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ŒUVRES

DE MASSILLON.

TOME HUITIÈME,
SERMONS

DE MASSILLON,
ÉVÊQUE DE CLERMONT,

l’üN DES QUARANTE DE L’ACADEMIE

ERANÇAISE.

PANÉGYRIQUES.

A LYON,
CHEZ AAI ABLE LEROY, IMPRIMEUR-LIBRAIRE.

s 81 o.
SERMON
POUR LE JOUR

DE SAINTE AGNÈS.

Magnificabitur Christus in corpore meo , sive per


vitam , sive per mortem,

Jésus-Christ sera glorifié dans mon corps , soit par


J'[a vie , soit par ma mort. Philipp. i. 20.

Jésus-Christ n’a jamais paru plus grand


que dans ses Saints; et ces siècles heu­
reux , où.l’Eglise teinte du sang des mar­
tyrs gémissoit dans l’oppression , furent
les siècles de sa magnificence et de sa
gloire.
Voilà pourquoi l’Eglise nous rappelle
sans cesse aux premiers âges de l’Evangile :
elle nous présente ces héros de la foi , qui
tirent tant d’honneur à la religion ; ces
grands modèles, la gloire de leur siècle ,
et la confusion du nôtre.
Mais parmi ces âmes illustres, qui ren­
dirent témoignage à Jésus-Christ, et qui
îe glorifièrent dans leurs corps, l’Eglise a
■l ün-e§yrifucs,
' * A
2 POUR EE JOUR
OAurrü AGNES. 3
toujours donné un rang d’honneur et de trouvé le secret, dit saint Augustin, de
distinciionà la sainte martyre , dont nous
îeunir toute, la sagesse de la philosophie ,
célébrons aujourd’hui la mémoire. Agnès et de la politique humaine, avec toutes
à peine sortie de l’enfance, victorieuse tes extravagances du culte; qui avoit
du monde et des tyrans, des plaisirs et adopte tous les dieux les plus bizarres , et
des supplices : c’est le grand spectacle que toutes les superstitions des nations qu’elle
l’Eglise présente à notre foi, et l’instruc­
vaincues; et qui de toutes les folies
tion en même temps qu’elle donne aux < e Jmvers , avoit, pour ainsi dire, formé
Fidèles. ta ma,este de sa religion et de ses céré-
Nous excusons nos foiblesses sur l’âge , jnomes , ne parut inexorable qu’à la sainte
sur le tempérament, sur les occasions : la
chasteté éminente de notre illustre Vierge a CTO1X* démon en possession
lO)!2|Lma'llTSSedu monde, la disputa
va confondre ces vaines excuses. Nous jus­ l’E^Cc PS a ,Jes’^-Christ : il en coûta à
tifions notre mollesse et notre impénitence
f f ¡° ÎSe S6S P us tPtislres victimes ; et il
sur la foiblesse de l’homme, et sur l’in­ ialtut encore que cette ville célèbre , pour
compatibilité de l’Evangile avec nos mœurs fonrîîf “"î C,W SVnle et »»"«lie , fût
et nos usages : le courage de notre sainte X le Û7 J J do Apôtres , comme
martyre va détruire ces prétextes frivoles. ses de Sôttefojs sur le sang même de
Préjtigé de foiblesse et de fragilité détruit ses deux premiers fondateurs.
j»ar le triomphe de sa chasteté; préjuge seurs“^1 L6 f u ant ,de S^éreux défen-
d’impénitence confondu par le courage Rol d fo1? dont le lri°mphe rendait
de son martyre. Implorons , etc. Ave, home encore plus illustre que les victoires
Maria, etc. avec u„"tC!TÛ,°^Uérana’
devin! 1 1 . ec at’ qUe SOÎ1 nom seui
PREMIÈRE PARTIE. devint ha gloire ¿e l’Eglise, ha honte du
mèïîrsl5nie ’ 6t 1 admiration de tous les
Fe sang des martyrs étoit encore la se­
mence des Fidèles , et les Chrétiens per­ sir^e Mâ<?e Î Ia n,at.ur? avoient Pris plai-
sécutés accomplissoient encore dans leurs
trésors Pa r? 3 1 6nV1 SUr elIe toas leurs
corps ce qui manquoit à la passion de leur
maître, quand Rome vit paroitre l’illustre saX U”k ,ean1esse tendre et floris-
îeverl’n îe?eaUtedontDÎeu sembloit re-
Vierge que nous honorons.
Cette capitale de l’Univers, qui ayoifr arrétèrnnij’T™1?6 autrefois dans Judith,
teteient d abord sur elle les regards pu-
A 2
DS SAINTE AGNES. 5
tères , qui va bientôt la troubler et peut-
POUR tE JOUR être la rompre : la même cupidité qui
folies. Ce que Rome avoit de plus grand la nous lie, nous a bientôt désunis. L’ou­
rechercha : les époux terrestres se présen­ vrage des passions ne sauroit être dura­
tèrent; et ne doutant pas que leur nais­ ble; on unit souvent, et on unit en vain
sance et leurs grands biens ne devinssent ce que Dieu avoit séparé. Tant de divorces
un attrait invincible pour la médiocrité scandaleux sont de foibles leçons, et ne
de sa fortune , ils comptoient déjà pour rendent pas les mariages plus saints et plus
épouse , celle qui ne devoit avoir que Jé­ prudens; et l’on voit tous les jours les plus
sus-Christ pour époux. Quel écueil en ef­ grandes maisons périr et s’éteindre, par le
fet pour une vertu vulgaire ! Se refuse-t-on Sacrement même destiné à les soutenir et
à cet âge à une fortune brillante qui s of­ à les perpétuer.
fre ; et surtout quand l’honneur et la reli­ Mais ce n’est pas la seule instruction
gion n’y semblent mettre aucun obstac e . que nous donne la préférence que fait
Il est vrai que l’idolâtrie de ces prétendus Agnès du trésor de la virginité à toutes les
époux devoit alarmer la foi de notre jeune pompes du siècle. Nous regardons le dé­
Vierge. Mais la femme fidèle ne pouvoit- règlement comme une destinée de l’âge ;
elle pas sanctifier le mari infidèle ? D ail­ nous pardonnons le vice aux premières
leurs, y regarde-t-on de si près, quand il mœurs, il semble qu’il y aune saison pour
s’agit d’un établissement qui va nous as­ les passions ; et que la régularité et la pu­
surer un grand rang et une fortune im­ deur ne deviennent une vertu , que lors­
mense ? Les mœurs , la religion Qa piete , qu’un âge plus avancé nous en a fait une
décident-elles de nos choix dans ce Sacre­ nécessité ou du moins une bienséance.
ment honorable ? L’intérêt ou la passion , Agnès à la fleur de l’âge ne connoit rien
ne forment-ils pas toujours les nœuds de de plus précieux que le trésor de l’inno­
ce lien sacré ? Les biens et les titres sont cence : ornée de tous les talens qui con­
comptés dans l’écrit fatal qui va vous lier; duisent toujours à la perdre, elle en
‘ les vertus y sont-elles comptées? On met veille avec plus de soin à sa conservation.
tout en oeuvre pour assortir les fortunes ; Tous les temps lui paroissent appartenir
on ne se met point en peine d’assortir les également à celui qui est le Maître des
cœurs : pourvu que tout le reste convien­ temps et le Seigneur de l’éternité ; et le
ne, on ne compte pour rien que les hu­ seul privilège qu’elle trouve dans sa jeu­
meurs ne conviennent pas. Une société nesse , ce sont des attentions plus sévères ,
sainte et indissoluble, n’a souvent pour tout A 3
lien qu’une opposition secrète de carac-
DE SAINTE AGNÈS. 7
g POUR I. E JOUR
pour éloigner des passions qu’il est tou­ ne se donne-t-elle pas encore une jeunesse
jours bien plus aisé de prévenir que empruntée qui ne trompe que ses yeux
seuls ? Que dirai-je ? n’achète-t-elle pas
d’éteindre.
Vous nous dites tous les jours cepen­ peut-être des assiduités criminelles qu’elle
dant qu’il faut passer quelque chose à ne sauroit plus mériter? deschoïx honteux
l’âge : et moi, je vous dis que c’est à l’âge ne deviennent—ils pas la ressource de son
qu’il ne faut rien passer, et que les pre­ indigne foiblesse ? et l'âge, en changeant
mières mœurs décident d'ordinaire du ses traits, a-t-il changé quelque chose à
reste de la vie. La saison des périls est- la honte de son caractère ? Vous voulez
elle donc celle où il faut moins les crain­ nous apprendre, ô mon Dieu ! qu’on ne
dre ? les passions plus vives nous autori— revient pas aisément à vous , quand une
sent-elles à moins fuir tout ce qui les nour­ fois on vous a abandonné jusqu’à un cer­
rit et les allume ? faut-il que le monde ait tain point ; et qu’un coeur livré depuis
corrompu le cœur avant que nous le don­ long—temps au monde et aux plaisirs ,
nions à Dieu ; que le vice prépare. les n’offre presque plus de ressource à la
voies à la vertu , et que tous les plai.siis grâce.
soient usés avant qu’on prenne le parti de Mais du moins, direz—vous, si l’âge ne
goûter combien le Seigneur est doux? mérite pas quelque indulgence , le tempé­
D'ailleurs , nos passions finissent-elles rament doit rendre nos foiblesses pardon­
avec la jeunesse ? Hélas ! mes Frères, vous nables : c’est un malheur d’être né d’une
le savez , les premiers dérèglemens ne lais­ certaine façon. Peut-on se faire un cœur
à son gré; être plus dur que l’airain,
sent-ils pas un fonds de foiblessequi sem­ quand on a apporté en naissant une ame
ble se fortifier avec les années ! et la fra
tendre et sensible ? et ne trouvons-nous
gilité d’une vieillesse criminelle n’est-elle
pas en nous des penchans auxquels on
pas presque toujours le iruit et la puni­
peut, à la vérité, se refuser quelque
tion de la licence des premières mœurs ?
Une femme mondaine ne veut-elle pas temps , mais dont il n’est presque pas pos­
sible de fuir toujours la destinée? C’est-
encore plaire au monde , lorsqu’elle n’en
est plus que la risée ou 1e dégoût ? ne’cher- à-dire, mes Frères, que lorsque Dieu
nous donne un cœur tendre et sensible ,
t-elle pas encore les regards qui la luient ?
ne ranime-t-elle pas encore un visage flé­ il ne nous le donne pas pour lui. Il ne
s’est donc réservé que les âmes dures et
tri et suranné, par des artifices qui rap­
pellent plus ses années que ses attraits ? barbares ? il n’y a donc que les cœurs d’ai—
g POUR LE JOUR DE SAINTE AGNÈS. 9
rain sur lesquels il puisse avoir quelque nous la violence qui ravit le ïtoyaume de
droit, et qui soient nés pour l’aimer? et Dieu, s’il ne falloit pour l’obtenir, que
dès qu’il nous a donné un bon cœur , le renoncer à des plaisirs où nul goût rie
bienfait même devient un titre qui nous nous entraîne ? Vous alléguez le tempéra­
dispense de le servir, et une excuse qui
ment ? mais quel est le pécheur qui ne de­
semble nous autoriser à l’oublier et à lui vienne par là digne d’excuse ? Tous les
déplaire. Quel blasphème ! et quel ou­ crimes les plus affreux ne supposent-ils
trage fait au souverain Modérateur de la pas dans ceux qui s’en rendent coupables ,
nature et de la grâce , et à l’Auteur de tout des penchans qui les y portent ? Le vice
don excellent! Tout ce que nous avons cesse-t-il de l’être, dès qu’il a le cœur pour
reçu de lui, ne l’avons-nous pas reçu poui lui ? seroit-il besoin de nous l’interdire ,
lui ? et la sensibilité d’un cœur tendre , SI un goût malheureux ne nous le rendoit
qu’est-elle, qu’une disposition et une faci­ aimable? L’adultère de David fut-il moins
lité de l’aimer, que la nature elle-même a odieux et moins puni du Ciel, parce que
comme mise en nous, et dont nous abusons ce prince étoit né avec un cœur trop foible
par une ingratitude criminelle, pour pros­ et trop tendre ? Les Justes ne trouvent-ils
tituer nos affections a la vile creatuie ? pas en eux, comme vous, des passions à
Quel cœur plus tendre que celui d’A­ reprimer ? vainquent—ils sans combattre?
gnès? J’aime Jésus-Christ, disoit-elle, et n’ont-ils pas à résister à la chair et au
en l’aimant je deviens plus chaste ; en sang ? sont-ils pétris d’une autre boue que
m’unissant à lui , je me trouve plus pure ; nous ? et s’ils se livrent moins aux pas­
en le recevant au dedans de moi , je mets sions, est-ce parce qu’ils sont moins ten­
le sceau à ma virginité: c’est faire outrage tés, ou parce qu’ils sont plus fidèles ?
à cet Epoux céleste, de croire que je puisse Qu’est-ce donc que ce prétendu tempé­
être touchée de quelqu’autre que de. lun rament, qui diminue à vos yeux l’horreur
Périsse mon corps , puisqu’il a pu plaire à de vos fautes ? c’est un long usage de dé­
d’autres yeux qu’aux siens : Perçât corpus, règlement qui vous l’a rendu comme né­
quod placcre potest oculis quibus nolo. Elle cessaire; c’est un cœur subjugué par les
fait usage pour Dieu seul d’une sensibilité passions, et pour qui l’occasion devient
qui ne doit nous conduire qu’à Dieu seul. toujours une chûte; c’est une fragilité
Mais de plus, où seroit le mérite de la honteuse, toujours sûre de périr dès qu’il
vertu , si nous ne trouvions en nous des faut résister : c’est une volonté livrée au
penchans qui la combattent? où placerions-
crime , et qui à force de secouer le joug
DE SAINTE AGNES. II
jo p O U R I* E JOUR
des devoirs, ne connoît plus même celui plus excusable. Mais tel est tous les jours
le langage de l’impiété : c’est le tempéra­
des bienséances. . . „„„ ment seul qui fait les vertus et les vices.
Et quel siècle a jamais vu plus de ces
tristes exemples que le nôtre ? ¿¿ cnme se On ôte à l’homme tout usage de sa raison
cachoit du moins autrefois, il lait &lo‘ie et de sa liberté ; et pour le rendre éga­
aujourd’hui de se donner en spectacle . lement peu digne de blâme ou de louange ,
c’éloit autrefois une œuvre de confusion on le fait agir par pur instinct comme la
et de ténèbres; il affecte aujourdhui la bête.
lumière, et semble chercher effrontément Enfin , vous ajouterez peut-être que ce
le grand jour dans un sexe meme dont la n’est ni le goût, ni le tempérament qui
pudeur a toujours fait tout le mente. On vous porte au désordre; que vous étiez
voit des femmes infortunées porter avec nés avec d’heureuses inclinations; et que
ostentation sur le front leur donneur les occasions seules ont fait jusqu’ici et
et leur ignominie ; tirer une gb. e ho, font encore tous les jours vos malheurs.
ieuse que le public soit instruit du succès Mais, plus vous étiez nés heureusement,
plus vous êtes coupables d’avoir rompu la
de leurs funestes appas ; compter comme digue que la nature elle-même sembloit
autant de victoires et de titres d’honneur,,
îe, âmes foibles qu'elles ont fait tomber avoir opposée à votre foiblesse; plus vous
danT le piéB«i déchirer elles-memes sans rendrez compte à Dieu, d’un cœur que
nudeur le voile que la bienséance avoit vous avez livré à Satan, malgré tant de
defenses heureuses, dont la main miséri_
Süs iüsqq’ici sur le dérèglement; et pren­ cordieuse l’avoit environné. C’est-à dire ,
dre ce semble , autant de soin de publier
plus vous trouviez en vous de penchans
1-ur’honte , que les siècles précédons en qui vous inclinoient à la vertu , moins
avoient pris 3e la cocher. On vm^mpu-
vous trouverez devant Dieu d’excuses à
dence devenue un bon air , l îndecence
vos vices; et les mêmes occasions qui
poussée à un point, quelle inspire mei"
du dégoût à ceux à qui elle seffoice de sont pour les autres des malheurs , de­
viendront pour vous des ingratitudes et
plaire; elle nom de la pudeur consacre des crimes.
à celui de la Vierge illustre que nous ho
„orons, devenu un nom de mépris et de D ailleurs, qu’est-ce que ces occasions
risée Alléguez-nous apres cela le tempe- qui vous ont séduits? Sont-ce les talens
Ïamenï, comme s’il sursoit de ne plus malheureux des grâces et de la beauté
J dont la nature vous avoit pourvus ? mais ,
mettre de bornes au vice, pour le rendis
A 6
DE SAINTE AGNÈS.
j2 fOUKLE JOUR
vivement à Jésus-Christ ; et les flammes
quel usage en fit notre sainte Vierge ? Mais
impures qu’on fait briller autour d’elle ,
c’est cela même qui auroit dû rendre vos
viennent s’éteindre dans l’ardeur qu’elle a
attentions plus rigoureuses. Les bienfaits
pour son Epoux céleste. Hélas ! et vous
du Créateur peuvent-ils devenir une ex­
avez été vous-mêmes au devant du crime;
cuse lorsqu’on les tourne contre lui ? N’y
et la facilité de vos mœurs a été comme un.
a-t-il que le rebut du monde qui soit pro­
signal de dérèglement ; et vous avez cher­
pre à servir Dieu ' Mais de plus, n ajoutez-
ché les regards qui vous fuyoient; et vous
vous pas aux grâces de la nature un ail
n’avez trouvé du goût que dans les lieux
dangereux qui les rend funestes aux au­ où l’innocence étoit en danger ; et les
tres et à vous-mêmes? N’avez-vous pas as­
jours éloignes des occasions ont été pour
suré le succès de vos déplorables appas
vous des jours d’ennui et de tristesse : et
par des soins qui étoient déjà un crime
vous n’avez pu trouver de plaisir , où vous
pour vous , avant que d’être un sujet de
ne trouviez point de péril. Que répon­
chûte pour vos frères ? N’avez-vous pas drez-vous à Jésus-Christ ? et vos excuses
même peut-être fait suppléer aux talens
ne deviendront - elles pas de nouveaux
que la nature vous a refuses, une effion- crimes? Alléguerez - vous des séductions
terie qui porte toujours un poison plus
d’espérance et de fortune , qui vous ont
sûr dans les cœurs , que toutes les grâces fait succomber? Mais les plus illustres Ro­
d’une beauté chaste et pudique ? Et n’avez- mains offrent à Agnès, avec leur cœur ,
vous pas arraché par des avances honteuses , l’orgueil de leur grandeur et de leur
des désirs criminels, où à peine auriez- opulence ; le monde vient mettre à ses
vous trouvé de simples regards ? Vous pieds toute sa gloire et toute sa magnifi­
dressez vous-mêmes le piège , et l’occasion cence , et elle la foule comme de la boue ;
qui vous fait périr; etvousvous en prenez et la couronne de la sainte virginité lui
à elle de votre perle. paroît préférable à l’empire de l’Univers.
Enfin, sonl-ce les séductions dont vous Hél as ! faut-il le dire ici ? Et c’est peut-
avez eu peine à vous défendre ? Les solli­ être cette funeste passion qui a éloigné
citations , les promesses , les terreurs af­ tous vos établissemens , et mis un obstacle
fermissent la vertu de notre Sainte. Les honteux à votre fortune ; et vous avez
sollicitations; elle n’offre qu’une sainte peut-être sacrifié toutes vos espérances à
fierléà des empressemens profanes ronmet .votre goût ; et vous avez peut-être acheté
tout en œuvre pour toucher son cœur ; au prix de votre gloire la honte de la vo-
et les efforts des hommes l’unissent plus
BE SAINTE AGNES. ' 13
ï4 P O U R I. E JOUK
Des exemples de vos Saints confondront ce
lupté ; l’ambition vous a paru incompa­
vain langage d’excuses et de préjugés, que
tible avec le plaisir; et vous n’avez connu
d’autre gloire et d’autre fortune que la le monde oppose sans cesse aux préceptes
triste liberté de vous satisfaire.Enfin, vous
de votre loi sainte : le pécheur n’y paroi-
tra plus couvert que de ses crimes et de sa
nous alléguerez peut-être les terreurs et
confusion. La chasteté d’Agnès mise à des
les menaces qu’on a employées pour vous
épreuves si dangereuses , et toujours
séduire. Mais on présente à la foiblesse
triomphante de toutes les séductions et
de notre jeune Vierge l’horreur des tour-
de toutes les terreurs , prononcera un ju­
mens, on alarme sa pudeur en la traînant
gement terrible contre, les désordres de
dans un lieu de prostitution et de honte ;
notre siècle : l’éclat de sa jeunesse et de
on change en punition un vice, dont on
sa beauté, joint àcehu de sa vertu , ap­
n’a pu lui faire un attrait; et l’image hon­ prendra à celles de son sexe, que l’âge et
teuse du dérèglement ne sert qu’à redou­
les talens de la nature donnent à la vérité
bler son amour pour la chasteté et pour
un nouveau lustre à la piété, mais ne peu­
l’innocence. Elélas! et loin d’avoir eu a
vent jamais servir d’excuse au crime : en
soutenir des terreurs et des menaces pour un mot, si les préjugés du dérèglement
le devoir, vous aviez tout à craindre en sont confondus par le triomphe de sa chas­
l’abandonnant, les fureurs d’un époux teté, tous les prétextes dont l’impénitence
déshonoré, la censure publique , l’indis­ se couvre , le sont encore plus par le cou­
crétion des complices de vos plaisirs , un rage de son martyre,
éclat honteux qui alloit laisser sur votre
front la tache éternelle du vice ; et malgré SECONDE PARTIE.
toutes ces terreurs si capables de vous re­
tenir dans les bornes du devoir et de la Les passions toujours pénibles, toujours
vertu , vous avez marché d’un pas ferme entourées d’épines , ont pourtant repro­
et impudent dans la voie des passions. ché de tout temps à la vertu ses difficultés
Vous n’avez craint que de trop craindre : et ses peines. C’est un ancien langage du
les obstacles sont devenus pour vous un monde , de prétendre que l’Evangile pra­
nouvel attrait; et vous avez trouvé dans tiqué à la lettre , est une idée de perfec­
les périls qui dévoient vous dégoûter, une tion où l’homme ne peut atteindre. Il sem­
sorte d’assaisonnement pour le vice. O mon ble que Jésus-Christ , comme autrefois
Dieu ! tout se tournera contre l’ame cri­ ces philosophes ’vains et frivoles , ne soit
minelle deyant yotre tribunal redoutable i
DE SAINTE AGNÈS. ï7
l6 POUR LE JOUR sions et sur soi-même, qui ne paroit pas
venu qu’étaler une morale sublime pour convenir à une jeunesse tendre , facile ,
se faire des admirateurs , et non pas plu­ aisée à séduire; et où toutes les passions,
tôt pour former des disciples ; et que sa pas encore modérées par les réflexions et
loi sainte , qui est la loi du cœur et des ac­ par l’expérience , semblent sortir en foule
tions , ne soit plus qu’un jeu d’esprit, et du cœur , avec une impétuosité à laquelle
un ouvrage de spéculation et de paresse. il seroit inutile d’opposer une digue : if
On ne croit pas l’austérité de l’Evangile faut laisser calmer ces premiers bouillons,
compatible avec les foiblesses de l’homme, et attendre que la raison plus rassise soit
et avec les mœurs autorisées par l’usage ; capable de quelque chose de plus sérieux
et l’on s’endort sur ces deux préjugés , et de plus solide. Mais Agnès , au sortir
comme si la loi pouvoit cesser d’être loi , presque de l’enfance , défie la fureur des
parce que nous la regardons comme si elle tyrans , l’horreur de son supplice , qui
ne l’étoit pas pour nous-mêmes. alarme même la férocité de ses bour­
Mais , mes Frères, quand la parole seule reaux, répand une joie sainte et comme
de Jésus-Christ ne suffiroit pas pour con­ un nouvel éclat sur son visage : pas encore
fondre nos vaines excuses; Agnès tressail­ accoutumée à souffrir, elle paroit trans­
lant de joie au milieu des tourmens , et hâ- portée d’alégresse au milieu des tourmens
tant elle-même, par une sainte impa­ les plus cruels; et Indélicatesse de son
tience , la lenteur des bourreaux , couvrira corps , à peine propre à recevoir des
de honte notre mortification et notre pa­ plaies , est déjà capable de les mépriser ,
resse ; et justifiera plus la sévérité de notre dit saint Ambroise , et de remporter la
condamnation, que l’Evangile même qui victoire : Nondùrn idonea pœnœ , et jam
l’a prononcée. malura vicioriœ. ( 5. Amb. )
Nous nous retranchons sur l’âge, sur Et en effet, mes Frères, qu’y a-t—il
le sexe , sur lafoiblesse du tempérament , dans la vie chrétienne qui ne convienne
incapable de porter toute la rigueur et au premier âge? Quoi ! le sérieux? Mais
tout le sérieux d’une vie exactement con­ la piété est dans la joie de l’Esprit-Saint :
forme à l’Evangile. Sur l’âge : il faut pour l’innocence seule est toujours accompa­
l’observance rigoureuse des devoirs du gnée de sérénité et d’alégresse ; et il n’y
Chrétien une force , une maturité d’esprit , a que le crime et les passions qui soient
une fermeté à l’épreuve de tout, une per­ tristes, sérieuses et sombres. Quoi ! lavio-
sévérance , un endurcissement à la peine lence ? Mais, c’est dans le premier âge que
et à la violence , un empire sur ses pas—
DE SAINTE AGNÈS.
ï8 FOUKLEJOUH
les passions plus dociles se plient plus ai­ semhloit tendre les mains à la grâce ; que
sément au devoir; que le cœur pas encore tout nous aplanissoit les voies de la vertu ;
souillé reçoit avec moins de répugnance que les sacrifices alors eussent été bien
les impressions de la vertu; et que ses légers; que le monde et les passions ne
ienchans n’étant pas encore enchaînés par nousavoient pas encore liés d^foiille chaî­
f es habitudes du vice, il lui en coûte nes indissolubles , qui nous laissent à peine
la liberté de désirer notre délivrance ;
moins d’éviter tout ce qui peut y conduire.
Quoi encore ! les réflexions , dont on n’est que notre cœur , pas encore corrompu par
pas capable dans une grande jeunesse ? un long usage des plaisirs,ne trouvoit pas
Mais il faut devenir enfant pour être dis­ la piété si dégoûtante et si affreuse ; qu’à
ciple de Jésus—Christ : la grâce ne se mesure que l'âge nous a approchés du tom­
plaît que dans sa simplicité et dans l’in­ beau, nous nous sommes éloignés de la
nocence. Nos incertitudes croissent avec voie de la vérité et de la vie; et qu’enfin,
nos réflexions : plus nous raisonnons, plus en avançant en âge, nous n’avons fait que
nous nous embarrassons, plus nous en­ croître en malice , en dérèglement, et dans
fonçons dans nos propres ténèbres. On l’amour désordonné des créatures ?-L'E­
sait tout quand on a la foi ; et pour être vangile est donc la loi de tous les âges,
plus éclairé, il suffit d’ètre plus docile. comme il l’est de tous les sexes.
Quoi enfin ! la fermeté et la persévérance ? Je dis de tous les sexes : car quel pré­
Mais ce sont nos passions seules qui font texte pourroit alléguer ici le sexe en sa
toutes nos inconstances : les inégalités de faveur contre l’austérité etla difficulté des
la vie de l’homme ne prennent leur source devoirs de l’Evangile ? Les Agnès , les
que dans la diversité des objets, qui -tour Luce, les Cécile, tant d’autres héroïnes
à-tour les dominent ; et un cœur pur et in­ de la foi, n’ont-elles pas trouvé dans le
nocent est toujours égal et tranquille. leur une force et une grandeur dame ,
Hél as ! mes Frères , ne nous reprochons- dont les héros profanes n’ont jamais ap­
nous pas tous les jours à nous—mêmes le proché ? Hélas ! mes Frères, de quoi n’est
mauvais usage que nous avons fait de pas capable une femme mondaine pour
cette première saison de notre vie ? Ne l’objet criminel qui la possède et qui la
nous redisons-nous pas sans cesse qu’il captive ? quel courage ! quelle force ! quels
eût été aisé alors de prendre sur nous ; sacrifices ! les difficultés la raniment. Le
que nous avions apporté en naisant un cœur repos , la réputation , la liberté , la santé ,
vertueux que le crime alarmoit, et qui la fortune, rien ne tient devant la pas—
¿O TOUKEE JOUIT
sion : on voit tous les jours deEes héroïnes BE SAINTE AGNÈS. 21
infortunées capables de tenter les plus des feux ou à la torture des supplices ?
grandes entreprises ; qui sacrifient tout à Dieu ne demande pas la force du corps :
leur injuste"goût ; qui tirent de leur sexe il demande la pureté et l’innocence de
un courag^yiu—dessus de l’homme ; et qui î’ame , et alors celui qui est infirme peut
en ayant oublié la pudeur, en ont aussi , dire: Je suis fort et puissant. Les devoirs
ce semble , oublié la timidité etla foiblesse. essentiels de la foi s’accomplissent au de­
Et pourquoi ne seroit—on capable de rien dans de nous. C’est l’amour , c’est la crainte
pour Dieu? ce qu’on a pu pour le monde, de Dieu, c’est la reconnoissance, c’est le
ne le pourroit-on pas pour le salut? la sacrifice intérieur des passions : ce sont là
passion a su nous donner des forces et les vertus des foibles comme des forts :
nous élever au-dessus de notre foiblesse , plus même ce corps de boue se refuse au
et la grâce n’auroit pas le même privilège ? travail et à la peine, et nous rend inca­
Le salut éternel, mes Frères , ne demande pables de la soutenir , plus le cœur doit
ni des sacrifices si éclatans , ni desassujet- suppléer’ par la ferveur de son amour et
tissemens si pénibles que le monde ; et de ses désirs à la foiblesse du corps ter­
nous n’osons en essayer: Jésus-Christ est restre. Hélas! mes Frères, il faut un corps
un maître bien plus aisé à servir que *le de fer pour fournir aux agitations, aux
monde , plus tendre, plus indulgent, plus jeux, aux plaisirs, aux veilles, aux assu—
compatissant, plus fidèle; et nous le re­ jettissemens que le monde et l’ambition
gardons comme un tyran , qui rend mal­ vous imposent: et cependant la foiblesse
heureux ceux qui le servent. O mon Dieu! de votre complexion y peut suffire ; et
que l’homme est à plaindre de vous con- cependant la santé est une foible raison
noitre si peu , et de se connoître si peu lui- contre le goût ; et cependant malgré le
même ! dépérissement d’un corps qui se trouve à
Qu’alléguerez — vous donc encore? la vos dérangemens, vous êtes de tout, et
délicatesse du tempérament ? Mais Agnès la vivacité de vos passions supplée à la
trouve-t-elle dans la délicatesse de sa com- foiblesse de vos forces. Mais pour rem­
plexion des raisons pour craindre les chaî­ plir les devoirs de la religion , il ne faut
nes qui la lient et le glaive qui va l’im­ qu’un bon cœur; je l’ai déjà dit : une
moler ? Mais vous demande—t—on comme volonté pure et sincère supplée à tout :
à elle, que vous résistiez jusqu’au sang? et Dieu nous compte les œuvres que nous
S’agit-il d’offrir votre corps à la rigueur voudrions accomplir , comme celles que
nous avons faites : et cependant vous ex-
11E INTE AGNES. 20
2.2. l'OUK LE JOUR ,
des tourmens , à des alliances éclatantes
cusez votre mollesse et votre impenitence qu’elle pouvoit se flatter de concilier avec
sur la faiblesse de vos forces : vous justi­ sa foi et son innocence? Mais elle savoit
fiez une vie toute dans les sens et dans que la voie des Justes est une voie solitaire
les plaisirs , sur la délicatesse d’une com­ et peu battue; que le monde a toujours eu
plexion qui vous rend inhabiles à la pra­ le grand nombre de son côté ; et que pour
tique des mortifications et des violences; suivreDieu, il faut se détourner du chemin
comme si Dieu demandoit de nous ce qui que tiennent presque tous les hommes.
ne dépend pas de nous ; comme si avec D ailleurs, où est cette incompatibilité
une chair infirme on ne pouvoit pas avon de 1 Evangile avec la société P Est—il in­
un esprit prompt et fervent ; comme si la compatible avec les devoirs de l’amitié ?
religion consistoit dans la force du corps; ïnais c’est la religion toute seule qui peut
et non dans les dispositions du cœur ; nous assurer des amis sincères et fidèles :
comme enfin s’il en étoit de nous , ainsi avec les sentimens de la reconnoissance ?
que de ces victimes figuratives de la loi, mais c’est la piété véritable qui forme les
qu’on ne pouvoit offrir à Dieu que lors­ bons cœurs : avec la joie des conversations
qu’elles jouissoient d’une santé parfaite , et des commerces? mais ce sont nos crimes
et que leur corps robuste et entier n’offroit qui forment toute la noirceur et toute la
aux yeux ni tache, ni défaut, ni foiblesse. bizarrerie de nos humeurs ; et une cons­
Donnez-lui sincèrement votre cœur : c’est cience pure est la seule source de la joie
là, dit Jésus— Christ, toute la loi et les et des vrais plaisirs : avec le lien du ma­
prophètes ( Malth. 7. 12.). riage ? mais c’est la foi toute seule qui,
Enfin, vous nous opposerez en dernier rendant cette union sainte , la rend sûre
lieu , l’incompatibilité de la vie chrétienne et inviolable : avec les bienséances et les
avec la manière dont on vit et dont il faut devoirs de la vie civile? niais c’est l’Evan­
vivre dans le monde. gile qui nous rend doux, humbles, affa­
Mais Agnès consulte-t-elle si sa conduite mes , et qui nous persuade que nous devons
va paroitre extraordinaire aux Romains? toujours plus aux autres qu’on ne nous
examine-t-elle s’ils vont traiter son courage doit à nous-mêmes : avec les fonctions de
héroïque de fureur, et son martyre de su­ la république ? mais, si les maximes de
perstition et de folie? Quoi de plus sin­ Evangile gouvernoient les Empires et les
gulier selon le monde , que de renoncer royaumes , on ne verroit ni l’abus de l'au­
à son âge , à des établissemens pompeux, torité , ni l’oppression des foibles , ni la
et préférer l’opprobre public et la rigueur
DE SAINTE AGNÈS. i5
24 POUR IE JOUR aux autres ? n’est-ce pas là plutôt ce qui
mauvaise foi dans les affaires, ni des for­ les désunit? s’il reste encore de la bonne
tunes monstrueuses , et par l’opulence foi, de l’équité, de l’humanité, de la sin­
qu’elles étalent , et par les injustices cérité parmi les hommes, n’est-ce pas à la
qu’elles cachen t ; ni l’innocent devenu religion que nous en sommes redevables ?
le jouet et la victime du fourbe; ni la Grand Dieu ! je sens bien moi-meme
société déchirée par des haines , empoi­ l’injustice des prétextes que j’oppose à mes
sonnée parles jalousies; ni enfin les pas­ devoirs : votre loi sainte n’est incompa­
sions, troubler et diviser les mêmes hom­ tible qu’avec mes passions : j’ai beau adop­
mes que les seules passions réunissent. ter le langage du monde contre la vertu,
Voulez-vous donc savoir en quoi l’Evan­ ma conscience s’élève contre moi—même
gile est opposé à la société? aux vices qui et me force de convenir en secret que si
la déshonorent, aux passions qui la trou­ j’étois à vous , et que mes passions hon­
blent , aux débauches qui la renversent , teuses lussent éteintes , je serois meilleur
au luxe qui y répand la confusion et la père, meilleur mari, meilleur maître , ami
misère , aux jeux qui en sont une ,fureur , plus fidèle , homme public plus appliqué
ou un trafic éternel de ruse et d artifice. et plus intègre , citoyen plus utile à mes
L’Evangile ne retranche que les désordres Freres. La piété seule met tout à sa Pl ace ;
qui corrompent la société; il en assure le mes passions seules font que j’abuse de
fond , la paix , les devoirs , les bienséances. mes talens, de mes biens, démon cré­
Vivez selon Dieu , et vous serez bon ci­ dit , de mes places , de ma fortune ; elles
toyen , bon sujet , bon mari , magistrat seules troublent l’ordre de la société , que
équitable , maître modéré , époux iidele , l'Evangile assure et sanctifie. C’est mon
juste, désintéressé, charitable.. TSe nous cœur tout seul, qui se révolte contre vous :
dites donc plus que la piété n est pas ma raison, mes lumières, ma conscience,
compatible avec la vie du monde : du mon repos, mes intérêts mêmes, tout me
monde pervers et corrompu, il est vrai ; sollicite en votre faveur, tout me presse
du monde qui ne connoît pas Dieu ; du de retourner à vous , ô mon Dieu ! les
monde qui est ennemi de toute vérité et chaînes seules qui me lient à mes dérè-
de toute justice. Mais est—il nécessaire glemens, s’y opposent. Grand Dieu ! ren-
d’être fourbe, dissolu, voluptueux, in­ dez-moi les exemples de vos Saints utiles :
juste , vindicatif, irréligieux, pour vivre faites que mes lumières l’emportent enfin
dans le monde ? Sont-ce donc les vices tout sur ma foiblesse , que ma raison ne soit
seuls , qui doivent lier les hommes les uns Panégyriques. * B
aux
2.6 POUR LE JOUR DE SAINTE AGNÈS,
pas toujours le jouet de mes passions.
Ne vous contentez pas de faire luire la SERMON
vérité aux yeux de mon esprit; faites que
cette lumière divine m’enflamme , brûle POUR LE JOUR
les liens honteux qui m’arrêtent, et me
délivre dans le temps , pour m’assurer
l’éternelle liberté de vos enfans.
DE S. FRANÇOIS-DE-PAULE.
Ainsi soit-il.
Cùm infirmor , tunc potens sum.

Je ne suis jamais plus puissant que lorsque je parois


plus joïble. i. Cor. 12. 10.

