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161 (2022), no 1
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signifie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Titre original: «The labour market fallout of COVID-19: Who endures, who doesn’t and what are
the implications for inequality» (International Labour Review, vol. 161, no 1). Traduit par la rédaction.
Disponible également en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 141, no 1).
© Auteur(s), 2022.
© Compilation et traduction des articles: Organisation internationale du Travail, 2022.
8 Revue internationale du Travail
14
Emploi à T1 = > Non-emploi à T2
12
10
0
2010 2012 2014 2016 2018 2020
Année
B. Transitions non-emploi - emploi
25
à T1 = > Emploi à T2
20
Non-emploi
15
10
0
2010 2012 2014 2016 2018 2020
Année
Mexique Costa Rica Brésil
États-Unis Portugal Pologne
Note: T1 = premier trimestre; T2 = deuxième trimestre.
Source: Calculs des auteurs à partir de microdonnées issues des différentes enquêtes sur la population active
mentionnées sous le titre 2 (BAEL pour la Pologne, CPS pour les États-Unis, ECE pour le Costa Rica, ENOE et ETOE
pour le Mexique, IE pour le Portugal, LFS pour le Royaume-Uni et PNADC pour le Brésil). Pour la CPS, résultats
fondés sur les données de panel publiées par Sarah Flood, Miriam King, Renae Rodgers, Steven Ruggles et J. Robert
Warren (Integrated Public Use Microdata Series, version 8.0, Minneapolis, IPUMS, 2020).
Tous les chiffres que nous commentons dans la suite de l’article ont été obte-
nus en pondérant les microdonnées avec les poids fournis dans la série en ques-
tion. Ces poids ne correspondent pas forcément à la composition de l’échantillon
rotatif, mais cela ne pose pas de problème, car tous nos résultats (à part la taille
des échantillons) sont des chiffres relatifs.
Comme nous l’avons vu plus haut, la plupart des auteurs qui ont travaillé
sur les conséquences de la pandémie sur des groupes de population se sont li-
mités à faire un instantané de la situation des individus d’âge actif au moment
de l’apparition du problème. Si on se limite à analyser l’évolution entre le pre-
mier et le deuxième trimestre de 2020, l’opération – qui a certes son intérêt –
ne permet pas de savoir si ce que l’on observe suit le cours normal des choses,
étant entendu que tous les marchés du travail présentent aujourd’hui des taux
de transition élevés, en particulier dans les pays en développement. C’est pour-
quoi nous avons choisi de comparer, là où c’était possible, le taux de transition
enregistré entre le premier et le deuxième trimestre de 2020 et celui que l’on
pouvait observer un an auparavant, soit entre le premier et le deuxième tri-
mestre de 2019. Quand nous présenterons nos résultats, nous nous efforcerons
donc de faire ressortir l’écart entre les deux périodes, en faisant la comparaison
entre une situation pouvant être considérée comme ordinaire et celle qui a pu
être observée après l’apparition du COVID-19.
2 Base de données sur les mesures de lutte contre le COVID-19 (COVID-19 Government Re-
3
(fermetures/télétravail)
Intensité des mesures
2,5
1,5
0,5
0
1er janv. 20
6 janv. 20
11 janv. 20
16 janv. 20
21 janv. 20
26 janv. 20
31 janv. 20
5 févr. 20
10 févr. 20
15 févr. 20
20 févr. 20
25 févr. 20
1er mars 20
6 mars 20
11 mars 20
16 mars 20
21 mars 20
26 mars 20
31 mars 20
5 avr. 20
10 avr. 20
15 avr. 20
20 avr. 20
25 avr. 20
30 avr. 20
5 mai 20
10 mai 20
15 mai 20
20 mai 20
25 mai 20
30 mai 20
4 juin 20
9 juin 20
14 juin 20
19 juin 20
24 juin 20
29 juin 20
États-Unis Costa Rica Portugal Pologne
Brésil Royaume-Uni Mexique
Note: Degré d’intensité des mesures officielles (fermeture des lieux de travail ou télétravail): 1 = simple recomman-
dation; 2 = obligatoires pour certains secteurs/groupes de travailleurs; 3 = obligatoires pour tous, sauf services
essentiels.
Source: Hale et al., 2020.
été administré3. Dans ces conditions, on interprétera les valeurs obtenues comme
une limite inférieure de l’effet du COVID-19 sur les transitions professionnelles.
