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À l’issue d’une visite express à Irpine, en banlieue


de Kyiv, organisée juste après l’arrivée en train, le
Paris, Rome et Berlin soutiennent une
président français a aussi déclaré: «Aujourd’hui, il
candidature « immédiate » de l’Ukraine à faut que l’Ukraine puisse résister et l’emporter. Nous
l’UE sommes aux côtés des Ukrainiens et des Ukrainiennes
PAR LUDOVIC LAMANT
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 16 JUIN 2022 sans ambiguïté.» Emmanuel Macron a ainsi répété
son espoir d’une «victoire de l’Ukraine», lui dont les
propos sur la nécessité de «ne pas humilier» la Russie
avaient braqué nombre de responsables ukrainiens.
Le trio de dirigeants européens a donc mis en scène
jeudi le front uni européen dans la guerre en cours.
« Nous devons créer une communauté de paix, de
prospérité et de droits qui unisse Kiev à Rome, Paris,
Emmanuel Macron, Olaf Scholz et Mario Draghi à Irpin, en Berlin et à tous les autres pays qui partagent ce projet
Ukraine, le 16 juin 2022. © Photo Ludovic Marin / Pool / AFP
», a souligné le chef du gouvernement italien, Mario
Lors d’une visite à Kyiv jeudi, Emmanuel Macron, Draghi. « L’agression russe contre l’Ukraine est une
l’Allemand Olaf Scholz et l’Italien Mario Draghi ont agression contre l’ensemble de l’Europe », a affirmé
soutenu « le statut de candidat immédiat » de Kiev à pour sa part le président ukrainien.
l’Union européenne. Il reste à convaincre les autres
pays membres plus réticents.
Depuis trois mois, l’Élysée répète sur tous les tons
qu’Emmanuel Macron ne se rendra à Kyiv (Kiev)
qu’avec des annonces à faire. À la différence d’autres,
dont le Britannique Boris Johnson ou l’Espagnol
Pedro Sánchez, le chef d’État français voulait se
déplacer dans la capitale ukrainienne avec l’ambition Emmanuel Macron, Olaf Scholz et Mario Draghi à Irpin, en
Ukraine, le 16 juin 2022. © Photo Ludovic Marin / Pool / AFP
de peser sur la suite du conflit.
Son arrivée jeudi 16 juin au matin, après un voyage à Le trio sait cependant que les fractures au sein des 27
bord d’un train de nuit spécial parti depuis la frontière sont vives sur l’adhésion du pays à l’UE. Cette visite
polonaise, aux côtés du chancelier allemand Olaf intervient la veille de la publication par la Commission
Scholz et du président du Conseil italien Mario Draghi, européenne d’un document clé sur le sujet. L’exécutif
a tout eu d’une mise en scène se voulant «historique», européen devrait proposer d’accorder le statut officiel
dans l’espoir de marquer les esprits. C’est «un message de pays candidat à l’entrée dans l’UE à l’Ukraine,
d’unité européenne» et de «soutien» envers le peuple peut-être en l’assortissant de quelques conditions,
ukrainien, «à la fois pour le présent et l’avenir», a possiblement en proposant une date d’ouverture des
déclaré Emmanuel Macron à son arrivée en gare de négociations.
Kyiv. Dans l’après-midi en conférence de presse, après Lors d’une conférence de presse organisée ce jeudi
une rencontre avec le président ukrainien Volodymyr après-midi à Kyiv aux côtés de Zelensky, les trois
Zelensky, il a lancé : « Vous pouvez compter sur dirigeants ont chacun à leur manière plaidé pour
la fraternité de l’Europe pour faire en sorte que accorder le statut de candidat officiel à l’Ukraine,
l’Ukraine reste libre. » préparant le terrain aux annonces de la Commission
vendredi. « L’Italie veut l’Ukraine dans l’Union
européenne », a lancé Mario Draghi, de loin le plus
enthousiaste.

