« Le commerce est, par son essence, satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec le sous-
entendu : Rends-moi plus que je ne te donne.
L'esprit de tout commerçant est complètement vicié.
Le commerce est naturel, donc il est infâme.
Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : "Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus
d'argent que les sots qui sont vicieux".
Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre.
Le commerce est satanique, parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la
plus basse, et la plus vile. »
Mon coeur mis à nu, in Oeuvres complètes, Paris, NRF/Gallimard, 1954, «Bibliothèque de La Pléiade», p. 1229.
La sagesse du don
"Quand le corbeau eut entendu cela, il dit : Mon cher, si c'est ainsi, eh bien soit !
Dès lors ils ne cessèrent tous les deux de jouir du plaisir d'entretiens éloquents; ils passèrent le temps à se
rendre service l'un à l'autre. Laghoupatanaka apportait des morceaux de viande bien propres pour Hiranyaka et
Hiranyaka apportait d'excellent grains et d'autres aliments exquis pour Laghoupatanaka. et certes cela convenait
pour tous les deux. Et l'on dit :
Donner, recevoir, raconter un secret, questionner, manger et faire manger, voilà six sortes de marques
d'affection.
Et ainsi :
Sans service rendu, personne n'a d'affection en aucune manière, car c'est à cause de l'offrande du
sacrifice que les dieux donnent ce que l'on désire.
et aussi :
L'affection existe dans le monde tant qu'un présent est donné, : le veau, quand il voit qu'il n'y a plus de
lait, abandonne sa mère.
Voyez la vertu du don ! aussitôt il fait naître la confiance; par sa puissance un ennemi devient un ami à l'instant.
Et ainsi :
Je crois vraiment qu'à l'animal même privé de jugement un don est plus cher que son petit même: car
voyez, la femelle du buffle, quand on ne lui donnerait que du sédiment d'huile, elle donne toujours son lait
lors même qu'elle a un petit.
Bref, le rat et le corbeau conçurent une affection sans bornes, inséparable comme l'ongle et la chair, ils devinrent
très grands amis.
Panca-tantra. Edition Gallimard, Paris, p.61.
Indications de lecture:
Le Panca-tantra est l'ancêtre indien des recueils de fables. C'est un traité d'éducation politique à l'usage du jeune
prince. La seconde partie, "l'acquisition des amis", raconte, l'histoire du rat qui sauva des oiseaux en coupant le
filet d'un chasseur et devint ainsi l'ami du corbeau.
Si c’est l’intérêt et un vil calcul qui me rendent généreux, si je ne suis jamais serviable que pour obtenir en
échange un service, je ne ferai pas de bien à celui qui part pour des pays situés sous d’autres cieux, éloignés du
mien, qui s’absente pour toujours ; je ne donnerai pas à celui dont la santé est compromise au point qu’il ne lui
reste aucun espoir de guérison ; je ne donnerai pas, si moi-même je sens décliner mes forces, car je n’ai plus le
temps de rentrer dans mes avances. Et pourtant (ceci pour te prouver que la bienfaisance est une pratique
désirable en soi) l’étranger qui tout à l’heure s’en est venu atterrir dans notre port et qui doit tout de suite repartir
reçoit notre assistance ; à l’inconnu qui a fait naufrage nous donnons, pour qu’il soit rapatrié, un navire tout
équipé. Il part, connaissant à peine l’auteur de son salut ; comme il ne doit jamais plus revenir à portée de nos
regards il transfère sa dette aux dieux mêmes et il leur demande dans sa prière de reconnaître à sa place notre
bienfait ; en attendant nous trouvons du charme au sentiment d’avoir fait un peu de bien dont nous ne
recueillerons pas le fruit. Et lorsque nous sommes arrivés au terme de la vie, que nous réglons nos dispositions
testamentaires, n’est-il pas vrai que nous répartissons des bienfaits dont il ne nous reviendra aucun profit ?
Combien d’heures l’on y passe ! Que de temps on discute, seul avec soi-même, pour savoir combien donner et à
qui ! Qu’importe, en vérité, de savoir à qui l’on veut donner puisqu’il ne nous en reviendra rien en aucun cas ?
Pourtant, jamais nous ne donnons plus méticuleusement ; jamais nos choix ne sont soumis à un contrôle plus
rigoureux qu’à l’heure où, l’intérêt n’existant plus, seule l’idée du bien se dresse devant notre regard.
Bienfaits
Swami Prajnanpad sur le don