Si les mesures de confinement sont très similaires dans les sept pays suivis,
celles qui ont été adoptées pour soutenir les entreprises et les travailleurs le sont
beaucoup moins et varient considérablement dans leur conception comme dans
leur portée. Ainsi, les chiffres du tableau 2 montrent que les dépenses publiques
liées à la pandémie représentent 0,6 pour cent du PIB à peine au Mexique, mais
jusqu’à 11,8 pour cent aux États-Unis. Les mesures financées n’ont pas été par-
tout les mêmes non plus, ce qui a eu des conséquences importantes sur la sta-
bilité de l’emploi, notamment dans la période à l’examen.
En ce qui concerne les mesures axées sur la main-d’œuvre, le Brésil, la Po-
logne, le Portugal et le Royaume-Uni ont plutôt utilisé les subventions visant à
protéger la relation professionnelle, alors que les États-Unis et le Costa Rica (mais
dans une mesure bien moindre pour ce dernier pays) ont privilégié les dispo-
sitifs visant à prêter assistance à ceux qui avaient perdu leur emploi. D’autres
pays, mais aussi certains États du Mexique, ont également adopté des mesures
de ce type, en plus des subventions destinées à protéger la relation de travail.
C’est au Royaume-Uni que l’on observe le programme de subventionne-
ment des salaires le plus ambitieux avec le Coronavirus Job Retention Scheme.
Avec ce dispositif, l’État prend en charge 80 pour cent du salaire mensuel des
3 Pour le Mexique, nous avons fait l’analyse en excluant les deux dernières semaines du pre-
mier trimestre et nous avons constaté que cela ne modifiait pas les résultats.
14 Revue internationale du Travail
4 Nous tirons les informations présentées dans cette partie d’une compilation préparée par le
outre que c’est pour les groupes les plus fragiles – les femmes, les jeunes et les
travailleurs les moins bien formés – que les pertes d’emplois et d’heures travail-
lées sont les plus lourdes. Dans une autre étude, Montenovo et ses collaborateurs
(2020) concluent qu’aux États-Unis les très nombreuses suppressions d’emplois,
qui ont exacerbé les inégalités, peuvent être expliquées pour l’essentiel par les
caractéristiques des emplois: certains métiers ont été particulièrement pénali-
sés, à savoir ceux qui font intervenir davantage de contacts directs et se prêtent
moins au télétravail. Or les femmes, les jeunes et les personnes peu instruites
sont surreprésentés dans ces professions.
On retrouve des méthodes d’analyse des transitions professionnelles simi-
laires à la nôtre dans des études sur le Brésil (Hirata et Machado, 2010), le Costa
Rica (Castro Vincenzi, Garita Garita et Odio Zúñiga, 2014), l’Amérique latine
(Beccaria et Maurizio, 2020) et l’Europe (Ward-Warmedinger et Macchiarelli,
2013; Theodossiou et Zangelidis, 2009), et d’autres auteurs ont étudié l’effet dif-
férencié de la crise sur des groupes de population (voir notamment BIT, 2020b).
Cependant, nous sommes les premiers à comparer les probabilités de transition
selon les caractéristiques des individus et celles de l’emploi, dans plusieurs ré-
gions à la fois, à la suite de la pandémie.
60
55
50
45
40
Oct. 18
Janv. 19
Avr. 19
Juil. 19
Oct. 19
Janv. 20
Avr. 20
Juil. 20
Oct. 20
Année et trimestre
États-Unis Mexique Brésil Costa Rica
B. Europe
65
Taux d’emploi (en %)
60
55
50
45
40
Oct. 18
Janv. 19
Avr. 19
Juil. 19
Oct. 19
Janv. 20
Avr. 20
Juil. 20
Oct. 20
Année et trimestre
Royaume-Uni Portugal Pologne
Source: Idem figure 1.
2019 et en 2020, respectivement, alors que la partie de droite donne l’écart entre
ces deux valeurs, c’est-à-dire l’effet de la pandémie de COVID-19 sur le marché
du travail, si l’hypothèse de détermination du modèle – à savoir que 2019 est
une année «normale» – est fondée. Dans ce tableau – comme dans les suivants,
sauf indication contraire –, nous rangeons dans la catégorie «emploi» aussi bien
les salariés que les indépendants, et le groupe «non-emploi» englobe à la fois les
chômeurs et les inactifs; on relèvera en outre que les pays sont présentés par
ordre géographique, du sud au nord.
