Vous êtes sur la page 1sur 4

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

dessus pour s’être enveloppés d’un drapeau européen.


L’Ukraine a enduré les pires horreurs pour une simple
L’Ukraine candidate à l’UE : un signal
raison: son désir de rejoindre l’Union européenne.»
fort, et après ?
PAR LUDOVIC LAMANT
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 24 JUIN 2022

Charles Michel et Ursula Von der Leyen suivis par les chefs
d’états, arrivent pour la photo de famille du sommet UE-
Balkans occidentaux à Bruxelles, le 23 juin 2022. © Photo Abaca

Charles Michel et Ursula Von der Leyen suivis par les chefs «C’est la moindre des choses que l’on peut faire
d’états, arrivent pour la photo de famille du sommet UE-
Balkans occidentaux à Bruxelles, le 23 juin 2022. © Photo Abaca [pour la population ukrainienne – ndlr]», a jugé jeudi
Les Vingt-Sept ont octroyé jeudi à l’Ukraine et à la soirGitanas Naus#da, le président de la Lituanie.
Moldavie le statut de candidat officiel à l’adhésion «C’est un signal tre#s fort vis-a#-vis de la Russie
de l’Union européenne. Une victoire pour Volodymyr dans le contexte ge#opolitique», a déclaré de son côté
Zelensky, même si rien ne dit que l’UE réussira là où Emmanuel Macron, qui occupe jusqu’à la fin du mois
elle a échoué ces dernières années, sur fond de bronca la présidence tournante de l’Union.
des pays des Balkans occidentaux, eux aussi candidats, Sans surprise, le président Volodymyr Zelensky s’est
et déjà déçus. réjoui, depuis Kyiv, du feu vert des Vingt-Sept: «Cela
Prix Nobel de la paix 2012, l’Union européenne a fait cent vingt jours [la durée des combats - ndlr] et
accordé jeudi 23juin le statut de candidat officiel à trente ans [depuis l’indépendance de l’Ukraine - ndlr]
l’adhésion à un pays en guerre, l’Ukraine, aux côtés de que nous attendons cela […] Désormais, il nous reste
l’un de ses voisins menacés par Moscou, la Moldavie à battre l’ennemi, reconstruire l’Ukraine, adhérer à
(c’est le point 3.11 des conclusions du sommet). La l’UE, et nous pourrons nous reposer.»
Géorgie, elle, décroche la promesse d’obtenir ce statut
Ce geste est en partie symbolique, alors que la guerre
à condition de réaliser d’ici-là des réformes.
engagée semble tourner, depuis quelques semaines,
La procédure sera encore très longue et incertaine à l’avantage de Moscou dans le Donbass, et que les
jusqu’à l’entrée de Kyiv dans l’UE - le ministre frontières mêmes de l’Ukraine sont disputées. «La
français Clément Beaune avait parlé de «quinze ou question des frontières ne se pose pas aujourd’hui
vingt ans», suscitant un début de polémique avec des dans le contexte de l’octroi du statut de candidat,
capitales du flanc oriental de l’Europe, dont certaines mais elle se posera à une étape ultérieure du
militaient au début du conflit pour une «adhésion processus d’adhésion», évacue-t-on dans l’entourage
express», hors procédure. Mais cette première étape, du président français.
qui semblait hors d’atteinte il y a encore quelques
Surtout, les combats risquent de durer encore des
semaines, est d’ores et déjà «historique», s’est félicité
années, selon la prédiction du secrétaire général de
jeudi soir Charles Michel, le président du Conseil.
l’Otan, empêchant ne serait-ce que le début des
La présidente de la Commission, Ursula von der négociations en vue de l’adhésion.
Leyen, a sans doute le mieux résumé l’état d’esprit de
beaucoup de dirigeant·es, lors d’un discours mercredi:
«C’est le seul pays dont les citoyens se sont fait tirer

