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Si la colonisation fut une libération des juifs qui leur a permis de revendiquer le
moi et la collectivité, par l’écriture, comme une revanche sur la domination
arabe. L’événement suivant qui va changer la conception de l’écriture comme
revendication et comme un moyen de conservation de la mémoire sera la
seconde guerre mondiale. D’une entité reconnue les juifs vont subir une vague
antisémite sans précédent. Le changement de leur statut en Europe en général et
au Maghreb a influencé leur expression littéraire. Le génocide perpétré par les
nazis a engendré un traumatisme tenace qui a poussé plusieurs écrivains, sinon
leur totalité, à cacher ou à effacer toute trace de leur appartenance juive. Ce choc
les a poussés à s’insérer dans les sociétés où ils vivaient. La citation suivante
corrobore cet esprit :
L’exil vers la France et vers la Palestine (terre de Sion) va être une rupture avec
une réalité vécue, avec une culture et une civilisation ancestrales. Les
générations qui sont nées au Maghreb et qui ont immigrés, vont pratiquer une
écriture de la mémoire.
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La présence juive en terre du Maghreb a favorisé la naissance de la littérature
judaïque. Elle est un mélange d’héritage hébraïque, de culture arabo-musulmane
et d’un paganisme antéislamique. Cet amalgame se reflète au niveau linguistique
autant qu’au niveau culturel. Pour l’aspect linguistique, l’hébreu est la langue
du sacré (vie des saints, explication et commentaire de la Torah…) et les
dialectes judéo-arabes et judéo-espagnols servent à exprimer la vie quotidienne.
Cette variation est la preuve incontournable de l’intégration de la communauté
juive dans le paysage culturel maghrébin.
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Le judéo-arabe est aussi une langue parlée par les juifs du Maghreb. Cette
langue possède une longue histoire, elle est l’apport des berbères, juifs et arabes.
En contact avec une population majoritairement arabophone, les juifs ont
assimilé la langue arabe, devenue leur principal outil d’expression.
Les deux langues ont donné naissance à une littérature abondante qui représente
la vie quotidienne des juifs au moyen de plusieurs genres : poèmes (qseda),
conte (comme ceux de Djéha), novella (genre entre la nouvelle et le roman : les
spécificités se voient surtout dans la longueur du texte, peu de personnages, les
intrigues sont limitées et liées, sans trop de descriptions), les proverbes (
lm’touls) reflètent l’intelligence et le savoir des gens du peuple et décrivent de
façon concise la réalité. Cette production s’attache au vécu des juifs et s’éloigne
de la fiction. Il s’agit la plupart du temps d’une littérature de témoignage
(surtout au début, la fiction entrera plus tard avec la période mimétique).
L’exemple le plus signifiant est cette qseda en judéo-arabe dédiée à la sage-
femme : (appelé ghnayat al-qabla)
Ya qabla ya susiyya
Ya qabla ya maqbula
Ya mbashshra ya mimuna
(page 54, Deux mille ans de vie juive au Maroc. Haïm zafrani)
Déjà à cette époque, les traductions montrent la fascination des juifs pour les
valeurs occidentales. Etat qui va préparer l’acculturation de la communauté
judéo-maghrébine. Ainsi, nous remarquons que cette littérature, constituée au
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départ de traductions, sera l’étape transitoire entre la littérature de témoignage et
la littérature judéo-maghrébine d’expression française qui sera la représentation
de l’imaginaire et la pensée judéo-maghrébines.
Elissa Rhaïs (écrivaine algérienne) fut l’un des premiers écrivains à s’inscrire
dans ce mouvement dont les caractéristiques sont les suivantes :
« Elissa Rhaïs multiplia avec succès les romans de mœurs arabes ou juives, à
l’intention d’un public métropolitain toujours avide d’exotisme. Les thèmes
obligés du harem, de la claustration, des violences et des frustrations sous-
jacentes à la société nord-africaine, les amours interdites contées de façon
vaguement érotisée, à l’aide d’un vocabulaire arabe… » p : 43.
A ces thèmes, s’ajoute celui de la prostitution qui fut exploré par la littérature
judéo-maghrébine au moment où la littérature maghrébine d’expression
française ne pouvait pas encore l’aborder. Ce genre de production a connu un
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certain succès dans la mesure où il répondait à la demande métropolitaine et il
reprenait toutes les caractéristiques du roman colonial (exotisme, pittoresque,
description minutieuse…) tout en projetant une vision interne et rapprochée de
la société maghrébine.
La vague mimétique était un début qui répondait à une recherche des écrivains
judéo-maghrébins de retrouver leur propre chemin
« L’Algérie, qu’était-ce sinon une marche d’empire, trop étroite pour les
rêveries qu’avait instillés en moi l’école laïque et obligatoire » ? Rien à voir,
donc, avec un exil : c’est dans la jubilation et l’enthousiasme que son
personnage aborde les rivages de la France. ». Citation reprise par Albert
Bensoussan dans « L’image de la France dans la littérature judéo-
maghrébine ».
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L’écriture devient un acte d’affirmation de soi et de son appartenance au groupe
d’origine. ( la valorisation des traditions, de la religion…)