Communication and Militantisme 2015 2020

Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
COMMUNICATION
&
MILITANTISME
Enseignant : Benjamin Ferron
1
Université Paris-Est Créteil

Faculté de Lettres, Langues et Sciences Humaines
Département de communication politique et publique
Parcours Sciences de l’Information et de la Communication

Licence 2
année 2017 - 2018
2
Sommaire
Présentation du cours ............................................................................................................................................... 4
Cours magistral ..................................................................................................................................................... 4
Travaux dirigés ...................................................................................................................................................... 4
Informations pratiques............................................................................................................................................. 5
Calendrier des cours............................................................................................................................................. 5
Modalités d'évaluation ......................................................................................................................................... 6
Pour joindre l’enseignant..................................................................................................................................... 6
Bibliographie du cours ............................................................................................................................................. 7
Sujets de dissertation/Exposés ............................................................................................................................. 10
Méthodologie ........................................................................................................................................................... 11
1. L’exposé ........................................................................................................................................................... 11
2. La dissertation................................................................................................................................................. 12
3. La discussion ................................................................................................................................................... 14
Lectures obligatoires............................................................................................................................................... 15
Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris, La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26. . 16
Dimensions de l'action collective ........................................................................................................................... 17
La composante politique des mouvements sociaux .................................................................................................. 20
Une arène non institutionnelle ?............................................................................................................................. 24
Instituer l'action collective : répertoires et organisations ........................................................................................ 26
Espaces des mouvements sociaux ......................................................................................................................... 29
James C. Scott, « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29 ................. 31
Le texte caché : une posture vaine ? ...................................................................................................................... 32
La résistance souterraine ..................................................................................................................................... 34
Contamin Jean-Gabriel, « le tract, à quoi bon ? », Vacarme, 2008/4 (n° 45), p. 68-71 ............................ 37
Notes .................................................................................................................................................................. 40
Erik Neveu, « Médias et protestation collective », in Penser les mouvements sociaux, Paris, La
Découverte, «Recherches», 2010 ...................................................................................................................... 41
La course aux armements communicationnels ........................................................................................................ 41
Conjurer le médiacentrisme .................................................................................................................................. 44
Une reconquête de l’autonomie médiatique ? .......................................................................................................... 50
Médias et « médiactivisme » (F. Granjon) ....................................................................................................... 54
L’accès des mouvements sociaux à l’opinion publique .............................................................................................. 54
L’utilisation stratégique des médias par les mouvements sociaux ............................................................................. 54
La critique des médias dominants .......................................................................................................................... 55
L’émergence d’un militantisme producteur et diffuseur d’information ....................................................................... 56
3
Présentation du cours
Ce cours analyse, du point de vue de la sociologie politique, les stratégies de communication
mobilisées par les groupes militants. Ces stratégies renvoient à l'ensemble des instruments de
médiation et de médiatisation employés par des organisations citoyennes, professionnelles ou
politiques - partis, syndicats, associations, groupes d'intérêt, collectifs informels ou réseaux –
qui cherchent à publiciser leurs revendications et tentent de recruter de nouveaux membres et
bénéficier du soutien des dirigeants, des médias ou de l’opinion publique. Positionné au
quatrième semestre du Parcours Communication (niveau Licence 2), le cours se déroule sur
douze séances (voir calendrier ci-après). Chaque séance est organisée autour d’un cours
magistral (1h) et d’une séquence de travaux dirigés (1h20).
Cours magistral
Qu'il s'agisse d'organiser la communication interne, d'accéder et de séduire les médias de masse ou de
créer des réseaux de communication « alternatifs », le répertoire médiatique des organisations
militantes inclut une palette diversifiée de moyens d'action : la communication interpersonnelle à
l’occasion de la formation des militants ou d’opérations de porte-à-porte ; l'utilisation d’un microphone
ou de haut-parleur lors des réunions publiques ; l'affichage dans les rues et la diffusion de tracts ; la
rédaction de communiqués de presse ou l'invitation de journalistes à des événements tels que des
meetings, des manifestations ou des conférences de presse ; la publication de tribunes ou d'annonces
dans les journaux, la participation de militants à des émissions de radio ou de télévision ; la création de
mailing lists, de forums en ligne, le lancement d'un site Internet ou l'utilisation des réseaux sociaux ; la
création de journaux militants, de « radios libres », de télévisions associatives, le piratage informatique
ou l'utilisation de logiciels libres. Depuis les années 1970 environ, on observe ainsi dans les pratiques
militantes une véritable « course aux armements communicationnels » (Neveu, 2010) qui a des
incidences sur la division du travail au sein des organisations militantes, le profil et les compétences
réelles et attendues de leurs membres, le travail des journalistes et les relations qu'ils entretiennent avec
leurs sources d'information, ainsi que l'émergence d'un militantisme spécialisé dans les questions
d'information et de communication médiatiques. Les pratiques militantes en matière de communication
contribuent ainsi à politiser un discours - enjoué ou critique selon les cas - sur les médias et le
journalisme qui participe d’une reconfiguration des règles du jeu politique.
Travaux dirigés
Les travaux dirigés sont destinés à approfondir le cours magistral en faisant travailler les étudiant.e.s en
groupe sur des études de cas. Chacun.e d’entre vous doit renforcer et mobiliser des compétences
générales (recherche documentaire, qualités d’analyse et de synthèse, réflexivité critique, capacités à
problématiser une réflexion et structurer un plan argumenté, techniques d’écriture et de présentation
orale, référencement des sources bibliographiques et documentaires) et des compétences spécifiques
(concepts et théories de la sociologie de la participation, de l’action collective, des mouvements sociaux,
du militantisme, du journalisme, des médias…). La première séance de TD est l’occasion de présenter
le programme et les consignes méthodologiques, ainsi que de constituer les groupes de travail et de
répartir les sujets. Les séances 2 à 4 sont consacrées à des lectures et des discussions autour de textes
du dossier (voir ci-après). Les séances 5 à 11 sont organisées autour des présentations orales des
dissertations, de discussions avec le reste du groupe et de mises au point méthodologiques.
4
Informations pratiques
Calendrier des cours
Cours magistral Travaux dirigés
(12x1h) (12x1h20)
29/01/18 Chap.1. Militantisme, communication et TD1 Méthodologie & répartition des travaux
construction des problèmes publics 14h30-15h50
(13h30-14h30)
05/02/18 Chap.2. Les sens du militant : engagement TD2 Discussion sur les textes n°1 et n°2 du
corporel et dispositifs de sensibilisation dossier
(13h30-14h30) 14h30-15h50
12/02/18 Chap.3. Les voix de la contestation : silences, TD3 Discussion sur les textes n°3 et n°4 du
murmures et prises de parole dossier
(13h30-14h30) 14h30-15h50
19/02/18 Chap.4. Les discours protestataires : luttes TD4 Exposé(s) / discussion(s)

symboliques et enjeux de cadrage 14h30-15h50
(13h30-14h30)
Vacances d’hiver (26/02/18)
05/03/18 Chap.5. La tactique des TIC : instruments de TD5 Exposé(s) / discussion(s)
communication des mobilisations 14h30-15h50
collectives (13h30-14h30)
12/03/18 Chap.6. Le journaliste et ses sources militantes : TD6 Exposé(s) / discussion(s)
la médiatisation des mouvements sociaux 14h30-15h50
(13h30-14h30)
19/03/18 Chap.7. Se rendre visible et légitime: les TD7 Exposé(s) / discussion(s)
stratégies médiatiques des entrepreneurs 14h30-15h50
de cause (13h30-14h30)
19/03/18 Chap.8. Des médias « alternatifs » : amateurs et TD8 Exposé(s) / discussion(s)
professionnels de la communication 14h30-15h50
militante (13h30-14h30)
26/03/18 Chap9. Media movements : la politisation du TD9 Exposé(s) / discussion(s)
problème des inégalités médiatiques 14h30-15h50
(13h30-14h30)
Lundi de Pâques (02/04/18)
9/04/18 Chap.10. Le contrôle des arènes publiques : TD10 Exposé(s) / discussion(s)
militantisme, communication et Etat 14h30-15h50
(13h30-14h30)
16/04/18 Chap.11. Militer à l’ère néolibérale : économie TD11 Exposé(s) / discussion(s)
symbolique des luttes contre l’idéologie 14h30-15h50
dominante (13h30-14h30)
Vacances de Pâques (23/04/18)
30/04/18 Chap.12. La communication militante, levier ou TD12 Exposé(s) / discussion(s)
produit du changement social ? 14h30-15h50
(13h30-14h30)
5
Modalités d'évaluation
A l’issue du cours, chaque étudiant.e obtiendra deux notes principales. La première (50 % de la note)
sera attribuée à un travail seul ou en groupe qui prendra la forme d’une dissertation écrite (25 %),
présentée en exposé oral (15 %), et complétée par la discussion d’un autre exposé (10 %). La seconde
(50 % de la note) sera attribuée à un examen final sur table (dissertation, 2h).
Pour joindre l’enseignant

Adresse email : benjam1ferron@gmail.com
Bureau 411 – Immeuble La Pyramide – 80, avenue du Général de Gaulle – 94010 Créteil
6
Bibliographie du cours
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9
Sujets de dissertation/Exposés
Entre militantisme et journalisme : le réseau des Centres de Médias Indépendants Indymedia (1999-2013)
● Produire et diffuser de l’information sur les droits de l’homme : le cas de l'ONG B'Tselem (Israël) ●
Les stratégies médiatiques de la « Commune » d'Oaxaca (Mexique, 2006) ● Le théâtre de l'opprimé :
mise en scène de luttes, luttes de mise en scène ● A quoi sert un tract ? ● Musique et politique : le hip-
hop ● Communication et pédagogie alternative à Summer Hill (Grande-Bretagne) ● La communication
des Indignados (Espagne) ● L’enjeux de la communication dans le mouvement Nuit Debout (France) ● Le
Média : entre information et militantisme (France, 2017-2018) ● La communication du mouvement des
paysans sans terre (Brésil) ● Pourquoi le mouvement de la Décroissance a-t-il mauvaise presse ? ● La
communication des mobilisations à faibles ressources (1) : le cas des handicapés ● La communication
des mobilisations à faibles ressources (2) : le cas des prostituées ● Les manifestations de policiers en
France : une contestation policée ? ● Le site revolutionpermanente.fr : agenda et cadrage de l’actualité
militante ● L'artivisme ou l’art du militantisme ● La campagne « Dégooglisons Internet » de Framasoft
● Médias anarchistes : le cas du réseau Sedna Médias libres ● Le mouvement pour la défense de
l’Espéranto ● Communication et mouvements « anti-pub » ● La communication des ONG de
solidarité internationale : le cas de Médecins sans frontières ● La communication dans le mouvement
du Tea party (Etats-Unis) ● Militer à l’extrême-droite : le cas du Bloc Identitaire en France (2003-2017)
● Le mouvement anti-apartheid et les médias (Afrique du Sud) ● La « Manif pour tous » : discours et
traitement médiatique ● La communication internationale du mouvement Ogoni (Nigéria) ● Le
traitement médiatique de la « révolution des parapluies » (Hong Kong) ● Les mobilisations pour une
« gouvernance démocratique » d'Internet ● Reporters sans frontière : la construction de la « cause » de
la liberté de la presse ● Le droit à la communication des minorités ethniques ● La communication des
mouvements contre la dictature de Pinochet (Chili) ● Les Samizdat (Russie et ex-bloc soviétique) ● La
communication des organisations syriennes de défense des droits de l’homme ● Les aborigènes et la
communication communautaire (Australie) ● L’affiche militante : conception, signification, usages ●
Propagande et contre-propagande sous le régime sandiniste (Nicaragua) ● La communication dans le
mouvement Occupy Wall Street (Etats-Unis) ● Sea Shepherd : les pirates de l’écologie ? ● Le BD-
journalisme et le reportage de guerre ● Le clicktivisme : que signifie « militer » sur les réseaux sociaux ?
● La communication des organisations patronales : un militantisme politique dépolitisé ? ● Les
mobilisations contre les inégalités médiatiques : du rapport MacBride (1981) au rapport de l’International
Panel on Social Progress (2016) ● La communication dans le mouvement Piqueteros (Argentine) ● Les
stratégies de communication des mobilisations Our Walmart ● A quoi servent les e-pétitions ? Le cas
d’Avaaz
Remarques : cette liste de sujets est indicative. Vous pouvez choisir un sujet tel quel ou bien, avec l’accord préalable de
l’enseignant, le modifier ou en proposer un nouveau. Le sujet doit porter sur le thème du cours « Militantisme et communication ». Il
peut être lié à l’actualité du moment ou avoir une dimension plus historique. La dissertation doit avoir une longueur de 3 pages
maximum (voir consignes ci-après). L’article doit mentionner obligatoirement les sources d’information ou les outils d’analyse utilisés
(notes de bas de page avec références bibliographiques). Votre travail devra reposer sur une revue de presse (cf. outils Europress ou
Factiva disponibles via le site de la médiathèque de l’UPEC) et la lecture de travaux scientifiques dans le domaine des sciences
sociales (cf. portails Cairn, Persée, BiblioSHS, etc.). L’utilisation de matériaux originaux (photographies personnelles, interviews,
observations directes des événements relatés, etc.) est fortement encouragée dans le cadre de cet exercice.
Critères d’évaluation : le choix et la problématisation du sujet ; l’ampleur et la qualité du travail de recherche de sources
documentaires et de la bibliographie scientifique ; le travail de structuration de l’argumentaire (titre ou sous-titres, enchaînement des
parties et des paragraphes, conclusion) ; la qualité de l’expression et la correction orthographique ; le référencement des sources et de la
bibliographie (y compris liens html).
10
Méthodologie
1. L’exposé
 L’exposé (15 % de la note) dure 15 minutes maximum. Veillez à bien respecter le temps qui
vous est imparti, sous peine d’être interrompu avant la fin de votre exposé. Vous devez vous
émanciper de vos notes au maximum. Des supports multimédias sont autorisés, dans la mesure
où ils viennent appuyer la démonstration : un des objectifs de l’exposé est d’acquérir une
maîtrise de l’argumentation orale en public.
 Les exposant-e-s doivent fournir le plan détaillé photocopié de leur exposé à l'enseignant et
aux étudiants, avant de commencer, en y faisant figurer le numéro de leur groupe et les noms
des membres du groupe, le thème de la séance du jour et leur sujet d'exposé. Si le détail du plan
peut varier, il doit impérativement faire apparaître une introduction et une conclusion
problématisées et rédigées, des titres clairs et soignés. Le nombre de parties est libre (deux, trois
voire quatre), mais la hiérarchie des titres doit comporter au moins trois niveaux (I, I.1., I.1.2.,
etc.). Le plan détaillé ne doit pas dépasser une feuille recto/verso
 Les exposés sont évalués selon cinq critères :

1) L’analyse du sujet (concepts et contexte d’énonciation) et la problématique
dégagée de cette analyse.
2) Les recherches bibliographiques et lectures effectuées : quantité, variété et
originalité des références mobilisées; bonne compréhension des lectures (précision et
honnêteté dans la restitution, utilisation pertinente des références bibliographiques par
rapport au sujet et à la problématique).
3) La cohérence et la pertinence du plan, des arguments, des exemples utilisés.
4) La qualité de l’exposé oral : respect du temps, rythme, débit de la parole, distance
aux notes écrites, mobilité. Un exposé reposant sur la seule lecture d’un texte
préalablement rédigé aura une évaluation négative pour la qualité de la présentation
orale. Un exposé présenté entièrement sans support écrit aura à l’inverse une bonne
évaluation sur ce point.
5) La capacité à répondre aux questions ou objections.
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2. La dissertation
Chaque groupe devra rendre une dissertation sur son sujet (25 % de la note).
Objectifs de la dissertation :
 Entraînement à l’utilisation de sources bibliographiques, de concepts et d’outils fondamentaux
relevant de la science politique, de la sociologie et des sciences de l’information et de la
communication ;
 Développement des capacités d’expression, d’organisation et d’articulation des idées ;
 Amélioration des capacités d’analyse et d’évaluation critique ;
 Compréhension et acceptation des approches/analyses souvent contradictoires sur un sujet
donné ;
Formulation traditionnelle des sujets :

 Une question qui suppose que l’étudiant prenne position (sur la base d’arguments
scientifiques) ;
 Une affirmation / une citation controversée, suivie d’une demande de commentaire ou
d’évaluation critique ;
 Une affirmation non problématisée impliquant qu’il revient à l’auteur de déterminer lui-même la
problématique soulevée par un tel sujet.
Problématique :
 La problématique consiste à choisir un angle, sous la forme d’un questionnement pertinent à
partir duquel vous élaborez une démonstration s’enchaînant logiquement et répondant à la question
posée par le sujet.
 Pour trouver ou affiner une problématique, il est nécessaire de mettre en relation la nature de la
question posée avec le domaine de connaissance de l’objet à étudier, pour faire apparaître la question-
problème ou problématique sous-jacente au sujet : ce qui suppose, d’une part, une réflexion sur chacun
des termes du sujet (eux-mêmes porteurs de problématiques), et d’autre part, une exploration du
domaine de connaissances de l’objet ;
 Il est généralement nécessaire de reformuler le sujet posé sous forme de question(s) qui
donne(nt) déjà un sens à l’argumentation que vous avez choisi de développer (sauf si le sujet est déjà
formulé ainsi) ;
 Travail à réaliser sur la problématique :
Poser une / des hypothèse(s) et dessiner les étapes de la démonstration. Le sujet que l'on vous
propose formule parfois cette problématique. Dans tous les cas, vous devez déterminer vous-
même l’angle à partir duquel vous traitez le sujet et le défendre jusqu'à la conclusion.
Utiliser vos connaissances en fonction de vos hypothèses de départ, pour les vérifier et les justifier.
Vous aurez besoin de maîtriser parfaitement votre cours.
Prendre en note les informations (textes, citations, faits, dates...) que vous pourrez utiliser dans
votre démonstration.
Hiérarchiser et classer ces informations en fonction de la problématique : il ne s’agit en aucun cas
d’accumuler des connaissances de façon linéaire mais de les trier et de les ordonner.
Indications générales sur le plan :

 Élaborer le plan avant d’entamer la rédaction ;
 Apporter une vraie réponse à la question posée ou formuler une analyse /un commentaire
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véritable de l’affirmation / la citation concernée ;
Quelques types de plans :

 Thèse (partie I), antithèse (partie II), synthèse (conclusion). NB : à utiliser lorsque le sujet
implique que l’auteur prenne position (pour/contre, oui/non), utiliser pour nuancer une position et non
pas pour « écrire tout et son contraire ».
 Classification des acteurs impliqués et/ou des objets affectés. A utiliser surtout en sciences
sociales et pour traiter des sujets de sociétés. Peut alors déboucher sur un plan en 3 parties.
 Distinction entre les problèmes soulevés et les solutions proposées. Notamment pour l’analyse
de processus de natures diverses ou des politiques publiques (tenants et aboutissants) et la résolution de
problèmes.
 Plan chronologique, soulignant pour chaque période, ses caractéristiques principales. A utiliser
surtout pour les questions historiques et les processus et dans tous les cas où la « périodisation »
apparaît comme une véritable problématisation.
 Pour l’analyse d’une institution : évaluation de son statut (I) et de ses fonctions (II)
 Des combinaisons de ces différents plans permettent de former des argumentaires plus
sophistiqués. Exemples : plan historique et plan thèse/antithèse, acteurs impliqués /solutions
proposées.
Structure type d’une dissertation :
INTRODUCTION :
( a. Accroche ) . Intérêt du sujet du point de vue de l’actualité ou exemple ;
( b. Présentation ) . Présentation générale du sujet et définition des termes ;
( c. Problématique ) . Présentation / hiérarchisation des questions / problèmes identifiés ;
( d. plan ) . Présentation et justification du choix du plan du développement
devant découler logiquement de la problématique identifiée.
DEVELOPPEMENT :
. Chacune des parties doit être introduite et conclue ;
( Partie I ) . Toutes les analyses doivent être appuyées par des exemples
( Ia ) et/ou des arguments scientifiques, succincts, clairs et reliés
( Ib ) entre eux ;
. Les arguments généraux viennent toujours avant les arguments particuliers.
. Accorder une attention particulière aux liaisons/passages d’une
idée à l’autre ;
( Partie II ) . Seuls les arguments et analyses nécessaires au développement
( II a ) de la thèse seront présentés (image du déroulement d’un tapis) ;
( II b ) . L’argumentation doit être aussi exhaustive que possible et
refléter toutes les analyses y compris celles qui ne sont
privilégiées par l’auteur.
CONCLUSION :
( a. ) . Rappel du sujet de la problématique ;
( b. ) . Conclusions intermédiaires, conclusion globale ;
( c. ) . Questions restées sans réponse et ouverture permettant la
poursuite d’une réflexion sur le sujet.
NB : « ( ) » = Image du champ de l’argumentation. L’introduction sert alors à délimiter le champ

d’investigation et à orienter/lancer l’argumentation. Le développement est l’occasion de « dérouler », de
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façon logique et harmonieuse, la problématique. La conclusion permet de synthétiser l’argumentation,
en soulignant ces limites, et d’ouvrir les perspectives de réflexion sur le thème traité.
Important
Chaque paragraphe d’une dissertation doit être construit selon le modèle suivant, en trois phases :
 une idée
 un argument (qui approfondit l’idée énoncée)
 un exemple (qui illustre votre idée préalablement argumentée).
Pour chaque phase, faites deux ou trois phrases concises et claires (relisez-vous, et gare aux
répétitions !). A chaque paragraphe terminé, allez à la ligne. Sautez des lignes entre les parties.
Conseils pratiques généraux :

 Élégance des titres (qui doivent rendre compte de la thèse développée dans le paragraphe
concerné), du style et de la formulation de la thèse centrale ;
 Rigueur du raisonnement et sobriété du discours.
Consignes formelles
La dissertation devra comporter environ 5 pages :
- une page de garde avec les noms et prénoms de.s étudiant.e.s, la date, ainsi que l’intitulé du
cours et du sujet
- La dissertation elle-même, composée d’une introduction problématisée, d’un développement
en deux ou trois parties et d’une conclusion, sera d’une longueur (+/- 10 %) de 2.000 mots ou
12.500 signes espaces compris (soit environ trois pages Word en police 12, interligne simple).
Le nombre de mots ou de signes doit être indiqué à la fin du texte.
- Une bibliographie correctement mise en page (références rangées par ordre alphabétique du
nom de l’auteur).
Modèle pour un livre : MCADAM D. (2012), Freedom Summer. Luttes pour les droits civiques. Mississipi 1964
[1988], trad. de l’anglais Célia Izoard, Marseille, Agone, coll. L’ordre des choses.
Modèle pour un article : BRACONNIER C. (1999), « Braconnages sur terres d’État. Les inscriptions
politiques séditieuses dans le Paris de l’après-Commune (1872–1885) », Genèses, 35, p. 107–130.
Modèle pour un chapitre d’ouvrage collectif : PECHU C. (2009), « Répertoire d'action », in
Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, « Références ».
Remarque : les conseils de méthode pour la dissertation à la maison sont valables pour la
dissertation individuelle sur table
3. La discussion
Chaque groupe devra préparer la discussion d’un autre exposé que le sien (10 % de la note finale).
Avant la séance, chaque étudiant.e du groupe préparera des questions sur le sujet à partir de ses
connaissances personnelles et d’éventuelles lectures complémentaires (ces dernières seront
fortement valorisées dans la note).
Durant la séance, les questions (une par étudiant.e) devront être problématisées. Il ne suffit pas pour
cet exercice de formuler une question en une phrase. Il est nécessaire de bien écouter l’exposé et de
développer un court argumentaire, soutenu par un ou des exemples, voire des concepts ou
références académiques. Exemple de question problématisée : « Comment expliquer que… alors
que… ? »
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Lectures obligatoires
 NEVEU E., « Qu’est-ce qu’un mouvement social ? », Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris,
La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26
 SCOTT J. C., « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29
 CONTAMIN J.-G., « le tract, à quoi bon ? », Vacarme, 2008/4 (n° 45), p. 68-71
 NEVEU E., « Médias et protestations collectives », in Olivier Fillieule, Eric Agrikoliansky,
Isabelle Sommier (dir.), Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés
contemporaines, Paris, La Découverte, 2010, p. 245-264
 GRANJON F., « Média », Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po
(P.F.N.S.P.), « Références », 2009, 656 pages. URL : www.cairn.info/dictionnaire-des-
mouvements-sociaux--9782724611267-page-349.htm.
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Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris,