Hors contexte pandémique, la mobilité vers et depuis l’emploi est en règle
générale bien plus forte en Amérique latine qu’en Europe. Ainsi, au Brésil et au
Costa Rica, 49 pour cent de la population en âge de travailler est occupée à la fois
au premier et au deuxième trimestre en 2019. Les chiffres équivalents sont de
53 pour cent au Portugal et en Pologne, 57 pour cent aux États-Unis et 70 pour cent
18 Revue internationale du Travail
Brésil T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
T1 E 49 6 47 8 –2 2
T1 NE 6 39 2 42 –4 4
Statut idem: 88 89 Total: 12
Costa Rica T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
T1 E 49 8 41 15 –7 6
T1 NE 8 35 3 41 –5 6
Statut idem: 84 82 Total: 24
Mexique T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
T1 E 51 8 45 18 –5 10
T1 NE 9 33 5 32 –4 –1
Statut idem: 83 77 Total: 19
États-Unis T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
T1 E 57 4 50 10 –7 7
T1 NE 3 36 2 37 –1 1
Statut idem: 93 87 Total: 16
Portugal T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
T1 E 53 3 50 3 –3 0
T1 NE 3 41 3 44 0 2
Statut idem: 94 94 Total: 5
Pologne T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
T1 E 53 1 53 2 0 1
T1 NE 1 45 1 44 0 –1
Statut idem: 98 97 Total: 1
Royaume-Uni T2 E T2 NE T2 E T2 NE T2 E T2 NE
T1 E 70 2 70 3 0 1
T1 NE 2 26 2 25 0 0
Statut idem: 96 96 Total: 1
Note: T1 = premier trimestre; T2 = deuxième trimestre; E = emploi (salarié ou indépendant); NE = non-emploi
(chômage ou inactivité); p. p. = points de pourcentage; chiffres arrondis à l’unité.
Source: Idem figure 1.
au Royaume-Uni5. A contrario, la part des actifs qui ne sont pas occupés, que
ce soit au premier ou au deuxième trimestre, atteint 35 pour cent seulement
au Costa Rica, et 45 pour cent seulement en Pologne. Il faut sans doute y
voir l’effet d’une forte présence du travail indépendant non déclaré, en par-
tie du moins.
5 Les chiffres du Royaume-Uni ne sont pas parfaitement comparables à ceux des autres pays.
En effet, dans la LFS, les femmes au foyer, les étudiants et les plus de 64 ans n’entrent pas dans le
décompte de la population active. La valeur du dénominateur est donc plus faible, ce qui fait aug-
menter la valeur du rapport entre actifs occupés et population active.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 19
les pays d’Amérique latine affichent une tendance commune à la baisse des flux
vers l’emploi, que ce soit depuis l’emploi ou depuis le non-emploi.
La somme des entrées de la colonne dans laquelle nous avons consigné
l’écart entre les chiffres de 2019 et ceux de 2020, en valeur absolue, constitue
un indicateur de la volatilité sur le marché du travail (notons que la somme des
écarts en valeurs réelles sera toujours égale à zéro car, en fin de compte, tout
le monde se retrouve dans un groupe donné). Au Costa Rica, au Mexique et au
Brésil, la volatilité atteint 24, 19 et 12 points de pourcentage, respectivement. Aux
États-Unis, elle est de 16 points. Enfin, elle est de 5 points au Portugal, 1 point au
Royaume-Uni et 1 point également en Pologne. Pour synthétiser, on peut dire que
la pandémie modifie peu les flux entre situations professionnelles en Europe,
mais beaucoup dans les Amériques.
L’analyse de notre matrice de transition débouche sur une dernière obser-
vation: le recul de l’emploi ne dépend pas des mêmes flux aux États-Unis et
en Amérique latine. Aux États-Unis, 89 pour cent de cette baisse dépend direc-
tement des pertes d’emploi, soit des passages de la case emploi à la case chô-
mage ou inactivité. En effet, pour les transitions du non-emploi vers l’emploi,
elles affichent certes une tendance vers le bas, mais celle-ci reste modérée. En
Amérique latine, au contraire, la baisse des flux vers l’emploi est aussi forte que
celle des sorties de l’emploi. Au Brésil, 62 pour cent du recul vient d’une dimi-
nution du nombre des travailleurs qui rejoignent le marché du travail en 2020,
par rapport à 2019. Par conséquent, on peut dire que la pandémie a modifié la
tendance de la mobilité professionnelle dans les deux sens au Brésil et dans les
autres pays latino-américains.
ne sont pas exploitables pour notre analyse. De même, les données relatives à
l’informalité ne sont disponibles que pour l’Amérique latine, et l’enquête IE du
Portugal ne collecte pas d’informations sur les gains, pas plus que l’enquête LFS
du Royaume-Uni, si ce n’est pour les salariés. Nous avons exploité tout ce qui
était disponible. Dans tous les cas, nous avons enregistré les caractéristiques au
premier trimestre de chaque année, c’est-à-dire que les données du deuxième
trimestre ont servi uniquement à déterminer la situation professionnelle (em-
ploi ou non-emploi) à cette période.