Plus on est attentif aux voies de la Pro­


vidence dans l’établissement de l’Eglise ,
plus on y entrevoit , je ne sais quels ca­
ractères divins , qui démêlent d’abord la
religion de Jésus-Christ des opinions et
des sectes , et ôtent à ses premiers progrès
toute l’apparence des entreprises humai­
nes. En effet, choisir des moyens assortis
aux fins qu’on se propose ; mettre en
œuvre la force pour triompher , l’élo­
quence pour persuader, la grandeur pour
éblouir, les plaisirs pour corrompre: c’est
là comme le premier plan de la sagesse
des hommes , et je n’y vois rien qui tienne
tant soit peu _ du prodige. Mais que la
ioiblesse de Dieu ait été plus puissante
¡que ce qu il y a de plus fort parmi les
B 2
23 ÎOUR IE JOÜS
hommes; que toute la politesse du siècle DE S. ERANÇ OIS—DE—PAVLE. 2Q
d’Auguste , toute la volupté de l’Asie , la dehors communs de sa Providence. Ce­
force des Romains, la sagesse des Grecs, pendant , comme il se trouve toujours de
la férocité des Barbares , l’orgueil des ces Juifs charnels qui demandent des
philosophes, les préjugés et la supersti­ signes ; chaque siècle fournit à la reli­
tion des peuples; enfin que toute hauteur gion quelqu’un de ces grands spectacles,
soit venue se briser contre la grossièreté , de peur que la foi qui n’est presque plus
la foiblesse, l’ignorance et les travaux de qu’une lampe fumante ne s’éteigne tout-
douze pécheurs; que David ait été l’arbi­ à-fait, et afin que le Fils de l’Homme re­
tre des vieillards; Goliath le jouet d’un venant puisse en retrouver sur la terre.
enfant ; Holopherne , ce conquérant im­ Tel a été du temps de nos pères Fran-
pie , la proie , la conquête d’une femme ; ^ois-de-Paule , cet homme si foible selon
que Gédéon, que Baruc, que Debora, la chair, et si puissant selon l’esprit ; cet
personnes foibles et viles , soient deve­ instrument vil et méprisable aux sens ;
nues la terreur des ennemis d’Israël; que cette pierre mal polie dont parle Daniel ,
Moyse même, malgré sa timidité, et 1 in­ et détachée sans art de la montagne , mais
vincible embarras de sa langue, ait con­ qui conduite par une main invisible , sut
fondu les Sages des Egyptiens, arraché à humilier les colosses orgueilleux , briser la
toute la puissance d’un grand roi une dureté des cœurs, et devenir elle—même
nation entière , et rendu ce peuple inquiet une de ces saintes montagnes sur qui la
et intraitable, docile à des préceptes péni­ céleste Sion est fondée : et enfin, cette
bles et infinis : ce sont là , ô mon Dieu , autre verge mystérieuse, sèche et fragile
les routes ordinaires de votre sagesse, en apparence , mais qui entre les mains
toujours indépendante des moyens , tou­ du Dieu de Pharaon commanda aux ven's
jours maîtresse des évènemens, et toujours et à la mer , eut les clefs de la mort et de
marquant ses voies par des traits sensibles l’abîme, changea la face du ciel et de la
qui les distinguent si fort de celles de terre, s’attira le respect même des rois
l’homme. qu’elle avoit frappés, et qui placée depuis
Je sais que dans ces siècles avancés. la dans le sanctuaire, poussa des branches
foi n’a plus besoin de ces évènemens sin­ saintes , et couvrit toute l’arche de ses
guliers pour s’établir dans l’esprit des peu­ feuilles. Mais c’est pour guérir nos er­
ples , et que la sagesse de Dieu se cache, reurs, mes Frères, que je viens aujour­
pour ainsi dire, présentement sous les; d’hui vous raconter ses prodiges : c.’est
pour réformer les fausses idées que le monde
B 3
DE S. ER AN ÇOI S-DE—EAU LE. Ol
3o POUR LE JOUR
mages du cœur humain ? C’est 1 éclat de
nous donne de la gloire et de la grandeur;
la naissance, c’est la distinction qui nous
et vous convaincre , hélas ! que les distinc­
vient des sciences et de 1 esprit, c est la
tions les plus brillantes , une naissance mollesse qui suit les plaisirs et la félicite
illustre , une supériorité de génie , un
des sens, et enfin c’est le faste qui accom­
amas pénible des plus rares connoissan—
pagne la grandeur et les dignités. Ce sont
ces, une fortune riante, des dignités où là les secrets ressorts qui agitent les en-
le mérite seul peut conduire, des talens fans d’Adam; c’est là-dessus que roulent
éclatans , l’art des intrigues et des négo­
nos projets, nos mouvemens, nos désirs,
ciations , les emplois de la paix et de la
nos espérances ; c’est là comme le trésor
guerre, tout cela, si la grâce n’en fait
autour duquel notre coeur veille sans
des moyens de salut, n’est aux yeux de la
cesse , et le plus bel endroit de cetle
foi que comme un glaive fatal entre les
figure du monde qui nous saisit et nous
mains d’un furieux, qui, après avoir servi
enchante.
quelque temps d’amusement à sa folie, de­ La noblesse du sang et la vanité des
vient l’instrument assuré de sa perte. Vous
généalogies , est de toutes les erreurs la
-allez donc voir dans cet éloge la prudence plus universellement établie parmi les
du siècle réprouvée , la force confondue
hommes. On ne pense pas, quand on s’ap­
par la foiblesse, la science qui enfle céder
plaudit de l’éclat des ancêtres et de l’an­
à la simplicité qui édifie ; et vous avouerez tiquité du nom , que plus haut il nous
que jamais Saint ne parut plus foible aux faut remonter , et plus il nous approcha
yeux de la chair, et que jamais Saint ne de notre boue; que ce qui distingue les
fut plus puissant aux yeux de la foi : je vases d’ignominie, des vases d’honneur ,
réduis tout ce Discours à ces deux ré­ n’est pas la masse dont ils sont tirés, mais
flexions. Implorons, etc. Ave, Maria, le bon plaisir de l’ouvrier qui les discerne;
PREMIÈRE PARTIE.
que la noblesse du Chrétien n’est pas dans
le sang qu’il tire de ses ancêtres , mais
dans la grâce qu’il hérite de Jésus-Christ :
A quoi se réduit, mes Frères, ce qui
que la chair qui nous fait naître ne sert
Mous paroît ici—bas digne d’envie ? et dans
cet amas d’enchantemens qui nous font à rien, mais que l’esprit selon lequel nous
perdre de vue les biens éternels, queî$ renaissons est utile à tout ; et qu’enfin
sont les principaux objets qui séduisent l’origine comme la conservation du Chré­
l’esprit, et usurpent seuls tous les hom­ tien étant dans le ciel, celle qu’il prend
S 4
de S. ÎRARÇOIS-DE-PAULE. 03
22 FOURLEJOUK
vent un préjugé de réprobation , et la
sur la terre est une bassesse dont il doit suite des jugemens impénétrables de Dieu
gémir, et non pas un titre dont il puisse sur une ame.
se glorifier. L’éducation de notre Saint répondit à
Ce fut pour rendre ces vérités du salut sa naissance. Il ne fut pas, comme Moyse ,
plus sensibles aux hommes , que la Pro­ instrui t dans les sciences et la sagesse des
vidence ménagea à François-de-Paule une Egyptiens ; mais il reçut comme lui de
naissance vile et obscure selon le siècle. Dieu même le livre delà loi, et en exposa
Il naquit dans le sein de la piété , mais les préceptes et les ordonnances au peuple.
non pas dans celui de la gloire ; il ne re­ On ne le vit pas comme Paul aux pieds de
cueillit de ses pères qu’une succession d’in­ Gamaliel , s’instruire à fond de la vérité
nocence et de candeur; il n’hérita, comme des opinions et des doctrines : mais comme
les patriarches , que de la foi des promes­ cet Apôtre, sa foi l’éleva jusqu’au plus haut
ses, et ne posséda rien dans une terre où descieux, et là il apprit des secrets que
il devoit être toujours étranger. Ce fut un l’homme profane n’est pas digne d’enten­
autre Saiii destiné par sa naissance à des dre. Ce fut fonction de la grâce qui l’ins­
emplois obscurs , et le dernier de la tribu truisit, et non pas le travail de la nature.
la plus méprisée; mais qui devoit être à Persuadé que les langues dévoient cesser,
la tête des princes d’Israël , et devenir le que les prophéties dévoient finir, que la
chef et le législateur d’un grand peuple. science seroit détruite, et que l’amour seul
Peut-être, hélas! qu’une origine plus ne périroit pas, il laissa ces vents de doc­
éclatante l’eût rendu inutile, ô monDieu, trine qui enflent, pour s’en tenir à la cha­
à l’accomplissement de vos desseins , et à rité qui édifie : ce fut un scribe instruit
l’agrandissement de votre héritage. Car dans le royaume des cieux, mais qui tira
qu’est-elle, mes Frères, cette naissance du seul trésor de la grâce , ces lumières
illustre? C’est une destination aux erreurs anciennes et nouvelles que nous n’avons,
du siècle et à ses usages ; c’est un enga­ nous , jamais qu’à demi et à force de veilles
gement anticipé de crime et d’impéni­ et de recherches. On ne le vit pas dans les
tence ; c’est un titre pour se calmer sur plus fameuses Universités, passer les vieil­
les transgressions de la loi; c’est un nou­ lards en intelligence, faire admirer une
veau péché d’origine , si j’ose le dire , jeunesse toute brillante d’espérances, et
ajouté à celui que nous apportons tous ouvrir par l’éclat d’une première réputa­
en naissant, et qui nous rend le salut en­ tion mille vues d’ambiiitn à une famille:
core plus difficile; en un mot, c’est sou­ B 5
DE S. F R AN Ç OIS—DE—PAULE. aJ
34 POUR LE JOUR
l’Esprit de Dieu le conduisit dans le dé­ parmi la foule, vous mettez un trésor
sert avant presque qu’il eut conversé avec capable de satisfaire les Césars et de rendre
les hommes : une résolution de retraite la liberté à vos disciples.
perpétuelle, qui n’est en nous que le fruit Elevons-nous après cela, foibles que
tardif des réflexions et de l’âge, fut en lui nous sommes , de quelques légères con—
un essai de l’enfance; et sur les traces du noissances qui nous démêlent un peu de
précurseur, il alla puiser dans la péni­ la multitude ; réjouissons-nous à l’aspect
tence et dans la solitude, cette haute ré­ de ces petites lueurs qui nous frappent
putation de sainteté , qui seule peut au­ pour un moment , et ne nous font , ce
toriser à reprocher hardiment aux peuples semble., entrevoir les secrets de la grâce
et aux princes memes leurs excès. Il apprit et ceux de la nature , que pour nous
dans le silence à devenir la voix de celui faire voir à plein les bornes et la peti­
qui crie dans le désert; et à force de se tesse de l’esprit humain ; creusons avec
croire le moindre de tous, et indigne de obstination dans ces profondeurs sacrées,
toucher aux pieds de ceux qui évangélisent et cherchons-y des vérités , qui semblables
la paix, il devint plus que prophète , et lé à ce feu sacré, que les Juifs avoient ense­
plus grand des enfans des hommes. veli dans les entrailles de la terre , ne
C’est donc ainsi , -Seigneur, que des peuvent être trouvées qu’au sortir de la
pierres memes vous suscitez des enfans captivité. Affliction d’esprit et aveu de
d'Abraham : c’est ainsi que d’une matière notre ignorance ! un seul moment de
vile et abjecte vous en formez un serpent grâce développe souvent plus de vérités
d’airain élevé dans le désert pour le salut que de longues années de travail; quel­
de votre peuple : c’est ainsi que d’un vase quefois une ame sainte qui ignore jus­
de terre cassé, d’un anachorète foible et qu’aux noms des doctrines et des opi­
infirme, vous en faites sortir une lumière nions, voit plus clair dans les voies de
qui met en fuite les ennemis d’Israël , et Dieu que les docteurs les plus consommés;
rend la paix et la tranquillité à l’Eglise : et dans tous les siècles, il se trouve des
c’est ainsi que la boue devient entre vos disciples grossiers qui comprennent la
mains un remède pour guérir les aveu­ parole de la croix et la naissance éter­
gles : c’est ainsi , en un mot, que dans nelle du Verbe , tandis que des maîtres
un poisson pris , ce semble, au hasard au en Israël ignorent les mystères familiers
milieu d’une merorageuse, je veux dire, de la reconnoissance de l’homme.
dans un homme ignorant et muet, choisi Mais que prétends-je ici , mes Frères ?
3 6
Î»É S. EïtANÇblS-DÎÎ-TAULÊ. ^7
36 pour le jour
briser l’orgueil de l’esprit, et non pas de-Paule.Ecoutez-le, mes Frères : et dans
autoriser une coupable ignorance. Je sais un siècle où la charité est refroidie, 1 es­
que les levres du prêtre sont les déposi­ prit de pénitence éteint, et J>u un long
taires de la science ; que nous avons l’hon­ usage de relâchement vous fait regarder
neur d être des nuées saintes placées sur les austérités de la loi comme es
la tête des Fidèles , pour faire passer jus­ voirs surannés , apprenez que 1 Evangile
qu’à eux les influences du Ciel ; que l’E­ est de tous les siècles ; et que si, comme
vous le dites si souvent, la nature baisse
criture nous compare à des aigles qui
doivent aller envisager fixement le soleil et devient toujours plus infirme, la giàce
de justice , et de là se rabattre sur la ne baisse point, et fait même paroitre
terre : je sais que ces deux grandes lumiè­ plus glorieusement sa force dans nos m
res que Dieu place d’abord dans le firma­ finalités.
Tant de saintes victimes qui avoient
ment sont le symbole des pasteurs de l’E­ autrefois consommé leur sacrifice sur la
glise , et que l’esprit de notre ministère montagne où François se retire, y avoient,
ne sauroit descendre sur nous qu’en for­
ce semble , laissé des esprits de soufliance
me de langue mystérieuse. Mais je vou-
et de rigueur, qui dans un moment pas­
drois que la prière et l’innocence fussent
sent tous dans le cœur de notre Saint, et
les sources sacrées de nos lumières ; que l’arment d’une innocente indignation con­
le cœur d’un prêtre fût le dépositaire de tre soi—même. Des sauterelles et du miel
la piété ; que ces nuées ne fussent jamais sauvage, du pain et de l’eau, ce fut tou­
des nuées sans eau ; que ces aigles fussent jours là son mets le plus délicieux : per­
s’assembler quelquefois autour du corps suadé que l’usage des créatures est le prix
pour y prendre de. nouvelles forces; que du sang de Jésus-Christ, il ne s’accorde
cesz grandes lumières ne présidassent qu’avec mesure les plus insipides; et sem­
jamais à la nuit, et que ces langues cé­ blable à David, même dans des besoins
lestes fussent toujours des langues de feu. extrêmes, il n’osa jamais se rassasier d’une
L’ancienne solitude du Mont-Cassin » eau, qui avoit été le prix du sang et le
si fameuse par les Saints qui l’avoient ha­ péril des âmes. Marchant toujours pieds
bitée ; ce Carmel de l’Occident, cette de­ nus, couchant sur la dure , mêlant sans
meure de prophètes consacrée par les cesse son pain avec ses larmes, passant
austérités et les cantiques de tant d’illus­ comme son divin Maître les nuits en piie-
tres pénitens , fut le premier théâtre des res , ranimant dans ces heures destinées
macérations et des rigueurs de François-
38 POUR 1E JOUR DE S. ERANÇOIS-DE-ÏAULE.
au repos, comme les Antoine, les Hila­ fatigues des voyages , les soins et les em­
rión , l’assoupissement et la pesanteur de barras de sa charge , les faiblesses mêmes ,
ce corps terrestre par des cantiques sa­ et la défaillance de l’âge, rien ne put ja­
crés, déchirant sa chair et se châtiant le mais le faire relâcher de sa première fer­
matin comme le prophète; chargé de cette veur. Oui , mes Frères, arrive à une ex­
armure de Dieu ,dont parle saint Paul; trême vieillesse , et dans un âge où la
portant sur toutes les parties de son corps nature défaillante n’a presque besoin que
les instrumens de justice; et dans un âge , de son propre poids pour succomber ;
aussi tendre que celui de David, ayant chargé de mille fruits de pénitence, loin
déjà l’usage de ses armes pesantes desti­ de recueillir les restes précieux de sa vie
nées a combattre Goliath et à repousser pour la consolation de ses chers enlans,
les traits de l’ennemi. il redouble ses austérités ; et comme un
Il n en fut pas de sa pénitence comme autre Samson, c’est après mille souffrances
de celle de tant de Chrétiens qui , dans et dans une caducité où il ne paroit avoir
un commencement de conversion se prê­ plus rien de redoutable à l’ennemi, qu’il
tent avec plaisir au joug de Jésus-Christ, sent plus de force que jamais pour la des­
ne sentent pas presque le poids de la truction de cette maison terrestre qui
croix , n’ont jamais assez à leur gré châtié tient son ame captive, et l’entière défaite
leur corps, embrassent avec ardeur tout des ennemis domestiques qu’il avoit si
ce qui s’offre à eux de pénible, et ont be­ souvent, vaincus.
soin d’un frein pour retenir l’impétuo­ Mais oserai-je vous le demander ici,
sité de l’esprit qui les pousse ; mais qui grand Saint ? ce corps que vous châtiez;
peu à peu sentent mollir leur zèle, ra­ avec tant de rigueur a-t-il été autrefois
lentir leur vitesse, reviennent de temps un corps de péché ? faites-vous servira la
en temps à eux-mêmes, se permettent au­ justice des membres qui ont servi à l’ini­
jourd'hui un plaisir et demain une faute, quité ? armez-vous votre bras contre une
et ne retenant de leurs anciennes prati­ chair qui se soit révoltée contre l’esprit?
ques que certains régimes de pénitence, et comme un autre David , en immortali­
ne donnent plus , pour ainsi dire, à l’a­ sant votre pénitence , immortaliserez-vous
mour de la croix, que des empressemens aussi vos foiblesses?
de bienséance. Hélas! Messieurs, le Seigneur le pré­
L’amour que notre Saint eut pour la vint de ses bénédictions dès le sein de sa
croix lut violent, mais il fut durable. Des mère. Ce temple de ¡’Esprit-Saint ne fut
4° POUR IR JOUR
DE S. O ANÇ OI S—DE—PAULS. 4*
jamais profané; et il conserva jusqu’à îa de trophée secret à leur vanité; qui, dans
hn ce vêtement de justice et de sainteté
les traces sacrées que les rigueurs de la
qu’il avoit reçu du Ciel dans le Sacrement
qui nous régénère. croix laissent empreintes sur leur corps,
lisent tous les jours leur propre mérite ;
Et de quel œil , ô mon Dieu , voyez-
vous donc tant de pécheurs se présenter et qui , après avoir essuyé comme Jonas
tout le poids du jour et de la chaleur.,
aux mystères saints, sans aucun sacrifice s’endorment peu à peu sur mille crimi­
d expiation, et sans pouvoir vous offrir nelles complaisances , et laissent, enfin
que des abominations que le lendemain
piquer par un ver invisible la racine de
doit peut-être voir recommencer? De quel
cet arbre chargé de fruits de pénitence,
œil nous voyez-vous ménager à nos sens
qui sèche en un instant, et les laisse ex­
mille nouvelles félicités; forcer la nature posés à toute l’ardeur des passions !
pour l’obliger de fournir à notre volupté; Ici ne craignez rien de semblable. Le
suppléer par la variété des plaisirs ce qui même que vous venez de voir monter jus­
manque a. leur solidité ; assaisonner le qu’aux cieux, vous l’allez voir descendre
dégoût qui les suit, de mille caprices sen­ jusqu’aux entrailles de la terre : devenu
suels ; et nous rassurer après cela au lit un spectacle digne des Anges et des hom­
de la mort sur le secours des Sacremens, mes , il se regarde comme le rebut de tous
sur les trésors de votre miséricorde , et et l’anathême du monde ; il n’est point
sur quelques sentimens de douleur que le d’office si vil où il ne s’abaisse ; point
péril présent excite plutôt que les désor­ d’action si humiliante qui lui échappe ;
dres passes ? Illusion, mes Frères : mais point de nom si méprisable qu’il ne se
il est écrit que le monde sera dans l’er­ donne. Les pontifes du Seigneur et les
reur jusqu’à la fin , et il faut que les Ecri­ rois de la terre s’empressent à lui offrir
tures s’accomplissent. des établissemens dignes de lui : les hon­
La pénitence de notre Saint fut toujours neurs de la pourpre et de l’épiscopat lui
suivie de cette humilité profonde qui do­ sont présentés; mais, comme le prophète,
mine si fort dans son caractère , et qui il craint la hauteur du jour, et sa chère
toute seule vaut mieux que le sacrifice. vertu ne lui paroit être en sûreté que sous
Qu’il en est en eflet de ces âmes pénitentes les dehors obscurs d’une vie privée. Ordre
qui, en affoiblissanl leur chair, fortifient pieux et austère dont il enrichit l’Eglise,
leur orgueil ; qui font de cet appareil de nouveau bouclier dont il orna la tour de
pénitence qui les environne , une espèce David, asile illustre qu’il ajouta aux villes
DE s. FRANÇOIS—DE—PAUEE. 43
42 POUR LE JOUR
de refuge déjà établies dans Israël, le nom Ajouterai-je ici que notre Saints éloigna
seul que vous portez annonce d’abord l’hu­ toujours du ministère des autels et du sa­
milité de votre saint patriarche. Il n’en cerdoce chrétien ? Renouvelant dans ces
trouvoit pas à son gré, mes Frères, d’assez derniers siècles ces grands exemples que
rampant à se donner : et nous nous don­ les premiers âges de la foi ont laissés à la
nons si souvent de plein droit des titres religion, il n’osa jamais entrer dans le
que le public nous refuse et que nos an­ sanctuaire ; et se contentant d’en être la
cêtres n’ont jamais eus; et l’on voit parmi victime, il se crut toujours indigne d en
nous tant de gens parer une roture encore être le prêtre. Quoi, mes Frères, un cœur
toute fraîche a’un nom illustre, et recueil­ disposé par une longue pénitence, con­
lir avec affectation les débris de ces fa­ sacré par tous les dons de l’Esprit-Saint,
milles antiques et éteintes pour les enter ne se crut pas assez pur pour être marque
sur un nom obscur, et à peine échappé du sceau du Seigneur; une bouche si sou­
de parmi le peuple ! Quel siècle fut plus vent purifiée par le feu du ciel, toujours
gâté là-dessus que le nôtre? Hélas! nos occupée à publier les louanges du Père cé­
pères ne vouloient être que ce qu’ils avoient leste , l’instrument sacré de la conversion
été en naissant; contens chacun de ce que de tant de pécheurs , et qui tant de fois
la nature les avoit faits, ils ne rougis- avoit fait descendre Jésus-Christ dans les
soient pas de leurs ancêtres ; et en héri­ âmes, craignit de proférer les paroles re­
doutables qui changent les offrandes sain­
tant de leurs biens, ils n’avoient garde tes et le font descendre sur les autels ;
de désavouer leur nom. On n’y voyoit des mains pures qui, levées vers le ciel,
pas ceux qui naissent avec un rang , se avoient pu arracher les morts de l’empire
parer éternellement de leur naissance, être du tombeau, ne bénirent jamais le pain
sur les formalités d’une délicatesse de mau­ de vie : et des cœurs mille fois profanés,
vais goût et selon l’Evangile et selon le et encore flétris par les traces toutes vi­
siècle ; étudier avec soin ce qui leur est
ves du crime, osent se faire marquer du
dû; faire des parallèles éternels; mesurer
caractère saint? et des bouches semblables
avec scrupule le plus ou le moins qui se
à des sépulcres ouverts, s’offrent tous les
trouve dans les personnes qu’on aborde , jours pour être employées au ministère de
pour concerter là—dessus son maintien et vie ? et des mains criminelles, mille fois
ses pas, et ne paroitre nulle part sans
souillées par les abominations de Baby-
se faire précéder de son nom et de sa
lone, forcent tous les obstacles qui leur
qualité.
DE S. ERANÇOIS— DE—TAULE. 4-3
M4 POUE LE JOUR colère , prenant sur lui les péchés de son
ferment l’entre'e du sanctuaire , et ne fré­ peuple et les expiant par ses austérités ,
missent pas de se voir consacrées par Ponc­ descendant jusqu’aux fonctions les plus
tion sainte, trempées dans le sang de l’A­ communes du ministère; et en un mot,
gneau , et occupées à offrir des dons purs
tel qu’un pontife qui ne s’est pas clarifié
et des sacrifices sans tache ? Sainte disci­ lui-même, mais qui a su attendre que
pline des premiers temps, pieux excès de celui qui avoit appelé Aaron , le fit asseoir
nos pères sur le choix des ministres de dans le lieu d’honneur, et l’établit pon­
tife des biens véritables et du tabernacle
1 autel, ancienne beauté du temple , que éternel. Que vous rendrons—nous, Sei­
peut-on accorder que des larmes à vos
tristes ruines. gneur , pour ce don que vous nous avez
Il est vrai, mes Frères, que depuis long­ lait? et que nous reste-t-il à vous demander
iour votre Eglise, que des pontifes qui
temps des Zorobabels ont travaillé à ré—
parei les maux de la captivité : il est vrai
f ui ressemblent? Passons à notre dernière
partie ; et après avoir montré qu’il ne fut
que le nouvel Esdras (i), que le Ciel nous
jamais de Saint plus foible selon la chair,
a suscité depuis peu, va rendre la gloire
de cette dernière maison semblable à la montrons qu’il n’en fut jamais de plus
puissant selon l’esprit.
première. Nous l’allons voir lui-même, le »
livre de la loi à la main , rétablir les
SECONDE PARTIE.
mœurs d’Israël, et exposer ses préceptes
et ses ordonnances aux prêtres et aux peu­ Dieu est admirable dans ses Saints; et
ples. Nous l’allons voir parcourir les cités la variété de ses voies sur les Elus, est un
de Juda, répandre sur les contrées de sa de ces trésors cachés, sur lesquels, selon
dépendance des esprits de foi et de reli­ l’expression du prophète, la sagesse ré­
gion ; et comme l’arche d’Israël, remplir pand des abîmes : Ponens in thesauris abys­
de mille bénédictions tous les lieux qui sos. (Ps. 32. 7. )
se trouveront sur sa course. Nous l’allons En effet, dans l’histoire de la religion,
voir enfin comme un pontife innocent, tantôt nous trouvons de grands hommes,
séparé des pécheurs, appliqué à offrir des qui sortis d’un sang illustre, élevés dans
dons et des sacrifices, répandant son ame la connoissance des sciences et des arts ,
devant le Très-Haut, devenant la récon­ nés pour commander aux autres hommes,
ciliation des hommes dans les temps d$ <et destinés à l’éclat et à la grandeur, se
(i) Le cardinal de Noailles, atclicvêcjue de Pari«.
DE S. FRANÇOIS—T)E—P ALLE. 47
POUR LE JOUR
sont ensevelis tout vivans dans les retrai­ bien il est doux d’être oublié des hommes,
tes sombres ; et là ont attendu le jour du et de vivre sous les yeux de Dieu seul, une
Seigneur, inconnus presque à la terre, ne odeur de vie se répand malgré lui aux
voulant que Jésus-Christ, environnés de environs. Des bruits de sainteté et de pé­
misère et d’infirmité, et l’objet du mépris nitence viennent réveiller les villes voi­
et des railleries des insensés. sines, et se glissent même jusques dans les
Et d’autre part, la grâce nous offre quel­ cours des princes : de toutes parts le peu­
quefois des spectacles bien différens. Ce ple de Dieu vient à Silo consulter le
sont des hommes foibles , nés dans l’obs­ Voyant; et les souverains eux —mêmes,
curité, nourris dans l'ignorance, soumis sous des habits empruntés , comme autre­
par leur destinée à toutes les créatures , fois une reine d’Israël , paroissent dans sa
et s’abaissant encore par un motif de foi retraite, et veulent apprendre les desseins
au-dessous même de leur bassesse ; et ce­ du Ciel sur eux de la bouche de cet autre
pendant devenus tout-à-coup l’admiration prophète. La France , l’Italie , l’Espagne ,
de leur siècle ; décidant sur les points de l’Europe entière entend parler de lui : du
la loi ; exerçant un empire divin sur tou­ fond de sa solitude il remplit le monde
tes. les créatures ; élevés au plus haut du bruit de son nom ; et comme son divin
point de la gloire et de la réputation ; et Maître, c’est de l.’obscurité même du dé­
enfin remarquables par les mêmes endroits, sert qu’il est transporté sur le sommet du
qui auroient dû les rendre vils aux yeux temple , et que là il devient un spectacle
des hommes. aux yeux de l’Univers.
Tel fut dans son siècle François-de- Les Saints, mes Frères, n’ont jamais
éclaté que par là. C’étoient des enfans de
Paule. La vertu de Dieu éclata dans sa
lumière , qui pour être moins prudens
faiblesse : cette pierre de rebut fut placée
à la tête de l’angle, et au lieu le plus ap­ dans leurs voies que les enfans du siècle ,
parent de l’édifice : cette nuée obscure et n’ont pas laissé de mieux arriver à leurs
sortie du centre de la terre, s’éleva peu fins. Ils ne connoissoient pas encore l’art
à peu, couvrit le tabernacle, devint une pieux de s’insinuer dans l’esprit et dans
colonne de feu, et servit de flambeau à l’estime des peuples : cette vertu fastueuse,
ceux qui étoient assis dans les ténèbres et qui ne retient guères de la piété que la
dans les ombres de la mort. contenance et le style, n’étoit pas le vice
A peine établi dans sa chère solitude , de leur temps. On ne les voyoit pas ména­
et commençant seulement à goûter corn— ger avec adresse à leur zèle des occasions
TOURBE JOUR
DE S. Ï'RAPÎÇ OIS — DE-? AUBE. 49
éclatantes de fatigue et de miséricorde :
ils ne faisoient pas annoncer leur sainteté un solitaire simple et sans lettres, je le
par mille traits extraordinaires; et ne res- vois tout-à—coup le conducteur des aveu­
sembloient point à ces faux prophètes d’Is­ gles, la lumière de ceux qui sont dans les
raël , qui pour séduire plus sûrement la ténèbres, le docteur des ignorans, le
crédulité des peuples, et les empêcher de maître des simples et des enfans , et ayant
douter de leur don de prophétie, affec— la règle de la science et de la vérité dans
toient des figures bizarres, des inspirations la loi. Il parle le langage des hommes et
soudaines, et des airs bien plus singuliers des Anges; il est élevé à la dignité de
prophète; il pénètre tous les mystères5
que les prophètes du Seigneur.
il a toute science, et cette foi capable de
Confondez, ô mon Dieu, l’espérance
des hypocrites : ne souffrez plus que votre transporter les montagnes. C’est le Samuel
de son temps , l’interprète des volontés
saint nom serve à l’iniquité : maudissez
(lu Seigneur sur le peuple, le restaurateur
ceux qui font votre ouvrage frauduleuse­ de la doctrine et de la vérité, et l’arbitre
ment ; qui regardent la piété comme un de la religion et du culte des princes.
gain, et la simplicité de vos voies comme
Rome même, le séjour du tabernacle
le chemin de l’honneur et de la gloire. d Israël, où le Seigneur rend ses oracles
Discernez vous-même les sentiers du Juste
et où le peuple de Dieu va consulter ,
de ceux du pécheur : empêchez que le trouva dans ses lumières de nouvelles res­
mépris dû à la fausse vertu ne retombe sources : les princes des prêtres députè­
sur la véritable; et que vos serviteurs qui rent vers lui, et le prirent pour Jérémie
n’ont point de part avec les hypocrites , ne ou pour quelqu’un des prophètes : Sixte
partagent point dans l’esprit de vos enne­ æ consulta dans ses doutes, le regarda
mis leur dérision et leur honte ! comme le guide et le coopérateur de son
Si malgré l’obscurité de sa retraite et pontificat; et l’on vit pour la seconde fois
de son nom, notre Saint fut d’abord ex­ .e Moyse du peuple choisi, le législateur
posé à l’admiration des peuples , on peut des tribus, s’en tenir aux conseils d’un
dire aussi que celui qui appelle les choses autre Jéthro, peu instruit dans la loi et
qui ne sont pas comme celles qui sont, eleve dans le désert de Madian.
tira en lui la lumière des ténèbres , et la Quelle fut sa pénétration dans les voies
science de ses voies les plus sublimes , de de Dieu sur les âmes! Les sentimens de
la simplicité et de l’ignorance. I nomme qui ne peuvent être connus , dit
Quelle gloire pour la foi, mes Frères! saint Paul, que par l’esprit qui est en lui,
UU i anegyriqacs. * c
DE S. FlUNÇOiS-DE-? AULS. 5l
5o r OUR LE JOUR.
,n’échappèrent jamais au discernement du fices et nos iniquités, nous persuadent que
le Seigneur les a dévorées lui-même; et
sien : il découvrit les conseils des cœurs,
et vit clair dans l’abime des consciences ; on n’a guères recours aux Daniels inspi­
et comme l’Agneau de l’Apocalypse , sim­
rés de Dieu , qui nous découvrent leurs
ple et sans art, il ouvrit les sept sceaux routes secrètes , détrompent notre crédu­
du livre mystérieux, où toute » habnete et lité, et nous font toucher au doigt l’inu­
tilité de nos offrandes et l’abus de notre
la prudence des vieillards auroit échoué. culte.
Mais ce n’est pas aujourd’hui ce don de
discernement qu’on cherche dans et» juges
Saint, n’etoit pas toujours ce souffle véhé
des consciences : trop de lumières en eux ment et impétueux qui ébranla le cénach
nous gène et nous embarrasse; nous ne et consterna les disciples : ce fut le plu:
voulons pas qu’ils voient plus loin que
souvent ce souffle doux et insinuant dom
nous-mêmes dans nos défauts. On craint il est parlé dans l’histoire de l’homme in­
ces lampes luisantes qui portent le jour nocent , destiné à tempérer l’ardeur du
dans les lieux les plus ténébreux du cœur,
jour, et à annoncer à nos premiers pères
et n’v laissent rien à examiner : on sac­ , visite et l’approche du Créateur. Aussi
commode mieux de celles dont la foible
le cœur des princes et des peuples fut.
lueur n’éclaire que la superficie des pas­ pour ainsi dire, entre ses mains : on ne
sions , et laisse toujours dessous, des mys­ 17,4 -à 7 ^gesse et à l’esprit qui
tères d’iniquités sans les approfondir En pailoit en lui. Mille pécheurs virent ex-
un mot, on veut des idoles qui aient des pirer à ses pieds leurs passions criminel­
yeux et qui ne voient pas; de ces aveu­ les; autant de Justes y sentirent ressus
gles à demi-clairvoyans qui ne voient les cter la grâce de leur vocation;, et sa pa-
hommes que comme des arbres, je veux rote lut une odeur de mort pour l’iniquité
d?re qui ¿’envoient que les feuilles sans et une odeur de vie pour la justice. Fer’
en découvrir la racine; et 1 on est content cnnand, roi de.NapIes, entendit ce nou­
de soi-mème , quand on a pu amener a veau Jean-Baptiste lui reprocher au milieu
son point le ministre de la réconciliation , de sa courses excès,avec cettesainle liberté
comme si sa foiblesse pouvait rendre Dieu qu inspire la foi : il admira l’innocence et
injuste, ou son ignorance 1 aveug er su écout™PJClte Je CC S°litaire ^n-aculeux;
no’s crimes. Semblables, si ) osOis le dire,
auxBabyloniens, on aime ces pretres trom­ H £mm<len,o3l':a"ces que
1 humilité rendoient presque toujours
peurs qui, dévorant tous seuis nos sacn- C 2
DK S. OANÇOIS-DE-F AULE. 33

52 POUR LE JO un dans l’Italie et déjà maître d Otrante , etoit


victorieuses ; et touché comme David (les sur le point de ravager l’héritage du Sei­
charitables ménagemens et des pieux arti­ gneur, de venir placer l’abomination dans le
fices de Nathan, il prononça le premier lieu saint, et de mettre sous un tribut in­
contre soi-même. Je sais quelle est la dé­ fâme la reine des nations et la maîtresse
licatesse des grands et les foudres qui des provinces , que François-de-Paule le-
partent de ces montagnes d’orgueil du voit encore inutilement les mains vers un
moment qu’on les touche : mais , o mon peuple plein de contradiction et d’incré­
Dieu, les" rois entendroient, et ceux qui dulité.
jugent la terre pourroient s’instruire , s’il Mais vos miséricordes, Seigneur, vont
se trouvoit des prophètes en Israël qui toujours plus loin que nos misères : vous
osassent porter votre parole devant. eux; vous laissâtes loucher aux larmes et aux
et les princes ne seroient pas si loin du prières de votre serviteur ; et il obtint de
royaume de Jésus—Christ , si les disci­ vous un Ange invisible qui frappa Senna-
chérib de frayeur, dissipa les nations as­
ples en savoient mépriser les premières
semblées , et rendit la paix et l’alégresse
places. . . . ,, à votre Eglise. Eh! ne susciterez - vous
Le même Père des lumières qui lui dé­
point en nos jours quelque nouveau pro­
couvrit les secrets des cœurs , le fit percer
dans les ténèbres de l’avenir. Les Fidèles phète qui puisse à son tour obtenir de
vous la fin de nos troubles et de nos ca­
de son temps s’écrièrent avec surprise,
lamités ? N’enverrez-vous plus d’Ange ex­
qu’un grand prophète' avoit paru parmi terminateur pour dissiper les nations qui
eux, et que le Seigneur avoit visité son veulent la guerre ? Avez-vous livré pour
peuple. Il prévit les malheurs d’Israël et toujours Jacob au pillage? Vos tribus ont-
la captivité dont Jérusalem étoit mena­ elles juré de se détruire elles-mêmes, et
cée; et comme le Jérémie de son siècle, de servir aux desseins de vos ennemis?
il vit en esprit partir de Babylone un Et souffrirez—vous qu’un autre Jéroboam,
prince infidèle, et préparer les fers et les
pour se maintenir dans son usurpation, les
flammes dont on devoit enchaîner l’oint divise, altère publiquement votre culte,
du Seigneur, et brûler le temple et la ville
et jette des semences éternelles de dis—
sainte. Mais qu’on est peu disposé , mes sention entre Israël et Juda? Vous châ­
Frères, à écouter les prophètes d’Israël,
lorsqu’ils n’annoncent que des choses dé­
tiez, Seigneur, nos iniquités, il est vrai:
mais si les malheurs de nos familles, le
sagréables'. On traita ses prédictions de
C 3
songe et de foiblesse, et Mahomet entre
CE s. françois-de-paule.
54 rouK ie jouh
sence de Jésus-Christ, il la traversa avec
sang de nos proches, les cris des peuples, plus de constance et de sécurité que cet
et la désolation des provinces, ne sont Apôtre. Que vous dirai-je, mes Ireies.
pas encore capables d’arrêter la main qui il mit sa bouche dans les nuees, selon
nous frappe; ah! quêtant de profanations l’expression du prophète,.et fit passer sa
toujours inséparables des guerres vous dé­ langue sur la terre; il ouvrit les cataractes
sarment, et ne vengez plus votre justice du ciel, et changea ou rétablit i ordre des
én multipliant les crimes sur la terre. saisons. Il fut la résurrection et la vie;
Qui pourroit ici vous représenter, mes il fit voir les aveugles, parler les muets,
Frères, notre Saint, cet homme pénitent, ouïr les sourds , marcher les boiteux ; e
mortifié, et qui se permettoit à peine bienheureux ceux qui ne seront pas scan­
l’usage des viandes les plus viles; qui pour­
dalisés en lui '. . .
roit vous le représenter, dis-je, souverain Car, mes Frères , quelle est aujourd hui
de toutes les créatures ; conduisant au la fausse délicatesse du siècle sur les eve—
tombeau et en rappelant à son gré; com­ nemens qui tiennent du prodige ! On lais­
mandant aux vents et à la mer; éteignant se , hélas! au peuple la simplicité et la
l’impétuosité du feu; fermant la bouche candeur : la religion de ceux qui se piquent
des lions; vainquant les royaumes par la de raison , est une religion de raffinemens
foi, et dépositaire de la puissance divine et de doutes ; et l’on se fait un mérite
sur la terre? L’Eglise ne vil peut-être d’être difficile, comme si le royaume de
jamais le spectacle d’une foi plus puis­ Dieu venoit avec observation. Ce n’est pas
sante; l’histoire/de ses prodiges ne finit que je veuille ici donner du crédit aux
point; et c’est ici le seul lieu où l’on peut superstitions , ni autoriser tout ce que le
user de l’hyperbole de l’Evangéliste, et zèle bon , mais peu éclairé , des siècles
dire que le monde entier n’en pourroit passés a laissé glisser de faux dans l’his­
presque contenir le récit. U marcha, comme toire de nos Saints : mais je suis touche
les premiers disciples, sur lesserpens sans que sous prétexte de bon goût, on tombe
en être blessé; ôta à des breuvages mor­ dans le libertinage d'esprit; et qu’en s’ac­
tels tout ce qu’ils avoient de nuisible; coutumant à douter des faits indifférens,
imprima à son ombre même une force on doute tôt ou tard des nécessaires. La
toute puissante; exhala une vertu quiopé- simplicité, Messieurs, est inséparable de
roit des prodiges tout à l’entour; affermit la foi chrétienne; il est beau même de se
par sa foi les eaux de la mer, et sans tronmer quelquefois pour avoir voulu être
être soutenu, comme Pierre, de la pré- G 4
56' ÏOUK LE JOUR de s. trançois-de-paule. 07
plus religieux et plus docile : les plus celui de Jésus-Christ entrant dans Jéru­
grands hommes de la religion ont été des salem : vous l’auriez vu trouver partout
enfans sur les matières du salut. Et d’ail­ les mêmes acclamations et une pompe aussi
leurs , vous , mon Frère, qui contre toutes solennelle. Les cours des princes mêmes'
les règles de la droite raison, croyez im­ si peu indulgentes à la sainte folie de la
prudemment que Dieu vous sauvera dans croix , lui rendirent des honneurs qu’on
une vie molle et mondaine, ce qu’il ne n’y rend guères qu’à la sagesse du siècle;
sauroit faire; vous refusez votre créance et la folie mystérieuse de ce nouveau Da­
à des prodiges qui lui sont très-possibles? vid , n’empêcha pas les rois mêmes des
Ah! pourquoi êtes-vous si crédule lorsqu’il Philistins, de le retenir à leur cour avec
y a tout à risquer ? et pourquoi faites- toutes les distinctions et les égards dus à
vous gloire de l’être si peu lorsqu’il n’y a sa vertu.
rien à perdre ? Car, il faut le dire ici, ministres du Sei­
Il faudroit ici pour mettre le dernier gneur, les véritables Saints peuvent bien
trait à cet éloge, après vous avoir montré être incommodes au siècle ; mais dans le
l’obscurité de notre Saint suivie d’une ré­ fond ils n’y sont guères méprisés. La piété
putation éclatante, sa candeur et sa sim­ qui est selon Jésus-Christ, quelque part
plicité relevée par le don de science et qu’elle se trouve , a je ne sais quoi de
d’intelligence, sa pénitence et son infir­ noble et de grand qui fait qu’on l’estime
mité devenue toute puissante, vous mon­ lors même qu’on ne veut pas l’imiter.
trer aussi son humilité récompensée, et C’est peu connoître le monde, que de pré­
tendre nous faire honneur auprès de lui
investie d’hommages et de gloire. Vous
de nos misères et de nos foiblesses : tout
l’auriez vu assis à côté d’un grand pape,
corrompu qu’on le croit, il est encore assez
comme autrefois Moyse auprès du pontife
équitable pour exiger de nous des exem­
Aaron, partageant avec lui les soins du
sacerdoce et la conduite du peupledeDieu : ples de régularité , et faire de la vertu
vous l’auriez vu entrer dans l’assemblée même une bienséance à notre état; et le
des vieillards d’Israël, et comme Daniel , plus sûr moyen d’éviter son mépris, c’est
régler leurs jugemens et présider à leurs de ne pas suivre ses maximes.
ordonnances. Vous auriez vu les peuples Aussi, lorsque Louis XI se sentit frappé
en foule sortir des villes , le recevoir de la main de Dieu , ce ne fut point dans
comme autrefois le Fils de David, et en­ sa cour qu’il chercha un prophète; les
vironné d’un appareil aussi humble que vertus de François-de-Paule, la puissance
C 5
DE S. FK ANÇ OIS-BE-f AUIE. oÇ,
58 POUR LE JOUR.
édifices destinés à lepr servir d’asile : les
que Dieu lui communiquent pour honorer richesses de l’Egypte furentemployéesayec
sa sainteté, éclatoient dans tout l’Univers. profusion à construire ces tabernaclesd Is­
.C’est lui que le prince demande, il le fait raël; et la France ne pouvant disputer à
venir des extrémités de l’Italie ; et ce fut l’Italie la naissance de ce saint institut,
alors que notre Saint paroissant à la cour lui en disputa du moins l’amour, et le
trompa l’attente du souverain, et lui dit zèle de son accroissement.
hardiment, comme un autre Elie: Prince, Nous avons, je le sais, succédé là-des­
vous mourrez, et vous ne sortirez plus dù sus au goût de nos pères; François-de-
lit où vous êtes monté, que pour descen­ Paule et ses enfans sont encore chers à
dre dans le tombeau. nos peuples, et c’est là comme la dévotion
Quel coup de foudre pour un prince dominante des Français. Mais d’où vient,
qui aimoit la vie ! Il reçut en tremblant mes Frères, qu’avec toute notre confiance
cet arrêt foudroyant. Hélas '. qu’il est rare envers ce Saint, nous sommes toujours si
que les inquiétudes et les soupirs des éloignés de le devenir nous-mêmes? Ah!
mourans ne soient plutôt les agitations c’est qu’outre que nous bornons nos hom­
d’une ame qui se défend contre la mort, mages à un culte extérieur et à certaines
que des regrets sincères sur la vie passée ! pratiques de piété qui ne gênent en rien
Si l’on lève alors les yeux au ciel, hélas ! nos passions, nous n’avons recours à lui,
ce n’est que pour détourner le glaive fatal comme ce roi mourant, que lorsqu’il s’agit
qui va trancher nos jours; et toutes ces d’obtenir des faveurs temporelles, la déli­
marques de repentir qu’on donne dans ce vrance d’un péril qui nous alarme , d’une
dernier moment, et qui consolent tant les infirmité qui nous accable, d’un chagrin
amis et les proches, sont d’ordinaire les qui nous mine et nous dessèche; et sur
derniers traits de notre arrêt et la mesure les besoins de l’ame nous sommes muets.
funeste de nos crimes. On ne s’avise gu ères de demander la dé­
C’est à ce voyage que le royaume doit livrance d’une passion qui nous tyrannise,
l’établissement d’un Ordre , dont l’Eglise d’une inimitié qui nous ronge, d’un en­
a depuis été si honorée et le public si durcissement qui nous calme sur tout, de
édifié. La candeur et l’austérité du Saint mille périls où l’on échoue, d’un naturel
et de ses compagnons toucha les peuples : fragile et glissant qui nous rend le salut
nos villes à l’envi s’empressèrent d’enfer­ si difficile.
mer dans leurs murs ces Anges de la ter­ C 6
re : de toutes parts s’élevèrent de nouveaux
DE S. JRAHÇOIS-DE-PAÜLS. OS
Go SOUK LE JOUR
tes. Les Saints, mes Frères, rejettent ces
Ce n’est donc pas, ômon Dieu, le crédit hommages criminels; et la meilleure ma­
de vos Saints qui diminue, comme nous nière de les honorer , c’est de suivre les
le reprochent vos ennemis; c’est l’incré­ tracesqu’ils nous ont frayées dans les voies
dulité des Fidèles qui augmente. Vous de la justice , lesquelles nous, conduiront
êtes toujours le Père de miséricordes, et comme.eux à la bienheureuse immortalité.
toujours prêt à exaucer nos voeux lorsqu’ils
vous sont présentés par les citoyens de Ainsi soit-il.
la Jérusalem céleste ; mais il faut que ces
vœux soient dignes de vous, et assez purs
pour monter en odeur de suavité jusqu’aux
pieds de votre trône. Et cependant, Sei­
gneur, quelles ont été jusqu’ici mes priè­
res et mes supplications ! J’ai invoqué vos
Saints dans mon affliction , il est vrai ;
mais je n’ai attendu d’eux que des conso­
lations toutes terrestres, le succès d’une
affaire , la régularité d’une saison, la vie
d’une personne chère, la surveillance d’un
grand , l’élévation d’une famille : du mo­
ment que votre main m’a frappé , j’ai couru
à leurs autels, pour obtenir la fin ou 1 a-
doucissement de mes peines, et ç’a tou­
jours été là le motif de mes dons et de mes
offrandes. Souvent même , je ne rougis pas
de vous l’avouer, ô mon Dieu, souvent
j’ai voulu les faire servir à mes iniquités;
les intéresser dans mes faiblesses; les ren­
dre protecteurs d’un désir qui vous déplaît,
d’une espérance qui vous déshonore, d’un
attachement qui vous blesse; et au lieu
d’en faire des intercesseurs de mon par­
don, j’en ai fait des confidens de mes fau-
POUR RE JOUR DE SAINT BENOÎT. 6?

dissolutions auxquelles les hommes se li­


vraient alors avec tant d excès , lui paru­
SERMON rent comme les ris de ces fanatiques , qui
ignorent le danger prochain dont ils sont
POUR UE JOUR menacés, et qui ne sont dignes que de no­
k.
tre compassion et de nos larmes. Dès-lors,
DE SAINT BENOÎT. sans s’arrêter à l’exemple de la multitude,
il ne pensa plus qu’à prendre des mesures,
de peur d’être enveloppé dans la malédic­
tion commune; et peu content de travail­
Fide Noe, responso accepto de iis quæ adlmc non ler à sa sûreté , il éleva un asile, où le sa­
videbantur , metuens aptavit arcam in salutem domus lut des siens pût encore être à couvert.
suæ } per quam damnavit mundum. Par là , dit saint Paul, il vit les choses à
venir comme si elles éloient présentes : il
C'est par la Joi que JXoé ayant été divinement averti
devint l’héritier de la foi et de la justice
de ce qui devoit arriver et appréhendant ce qu'il ne
voyait pas encore * bâtit Varche pour mettre le salut
des patriarches qui l’avoient précédé ; et
des siens à couvert : et c'est par la qu'il condamne le il condamna le monde auquel l’exemple
monde. Hcbr. u. 7. de ses sages précautions fut inutile : Me-
tuens, aptavit arcam in saluiem domûs suæ,
per quam damnavit mundum.
C’est sous cette image que je me suis
Phs que la voix du Ciel eut appris à proposé de vous représenter aujourd’hui
Noé l’arrêt que le Seigneur se préparoit le saint patriarche dont nous honorons la
de prononcer contre les hommes , quoi­ mémoire ; et ce qui m’a déterminé à la
que le temps de la vengeance fût encore choisir, c’est qu’elle m’a paru encore plus
éloigné, ce saint patriarche le compta, heureuse pour notre instruction que pour
pour ainsi dire , arrivé ; et le même jour son éloge : car ce n’est pas un récit em­
où il connut que tout alloit bientôt finir, belli et exact des actions de saint Benoit
fut pour lui comme la fin de toute créa­ que vous devez attendre en ce jour , mais
ture. Dès ce moment tout lui parut er­ seulement une instruction simple et chré­
reur et vanité parmi les hommes; toujours tienne , sur les principales circonstances
occupé de ce jour de colère, qui devoit de sa vie.
exterminer toute chair, les plaisirs elles A peine la yoix du Ciel eut fait enten—

r
G4 FOUR LE JOUR DE SAINT BENOÎT. 65

dre à cet homme plein de foi , l’arrêt de Fide responso accepte» de iis qucc non vide-
malédiction que Jésus - Christ prononcera bantur ; effrayé des malheurs qui mena—
un joui' contre le monde, qu’il le regarda çoientle monde , la foi le détermina à pré­
comme déjà condamné; et ce qui devoit parer un asile où son salut et celui des
périr, il l’envisagea comme s’il n’étoit plus. siens fût à couvert : Mettions., àptavit ar­
Dès-lors il vit la fin de toutes choses : les cam in salutem domûs suce ; et dans ces
terreurs de l’éternité le troublèrent. Il mé­ deux circonstances principales de sa vie ,
prisa ce qu’il ne pouvoit toujours possé­ Benoît condamna le monde : Per quam
der : les fausses joies, les désirs insensés, damnavit mundum : je veux dire les faux
les vaines espérances des hommes, ne lui jugemens et la sécurité du monde, par les
semblèrent plus que les songes agréables lumières qui lui en découvrirent le néant
d’un criminel qui dort dans sa prison la et le danger ; le découragement et les ir­
veille de son supplice, et qui à son réveil résolutions du monde, sur le salut, par
doit entendre prononcer la triste sentence. la gloire et le succès qui accompagna la
Tout lui parut erreur, folie, et danger promptitude de son entreprise.
dans le monde. U pensa donc à sauver son
ame de l’anathême général; et touché en­ PREMIÈRE PARTIE.
suite du salut de ses frères , il éleva le
premier cet asile si fameux depuis dans La source déplorable de nos désordres
tous les siècles, où il pût les mettre à cou­ est presque toujours dans nos erreurs; et
vert de la colère à venir , et les sauver de nous ne faisons point de chûte, où quel­
ce déluge-d’iniquité qui devoit faire pé­ que faux jugement ne nous ait conduits.
rir toute chair : Metuens , aptavit arcam Aussi , la grande différence que met l’A­
in saliitcm domûs suœ. pôtre entre le Juste et le pécheur , est que
Ainsi Benoit recueillit seul la succes­ le Juste est un enfant de lumière, qui ju­
sion de la foi, de l’esprit, de la justice des ge de tout par des vues hautes et subli­
Antoine, des Hilarion , et de tous les mes , et qui, à la faveur de cette clarté
hommes de Dieu qui avoient peuplé les supérieure qui le guide, démêle partout
déserts de l’Orient. Ainsi il condamna le le vrai du faux, perce les dehors trom­
monde que ses grands exemples ne purent peurs répandus sur tous les objets qui nous
corriger. Car la foi lui fit voir les choses à environnent, et ne voit en eux que ce qui
venir comme si elles étoient présentes, et s’y trouve en effet : au lieu que le pécheur
les présentes comme si elles n’éloientplus: est un enfant de ténèbres, qui ne juge
li. ■t» ni
. -J
jjggjjjMglMi

€6 TOUR RE JOUR DE SAIPT BENOÎT. 67

que par des vues fausses et confuses; qui et la corrompre sans ressource. Enfin , la
ne voit de tout ce qui est autour de lui dernière est une erreur de sécurité, qui
que la surface et l’écorce , et qui , loin nous présente les abus du monde comme
de porter la lumière sur les ténèbres qui des usages; ses précipices comme des voies
l’environnent, répand ses propres .ténè­ droites et sûres; les précautions de la foi
bres sur un reste de clarté que lui offrent comme les foiblesses ou les excès d’une
encore les créatures et les évcnemens au piété mal entendue ; et nous fait marcher
milieu desquels il vit. sans rien craindre dans des sentiers , où
Or, mes frères, on peut marquer trois tous les pas sont presque des chûtes. Or,
erreurs principales , d’où naissent cette les lumières de la foi découvrirent à Be­
foule de fausses maximes, répandues dans noit trois vérités principales, qui dissipè­
le monde, et qui dérobent presque à tous rent d’abord l’illusion de ces trois erreurs,
les hommes les voies de la justice et de la et qui , encore aujourd’hui , condamne le
vérité. La première est une erreur d’es­ monde , ou qui lès ignore, ou qui les mé­
pérance qui, formée par la vivacité du prise.
premier âge, et parle défaut d’expérience Il comprit, premièrement, que tout ce
inséparable de notre entrée dans le mon­ qui passe , et ne doit pas toujours de­
de , ouvre à l’imagination , si capable alors meurer , n’est pas digne du Chrétien né
de séductions, mille lueurs éloignées de pour l’éternité. Il sentit, en second lieu,
fortune, de gloire, de plaisir; et l’attache que tout ce que les créatures peuvent mé­
à ce monde réprouvé, plus par les char­ nager de plaisir au coeur de l’homme, n’est
mes qu’elle lui promet, que par ceux qu’on qu’un peu d’eau jetée dans la fournaise,
y trouve dans la suite. La seconde est une qui l’allume loin de l’éteindre ; que ce
erreur de surprise, qui ne trouvant pas n’est qu’un amas de remords et de vers de­
le cœur encore instruit sur le.vide et l’ins­ vorans qui rongent le cœur loin de le ras­
tabilité des choses humaines, sur les ca­ sasier; et que tout ce qui n’est pas Dieu
prices du monde et l’amertume des plaisirs, peut le surprendre , mais ne sauroit le sa­
laisse aux premières impressions que fait tisfaire. Enfin , il découvrit que le monde
sur nous le spectacle du monde , le loisir de étoit le lieu des tentations et des nau­
nous toucher, de nous amollir, de nous en­ frages , et que la piété ne pouvoit y ren­
traîner ; et profite d’une circonstance où contrer , ou que des pièges dressés par­
tout ce qui blesse l’ame ne s’efface plus , tout pour la séduire, ou que des scandales
pour y faire entrer le venin plus avant, établis pour l’affliger , ou que des obs—
68 FO U R I, £ JOV R
DE SAINT BENOÎT. 6ÿ
tacles propres à la décourager et à l’a­
battre. des vues d’élévation, des espérances flat­
Envoyé à Rome en un âge encore ten­ teuses , d’agréables songes. C’est dans ce
dre , pour y cultiver l’espérance de ses premier âge quÇon se donne, pour ainsi
premières années par tous les secours que dire , à soi-mêihe tout ce qu’on ose sou­
pouvoit fournir à l’éducation un séjour si
haiter ; qu’on croit déjà voir à ses pieds ,
comme lè jeune Joseph , les astres mêmes
célèbre , il suivit la route ordinaire à ceux
du firmament qui nous adorent; et que
de sa naissance et de son rang ; il répon­
l’imagination, pas encore détrompée par
dit aux desseins de ses proches, qui par
l’expérience , rassemble tout ce qui se
les vues inséparables de la chair et du
trouve partagé dans les autres, de grâces,
sang , rapportoient les soins de son édu­
de talens, de bonheur, pour s’en former
cation, non à le former pour le Ciel ,
à soi-même une destinée à son gré, et un
mais à l’élever dans le siècle. Il se fit ins­ avenir chimérique.
truire , comme Moyse, dans la sagesse et Mais la foi, dit saint Grégoire, dans
dans la science des Egyptiens; il cultiva la vie de notre Saint, la foi, qui mûrit
quelque temps, par les secours humains, de bonne heure la raison , et donne au
les grands talens qui parurent depuis en premier âge toute la sagesse et toute la
lui. Les études qui frayent le chemin aux maturité des longues années, montra d’a­
honneurs et à la fortune , furent les pre­ bord à Benoît ce que l’expérience seule
mières occupations de sa jeunesse : mais apprend si tard aux âmes que le monde a
la grâce s’étoit réservé le droit de le sanc­ séduites. A l’entrée presque de la vie,
tifier, et de se servir de toute cette vaine Benoit vit le monde tel que le pécheur ,
science de l’Egypte , pour en former , trop tard détrompé , le voit enfin en mou­
comme autrefois dans Moyse , le législa­ rant ; c’est-à-dire, comme un songe, qui
teur d’un peuple saint, et le chef qui de- après avoir quelque temps réjoui notre
voit conduire au désert une nouvelle ar­ imagination , se dissipe enfin tout d’un
mée d’Israélites pour s’y offrir eux-mêmes coup, et ne nous laisse rien de plus réel que
en sacrifice au Seigneur. le regret inutile d’avoir pu le prendre si
C’est à l’entrée de cette carrière , dit long-temps pour quelque, chose de vrai et
saint Augustin , que se forment dans l’a- de solide. Il retira le pied , ajoute saint
me, peu instruite encore sur les caprices Grégoire, qu’il avoit comme avancé dans
de la fortune , sur l’instabilité et l’injus­ les voies périlleuses du siècle : il inter­
tice du monde ; que s’y forment , dis-je , rompit des études que l’usage commence,
DE SAINT BENOÎT. 7I
ÿo pour de joua,
et que l’ambition soutient et achève : il sens par l’espoir d’un avenir chimérique;
renonça à de vaines connoissances , qui et par une illusion perpétuelle et déplo­
ne dévoient pas le conduire à la seule ed- rable , nous rendons toujours inutiles les
rité qui nous délivre : il regarda tous les dégoûts que Dieu répand sur nos passions
moyens de parvenir comme des sentiers injustes, pour nous rappeler à lui, par
semés de précipices , où les plus heureux des espérances que l’évènement dément
sont ceux, qui par des dangers infinis , ar­ toujours , mais où nous prenons de notre
rivent à un danger encore plus grand ; et méprise même l’occasion de tomber dans
de nouvelles.
s’éloigna du monde à un âge, où il est en­
core plus séduisant par les charmes qu’il Voilà l’état de presque toutes les ames
que le monde et les passions entraînent.
promet , qu’il ne l’est ensuite par les fa­
Le Seigneur prévoyant que les biens invi­
veurs réelles qu’il accorde. sibles n’exciteroient que foiblement notre
Oui, mes Frères , telle est l’illusion la loi , et que les impressions des sens plus
plus universelle, dont le démon s’est ser­ vives et plus préssantes , nous entraîne—
vi dans tous les temps pour séduire les roient toujours de leur côté , avoit répan­
hommes. Nul presque de tous ceux qui du sur tous les objets sensibles, des dé­
m’écoutent ici , et que le monde séduit et goûts et des amertumes , capables de re­
entraîne, n’est content de sa destinée ; et froidir le penchant violent qui nous y por­
si l’espoir d’une condition plus heureuse te, et de nous rappeler aux biens éternels.
n’adoucissoit les peines de notre état, pré­ C est par la qu’il avoit voulu soutenir la
sent , et ne lioit encore nos cœurs au foiblesse de notre foi , et nous faire trou­
monde, il ne faudroit, pour nous en dé­ ver le remède dans le mal même : aussi
tromper, que les dégoûts et les amertu­ par une suite de cette sagesse miséricor­
mes vives que nous y trouvons. Mais nous dieuse , il a dispensé avec un ordre si ad­
sommes chacun en secret ingénieux à nous mirable et si divin nos destinées , que
séduire sur l’amertume de notre condi tion quelque honteuse qu’en paroisse la condi­
présente. Loin de conclure que le monde tion, il manque toujours quelque chose à
ne sauroit faire des heureux, et qu’il faut notre bonheur. Mais loin de chercher dans
■*> chercher ailleurs le bonheur où nous as­ les promesses de la foi cette félicité qui
pirons et que le monde ne sauroit nous nous manque, nous la cherchons dans les
donner, nous nous y promettons toujours promesses du monde même. Nous rempla­
ce qui nous manque et ce que nous sou­ çons par l’erreur de notre imagination ce
haitons : nous charmons nos ennuis pré—
A '
rj<i P9UREEJOUR DE SAINT BENOIT. 73
qui manque à nos désirs : nous ne jouis­ Mais non-seulement la foi l’éclaira sur
sons jamais; nous espérons toujours. C’est- cette erreur d’espérance , si dangereuse
à-dire, ce n’est pas le monde présent que quand on commence à entrer dans le mon­
nous aimons ; nous n’y sommes pas assez de ; elle le préserva encore de cette er­
heureux; c’est ce inonde chimérique que reur de surprise que la nouveauté des plai­
nous nous formons ànous-mêmes : cen est sirs , le défaut de réflexion, et le torrent
pas un bonheur réel qui nous éloigne de des exemples et des usages rend comme
Dieu (car il n’y en a point hors de lui) ; inévitable à ce premier âge. Car , mes
c’est une vaine image , après laquelle Frères , qu’il est difficile d’offrir d’abord
nous courons , sans jamais pouvoir y at­ aux illusions du monde pas encore appro­
teindre; c’est un prestige qui nous joue , fondies, un esprit en garde, pour ainsi
qui ne se montre jamais que de loin , et dire , et une ame qui se défie de ses em­
qui s’évanouit et s’éloigne encore lorsque bûches ! C’est alors que l’on ouvre indis­
nous croyons y toucher et le saisir. O mon crètement le cœur à tout ce qui s’offre pour
Dieu ! et c’est à ces songes que nous sa­ le toucher et pour le corrompre ; que la rai­
crifions notre bonheur éternel ! Le monde son reçoit sans attention toutes les fausses
tout seul est trop triste, et trop dégoûtant maximes répandues dans le monde; que tout
pour nous plaire et pour nous séduire ; i 1 ce qui plaît paroît avoir droit de plaire;
faut que nous nous en mêlions nous-mê­ que tout ce que l’exemple commun auto—
mes, et que nous aidions par nos erreurs lise, semble juste; que les éloges qu’on
l’ijnpuissance de ses attraits. Ainsi , ce donne ,à nos talens , nous persuadent que
monde misérable et réprouvé que nous ai­ nous n’en devons user que pour nous-mê­
mons , n’existe nulle part : c’est une chi­ mes ; et qu on ne se defie,• ni de l’artifice
mère qui n’est qu’en nous - mêmes ; c’est des hommes, ni de l’amertume des plai­
une divinité imaginaire , qui est l’ouvrage sirs, ni des tristes suites des passions. Ces
de notre cœur tout seul; ce sont nos dé­ grandes leçons sont d’ordinaire le fruit
sirs et nos espérances, qui sont nos dieux des réflexions et de l’âge; et les plus heu­
auxquels nous sacrifions tout, et gui for­ reux sont ceux à qui il a été nécessaire
ment nos seuls plaisirs et nos passions les quils lussent séduits pour se détromper
plus viol entes. Première illusion, donlla foi plus solidement et sans retour de leurs er­
détrompa Benoît : l’âge des espérances et reurs passées.
des erreurs, fut pour lui l’âge des sacrifi­ . Mais Benoit, dit saint Grégoire, parut
ces et de la vérité. instruit sur le vide et l’amertume des plai-
Mais / anegyricjiics. * D
rj^ POUR LE JOUR DE SAINT BENOÎT. 7^
sirs, sans qu’il eût coûté à son innocencé’ propres à être consacrées à Jésus-Christ,
pour s’en instruire. Sa retraite ne fut pas parmi les vierges saintes qui le servent;
le fruit de ces dégoûts inévitables, que la et à devenir sa portion et son héritage :
longueur des passions traîne toujours après il semble qu’il habile en elles avec plus
elles : il ne sortit point du monde comme de plaisir ; qu’il y règne plus en souve­
un homme qui a fait naufrage, sort du rain ; et qu’il les voit avec plus de com­
milieu des flots à peine à demi - essuyé, et plaisance autour de son autel , parer le
bien résolu de ne plus se fier à leur in­ festin de l’Epoux de leur robe de candeur
constance. La première impression que le et d’innocence.
monde fit sur son cœur, fut le désir de Aussi, ce n’est pas une maxime si sûre,
l’abandonner; et il chercha la solitude, quoique très-ordinaire à des parens même
comme l’asile de son innocence, et non pieux et chrétiens, de se persuader qu’il
comme un lieu propre à pleurer ses crimes. est bon que leurs enfans aient connu le
Ce n’est pas qu’une retraite de pénitence îaonde , avant que de se consacrer à Jésus-
ne soit glorieuse à la grâce de Jésus-Christ: Liinst. dans une retraite religieuse. Outre
il est beau de s’arracher enfin au monde, qu il est rare de vouloir le connoilre ce
auquel on tenoit depuis long - temps par monde, sans qu’il en coûte de l’avoir con­
mille liens injustes; de rendre enfin à nu ; et que cette expérience est toujours
Dieu un cœur que les passions insensées lop cher achetée quand même on en sor­
lui avoient ravi; et en le portant enfin tirent sans y avoir reçu des plaies mor­
aux pieds de l’autel, dans le secret d’un telles; quand même , comme il n’arrive que
saint asile, de s’appliquer à le purifier par trop souvent, la grâce de la vocation n’é-
les larmes , par la componction , et par c îoueroit pas contre des épreuves qui ne
les saints exercices de la vie religieuse. sont point dans l’ordre de Dieu, et qui
Mais c’est toujours un cœur flétri, pour sont plus capables de la corrompre et de
ainsi dire , qu’on porte dans le sanctuai­ 1 éteindre , que de l’éprouver; quand cela
re : c’est une offrande comme encore souil­ seioit, il en reste toujours je ne sais quelles
lée qu’on va mettre sur l’autel : c’est un impiessions funestes , qui viennent trou­
sacrifice , pour ainsi dire lugubre, qu’on bler le repos et la douceur de la retraite
va faire au Seigneur , où la victime n’est Zf8 vai,nes images, pas encore effacées,
parée que de deuil et de tristesse. Il sem­ se lepresentent sans cesse à l’ame retirée
ble que les âmes qui n’ont jamais apparte­ la rappellent à des objets qu’elle ne pour-
nu au monde et au démon, sont bien plus jamais assez oublier; sont nourries
D 2
de saint benoît. 77
peut remplir tous nos besoins : il prend
yg POUR LE JOUR Dieu seul pour sa consolation et pour son
même et comme réveillées par le calme de partage , avant que d avoir éprouvé que
la solitude, où rien ne s’offre pour en faire le monde ne sauroit l’être. Et nous , dé­
diversion , et deviennent,ou l’écueil, ou le trompés depuis tant d’années par notre
trouble, ou la tentation continuelle de sa propre expérience; nous, instruits par nos
retraite. Il faut qu’elle se défende et con­ propres dégoûts; lassés du monde par les
tre les dégoûts présens de son état, et con­ mêmes endroits , qui autrefois avoient pu
tre le souvenir de ses plaisirs passés ; nous le rendre aimable; nous, qui comme
qu’elle surmonte et les répugnances d’un le reprochoit autrefois Tertullien aux
cœur que le joug de Jésus-Christ révolte, Païens , portons encore une ame chré­
et les égaremens d’une imagination , qui tienne au milieu de toutes les passions
s’emporte et s’échauffe d’autant plus qu’on qui la souillent; et qui dans le temps même
veut la gêner et la contraindre : de sorte que nous offrons de l’encens, et que nous
que le même monde souvent au milieu irostituons nos hommages à la volupté, à
duquel on avoit vécu sans l’aimer; quand Î ’ambition, à la gloire, et à tant d’autres
une fois on a mis ses dépouilles aux pieds divinités injustes , reconnoissons au fond
de l’autel, et qu’on ne le voit plus que de de notre cœur qu’il y a un Dieu suprême
loin , paroit dans ce point de vue plus ai­ et éternel , qui mérite tout seul notre
mable qu’auparavant; touche plus par les amour et notre cuite; lui adressons même
vaines images qu’il a laissées, qu’il ne tou- en secret des soupirs et des regrets que la
choit par les plaisirs qu’il nous ofFroit au­ tristesse du crime nous arrache ; sentons
trefois; et par une bizarrerie du cœur hu­ vivement que le monde, auquel nous sa­
main, le monde trouve dans 1 heureuse crifions notre salut éternel , n’est rien ,
nécessité qu’on s’est imposée de le haïr, c’est-à-dire, qu'il n’est au fond que l’ou­
un nouvel attrait pour nous plaire. vrage de nos passions et de nos erreurs :
Mais , mes Frères , Benoit n’attend pas nous, qui éprouvons tous les jours com­
que l’essai mille fois fait des plaisirs injus­ bien il est triste d’être livré à soi-même, et
tes, le détrompe enfin, et le convainque que de porterie poids et les inquiétudes d’un
ce n’est point là ce qui peut rendre l’homme cœur criminel : nous, qui après avoir es­
heureux : il n’attend pas que les cris d’un sayé si long-temps de tout ce qui peut flat­
cœur toujours inquiet au milieu de la ter notre cœur, n’avons réussi qu’à aug­
jouissance des objets criminels, le rappel­ menter sa noirceur et sa tristesse : nous ,
lent enfin à cet objet éternel, qui seul D 3
peut calmer nos désirs, parce que seul il
78 POUR IE JOUR de saint benoît. 79

sans consolation du côté de Dieu, que mords et ses lumières! Et êtes-vous donc
nous ne servons pas ; sans douceur du cô­ un maître si cruel et si dur à ceux qui
té des plaisirs, qui ne nous touchent plus; vous servent, qu’il faille préférer les amer­
sans repos du côté du cœur, qui est deve­ tumes mêmes du crime aux plus douces
nu le théâtre de nos remords et de nos in­ consolations de la grâce ?
quiétudes ; nous , mes Frères , nous ne Enfin , la dernière erreur que les lu­
pouvons cependant nous défendre de nous- mières de la foi découvrirent à Benoît ,
mêrnes. Nous n’osons rompre les liens qui fut une erreur de sécurité. Il est assez 01-
nous accablent et que nous portons à re­ dinaire en effet aux personnes qu un lieu-
gret : nous balançons de rejeter loin de reux tempérament et les préventions de la
nous un breuvage , dont nous ne buvons grâce ont préservées de la corruption au
plus qu’une lie amère : nous flottons, dit milieu du monde, et qui n’ont jamais fait
S. Augustin , entre le dégoût du monde de grandes chûtes, de ne compter pour
et le dégoût de Dieu, entre la lassitude rien les dangers où presque tous les.autres
des passions et le peu d’amour pour la j us- périssent; d’écouler tout ce qu’on dit con­
tice, entre l’ennui des plaisirs et de la ver­ tre la contagion du monde , de ses usages ,
tu : Fastidio justitiœ, et saginâ iniquitatis. de ses plaisirs , de ses maximes, plutôt
{S. Aug. ) Nous nous défendons, et con­ comme un langage de piété, que comme
tre les amertumes que le monde nous fait des avis nécessaires pour la conserver; de
sentir à chaque instant , et contre les at­ ne voir point de mal, où elles se persua­
dent qu’il ne s’en est jamais trouvé pour
traits que la grâce nous montre de loin. elles. Une certaine innocence extérieure ,
Eh ! jusques à quand suivrons-nous donc accompagnée presque toujours d’un cœur
malgré nous - mêmes des voies si semées plein d’amour - propre , d’attachemens
d’épines , si pleines d’ennui, de travail et mondains , de désirs terrestres, de pa­
de tristesse ? Pourquoi s’obstiner jusqu’à resse, d’indifférence pour les choses du
la fin à nous attacher à l’ombre qui nous
Ciel; cette innocence, dis-je , qui souvent
fuit, à ferreux' qui nous accable de son n’est le fruit que d’un naturel tranquille
vide et de son néant, et fuir la vérité, et paresseux , nous rassure; nous rend les
qui nous rappelle, et qui seule peut nous maximes de la piété sur la fuite du monde
rendre la tranquillité que nous avons per­ et de ses périls , fades et inintelligibles ;
due ? O mon Dieu ! quel est donc l’incom­ nous fait regarder la retraite et les cir­
préhensible enchantement de l’homme, de
conspections rigoureuses des âmes fidèles
vouloir périr malgré ses désirs , ses re-
D 4

