveau de
responsabilité (cadre ou non-cadre) et la catégorie professionnelle (profession
intellectuelle, scientifique ou intermédiaire ou autre profession). Au total, cela
fait onze variables à analyser. Pour certains pays, les données ne sont pas dis-
ponibles pour toutes. Ainsi, dans l’enquête BAEL (Pologne), les tranches d’âge
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 21

ne sont pas exploitables pour notre analyse. De même, les données relatives à
l’informalité ne sont disponibles que pour l’Amérique latine, et l’enquête IE du
Portugal ne collecte pas d’informations sur les gains, pas plus que l’enquête LFS
du Royaume-Uni, si ce n’est pour les salariés. Nous avons exploité tout ce qui
était disponible. Dans tous les cas, nous avons enregistré les caractéristiques au
premier trimestre de chaque année, c’est-à-dire que les données du deuxième
trimestre ont servi uniquement à déterminer la situation professionnelle (em-
ploi ou non-emploi) à cette période.

5.1.  Effet des variables démographiques


Le sexe
Dans la partie supérieure du tableau 4, nous donnons l’écart entre les proba-
bilités de transition emploi-emploi chez les hommes et chez les femmes. Les
premières colonnes portent sur la probabilité de conserver son emploi entre
le premier et le deuxième trimestre de 2019 (période de référence), puis entre le
premier et le deuxième trimestre de 2020. Les données sont ventilées par sexe.
Nous indiquons ensuite l’écart entre les valeurs de 2019 et celles de 2020, écart
que nous assimilons à l’effet de la pandémie, puisque nous supprimons l’effet
des flux «ordinaires», soit ceux que l’on avait enregistrés en 2019. Une autre co-
lonne (notée ΔΔ) donne l’écart entre l’effet que la pandémie a sur la situation
des femmes et celui qu’elle a sur la situation des hommes. C’est sur cette colonne
que portera l’essentiel de notre analyse à partir de maintenant. Une dernière

Tableau 4.  Taux de transition selon le sexe


Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes

Emploi-emploi
 Brésil 91 88 87 83 –0,03 –0,05 –0,02 0
  Costa Rica 90 79 79 66 –0,11 –0,13 –0,01 0
 Mexique 91 79 78 63 –0,13 –0,16 –0,03 0
 États-Unis 95 93 85 80 –0,10 –0,13 –0,02 0
 Portugal 95 96 93 93 –0,02 –0,03 –0,01 0
 Pologne 97 98 97 95 0,00 –0,02 –0,02 0
 Royaume-Uni 98 97 97 96 –0,01 –0,01 0,00 6
Non-emploi - emploi
 Brésil 11 8 4 3 –0,06 –0,05 0,01 0
  Costa Rica 22 15 10 5 –0,13 –0,10 0,03 0
 Mexique 28 17 19 10 –0,09 –0,07 0,03 0
 États-Unis 10 7 7 5 –0,03 –0,02 0,01 0
 Portugal 8 6 7 4 –0,01 –0,01 –0,01 1
 Pologne 2 2 3 2 0,00 0,00 –0,01 12
 Royaume-Uni 8 7 9 6 0,01 –0,01 –0,02 7
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.
22 Revue internationale du Travail