Emploi-emploi
Brésil 91 88 87 83 –0,03 –0,05 –0,02 0
Costa Rica 90 79 79 66 –0,11 –0,13 –0,01 0
Mexique 91 79 78 63 –0,13 –0,16 –0,03 0
États-Unis 95 93 85 80 –0,10 –0,13 –0,02 0
Portugal 95 96 93 93 –0,02 –0,03 –0,01 0
Pologne 97 98 97 95 0,00 –0,02 –0,02 0
Royaume-Uni 98 97 97 96 –0,01 –0,01 0,00 6
Non-emploi - emploi
Brésil 11 8 4 3 –0,06 –0,05 0,01 0
Costa Rica 22 15 10 5 –0,13 –0,10 0,03 0
Mexique 28 17 19 10 –0,09 –0,07 0,03 0
États-Unis 10 7 7 5 –0,03 –0,02 0,01 0
Portugal 8 6 7 4 –0,01 –0,01 –0,01 1
Pologne 2 2 3 2 0,00 0,00 –0,01 12
Royaume-Uni 8 7 9 6 0,01 –0,01 –0,02 7
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.
22 Revue internationale du Travail
colonne contient les valeurs p, qui rend compte de la probabilité que cette dif-
férence soit égale à zéro: si la valeur de p est petite, cela signifie que l’écart est
significativement différent de zéro; si la valeur de p est élevée, cela signifie qu’il
est égal à zéro6.
À la différence de ce qui s’est produit lors de récessions précédentes, qui ont
d’abord touché les hommes – du fait d’un recul de l’activité dans certains sec-
teurs particulièrement exposés, tels que le bâtiment ou l’industrie manufactu-
rière –, la crise due au COVID-19 a surtout affecté les femmes (BIT, 2020c). Nos
résultats montrent ainsi que les femmes ont été moins susceptibles de conser-
ver leur emploi pendant la pandémie dans tous les pays considérés. La proba-
bilité de ne pas perdre son emploi diminue certes pour les deux sexes (sauf en
Pologne, pour les hommes), mais la probabilité d’un flux emploi-emploi diminue
plus pour les femmes que pour les hommes (sauf au Royaume-Uni, où le recul
est de 1 point de pourcentage dans les deux cas). Notre statistique clé, celle qui
donne l’effet de la pandémie sur les inégalités hommes-femmes (ΔΔ), montre
donc que la pandémie a creusé les inégalités de genre sous l’angle du maintien
dans l’emploi dans tous les pays à l’exception du Royaume-Uni.
L’autre mobilité à prendre en compte est celle qui conduit du non-emploi
à l’emploi (voir partie inférieure du tableau 4). Nous soulignerons ici que les
femmes sont plus susceptibles de passer de l’emploi à l’inactivité, plutôt qu’au
chômage, et que c’est pour cela qu’il était important, pour cette analyse, de
regrouper ces deux situations au sein de la catégorie «non-emploi» (Razzu et Sin-
gleton, 2016). Ici aussi, nous observons que les femmes qui se situent en marge
du marché du travail (chômeuses et inactives) sont moins susceptibles de rega-
gner le marché du travail. L’affirmation vaut pour tous les pays sauf pour la
Pologne. Cependant, l’effet de la pandémie sur cette probabilité n’est pas uni-
voque. En Europe, la mobilité du non-emploi vers l’emploi diminue plus pour
les femmes que pour les hommes, alors que, dans les Amériques, c’est l’inverse
qui prévaut (la valeur de l’indicateur noté ΔΔ est négative, en effet, pour les pays
européens mais positive pour les pays des Amériques).
Ce qu’il faut retenir, c’est que les femmes sont plus exposées à la perte d’em-
ploi, principalement en Amérique latine mais aussi aux États-Unis, dans une
moindre mesure. Cet effet est cependant atténué, en partie du moins, dans la po-
pulation d’âge actif dans son ensemble, par la diminution plus faible de la proba-
bilité, pour les femmes, de connaître une transition du non-emploi vers l’emploi.