A.
8o PO UK LE JOUR DE SAINT BENOÎT. 8î
comme des voies outrées et singulières ; étoient encore rares en Occident, n’ar­
et nous établit dans un état de sécurité , rêta pas un moment l’impression de l’es­
où les dissipations du monde ne touchant prit qui le conduisoit au désert. Car ,
point à cette probité toute humaine , qui qu’importe à une ame à qui Dieu lui-
contente notre amour - propre , corrom­ même montre une voie , que les hommes
pent pourtant notre cœur, et y font des la trouvent singulière ? Et que sert d’a­
plaies d’autant plus incurables, que n’é­ voir des exemples, quand on a la grâce
tant pas sensibles , elles nous intéressent elle-même pour guide ?
moins à leur chercher des remèdes. L’esprit de Dieu conduit donc Benoît
Or, voilà l’écueil que la retraite de Be­ au désert. La retraite même qu’il avoit
noit nous apprend à éviter. L’innocence d’abord choisie aux environs de Rome,
conservée dans le monde ne le lui rendit ne le cachant pas assez à son gré au mon­
pas moins redoutable : il se défia d’un en­ de , il en cherche une plus austère : il
nemi qui paroissoit l’épargner , et qui craint de retrouver dans le concours des
compte nous avoir vaincus , dès qu’il a personnes que le bruit de sa piété attiroit
pu nous persuader qu’il n’étoit plus à déjà de toutes parts à son désert, les mê­
craindre. mes écueils qu’il avoit voulu fuir en sor­
Il se retira donc de Rome. Ce lieu , dit tant du monde. Il regarda ces applaudisse-
saint Grégoire, dont les merveilles et la mens naissans comme un monde encore
magnificence attirent de toutes, parts les plus dangereux que ^ui auquel il avoit
étrangers, ne lui parut plus qu’une val­ renoncé : il trembla que les dons de Dieu
lée de larmes : cette ville si superbe , le ne s’affoiblissent en lui par des complai­
théâtre des grandeurs et des espérances sances humaines ; et ne voulant fuir le
humaines , ne fut plus pour lui qu’une monde que pour en être inconnu , et non
scène puérile, où les rôles les plus bril— pour en être recherché, il craignit même
lans ne sont que des personnages d’un l’utilité qui pouvoit revenir aux hommes
instant : ce séjour, si fameux par ses dé­ de ses exemples. En vain quelques - uns
lices , ne lui ofFrit plus que des serpens ca­ de ses disciples, instruits de son dessein
chés sous des fleurs , sur lesquelles,, mal­ s’efforcent de l’en dissuader, ou se dispo­
gré l’attention la plus rigoureuse, on ne sent du moins à le suivre dans sa nouvelle
pouvoit marcher long-temps sans recevoir solitude. Il se dérobe à ce nouveau peu­
quelque piqûre mortelle. La nouveauté de ple , qu’il avoit attiré au désert : ¡1 se re_
son dessein en un siècle où ces exemples D 5
82 T O U R LE JOUa de saint benoît. 83
tire seul, comme Moyse, sur la montagne etlapiété, ne doitpas vous rassurer, ni vous
pour y mourir au monde et à lui - même, servir de modèle; que vos plus saintesré—
et pour y cacher son tombeau au reste des solutions y échoueront toujours; que tous
hommes ; et là dans le fond d’un antre, vos sentimens de piété n’y seront jamais à
caché aux yeux de l’Univers , et connu l’épreuve de la première occasion; que votre
de Dieu seul , il goûte à loisir ces con­ vie ne sera plus qu’une révolution éternelle
solations ineffables, que la grâce ne man­ de chûtes et de repentir; et que le seul
que jamais de verser abondamment dans avantage que vous aurez sur les âmes en­
une ame qui s’est dépouillée de tout , et durcies, ce sera de périr avec un peu plus
d’elle - même , pour être toute entière à de remords qu’elles.
Jésus-Christ. Ce n’est pas, comme je l’ai déjà dit , que
Ce n’est pas, mes Frères, que les cloî­ le monde ne puisse être un désert pour une
tres et les déserts soient la vocation gé­ ame chrétienne. Judith , au milieu de Bé—
nérale de tous les hommes; Jésus-Christ thulie, vivoit dans le secret de sa mai­
qui ordonne à ce jeune homme de l’Evangile son ; et ni le rang qu’elle tenoit parmi son
de renoncer à tout, et de le suivre, ordonne peuple, ni sa jeunesse, ni sa beauté, ni
à un autre de retourner dans la maison de ses grands biens, ne purent jamais lui per­
son père , et d’annoncer les merveilles que suader que les plaisirs et les usages d’un
le Seigneur avoit opérées en lui. Mais je monde corrompu pussent devenir une loi
disque vous, mon cher Auditeur , pour ou une bienséance même pour une fille
qui tous les périls sont presque des chûtes; d’Abrabam. Mais , pour suivre son exem­
vous, qui malgré mille bons désirs, éprou­ ple, il faut avoir la force et l'a fermeté
vez toujours dans les mêmes occasions les de sa vertu ; il faut que les exemples mêmes
mêmes foiblesses; vous, qu’un fonds de de dérèglement, qui s’offrent sans cesse à
complaisance rend si peu ferme contre nous , raniment notre foi , et devien­
les persuasions et les exemples; vous en­ nent pour nous un nouveau motif de per­
fin, qui ne sauriez vous promettre d’être sévérer dans la piété : il faut que les pen­
fidèle , tandis que vous serez exposé : je dis chans qui nous portent au plaisir soient
que Dieu a gravé dans la foiblesse même de moins violens que les foibles désirs qui
vos penchans, l’arrêt qui vous sépare du nous inclinent à la justice : il faut que l’é­
monde ; que l’exemple des âmes fidèles qui preuve mille fois faite de notre fidélité
conservent au milieu du monde l’innocence- au milieu des périls , nous serve de garant
contre ceux que nous avons à craindre : il
D 6
DE SAINT BENOÎT. 80
84 POUR. LE JOUR
faut que nos résolutions aient toujours été ils opposent tous quelque excuse a la voix
victorieuses des occasions , et que les nou­ du Ciel qui les appelle ; et au lieu , dit saint
velles séductions que le monde n’a cessé de Grégoire , qu’ils auraient dû presser et
nous offrir, soient devenues pour nous de solliciter eux-mèines pour obtenir ce don
nouveaux sujets de mérite. Si vousvous re- inestimable , ils sont ingénieux à trouver
connoissez à ces traits, lespérils du inonde, des prétextes pour le refuser, quand la
les flammes au milieu desquelles vous vous bonté du père de famille le leur offre.
trouvez , ne vous nuiront pas , comme aux Le premier s’en défend sur ce qu’il vient
trois enfans dans la fournaise; et le monde d’épouser une femme : Uxorem duxi ;
a pour vous toute la sûreté et tous les {Eue. 4. 18 et seq.') et cette excuse, disent
avantages de la plus austère solitude. Ce les Saints, est une excuse de mollesse.
n’est paslasituation , ce sont nos penchans L’autre , sur ce qu’il veut éprouver des
qui décident de nos périls; et les exem­ bœufs qu’il vient d’acheter : Juga boum
ples de ceux qui se sauvent dans le monde
cmi ; et c’est ici une excuse de fausse pru­
dence, qui n’a jamais pris assez de me­
ne concluent pour nous, qu’autant que
sures , et qui à force de tout éprouver avant
nous pouvons nous répondre des précau­
d’entreprendre, n’entreprend jamais rien :
tions qui leur ont assuré le salut.
Eo probare ilia. Enfin , le dernier prend
Voilà les trois erreurs sur lesquelles la
pour prétexte une maison des champs qu’il
foi de Benoît nous désabuse et nous con­ vient d’acquérir : Eillani emi-, et cette
damne. Poursuivons , et montrons que si excuse, dit S. Grégoire, est une excuse
les lumières de sa foi confondent nos er­ d’attachement et d’intérêt terrestre, qui
reurs, les démarches éclatantes et le suc­ regarde le parti de la vertu comme opposé
cès dont Dieu récompensa sa foi ne con­ à la fortune el aux prétentions temporel­
damnent pas moins notre découragement les ; comme si sauver son ame ne valoit
et nos vaines excuses. pas mieux que le gain du monde entier.
Or , les démarches de la foi de Benoit vont
SECONDE PARTIE.
confondre le monde sur ces trois vaines
excuses.
Lorsque Dieu, dans la parabole du
Caché d’abord au fond d’un antre, ou­
père de famille, convie les pécheurs à venir
blié des hommes, et connu de Dieu seul,
goûter les saintes consolations qu’il pré­
Benoit ne trouve plus de volupté qu’à cru­
pare ici-bas même à ceux qui le servent ,
figurées sous l’image d’un grand festin ,
cifier sa chair et à la réduire en servitude.
86 POUR LE JOUR de saint BENOIT. 87
La , rien ne le console que de pouvoir si dur et si sévèremen t recommandé ; cette
souffrir pour ce qu’il aime : là, comme les retraite si profonde et si perpétuelle ; ces
Antoine et les Hilarion , passant les nuits que lanaturea, ce semble , destinées
nuits ou à chanter de saints cantiques , au soulagement du corps, employées à
ou à méditer les années éternelles , il se l’abattre par les veilles et les prières ; cette
plaint que le retour trop prompt de l’au­ mortification universelle de tous les sens ,
rore vienne troubler le silence et la dou­ et une vie , qui sembleroit presque n’être
ceur de ces chastes délices : là , son corps plus à la portée de la foiblesse humaine
aride et exténué de mortifications et de souf­ par l’excès de ses austérités, si nous ne la
frances, ne paroit plus se soutenir que par voyions de nos jours renouvelée dans un
la grandeur de sa foi ; et son sacrifice eût saint désert. J’abrège ce récit pour venir
été bientôt consommé, si le Seigneur, at­ à l’instruction.
tentif à prolonger des jours qui dévoient Quand on nous propose, mes Frères ,
être si utiles et si glorieux à l’Eglise, ces grands modèles, disoit autrefois saint
n’eût découvert à un saint solitaire , comme Chrysostôme en parlant des solitaires de
autrefois au prophète Habacuc, le lieu son temps , nous les admirons ; nous nous
profond où ce nouvel homme de désirs récrions sur la puissance de la grâce dans
s’étoitcaché , l’extrémité où il étoit réduit, ces hommes extraordinaires ; nous sommes
et ne se fût servi de son ministère , pour surpris qu’au milieu de la corruption et de
secourir son serviteur dans une nécessité la décadence de nos mœurs , la bonté de
si pressante. Dieu suscite encore de ces grands exem­
Devenu père d’un peuple de solitaires , ples à son. Eglise. Mais nous n’allons pas
il renouvelle en Occident ces prodiges plus loin. Sous prétexte que cette voie
d’austérité que les déserts de Scéthé et de n’est pas la voie commune de tous les Fi­
la Thébaïde avoient admirés ; et la règle dèles , nous n’y voyons rien que nous puis­
divine qu’il laissa à ses disciples, et que sions nous appliquer ; et parce que nous
tous les siècles ont depuis regardée comme ne croyons pas que ces modèles de péni­
un modèle admirable de sagesse et de con­ tence soient proposés pour être imités ,
duite, ne fut, dit saint Grégoire, que nous ne les croyons pas même faits pour
l’histoire exacte des mœurs du saint lé­ nous instruire.
gislateur. Je ne rappelle pas ici cés jeûnes Mais souffrez que je vous demande ,
sévères , et presque jamais interrompus ; premièrement , mesFrères, quel a pu être
ce silence éternel, ce travail des mains le dessein de Dieu, en suscitant dans tous
88 POUR LE JOUK DE SAINT BENOÎT. 8f)
les siècles et dans tous les pays de ces pé— dèles étoient. saints: il n’y avoit d’hommes
nitens fameux, qui ont édifié l’Eglise, et extraordinaires e t singuliers parmi eux que
dont l’histoire lait encore aujourd’hui tant les pécheurs; un Ananie et une Saphire dans
d’honneur à la religion ? N’est-ce pas de l’Eglise de Jérusalem; un incestueux dans
nous faire comprendre de quoi notre foi— celle de Corinthe. Lavoie des Saints étoit
blesse , soutenue de la grâce , est encore alors la voie commune de tous lesE’idèles;
capable; que l’Evangile observé même et elle n’est devenue singulière , que parce
dans toute la rigueur de ses conseils, que tous les Fidèles presque s’en sont
n’exige rien d’impossible; et que si à nos écartés. Est-ce enfin , parce que les mor­
yeux, des hommes pleins de foi ajoutent tifications et les saintes austérités ne for­
même à la sévérité de ses préceptes des ri­ ment que le caractère particulier de quel­
gueurs de surcroît, nous serons confondus ques Saints; et que des dons singuliers
pour avoir trouvé tant d’inconvéniens à ne sauroient établir une règle générale ?
pratiquer ses violences les plus communes ? Mais lisez l’histoire de tous les serviteurs
Je vous demande encore, pourquoi ces de Dieu, et vous trouverez que les saintes
grands exemples de pénitence que lesSaints austérités de la pénitence ont été la seule
nous ont laissés, nous paroissent-ils si éloi­ vertu commune à tous. Tous n’ont, pas été
gnés de nos devoirs et de notre état ? Est- favorisés du don des miracles; et le pré­
ce parce qu’ils ont vécu dans des siècles curseur lui-même n’en opéra point dans
fort éloignés du nôtre? Mais outre que le la Judée : tous n’ont pas répandu leur sang
Seigneur en suscite encore de nos jours, pour la vérité ; et le disciple bien-aimé
les devoirs ne changent pas avec les âges ; mourut en pafx dans une viei 11 esse avan­
et rien ne change dans les règles de la cée, au milieu de ses disciples : tous n’ont
loi que les mœurs des l?idèles. Est-ce parce pas enrichi l’Eglise de leurs ouvrages; et
que lesSaints ont été des hommes extraor­ ï rançois d Assise n’a laissé à ses enfans
dinaires, et que leurs actions sont plutôt que la simplicité de sa foi et l’éclat de ses
des prodiges à admirer que des exemples exemples : tous n’ont pas renoncé au lien
à suivre ? Mais les Saints ne sont devenus sacré du mariage ; et Abraham mérita
parmi nous des hommes extraordinaires , d’être le père des croyans , en sanctifiant
que parce que la corruption y est devenue les périls de cet étal : tous ne se sont point
universelle. Dans les premiers temps de cachés dans des déserts ; un saint Louis
l’Eglise , les Saints ressemhloient au com­ à la tête des armées, et au milieu des soins
mun des Fidèles , parce que tous les Fi— et des dangers de la royauté , devint un
DE SAINT BENOÎT. 01
go POUR LE JOUR
prince selon le cœur de Dieu. Mais tous onf les instructions que nous donne la péni­
fait pénitence; tous ont crucifié leur chair tence de Benoit, et tel est l’exemple qui
avec ses désirs ; tous ont porté la mortifica­ confond notre mollesse. Mais la fermeté
tion de Jésus-Christdans leurpropre corps ; de cet homme de Dieu au milieu de tous
tous, autant que leur état l’a pu permettre , les obstacles et des contradictions infi­
ont mené une vie de violence, de privation, nies , qui traversèrent son entreprise, ne
de renoncement à eux-mêmes, d’éloigne­ confond pas moins cette fausse prudence
ment des plaisirs; et partout où vous qui n’ose suivre lavoix du ciel, parce qu’elle
trouverez des Saints, vous les trouverez trouve dans la voie que Dieu nous montre
pénilens. des difficultés insurmontables; et qu’elle
Non , mes Frères, nous avons beau nous veut tout peser , tout examiner, tout
éprouver, avant que de se rendre : Eo pro-
rassurer sur l’exemple commun. Si les iare ilia. Seconde excuse que nous avons
Saints l’avoient suivi, ils ne mériteroient appelée, avec saint Grégoire , une excuse
pas aujourd’hui nos hommages : l’Evan­ de fausse prudence.
gile est fait pour nous, comme pour eux; En effet , l’Occident jusqu’à Benoît n’a-
et l’Evangile n’a rien qui nous ressemble , voit pas été , pour ainsi dire, la terre des
ni par conséquent qui doive nous rassu­
prophètes : ces Anges du désert n’avoient
rer. Que nous serons surpris un jour de­
vant Jésus-Christ, lorsqu’on nous compa­
encore habité que des climats éloignés du
nôtre : c’étoit au milieu de l’Egypte , et
rera à tant d’illustres victimes de la péni­ dans les îles qui sont au delà des mers ,
tence , qui ont édifié l’Eglise par le spec­ comme il avoit été prédit, que le Seigneur
tacle d’une vie dure et mortifiée , et qui s’étoit formé ce nouveau peuple. Ce n’est
jouissent déjà dans le ciel du fruit de pas qu’avant le siècle de Benoit, il ne se
leurs travaux, aux Benoit, auxHilarion, fût élevé de temps en temps dans nos
aux Antoine, aux Thérèse! Que ce pa­ Gaules de saintes assemblées de moines.
rallèle nous fera paroître sensuels, im- Mais c’étoient des troupes dispersées,
mortifiés, voluptueux, ennemis de la qu’une même loi ne réunissoit pas , qu’un
croix de Jésus-Christ! On nous demandera même esprit n’animoit pas, et qui ne com-
si nous prétendons à la même récompense battoient pas sous la même discipline :
que ces âmes généreuses : si nous osons ainsi on peut dire que Benoît fut suscité
aspirer à une gloire qu’elles ont achetée si deD ieu pour être en Occident, non-seu­
cher , et qui ne nous a coûté à nous que
la présomption d’y prétendre. Telles sont
lement le restaurateur, mais le père de
î)2 POUR LE JOUR
îa vie cénobitique. Il est vrai qu’il avoit DE SAINT BENOÎT.
reçu du Ciel , comme dit saint Grégoire , patriarches, lorsque la jalousie ou îa dé­
tous les talèns propres à une si haute en­ pravation de leurs voisins les obligeoit à
treprise; le sel de la sagesse, le discerne­ changer de demeure, il va à la tête de son
ment des esprits, la force qui fait entre­ innocente famille habiter une nouvelle
prendre, les lumières qui assurent le suc­ terre. Le Mont - Cassin , celte montagne
cès; et que les dons de la grâce surpas— depuis si célèbre, le Carmel de l’Occident,
soient encore en lui ceux de la nature. et la demeure des prophètes , étoit alors la
Mais quelle entreprise fut jamais plus tra­ retraite des démons , et un désert infâme
versée et plus contredite! consacré à la plus monstrueuse idolâtrie.
Chargé d’abord de la conduite d’un mo­ On n’y voyoit que des peuples sauvages
nastère voisin de sa solitude, il ne trouva qui vivoient sans lois, sans police, et dont
parmi ceux qui l’avoient choisi, que des tout le culte sebornoit à honorer des di­
enlans pervers et corrompus , cachant sous vinités encore plus hideuses que leur af­
un habit de piété et de pénitence, tous les freux désert. C’est là que l’homme de Dieu
dérèglemens d’un cœur livré à l’iniquité : arrivé , il commence d’abord à élever un
dans ce saint asile les lois sages des An­ autel au Dieu vivant dans cette terre in­
ciens n’étoient plus gravées que sur des fidèle : il y invoque le premier le nom du
tables de pierre. Les remèdes sont rares Seigneur; et à travers mille périls et mille
pour les plaies du sanctuaire ; et il est contradictions, que la grossièreté et la
vrai que les personnes consacrées à Dieu, superstition de ces hommes barbares op­
ne tombent presque jamais pour se relever. posent à son zèle , il renverse leurs idoles ,
Benoit secoue donc la poussière de ses que la durée des temps avoit rendu res­
pieds, et sort d’un lieu , où l’esprit de dis­ pectables; il annonce le Dieu du ciel à
corde, d’immorlification , de murmure et ceux qui n’avoient jamais entendu parler
d’indépendance avoit pris îa place de l’es­ de 1 ui; il donne sur cette montagne sainte ,
prit de Jésus-Christ. Etabli dans une nou­ comme sur un autre Sinaï, la loi céleste à
velle solitude, il yvoyoit déjà croître avec ses disciples. Là se forment sous ses yeux
desdisciples plus fervens, l’espérarce de ses et sous la sagesse et la sévérité de sa dis­
soins , quand un autre Balaam vient dres­ cipline les Maur, les Placide : là devenu
ser des pièges à la pudeur et à l’innocence père d’un grand peuplede saints solitaires,
de ces pieux solitaires. Benoit est donc il remplit tout l’Occident du bruit de son
encore contraint de céder; et, comme les nom et de sa sainteté : là enfin, comme un
autre Eiie, il annonce avec fermeté les
S4 POUR LE JOUR BE SAINT BENOÎT. 9A

ordres du Seigneur à des rois barbares , je , ne daigneroit pas traverser et refroi­


et laisse des prophètes successeurs après lui. dir ces nouveaux projets par des contra­
fÆ'ccZ. 48. 8. ) dictions suscitées: il les laisseroit s’étein­
Mais, mes Frères, il importe plus de dre et s’en aller en fumée d’eux-mèmes ,
yous instruire que de le louer. La grande comme tant d’autres qui les ont précédés.
loi de Benoît , qui l’affermit contre toutes Mais quand il voit que la grâce presse ;
les difficultés que le démon oppose à son que l’horreur des crimes passés, jusques-
entreprise, ne condamne-t-elle pas notre là endormie, se réveille tout de bon; que
découragement dans les obstacles que les plaisirs et les espérances du monde ,
nous trouvons , ou que nous nous formons jusques-là si chères, ne touchent plus , et
n’offrent même plus que des dégoûts et
a nous—mêmes aux démarches de conver­
sion et de penitence que Dieu demande des amertumes ; que les passions les plus
de nous Plus le monde semble s’opposer violentes changent et s’éteignent ; en un
a la sainte résolution que nous avons mot, que tout annonce un changement
pnse de l’abandonner et de penser au sa­ veritable : ah ! c’est alors que le démon
lut , plus nous devrions présumer que met en œuvre toutes les créatures que le
cette résolution vient du ciel, et que Dieu, Seigneur semble avoir livrées à sa puis­
qui lui-meme nous appelle, saura bien sance; qu’il dérange l’ordre extérieur de
la société ; qu’il suscite toutes les contra­
nous soutenir. Si elle n’étoit pas sincère , dictions ; qu’il renverse le inonde entier
et que ce ne fût que la suite d’une in­
pour décourager une ame touchée. Ainsi
constance naturelle, ou de quelque dégoût ce sont les .difficultés et les obstacles eux-
humain.; ah ! le monde et l’enfer verroient
memes qui doivent soutenir et animer
nos projets et nos nouveauxdésirs de péni­ une ame dans la resolution qu’elle prend
tence d un œil tranquille ; rien ne s’op- de changer de vie et de servir Dieu. Si
poseroit à des résolutions qui devroient à
tout étoit tranquille, ce grand calme de-
1 instant tomber d’elles-mêmes; le démon, vroit lui faire appréhender pour une con­
voyant dans le principe de ces désirs et version à laquelle le monde et l’enfer se—
de ces agitations infructueuses de péni­ îoient si favorables. Les contradictions
tence, qu’elles sont plutôt dans l’imagi­
nation que dans le cœur; et que la vo­ ont toujours été le caractère le plus cons­
tant des œuvres de Dieu; et la grâce n’ins-
lonté n est point changée; et que ce sont
pne rien qui ne trouve dans le monde ou
la plutôt les dégoûts du crime, que des
désirs sincères de la yertu; le démon , dis- oans notre cœur des obstacles. Mais ces

r
g6 roui; le jour DE SAINT BENOIT. 97
obstacles eux-mêmes deviennent alors de de Dieu, et vinrent entendre de sa bou­
nouvelles grâces que le Ciel nous ména­ che les paroles de la vie éternelle : c’étoit
ge : loin de nous abattre, ils font que le la lampe allumée sur la montagne , qui
cœur s’embrase et s’allume davantage répandoit un vif éclat sur toute l’Eglise.
envers l’objet qu’on lui dispute : iis irri­ L’institut célèbre dont il jeta les fonde—
tent l’amour, loin de l’affoiblir. Tel est mens, semblable au graindesénevé, devint
le caractère du cœur humain : le secret bientôt un grand arbre qui couvrit tout le
de ranimer ses penchans et ses résolu­ champ de Jésus-Christ; qui en fît le plus
tions, lorsqu’elles sont sincères , c’est de bel ornement, et servit même d’asile aux
les traverser et de les contraindre. Aussi, oiseaux du ciel, je veux dire, aux plus
dès que les contradictions et les persé­ grands hommes qui parurent alors dans
cutions cessèrent dans l’Eglise , la fer­ l’Eglise. Vous savez que tout ce qu’il y
veur et la vivacité du zeîe semblèrent avoit de plus élevé dans le siècle , que les
cesser aussi : dès qu’il n’y eut plus de princes et les princesses elles-mêmes, y
tyrans, les Saints devinrent plus rares. vinrent soumettre leur tête sacrée au joug
La foi plus libre et plus tranquille , fut de Jésus-Christ ; que les enfans de Benoît
aussi plus languissante; et ne trouvant gouvernèrent long-temps toute l’Eglise ;
plus d’obstacles autour d’elle, ni de ces que de ces saintes solitudes sortirent les
troubles qui l’avoienl agitée , elle s’endor­ papes les plus saints , et les évêques les
mit dans le sein même du calme et de plus célébrés par leur doctrine et par leur
la tranquillité. Seconde instruction tirée pieté; que comme Jacob, il fut le père
des difficultés et des contradictions que des patriarches ; que la science et la vé­
la Foi fait surmonter à Benoit dans son rité se sauvèrent dans ce pieux asile , de
entreprise. l’ignorance et de la barbarie de ces siè­
Enfin, la gloire et le succès éclatant cles infortunés , où l’irruption et le mé­
qui l’accompagna , condamne la troisième lange de tant de peuples féroces avoient
excuse qui craint le parti de la vertu , éteint dans l’Occident le goût des lettres,
et fort altéré la pureté de la foi ; et nue
comme l’écueil ou de la réputation ou de
la fortune. comme Noé, à qui nous l’avons d’abord
Vous le savez , mes Frères , Benoit sur compare, les alliances du siècle furent
le Mont-Cassin, fut l’oracle de toute la mises comme en dépôt dans cette arche
terre : les pays les plus éloignés entendi­ mystérieuse qu’il avoit élevée, de peur
rent raconter les merveilles du serviteur que tout ne fût effacé sur la terre , et la
de
i anegyriques. + j?
g8 POUR LE JOUR DE SAINT BENOÎT. 99
mémoire des siècles anciens ensevelie que Dieu demande de nous ; sur mille
dans un éternel oubli : Testamenla sœ— moyens de salut que la voix du Ciel nous
culi posiîa sunt apud ilium ; ne cleleripossit montre en secret, que nous sentons nous-
diluvio omnis caro. Ç Eccli. 44. 19. ) Vous mêmes nécessairesà notre foiblesse; néces­
n’ignorez pas tou tes ces circonstances écla­ saires pour nous soutenir dans la vertu ;
tantes; et mon dessein, en les touchant si nécessaires pour y avancer; nécessaires
rapidement, n’est pas, comme vous le par rapport aux desseins de Dieu sur nous;
voyez, de les embellir par des éloges , mais nécessaires enfin au caractère de nos
de venir à l’instruction où je me hâte de penchans, et à l’expiation de nos mœurs
conduire mon sujet. passées : le monde nous arrête : l’impres­
Oui, mes Frères, la fausse prudence, sion que notre nouvelle conduite fera sur
les inconvéniens de fortune, de réputa­ les esprits, nous agite et nous ébranle-:
tion , que nous croyons entrevoir dans une la première pensée qui nous occupe, c’est
vie chrétienne , l’emportent presque tou­ ce que le monde pensera de nous. Ainsi ,
jours sur les plus pressansmouvemensde la après avoir abandonné le monde, nous
grâce qui nous y convient. Je ne parle pas voulons encore le ménager; après avoir
ici seulement de ces am.es mondaines, qui renoncé à tout ce qui plaît, nous vou­
commencent d’ouvrir les yeux à la vérité , lons encore lui plaire : nous voulons le
qui voudraient se déclarer pour elle ; mais mettre dans les intérêts cle notre vertu ;
qui n’osent, parce que la crainte des dé­ et apres 1 avoir eu peut-être pour censeur
risions et des censures humaines les ar­ de nos plaisirs , nous voulons encore l’a­
rête; c’est une terreur puérile que nous voir pour approbateur de notre pénitence-
avons souvent confondue. Je parle de nous vivons encore pour lui, quoique nous
celles qui se sont déjà déclarées pour Jé­ ne vivions plus avec lui. C’est une idole
sus-Christ, et qui font une profession pu­ que nous avons brisée et foulée aux pieds
blique de le servir :et je dis que dans le aux yeux des hommes, mais à laquelle
détail de leurs devoirs, elles sacrifient nous rendons encore en secret des hom­
presque toujours à des égards humains les mages. Pour peu que nous rentrions en
lumières.et les mouvemens de leur propre nous-mêmes , nous trouverons ces dispo­
conscience. Ce n’est pas à la vérité sur des sitions au tond de notre cœur. On se dit
points essentiels, et qui conduisent à la ? en secret pour se justifier ses
perte visible et déclarée de la grâce : mais» infidélités, que sur des choses indiiFé-
sur une infinité de moindres démarches ientes il ne faut pas s’exposer mal-à-pro—
DE SAINT BENOÎT. IOI

IOO POUR EE JOUR bâtir l’arche sainte , qui devoit lui servir
pos aux censures humaines : et on ne d’asile et le préserver dans le temps de la
prend pas garcje que ce que la grâce de­ colère. On se moquoit de l’extravagance
mande de nous, ne sauroit être indiffé­ prétendue de son dessein , de la singula­
rent pour nous : que sacrifier les mouve- rité de sa conduite, et de la tristesse de
tnens de l’Esprit-Saint à des égards hu­ ses mœurs. Mais quand les eaux com­
mains , c’est donner dans notre cœur la mencèrent à inonder la terre ; que la co­
préférence au monde sur Jésus-Christ ; et lère du Seigneur éclata, et que les hommes
que plus les démarches que la grâce nous surpris dans leur aveuglement et dans leurs
inspire , sont légères , moins la crainte qui dissolutions, ne trouvèrent plus de ressour­
nous les interdit est excusable. Car au ces que dans des génaissemens inutiles :
fond, mes Frères , si nous regardons le Noé alors se moqua à son tour de leur
monde comme l’ennemi de Dieu , que peut- folie , ou pour mieux dire, il fut pénétré
il nous arriver de plus heureux que de lui de douleur e t dè cônipassion de la perte
déplaire ? Si nous sommes persuadés que de ses frères , et jouit tout seul du fruit de
ses jugeinens sur les choses de Dieu sont sa sage prévoyance. Ainsi , continue ce
toujours faux , pourquoi avons—nous la Père, lorsqu’occupé à construire l’arche
foiblesse, ou de les respecter, ou de les sainte au dedans de vous, c’est-à dire , à
craindre ? édifie r un temple à l’Eternel dans votre
Lorsque Noé, à qui nous avons d’abord ame, vous entendez les discours des in­
sensés, et vous devenez le sujet de leurs
comparé notre Saint, bâtissait l’arche ,
dérisions etde leurs censures ; n’interrom­
dit saint Chrysostôme , le monde se mo—
pez pas ce saint ouvrage ; imitez la cons­
quoit de son entreprise : on regardoît
tance et la sagesse de Noé ; laissez parler
comme une foiblesse d’esprit les sages pré­
un monde fasciné des choses présentes,
cautions de cet homme fidèle. Tous les
autres hommes se réjouissoient, dit l’Ecri­
et qui ne voit pas un terrible avenir. Plus
le monde vous trouve singuliers et extra­
ture ; les noces et les festins étoient leur
ordinaires, plus il condamne votre entre­
occupation de tous les jours ; ils se pion—
prise; plus hâtez-vous de la conduire à
geoient tous dans les voluptés criminel­
les; toute chair avoit corrompu sa voie : sa perfection, et de vous préparer un
jamais la vertu ne fut plus rare ni plus asile pour les jours mauvais. Les discours
méprisée : Noé tout seul osa se distin­ des hommes passeront et seront ensevelis
guer dans cette corruption universelle ; avec eux dans la destruction générale
Noé tout seul vivant à part, s'occupait à E 3
«02 POUR LE JOUR, etc.
qui approche, et que la colère de Dieu
leur prépare; mais l’ouvrage de la foi, SERMON
que vous avez entrepris, ne passera ja­
mais. Le langage du monde va périr POUR LE JOUR
avec lui ; mais l’œuvre de Dieu surnagera ,
subsistera sur les débris du monde, "vous DE S. JEAN-BAPTISTE.
mettra à couvert de la condamnation gé­
nérale , et vous établira sur les montagnes
éternelles, où il n’y aura plus ni deuil ,
ni gémissement, ni douleur; et où, à Hic venit iu testimonium, ut testimoniuiii perhiberct
l’abri de tous les périls et de toutes les ten­ ¿le lumiue.
tations de la terre, vous jouirez de la
]l vient pour servir de témoin, pour rendre témoi­
bienheureuse immortalité.
gnage à la lumière. Joau. i. 9.

Ainsi soii-il.
la e s Saints ne sont suscités de Diéu que
pour condamner le monde et le rendre
inexcusable; et le monde ne paroît sub­
sister que pour abuser des exemples des
Saints , ou pour les condamner. U faut
que les divines Ecritures s’accomplissent:
que le monde trouve toujours des exem­
ples qui le confondent; et que le monde
condamne toujours tout ce qui ne lui
ressemble pas.
En vain la bonté de Dieu, pour aller
au devant de toutes les vaines excuses des
pécheurs , diversifie sa grâce dans ses
Saints , et propose au monde , dans la
diversité de leurs dons, des modèles diffé-
tens de vertu. Quelque différènles que
ÏC»4 POUR 1E JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. Io5'
soient leurs voies, elles se ressemblent Telle est la destinée du monde et de la
toutes en un point, qui est de condamner vertu. Développons donc aujourd’hui une
le monde , et d’être condamnées par le vérité si importante, et d’un si grand usage
monde même qu’elles condamnent. pour ceux qui m’écoutent. La meilleure
En effet, mes Frères, jamais témoi­ manière de louer les Saints n’est pas d’exal­
gnage parut-il plus propre à ramener les ter leurs vertus; c’est de montrer quelles
hommes à la vérité , que celui, de Jean- rendent nos vices inexcusables. C’est aux
Baptiste dont nous honorons en ce jour citoyens du ciel à chanter les louanges de
la mémoire, et dont la solennité devient la grâce , et les merveilles de Dieu sur
encore plus pompeuse par la piété des eux; mais c’est à nous à trouver dans leur
personnes augustes ( i ) qui l’honorent de vie des instructions qui confondent les
leur présence? C’étoit le plus grand des égaremens de la nôtre : il seroic inutile
enfans des hommes : c’étoit l’Ange du de célébrer la gloire de leurs actions, tan­
désert prédit dans Isaïe, qui devoit pré­ dis que nous les condamnons par nos exem­
parer les voies au Seigneur : c’étoit un ples. Imitons-les : de tous les éloges que
enfant de miracle, sanctifié dans le sein nous pouvons leur donner, c’est le seul
de sa mère ; le précurseur du Messie , le auquel ils peuvent être encore sensibles.
prophète du Très-Haut, la terreur des Et c’est pour cela que je me contente de
Pharisiens, le censeur des rois , le prodige vous proposer Jean-Baptiste aujourd’hui
de toute la Judée. Que pouvoit opposer condamnant le monde par le témoignage
le inonde à un témoignage si éclatant , qu’il rend à la lumière et la vérité ; et
et si propre à réconcilier le monde avec Jean-Baptiste condamné du monde , pour
la vérité, si le monde pouvoit aimer ce qui avoir rendu ce témoignage.
le condamne ?
Cependant le monde rejette Jean-Bap­ PREMIÈRE PARTIE.
tiste. Sa doctrine ne trouve que des con­
tradictions; ses exemples, des censures; Le monde a de tout temps taxé les aus­
sa pénitence , des dérisions; son zèle, des térités de la vie des gens de bien, d’excès
iersécutions : et le crime de sa mort est et de singularité; leur humilité , de pusil­
f e seul fruit que le monde retire de l’éclat lanimité et de foiblesse ; leur zèle, de bi­
zarrerie et d’aigreur : telle est l’injustice
et de la sainteté de sa vie.
qu éprouva Jean-Baptiste dans la Judée.
( i ) Sermon prêché à Sceaux devant M. le duc eî
Madaiae la duchesse du Maine. C’est sur ces trois préjugés que sa mission
E 5
Jo6 TOUK LE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. 107

rendit autrefois les Juifs plus inexcusa-« pas à la Judée ? La différence des lieux
Lies ; et c’est encore par là qu’elle nous ne change rien à l’austérité de ses mœurs:
condamne nous-mêmes. partout revêtu de poil de chameau ; sou­
Sanctifié dès le sein de sa mère , quels tenant à peine par un peu de miel sau­
exemples d’austérité ne vient-il pas mon­ vage la foiblesse de la nature; animé de
trer aux hommes? Ce n’étoit pas ici un l’esprit et de la vertu d’Elie, il paroit au
pécheur , qui livré d’abord aux passions monde comme un prodige nouveau, qui
insensées, presqu’inséparables des premiè­ tantôt excite son admiration, tantôt ré­
res mœurs, vint expier dans les déserts veille sa censure; mais qui ne lui est
les égaremens d’une vie licencieuse. Ce d’aucun usage, parce que le monde ne
n’étoit pas un mondain, qui sur le déclin peut comprendre qu’on ne soit pas fait
de l’âge, lassé des dissipations du monde , comme lui , et que tout ce qui le con­
et peu propre désormais à ses plaisirs, damne lui paroît plutôt une imposture
cherchât dans sa retraite , plutôt un repos inventée pour amuser les simples, qu’un
honorable à sa vieillesse, qu’un lieu d’ex­ modèle proposé pour confondre les pé­
piation à ses crimes. Ce n’étoit pas un cheurs.
ambitieux , qui rebuté-des injustices du En effet , quelle impression fait sur
monde, de l’oubli et de l’indifférence de l’esprit des Juifs la vie et le ministère
ses maîtres, fut venu cacher ses chagrins du précurseur ? Il leur déclare que la
dans la solitude , plus pour se plaindre cognée est déjà au pied de l’arbre; que
des mauvais traitemens du monde , que la justice de Dieu est sur le point d’écla­
pour en fuir la corruption et les périls. ter contre les crimes de la synagogue , et
C’étoit un Juste en qui la grâce avoit pré­ <]ue sans la pénitence ils périront tous:
venu , pour ainsi dire. , la nature : et qui il leur montre l’Agneau de Dieu seul ca­
porte dans les déserts, non pas ces chutes pable d’effacer leurs souillures et celles
dont Dieu se sert souvent pour former des de leurs pères; cet Agneau promis depuis
pénitens , mais ces vertus pures dont il la naissance du monde, et que la Judée
prévient ses Elus, quand il veut couron­ ■atlendoit comme la seule ressource pue
ner l’innocence. le Seigneur lui prépàroit pour en faire un
Cependant, suivez-lë dans les déserts peuple saint et nouveau. Ce n’est pas aux
de la Judée, sur les bords du Jourdain, prêtres et aux docteurs seulement qu’il
à la cour d’Hérode : quel spectacle de pé­ fait cette menace; c’est aux grands de Jé­
nitence et de renoncement ne donne-t-il rusalem j c’est aux Saducéens qui se pi-
ÏO& FOUR LE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. ÏOq
quoient de raison et de force d’esprit, et d’inconvéniens, le monde n’oppose-t-il pas
qui regardoient les menaces de la foi à ce devoir? Je ne les ignore pas; et la
comme des terreurs vaines et populaires; chair chrétienne les a si souvent confon­
c’est aux soldats et à leurs chefs; c’est à dus, qu’il seroit inutile ici de les confon­
la cour d’Hérode et à tout ce que la Pa­ dre encore. Et en effet, sur quoi vous
lestine avoit de plus grand et de plus croyez—vous dispensé de ce devoir , vous ,
auguste : c’est le seul moyen qu’il leur mon cher Auditeur qui m’écoutez?Est-ce
propose pour se mettre à couvert de la que. votre vie n’a pas été assez criminelle
colère à venir. Le monde l’écoute , le pour en venir enfin à une sincère péni­
monde l’admire , le monde court en foule tence ? Mais , quand cela seroit , Jean-
après lui, le monde est frappé de la sain­ Baptiste sanctifié avant que de naître,
teté de sa doctrine ; et le monde ne le croit n’ose s’en dispenser. Mais, hélas! que ne
pas ; et le monde demeure toujours tran­ pouvez-vous du moins nous alléguer' l’in­
quille dans son aveuglement et dans son nocence de votre vie ? Nous rendrions
impénitence; et les Pharisiens sont tou­ grâces avec vous au Dieu tout-puissant
jours hypocrites et orgueilleux; et les Sa- et miséricordieux , qui vous auroit pré­
ducéens ne rabattent rien de leurs volup­ servé de la corruption générale ; et nous
tés et de leurs blasphèmes : et le peuple laisserions à la grâce qui vous auroit pré­
ne change rien à ses mœurs, et la cour venu dès votre enfance, le soin d’affermir
d’Hérode est toujours le trône de la vo­ et de perfectionner son ouvrage : nous
lupté, et l’asile des adultères et des in­ n’aurions pas besoin de vous instruire sur
cestes. Et comment pourrions-nous donc vos devoirs; l’Esprit de Dieu, qui réside-
nous flatter que des vérités, qui dans la roit en vous , vous apprendroit toute vé­
bouche du plus grand des enfansdes hom­ rité. Votre vie? hélas ! oseriez-vous vous-
mes ne furent qu’un airain sonnant, se- même la rappeler ? une vie, où vos jours
roient dans nos bouches plus efficaces et n’ont été marqués que par vos crimes :
plus heureuses ? une vie dont vous n’osez sonder vous-
Quel langage nouveau que celui de la même les abîmes , et dont le chaos d’ini­
pénitence, pour un monde qui ne la con- quités et de souillures où vous êtes plon­
noit pas; pour des âmes qui ne croient gé, vous éloigne depuis si long-temps du
être nées que pour les sens , et à qui tous tribunal de la réconciliation et de la pé­
les plaisirs ensemble peuvent à peine suf­ nitence : une vie dont vous ne pensez
fire ! quelle foule d’obstacles, de prétextes, qu’en frémissant, à éclaircir les embarras
110 POUR LE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. III
et les ténèbres : une vie , où Dieu l’auteur' Ecoutez-vous alors une santé qui se refuse
de votre être et de vos talens , n’a jamais à vos agitations éternelles, un corps qui
trouve un seul instant pour lui ; et où s’écroule , pour ainsi dire, sous le poids
vous ne vous êtes souvenu peut-être de sa de vos plaisirs et de vos erreurs ? Et de
majesté , que pour l’insulter par vos dé- plus on vous l’a dit si souvent : Pc royaume
i isions et par vos blasphèmes : une vie de de Dieu est au dedans de vous : ( Pue. .
laquelle vous pourriez dire avec bien plus 2i.J Dieu ne demande pas la force du
de raison que Job : Que le jour qui m’a corps , mais le changement de votre ame ;
vu naître périsse; et qu’on efface du livre mais la cessation de vos crimes; et dans
des vivans le moment infortuné qui vit un corps usé, les gémissemens du moins
commencer une course si abominable et d’un cœur brisé et humilié. Le- monde
si soudlée : Pcréât dies in quâ natus sum. rejette ceux qui ne sont plus propres à
(Job. 3. 3. J Que dirai-je enfin ? une vie, 'ses plaisirs ; il ne les souffre plus au nom­
dont vous avez ete peut-être le premier bre de ses adorateurs ; il insulte même à
modèle; et qui par les horreurs secrètes, leur obstination et à leur folie , lorsque
dont elle est noircie, n’a point eu parmi déjà sur le retour, ils s’attachent encore
les personnes de votre état , d’exemples à le. suivre et à lui plaire. Mais le Seigneur
dans les siècles qui nous ont précédés, et toujours clément et miséricordieux , veut
n’en trouvera peut-être point dans ceux bien encore recevoir dans son sein ceux
qui doivent suivre. que le monde rejette : il nous trouve tou­
7 Vous alléguerez peut-être la foiblesse jours habiles à son service , toujours pro­
oe votre santé qui vous arrête. Mais quel pres à l’aimer, à pleurer nos crimes, à
usage n’en faites-vous pas pour les plai­ implorer ses miséricordes éternelles. C’est
sirs ? Que de violence ne donnez-vous pas le père de famille tendre et compatis­
au monde, à vos passions, à vous-même sant , toujours transporté de joie du retour
et à vos caprices ? Quel héros n etes-vous d’un enfant égaré, quoiqu’il ne recon—
point, quand il faut vous contraindre pour noisse presque plus en lui aucun trait de
la gloire, pour l’amitié, pour la fortune, sa noblesse et de sa première origine. O
poui vos maîtres? Quel courage , pour ne mon Dieu! se peut-il que vous soyez si
pas dire quelle fureur, quand le monde facile à recevoir le pécheur, et que le
vous appelle; que l’ambition vous anime; pécheur soit si lent et si tardif à revenir
que 1 envie de plaire vous met en mouve­ à vous ?
ment; qu’une vaine distinction vous attire ? Enfin , c’est peut-être là-dessus, et sur
112 POUR LE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. I l3
la facilité avec laquelle Dieu l'eçoit tou­ dans la volonté affreuse de mourir dans
jours le pécheur pénitent, que vous ren­ son péché? Et qu’est-ce que l’impénitence,
voyez à l’avenir votre pénitence ; et que qu’un désir inutile de conversion , qui
vous vous promettez que la suite appor­ calme nos remords , et qui ne délie jamais
tera à ce changement des facilités que nos chaînes?
vous ne trouvez pas aujourd’hui. Il est O mon Dieu ! si comme l’impie j’avois
vrai que Dieu reçoit toujours le pécheur renoncé à la foi , et à l’espérance de vos
qui revient à lui. Mais , qui vous a répon­ promesses, ma tranquillité seroit affreuse;
du que vous arriverez à ce jour que vous mais elle seroit moins étonnante. Mais ,
vous marquez à vous-même; et que la Seigneur, moi dans le cœur de qui votre
mort ne vous surprendra point dans le main miséricordieuse conserve encore ces
cours de ces années que vous destinez premiers sentimens de religion, que mes
encore au monde et aux passions ? Qui crimes n’ont pu effacer , qu’est - ce qui
vous a répondu que Dieu changera votre peut encore me calmer dans mes égare­
cœur , lorsque vous aurez mis le comble mens ? Je reconnois que je vous outrage:
à vos crimes; et qu’à force de l’irriter, en je désire de sortir d’un état si triste et
différant votre conversion, et continuant si criminel ; je me dis mille fois à moi-
vos égaremens , vous vous le rendrez plus même que je ne suis fait que pour vous ;
propice?Qui vous a répondu que vos pas­ et les dégoûts du monde et des passions
sions alors plus invétérées , seront plus ne me font que trop éprouver tous les
aisées à déraciner de votre cœur; et que jours, que vous seul, ô mon Dieu, êtes
le remède de vos plaies sera la vieillesse la paix , et le seul bonheur de votre créa­
même qui les rend toujours plus incura­ ture. Quel est donc, Seigneur . le charme
bles ? Depuis long—temps vous vous sé­ qui me retient et qui m’enchante? m’avez-
duisez vous-même par ces vains projets vous donc rejeté pour toujours? ne met­
de conversion : avez-vous rompu depuis tez-vous donc dans mon cœur des désirs
une seule de vos chaînes? avez-vous fait de salut, que pour me rendre plus cri­
une seule démarche pour vous rapprocher minel par les oppositions que j’y mets ?
de Dieu? et qu’ont produit tous ces vains et vos grâces seroient-elles, non les pré­
projets de repentir, que de vous rendre jugés heureux de mon salut , mais des
plus tranquille dans vos crimes? Est-il un armes que se prépare contre moi la terreur
seul pécheur impénitent qui ne désire de de votre justice ?
changer de vie ? en est-il un seul qui soit C’est ainsi que la pénitence de Jean-
ï 14 POUR DE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. Il5