colonne contient les valeurs p, qui rend compte de la probabilité que cette dif-
férence soit égale à zéro: si la valeur de p est petite, cela signifie que l’écart est
significativement différent de zéro; si la valeur de p est élevée, cela signifie qu’il
est égal à zéro6.
À la différence de ce qui s’est produit lors de récessions précédentes, qui ont
d’abord touché les hommes – du fait d’un recul de l’activité dans certains sec-
teurs particulièrement exposés, tels que le bâtiment ou l’industrie manufactu-
rière –, la crise due au COVID-19 a surtout affecté les femmes (BIT, 2020c). Nos
résultats montrent ainsi que les femmes ont été moins susceptibles de conser-
ver leur emploi pendant la pandémie dans tous les pays considérés. La proba-
bilité de ne pas perdre son emploi diminue certes pour les deux sexes (sauf en
Pologne, pour les hommes), mais la probabilité d’un flux emploi-emploi diminue
plus pour les femmes que pour les hommes (sauf au Royaume-Uni, où le recul
est de 1 point de pourcentage dans les deux cas). Notre statistique clé, celle qui
donne l’effet de la pandémie sur les inégalités hommes-femmes (ΔΔ), montre
donc que la pandémie a creusé les inégalités de genre sous l’angle du maintien
dans l’emploi dans tous les pays à l’exception du Royaume-Uni.
L’autre mobilité à prendre en compte est celle qui conduit du non-emploi
à l’emploi (voir partie inférieure du tableau  4). Nous soulignerons ici que les
femmes sont plus susceptibles de passer de l’emploi à l’inactivité, plutôt qu’au
chômage, et que c’est pour cela qu’il était important, pour cette analyse, de
regrouper ces deux situations au sein de la catégorie «non-emploi» (Razzu et Sin-
gleton, 2016). Ici aussi, nous observons que les femmes qui se situent en marge
du marché du travail (chômeuses et inactives) sont moins susceptibles de rega-
gner le marché du travail. L’affirmation vaut pour tous les pays sauf pour la
Pologne. Cependant, l’effet de la pandémie sur cette probabilité n’est pas uni-
voque. En Europe, la mobilité du non-emploi vers l’emploi diminue plus pour
les femmes que pour les hommes, alors que, dans les Amériques, c’est l’inverse
qui prévaut (la valeur de l’indicateur noté ΔΔ est négative, en effet, pour les pays
européens mais positive pour les pays des Amériques).
Ce qu’il faut retenir, c’est que les femmes sont plus exposées à la perte d’em-
ploi, principalement en Amérique latine mais aussi aux États-Unis, dans une
moindre mesure. Cet effet est cependant atténué, en partie du moins, dans la po-
pulation d’âge actif dans son ensemble, par la diminution plus faible de la proba-
bilité, pour les femmes, de connaître une transition du non-emploi vers l’emploi.

L’âge
Pour analyser les effets de la pandémie sur les jeunes, nous avons regroupé
les individus âgés de 15 à 25  ans dans un groupe spécifique et rangé tous les
autres dans un groupe «25+». Dans l’enquête polonaise (BAEL), les tranches d’âge
utilisées étaient différentes, ce qui nous a empêchés d’inclure ce pays dans la
comparaison.
Les résultats obtenus selon l’âge (indicateur indirect de l’expérience dans
une certaine mesure) sont éloquents (voir tableau 5). En temps ordinaire, l’âge

6 Dans notre étude, nous avons choisi de ne pas fixer de seuil de significativité a priori ((1, 5

ou 10  pour cent par exemple). Nous évaluons la significativité de chaque résultat directement à
partir de la valeur de p.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 23

Tableau 5.  Taux de transition selon l’âge


Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
25 + Jeunes 25 + Jeunes 25 + Jeunes

Emploi-emploi
 Brésil 91 83 86 79 –0,04 –0,04 0,00 0
  Costa Rica 87 79 76 61 –0,11 –0,18 –0,08 0
 Mexique 87 79 74 63 –0,14 –0,16 –0,03 0
 États-Unis 95 88 85 70 –0,10 –0,18 –0,08 0
 Portugal 96 90 94 81 –0,02 –0,09 –0,06 0
 Royaume-Uni 98 95 97 92 –0,01 –0,02 –0,02 2
Non-emploi - emploi
 Brésil 13 15 5 6 –0,08 –0,09 –0,01 0
  Costa Rica 19 13 7 6 –0,12 –0,08 0,04 0
 Mexique 21 19 14 11 –0,07 –0,08 –0,01 0
 États-Unis 7 13 5 9 –0,02 –0,04 –0,02 0
 Portugal 7 7 6 4 –0,01 –0,02 –0,02 1
 Royaume-Uni 5 13 5 13 0,00 0,00 0,01 89
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.

protège du chômage et de l’inactivité. Nous observons que cet effet protecteur


s’est affirmé avec le COVID-19. L’écart dans la probabilité de perdre son emploi
selon la tranche d’âge atteint jusqu’à 8 points de pourcentage pour certains pays,
ce qui signifie que la probabilité de rester occupé chute de 8 points de plus chez
les jeunes que chez les plus de 25 ans. Même dans un pays comme le Portugal,
où l’effet de la pandémie sur la mobilité professionnelle est resté limité, l’écart
entre jeunes et moins jeunes atteint 6 points.
La tendance est claire également, mais un peu moins marquée, pour ce qui
est du passage du non-emploi à l’emploi (voir partie inférieure du tableau  5).
Exception faite du Costa Rica, le fait d’avoir accumulé de l’expérience profession-
nelle joue aussi en faveur de ceux qui cherchent à rejoindre l’emploi.
La leçon à retenir du tableau 5, c’est que la pandémie a été particulièrement
dure pour les jeunes. Les moins de 25 ans ont été bien plus exposés à la perte
d’emploi s’ils en avaient un et un peu moins susceptibles d’en retrouver un s’ils
n’en avaient pas.