La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26.
Entrons-nous, comme certains chercheurs l'ont soutenu, rarement anticipés, on feint de les éclairer par les
dans une « société des mouvements sociaux » ? Comme métaphores de l'explosion, de la contagion, du carnaval. On
toute tentative de réduire une époque à un phénomène, le cherche des manipulateurs, hier la main de Moscou,
propos peut être réducteur. Il demeure qu'on ne saurait aujourd'hui la barbe des islamistes. La paresse analytique
comprendre le XXe siècle sans ses mouvements sociaux. prend encore la forme du rangement forcé de l'événement
Juin 1936, Mai 68, Décembre 95 sont des dates autres dans des tiroirs familiers : celui du « corporatisme »
qu'anecdotiques dans l'histoire française. Les quand le conflit se passe dans une entreprise, du
mobilisations du siècle passé sont aussi des luttes pour « populisme » pour les protestations des laissés-pour-
l'indépendance, comme celle symbolisée aux Indes par compte des modernisations contemporaines. Le simplisme
Ghandi, ou des combats pour l'égalité des droits, comme des classements rejoint un autre raccourci analytique :
ceux des Noirs états-uniens avec Martin Luther King. Elles celui qui vise à juger avant de comprendre. Trop de
incluent des mobilisations pour la démocratie comme celui discours, même savants, sur les mobilisations visent à
de Solidarnosc en Pologne, sans oublier les combats déconsidérer ou célébrer leurs objets, à jouer aux
comme ceux des indigènes d'Amérique latine ou des prophètes du changement social.
habitants des bidonvilles de Téhéran [Bayat, 1998. Le
XXIe siècle confirme déjà la centralité du phénomène. Les La recherche sur ces sujets a considérablement évolué en
manifestations hostiles à la guerre contre l'Irak ont réuni vingt ans. Il n'existait dans les années 1990 que deux ou
début 2003 des foules considérables en de nombreux trois livres de synthèse en français sur le sujet. Un flot de
pays. La réforme des retraites a suscité en 2010 en thèses, d'articles, de livres a pris son essor, au point qu'on
France des mobilisations de grande ampleur. En Tunisie, puisse rêver à un moratoire sur ces travaux pour en
puis en Égypte, des mouvements populaires ont contribué digérer l'apport. Le bon côté de cette dynamique est
au départ des despotes locaux début 2011. La catégorie des d'offrir un nombre croissant d'outils de base. Cet ouvrage
mouvements sociaux a donné chair depuis un siècle au veut en être, mais on signalera aussi le recueil de textes
syndicalisme, au féminisme, à l'écologisme, à des problématisé par Goodwin et Jasper [2009], le
processus de démocratisation de régimes autoritaires ou Dictionnaire produit par Fillieule, Mathieu et Péchu [2009],
totalitaires, à la réémergence du religieux comme acteur le manuel Penser les mouvements sociaux de Fillieule,
politique majeur. Mais l'ordinaire d'un mouvement social, Agrikoliansky et Sommier [2010], la petite collection
ce sont aussi des femmes et des hommes qui agissent, « Contester » des Presses de Sciences Po, les revues
partagent intérêts, émotions, espoirs. C'est encore une anglophones Mobilization et Social Movement Studies. Les
occasion privilégiée de mettre en question le monde social sciences sociales ne sont étanches ni aux préjugés ni aux
tel qu'il tourne, de dire le juste et l'injuste. C'est parfois le effets de mode. L'altermondialisme ou l'écologie suscitent
levier qui fait bouger la politique et la société, l'événement plus de travaux et d'engouements que les mouvements
partagé qui fait mémoire pour une génération. xénophobes ou les mobilisations de chasseurs. Mais la
force des recherches en cours est de démultiplier les
L'analyse à chaud de ces mouvements n'est pas toujours à terrains et les questions, de chercher à comprendre les
la hauteur de leurs enjeux. Le réflexe suspicieux qui pourquoi et les comment, les conditions objectives des
identifie la « rue » au désordre, à une pathologie d'une mobilisations comme le sens subjectif des engagements.
démocratie qui ne saurait être que représentative et
bienséante, s'est démonétisé. La séduction d'une vision en Les huit chapitres de ce livre composent trois séquences.
termes d'irrationnel, parfois « policière », reste en Les deux premiers cadrent des questions de base : de quoi
revanche puissante. Faute d'expliquer des mouvements parle-t-on quand on se confronte à l'objet « mouvements
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sociaux » ? La mobilisation peut-elle prendre les mêmes montage japonaise en pleine activité nous est-il intelligible
formes à Paris, à Kiev ou au Caire ? Comment éviter d'en comme l'expression d'un mécontentement collectif ?
faire un objet trop à part ou surinvesti par des jugements
de valeur ? Les chapitres III à V synthétisent la manière À l'inverse, notre savoir-faire pour identifier les modes de
dont les sciences sociales ont forgé des outils théoriques protestation dans « notre » société soulève une autre
pour comprendre les mouvements sociaux. Partant du question : les formes d'expression liées au sentiment
modèle d'analyse dominant au seuil des années 1980 (la d'injustice seraient assez codifiées pour que des modes
théorie de la « mobilisation des ressources »), les trois d'emploi – d'où viennent-ils ? – canalisent d'avance la
derniers chapitres montrent comment la dynamique protestation ? C'est encore l'association entre mouvement
principale de la recherche a consisté depuis vingt ans, social et expression d'un mécontentement qui ne va pas de
sans disqualifier ce cadre d'analyse, à explorer ce qu'il soi. D'où vient-il que certains groupes ne recourent
avait pu refouler pour se constituer. Il faut pour cela presque jamais à ce que le sens commun associe aux
questionner l'expérience vécue de l'engagement, la mouvements sociaux ? La télévision n'a guère matière à
manière dont elle travaille des identités, crée des rendre compte de manifestations de notaires ou de
émotions et s'en nourrit. Il faut aussi penser l'articulation trésoriers payeurs généraux. Serait-ce que ces groupes
entre mobilisation et jeu politique ou politiques publiques, n'ont rien à revendiquer ? Que certains groupes ne
tenter aussi de réhabiliter le rôle des idéologies, discours parviennent pas à se mobiliser ? Et pourquoi ? Que
et « cadrages », les effets des médias. d'autres voies que la mobilisation publique peuvent porter
leurs revendications ? Lesquelles ? Enfin, au sein des
QU’EST-CE QU’UN MOUVEMENT SOCIAL ? phénomènes que le langage courant associe aux
mouvements sociaux, ne convient-il pas d'opérer quelques
Introduire une explication savante sur la notion de distinctions ? Il n'est pas absurde d'étiqueter comme
mouvement social, n'est-ce pas compliquer à plaisir ce mouvements sociaux l'Intifada, une grève de la faim de
que chacun comprend par expérience ? Des personnes sans-papiers, une démission collective de pompiers
ayant en commun un intérêt ou une profession ont une volontaires mécontents. En rester là serait un réflexe de
revendication à faire valoir. Elles se mobilisent, utilisent brocanteur du social, non d'analyste.
des armes familières comme la grève, la manifestation.
Dimensions de l'action collective
Le sens commun associe à l'idée de mouvement social un
ensemble de formes de protestation, relie au mot des Pour être banalement employée dans le langage courant,
événements, des pratiques. Mais ce constat ouvre l'expression « action collective » n'en est pas moins
précisément des questions. Notre capacité à meubler la problématique... et la difficulté vient au premier chef de
notion d'exemples se double d'une fréquente impuissance l'adjectif « collective ».
à comprendre, même à voir les mouvements sociaux
d'autres sociétés ou d'autres époques. Si l'historien ne L'agir ensemble comme projet volontaire
nous fournissait pas une forme de « sous-titrage » de
l'événement, comprendrions-nous le message de conflit En partant d'une définition très molle de l'action collective,
social qu'adressent à leur patron, en 1730, les ouvriers qui l'identifierait aux situations dans lesquelles se
d'une imprimerie de la rue Saint-Séverin via la pendaison manifestent des convergences entre une pluralité d'agents
de la « grise », la chatte favorite de son épouse [Darnton, sociaux, une variable d'intention de coopération peut aider
1985] ? Saurions-nous discerner, derrière les processions à procéder à un premier tri. Les phénomènes auxquels
des « royaumes » du mouton, du coq et de l'aigle où se Raymond Boudon a associé la notion d'effets pervers ou
regroupent les composantes de la cité de Romans lors du émergents méritent ainsi d'être isolés. Cette notion
carnaval de 1580, les signes d'une guerre sociale qui se recouvre les processus qui résultent d'une agrégation de
terminera dans le sang [Le Roy Ladurie, 1979] ? Le port comportements individuels, sans intention de coordination.
d'un brassard noir par les ouvriers sur une chaîne de L'opération « escargot » de chauffeurs routiers qui
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bloquent un périphérique produira un résultat comparable Organisations contre mobilisations : confusion interdite ?
au bouchon suscité par les vacanciers qui se précipitent
en voiture vers les plages. La différence est cependant Dans une acception large, la notion d'action collective peut
claire entre une action concertée, liée à des aussi s'appliquer à la plupart des activités liées à l'univers
revendications, et un résultat imprévu, parfois de la production, de l'administration. Le fonctionnement
imprévisible, découlant de l'addition de milliers de départs d'une entreprise, d'un SAMU requiert un haut degré de
en vacances individuels. division des tâches, une organisation rigoureuse de l'agir-
ensemble. Les différences avec l'univers des mouvements
Les processus de diffusion culturelle sont justiciables sociaux pourront sembler évidentes. La production de
d'une même exclusion. Il existe assurément du biens et de services ne se distingue-t-elle pas nettement
« collectif » dans les phénomènes de mode, de diffusion de de la mobilisation des énergies pour une revendication ?
styles de vie ou d'innovations. Mais ce collectif résulte Le degré d'institutionnalisation n'est-il pas incomparable ?
pour une part d'effets d'agrégation qui sont ceux du La nécessité de gagner sa vie, l'organisation hiérarchique
marché. À travers des millions de décisions sérialisées, de l'entreprise, l'importance du travail comme élément
libres – dans les limites de tout le travail de construction structurant des existences garantissent a priori que
des définitions de la mode et du moderne qu'opèrent les chaque salarié répondra à l'appel de la pointeuse. Les
instances de critique, la presse, la publicité –, l'action des organisateurs d'un meeting ne disposent pas de
individus engendre des verdicts collectifs, souvent dotés semblables ressources pour s'assurer que la salle sera
d'une dynamique contraignante (il faut « en être »). Ceux- pleine, sauf – cela s'est vu – à louer des figurants. La
ci se traduisent en modes vestimentaires, artistiques, en comparaison semblera enfin oublier une dimension de la
consécrations qui peuvent se porter sur des objets, des croyance. Il n'est point besoin d'une foi quelconque dans
thèmes (la défense de la nature...). Mais pour être modelés des valeurs sacrées de l'industrie automobile pour
socialement, ces phénomènes ne sont pas en général le travailler dans un garage. Un minimum de croyance en la
fait d'une intention explicite de coopération ou d'action « cause » s'impose à l'inverse pour manifester contre
concertée. Le trop de succès d'une mode peut même l'apartheid ou des essais nucléaires.
incommoder ses adeptes, qui voient dans son extension
une perte de distinction. Par ailleurs, il ne suffit pas qu'un Bref, l'évidence semble suggérer le caractère
comportement se diffuse pour y lire une volonté de peser parfaitement artificiel d'un rapprochement entre des
collectivement sur les formes de la vie sociale. Il paraît objets que les classements, pour une fois alliés, du sens
donc logique de renvoyer les phénomènes de diffusion commun et de la sociologie associent, pour les uns, à
culturelle, de modes vers la sociologie de la culture ou l'analyse des organisations, pour les autres, à l'étude des
celle de l'innovation. Ceux-ci jouent toutefois un rôle dans mobilisations. Mais un retour critique sur ces objets
la construction d'identités, d'univers symboliques sur suggère bientôt un ensemble de recouvrements
lesquels peut s'appuyer l'émergence de mouvements troublants. Quatre exemples l'illustreront.
sociaux. La fin des années 1960 s'est accompagnée dans la
jeunesse étudiante de la diffusion d'un style vestimentaire Le premier renvoie vers l'entreprise. L'une des tendances
et capillaire inédit, d'une banalisation de la consommation récentes du management a été d'introduire dans le
de drogues, de nouvelles modes musicales (rock, folk), de fonctionnement de l'entreprise des techniques de
nouvelles références intellectuelles (des marxismes à mobilisation et de motivation souvent voisines de celles
McLuhan via la revue Actuel). Ces phénomènes culturels des univers militants, faisant des cadres ou contremaîtres
étaient alors étroitement liés à l'émergence de de véritables militants de l'entreprise, cherchant à
mouvements sociaux tels le gauchisme, le mouvement des produire un rapport à la firme qui fasse vivre le salariat
femmes, celui des communautés. À ce titre, il n'est jamais comme une forme d'engagement total au service d'une
inutile de s'interroger sur la façon dont des évolutions cause [Boltanski et Chiapello, 1999]. En deuxième lieu, le
culturelles peuvent être des vecteurs possibles d'essor de fonctionnement de certaines administrations, dans le
mouvements sociaux. domaine de la santé publique par exemple, permet de
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constater que les démarches mises en œuvre pour erreur par sous-estimation du degré d'organisation et de
promouvoir des politiques publiques ne sont pas sans structuration d'univers en apparence très fluides comme
parenté avec les objectifs et moyens d'action de les mouvements sociaux ; erreur par surestimation de la
groupements militants. Est-il absurde de comparer les rigueur et de l'originalité de la formalisation des rôles et
campagnes de prévention du sida ou de l'alcoolisme que des structures dans les organisations. Dans cette logique,
développe le ministère de la Santé avec les actions que l'auteur invite à penser organisations, marchés et
peuvent promouvoir le mouvement AIDES ou une mouvements sociaux comme un dégradé de situations plus
association antialcoolique ? Deux derniers exemples ou moins structurées et formalisées par des normes et
peuvent illustrer les proximités entre des formes d'action dispositifs de régulation, eux-mêmes plus ou moins
militante et la logique des organisations économiques et centralisés et visibles.
bureaucratiques. D'une part, les logiques d'entreprise
pèsent d'un poids croissant dans le fonctionnement de L'action concertée en faveur d'une cause
nombreuses mobilisations. Une des façons à la fois de
financer et de populariser une cause passe par le Ce tri dans le feuilleté de la notion d'action collective
développement d'une gamme de « produits » : livres, tee- fournit à la fois des mises en garde et des typologies. Les
shirts imprimés, autocollants. D'autre part, certaines premières renvoient à la diversité de la notion d'action
structures de type associatif et militant ont connu dans la collective et la relient à un réseau complexe de faits
période récente une professionnalisation qui s'est traduit sociaux. Il faut réintégrer l'histoire de chaque mouvement
par le développement d'un corps de permanents et social dans un contexte culturel et intellectuel. Mieux vaut
d'experts (juristes, communicateurs) qui aboutit à une aussi ne pas bâtir une muraille de Chine, qui risquerait
organisation interne voisine de celle d'une entreprise de davantage de ressembler à la ligne Maginot, entre
services. l'univers des organisations et firmes et celui des
mobilisations collectives. Cela conduira notamment à
Ces rapprochements aident à comprendre le parti pris au solliciter des outils d'analyse issus de la science
premier abord paradoxal de certaines approches économique.
sociologiques qui ont, dès la fin des années 1960 [Olson,
1966], sollicité les métaphores de l'entreprise ou des La notion d'action collective examinée ici renvoie à deux
grilles de lecture issues de l'économie pour comprendre critères. Il s'agit d'un agir-ensemble intentionnel, marqué
mobilisations et conflits sociaux. Plus récemment, Erhard par le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de
Friedberg [1992] remettait en cause la pertinence des concert. Cet agir-ensemble se développe dans une logique
clivages entre analyse des organisations, des marchés et de revendication, de défense d'un intérêt matériel ou d'une
des mouvements sociaux. Il observait que l'analyse des « cause ». Cette approche donne une définition resserrée
organisations s'est constituée en insistant sur « [...] le qui isole un type particulier d'action collective sans faire
caractère formalisé de leurs buts, structures et rôles », violence à ce que l'on pourrait désigner comme les
par opposition à la plus grande fluidité d'autres espaces définitions intuitives de l'action collective, à laquelle
d'action collective. « Le raisonnement est sous-tendu par s'associent des pratiques comme la grève, la
une sorte de partition [...]. D'un côté, le monde de manifestation, la pétition. Pour reprendre une expression
l'organisation formalisée signifiant mise sous contrôle et d'Herbert Blumer [1946], cette action concertée autour
soumission, capitalisation du savoir, transparence et d'une cause s'incarne en « entreprises collectives visant à
prévisibilité, structuration et non-concurrence [...]. De établir un nouvel ordre de vie ». Ce « nouvel ordre de
l'autre, le monde du "marché", de l'"action collective" ou vie » peut viser à des changements profonds ou, au
du "mouvement social", c'est-à-dire de la concurrence, du contraire, être inspiré par le désir de résister à des
surgissement, du devenir, de l'interaction non structurée, changements ; il peut impliquer des modifications de
désordonnée et aléatoire, de la fluidité, de l'égalité et de portée révolutionnaire ou ne viser que des enjeux très
l'absence de hiérarchie » [1992, p. 532]. Friedberg localisés. Les individus investis dans la défense concertée
souligne la « double erreur » qui fonde cette vision : d'une cause peuvent être ceux que l'anglais désigne par
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l'acronyme péjoratif de NIMBY (Not In My Back Yard – gardera cependant, là encore, de construire un clivage
« Pas dans ma cour ! » –, refusant une centrale nucléaire absolu. Les expériences mutualistes ou coopératives
ou une autoroute au seul motif qu'elle est près de chez gagnent à être analysées en lien avec les mouvements
eux) ou les porteurs de revendications plus sociaux, à l'égard desquels elles ont aussi souvent
« désintéressées », plus universelles, tels l'abbé Pierre ou constitué un complément qu'une alternative.
Lech Walesa.
Un mouvement social est-il nécessairement politique ? Il
La composante politique des mouvements sociaux faut définir cette notion pour y répondre. Il est possible,
comme cela fut le cas dans les années 1970, de
Les formes d'action collective concertée en faveur d'une considérer comme « politique » tout ce qui relève des
cause seront désormais désignées par « mouvements normes de la vie en société. La conséquence –
sociaux ». Ce parti pris permet de désigner une classe de revendiquée – d'une telle définition est que tout est
phénomènes d'une expression familière. Il vise surtout à politique, notamment les mouvements sociaux. La lutte
enrichir les premiers efforts de définition en introduisant pour une hausse de salaire ne soulève-t-elle pas la
dans ce concept un élément d'articulation à l' activité question de la répartition sociale des richesses ? Cette
politique. Comme a pu le souligner Touraine [1978], les définition comporte un mérite : celui de rappeler les
mouvements sociaux sont une composante singulière et rapports de pouvoir et de sens qui s'investissent dans les
importante de la participation politique. actes les plus banals du quotidien, de souligner la
possibilité de les changer par la mobilisation. Mais une
Une action « contre » conception qui met le politique partout rend impossible de
percevoir sa spécificité. L'éclairage retenu ici sera
Un mouvement social se définit par l'identification d'un différent. Prend une charge politique un mouvement qui
adversaire. Si des collectifs se mobilisent « pour » – une fait appel aux autorités politiques (gouvernement,
hausse de salaire, le vote d'une loi –, cette activité collectivités locales, administrations...) pour apporter, par
revendicative ne peut se déployer que « contre » un une intervention publique, la réponse à une revendication,
adversaire désigné : employeur, administration, pouvoir qui impute aux autorités politiques la responsabilité des
politique. Cette donnée implique d'attribuer un statut à problèmes qui sont à l'origine de la mobilisation.
part à toutes les formes d'action collective qui, tout en
répondant aux critères posés précédemment, visent à Mouvements sans adversaires ?
répondre à un problème ou à une revendication en
mobilisant au sein du groupe, et là seulement, les moyens La « marche blanche » belge, les manifestations contre le
d'y répondre. Ce registre du self-help s'est illustré en terrorisme de l'ETA en Espagne mais aussi les actions
particulier à travers le mouvement mutualiste et autour de l'humanitaire ou de l'antiracisme ont suscité
coopératif, par lequel le mouvement ouvrier, la l'interrogation sur la montée d'un nouveau style d'action
paysannerie, certains segments du secteur public ont collective, parfois désigné comme « mouvements de
développé une mobilisation originale visant à mettre sur solidarité » [Ibarra, 1999] ou « nouveaux mouvements
pied, à partir de cotisations volontaires des affiliés, des émotionnels » [Rihoux et Walgrave, 2000].
systèmes de protection contre la maladie, d'assurances,
des réseaux d'approvisionnement pour les besoins Ces mobilisations ont en commun une puissante
professionnels (engrais) ou la consommation familiale à composante émotionnelle d'indignation, de compassion.
des tarifs plus avantageux que ceux du marché privé. Une Leur structure organisationnelle est souvent très lâche.
telle mobilisation contourne le conflit frontal. Comme dans Elles peuvent aussi être caractérisées comme « sans
les expériences soixante-huitardes de « communautés » adversaires », soit qu'elles visent avant tout à aider des
analysées par Bernard Lacroix [1981], elle cherche au sein humains souffrants (humanitaire), soit que leurs cibles
du groupe les énergies et les ressources pour produire le soient consensuelles (le pédophile Dutroux et ses
« nouvel ordre de vie », refusant l'affrontement. On se complices), soit encore que ce qu'elles combattent (le
20
racisme) puisse difficilement être revendiqué dans Historien-sociologue américain, Charles Tilly a mis en
l'espace public [Juhem, 2001]. Ce caractère consensuel évidence [1976, 1986] la tendance historique à la
aboutit souvent à les faire bénéficier d'une couverture politisation des mouvements sociaux et ses racines. D'une
médiatique large et favorable qui a été une des clés du façon schématique, on peut suggérer que, dans le cas
succès de la gigantesque manifestation « blanche » de français, les processus de mobilisation demeurent
Bruxelles en 1996. essentiellement locaux jusqu'au début du XIXe siècle. Dans
une société rurale, régions et « pays » demeurent
L'essor de ces mouvements est révélateur de mutations faiblement connectés à un centre économique et politique
dans les formes de l'engagement : souci d'une action national [Weber, 1983]. Les mouvements sociaux se
concrète aux résultats visibles (Restaurants du cœur), concentrent alors en affrontements restreints à l'espace
malaise diffus visant le système politique (marche de communautés locales, souvent dans une logique de
blanche), valorisation par-delà les frontières de l'idée de face-à-face direct. La cible des protestations appartient le
commune humanité. On peut hésiter à y voir l'avant-garde plus souvent à un univers d'interconnaissance qui fait que
d'une forme stable et centrale de mouvements pour les l'adversaire est un individu connu avant d'être le
raisons mêmes qui font leur succès. La composante représentant d'une institution abstraite (firme,
émotionnelle engendre des mobilisations souvent administration).
éphémères. La distance revendiquée à toute prise de
position critique sur des enjeux politiques internes Deux processus vont bouleverser les conditions dans
fonctionne aussi comme un piège. S'ils prennent parti, ces lesquelles se développe l'activité protestataire. Il s'agit, en
mouvements perdent une part de leurs soutiens, et premier lieu, du mouvement de « nationalisation »
d'abord celui des médias (cas de SOS Racisme lors de la graduelle de la vie politique à travers l'unification
guerre du Golfe). En demeurant dans une neutralité administrative du territoire, l'essor du suffrage universel,
ostentatoire, ils s'interdisent la désignation de le renforcement du rôle de l'État. Le pouvoir politique
responsables et la formulation d'un programme de apparaît de plus en plus nettement comme le foyer de la
réponses qui seuls peuvent permettre à une mobilisation puissance, ce d'autant que l'extension du suffrage
d'aller au-delà de la capitalisation des indignations. s'accompagne du développement par le personnel
politique – républicain en particulier – de catalogues de
Les pratiques du site de vente en ligne Amazon, entravant promesses plus précises, plus étendues quant à leur objet
en 2014 les ventes de l'éditeur Hachette pour obtenir des [Garrigou, 1992]. Par ailleurs, la dynamique de la
rabais, ont suscité des réactions d'éditeurs et une révolution industrielle contribue à disloquer et à
mobilisation des auteurs. Pareille action au nom de la désenclaver les communautés locales, à soumettre les
liberté des créateurs et lecteurs, même relayée dans les activités économiques aux mécanismes abstraits du
médias, ne peut en soi être qualifiée de politique. Elle marché. Elle fait reculer simultanément le poids des
relève d'un conflit entre acteurs privés. Une politisation situations d'interconnaissance, des rapports de face-à-
des conflits autour des pratiques d'Amazon ne s'opère que face, éloignant physiquement et symboliquement les
lorsque – en France – une mobilisation des libraires figures de pouvoir de l'expérience quotidienne. Ces
amène les pouvoirs publics à prendre parti, à réglementer tendances lourdes se sont accompagnées d'un processus
ce qui apparaît comme des atteintes aux législations sur le d'élargissement des interventions étatiques. Pour une
prix unique ou la concurrence. Au-delà de cet exemple, on part, ce développement est le fait d'initiatives propres aux
posera comme principes d'une part que le caractère gouvernants et aux forces sociales dominantes pour
« politique » d'une mobilisation est affaire d'observation répondre à ce qu'ils perçoivent comme des besoins :
empirique, d'autre part qu'existe une tendance à la formation des cadres et de la main-d'œuvre par le
politisation par l'appel de plus en plus fréquent à système scolaire, lutte contre les « fléaux sociaux » par
l'intervention publique. des politiques d'hygiène et de santé publique. Pour une
autre part, ce développement est le fruit de mobilisations
Les tendances à la politisation des mouvements sociaux qui visent à obtenir, par le canal de la loi, des droits et
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protections que les rapports de forces qui président au dirigeants de Landerneau est de gérer localement, sur un
contrat de travail n'ont pu faire aboutir. C'est le processus registre corporatif qui laisse l'État hors du jeu, l'ensemble
d'invention du droit social. des problèmes et tensions que retraduisent dans d'autres
régions les partis politiques, de préserver par là le poids
Le résultat convergent de ces tendances est de produire et le rôle des élites rurales traditionnelles. Le modèle de
l'ubiquité de l'État. Intervenant plus et sur plus de choses, Landerneau – qui dominera le département jusqu'aux
plus visible, le pouvoir politique est de plus en plus perçu années 1960 – offre un cas d'usage dépolitisant des
comme le destinataire privilégié des protestations. Dès le structures coopératives. Elles œuvrent à monopoliser la
milieu du XXe siècle, les mouvements sociaux privilégient, gestion des problèmes sociaux qui font l'objet de politiques
spécialement en France, le recours à l'État jusque dans les publiques (politique agricole), à figer une société rurale
grands conflits du travail (accords Matignon de 1936 ; gérant ses tensions sans connexions au système politique
négociations de Grenelle en 1968). Inséparable de la national et aux partis disqualifiés comme facteurs de
construction de l'État social, cette logique de politisation division du monde paysan. « Le système corporatif met
va être confortée par d'autres données. sous le boisseau les tensions et les conflits d'idées et
d'intérêt », souligne Suzanne Berger dans son étude
significativement intitulée Les Paysans contre la politique.
Modèle coopératif et politisation Cet usage dépolitisant et conservateur du mouvement