Baptiste condamne le monde. Mais ses la terre. Il est rare dans fès fonctions
abaissemens sont encore pour le monde mêmes les plus saintes, et dans les dons
un nouveau sujet de condamnation ; et éclatans que nous avons reçus de Dieu ,
ici remarquez-en , je vous prie , tous les de lui en rapporter toute la gloire , et de
caractères. Il reconnoît que Jésus-Christ n’en rien retenir pour nous-mêmes.
est plus grand que lui; c’est un aveu qu’il En effet, revenons sur tous les carac­
devoità la vérité età la justice : mais il dé­ tères de l’humanité de Jean-Baptiste , et
clare qu’il n’est pas digne même d’être son nous y retrouverons tous les caractères de
ministre; et cela dans un temps que le notre orgueil marqués et confondus.
peuple accouru en foule sur les bords du Premièrement, il rend gloire à la vérité
Jourdain, le regarde comme le Christ, et à la justice en se reconnoissant infé­
et est prêt à lui rendre les honneurs rieur à Jésus—Christ : et nous, malgré
destinés au Messie; dans un temps où tout ce qui nous humilie au dedans de
Jésus-Christ lui-même confondu dans la nous, malgré ces foiblesses qui nous ont fait
foule vient recevoir le baptême de ses rougir en secret ; ce vide et ce néant que
mams, et semble par cette démarche se nous trouvons en nous, et qui fait que
soumettre comme un de ses disciples à nous nous sommes à charge, et que nous
sa doctrine et à son ministère. Rien de portons partout avec nous l’ennui, le dé­
plus grand et de plus digne d’admira­ goût, et l’horreur, pour ainsi dire, de
tion que de s’abaiser au milieu des ap- nous—mêmes ; nous voulons pourtant en
plaudissemens qui nous élèvent; et non- imposer au public, et qu’on nous prenne
seulement de ne pas s’attribuer les hon­ pour ce que nous ne sommes pas. Nous
exigeons que les hommes pensent de nous
neurs que l’erreur publique nous défère,
mais de se reconnoitre indigne même de ce que nous n’oserions en penser nous-
ceux qui nous sont dus. Enfin , il ne se mêmes : et le comble de l’injustice, c’est
contente pas d’assurer qu’il n’est pas le que tous ceux qui nous refusent les qua­
Christ; il n’ose même se nommer pro­ lités que nous n’avons pas , et les louan­
phète , lui qui est plus que prophète : il ges que nous ne méritons pas, et qui jugent
lui suffit de s’appeler la voix qui crie dans de nous comme nous en jugeons nous-
le d ésert : il veut diminuer afin que mêmes en secret, nous les haïssons; nous
Jésus-Christ croisse; et ne fait servir sa les décrions, nous leur faisons un crime
gloire et ses talens, qu’à manifester la de l’équité de leurs jugemens; et nous
gloire du Messie qu’il vient annoncer à nous en prenons, ce semble, à eux de

f
I l6 POUR LE JOUR
DE SAINT JEAN-BAPTISTE. IIJ
nos misères-et de nos foiblesses. Telle est
l’injustice de notre orgueil. il refuse le titre de prophète : Je ne suis,
dit-il, que la voix qui crie dans le désert;
Secondement, Jean-Baptiste veut di­
qu’un organe et qu’un vil instrument entre
minuer afin que Jésus-Christ croisse : il
les mains de celui qui me fait parler et qui
met sa véritable grandeur à cacher l’émi­
m’anime. La reconnoissance est le carac­
nence de ses titres; il n’est occupé qu’à
tère inséparable de l’humilité : elle rap­
publier la gloire du Messie qu’il vient an­
porte tout à celui de qui elle a tout reçu.
noncer. La solide humilité est grande et Hélas ! et tout ce que le Seigneur a mis
magnanime, et l’orgueil, toujours bas et
en nous de dons et de talens , nous n’en
rampant. Aussi, c’est peu de vouloir nous
faisons usage que pour nous, et souvent
attribuer les talens et les vertus que nous contre le Seigneur lui-même : les talens
n’avons pas , nous disputons même aux du ministère , à nous faire un grand nom,
autres celles qu’ils ont. Il semble que leur à nous rendre recommandables auprès des
réputation nous humilie ; qu’on nous grands et des puissans ; à nous acquérir
prive des louanges qu’on leur donne, et du crédit et de la considération dans le
que les honneurs qu’ils reçoivent sont des inonde , attirer à nous les pécheurs , loin
injustices qu’on nous fait : incapables d’é­ de les ramener à Dieu; et agrandir notre
lévation , de vertu , de générosité , nous réputation, loin d’agrandir le royaume de
ne pouvons la souffrir dans les autres; Jésus-Christ : le talent de la science et de
nous trouvons des taches où tout le monde la doctrine, à taxer d’ignorance tous ceux
admire des vertus. Au lieu que Jéan-Bap- qui ne pensent pas comme nous; à croire
tiste diminue afin que Jésus-Christ croisse, que nous seuls avons la science et la sa­
il semble que hous ne pouvons croître et gesse en partage ; à ne vouloir pas suivre
nous élever , sans que les autres dimi­ les routes communes et battues; à cher­
nuent : le mérite nous blesse et nous cher souvent à nous distinguer par des
éblouit ; et ne voulant pas nous défaire singularités toujours dangereuses dans la
de nos vices, nous voudrions pouvoir ôter doctrine ; à exciter des disputes qui scan­
aux autres leurs vertus mêmes. Telle est dalisent plus les Fidèles, qu’elles n’éclair­
la bassesse de l’orgueil. ' cissent les mystères de la foi ; enfin à trou­
Enfin, Jean-Baptiste ne fait servir l’éclat bler l’Eglise , loin de la soutenir et de la
de ses dons et de ses talens qu’à la gloire défendre..Telle est l’injustice, labassesse,
de Jésus — Christ : il ne veut pas qu’il etl ingratitude de l’orgueil, caractères qui
en rejaillisse un seul rayon sur lui-même;
IXS POUR LE JOUR T>XS S AIKT JEAN-BAPTISTE. ï I<>

en sont inséparables, et qui sont condam­ élevé pai' la majesté de son rang, et l’éclat
nés par les caractères de l'humilité du de sa couronne : il porte courageusement
précurseur. la vérité jusqu’aux pieds du trône, d’où
Mais son zèle ne vous fournit pas moins elle n’approclie presque jamais. Les cares­
de sujetsde condamnation contre lemonde. ses et les faveurs dont Hérode le comble,
Je dis son.zèle, un zèle éclairé. Il ne loin de l’amollir, raniment l’intrépidité
s’en prend qu’aux abus ; il ne propose à de son zèle : il croit être encore plus re­
chacun que les devoirs propres de son devable cle la vérité à un prince qui l’ho-
état; aux prêtres la charité et le désinté­ nore de sa bienveillance. Il n’est pas venu
ressement ; aux Pharisiens, l’humilité, la a sa cour pour aspirer à sa faveur et à ses
droiture du cœur, et l’horreux* de l’hypo­ grâces , mais pour le rendre digne lui-
crisie; aux gens de guerre, l’éloignement înéme des faveurs du Ciel. On ne craint
des excès, des rapines, et des violences ; rien, quand on ne souhaite rien : on ne
àHérode, la sainteté du lit nuptial, et cache rien, on ne dissimule rien, quand
l’horreur du scandale et des suites de on ne cherche pas à plaire, mais à édifier.
Il lui annonce hardiment : Non licet; il
l’incontinence; à tous , la pénitence et le
renoncement. Il borne là son ministère ; ne vous est pas permis: le trône vous met
il ne cherche qu’à rendre son zèle utile : a couvert de la sévérité des lois humai­
il ne veut pas qu’on l’admire ; il veut qu’on nes; mais il ne vous met pas au-dessus
de la loi de Dieu : votre puissance vous
se repente : il ne fait pas parade , comme
îend tout possible ; mais elle ne rend pas
les Pharisiens , d’une sévérité outrée, et
innocent ce que Dieu condamne : il de­
d’imposer aux autres un joug accablant; vient meme d’autant plus criminel pour
il se contente de le porter lui-même, et
vous, que vous pouvez moins le cacher
de proposer aux autres les règles com­
aux yeux du public , et que votre rang
munes de la loi. ajoute au crimede la chiite le crime inévi­
Cependant, ce zèle si humble et si table du scandale: Non licet. En un mot,
éclairé , n’en est pas moins intrépide. Il
ne ménage ni les rangs, ni les dignités, Pait°ut ou Jean-Baptiste trouve le vice,
i 1 attaque , il le confond. Il ne connoîfc
ni les erreurs les mieux établies ; ni les
Pharisiens si respectés du peuple par la pas ces timides ménagemens qui font grâce
au crime en faveur du pécheur, et me-
fa usse apparence de leur sainteté ; ni les
suxent leux' zèle, non sut' la nature des
anciens de Jérusalem , si redoutables par
leur autorité ; ni Idéi'ode lui-même, si

J
120 FOUR.LE JOUR
dérèglemens , mais sur le rang et la digni­ Or*, cju’il est rare de retrouver tous ces
té des coupables. caractères dans le zèle des personnes qui
Mais ne croyez pas que l’intrépidité de font profession de piété ! Notre zèle est
son zèle ne fut accompagnée de charité et éclairé; cest-à-dire, nous sommes clair-
de prudence ; car c’est la prudence et la voyans sur les défauts de nos frères : rien
charité toutes seules qui assurent le succès ne nous échappé de leurs faiblesses ; nous
devinons celles qu’ils cachent ; nous exa­
du zèle. Je dis la prudence : non cette
prudence de la chair, qui n’est qu’une gérons celles qui paroissent; nous prédi­
coupable timidité, et qui est plus atten­ sons même celles qui ne sont pas encore;
tive à ce qu’elle croit devoir aux hommes , notre vanité se repaît, pour ainsi dire, de
leurs imperfections ; sous prétexte que
qu’à ce qu’elle doit à la vérité ; mais, cette
notre vie paroît consacrée à la piété, nous
irudence de l’Esprit-’Saint, qui condamne
f e vice sans aigrir le pécheur ; qui pense
nous taisons un mérite de condamner tout
ce qui ne nous ressemble pas. Nos yeux
plus à le gagner, qu’à le confondre; et
sont perçans pour voir ce que la charité
qui, sans ménager le crime , sait ménager
devroit nous cacher; et nous ne les tour­
la foiblesse du coupable. Je dis la chari­
té : non cette complaisance molle et hu­ nons jamais sur nous mêmes; et nos fai­
blesses qui déshonorent la piété , nous ne
maine qui excuse tout ; qui ne met que
de l’huile sur la plaie invétérée -, où il es voyons pas ; et nos humeurs et nos
bizarreries et nos hauteurs , dont tous
faudroit mettre le fer et le feu ; et qui,en
ceux qui nous environnent souffrent, nous
laissant le malade content du médecin , Jes ignorons : nous sommes lumière poul­
le laisse encore plus content de son état ies autres, et nous ne sommes que ténè-
et de lui-même : mais, cette charité ar­ bies pour nous-mêmes.
dente et compatissante, qui supporte le Noh-e zèle est intrépide. Mais tandis
malade, mais qui ne souffre et ne déguise
pas le mal ; qui ne flatte pas les plaies , mais duhe JUS SOmmes 51 Avères sur la con-
qui fait aimer les remèdes; qui étudie les nous n Ceu* que nous n’a,mons pas, que
temps et les momens ; qui prend toutes ou mêmeCoaiSn°nS p3S’ qU' SOnt inutqes
les formes ; qui mêle la douceur -à la sé­ rôts TL PP°Sie-S a n°S VUes ’ ànos mté-
vérité; qui joint la prière à l’instruction; cissons senllæens? nous nous adou-
et qui s’oubliant elle-même, n’oublie rien utile ” on Vef? C6UX qU1 peUV6nt nous
pour se rendre utile à ses frères. excuîon? qT PenSe,?t C°mme nous : nous
Or» ’ ‘ n°US donnons même à leurs
a anegynques, x- p
122 POUR LE JOUR
Ui, JI AN-BAPTISTE. 123
vices, les noms et les éloges de la vertu;
la satire , 1 humeur avec la correction ;
nos seuls intérêts décident de notre zèle :
et au lieu que leurs erreurs auroient dû qui sache se faire aimer, lors même qu’il
trouver une ressource dans notre sincé­ ne peut se dispenser de reprendre ; qui
rité , elles trouvent un nouvel écueil dans rende la vertu plus aimable par ses mé-
nos adulations et nos complaisances. nagemens , que redoutable par ses censu­
Et c’est en quoi seulement notre zèle est res ; qui gagne les cœurs avant d’en atta­
prudent, mais d’une prudence intéressée quer les foiblesses, et mette , pour ainsi
dire , par sa douceur, les pécheurs d’in­
et charnelle. Car d’ailleurs , le zèle pru­
telligence avec lui contre eux-mêmes. En-
dent n’étend pas ses censures et ses avis in , chantable qui tolère pour repren-
sur ceux que la Providence n’a pas soumis
nas rhnC P1US -C nUCpès ’ et ne chérche
à son autorité ; il ne reprend pas, il ne
île son '1S6S reEre1hensîons l’ostentation
censure pas ceux dont il ne répond pas :
il ne fait pas d’une prétendue piété un son frère6 G’ Putililé et sa{ut de
empire tyrannique sur ses frères : il n’en­ Frir« de c?s a«Ies violées, vous, mes
treprend pas d’instruire et de corriger ceux i ’ qui faites profession de piété
qu’il devroit se contenter d’édifier : il ne ?ous îes C6nSUreS nC fo-nissez-vouPs pa;
publie pas sur les toits ce qui ne devroit
pas être confié à l’oreille; et ne scandalise , -,OUrS lnonde contre la piété
meme ! ,e vous l’ai dit souvent • et on ne
pas le monde par les abus de la piété , plus 3^? P-squ’e c’XVll
que les pécheurs mêmes ne le scandalisent fïble donFIïSUniVer,Sel et le PIus Plau—
par les excès de leurs vices. ’ °nt e monde se sert tous les
Enfin , notre zèle doit être charitable ; celle*X°bî Preferer,{a vie. mondaine à
dernier caractère. Mais pour cela , il faut pour le salJt1616 ’ qPn 7°^ moins sùre
être plus touché des chûtes de nos frères, Vous rende. î ^,.du nionde
qu’aigri et rebuté de leurs foiblesses; leur dani u Ia verlu odieuse, en la ren-
laisser paroître plus de compassion que de SI2B -te %
zèle ; plus d’affection que de rigueur ; plus
de désir et d’amour de leur salut , que
d’indignation et d’horreur de leurs fautes.
Charitable , qui ne mêle pas le poison de
la malignité avec les saints offices de la
charité } qui ne confonde pas le zèle ayec
’ n est qu une humeur cha-
E 3
12?
sjpE SAINT JEAN-RATTISTEì

ï2/{. POUR LE JOUR SECONDE PARTIE.


grine et dangereuse , une enflure du cœur,
un travers , et une petitesse de l’esprit ; Si la vie des Justes est une maniéré
le poison des sociétés et des commerces ; de jugement anticipé, qui condamne le
en un mot, un zèle amer pour les au­ monde , on peut dire que la corruption
tres, et une indugence aveugle et exces­ du monde s’élève ici — bas un tribunal ,
sive pour soi-même. Rendons donc à la où les Justes ont toujours ete condam­
vertu par nos attentions , ce qu’elle perd nés. Ce sont deux tribunaux opposés, dit
par nos foiblesses. Nous ne réconcilierons saint Augustin , qui prononcent mutuel­
jamais le monde avec elle, il est vrai, lement l’un contre l’autre, des anathemes
mais du moins nous le forcerons de la et des arrêts de mort ; et ce qu’il y a d é­
respecter : nous ne la mettrons jamais en­ tonnant , c’est que souvent les mêmes ob­
tièrement à couvert des dérisions et des jets qui fournissent à l’un des motifs de
censures, mais du moins les seuls con­ condamnation , forment les arrêts et les
tempteurs de 'la religion , le deviendront jugemens de l’autre. C’est la pénitence,
de la vertu. Corrigeons nos frères en les l’humilité, le zèle du précurseur qui con­
édifiant, et non en les déchirant. Quand damne le monde ; nous l’avons vu ; et
le devoir nous obligera de reprendre , c’est de sa pénitence même , de son hu­
nos exemples auront déjà préparé les voies milité et de son zèle, que le monde
irend occasion de le condamner ; nous
à nos instructions : nous aurons tout dit
en vivant bien ; et le monde respectera f ’allons voir.
une piété qui ne se pardonne rien , et qui Je dis de sa pénitence même. Et cer­
semble tout pardonner aux autres. C’est tes , mes Frères , quels sentimens de res-
iect, d’admiration , d’amour de la vertu ,
ainsi que la pénitence, que les abaisse-
mens, que le zèle du précurseur condam­ f a vie céleste du précurseur ne devoit—
nent le monde; il nous reste a le voir elle pas former dans l’esprit des Juifs ?
condamné du monde par les mêmes en­ Quel prophète jusques-là avoit paru sur
droits par où il vient lui-même de le con­ la terre plus austère dans ses mœurs ,
plus héroïque dans sa pauvreté et son
damner.
désintéressement, plus éloigné de tout ce
qui peut flatter les sentimens les plus
innocens de la nature ? Cependant cette
I F 3
3 2.6 TOUR LE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. 127
vie si austère, celte retraite si profonde, connoître lui-même; enfin, comme un es­
ce détachement si universel , et si propre prit blessé de l’amour de la singularité ,
à faire glorifier le Seigneur dans ses Saints, et qui sacrifie au démon de la vanité , et
trouve parmi les Juifs des dérisions , des à une complaisance insensée, les senti-
censures. Loin d’admirer la force de la mens les plus vifs, et les penchans les
grâce et le don de Dieu , qui peut éle­ plus innocens de la nature : F cnit Joan­
ver la foible créature si fort au-dessus nes neqne manducans , ncque bibens ; et~di-
de sa propre foiblesse ; loin de conclure cunt :Dœmonium liabel. ( Maltb. 11. 18.)
de si grands exemples d’austérité , que Et telle a été dans tous les temps , mes
nous pouvons tout en celui qui nous for­ Frères , la destinée du monde, de tourner
tifie , et que les difficultés chimériques, que à sa perte les mêmes secours que la bonté
nous trouvons tous les jours dans la sé­ de Dieu avoit préparés pour son salut.
vérité oe là loi , sont plutôt les vaines Car , mes Frères , ne craignons pas de
excuses de nos transgressions , que des le dire ici , et puisque je ne viens que
raisons légitimes qui nous dispensent de pour vous édifier ,( ne cachons rien.de
son observance ; loin de bénir les ri­ tout ce qui peut vous instruire ; quelle
chesses de la bonté du Seigneur, qui veut impression font sur nous les dons de la
bien encore de temps en temps, et dans grâce dans les serviteurs de Dieu , lors­
les siècles les plus corrompus, tirer des qu’elle les conduit par ces voies rigoureu­
trésors de sa miséricorde ces hommes ex­ ses et singulières ? Que pensez-vous, que
traordinaires, et montrer ces grands spec­ dites-vous tous les jours , des âmes qui
tacles à la terre , pour animer les foibles , poussées par l’Esprit-Saint, font succéder
confondre les pécheurs , et fournir à la à vos yeux la retraite aux dissipations du
religion de nouvelles preuves contre l’im­ monde , les larmes aux plaisirs , l’austé­
piété et le libertinage : ils regardent les rité des moeurs aux charmes de la volupté
saints excès de la pénitence de Jean- et de la mollesse ? Quels sentimens ré­
Baptiste comme une illusion de l’esprit veillent en vous ces grands exemples, ces
imposteur, qui le séduit et qui l’anime, heureuses singularités , ces preuves écla­
comme une frénésie qui s’est emparée de tantes de la puissance du Seigneur , et de
ses sens et de sa raison ; comme une vapeur sa miséricorde sur les hommes ? En êtes-
noire qui le trouble, et ne lui fait oublier ce vous» touchés ? En êtes-vous seulement
qu’il doit à son corps, que parce qu’il édifiés ? Enviez-vous leur destinée ? Non ,
n’est plus en état de se sentir et de se mes Frères, leurs austérités saintes, vous
F 4
<128 POUR LE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. 129
les traitez de singularité et de foiblesse ; pénitence des Justes ? On voudroit une
leur retraite , de bizarrerie et d’humeur ; vertu plus modérée , et qui se fit moins
leurs larmes , de pusillanimité et de foi­ remarquer : on se plaint qu’une piété trop
blesse. Tantôt , c’est une affectation , et austère désespère plutôt ceux qui en sont
un vain désir de se distinguer, qui les témoins, qu’elle ne les encourage ; on re­
pousse et qui les anime ; tantôt , c’est dit sans cesse qu’on ne va pas loin , quand
une ardeur du tempérament, qui croyant on s’y prend si vivement ; que la grande
se livrer aux mouvemens de la grâce , ne affaire n’est pas d’entreprendre tout ce
fait que suivre l’impétuosité de la nature; qu’on peut, mais de soutenir ce qu’on,
tantôt, c’est une raison blessée , qui ne 'entreprend; et que la vanité toute seule
voit plus rien au naturel, et à qui il n’est nous mène souvent à des singularités ,
plus que les excès qui puissent Pl aire : dont on fait honneur à la grâce : V'en.it
Tenit Joannes neque manducans, neque bi- Joannes nequemanducans, ncquebibens,eic.
bens ; et dicunt : Dœmonium habet. Vaine sagesse des enfans des hommes, est-
Que dirai-je ? que de censures ! que de ce à toi à t’élever contre la sagesse de Dieu,
réflexions, qui paroissent même avoir un et contre les voies admirables de sa grâce
air de modération et de sagesse ! Car je et de sa miséricorde , dans la sanctifica­
ne parle pas ici des dérisions que les im­ tion des Justes ?
pies et les libertins font tous les jours de Et ne croyez pas , mes Frères , qu’une
la vertu : et comment respecteroient—ils vertu plus adoucie et plus commune ,
les hommes, eux qui ne craignent plus trouve plus d’indulgence auprès du mon­
Dieu ? Et de quel prix peut être la vertu de. Le même monde qui prêche tant la
auprès de ceux qui regardent comme une modération aux gens de bien ; qui cen­
chimere l’Auteur de tous les dons et de la sure si fort les excès de leür piété , et
vertu même ? Je parle des plus sages qui condamne si hautement leurs sin­
d’entre les mondains ; de ces hommes gularités prétendues ; le même monde ,
prudens selon le siècle , qui ne blasphè­ dès que les gens de bien paroissent dans
ment pascontre l’Esprit-Saint, comme l’im­ des mœurs plus communes, que leur pié­
pie; mais qui veulent juger des dons de té n’a rien de trop austère qui frappe et
Dieu , et de la folie de la croix , sur la qui surprenne , qu’ils se permettent cer­
fausse sagesse de l’homme. Quels incon— tains plaisirs innocens, où la bienséan­
venions ne trouvent-ils pas aux saintes ce plutôt que le goût, les conduit; et
austérités , et aux larmes heureuses de la ffu’ils .affectent en tout ce que la loi de
F 5
l3o TOUR LE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. ï3l
Dieu ne condamne pas , de ressembler au dit que c’étoit un esprit d’illusion et de
monde, de peur de révolter le monde- fureur , qui le portoit à ces excès : Eenit
ah ! c’est alors que le monde triomphe Joamies neque manducans, neque bibens ;
des adoucissemens de leur piété : c’est et dicunt : Dœmonium habet. Le Fils de
alors qu’on insulte à cettë vertu commode l’homme a paru mangeant et buvant, pro­
et aisée : c’est alors qu’on s’applaudit en posant aux hommes le spectacle d’une
secret, de trouver dans les gens de bien, vertu plus praticable et plus commune, et
des penchans et des foiblessesprétendues, se mettant à la portée de tous, pour les
qui justifient les nôtres ; et qu’on se ras­ sauver tous; et vous avez dit que c’étoit
sure dans les égaremens du vice , en les ’ un homme de bonne chère ; l’ami des pé­
opposant aux imperfections de la vertu : cheurs et des Publicains ; et qui, dans une
c’est alors qu’on met bien haut les obli­ vie commode et sensuelle , vouloit jouir
gations de l’Evangile ; que le monde de­ de la réputation de la vertu et de la sain­
vient un docteur rigide et outré; et que teté , sans en souffrir les privations et les
tandis qu’il se permet, sans scrupule, peines : Venit Filius hominis manducans ,
les plaisirs les plus criminels, il taxe et bibens-, et dicunt: Ecce homo vorax , et
hardiment de crime les délassemens les potator vmi , Publicanorum et peccatonnn
plus innocens des Justes : c’est alors que amicus. ( Mattb. n. 19.) Et c’est ainsi „
ces dérisions si vulgaires , contre l’amour- ajoute Jésus-Christ , que la sagesse de
propre et la vie commode des gens de Dieu, dans la diversité des voies par où
bien, ne sont pas épargnées; que la piété elle conduit ses serviteurs, est justifiée
devient la fable et la risée des pécheurs ; par les contradictions insensées d.u mon­
et que renoncer au monde n’est plus, se­ de; et que les jugemens des enfans des
lon eux , que chercher avec plus de pré­ hommes , jamais d’accord avec eux-mêmes
caution et de raffinement, les aises et les fournissent tous les jours à sa justice de
commodités du monde même. nouvelles armes pour les condamner et
Et voilà ce que Jésus-Christ reproche pour les confondre ; Et justificata est sa—
aux Juifs de notre Evangile : ( car le pientia à filiis suis. {Ibid. )
monde a toujours pensé et parlé de même Mais si la pénitence de Jean - Baptiste
dans tous les temps. ) Jean est venu, leur est condamnée du monde, ses abaisse—
dit-il, ne mangeant, ni ne buvant, et mens ne trouvent pas auprès de lui
montrant à la Judée l’exemple de la vie la plus d’indulgence. Oui, mes Frères, le
plus retirée et la plus austère ; etyou^avez monde qui condamne si fort l’ambition
F 6
ïSa FOUIR LE JOUR DE SAINT JEAN-BAPTISTE. l33
dans les gens de bien ; qui les accuse si vons si mauvais que ceux qui en font pro­
facillement d'aller toujours à leurs fins ; fession briguent des dignités et des pla­
d’être plus vifs sur leurs intérêts , plus dé­ ces ; nous , qui sommes si éloquens sur
licats, plus pointilleux , plus sensibles aux les voies secrètes et détournées, que les
honneurs et aux préférences; et de se ser­ gens de bien savent prendre pour parve­
vir même de la vertu pour y parvenir : le nir ; nous , qui leur faisons souvent un
inonde qui est ravi d’avoir ce reproche à crime des grâces mêmes et des honneurs
leui faiie; ce monde lui-même, toujours qu’ils fuient, et que leur mérite leur a
plein de contradictions , condamne l’hu­ attirés malgré eux-mêmes; nous, qui dé­
milité du précurseur. L’aveu qu’il fait bitons sans cesse que la vertu n’est que le
aux Juiis de son néant et de sa bassesse, premier ressort de l’ambition ; et que sous
et de la grandeur de Jésus-Christ , les un règne surtout où les grâces suivent la
éloigné de lui,. et ils ne paraissent plus piété , la piété n’est souvent que la re­
en foule a sa suite. Ses disciples eux- cherche et la voie secrète des grâces ;
mêmes sont blessés, et ne peuvent souf­ nous-mêmes, mes Frères, si un Juste
frir qu il s abaisse si fort au-dessous de animé de l’Esprit de Dieu, abdique le
Jésus-Christ : (car souvent c’est la vanité faste et l’éclat des honneurs du siècle ;
toute seule, qui nous attache à la réputa­ s’il fait à la grandeur de la foi et à la
tion de nos conducteurs ; ce n’est pas le vérité de ses promesses , un sacrifice de
désir qu’ils nous soient plus utiles ) : ils sa naissance, de son nom, de ses places,
viennent lui représenter que ce Jésus à de ses talens , pour méditer dans le silence
qui il a rendu témoignage , se mêle aussi et dans la retraite , les merveilles du Sei­
de baptiser, et que le peuple en foule gneur, et les années éternelles ; s’il pré­
■court après lui : Cui tu tesiimonium perhî- fère la sûreté du repos et les douceurs
buish i ecce hic bciptiscii et omnes vcniimt d’une vie sainte et privée , aux dissipations
o.d eum. {Joan. 3. 26.) Ils sont jaloux que de l’autorité , et aux périls des prétentions
Ja multitude abandonne leur maître pour et des espérances; de quel œil regardons-
-aller à Jésus-Christ ; et semblent vouloir nous la grandeur de son humilité et le
3e blâmer, à force d’avoir rendu Jésus- courage héroïque de son renoncement et
Christ trop grand , de s’être rendu lui- de sa retraite ? en faisons—nous honneur
même vil et méprisable. à la religion et à la puissance de la grâce ?
Et telle est encore, mes Frères, notre Hélas ! nous y trouvons de la pusillani­
injustice envers Ja vertu. Nous , qui trou- mité et de la foiblesse : nous appelons
_

*^4 pour le jour DE SAINT JE AN-B AETiSTfi. iSu


une vie oiseuse et obscure , une vie qui et de mépriser tout ce qui peut le rendre
sei t de spectacle aux Anges et aux Saints : estimable?
nous taxons de paresse et de défaut de- Enfin , non - seulement l’humilité de
Jévalion , les sacrifices les plus héroïques Jean-Baptiste devient un sujet de mépris
et les sentimens les plus nobles de la foi : pour le monde; mais son zèle même , ce
nous donnons à cette sagesse sublime zèle si sage, si éclairé, fournit au monde
d en-haut , qui fait regarder au Juste tout un dernier sujet de condamnation contre
ce qui passe comme de la boue, les noms lui.
rampans de timidité et de petitesse d’es­ L’impiété d’Hérodias et la foiblesse
prit : nous regardons comme des hommes d’Hérode , font au précurseur un crime
devenus inutiles au monde , ces hommes de la sainte liberté de son ministère : il
dont le monde n’est pas digne : et nous devient le martyr de la vérité. Heureux
qui admirons tànt la simplicité de vie, le de l’avoir annoncée ! Plus heureux encore
désintéressement , la fausse sagesse d’un de mourir pour elle ! Heureux d’avoir osé
Socrate , et le mépris orgueilleux que les la publier dans le palais des rois, et jus­
philosophes avoient pour les dignités et qu’aux pieds du trône, où elle fait rare­
poui les richesses; nous, qui ne voyons ment entendre sa voix parmi la foule des
pas la bassesse et la folie de ces prétendus adulateurs qui l’environnent ! plus heu­
sages, de chercher pareillement la gloire reux encore d’avoir ajouté , par son sang,
et la réputation , par une ostentation de un nouvel éclat à la vérité! Heureux d’a­
vertu , plus méprisable que le vice même; voir condamné le monde par la générosité '
nous-mêmes, mes Frères, nous regardons de son zèle ! plus heureux encore d’avoir
comme un bon air de mépriser la noble par son zèle saint et généreux, fourni au
humilité des serviteurs de Dieu, le géné­ monde un sujet de condamnation contre
reux dépouillement des sages de l’Evan­ lui.
gile , la sainte magnanimité de leur foi ; Oui , mes Frères , le monde ne sauroit
nous donnons à l’extravagance et à la pardonner à la vérité, parce que la vérité
puérilité de l’orgueil les éloges que nous ne peut rien pardonner au monde. Et dans
refusons à l’élévation de l’humilité , à la quelle bouche pouvoit-elle être plus res­
sainte philosophie de l’Evangile , et à la pectable, que dans celle du précurseur ?
sagesse sublime de la grâce. Qu’est-ce que Le prodige de sa naissance , le saint, excès
l’homme, ô mon Dieu! et quel est son de ses austérités, l’éclat de sa réputation,
aveuglement j d’admirer tout ce qui l’avilit, la grandeur de son ministère , les hom-
POUR le jour DE SAINT JEAN-BAPTISTE. l3y
bsSDronV?Ute JudLÎe’ PeSPrit de tous même du festin, où jamais la barbarie
S piophetes qui paroît revivre en lui • elle-même ne s’étoit avisée de mêler les
qne instrument pouvoit choisir la sagesse horreurs du sang et de la mort, aux ré­
yiSé et P^S P';01’? \rendre S'on-e à U jouissances de la table. Jean-Baptiste la
rite et a confondre la volupté si la reprend ; il condamne le scandale de sa
lo°itT< ‘■j’ugir.etsi elle ne met- passion et de son inceste ; il ose lui re­
ét dans So„e!°lr' "S “ “nfusi°n même procher la honte dont elle ne craint pas
ctuans son ignominie? de se couvrir à la face de toute la Pales­
vices" ki«’ r SCmble qU6 tous Ies aatres tine , malgré son rang et sa naissance ,
ces laissent encore un reste de goût et il faut que son sang expie le crime de
u du moins de respect pour la vérité’ cette liberté , et qu’elle immole à la fu­
Mais la volupté en a été de tout temps la reur de sa passion , cette noble et sainte
Plus inexorable persécutrice: il n’est rien victime.
de sacré pour elle: tout ce qui s’oppose à Oui, mes Frères, s’il ëtoit permis de
îeasPanT°? Ia/end ,furieu^ et bfibare :
mêler à la joie et à la pompe de cette
il n’esf ’ i ,a re,iSion’ l’amitié; auguste solennité, le récit de tant de spec­
„ n est point de drmts qu’elle ne viole tacles lugubres que la volupté donne tous
fes'nluiaff"3 qu’elle resPecte ; les crimes les jours à la terre, vous verriez que ïa
ou’ik J fffeUX ne C°Utent Plus rien dès barbarie et la fureur ont été dans tous les
qu tls deviennent nécessaires : et tandis temps le caractère le plus marqué de ce
cieux de°te 'f présre vice, que le monde appelle la foiblesse
naturel Ï rju-6 de cæur ’ de bonté de des bons cœurs. Vous le verriez , le fer et
nutuieJ de fidélité constante, de senti- le poison à la main , répandant le deuil
mens nobles et généreux ; c’est une furie dans les familles, armant l’épouse contre
mee de fer et de poison , qui n’épargne l’époux , le frère contre le frère , le père
rien , et qui est capable de tout dès contre l’enfant , l’ami contre l’ami ; se
qu on 1 incommode ou qu’on la traverse frayant tous les jours un chemin à l’ac­
teté de°TiaS " eS-* îou,chj.e’ ni de la sain- complissement de ses désirs infâmes, par
*ete de Jean ru de la dignité de son mi- des horreurs secrètes indignes de ¡’huma­
stere, m de l’admiration de toute la nité , et trouvant dans la tendresse pré­
Judee, qui le regarde comme un prophète tendue d’un cœur voluptueux , tout ce
m du respect qu’Hérode ne peut refuser’ que peut enfanter de plus noir et de plus
à sa vertu, nj €nfln de ja inhumain, le cœur le plus barbare et le
Ïû8 l’OÜR LE JOUR. DE SAINT JEAN-BAPTISTE. loff
plus féroce. Voila ou mène celle affreuse le demande, vous êtes bien exaucé. Qu’un
passion a laquelle les théâtres impurs don­ homme en place ait le malheur de dé­
nent des noms si doux et si aimables. plaire à une autre Hérodias : en vain ses
, JVIa’,s w allons pas si loin; arrêtons-nous talens , ses services, sa probité parlent
a la ioiblesse d’Hérode. Voyez ce que pour lui : en vain l’État souffrira de son
1 empire de la volupté peut sur les cœurs éloignement ; c’est la volupté qui le de­
meme les mieux faits , et les plus capables mande ; il faut qu’il soit sacrifié ; et le
de vérité , d’humanité et de justice. Il n’a prince aimera mieux s’attirer le mépris
pas la force de refuser la tête du précur­ et l’indignation publique , en sacrifiant
seur. Il frémit en secret de l’horreur et de un serviteur fidèle et utile à l’Etat, que
la barbarie de cette injustice ; il se rap­ contrister un moment l’objet honteux de
pelle toute la sainteté et toute la réputa­ sa passion. Mais d’un autre côté, propo­
tion de ce prophète; il est triste , dit l’E­ sez-lui un sujet indigne , sans vertu, sans
vangile ; et c est a regret qu’il va souiller talens , que l’honneur même d’une nation
ses mains du sang innocent : mais c’est la rougiroit devoir en place, et dont l’inca­
volupté qui le demande: et que peut-on pacité blesseroit la bienséance publique;
refuser a la volupté, lorsqu’une fois elle il devient capable des emplois les plus
s est rendue maîtresse d’un cœur, et qu’on hauts et les plus imporians , dès que la
en est devenu l’esclave ? L’honneur , la volupté le désigne. Que l’Etat périsse
raison , l’équité , notre gloire , notre in­ entre ses mains, que le gouvernement en
teret même, ont beau se révolter contre soit déshonoré, que les étrangers s’en
ce qu’elle exige : ce sont de foibles moni­ moquent , que les sujets en murmurent,
teurs ; rien n’est écouté. Demandez à un la volupté le portera au faite des hon—
homme public une grâce injuste, oné­ neuis , et ne craindra point d’augmenter
reuse au peuple, et dommageable à l’Etat : par . la singularité et l’injustice de ce
en vain sa place, sa conscience , sa répu­ choix , 1 éclat et le scandale du vice. O 1
tation l’en détournent; si c’est la volupté passion injuste et cruelle ! que faudroit-ii
qui demande , tout cède, et vous êtes sûr pour t’arracher du cœur des hommes, que
d’obtenir. Sollicitez auprès d’un grand la les mêmes armes dont tu te sers pour les
disgrâce, la perte d’un rival innocent, et captiver et pour les séduire?
dont le mérite fait tout le crime auprès ffelle est la recompense que trouve sur
de vous, en vain le public va se récrier là terre lé zèle de Jean-Baptiste : telle est
contre cette injustice; dès que la volupté ia destinee de la vérité 7 toujours odieuse 3
M° povk ie jovh
parce qu’elle ne nous est jamais favorable. DE SAINT JEAN-BAPTISTE. I41'
Les grands surtout font comme une pro­ afin qu’elle se rapproche : elle ne fuit que
fession publique de la haïr , parce qué ceux qui la craignent. Aimons-la , et nous
d ordinaire elle les rend eux-mêmes très-
l’aurons bientôt connue. Il est si grand
haïssables, Ils lui donnent toujours les d’aimer à se connoitre soi-même ! et apres
noms odieux d’imprudence et de témé­ l’avoir cherchée sur la terre, elle fera
rité, parce que l’adulation seule usurpe notre joie et notre éternelle félicite dans
auprès d’eux le nom glorieux de la vérité :
le ciel.
tiop heureux , dans la dépravation des Ainsi soit-il.
mœurs ou nous vivons, de trouver encore
des hommes qui osent la leur dire ; mais
encore plus à plaindre aussi de ne la con-
noilre que pour la mépriser , et de se
■ i cione au-dessus de la vérité , parce qu’ils
se voient au-dessus de tous ceux qui la
leur annoncent.
I I Four nous, mes Frères, aimons la vé­
rité , lors même qu’elle nous condamne :
n’aimons dans les hommes que la vérité ,
parce qu elle seule les rend aimables.
L adulation et la duplicité sont le carac-
teie des âmes basses et mal nées : quicon­
que est capable de louer le vice , est inca­
pable de vertu. Méprisons ceux qui nous
flattent, parce quils ne louent en nous
que ce qui nous rend méprisables ; ne
comptons pour nos amis, que les amis de
la vérité4 laissons-lui un libre accès au­
près de nous ; allons même au devant
d’elle , et cherchons-la lors même qu’elle
nous fuit et se cache. Plus nous sommes
eleves , plus elle s’éloigne de nous , et
plus aussi nous devons lui tendre la main ,
roun lî jour, etc. 14^
eères pénitens qu’en rendant à notre bien
véritable un amour que nous lui avons
SERMON injustement ravi ; autrement la pénitence
ne seroit ni le remède du péché , ni la
POUR LE JOUR réconciliation du pécheur. En un mot ,
c’est l’amour qui décide de tout l’homme :
nous sommes justes , s’il est réglé ; s’il est
DE SAINTE MAGDELEINE. déréglé, nous sommes pécheurs : et lui
seul fait nos vertus comme nos vices.
Ne soyez donc pas surpris, mes Frères,
Remittuntur ei peccata multa, quoniam dilexit mul­
si la pénitence de Magdeleine n’est venue
tum. jusqu’à nous qu’avec l’éloge de son amour;
et si Jésus-Christ ne nous donne point
Beaucoup de péchés lui sont remis , parce qu’elle a d’autre raison de sa grande miséricorde
beaucoup aime. Luc. 7. 47. envers cette pécheresse, si ce n’est qu’elle
a beaucoup aimé : Remitluntur eipcccata
multci quoniam dilexit multùm. On ne nous
dit pas que plusieurs péchés lui sont re­
Jlj amour est le principe et le mérite mis, parce qu’elle abeaucouppleuré , parce
aeja pénitence ; et quoique la crainte du qu’elle a répandu avec une sainte profu­
sion des parfums précieux sur les pieds du
Seigneur soit un don de l’Esprit-Saint, il
Sauveur, parce qu’elle n’a cessé de les
est iaie qu une douleur qui n’anne pas baiser. Pourquoi cela, mes Frères? c’est
ne soit la nature toute seule qui craint,
que les larmes, les saintes largesses, la
ou l’amour-propre qui se déguise. Le pé­
participation même au corps du Seigneur,
ché, dit saint Augustin , n’est que le dé­
figurée par les baisers de ses pieds, les
règlement de l’amour ; la pénitence doit
donc en être l’ordre, puisque son office pratiques extérieures d’humiliation ne sont
est de rétablir dans l’état naturel ce que
que comme le corp? de la pénitence : c’est
1 amour qui en est l’ame ; et vous pleurez
le péché avoit renversé. Nous ne sommes
en vain , si ce n’est pas l’amour lui-même
coupables devant Dieu , que lorsque nous
qui pleure; vous répandez en vain vos ri­
aimons ce.qu il ne faudroit pas aimer, et chesses, si ce n’est pas l’amour qui les
tous nos vices ne sont que des amours in­
répand 3 vous donnez en vain le baiser de
justes. Nous ne saurions donc être de sin-
■544 POUR LE JOUR DE SAINTE MAGDELEINE. r4&
paix au Sauveur, si ce n’est pas I’amout amour de goût et de vivacité, qui adou-
qui le donne; en un mot, vous ne faites cissoit tout ce qu’elle trouvoit de pénible
rien, et vous n’êtes rien vous-mêmes, si dans ses voies; d’un amour de préfé­
vous n’aimez pas. rence jusqu’à tout sacrifier au monde :
Voulez—vous donc, mes Frères, lorsque c’est ainsi qu’elle aime Jésus-Christ. C’est
vous vous prosternez aux pieds des minis­ un amour tendre et ardent, qui adoucit
tres de l’Eglise, entendre sortir de la tout ce quelle entreprend de plus amer
bouche du Sauveur cette sentence favo­ pour lui ; c’est ma première réflexion :
rable : vos péchés vous sont remis? Ai­ un amour fort et généreux qui ne connoît
mez, dit un Père : Absolvi vis ? ama. Je plus rien qu’elle ne lui sacrifie; c’est ma
ne vous dis pas, changez vos deux yeux seconde réflexion. Voilà, mes Frères,
en deux fontaines de larmes comme Da­ toute l’histoire de sa conversion et tout
vid; frappez votre poitrine comme le Pu- le sujet de cette instruction. Ave, Ma­
blicain ; déchirez vos vêtemens , et cou­ ria , etc.
vrez-vous de cendres et de cilice , comme
PREMIÈRE PARTIE.
le roi de Ninive; rendez quatre fois au­
tant que vous avez pris, et partagez avec
les pauvres ce qui vous reste, comme ,,k^,81?ce de la conversion imite et suit
Zachée ; renoncez à une profession funeste d’ordinaire le caractère du cœur qu’elle
à votre innocence, et quittez la banque, touche : elle ramène lame pécheresse à
comme Lévi : mais je vous dis, aimez : Jésus Christ par les mêmes voies qu’elle
l’amour vous apprendra l’art sacré de la s en etoit égarée; et sans détruire ses
penchans, elle les sacrifie , et fait servir
pénitence ; il ne faut plus de leçons à
à la justice ce qui avoit jusques-là servi
un cœur que l’amour instruit; et comme
il elface tous les vices, il apprend aussi au peche. Fa fureur de Saul contre les
toutes les vertus. ennemis prétendus de la religion de ses
Voilà les instructions que noüs donne peres devient une ardeur divine contre
les ennemis de la foi de Jésus-Christ •
l’illustre pénitente, dont l’Eglise rappelle
aujourd’hui la conversion. Comme elle un zele aveugle en avoit fait un persé­
avoit beaucoup aimé le monde, elle aime cuteur^ un zèle saint et ardent en fait
beaucoup Jésus-Christ; et l’excès de ses dhe rtrf6' naîUre f°Urnit ’ P°Ur ainsi
passions devient le modèle de sa péni­ due, le fonds a la grâce ; et la miséri-
tence. Or, elle ayoit aimé le monde d’un i anegynques. *q
amour
ï 46 POUR LE JOUR ÎJE SAINTE MAGDELEINE. H?
corde de Dieu trouve toujours dans nos nieux dans le choix des moyens les plus
passions, les moyens mêmes de notre propres à plaire; un de ces cœurs ardens
pénitence. et généreux , où les passions ne savent pas
Or, voilà ce qui se passe aujourd’hui même garder de mesures. La grâce trouve
dans le changement de Magdeleine. C’é- dans les mêmes caractères de son cœur
toit une femme pécheresse dans la ville les heureuses ressources de sa pénitence.
de Jérusalem : Mulier quœ erat in civitate Entrons dans le détail, et accordez-moi
peccatrix ; {Luc. 7. 07.) car souffrez, mes votre attention.
Frères, que je suive ici le langage le plus En premier lieu, le monde avoit trouvé
commun de l’Eglise, et que, sans entrer dans Magdeleine un de ces cœurs faciles
dans des discussions inutiles à l’édification que les premières impressions blessent;
des mœurs, je confonde avec la tradition un de ces caractères que tout entraîne
des siècles, ce que la critique de ce siècle et a qui tout devient presque un écueil-
a cru devoir distinguer. C’étoit donc une q ue la complaisance gagne ; que l’exemple
femme pécheresse, c’est-à-dire, une per­ séduit; que les occasions changent, et aux­
sonne mondaine, plus occupée de ses quels une circonstance de plaisir fait ou­
amours que de ses misères ; pius atten­ blier mille désirs de pénitence. Or, voilà
tive à plaire qu’à édifier; plus touchée la première disposition que la grâce fait
du plaisir que de son salut. La plupart aujourd hui servir à son salut.
des Saints ont borné là tous ses crimes, Le bruit que les prodiges et la nouvelle
doctrine de Jésus-Christ faisoient dans
et n’ont pas cru qu’il y eût eu du dérè­
glement grossier dans sa conduite : voilà Jeiusalem, avoit sans doute excité la cu­
néanmoins ce que l’Evangéliste appelle riosité de celte pécheresse : elle voulut
une femme pécheresse ; car la foi ne juge entendre cet homme extraordinaire qui se
pas de nos mœurs comme l’usage; et il sTu ° FH?™,”' pa,ole5 de ™ n de
n’est pas surprenant que ce qui paroit salut. Elle vit ce nouveau prophète; ces
presque innocent au siècle, soit une abo­ laitsde majesté répandus sur son visace-
cette douceur capable de gagner les c£
mination dans le langage de lDsprit de les plus farouches; cet air de pudeur et de
]t)ieu : Mulier in civitate peccatrix. sainteté devant qui la conscience riLt
Or, le monde avoit trouvé dans Mag­
deleine un de ces cœurs tendres et fa­ nelle ne pouvoit soutenir sa honte ni
ciles que les premières impressions^ bles­ »empecher de rougir en secret- ce zèle
-rient et désia,értSsé qui ne ‘pacXu
sent ; un de ces cœurs habiles et ingé-
' G 2
BE SAINTE MAGDELEINE. 1/(9
ï48 P O un I,E JOUR,
sent sous le poids de leurs chaînes , de
touché que du salut du pécheur; cette venir chercher un repos véritable auprès
autorité nouvelle qui instruisoit avec poids de lui , ah ! sans doute il m’adressoit le
et qui parloit avec dignité; celte liberté discours, et avoit en vue la triste situa­
prophétique qui ne faisoit acception de tion où je me trouve. Lorsqu’il enseignoit
personne , et qui enseignoit la voie de que l’esprit impur ne peut être chassé que
Dieu dans la vérité : elle entendit les pa­ par le jeûne et par la prière, je sentois
roles de grâce qui sortoient de sa bou­ qu’il vouloit prescrire des remèdes à nies,
che, et qui portoient des traits célestes maux. Quand il déclaroit que les péche­
et une onction ineffable dans les cœurs. resses précèderoient les Pharisiens dans
Ce cœur si facile pour le monde ne se dé­ le royaume de Dieu, je vois bien que son
fendit pas long-temps contre Jésus-Christ. dessein secret étoit d’encourager ma foi—
De nouvelles agitations naissent dans son blesse par l’espérance du pardon. Il n’a
ame : les idées de la vertu que ce pro­ parlé de la reine de Saba, qui vint des
phète vient donner aux hommes, la sur­ extrémités de la terre entendre la sagesse
prennent et la lui rendent déjà aimable: de Salomon , que pour m’avertir de ne
les couleurs terribles avec lesquelles il point négliger le salut que le Seigneur
peint le vice, l’alarment; et déjà elle se me présente, et d’écouter celui qui est
propose des mœurs plus dignes de sa plus, grand que Salomon même. Toutes
gloire et de son nom. Inquiète, combat­ ses instructions avoient quelque rapport
tue, déjà à demi-pénitente : Quel est cet secret a mes besoins et à mes erreurs:
homme , se dit-elle sans doute en secret, ah ! sans doute , c’est un prophète en­
et quelle est cette nouvelle doctrine ? Ne voyé de Dieu pour me retirer de mes
seroit—ce point un prophète qui connoît voies égarés.
les secrets des cœurs? Ses regards tendres Voilà.les premières impressions de Jé­
et divins m’ont mille fois démêlée dans la sus-Christ sur cette ame : les mêmes faci­
foule ; et comme s’il eût vu les misères lites que les attraits des passions avoient
secrètes de mon cœur, ou les mouvemens trouvées en elle pour le monde, la grâce
Inexplicables que ses paroles y opéroient, les trouve pour le salut. Ce devroit être,
il a eu sur moi des attentions particuliè­ il est vrai, une heureuse disposition pour
res ; il n’a, ce me semble , parlé que pour le ciel, que d’être né avec un cœur ten­
moi seule. Quand il convioit avec des dre et facile à émouvoir; et le Seigneur,
charmes si saints les âmes qui sont lassées-, en vous faisant naître telle, vous qui m’é—
dans la voie de l’iniquité^ et qui gémis-
ï5o POUR LE JOUR UE SAINTE MAGDELEINE. lot