Le niveau d’études
Dans la plupart des pays, les études supérieures sont un passage obligé pour
accéder aux postes les mieux rémunérés. Nous analysons l’effet de cette carac-
téristique sur la mobilité professionnelle pendant la pandémie, en comparant
la situation des diplômés du supérieur et celle de ceux qui ont été moins loin
dans leurs études.
Sans surprise, le fait d’avoir fait des études supérieures rend bien plus pro-
bable le maintien dans l’emploi (voir tableau 6). Pendant la période de référence,
en 2019, la probabilité des diplômés du supérieur de rester occupés est de 1 à
24 Revue internationale du Travail

Tableau 6.  Taux de transition selon le niveau d’études


Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Autres Diplôme Autres Diplôme Autres Diplôme
du sup. du sup. du sup.

Emploi-emploi
 Brésil 88 95 83 91 –0,05 –0,04 0,01 0
  Costa Rica 84 90 70 87 –0,14 –0,03 0,12 13
 Mexique 85 90 69 81 –0,16 –0,09 0,07 0
 États-Unis 93 95 77 86 –0,16 –0,09 0,07 0
 Portugal 95 98 91 96 –0,03 –0,02 0,02 0
 Pologne 97 98 95 97 –0,02 –0,01 0,01 3
 Royaume-Uni 97 98 96 97 –0,01 –0,01 0,00 5
Non-emploi - emploi
 Brésil 10 16 4 7 –0,06 –0,10 –0,04 0
  Costa Rica 18 17 7 8 –0,11 –0,08 0,02 1
 Mexique 20 24 12 18 –0,07 –0,07 0,01 2
 États-Unis 7 9 5 7 –0,02 –0,03 0,00 0
 Portugal 6 14 5 8 –0,01 –0,06 –0,05 0
 Pologne 2 5 2 3 0,00 –0,02 –0,02 4
 Royaume-Uni 7 8 6 10 –0,01 0,01 0,02 23
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.

7 points de pourcentage au-dessus de celle des personnes moins diplômées. Avec


l’arrivée de la pandémie, cette probabilité diminue davantage pour les travail-
leurs moins instruits, et ce dans les sept pays à l’examen. La valeur de l’indica-
teur ΔΔ est comprise entre moins de 1 point de pourcentage au Royaume-Uni et
12 points au Costa Rica. Tous les résultats sont positifs, et tous sont significatifs
statistiquement au seuil de 10 pour cent, sauf celui du Costa Rica.
L’effet sur les flux du non-emploi vers l’emploi est moins net. La statistique ΔΔ
montre que les plus instruits sont moins susceptibles qu’avant de rejoindre
l’emploi au Brésil, au Portugal et en Pologne, mais que la relation s’inverse au
Costa Rica, au Mexique et aux États-Unis (même si la valeur enregistrée est au-
dessous de 1 demi-point aux États-Unis). Pour le Royaume-Uni, le résultat n’est
pas significatif (valeur p de 23 pour cent). Pour conclure, il semble que les études
supérieures protègent effectivement les travailleurs de la perte d’emploi, mais
qu’elles n’ont pas d’influence nette sur la sortie du chômage ou de l’inactivité.
Nous mettons fin ici à notre analyse de l’effet des caractéristiques indivi-
duelles. Reste à déterminer maintenant l’effet des caractéristiques de l’emploi:
celles-ci jouent-elles aussi un rôle sur la probabilité de rester occupé?