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Le chancelier Scholz a dit espérer une « décision prendrait plusieurs années, en vérité, sans doute
positive » sur le sujet du statut de candidat. « Vous plusieurs décennies, et c’est la vérité que de dire
pouvez compter sur la fraternité de l’Europe pour cela, sauf à ce que nous décidions de baisser les
faire en sorte que l’Ukraine reste libre », a renchéri standards de cette adhésion», avait déclaré le chef
Emmanuel Macron, qui occupe, jusqu'à fin juin, la d’État français à Strasbourg, le 9mai.
présidence tournante de l'Union européenne. « Le pire serait que nous donnions un statut a#
Mais ce sont les capitales qui restent les seules l’Ukraine et que 10ans, 20ans, 30ans, 40ans et me#me
compétentes dans le dossier, et tout se jouera lors du si je prends le cas de la Turquie pre#s de 60ans apre#s,
sommet européen des dirigeants, les 23 et 24juin à nous constations qu’en fait rien ne s’est passe#, fait-
Bruxelles. «L’Ukraine a réalisé beaucoup de choses on valoir dans l’entourage du président français. Il
ces dix dernières années, et il lui reste encore faut faire attention a# ne pas donner un statut et puis
beaucoup à faire, pour lutter contre la corruption ensuite, constater toutes les raisons pour lesquelles
par exemple [...] Notre avis reflétera cette situation nous n’irons pas au bout de la ne#gociation.»
avec attention», avait déclaré la semaine dernière à Cinq pays déjà reconnus comme des «candidats
Kyiv Ursula von der Leyen, ajoutant: «J’espère que officiels»
d’ici 20ans, lorsque nous regarderons ce qui a été
Il reste à avoir les conditions qui seront attachées, dans
accompli, nous pourrons dire que nous avions fait le
le détail, à l'ouverture des négociations. Scholz, le plus
bon choix.»
prudent des trois, a souligné que tout élargissement
À la table du Conseil, les avis sont tranchés. de l'UE restait « sujet à des critères précis qui doivent
D’autant que les désaccords s’étaient déjà creusés être respectés par tous les candidats », par exemple
lors de la négociation d’un sixième paquet de le respect de l’État de droit ou le degré de corruption
sanctions le 30mai. «L’Ukraine fait partie de la dans la vie publique - laissant entendre qu’il n’y aurait
famille européenne», avait déclaré Charles Michel, le aucun passe-droit pour Kyiv, une fois accordé le statut
président du Conseil, lors du sommet de Versailles en de candidat officiel, à l'inverse de ce que défendent la
mars. Il faudra, cette fois, se montrer plus précis. Pologne ou les Pays baltes. L’Ukraine est « prête à
Tout l’enjeu du sommet de la semaine prochaine sera travailler » pour devenir « membre de plein droit » de
de ménager un semblant d’unité, en jouant, peut-être, l'UE, a de son côté réagi le président Zelensky.
sur les conditions liées au statut de candidat. L’UE Sur le papier, la route est longue pour chaque
devrait se concentrer sur l’aide d’urgence à l’Ukraine, candidat à l’entrée de l’UE. Même si Volodymyr
plutôt que de s’engager dans des «débats juridiques» Zelensky rêve d’une procédure express, celle-ci
sur le statut à accorder ou non à l’Ukraine, débat qui dure des années. Selon l’article49 des traités, il
risque par ailleurs de susciter de «fausses attentes», faut d’abord que la demande de candidature soit
a ainsi prévenu António Costa, le premier ministre acceptée par la Commission puis par le Conseil
portugais, dans un entretien mardi au Financial (les 27États) à l’unanimité. Le pays en question
Times. doit ensuite adopter des réformes pour intégrer ce
Emmanuel Macron, le 9 mai qu’on appelle l’«acquis communautaire», c’est-à-
La position française des dernières semaines est dire l’ensemble des législations et du droit européen
connue, assez proche de celle de Lisbonne: exprimer jusqu’à aujourd’hui.
un soutien sans faille à l’Ukraine dans l’urgence Ce qui complique la discussion avec l’Ukraine,
de la guerre (aide financière à l’économie, livraison c’est que Kyiv n’est pas le seul candidat. On
d’armes, sanctions contre Moscou, etc.), avec compte aujourd’hui cinq pays reconnus comme
néanmoins une forme de prudence sur les perspectives des candidats officiels: le Monténégro, dont les
d’adhésion. «Le processus leur permettant l’adhésion négociations en vue d’une adhésion durent depuis

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2012, la Serbie (depuis 2014), la Turquie (les 23 et 24juin, pour accorder un statut officiel de
discussions avec Ankara, ouvertes en 2005, sont au candidat à l’Ukraine et à la Moldavie - mais pas à la
point mort), la Macédoine du Nord et enfin l’Albanie. Géorgie.
De leur côté, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine sont Dans ce contexte, Emmanuel Macron a défendu
désignés comme des «candidats potentiels». jusqu’à présent, plutôt qu’une adhésion en bonne
Considérés comme les plus avancés dans ce processus et due forme, un projet de «communauté politique
lourd et fastidieux, la Serbie et le Monténégro visent européenne», soit une organisation de coopération
toujours une entrée dans l’UE à horizon 2025 – objectif pour les voisins de l’UE qui partageraient avec elle
plus que jamais hasardeux, d’autant que le soutien des politiques de sécurité, de transport ou d’énergie.
de la Serbie à Moscou depuis février complique le «La rejoindre ne préjugerait pas d’adhésion future à
dossier. Statuer sur l’Ukraine, en pleine guerre avec l’Union européenne, forcément, comme elle ne serait
la Russie, oblige donc à faire le point, aussi, sur pas non plus fermée à ceux qui ont quitté cette
le processus d’adhésion engagé avec ces pays des dernière»,avait précisé le président français le 10mai.
Balkans depuis des années. Zelensky n’a jamais été convaincu, à ce stade, par cette
À cette liste déjà longue s’ajoutent désormais la proposition qui lui semble être une Europe au rabais,
Moldavie et la Géorgie. La première fait campagne tandis que les responsables moldaves, eux, n’y sont
pour obtenir, en même temps que l’Ukraine, un statut pas opposés, tant que l’adhésion à cette communauté
de candidat à l’adhésion, jugeant, non sans arguments, n’est pas une alternative aux négociations d’adhésion.
qu’elle risque d’être la prochaine, sur la carte de Boite noire
l’Europe, à être occupée par la Russie. Au Parlement L’article a été actualisé avec les déclarations de la
européen, les président·es des principaux groupes conférence de presse jeudi après-midi.
politiques ont pris position, en amont du sommet des

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