coûtez, avoit voulu sans doute mettre en En effet, le inonde , en second lieu ,
vous une ame plus à portée de sa grâce avoit trouvé en Magdeleine un cœur ha­
si ) ose le dire : cependant c’est par là que’ bile et ingénieux dans le choix des moyens
vous périrez. Tout vous touche, rien ne pour arriver à ses fins. Car, mes chers
vous corrige. Susceptible de sentimens de Auditeurs-, jusqu’où ne va pas la fatale
salut, susceptible d’impressions mondai­ habileté de la passion! David a bientôt
nes, vous vous attendrissez à un discours trouvé le secret de rappeler IJrie, et de
evangelique , et vous allez vous attendrir couvrir par cet artifice la honte de sa fai­
à un spectacle profane : vous n’ètes pas blesse. Que d’expédiens ne fournit—elle
insensible aux inspirations du Ciel comme pas pour sortir des embarras les plus épi­
tant de pécheurs endurcis; mais vous les neux! Le fils du roi de Sichem inventa
poriez dans le monde, où de nouvelles d’abord des moyens pour vaincre les obs­
impressions les effacent : vous gémissez tacles que la différence du culte et de
quelquefois sous le poids de vos chaînes, la religion mettoilà son amour pour Dina.
et vous en suivez toujours la triste des­ Que de ressources dans les occasions les
tinée. Loin des plaisirs vous voulez tout plus difficiles ! La perfide Dalila concilie
quitter; du moment qu’ils approchent, sans peine ses égards pour Samson avec
ils vous retrouvent la même : au milieu ses complaisances secrètes pour les Phi­
du monde et de ses amusemens, vous listins. On trompe les yeux les plus atten­
poussez quelquefois en secret des soupirs tifs; et Jacob trouve des idoles dans sa
vers le ciel, que la tristesse secrète du maison malgré toute sa vigilance : on ca­
péché, que le dégoût lui-même vous ar­ che sous des apparences pénibles les voies
de la passion; et le fils de David se ré­
rache; et au fond de la retraite où vous
sout à feindre des maux trompeurs pour
vous cachez quelquefois , votre cœur vous
dérober aux yeux de la cour la plaie vé­
rentraine d’abord en Egypte, et vous re­
ritable et honteuse qu’il porte dans fame:
grettez des joies dont vous venez seule­
on y fait servir ceux mêmes qui auroient
ment de vous séparer. Caractère dange­
intérêt de la détruire; et l’infidèle épouse
reux pour le salut. Les âmes endurcies
une fois touchées peuvent se conver­ de Putiphar réussit à faire de son propre
tir; mais vous, vous pouvez être touchée, époux le vengeur de son indigne faiblesse:
et ne sauriez être convertie : imitez MagJ on la couvre sous le voile de la piété et
deleine, et faites servir vos faiblesses de la religion ; et les femmes d’Israël, au
mêmes à votre sanctification. temps dTTéii, sous prétexte de venir sa-,
L 4
DE SAINTE MAGDELEINE. l53
ïb2 POUK LE JOUR
entier au Seigneur, venoient participer sus-Christ, pour confondre leur dureté,
aux dérèglemens sacrilèges des enfans de se plaisoit à donner des marques de bonté
et de tendresse envers les brebis égarées :
ce pontiîè. Que dirai-je encore ? On va à
ses tins par des routes qui sembloient mener quatrièmement, elle emploie une confu­
sion salutaire; elle n’ose se présenter à
à des fins toutes opposées : en un mot,
lui; elle s’arrête derrière, dit l’Evangile;
la passion est toujours ingénieuse, et des
Stans rétro ; elle se laisse tomber à ses
personnes nées d’ailleurs avec un esprit pieds de douleur et d’accablement ; elle
borné et des lalens médiocres, sont ici
n’ose même lever les yeux jusqu’à celui
habiles et éclairées , dit Saint Ambroise ;
en qui elle a mis pourtant sa plus douce
Ad inquirenda deledationum généra astuti
espérance ; elle ne fait plus que rougir
sunt qui appetenies sunt roiuplalurn. ( S. de ses égaremens : déjà elle voudrait se
Amb. de parad. c. 12. ) cacher aux yeux de tous les hommes, et
Or , cette malheureuse prudence qui ne montrer plus à Jérusalem une péche-
avoit conduit Magdeleine dans les voies lesse qui en avoit ete le scandale et comme
de 1 iniquité, devient une pieuse sagesse le péché public, dit un Père : elle ne
dans les démarches de sa pénitence. Quels parloit point; sa douleur, ses larmes, sa
saints artifices n’emploie—t—elle pas pour posture, sa confusion, tout parle pour
toucher celui à qui elle veut plaire, et elle : Stans re/ro seciis pedcs Jesu. ( Luc.
pour en obtenir le pardon des fautes 7. 38.)
qu’elle vient pleurer à ses pieds ! Premiè­ Elle aurait pu trouver sans doute de
rement, elle choisit la salle d’un festin , vaines excuses pour adoucir au moins aux
c’est-àdire, un lieu qui, l’exposant à la yeux de son Sauveur l’excès de ses éga­
risée et à la censure publique, intéres­ remens, son âge, sa naissance, des pen-
sera Jésus—Christ pour elle, et le touchera chans de foiblesse nés avec elle, ses lalens
de pitié sur les outrages auxquels elle a malheureux, le dérèglement de Jérusa-
bien voulu s’exposer pour venir à lui : em, la licence des mœurs de son siècle
secondement, une circonstance où les 1 exemple des autres femmes de la Pales­
grâces s’accordent plus facilement, et où tine , ¡’ignorance où elle étoit de la doc­
la joie innocente du repas ne permet pas trine de Jésus-Christ, autant de prétexte?
de rebuter une infortunée qui vient recon- spécieux a une ame moins touchée. Notre
noi.lre sa faute : troisièmement, des té­ sainte pecheresse laisse à la bonté de son
moins tous Pharisiens, c’est-à-dire , durs Seigneur a juger de la nature de ses fau
envers les pécheurs, et devant qui Je- G 5
l54 FOUR LE JOUR DE SAINTE MAGDELEINE.
tes : elle pleure, elle se tait; et voilà toute son chaste sein, ou de répandre des par­
l’apologie qu’elle veut faire de sa conduite. fums sur sa tête. Elle sait, dit saint Ber­
Prosternée à ses pieds , ne parlant plus nard, qu’il faut gémir long-temps à ses
que par ses larmes : Il me connoît, dit- ieds, avant que de venir lui donner le
elle en secret; il voit mes besoins et mes E aiser de paix dans l’Eucharistie ; que la
désirs; ma foiblesse , mes efforts impuis- précipitation est ici périlleuse : et que
sans, et les gémissemens de mon cœur ne comme dans l’Eglise du ciel il n’y aura
lui sont point inconnus : que pourrois-je que ceux qui auront lavé leurs vêtemens
lui dire, qu’il ne lise lui-même au fond dans le sang, et qui seront venus d’une
de mon ame , et qui puisse égaler ce que grande tribulation, qui auront droit d’en­
je sens? Agitée de mille mouvemens di­ vironner l’autel de l’Agneau; ah ! de même
vers, elle espère, elle tremble, elle rougit, dans l’Eglise de la terre, il n’y a que ceux
elle se rassure, elle aime, elle s’afflige; qui ont lavé leurs souillures dans le sang
mais elle se tait. Ce n’est pas la honte de la pénitence, et qui ont passé par les
d’avouer ses désordres; ah! ses larmes les tribulations de la croix, à qui il soit per­
publient assez : c’est un artifice de son mis de se présenter à sa table.
amour; un silence de confusion lui paroît Voilà les saints artifices de l’amour de
plus propre à toucher son Libérateur , Magdeleine; elle avoit été prudente dans
que l’aveu le plus éloquent de ses fai­ le mal , elle est prudente pour le bien :
blesses. au lieu que souvent habiles dans la re­
Enfin, elle emploie une humilité pro­ cherche des plaisirs et dans la conduite
fonde : elle répand des parfums précieux, de vos passions, femmes du monde, une
et ne veut pas presque que le Sauveur s’en seule démarche de conversion vous jette
aperçoive; elle ne les répand que sur ses dans des embarras étranges. Vous ne savez
pÇf.ds, comme pour lui cacher le prix de plus par où vous y prendre, quand il fauf
sa sairîiC profusion; elle ne veut attirer se déclarer pour Jésus—Christ : c’est ici
les regards de-son Libérateur que sur les où toute votre habileté et toutes vos res­
misères de son ame, et point du tout sur sources vous abandonnent ; tout vous ar­
le mérite de ses œuvres. Elle regarde les rête, tout vous alarme; tout est pour vous
pieds sacrés du Seigneur comme son par­ perplexité; votre esprit n’est plus ingé­
tage, trop heureuse encore qu’on veuille nieux. à trouver de ces moyens heureux
l’y souffrir : elle laisse à ses disciples bien- qui viennent à bout de tout. Vous êtes en
aiinés le sublime avantage de reposer dans peine comment faire consentir un époux
G 6'
IOO POUR LE JOUR DE SAINTE MAGDELEINE. IO7
<i vos résolutions de pénitence, et vous ses chagrins; aveugle, qui ne connoissoit
avez su le faire consentir à des démarches ni périls ni obstacles, et qui croyoit facile
qu’il étoit peut-être si fort intéressé d’em­ tout ce qui pouvoit servir à sa passion.
pêcher. Vous ne croyez pas pouvoir vous Or, voulez-vous voir en elle les mêmes
faire dans la piété des amusemens inno­ traits dans le caractère de son amour pour
cens qui vous soutiennent; et vous en in­ Jésus-Christ ? A peine eut—elle appris ,
ventez tous les jours de nouveaux dans dit l’Evangile, que le Sauveur étoit entré
le monde pour égayer votre ennui et vos dans la maison du Pharisien : Utcogno-
dégoûts. Vous hésitez comment vous pour­ vit. {Luc. 7. 37.J Remarquez ici, pre­
rez éloigner de vous certaines personnes mièrement, la promptitude de son amour:
si funestes à vos nouveaux desseins de la première occasion qu’elle trouve de venir
vertu; et vous étiez si habiles autrefois se jeter aux pieds du Sauveur, elle en
à vous défaire de celles que la sagesse et profite ; elle y court. Elle ne balance pas
la piété rendoient importunes à vos plai­ des années .entières entre la grâce et la
sirs. En un mot, vos passions étoient fé­ passion ; elle n’est pas ingénieuse comme
condes en ressources; votre pénitence suc­ vous l’êtes si souvent, femmes du monde,
combe aux plus légers obstacles. D’où vient à trouver sans cesse des prétextes pour re­
cela ? Ah ! c’est le cœur qui fournit les ex­ mettre à un autre temps cette première
pédions, et le vôtre n’est pas bien tou­ démarche : sa jeunesse ne lui fournit pas
ché; c’est l’amour qui rend habile, et vous de ces raisons frivoles qui persuadent d’at­
n’aimez pas : la grâce est toujours moins tendre un âge plus sérieux et moins pro­
ingénieuse en vous que la passion , parce pre au monde. On n’aime pas quand on
que votre pénitence n’est jamais aussi sin­ peut différer. Ah! bien loin de vouloir
cère que votre égarement; et que diffé­ reculer , et de renvoyer au soir de sa vie,
rente de Magdeleine, vous n’aimez pas elle voudroit pouvoir renaître pour re­
Jésus-Christ comme vous aviez aimé le commencer à aimer son Seigneur en com­
monde. mençant à vivre; sa douleur la plus amère
Aussi, en troisième lieu, le monde avoii est de l’avoir connu si tard ; ce qui lui
trouvé dans Magdeleine un cœur ardent reste de vie, ne peut la consoler de ce
où les passions ne savoientpas même gar­ qu’elle en a perdu en des amours in­
der de mesures; c’est-à-dire, prompt, et sensés : elle sent qu’on ne peut trop tôt
pour qui un plaisir différé étoit un sup­ aimer ce qu’on aimera toujours , et elle'
plice; extrême dans ses joies, comme dans veut regagner les jours d’indifférence par
Iu8 POUR LÉ JOUR X)E SAINTE MAGDELEINE. I
un saint empressement de tendresse : Ut nous sera représentée comme une amante
cognovit. vive et fervente : tantôt nous la verrons
En effet , mes chers Auditeurs , la prosternée aux pieds du Sauveur, s’expo­
promptitude est essentielle à la conver­ sant même aux reproches de sa sœur Mar­
sion; la grâce a des momens heureux , que the , plutôt que de perdre un instant de
ni le temps, ni les années, ni les mêmes vue le Libérateur qu’elle aime ; tantôt
circonstances ne ramènent plus. Ce jeune transportée d’amour pour lui, elle courra
homme de l’Evangile , qui , appelé par à son tombeau avant tous les disciples,
Jésus—Christ, voulut aller ensevelir son et les larmes qu’elle y répandra seront
père avant que de le suivre, manqua son aussi abondantes, que celles qui arrosent
moment; et nous ne lisons pas qu’il re­ aujourd’hui ses pieds divins dans la salle
vint ensuite se mettre au nombre de ses du Pharisien; tantôt en le rencontrant
disciples. L’Esprit de Dieu est cet Esprit, sous une forme étrangère : Si vous l’avez
dont parle le prophète, qui va et qui ne enlevé, lui dira-t-elle, dites-le-moi et
revient plus : et tout dépend de savoir je l’emporterai. On ne sait quel est celui
entendre sa voix, et de l’arrêter dans no­ qu’elle redemande; elle ne pense pas même
tre cœur lorsqu’il y passe et qu’il nous a le nommer; son cœur en est si plein,
visite : un désir de pénitence envoyé est qu’elle suppose que le cœur de tous les
presque un préjugé certain que vous ne hommes en est occupé comme le sien :
vous repentirez plus. Voilà la promptitude Situ sustulisti eum , dicito mihi-, {Joan.
de l’amour de Magdeleine. 20. 6. ) elle ajoute qu’elle l’emportera;
Remarquez-en , secondement, la viva­ une fille foihle, accablée de tristesse,
cité. Le monde avoit trouvé en elle un seule , elle se persuade quelle aura assez
de ces caractères extrêmes qui ne se donne de force pour emporter le corps mort de
jamais à demi : c’est ainsi qu’elle aime son Sauveur : Et ego eum tollam-, (Ibid.)
Jésus-Christ : tout ce que l’amour a de son amour croit tout possible : tantôt en­
plus vif et de plus extrême, pour ainsi fin , l’ayant reconnu , elle ne sera plus
dire, elle le sent; toutes les marques de maîtresse de son cœur; elle courra à lui
la douleur la plus profonde, elle les donne. avec un saint transport ; elle voudra en­
Les suites ne diminuent rien à cette ar­ core embrasser ses pieds sacrés si heureux
deur : le dernier jour de sa pénitence res­ pour elle, et qui furent les premiers con-
semblera à la première démarche de sa fidens de sa douleur et les premiers asiles
conversion. Partout dans l’Evangile elle de sa pénitence : partout elle soutiendra
ï60 ROUE. LE JOUR DE SAINTE MAGDELEINE. l6ï
ce caractère de ferveur et de vivacité qui dans son changement! Tant de liaisons
commence sa conversion, et la durée de à rompre , tant d’occasions à éviter, tant
sa carrière ne la verra jamais ni ralentie de commerces à fuir : difficultés du côté
ni moins fidèle. de l’âge, du côté des penchans, du côté
Instruction importante, mes chers Au­ du rang, du côté des maximes qu’elle alloit
diteurs! Les conversions les plus vives embrasser : que de réflexions dévoient
finissent d’ordinaire par la tiédeur et par naître dans son esprit, si son cœur lui
le relâchement. On se repose après les eût permis d’en faire ! mais le saint amour
premières démarches, comme si l’on étoit ne raisonne pas. Que ne pouvoit-elle pas
déjà arrivé au bout de sa course : on se se dire à elle—même ? Que vais-je faire?
relâche sur mille pratiques saintes que la je m’expose sans savoir si je serai écoutée.
vivacité de la douleur avoit d’abord ins­ A la vérité ce prophète assure qu’il n’est
pirées : d’un pénitent zélé on devient un venu que pour les pécheurs; mais une
tiède Chrétien : nos péchés une fois pleu- pécheresse telle que je suis peut-elle se
rés ne nous paroissent plus dignes de nos promettre un accueil favorable ? ne pour­
larmes; et l’on trouve souvent dans la ra-t-on pas croire que ma douleur n’est
tiédeur de la pénitence, l’écueil qu’on pas sincère, et que c’est ici quelque secret
avoit cru éviter en sortant du dérègle­ dépit qui n’aura point de suites ? Kst-ce
ment du vice. bien prendre son temps que d’aller trou­
Enfin, à la vivacité constante de notre bler par des larmes la joie d’un festin ?
heureuse pécheresse, ajoutez-y encore l’a­ E) ailleurs , suis-je bien sûre même si mon
veuglement de son amour, pour ainsi dire. changement ne sera pas une douleur pas­
Car quoique la grâce soit une lumière cé­ sagère , une vivacité d’un instant, et si
leste qui éclaire l’esprit en même temps après avoir fait une démarche d’éclat j’en
qu’elle échauffe la volonté , il est vrai pourrai soutenir les suites?
de dire néanmoins qu’elle aveugle la rai­ Que ne vous dites-vous pas tous les jours
son charnelle sur mille difficultés que l’a­ à vous—même , Ame infidèle, dans des
mour-propre oppose d’ordinaire aux pre­ circonstances bien plus favorables au salut,
mières démarches de la conversion , et que ne l’est celle où se trouve aujourd’hui
qu’ainsi la charité a ses saintes erreurs Magdeleine? Elle pouvoit du moins se
comme la cupidité a les siennes. faire un prétexte de son âge; et vous déjà
En effet, mes Frères, que de difficultés sur le retour, vous ne comprenez pas en­
Magdeleine n’auroit-elle pas pu prévoir core comment on peut se passer du monde;
tôz POUR LE JOUR
UE SAINTE MAGDELEINE. l6'3
les empressemens qu'on y avoit pour elle e’est tenter Dieu et sortir de l’ordre de la
auraient pu l’arrêter; et mille désagré- Providence , que de ne pas consulter une
mens ne sauraient en détacher votre cœur: lumière qu'il a mise lui-même en nous.
la singularité de sa démarche dans Jéru­ Mais je. veux dire, que trop de prévoyance
salem où peut-être seule et la première et de circonspection arrête toujours l’ou­
elle s alloil déclarer pour Jésus-Christ , vrage de. la grâce; je veux dire, que dans
auroit pu former encore un nouvel obs- les premières démarches de la pénitence
ej et vous, environnée de saints exem­ surtout, ah ! il faut laisser quelque chose
ples de tant de femmes chrétiennes qui a faire à l’Esprit qui nous touche, ne
vous montrent la voie du salut, vous Po­ vouloir pas tout prévoir soi—même, s’aban­
seriez vous déclarer pour la piété; tout donner à Jésus-Christ sur mille difficultés
vous parait des obstacles; vous voulez tout auxquelles on ne voit pas de ressources,
peser, tout examiner avant que de faire et avoir encore plus de foi et de con­
le premier pas, et vous n’avez jamais pris fiance que de raison; je veux dire, que
assez de mesures. lorsqu on laisse à l’amour-propre le loisir
. Ah ! mes chers Auditeurs , les précau­ des réflexions, la grâce y perd toujours
tions, excessives dans un commencement quelque, chose , et quelquefois on perd la
oe penitence, outre qu’elles ne supposent grâce soi-même. Matthieu au premier ordre
qu’un cœur à demi-touché , elles ne sont qu’il reçoit de Jésus-Christ quitte son bu­
jamais heureuses : la grâce, dans sespre- reau , et ne pense pas même à rendre
naieis mouvemens surtout, a d’heureuses compte de son administration, ni à jus­
impiudenc.es qui révoltent la sagesse hu­ tifier devant ses maîtres une retraite si
maine, mais qui consomment l’ouvrage du prompte et si suspecte dans les personnes
salut.. Je ne veux pas dire parla que pour de son emploi. Pierre jette les filets dans
mourir au monde et servir Dieu, il faille la mer,.quoique le travail ingrat de toute
renverser toutes les règles de la prudence , une nuit, ne semblât lui promettre que
et négliger tous les moyens humains né­ des soins inutiles de ce nouvel effort ; il
cessaires pour aplanir les obstacles que n a que la parole du Sauveur pour garant
notre état ou notre rang peuvent mettre de son entreprise , et le succès répond à
a notre conversion , sous cette fausse con­ sa confiance : In vcrbo iuo laxabo rcie
fiance que c’est à Dieu seul à conduire klMC 6. 5.) Au contraire, il enfonce
son ouvrage. Je sais que la raison est ■sous les eaux dès qu’il fait trop d’attention
donnée à l’homme pour le conduire; et au perd ou il se trouve, et Jésus-Christ
,64 POUR LE JOUR
1 abandonne dès qu’il commence à rai­ DE SAINTE MAGDELEINE. l65
sonner et à se défier. que vous avez eu si long-temps pour elles;
Pourquoi vous défiez-vous de vous-mê­ et vous croyez que votre Dieu aura moins
me ? pourquoi vous inquiétez - vous tant de crédit sur votre cœur? Vos inconstan­
sur les suites de votre pénitence, comme ces passées ne venoienl que de la fausseté
sur des voies amères et tristes qui vont et de l’insuffisance des biens que vous ai­
d’abord vous lasser ? Pourquoi n’osez- miez; ne pouvant vous satisfaire, ils ne
vous vous déclarer pour Jésus-Christ, par pouvoientvous fixer; mais Dieu seul rem­
ta crainte toute seule de ne pouvoir sou­ plira tous vos besoins, et vous ne souhai­
tenir une démarche d’éclat ? Le Seigneur terez plus rien quand une fois vous aurez
qui a déjà commencé son ouvrage en vous goûté combien il est doux d’être à lui.
ne sera - t - il pas assez puissant pour te Oui, nies Frères, la foi d’une ame vé­
continuer ? S il a pu vous toucher tandis ritablement touchée est une foi généreu­
que vous étiez encore dans le crime, ne se : les montagnes mêmes ne l’arrêtent
saura-t-il vous soutenir , quand vous se­ pas ; elle se promet de les transporter
rez devenu Juste ? S’il a su vous tirer du comme des grains de sable; et quand on
bourbier, refusera-t-il de vous donner la aime vivement, ou l’on ne voit plus d’obs­
main lorsque vous commencerez à mar­ tacles , ou ils deviennent eux-mêmes des
cher dans la voie du salut ? S’il vous a moyens de salut. Ainsi , Magdeleine eut
cherché lorsque vous étiez si loin de lui, pour Jésus-Christ la même vivacité qu’elle
et que comme une brebis égarée vous er­ avoit eue pour le monde : mais l’amour de
riez dans des pâturages étrangers; ah! préférence fut encore égal ; et tout ce
ne saura-t-il pas vous retenir quand vous qu’elle avoit sacrifié au monde dans ses
serez retrouvée, etqu’ilvous aura ramenée dérègleniens, elle 1e sacrifie à Jésus-Christ
au bercail : Vous etesfoibte, dites-vous; dans sa pénitence.
mais ne vous connoît - il pas ? Et vos
mœuis passées ne 1 ont — elles pas mieux ci bu n uc
instruit que tout autre de votre foiblesse?
Reposez - vous - en sur ses soins et sur la J’appelle, avec S. Augustin, amour
connoissancequ’iladevotrecœur.Vousêtes de préférence , ce poids dominant de no­
d un goût changeant, et vous craignez tout tre ame , qui rappelle à lui tous nos moin­
de votre inconstance. Ah ! tes créatures ont dres penchans; cet amour qui prévaut sur
pu fixer celte légèreté par l’injuste amour tous nos amours, qui décide de nos choix,
qui règle nos jugemens, qui devient le
l6'5' POUR LE JOUR DE SAINTE MAGDELEINE. 1C7
principe de toutes nos actions ; cet amour, pu justifier sa propre foiblesse, et se dire
comme dit saint Paul , que nulle tribula­ en secret ces maximes insensées que le
tion ne peut éteindre, nul péril alarmer, monde inspire;que ce n’étoitpas un crime
nulle espérance corrompre, à l’épreuve d etre touchée du mérite ; que ces rapports
de la faim et de la nudité , plus fort que secrets qui forment les passions ne sont
la mort même : en un mot , l’amour de pas libres , et que nous en trouvons la
préférence est celui sur lequel rien ne destinée dans nos cœurs ; qu’il est des
remporte, que rien ne peut même balan­ liens si purs et si innocens , que la plus
cer, auquel on est toujours prêt de tout austère pudeur ne sauroit en rougir, et
sacrifier. Ce n’est pas tant ici une affaire qu apres tout il est un âge où l’on peut
de goût et de sentiment, qu’un état de être aimée : ah ! dès —lors son cœur fut
l’ame qui se manifeste dans les occasions, ouvert à tout ce qui s’offrit pour le capti­
et qui sans balancer se déclare toujours ver ; tous les nouveaux objets furent pour
pour l’objet auquel son amour a donné la elle de nouvelles passions : sa gloire et sa
préférence. Or, mes Frères, c’est ainsi îaison rougissoient en vain en secret de
que Magdeleine avoit aimé le monde; elle ses foiblesses; l’ascendant de son carac­
lui avoit sacrifié sa réputation, son repos, tère avoit déjà pris le dessus ; son cœur
ses biens, ses qualités naturelles : c’est ne savoit plus vaincre, et tout ce qui
ainsi qu’elle aime Jésus - Christ; et voilà pouvoit plaire pouvoit l’engager.
précisément ce que son amour lui sacrifie Que n’auroit-elle pas dû se dire à elle-
aujourd’hui. Suivons l’histoire de sa péni­ même sur le scandale de sa conduite , si
tence ; et renouvelez, s’il vous plaît, vo­ la passion écoutoit la raison ! Née avec un
tre attention. nom et sortie d’une maison qui la distin­
En premier lieu , Magdeleine avoit sa­ guent dans son peuple , n’éloit - elle pas
crifié au monde sa réputation. Son sexe obligée à des attendons plus rigoureuses
et sa naissance la défendirent sans doute sur sa gloire ? La tache immortelle que
d’abord contre la honte des passions ; et ses égaremens alloient faire à son sang,
l’on peut croire qu’elle opposa la barrière la honte qui en relomberoit sur ses pro-
de la pudeur et de la fierté aux premiers ones , les exemples et les avis sages d’une
orages qu’elle sentit s’élever dans son sœur attachée au devoir , les suites mêmes
cœur. Mais lorsqu’une fois elle eut prêté dune réputation flétrie dans les personnes
l’oreille à la voix du serpent, qu’elle se de son âge , et le long repentir qu’elle se
fut rassurée contre elle-même , qu’elle eut Preparoit dans une vieillesse triste et dés-
ï6’8 POUR LE JOUR DE SAINTE MAGDELEINE. 169

honorée ; enfin, l’éclat que ses passions qui soient timides; et plus la nature avoit
alloient faire dans Jérusalem , le séjour formé votre ame modeste et chrétienne,
du roi Hérode , d’un préfet romain , des plus vous allez loin d’un autre côté, quand
plus illustres maisons de la Palestine , et une lois vous avez pu secouer ce jouir im­
portun. ”
d’où le bruit de ses emportemens ne man­
querait pas de se répandre dans tout le Or voyons comme dans sa pénitence
reste de la Judée : que de motifs puissans Magdeleine fait un sacrifice de sa répu­
de retenue ! et que de réflexions à faire , tation a l’amour qu’elle a pour Jésus-
si la passion en faisoit quelquefois Mais Christ. ôur le point d’éclater , et de venir
Magdeleine aimoit le monde , et il n’est chercher le Sauveur dans une maison
plus rien de si cher que l’on ne sacrifie à e langere., que de réflexions pouvoient en­
core ici naître dans son esprit ! Une peï-
ce qu’on aime. Cette délicatesse sur la sonne de son âge et de son sexe, a^ler
gloire que donne la vertu , s’étoit effacée;
cette fierté qui vient de la naissance , s’é­ comme une insensée dans un lieu où elle
toit changée en foiblesse; celte pudeur atta­ n est ni connue ni priée; s’aller avouer pé­
cheresse devant tant de conviés , malgré
chée au sexe, avoit dégénéré en effronterie : tout ce que cette démarche alloii paX
ni les conseils des gens de bien, ni les lar­
mes de Marthe, ni les railleries des mon­ e avoir d extraordinaire ! Au fond, que
J^q.'-'oit-elle d’attendre que Jésus - Chïist
dains, ni les mépris mêmes de ses amans «U è. h Ch“ de ses dise!-
insensés à qui elle avoit pu plaire , mais r pies et la en secret, et à la faveur des
dont elle n’avoit pu réussir à se faire esti­ tenebres de la nuit, comme Nicodème lui
mer , car la vertu toute seule est estima­ exposer le triste état de son ame, et écou­
ble ; tout cela ne la touchoit plus. Elle pa- ter les paroles du salut qui sortiroient de
roissoit avec ostentation au milieu d’une Sss°onhenMaiS-le Sa‘nt am°Ur’ Comme
ville où elle n’étoit connue que par ses misè­
res; et comme cette femme de l’Apocalyp­ passion , ne raisonne pas. Ah ! elle no
se, elle portoit écrit sur son front le nom pense pas a se faire approuver des hommes
efcZe“.Clnn °Ù P "
de mystère ; c’est - à - dire , elle ne faisoit
plus un secret de ses passions, et ne prenoit eue meme ; elle ne prend pas de mesm-PQ
pour æ uciraux yeux du public la sur­
lus même soin de cacher aux yeux du pu-
E lic les mystères de ses folles amours. La
pi ise de son changement, et le prépare,- peu
SioTVu?^r deS eSSais convlrï
passion arrivée à un certain point ne rou­ ion, a lec at d une retraite. Blessée d’a-
git plus : il n’y a que les commencemens
qui
Î7° POUR LE JOUR
mour comme l’Epouse , elle traverse les son amour ; ne pleure que l’innocence
rues de Béthanie dans un appareil bien quelle a pu perdre devant son Dieu; ne
différent de celui où jusques-là elle y avoit pense au monde que pour l’oublier. Les
paru : triste, éplorée, fondant en larmes, discours publics ne l’avoient jamais refroi­
elle ne voit pas le concours de citoyens die dans ses passions; ils ne lui font rien
que ce nouveau spectacle assemble autour rabattre de sa pénitence. O sainte fierté
âelle : elle n’est occupée qu’à chercher de la grâce ! ô héroïque magnanimité de
son bien-aimé , et n’a plus d’yeux pour le J aine juste ! Et pourquoi , mes chers Au-
reste du monde : elle entre dans la salle d.teuis , vous que la crainte des jugemens
du festin; elle s’avance avec une sainte humains retient encore dans la souillure
imprudence : sa présence renouvelle dans du péché, pourquoi ne pourriez-vous pas
l’esprit des spectateurs le souvenir de ses sacrifier à Jésus-Christ , comme Magde­
excès passés, et elle veut bien en soutenir leine , ce que vous avez tant de fois sacri­
toute la honte. Déjà toute la Palestine ne fie au monde? Vos passions n’ont point
s’entretient plus que de son changement; craint la censure publique ; et votre pé­
on en cherche les raisons dans quelque nitence seroit plus timide ? Vous ne vous
secret dépit, dans une passion méprisée, etes point ménagés pour le plaisir , vous
dans une inconstance et une légèreté de vous ménageriez pour le salut ? Vous re­
naturel , dans des vues peut-être encore gardiez comme des esprits foibles ceux qui
plus cachées et moins sincères : chacun se scandahsoient de vos désordres; et vous
trouve des conjectures pour justifier la ma­ redouteriez comme des hommes sages et
lignité de ses jugemens : car c’est ainsi que senses ceux qui parleroientavec dérision de
le monde, ô mon Dieu ! juge toujours hu­ votre vertu ? Vous disiez tant autrefois, du
mainement de vos œuvres : les prêtres et milieu de vos joies insensées , qu’il faut
les docteurs eux - mêmes , jaloux , et de laisser parler le monde; et cela, lorsque
son attachement pour le Sauveur, et de vous I aimiez le plus , et que vous en sui­
ce que ce n’étoit pas par leur ministère viez les maximes : quoi ! ses discours se-
qu’elle avoit renoncé au monde, traitent roient-ils donc devenus d’un plus grand
sa conversion d’hypocrisie ; et au lieu de poids pour vous, depuis que vous avez
louer sa piété , ils tâchent de rendre ïesolu dy renoncer? ou le regarderiez-
même sa foi suspecte. Magdeleine, dans un vous comme un juge plus éclairé et plus
déchaînement si universel, n’est touchée a craindre sur les voies de la grâce mie.
que de ses crimes ; n’est occupée que de sur celles du péché ? Eh ! qu’importe à une-
H 3
DE SAINTE MAGDELEINE. 17^
FOUR LE JOUR
ment pour le monde, et un hommage peu
ame qui commence à goûter son Dieu, cé ch rétien que nous rendons encore à la
que les insensés pensent d’elle ? Depuis fausseté de ses maximes : on n’est touché
qu’elle a méprisé les maximes insensées de Dieu qu’à demi, tandis qu’on a encore le
du monde corrompu , elle méprise ses loisir de se ménager avec les hommes. Pre-
vains jugemens ; depuis qu’elle a pu le mière instruction tirée du sacrifice queMag-
haïr, elle ne saurait plus le craindre. Elle deleine fait à Jésus-Christ de sa réputation.
y a vu si souvent le vice applaudi , qu’elle En second lieu , elle avoit sacrifié au
ne trouve pas mauvais d’y trouver la ver­ monde le repos de son cœur : car, ô mon
tu condamnée : ravie même de le voir sou­ Dieu! s’écrie saint Augustin, vous l’avez
levé contre elle , elle sent par là qu’elle ordonné , et la chose ne manque jamais
commence d’être à Jésus - Christ ; elie se d’arriver , que toute ame qui est dans le
défierait des démarches de sa pénitence, désordre soit à elle - même son supplice.
si elles avaient eu le malheur d® plaire Si l’on y goûte certains momens de féli­
au monde ; et le mépris des hommes est cité, c’est une ivresse qui ne dure pas :
la consolation de sa vertu, comme il en le ver de la conscience n’est pas mort, il
est la plus sûre marque. n’est qu’assoupi ; la raison aliénée revient
Et en effet qu’est-ce que paroît le monde bientôt, et avec elle reviennent les trou­
à une ame qui connoit Dieu ? Le senti­ bles amers , les pensées noires , et les
ment le plus dangereux qui puisse lui re­ cruelles inquiétudes : Jussisti, Dominent
venir de ses mépris, c’est la fierté et la sic est, ut pœna sua sibi sit oimiis inordi­
complaisance : il est doux de n’avoir pas natus animus. ( A. Aug. )
pour soi un juge de si mauvais goût; et Mais outre ces troubles qui naissent du
plus on l’a connu, plus on est tranquille fond d’une conscience coupable , que d’é­
sur ce qu’il pense. Ne craignez ses censu­ pines Magdeleine n’avoit-elle pas dû trou­
res, que lorsque vous voudrez le ménager ver dans les voies de l’iniquité! Car, je
et allier Jésus-Christ avec lui ; il est inexo­ veux qu’elle offrit aux discours publics un
rable envers la fausse piété. Voulez-vous front tranquille; ces semences de gloire
qu’il vous estime ? Convainquez - le bien et de vertu qu’une heureuse éducation
que vous le méprisez. Ainsi, toutes les pré­ laisse dans l’ame, peuvent-elles se démen­
cautions et les mesures qui ne tendent qu’à tir et s’effacer tout-à-fait ? et les retours
adoucir aux yeux des hommes la surprise n’en sont-ils pointdésespérans?D’ailleurs
d’une conversion , sont des infidélités à la a une réputation mal établie, mille désagré-
grâce, des l'estes secrets de notre attache-* H 3
ïy4 TOUR LE JOUR DE SAINTE MAGDELEINE. 17*5
mens sont attachés dans le monde : desdis­ long usage d’aimer avoit rendu presque
cours enveloppés faits en présence, qu’on indissolubles! Qu’il en coûte à des âmes
entend toute seule , qu’on sent vivement d’un certain caractère pour en venir à ces
sans oser s’en apercevoir; des distinctions séparations !
d’oubli et de mépris dans des occasionspu- Secondement, elle ne se proposoit pas
bliques dont on n’oseroit se plaindre : je ne une conversion douce et commode comme
parle pas ici descraintes, des soupçons , des tant d’ames à demi-converties. Elle avoit
jalousies, des dégoûts, des perfidies, des appris du Sauveur que le feu de la péni­
préférences, des fureurs inséparables de la tence , comme un sel divin, devoit guérir
passion; il n’est point d’iniquité tranquille, et préserver désormais de la corruption
et le crime est toujours plus pénible que la toute ame qui avoit été la victime infortu­
vertu : Jussisli, Domine, ei sic est, uipœna née du monde et du péché : Omnis victi—
sua sibi sit omnis inordinatus animus. ma igné salietui". ( Marc. 9. 48. ) que la
Or, voilà ce que Magdeleine avoit sa­ violence étoitlavoie des âmes criminelles,
crifié au monde; cette paix si chère au et la croix le partage et la seule consola­
cœur , et la plus pure source de nos plai­ tion du pécheur. Or, à son âge, et avec
sirs : son amour fait encore ici le même un corps nourri si mollement, on n’entre
sacrifice à Jésus-Christ. Ce n’est pas, mes pas dans une carrière si affreuse à la na­
Frères, que Jésus-Christ ne soit lui-même ture corrompue, comme dans un chemin,
la paix véritable de nos cœurs, et qu’on couvert de fleurs : eh ! qu’il faut prendre
puisse la perdre en lui devenant fidèle; mais sur soi - même pour accoutumer au joug
il est toujours une certaine paix à laquelle une chair qui frémit au seul nom de tout
le pécheur renonce en renonçant à ses vi­ ce qui peut la contraindre ! Cependant
ces : la grâce fait au fond du cœur des sé­ Magdeleine attachée à la personne du Sau ­
parations douloureuses; et Jésus-Christ, veur le suit dans ses courses; elle partage
qui est venu annoncer la paix à nos âmes, avec lui tous les travaux de sa viepénibîe,
nous avertit assez qu’il y est venu porter et ne trouve plus de consolation après sa
aussi le glaive et la douleur. mort que dans les larmes et les macérations
Car, premièrement, quelle violence ne de sa retraite et de sa pénitence.
se fit pas Magdeleine pour haïr ce qu’elle Je ne parle point ici de foutes les alar­
avoit aimé, pour éteindre des passions mes qui suivirent son grand attachement
dont le caractère de son cœur la rendoit pour Jésus-Christ. Elle n’entendoit sans
si capable, pour rompre des iiens qu’un doute qu en frémissant les calomnies des
H 4
Ï76 POUR LS JOUR DE SAINTE MAGDELEINE. 177

Pharisiens : elle craignoit tout de leur fu­ glemens avoient été pénibles ; leur péni­
reur et de leur jalousie contre son divin tence est douce et tranquille. Je sais que
Maître, tant de complots formés pour le les gens de bien ont des consolations inté­
perdre, tant de gens attentifs pour le sur­ rieures, qu’aucun plaisir profane n’égale,
prendre, tant d’artifices employés pour ie et que la paix est le fruit de la bonne cons­
décrier: quelles étoient là-dessus les alar­ cience. Mais cette paix est le fruit des
mes de son amour ! Les paroles mêmes enve­ souffrances; c’est une paix très — amère,
loppées du Sauveur, sur le mystère de sa comme dit l’Esprit - Saint. Ce n’est qu’en
croix et de sa mort , dont il avoit sans rompant toutes ses inclinations et en cru­
doute entretenu souvent son amante, lors­ cifiant sans cesse sa chair, que l’on a droit
qu’elle étoit à ses pieds,comme il en entre- de goûter cette joie secrète qui rend té­
tenoilses disciples; et enfin , le spectacle moignage au Juste que l’Esprit-Saint ha­
lui-même du Calvaire: et d’autant mieux, bile au dedans de lui; hors de là , votre
paix est une paix d’amour-propre et une
que plus forte que les disciples , elle fut
paresse de cœur : la règle pour en juger,
spectatrice de ces tristes mystères , et ne
c’est de voir ce qu’elle vous a coûté; et
voulut pas même, pour adoucir sa peine,
en dérober l’objet à ses yeux : de quel toute piété qui n’est pas pénitente et cru­
glaive de douleur son ame ne fut-elle point cifiée avec Jésus-Christ, est une illusion
percée ? C’est ainsi que renonçant au mon­ et une vertu de tempérament. ’
de, elle fit un sacrifice de son repos à Jé­ En troisième lieu , Magdeleine avoit sa-
en 11e ses biens au monde ; car quel usage
sus-Christ. Mon Dieu ! et souvent en se en fait-on dans une vie toute mondaine
déclarant pour la piété , on y cherche une et telle que notre pécheresse l’avoitmenée?
vie plus douce et plus tranquille ; on ne Les soins de la parure et des ornemens
sort des voies difficiles du siècle, que pour
connoissent- ils quelques bornes? Tout
trouver une sainte oisiveté dans le sentier
du salut. La vie chrétienne pour certai­ ce qui peut aider a plaire est — d jamais
trop acheté ? Tout ce qui peut seulement
nes personnes, n’est précisément qu’une
satisfaire la vanité , passe-t-il jamais les
vie qui les tire des embarras du monde
et de la gêne des bienséances ; une vie réglés ou de la condition ou du revenu?
Vos intentions sont innocentes ? Mais si
qui les rappelle à des mœurs plus calmes
et plus de leur goût; et tout le fruit de vous ne cherchez point à être vue , à quoi
leur conversion, c’est qu’elles ont plus de servent ces soins et ces attentions ? Et
loisir de jouir d’elies-mèmes : leurs dérè- d ailleurs, les règles de modestie et de sim-
H 5
178 TOUR LE JOUR DE SAINTE MAGDELEINE. Ï7<?

plicité que l’Evangile prescrit, peut - on délassement au retour de ses voyages; là


les violer avec innocence ? Une femme il pourra venir célébrer la Pâque avec ses
chrétienne devroit-elle chercher des or- disciples , et honorer souvent la maison
nemens ailleurs que dans la pudeur et de Béthanie et la table des deux sœurs de
dans une exacte bienséance ? Je ne parle sa présence. Magdeleine le suivra meme
point ici de toutes les autres profusions dans ses courses pour fournir à ses be­
qui suivent les passions : les plaisirs qu’il soins, et lui rendre des bénédictions tem­
faut soutenir , les confidens qu’il faut porelles pour les spirituelles qu’elle avoit
payer, les services qu’il faut acheter. Ju- reçues de lui. C’est ainsi qu’elle répare
da, fils de Jacob, donne jusques à l’an­ l’usage criminel qu’elle avoit fait de ses
neau qu’il porte à son doigt; Salomon fait
biens.
bâtir des temples aux dieux des femmes Et voilà , mes chers Auditeurs, le mo­
dèle de votre pénitence. Vous avez répan­
étrangères , et ses immenses trésors suffi­
du pour l’iniquitc; semez pour la justice:
sent à peine à ses plaisirs; l’enfant prodi­
vos plaisirs ont été prodigues ; que vos
gue dissipe la portion entière du bien qui
vertus le soient aussi ; et faites-vous une
lui étoit revenu ; Hérode promet la moi­
noble passion du soulagement des mal­
tié de son royaume : la passion n’est ja­
heureux. Car , mes Frères, il faut le dire
mais avarej les temps ne sont jamais mal­
ici , souvent après les excès et les profu­
heureux pour elle, jamais les saisons fâ­ sions des plaisirs , on prend avec la pié­
cheuses , les charges publiques jamais trop té des inclinations de réserve et d’épar­
incommodes. gne : il semble qu’on veut regagner avec
Magdeleine avoit suivi l’égarement de Jésus-Christ ce qu’on avoit perdu pour le
ces voies. Ses richesses avoient servi à ses monde , on met, pour ainsi dire, la piété
passions; voyez comme elles servent au­ à profit pour la terre, au lieu d’en faire
jourd’hui à sa pénitence : elle répand des un gain solide de l’éternité; et l’on n’expie
parfums précieux sur les pieds du Sau­ les folles dépenses des passions que par
veur : Et ungüento migebat. (Luc. 38. J une exactitude d’avarice, pire peut-être
Vous la verrez bientôt renouveler cette devant le Seigneur que les excès dont on
sainte profusion, et mériter même un jour se repent. N’ayez donc rien de trop pré­
que- Jésus-Christ la justifie contre les re­ cieux quand il s’agit de secourir les mem­
proches de ses disciples qui la blâment : bres de Jésus-Christ : souvenez-vous seu­
sa maison même désormais va être ouverte ' lement que Magdeleine choisit les pieds
à son Libérateur. Là , il trouvera un saint
H 6
180 POUR LE JOUE Se sainte màoeeeeine. ï8ï
pour répandre ses largesses comme les autant d’instrumens de justice ; et elle
moins exposés auxyeuxdu public ; qu’elle punit le péché par le péché même. Elle
ne cherche point à les répandre sur la tête n’imite point ces personnes qui dans leur
et dans des endroits éclatans ; et que les pénitence veulent encore sauver quelque
lieux les plus obscurs sont toujours les chose du débris de leurs passions ; qui
plus surs pour recevoir les pieux dépôts après avoir renoncé aux amusemens cri­
de notre charité : souvenez — vous seule­ minels, conservent encore sur elles-mêmes
ment que Magdeleine mêle ses larmes à la des soins et des attentions dont la tristesse
profusion de ses parfums; que les œuvres de la pénitence ne s’accommode guère;
de miséricorde ne sont qu’une partie de la qui n’étalent plus d’une manière indécente
pénitence , et que tout ce qui a servi en pour allumer des désirs criminels, mais
vous à 1 iniquité , doit servir à la justice. qui ne négligent rien dans des ornemens
Aussi , mes Frères , en dernier lieu , moins brdlans; qui cherchent lesagrémens
Magdeleine avoit sacrifié au monde tous jusques dans la modestie et dans la sim­
les dons qu’elle avoit reçus de la nature; plicité; et qui veulent encore plaire, quoi­
elle en fait dans sa pénitence un sacrifice qu’elles soient fâchées d'avoir plu.
a Jesus-Christ : sa douleur n’excepte rien, Or, mes Frères, je le répète en finis­
et la compensation est universelle. Ses sant, parce que ce doit être ici le fruit de
yeuxavoient été ou les instrumens de ses tout mon discours : il doit y avoir une
passions, ou les sources de ses foîblesses; exacte compensation entre le péché et la
ils deviennent les organes de sa pénitence pénitence , entre le sacrifice de justice et
et les interprètes de son amour : Lacrymis le sacrifice d’iniquité. Vous n’aviez pas été
cœpit rigare pedes ejus. ( Luc. 7. 38. ) Ses un demi- pécheur; il ne faut pas être un
cheveux avoient servi d’attraits à la vo­ demi-pénitent. L’atta<hement excessif au
lupté, elle les consacre aujourd’hui à un soin de votre corps avoit été la source de
saint ministère : Et capillis capiiis sui ter- vos malheurs; il faut qu’une sainte hor­
gebat. (Ibid.) Sa bouche avoit été mille reur de vous-mêmes répare l’offense. L’af­
fois souillée ou par des discours de pas­ fectation et le scandale, des parures avoit
sion, ou par des libertés criminelles ; elle été l’écueil de votre innocence et de celle
la purifie par les marques les plus vives de vos frères ; il faut qu’une négligence
d’une sainte tendresse : Et osculabatur pe- chrétienne , qu’un oubli de tout ce qui
des ejus. ( Ibid. ) Son amour reprend tou­ nous regarde, qu’une pudeur exacte dans
tes les armes de ses passions, et s’en fait i tout votre extérieur commencent votre
lS2 Ï'OUR LE JOUR Ï>E SAINTE MAGDELEINE. 185
pénitence. Les commerces des hommes vie ; et dans ce que vous avez fait pour le
avoient blessé votre ame; faites-vous une inonde, il a voulu que vous comprissiez
solitude dans votre cœur , et goûtez dans ce que vous étiez capables de faire pour
la retraite combien le Seigneur est doux r lui. Peut-être ne vous a-t-il livrés à toute
les agitations des plaisirs vous avoient fait la sensibilité de votre cœur dans des en-
oublier votre Dieu; priez sans cesse , ha­ gagemens profanes, que pour vous faire
bitez avec vous , et pensez qu’une aine sentir jusques à quel point votre cœur
n’est pas chrétienne tandis qu’elle n’est pouvoit l’aimer; et il a voulu que vous
pas intérieure. Vous aviez ménagé à vos fissiez un essai funeste de votre ardeur
sens tout ce qui pouvoitles flatter; appli­ dans les passions, afin que vous ne puis­
quez — vous à les crucifier : allez dans ces siez plus ignorer combien vous pouviez
lieux de miséricorde où la piété appelle être ardens dans le bien et dans la vertu.
tant d’ames saintes ; approchez - vous des Mon Dieu! quand rappelant un jour
Lazares puants et couverts de plaies; ne devant votre tribunal toute la vie d’une
refusez pas votre ministère et le secours ame chrétienne, vous mettrez dans une
de vos mains à leurs besoins; et malgré balance ses années d’iniquité d’un côté,
les frémissemens secrets de votre nature , et de l’autre les jours qu’elle a passés
accoutumez votre délicatesse à ces œuvres dans la justice; quand vous comparerez
de religion, et surmontez par la foi et par le pécheur au pénitent; quand vous oppo­
l’ardeur de votre amour une corruption serez les passions aux vertus, les plaisirs
qui a si souvent triomphé de vous-mêmes aux souffrances, et la charité à l’amour
En un mot, proportionnez les remèdes à du monde : ah! Seigneur, qu’il se trou­
vos maux : ne disputez point à la grâce ce vera peu d’ames que ce parallèle ne con­
que vous n’avez jamais eu la force de re­ fonde ! que vous trouverez alors de jus­
fuser à la cupidité : aimez Jésus - Christ tices défectueuses, et qu’il y aura d’ames
comme vous avez aimé le monde; aussi abusées à qui vous direz ces terribles pa­
tendrement, aussi vivement, aussi aveu­ roles : Vous avez été pesées dans la ba­
glément , pour ainsi dire , aussi souve­ lance, et l’on vous a trouvées d’un poids,
rainement; et que vos passions soient le inégal : Appensus es in siaterâ, et inventus
modèle de votre pénitence. es minus habens. ( Dan. 5. 27. J Pour évi­
Ah ! peut-être le Seigneur n’a permis vo­ ter ce malheur, mes Frères, proposez-
tre vivacité dans les plaisirs , que pour vous souvent l’exemple de notre sainte
prévenir votre tiédeur dans une nouvelle pénitente : pensez que les fausses péni-
184 POUR LE JOUR, etc
tences damneront presque plus de Chré­
tiens que les crimes et les excès : aimez
beaucoup ; c’est à l’amour que la rémis­
sion des péchés est aujourd’hui accor­
dée, et que la récompense des Saints est POUR LE JOUR
promise.
Ainsi soit—il. DE SAINT BERNARD.

Dilectos a Domino Deo suo , renovavit imperium , et


trnxit principes in gente sua ; in loge Domini congre­
gationem judicavit, et in fide suâ probatus est propheta.

U fut aimé du Seigneur son Dieu ; ilfit prendre à


t ut l Etat une face nouvelle , repandit une onction
sainte sur les princes de son peuple , présida aux as­
semblées d Israël, prononça selon la loi du Seigneur 9
et parut un vrai prophète dans sa foi. C’est l’éloge que
le Saint-Esprit fait de Samuel, au chap. Ifo de l’Ec­
clésiastique , v. 16 et in.

Israel infidèle au Dieu qui l’avoit tiré


de l’Egypte, étoit devenu depuis long­
temps la proie des nations et l’opprobre
de ses voisins. La discipline des mœurs
y étoit tristement défigurée; la sainteté
de la loi tombée dans l’avilissement; le
culte du Seigneur négligé; les sacrifices
elles offrandes souillés, ou par l’impiété
des prêtres , ou par la superstition des
Fidèles; les enfans d’Héli, ministres du
I

186 POUR LE JOUR


DE SAINT BERNARD. ïS/
sanctuaire, faisoient des fonctions mémeâ pie; et qui enfin dépositaire des vérités
de leur min,stère, l’occasion de leurs dé­ j de la loi, fut reconnu fidèle dans ses pa—
sordres; l’arche sainte ne rendoit plus . rôles, parce qu’il avoit vu le Dieu de
ses oracles à Silo, mais tombée en la puis­ lumière ; confondit Amalec , et brisa l’in­
sance des Philistins, elle avoit paru dans solence des princes de Tyr et de tous les
e emple de Dagon, et depuis erroit in­ chefs des Philistins.
décemment dans les campagnes de la Ju­ Est-ce une prophétie, mesFrères? est-
dée. Enhn, tout l’éclat de la fille de Sion ce une histoire? Et par quelle suite de
etoit obscurci : ses solennités et ses sab- rapports a-t-il pu arriver que le siècle de
jats n etoient plus que des spectacles lu­ Samuel ressemblât si fort à celui de Ber­
gubres ; ehe n’avoit plus de consolateur; nard , et ce prophète si fameux et si sou­
ses prophètes ne lui reprochoient plus son vent loué dans les livres saints, à-celui
iniquité pour l’exciter à la pénitence; et dont j’entreprends aujourd’hui l’éloge?
Je Seigneur avoit fait sécher dans sa fu­ L’Epouse de Jésus-Christ ne s’étoit ja­
reur I abondance d’Israël, et n’avoit pas mais vue couverte de plus de taches et de
épargné les beautés de Jacob. rides, que dans ces temps de ténèbres et
Tel étoit l’état de la synagogue, lors­ de dissolutions où la Providence avoit
que Dieu, touché des gémisse.mens et des marqué dans ses conseils éternels la nais­
calamites de son peuple, lui suscita Sa­ sance de ce grand homme. La foi éteinte
muel ce prophète chéri du Ciel, oui re­ parmi les Fidèles ; le culte défiguré et
nouvela le gouvernement; qui répandit inondé de superstitions ; les clercs et les
une onction sainte sur les princes de sa princes des prêtres plongés dans l’igno­
; nation , et qui jugea l’assemblée d’Israël rance et dans le vice; la vigueur de la
selon la loi; ce prophète qui, d’abord discipline monastique affoihlie; et les Elus
sous les yeux du grand-prêtre Héli invo­ eux-mêmes, si j’ose le dire, sur le point
qua le Seigneur dans le calme et la re- de céder au torrent, et de se laisser en­
tiaile du sanctuaire ; qui depuis consulté traîner par l’erreur commune. A tant de
de tout Israël à Silo, où il avoit choisi calamités, à des plaies si hideuses et si
sa solitude, parut à la tête du peuple touchantes vous ne fermâtes pas votre
fie Dieu, fut connu depuis Dans jusqu’à cœur, et n’endurcîtes pas , Seigneur, vos
Bersahée régla les différends des Tribus, entrailles ; mais vous tirâtes des trésors
rétablit le culte du Seigneur , et fut le de votre miséricorde une de ces grandes
censeur des rois et des princes du peu-
188 tOüR LE JOUR

ressources que vous ne refusez jamais aüJt DE SAINT BERNARD. 18g


Besoins extrêmes de votre Eglise.
Première partie.
Bernard, le Samuel de son siècle, naît.
Il passe les premières années de sa vie
dans le repos et dans la retraite du sanc­ Lorsque la Providence destine une
tuaire; et c’est là où vous lui donnez des créature à des entreprises glorieuses, et
marques sécrétés et ineffables de votre veut en faire l’instrument de ses plus no­
bles desseins, elle lui ménage de bonne
amour : Dilectus à Domino Deo suo. Le
biuit de son nom se répand bientôt après: heure mille circonstances favorables que
de toutes parts on va consulter le Voyant; le hasard seul paroit avoir assemblées,
al quitte sa solitude, et devient le légis­ verse dans son aine les dons et les grâces
lateur des tribus; il renouvelle la face de qui sont comme les semences sacrées des
prodiges qu’elle veut opérer par son en­
1 Etat, et les princes sont touchés de fonc­
tion et de la grâce de ses paroles : Reno­ tremise ; et toujours attentive aux périls
qui 1 environnent, elle entoure d’abord
vavit imperium, et unxit principes in gente
son cœur d’un mur d’airain, met à cou­
sua. Enfin , instruit du Dieu même de
lumieie, il confond l’hérésie et le schisme, vert son innocence sous un bouclier de
salut, conduit par la main ses passions
devient 1 arbitre des conciles, et préside
des leur naissance, et lorsqu’elles sont
aux assemblées d’Israël; et malgré les dis­
cours des insensés , la grandeur de sa foi encore en état d’ètre disciplinées, et cul­
tive avec des soins infinis ce grain qu’elle
Je fait reconnoître pourunvrai prophète: veut élever au-dessus de toutes les autres
In lege Domini congregationem judicavit, plantes, et dont elle destine les branches
£t in fide sua probatus est propheta. Et saintes à servir un jour d’asile aux oiseaux
le voilà représenté dans les trois princi­ du ciel.
pales circonstances de sa vie : parfait re­ Telle fut envers Bernard la conduite
ligieux, homme apostolique, et docteur
de la grâce. U reçut en naissant celte
toujours invincible; c'est l’idée la plus na­ bonté dame et cette candeur de naturel,
turelle de son éloge, et à laquelle je me qui est comme le présage et la première
suis arrêté. Implorons. Ave, Maria., etc. ébauché de la piété, des inclinations bien­
faisantes, de la douceur el de la sérénité
dans l’esprit, un cœur tranquille et inno­
cent, et presque de son propre fonds en­
nemi des excès et du vice. Les soins de
jgo FOUR RE JOUR DE SAINT BERNARD. iqr
l’éducation aidèrent ces heureuses espé­ règlement de nos proches? Et enfin, où
rances y les exemples domestiques furent avons—nous appris, comme Rachel, à ado­
pour lui des leçons de vertu : un père rer des idoles, que dans la maison même
juste et droit, et qui avoit toujours mar­ de Laban ?
ché fidèlement devant le Seigneur; une Avec de si favorables dispositions Ber—
mere pieuse et tendre, qui n’avoit jamais naid entre dans le monde. Mais que peu­
partagé son cœur qu’entre Jésus-Christ vent les soins de la plus régulière édu­
et son epoux, et qui loin du monde et cation sur un âge où le cœur incapable
renfermee dans l’enceinte de ses devoirs, de précautions, et encore tout ouvert ;
cherchoit a se sanctifier, comme dit saint sent poindre de toutes parts les passions?
Paul , au milieu de ses enfans, en les ex­ Mue peut un naturel heureux contre
hortant à persévérer dans la foi, dans la 1 exemple de la multitude, et les attraits
charité, dans la sainteté, et à mener une qu ottre a tous les pas l’iniquité? Aaron
vie réglée et digne des Saints. adore le veau d’or avec la foule ; et Jo-
Ce furent là les premières bénédictions nathas ne peut se défendre de goûter, du
dont le Ciel prévint notre vase d’élite, moins en passant, le miel funeste qu’il
destiné à porter un jour la parole de vie trouve sur son chemin.
devant les princes et les rois , les nations De pareilles réflexions, si peu fami­
et les enfans d’Israël. Heureux de n’avoir lières a une jeunesse inconsidérée, occu­
pas comme tant d’autres, dans un âge où pent déjà l’esprit de Bernard. A peine a-
le cœur se flétrit si aisément, respiré au­ t-il jete ses premiers regards sur le monde,
près de ceux dont il tenoit la vie une odeur qu à y découvre ces pièges infinis qu’on
funeste de mort , et trouvé dans leurs ne voit guère qu’après coup, et sur lesquels
nos chutes seules nous ouvrent ]es^eux
mœurs des écueils à son innocence! Car
hélas! où avons-nous la plupart étudié Déjà meme le spectacle d’une beauté mor­
l’iniquité, que dans les exemples de nos telle ayoït pensé jeter dans son cœur quel­
pères ? Où avons-nous vu se former , ou ques étincelles de péché; déjà violant le
plutôt croître et se fortifier cet homme de pacte qu il avoit fait avec ses yeux il
péché que nous portons dans notre fonds, avort laissé errer ses regards sur un objet
que sous les yeux de ceux qui auroient périlleux. Mais vous viendrez jusques-là
dû y former Jésus—Christ ? D’où nous sont puissance des ténèbres, et ne passerez pas
venues ces premières impressions si fatales outre ; et vous y verrez briser votre fu­
au cœur, que de l’indiscrétion ou du dé- reur et votre attente. Bernard, comme un
*$2 POUR LE JOUR
lion mystérieux, n’a jamais plus de force
que lorsqu’il se sent légèrement blessé. 4ui ne sort ae rUgvnte
pour se retirer dans le désert , qu'fprès
Un étang d’eau glacée où il se jette, punit avou’vaincu Pharaon , etqui, d’Js
à l’instant sa foiblesse; il éteint dans ce
nouveau bain de la pénitence les traits qu anuT’ Conserve to^ l’air d’un con-
enflammés de Satan; et, comme un autre lui seu ’ U 6 cornPteP°u™n de secouer
ne dïr 1 ,OUg d’J Prmce du siècle, s’il
Jonas, il calme , en se jetant dans les eaux, ne delivre encore ses frères avec lui : ¡1
la tempête naissante que son infidélité erre? dan6 reS°+udre à hisser tristement
avoit excitée dans son cœur. Quelle ten­ errer dans une terre étrangère ses ami,
dresse d’innocence, qui ne peut soutenir Sans ¿fi*“nd!S ’fi11 ™
un seul moment le poids de la plus légère est doux “ de“1'1 COmb,en Seigneur
transgression! Mais, Chrétiens, en ma­
tière de périls, le passé est un mauvais Que prétendons-nous, leur dit-il
garant pour l’avenir : le plus Juste ne peut sain“Au^SiSAœ<,““rl?San.do"‘Perd
répondre ni de la grâce, ni de soi-même; ut>usiin5 r A quoi aboutiront enfin
il y a douze heures dans le jour, et toutes prinœSuea ^a favL"S"
ne se ressemblent pas : la vertu même
s’use, pour ainsi dire, et s’afFoiblit par gi" S"
ses propres victoires; et nos succès sou­
vent ne sont qu’une feinte de l’ennemi ,
qui nous cède les premiers avantages pour
nous amuser et nous engager plus avant que si ,e veux être ami de mon Dieu
dans l’occasion. Bernard ne l’ignore pas; « àsurSnt&rEca'-
et persuadé que lorsqu’il s’agit du salut
les précautions ne sauraient être exces­
sives , il va chercher dans la solitude une ci/nrV,6 “T”“'. </• S.’
paix que le monde ne peut donner , et
croit que se dérober à l’ennemi, c’est la tant d’ill^tres captifs“™;’, XTdÎT
plus sûre manière de le vaincre.
Quelles furent les glorieuses circons­ chargé Se'œs^lo’-616’?1 *?rtd?™>nde
tances de cette retraite! Ce n’est pas ici
un pénitent humilié qui fuit devant l’en­ comme son divfi d^P°ll'Hes» et
à l’empire dé"à mS il’,'" sarraiha"t
nemi comme un vaincu percé de coups ; ’ 11 ,ra'5VPt« soi
c’est
194 POUR LE JOUR
DE SAINT BERNARD. JQo
les principautés et les puissances, elles douleur le fruit de ses travaux sur le point
mène hautement en triomphe à la face cle de périr. Mille fois il avoit levé ses mains
l’Univers : Traduxit confidenter, palàm pures au ciel pour demander à Dieu la
iriumphans. (Coloss. 2. i5.) multiplication de son peuple; et il atten-
Ah ! si les Anges du ciel dans le séjour doit avec confiance l’effet de ses prières,
même de la gloire sont capables d’une quand Bernard suivi de ses compagnons
nouvelle joie à la conversion d’un seul vint se jeter à ses pieds. Que de larmes
pécheur; quelle dut être la joie des Anges de joie et de tendresse coulèrent alors des
du désert, des pieux solitaires quidéjàde— yeux du saint vieillard ! combien de fois,
puis quelque temps s’étoient retirés à Ci­ dit—il au Seigneur, comme Simeon , qu’il
teaux, lorsqu’ils virent ariver Bernard à la mourroit en paix, puisque ses yeux avoient
tête d’une si florissante troupe ! Le silence, enfin vu le salut de Dieu, et celui qu’il
les veilles, les jeûnes et toute la rigueur avoit préparé pour être la lumière des na­
de la discipline monastique , qui ailleurs tions et la gloire d’Israël.
ou ralentie, ou tout-à-fait éteinte, s’oh- Les suites ne démentirent pas l’espé­
servoit sans adoucissement à Citeaux, ren- rance du saint abbé. Notre nouveau soli­
doient l’abord de cette solitude formidable taire ayant, ce semble, dépouillé avec
à ceux d’entre les séculiers qui vouloit ignominie de l’habit séculier les restes
renoncer au siècle. On regardoit cette terre es inclinations du vieil homme , ne garde
sainte comme une terre peuplée par des plus de mesures avec la vivacité de sa foi:
hommes extraordinaires, et qui dévoroit debarrassé de ses liens, il prend son essor
ses habitans : peu de personnes osoient y vers le ciel, et échappe presque à la vue
venir essayer un genre de vie d’autant des plus avancés.
plus dur, qu’il étoit peu à la portée d’un
siècle où le relâchement étoit devenu le iD1’es“tu venu chercher dans la so-
goût dominant; cette chaste Sion étoit dé­ 1 u e? Es-tu sorti du siècle pour traîner
serte et stérile, tandis que les autresépou- tes chaînes après toi ?Voudrois-tu, comme
ses moins fidèles se glorifioient de la mul­ tant d autres conserver sous un habit
titude de leurs enfans ; et il étoi t à crain­ austere et religieux un cœur profane et
dre que ce pieux établissement ne tombât immortifie ? Ad cjuid t'enisii? (A. Bcrn.}
enfin faute de sujets. Etienne, abbé du Ah! si une vertu douce et aisée t’avoit
monastère, vénérable par un grand âge paru ^ure pour le salut , pourquoi sortir
et par une piété consommée, voyoit avec du siecle ou l’erreur commune ¡’autorise,
I 2
I$6 POUR LE JOUR SAINT BERNARD. IO7
et venir dans ce lieu de pénitence où des puis Benoit n’avoit pas vu de vertu plus
lumières plus pures et des exemples plus consommée; et c’étoit déjà un heureux
saints la condamnent? Voilà votre mo­ préjugé pour le rétablissement de la règle
dèle , vous qui après avoir commencé par de ce grand patriarche, déchue alors dans
une conversion d’éclat, et des dehors sou­ la plupart des monastères de l’Occident,
dains d’une piété austère, relâchant peu et, comme c’est le sort des choses humai­
à peu de cette première ferveur, en êtes nes de baisser toujours en s’éloignant de
enfin venus à cet état douteux de vertu leur source, tombée de ce haut point de
tiède et tranquille, qui à la vérité sert ferveur et d austérité où on l’avoit vue,
encore de frein aux plus grossières pas­ dans les adoucissemens, les interpréta­
sions, mais qui ne se prescrit rien sur tions et les privilèges.
la plupart des plaisirs, et bannit la fidé­ Avec un corps délicat et une santé mal
lité et la vigilance : Ad quid vendsti ? te­ affeimie, il n est point de macérations qui
nez-vous à vous-mêmes ce langage. Quel puissent satisfaire l’amour deBernard pour
est mon dessein en me proposant une vie les croix et pour la pénitence. Et quelles
tiede et infidèle ? Si le soin de mon salut macérations, mes Frères! un silence éter­
me touche encore, pourquoi m’en tenir nel, une solitude sévère, des veilles con­
à une voie incertaine et périlleuse ? Et tinuelles, des jeûnes sans interruption, une
si je veux rendre tout-à-fait ma première nourri ture qui, loin de soulager le corps
foi vaine , eh ! à quoi bon ma gêner en­ le révolté par son insipidité ; le travail des
core sur certains plaisirs, et conserver un mains le plus dur , et un enchaînement
reste de vertu inutile? La vie que je mène de mille exercices laborieux qui ne lais­
est trop selon les sens, si j’ai dessein de sent pas respirer l’amour-propre , et qui,
me sauver ; mais si veux me perdre , elle en changeant d’objet, ne font que changer
est encore trop pénible. de-supplice : environné de cet appareil de
Par le secours de ces pieuses réflexions pénitence, il trouve encore sa croix trop
Bernard nourrissoit sa foi, et ressuscitoit douce , et croit comme l’Epoux être au
sans cesse en lui la grâce de sa vocation. milieu des roses et des lis. Les Saints trem­
Cependant, ô mon Dieu, du fond de vo­ blent sur une seule faute expiée par une
tre sanctuaire vous répandiez déjà sur ce vie entière de pénitence; et nous présu­
jeune Samuel, ces bénédictions infinies mons sur une seule action de pénitence,
qui dévoient en faire le prophète et le anéantie dans une vie toute de péchés.
législateur de votre peuple. Le cloître de- La retraite de Bernard et de ses com-
I 3
*9$ POUR LE JOUR DE SAINT BERNARD. Ipp
pagnons à Cîteaux, l’austérité et l’inno­ cette mort universelle à soi-même et à tou­
cence de leurs mœurs, répandoit déjà au tes les créatures, l’usage des sens presque
loin une odeur de vie ; et attirés par des éteint? Hélas! à force de mortifier son
exemples si nouveaux, plusieurs y accou- goût, il ne lui en restoit plus même pour
îoient de toutes parts. Le nombre des dis­ discerner les viandes; et au lieu que les
ciples croissant, et l’enceinte de Cîteaux Israélites trouvoient dans la seule manne
se trouvant trop étroite pour les conte­ des goûts divers, les mets les plus dif­
nu , il fallut chercher une nouvelle terre : ferens n’avoient plus que le même goût
on partage ce peuple saint; et Bernard," »our lui : les objets qu’il avoit même sous
a la tète d’une tribu choisie, s’éloigne à Ïes yeux, il ne se souvenoit pas de les
legiet d un lieu ou tout lui retraçoit le avoir vus : sa conversation toute dans le
doux souvenir des premières faveurs qu’il ciel, iixoit là les opérations de son ame :
avoit reçues de son divin Maître, et va et l’on peut dire de lui , quoique dans
établir sa demeure à Clairvaux , solitude lin sens différent, ce que le prophète dit
alois inconnue, mais devenue depuis plus des idoles ; qu’il avoit des yeux, et ne voyoit
fameuse que les principales cités de Juda, lus; un odorat, et ne sentoitplus; une
par la présence de celui qui devoit un jour É ouche et des mains , et qu’il ne s’en ser-
voit plus.
régir Israël.
, Eleve a la dignité d’abbé de ce monas- Ce fut alors que Dieu accorda à ses
iere, que de nouveaux spectacles de vertu vœux la vocation de son père à Clairvaux,
ne donne-t-il pas dans ce nouveau rang! et sa retraite entière du siècle.Cet homme
Loin d affecter ces distinctions odieuses et si heureux dans sa famille, et dont les
ces vaines marques d’autorité qui laissent enfans, comme ceux de Jacob, dévoient
une distance si énorme entre les enfans être un jour autant de patriarches, quitte
et le père, il ne fut jamais plus avide d’a- enfin le pays de Canaan, vient joindre
baissemens : loin de regarder sa dignité Joseph ce fils bien-aimé; adore son bâton
comme un prétexte honorable d’adoucis­ pastoral ,. cette marque sacrée de sa puis­
sement et de repos, il n’usa jamais de plus sance; et plein de jours , il s’endort peu
de rigueurs envers soi-même. Qui pourroit après au Seigneur dans cette terre de Ges-
ici, mes Frères, raconter en détail les sen, sous les yeux d’un fils qui l’avoit en­
progrès de la grâce sur son ame; cet es­ fanté dans la foi et dans la charité.
prit de prière et de recueillement, ces Ainsi se sont rendus agréables à Dieu
consolations ineffables de l’Esprit-Saint, les Saints , mes Frères. Tous ceux que l’E-
I 4
s-;ï: J*«?» jePVBk