L’âge
Pour analyser les effets de la pandémie sur les jeunes, nous avons regroupé
les individus âgés de 15 à 25 ans dans un groupe spécifique et rangé tous les
autres dans un groupe «25+». Dans l’enquête polonaise (BAEL), les tranches d’âge
utilisées étaient différentes, ce qui nous a empêchés d’inclure ce pays dans la
comparaison.
Les résultats obtenus selon l’âge (indicateur indirect de l’expérience dans
une certaine mesure) sont éloquents (voir tableau 5). En temps ordinaire, l’âge
6 Dans notre étude, nous avons choisi de ne pas fixer de seuil de significativité a priori ((1, 5
ou 10 pour cent par exemple). Nous évaluons la significativité de chaque résultat directement à
partir de la valeur de p.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 23
Emploi-emploi
Brésil 91 83 86 79 –0,04 –0,04 0,00 0
Costa Rica 87 79 76 61 –0,11 –0,18 –0,08 0
Mexique 87 79 74 63 –0,14 –0,16 –0,03 0
États-Unis 95 88 85 70 –0,10 –0,18 –0,08 0
Portugal 96 90 94 81 –0,02 –0,09 –0,06 0
Royaume-Uni 98 95 97 92 –0,01 –0,02 –0,02 2
Non-emploi - emploi
Brésil 13 15 5 6 –0,08 –0,09 –0,01 0
Costa Rica 19 13 7 6 –0,12 –0,08 0,04 0
Mexique 21 19 14 11 –0,07 –0,08 –0,01 0
États-Unis 7 13 5 9 –0,02 –0,04 –0,02 0
Portugal 7 7 6 4 –0,01 –0,02 –0,02 1
Royaume-Uni 5 13 5 13 0,00 0,00 0,01 89
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.
Le niveau d’études
Dans la plupart des pays, les études supérieures sont un passage obligé pour
accéder aux postes les mieux rémunérés. Nous analysons l’effet de cette carac-
téristique sur la mobilité professionnelle pendant la pandémie, en comparant
la situation des diplômés du supérieur et celle de ceux qui ont été moins loin
dans leurs études.
Sans surprise, le fait d’avoir fait des études supérieures rend bien plus pro-
bable le maintien dans l’emploi (voir tableau 6). Pendant la période de référence,
en 2019, la probabilité des diplômés du supérieur de rester occupés est de 1 à
24 Revue internationale du Travail
Emploi-emploi
Brésil 88 95 83 91 –0,05 –0,04 0,01 0
Costa Rica 84 90 70 87 –0,14 –0,03 0,12 13
Mexique 85 90 69 81 –0,16 –0,09 0,07 0
États-Unis 93 95 77 86 –0,16 –0,09 0,07 0
Portugal 95 98 91 96 –0,03 –0,02 0,02 0
Pologne 97 98 95 97 –0,02 –0,01 0,01 3
Royaume-Uni 97 98 96 97 –0,01 –0,01 0,00 5
Non-emploi - emploi
Brésil 10 16 4 7 –0,06 –0,10 –0,04 0
Costa Rica 18 17 7 8 –0,11 –0,08 0,02 1
Mexique 20 24 12 18 –0,07 –0,07 0,01 2
États-Unis 7 9 5 7 –0,02 –0,03 0,00 0
Portugal 6 14 5 8 –0,01 –0,06 –0,05 0
Pologne 2 5 2 3 0,00 –0,02 –0,02 4
Royaume-Uni 7 8 6 10 –0,01 0,01 0,02 23
Note: ΔΔ = variation de l’écart entre les groupes; p. p. = points de pourcentage.
Source: Idem figure 1.
petits revenus sont plus susceptibles de rester occupés, alors elle aura eu un effet
égalisateur. Pour cette analyse, nous assimilons les hauts revenus au groupe des
individus qui se situent dans le quartile supérieur de la répartition des revenus
du travail, puis nous observons comment s’en sortent les travailleurs en ques-
tion, par comparaison avec ceux qui se situent dans les trois premiers quartiles.
Nous précisons que nous ne tenons compte dans le calcul que du revenu tiré
de l’emploi principal.
Ici aussi, les conclusions ne font pas de doute (voir tableau 7): le COVID-19 a
exacerbé les inégalités existantes, car les travailleurs du quartile du haut de la ré-
partition sont plus susceptibles de conserver leur emploi que ceux des trois autres
quartiles. Cet effet est particulièrement prononcé au Costa Rica, avec une varia-
tion de 12 points. Il est important également au Brésil (4 points) et au Mexique
et aux États-Unis (6 points). Pour le Royaume-Uni, le résultat n’est pas significatif.