1/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

Le courroux des Balkans occidentaux Emmanuel Macron ont préféré annuler la conférence
Le feu vert de jeudi soir intervient après la visite de presse qui devait clôturer cette première étape du
d’Emmanuel Macron et de ses homologues allemand, sommet.
italien et roumain à Kyiv la semaine dernière Outre l’Ukraine et la Moldavie, l’UE a reconnu le
- un moment de bascule, en particulier pour le statut de candidat officiel à cinq pays : le Monténégro
chancelier Olaf Scholz, jusqu’alors sceptique à l’idée (dont les négociations en vue d’une adhésion durent
d’une candidature de l’Ukraine –, mais aussi après depuis 2012), la Serbie (depuis 2014), la Turquie (les
l’avis détaillé publié le 17juin par la Commission, discussions avec Ankara, ouvertes en 2005, sont au
résolument optimiste - allant jusqu’à considérer que point mort), la Macédoine du Nord et enfin l’Albanie.
70 % de l’ « acquis communautaire », c’est-à- De leur côté, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine sont
dire l’ensemble des législations et du droit européen, désignés comme des «candidats potentiels».
a déjà été transposé par Kyiv. Les derniers pays Le principal point de crispation de la réunion a
réticents à l’ouverture du sommet - Danemark, Pays- porté sur le veto que la Bulgarie continue d’opposer
Bas, Portugal - ont levé leurs réticences au cours de la à l’ouverture des négociations d’adhésion avec la
discussion jeudi. Macédoine du Nord, pour des raisons historiques.
Mais la première journée du sommet fut loin d’être de Dans leurs conclusions, les dirigeants des Vingt-Sept
tout repos. Les discussions à Vingt-Sept sur l’Ukraine ont cherché à clarifier l’état des discussions, avec
et la Moldavie ont été précédées d’une réunion bien deux longs paragraphes consacrés au cas particulier
plus chaotique, jeudi en fin de matinée, avec les de la Bosnie, qui se rapproche, elle aussi, du statut de
dirigeant·es de pays des Balkans occidentaux. Eux candidat officiel.
se plaignent d’être relégués depuis des années dans
Les écueils de l’élargissement «made in
l’antichambre de l’UE, sans perspective d’adhésion. Bruxelles»
Edi Rama, premier ministre albanais Cette bronca des Balkans a valeur d’avertissement
Le sommet fut pour eux l’occasion de rappeler la pour l’Ukraine et la Moldavie. Elle en dit long sur
frustration et les déceptions accumulées depuis l’octroi les ambiguïtés et impasses associées à la politique
de leur statut de candidat officiel à l’adhésion, à un d’élargissement de l’Europe. «Cette fois, nous devons
moment où l’Ukraine et la Moldavie leur volent la éviter la séquence “promesses”, puis “attente”, puis
vedette. “frustration”, qui est devant nous si l’on ne fait rien»,
«Nous avons affaire à un problème grave, en même met en garde l’ancien président du conseil italien
temps qu’un coup majeur infligé à la crédibilité Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors.
de l’Union européenne», s’est emporté le premier Dans les années 2010, et la poussée de mouvements
ministre de Macédoine du Nord, Dimitar Kova#evski. anti-UE sur tout le continent, nombre de dirigeants
Sur la même lancée, le premier ministre albanais semblaient plus prudents sur la question de
Edi Rama a dénoncé, lui, «l’esprit tordu de l’élargissement. Emmanuel Macron lui-même s’était
l’élargissement», ajoutant que les dirigeant·es de l’UE opposé, à l’automne 2018, à l’ouverture de
avaient offert «un spectacle effrayant d’impuissance». négociations avec l’Albanie et la Macédoine du Nord.
«Nous n’avons rien obtenu», a de son côté résumé Du côté de l’Élysée, on expliquait alors préférer
Aleksandar Vu#i#, l’autocrate à la tête de la Serbie, qui l’«approfondissement» des politiques européennes à
a par ailleurs braqué les Européens sur le soutien à la vingt-sept, sur l’harmonisation fiscale ou le marché
Russie depuis le début de la guerre en Ukraine. Preuve unique, à l’élargissement. «Avant tout élargissement
des tensions, Charles Michel, Ursula von der Leyen et effectif, sachons nous réformer nous-mêmes»,avait
lancé le président français. Mais tout a changé avec la
guerre en Ukraine.