l
DE SAINT BERNARD. 201
glise honore comme tels, elle les honore fie ou il veut. Tous ne sont point en
comme pénitens : l’Esprit de Dieu n’a pas même temps Apôtres, prophètes, docteurs;
là-dessus diverses voies, et l’on ne peut a chacun est donnée sa grâce particulière
pas dire qu’il opère différemment. Nous selon la mesure du don de Jésus-Christ.
flattons-nous qu il y aura pour nous une Tel dans le calme de la retraite conserve
voie privilégiée? Serons-nous traités plus son ame pure et sans tache, qui trans-
favorablement, parce que nous sommes poite dans le siecle y yerroit expirer son
plus coupables ? Si les bien-aiinés du Père innocence. et éteindre toute sa foi. Tel
céleste ont b« le calice amer , croyons- dans le ministère de la parole et les au­
nous que. la lie et l’amertume en soit ôtée tres fonctions de l’apostolat, luit comme
pour nous ? Mais quand le royaume des un astre au milieu d’une nation corrom­
cieux ne seroit pas le prix de la seule pue et perverse, et forme Jésus-Christ
violence , pourroit-il l’être de la volupté ? dans, les cœurs qui dans le désert auroit
Et quand on pourroit être Saint sans la k soupire apres l’Egypte, et seroit tombé
pénitence, pourroit-on l’être après les clans la tiedeur et l’abattement. Tel est
plaisirs ? Tel fut notre nouveau Samuel envoyé pour évangéliser les simples et les
dans l’enceinte du sanctuaire; il fut cher ignorans, qui craindroit de porter le nom
au Seigneur son Dieu : Dilectus à Do­ du beigneur devant les princes et les rois
mino Deo suo. Donnons à son zèle de plus la.terre- Tel s’oppose comme un mur
vastes bornes : il va renouveler la face de d airain.pour la maison d’Israël, et résiste
l’Etat, et répandre une onction de grâce aux puissances du siècle, qui n’oseroit
sur les princes et les peuples : Renovavit toucher 1oint du Seigneur, ni contredire
imperium, et unxit principes in gente sud : aux pontifes de la loi. Tel enfin a le don
et après que la foi en a fait un religieux d interpréter les Ecritures, qui n’a pas
consommé, la charité va en faire un homme celui des prodiges pour s’en servir comme
apostolique : c’est mon second point. désigné contre les infidèles. Mais cet ordre
établi de vous-même, ô mon Dieu, n’est
SECONDE PARTIE. pas une loi pour vous : il est certaines
âmes sur lesquelles, quand il vous plaît
Il y a différens dons dans l’Eglise , dit vous versez à pleines mains la variedé de
saint Paul; et ces dons sont partagés aux vos dons, et à qui votre Esprit n’est pas
divers membres qui la composent, selon donné par mesure. V pas
la secrete disposition de l’Esprit qui souf- Il falloit au siècle de Bernard une ame
I 5
202 TOUR I.E JOUR DE SAINT BERNARD. 203

de ce caractère. Les dissentions domes­ devenues l’excès de ce peuple autrefois si


tiques , les guerres étrangères, l’ignorance, simple et si délaissé.
qui toujours en est le triste fruit, avoient De là, mes Frères, quel déluge d’ini­
répandu sur tordes les parties de l’Etat je quités dans le siècle ! Car il faut le dire
ne sais quel air de licence et de barbarie, ici , les lampes d’Israël ne sauroient s’é­
toujours fatal à la sainte politesse et à la teindre , qu’il n’en sorte une épaisse fumée
candeur des mœurs chrétiennes. L’ambi­ qui se répand au loin, et va ternir tout
tion, le faste, et des vices encore plus l’éclat et tout l’or du tabernacle : les co­
honteux, s’étoient glissés dans le sanc­ lonnes du temple ne plient jamais, qu’el­
tuaire , et faisoient de la maison du Sei­ les n’entraînent avec soi le reste de l’édi­
gneur un lieu d’intrigue, de mollesse et fice; et pour le dire sans figure, les vices
de scandale : les cloîtres n’étoient plus des des clercs et des personnes consacrées à
asiles contre la contagion du siècle ; le Dieu, sont toujours comme les étendards
peuple de Dieu qui habitoit cette terre funestes du désordre, élevés au milieu
sainte, peu soigneux de l’alliance de ses des peuples : Signum in nationibus.
pères, avoit lié commerce avec les nations, A des besoins si extrêmes et si divers ,
et adopté leurs mœurs et leurs usages : les vous n’opposâtes, Seigneur, qu’un nou­
sages lois des fondateurs n’étoient plus veau Moyse sorti du désert de Madian ;
écrites que sur des tables de pierre; on et Bernard entre vos mains frappe les rois
y avoit mêlé des traditions humaines qui et les royaumes, réforme le tabernacle
en ruinoient l’esprit; ces déserts arides sur le modèle de celui que vous lui aviez
et sombres étoient devenus des terres où montré sur la montagne; confond les mi­
couloient le lait et le miel; ce n’étoient nistres murmurateurs ; assure la souve­
plus des lieux écartés , où fatigués du raine sacrificature au pontife que vous
monde on pût venir de temps en temps aviez établi ; renverse l’idole que les en-
respirer l’air de la piété; et illustres au­ fans d’Israël s’étoient eux-mèmes fabri­
trefois par les Saints qui les avoient ha­ quée; brise les ennemis de votre nom
bitées, ces solitudes ne briîloient plus que et auroit conduit vos tribus à la conquête
par des bàtimens somptueux, des temples de Jésusalem, si leur ingratitude et leurs
superbes, des richesses et des dons im­ excès ne vous eussent fait retirer votre
menses; de sorte que les pieuses libéra­ force et votre bras du milieu d’elles.
lités des Fidèles, et leur sainte diminu­ Quelle fut l’ardeur, la fermeté, l’é­
tion, pour parler avec l’Apôtre, étoient tendue de son zèle ! il avoib reçu de la
I G
¿JOïf- POUR LE JOUR UE SAINT BERNARD. 2o5
nature ces avantages de l’esprit et du des paroles de grâce et de vertu qui sor­
corps , qui semblent destiner par avance tent de sa bouche, les peuples en foule
ceux qui en sont pourvus, au ministère viennent à lui pour savoir si la colère du
de la parole; mais qui sans la grâce et la Seigneur comme ses dons est sans repen­
vocation du ciel, ne forment jamais qu’un tir , et s’il n’y a plus de ressource à eux
airain sonnant et une cymbale _ retentis­ pour la fléchir. Eh ! que pouvoit-on atten­
sante : un esprit vaste et nourri dans la dre d’un ministre de Jésus-Christ, qui
lecture des livres saints; un cœur ten­ loin du monde avoit long-temps médité la
dre et avec qui étoient, ce semble, nées loi de .Dieu dans le silence et dans la priè­
Fonction et la miséricorde; un extérieur re ; dont le cœur vide des créatures,
doux et mortifié, qui préparoit les cœurs n’étoit plein que de cet esprit qui parloit
à la grâce, et dont le seul spectacle ver- en lui, et qui pouvoit dire avec une con­
soit d’abord dans l’ame, je ne sais quel fiance apostolique aux E’idèles : Soyez mes
goût du don céleste et des biens du siècle imitatëurs, comme je le suis de Jésus-
à venir. a Christ; que pouvoit-on , dis-je , en atten­
Représentez-vous donc, mes Freres, dre , que le renouvellement de son siècle,
ce nouveau précurseur sorti du désert, que la renaissance de la foi et de la
vêtu pauvrement, la pénitence peinte sur piété ? Si notre ministère n’a pas le même
le visage, cherchant dans ses discours,non succès , ce n’est pas que 1e monde soit plus
pas à se rendre agréable au pécheur, mais corrompu ; mais c’est que la source de nos
à rendre le pécheur désagréable à soi- travaux n’est pas la même. Est-ce l’Es­
même ; travaillant à préparer les voies au prit de Dieu qui nous ouvre la bouche ?
Seigneur, et non pas à sa propre gloire ; et n’entre-t-il rien d’humain dans notre
zèle ?
aplanissant, non pas 1 aprete du sentier
évangélique , mais celle des cceuis lebel— Alors, mes Frères, les ténèbres ré­
les; et prêchant , non pas certaines ablu­ pandues sur l’abîme commencèrent à se
tions aisées et des cérémonies extérieures dissiper : la France comme un autre chaos
qui ne purifient que le dehors , mais met­ se développa peu à peu : les cloîtres virent
tant la cognée à la racine des passions , et revivre cet esprit primitif, cet héritage
annonçant un baptême de pénitence. On précieux qu’ils avoient autrefois reçu de
le prend pour Elie ou pour quelqu’un des leurs pères. De nouvelles troupes de soli­
prophètes : toute la France court pour en­ taires , sortis de Clairvaux, se répandirent
tendre cette nouvelle doctrine ; et touchés dans l’Europe, allèrent repeupler les dé-
I
It ! 2O6 POUR LE JOUR DE SAINT BERNARD. 20?
serts ; les plus grands hommes de ce siècle de l’éclat qui les environne, n’osant envi­
s’y retirèrent à l’envi ; les princes mêmes sager leurs démarches, se mettent volon­
préférèrent l’opprobre de Jésus-Christ à tairement un voile devant les yeux, de
la pompe des Egyptiens; et ceux qui ha— peur de les apercevoir, et donnent à leur
bitoient les palais des rois ne voulurent foiblesse les noms spécieux de modération
plus être vêtus avec mollesse : de là , et de prudence. Il est peu de Samuels qui
comme d’un nouveau cénacle , sortirent osent dire à ceux qui régnent : Prince ,
en foule des pasteurs illustres qui paru­ n’est-ce pas le Seigneur qui vous a établi
rent à la tête de nos Eglises ; et les enfans roi sur Israël ? pourquoi n’avez-vous donc
de Bernard devinrent les pères des Fi­ pas écouté sa voix? Il n’a que faire de vos
dèles. Mais quels hommes , mes Frères , victimes et de l’orgueil de vos offrandes ;
que ces évêques ! quel zèle! quelle simpli­ le sacrifice le plus agréable à ses yeux ,
cité! quelle-innocence ! quelle austérité- c’est la soumission et l’obéissance. Ber­
de mœurs ! L’épiscopat n’étoit pour eux nard laisse cet exemple à la postérité.
qu’une servitude honorable : ils ne bril— Louis—le-Gros usurpe les droits de l’E­
loient, comme Moyse, que d’un éclat des­ glise ; des prélats généreux s’élèvent con­
cendu du ciel , et ne croyoient pas qu’une tre cette nouveauté , il les proscrit ; on a
I vaine affectation de faste et de repos, fût recours à noire Saint : Prince , lui dit-il ,
nécessaire pour rendre respectable au 1 Eglise élève sa voix contre vous devant
peuple un ministère de sollicitude et son Epoux, et se plaint de ce que celui
d’humilité. Ne nous bornons pas à envier qu’elle avoit reçu pour son défenseur
devient son persécuteur lui-même. Eh!
cet heureux siècle : souvenons-nous, mes
Frères , que les pasteurs fidèles ne sont pourquoi régnez-vous sur la terre, que
I pour y faire régner la justice et la piété?
guère accordés qu’aux prières des peuples,
et que le défaut de ministres saints , dont Que de marques publiques de pénitence
nous nous plaignons quelquefois , loin de n’obtint-il pas de Louis-le-Jeune son fils
sur le massacre de Vitry ? Comme un nou­
nous servir d’excuse un jour, ne fera peut-
vel Ambroise, il lui déclare hardiment
être que notre crime.
que la voix du sang qu’il a répandu , crie
A l’ardeur de la charité Bernard joi­
gnit la force. Car ne vous figurez pas vers le Seigneur, et demande vengeance
ici un de ces ministres timides , qui , sous contre lui; et par ces généreuses reinoni
prétexte d’honorer les grands , croient trances , il donne encore à l’Eglise le spec­
tacle consolant d’un roi humilié, couvert
qu'il faut respecter leurs vices ; qui éblouis
2OS POUR LF. JOUR
DF SAINT BERNARD. 2OQ
de cendres, prosterné à la porte de ses gieuse soumission qu’on doit à tout ce
temples, et renouvelle les exemples si rares qui part de ce trône auguste, et les hom­
des David et des Théodose. mages éternels.dont le pontife est environ-
Mais comment rapporter ici les traits nèyle familiarisent peu avec une liberté
divers de sa fermeté ? L’Abbé Suger , ce chi etienne, et des discours qui ne sont
ministre si sage et si fameux dans nos his­ pas faits pour louer? Mais la charité ose
toires, corrigé par ses avis sur certaine tout; et Bernard, toujours semblable à
pompe séculière, où l’air de la cour l’a- Samuel , honore à la vérité l’oint du Sei­
voit conduit peu à peu: la reine Eléonore gneur devant le peuple , mais ne laisse
elle-même, princesse hère et mondaine, pas de lui annoncer ensuite les ordres du
traversée dans ses desseins en un point Ciel.
assez délicat, et réduite enfin à revenir Les princes et les souverains pontifes
au sentiment de Bernard : circonstance respectent la liberté de l’esprit de Dieu
assez rare dans une jeune princesse, eni­ dans son serviteur : et aujourd’hui, mes
vrée encore de plaisirs et de grandeurs ; Lieies, dans le siècle, si l’on se trouve
qui aime à dominer sur les esprits comme ne avec quelque distinction, on exige des
sur les cœurs; que toute résistance Blesse , ministres de Jésus-Christ des égards et
et qui ne fait pas assez de cas de la vertu des menagemens indignes de leur carac-
pour souffrir d’en être contredite : car ere , on est blessé de leur zèle; on croit
on lit bien qu’Elie sut faire respecter etre dégradé s’ils nous disent la vérité
quelquefois la vente, même à l’impie comme ils la disent au peuple : on diroit
Achab ; mais on ne lit pas que Jézabel que la sainte sévérité de l'Evangile ne re­
lui pardonna jamais la liberté d’un seul garde plus que les âmes vulgaires; etctue
discours , ni sa résistance à l’injustice lesvices des grands sont nés nobles comme '
qu’elle vouloit faire à Nabot eux , et qu’on leur doit les mêmes égards
Tous les siècles admireront les instruc­ qu a leurs personnes.
tions vives et touchantes, et cette noble Ah ! le crime nulle part ne fut à cou­
fierté qui règne dans ses livres de la Con­ vert du zele de noire saint : il le pour­
sidération au pape Eugène. Il est vrai que suivit jusques sur le trône: les liens mêmes
ce pontife avoit vu croître sous les yeux de la chair et du sang, si périlleux à
et la discipline de notre saint ces grandes notre ministère, ne séduisirent pas sa
qualités qui depuis l’élevèrent au ponti- constance. En vain touchée du bruit de
sicat. Mais qui ne sait combien la reli- ses prodiges et de sa réputation, ou peut-

1
210 TOUR IE JOUR
DE SAINT BERNARD. 211
être dune vaine curiosité de le voir, sa
tonna au milieu des eaux, je veux dire,
sœur vient à Clairvaux. L’orgueil de ses
parmi les peuples. On ne vit jamais avant
équipages , et la pompe du siècle qui l’en­ ui £ e prophète si autorisé à reprendre les
vironne , laisse d’abord entrevoir au Saint vices : le Ciel l’avoit, ce semble, établi le
combien elle est éloignée du royaume de censeur des mœurs de son siècle. Que de
Lieu : au bruit de cette fastueuse visite , t ifferends parmi les princes apaisés par
it gémit, il se renferme dans l’enceinte de sa sagesse ! Que de lettres écrites pour le
son monastère ; et malgré la tendresse nii|b /S^ement de la disdpline et de la
qu il a pour celle sœur, et le spectacle piete . J\ous voyons encore dans celles qui
touchant de sa désolation et de ses lar­ nous restent ce détail immense de soins
mes, il refuse de la voir, si au lieu des et de mesures où sa charité le faisoit des-
parures du siècle qu’elle étale , elle ne se ouefle‘ Styl^! (luelles expressions !
couvre de pudeur et de modestie : c’est un quels artifices puissans d’une éloquence
autre Moyse, qui attenîifaux seuls intérêts oute divine! La France, l’Italie, l’Al-
ce la gloire de son Maître, sépare sans Jpniagne le virent répandre partout le
balancer sa sœur du camp du Seigneur, et leu divin que Jesus-Christ est venu appor­
lui interdit l’entrée du tabernacle, jusqu’à ta sur la terre, et dont il avoit embrasé
ce qu elle ait quitté cette lèpre qui couvre son cœur; seul il sut suffire aux besoîns
son corps , et ees marques honteuses de son divers et infinis de l’Eglise; et comme ce
orgueil et de son infidélité. serpent d airain élevé dans le désert
Si voustiouvez aujourd’hui des minis­ d n y eut point de plaie qui fût à l’épreuve
tres plus complaisons, femmes du siècle, de sa presence. r
ce n est pas une excuse pour vos erreurs ; Il ne manquoit à ses travaux que la ré­
car la foiblesse du prêtre n’affoiblit pas compense des Saints, je veux dire, les ner-
ta toi de Dieu; c’est la peine de vos pè­ sobF°nS J1 CS caIomnies ■ il eut la con­
ches, et un jugement de la colère du solation d y participer. Il entendit les
Seigneur sur vous, qui punit les fausses plaintes des insensés contre lui sur le mau-
raisons dont vous vous servez pour justi­ d:nVlaCTedeZ’n:reP,rise d«^E
fier contre vos propres lumières, une vie dans la Teire-Sainte : les prodiges dont
molle et mondaine, par des ministres qui Lieu avoit accompagné ses prédications
1 autorisent.
Enfin , nies Frères, sa voix brisa les cè- U'édulà/t"'f f ,le foiLles“ « 0«
dies du Liban, ébranla les déserts, et crédulité, la force de ses discours qui
212 TOUR LE JOUR
DE SAINT BERNARD. ai3
pensa faire déserter la France et l’Allema­ jamais d’apercevoir des foiblesses dans
gne , en inspirant au peuple le désirdese les _ Saints : soit parce qu’à force de les
croiser passa pourindiscrélion et fauxzèle. croire Justes , nous exigeons presque aussi
1 tais adorant dans le secret de son cœur qu ils ne soient plus hommes ; ou que ne
les desseins impénétrables de la Provi­ pouvant parvenir à leur ressembler, nous
dence, il rappeloit le souvenir des Israé­ tachons du moins de nous persuaderqu’ils
lites , qui quoiqu appellés de Dieu à la nous ressemblent eux-mêmes. Vous venez
conquête d’une Terre-Sainte, périrent dans voir tou t ce que lit notre Saint pour le
le deserl a cause de leurs infidélités: il ietabhssement des mœurs et de la piété :
rappeloit l’histoire des tribus, qui, en­ montrons en peu de mots ce qu’il fit pour
gagées par l’ordre exprès du Ciel à com- je rétablissement de la foi et de la doc-
battre les Benjamites, n’en eurent pas une; et dans cet homme apostolique-
moins la honte d’une double défaite ; et voyons encore le docteur le plus éclairé
gémissant sur les excès des Chrétiens qui et le plus humble de son temps : In le%e
avoient attiré ces calamités du. Ciel, il écoit Uommicongregationem judicavit, et in fide
bien plus touché de ce que les Infidèles ,
moment^ prüpheta' Je finis dafh un
bers de leurs avantages , demandoient in­
solemment : Où est le Dieu des Chrétiens?
et blasphemoient son nom, que des oui troisième partie.
h’agesdont ses Frères tâch oient de noircir
le sien propre. L Eglise , cette nouvelle Jérusalem , est
Ainsi on est toujours prêt dans le siècle à la vente fondée sur des montagnes
a censurer la conduite des Saints : on n’a saintes , les vents et les orages s’élèvent
pour leurs démarches que des yeux de ri­ en vain contre ses murs sacrés; sonEpoux
gueur et de malignité : on veut les rendre la promis , les portes de l’enfer ne prévau­
garans de tous les mauvais succès des dront jamais contre elle. Cependant toute
entreprises où ils ont eu quelque part : et invincible qu’elle est, elle n’est pas paisi­
em zele est indiscret, du moment qu’il ble.- ses persécuteurs ne sauroient la dé­
n est pas heureux. Enfin, il suffit presque truire ; mais ils peuvent 'l’affliger : elle
b etre homme de bien, pour ne trouver ue craint pas des vainqueurs qui la ré­
plus d indulgence sur laterre : et je ne sais duisent comme un esclave à adopter leurs
si cest haine de la vertu, ou .amour de Dieux et leurs sacrifices; mais elle peut
nous-memes ; mais nous ne manquons avoir des ennemis qui altèrent sa paix
POUR le jour DE SAINT BERNARD. _2l5
ou qui défigurent ia pureté de son culte : à maintenir le culte du Seigneur et l’hon-
il est meme peu de siècles où elle n’en neui de ses sacrifices , l’occasion de leur
ait vu s’élever quelques-uns. Née dans gain et le prétexte de leur avarice.
les combats et dans les persécutions , il Les livres saints furent sa plus chère
semble que c’est son destin de n’en être etude : rien ne lui paroissoit plus digne
jamais exempte; mais les hérésies et les de la. grandeur de l’esprit humain que
schismes ont eu leur utilité. Nous devons {histoire des merveilles de Dieu dans les
la gloire de nos martyrs à la fureur des livres de Moyse , les beautés de sa loi, les
tyrans. A qui sommes-nous redevables /vins transports de ses prophètes , et
aussi des travaux précieux des anciens dé­ fonction des autres écrivains inspirés.
fenseurs de la vérité , qu’aux docteurs du Aussi il aVoit dévoré avec tant d’ardeur
mensonge qui parurent dans leurs siècles ? ce volume sacré, et l’avoit si bien changé
Dieu qui destinoit Bernard à être le res­ en sa propre substance, qu’il ne sait
taurateur de sa loi,lui en avoitdéveloppé p us parler que ce langage dans ses écrits :
les secrets ineffables dans le désert. Sans es expressions de l’Ecriture y sont semées
avoir ete disciple , dit un historien , que a pleines mains; elles paroissent son style
des chenes et des forêts, et sans avoir eu naturel. Saints et pieux monumens de son
d autre maître que la grâce, on le vit amour pour les Ecritures, fruits précieux
passer tout d un coup de la solitude dans de ses lumières et de sa piété, vous êtes
e monde, et de l’ombre des bois dans encore entre nos mains; et c’est assez pour
a lumière du soleil. Sa science ne con­ son eloge. * r
sista pas dans un amas de connoissances Mais la lecture des divines Ecritures,
vaines qu’on acquiert par un dur travail, qui iaisoit. autrefois les plus chères délices
et qu’on débite sans fruit et sans onction. des premiers Fidèles, cède aujourd’hui
Il ne chercha pas a éblouir les esprits par parmi les Chrétiens à des ouvrages de
de nouvelles découvertes, ni à se faire mensonge et de péché, pernicieux à l’es-
honneur de certains approfondissemens piu qu ils remplissent de mille images pro­
qui .mitent par leur singularité; mais à fanes et funestes au cœur , où ils jettent
réformer les cœurs, et à rétablir la foi des semences de crime, qui toujours dans
de ses peres sur la ruine des nouveautés leur temps produisent des fruits de mort.
profanes ¡enfin, il ne fut pas de ceux qui elas. ne portons-nous pas déjà dans notre
regardent les sciences comme un trafic tonds des dispositions assez favorables à
honteux, et qui font de ces dons destinés iniquité , sans y en ajouter d’étrangères?
216 pour le jour
Ce levain de corruption qui croît avec
notre cœur , ne suffit—il pas pour exercer cl aux souverains détrônés, et de
notre innocence, sans aider sa malignité ? voir ses monarques armés contre les usur­
pateurs et les rebelles.
et fau t—il le secours de l’art à des passions de?F P GS TrèreS’ ,qUeI est le trîste état
sur lesquelles nous ne naissons que trop de 1 Eglise , lorsqu’elle est ainsi déchirée
instruits ?
Ce fut cette science des livres saints , et delà d’’ 6t létendard de Q révolte
qui rendit Bernard si redoutable aux en­ le SanctnaiSejS1T élevé ÎUS<P« dans
nemis de 1 Eglise. La chaire de Pierre étoit uns son À \ P?!X Ct Punité! Les
devenue la proie d’un usurpateur ; Dagon sont a Cephas, les autres à Paul et
pei sonne a Jésus-Christ. Ses dignités ¡ont
avoit pris la place de l’arche ; un intrus « pnx °u le lien de la rebeTion ; Ses
plein de fiel et d’artifice paroissoit dans
le sanctuaire, et y recevoit les hommages testé sontoff dlsPensdes avec ma-
; este, sont offertes avec bassesse • ses
du peuple de Dieu : la foi des Eglises sus­ «1res ne sont plus les peines £ vice £ ’
pendue par le spectacle nouveau de deux 1« mstrumens da la passion, ei £ X
pontifes dont chacun prétendoit être l’oint et (1 autre on cherche à se faire des amhf
du Seigneur attendoit comme autrefois
non pas avec des richesses d’iniquité irnit
que Dieu lui—même fit connoitre celui avec le, trésors même du sanctuaire’.
qu’il avoit élu ; on ne savoit plus s’il fai— Quel scandale plus digne du zèlo oi d
loit aller adorer à Jérusalem , ou sur la lom.êres de Bernafid ,uÎ e^Î-e“ fl' pa“
montagne de Garizim : Pierre de Léon roil au rmbeu des prélats du royaume"
jouissoit a Rome du fruit de son iniquité ;
et environné de ses adorateurs , cet homme
de péché étoit assis dans le temple de pHnies’ t I’as“rablée des ShrdsTléî
Dieu j tandis que le véritable pontife In­ princes, pour me servir des narnl« J
nocent II, chasse de son siège , et errant t Joo, cessent de parler devant bd Ce
comme I arche d’Israël, de contrée en con- attentifs à ses jugemens: tous les pères^?*
tree.dans un équipage peu convenable à Concde respectant dans Bernard S
sa dignité , etoit enfin venu aborder en quelle autorité qui suit une hauj réDuiT
1 lance , et y avoit trouvé un asile plus
honorable sous la protection et la piété
de nos rois : car tel a été de tout temps le
dçslm de la I( rance , d’ouyrii' son sein aux cet homme merveilleux : lui senuTl-5"
pontifes Panégyrique » 1 ,n-
2lS pour le jour
térprèle du Saint-Esprit; lui seul forme
un concile entier, et toute la France re­ les roü ; '«^uipncite (le la loi contre
çoit de sa main, Innocent II pour légiti­ launemens
de Poitiers et dan^erenv
Ianoereux J d ’„r» f *
un eveque
me pape. C’est toujours le Samuel de son d’Abailïa, j ’ “ nOUVMufe profanes
siècle , qui au milieu des Tribus assem­
blées , fait expliquer le sort en faveur de
celui que le Seigneur avoitoint et destiné
à régir son peuple.
Que de courses en Sicile, en Italie, en
Allemagne, pour éteindre les restes du
schisme et rassembler les aigles autour trepris dnen°3iS sinSul«‘“.avoit en-
du corps? On le vit foudroyer un prince,
dont le crédit fomentoit la dissention ;
aller à lui dans un temple , armé du corps
de Jésus - Christ, et lui ordonner de la
part de ce Dieu terrible qu’il tenoit entre
les mains, de ne plus troubler la paix
de l’Eglise. A ce spectacle si nouveau , le
duc de Guienne se trouble ; toute sa fierté
se change en frayeur ; et renversé comme religion sur l’espdt XÎ "" .matære de
Paul par la présence du Dieu dont la mençoient à franchir les CS’
majesté se rend sensible, il devient comme que nos Anciens Xoienhn3Sa,ntes
lui, d’instrument de la fureur d’un faux posées. Ce mvslèrp T• • î saSe™ent
pontife , un vase d’élection. Presque plus en secret ■ "éTïk • „ °P?roit
Mais c’étoit peu d’avoir rétabli la paix de son succès d T •» V Abaillard fier
au dedans de l’Eglise, il falloit, comme Pie de Dkn hau?“'”' le peu-
Moïse , après avoir assuré contre les mur- listins de bd n “ Séant des Phi-
murateurs le souverain sacerdoce à Aa- de lui: mais lïnsXTœ deTe^H'
ron, mettre le peuple de Dieu à couvert
des séductions de Balaam. Les conciles UUe —
de Sens et de Rheims admirèrent la fé­
condité deses lumières et la force de son SP.eur , la, sciencequlinfl^d ® V“
génie , et le virent défendre glorieusement Pl'Ote qui édifie;les poroIes
K 2
DE SAINT BERNARD. 221

220 POUR LE JOUR


et ne les en détourne jamais pour voir
ce qui brille autour de lui, et rencontrer
delà sagesse humaine, à la vertu de la les regards des hommes attentifs à l'ad­
Croix et de l’Esprit, et le philosophe le mirer.
plus orgueilleux de son temps, à un Scribe Tantôt , il se refuse à des églises il­
instruit dans le royaume des cieux. lustres qui l’ont choisi pour pasteur, et
Sorti de cette victoire, il vole à Tou­ regarde le trône épiscopal comme une es­
louse, où Henri, moine apostat, prê- pèce de buisson sacré , dont il ne lui est
choit une nouvelle doctrine, et s’élevant pas permis d’approcher. Tantôt revêtu
contre l’institution sainte des Sacremens par les papes du caractère de légat uni­
et les traditions de l’Eglise , préparoit versel dans le monde chrétien, et ne
déjà les voies à la naissance de ces mons­ voyant plus par ce nouveau titre que le
tres que l’erreur enfanta le siècle passé, souverain pontee au-dessus de lui, il fait
et qu’un monarque toujours heureux a aux évêques un hommage respectueux de
étouffé le premier, dans un royaume qui , sa dignité, n’agit que sous leurs ordres ,
le premier presque , les avoit vu naître. reiuse de se soustraire à cette puissance de
Mais arrêtons-nous : un éloge n’est pas Dieu , et ne souffre même pas que les siens
une histoire , et tout n’y sauroit entrer. sortent de la loi commune, et accèpient
Et d’ailleurs , mes Frères, ce n’est pas des prérogatives et des exemptions, qui
là ce que la vie de notre saint nous offre sont à la vérité utiles dans leur établisse­
de plus instructif. Ces circonstances écla­ ment et saintes dans leur fin ; mais qui ne
tantes embellissent, à la vérité , la vie du laissent pas d’être de ces remèdes près—
Saint que l’on loue, mais ne propose rien qu’aussi fâcheux que les maux, et dont le
à imiter aux pécheurs devant qui l’on parle: besoin est toujours une suite de la tiédeur
elles exposent de grands traits, mais elles et du relâchement de l’Eglise , parce qu’il
n’offrent point d’exemples {¿’humilité de marque ou l’abus de la puissance dans le
Bernard au milieu de toute sa gloire, est pasteur, ou l’amour de l’indépendance
un endroit bien plus propre à nous tou­ dans les ministres subalternes.
cher. Hélas ! une fragile réputation où l’er­ Tantôt honoré à Clairvaux de la visite
reur des hommes a plus de part que nos d'un souverain pontife suivi d’une cour
bonnes qualités , nous grossit si fort à magnifique et nombreuse , il paroit à la
nous-mêmes notre propre idée ; et arrivé tête de ses religieux, tous, les yeux bais­
au plus haut point de gloire où la France sés , gardant un profond silence , et lais-
ait jamais vu un particulier, Bernard a
toujoursles yeux attachés sur ses misères ,
222 î’our r,E J0UR
DE SAINT BERNARD. 223
lez - vous ressusciter pour le siècle , un
«’epénilenœetde ÍÍ î»,na,re’ un a!r homme enseveli dans la région des morts?
spectacle Xndrit ïe ‘ r"Cn‘ d°nl ,0
Quare inquieiastime uisuscitarer'ï ( /. Reg.
atbé conserva,; , ef <» saint 28. i5. )
etcalme, et narois n !na'n[ii‘n tranquille Voilà, mes Frères, les sentimens de
à n„ hè„nePur Os SS„"'P1'e5’,,oins<î"sible crainte et d’humilité , qui toujours ont ac­
souvenir de ce pronhAfT P?1’ .faPPeiIe le compagné les actions les plus héroïques
dans sa retraite par Naaman^ 'VÍSÍté des Saints. La charité a, comme l’amour-
vironné d éclat et rU ™ -r Prince en~ propre , ses pieuses erreurs et ses innocen­
touché de cette nouveauté" ne d"^ ’ P6U tes séductions.
regarder • et roc , , ’ ne «aigna pas La grâce et la cupidité nous déguisent
raèl et du sn.-n P UP-G des ‘"^eurs d’Is- presque également à nous-mêmes; et
irrite sur son"^56" Colè-^DieU
comme la plupart de nos vices ne sont en
faire aucune atteni ’ UC Parut Presque sûreté que par les fausses idées que nous
nous en formons, souvent les vertus des
hommes“',„e"p"¿r"íiexer7eVersanl a™ les Saints n’ont été à couvert que sous les
images trompeuses sous lesquelles ils se
dans le ciel d *7 • ,r conversation les sont représentées.
même et à ’ses ¿P J" S3rî? Cesse à s°i~ Ainsi la vie du siècle, les dangers des
sa vie, et regarde'? 3 diSSiPation de conversations et des commerces , les di-
- pubnc rend verlissemens criminels des spectacles, le
devoirs particulière L 1 nations a ses vuide et l’humilité de nos œuvres , cette
SiSÉBgS révolution éternelle de nouveaux plaisirs;
tout cela , vous ne le regardez que comme
des ainusemens innocens et des délasse-
suis-je donc? je ne suis ni, b ‘ clue mens inévitables à la foiblesse humaine ;
le prodige et le 1 ! P^s que comme et les travaux de la charité , et les œuvres
a - ci le monstre de mm r»* ' i extérieures de miséricordes, ne sont aux
r“is> yeux des Saints qui s’y trouvent appelés,
crTd°n déser‘> /» ‘V”“'S'le r^'n" que des agitations périlleusesau recueille­
ment de l’arae, et des obstacles aux se­
comme sXeH&»,“ crètes consolations de la grâce. Ainsi
Bernard se méconnoit jusqu’à croire sa vie
K 4
S24 pour ie jour, etc.
ParC-e que les besoins de
1E use et la vocation du Ciel l’engagent
à des emplois tumultueux peu compati- SERMON
W aIX V'len,“ e.‘Ia *<■» «-
litaire, et tous les jours, ô mon Dieu POUR LE JOUR
vos ministres s’abusent ’jusqu’à trouver
oS“e T ‘°"te séculière> <=’ des mœurs
profanes, la sainteté de leur état et les DE SAINT LOUIS,
¿>hons redoutables du sacerdoce!
vos Sa nts I P’^T de foibIes^ dans ROI DE FRANCE.
a os Saints, les erreurs de leur humilité : et
^« erreurs de.nos passions , nous en fal
sons un mente même à notre prudence
Rompez, s r, ce charmehuneeTe An nescitis quoniam Sancti de hoc mundo judicabunt ?
eteclamez les yeux de nos cœ afin’ J\e savez-vous pas que les Saints doivent un jour
que ne nous égarant plus dans nos voies juger le inonde ? I. Cor. 6. 2.
nous suivions les routes que vos Saints
nous ont frayées et arridnnc ô ts
x l’krs > ’ • arriV!°ns comme eux
Al heureuse éternité.
Ainsi soit-il. Si la loi de Dieu toute seule devoit un
jour juger le monde, mes Frères, le monde
pourroit opposer à sa condamnation les
obstacles presque insurmontables que cha­
cun de nous trouve dans son état, à la
pratique des devoirs qui nous sont pres­
crits : il pourrait accuser la loi d’injustice,
sur ce qu’elle exige de nous mille choses
qu il n est pas possible d’allier avec les
situations diverses où la naissance, la for-
lll?e , 8ran^es places nous engagent :
et ta loi de Dieu,-si juste dans ses juge-
niem et dans ses préceptes, ne serait plus
jushliee devant la fausse sagesse des
* K 5
SZ6 TOUR LE JOUR DË SAINT LOUIS. 227
hommes. Aussi l’Apôtre nousavertitque les brillantes et héroïques, qui donnent de
Justes de tous les étals paroitront alors à la réputation parmi les hommes , et nous
cote de Jesus-Chrisl ; qu’ils seront les dé- rendent dignes de remplir avec éclat les
fenseurs de sa loi contre toutes les vaines plus grandes places. Secondement , on
excuses des pécheurs , et que leur exem­ regarde un grand rang et une place émi­
ple jugera le monde, qui n’a pas voulu nente comme un privilège qui adoucit à
les imiter. notre égard toutes les pratiques pénibles
Mais ce droit déjuger le monde ne leur de la piété.C’est-à-dire , on se figure pres­
conviendra pas à tous également. Ce n’est que la piété comme une foiblesse , ou qui
pas assez, ce semble, de l’avoir méprisé déshonore les grands, ou qui rend inca­
et foulé aux pieds, pour être en droit de pables des grandes places ; première er­
condamner ceux qui l’aiment : il faut l’a­ reur : on croit que l’élévation permet un
voir vaincu avec tout ce qu’il y a d’éclat, genre de vertu plus commode et plus auto­
de pompe, de magnificence, de plaisirs, risée à jouir de tous les plaisirs, et à suivre
et résisté à tous ses périls, pour pouvoir tous les usages que le monde approuve , et
confondre toutes ses excuses. que la loi de Dieu condamne ; seconde
Ainsi juge par avance le monde, le saint erreur.
roi que la France aima autrefois comme Or , le saint roi, dont nous allons au­
son père , et qu’elle honore aujourd’hui jourd’hui proposer plutôt les exemples que
comme son protecteur. Le monde ne sau- loti ci les verlus ? con.dcim.ne le inonde snv
roit opposer d’illusion aux devoirs de la ces deux erreurs. Premièrement, il trouva
loi , que ce grand exemple ne confonde : dans la piété la source de toutes ces quali­
tout prétexte contre la vertu trouve ici sa té héroïques, quile rendirent le plus grand
condamnation ; les vaines raisons du rang, roi de son siècle; secondement, ¡1 trouva
de la naissance , des places, disparoissent, dans sa qualité de roi de nouveaux enga-
et n’oseroient plus être alléguées ; et le gemens pour s’animer aux devoirs les plus
inonde , forcé de respecter la sainteté, n’a austères de la piété. C’est-à-dire , il fut un
plus rien à nous dire pour colorer ses dé- grand roi devant les hommes, parce qu’il
règlemens , ou pour justifier ses usages. fut un roi saint aux yeux de Dieu : ¡1 crut
Ln effet, mes Frères, deux erreurs qu’il devoit être d’autant plus saint aux
régnent dans le monde contre la vérita­ yeux de Dieu, qu’il étoit plus grand de­
ble piété. Premièrement , on la regarde vant les hommes. La sainteté en fil un
comme incompatible avec ces qualité^ grand roi : la royauté le rendit un grand
Kg
228 FOUR LE JOUR DE SAINT LOUIS. 22q
Saint. C’est ainsi, ô mon Dieu , que ce au-dessus d’elle ; et le Juste a-la réalité de
prince selon votre cœur, devient un accu­ toutes les grandes vertus, dont le héros
sateur qui nous confond : faites-en un mondain n’a souvent que la réputation et
modèle qui nous console et qui nous ani­ l’image.
me; et ne permettez pas qu’un si grand C’est pour convaincre le monde d’une
exemple domestique, que la religion nous vérité si honorable à la foi, que le Sei­
propose avec tant de solennité pour nous gneur donna autrefois à la France le saint
instruire , n’ait presque plus d’autre utili­ roi, dont la mémoire, si précieuse à tous
té pour nous, que de nous rendre plus les Français , nous assemble tous les ans
inexcusables. en ce lieu de religion. Les instructions et
les exemples d’une mère sainte tournèrent
première partie. ses premiers penchans à la vertu : au mi­
lieu des soins d’une régence difficile, la
Il n’est que trop vrai, mes Frères, que reine Blanche n’en connut pas de plus im­
le monde, toujours injuste estimateur de portant que l’éducation du jeune roi. Per­
la piété , la regarde comme le partage des suadée qu’en formant les mœurs du sou­
âmes foibles et bornées. On attache aux verain, elle forrnoit, pour ainsi dire, les
sentimens tendres delà foi, je ne sais quoi mœurs publiques , et que le bonheur de la
qui annonce ou de la pusillanimité dans monarchie étoit attaché au caractère de
le cœur, ou de la médiocrité dans la rai­ celui que Dieu avoit destiné à la gouver­
son : l’innocence des mœurs ne devient ner , elle n’oublia rien pour jeter dans
un mérite, que pour ceux qu’un caractère son ame ces premières semences de magna­
borné rend incapables des plus grandes nimité et de vertu, qui produisirent dans
choses : le héros et le Saint paroissent des la suite, des fruits si saints et si éclatans.
personnages incompatibles; et il semble’ Peu contente d’avoir assemblé auprès de
que les hommes ne peuvent être grands que lui tout ce que la France avoit de plus
par les passions mêmes qui les avilissent. précieux et déplus habile, elle-même vou­
Cependant, mes Frères, rien n’est plus lut avoir la principale part à ce grand
grand pour l’homme que de vivre selon ouvrage. Mêlant sans cesse les leçons de
Dieu : la piété est l’effort le plus héroïque la foi à celles delà royauté; tantôt formant
du cœur, et l’usage le plus noble et le plus le Chrétien, tantôt instruisant le prince,
sensé de la raison : une ame exercée à la elle lui apprit à ne jamais séparer ces deux
vie de la foi, ne connoit plus d’entreprise devoirs, et à regarder comme opposé aux
23o POUR le jour. DE SAINT LOUIS.
véritables intérêts de sa gloire et de sa places ; on aime à voir briller dans cet âge
couronne, tout ce qui seroit contraire à tendre les premières lueurs de toutes ces
la loi de Dieu. dangereuses passions : les ébauches nais­
Des attentions si religieuses trouvèrent santes des grands vices, on les appelle de
des censeurs dans le monde; (car il faut grandes espérances. On regarde les incli­
s’attendre à ses censures , quand on ne veut nations heureuses et tranquilles d’un na­
pas suivre ses exemples.) On publia que turel tourné à la vertu, comme des présa­
la jeunesse des rois devoit avoir de plus ges moins favorables; on craint tout d’une
nobles amusemens que des pratiques jour­ enfance moins docile aux leçons de la va­
nalières de piété; que sous prétexte de nité ; on y réveille par mille artifices les
préserver son innocence, on amollissoit passions que lanalure même sembloil avoir
son courage; qu’il falloit laisser plus de assoupies; et souvent Dieu permet que ces
carrière à des penchans qui, dans la suite, impressions étrangères prévalent, et que
ne trouvant plus de frein dans l’autorité ceux pour qui on avoit craint un excès de
souveraine, iroientd’autant plus loinqu’on sagesse et de vertu , deviennent trop iieen-
auroil plus voulu lescontraindre; etqu’en- tieux pour le monde même.
fin une vertu si rigoureuse et si exacte pou- La mère pieuse de Louis n’écouta les
voilformer de bons solitaires, mais qu’elle censures du monde sur l’éducation du
n’avoil jamais formé de grands princes. jeune roi,que pour se féliciter de les avoir
I-e langage du monde ne change point, méritées : on est sûr d'être dans la bonne
mes Frères, vous le voyez : ainsi, justifie- voie , dès qu’on a choisi celle que le monde
t-on tous les jours les abus des éducations condamne. Aussi, instruit de bonne heure
profanes. Ce n’est pas qu’on ne recom­ dans la foi et dans la piété, Louis porta
mande à ceux qui y président, d’imprimer sur le trône, outre l’innocence du premier
de bonne heure aux enfans qu’on leur con- âge, la grâce de Ponction sainte quivenoit
fie, les maximes de la vertu et de la sa­ de le marquer du caractère auguste de la
gesse, mais ce sont les seules impressions royauté , et l’établir successeur du grand
qu’on craint toujours qui ne soient pous­ Clovis. Un règne commencé avec cette
sées trop loin. L’amour de la gloire, le grâce qui consacre les rois et les fait régner
désir de parvenir, I art de plaire sont’les saintement , ne pouvoit qu’être saint et
plus sérieuses et les plus importantes ;lorieux. C’est la manière d’entrer clans
leçons qui cultivent la jeunesse de ceux
que leur naissance destine à de grandes
Îes dignités qui d’ordinaire en sanctifie ou
.en dérègle l’usage : Dieu préside toujours
2~2 POUR LE JOUR
UE SAINT LOUIS. 233
au règne des souverains que sa grâce elle- jamais les talens et le mérite, ou inutile ,
menie a placés sur le trône DI devient alors ou malheureux; jaloux des droits de sa
Im-meme le protecteur du roi et du peu- couronne , plus jaloux encore des intérêts
pie, et s il permet des évènemens fâcheux, de Dieu ; soutenant la majesté et les pré­
1 en sait tirer de nouveaux avantages, et rogatives du trône , sans rien perdre de
pour le souverain et pour les sujets Ainsi l’amour de ses peuples; toujours prêt à
ne croyez pas que la piété dusaint roi aille’ écouter les plaintes , ou à consoler les mi­
diminuer quelque chose de la gloire de son sères voulant être instruit de tout pour
legne. Un roi n’est établi de Dieu sur les remédier à tout : ne cherchant pas dans
peuples , que pour les défendre elles pro­ un abord inaccessible le secret d’ignorer
téger dans la guerre, ou pour les rendre les maux publics, de peur d’être obligé
heureux durant la paix : c’est par là que' de les soulager; convaincu que l’affliction
les rois vantés dans l’histoire, ont mérité est un titre qui donne droit d’aborder un
que la postérité les démêlât de la foule de bon prince , et qu’il n’est point de malheu­
leurs ancêtres. Or, jamais l’amour de la reux , dont les plaintes ne méritent du
gloire ne poussa si loin, dans les autres moins d’être écoutées; en un mot, cher
princes les vertus pacifiques et militaires, à son peuple par sa bonté , redoutable au
que la foi dans le saint roi dont nous hono­ vice par son équité, précieux à l’Eglise
rons la mémoire. Persuadé que le trône par sa religion; et persuadé que la sou­
n etoit pas le siège de la mollesse, de l’or­ veraineté n’est plus qu’une tyrannie dès
gueil et de la volupté, mais un tribunal quelle n’est utile qu’à celui qui règne,
de justice, de religion et de vigilance, il dès que les peuples ne vivent que pour le
legarda son royaume comme sa famille prince, et que le prince ne vit que pour
e comprit qu’il n’étoit souverain de ses lui seul. Maximes saintes, soyez à jamais
sujets que pour en être le père. gj avees autour du diadème et dans le cœur
, mes Frères> représentez-vous de ses augustes descendans.
te detail immense des soins de la royauté En effet , mes Frères, la bonté est la
et un prince qui veut suffire à tous, et à première vertu des rois. C’est elle, dit un
qui tous peuvent à peine suffire, abolis­ grand roi lui-même, qui est la force et
sant les abus rétablissant la décence et le soutien de leur trône 20. 28)
autorité des lois , tirant les dignités pu­ jls ne sont puissans que pour être bien—
bliques de 1 avilissement où les choix in­ iaisans : ils ne régnent proprement qu’au-
justes les ayoient laissées ; ne laissant tant qu’ils sont aimés : c’est la naissance
«z34 POUR LF. JOUR DR SAINT LOUIS. 2û5
qui leur donne les royaumes ; mais c’est devoir des grands , de préparer non-seu­
l’amour qui leur forme des sujets. Elevé lement à leur siècle , mais aux siècles à
dans ces maximes , et d’ailleurs ayant ap­ venir des secours publics aux misères pu­
pris dans l’Evangile que les rois des na­ bliques : notre saint roi connut ce de-
tions ne cherchent qu’à dominer sur leurs v,?ir ’ ,e^ jamais prince ne fit plus d’usage
peuples , mais que les rois chrétiens ne d un si heureux privilège. Que de maisons
doivent s’appliquer qu’à les rendre heu­ saintes dotees! Que de lieux de miséri­
reux, ce fut là aussi la principale occupa­ corde élevés par ses libéralités ! que d’é-
tion de Louis. Sous les règnes précédens, tablissemens utiles entrepris par ses soins !
et durant les troubles inséparables d’une il n est point de genre de misère à laquelle
longue minorité, la France presqu’épuisée ce pieux roi n’ait laissé pour tous les âges
avoit éprouvé ces temps difficiles, où le suivans une ressource publique. Ville heu­
salut des peuples rend la dureté des charges reuse qui le vîtes autrefois régner! au
publiques nécessaire, et où, pour les dé­ milieu de vos murs s’élèvent encore et
fendre , il faut presque les accabler. Le subsisteront toujours des édifices sacrés,
saint roi leur rendit avec la tranquillité, les fruits immortels de sa charité et de
la joie et l’abondance ; les familles virent son amour pour son peuple. Mais l’en­
renaître ces siècles heureux, qu’elles avoient ceinte de cette capitale ne renferma pas
tant regrettés; les villes reprirent leur pre­ tous les soins bienfaisans de sa magnifi­
mier éclat; les arts facilités par les lar­ cence et de sa pieté. Obligé souvent de
gesses du prince , attirèrent chez nous les visiter ses provinces, et de se montrer à
richesses des étrangers; le royaume, déjà ses sujets les plus éloignés, il laissa par­
si abondant de son propre fonds , se vit tout aes monumens durables de sa misé­
encore enrichi de l’abondance de nos voi­ ricorde et de sa bonté; et encore aujour­
sins. Les Français vivoient heureux; et d’hui on ne marque ses voyages dans les
sous un si bon roi, tout ce qu’ils pouvoient divers endroits du royaume, que comme
souhaiter à leurs enfans, c’étoit un succes­ autrefois les Juifs marquoient ceux des
seur qui lui fût semblable. patriarches dans la Palestine, c’est-à-dire,
Mais peu content d’être attentif aux par-les lieux de religion qu’il éleva à la
besoins des particuliers, Louis redoubla gloire du Dieu de ses pères. Ses trésors
son attention pour remédier aux misèréi pouvoient à peine suffire à ses pieuses
publiques, et même pour les prévenir. JargeSSes ; et comme on lui remontroit ,
C’est le privilège et en même temps le dit 1 ancien historien de sa vie, que ces
.236 POUR LE JOUR
dons excessifs épuisoient l’épargne, et ®E SAINT LOUIS. 20 7
pouvoient nuire à des besoins plus pres­ qu’il n’est point de profusion , dont cette
sans ; il vaut mieux 1 ’épuiser, répondoit— ville somptueuse ne donne l’exemple aux
il, pour soulager les pauvres dont je suis autres peuples, les misères publiques y
le père, et que Dieu m’ordonne de secou­ seront négligées ? les maisons communes
rir , que pour fournir à des profusions et de miséricorde , que les villes païennes
à de vaines magnificences que la royauté elles-mêmes entretenoient avec*tant de
semble permettre , mais que la loi de soin et de magnificence, tomberoient. faute
Dieu me défend. Aussi il prenoit même de secours au milieu de la nôtre? les pau­
sur ses propres besoins les fonds destinés vres manqueroient de ressource publique
aux malheureux; et tout roi qu’il éioit, et particulière? le zèle des gens de bien
il se croyoit les dépenses les moins super­ ne seroit plus secondé ? les œuvres les plus
flues interdites , tandis qu’il lui restoit utiles seroient délaissées , et les larmes de
encore des misères à soulager. tant d’infortunés qui y venoient chercher
Quel exemple, ô mon Dieu , pour con­ un asile , l’y chercheront en vain et ne
fondre un jour les excuses barbares que trouveront plus de main charitable qui
le sang et la naissance opposent au devoir les essuye ? Dieu vous jugera , mes Frères;
de la miséricorde ! Eh ! quoi, mes Frères , et dans son tribunal terrible, vos richesses
tandis que la magnificence et les plaisirs s’élèveront contre vous, et se plaindront
publics de celte ville superbe y attirent de que. vous les avez fait servir à la vanité et
toutes parts les étrangers; que la pompe à la volupté, elles qui étoient destinées
lascive des théâtres et des spectacles sur­ à glorifier par des usages miséricordieux,
passe presque celle des siècles païens; que le souverain dispensateur qui vous les
l’orgueil des édifices el l’excès bizarre des avoit confiées.
amcublemens n’a plus des bornes ; que la Ainsi la piété et l’humanité du saint
fureur du jeu a eu besoin même du frein roi faisoient la félicité de son peuple.
de l’autorité souveraine; que le luxe, Accessible à tous , il ne disputoit pas
croissant tous les jours, commence à de­ même .au dernier de ses sujets le plaisir
venir un usage onéreux et insoutenable de voir son souverain : leur montrant
ay IPor*de même qui l’a inventé ; que c’est toujours un visage riant , tempérant par
d’ici qu’il se répand dans toute l’Europe , l’affabilité la majesté du trône; jetant ,
et que nos voisins viennent en chercher comme Moïse, un voile de douceur et de
chez nous le modèle : en un mot , tandis tempérament sur l’éclat de sa personne et
de sa dignité, pour rassurer les regards de
23 8 POUR LE JOUR DE SAINT LOUIS.
ceux qui î’approchoient; et se dépouillant teurs de leurs peuples et qu’ils doivent
>ourvoir à leurs besoins, ils portent aussi
si fort de tout le faste qui environne la
grandeur, qu’en l’abordant, on ne s’ap— f e glaive pour se souvenir qu'ils sont éta­
percevoit presque qu’il étoit le maître, blis pour en corriger ou punir les abus :
que lorsqu’il accordoit des grâces. L’af­ c’est—ce que le saint roi n’ignora pas. Les
fabilité et l’humanité seroient les vertus dissentions civiles, la foiblessedes règnes
naturelles des grands, s’ils se souvenoient précédens , l’ignorance même et la cor­
qu’ils sont les pères de leurs peuples : le ruption de ces temps malheureux, avoient
dédain et la fierté , loin d’être les préro­ confondu dans le royaume la majesté des
gatives de leur rang , en sont l’abus et lois avec la licence des usages. Au milieu
l’opprobre; et ils ne méritent plus d’être meme de la capitale, et sous les yeux du
maîtres de leurs sujets, dès qu’ils oublient prince , étoient revêtus de l’autorité pu­
blique des hommes corrompus qui abu—
qu’ils en sont les pères : cette leçon re­
garde tous ceux que leurs dignités éta­ soient des lois, et auprès desquels l’indi­
blissent sur les peuples. Hélas ! souvent gence étoit le seul crime auquel on ne
on laisse à l’autorité un front si sévère et faisoit point de grâce. Sous de tels cen­
un abord si difficile , que les affligés comp­ seurs des désordres publics, vous com­
tent pour leur plus grand malheur la né­ prenez assez quelle devoit être dans ce
cessité d’aborder celui duquel ils en at­ siecle infortuné, la discipline des mœurs.
tendent la délivrance.Cependant les places Il s’étoit répandu dans toutes nos villes
une ioule ¿’Histrions , qui sur des théâ­
qui nous élèvent sur les peuples, ne sont
tres impurs corrompoient les peuples ; et
établies que pour eux : ce sont les besoins qui mêlant même les mystères saints de la
publics qui ont formé les dignités publi­ religion dans leurs fades et indécens spec­
ques ; et si l’autorité doit être un joug tacles débitoient avec impudence des
accablant, elle doit l’être pour ceux qui obscénités que ce mélange impie et ridi­
l’exercent et qui en sont revêtus, et non cule rendoit encore plus sacrilèges, mais
pour ceux qui l’implorent, et qui vien­ dont la grossièreté de ces temps ne per-
nent y chercher un asile.
mettoit pas alors de sentir toute l’infamie
Il est vrai que la bonté toute seule se-
roit dangereuse dans les soins publics, si et toute l’impiété. De ces écoles publiques
üe lubricité, naissoit , comme il arrive
elle netoit tempérée par une juste sévé­
rité ; et que comme les princes portent le toujours , un débordement de vices ; et
la France plus civilisée depuis qu’elle
sceptre pour marquer qu’ils sont les pas­
r