Le temps de travail
L’effet du temps de travail sur la variation de la probabilité d’être licencié en rai-
son du COVID-19 est très similaire à celui de l’appartenance au premier quartile
de la répartition des revenus. Nous faisons l’analyse en séparant les travailleurs
selon qu’ils sont employés à temps partiel (moins de trente-cinq heures pour une
semaine ordinaire) ou à plein temps (plus de trente-cinq heures) (voir tableau 8).
Nous observons que les travailleurs à temps partiel étaient plus susceptibles
que les autres de perdre leur travail en 2019, et que cette tendance s’accentue
avec la pandémie. Comme précédemment, la situation fluctue selon le pays, avec
une variation de 11 points de pourcentage aux États-Unis, où les travailleurs à
temps partiel sont souvent employés dans l’hôtellerie-restauration ou dans la
vente, à moins de 1 point au Royaume-Uni (ce dernier résultat étant significati-
vement différent de zéro).
Le statut professionnel
Si l’effet de la crise sur l’insertion professionnelle dépend certainement de la
nature des mesures mises en place par les autorités, il dépend aussi du statut
professionnel. Ainsi, les indépendants (y compris ceux qui sont employeurs) ont
une plus large autonomie et peuvent décider de continuer de travailler même
si leur revenu ne suit pas. Les salariés ont moins de marge de manœuvre, si
bien que leur situation dans le contexte de la pandémie dépend avant tout de
la nature et de la portée des mesures officielles et des choix des entreprises (qui
peuvent du reste décider de ne pas se séparer de leur personnel, même si elles
n’ont rien à leur faire faire). Dans les enquêtes sur la population active que nous
avons utilisées, les salariés qui continuent d’être payés sont toujours considérés
comme tels, même s’ils ont été renvoyés chez eux à cause des restrictions liées
à la pandémie et qu’ils ne font rien dans les faits.
Les résultats présentés dans le tableau 9 font effectivement apparaître un
lien entre l’évolution de la situation et les politiques mises en place. Ainsi, au
Portugal, au Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, au Brésil, où l’État a
axé sa riposte notamment sur les subventions visant à protéger les relations de
travail, la baisse du nombre de transitions emploi-emploi chez les salariés en
2020, par rapport à 2019, est bien moins marquée qu’au Costa Rica, au Mexique
et aux États-Unis, des pays qui n’ont pas eu recours aux subventionnements di-
rects. Pour les trois premiers pays, cette baisse est comprise entre 1 et 5 points
de pourcentage. Dans les trois derniers, elle va de 9 à 12 points de pourcentage.
Chez les indépendants, les résultats sont plus difficiles à interpréter. Les fortes
baisses observées au Costa Rica et au Mexique peuvent refléter le recul rapide
de la demande globale, dans un contexte où les mesures mises en place par le
Le secteur d’emploi
On considère souvent que l’emploi dans la fonction publique joue un rôle pro-
tecteur en cas de récession, et ce parce que les prestations de l’État doivent être
assurées même en temps de crise, que les finances du secteur public ne sont
pas soumises aux mêmes aléas que celles du secteur privé et que les fonction-
naires sont généralement mieux protégés contre le licenciement que les autres
travailleurs. Ainsi, dans une étude sur les flux professionnels dans la fonction
publique et dans le secteur privé en Espagne, aux États-Unis, en France et au
Royaume-Uni, Fontaine et ses coauteurs (2020) constatent que les taux de sortie
de l’emploi agrégés sont plus faibles dans le secteur public que dans le secteur
privé entre 2003 et 2018, pour les quatre pays considérés, malgré la différence
dans la taille de la fonction publique de l’un à l’autre. Cependant, les crises
peuvent modifier ces tendances, car les politiques d’austérité sont susceptibles
de se solder par des pertes d’emploi dans la fonction publique, de même que les
décisions visant à privatiser certaines prestations autrefois prises en charge par
l’État. Ainsi, pendant la crise financière mondiale de 2008, l’évolution de l’emploi
dans la fonction publique a été procyclique en France, mais anticyclique aux
États-Unis, une opposition qui répond à celle des orientations adoptées par les
gouvernements de ces deux pays.