5.2.  Effet des caractéristiques de l’emploi


Les revenus du travail
Quand on s’intéresse aux liens entre inégalités et transitions professionnelles,
la première question à poser est celle de l’influence des gains sur la mobilité.
Si ceux qui gagnent le plus ont plus de chances de conserver leur emploi, alors
on peut affirmer que la pandémie aura accru les inégalités. Si, au contraire, les
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 25

Tableau 7.  Transitions emploi-emploi selon les revenus du travail


Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Q1-Q3 Q4 Q1-Q3 Q4 Q1-Q3 Q4

Brésil 88 96 82 94 –0,06 –0,02 0,04 0


Costa Rica 85 95 71 93 –0,14 –0,02 0,12 1
Mexique 85 93 68 82 –0,17 –0,11 0,06 0
États-Unis 93 98 84 94 –0,09 –0,11 0,06 0
Royaume-Uni 97 99 96 99 –0,01 0,00 0,01 47
Note: Q = quartile; ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage. Pour le Royaume-
Uni, les données portent sur les salariés seulement.
Source: Idem figure 1.

petits revenus sont plus susceptibles de rester occupés, alors elle aura eu un effet
égalisateur. Pour cette analyse, nous assimilons les hauts revenus au groupe des
individus qui se situent dans le quartile supérieur de la répartition des revenus
du travail, puis nous observons comment s’en sortent les travailleurs en ques-
tion, par comparaison avec ceux qui se situent dans les trois premiers quartiles.
Nous précisons que nous ne tenons compte dans le calcul que du revenu tiré
de l’emploi principal.
Ici aussi, les conclusions ne font pas de doute (voir tableau 7): le COVID-19 a
exacerbé les inégalités existantes, car les travailleurs du quartile du haut de la ré-
partition sont plus susceptibles de conserver leur emploi que ceux des trois autres
quartiles. Cet effet est particulièrement prononcé au Costa Rica, avec une varia-
tion de 12 points. Il est important également au Brésil (4 points) et au Mexique
et aux États-Unis (6 points). Pour le Royaume-Uni, le résultat n’est pas significatif.

Le temps de travail
L’effet du temps de travail sur la variation de la probabilité d’être licencié en rai-
son du COVID-19 est très similaire à celui de l’appartenance au premier quartile
de la répartition des revenus. Nous faisons l’analyse en séparant les travailleurs
selon qu’ils sont employés à temps partiel (moins de trente-cinq heures pour une
semaine ordinaire) ou à plein temps (plus de trente-cinq heures) (voir tableau 8).

Tableau 8. Transitions emploi-emploi selon le temps de travail


(temps partiel/plein temps)
Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Tps partiel Plein tps Tps partiel Plein tps Tps partiel Plein tps

Brésil 81 92 75 88 –0,06 –0,04 0,01 0


Costa Rica 72 90 54 81 –0,19 –0,09 0,10 0
Mexique 74 88 54 75 –0,20 –0,13 0,07 0
États-Unis 86 96 65 86 –0,20 –0,09 0,11 0
Portugal 85 97 77 95 –0,08 –0,02 0,06 0
Royaume-Uni 95 98 95 97 –0,01 –0,01 0,00 0
Note: Q = quartile; ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage. Pour le Royaume-
Uni, les données portent sur les salariés seulement.
Source: Idem figure 1.
26 Revue internationale du Travail

Nous observons que les travailleurs à temps partiel étaient plus susceptibles
que les autres de perdre leur travail en 2019, et que cette tendance s’accentue
avec la pandémie. Comme précédemment, la situation fluctue selon le pays, avec
une variation de 11 points de pourcentage aux États-Unis, où les travailleurs à
temps partiel sont souvent employés dans l’hôtellerie-restauration ou dans la
vente, à moins de 1 point au Royaume-Uni (ce dernier résultat étant significati-
vement différent de zéro).

Le statut professionnel
Si l’effet de la crise sur l’insertion professionnelle dépend certainement de la
nature des mesures mises en place par les autorités, il dépend aussi du statut
professionnel. Ainsi, les indépendants (y compris ceux qui sont employeurs) ont
une plus large autonomie et peuvent décider de continuer de travailler même
si leur revenu ne suit pas. Les salariés ont moins de marge de manœuvre, si
bien que leur situation dans le contexte de la pandémie dépend avant tout de
la nature et de la portée des mesures officielles et des choix des entreprises (qui
peuvent du reste décider de ne pas se séparer de leur personnel, même si elles
n’ont rien à leur faire faire). Dans les enquêtes sur la population active que nous
avons utilisées, les salariés qui continuent d’être payés sont toujours considérés
comme tels, même s’ils ont été renvoyés chez eux à cause des restrictions liées
à la pandémie et qu’ils ne font rien dans les faits.
Les résultats présentés dans le tableau 9 font effectivement apparaître un
lien entre l’évolution de la situation et les politiques mises en place. Ainsi, au
Portugal, au Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, au Brésil, où l’État a
axé sa riposte notamment sur les subventions visant à protéger les relations de
travail, la baisse du nombre de transitions emploi-emploi chez les salariés en
2020, par rapport à 2019, est bien moins marquée qu’au Costa Rica, au Mexique
et aux États-Unis, des pays qui n’ont pas eu recours aux subventionnements di-
rects. Pour les trois premiers pays, cette baisse est comprise entre 1 et 5 points
de pourcentage. Dans les trois derniers, elle va de 9 à 12 points de pourcentage.
Chez les indépendants, les résultats sont plus difficiles à interpréter. Les fortes
baisses observées au Costa Rica et au Mexique peuvent refléter le recul rapide
de la demande globale, dans un contexte où les mesures mises en place par le