coopératif n'est cependant ni une fatalité pour ce type
Le Finistère voit se développer à la fin du XIXe siècle un d'institutions, ni le mode obligatoire d'organisation du
système coopératif sophistiqué, fédéré à partir de 1911 par monde rural. Le développement du mouvement ouvrier
l'Office central de Landerneau. Le réseau coopératif ainsi dans les pays d'Europe du Nord s'est appuyé sur des
construit ne requiert pas de ses adhérents une réseaux de mutuelles et de coopératives de
participation intense. Il leur offre un ensemble de consommation. À l'époque même de l'apogée de
prestations qui visent à répondre à un maximum des « Landerneau », les paysans du département voisin des
problèmes que peuvent rencontrer les paysans. Côtes-d'Armor sont plus investis dans des mobilisations
Initialement concentrée sur un système d'assurances liées aux partis et aux enjeux politiques nationaux.
contre la perte du bétail, de points de vente où les L'hégémonie de « Landerneau » dans le Finistère même
agriculteurs peuvent acheter à moindre coût les engrais sera d'ailleurs remise en cause dans les années 1960 par
et produits nécessaires à leur activité, l'offre de service un mouvement social animé par de jeunes paysans
ira se diversifiant : commercialisation des produits des socialisés par la Jeunesse agricole chrétienne, beaucoup
exploitations, formation professionnelle, tentatives pour plus mobilisés, directement tournés vers une exigence de
imposer un modèle type de bail rural prévenant les réformes par l'État.
conflits entre fermiers et propriétaires. « Landerneau »
contrôle dans les faits les structures syndicales agricoles Sources : Berger [1975], Hascoët [1992].•
du département, canalisées dans sa logique corporatiste.
L'histoire même des mouvements sociaux passe par la
Promu par des catholiques sociaux, encadré par des coûteuse expérience des limites de victoires sectorielles,
aristocrates ruraux, ce registre paysan du self-help est et du raccourci corrélatif que représente le recours à
aussi pensé par ceux-ci comme un outil destiné à l'État. Les États-Unis, pourtant réputés dans les
préserver les équilibres de la société rurale traditionnelle, mythologies contemporaines être le monde des initiatives
à contenir la pénétration de l'État républicain dans les de la société civile, en donnent un exemple éclairant
campagnes. « Pendant cinquante ans, l'Office central a [Oberschall, 1973 ; McAdam, 1982]. Dans la lutte contre la
remplacé les services agricoles de l'État dans la région. ségrégation raciale dans les États du Sud, les
C'était comme s'ils n'avaient pas existé », note en 1960 un organisations noires des années 1950 vont au départ
responsable de la coopérative. Le projet explicite des construire des mobilisations locales, dont les enjeux
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consistent à faire reculer la ségrégation de façon Les politiques publiques sont une dimension centrale de
concrète sur les sites de conflit. La popularité de Martin l'activité gouvernementale. Elles sont aussi la résultante
Luther King doit ainsi beaucoup au long mouvement de du processus historique de division sociale du travail qui
boycott des bus scolaires réservés aux enfants noirs qu'il engendre une société de plus en plus sectorisée,
anime en 1955-1956 à Montgomery (Alabama). La fragmentée en micro-univers : recherche, santé publique,
dynamique du mouvement repose d'abord sur la diffusion transports, etc. Chacun de ces sous-univers tend à se
de ces mobilisations locales. Le 1er février 1960, un groupe réguler, à travers des processus de décision issus des
de jeunes Noirs d'un college local réalise le premier sit-in. négociations entre les administrations, groupes de
Ils s'assoient dans la partie réservée aux Blancs d'une pression, institutions qui lui sont propres. Ainsi, si la
cafétéria de Greensboro (Caroline du Nord) et refusent de définition des politiques agricoles s'est généralement
partir aussi longtemps qu'ils n'auront pas été servis. Deux achevée par un débat parlementaire et le vote de lois
mois plus tard, le nombre de sit-in dépasse les soixante- d'orientation qui reprenaient pour l'essentiel des choix
dix, dans quinze États. Malgré cela, les mobilisations issus des négociations entre hauts fonctionnaires du
locales se révèlent épuisantes et très coûteuses en ministère de l'Agriculture, syndicats paysans, chambres
énergie. Même lorsqu'elles aboutissent à la victoire, et d'agriculture, etc. Or, la juxtaposition de politiques
obligent un shérif ou un gérant de cafétéria à mettre un sectorielles nées d'univers sociaux compartimentés
terme à des pratiques racistes, ces luttes n'ont d'effet que n'aboutit pas magiquement à une politique globale
ponctuel. Les succès acquis dans un comté ne font que cohérente. Les dysfonctionnements d'un secteur social
rendre visibles ceux à arracher dans cent autres. La sont, en bien des cas, les effets indirects de politiques
stratégie du mouvement pour les droits civiques va donc publiques sur d'autres secteurs. Une part du « problème
se déplacer vers le pouvoir fédéral à Washington. Il s'agit des banlieues » actuel découle de politiques du logement à
désormais d'orienter les mobilisations vers une courte vue qui, dans les années 1960, ont stimulé l'accès
intervention fédérale sous la forme de lois, de décisions de à la propriété, avec des arrière-pensées électorales,
la Cour suprême qui interdisent les pratiques racistes aboutissant à des situations accrues de ségrégation
explicites ou larvées. Cet appel au pouvoir central évite la sociale dans l'habitat, d'aggravation des conditions de vie
dispersion du combat contre une quinzaine de législatures faute de politiques parallèles de maîtrise des
d'États fédérés, des centaines de shérifs. On voit par là en implantations d'emplois, des transports. Bref, le
quoi de simples considérations tactiques d'efficacité, nées développement des politiques publiques engendre... un
de l'expérience de la lutte, contribuent aussi à une besoin de politiques publiques plus rationnelles pour
tendance lourde à l'appel à l'État, à la politisation des réagir aux effets des choix dans d'autres secteurs.
mobilisations.
Le lien entre les politiques publiques et l'hypothèse de
Politiques publiques, opacité, politisation politisation tendancielle des mouvements sociaux est au
moins double. En stabilisant des espaces et des
D'autres données sont venues depuis l'après-guerre procédures de négociation, où les pouvoirs publics jouent
conforter ces évolutions. Elle découlent de la place prise un rôle clé, autour des enjeux propres à chaque micro-
par les politiques publiques, et des incidences des univers social, chaque politique publique suscite le désir
processus de construction européenne et de des groupes mobilisés d'être reconnus par telle ou telle
« globalisation » de l'économie. La notion de politiques bureaucratie étatique comme interlocuteur légitime pour
publiques [Muller, 1990] désigne l'action des autorités peser sur les décisions. Mais, surtout, les politiques
étatiques, lorsque celles-ci traitent de divers dossiers, publiques sont de formidables instruments d' opacité. Elles
par opposition à la politique comme lutte pour l'exercice fonctionnent pour les profanes dans ce qui est la
du pouvoir. Plus explicite, l'anglais oppose les policies – pénombre de marchandages entre des groupes aux sigles
politique agricole, politique énergétique, etc. – aux politics mystérieux. Les phénomènes d'internationalisation (OMC,
des programmes électoraux et des stratégies partisanes. Union européenne) multiplient les partenaires, éloignent
spatialement le site et les acteurs de la décision, suscitent
23
un sentiment d'illisibilité, d'opacité des choix. Des à travers la transformation d'une organisation de type
questions en apparence aussi simples que « Qui a syndical en mouvement politique, un relais au sein du
décidé ? » « Où ? » « Quand ? » « Pourquoi ? » prennent Parlement qui leur donne un pouvoir direct d'élaboration
la forme d'énigmes. Faute d'un adversaire identifiable, des lois les concernant. Quand les associations des
d'une lisibilité des phénomènes qui les affectent, les familles de victimes du sida à la suite de transfusions
groupes et organisations se tournent vers les autorités sanguines utilisent l'arène judiciaire, elles y investissent
politiques, perçus comme le seul « guichet » accessible, des ressources – de l'argent, la capacité d'ester en
comme le siège d'un savoir et d'un pouvoir d'action – au justice que donne la loi de 1901 sur les associations. Elles
demeurant revendiqués en période électorale – sur un en retirent des ressources comparables à celles qu'elles
monde complexe, des autorités lointaines et avaient investies – de l'argent sous forme
supranationales. Le mouvement des marins-pêcheurs au d'indemnisations – et, de façon plus essentielle pour elles,
printemps 1993, lié à une chute des cours du poisson, un gain symbolique à travers la reconnaissance par les
aggravée par des importations de pays non membres de tribunaux d'une faute, les sanctions qui frappent des
l'Union européenne, pouvait malaisément trouver un autorités jugées coupables.
adversaire proche et identifiable. Affectés eux-mêmes par
cette crise, les mareyeurs de villes portuaires ne L'arène des conflits sociaux
pouvaient s'en voir imputer la responsabilité. Les
réglementations élaborées à Bruxelles par une Les mouvements sociaux peuvent utiliser les arènes
administration lointaine, sans visage et au fonctionnement sociales institutionnalisées : médias, tribunaux, élections,
mystérieux se prêtaient mal à l'identification d'un Parlement, conseil municipal. Mais en rester à cette
adversaire auquel la confrontation soit possible. Il n'est observation ferait passer à côté d'un trait essentiel des
alors pas étonnant que les interviews de pêcheurs mouvements sociaux. À travers la palette des actions
publiées par la presse fassent une large place à un protestataires, ils sont aussi les producteurs d'une arène
sentiment de complot contre la pêche française, à spécifique : l'arène des conflits sociaux à travers les
l'évocation de mystérieuses influences internationales. On grèves, manifestations, boycotts, campagnes d'opinion.
comprend aussi le réflexe de la profession : se tourner L'un des traits singuliers de cette arène est de fonctionner
vers le seul « guichet » à la fois proche, identifiable et comme un espace d'appel, au double sens du terme.
présumé efficace, le ministre français de tutelle. L'appel vaut littéralement comme cri, comme demande de
réponse à un problème. Il vaut aussi au sens judiciaire de
Une arène non institutionnelle ? recours à une juridiction plus élevée pour obtenir la
modification d'un premier verdict tenu pour injuste. En
En s'inspirant librement de Stephen Hilgartner et Charles faisant appel – au sens de demande – à la mobilisation, à
Bosk [1988], on définira une arène comme un système l'opinion publique, le mouvement social fait aussi appel –
organisé d'institutions, de procédures et d'acteurs dans au sens judiciaire – de ce qu'il perçoit comme un refus de
lequel des forces sociales peuvent se faire entendre, l'entendre ou de lui donner satisfaction au sein des arènes
utiliser leurs ressources pour obtenir des réponses – institutionnelles classiques. L'acquittement en 1992 des
décisions, budgets, lois – aux problèmes qu'elles policiers de Los Angeles qui s'étaient rendus coupables du
soulèvent. Deux éléments sont à souligner. Une arène est tabassage de l'automobiliste noir Rodney King va
un espace de mise en visibilité et de traitement d'un provoquer en quelques heures d'énormes émeutes dans
dossier considéré comme problème social. Les arènes les quartiers noirs. Cette mobilisation aura pour effet en
reposent sur des processus de conversion de ressources. retour de contraindre les pouvoirs publics à une
Investir dans une arène, c'est y viser, à l'issue du réouverture de l'arène judiciaire ; à un nouveau procès au
processus des gains, l'acquisition de ressources ou de terme duquel les comportements racistes du Los Angeles
pouvoirs dont on ne disposait pas au début. Lorsque les Police Department seront en partie sanctionnés. Elle
travailleurs indépendants du mouvement Poujade aboutit aussi, à travers la mise sur pied d'une énième
investissent en 1956 l'arène électorale, ils visent à obtenir, commission d'enquête sur les troubles raciaux, à
24
réintroduire dans l'ordre du jour des médias et des dans un espace national. Des agriculteurs âgés peuvent
autorités municipales et fédérales les questions liées aux être en position dominée et dépassée dans leur univers
tensions entre groupes ethniques, aux politiques de la ville professionnel et se trouver au centre de réseaux de
[Baldassare, 1994]. C'est aussi l'interconnexion des arènes sociabilité et de pouvoir lors des élections au village. La
qui ressort ici, la fonction de l'arène des mouvements notion de domination est relationnelle, ne préjuge pas des
sociaux comme espace d'accès aux arènes formes plurielles de ce rapport de forces.
institutionnelles.
Une autre simplification, soulignée par Michel Offerlé
Ce schéma d'analyse contient des présupposés qui [1994], consisterait à construire une dichotomie rigide
gagnent à être explicités. Décrire les mouvements sociaux entre l'univers – suspect – des mouvements sociaux et
comme producteurs d'une arène singulière où s'expriment celui – plus présentable – des groupes de pression. Ce
des revendications qui ne trouvent pas accès ou solution serait laisser échapper les éléments de continuité et de
dans les arènes plus institutionnalisées, comme les recouvrement entre ces deux catégories qu'il faut penser
parlements, les ministères, la presse, revient à identifier sur le mode d'un dégradé de situations. Un mouvement
les mouvements sociaux aux seules mobilisations des social qui dure et réussit tend à se cristalliser en groupe
groupes « dominés », « exclus », « marginaux », pour de pression. Il dispose alors – l'institutionnalisation du
emprunter au lexique de la mise à l'écart. Pareille syndicalisme en est une illustration – d'accès routinisés
description risque de tomber dans le piège que signalait aux sites de discussion et de décision sur les politiques
Friedberg : opposer un univers de l'institutionnalisé, de publiques. Parmi les effets de cette inclusion dans le
l'organisé, régi par des règles et des procédures fermes, cercle des partenaires légitimes figurent une moindre
à l'effervescence créatrice et confuse des mouvements contrainte à mobiliser en permanence pour construire des
sociaux. rapports de force, l'insertion aussi dans un autre régime
de discussion – feutré, entre des portes closes – qui
Un registre d'action dominé ? requiert un travail moins intense de prise à témoin et de
mobilisation de l'opinion publique. On peut paradoxalement
Faut-il considérer que les mouvements sociaux sont, par tirer de cette observation que l'action revendicative de la
essence, les armes des faibles en quelque sorte réduits à « rue », décriée au nom de la démocratie représentative,
manifester et à faire grève faute de pouvoir être entendus est au moins contrainte d'argumenter publiquement dans
par des voies plus institutionnelles ? Une telle vision peut l'espace public, impératif qui pèse moins sur des lobbies
aboutir à des simplismes. Une conception essentialiste de assurés d'être consultés et écoutés. La limite de cette
la « domination » pourrait y conduire. Existeraient alors observation tient à ce que, lorsque les négociations dans
des groupes assignés en permanence au triste statut de la discrétion des bureaux ministériels cessent de leur
dominés, à l'obéissance dans tout rapport de pouvoir. La permettre d'être entendus, ces groupes de pression
diversité des formes de domination est un fait que basculent vers d'autres pratiques. La presse est riche en
l'expérience comme l'héritage de la sociologie, depuis placards publicitaires des industries pharmaceutiques et
Marx et Weber, se conjuguent pour illustrer et expliquer. professions protégées lorsque leurs revenus ou statuts
Que des groupes (ouvriers, populations colonisées, etc.) sont mis en cause.
subissent, en des moments historiques donnés, un cumul
de situations de domination économique, culturelle, On peut donc formuler une réponse à la fois claire et
politique constitue un fait objectivable. Mais si les formes nuancée. Oui, les mouvements sociaux constituent
de la domination sont plurielles, elles n'existent aussi que tendanciellement une arme des groupes qui, dans un
relationnellement. Parler sociologiquement de domination espace-temps donné, sont du mauvais côté des rapports
suppose d'en réintroduire les protagonistes dans des de force. Une affinité structurelle existe entre les dominés
réseaux structurés d'interdépendances. Les négociants et ces prises de parole plus conflictuelles, moins intégrées
d'une cité portuaire peuvent être « dominants » dans aux processus décisionnels. Mais cette arme est aussi
l'espace local, quantité négligeable et par là « dominés » chère aux « dominés des dominants », aux ressortissants
25
des mondes culturels et intellectuels, auxquels leurs variations elles-mêmes ne sont jamais erratiques. Elles
ressources permettent d'inventer des modes de dépendent d'abord des particularités du groupe mobilisé.
protestation originaux ou médiatiques. On précisera Une profession aux effectifs restreints, comme les avoués
encore que, lorsqu'ils estiment que les voies habituelles de lors de la réforme des professions de justice, préférera
la concertation leur sont défavorables et leurs intérêts une campagne de presse ou un travail de lobbying à la
stratégiques menacés, des groupes socialement riches en manifestation qui sollicite le poids du nombre. Le monde
ressources peuvent se risquer à des mobilisations étudiant, avec ses amphithéâtres qui paraissent
protestataires. L'improbabilité des meetings de traders ou prédestinés à un tel usage, se prêtera davantage au rituel
des sit-in de P-DG dit qu'ils ont d'autres outils pour se des assemblées générales quotidiennes que le milieu
faire entendre. Mais qui aurait anticipé ces paysan, avec son habitat souvent dispersé, sa moindre
rassemblements des notaires de l'automne 2014, dont les propension aux joutes verbales sans fin.
marinières « notariat made in France » faisaient clin d'œil
au ministre Montebourg, scandant « Nous ne sommes pas Plus profondément, l'apport de Tilly est, à nouveau, de
des rentiers ! » sur bande-son de Daft Punk, en réponse à réintégrer le temps long dans l'analyse des mouvements
un projet de réorganisation de la profession ? sociaux. La construction des États et le développement du
capitalisme engendrent la politisation des mouvements
Instituer l'action collective : répertoires et sociaux. Ils affectent aussi leurs répertoires d'action
organisations collective. L'analyse de Tilly consiste à cerner dans un
premier temps les répertoires typiques d'avant la
Tilly a élaboré [1986] la notion de « répertoire d'action révolution industrielle, quand les communautés
collective » pour suggérer l'existence de formes villageoises ou urbaines sont encore peu marquées par
d'institutionnalisation propres aux mouvements sociaux. une nationalisation systématique des enjeux sociaux. Trois
« Les individus concrets ne se retrouvent pas pour traits se dégagent alors. Les actions protestataires se
l'Action collective. Ils se rassemblent pour adresser une déploient dans l'espace local, vécu, celui de la
pétition au Parlement, organiser une campagne d'appels communauté. Elles fonctionnent souvent par détournement
téléphoniques, manifester devant la mairie, détruire des ou parasitage de rituels sociaux préexistants. Dans son
métiers à tisser mécaniques, se mettre en grève » [Tilly, étude sur le Var sous la Restauration, Maurice Agulhon
1976, p. 143]. Les groupes mobilisés puisent dans des [1970] montre comment ce registre permet aux paysans
répertoires disponibles qui leur offrent des genres, des d'exprimer symboliquement des revendications ou des
mélodies. Tilly précise sa métaphore en évoquant le jazz, attentes politiques, par des violences exercées contre un
où l'existence d'un répertoire de standards n'est jamais mannequin de paille dont le costume évoque celui des
exclusive d'improvisations sur les thèmes disponibles. autorités, ou lors de parodies de procession où l'effigie du
saint local est remplacée par le buste d'un personnage
L'empreinte de l'Histoire politique. La dimension du patronage constitue une
troisième donnée de ces répertoires précapitalistes. Les
Le sens de la métaphore est clair. Tout mouvement social groupes mobilisés cherchent le plus souvent le soutien
est confronté à une palette préexistante de formes d'un notable local, soit comme intercesseur auprès
protestataires plus ou moins codifiées, inégalement d'autorités plus lointaines, soit comme protecteur contre
accessibles selon l'identité des groupes mobilisés. La d'autres membres de la communauté. Edward Thompson
manifestation, la réunion publique sont des formes [1993] a montré combien les débordements qui
routinisées d'expression d'une cause, d'une revendication. accompagnaient les fêtes villageoises anglaises, sous
Elles sont aussi susceptibles d'infinies variations. Certains forme d'attaques contre les maisons des non-
organisateurs de manifestations sont ainsi devenus de conformistes religieux, reposaient sur la collusion
véritables experts en organisation de happenings colorés bienveillante entre paysans et représentants de la gentry,
où le défilé peut être accompagné d'orchestres, de pourtant investis des missions de police.
distribution de produits du terroir chez les paysans. Ces
26
Vers le milieu du XIXe siècle, ce répertoire va subir un n'y est pas étrangère, des formes plus intellectualisées,
ensemble de modifications lentes mais radicales. Il se plus abstraites : programmes et slogans l'emportent sur
dégage d'abord des frontières de l'espace local pour l'usage de symboles. Les registres expressifs du
élargir ses horizons d'action : grèves et mobilisations mécontentement cessent graduellement d'être dérivés de
nationales, revendications portées vers le pouvoir central. rituels sociaux préexistants pour (ré)inventer des formes
La protestation acquiert également une autonomie d'action pleinement originales comme la grève, la
croissante, elle s'émancipe du patronage des notables ou manifestation. La mutation à long terme des répertoires
du clergé, se trouve prise en charge par des organisations peut aussi se penser comme marquée par un processus
ad hoc (syndicats, associations). Elle prend de pacification, de recul et de maîtrise de l'usage de la
simultanément, et l'influence des compétitions électorales violence par policiers et protestataires.
Les répertoires d'action collective
Source : à partir de Tilly [1986].•