Au deuxième trimestre de 2020, les sorties de l’emploi sont aussi nom-
breuses, voire plus, dans le secteur privé que dans le secteur public, et ce dans
les sept pays. Cependant, au Brésil, au Mexique et aux États-Unis, les flux depuis
l’emploi vers le non-emploi sont importants également pour les salariés du pu-
blic (tableau 10). Comme nous l’avons déjà dit, le Mexique a adopté à l’époque
une politique de réduction des dépenses budgétaires rigoureuse, qui s’est ra-
pidement traduite par des pertes d’emploi pour les fonctionnaires. Aux États-
Unis, les autorités locales ont vu leurs recettes fiscales reculer, sans que ce soit
compensé par un apport supplémentaire de l’administration centrale. L’emploi
public s’en est ressenti, notamment dans l’enseignement. Avec l’école en ligne,
depuis le primaire jusqu’au supérieur, certains personnels (les assistants d’ensei-
gnement et les employés chargés de l’entretien des bâtiments et des restaurants
scolaires) ont été licenciés, et ce aussi bien dans les écoles primaires que dans
les universités (Wolfe et Kassa, 2020).
La durée de l’engagement
Les travailleurs en CDD sont par définition plus mobiles professionnellement et
enchaînent des transitions fréquentes depuis les contrats courts vers le chômage
ou l’inactivité, même pendant les périodes propices (BIT, 2016). Sur les marchés
du travail caractérisés par une forte dualité, comme en Europe méridionale,
la plupart des mouvements de l’emploi vers le chômage sont le fait de travail-
leurs en CDD (Silva et Vázquez-Grenno, 2013). Dans notre analyse, nous obser-
vons donc, sans surprise, une plus forte probabilité de perdre son emploi pour
ces travailleurs en 2019 déjà. De même, nous ne nous étonnons pas de consta-
ter qu’avec la pandémie leur probabilité de rester dans l’emploi diminue plus
fortement que pour les travailleurs au bénéfice d’un CDI. La variation de l’écart
est considérable; elle est comprise entre 3 points de pourcentage au Brésil et
8 points au Portugal pour les résultats significatifs (tableau 11).
Le niveau de responsabilité
Comme le personnel d’encadrement reste nécessaire à la marche de l’entreprise,
nous nous attendions à ce que la qualité de cadre constitue une protection – plus
ou moins efficace – contre le licenciement en temps de crise. Les données du
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 29
tableau 13 montrent que cette hypothèse ne tient qu’en partie, peut-être parce
que les cadres, notamment dans les grandes organisations, ont aussi des supé-
rieurs, et parce que, dans certaines branches comme l’hôtellerie-restauration et
le commerce de détail, qui ont été durement touchées par la pandémie, ces postes
n’ont pas forcément pu se protéger des retombées de la crise. Notre indicateur
de la variation de l’écart entre les groupes (ΔΔ) est toujours de signe positif, mais
pour le Brésil et le Portugal il n’est pas statistiquement différent de zéro, et pour
le Mexique il l’est à peine. C’est aux États-Unis que les cadres semblent avoir été
le plus protégés du licenciement, avec une variation de 9 points de pourcentage
de l’écart par rapport aux travailleurs sans fonctions d’encadrement.
La catégorie professionnelle
Le tableau 14 montre que le fait d’exercer une profession intellectuelle, scien-
tifique ou intermédiaire protège mieux que la fonction de cadre. Dans tous les
pays, la statistique ΔΔ présente un signe positif dans leur cas, avec des valeurs
certes assez variables, comprises entre 7 points au Costa Rica et moins de 1 au
Royaume-Uni. Ce n’est pas vraiment une surprise, car le recours au télétravail
ne pose pas de difficulté pour la plupart des métiers en question. Mais, là aussi,
l’évolution tend à creuser les inégalités, car ces travailleurs sont plus susceptibles
de conserver leur emploi et leur revenu est plus élevé.
30 Revue internationale du Travail
5.3. Discussion
Dans notre étude empirique, nous avons analysé l’effet de trois caractéristiques
individuelles, à savoir le sexe, l’âge et le niveau d’études, et de huit caractéris-
tiques relatives à l’emploi, à savoir les gains, le temps de travail, le statut pro-
fessionnel (salarié/indépendant), le secteur d’emploi (public/privé), la durée de
l’engagement (CDD/CDI), la nature de la relation de travail (formelle/informelle)
et deux dernières données signalant l’occupation d’un poste privilégié. Dans la
plupart des cas, nous constatons que la pandémie de COVID-19 exacerbe les iné-
galités existantes.