Tableau 9. Transitions emploi-emploi selon le statut professionnel


(salarié/indépendant)
Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Salarié Indép. Salarié Indép. Salarié Indép.

Brésil 91 87 86 84 –0,05 –0,03 0,02 0


Costa Rica 87 82 78 63 –0,09 –0,20 –0,11 0
Mexique 88 81 76 59 –0,12 –0,22 –0,09 0
États-Unis 94 92 82 85 –0,12 –0,07 0,05 0
Portugal 97 89 94 87 –0,03 –0,03 0,00 1
Royaume-Uni 97 97 97 95 –0,01 –0,01 –0,01 3
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 27

gouvernement ont été bien moins généreuses. Au Brésil, au Portugal, au Royaume-


Uni et, dans une moindre mesure, aux États-Unis, les indépendants s’en sortent
mieux. On peut y voir l’effet d’un appui financier plus important de l’État.

Le secteur d’emploi
On considère souvent que l’emploi dans la fonction publique joue un rôle pro-
tecteur en cas de récession, et ce parce que les prestations de l’État doivent être
assurées même en temps de crise, que les finances du secteur public ne sont
pas soumises aux mêmes aléas que celles du secteur privé et que les fonction-
naires sont généralement mieux protégés contre le licenciement que les autres
travailleurs. Ainsi, dans une étude sur les flux professionnels dans la fonction
publique et dans le secteur privé en Espagne, aux États-Unis, en France et au
Royaume-Uni, Fontaine et ses coauteurs (2020) constatent que les taux de sortie
de l’emploi agrégés sont plus faibles dans le secteur public que dans le secteur
privé entre 2003 et 2018, pour les quatre pays considérés, malgré la différence
dans la taille de la fonction publique de l’un à l’autre. Cependant, les crises
peuvent modifier ces tendances, car les politiques d’austérité sont susceptibles
de se solder par des pertes d’emploi dans la fonction publique, de même que les
décisions visant à privatiser certaines prestations autrefois prises en charge par
l’État. Ainsi, pendant la crise financière mondiale de 2008, l’évolution de l’emploi
dans la fonction publique a été procyclique en France, mais anticyclique aux
États-Unis, une opposition qui répond à celle des orientations adoptées par les
gouvernements de ces deux pays.
Au deuxième trimestre de 2020, les sorties de l’emploi sont aussi nom-
breuses, voire plus, dans le secteur privé que dans le secteur public, et ce dans
les sept pays. Cependant, au Brésil, au Mexique et aux États-Unis, les flux depuis
l’emploi vers le non-emploi sont importants également pour les salariés du pu-
blic (tableau 10). Comme nous l’avons déjà dit, le Mexique a adopté à l’époque
une politique de réduction des dépenses budgétaires rigoureuse, qui s’est ra-
pidement traduite par des pertes d’emploi pour les fonctionnaires. Aux États-
Unis, les autorités locales ont vu leurs recettes fiscales reculer, sans que ce soit
compensé par un apport supplémentaire de l’administration centrale. L’emploi

Tableau 10.  Transitions emploi-emploi selon le secteur d’emploi (public/privé)


Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Privé Public Privé Public Privé Public