La problématique de Tilly doit s'interpréter avec internationales et experts. Mais cette possible mutation
souplesse. Le changement des répertoires est rarement viendrait confirmer que les mouvements sociaux
un événement brutal et datable. Les répertoires peuvent connaissent des dimensions d'institutionnalisation, des
se survivre, se superposer. L'Inde contemporaine permet régularités. La question de l'organisation en est une autre
ainsi d'observer dans le même espace-temps des formes facette.
d'action collective propres au syndicalisme moderne, et
l'activation régulière de mobilisations par lesquelles La question de l'organisation
hindous et musulmans se provoquent et s'affrontent en
utilisant à cette fin les rituels religieux de procession Des mouvements sociaux peuvent émerger sans que des
[Jaffrelot, in Martin, 2002]. Les classements de Tilly ne organisations préexistantes en soient les initiatrices.
sont pas figés pour l'éternité. On verra (chapitre VII) Même les plus soupçonneux d'une influence des
qu'émerge peut-être un répertoire de troisième « islamistes » n'ont pu trouver un lien d'impulsion et de
génération, internationalisé, reposant sur l'expertise coordination aux émeutes de la banlieue nord de Paris à
mêlant en réseaux mouvements sociaux, ONG l'automne 2005 [Mauger, 2006]. Mais tel n'est pas le cas
27
le plus habituel. Tout mouvement social qui tente de de domestication des mouvements sociaux rappellent
s'inscrire dans la durée pour atteindre des objectifs est qu'entre un mouvement social et un groupe de pression la
confronté à la question de l'organisation. L'existence d'une différence n'est pas toujours de nature, mais peut aussi se
organisation qui coordonne les actions, rassemble des penser en termes de trajectoire, de moments d'une
ressources, mène un travail de propagande pour la cause institutionnalisation toujours possible, jamais inéluctable.
défendue ressort comme une nécessité pour la survie du
mouvement, ses succès. William Gamson [1975] en donne Piven et Cloward : une sociologie spontanéiste des
une preuve convaincante à partir d'une étude sur mouvements de « pauvres » ?
cinquante-trois mobilisations aux États-Unis entre 1800 et
1945. Il définit une norme de « bureaucratisation » des Dans Poor People's Movements , Frances Fox Piven et
mouvements à partir de critères tels que l'existence de Richard Cloward [1977] analysent divers mouvements
statuts écrits, la tenue d'un fichier des adhérents, une sociaux au sein des couches les plus déshéritées de la
organisation structurée en plusieurs échelons société américaine : chômeurs et ouvriers des années
hiérarchiques. Les mouvements sociaux dotés d'une telle 1930, mobilisations noires pour les droits civiques, luttes
organisation parviennent, dans 71 % des cas, à être pour les droits sociaux. Ils y relèvent le souci constant des
reconnus par leurs interlocuteurs contre 28 % pour les cadres militants de structurer la protestation par une
mouvements moins organisés. Dans 62 % des cas, ils font forte organisation et dressent un bilan très critique de
aboutir une partie au moins de leurs revendications, cette orientation. « Quand les travailleurs se lancent dans
contre 38 % pour les mobilisations moins organisées. Les les grèves, les organisateurs vendent des cartes
chiffres montrent encore qu'une organisation centralisée, d'adhérent, quand les locataires refusent de payer les
mais surtout unie, se révèle plus efficace. loyers et résistent aux policiers, les organisateurs
forment des comités d'immeuble, quand des gens brûlent
En pratique, l'immense majorité des mouvements sociaux et pillent, les organisateurs profitent de ces "moments de
est structurée par des formes plus ou moins rigides folie" pour rédiger des statuts [...]. Les organisateurs
d'organisation : relais partisans, syndicats, associations, n'ont pas seulement échoué à tirer profit des occasions
coordinations, rôle central dévolu à des animateurs. Mais données par la montée de l'agitation, ils ont typiquement
ce constat laisse ouvert un débat relatif aux formes de agi en freinant ou limitant la force dévastatrice que les
l'organisation. Robert Michels [1914] a théorisé, à partir du plus défavorisés étaient parfois capables de mobiliser [...].
cas des partis sociaux-démocrates de la IIe Le travail de construction des organisations tendait à faire
Internationale, une « loi d'airain de l'oligarchie » qui abandonner la rue aux gens pour les enfermer dans des
aboutirait inévitablement à la confiscation du pouvoir par salles de réunion [...]. Pour l'essentiel, les organisateurs
les permanents et notables, à l'assignation des adhérents tendent à agir contre les explosions sociales parce que,
à un rôle passif, à l'affadissement de la combativité des dans leur quête de ressources pour maintenir leurs
grandes organisations soucieuses de ne pas mettre leurs organisations, ils sont irrésistiblement conduits vers les
structures en péril. Ces thématiques parcourent les élites, et vers les soutiens matériels et symboliques
débats dans les mouvements sociaux. Elles ne débouchent qu'elles peuvent fournir. Mais les élites ne lâchent ces
pas tant sur la négation de l'impératif organisationnel que ressources que parce qu'elles comprennent que c'est la
sur la quête de formes d'organisation capables de construction des organisations, pas l'agitation, qui importe
conjurer ces périls : refus de la subordination aux partis aux organisateurs » (p. XXI-XXII).
dans l'anarcho-syndicalisme, rotation des cadres et élus
dans les organisations écologistes, émergence des Piven et Cloward ne prétendent pas produire une théorie
coordinations (Kergoat, Imbert et Le Doaré [1992] sur le générale de la « bonne » organisation, mais une réflexion
mouvement des infirmières de 1988). Les mouvements sur les mobilisations des « pauvres ». Elle repose sur
sociaux ne sont donc nullement au pôle d'une pure trois arguments. Le premier est le plus contestable
expressivité, d'un refus de toute organisation. Le débat sur empiriquement. Il consiste à souligner que les
l'organisation, les stratégies possibles de légalisation ou mobilisations des défavorisés éclatent spontanément. Les
28
deux autres ont trait aux réactions des élites menacées. Hanspeter Kriesi [1993] propose une approche dynamique
Celles-ci cherchent alors des interlocuteurs organisés de la notion de mouvement social qui peut être un bon outil
auxquels faire des concessions. Elles oublient promesses d'analyse. Il s'agit de construire un espace des
et interlocuteurs dès que la menace décline. organisations et investissements militants liés aux
mobilisations à partir de deux variables. La première a
Ces deux sociologues ont été eux-mêmes des trait au degré de participation des adhérents. Il peut aller
organisateurs de premier plan du mouvement des welfare du militantisme le plus activiste à une adhésion formelle
rights dans les années 1960. Leur thèse, inséparablement réduite au paiement d'une cotisation. Une seconde variable
militante et sociologique, n'est donc pas un refus du concerne l'orientation des organisations : visent-elles un
principe de l'organisation. Elle suggère davantage une objectif d'influence sur des autorités publiques ou privées
organisation à deux niveaux. Au plan local, des structures pour obtenir des réformes ou des gains ? Visent-elles, à
souples et décentralisées, usant de méthodes d'action l'inverse, à offrir aux adhérents des prestations et
offensives, voire illégales, pour maintenir une mobilisation services (coopérative de consommation, club de loisirs) ?
en développant une action continue, marquée par des
résultats tangibles, auprès des interlocuteurs directs Se dessine alors un espace à quatre zones (cf. schéma).
(services publics). La force accordée à un illégalisme de Le quadrant inférieur droit correspond à notre définition
masse est ici essentielle. À un second niveau, une du mouvement social, il pourrait s'illustrer dans les
« organisation d'organisateurs » (p. 284) faite de mobilisations des printemps arabes. Le quadrant inférieur
travailleurs sociaux, de religieux, d'étudiants aurait une gauche regroupe à la fois les organisations qui se donnent
tâche de coordination, d'élaboration d'une stratégie des missions de représentation politique d'un groupe ou
nationale. Cette semi-professionnalisation de la structure d'un mouvement (on peut penser aux partis « sociaux
de coordination vise à prévenir la perte d'énergie militante démocrates », comme le Labour britannique, initialement
de la base dans des luttes de pouvoir internes, dans un issus du mouvement syndical) et des groupes de pression
lobbying soucieux de respectabilité – et par là ayant accès aux lieux de décision politique. Le quadrant
défavorable aux actions illégales – pour se faire supérieur gauche regroupe les organisations qui, sans
reconnaître des autorités. Jugé potentiellement être forcément sous le contrôle d'un mouvement, lui
manipulateur par une majorité des cadres du mouvement, apportent une aide logistique (maisons d'édition ou
ce second volet sera récusé, au profit d'une organisation imprimeries « amies » d'un mouvement, think tanks
centralisée classique qui produira les effets dénoncés par alimentant un groupe de leur réflexion). Enfin, le quadrant
Piven et Cloward et leur interdira de soumettre leur thèse supérieur droit regroupe les organisations de self help qui
à une vérification pratique. mobilisent l'énergie des adhérents ou proches d'un
mouvement pour apporter des services individuels : il peut
Espaces des mouvements sociaux s'agir de conseils juridiques contre la répression (Secours
Le modèle de Kriesi Rouge), de coopératives offrant des outils, des
assurances, de clubs de loisirs ciblant les membres d'un
mouvement.
Une typologie des organisations liées au mouvement social
Source : d'après Kriesi [1993].•
29
Interdépendances et trajectoires La notion d'espace des mouvements sociaux a été reprise

plus récemment par Mathieu [2012], dans une acception
Loin de dissoudre la notion de mouvement social dans un autre. Le recadrage théorique valorise ici d'abord une
ensemble mou, ce schéma attire l'attention sur le fait que revendication d'autonomie des mouvements sociaux. La
la force des mouvements sociaux stricto sensu peut aussi voie de l'institutionnalisation, la simple connexion à un
venir de leur capacité à se doter durablement de relais parti politique suscitent une défiance inédite. Plus encore,
politiques, d'outils logistiques, de services qui fidélisent les beaucoup de mouvements sont interconnectés, créent des
adhérents. Le « mouvement ouvrier » structuré autour coalitions, se font concurrence sur la même cause,
des partis communistes ou sociaux-démocrates en fut un s'empruntent des mots d'ordre, des « cadres », des
exemple jadis. L'analyse du Medef par Offerlé [2013] en formes d'action. Leurs succès et reculs sont plus d'une
confirme l'actualité. La force de l'organisation patronale fois concomitants. On gagne à les penser comme un
vient aussi de ce que, par un écheveau de mouvements et système avec de fortes interdépendances. Cette vision
structures proches ou connectés, elle sait à la fois relationnelle des mobilisations, illustrée par Baptiste
organiser les patrons, leur rendre des services pratiques, Giraud sur les conflits du travail [2009], contribue aussi à
créer des lieux de sociabilité où ils se rencontrent. Le faire tomber l'invisible barrière qui a longtemps refoulé le
modèle permet en second lieu de penser ce que Kriesi syndicalisme sinon comme un intrus, du moins comme une
nomme trajectoires. Un mouvement social peut se sorte de cousin trop peu déluré ou un monde trop
« convivialiser », déplaçant le centre de ses énergies de la institutionnalisé pour être inclus dans le cercle des
mobilisation à l'entretien d'une sociabilité chaleureuse mouvements sociaux. L'exploration des formes
entre ses sympathisants, cultivant un entre-soi qui finit contemporaines de la conflictualité au travail, où seule la
par primer sur l'agir. Il peut se « commercialiser », cécité peut identifier le recul de la grève au consensus,
devenant avant tout un prestataire de services (combien constitue précisément un terrain passionnant pour saisir
d'adhérents savent qu'« assureur militant » n'est pas le changement des répertoires, les conditions sociales de
qu'un slogan publicitaire, mais la référence à la création gestion de l'insatisfaction, les effets du travail sur les
de la MAIF par des syndicalistes enseignants contre les engagements hors travail. Enfin, la notion d'espace n'est
grandes compagnies privées ?). Il peut aussi pas que métaphorique. Les mobilisations se développent
s'institutionnaliser, devenant groupe de pression ou parti, dans une géographie, des espaces marqués par une
revenant éventuellement à la case mobilisation si diversité de stratifications sociales, d'histoires locales, de
l'opération échoue, comme le montrent les étonnantes protagonistes. Encourager des comparaisons entre sites
métamorphoses du mouvement paysan Samobroona dans (y compris ceux où rien ne se passe) quand un même
la Pologne postcommuniste [Pellen, 2013]. Il peut enfin se risque ou changement s'y exprime permet aussi de faire
radicaliser, jouant son va-tout sur la seule confrontation. avancer la connaissance des situations qui inhibent la
mobilisation [McAdam et Schaffer Boudet, 2012].
30
James C. Scott, « Infra-politique des groupes

subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29
En règle générale, quand on veut dévaluer la grande comme nous l’avons vu, que cette lutte est invisible : elle
histoire politique, on fait appel aux grandes structures correspond à un choix tactique né d’une conscience
économiques ou sociales qui dépossèdent encore un prudente de l’équilibre des pouvoirs. La proposition faite
peu plus ceux qui étaient déjà exclus de la première. ici est identique à celle de Léo Strauss lorsqu’il dit que la
En 1990, dans Domination and the Arts of Resistance : réalité de la persécution doit modifier notre lecture de la
Hidden Transcripts, l’anthropologue James C. Scott philosophie politique classique : « La persécution ne peut
prenait le parti inverse : montrer que sous les formes empêcher l’expression publique de la vérité hétérodoxe,
publiques de domination et de révolte spectaculaire car un homme dont la pensée est indépendante peut
existe toute une infra-politique cachée et obéissant à exprimer ses opinions en public et demeurer sain et sauf
d’autres règles, qui, en vérité, constitue peut-être du moment qu’il le fait avec prudence. Il peut même les
l’essentiel de la vie politique des dominés. Extraits du imprimer sans pour autant courir le moindre danger, du
chapitre VII. moment qu’il est capable « d’écrire entre les lignes »
 [1]. » Le texte que nous interprétons dans le cas présent
« Les formes culturelles ne disent peut-être pas ce n’est pas Le Banquet de Platon mais plutôt la lutte
qu’elles savent, ne savent peut-être pas ce qu’elles disent, culturelle voilée et l’expression politique de groupes
mais elles font ce qu’elles ont l’intention de faire — à tout subalternes, qui ont toute raison de craindre d’avancer
le moins dans la logique de leur pratique. » leurs opinions à découvert. Le sens du texte, dans les deux
cas, est rarement simple et direct. Il est souvent censé
Paul Willis, Learning to Labour communiquer une chose aux initiés et autre chose aux
autorités et aux non-initiés. L’interprétation en est quelque
« [L’exécution du hallebotage après les vendanges] peu facilitée, quand nous avons accès au texte caché  [2]
exaspéra les esprits au dernier point ; mais il existe un si (analogue aux notes et conversations secrètes du
grand espace entre la classe qui se courrouçait et celle philosophe), ou bien à l’expression d’une opinion plus
qui était menacée, que les paroles y meurent, on ne imprudente (analogue aux textes postérieurs produits
s’aperçoit de ce qui s’y passe que par les faits, elle dans des conditions plus libres). Sans ces textes
travaille à la manière des taupes. » comparatifs, nous sommes obligés de chercher des
significations non innocentes en recourant à notre savoir
Balzac, Les paysans culturel — tout comme le ferait un censeur expérimenté !
Dans le domaine des sciences sociales où les néologismes Le terme infra-politique est, je crois, approprié pour une
sont déjà légion, d’aucuns diraient envahissants, on hésite autre raison. Quand on parle de l’infrastructure dans le
à en inventer un de plus. Le terme infra-politique, domaine du commerce, on pense immédiatement aux
cependant, semble être approprié pour évoquer l’idée que moyens qui rendent un tel commerce possible : par
nous avons affaire à un domaine discret de la lutte exemple, les moyens de transport, les opérations
politique. Pour des sciences sociales habituées aux bancaires, les devises, les droits immobiliers et
politiques relativement transparentes des démocraties contractuels. De la même manière, j’ai l’intention de
libérales et aux contestations, manifestations et rebellions montrer que l’infra-politique que nous avons examinée
bruyantes qui font la une des journaux, la lutte fournit une grande partie des bases culturelles et
circonspecte menée quotidiennement par des groupes structurelles de l’action politique plus visible sur laquelle,
subalternes se situe, tels des rayons infrarouges, au-delà généralement, nous avons jusqu’à maintenant porté notre
du spectre visible. C’est en grande partie à dessein,
31
attention. La majeure partie de ce chapitre est consacrée dissipant les énergies collectives à l’occasion de discours
à soutenir cette thèse. et de rituels relativement inoffensifs  [3]. »
Tout d’abord, je reviendrai brièvement sur l’idée très Les arguments qui plaident en faveur d’une telle
répandue selon laquelle le discours « en coulisse » des interprétation « hydraulique » des paroles de défi qui, tel
« sans pouvoir » est soit une vue politique creuse, soit, et un fleuve en crue, seraient détournées vers des zones
pis encore, un substitut à toute résistance réelle. sans valeur, sont renforcés, comme nous l’avons fait
remarquer, lorsque ces paroles sont essentiellement
Une fois pointées certaines des difficultés logiques liées à orchestrées ou mises en scène par les groupes
ce raisonnement, j’essaierai de montrer comment la dominants. Carnavals, saturnales et, plus généralement,
résistance symbolique et matérielle fait partie d’un même tout rite de renversement encadré, en sont les exemples
ensemble de pratiques interdépendantes. Pour cela, il faut les plus criants. Jusqu’à il y a peu, l’interprétation qui
souligner à nouveau l’importance de l’idée que la relation prédominait de l’agression ritualisée ou du renversement
entre les élites dominantes et les subalternes ressemble était que le fait de jouer la comédie pour se débarrasser
souvent, entre autres, à une lutte matérielle dans laquelle de tensions engendrées par les relations sociales
les deux parties cherchent inlassablement à trouver leurs hiérarchisées servait à renforcer le statu quo. Des
faiblesses et à exploiter leurs petits avantages. En guise penseurs aussi différents que Hegel et Trotski
de récapitulation d’une partie de mon propos, j’essaierai considéraient ces cérémonies comme des forces
finalement de montrer que chaque domaine de résistance conservatrices. Les analyses influentes de Max Gluckman
publique à la domination est suivi de près par une sœur et de Victor Turner soutiennent qu’en pointant une égalité
jumelle infra-politique, qui poursuit les mêmes buts essentielle, si brève fût-elle, parmi tous les membres de la
stratégiques, mais dont la discrétion est mieux adaptée société, et en illustrant, ne fût-ce que rituellement, les
pour résister à un adversaire susceptible de remporter dangers du désordre et de l’anarchie, ces cérémonies ont
une bataille ouverte. pour fonction de souligner la nécessité d’un ordre
institutionnalisé  [4]. Pour Ranajit Guha  [5], c’est
Le texte caché : une posture vaine ? précisément parce qu’ils sont autorisés et prescrits par
les dominants que les effets des rituels de renversement
Un sceptique pourrait tout à fait accepter une grande sont au service de l’ordre. Permettre aux groupes
partie des arguments évoqués jusqu’ici et cependant subalternes de jouer à la rébellion à des périodes, et dans
minimiser leur signification dans la vie politique. Même le cadre de règles spécifiques, permet d’éviter de bien
lorsqu’il se dissimule dans le texte public, le texte caché plus dangereuses formes d’agression.
n’est-il pas un simple point de vue, une posture politique
creuse rarement exprimée avec sérieux ? Cette façon de Dans sa description des congés donnés aux esclaves dans
voir les choses semble signifier qu’exprimer une le sud des États-Unis d’avant la Guerre de Sécession,
agression contre une figure dominante à l’abri de tout Frederik Douglass, lui-même esclave, a recours à la même
danger a une fonction de substitut — certes insatisfaisant métaphore. Son raisonnement, cependant, est légèrement
— à ce qu’elle vise réellement : l’agression directe. Au différent :
mieux, elle a peu ou pas de conséquence, au pire c’est une
dérobade. Les prisonniers qui passent leur temps à rêver « Avant les vacances, on se réjouit des plaisirs à venir.
de la vie au-dehors feraient mieux de creuser un tunnel ; Après les vacances, ces plaisirs deviennent plaisirs du
les esclaves qui chantent la libération et la liberté feraient souvenir et servent à tenir éloignés des pensées et des
mieux de prendre leurs jambes à leur cou. souhaits d’une nature plus dangereuse. Ces vacances sont
des fils conducteurs ou des soupapes de sécurité qui
Barrington Moore écrit : « Rêver de libération et de permettent de désamorcer les éléments explosifs
vengeance peut contribuer à préserver la domination en inséparables de la pensée humaine quand on est réduit à
l’état d’esclave. Sans elles, rigueurs et servages
32
deviendraient insupportables et l’esclave serait La logique de la thèse de la soupape de sécurité repose
inévitablement si désespéré qu’il en deviendrait dangereux sur la proposition socio-psychologique selon laquelle
 [6]. » l’expression de l’agression en coulisses — lors de rêveries
communes, de rituels ou de contes populaires — produit
L’idée de Douglass n’est pas qu’il existe un ersatz de autant ou presque autant de satisfaction (par conséquent
rébellion en lieu et place d’une rébellion réelle, mais une diminution de la pression) que l’agression directe
simplement que le répit et le luxe que représente un jour contre l’objet de la frustration. Les preuves apportées à
de congé procurent suffisamment de plaisir pour cette thèse par la psychologie sociale ne sont pas tout à
émousser le tranchant d’une rébellion naissante. C’est fait univoques, et même la plupart d’entre elles ne vont
comme si le maître calculait le degré de pression pas dans son sens.Au contraire, ces preuves suggèrent
susceptible d’engendrer des actes désespérés et ajustait que les sujets injustement contrariés n’éprouvent pas
le niveau de répression juste avant que la pression moins de frustration et de colère sauf s’ils sont en mesure
n’atteigne son comble. de blesser directement l’agent responsable de leur
frustration  [7]. De telles preuves n’ont rien de
L’élément le plus intéressant concernant les théories de la surprenant. On pourrait s’attendre à ce que les
soupape de sécurité sous leurs diverses formes est peut- représailles à l’encontre du responsable de l’injustice
être celui qui est le plus souvent négligé. Ces théories se aient des effets cathartiques plus grands que les formes
fondent toutes sur l’hypothèse selon laquelle la d’agression qui laisseraient le responsable de l’injustice
subordination systématique engendre une forme de indemne. Et certes, il existe de nombreux témoignages
pression qui vient du dessous. Elles affirment de plus que expérimentaux qui montrent que rêves et jeux agressifs
si rien n’est fait pour soulager cette pression, celle-ci font croître plutôt que décroître la possibilité d’une réelle
grandit et engendre une explosion d’une nature ou d’une agression. Mme Poyser se sentit très soulagée quand elle
autre. On spécifie rarement de manière précise d’où vient déchargea sa bile directement au visage du châtelain,
cette pression et en quoi elle consiste. Pour ceux qui mais n’était vraisemblablement pas soulagée, ou bien
vivent sous le joug de cette subordination, que cela soit M. alors pas suffisamment soulagée, par les discours qu’elle
Douglass ou l’imaginaire Mme Poyser, la pression est une répétait et les serments qu’elle faisait dans son dos. Il y a
conséquence indiscutée de la frustration et de la colère donc autant, voire plus, de raisons de considérer la colère
nées de l’incapacité de se défendre (physiquement ou « en coulisse » de Mme Poyser comme une préparation de
verbalement) contre un oppresseur puissant. Cette son éventuel éclat, plutôt que comme une alternative
pression engendrée par une injustice manifeste, mais face satisfaisante.
à laquelle on est impuissant, trouve son expression, nous
l’avons montré, dans le texte caché, dans sa taille, sa Si les témoignages socio-psychologiques corroborent peu
virulence et son abondance symbolique. En d’autres ou pas du tout l’idée d’une catharsis opérée par un tel
termes, la thèse de la soupape de sécurité admet mécanisme de substitution, les arguments historiques en
implicitement un certain nombre d’éléments-clés de notre faveur de cette thèse restent à réunir. Serait-il possible
plus ample thèse concernant le texte caché : à savoir que de montrer, toutes choses égales d’ailleurs, que plus les
la subordination systématique suscite une réaction et que élites dominantes ont fourni ou autorisé des exutoires aux
cette réaction contient un désir de vengeance ou de agressions à leur endroit, les contenant dans des formes
réponse au dominant. Mais les deux thèses divergent dans somme toute inoffensives, moins elle ont été exposées à la
la supposition que ce désir puisse être en majeure partie violence et à la rébellion d’un groupe subalterne ? Si une
assouvi, lors de conversations « en coulisses », ou lors de telle comparaison était entreprise, il faudrait tout d’abord
rituels de renversement bien surveillés, ou bien encore commencer par distinguer l’effet du déplacement de
lors de festivités qui, de temps en temps, apaisent le feu l’agression en soi, et les concessions plus matérielles que
du ressentiment. représentent ces festivités : celles de la nourriture, de
l’alcool, de la générosité, et du soulagement procuré par
l’arrêt de travail et l’absence de discipline.
33
En d’autres mots, « le pain et le cirque », qui, de toute coulisse » parmi les étudiants, les hommes d’églises et
évidence, sont souvent des concessions politiques leurs paroissiens noirs ?
conquises par les classes subalternes, renforcent peut-
être l’oppression indépendamment de la ritualisation des Un long regard historique suffit pour se rendre compte
formes d’agression  [8]. que le luxe d’une opposition politique ouverte relativement
protégée est à la fois rare et récent. La vaste majorité des
Si l’on suivait cette ligne de pensée, il resterait à en gens ont toujours été et continuent d’être non pas des
expliquer une anomalie importante. Si, effectivement, citoyens mais des sujets. Tant que notre conception du
l’agression ritualisée détourne l’agression réelle de sa « politique » est réduite aux activités ouvertement
cible, pourquoi tant de révoltes d’esclaves, de paysans et déclarées, nous sommes amenés à conclure que la vie
de serfs ont vu le jour précisément au cours de rituels politique fait essentiellement défaut aux groupes
saisonniers (par exemple, le carnaval de Romans décrit subalternes ou se borne tout au plus à d’exceptionnels
par Le Roy Ladurie) créés pour éviter ces mêmes révoltes moments d’explosion sociale. Ce faisant, nous manquons le
? [...] terrain politique immense qui existe entre inactivité et
révolte et qui, qu’on s’en réjouisse ou non, constitue
La résistance souterraine l’environnement politique des classes soumises. C’est se
centrer sur l’arbre de la politique visible et ne pas voir la
Nous sommes maintenant en mesure de résumer une forêt qui se cache derrière.
partie de notre argument. Jusqu’à il y a peu, la majeure
partie de la vie politique active des groupes subalternes a Toute forme de résistance déguisée, d’infra-politique, est
été ignorée parce qu’elle a souvent lieu à un niveau que le partenaire silencieux d’une forme de résistance
l’on reconnaît rarement comme politique. Pour insister publique bruyante. Ainsi, squatter la terre lopin par lopin
sur l’énormité de ce qui a été négligé d’une manière est le pendant infra-politique des grandes invasions
générale, je tiens à faire une distinction entre les formes nomades : tous deux visent à éviter l’appropriation de la
de résistance ouvertes et déclarées qui attirent terre. Le squat ne peut avouer ses buts et constitue une
généralement l’attention, et celles, déguisées, discrètes et stratégie qui convient parfaitement aux sujets qui n’ont
non déclarées, qui constituent le domaine de l’infra- pas de droits politiques. De même, la rumeur et les contes
politique (voir tableau ci-dessous). Pour les démocraties populaires de vengeance sont les pendants infra-politiques
libérales occidentales modernes, seule l’action politique des gestes non dissimulés de mépris ou de profanation :
visible s’empare de ce qui fait sens dans la vie politique. c’est la dignité et le rang qui ont été retirés aux groupes
Les succès historiques des libertés politiques d’expression subalternes que tous deux cherchent à restaurer.
et d’association ont considérablement réduit les risques et Rumeurs et contes ne peuvent agir directement et dire
la difficulté d’une expression politique publique. Cependant, haut et fort leurs intentions et constituent ainsi une
il n’y a pas si longtemps en Occident, et aujourd’hui stratégie qui convient parfaitement aux sujets qui n’ont
encore, pour la plupart des minorités les moins pas de droits politiques. De même encore, l’imaginaire
privilégiées et pour les pauvres marginalisés, l’action millénariste et les renversements symboliques de la
politique au grand jour est loin d’être la part la plus religion populaire sont les pendants infra-politiques des
importante de leur action politique en général. Porter une contre-idéologies radicales et publiques : c’est le
attention exclusive à la résistance déclarée ne nous symbolisme public de la domination idéologique que tous
permettra pas plus de comprendre le processus par deux cherchent à nier. L’infra-politique est donc
lequel de nouvelles forces et exigences politiques germent essentiellement une forme stratégique que la résistance
avant de finalement fleurir sur la scène publique. des sujets doit prendre lorsqu’elle est soumise à un trop
Comment, par exemple, pourrions-nous comprendre le grand danger.
bouleversement manifeste qu’a représenté le Mouvement
pour les droits civils ou le Mouvement du Black Power Les impératifs stratégiques de l’infra-politique ne la
dans les années 1960, sans comprendre le discours « en rendent pas seulement différente en degré des politiques
34
publiques des démocraties modernes : ils imposent une politiques, révolutionnaires et chefs de partis), à celui de
logique totalement différente de l’action politique. Aucune la trace écrite (résolutions, déclarations, nouvelles
revendication publique n’est faite, aucune ligne symbolique histoires, pétitions, procès) et à celui de l’action politique,
n’est tracée. Toute action politique prend des formes l’infra-politique appartient quant à elle au royaume du
conçues pour masquer ses intentions ou pour les leadership informel et de l’absence d’élite, à celui de la
dissimuler derrière un sens apparent. Pratiquement, conversation et du discours oral, à celui de la résistance
personne n’agit en son nom pour des raisons voulues : clandestine. La logique de l’infra-politique est de laisser
cela irait à l’encontre du but recherché. C’est précisément peu de traces dans son sillage. En protégeant ses
parce qu’une telle action politique est scrupuleusement arrières, elle ne minimise pas seulement les risques
conçue pour être anonyme ou pour nier son but, que encourus par ceux qui y participent, mais élimine
l’infra-politique appelle davantage qu’une interprétation également une grande partie des documents écrits
réductrice. Les choses ne sont pas exactement ce qu’elles susceptibles de convaincre les spécialistes de sciences
semblent être. humaines et les historiens que de la vraie politique serait
en jeu.
La logique du déguisement suivie par l’infra-politique
s’étend à son organisation autant qu’à sa substance. Une L’infra-politique est, à n’en point douter, de la vraie
fois encore, la forme d’une organisation naît d’une politique. À maints égards, elle est conduite de façon plus
nécessité politique autant que d’un choix politique. Parce entière, a de plus grands enjeux et doit surmonter de plus
que l’activité politique au grand jour est pratiquement grandes difficultés pour parvenir à ses fins, que la vie
exclue, la résistance est vouée à se construire dans des politique des démocraties libérales. On gagne du vrai
réseaux plus informels regroupant des membres de la terrain, ou on en perd vraiment. Les armées sont défaites
famille, des voisins, des amis ou des membres de la et les révolutions facilitées par les désertions de l’infra-
communauté. Tout comme la résistance symbolique, que politique. De facto, les droits de propriété sont établis et
l’on trouve dans les différentes formes de culture remis en question. Les États sont confrontés à des crises
populaire, peut contenir une signification innocente, les fiscales ou budgétaires quand les petits stratagèmes
unités organisationnelles élémentaires de l’infra-politique accumulés par leurs sujets leur font perdre de la main
ont une existence erratiquement innocente. Les d’œuvre et des impôts. Des sous-cultures vantant la
attroupements au marché, les assemblées informelles de dignité et les rêves de vengeance voient le jour et
voisins, de familles ou de membres d’une même prennent de l’ampleur. Des discours contre-hégémoniques
communauté fournissent une structure et une couverture sont élaborés. Ainsi, comme nous l’avons montré
à la résistance. Celle-ci est parfaitement adaptée pour précédemment, l’infra-politique explore, éprouve et
éviter la surveillance car elle est menée individuellement, attaque constamment les limites de ce qui est permis. Le
en petits groupes, et, lorsqu’elle est menée à plus grande moindre relâchement dans la surveillance ou la
échelle, a recours à l’anonymat de la culture populaire ou répression, le moindre atermoiement, menace de se
à de réels déguisements. Il n’y a pas de meneurs à serrer, transformer en grève déclarée, les contes populaires
pas de listes de membres à éplucher, pas de manifestes à d’agression oblique menacent de se transformer en
dénoncer, pas de manifestations publiques qui attirent mépris avoué et en défit frontal, et les rêves millénaristes
l’attention. Ces assemblées informelles sont, pourrait-on menacent de se transformer en politique révolutionnaire.
dire, les formes élémentaires de la vie politique sur De ce poste d’observation, on peut penser que l’infra-
lesquelles des formes plus élaborées, ouvertes et politique est une forme élémentaire de la politique —
institutionnelles, peuvent être bâties, et dont ces mêmes élémentaire dans le sens de fondamental. C’est la
formes sont susceptibles de dépendre pour garder leur composante sans laquelle l’action politique élaborée et
vitalité. Ces formes élémentaires expliquent également institutionnalisée n’existerait pas. Sous la tyrannie et la
pourquoi l’infra-politique échappe à l’attention. Si persécution, qui est la condition commune de la plupart
l’organisation politique publique et formelle appartient au des sujets historiques, c’est la vie politique. Et quand on
royaume des élites (par exemple aux avocats, hommes détruit ou réduit les rares participations citoyennes à la
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vie politique publique, comme cela est souvent le cas, les le moyen de défense souterrain des « sans pouvoir ».
formes élémentaires de l’infra-politique perdurent comme
Traduit de l’américain par Pascale Guy
Notes qui désigne l’ensemble des interactions ouvertes entre

[1] Léo Strauss, La Persécution et l’art d’écrire , p. 57, subalternes et dominés. La notion de hidden transcript
Pockett (1952, 1989). Il devrait être abondamment clair désigne ainsi l’ensemble des discours et pratiques qui
que mon analyse est fondamentalement orthogonale avec prennent place « en coulisse », en deçà de l’observation
ce « straussianisme » que beaucoup ont réussi à vendre directe des dominants, et qui peuvent confirmer,
dans la philosophie et l’analyse politique contemporaines contredire ou infléchir ce qui apparaît dans le texte public
(par exemple, cette prétention indue d’avoir un accès [note de la traductrice].
privilégié à l’interprétation vraie des classiques, ce dédain [3] Barrington Moore, Injustice : The Social Basis of
autant pour la « multitude vulgaire » que pour les tyrans Obedience and Revolt, 1978.
incultes). L’attitude des straussiens me frappe autant que [4] Max Gluckman, Rituals of Rebellion in South-East
celle de Lénine envers la classe ouvrière dans Que faire Africa, 1954 ; Victor Turner, The Ritual Process : Structure
?Ce que je trouve pourtant instructif dans la position de and Anti-Structure, 1969.
Strauss est cette prémisse suivant laquelle [5] Ranajit Guha, Elementary Aspects of Peasant
l’environnement politique dans lequel fut écrite la Insurgency in Colonial India, 1983.
philosophie occidentale permet rarement une [6] Frederick Douglass, My Bondage and my Freedom ,
interprétation univoque de ses textes. 1855.
[2] Par « texte caché », nous traduisons ici la notion [7] Cf. Leonard Berkowitz, Aggression : A Social
centrale de l’ouvrage, hidden transcript, littéralement Psychological Analysis , 1962.
« transcription cachée » ou « version cachée des faits », [8] Cf. Paul Veyne, Le Pain et le cirque. Sociologie
qui s’oppose à celle de public transcript (« texte public »), historique d’un pluralisme politique , 1976.
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Contamin Jean-Gabriel, « le n’est en effet recensé sous son sens politique dans aucun
dictionnaire français. Longtemps, il est essentiellement
tract, à quoi bon ? », utilisé à titre d’anglicisme pour référer à une pratique
Vacarme, 2008/4 (n° 45), d’origine religieuse, le « tract » (abréviation de tractate,
traité), qui sert à désigner, depuis le XIIIe siècle et encore
p. 68-71 aujourd’hui, des ouvrages religieux, de tailles très
diversifiées, distribués à de nombreux exemplaires, alors
Qu’il soit distribué à un camarade de manif, déjà que c’est le terme leaflet qui est employé pour parler ce
convaincu, ou ostensiblement mis au panier par un que nous avons fini par nommer des « tracts ». Si l’origine
opposant, ou refusé par un piéton pressé qui a déjà du mot est religieuse, la pratique, elle-même, se développe
reçu, au carrefour précédent, un énième prospectus tôt en politique. Preuves en sont ces imprimés de 1789 que
lui vantant les vertus de la dianétique ou du les conservateurs de la Bibliothèque nationale de France
cheeseburger, un tract semble voué à n’être pas lu. Et ont étiquetés en tant que « tracts », même si leurs
pourtant, on tracte. Sans doute parce que cette vieille auteurs ne revendiquent pas cette dénomination.
technique de propagande s’offre à des usages que sa
fonction n’épuise pas. Sa diffusion se heurte toutefois dans un premier temps à
une triple barrière. La barrière de l’écrit, d’abord, puisque
Le tract, petite feuille de papier imprimé que l’on distribue ces imprimés se développent dans une société encore
à des fins de propagande, qu’on peut ainsi distinguer tout largement analphabète, même s’ils peuvent être l’objet de
autant du graffiti qui demeure fixé à son support et lectures publiques et de discussions. La barrière
n’autorise qu’une lecture brève et instantanée, que du technologique, ensuite, puisque les moyens d’impression
journal, à diffusion plus continue, distribué par des et de diffusion sont encore largement dans les mains de
réseaux plus professionnalisés. Le tract, outil par quelques-uns. La barrière juridique, enfin et surtout,
excellence du militant qui va défendre sa cause sur les puisque, jusqu’en 1881, et en dépit de périodes de plus ou
marchés, aux sorties de métro et d’usine, dans les boîtes moins grande contrainte, les imprimés demeurent en
aux lettres ou les manifestations. Le tract, moyen primaire France peu ou prou sous régime d’autorisation. Un
et premier des organisations pour démontrer leur ensemble d’entraves qui n’ont du reste pas empêché les
existence et faire entendre leurs voix sans s’en remettre imprimés, sous forme de tracts, pétitions ou mémoires, de
aux médias institutionnels et à leurs logiques de sélection jouer un rôle non négligeable dans le processus de
et de traduction. démocratisation en habituant les citoyens à la controverse
et au dialogue, au point que certains voient dans ces
Ce moyen de mobilisation, présenté comme pratiques de communication l’origine des idées
« traditionnel » au regard des « nouvelles » formes de démocratiques plutôt que leur simple vecteur  [1]
mobilisation, semble de prime abord relever d’une forme
d’évidence, de banalité : faire un tract, le distribuer, le En regard, la situation contemporaine pourrait sembler
recevoir, le lire… et le mettre à la poubelle... Autant nettement plus ouverte à la pratique des tracts. Un
d’activités d’autant plus quotidiennes qu’aux tracts développement du niveau global d’instruction de la
militants s’est ajoutée, voire substituée, la multitude des population. Des moyens de confection, d’impression et de
tracts commerciaux — prospectus — qui viennent diffusion qui se sont démocratisés. Un régime juridique
concurrencer ces messages politiques. Un regard à la fois qui, depuis la loi du 29 juillet 1881, abandonne le contrôle a
historique et sociologique invite pourtant à remettre en priori et compressif par les autorités exécutives pour lui
cause cette impression de familiarité. préférer un contrôle a posteriori et répressif par les
autorités judiciaires : cette loi dispose que les écrits
Regard historique, d’abord, puisque, si la « chose » n’est rendus publics sont libres sous réserve de porter
pas une nouveauté, le mot « tract » lui-même est, en « indication du nom et du domicile de l’imprimeur » (même
français, d’usage relativement tardif. Jusqu’en 1968, il si on est soi-même ledit « imprimeur ») et de respecter
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les règles qui définissent les « crimes et délits commis L’encadrement juridique est certes beaucoup moins
par voie de presse ou par tout autre moyen de contraignant et répressif qu’il ne pouvait l’être naguère ou
publication ». Si les journaux ou l’exercice du colportage qu’il l’est encore dans certains pays dans lesquels le fait
supposent des formes minimales de déclaration, « la même de distribuer des tracts peut conduire à la prison
distribution et le colportage accidentels ne sont assujettis (le Tibet, par exemple). Toutefois, il prend des formes plus
à aucune déclaration ». diffuses qui ne sont pas sans peser sur les pratiques de
tractage. À la liberté d’expression a en effet été opposé un
Toutes les conditions sont donc réunies pour une explosion ensemble de principes — maintien de l’ordre et de la
du recours au tractage dont on trouve en effet la trace tranquillité publics, impératif de sécurité routière, respect
dans trois domaines au moins. Le domaine militant, certes. du bon fonctionnement des entreprises, ou, depuis peu,
Mais, aussi, le domaine militaire : cette pratique des sauvegarde de l’hygiène publique et de l’esthétique — au
« boulets de papiers » prend notamment son essor nom desquels la pratique du tractage se voit restreinte.
pendant la seconde guerre mondiale durant laquelle les
États-Unis envoient par avion six milliards de tracts sur D’abord, des restrictions législatives ou réglementaires
l’Europe Occidentale (les « bombes Monroe »). Le domaine relevant de domaines très variés. Ainsi, le Code électoral
de la communication commerciale et institutionnelle, enfin, interdit de distribuer de tels documents dans toute la
avec l’afflux des prospectus comme mode de prévention et France les jours et les veilles de scrutin. Sur les lieux de
de publicité. travail, un décret de 1982 n’autorise la distribution de
documents d’origine syndicale aux agents des
Pourtant, ces évolutions ne sont pas sans effets pervers administrations que si elle est assurée par des agents qui
pour le tractage militant. Certes, en termes ne sont pas en service, si elle a lieu en dehors des locaux
organisationnels, si on compare la situation ouverts au public et si elle ne porte pas « atteinte au bon
contemporaine à celle qui prévalait en mai 1968, le fonctionnement du service », tandis que, en ce qui
recours au tract s’est « démocratisé ». La confection des concerne le secteur privé, le Code du travail n’autorise la
tracts en nombre minimal demandait encore alors un distribution de tracts syndicaux aux travailleurs d’une
ensemble de ressources organisationnelles non entreprise dans l’enceinte de celle-ci qu’aux heures
négligeables qui tendait à la réserver à des collectifs un d’entrée et de sortie du travail. Le Code de la route, de son
peu structurés alors qu’aujourd’hui chacun peut assez côté, interdit la distribution aux conducteurs ou occupants
facilement disposer des moyens matériels pour de véhicules en circulation. Enfin, depuis 2003, le code de
confectionner, imprimer et reproduire « son » tract. l’environnement souligne que toute personne physique ou
Toutefois, cette multiplication des messages par tract morale qui distribue des imprimés est tenue de contribuer
tend aussi à rendre plus difficile la différenciation de à l’élimination des déchets ainsi produits, à partir du
l’usage militant du tract d’autres formes d’usages. moment où elle traite une masse annuelle d’imprimés
Comment différencier visuellement son message de ceux supérieure à 500 kg. Plus généralement, la jurisprudence
que font circuler les acteurs commerciaux ou souligne l’interdiction de diffuser des tracts qui, par leurs
institutionnels ? Comment, à l’inverse, ne pas adopter couleurs et leurs formes, seraient peu aisément
quelque peu les normes « commerciales » alors que distingués de documents officiels.
celles-ci contribuent à informer les normes de réception
auxquelles elles tentent par ailleurs de se conformer ? À ces restrictions nationales et générales, s’ajoutent des
D’autant que ces tracts militants ont plus de peine à se restrictions propres à chaque municipalité puisqu’il est de
différencier des messages commerciaux par leur mode de la compétence des maires ou des préfets de prendre, sous
diffusion, alors que se développe le street marketing, contrôle du tribunal administratif, des arrêtés interdisant
campagne marketing qui se déroule dans la rue, au la distribution de tracts dans certains lieux ou dans
contact de la cible souhaitée. certaines circonstances, ainsi que de contraindre les
distributeurs de tracts à respecter telle ou telle règle.
Ainsi, à Paris, la distribution gratuite d’imprimés est
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interdite dans les zones piétonnes ainsi que dans un relativement maître du message qu’il fait circuler, il est
certain nombre de voies. Elle est également interdite dès aussi l’objet d’autres formes d’investissement qui
lors qu’elle provoque une gêne à la circulation des supposent parfois que sa fonction informative ne soit plus
véhicules ou des piétons, ou lorsqu’elle s’accompagne de que secondaire. Un usage d’adjuvant au service d’autres
l’interpellation des passants. Enfin, il est fait obligation aux formes d’action lorsqu’il s’agit de tester l’accueil d’une
distributeurs de tracts de ramasser les prospectus jetés cause dans une population, de mobiliser pour une autre
sur la voie publique par les personnes auxquelles ils ont action ou d’en faire le prétexte d’une action médiatique. Un
été remis et ce dans un rayon de 30 mètres du point de usage « militant » lorsqu’il s’agit d’occuper les militants
distribution. par une activité « à faible rendement ». Un usage
expressif lorsqu’il s’agit de faire exister une organisation,
On l’aura compris, même si l’application de l’ensemble de de lui donner une image, par la seule existence du tract,
ces règles n’est jamais aussi stricte que le voudraient les mais aussi en verbalisant et en construisant un « nous »
textes, la pratique du tractage suppose un savoir et un et un « eux ». Un usage ludique quand on en fait
savoir-faire qui n’ont rien d’évidents ou de « naturels ». essentiellement un usage oblique, destiné à divertir le
Aux risques physiques qui entourent cette pratique — la lecteur, souvent en jouant avec les codes prêtés au tract
rencontre des opposants — s’ajoutent les risques politique. Mais, aussi et surtout, un usage « conatif »
juridiques dont témoignent les poursuites dont sont lorsqu’il s’agit de faire de la distribution du tract
périodiquement l’objet des distributeurs de tracts, l’occasion d’engager la conversation avec ceux et celles à
notamment sur les lieux de travail. qui on les propose, de les aborder à moindre coût d’un
côté comme de l’autre — puisque chacun peut sortir de
Or, à ce nécessaire savoir-faire juridique s’ajoute un cette interaction très rapidement — et ainsi, de
savoir-faire pratique qui tend à réserver de fait, et en sensibiliser, voire de recruter, des sympathisants
dépit du développement de l’instruction, ce mode d’action potentiels en jouant de ce que les sociologues américains
à certaines catégories de population et à certains ont nommé l’effet foot-in-the-door, c’est-à-dire l’idée que
groupes. Savoir-faire dans la confection des tracts lorsqu’une personne a été amenée à répondre
lorsqu’il s’agit de faire un choix entre la simplicité et la favorablement à une petite requête, elle a plus de chances
lisibilité du message et le souci d’en dire le plus possible, de répondre favorablement à une requête plus importante.
lorsqu’il s’agit de prendre en compte à la fois le
positionnement militant et les attentes potentielles des Autant de savoir-faire qui expliquent que la pratique du
lecteurs, lorsqu’il s’agit enfin d’être le plus précis possible tract fasse l’objet d’une division du travail assez stricte
tant dans les arguments avancés que dans le vocabulaire dans les entreprises de mobilisation qui y recourent entre
et le respect de la langue : on sait combien le rapport à ceux qui participent à sa conception — au niveau national
l’écrit est socialement différencié. Savoir-faire dans le ou plus local —, ceux qui participent à sa distribution et
choix des lieux et des moments de distribution les plus ceux dont on attend seulement qu’ils les lisent. On a du
adaptés en fonction des « cibles » recherchées par reste pu montrer, par exemple, que la conception des
l’action. Savoir-faire dans les modes de distribution : la tracts était essentiellement une activité masculine, et que
nécessité d’établir un contact visuel, d’aller vers les gens, le fait qu’elle commence à être confiée à des femmes était
de tenir le tract de façon à ce qu’il soit vu, de préparer en soi le signe d’un certain recul du machisme dans ces
une argumentation, de savoir passer du temps quand le organisations  [2] Plus généralement, la manière dont est
contact peut devenir intéressant et ne pas en perdre organisée la conception des tracts dans un groupe est
quand le contact ne peut rien donner… souvent très révélatrice de la façon dont ce groupe
fonctionne de manière plus globale.
Savoir-faire, aussi et surtout, dans l’adaptation du type de
tractage aux usages qu’on souhaite en faire. En effet, si le Quel est l’avenir du tractage militant à une époque où de
tract militant apparaît d’abord comme un mode nouvelles technologies semblent permettre aux acteurs
d’information alternatif qui permet à un groupe de rester protestataires de transmettre leurs messages sans
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médiation, en quelques secondes, à moindre coût et à un autant persuader et convertir que convaincre. L’efficace
public plus nombreux ? Quelle utilité de passer des heures du tract n’est sans doute pas dans ce qu’il donne le plus
et de l’argent à distribuer des tracts sur des marchés, directement à voir. Et, c’est dans cette perspective qu’on
dans des manifestations ou aux sorties de métro, lorsque, peut du reste comprendre que l’un des axes que développe
par un seul clic, on peut toucher une population bien plus la CGT depuis quelques années en matière de formation
nombreuse, tout autant ciblée et, peut-être, plus encline à syndicale soit précisément un module… de formation à la
les recevoir ? Qui plus est, sans consommer de papier… rédaction des tracts.
On retrouve aujourd’hui ce type d’interrogations dans
beaucoup d’entreprises militantes, avec le souci, par Notes
exemple, de développer des « e-tracts ». De même, une [1] David Zaret, Origins of Democratic Culture. Printing,
bonne part de la jurisprudence autour des tracts porte Pétitions and the Public Sphere in Early Modern England ,
aujourd’hui sur ce que les organisations syndicales Princeton, Princeton University Press, 2000.
peuvent ou ne peuvent pas faire sur les Intranets des [2] Par exemple : Lucie Bargel, « La résistible ascension
entreprises. Pourtant, une telle réflexion laisse de côté les des femmes à la direction du Mouvement des jeunes
autres usages du tractage militant, et tout socialistes », Genèses, 2007, n°67, p.45-65.
particulièrement la possibilité qu’il donne aux militants
d’entrer en contact avec ceux et celles qu’on souhaite
40
Erik Neveu, « Médias et protestation collective », in Penser les