Les femmes, les jeunes et ceux qui n’ont pas fait d’études au-delà du se-
condaire sont moins susceptibles de conserver leur poste que les hommes, les
travailleurs plus âgés et les diplômés du supérieur, et l’écart entre groupes
se creuse par rapport à ce que l’on pouvait observer avant la pandémie. De
même, les individus situés dans le premier quartile de la répartition des reve-
nus du travail, ou qui travaillent à plein temps, sont au bénéfice d’un CDI ou
d’une relation de travail formelle, occupent un poste de cadre ou exercent une
profession intellectuelle, scientifique ou intermédiaire sont tous plus suscep-
tibles de rester en emploi, par rapport aux individus du bas de la répartition
des gains, ou ceux qui travaillent à temps partiel, en vertu d’un CDD ou pour
l’économie informelle, n’occupent pas de poste à responsabilités ou relèvent
d’une autre catégorie professionnelle. Pour ce qui est de l’opposition salarié/
indépendant, les résultats ne sont pas constants. De même, le fait de travailler
pour le secteur public semble jouer un rôle protecteur, mais dans des propor-
tions moindres dans certains pays.
Ce qui ressort en tous les cas, c’est que le COVID-19 a bel et bien renforcé
les inégalités sur le marché du travail, appréhendées sous l’angle des transi-
tions professionnelles. Si cet effet varie selon le lieu, en lien avec l’intensité de
l’impact de la pandémie sur le marché du travail en question – celui-ci étant
quelque peu atténué en Europe et beaucoup plus marqué aux Amériques –, on
le retrouve partout.
Les retombées du COVID-19 sur le marché du travail 31
6. Conclusion
La pandémie de COVID-19 a contraint les pouvoirs publics à stopper les acti-
vités dites «non essentielles», une décision qui a eu d’énormes conséquences
sur l’économie et les marchés du travail. À la différence de crises précédentes,
déclenchées par un choc du côté de la demande globale, celle qui a découlé de
cette nouvelle situation est donc née d’un choc s’exerçant du côté de l’offre.
Compte tenu des particularités de la crise, de nombreux pays d’Europe, mais
aussi d’autres régions du monde, comme le Brésil, ont cherché à limiter les
pertes d’emplois en mettant en place des systèmes de subventionnement des
salaires dont les employeurs pouvaient se prévaloir s’ils renonçaient à licencier.
Les autorités espéraient que ce système permettrait aux entreprises de récupérer
leur force de travail plus facilement, en s’évitant les coûts d’une réembauche,
une fois que la pandémie serait sous contrôle et que les entreprises pourraient
reprendre leur activité normalement. L’étude des transitions professionnelles
atteste de l’efficacité de ces mesures, en montrant que celles-ci ont réduit la vo-
latilité du marché du travail dans les pays qui ont privilégié cette approche au
versement d’allocations. Il ne fait pas de doute que ces programmes ont été bé-
néfiques pour les travailleurs, qui ont pu s’éviter les incertitudes liées à la perte
d’un emploi et se prémunir d’un effet «cicatrice», soit l’effet stigmatisant du
chômage sur le parcours professionnel. En outre, en renvoyant les travailleurs
chez eux, ces mesures ont sans doute contribué à limiter la diffusion du virus.
Notre étude montre que les premières retombées de la pandémie sur le mar-
ché du travail ont été extrêmement variables selon le pays et qu’elles n’ont pas
affecté tous les groupes de la même manière. Les travailleurs déjà fragilisés sur
le plan professionnel l’ont été plus encore. Les inégalités se sont donc creusées
aux dépens des femmes, des jeunes, des moins diplômés, des plus pauvres et des
personnes employées en vertu d’un contrat temporaire ou informel. Ce constat
confirme que la nature des mesures adoptées de même que leur portée jouent
un rôle considérable, car la détérioration du marché du travail n’a pas les mêmes
répercussions sur tous. Par conséquent, une embellie sur le marché du travail l’est
aussi pour les groupes vulnérables. Ce que notre étude montre aussi, c’est qu’il
faut adopter des mesures visant spécifiquement le monde du travail, associées à
d’autres mesures sociales ou économiques, pour que la situation de chacun s’amé-
liore. L’une des façons de faire cela consiste à travailler sur les caractéristiques des
32 Revue internationale du Travail
emplois. Nous avons vu que les travailleurs en CDD ou au bénéfice de contrats in-
formels ont plus souffert que les autres. Les dispositions réglementaires ou autres
mesures visant à promouvoir l’embauche de travailleurs en CDI ou selon des mo-
dalités formelles pourraient donc contribuer à réduire la volatilité sur le marché
du travail. À partir du moment où les femmes, les jeunes et les individus qui sont
moins diplômés ou qui gagnent moins sont plus susceptibles d’être en CDD ou de
travailler pour l’économie informelle, alors des efforts allant dans ce sens pour-
raient avoir un effet bénéfique direct pour ces groupes.
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