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Marcel Proust (1871-1922)

Avant de publier son premier volume du cycle À la recherche du temps perdu, P. se demandait
si le public comprendrait ce genre roman qu’il appelait lui-même “une espèce de roman.”

À la recherche du temps perdu est écrit à la première personne, mais la nouveauté n’est pas là.
Au début du XIXe siècle, les “romanciers du moi” (Benjamin Constant, Chateaubriand) avait
déjà conçu le roman comme un témoignage personnel. Mais ces romanciers racontent toujours
une histoire, tandis que la première personne proustienne fait disparaître le fil narratif et
propose un récit organisé à partir d’une multitude de sentiments, d’impressions, de souvenirs.

Il n’y a plus d’enchaînements de faits, mais le récit est atomisé/pulvérisé, il n’y a plus de
progression narrative, comme chez Balzac. On a dit, à juste titre, du roman proustien que c’est
un “roman sans romanesque.”

Contre Sainte-Beuve. La vision sur le roman de P. peut être reconstituée à partir de son essai de
jeunesse Contre Sainte-Beuve. Quelques grands thèmes proustiens y sont déjà évoqués:

- écrire c’est l’équivalent de se souvenir.


- l’oeuvre est le résultat des impressions, des sentiments, des sensations de l’artiste.
- les idées en elles-mêmes ne sont pas importantes, seules comptent la sensibilité et
l’imagination.
- l’expérience de la madelaine et le thème de la mémoire involontaire.

Sainte-Beuve, le critique littéraire le plus célèbre de son époque, illustre la méthode positiviste
de l’analyse littéraire, qui associe le commentaire d’un livre à la biographie de l’auteur. À
l’opposé de Sainte-Beuve, P. croit, comme Flaubert, que celui qui écrit ne se confond pas avec
celui qui vit. Selon lui, le livre est le produit d’un autre moi que celui que l’écrivain manifeste
dans sa vie sociale ou privée: “Un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous
manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices.” Par conséquent, il ignore les
données biographiques pour privilégier l’art qui définit le créateur.

La structure de À la recherche du temps perdu. Les critiques littéraires trouvent que la


structure de À la recherche… est à la fois binaire, ternaire et circulaire. La vision binaire du
roman est fondée sur une affirmation célèbre du critique Ramon Fernandez: “À la recherche…
est à la fois l’histoire d’une époque et l’histoire d’une conscience.” D’un côté, P., comme Balzac,
est un observateur, doublé d’un analyste d’une finesse remarquable. C’est ce second P. qui fait
l’expérience de la mémoire affective. Autrement dit, À la recherche… est en même temps une
chronique ou un pamphlet de la société et une oeuvre sur la mémoire.
La structure ternaire se réfère à la triple dimension du roman, mise en évidence par Roland
Barthes: a. le roman est une mystagogie (initiation aux mystères de l’occultisme), qui annonce
dès le début du livre une révélation. b. dans sa partie centrale le roman devient initiatique, le
héros traverse une série d’épreuves. c. la fin de la quête se concrétise par la révélation du
secret.

Enfin, À la recherche… est aussi un roman circulaire, en ce sens que la dernière page du Temps
retrouvé est superposable à la première page du cycle romanesque. D’ailleurs P. affirme avoir
écrit la dernière page du roman tout de suite après avoir écrit la première page.

Le temps et la mémoire. Si on a affirmé que À la recherché… est un roman sans romanesque,


c’est parce que l’intrigue importe peu. Il n’arrive pas grand-chose aux personnages proustiens,
ils passent leur temps à rendre des visites, ils discutent, on a l’impression qu’ils tournent en
rond. La vraie vie du protagoniste du roman commence la nuit. La première phrase du roman
illustre bien cette idée: “Longtemps je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma
bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de dire: << Je
m’endors.>>” C’est alors que s’installe chez P. un climat vague et flou, où le conscient et
l’onirique s’entremêlent.

L’axe temporel connaît chez P. un double mouvement: d’un côté, il y a le temps objectif, le
temps des chronomètres, qui est un temps destructeur et meurtrier. De l’autre côté, il y a le
temps subjectif, qui est un temps salvateur/rédempteur. Chez P. la temporalité objective est
négligée en faveur de celle du moi, du temps subjectif. En fait, pour P. il n’ya pas de réalité
objective. La seule réalité est celle que nous percevons par nos sens. La mémoire volontaire
n’est pas capable de ressusciter le passé, au contraire, elle nous rend encore plus évidente la
rupture entre le passé et le présent.

C’est la mémoire involontaire, illustrée par le célèbre épisode de la madeleine, qui abolit la
rupture et qui ressuscite le passé. Le goût de madeleine dans la tasse de thé est l’élément
déclencheur. Il suffit d’un petit gâteau trempé dans une tisane pour que tout un monde, qu’on
croyait enterré, soit ressuscité/refasse surface. La saveur de la madeleine fait débloquer le flux
des souvenirs de l’enfance.

La solution proustienne d’échapper au temps destructeur, c’est de prendre conscience de


l’intégralité de l’existence et de soustraire ces moments privilégiés à la durée.

Le style et la signification du roman. L’écriture proustienne se caractérise par les fameuses


phrases très longues. Ces longues phrases traduisent la multitude des facettes de cette réalité
intérieure, le processus compliqué de l’analyse des sentiments et des sensations.
À la recherche… est une oeuvre complexe qui se prête à plusieurs interprétations. On a dit, par
exemple, qu’il est le grand roman de la génération symboliste.

D’autres critiques mettent en évidence la dimension initiatique du roman, c’est-à-dire un roman


où le héros traverse toute une série d’épreuves pour apprendre à la fin ce qu’il ne savait pas au
début.

Quelle est le sens de la quête proustienne? À la fin du roman on assiste à une “illumination”. Le
narrateur a la révélation de sa propre vocation d’écrivain et, en même temps, celle de la
possibilité de vaincre le temps. La mémoire involontaire opère une brèche dans le temps.
L’artiste accède à sa vérité qui consiste dans la conviction que le sens de son existence c’est la
création littéraire. Grâce à l’art, qui a pour P. une fonction sotériologique, le romancier obtient
une victoire contre le temps, donc contre la mort et acquiert le salut.

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