11 — — ~ . -^4- i
2'4° POUR LE JOUR
1res impurs renversés, les spectacles dont
il avoit embrassé la foi chrétienne , avoit,
nous ayons tant de peine aujourd’hui à
ce semble , repris par cette effrénée li­ vous faire comprendre le danger par tou-
’I cence, la barbarie de ses ancêtres. A de si
h grands maux, le saint roi crut qu'il falloit
J s es legtes de la foi, interdits comme
îles crimes, par les lois même de l’Etat,
! appliquer de grands remèdes. Il commença et les comédiens, que le monde du plus
par établir ces règlemens utiles qui font haut rang ne rougit pas aujourd’hui d’ho-
tant d’honneur encore aujourd’hui à la norer de sa familiarité, et auxquels des
i! ! jurisprudence du royaume : des person­ parens chrétiens osent même confier le
nages intégrés et éclairés furent choisis soin d instruire leurs enfans de tous les
pour présider à ¡ses côtés à la justice et arts propres à plaire , déclarés infâmes et
aux jugemens.Des hommes nouveaux, éle­ ruh?;‘SÎ t‘ fOyaUme comme des corrupteurs
vés sur les ruines des peuples et peu capa­ publics des mœurs et de la piété.
bles d’être touchés des misères publiques, séxuh;’téSl 16 S3in- r°’ Pu,rSea }'état par la
dont ils avoient été eux-mêmes les auteurs, ex ente de ses lois, quels furent ses soins
H ne parurent plus assis parmi les anciens pour rétablir la majesté du culte et la sain-
d’Israël : le bien et la faveur n’élevèrent ele des autels ! Les Français, peuple fier
1dus à des charges, où il ne faut que de la et oeihqueux, en conquérant les Gaules
umière, du désintéressement et de l’équi­ y avoient porté avec eux une espèce de
té ; on chercha dans tout le royaume des haibane et de férocité inséparables d’une
hommes de ce caractère ; et souvent le nation dont la guerre avoit été jusques-
mérite , appelé des lieux les plus éloignés ia ) la seule occupation , et que ¡a foi
et de la situation la plus obscure, venoit qu elle embrassa depuis n’avoit pas encore
remplir le premier tribunal de la ville ca­ adoucie : nos premiers rois même conser-
pitale. Le don le plus précieux que les et1ienurs°rfteinir PeSle de férocité ;
rois puissent faire à leurs peuples , c’est
de ne confier leur autorité qu’à des hom­ &
mes qui n’en usent que pour les peuples
eux—memes.
Ainsi se rétablissoit tous les jours la
majesté des lois et la bienséance des mœurs lant de la nation ne changea n4s sit à
publiques. On vit bientôt la source des æp.q« réglée de
désordres publics arrêtée, les lieux de 'ebre par ses Iumières et <£
honte et d’ignominie proscrits , les théâ­ Panégyriques. 1
tres

L
. 1'

242 ^OÜS LE JOUR


fût pas dépourvue alors de saints pasteursj mière source des maux de l’Eglise est tou­
la plupart de ceux que nos rois élevoient jours dans l’incapacité ou le dérèglement
à ces dignités saintes, en quittant l’habit de ceux qui en remplissent les premières
du siècle, n’en quittoient pas les mœurs places ; que sous des pasteurs ignorans ou
et les abus ; et se trouvant par le droit de mondains, la doctrine s’affoiblit , et le
leurs églises, Seigneurs de fiefs considé­ culte peu à peu dégénère ; et que l’arche
rables et d’un grand nombre de vassaux, sainte ne tarde pas de tomber dans l’avi-
on les voyoit souvent plus occupes à faire ’-et de devenir même la risée
la. guerre à leurs voisins, qu’à instruire des Philistins , dès que les enfans d’Hélt
et édifier leurs peuples. De là l’ignorance, en sont établis les principaux dépositaires,
le relâchement, l’oubli des règles, le mé­ lue saint roi commença donc à rétablir la
pris de la discipline n’avoient pas manqué sainteté et la majesté du sanctuaire , eu
de passer des premiers pasteurs dans tout n if“* Premiè.res dignités des minis­
le reste du clergé : et quoique sous les tres hdeles. La naissance, la brigue la
règnes précédens, les évêques souvent faveur ne donnèrent plus dès guides aux
assemblés, n’eussent rien oublié pour re­ peuples et des pasteurs aux églises : la
médier à ce scandale par des règlemens ispensation des honneurs sacrés ne fut
utiles qui font encore aujourd’hui un des FaS m,irisue c°ur -mais *f-
plus précieux monumens de l’église de ÎKH,d ■ûlig.on : les services rendus à
France; néanmoins la plaie n’étoit pas a des p us pay“ des
encore tout-à-fait fermée , quand le saint et des honneurs du sanctuaire : un mi­
roi monta sur le trône. nistère de paix et de douceur, ne fut plus
Aussi , persuadé que sa puissance, qui e pnx du sang et la récompense des vic­
venoit de Dieu, ne lui avoit été donnée toires. On n’eut égard aux sollicitations,
que pour faire régner Dieu sur son peu­ que pour exclure ceux qui étoient assez
ple; que les rois n’éloient établis que pour temeraires pour solliciter et s’appeler eux-
protéger et agrandir le royaume de memes : on tira de l’obscurité des cloîtres
Jésus-Christ sur la terre ; et que les cé­ ce que ces p,eUx asiles, si fertiles alors en
sars, comme le disoit autrefois Tertul- glands hommes , avoient de plus saint
lien , ne naissoient que pour les Fidèles; de plus éclairé : on élevoitTeuxi qui
les intérêts de la religion devinrent un y oient su se cacher; et pour être digne
de ses soins les plus chers et les plus des premières places, il fidloit avoir eu
pressans. Il comprit d'abord que la pre­ U courage de les refuser. O mon Dieu
L a *
i

244 POUR LE JOUR


t>E SAINT LOUIS. ¿4^

renouveliez cet esprit primitif dans le re­ qui se goûtent avec des amis saints et
lâchement de nos siècles ! Secondez les fidèles. Et c’est ainsi que dès-lors on com-
saintes intentions d’un monarque reli­ mençoit à voir ce que nous voyons au­
gieux ; et au milieu des cupidités hu­ jourd’hui sous un règne encore plus flo­
maines dont le trône est toujours envi­ rissant , c’est-à-dire , le palais du prince
ronné , cachées même souvent sous les devenu l’asile des sciences et des lettres 5
apparences de la vertu , éclairez ses yeux les savans, assemblés autour du trône, y
si favorables à la piété! Montrez-lui vous- faire tous les jours de nouveaux progrès
même ceux que vous avez choisis, et con­ dans la connoissance de la nature, y po­
tinuez à protéger votre église, en conser­ lir les mœurs et le langage ; renouveler
l’éloquence des bons siècles , éclairer ce
vant un prince qui , sur les traces de son
que l’antiquité a de plus obscur et de plus
saint prédécesseur, regarde comme la curieux ; et par là la France devenue l’é­
fonction la plus importante de sa cou­ cole publique de toute l’Europe, et les
ronne , de donner aux peuples de saints hommes doctes s’y multiplier autant par
pasteurs, et à l’église des ministres fidèles. le génie heureux de la nation , que par
Mais ce ne fut pas assez même pour les largesses du souverain, qui ne laisse
saint Louis d’élever des hommes pieux
jamais sans récompense les talens et le
et habiles aux honneurs sacrés , il les méri le.
honora de sa familiarité. Ce que son siècle
Un règne, accompagné de tant de sa­
avoit alors de plus illustre en doctrine ou gesse et de justice, fut bientôt proposé
en sainteté, venoit presque tous les jours ,
comme le modèle de tous les règnes , et
ou le délasser des soins de la royauté par
rendit le saint roi l’admiration de toutes
des discours de salut , ou les partager les cours de l’Europe. Nos voisins, de
avec lui par des conseils utiles. Thomas , tous temps jaloux de la grandeur et de
Bonaventure , Robert Sorbon , ces hom­ la gloire de la monarchie , la voyoient
mes si célèbres et si saints parurent sou­
prospérer sans envie sous un monarque
vent assis à sa table: et en honorant ainsi dont ils étoient forcés d’admirer la pru­
la science et la piété, non —seulement dence et la vertu : ils cherchoient plus à
il montroit que la familiarité des bons étudier et imiter la sagesse de son gouver­
princes , devroit être la récompense du nement et le bonheur de son règne, qu’à
mérite et de la vertu , mais encore que venir le troubler. On les voyoit même ve­
la royauté elle-même ne fournit pas de
nir mettre aux pieds de son trône leurs
plaisirs plus vifs et plus purs , que ceux
L 3
246 TOUR LE JOUR DE SAINT LOUIS. 24y
dissensions et leurs querelles; s’en re­ héros dans notre pieux monarque , ne fut
mettre à sa décision seule de tous leurs pas moindre que le Saint. A la tête des
intérêts ; et malgré les raisons d’Etat, armées , ce n’étoit plus ce roi pacifique ,
qui sembloient nous rendre leurs querel­ accessible à ses sujets ; assis sous le bois
les utiles, ils trouvoient toujours en lui | de Vincennes avec une affabilité que la
un juge équitable et désintéressé qui ré- simplicité du lieu rendoit encore plus
gloit leurs différends , qui assoupissoit respectable; réglant les intérêts des fa­
leurs animosités, et qui, en les réunis­ milles; réconciliant les pères avec les en-
sant, ne faisoit que réunir en sa faveur fans; démêlant les passions de l’équité ;
leur admiration et leurs hommages. Non , assurant les droits de la veuve et de l'or­
mes Frères , c’est déshonorer la foi des phelin ; paraissant plutôt un père au mi­
Chrétiens et blasphémer contre elle , d’o­ lieu de sa famille , qu’un roi à la tête de
ser soutenir que les maximes de l’Evangile ses sujets ; entrant dans des détails , dont
ne s’accordent guère avec celles du gou­ i des subalternes se seraient crus déshono­
vernement. La religion, qui établit les rés , et ne trouvant indigne d’un prince
rois, seule conserve et soutient les royau­ et indécent à la majesté des rois , que
mes : la prudence de la Croix fait régner d ignorer les besoins de leurs peuples.
encore plus sûrement que la fausse pru­ Ce n’étoit plus, dis-je, ce roi Dacifiaue
dence de la chair : l’ambition et la mau­ et clement : c’étoit un héros toujours plus
vaise foi ont renversé beaucoup de trônes; intrépide à mesure que le péril augmen—
mais la justice et la piété les ont toujours toit ; plus magnanime dans la défaite
affermis. que dans la victoire ; terrible à ses enne­
La source de cette illusion , c’est qu’on mis , lors même qu’il étoit leur captif.
regarde la piété comme le partage d’une Eleve sur un trône que les troubles de
ame foible et timide ; et qu’on ne croit la minorité avoient affoibli , avec quelle
pas que les vertus militaires , qui suppo­ « valeur en rétablit-il la gloire et la ma­
sent du courage, de l’ardeur, de l’éléva­ jesté ! Les grands , sous prétexte de mé­
tion , puissent s’allier dans un cœur avec contentement contre la régente, avoient
la tendresse de la charité, la paix et la pris les armes contre leur roi : un prince
douceur de l’innocence ; comme s’il fal­ de son sang, à látete des rebelles, entraî-
loir être vicieux pour être vaillant ; au lieu noit tout dans son parti ; et déjà la plu­
que la valeur la plus sure est celle qui part des provinces , gouvernées alors par
prend sa source dans la vertu. Aussi le ( de petits souverains, ne vouloient pips
b 4
DE SAINT LOUIS. 249
348 POUR LE JOUR,
Jésus-Christ , et consacrée par les mys­
reconnoître le maître commun. Le jeune tères qui ont opéré le salut de tous les
Louis, au milieu de ces troubles , si dan­ hommes , gémissez pourtant encore , mai­
gereux à une autorité naissante , assemble gre les efforts de nos pères , sous une
des troupes , poursuit les rebelles, prend dure servitude, pour servir sans doute de
les villes , ramène les provinces au devoir. monument jusqu’à la fin, à la vérité des
!IL • Le prince , chef de la révolte demande la prédictions du sauveur et à la triste ré­
paix : les grands suivent son exemple ; probation des Juifs ; terre infortunée ,
obligés de venir implorer la cle'mence du vous rappelâtes alors, en voyant ce pieux
h vainqueur, ils sont surpris de retrouver héros armé pour la délivrance de la sainte
un pèie ; et le voyant par-tout plus grand, Jérusalem , vous rappelâtes vos anciens
ou que le danger, ou que la victoire , ils jours de gloire et d’allégresse : vous pa-
s applaudissent d’un malheur qui les a lutes animee dune nouvelle espérance :
rendus a un si bon maître , et qui leur a vous crûtes revoir les Josué, lesGédeon^
fait connoître un si grand roi. les David a la tête de vos tribus , qui ve—
En subjuguant ainsi les ennemis do­ noient briser votre joug, et vous déli-
ira J
mestiques , notre pieux héros s’exerçoit à vier de la servitude et de l’oppression
combattre un jour les ennemis de la Foi. d’un peuple incirconcis. Mais le temps
Il Yoyoit avec douleur les armes des de votre délivrance n’étoit pas encore
princes chrétiens employées à s’extermi­ anive : le crime de vos pères n’étoit
ner les uns les autres, et leurs tristes di­ pas encore expié ; et le Seigneur ne vou-
visions augmenter tous les jours l’inso­ loit que glorifier son serviteur en l’éprou­
lence et les conquêtes des nations infi­ vant, et point du tout mettre fin à vos
dèles. Poussé d’un zèle saint, il sort com­ malheurs et à votre ignominie.
me un autre Abraham de saxterre et de la Cependant tout sembloit annoncer des
maison de ses pères : il s’arrache à tous succès heureux : la sainteté de l’entre­
les délices du trône ; et à la tête de ses prise , le zele ardent d’une nation accou­
plus vaillans sujets, il vofevenger la gloire tumée à vaincre , le bonheur de la pre­
de Jésus-Christ outragée par des barbares mière expédition conduite par le vaillant
qui fouloient encore aux pieds une partie Godefroi, les prières de toute l’Eglise
des lieux saints de la Palestine , et mena- qui donnent toujours une nouvelle force
çoient d’envahir le reste que la valeur des aux armées qui vont combattre pour la
Français venoit de conquérir depuis peu. gloire du Seigneur, et enfin la valeur et
Terre infortunée, qui arrosée du sang do. L 5
i>.5o rOÜR LE JOUR SE SAINT LOUIS. 25î
la piété du prince , à qui la religion ne sont héroïques que dans les Saints ;
seule avoit inspiré ce grand et pieux pro­ partout ailleurs elles sont des passions ou.
jet. Je dis sa valeur; car, mes Frères, qui des foiblesses. La piété est la source du
pourroit redire ici tout ce que son cou­ vrai mérite ; les actions les plus brillantes
rage lui fit entreprendre d’héroïque dans des pécheurs , rapprochées de la corrup­
une guerre si fameuse par ses malheurs et tion du cœur d’où elles partent , rougis­
par sa foi. Tantôt arrivé au port de Da­ sent toujours de la bassesse de leur ori­
miette , impatient de venger la gloire du gine ; il en est d’elles comme de ces nuées
Seigneur, il se jette dans l’eau l’épée à la éclatantes qui n’ont de beau que le spec­
main et le bouclier pendu au cou; et de­ tacle , mais qui se sont formées dans la
vançant ses troupes à la vue de l’ennemi ; plus vile boue des marais. On applaudit
où est le Dieu de Louis , s’écrie-t-il com­ aux victoires d’un conquérant: mais si
me un autre Théodose ? rassure les siens son cœur est corrompu, mais s’il ne craint
ébranlés par la grandeur du péril, glace pas le Seigneur, on peut louer ses succès;
les ennemis par la fierté de sa conte­ mais le héros mérite peu de louanges , et
nance , et Damiette devient la conquête l’on prend pour grandeur d’ame , ou une
de sa foi et de sa valeur. Tantôt cou­ férocité de naturel qui le rend intrépide ,
rant par-tout où le péril devient plus ou une ivresse de raison qui lui cache le
grand, exposant à tout moment avec sa danger, ou une bassesse d’ame qui s’expose
personne le salut de son armée ; sourd et risque tout pour s’attirer de vains hon­
aux remontrances des siens ; se jetant neurs et de vains éloges. On loue la fer­
dans la mêlée comme un simple soldat, il meté d’un homme que l’adversité ne peut
ne se souvient qu’il est roi, que pour se abattre : mais si le principe de sa cons­
souvenir qu’il est obligé de donner sa vie tance n’est pas dans sa foi , dans la con­
pour le salut de son peuple. Tantôt invin­ solation de sa propre conscience , et dans
cible , même dans les fers , son courage la soumission aux ordres de Dieu qui le
et sa grandeur n’y perdent rien de la frappe , c’est un imposteur qui se trahit
majesté du trône ; et tout captif qu’il est, et qui nous trompe, ou un barbare qui
il sait se faire rendre des hommages par n’a pas même assez de naturel pour s’af­
des vainqueurs barbares, fliger.
Non, mes Frères, (et c’est ici le fruit Soyez donc Saints , mes Frères, si vous
de cette première partie de mon discours) : voulez être véritablement grands. La piété
les grandes qualités que le monde admire que vous regardez comme une foibiesse *
L 6 ’
252 POUR LE JOUR DE SAINT LOUIS. 25$
seule annoblit le cœur, lelève au-dessus pour le Ciel, nos foibles efforts enflés de
des passions vulgaires, et forme seule les nos titres et de nos dignités, ont le même
grandes qualités, parce qu’elle seule nous poids dans la balance du souverain juge ,
fait agir par de grands principes. C’est que les justices les plus abondantes et les
ainsi que saint Louis fut un grand roi œuvres les plus saintes et les plus pénibles
devant le monde, parce qu’il fut un roi des âmes vulgaires.
saint aux yeux de Dieu. Mais ce n’est pas A une illusion si commune, saint Louis
assez : il crut qu’il devoit être d’autant opposa les vues de la foi. Loin d’envisager
plus saint aux yeux de Dieu , qu’il é toit la royauté comme un rang qui justifie des
plus grand devant le monde ; c’est ce qui mœurs voluptueuses et toutes sensuelles,
me reste à vous montrer. il comprit avec saint Ambroise, que plus
il avoit reçu, plus on exigeroit de lui ; et
SECONDE PARTIE, que les périls du trône étant infinis , les
fautes presque irréparables, les exemples
Il n’est pas d’erreur plus répandue dans du souverain essentiels , il avoit besoin
le monde que celle qui nous fait regarder de plus de vigilance, pour y conserver
le rang et la naissance comme des titres son ame pure; de plus de mortification,
qui adoucissent à notre égard les obliga­ pour y expier, outre ses propres foibles-
tions de l’Evangile. On croit que l’extrême ses, tant de fautes étrangères , inévitables
disproportion qui se trouve entre les de­ dans les grandes places ; et enfin de plus
voirs d’une vie chrétienne, et les usages de fidélité dans le détail de ses devoirs
inséparables de la grandeur , doit modérer domestiques , pour y être le modèle de ses
en notre faveur l’austérité des règles sain­ peuples.
tes, comme si les obstacles de salut qui Je dis en premier lieu , de plus de vi­
sont la peine et la malédiction de la pros­ gilance pour y conserver son ame pure..
périté, pouvaient en devenir eux-mêmes En effet , mes Frères, tout est péril dans
un privilège qui leur en facilitât les voies ; la d ignité souveraine: l’orgueil que nour­
et que ce qui fait le péril et le malheur des rissent des adulations injustes ; les pas­
grands, dût en faire en même temps la sions auxquelles applaudissent toujours
sûreté et l’avantage. On se persuade que des complaisances basses ; les plaisirs que
plus nous sommes élevés, plus le mérite facilite l’autorité suprême ; l’oubli de
de nos œuvres les plus légères croît devant Dieu que produit la multiplicité des soins,.
Dieu j et que pour peu que nous fassions ,ou l’oisive indolence ; enfin les usages que
s-54 pour le jour DE SAINT LOUIS. s55
tous les siècles ont reçus , mais que la loi paru un gain , s’il avoit fallu s’en dé­
de Dieu , plus ancienne que les siècles, a pouiller pour éviter un seul crime. Res­
toujours réprouvés. Au milieu de tant suscitez , ô mon Dieu , au milieu des
d’écueils , le plus dangereux encore, c’est grands et des princes de votre peuple,
de ne pas les connoitre : car les grands, une foi si vive et si digne de la religion;
toujours loués et jamais instruits, péris­ et faites-leur comprendre que dans la plus
sent d’ordinaire sans avoir même su qu’ils haute fortune, et sur le trône même, on
avoient lieu de craindre. n’est plus rien et l’on a tout perdu , dès
Convaincu de ces grandes vérités , le qu’on a eu le malheur de vous perdre.
pieux prince régla sa vigilance sur la Aux sentimens, saint Louis ajouta les
multitude de ses périls. Les grands d’or­ précautions et les remèdes : car qui ne
dinaire , dès qu’ils oublient Dieu , ne sait , mes Frères , que l’adulation est l’é­
mettent plus de bornes à la licence : lassés cueil des meilleurs princes; que leurs vices
des désordres communs, il leur faut des ne trouvant autour d’eux que des yeux
excès bizarres pour réveiller leur ame favorables et des langues mercenaires ,
rassasiée de voluptés : et jusques dans le ne reviennent jamais à eux que sous les
crime même, il n’est qu’une affreuse dis­ couleurs flatteuses de la vertu ; et que
tinction d’énormité qui puisse leur plaire. tout les trompe , parce que l’art de leur
Ainsi ce prince de Babylone n’eût pas plaire , c’est de les tromper? Le saint roi
trouvé assez de goût aux dissolutions im­ n’eut point de flatteurs, parce qu’il n’aima
pures de ses festins, s’il ne les eût assai­ point ses fautes : environné d’un nombre
sonnées par l’impie profanation des vases d’amis saints et fidèles, il les établissoit
du sanctuaire. Notre saint roi se fit des les censeurs de sa conduite : les plus sin­
monstres des fautes les plus légères : rien cères lui éloient toujours les plus chers.
n’égala dans son esprit 1 horreur d’un seul Persuadé que les princes n’apprennent
péché qui tue l’ame, et qui la met dans jamais que les vérités agréables ; qu’on
la disgrâce éternelle de son Dieu. Il ne est à plaindre sur le trône de n’être puis­
pouvoit comprendre que les hommes con­ sant que pour n’avoir pas un ami, et de
nussent de plus grand malheur sur la rendre les hommes faux et timides par
terre que celui de tomber dans le péché : les grâces même qui nous les attachent,
c’étoit là le sujet le plus ordinaire de ses le saint roi chercha dans les gens de bien
entretiens ; et, comme il le disoit sou­ cette droiture de cœur, cette sincérité de
vent, la perte de son royaume lui eût lèvres , cette liberté désintéressée qu’on.
¿56 POUR LE JOUR
DE SAINT LOUIS. 2^7
ne sauroit trouver qu’en eux seuls. U vou-
loit être instruit; il ne vouloit pas être Il punissoitsur sapropre chairles désordres
flatte : la vérité n’est odieuse qu’à ceux publics : il regardoit les péchés de ses peu-
qui craignent de la connoître. p les, comme ses péchés propres, et se croyoit
Mais peu content d’éviter les périls de obligé d’expier tout ce qu’il ne pouvoit em­
la royauté , saint Louis se crut obligé pêcher. Sous l’éclat de la pourpre royale il
d’en expier sans cesse les fautes ou iné­ cachoit la mortification de Jésus—Christ :
vitables, ou inconnues. Car, mes Frères, l’austérité d’une haire presque perpétuelle
quel abîme qu’une grande place qui nous affligeoit l’innocence de son corps : la seule
établit sur les peuples, qui nous rend soumission aux avis du guide de sa cons­
responsables devant Dieu de la destinée cience, suspendoit quelquefois cette pra­
des villes et des provinces, de la tran­ tique douloureuse ; et des membres qui n’a-
quillité des familles, de l’observance des voient jamais servi à la volupté, servoient à
lois, des suites de la paix ou de la guerre, la justice et àlapénitence. Cependant après
de l’abondance ou des calamités publi­ les plus grands crimes, on n’oseroit l’exi­
ques , de la licence ou de la discipline des ger des grands : leurs plus légères démar­
mœurs, des artifices et des passions hu­ ches de rel igion son t accom pagnées d’éloges
maines; des abus ou impunis ou autorisés; si pompeux, qu’on les donneroit à peine
des vertus ou négligées ou peut-être per­ à la piété la plus consommée : ils sont des
sécutées ; des grâces ou accordées au modèles de vertus , le moment après qu’ils
vice ou refusées au mérite ! Grand Dieu! ont cessé de l’être du vice et delà licence.
vous ne rejetez pas les grands et les puis- Aussi , comme le disoit saint Ambroise
sans, puisque vous les avez établis vous- au grand Théodose, les siècles passés ont
même , et qu’ils tiennent leur puissance vu beaucoup de princes pécheurs assis sur
de vous seul ; mais que les grandes places le trône; mais ils n’y ont presque vu qu’un
sont de grands écueils pour le salut. seul David pénitent. Combien de fois, dans
Plein de ces vues de la foi, le saint roi les calamités publiques qui affligeoient le
gémissoit sans cesse sous le poids de la royaume, cette ville régnante vit —elle
couronne et sous la multiplicité de ses notre saint roi traverser les rues; couvert
soins et de ses devoirs.il n’étoit pas ébloui de cendres et de cilice, aller implorer pu­
de l’écl-at qui environne le trône; il étoit bliquement dans nos temples le secours
effrayé des sollicitudes et des obligations du Ciel ; s’offrir 1 ui-même , à l’exemple de
immenses cachées sous cet éclat trompeur. David, comme une victime de propitiation
pour tout son peuple ; se reconnoitre seul
POUR le JOUR DE SAINT LOUIS. 2 39
coupable des malheurs publics; et comme publics sur les peuples; et c’est le peuple
ce prince, dire au Seigneur : Détournez seul qui souffre de ces châtimens publics:
sui moi seul, o mon Dieu , Je glaive de vous vous servez même tous les jours de
voiie fureur et de votre colère : épargnez l’excuse des calamités publiques pour di­
ce peuple que vous avez choisi , qui vous minuer vos largesses et vous dispenser
connoit et qui vous adore, et dont peut- de les soulager : vos jeux, vos tables, vos
etre tout le crime, à vos yeux, est d’avoir »rofusions , vos plaisirs n’y perdent rien ;
«n prince que vous avez comblé de fa­ Îes devoirs seuls de la miséricorde sont
veurs , et qui ne vous en est pas plus fidèle : retranchés : vous êtes les seuls coupables ,
Vertatur, obsecro, manus tua conira me : et les pauvres seuls sont punis : votre
e^°. sum peccavi ; isii qui ores suni, crime devient votre excuse ; les calamités
quid fecerunt? (2 Reg. 23. r7.) publiques qui sont toujours la peine de
Etau fond, mes Frères , ces sentimens vos dissolutions, et qui dévroient être le
humbles dans la bouche de saint Louis , juste sujet de vos larmes et de vos lar­
ne seroient que les dispositions les plus gesses , le deviennent de votre dureté et
légitimés des personnes élevées. Les mal­ de votre barbarie. Vous avez attiré l’in­
heurs des peuples sont presque toujours dignation de Dieu sur son peuple par
une suite des crimes des grands. Oui, mes l’usage criminel des biens dont il vous a
Frères; le peuple simple adore encore le comblés : vous rallumez sa foudre en les
Dieu de ses pères avec une foi humble et refusant aux malheureux qu’il ne frappe
une conscience sincère ; la religion n’est que pour vous donner occasion de l’ap-
presque plus que pour lui : c’est parmi paiser en les soulageant. Malheur à vous,
ies grands et les puissans que la religion qui après avoir abusé des grâces du Ciel ,
devient un problème ; que la foi passe abusez encore de ses châtimens , et qui
pour crédulité; que l’impiété n’a sou­ également insensibles aux démarches d’un
vent d autre frein que la bienséance ou Dieu ou bienfaisant ou sévère , trouvez
la sévérité réîigieuse du maître ; que la partout ou l’occasion de vos crimes, ou le
volupté ne connoit pas même les bornes prétexte de votre impénitence.
saciees de la nature et de l’humanité; et Du moins, mes Frères, vous devez
que l’ennui et la satiété qui suit les plai­ l’exemple aux peuples, quand même vous
sirs, est le partage des plus vertueux et trouveriez des prétextes pour vous dis­
des plus sages. Cependant, mes Frères, penser de la réparation des maux publics
cest vous seuls qui attirez lés châtimens qui les affligent; dernier motif de vertu
&6o POUR LE JOUR
Ï)E SAINT LOUIS. û6î
que le saint roi trouva dans la dignité
dans la frugalité de sa table, il nous ap-
souveraine. En effet, les exemples des
prenoit que l’usage n’est une loi que pour
grands décident presque toujours des ceux qui l’aiment, et que ce sonL les pas­
mœurs publiques : les hommes aiment les sions des hommes, et non leur rang et
grands modèles ; et par une vanité natu­ leurs dignités, qui ont rendu le luxe et les
relle que chacun trouve en soi, on croit
profusions nécessaires. De plus , plein
en copiant leurs mœurs, entrer en part de d’une noble fierté quand il s’agissoit de
leur grandeur et de leur naissance : le
soutenir les droits de l’empire, de rame­
peuple surtout, qui n’est pas capable de ner au devoir des sujets rebelles, ou de
se faire des régies, cherche des exemples;
faire respecter à des vainqueurs barbares
et comme les grands lui paroissent les la majesté de son rang; on le voyoit au
plus dignes d’envie, ils sont aussi ceux qui sortir de là, tantôt porter au pied des
lui semblent les plus dignes d’imitation.
autels la compoction et l’humilité d’un
Ajoutez à ce désir qu’inspire la nature , pénitent; tantôt abaisser aux pieds des
les motifs étrangers de complaisance, de pauvres , qu’il servoit presque tous les
crainte , de fortune , qui donnent aux jours de ses mains, la majesté royale;
grands tant d’imitateurs, et qui rendent tantôt ensevelir lui-même au milieu de
si dangereux, ou si utiles, les exemples la contagion et de la défaite de son ar­
de ceux à qui on a intérêt de plaire. mée , les soldats morts pour la gloire de
Plus donc on est exposé aux regards Jésus-Christ , animer les siens par son
publics, plus on doit à son rang le spec­ exemple , et malgré l’odeur de mort que
tacle d’une vie pure et irrépréhensible. l’air corrompu par la puanteur des corps,
Aussi on admire encore aujourd'hui dans répandoit à l’entour, et l’horreur du spec­
saintLouis toutes les qualités d’un grand tacle , aimer mieux exposer sa personne à
roi , jointes à toutes les vertus d'un sim­ cette infection mortelle, que laisser expo­
ple fidèle. Plus magnifique que tous les sés à l’insulte des infidèles des corps consa­
princes de son siècle, dans les occasions crés par la grâce du baptême et par la gloire
ou la dignité du trône le demandoit, il de s’être dévoués à la mort pour l’honneur
savoit reprendre ensuite cette simplicité de la religion. Exemple d’autant plus rare ,
chrétienne dont les grands ne sont pas que les grands ne croient être nés que pour
dispensés; et en surpassant même ses su­ eux-mêmes ; que le bonheur et l’intérêt des
jets , comme le.remarque l’historien de sa peuples n’est compté pour rien, dès qu’il
vie, dans la simplicité de ses habits et leur en doit coûter un seul plaisir ; qu’ils re­
2&2 FOUR t E JOUR DE SAINT LOUIS. 2.65
gardent le reste des hommes comme des. une Eglise domestique; et cette demeure
créatures d’uneautre espèce,etfaitesseule- superbe des rois , où se forment toutes les
ment pour servir à leurs passions ou à leurs passions, et d’où elles se répandent en­
caprices; et que loin d’être les victimes suite sur toute la terre, n’étoit plus que
du bien public, le public est d’ordinaire le séjour de l’innocence où le Seigneur
la victime de leurs cupidités injustes. étoit invoqué, et d’où couloient sur tout
Ici, mes Frères , si la brièveté d’un dis­ le royaume des sources de vie et de vertu.
cours le permettoit, après vous avoir re­ C est ainsi que ses exemples , autant
présenté saint Louis comme l’exemple de que ses instructions, inspiraient de bonne
ses peuples et le modèle des rois , il fau­ heure la crainte de Dieu à Philippe son
drait nous renfermer dans l’enceinte de fils aîné, et aux autres princesses enfans.
ses devoirs domestiques, et le considérer Qu on lit encore avec un saint respect
comme le modèle des pères de famille.Et pour ce pieux roi, mes Frères, les soins
ou il vouloit bien entrer lui - même pour
certes, mes Frères, il est plus aisé, ce
leur éducation! les assemblant tous les
semble , de remplir avec fidélité les de­
voirs publics où l’on est comme soutenu soirs auprès de sa personne ; étudiant dans
par l’éclat de ses actions même, mais c’est la naïveté de leurs discours leurs inclina­
dans la pratique constante de ces devoirs tions naissantes , ou pour les redresser
lorsqu elles paroissoient dangereuses , ou
obscurs et ordinaires, où l’on est moins
pour les cultiver lorsqu’elles éloient loua­
en garde contre soi—même, que la vertu bles , leur proposant dans l’histoire des
solide parait principalement; et rien n’est
rois leurs ancêtres, ces exemples de vice
plus rare dans la piété des grands surtout, et de vertu, et en leur faisant remarquer
plus dominés par les inégalités de l’hu­ les destinées différentes des bons et des
meur que les autres hommes, que de sou­ mechans princes , le bonheur ou le mal-
tenir avec dignité cette partie obscure
leur de leur règne, et les blâmes ou les
de leur vie qui est toute cachée aux yeux
du public, et renfermée dans le devoir ouanges que la postérité, toujours équi—
able donnera jusqu’à la fin à leur mé­
domestique.
moire; les animant par ces grands motifs
Cependant les soins d’un vaste royaume a imiter les qualités louables et bienfai­
n’empêchèrent jamais le saint roi d’offrir santes des uns, et à éviter les vices et les
tous les jours au Seigneur, à la tête de sa
aules des autres. On aime assez , je l’a-
famille royale, des vœux communs et des
voue, mes Frères , à donner à des enfans
prières ferventes. Son palais étoit devenu
è64 POUR LE JOUR
Dï SAINT LOUIS. 2&3
des leçons de vertu et de probité : on se et marche encore contre les infidèles, suivi
fait honneur même de leur débiter les ma­ de ses princes et de ses troupes : il aborde
ximes les plus sévères et les plus héroï­ de cesqUe’^rSU?déqUe’ S>iI Peut chasser
ques de la sagesse. Mais la conduite do­ Chrbu CO"trees les ennemis de Jésus-
mestique sourient mal le faste et la va­
des e’„v c •Ct°nqUêtJe ki facilitera cede
nité de ces instructions : on leur propose
Ldôi' saints, et de cette terre, dont
les vertus de leurs ancêtres , et on affoi-
etde in'n"“ Y?1'* to“iours fail k P«°b-
blit, en les démentant soi - même par des
mœurs opposées, l’impression qu’auroitpu S ¡l Yîn .“'""P" passer le Jour-
faire le souvenir de ces anciens modèles. f 1 - H salue de loin, comme lui cette
Ainsi, loin de leur inspirer les sentimens terre heureuse promise à sa postérité- H
de vertu par ces instructions contredites l’esXncT’nu deMoyse, dans
par nos exemples, nous les accoutumons rnîf t c q ses successeurs établi—
à penser de bonne heure que la vertu
n’est qu’un nom ; que les maximes qu’on dans son hérhange°Uet DÎCU
ennemis du ¿éX’ur Tem “T'“1*
nous en débite, ne. sont qu’un langage et
une façon de parler qui a passé des pè­ terre étrangère lft l'f mcu,'srdans celle
. . tgeie , ait-il a ses enfans et hit
res aux enfans, mais que l’usage a tou­ SeT de ntnrde? comme
jours contredit; et qu’enfm ceux qui en ift fws M°yse sur le point de sa mort ■
ont paru dans tous les temps les plus zélés
défenseurs , ont toujours été au fond sem­ de'i;wt8|nei,r rei“S.e Sans doule 4 mes inii-
blables au reste des hommes. ln de d consolation que i'avois tant sou-
Tel fut le saint roi, dont je n’ai fait aitee de délivrer son héritage : Non Iran-
qu’abréger l’histoire, persuadé que le sim­
ple récit de sa vie étoit un parfait éloge et au ne’unlf d "n?2’ el,cel.le terre promise
une excellente instruction. Une terre infi­ co-éui 1 d'.P1'?’ devIendra enfin la
dèle reçut ses derniers soupirs. Les mal­ mon lr*e l es heritiers de mon sang et de
heurs de sa première expédition dans la 2 ï rrân '■ “■ 'r“nSil,i,iS ’ C'P^UM-
Palestine, n’avoient pu ralentir son zèle; linam egregiam.
déjà cassé, moins par les infirmités d’un si ’ ?°nServez dpnc à Ia France une
âge avancé, par les fatigues de ses voya­ na • et S1 auguste postérité' Faites
ges et de ses guerres, que par les austé­
rités d’une vie dure et pénitente, il part
2QS pour le jour
et sa couronne, toutes íes vertus qui ren­ xou r
dirent son noin si respectable à ses voi­ ces-rVnT ’ "T Freres’ instruits dans
ces rands exemples, ne rougissez plus de
sins , et son règne si heureux à ses peu­ la piete comme d’une faiblesse. Souvenez-
ples ! Donnez toujours votre justice et vo­ vous que c est le plus haut ;nf de , ¡Z
tre jugement aux enfans de ce saint roi ; donne rf,?e '"T qu'elle*! el U
rendez-les saints, et vous les rendrez donne du prix et une véritable grandeur
grands ! TN’en faites pas les vainqueurs des a nos actions; que sans ejle j . d
provinces et des royaumes; faites - en les S™" son, pe«ts et P
pères de leurs peuples ! les conquêtes les elle les plus petlts et les plàs obscurs Â
plus éclatantes ébranlent souvent le trône
où est assis le conquérant; et l’amour de
ses sujets l'affermit toujours. Ecoutez les nous faisons pour le ¿„læ’ qUe-Ce 9ue
vœux surtout que nous vous offrons tous souhaite, etc. ’ qUe Je vous
les jours pour le plus grand de ses succes­
seurs , pour qui nous n avons plus lien a Ainsi soii-il.
désirer, qu’un règne aussi long et aussi
saint , qu’il a été jusqu’ici glorieux! Se­
condez ses pieux desseins, éclairez la droi­
ture et la sainteté de ses intentions j mon­
trez-lui vous - meme vos voies , puisqu’il
les cherche de bonne foi, et que son désir
le plus vif et le plus marqué est de les
connoilre ! Et soyez béni a jamais , Sei­
gneur, de ce que vous avez voulu enfin
sanctifier la prospérité de son régné j faite
servir sa gloire à son salut embelhr son
histoire, déjà pleine de tant de prouiges,
des actions de la foi, plus durables et plus
immortelles que les victoires et les con­
quêtes, et combler toutes les grâces dont
vous l’aviez favorisé jusqu’ici par la plus
grande de toutes , je veux dire , par une
piété tendre et sincère.
M 2
tour le jour, etc. 269
et confondant par sa pureté et par son
innocence les excès et les dérèglemens qui
SERMON l’environnent. Mais , comme les Justes
sont rares sur la terre, il est peu de Fidè­
POUR LE JOUR
les qui aient conservé le droit de défen­
dre la vérité. Il faut la connoîire , et pres­
que toupies hommes l’ignorent; il faut
DE SAINT ÉTIENNE. 1 aimer, et tous cherchent bien moins les
interets de la vérité que leur intérêt pro­
pre;, enfin., il faut aimer ses frères; et la
charité qui nous unit à eux, est presque
Et non poterant resistere sapientiæ , et Spiritui <jui
plus rare que la vérité., qui nous décou­
loquebatur.
vre en eux les titres qui nous les rendent
Et ils ne pouvaient résister k la sagesse et à TEsprit aimables.
qui parlait en lui. Aet. 6. 10. . Et voilà», mes Frères, les trois grandes
instructions que. nous fournit aujourd’hui
la solennité du saint martyr, dont je viens
vous proposer les exemples plutôt que
Tout Chrétien est établi par le baptê­ louer les vertus. La vérité n’eut jamais de
me , témoin et défenseur de la vérité. plus zélé défenseur, parce qu’elle ne trou­
C’est un dépôt sacré que l’Eglise , en nous va jamais tant de lumières, tant de force,
régénérant, nousmetenlre les mains; que tant de charité : il eut pour elle un amour
nous sommes obligés de conserver dans ce éclairé, un amour intrépide, un amour ten­
lieu d’erreurs et de ténèbres , et de. dé­ dre et compatissant. Pour nous, ou nous n’ai­
fendre contre toutes les fausses maximes mons pas la vérité, parce que nos passions
que le monde ne cesse de lui opposer. nous empêchent de la connoître ; ou la
C’est là une des principales fonctions du connoissant, nous n’osons nous en décla­
Juste : il doit briller au milieu du monde, rer les défenseurs , parce que nous crai­
selon l’expression de l’Apôtre, comme un gnons plus le monde que nous n’aimons *
astre toujours luisant, dissipant par l’é­ la vérité; enfin, ou la défendant, il en­
clat de ses lumières les ténèbres que les tre dans notre zèle moins d’amour pour la
passions répandent parmi les hommes, re­ venté , que de haine contre ceux qui l’at­
dressant par la majesté de sa course tant taquent. Implorons, etc. z/cc, Maria, etc.
de voies obliques dont le monde est plein, 3U 3
270 roun IE JOUE DE SAINT ÉTIENNE. 271
décharger d’une partie de leur ministère,
première partie. et se les associer, comme autrefois Moyse,
à la construction du tabernacle saint et
Les trois sources cîe lumière sont l’in­ à la formation de l’Eglise , Etienne a le
nocence de la vie , le désir de s’instruire, premier honneur du choix, et paroît à la
la pureté de l'intention : l’innocence de tête de ces nouveaux ministres. Quelle
la vie , parce qu’un cœur corrompu nous gloire ! mes Frères , parmi tant de disci­
cache les vérités qui nous condamnent, et ples tous témoins de la résurrection de Jé­
c’est une ignorance de corruption; le dé­ sus-Christ, tous remplis des dons de l’Es­
sir de s instruire , parce que la vérité ne prit-Saint depuis peu répandu sur eux , la
se montre pas à ceux qui ne la cherchent plupart compagnons des courses et des
pas, et c’est une ingorance de paresse; travaux de leur divin Maître; tous dépo­
enfin la pureté de l’intention , parce que sitaires de sa puissance, marchant sur ses
ce n’est pas chercher la vérité , dit saint pas , et chassant les esprits immondes :
Augustin, que de la chercher*pour quel- parmi ces hommes les fondateurs de la
qu’autre chose que pour elle - meme, et foi, les conquérans des peuples, les pre­
c’est une ignorance de malice. Or, c’est mières colonnes des églises, qu’on prend
sur ces-trois grandes dispositions, que no­ pour des Dieux et qui servent déjà de
ire saint martyr va nous servir aujour­ spectacle au ciel et à la terre , Etienne
d’hui de modèle. est préféré; et au milieu de tant de lu­
L’innocence de ses mœurs fut la pre­ mières ce nouvel astre brille et se fait re­
mière source de ses lumières. Il apporta marquer, comme s’il paroissoit tout seul
à la connoissance de Jésus-Christ un cœur au milieu d’une nuit profonde.
pur, line jeunesse sainte, un esprit pré­ . Ainsi Etienne se prépara à devenir mi­
servé de la corruption , une heureuse igno­ nistre de la vérité en dégageant de bonne
rance de tous les dérèglemens qui souil­ heure son cœur de toutes les passions qui
lent dordinaire les premières mœurs, et nous la cachent. Car, mes Frères, d’où
le premier usage que nous faisons de la viennent tant de fausses maximes que nous
vie. nous faisons tous les jours sur nos devoirs
Aussi le nombre des Fidèles croissant, les plus inconstestables et les plus essen­
et les Apôtres partagés par trop de soins’ tiels? D’où viennent tant de ténèbres que
cherchant des hommes pleins de foi et de nous répandons sur la plupart des obliga­
jEsput de Dieu, sur qui ils pussent se tions de la vie chrétiennne , ou pour les
M 4
272 ÏOUB LE JOUR
de saint etienne. 273
adoucir, ou pour îes combattre ? D’où voile même qui la lui cache; c’est que nos
vient que nous ne convenons presque ja­
umieres ne sont pures que lorsque notre
mais des vérités qui nous condamnent ; et cœur 1 est aussi ; c’est qu’il faut commen­
que de tant de pécheurs dont le inonde est
cer par rompre nos attachemens , pour
plein, iJ n’en est presque pas un seul oui parvenir a connoîlre nos devoirs; c’est que
ne se justifie à lui-même ses propres voies, a vente est le fruit de la pureté et de l’in­
ou qui du moins ne les envisage que par nocence. De là vient que chaque pécheur
les endroits qui en diminuen t à ses propres
yeux la honte et l’injustice ? D’où vient vodl116/^ tra"cluil,e dans son état; qu’il
Je danger des autres passions, et qu’il
que J impudique n’est presque point frap­ es aveugle sur le précipite qu’il s’ecXe
pe ue son ignominie, et de sa foihlesse? a lui-meme. De la vient que l’ambitieux
Que le vindicatif trouve sa gloire dans sa
confusion même ? Que l’injuste ne voit cuntTet d V° Upté COmnîe Une vie d’obs-
cunte et de paresse; que le voluptueux ne
dans 1 iniquité de son gain et de ses profits, voit dans/’ambition qu’une fureur insen­
que son bonheur et son adresse ? Que l’a­ sée qui fait que nous devenons les martyrs
vare , au milieu de tant de misères qui ac­ de nos propres chimères : en un mot que
cablent ses frères, prend dans les mal­ chacun vmt lom ¿e kli jes pJ,
heurs memes des temps , des prétextes Domgaident'PiS’ et qu'on n a p°int d’yeux
pour se justifier sa dureté et sa barbarie? pour ceux où l’on tombe soi-même. *
Que lame mondaine regarde son ivresse Mais ce n est pas encore assez d’appor­
et ses dissipations comme le privilège de ter a la connoissance de la vérité un cœur
son âge ou de son état, et la condition pur; il faut ajouter à cette première dis
necessaire de la vie humaine ? D’où vient Position un désir sincère de la connoiie'
que dans ces chaires chrétiennes, loin d’an­ L.innocence d Etienne lui fraya les nrei
noncer ¡Evangile, nous ne sommes pres­ fueres voies à la connoissance de Jésus-
que plus occupes qu’à le justifier ? Que nst; mais il n’en demeura pas là.Mal-
m?llevC'°"id'amueretde,’uSer le m°nde hre les préjugés de son peuple contre la
P- c veille, il faut défendre la vérité doc et la personne du Sauveur; maí
Q,'“V “ -I-e "»ire ministère qui gre les bruits injurieux que les Pharisiens
nest établi que pour inspirer la vertu epandoient contre la sainteté de ses œu­
ne sert presque plus qu’à empêcher qu’on vres et la vérité de son ministère; malgré
ne la confonde avec le vice ? C’est que
d’êi°nte attacbée à la Professionpublique
laque pecheur trouve dans sa passion le nombre de ses diS£ip|esQ"S
H/T S D
*