mouvements sociaux, Paris, La Découverte, «Recherches»,
2010
Moses Finley rappelle qu’une des singularités de la enquêtes « pratiques culturelles des Français »,
démocratie athénienne était d’être sans média. Agir sur l’hétérogénéité des consommations et décodages de
les citoyens supposait de prendre la parole, l’information selon milieux, groupes et classes d’âge. Pour
personnellement, publiquement. D’une taille incomparable, être influencé par les éditorialistes de presse écrite, il
régis par des mécanismes représentatifs, maillés d’un faut lire un quotidien national où n’être pas encore au
réseau de médias dense, rapide et complexe, nos travail à l’heure des revues de presse radiophoniques, ce
systèmes politiques voient la prise de parole qui exclut le gros du corps social. La seconde serait de
irrémédiablement soumise aux procédés d’amplification et souligner combien – loin du modèle athénien – se couper
de formatage rhétorique que sont les médias. On aimerait du flux informatif requiert plus d’efforts que s’y connecter
croire l’observation banale. La persistance d’une dans un quotidien fait de vecteurs portables de
littérature qui ne cesse de s’esbaudir d’une communication, d’autoradios, de chaînes d’information
« communication » politique qui aurait tout récemment continue, d’écrans jusque sur les quais des gares. La
imposé aux dirigeants de partis ou de mouvements des formule de Palo Alto « on ne peut pas ne pas
contraintes dont la notion même aurait été étrangère au communiquer » fait aussi sens pour les groupes mobilisés.
mouvement ouvrier, à Gladstone ou Mussolini, incite Un balisage de cette facette des mobilisations
cependant à appuyer la banalité. Tout mouvement social procédera en quatre étapes. La première tentera de
est soumis à un impératif qu’on peut nommer cerner le jeu d’associés-rivaux par lequel groupes
communicationnel s’il s’agit de dire, en bonne logique mobilisés et gens de média luttent et coopèrent pour le
jakobsonienne, qu’un message doit être porté par des contrôle de la mise en récit de leurs actions. Dans un
militants locuteurs vers des destinataires à mobiliser, zoom arrière, une seconde étape invitera à déconstruire
dans un code qui leur soit intelligible et explicable, et qui l’image d’un « duel » entre mouvements et journalistes
fasse sens d’un référent de problèmes à résoudre. pour prendre en considération la complexité du travail des
Cette dimension communicationnelle prend des rédactions, la chaine complète des acteurs, parfois peu
formes socio-historiquement variables. Partie intégrante visibles, dont les interdépendances produisent le « ce-qui-
des « répertoires » d’action elle est tributaire de données est-écrit-dans-le-journal ». Cette couverture serait-elle
de morphologie sociale affectant d’autres volets de ces systématiquement défavorable aux groupes en lutte ?
répertoires (alphabétisation, urbanisation, réseaux de Structurellement biaisée, indéniablement… ce qui ne veut
communication). La prééminence, en voie d’ébranlement, pas dire toujours à charge : une troisième étape le
d’un répertoire « national-autonome » impose aux montrera. L’analyse se ponctuera d’un développement
mouvements des exigences de justification centré sur Internet comme outil d’un renouvellement de
programmatique, fait de la montée vers une scène l’action collective.
nationale un impératif pour les mobilisations majeures. Le
moyen princeps d’attirer l’attention étant aujourd’hui la La course aux armements communicationnels
télévision, les quotidiens et sites en ligne, les cibler fait Manifestations de rue et de papier
partie de tout travail de mobilisation. Rappeler cette Une des tendances des mouvements sociaux
centralité des médias omnibus requiert deux observations contemporains – spécifiquement dans les pays dotés d’un
complémentaires. La première sera de rappeler, avec les « espace public » marqué par un minimum d’ouverture et
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de pluralisme – réside dans l’attention croissante que accueil. Un militant de Greenpeace en tenue de protection
leurs organisateurs dédient à une gestion réfléchie de leur contre la radioactivité faisant couiner un compteur Geiger
rapport aux médias. Un article de référence de sur une conduite de La Hague [Baisnée, 2001], un
Champagne [1984] explicite ce mouvement. Un des préservatif géant sur l’Obélisque de la Concorde ; voici des
terrains retenus est la grande manifestation des formes protestataires éligibles à l’attention des
principaux syndicats paysans (FNSEA-CNJA) à Paris en journalistes tandis que le énième Bastille-Nation suscitera
mars 1982. Toute l’organisation – faut-il écrire : le peu de passion, que des actions violentes risquent une
casting ? – de l’événement est orientée vers la production couverture critique. Pour les groupes les plus dotés en
d’images et de bonnes images du monde paysan. Dans les ressource (argent, capital culturel) une action
gares, les banlieusards reçoivent un tract illustré de protestataire peut donc devenir un quasi-spectacle pour
photos qui met en scène le paysan laborieux et nourricier, journalistes, soigneusement anticipé, scénarisé par des
protecteur des paysages, attentif au bien-être de ses professionnels de la communication. N’étant pas voués à
bêtes. Un service d’ordre très organisé prévient la être les dupes de ces entreprises, les journalistes
consommation de boissons alcoolisées et toute violence. développent des sensibilités critiques aux « coups
Les agriculteurs regroupés par régions et types de médiatiques », comme lorsqu’une journaliste
production donnent une touche spectaculaire ou de Libération dévoile en janvier 1999 les consignes
folklorique à leur défilé en jouant de costumes (blouses d’habillement données aux manifestants anti-PACS, pour
bleues du paysan des images d’Épinal) et de la présence gommer l’effet BC-BG produit par des Lodens et jupes
de tracteurs qui tirent parfois bruyamment un bidon de plissées bleues dans un épisode antérieur. Voilà alors ceux
lait. Beaucoup brandissent des pancartes, parfois qui protestent poussés à plus de sophistication ou de
humoristiques, d’autres distribuent leurs produits. Cette roublardise… on trouverait déjà dans The Armies of the
manifestation comporte des dimensions traditionnelles de Night, où Mailer [1968] raconte une mobilisation contre la
ce répertoire : défendre des revendications, motiver le guerre du Vietnam, le récit de conciliabules sur les
groupe mobilisé lui-même par l’exhibition de sa force. Elle manières les plus photogéniques de se faire arrêter pour
exprime plus encore une tendance montante : manifester une célébrité.
pour obtenir une forte et bienveillante couverture média, La grille de lecture de Champagne a pu être
une « manifestation de papier », pensée pour son impact discutée. Favre [1999] questionne en particulier le poids
sur l’opinion publique et les décideurs. Au critère de ces « manifestations de papier » sur l’ensemble de la
classique « combien de manifestants ? », se combine pratique manifestante. La majorité des mobilisations ne
désormais celui de « combien de secondes de J.T., de reste-t-elle pas le fait de petits groupes, sans grande
pages de revue de presse ? ». Et ce critère modèle les couverture médiatique ? Les visées les plus classiques de
formes de l’action. Il s’agit à la fois de juguler des l’action manifestante (afficher sa force et sa résolution)
comportements qui seraient impopulaires ou décriés par ne demeurent-elles pas les plus essentielles ? La mise en
les journalistes (violence, ébriété) et de produire un garde est convaincante contre toute généralisation
spectacle qui rompe avec l’ordinaire des manifestations abusive. L’occupation d’un collège contre une suppression
que leurs habitués nomment parfois le « traîne-savate ». de classe dépasse rarement la rubrique locale du
Le processus implique une course aux quotidien régional. Reste que Champagne décrit
armements symboliques dont on pourrait caricaturer la adéquatement une tendance structurante des grands
logique en suggérant que la couverture médiatique des moments de l’activité protestataire, des mobilisations dont
mobilisations se mâtine de critique d’art. Le « déjà vu » ne les acteurs sont avant tout riches de ressources
garantit pas la « Une », les initiatives inventives, drôles, culturelles.
spectaculaires, à valeur ajoutée culturelle recevront bon
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Une co-production médiatique des événements parler des évolutions sur les campus ; ils le dépeignent
protestataires ? comme brouillon, radical, violent. Alors même que ce
L’approche de Champagne vient aussi rendre cadrage fait peu de cas de la dimension d’élaboration
intelligible combien serait réducteur un questionnement programmatique, une partie des leaders du SDS y
qui se limite à savoir si tel média rend adéquatement discerne un point d’appui pour assurer la promotion du
compte de telle mobilisation. Outre qu’elle cotiserait à une mouvement. Ils accentuent les prises de positions
vision naïve du compte rendu objectif, pareille approche radicales et les actions conflictuelles qui stimulent une
place les journalistes et les médias dans une posture de forte couverture. En évitant le réducteur « C’est la faute
greffiers ou de narrateurs, passifs ou partiaux, de aux médias » – il faut aussi prendre en compte une
mobilisations qu’ils ne pourraient affecter que par la organisation molle avec un fort turn-over, l’habitus
tonalité de leurs reportages et articles. L’idée de individualiste d’étudiants – cette « symbiose
coproduction par les médias d’une part au moins des conflictuelle » et la gloire médiatique soudaine du
moments protestataires est plus pertinente pour mouvement produisent une série d’effets qui doivent une
questionner l’objet. Précisons que – même si de tels cas part objectivable de leur teneur aux médias.
existent quand une chaîne de télé offre à des écologistes Une hausse rapide des adhérents, multipliés par trois sur
de leur louer un Zodiac pour faire de belles images devant la seule année 1965, en large partie sur la base d’un
La Hague – cette notion ne se ramène ni à la collusion quiproquo. Plus que des intellectuels politisés, les
organisée, ni à une manipulation. Elle désigne plus souvent nouveaux venus sont des proto-hippies, souvent usagers
des interdépendances qui condamnent des protagonistes à de drogues, désireux d’en découdre avec les figures
jouer, plus ou moins inventivement, des marges que leur d’autorité.
laisse une relation forcée. Le texte le plus éloquent en la Organisation faiblement structuré, le SDS voit alors ses
matière vient de l’analyse faite par Gitlin [1980] de la procédures internes d’organisation troublées par une
couverture médiatique du mouvement étudiant SDS aux procédure de « certification médiatique » des leaders.
États-Unis et de ses effets (voir encadré). Sa recherche Sont présentés et perçus comme porte paroles du SDS les
met en évidence au moins quatre niveaux possibles personnages les plus forts en gueule, les plus aptes à
d’influence et d’interdépendance. produire propos et spectacle attendus par les médias [par
exemple : Rubin, 1971]. L’élection par les médias remplace
Un cas d’école : les médias états-uniens et le SDS celle par les cellules ou chapitres du mouvement.
(1960-1969) [Gitlin, 1980] Dans une logique cousine de la course aux armements
Créé au début des années 1960, le SDS (Students for a déjà évoquée, le radicalisme des propos et des actes obéit
Democratic Society) est une organisation de la gauche à une logique inflationniste. Les premiers drapeaux brûlés,
radicale étudiante. Laboratoire théorique et réseau de les premières injures « pigs » garantissent une séquence
militants investis sur le terrain, entre autre vers les dans les informations des networks. Devenues semi-
communautés noires, le SDS reste un groupuscule de rituelles ces provocations ne suffisent plus. L’attention
quelques centaines de membres. Hors de quelques médiatique requiert une surenchère de happenings, de
journalistes intellectuels qui y discernent un révélateur violences plus ou moins esthétisées qu’illustrent les
des évolutions du monde étudiant, il intéresse peu la mobilisations chaotiques à la convention démocrate
presse. de 1968 à Chicago.
Des actions contre la guerre du Vietnam qui Les formes et objectifs du militantisme glissant vers des
s’accompagnent d’affrontements avec la police, vont actions spectaculaires et la captation de l’attention des
susciter une attention médiatique inédite à partir de 1964. médias, ce sont corrélativement les activités quotidiennes
Les articles utilisent le mouvement comme prétexte à et modestes de propagande, de mise en place d’une
43
organisation solide, de construction de réseaux hors du Chartiste et ouvrier britannique ont longtemps eu un
campus qui s’affaissent… Le Mouvement s’en trouvera tirage supérieur à celui de la presse légale [Chalaby,
totalement désorganisé et sans ressources lorsque pour 1998]. Les « conglomérats » associatifs [Ion, 1997] des
diverses raisons les médias se lasseront de lui servir de mouvances communistes, social-démocrates, démocrate-
vitrine et de haut-parleurs. chrétiennes, disposaient jusqu’aux années 1970 dans
Au même titre qu’un dessin animé (Jeanne et plusieurs pays européens d’un complexe d’outils de
Serge pour le volley) ou la victoire d’une équipe nationale communication : quotidiens, maisons d’éditions, parfois
peuvent doper le nombre de licenciés d’un sport, par radios comme l’émetteur « Lorraine Cœur d’acier » des
l’attention qu’ils consacrent (ou non) à un mouvement, la sidérurgistes en 1978 [Charrasse, 1981], revues, bulletins,
manière dont ils le mettent en récit, les médias peuvent feuilles et tracts syndicaux, pratiques d’affichage de rue.
affecter son recrutement. Juhem [1999] a montré à quel Si cette communication militante a pu se
point nombre des grands médias d’information s’étaient redéployer via Internet, la crise de la presse militante, la
comportés dans les années 1980 comme les sponsors de raréfaction des usages du tract ou de l’affichage politique
« SOS Racisme ». Par la sélection qu’ils opèrent – d’autant sont tout autant à souligner. Cela invite à poser une
plus facilement qu’un mouvement est peu structuré et hypothèse de « perte d’autonomie médiatique » des
centralisé – sur les interlocuteurs invités pour un débat, mouvements sociaux [Neveu, 1999, p. 65-74], soit la
les journalistes ont une marge d’action sur la sélection dépendance accrue des mobilisations à l’égard de médias
des leaders. Alors même qu’il n’y détenait plus aucun publics ou privés qu’ils ne contrôlent pas pour faire
mandat, José Bové est resté désigné sur les écrans de passer leur message vers le public le plus étendu. Cette
télévision comme « porte-parole de la Confédération dépendance contraint à des investissements spécifiques
paysanne »… au point que celle-ci le réintègre dans son pour capter l’attention et la bienveillance de médias
bureau dans l’espoir de le contrôler. Ce sont en troisième extérieurs. Il faut valoriser des formes d’action, un style
lieu les formes d’action sur lesquelles peuvent peser les de leadership et de parole qui assurent de façon prolongée
médias. L’observation vaut pour les groupes mobilisés, une couverture médiatique abondante et bienveillante. La
lorsqu’un rassemblement à Bhopal ou Nairobi voit fleurir question, souvent occultée, est aussi de savoir ce que ces
les pancartes en anglais pour CNN ou BBC, lorsque des investissements impliquent de désinvestissements à
nationalistes corses prennent en groupe nocturne avec l’égard d’un travail de terrain, de glissement entre
kalachnikovs et cagoules la pose qui leur vaudra deux concessions de forme et de ligne, de perception des
pages de Paris-Match. Mais elle vaut aussi pour leurs adhérents comme autant de gêneurs potentiels, trop pris
adversaires ou partenaires, quand les services douaniers dans leurs croyances pour les virages idéologiques
organisent devant les caméras des contrôles dont l’utilité qu’exigerait une bonne « com » [Lefebvre, Sawicki, 2006].
est aussi douteuse que le message clair : « nous luttons Évoquant les contradictions d’une mobilisation critique
contre les importations abusives qui mobilisent les contre les médias qui tente de passer par leur
pécheurs » [Accardo et al. , 1995]. truchement, Halimi et Rimbert [2004] énoncent ce qui leur
Les interdépendances identifiées ici débouchent semble une loi d’airain : « parler pour les médias, c’est
sur une quatrième dimension : la dépendance médiatique. devancer leurs exigences, c’est se taire sur les médias ».
Il n’est pas besoin d’inventer un âge d’or imaginaire pour
soutenir que dans des contextes historiques antérieurs, Conjurer le médiacentrisme
ou des sociétés contemporaines moins maillées par les Insister sur le rôle des journalistes et des médias, c’est
médias audiovisuels et la presse écrite, des mouvements risquer de cotiser aux mythologies sur l’omnipotence et la
sociaux ont eu sous leur contrôle direct de vastes réseaux malfaisance de ces médias. Il faut donc insister sur ce qui
de médias. Les « unstamped » illégaux du mouvement devrait être le vrai « ce qui va de soi » : les médias sont
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divers, le monde journalistique fonctionne comme un incontournables (le ministère de l’Éducation nationale,
champ et un espace de division sociale du travail. Ce qui le syndicat FEN). La solution sera « l’expertise critique »,
se donne à voir/lire sur les pages et les écrans est le travail de desk sur dossiers et chiffres qui permettent de
produit d’interdépendances plus compliquées qu’une fonder sur l’objectivité des données mobilisées une
relation entre le groupe mobilisé et des journalistes posture critique qui ne puisse être disqualifiée en
abstraits. engagement politique. Des travaux postérieurs, sur le
journalisme social en particulier [Manning, 1999 ; Lévêque,
Les logiques du travail journalistique 2000], illustrent l’importance de ces spécialités comme
Les rédactions sont organisées selon une supports d’une interconnaissance, de relations entre
hiérarchie et des spécialisations fonctionnelles et journalistes et mondes militants. Ils confirment aussi les
thématiques. Figurent au nombre des effets de la processus suggérés par Padioleau : dépolitisation,
hiérarchie la sélection des sujets qui aboutit souvent à technicisation. Jadis lié aux mondes syndicaux par sa
« trapper » le compte rendu de mobilisations perçues trajectoire biographique, plus d’une fois autodidacte, le
comme routinisées ou groupusculaires. En relève aussi le journaliste social avait pour objet privilégié les conflits du
principe de remontée qui veut qu’à mesure qu’une travail, le syndicalisme, l’industrie. Aujourd’hui diplômé de
mobilisation est perçue comme importante, susceptible l’université, le journaliste social associe plus à cet adjectif
d’effets sur le champ politique, la montée vers la « une » les mécanismes du welfare-state, une dimension
se double d’un glissement vers les éditorialistes ou le économique. Son carnet d’adresse est plus riche de
service politique, moins au fait que les journalistes portables dans les cabinets ministériels, les universités,
spécialisés des acteurs et des enjeux, plus enclins à un les cadres de ministères sociaux que chez les
commentaire surplombant ou politicien. C’est dire syndicalistes ou activistes. Cette technicisation, combinée
l’importance du rubricage et des spécialisations. Rien ne aux logiques de fonctionnement d’institutions comme la
l’illustre mieux que la situation inconfortable des Commission européenne [Michel, 2007], n’est pas sans
mobilisations dont les thèmes ne trouvent aucun effets sur les mouvements sociaux. Elle les oblige à
spécialiste, aucune rubrique ayant vocation à les intégrer dans leurs anticipations sur les partenaires des
accueillir. La lente et difficile prise en compte des médias une capacité à présenter des dossiers techniques
revendications et mobilisations écologistes par la presse élaborés, lestés de chiffres et de propositions
peut être corrélée à la lenteur d’émergence d’un groupe alternatives.
de journalistes dédiés à un service graduellement labellisé Les effets du rubricage ne sont pas les seuls à
comme « environnement » [Veron, 1981 ; Sainteny, 1984 ; prendre en compte. Une autre dynamique, en partie
Anderson, 1997]. Il faut donc, pour chaque type de contradictoire, pèse aussi. Elle doit aux formes qui se sont
mouvement social, se poser la question des journalistes institutionnalisées comme définitions de la bonne « actu »
qui les prennent en charge, de leur place dans les dans une offre télévisuelle très concurrentielle :
hiérarchies propres au titre et au média. Le travail importance des images chocs, valorisation d’une
fondateur de Padioleau [1976] sur les journalistes dimension émotionnelle. La presse écrite a relayé ces
spécialisés dans les questions d’éducation montre modes de couverture, par mimétisme sur le média
comment une nouvelle génération de journalistes dominant, parce que sa situation financière –
s’emploie dans les années 1970 à relever un défi. Il s’agit à spécialement pour les titres parisiens en France – la
la fois de ne pas rabattre l’analyse des politiques pousse à tout tenter pour reconquérir un lectorat. Les
d’éducation sur une grille purement politique luttes internes aux rédactions pour voir une rubrique
(gauche vs droite), et de préserver une posture critique augmenter sa pagination, accéder à la une n’ont pas été
sans se couper des deux acteurs qui sont les sources étrangères à l’évolution évoquée ici. Elle se matérialise
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dans l’importance de la « forme affaire » comme mode de Binôme ou configuration ?
couverture des problèmes sociaux. L’affaire peut être Prêter attention au fonctionnement des médias
définie comme une mise en récit opérée à partir d’une comme « champ » et processus de travail ne permet
double position : celle d’un enquêteur qui va chercher des encore pas de dépasser une vision polarisée sur deux
faits, celle d’un locuteur animé d’une exigence normative acteurs (les groupes mobilisés, les gens de média). La
d’éthique et de justice qui ne peut être réduite à une dynamique des échanges de coups et des médiations qui
arrière-pensée politique. L’affaire révèle des faits cachés produisent une « couverture », ses impacts sur les
et révoltants où s’illustre l’indifférence ou le cynisme acteurs, exige d’élargir l’observation des chaînes
d’autorités sociales prenant le risque de mettre en danger d’interdépendance.
la santé, la vie, le bien-être de personnes innocentes et Le rôle de la police a fait l’objet d’une attention
souvent désarmées. La capacité des mouvements sociaux accrue [Fillieule, Della Porta 2006]. La contrainte qu’elle
à rendre leur cause éligible au statut d’affaires peut peut exercer sur les manifestants n’est pas que physique.
commander des différences notables de rendement Ce sont aussi des enjeux symboliques et des programmes
médiatique, comme le montre Henry sur le cas de de perception qui sont en jeu jusque dans la survenue de
l’amiante [2007]. heurts physiques. Ceux-ci permettront-ils de constituer
Une dernière évolution doit être mentionnée, plus l’action protestataire en entreprise d’atteinte
propre à la presse écrite. La traque du lectorat, l’inégal programmée à l’ordre public, de ramener le manifestant
attrait d’une information trop technicisée, trop abstraite au casseur ? Vont-ils à l’inverse suggérer l’image de
ont amené à réhabiliter des modes de reportage plus citoyens exerçant un droit d’expression légitime
ethnographiques, plus attentifs à la mise en récit de qu’entrave une intervention brutale de la police ? La
tranches de vie, de lectures du politique et du social par le banalisation des outils (caméras vidéo, téléphones
bas, l’expérience des personnes « ordinaires » [Neveu, portables) susceptibles d’enregistrer des séquences de
2000]. Lorsqu’il s’applique à des mouvements sociaux, ce violences ou d’affrontements a donné une nouvelle acuité
prisme à souvent pour effet de susciter un mode de à ces questions. Si la présence des journalistes aboutit le
couverture plus compréhensif ou plus compassionnel qui plus souvent à alimenter un processus de civilisation de la
se distingue des dynamiques précédemment évoquées, protestation – les manifestants ne veulent pas apparaître
comme l’illustrent les portraits de caissières à temps comme provocateurs, les policiers comme brutaux – il
partiel par Anne Chemin dans Le Monde(25 mars 2008, faut compléter ce constat. La densité des journalistes
p. 14) lors d’une grève des salariés de Carrefour à selon les événements protestataires, leur inégale
Marseille. empathie pour les groupes mobilisés n’assurent pas
Technicisation, scandalisation et compréhension toujours d’identiques effets modérateurs. Leur regard
ne sont pas des modes superposables de couverture des panoptique peut être contre-productif : laisser se
mouvements sociaux. La diversité empiriquement développer une zone de violences, le pillage de quelques
observable des relations entre journalistes et médias ne magasins, pour éviter une intervention dont les réactions
se plie pas à une typologie simple. Des journalistes en chaîne seraient périlleuses risque de susciter des
passent commande d’un casting de personnes à images qui feront blâmer le laxisme policier, produiront à
interroger à des ONG, un localier surmené demande à l’épisode suivant un usage accru de la violence policière.
l’organisateur d’une manifestation d’en rédiger un Les armes de la police ne sont pas que matraques ou
brouillon de compte rendu, tel éditorialiste fustige avec canons à eau. Dotée d’institutions de recherches (l’IHESI
mépris un groupe mobilisé. Il n’y a là aucun problème en France), poussant sur les plateaux de télévision des
d’incohérence, mais l’indication d’un impératif : partir du commissaire-philosophes (sic) capables d’opposer au
terrain, d’interdépendances toujours situées. verbe des universitaires des « vérités qui dérangent » et
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leurs typologies des violences [Bui-Trong, 2000], la police Il faut enfin évoquer les contre-mouvements.
contribue désormais à la définition de catégories de L’existence d’un niveau significatif de couverture d’un
perception, à des classements inséparablement mouvement produit des effets-retours. Ils peuvent venir
techniques et normatifs des formes de la protestation. d’intérêts ou de groupes que la mobilisation menace ou
Faut-il dire que l’État ne dispose pas face aux groupes incommode. Si elle trouve une explication sociologique
mobilisés que de la police ? Qu’il n’est jamais impuissant à première dans les luttes pour les usages de l’espace rural,
faire pression sur les médias publics comme privés ? Une l’émergence de mouvements comme Chasse Pêche Nature
conférence de presse, une « fuite » opportune, une action et Tradition doit aussi à des formes d’exaspération devant
bien médiatisée d’une administration de terrain peuvent ce qui est perçu comme la confiscation du droit de parler
aussi affecter la perception d’une mobilisation. Produire de la nature et de la faune par des écologistes identifiés
une statistique de l’INSEE qui montre que le pouvoir comme des urbains de classes supérieures et
d’achat de la catégorie protestataire s’est accru, montrer intellectuelles [Traïni, 2000]. Un fétichisme de l’objectivité,
combien « on s’en occupe » en nommant un médiateur – ou la banale quête de propos pimentés, amène parfois les
si possible assidu aux sommaires de la presse people –, journalistes à se mettre en recherche d’organisations
rappeler que le porte-parole bon apôtre d’un groupe opposantes à une cause qui réussit, offrant à des
malheureux est aussi un encarté d’un mouvement radical : locuteurs marginalisés un espace de parole, parfois une
autant de moyens par lesquels les pouvoirs publics dynamique de recrutement.
peuvent peser sur la perception d’une mobilisation dans Plutôt que de poursuivre un inventaire de
les médias. protagonistes qui variera selon des mobilisations qui
Dans la « démocratie des relations publiques » peuvent interférer avec la religion, la science… mieux vaut
qu’explore Davis [2002], il faut prendre en compte souligner l’intérêt pratique et programmatique de la
l’omniprésence des spécialistes de la communication sociologie des « problèmes publics » née aux États-Unis et
événementielle, institutionnelle, des relations aux médias illustrée par un auteur comme Gusfield [1996] et la
dans les administrations et les entreprises. Schlesinger a revue Social Problems. En réencastrant la question des
justement proposé la notion de « professionnalisation des mobilisations dans une problématique plus générale sur la
sources » [1992] pour rendre compte de la place manière dont des enjeux sont (ou non) constitués en
croissante de professionnels du bien-communiquer au « problèmes publics », mis en débat dans un espace
sein des institutions qui coproduisent la perception des public, pris en main par des politiques publiques, cette
conflits sociaux. Derville [1997] a mis ainsi en lumière les approche recèle un énorme pouvoir intégrateur.
stratégies du service d’information des armées (SIRPA)
face à Greenpeace lors de la reprise des essais nucléaires Le regard des médias
français. Davis montre pour sa part [2000] à propos d’un
épisode de bataille boursière au sein du secteur hôtelier,  Action collective, newsworthyness et empathie
combien le travail d’un réseau de professionnels des
relations publiques spécialisés dans les questions Les médias parlent-ils le plus souvent en mauvais
économiques et financières vient définir un espace du termes des mouvements sociaux, leur opposant « la
pensable pour discuter de cet enjeu (profitabilité pour les morgue et le mépris » ? Un ouvrage de l’ACRIMED [Maler,
actionnaires, viabilité des groupes, identification du Raymond, 2007] fournit une impressionnante série de
meilleur management) repoussant simultanément dans le matériaux en ce sens. Il met en lumière la présence
hors sujet des journalistes économiques tout partagée chez les plus en vue des éditorialistes et grands
questionnement relatif à l’impact de ces fusions sur les noms du journalisme français d’une matrice de perception
salariés du secteur et les revendications de ceux-ci. qui déprécierait l’action protestataire. Celle-ci se trouve
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associée à des postures de crispation archaïque ou parlement), la démocratie représentative condensée dans
corporatiste sur des avantages acquis, à une résistance les rendez-vous électoraux structurent prioritairement
butée à un changement que les lois de l’économie et le les définitions du politiquement important. Les agendas et
plus élémentaire pragmatisme rendraient objectivement conflits institutionnels sont l’outil premier de
nécessaire. Le même impensé fait des « erreurs de hiérarchisation des informations pertinentes. Dans une
communication » ou de défaillances pédagogiques des approche néo-institutionnaliste, Cook [1998] invite à
puissants l’explication première du refus de mesures que penser les médias comme une véritable institution
tout être raisonnable ne pourrait qu’accepter. Maler et politique, lieu de naturalisation de patterns de décodage
Raymond sont convaincants quand ils soulignent l’usage du politique. Il souligne la force de gravitation de
d’un registre qui pathologise le conflit (fièvre, passion, l’« officialité », des sources institutionnelles. Il y ajoute ce
déraison), illustrent les inégalités d’accès à la parole entre qu’il décrit comme le faible pouvoir explicatif d’une logique
les groupes mobilisés et ceux qui les blâment ou s’en font de couverture de l’information par « bulles et
les ventriloques, ou lorsqu’ils montrent – à propos des épisodes », moins guidée par une prise en compte de ce
mobilisations sur le « contrat première embauche » – des que serait l’importance sociale des enjeux que par leur
usages ignares ou malintentionnés de statistiques. incandescence ou leur nouveauté. Gamson [1992] souligne
Un ensemble de facteurs, où les routines et pour sa part combien les registres dominants de
l’impensé du travail journalistique pèsent plus souvent que l’information font peu de place à deux types de cadrage. Il
le dessein politiquement constitué de déprécier, s’agit au premier chef des « cadres d’injustice » par
contribuent objectivement à une mise en récit souvent peu lesquels une situation est décrite comme moralement ou
favorable des mouvements sociaux par les médias. On y socialement inique ou inacceptable, cadrage peu
mettra au premier rang une « épistémé » journalistique, compatible avec la posture de surplomb objectif qui a
ensemble de manières de penser-classer issues d’une historiquement constitué le journalisme comme ordre de
socialisation scolaire, d’une faible expérience sensible de discours. Il en va de même pour les « cadres d’action »,
la diversité des groupes sociaux, des apprentissages modes de mise en récit qui insistent sur la capacité des
professionnels. Ce paramètre a été exploré par la groupes à changer l’ordre social par la mobilisation. Une
sociologie états-unienne du journalisme. On peut en telle approche contrevient à l’objectivité et valorise des
suggérer quelques acquis. Gans [1980] met en évidence la comportements qui débordent une démocratie
force de filtres culturels, d’un corps de valeurs partagées représentative définie par l’élection.
qui contribuent à la fois à définir ce qui est information et Aucune de ces analyses ne conduit à conclure au
à en formater les interprétations. Le journalisme états- refoulement systématique des événements protestataires.
unien valorise l’individualisme, la modération des Elles suggèrent un biais structurel. Les mobilisations sont,
comportements, la vision d’un capitalisme responsable qui par définition, extérieures au pôle institutionnel du
ne peut être que modérément régulé au profit des pauvres politique, souvent désynchronisées des procédures
méritants mais non des profiteurs du welfare. Gans électorales. La focalisation sur la vie politique
observe combien les faits sociaux identifiables à la traditionnelle pousse à les aplatir sur une lecture
catégorie du « désordre » suscitent l’attention politicienne (pour qui les manifestants « roulent-ils » ?).
journalistique, mais sur un mode dépréciatif. Se fixant plus Les mobilisations sont souvent porteuses de
directement sur le journalisme politique Bennett [1997] revendications en décalage sur la doxa interprétative (les
souligne de façon convergente combien tant le rubricage protestataires peuvent manquer de modération, incarner
que les catégories mentales des journalistes politiques le désordre, défier la pure logique du marché).
sont homologues aux logiques des institutions politiques. L’intelligence des mouvements sociaux suppose aussi de
Les grandes institutions (présidence, gouvernement, prêter attention à des mouvements lents et
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morphologiques du monde social, lecture peu compatible montrent les exemples mobilisés par ces auteurs elles
avec la logique en « bulles et épisodes ». agissent avec force lorsqu’un mouvement social vient de
Le temps du journalisme n’est pas celui de certains groupes (fonctionnaires, salariés des transports,
l’analyse académique. L’activité journalistique est secteurs ouvriers décrits en buttes-témoins du passé),
confrontée à la contrainte de produire à chaud un compte prend certaines formes (violences, gêne à des
rendu, d’expliquer des événements qui peuvent être « usagers » nombreux ou socialement importants), et
opaques, non-anticipés et complexes. Une des modalités d’autant plus que l’enjeu du conflit porte sur des questions
de gestion de ce défi est de ramener l’inconnu au familier, constituées politiquement, stratégiques dans une logique
de ligoter l’imprévisible au lit de Procuste des préjugés. On de reformatage libéral de l’État-providence (par
en trouverait des illustrations caricaturales dans les opposition à des conflits salariaux ou de conditions de
interprétations des émeutes de banlieue de l’hiver 2005, travail propres à l’entreprise). La couverture dépréciative
où le travail des journalistes fut encore rendu plus fonctionne aussi plus facilement si un mouvement peut
périlleux par leur extériorité sociale aux groupes être arrimé à telle panique morale promue alors dans les
mobilisés, l’accueil hostile dont ils firent l’expérience et la agendas politiques et médiatiques. On renverra aux
quasi-absence de porte-parole légitimes de ces travaux de Cohen [1972] sur la diabolisation des
mouvements. L’ethnicisation de malaises sociaux, la mouvements de jeunes britanniques (mods et rockers) des
survalorisation d’un schème religieux (l’islamisme), années soixante, à ceux de l’équipe de Birmingham [Hall,
l’usage sans nuances de la métaphore du ghetto Critcher, Jefferson, 1978] sur la stigmatisation d’une
[Wacquant, 1997] permettent alors, à chaud, d’imposer un criminalité associée à l’immigration dix ans plus tard, ou
sens peu valorisant à un événement malaisément lisible. encore à la mise en perspective de l’affaire dite du
À la condition, rarement respectée, d’observer « foulard islamique » et des mobilisations concomitantes
empiriquement les médiations par lesquelles ceux-ci par Tévanian [2005].
parviennent (ou non) à faire passer leurs injonctions En rester à ces constats serait une double
jusque dans les rédactions et rubriques spécialisées, simplification. Manifester, se mobiliser est désormais
le poids croissant de groupes industriels et d’hommes perçu majoritairement comme un droit, une action
d’affaires dans l’actionnariat de titres et réseaux doit possible et non une agression à l’ordre public. La
aussi être pris en compte. Il n’est pas incongru de poser la perception de la légitimité des mouvements sociaux, y
question de la valorisation par ces groupes de presse de compris chez les journalistes, a bougé depuis les
mobilisations dont les objectifs sont plus d’une fois la années 1970. Oliver et Myers [2000] l’illustrent dans une
remise en cause du pouvoir et des leviers d’influence de étude sur l’accès de divers types d’événements à la
leurs actionnaires. presse du Wisconsin. Dès lors qu’ils atteignent un seuil
minimal de participants, ne se tiennent pas trop loin des
 Bonnes et mauvaises couvertures rédactions, les événements protestataires ne sont en rien
refoulés, la dimension du conflit pouvant même les rendre
Faut-il alors, avec des attendus plus attractifs. En second lieu il existe des situations, assez
sociologiques, conclure à un traitement médiatique des nombreuses, où la couverture des mobilisations peut être
mouvements sociaux par les armes de « la morgue et du bienveillante, au moins sensible aux raisons d’agir des
mépris », du silence et de la dépréciation ? S’enfermer protestataires. Une première illustration en est offerte
dans la logique binaire du oui ou non serait renoncer à un par les mobilisations autour de causes consensuelles,
éclairage sociologique. Les dispositions anti-grévistes celles qui peuvent difficilement être frontalement
mises en évidence par Maler et Raymond [2007] existent. combattues dans l’espace public. Relèvent de cette
Encore faut-il spécifier leur aire d’application. Comme le catégorie la « marche blanche » et la mobilisation anti-
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pédophile en Belgique [Rihoux, Walgrave, 1997 ; Rihoux, ici. Si la mobilisation correspond à un conflit qui oppose
Walgrave, 2000], une part des mobilisations antiracistes. des acteurs locaux, la couverture sera a priori distanciée,
On y associera les mobilisations cadrées comme le pacte de lecture de la presse régionale renvoyant à
correspondant à une notion d’intérêt général, de l’appartenance partagée à un territoire que les rédactions
protection du public contre des dangers sanitaires ou répugnent à fracturer. Mais lorsque la mobilisation se
environnementaux comme lors des protestations contre déploie contre des cibles extérieures au territoire, une
les marées noires, ou lors de la seconde constitution de couverture souvent compréhensive, donnant la parole aux
l’amiante en problème public sous la forme d’un polluant groupes mobilisés, n’a rien de singulier. Le traitement par
environnemental [Henry, 2007]. Une seconde catégorie, les quotidiens bretons de la mobilisation des producteurs
recouvrant en partie la précédente, correspond à des de légumes en 1998 donne un bon exemple de ce second
mobilisations pouvant solliciter un registre compassionnel. cas de figure [Neveu, 2002]. La thèse de Simon [2008]
Le sentiment d’injustice ou d’anormalité est alors sur la mobilisation antinucléaire de Plogoff détaille ces
socialement si largement diffusé qu’adopter un cadre rapports complexes. Via les déclinaisons entre pages
d’injustice n’apparaît pas comme une mise en cause de locales, départementales, les « infos générales » des
l’objectivité. Des mobilisations en faveur de sans-logis, des pages d’ouverture, le même titre peut à la fois exhorter
grèves contre des pratiques patronales particulièrement dans ses éditoriaux les villageois à la modernité nucléaire,
cyniques (ouvrières de l’entreprise Maryflo en 1997 contre et offrir en locale une couverture bienveillante d’épisodes
un contremaître sexiste) illustrent cette rubrique. Une marquants de la mobilisation. Un même journaliste s’oblige
troisième catégorie pourrait être associée à ce qui serait, le jour à une rhétorique de l’objectivité mais ne refuse pas
du point de vue journalistique, des mobilisations de prodiguer le soir en off ses conseils de bien
« sympathiques ». Elles font jouer proximité culturelle et communiquer aux élus hostiles à la centrale.
sociale avec le monde journalistique, prennent des formes S’il existe une tendance globale à un traitement
ludiques ou à valeur ajoutée culturelle qui leur donnent critique des mobilisations labélisées comme les plus
l’attrait de l’originalité. La remarquable couverture contraires aux impératifs de « modernisation » et de
obtenue par le mouvement des squats d’artistes parisiens « réforme » partagés par le sens commun des grands
[Drouët, 2001] qui combinait mobilisation, fait de société éditorialistes des titres centraux de la presse nationale,
et création artistique, en est une bonne illustration. Au- on voit aussi qu’analyser le traitement d’une mobilisation
delà de ces cas, la course aux armements symboliques ne concrète est une question empirique. Elle renvoie à
tourne pas toujours à la défaveur des groupes mobilisés. l’identité des groupes mobilisés, à leurs répertoires et
Saisir la variété des registres de couverture ressources, à l’inscription des enjeux dans un contexte
médiatique c’est aussi prendre en compte la diversité des politique et intellectuel, à la nature des médias et
presses et réseaux. La spécialisation thématique des rubricards qui s’en saisissent, tout cela étant peu
chaînes, l’importance de la presse spécialisée en France compatible avec une réponse globalisante a priori.
créent une série de supports qui, pour ne pas atteindre le
public des médias généralistes, offrent des niches Une reconquête de l’autonomie médiatique ?
favorables à diverses mobilisations. Pink télévision ne La prise en compte des réseaux transnationaux
maltraite pas les mouvements homosexuels, les magazines d’activistes, l’attention à la presse alternative, aux outils
dédiés à la chasse et à la pêche font échos aux de communication en ligne ont figuré parmi les
revendications des chasseurs. Contre un tropisme jacobin, développements récents du chantier d’analyse des
il faut aussi rappeler que 70 % des quotidiens vendus en mouvements sociaux. Rucht [2004] propose de penser les
France sont des titres de presse régionale. Une stratégies médiatiques des mouvements en quatre A. Trois
dichotomie simple dans son principe peut être suggérée stratégies auraient longtemps prévalu. Le A d’abstention
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signale des comportements faisant de nécessité vertu, symptômes : crise de la presse partisane, prise en charge
renonçant à des stratégies de quête d’une couverture par une presse commerciale de causes et publics un
médiatique soit qu’elle se fasse sans cesse attendre, soit moment liés à une presse militante (consommation,
qu’on l’anticipe comme critique. Le A d’attaque désigne des homosexualité), rétraction de pratiques comme la
stratégies agressives, de contestation et de défi frontal, diffusion de tracts, le collage d’affiches ou le porte à
comme lorsqu’Act Up s’en prit aux médias états-uniens porte. Une série d’évolutions suggère non un retour
dans une séquence où ils identifiaient le SIDA à une au statu quo ante, mais la structuration d’un autre réseau
maladie d’homosexuels. Le A d’adaptation ramène, lui, à d’outils de communication autonomes. L’essor de ce qu’il
l’idée de course aux armements symboliques, aux est convenu de nommer médias alternatifs – tant au plan
stratégies de mouvements comme Greenpeace qui international [Downing, 2001] que dans des espaces locaux
s’emploient à chevaucher les logiques médiatiques pour [Ferron, 2004] – mériterait à lui seul une analyse
obtenir une forte couverture. Cette typologie gagnerait à attentive, par sa capacité par exemple à introduire la
être pensée moins comme un espace de choix que comme « forme affaire » et des régimes de dénonciation
la négociation de contraintes. La sociologie des problèmes vigoureux contre le monopole d’une presse régionale
publics suggère que les stratégies agressives sont complaisante aux notables locaux. Mais l’outil structurant
souvent celles d’entrants, de gestes inauguraux destinés à d’un réseau de communication tant interne qu’externe
mettre le pied dans la porte des rédactions, le fait de pour les mouvements sociaux aura été Internet [Granjon,
groupes à faibles ressources médiatiquement 2001], parce qu’il permettait à la fois de créer un espace
convertibles. Dans le cas français, une part des tactiques de parole et de développer une critique en actes des
médiatiques d’Act Up, après une intervention controversée médias institués.
au Sidaction de 1996, aura été d’apprivoiser une Par simplification on ramènera à cinq thèmes
agressivité calibrée de plus en plus « adaptée » à une l’argumentaire mouvementiste en faveur de ce média. Il
bonne couverture médiatique. Quant à l’abstention, il offrirait en premier lieu des possibilités de coordination et
faudrait y distinguer ce qui relève de la résignation, du de maintenance d’organisation assurant un compromis
refus conscient de ce qui serait compromission aux remarquable entre faible coût en temps et argent,
exigences des médias, mais encore de ce qui peut être une souplesse, conjuration des logiques centralisatrices. La
absence de besoin des médias pour des groupes disposant capacité du web, des listes de diffusion à se jouer des
d’accès routinisés aux arènes de décision. La typologie de frontières constitue un second argument quant au
Rucht ajoute un quatrième A : alternatives. Il s’agit alors caractère international de l’outil [Ollitrault, 1999]. Avec
pour un mouvement de produire ses propres médias, de plus ou moins de naïveté ou de quant à soi critique l’idée
toucher un public élargi sans passer sous les fourches d’instituer un authentique espace public, horizontal,
caudines de la presse nationale et des télévisions ouvert, égalitaire et sans coûts d’accès matériels ou
généralistes. La question ramène à l’autonomie médiatique symboliques constitue un troisième registre de plaidoyer.
des mobilisations qu’on pensera comme re-conquête et L’Internet militant combine là les vertus de l’éducation
non invention, réagissant ainsi à la tendance à attribuer à populaire. Il catalyse réflexivité et actions. Une quatrième
de « nouveaux » mouvements sociaux l’expérimentation de argumentation se fixe sur les capacités de diffusion de
pratiques souvent anciennes (le journal Chartiste Black l’information. Les sites en ligne présentent ici deux
Dwarf remonte à 1817…) avantages. Celui quantitatif, de rendre accessible des
masses énormes d’information, allant d’échanges sur un
http://www.mouvements sociaux.org forum de discussion à des brochures téléchargeables.
La tendance lourde à une moindre autonomie Mais ces avantages sont aussi qualitatifs et directement
médiatique des mouvements sociaux était lisible à divers politiques en faisant sauter deux barrages du système
51
traditionnel de gate-keeping journalistique [Cardon, facilité d’accès à un terminal n’est pas davantage
Granjon 2006]. Les sites contrôlés par les mouvements identique à Oxford, Kotayam ou Niamey. Quant à la
permettent le retour dans l’espace public d’une « critique promesse d’une communication égalitaire et horizontale,
en colère », non engluée dans le compassionnel. On elle est démentie par les études qui se confrontent aux
rappellera pour illustration qu’un des sites les plus simples questions : qui intervient ? Quelle est la structure
consultés lors du référendum sur le Traité Constitutionnel de contribution au flux des messages [Le Grignou, Patou,
Européen fut celui bricolé par un professeur de SES des 2004] ? Ce que montrent ces études de cas est au
Bouches-du-Rhône. Les sites alternatifs constitueraient contraire la concentration de la production de messages
aussi un cheval de Troie permettant d’introduire dans les entre peu de mains. Ethnographies et case-
sources et questionnements des médias traditionnels des studies donnent même parfois le sentiment que le web
thématiques censurées ou ignorées. C’est dire qu’un engendre un espace d’autant plus virtuel que les militants
cinquième argument d’efficacité est sous jacent. L’Internet y parlent aux seuls militants dans l’illusion que ce
militant porte la promesse d’une sortie hors de l’autisme bavardage autoclave prépare les soulèvements populaires
groupusculaire ou du travail de conviction des convaincus de demain. Si des débats à la fois ouverts et répondant à
pour atteindre, en ligne ou par ricochet, un public global. un impératif d’argumentation – et non de « monologues
interactifs » – existent, ce n’est que sur des sites où ils
Utopies technologiques et logiques sociales sont encadrés par des règles et une police de la
Comme le souligne Flichy [2008] il serait ridicule discussion.
de nier les changements objectifs engendrés par les Un troisième rappel au réel tient à la persistance
usages militants d’Internet. Y figurent l’accessibilité à d’une forte sélectivité quant aux sites et espaces de
partir de tout terminal d’une masse énorme de matériaux production d’information qui réussissent à être
critiques, l’interconnexion d’énergies militantes au-delà « référencés », à contaminer de leurs questionnements
des frontières. En relèvent encore une capacité les médias officiels. Cardon et Granjon [2006] le montrent
démontrable sur des cas précis (forums sociaux, contre- dans de très éclairants tableaux des thèmes qui sortent
sommets) de coordonner des rendez-vous militants, de (ou non) de l’espace de débat militant. Une étude de
leur donner assez de lustre pour rendre obligatoire leur Maratea [2008] sur la blogosphère états-unienne rend
couverture jusque par les médias les plus conservateurs, visible les processus de sélectivité et de hiérarchisation
et donc de faire accéder à l’espace public des médias qui font que quelques sites acquièrent la crédibilité et
officiels des thèmes et critiques. Mais des faits têtus sont l’attention qui les fait relayer par les médias traditionnels.
sous-estimés tant par les militants que par des Si existe l’équivalent de possibilités d’irruption dans
chercheurs amoureux de leur objet ou souscrivant à un l’espace public des médias légitimes, c’est au prix d’une
déterminisme technologique. sélection (la « Googlearchy ») qui valorise d’une part les
Déplacer des locaux enfumés d’une maison du sites militants les plus professionnels, ou sur un mode
peuple ou de la salle municipale vers un forum en ligne ambigu ceux capables de propulser les rumeurs les plus
l’espace des interactions militantes ou de la diffusion des singulières. En reprenant une catégorie de Klandermans et
idées n’abolit en rien le « cens caché ». La capacité à Oegema [1987], on rappellera aussi que la plus réussie des
s’intéresser aux enjeux politiques et sociaux, à formaliser « mobilisations du consensus » par un travail de
par écrit des opinions reste inégalement distribuée. S’il communication ne donne pas à soi seule de garanties de
abolit des barrières, l’usage de l’informatique en crée passage à l’acte dans la « mobilisation de l’action ». Le
d’autres : des variables d’âge et d’accoutumance créent temps passé devant les claviers est souvent soustrait à
de l’inégalité devant le clavier et l’écran. L’usage obligé de celui des formes classiques et efficaces de contact direct
l’anglais dans une partie des réseaux est un autre filtre. La avec les groupes à mobiliser.
52
Pour ne pas se polariser sur le seul Internet il faut complexité des chaînes d’interdépendances rendent le
être attentif à d’autres initiatives qui visent à la fois à social illisible et problématique la notion même de
toucher un public élargi et à échapper aux formatages que « responsable », des actions capables à la fois de
requièrent les médias dominants. La basse intensité raccourcir et de donner des visages à ces rapports
technologique peut alors révéler un potentiel rare à abstraits de pouvoir peuvent être d’une grande force. Les
mobiliser en combinant mise en branle de l’émotion et de scènes où le cinéaste Michaël Moore apporte à un
la réflexivité. Tel est le cas des escraches argentins, dirigeant du lobby des armes une balle tirée du corps d’un
actions de rassemblement devant le domicile d’anciens adolescent, ou mettent publiquement le patron de Nike
tortionnaires, qui donnent dans l’espace urbain une devant l’écart entre salaires dans ses usines
incarnation concrète au problème de l’impunité. Dans un indonésiennes et prix de vente des chaussures en sont des
monde « globalisé » où l’extension planétaire et la illustrations.
53
Médias et « médiactivisme » (F. Granjon)

