Proust est né à Auteuil. Il était fils d'un professeur de la faculté de médecine et d'une femme
cultivée et sensible, issue d'une famille de financiers juifs. À cause des privations endurées par sa
mère, il avait une santé délicate, torturé par l'insomnie et par des crises d'asthme nerveuse, qui
l'empêchaient de se consacrer à une profession. En le condamnant à des périodes de réclusion et
d'isolement, cette maladie favorise sa vocation d'écrivain. Il commence à fréquenter les salons de
la haute bourgeoisie et à publier des vers, des récits et des articles.
Ses débuts se placent sous le signe de la mondanité : un premier volume de récits, Les Plaisirs et
les Jours, en édition illustrée et luxueuse, obtient de succès. Puis il commence à rédiger un roman
de grande envergure qu'il n'achèvera pas, Jean Santeuil, une sorte d'autobiographie : Jean mène
une vie mondaine intense, se bat en faveur de la révision du procès Dreyfus, s'attriste en voyant
vieillir ses parents. L'échec de cet ouvrage conduit l'écrivain à se consacrer pout quatre ans à la
traduction des essais de John Ruskin, spécialiste anglais de l'art médiéval et théoricien de la «
religion de la beauté ».
La mort de ses parents, son père en 1903 et sa mère deux ans plus tard, le fait sombrer dans le
désespoir qui lui conduit à interdire toute activité littéraire. Il renaît lentement et rédige des
articles ou des pastiches, de spirituelles imitations dans le style des grands écrivains. Proust
entreprend, en 1908, un vaste projet romanesque qui deviendra À la recherche du temps perdu,
qui provient de son expérience personnelle, de ses images et de ses souvenirs. L'écrivain y
transpose l'un des épisodes les plus marquants de son existence : son amour pour Alfred
Agostinelli (auquel s'inspire le personnage d'Albertine) chauffeur et secrétaire qui s'éloigne de lui
pour fuir un attachement excessif ; devenu aviateur, il meurt en 1914.
Après plusieurs tentatives qui échouent, Proust parvient à faire publier le premier tome, Du côté
de chez Swann, en 1913. À la lecture du romane, Gide décide de le publier sur sa revue.
Avec À l'ombre des jeunes filles en fleurs, il reçoit le prix Goncourt en 1919 et devient célébré dans
le monde entier. Jusqu'à sa mort, il enrichi l’œuvre dont les trois derniers tomes connaîtront une
publication posthume.
À l'origine de la Recherche
À la fin du 1908, il commence la rédaction d'un essai Contre Sainte-Beuve, un critique duquel il
attaque la méthode, qui analysait la littérature en fonction de la biographie des auteurs. Selon
Proust, cette méthode méconnaît ce qu'une fréquentation avec nous-mêmes nous apprend parce
qu'un livre est le produit d'un autre moi, diffèrent de celui qui se manifeste dans les habitudes, la
société, les vices. Cet « autre moi » est le moi profond, que l'on oublie et qui, sous la conscience,
est le gardien du passé personnel. En exposant ses idées sur le moi profond et sur les lois de la
mémoire, l'écrivain perd de vue Sainte-Beuve avec les réflexions qu'il note dans ses cahiers des
épisodes romanesques. C'est ainsi que naît Les Intermittences du cœur, divisé en Le Temps perdu
et Le Temps retrouvé, qui se transformera en sept romans : Du côté de chez Swann (Combray, Un
amour de Swann, Nom de pays) ; À l'ombre des jeunes filles en fleurs (Autour de Mme Swann,
Noms de pays : le pays) ; Le Côté de Guermantes I et II ; Sodome et Gomorrhe I et II ; La
Prisonnière ; Albertine disparue ; Le Temps retrouvé.
Le besoin d'art
Les premiers lecteurs de Proust ont été ébahis par une œuvre sans unité, basée sur
l'impressionnisme d'un narrateur qui reproduit la subjectivité d'un regard. Si les épisodes
semblent s'accumuler sans cohérence et la psychologie des personnages est immuable, l'unité de
l'oeuvre est assurée par le narrateur-voyeur, dont le parcours est suivi jusqu'à la découverte du
"temps retrouvé".
Ce rejet du réalisme objectif repose sur une conception de l'art comme seul moyen capable de
donner une image globale de la vérité. L'art devient fondamental pour rétablir la cohésion entre
ce que le temps et l'espace ont divisé. La Recherche est la reconstruction d'un passé par l'écriture,
grâce à un réseau de signes et de correspondances linguistiques ; l'analogie est d'ailleurs la figure
rhétorique par excellence. En épousant la pensée du narrateur, le lecteur pourra retrouver tous les
fils qui composent l'intrigue et (re)constituer le puzzle de la "vraie vie".