Brésil 90 96 85 91 –0,05 –0,05 0,00 0


Costa Rica 85 94 74 96 –0,11 0,01 0,13 30
Mexique 88 93 74 89 –0,14 –0,04 0,10 0
États-Unis 94 95 84 87 –0,10 –0,09 0,02 0
Portugal 97 99 94 98 –0,03 –0,01 0,02 0
Pologne 97 98 96 97 –0,01 –0,01 0,01 0
Royaume-Uni 97 99 96 98 –0,01 0,00 0,01 58
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.
28 Revue internationale du Travail

Tableau 11.  Transitions emploi-emploi selon la durée de l’engagement (CDI/CDD)


Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
CDI CDD CDI CDD CDI CDD

Brésil 90 83 86 76 –0,04 –0,07 –0,03 0


Costa Rica 87 69 75 50 –0,12 –0,19 –0,07 0
Mexique 87 84 75 66 –0,12 –0,18 –0,06 0
Portugal 96 92 95 83 –0,02 –0,10 –0,08 0
Royaume-Uni 98 90 97 88 –0,01 –0,02 –0,02 25
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.

public s’en est ressenti, notamment dans l’enseignement. Avec l’école en ligne,
depuis le primaire jusqu’au supérieur, certains personnels (les assistants d’ensei-
gnement et les employés chargés de l’entretien des bâtiments et des restaurants
scolaires) ont été licenciés, et ce aussi bien dans les écoles primaires que dans
les universités (Wolfe et Kassa, 2020).

La durée de l’engagement
Les travailleurs en CDD sont par définition plus mobiles professionnellement et
enchaînent des transitions fréquentes depuis les contrats courts vers le chômage
ou l’inactivité, même pendant les périodes propices (BIT, 2016). Sur les marchés
du travail caractérisés par une forte dualité, comme en Europe méridionale,
la plupart des mouvements de l’emploi vers le chômage sont le fait de travail-
leurs en CDD (Silva et Vázquez-Grenno, 2013). Dans notre analyse, nous obser-
vons donc, sans surprise, une plus forte probabilité de perdre son emploi pour
ces travailleurs en 2019 déjà. De même, nous ne nous étonnons pas de consta-
ter qu’avec la pandémie leur probabilité de rester dans l’emploi diminue plus
fortement que pour les travailleurs au bénéfice d’un CDI. La variation de l’écart
est considérable; elle est comprise entre 3  points de pourcentage au Brésil et
8 points au Portugal pour les résultats significatifs (tableau 11).

La nature de la relation de travail


Si les relations de travail informelles – travail au noir – existent aussi dans les
pays à revenu élevé, elles sont beaucoup plus fréquentes dans les pays en dé-
veloppement. C’est ce qui explique que l’on trouve des questions sur cet aspect
dans les enquêtes disponibles pour le Brésil, le Costa Rica et le Mexique, mais
pas pour celles des autres pays. Le travail pour l’économie informelle a des ef-
fets très prononcés, conformes à nos attentes: les travailleurs de l’économie in-
formelle, qui étaient déjà plus exposés à la perte d’emploi pendant la période
de référence, en 2019, connaissent aussi plus de transitions vers le non-emploi
avec la pandémie de COVID-19 (voir tableau 12).

Le niveau de responsabilité
Comme le personnel d’encadrement reste nécessaire à la marche de l’entreprise,
nous nous attendions à ce que la qualité de cadre constitue une protection – plus
ou moins efficace – contre le licenciement en temps de crise. Les données du
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 29

Tableau 12. Transitions emploi-emploi selon la nature de la relation de travail


(formelle/informelle)
Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Formel Informel Formel Informel Formel Informel

Brésil 94 83 90 75 –0,04 –0,08 –0,04 0


Costa Rica 92 75 88 56 –0,04 –0,19 –0,15 0
Mexique 92 84 85 65 –0,07 –0,19 –0,12 0
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.

Tableau 13. Transitions emploi-emploi selon le niveau de responsabilité


(cadres/autres)
Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Autres Cadres Autres Cadres Autres Cadres

Brésil 89 96 85 95 –0,04 –0,01 0,04 36


Costa Rica 86 98 74 92 –0,12 –0,06 0,06 9
Mexique 86 92 71 80 –0,15 –0,12 0,02 14
États-Unis 94 96 81 92 –0,13 –0,04 0,09 0
Portugal 95 98 93 98 –0,03 0,00 0,03 61
Royaume-Uni 97 98 96 97 –0,01 –0,01 0,00 9
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.