La dimension symbolique des mouvements sociaux donner, ils restent un point de passage obligé pour
participe à part entière à l’existence des luttes sociales. atteindre l’opinion publique et s’assurer une
Créer l’événement, travailler à sa mise en scène, produire représentation sociale élargie. La construction et la
une représentation la plus autonome possible de ses structuration des luttes sociales ne peuvent donc
propres intérêts et de son identité est essentiel pour les généralement éviter de mobiliser le relais des médias
agents de la critique sociale. L’on sait que celui qui dominants. Ils sont en effet les plus à même d’assurer
sélectionne et présente l’information détermine en l’ouverture à la communauté plus globale des citoyens
majeure partie l’horizon événementiel au sein duquel elle (mobilisation du consensus), de contribuer à
fait sens et s’ouvre à la compréhension. La maîtrise des l’élargissement du potentiel de mobilisation de l’action et
supports d’information et des accès à l’opinion publique se de permettre l’éventuelle imposition d’un sens partagé.
présente donc comme l’une des gageures essentielles de D’ailleurs, la plupart des mouvements sociaux ne
l’action collective. Sans image publique, les mouvements considèrent pas la nécessité de prendre en charge leur
sociaux ne peuvent en effet guère prétendre à l’efficacité propre représentation comme devant être synonyme
car, comme le rappelle Patrick Champagne, « les malaises d’une défiance totale vis-à-vis des médias dominants. Le
sociaux n’ont une existence visible que lorsque les médias mouvement d’évitement des intermédiaires spécialisés
en parlent ». Et d’ajouter : « Les malaises ne sont pas tous n’est généralement pas appréhendé dans une logique de
également “médiatiques” et ceux qui le sont, subissent substitution mais plutôt dans une perspective
inévitablement un certain nombre de déformations dès d’articulation pouvant servir les processus de mise en
qu’ils sont traités par les médias car, loin de se borner à visibilité et de montée en généralité.
les enregistrer, le champ journalistique leur fait subir un
véritable travail de construction qui dépend très L’utilisation stratégique des médias par les
largement des intérêts propres à ce secteur d’activité » mouvements sociaux
(Champagne, 1993, p. 61).
L’investissement de la scène politico-médiatique par les
L’accès des mouvements sociaux à l’opinion publique mouvements sociaux reste donc l’un des principaux
moyens pour inscrire la critique sociale dans le débat
Les conditions d’accès des mouvements sociaux à l’espace public et « doter la protestation d’un langage », ce qui
public restent encore largement soumises au traitement signifie « transformer le malaise vécu en injustice, en
de la conflictualité sociale par les médias dominants. Dire scandale, le légitimer au regard d’un système de normes
le sens en lieu et place des intermédiaires convenus (les et de valeurs. […] Donner un langage, c’est aussi
journalistes), produire ses propres cadres désigner des responsables, formuler des revendications
d’interprétation et construire des scènes d’apparition en forme de solutions » (Neveu, 1996, p. 89). Les militants
publiques alternatives est un idéal qui parfois ne peut être connaissent de mieux en mieux les logiques et les
atteint (par manque de ressources, de compétences, etc.). pratiques inhérentes à la médiasphère, clause nécessaire
Réduire sa dépendance à l’égard des grands vecteurs de à la négociation de leur présence dans les pages, sur les
communication et stabiliser son autonomie médiatique écrans et sur les ondes. L’accès aux faveurs de l’opinion
n’est pas toujours possible. Et même si les médias publique et l’assurance d’une visibilité maximum
dominants présentent le plus souvent les acteurs de la nécessitent ainsi un ticket d’entrée qui passe par des
critique sociale sous un jour qui ne correspond pas stratégies d’intéressement si ce n’est même par une
franchement à l’image que ces derniers entendent se collaboration explicite avec les médias dominants.
54
L’enrôlement des professionnels de l’information La critique des médias dominants
s’effectue parfois du fait du caractère inédit de certains
répertoires d’action ou de la portée symbolique de Au sein des mouvements sociaux, la critique des médias
certaines actions « conformes à la définition sociale de est de facto une cause entendue et transverse. Ils sont
l’événement digne de faire la une » (Champagne, 1993). De largement considérés comme la courroie de transmission
la même façon que Champagne désigne par idéologique des intérêts dominants et leurs
l’expressionmanifestations de papier (1990) les dysfonctionnements appréhendés comme des effets assez
convocations du nombre, qui, outre les objectifs directs de leur concentration économique, de leur
classiques de ce type d’action, visent aussi à produire une financiarisation et de leur dépendance vis-à-vis des lois du
image positive de la mobilisation et des revendications à marché et du champ politique. Les médias dominants
l’intention des médias, il existe également des contenus s’éloigneraient ainsi de plus en plus d’un modèle théorique
spécifiques (communiqués de presse, sites web, blogs, de l’espace public médiatique servant la pluralité et la
etc.) « pour journalistes », qui participent de « stratégies démocratie. Mais la critique des médias dominants
de captation de l’attention médiatique » (Neveu, 1996, p. constitue également une cause particulière pour certains
89). La valeur de certains de ces contenus tient donc pour groupements qui construisent des mobilisations
partie au potentiel de rendement médiatique qu’ils spécifiques autour des enjeux informationnels. Médias
constituent. C’est par exemple le cas de l’information « en alternatifs, watchdogs , associations de démocratisation de
ligne » produite lors des forums sociaux mondiaux par les l’accès à l’information, collectifs de militants de l’«
organisations qui y participent. Riche d’analyses internet citoyen et solidaire », etc., ambitionnent de
argumentées et de panoplies interprétatives qui la plupart mettre en œuvre leurs propres dispositifs de production
du temps sont déployées par des entrepreneurs de d’information et/ou de démocratiser les médias
mobilisation parmi les plus en vue du mouvement en agissant sur leurs messages, leurs pratiques, leurs
altermondialiste, elle retient l’intérêt des journalistes qui y organisations et le contexte réglementaire qui les régit.
voient d’utiles compléments à leur propre production et Cette contestation multiforme de l’ordre médiatique révèle
matière à renouveler leurs routines interprétatives. par ailleurs un ensemble de contradictions qui ont trait à
la nécessité de structurer cette critique et de construire
Il faut cependant noter qu’à moins de créer à proprement des stratégies d’action permettant d’intervenir
parler l’événement en ayant recours à des modes d’action efficacement dans ce domaine. Elles sont également liées
non routinisés, la réussite de l’utilisation stratégique des aux tensions qui opposent les tenants d’une critique des
médias par les mouvements sociaux dépend également de médias de typecontrehégémonique (Acrimed, Observatoire
fortes contraintes extérieures sur lesquelles les agents de français des médias, Media Watch Global, Fairness and
la lutte sociale n’ont finalement que peu de moyens pour Accuracy in Reporting, Observatorio global de medios,
faire levier, en particulier en ce qui concerne la gestion du etc.) orientant pour l’essentiel leurs revendications vers
calendrier de l’actualité. Par ailleurs, les professionnels de un contrôle et une réforme radicale de l’espace public
l’information sont souvent rétifs à la présentation publique médiatique et les média-activistes (Indymedia, Samizdat,
d’un cadre d’interprétation construit par les protagonistes Cmaq, Direct Action Media Network, Telestreet, Sindominio,
des luttes, auquel ils préfèrent une construction Sherwood Comunicazione, etc.) qui considèrent plus
personnelle des faits. Les usages stratégiques des médias important de construire un espace médiatique alternatif à
dominants par les mouvements sociaux et l’existence de côté des médias dominants (Cardon et Granjon, 2005).
ces « liaisons dangereuses » entretenues entre les agents
de la conflictualité sociale et ceux du champ journalistique Principalement fondée sur un principe de dénonciation des
prennent donc aussi forme sur fond de défiance mutuelle. appareils idéologiques de domination et des contenus
55
produits par les médias dominants, la critique des médias instruments collectifs d’expression qui ne soit pas
défend la nécessité d’armer les citoyens afin qu’ils soient seulement fondée sur une critique de l’information, mais
en mesure de répondre aux agressions symboliques et à porterait aussi sur les enjeux structurels du système
l’oppression idéologique dont ils seraient les victimes. médiatique. La critique et la dénonciation des médias
Dénonçant la « marchandisation de la culture et de dominants gardiens de l’ordre social s’accompagne donc
l’information », « l’homogénéisation de la pensée », la « en ses marges de la mise en œuvre de médias de la
normalisation de l’imaginable », « l’empoisonnement des critique et de pratiques alternatives de communication
consciences » ou encore le « nouveau colonialisme dont l’objectif est d’assurer a minima le contrôle des
symbolique », elle prône une « décontamination » des structures d’interprétation et des cadres de perception de
médias et revendique un « droit de savoir des citoyens ». l’injustice sociale. Les initiatives allant dans ce sens se
En la matière, la défense de l’information en tant que bien sont multipliées ces dernières années, révélant
public, la revendication d’un exercice libre, contradictoire l’émergence d’un militantisme informationnel (c’est-à-dire
et pluraliste de l’expression et la défense d’un droit à la une activité militante centralement orientée vers la
communication sont les fondements à partir desquels est production et/ou la diffusion d’information). Ces formes
envisagée la reconstruction d’un « autre espace spécifiques de mobilisation se sont largement intéressées
médiatique ». Ce que la critique des médias n’envisage en aux technologies de communication les plus récentes et en
revanche qu’à la marge et que les média-activistes particulier internet, qui ont permis un renouvellement de
mettent au cœur de leurs actions concerne les questions la gestion symbolique de la conflictualité sociale en
des rapports sociaux qui fondent le travail de production apportant à ceux qui se mobilisent des moyens
de l’information. Les média-activistes mettent surtout en d’expression inédits (Granjon, 2001, 2005). Le réseau des
avant la nécessité de refonder une pratique médiatique réseaux a ouvert des nouveaux processus collectifs
perspectiviste qui ne soit pas en décalage avec les d’énonciation et a permis un changement dans la facture
expériences sociales des producteurs d’information. Ils fictionnelle de l’exercice publicitaire des luttes sociales.
fondent en acte des pratiques visant notamment à Pour le mouvement altermondialiste, internet a contribué
dénaturaliser la différence entre émetteurs et récepteurs, à l’édification d’un répertoire médiatique transnational fait
producteurs et consommateurs. Ils posent ainsi la de communautés d’action et d’espaces de représentation
nécessité d’un exercice participatif de construction de variés, au sein duquel les dimensions à la fois locale,
l’information selon des modalités autogestionnaires qui nationale et internationale s’interpénètrent de façon forte.
tranchent avec les normes d’une presse envisagée comme Sans avoir les moyens d’avancer que de telles arènes
devant avoir la fonction d’agence de propagande. Les médiatiques contribuent effectivement à la mobilisation de
médias alternatifs ont alors pour vocation de décloisonner l’action, on peut toutefois penser que leur existence
les savoirs et les publics et de révéler les antagonismes permet au moins d’assurer une meilleure représentation
sociaux à partir d’outils de production dont les référents des intérêts des luttes altermondialistes et contribue à la
ne sauraient être ceux des médias dominants (verticalité, construction symbolique des identités d’un mouvement
objectivité, professionnalisation, massification, etc.), hétérogène, au-delà des cercles militants qui travaillent
même passés aux mains des forces progressistes. directement à son édification.
L’émergence d’un militantisme producteur et Bibliographie