2/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

Après le statut de candidat octroyé dans la Sept et les neuf pays candidats ou quasiment candidats
précipitation à l’Ukraine et à la Moldavie, sous à l’adhésion (et peut-être d’autres, la Norvège, la
la pression de la guerre, cette rhétorique de Suisse, voire le Royaume-Uni?).
l’«approfondissement» et de l’«élargissement» est Promoteur de l’idée, Enrico Letta imagine des
tout entière à revoir. Avec un triple écueil à éviter: réunions deux fois par an, en clôture de sommets
• Les pays qui semblent enfermés à jamais dans une européens traditionnels à vingt-sept, pour que
antichambre de l’UE, à l’instar de la Turquie ou ces pays apprennent à travailler ensemble, sans
de certains États des Balkans, dont la population se attendre l’aboutissement des fastidieuses procédures
détourne, progressivement, de l’Union. d’adhésion. «Ils pourraient se réunir tout de suite, à
• Les effets de bord du « grand trente-six, dès l’automne. C’est aussi une manière de
élargissement »bâclé de 2004, lorsque dix États, dire à l’Ukraine qu’elle fait tout de suite partie de
dont huit d’Europe centrale, avaient rejoint l’Union, la famille européenne », insiste Letta. «On n’a pas
suivis en 2007 de la Bulgarie et de la Roumanie. vocation à tous habiter la me#me maison, mais on
De fortes disparités économiques entre les nouveaux partage la me#me rue», a encore déclaré Macron jeudi
adhérents et les anciens (cristallisées par les tensions soir.
sur le dossier des travailleurs détachés, et la figure du
Le débat sur l’adhésion de l’Ukraine à l’UE reste très
« plombier polonais» instrumentalisée par l’extrême
feutré dans les États membres.
droite), mais aussi des dérives en matière d’État
de droit (en Hongrie et en Pologne avant tout) Deuxième étage de la fusée, encore plus lointain
n’ont cessé de mettre à mal le projet européen ces et hasardeux, en raison des réticences de nombreux
dernières années. pays: une convention pour réformer les traités et
• Les failles de la «politique de voisinage». Lancée tenter de refermer l’épisode traumatique du Traité
en 2002, cette approche visait à former un «anneau constitutionnel européen (TCE) de 2005. L’un des
de paix, de stabilité et de prospérité» aux frontières objectifs de ses avocats serait d’en finir avec la
de l’UE, sans aller jusqu’à offrir l’adhésion («tout règle d’unanimité à la table du Conseil dans certains
sauf les institutions», avait dit Romano Prodi, domaines, afin de préparer le terrain à une Europe
quand il présidait la Commission). À l’origine, elle encore élargie.
concernait six voisins à l’Est, dont l’Ukraine, et dix Paris et Berlin y sont favorables mais les Vingt-Sept,
au Sud, dont l’Algérie et la Tunisie. Autant de pays ici, sont restés très prudents: le Conseil se contente
avec lesquels l’UE a surtout cherché à conclure des de «prendre note» des travaux de la Convention sur
accords de libre-échange, mais que les dirigeants l’avenir de l’Europe, qui s’était clôturée en mai et
n’ont pas suffisamment soutenus à des moments clés appelait à des changements de traité. Difficile de
de leur histoire (la «révolution orange» de 2004 en dire si ce projet a des chances d’aboutir, surtout
Ukraine, ou le «printemps arabe» de 2011). depuis qu’Emmanuel Macron a perdu sa majorité à
Le Parlement européen en soutien l’Assemblée nationale.
Les dirigeant·es réuni·es à Bruxelles ont tenté de Ces questions politiques sont très sensibles dans les
répondre à ces critiques. Ils esquissent dans leurs débats politiques de beaucoup d’États membres de
conclusions deux pistes censées éviter de répéter les l’UE. Mais le débat sur les perspectives d’adhésion
erreurs du passé. D’abord, ils se sont engagés à octroyées à l’Ukraine reste très feutré, à ce stade.
poursuivre la réflexion sur le projet de «communauté Alors que les eurodéputé·es ont été consulté·es jeudi en
politique européenne», notamment porté par Macron amont du sommet, une très large majorité d’ a validé
lors de son discours au Parlement européen le 9 mai la manœuvre (529 pour, 45 contre, 14 abstentions).
dernier. Sur le papier, un forum rassemblant les Vingt-

3/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
4

Leur résolution estime qu’il n’y a pas d’alternative à PS-Place publique, EELV). Les élu·es RN s’y sont
cet élargissement, «plus que jamais un investissement opposé·es, tandis que la délégation française de La
géostratégique» pour l’UE. Ce texte a été voté par Gauche, emmenée par Manon Aubry, s’est divisée
l’essentiel des eurodéputé·es français (LREM, LR, entre un noyau LFI (pour le texte, dont Manon Aubry)
et Emmanuel Maurel (abstention).

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 127 avenue Ledru Rollin, 75011 Paris
Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 127 avenue Ledru Rollin, 75011 Paris
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 127 avenue Ledru Rollin,
Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart. 75011 Paris

4/4

Vous aimerez peut-être aussi