tableau 13 montrent que cette hypothèse ne tient qu’en partie, peut-être parce
que les cadres, notamment dans les grandes organisations, ont aussi des supé-
rieurs, et parce que, dans certaines branches comme l’hôtellerie-restauration et
le commerce de détail, qui ont été durement touchées par la pandémie, ces postes
n’ont pas forcément pu se protéger des retombées de la crise. Notre indicateur
de la variation de l’écart entre les groupes (ΔΔ) est toujours de signe positif, mais
pour le Brésil et le Portugal il n’est pas statistiquement différent de zéro, et pour
le Mexique il l’est à peine. C’est aux États-Unis que les cadres semblent avoir été
le plus protégés du licenciement, avec une variation de 9 points de pourcentage
de l’écart par rapport aux travailleurs sans fonctions d’encadrement.

La catégorie professionnelle
Le tableau 14 montre que le fait d’exercer une profession intellectuelle, scien-
tifique ou intermédiaire protège mieux que la fonction de cadre. Dans tous les
pays, la statistique ΔΔ présente un signe positif dans leur cas, avec des valeurs
certes assez variables, comprises entre 7 points au Costa Rica et moins de 1 au
Royaume-Uni. Ce n’est pas vraiment une surprise, car le recours au télétravail
ne pose pas de difficulté pour la plupart des métiers en question. Mais, là aussi,
l’évolution tend à creuser les inégalités, car ces travailleurs sont plus susceptibles
de conserver leur emploi et leur revenu est plus élevé.
30 Revue internationale du Travail

Tableau 14. Transitions emploi-emploi selon la catégorie professionnelle


(professions intellectuelles, scientifiques ou intermédiaires/autres)
Pays 2019 (réf.) 2020 (COVID-19) Écart 2019-2020 ΔΔ (pp) Valeur p
(%) (%) (p. p.) (%)
Autres Prof. intell., Autres Prof. intell., Autres Prof. intell.,
sc. ou sc. ou sc. ou
interm. interm. interm.

Brésil 88 95 84 91 –0,05 –0,04 0,01 0


Costa Rica 84 91 71 85 –0,13 –0,06 0,07 0
Mexique 86 88 70 79 –0,16 –0,09 0,06 0
États-Unis 93 96 81 87 –0,12 –0,09 0,04 0
Portugal 95 98 91 97 –0,03 –0,01 0,02 4
Royaume-Uni 97 98 96 98 –0,01 0,00 0,00 10
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.

5.3. Discussion
Dans notre étude empirique, nous avons analysé l’effet de trois caractéristiques
individuelles, à savoir le sexe, l’âge et le niveau d’études, et de huit caractéris-
tiques relatives à l’emploi, à savoir les gains, le temps de travail, le statut pro-
fessionnel (salarié/indépendant), le secteur d’emploi (public/privé), la durée de
l’engagement (CDD/CDI), la nature de la relation de travail (formelle/informelle)
et deux dernières données signalant l’occupation d’un poste privilégié. Dans la
plupart des cas, nous constatons que la pandémie de COVID-19 exacerbe les iné-
galités existantes.
Les femmes, les jeunes et ceux qui n’ont pas fait d’études au-delà du se-
condaire sont moins susceptibles de conserver leur poste que les hommes, les
travailleurs plus âgés et les diplômés du supérieur, et l’écart entre groupes
se creuse par rapport à ce que l’on pouvait observer avant la pandémie. De
même, les individus situés dans le premier quartile de la répartition des reve-
nus du travail, ou qui travaillent à plein temps, sont au bénéfice d’un CDI ou
d’une relation de travail formelle, occupent un poste de cadre ou exercent une
profession intellectuelle, scientifique ou intermédiaire sont tous plus suscep-
tibles de rester en emploi, par rapport aux individus du bas de la répartition
des gains, ou ceux qui travaillent à temps partiel, en vertu d’un CDD ou pour
l’économie informelle, n’occupent pas de poste à responsabilités ou relèvent
d’une autre catégorie professionnelle. Pour ce qui est de l’opposition salarié/
indépendant, les résultats ne sont pas constants. De même, le fait de travailler
pour le secteur public semble jouer un rôle protecteur, mais dans des propor-
tions moindres dans certains pays.
Ce qui ressort en tous les cas, c’est que le COVID-19 a bel et bien renforcé
les inégalités sur le marché du travail, appréhendées sous l’angle des transi-
tions professionnelles. Si cet effet varie selon le lieu, en lien avec l’intensité de
l’impact de la pandémie sur le marché du travail en question –  celui-ci étant
quelque peu atténué en Europe et beaucoup plus marqué aux Amériques –, on
le retrouve partout.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 31