diffuseur d’information CARDON (Dominique) et GRANJON (Fabien), « Médias
alternatifs et médiactivistes », dans Éric Agrikoliansky,
Critique des médias et média-activistes se battent pour Olivier Fillieule et Nonna Mayer (dir.),L’Altermondialisme en
une appropriation sociale de l’espace médiatique et des France. La longue histoire d’une nouvelle cause , Paris,
Flammarion, 2005, p. 175-198.
56
CHAMPAGNE (Patrick), Faire l’opinion. Le nouveau jeu GRANJON (Fabien), « Attac-info : entre communauté d’action
politique, Paris, Minuit, 1990. et espace de représentation. Ethnographie d’un média
CHAMPAGNE (Patrick), « La vision médiatique », dans Pierre “alter” lors du Forum social mondial 2003 », Matériaux
Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. pour l’histoire de notre temps, 79, juillet-septembre 2005,
61-79. p. 70-76.
DOWNING (John D. H.), VILLARREAL FORD (Tamara), GIL (Genève) LANGLOIS (Andrea) et DUBOIS (Frédéric), Médias autonomes,
et S TEIN (Laura)Radical Media. Rebellious Communication Nourrir la résistance et la dissidence, Montréal, Lux, coll. «
and Social Movements , Londres, Sage, 2001. Futur proche », 2006.
DUCHESNE (Françoise) et VAKALOULIS (Michel) (dir.), Médias et MALER (Armand) et REYMOND (Mathias), Médias et
luttes sociales, Paris, Éditions de l’Atelier, 2003. mobilisations sociales. La morgue et le mépris , Paris,
GRANJON (Fabien), L’Internet militant. Mouvement social et Syllepse, 2007.
usages des réseaux télématiques, Rennes, Apogée, coll. « NEVEU (Érik), Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La
Médias et nouvelles technologies », 2001. Découverte, coll. « Repères », 1996
57
Université Paris-Est Créteil

Faculté de Lettres, Langues et Sciences Humaines
Département de communication politique et publique
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)

ECUE Communication & militantisme- 2017-2018

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Parcours Sciences de l’Information et de la Communication

année 2017 - 2018

19/02/18 Chap.4. Les discours protestataires : luttes TD4 Exposé(s) / discussion(s)

Pour joindre l’enseignant

 Les exposés sont évalués selon cinq critères :

Formulation traditionnelle des sujets :

Indications générales sur le plan :

Quelques types de plans :

Structure type d’une dissertation :

NB : « ( ) » = Image du champ de l’argumentation. L’introduction sert alors à délimiter le champ

Conseils pratiques généraux :

Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris,

Modèle coopératif et politisation Cet usage dépolitisant et conservateur du mouvement

Les répertoires d'action collective

Source : à partir de Tilly [1986].•

Source : d'après Kriesi [1993].•

Interdépendances et trajectoires La notion d'espace des mouvements sociaux a été reprise

James C. Scott, « Infra-politique des groupes

Traduit de l’américain par Pascale Guy

Notes qui désigne l’ensemble des interactions ouvertes entre

Erik Neveu, « Médias et protestation collective », in Penser les

Médias et « médiactivisme » (F. Granjon)

L’émergence d’un militantisme producteur et Bibliographie

Université Paris-Est Créteil

Parcours Sciences de l’Information et de la Communication

année 2017 - 2018

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