Cette conclusion appelle cependant quelques mises en garde. Tout d’abord,


dans nos analyses, nous ne considérons qu’une variable à la fois, et les effets
observés ne sont pas forcément cumulatifs. Ainsi, les effets respectifs du niveau
d’études, des revenus du travail et de la profession peuvent se recouper. Nos
échantillons n’étaient pas assez volumineux pour que nous puissions tenter une
analyse multivariée. Il faut aussi reconnaître que notre horizon temporel reste
très limité, puisque nous comparons les transitions du premier au deuxième
trimestre. Les perturbations engendrées par la pandémie se sont poursuivies
pendant toute l’année 2020 puis en 2021. On peut imaginer que ces effets évo-
lueront avec le temps, notamment quand les contraintes budgétaires se feront
plus pressantes.

6. Conclusion
La pandémie de COVID-19 a contraint les pouvoirs publics à stopper les acti-
vités dites «non essentielles», une décision qui a eu d’énormes conséquences
sur l’économie et les marchés du travail. À la différence de crises précédentes,
déclenchées par un choc du côté de la demande globale, celle qui a découlé de
cette nouvelle situation est donc née d’un choc s’exerçant du côté de l’offre.
Compte tenu des particularités de la crise, de nombreux pays d’Europe, mais
aussi d’autres régions du monde, comme le Brésil, ont cherché à limiter les
pertes d’emplois en mettant en place des systèmes de subventionnement des
salaires dont les employeurs pouvaient se prévaloir s’ils renonçaient à licencier.
Les autorités espéraient que ce système permettrait aux entreprises de récupérer
leur force de travail plus facilement, en s’évitant les coûts d’une réembauche,
une fois que la pandémie serait sous contrôle et que les entreprises pourraient
reprendre leur activité normalement. L’étude des transitions professionnelles
atteste de l’efficacité de ces mesures, en montrant que celles-ci ont réduit la vo-
latilité du marché du travail dans les pays qui ont privilégié cette approche au
versement d’allocations. Il ne fait pas de doute que ces programmes ont été bé-
néfiques pour les travailleurs, qui ont pu s’éviter les incertitudes liées à la perte
d’un emploi et se prémunir d’un effet «cicatrice», soit l’effet stigmatisant du
chômage sur le parcours professionnel. En outre, en renvoyant les travailleurs
chez eux, ces mesures ont sans doute contribué à limiter la diffusion du virus.
Notre étude montre que les premières retombées de la pandémie sur le mar-
ché du travail ont été extrêmement variables selon le pays et qu’elles n’ont pas
affecté tous les groupes de la même manière. Les travailleurs déjà fragilisés sur
le plan professionnel l’ont été plus encore. Les inégalités se sont donc creusées
aux dépens des femmes, des jeunes, des moins diplômés, des plus pauvres et des
personnes employées en vertu d’un contrat temporaire ou informel. Ce constat
confirme que la nature des mesures adoptées de même que leur portée jouent
un rôle considérable, car la détérioration du marché du travail n’a pas les mêmes
répercussions sur tous. Par conséquent, une embellie sur le marché du travail l’est
aussi pour les groupes vulnérables. Ce que notre étude montre aussi, c’est qu’il
faut adopter des mesures visant spécifiquement le monde du travail, associées à
d’autres mesures sociales ou économiques, pour que la situation de chacun s’amé-
liore. L’une des façons de faire cela consiste à travailler sur les caractéristiques des
32 Revue internationale du Travail

emplois. Nous avons vu que les travailleurs en CDD ou au bénéfice de contrats in-
formels ont plus souffert que les autres. Les dispositions réglementaires ou autres
mesures visant à promouvoir l’embauche de travailleurs en CDI ou selon des mo-
dalités formelles pourraient donc contribuer à réduire la volatilité sur le marché
du travail. À partir du moment où les femmes, les jeunes et les individus qui sont
moins diplômés ou qui gagnent moins sont plus susceptibles d’être en CDD ou de
travailler pour l’économie informelle, alors des efforts allant dans ce sens pour-
raient avoir un effet bénéfique direct pour ces groupes.

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