9.7 k POUR LE JOUR DE SAINT ¿TIENNE. 27b


les mépris mêmes dont on étoit menace en gardons comme outré ; tout ce qui ne fa­
s’attachant à ses maximes et à l’espérance vorise ’pas les préjugés de nos passions ,
de ses promesses : Etienne cherche la lu­ nous le traitons de scrupule et de peti­
mière qui commence déjà à se montrer à tesse ; tout ce qui combat ce que nous
lui ; il soupire, comme les patriarches ses aimons , nous paroit les opinions des hom­
ancêtres, après le libérateur dont il sent mes plutôt que les décisions de la vérité;
l’approche; il en étudie dans Jésus-Christ tout ce qui nous découvre à nous-mêmes,
les marques et les caractères prédits dans nous le prenons pour une censure et non
les prophètes; il les découvre dans ses pas pour une instruction : ce n’est pas
œuvres et dans sa doctrine ; et la connois- assez pour nous de vivre dans l’erreur
sance de la vérité est en lui le prix du nous voulons que ce que nous aimons’,
désir sincère qu’il avoit toujours eu de la comme dit saint Augustin, devienne la
connoitre. vente Ainsi la chaire chrétienne , loin de
Pour nous, mes Frères, nous vivons nous détromper, nous aigrit et nous ré­
dans une ignorance profonde de nos de­ volte ; , nous la regardons comme un art
voirs, parce que nous ne voulons pas nous d’exagération et d’hyperbole; nous oppo­
en instruire. Nous fuyons tout ce qui p'our- sons nos propres lumières à la lumière
roil éclaircir nos erreurs et dissiper nos de Dieu ; nous contestons contre les déci­
ténèbres ; nous sommes ravis de pouvoir sions de l’Evangile, comme si l’on pou-
nous faire une conscience tranquille dans voit en appeler de Jésus-Christ à nous-
nos égaremens; nous aimons cette fausse mêmes , comme si. le monde pouvoit justi­
paix qui est le fruit de notre aveuglement fier ce que le Seigneur condamne. Ainsi
et de nos méprises; nous fuyons tout ce tout nous affermit dans nos erreurs : la
qui pourroit en troubler la fausse dou­ lumière même destinée à nous éclairer
ceur , nous sommes habiles à nous dérobef nous égare et nous aveugle ; les remèdes
à la lumière qui, malgré nous, nous pour­ qui auroient dû nous guérir, sont pour
suit et nous éclaire; nous nous faisons de nous de nouvelles plaies ; les ministres
fausses raisons pour en infirmer la vérité, établis dans l’Eglisç pour notre sancti­
et nous les regardons, selon fexpression fication , coopèrent à notre perle : et par
de Job, comme le mensonge et l’ombre une juste permission de Dieu qui permet
de la mort : Et si subito apparuerit aurora, toujours que la vérité devienne une occa­
arbitrantur umbram mortis. (Job. 24. 17J sion d’erreur à ceux qui ne veulent pas la
Tout ce qui nous condamne , nous lé re­ connoitre, nous trouyonsla mort et les
M 6
POUR UE JOUR DE SAINT ÉTIENNE. 277
ténèbres , où nous aurions dû trouver la trouvé, et que c’étoit le perdre, que de
vie et la lumière. se proposer, en le cherchant, quelqu’autre
Enfin -, la pureté de l’intention fut la chose que lui-même.
dernière disposition qui prépara Etienne Quelle instruction , mes Frères, pour
à la connoissance de Jésus-Christ. Il ne se la plupart de ceux qui m’écoutent! Nous
proposa dans la recherche de la vérité mêlons presque toujours à la recherche
que le bonheur de la connoitre. Des inté­ de la vérité des intérêts humains et des
rêts humains ne l’attachèrent point à Jé­ vues basses et rampantes : le salut éternel
sus-Christ; il savoit que les persécutions tout seul ne paroît pas un prix assez digne
et les opprobres étoient la récompense de nos soins et de nos démarches : Dieu
qu’il avoit promise ici-bas à ses disciples. lui-même, ne nous suffit pas ; il faut que
Il n’y chercha ni une vaine distinction, le monde , que les hommes, que la terre
puisque son élévation au ministère fut le remplacent à notre égard ce que nous
prix de sa modestie et de son innocence; ne croyons pas trouver en lui. Tous pres­
ni les premières places dans le royaume que.cherchent leurs intérêts, plutôt que
de son Maître, puisqu’il avoit déjà appris les intérêts de Jésus-Christ : je dis leurs
de sa divine bouche que le dernier de ses intérêts; une vaine réputation , les pre­
disciples seroit le premier; ni les louanges mières places dans un royaume terrestre,
frivoles des hommes, puisqu’il s’exposoit la gloire frivole de plaire aux hommes
par là à leurs dérisions et à leurs censu­ presque toujours incompatible avec la
res; ni une vie plus douce et plus tran­ gloire d’être serviteur de Jésus-Christ,
quille , puisqu’on ne lui avoit annoncé l’honneur de la vertu plutôt que la vertu
que la faim , la soif, la pauvreté , des tra­ même : que dirai-je? souvent le désir
vaux et des peines; ni la gloire même d’o­ secret d’affoiblir ou de combattre la vérité
pérer des prodiges comme le sacrilège en faisant semblant de chercher à la con­
Simon, puisqu’il avoit même appris que noitre : voilà , mes Frères , les intentions
tous ceux qui auroient opéré de grands souillées que la plupart des hommes ap­
miracles, ne seroient pas pour cela mis portent à la recherche de la vérité et de
au nombre des disciples de son divin Maî­ la vertu.
tre. Il chercha Jésus-Christ pour Jésus- Les uns ne se déclarent pour Jésus-
Christ lui-même ; il comprit qu’en lui Christ que parce que le monde les aban­
étoient tous les trésors de la science et donne : ils regardent la vertu comme la
de la sagesse ; que le trouvant il avoit tout ressource des passions et la bienséance
278 POUR Ï,E JOUR DE SAINT ÉTIENNE. 27g
du dernier âge ; ils aitendent de n’étre hommes corrompus dans l’esprit et dans
plus propres au monde et a ses plaisirs, le cœur, dit l’Apôtre, qui ne cherchent
pour être propres au royaume de Dieu dans la doctrine de la religion que les
et à sa justice ; ils couvrent des apparences endroits qui peuvent la leur rendre sus­
de la religion les prétextes d’une vie cri­ pecte ; qui ne lisent les divines Ecritures
minelle et mondaine ; et ne pouvant plus que pour y trouver de quoi en afFoiblir
se faire un amusement du vice, ils se l’autorité et l’évidence; qui n’étudient
font un art de la vertu. curieusement la sainteté de nos mystères,
Les autres regardent la piété comme un que pour en faire le sujet de leurs doutes
gain : iis font servir les dons du ciel aux et de, leurs blasphèmes ; qui ne veulent
espérances de la terre ; ils cherchent le être instruits que pour résister à la lu­
monde en faisant semblant dy renoncer; mière , et qui font servir la vérité d’oc­
ils veulent plaire aux hommes en se don­ casion à leur aveuglement et à leurs ténè­
nant à Dieu; et, après avoir épuisé, pour bres. Ainsi, mes Frères, il n’est presque
parvenir a leurs fins, toutes les ressources plus de foi sur la terre, et la vérité se
criminelles des passions, ils y font servir montre à peu de Fidèles, parce qu’d en
la vertu même. est peu qui apportent à sa recherche,
Il en est qui ne se proposent dans la comme Etienne , un cœur pur, un désir
piété que le délassement des inquiétudes sincère de la connoître , et une intention
du ciime ; ils sont fatigues de leurs pas­ droite qui ne se propose qu’elle-même.
sions , et non pas touchés de la vertu ; Mais non-seulement la vérité trouva dans
ils sentent le poids du dérèglement, mais ce saint martyr un défenseur éclairé ; elle
n’ont pas d’horreur de leurs fautes; ils y trouva encore un défenseur intrépide.
veulent finir leurs agitations, et non pas
commencer leur pénitence; iis cherchent SECONDE PARTIE.
à se mettre en paix avec eux-mêmes plu­
tôt qu’avec Dieu; ils désirent de calmer Trois défauts sont opposés à cette fer­
leur cœur, et non pas de le purifier, et meté chrétienne qui oblige tout Fidèle
n’ayant pu trouver un repos humain dans d’être le défenseur.intrépide de la vérité.
le crime, ils le cherchent dans la vertu. Premièrement, la crainte des hommes,
Enfin, il s’en trouve encore qui ne qui malgré nos propres lumières, fait que
s’instruisent de la vérité qu’à dessein d’y nous nous déclarons contre elle; secon­
trouver des armes pour la combattre : des dement, la prudence de la chair, qui fait
2Î?0 roun IE JOUR
DE SAINT ÉTIENNE. 2$ I
que la connoissant, nous gardons un si­
lence criminel, et n’osons tout haut en ou la sauver éternellement; il voit avec
piendre la defense; enfin une fausse com­ une sainte douleur l’aveuglement de son
peuple contre Jésus - Christ ; l’exemple
plaisance, qui voulant allier la vérité et
le mensonge, l’altère et l’adoucit, et commun, loin de l’ébranler, l’affermit et
le fortifie ; il tire de l’erreur publique
cheiche à plaire aux hommes aux dépens
de nouveaux motifs de fidélité et de pré­
de la vérité et de la conscience. Or, l’his­
voyance. Il n’a pas oublié que selon la
toire du saint martyr que nous honorons doctrine de son divin Maître, le parti de
aujouid hui , nous offre des instructions la multitude n’est presque jamais celui de
et des vertus très-opposces à ces trois la vérité; que le monde ne sauroit aimer
défauts.
Jesus-Christ; que les persécutions et les
Et premièrement, quoique le pasteur opprobres sont les caractères les mieux
frappé, les hrehis lussent dispersées ; quoi­ marqués de son Evangile , et que la voie
que la fureur d’Hérode, la malice des qu’il nous a montrée , est trop étroite et
prêtres, la superstition du peuple, lais­ trop difficile pour être jamais la voie du
sassent tout a craindre pour les nouveaux plus grand nombre.
disciples; quoique la plupart de ceux qui Et voilà, mes Frères, ce qui confond
avoient été témoins et participans meme notre peu de foi , et condamne notre
des prodiges de Jésus-Christ , de peur lâcheté dans toute la conduite de notre
d’etre enveloppés dans sa condamnation, vie. Nous respectons les décisions du
se rangeassent du côté de ses ennemis, et monde ; ce que la multitude approuve ,
répandissent avec eux des opprobres et nous l’approuvons; ce que l’exemple com­
des calomnies contre sa mémoire ; quel­ mun autorise, nous y donnons nos ap—
que prix que l’envie des Juifs attachât plaudissemens et nos suffrages : les erreurs
alors à la lâcheté de ceux qui se décla- publiques nous sont plus chères que la
roient contre le Sauveur, Etienne persé- vérité; nous n’osons contredire le langage
veie dans la fidélité qu’il lui a jurée: commun du monde et des passions; nous
il ne se laisse point ébranler comme craignons la singularité comme une vice,
Pierre, ni corrompre comme Judas. Ega­ elle qui forme le trait le plus éclatant des
lement insensible aux promesses et aux disciples de Jésus-Christ. En vain la grâce
menaces des hommes qui périssent avec nous éclaire en secret, et nous découvre
eux , il ne craint que celui qui demeure les illusions du monde et de ses maximes;
toujours, et qui seul peut perdre i’ame en vain, une éducation chrétienne et un
2.SZ POTJR LE JOUE DE SAINT ÉTIENNE.
naturel heureux, ont laissé en nous des tôt une vaine indolence qui fait que la
semences de vérité qui nous marquent le vérité nous est presqu’aussi indifférente
faux et le danger des voies que la plupart que le mensonge ; tantôt une ivresse et
des hommes suivent ; en vain notre cons­ une mauvaise foi qui cherche à s’étouidir
cience d’intelligence avec la loi de Dieu, dans ses égaremens, débitant des maximes
nous dicte tout bas les maximes de la vie fiue ?’on con<lamne tout bas soi-même;
eternelle;nous parlons comme le monde, tantôt une fausse vertu de société qui aime
quoique nous ne pensions pas comme lui: mieux applaudirai! mensonge que prendre
nous tournons comme lui la vérité en la défense de la vérité incommode ; tantôt
ridicule, quoiqu’au fond nous en sentions un bon air qu’on trouve à parler comme
le prix et l’excellence; nous donnons de ceux que le monde applaudit : enfin,
vaines louanges à des passions dont nous presque partout nous nous déclarons pour
connoissons en secret le frivole et la folie : Je monde contre Jésus-Christ ; loin d’être
nous pallions des abus dont l’injustice ne ses témoins fidèles parmi les hommes ,
nous est pas douteuse; nous approuvons nous nous joignons avec eux contre lui.
des plaisirs que notre conscience con­ Nous louons dans nos amis comme des
damne ; nous faisons tous les jours l’apo­ ver lus , des defauts que la loi de Dieu con­
logie des maximes du monde, tandis que damne , nous adhérons à leurs erreurs,
notre cœur contredit en secret nos déci­ et nous aidons à les rendre plus inexcu­
sions; nous ne faisons pas d’autre usage sables; nous donnons à leurs passions, les
de la vérité qui se montre à nous , que noms de la justice et de l’équité : nous
de la retenir dans l’injustice : partout appelons leurs vengeances, des ressenti-
presque nous trahissons notre conscience mens équitables; leurs altachemens cri­
et nos sentimens. Nous nous laissons en­ minels , des caractères et des suites d’un
traîner à la multitude; nous n’osons être cœur tendre et fidèle; leurs dérèglemens
tout seuls de notre côté; nous craignons honteux , des loiblesses pardonnables ;
la singularité de la vertu et de la vérité, leurs profusions insensées , des penchans
comme un ridicule qui nous couvriroit de 1 5\u.ne aiye noble et généreuse; leur am­
honte. Toute notre vie est un outrage con­ bition démesurée, une élévation d’esprit
tinuel que nous faisons à la vérité : tantôt et de coeur; leur avarice sordide, une sage
la complaisance pour nos supérieurs; tan­ économie ; leur médisance cruelle, une
tôt la foiblesse pour nos amis; tantôt la aimable vivacité; la fureur du jeu qui les
crainte des dérisions et des censures; tan- possédé , un délassement nécessaire. En
jeS4 pour le jour de saint Étienne. 285
un mot, il est rare que nous prenions sur silence criminel , et n’osons tout haut
nous les intérêts de la vérité; vifs, fiers, en prendre la défense. En effet, il ne
intraitables, quand il s’agit de nos pas­ suffit pas de ne se point déclarer pour
sions; nous devenons lâches, timides, le monde contre Jésus-Christ, et de gar­
rampans , dès qu’il ne s’agit plus que de der, pour ainsi dire , une manière de neu­
la vérité : nous ne connoissons point cette tralité entre l’un et l’autre; il faut encore
sainte fierté, cette droiture de cœur, cette confesser tout haut Jésus-Christ, sans mé­
haute magnanimité, celte noble simpli­ nagement et sans honte ; qui n’est pas
cité si respectée même dans le monde , avec lui, est contre lui; et n’oser se dé­
dont les premiers disciples de la foi nous clarer son disciple, c’est être son persé­
ont laissé de si grands exemples , et qui a cuteur et son adversaire. Or, c’est encore
toujours été le caractère des âmes fidèles. ici que la fermeté d’Etienne nous instruit
Nous vivons pour les hommes; nous ne et nous condamne. Que de vains pré­
vivons pas pour Dieu et pour nous-mêmes: textes n’auroit-il pas pu se former à lui-
nous nous faisons une conscience et une même pour se ménager avec les Juifs par
religion , une humeur , un caractère, un un sage silence, et ne pas leur reprocher
esprit, et un cœur pour eux ; et ils sont encore tout haut leur aveuglement et leur
la fin de toutes nos voies et le motif de crime? le prétexte d’attendre un temps
toutes nos actions, comme s’ils pouvoient plus favorable, et où la vérité auroittrouvé
en être le prix et la récompense : tout ce plus d’accès dans leur esprit; l’incertitude
que nous ne faisons pas pour eux, nous le où il étoit de n’ètre point écouté, et de
comptons comme perdu, comme s’il n’y jeter la pierre précieuse de l’Evangile de­
avoit de réel que ce qui doit périr avec vant des animaux immondes; la crainte
nous; et après plusieurs années, passées d'exciter une persécution contre l’Eglise
sur ce ton , Dieu seul pour qui nous en irritant la fureur des Juifs ; une fausse
devions vivre , se trouve à notre mort le modestie, en se persuadant que les Apô­
seul qui ne sauroit compter pour lui un tres s’étant réservé le ministère de la pa­
seul moment presque de toute notre vie. role , il falloit le leur laisser et se ren­
De second défaut opposé à cette fer­ fermer dans le soin des veuves qu’on lui
meté chrétienne, dont, notre saint martyr avoit confié, et de la distribution des au­
nous fournit aujourd’hui le modèle, est mônes ; l’exemple des autres diacres nou­
cette prudence de la chair qui fait que vellement élus qui ne sorloient point de
connoissant la vérité, nous gardons un leurs fonctions et ne couroient point an-
286 FOUR LE JOUR DE SAINT ¿TIENNE. 287
noncer Jésus-Christ au peuple. Mais le silence, en ne leur opposant qu’un désa­
gepei eux Martyr n écouté pas les vaines veu secret et timide. Nous nous formons
raisons de la chair et du sang. Livré à mille prétextes pour nous justifier à nous-
i impulsion de l’Esprit de Dieu qui le rem­ mêmes notre lâcheté; la crainte de rendre
plit et qui 1 anime, il développe aux la venté odieuse en la rendant trop in­
Juifs l’esprit et les figures de la loi : il commode ; la fausse persuasion que nous
leur découvre Jésus - Christ dans toute ne sommes point chargés delà conscience
1 histoire de leurs ancêtres; il leur mon­ des autres , et que ce n’est pas à nous
tre leur aveuglement' prédit dans les à instruire nos frères; la peur d’éloigner
prophètes ; il leur reproche leur ingra­ nos amis par le contre-temps de nos cen­
titude et 1 oubli des bienfaits dont le sures , ou de nous attirer leurs dérisions
Seigneur les avoit toujours favorisés ; en voulant combattre leurs maximes; en­
il leur annonce que la mesure de leurs fin , tout nous justifie à nous-mêmes notre
indifférence pour la vérité : nous oublions
crimes et de ceux de leurs pères est com­
blée par le sang innocent qu’ils ont ré­ que chacun de nous en particulier en est
pandu ; il leur remet devant les yeux le chargé; que nous devons la vérité à nos
sang de tant de prophètes dont leur ville freres; que nous ne vivons au milieu du
a été souillée, et se sert de leurs propres monde que pour empêcher l’erreur de pré­
valoir contre elle, et conserver à ceux qui
armes pour les attaquer et pour les com­
battre. 1 nous suivront, le langage de la foi et de
la doctrine sainte ; que nous devons luire
Oui, mes Freres, et je parle ici princi­
palement aux personnes touchées de Lieu : comme des astres au milieu d’une nation
nous croyons en être quittes en notre cons­ corrompue, et que cacher la lumière, c’est
être ingrat envers celui qui la répand sur
cience , quand témoins tous les jours de
ae dusses maximes que les mondains nous et qui nous éclaire; que l’amitié
débitent; de tant d illusions sur les règles n’est fondée que sur la vérité ; que ce n’est
point aimer nos amis, que de les voir pé-
et sur les devoirs qu’ils se forment à eux-
memes; de tant de scandales sur lesquels ri1- sans oser leur découvrir du moins le
précipice où ils se jettent, et qu’il faut
ils ne s avisent pas meme d’entrer en scru­
pule : nous croyons, dis-je, avoir satis­ souvent avoir la force de leur déplaire
pour leur devenir plus utile. Hélas ! mes
fait a ce que Dieu demande de nous en Frères , le monde ne craint point de dé­
ne les approuvant pas tout haut, en nous biter tout haut ses erreurs et ses maxi-
renleimant dans la modération d’un lâche
288 TOVR LE JOUR de saint Étienne. 289
nies de mort et de péché ; et nous crai­ nous disons les amis et les disciples, nous
gnons de rendre gloire aux vérités de la trouvent insensibles; et sa gloire qU’on
vie éternelle ? le monde se fait un honneur outrage tous les jours devant nous, ne
insensé de sa doctrine, et nous nous fai­ yèU- u0Íie indl8nai¡on et notre
sons une honte de la doctrine de Jésus- doïb’in I silence, quand on attaque sa
Christ ? Le monde ose tous les jours con­ roí ùn h°nneur de sa loi, nous pa,
tredire le langage de la foi par les illu­ J P^ime necessaire ; et nous crai­
sions qu’il lui oppose, et nous craignons gnons de déplaire à ceux qui ne craignent
de contredire les illusions du inonde par Pas de 1 insulter? O mon Dieu, peut-on
le langage de la foi et du salut? Le monde re a vous, et rougir de vous connoitre ?
s’élève insolemment contre l’Evangile, et core al” 7T 31mer’ vouloir être en­
nous n’osons soutenir l’honneur de l’E­ core aime de ceux qui vous haïssent? et
vangile contre lui? Le monde traite publi­ est-ce point se joindre au inonde contre
quement la doctrine de Jésus-Christ de vous’? qUe dC n °Ser le condamner comme
folie et de toiblesse, et nous avons pour E'iim, mes Frères, la troisième manière
ses folies et pour ses erreurs des égards
qu’il refuse à la vérité? Le inonde ne mé­ b véiiSISé’°iSren,dT CouPables envers
nage point la piété des serviteurs de Dieu, te, c est en 1 adoucissant et en l’ac-
il la méprise, en fait le sujet de ses dé­ P1'é'"5és ei aux f”5si""s
risions et de ses censures ; et la piété des Or 3” n?“5 craignons de déplaire.
serviteurs de Dieu ménage la corruption , cest ici principalement, qu’Etienne
ÏÏS irtre > c°ndainnation<et de'“?
du moude , et n’ose la couvrir de la con­
fusion qui lui est due ? Nous nous faisons • Il auroit pu, ce semble, ménager
une gloire et un devoir de soutenir les avantage les préventions et la délica­
intérêts de nos amis contre ceux qui les tesse des docteurs et des prêtres : il pou.
attaquent : nous nous ferions un crime de voit en apparence, comme GamalielP se
[nous ménager, lorsqu’on noircit devant contenter de leur représenter que si l’œu
vre de l’Evangile étoit l’œuvïe de ¿Feu“
nous leur réputation et leur conduite;
le silence nous paroitroit alors une lâcheté seioit inutile d’entreprendre de le dé’
et une perfidie ; nous ne croyons pas de­ îruir.e’ et que s’il ne l’étoit pas, il ton,
k-od bientôt lu™éme ; ¡1
voir des égards à ceux qui en manquent
devant nous envers ceux que nous aimons, «sis ?h?C, S°rle’ leur envers
et les intérêts de Jésus-Christ dont nous e4SnTupposa"l3“,iuN"'a™“„‘
. nous
2r)O pour le jour
connu ni la divinité de sa mission, ni la précautions, et lui faciliter l’accès dans
vérité de son ministère; il pouvoit adou­ les cœurs où l’on veut la répandre : ce
cir les reproches dont ils méritoient d’ètre n est pas que la vérité soit toujours dure,
chargés pour avoir rejeté le Messie promis impérieuse, et qu’elle cherche plus l’osten­
à leurs pères; il pouvoit leur vanter la tation de la victoire, que le fruit solide
sainteté de la loi de Moyse, et louer le du salut et la gloire de l’utilité : ce n’est
zèle et le respect dont ils faisoient osten­ pas qu’il ne faille être foible avec les foi-
tation pour ses préceptes et pour ses céré­ hles pour les sauver tous ; rendre la vérité
monies : en un mot, il pouvoit, ce semble, aimable pour la rendre plus utile; attirer
en insinuant la vérité, accorder quelque s pécheurs pour les retirer du péché •
chose à la foiblesse et aux préjugés de ménager leur foiblesse pour triompher
son peuple. Mais le saint martyr ne con- p us sûrement de leurs passions; et ifem-
noît pas ces timides ménagemens : il les ployer le fer pour les plaies, qu’après avoir
appelle sans balancer, cœurs rebelles et endoi mi, pourainsi dire, pardes paroles de
incirconcis. (Act. 7. 5i.) Loin d’excuser pa^et de consolation, la chair du malade.
leur ignorance, il les accuse de résister du nnm,etne ''T ™'5 P3S CIU’°n
sans cesse à l’Esprit-Saint ; loin de les du nom de prudence cette complaisance
flatter sur leur respect pour la loi de S’nelIe’ dans nos entre­
Moyse, c’est par là même qu’il les con­ tiens avec nos frères, nous trouvons tou­
fond et qu’il les condamne; loin de faire jours des temperamens entre le monde
valoir les bienfaits dont le Seigneur avoit et Jésus-Christ; nous entrons dans les
favorisé leurs pères, il leur reproche de lausses idees que le monde se forme de
marcher sur leurs traces, et d’ajouter au a veitu, sous prétexte de blâmer les ex­
sang des prophètes, dont ils avoient souille cès; nous applaudissons à l’inutilité et à
leurs mains, le sang du Juste qu’ils ve- ta paresse ; nous accordons bien plus au
noient de mettre à mort. Les hommes inonde et à ses usages, que l’Evangile ne
poussent quelquefois a un tel point lem ur accorde; nous louons l’éloignement
haine contre la vérité, qu’ils ne méritent <lu crime comme la perfection delà vertu-
plus de ménagement ni de mesure. Ce nous donnons aux talens de la nature ’
n’est pas que la vérité ne soit inséparable k ^ -â?eS. qU1 ne SOnt dus qu’aux dons de
de la charité, comme nous le dirons dans . g ace , nous trouvons toujours dans les
un moment : ce n’est pas qu’il ne faille vices mêmes de nos amis que nous con
préparer les voies à la lumière par de sages damnons, des endroits qui les rendent plus
N 2
.- 1 ‘ DE SAINT ÉTIENNE. -
2fj2 (.rOÜR LE JOUR
excusables ; nous ne montrons jamais la
nous blâmer par les mêmes endroits par
où nous avons cherché à lui plaire. Grand
vérité dans toute l’étendue qu’elle se mon­ Dieu ! faut-il que ce monde misérable
tre à nous ; nous nous faisons une fausse
puisse entrer en parallèle dans notre cœur
règle de charité et de sagesse , de nous, avec votre éternelle vérité ? Faut-il que
accommoder jusqu’à un certain point, aux
nous cherchions encore à plaire à ce qui
préjugés de ceux avec qui nous avons à nous paroit si digne d’être méprisé, et
vivre ; nous portons parmi les hommes un que tandis que nous décrions le monde,
fonds d’amour-propre qui nous rend in­ que nous en exagérons le vide et la folie,
génieux à concilier les intérêts, de là vérité que nous en connoissons si profondément
qu’ils haïssent, avec les intérêts des pas­ les abus et la misère, que nous parlons si
sions qu’ils aiment; nous ne leur parlons, souvent de ses illusions et de ses chimè­
jamais qu’à demi sur ce qui les regarde; res ; nous le ménagions encore , nous
et nous mêlons à la vérité que nous ne respections encore ses maximes , nous
voudrions pas trahir, tant dadoucisse- soyons encore jaloux de ses suffrages ,
mens , qu’ils la font perdre de vue. Ainsi nous voulions encore garder des mesures
nous devenons aux hommes une occasion avec lui ; et qu’après l’avoir abandonné ,
d’erreur; ils laissent la vérité que nous nous n’ayons pas la force de le condam­
embrassons, et s’arrêtent au voile qui ner et de lui déplaire ?
la leur cache. Et de là , mes Freres, il
arrive souvent que les gens du monde ne TROISIÈME PARTIE.
s’autorisent dans leurs dissipations , que
par les suffrages des gens de bien. De la , Je sais, mes Frères, que la fermeté de
nous entendons tous les jours les pecheuis la vérité est une fermeté pleine de dou­
justifier la vie mondaine en nous oppo­ ceur et de tendresse, et qu’elle n’aime que
sant des Justes qui ne la condamnent pas. des défenseurs compatissans et charita­
De là , les fausses complaisances d’un bles : et ce devroit être ici la dernière
homme de bien pour le monde deviennent partie de cette instruction ; mais je l’a-
sa justification et sa défense : il triomphe brége. En effet, de quel amour sincère
de nos lâchetés ; il insulte à nos condes­ pour les Juifs Etienne n’accompagne-t-il
cendances ; il sait bien faire valoir à son pas la force des vérités qu’il leur annonce?
avantage les légères complaisances qu i! Plus touché de leur aveuglement que de
obtient de nous; pour s’excuser, il con­ sa propre perte, il lève les mains au Ciel
damne les Justes, et cherche toujours à N 3
2Q4 TOUR LE JOUR DE SAINT ¿TIENNE. 2QO
pour eux; insensible , ce semble , aux Âpôtre ; ses prières préparent déjà les
coups dont ils l’accablent, il ne sent que grâces , qui d’un persécuteur doivent en
les malheurs qu’ils se préparent à eux- former dans la suite un vase d’élection,
mêmes; il offre son sang même qu’ils ré­ et un spectacle digne des Anges et des
pandent pour obtenir le pardon de leur hommes ; et si son zèle n’a pu faire con­
crime : leur barbarie ne déchire son corps noître Jésus-Christ à l’infidèle Jérusalem,
que pour ouvrir son cœur à des gémisse- sa mort va du moins instruire un mi­
mens et à des prières capables de fléchir nistre puissant en œuvres et en paroles
le Seigneur à leur égard, si leur endur­ qui le fera connoître un jour à toute la
cissement n’eût pas été à son comble. Il terre.
ne comptoit pour rien sa mort, si leur Tels sont, mes Frères, les défenseurs
salut devoit en être le fruit et le salaire : il que se forme la vérité : c’est la charité
voit le Fils de l’Homme assis à la droite qui leur prépare des victoires : il faut ai­
de son Père ; et le saint transport de joie mer le salut de ceux dont nous combat­
qui l’anime dans l’espérance de le possé­ tons les erreurs. La vérité trouve presque
der bientôt, n’est troublé que par la ré­ toujours des cœurs rebelles, parce qu’elle
probation de son peuple dont il lit, ce ne trouve presque que des défenseurs ai­
semble, l’arrêt dans l’accès de sa vision , gres et peu charitables. Souvent on mêle
gravé en caractères immortels sur les co­ aux instructions qu’on donne à ses frères,
lonnes du temple céleste. U ne demande plus d’envie de les mortifier que de désir
pas vengeance contre ses meurtriers; il de les instruire ; souvent leurs défauts ne
ne s’écrie pas comme Job : Terre, ne ca­ nous déplaisent que parce que leurs per­
che point mon sang, (Job. 16. 19.) et sonnes nous sont déjà odieuses ; souvent,
laisses-en monter la voix jusqu’au trône en défendant la vérité, on cherche plus à
du Tout-Puissant, pour solliciter ses fou­ dominer qu’à faire dominer la vérité elle-
dres contre les barbares qui le répandent : même ; souvent c’est l’humeur qu’on suit,
Terra, ne operias sanguinem meum. ; et ne et non pas la vérité qu’on cherche ; sou­
pouvant obtenir le salut du peuple qui vent , sous prétexte de venger les intérêts
veut périr et qui s’est exclu lui-même du de la vérité, on n’est pas fâché de se ven­
salut, il obtient du moins la conversion ger soi-même ; souvent en reprenant nos
de Saul qui participe au crime de sa mort. frères, nous voulons plutôt triompher de
Son sang répandu est comme une se­ leurs fautes que les relever charitable­
mence sainte d’où sortira un jour ce nouvel ment de leurs chûtes; souvent on est plus
de saint etienne 297
2g6 POUR LE JOUR
les pécheurs; c’est que dans leurs censures
aise de les voir s’égarer, qu’on ne le se- ils paroissent quelquefois plutôt s’applau­
roil de les voir dociles à la vérité dont on dir de leur régularité, qu’être touchés du
prend tout seul la défense ; souvent on dérèglement qu’ils blâment ; et rendant
s’applaudit en secret de leur aveuglement, la vertu odieuse aux pécheurs , ils leur
tandis qu’on fait semblant de mettre tout font paroitre la vérité revêtue de tous les
en œuvre pour les rappeler à la lumière; défauts qui ne sont attachés qu’à eux-
souvent nous ne sommes éclairés sur leurs mêmes.
vices, que parce que nous sommes jaloux De là vient enfin que nos réconcilia­
de leurs vertus: enfin, rien n’est si rare tions avec nos ennemis ne sont presque
que de mêler la charité avec la vérité. Et jamais sincères , parce que ce n’est pas ia
de la vient, mes Frères, que ceux qui
charité qui les forme. On se réunit, mais
nous sont soumis, regardent d’ordinaire on ne s’aime point ; les bienséances se
nos instructions comme des censures ; rétablissent, mais les sëntimens sont tou­
que nos enfans, nos inférieurs , nos do­ jours les mêmes; les personnes se rappro­
mestiques ne trouvent dans nos correc­ chent , mais les cœurs demeurent toujours
tions que l’humeur qui révolte , et non éloignés; les dehors sont différens , mais
pas la charité qui édifie ; qu’ils nous re­ les dedans sont toujours semblables. La
gardent plutôt comme les censeurs impi­ haine Jjrend seulement les apparences de
toyables de leurs faiblesses, que comme la charité: elle se contraint, mais elle
les médecins charitables de leurs plaies; n’est pas éteinte : on se rend des devoirs ,
et que nous perdons sur eux l’avantage mais on ne se rend pas l’amour sans lequel
que nous donne la vérité, par les défauts tout le reste n’est rien ; on ajoute seule­
que nous mêlons à sa défense. De là vient ment au crime de la haine celui du dégui­
que les exemples des gens de bien trou­ sement et de l’imposture; et souvent ayant
vent dans le monde plus de censeurs qui la raison et la vérité pour soi, on n’en est
les condamnent, que d’imitateurs qui les pas moins coupable aux yeux de Dieu,
suivent : c’est qu’ils se bornent souvent à pa rce qu’on n’a pas la charité qui souffre
décrier les vices de leurs frères, et qu’en tout, et qu’on doit toujours à ses frères.
faisant paroitre beaucoup de zèle contre Telles sont les instructions que nous
les defauts des autres, ils ne montrent pas donne aujourd’hui le généreux martyr
assez de compassion pour leurs foiblesses; dont la solennité nous assemble en ce
c’est que sous prétexte de ne point mé­ lieu saint : la vérité montra en lui un
nager le vice , ils ne ménagent pas assez N 5
298 POUR IE JOUR, etc.
défenseur éclairé , un défenseur intré­
pide , un défenseur tendre et charitable.
Quelle consolation pour vous , mes Frè­ SERMON
res , de retrouver toutes ces qualités dans
le pasteur fidele que le Seigneur vous a POUR LE JOUR
suscité dans sa miséricorde ; c’est-à-dire ,
de retrouver un docteur éclairé pour vous DE S. THOMAS D’AQUIN.
instruire, un ministre ferme pour vous
corriger , et un père tendre pour vous
secourir et vous consoler dans vos peines ,
et vous faciliter à tous les voies de la vie Paravit cor suum ut investigaret legem Domini, et fa­
éternelle ! ceret et doceret in Israël præceptum et judicium.
Ainsi soit-il.
Il disposa son cœur à la recherche de la loi du Sei­
gneur ; il pratiqua et enseigna dans Israël ses préceptes
et ses ordonnances. C est 1 doge que le Saint—Esprit fait
<1 Useras 5 au chapitre septième du livre premier de sou
Histoire.

ÎIien n’est plus consolant, mes Frères,


que de suivre des yeux de la foi les routes
de la Providence dans la conduite de l’E­
glise. A combien de ménagemens sa bonté
ne s’est-elle pas abaissée pour empêcher
que les portes de l’enfer ne prévalussent
contre cette sainte cité , située depuis la
naissance des siècles sur la montagne, et
si bien affermie , que malgré tous les ef­
forts des enfans de Babylone elle ne sera
jamais renversée ?
Il falloit à la foi dans sa naissance des
caractères sensibles et éclatans pour triom-
N6
Soo POUR LE JOUR DE SAINT THOMAS n’AQUIN. 3oï
pher de l’incrédulité. Aussi quels homme» siècles les Basile, les Hilaire, les Jérôme,
que les hommes apostoliques ! Ils vont au les Augustin; tel fut aussi dans des temps
delà des prodiges qu’a fait leur maître ; postérieurs le saint docteur, dont je viens
leur ombre même est toute puissante. At­ aujourd’hui proposer plutôt les exemples
taquée par les empereurs, qu’un faux zèle que relever les vertus. En effet, il disposa
pour le paganisme arme contre elle , elle son cœur à la recherche de la loi du Sei­
a besoin de force et de constance pour gneur; il pratiqua et enseigna dans Israël
soutenir la fureur des persécutions : que ses préceptes et ses ordonnances : Paravit
de héros , dans ces siècles de feu et de cor sinon, etc. Point d’erreur que Thomas
sang, la grâce ne forma-t-elle pas? Quelle n’ait combattue ; point de vérité qu’il
hardiesse et quelle constance ne vit-on n’ait établie ; peu de doutes qu’il n’ait
pas dans l’âge le plus tendre , et dans le éclaircis ; et tant qu’il vécut , l’Eglise
sexe le plus foible, pour braver les tyrans, trouva dans sa personne un défenseur in­
et ce que les tourmens ont de plus affreux? vincible , qu’elle retrouve encore dans ses
On voyoit les Chrétiens courir aux sup­ écrits après sa mort.
plices avec plus d’ardeur que n’en ont les Mais pour me renfermer dans quelque
hommes les plus voluptueux pour les chose de précis , en considérant saint
plaisirs. Thomas comme un grand docteur, je
Enfin , livrée dans des temps plus tran­ ramène à deux idées toutes simples que
quilles et plus reculés à la dispute des me fournit mon texte, tout le sujet de son
hommes, ébranlée par les assauts de l’hé­ éloge, qui sera en même temps pour les
résie , défigurée par les couleurs étran­ ministres de l’Eglise la matière d’une
gères dont ses enfans mêmes ont voulu grande instruction. L’étude de la religion
flétrir sa beauté, il lui a fallu des hommes cjui, en manifestant la vérité, sembleroit
dont les lèvres fussent les dépositaires de devoir nous en inspirer l’amour, ne laisse
la science ; des docteurs éclairés, de nou­ pas d’exposer la piété à de très-grands
veaux Esdras , qui s’appliquassent à la périls. Que d’écueils dans la recherche de
recherche de la loi dans la simplicité de cette science ! que de pas délicats dans
leur cœur , et qui après en avoir pratiqué son usage ! Saint Thomas s’est sanctifié
les préceptes et les ordonnances , sussent dans la recherche de la science de la re­
les défendre contre les ennemis de la foi, ligion ; il en a sanctifié l’usage. La piété
et les enseigner aux Fidèles dans toute l’a guidé dans la recherche de la science
leur pureté. Or, tels furent dans leurs de la religion; voilà mon premier point :
502 FOÜK LE JOUR DE SAINT THOMAS d’AQUIN. 3o3
l’usage de cette science l’a affermi dans la objets dans l’enceinte.de la foi, s’y trouve
piété ; c’est le second. C’est-à-dire , qu’il à l’étroit, s’échappe au delà des barrières
a cherché la loi du Seigneur dans la sim­ sacrées, et par une curiosité peu respec­
plicité de son cœur, et qu’il a pratiqué et tueuse , veut entrer dans un sanctuaire
enseigné dans Israël ses ordonnances et qu’il falloit adorer de loin : autre écueil
ses préceptes. Implorons, etc. Ave , Ma­ encore plus délicat que le premier. Enfin,
ria , etc. l’étude épuisant toute l’application de
î’ame dissipe l’esprit , dessèche le cœur,
PREMIÈRE PARTIE. ralentit la dévotion : troisième écueil sur
lequel nous gémissons tous les jours, nous
Que l’homme est profondément corrom­ qui par les engagemens d’un état saint,
pu, nies très-chers Frères! Il lui est resté, devons à l’Eglise et l’odeur du bon exem­
dit saint Augustin , du débris de son in­ ple et la lumière de la doctrine.
nocence, certains penchans de gloire, de Saint Thomas se fraya dans la recher­
plaisirs, de vérité, qui sont comme les che des sciences, des routes bien plus sûres
espérances de son rétablissement : mais et plus chrétiennes. Car, premièrement,
hélas ! des restes heureux de son ancienne il renonce à toutes les prétentions dont
droiture, il en fait les premières ébauches une grande naissance et le crédit de sa
de ses passions ; et ces ressources conso­ famille auprès d’un empereur pouvoient
lantes deviennent entre ses mains de tristes le flatter, et se sert du mépris de la gran­
écueils. deur, gomme d’un degré pour atteindre
Quoi de plus digne de l’esprit que celte aux sciences; en second lieu, avec l’esprit
avidité de tout savoir qui lui est si natu­ le plus vaste qui peut-être ait jamais paru,
relle ? quoi de plus indigne de lui que la il ne se guide que par les lumières d’au­
manière dont on la satisfait ?Il semble que trui , baise les traces sacrées des anciens ,
la vérité nait plus que des charmes ini— se contente de mettre en œuvre les pré­
puis.sans : toute seule , elle touche peu ; cieux débris qu’il trouve épars çà et là
et si des vues de fortune et d’intérêt ne dans leurs ouvrages; et pouvant,comme
nous raniment, on languit dans sa re­ Moyse , trouver lui-même des matériaux
cherche: premier écueil ordinaire à tous pour construire le tabernacle, il lui suffit
ceux qui s’appliquent aux sciences , soit comme à Bèseléel de les assortir, et de
sacrées , soit profanes. D’autre part, l’es­ leur donner ce bel ordre, qui dans tous
prit lassé de trouver toujours les même«- les siècles fera la surprise et les délices
3o4 3?0UR LE JOUR
DE SAINT THOMAS «’AQUIN. 3o5
dessavans :-enfin, toujours attentif à res­
susciter la grâce de sa vocation , la priè­ Dieu d’Israël d’une nouvelle tribu. Les
re , la retraite, mille macérations font le Ordres qui l’avoient devancé, n’étoient ,
plus doux assaisonnement de ses études ; si j’ose le dire , que’comme des essais de
et Ponction de votre esprit, ô mon Dieu! la grâce : Initium aliquod creaturœ ejus :
lui développe plus de difficultés , que tous la retraite, la prière, des austérités édi­
les efforts de l’esprit humain. fiantes, c’étoit là le plan de ces anciens
Premier écueil à éviter, des vues de fondateurs qui avoient fait fleurir en Oc­
fortune et d’intérêt. Né des plus illustres cident la discipline monastique; ici on
familles de sa province, on confie le soin joignoit la science à la prière, les fonc­
de l’éducation de notre Saint aux moines tions apostoliques à la retraite, le travail
du célèbre monastère du Mont-Cassin , de l’esprit aux macérations du corps. Tho­
usage ancien et si chéri surtout de nos mas sortit du Mont-Cassin où les instruc­
pères. Il me semble voir la fille de Pha­ tion et les exemples des pieux solitaires
raon confier à la mère de Moyse cet en­ qui habitoient cette montagne, avoient
fant miraculeux : Accipe puerum , lui di— nourri et fait croître cessemences de vertu
soit-elle, et nutri mihi. {Exocl. 2.9.) que la grâce avoit mise de bonne heure
dans son arae : arrivé à Naples, il entend
Elevez-le pour toute la grandeur où je le
destine , pour la pompe et l’éclat de l’E­ parler des enfans de Dominique; les mer­
gypte. Telles étoient les vues de la mère veilles qu’on lui en raconte, excitent sa
de notre Saint : car , hélas ! on ne peut curiosité; il les voit, et aussitôt il sent
trop le dire ; on décide presque toujours un attrait secret pour ce nouvel établis­
sement, et se propose de l’embrasser, il
de la destinée des enfans ; et on les a
consulte, il examine, il s’adresse au Père
déjà donnés au monde ou à Jésus-Christ, des lumières; et convaincu que c’est là
avant qu’ils soient en état de connoitre ni
que Dieu l’appelle , fermant les yeux à
l’un ni l’autre. Mais que vos vues, Sei­
tout ce qui pourroit. l’arrêter, il exécute
gneur, étoient bien différentes! vous ne
son dessein. En vain le Dieu de ce monde
l’aviez sauvé des eaux , comme Moyse , lui lait voir au loin ses royaumes, et toute
que pour le conduire au désert, lui con­ leur gloire : en vain l’enfer invente tous
fier les intérêts de votre loi, et en faire les jours de nouveaux artifices pour re­
le docteur de votre peuple.
L’Ordre de saint Dominique avoit com­
couvrer une proie sur qui les engagemens
d’une naissance distinguée sembloient lui
mencé depuis peu à grossir le camp du
donnée tant de droit. Vous le savez,
3o6 POUR LE JOUR DE SAIIÎT THOMAS d’aQUIN. 3oy
Seigneur! les larmes, les menaces, les rang qui nous donne de la distinction
intrigues d’une mère toujours ingénieuse dans un corps, une réputation qui nous
dans sa douleur, la "puissance d’un em­ produit agréablement dans le siècle un
pereur, mille assauts qu’on livre à son in­ établissement, où parvenus, l’on sent
nocence, une triste et longue prison ; rien expirer chaque jour l’amour du travail et
n’est oublié, afin que rien ne manquât au de. l’étude , ou enfin une vaine curiosité
mérite de sa foi : mais tous ces efforts qui ranime nos fatigues, mais qui ralen­
son t vains et inutiles ; les obstacles qu’on tit notre foi.
lui suscite, ne font qu’enflammer son dé­ Le second écueil que les savans ont à
sir, et sa persévérance est enfin couron­ craindre , c’est de ne pouvoir se renfer­
née par le succès. Voilà le premier pas mer dans les bornes étroites de la foi : et
que fait Thomas avant de s’engager dans c’est ici où se présente à moi un des plus
la. carrière pénible et laborieuse des beaux endroits de la vie de notre Saint.La
sciences : non-seulement il ne bâtit pas des foi est une vertu commode pour les esprits
idées de fortune et de grandeur sur les médiocres ; comme ils ne voient pas de
progrès qu’il y fera; il renonce d’abord loin , il leur en coûte peu de croire : leur
à une fortune et à une grandeur présente, mérité en ce point est un mérite tout du
afin que nul motif étranger ne vienne le cœur : ils n’ont pas besoin d’immoler ces
distraire dans les recherches de la vérité. lumières favorites dont leur ame n’est
Oseroit-on, ô mon Dieu ! proposer ici jamais frappée; et si la foi est pour eux
cet exemple au siècle ? Est-ce une chose un sacrifice , c’est un sacrifice tout pareil
ordinaire qu’on aille ensevelir au fond à celui d’Abraham; on y trouve du bois
d’un cloître l’espérance flatteuse de par­ et du feu , de l’amour et de la simplicité,
venir? eh! dans le monde on attache de mais il n’y a point de victime : Ecce ignis
la gloire à savoir par des roules d’iniquité et ligna ; ubi est viciima liolocausti ?
(Gcn. 22.)
se ménager des occasions de fortune ; et
la plus haute vertu s’y borne à les atten­ Il n’en est pas de même de ces esprits
dre. Nous-mêmes , ministres du Seigneur, vastes et lumineux. Accoutumés à voir
clair dans les vérités où l’esprit peut
dont les lèvres’sont les dépositaires de la
doctrine, nous frayons-nous une entrée
atteindre, ils souffrent impatiemment la
dans les sciences sur les débris de toutes sainte obscurité de celles qu’il doit ado­
les prétentions du siècle ? Hélas! qui nous rer : introduits depuis long temps par un
privilège délicat dans le sanctuaire de la
soutient dans nos pénibles veilles ? un
1
! 3o8 POUR LE JOUR DE SAINT THOMAS d’aQUIN. 3oq
vérité, il leur en coûte pour ne pas fran­ à l’orgueil de l’esprit humain, aussi-bien
chir cette haie sacrée, qui sert comme qu’à l’impétuosité des flots de la mer,
de barrière à celui de la foi. On se feroit et que, comme cet élément furieux ne
une religion de toucher à certains articles ; sauroit rompre sa digue invincible sans
I i mais pour les autres, on les tâte, on les causer des désordres dans l’Univers, l’es­
sonde, on veut que l’ignorance seule de prit de l’homme ne s’emporte jamais au
nos pères nous les ait donnés pour impé­ delà du terme que vous lui avez prescrit,
nétrables ; un air de nouveauté vient sans tomber dans des égaremens aussi
là-dessus , flatte , attire , emporte ; on funestes que déplorables.
s’égare malheureusement; et notre erreur, Sorti de l’école d’Albert-le-Grand , il
comme dit saint Augustin , devient notre paroit dans la capitale de la France , et
Dieu : on oublie que donner atteinte à dans la première université du monde;
un point de la loi, c’est faire écrouler mais avec quelle distinction ! Son mérite
tout l’édifice : en un mot, on veut bien perce d’abord cette foule des savans, qui
subir le joug de la foi; mais on veut se attirés par les libéralités de nos rois , y
l’imposer soi-même, l’adoucir et y faire venoient de tous les endroits de l’Europe
des retranchemens à son gré. Tel a été porter le tribut de leur érudition. Mais s’il
souvent l’écueil des plus grands génies ; se distingua parmi tant de savans, par la
les annales de la religion nous ont con­ sagacité de son esprit et par l’abondance
servé le souvenir de leur chüte ; et chaque de ses lumières ; combien leur est-il su­
siècle a presque été fameux par quelqu’un périeur par la manière sage et respectueuse
de ces tristes naufrages. dont il traite les mystères ineffables de
De là, mes Frères, quelle source de notre sainte religion , sans jamais donner
gloire pour saint Thomas ! avec tous ces l’essor à son esprit dans des matières où
grands talens qui font les hommes extraor­ il est question de croire, et non pas de
dinaires ; un esprit vaste, élevé, profond, raisonner ? Aussi, mes Frères, il est peu
universel, unjugementdroit, net, assuré; de docteurs de son siècle auxquels on ne
une imagination belle, heureuse , exacte ; reproche des opinions singulières , har­
une mémoire immense ; quels hommages dies, et qu’on auroit peine à garantir de
n’a-t-il pas fait de toutes ces précieuses la censure ; mais la doctrine de Thomas a
richesses aux pieds des martres de l’Eglise toujours été hors d’atteinte , et n’a jamais
qui l’avoient précédé? Il savoit, ô mon mérité que des éloges.
Dieu, que vous avez marqué des bornes Cependant, mes Frères , il ne s etoit
3io POUR LE JOUR SE SAINT THOMAS d’aQUIN. 3lï
pas renfermé uniquement dans l’étude de ils sont fondés sur la faiblesse de l’esprit
la religion , quoique la religion fût la fin humain : eh ! qu’il seroit à souhaiter que
à laquelle il rapportoit toutes ses autres cette pieuse délicatesse reprît le dessus
connoissances ; et le commerce des scien­ dans notre siècle! la foi regagneroït d’une
ces profanés auxquelles il s’appliqua, ins­ part ce que les sciences profanes perdroient
pire souvent par une suite de notre foi- peut—être de l’autre; la France auroit peut-
blesse, je ne sais quel libertinage d’esprit, être moins de savans , mais l’Eglise en
hélas! trop commun dans ce malheureux échange auroit plus de Fidèles.
siècle. Comme la raison s’accoutume à Loin d’être infecté dans l’étude des au­
examiner, elle se désaccoutume de croire : teurs profanes par cet air malin qu’on y res­
il faut revenir de trop loin , c’est descen­ pire, notre Saint purifie ces sources suspec­
dre du trône pour recevoir des fers ; c’est tes; mêle leurs eaux croupissantes avec les
dépouiller, comme David, les marques de eaux vives de la doctrine évangélique ; en
la royauté , et venir devant l’Arche passer grossit ce fleuve sacré , qui coulant de
pour insensé à cause de Jésus - Christ. siècle en siècle depuis la naissance de
1 Eglise va se perdre dans le sein de Dieu
De là ces noms odieux que donnent à la
philosophie des anciens les premiers apo­ même d’où il est sorti ; et par un art tout
logistes de la religion : Tertullien , tou­ nouveau, il fait servir le mensonge à la
vérité , la philosophie à la foi, la supers­
jours extrême, veut qu’elle soit irrécon­
tition au vrai culte , les dépouilles de
ciliable avec l’Evangile,- et que, comme
l’Egypte à la construction du tabernacle :
un autre Samson, à craindre même depuis
en un mot, il consacre les armes des géans
qu’elle a été enchaînée par les Apôtres ,
au temple du Seigneur, après s’en être
elle ébranle encore et fasse presque écrou­ servi contre les Philistins mêmes.
ler tout l’édifice de la foi : Concussio veri­ Combien d’esprits gâtés qui vont puiser
tatis philosophia. De là cette sainte hor­ jusques dans les livres saints la matière
reur qu’en avoient les premiers disciples. de leurs doutes, et de quoi nourrir leur
Conservant précieusement là-dessus le incrédulité? La foi de Thomas trouve au
souvenir des avis de saint Paul, ils pre­ milieu même des profanes de nouvelles
nnent les sages précautions de cet Apôtre forces ; Aristote devient entre ses mains
pour des défenses précises et irrévocables. 1 apologiste de la religion.
Qu’il y ait dans ce zèle quelque chose, si Mais d’où vient que l’intégrité de sa foi
l’on veut, qui ne soit pas tout-à-fait selon souifre si peu du commerce qu’il a ayec
la science hélas ! que ces excès édifient î
3l2 pour le jour
_ CE SAINT THOMAS d’aQUIN. 3î5'
les profanes? C’est que la foi de ce grand cueillir religieusement dans les ouvrages
homme n’étoit pointétablie sur la légèreté des anciens docteurs, dans ces sources
d’un sable mouvant, mais fondée sur la sacrées de la véritables doctrine , les pré­
solidité de la pierre; c’est que toujours en cieux restes de leur esprit. Peu jaloux de
garde contre les sentimens des auteurs la gloire de l’invention, gloire si délicate
profanes, les vérités de la foi étoient la pour ceux qui se piquent de la science, il
règle par laquelle il en jugeoit, toujours use les plus beaux talens qui furent jamais,,
prêt à rejeter tout ce qui ne s’ajustoit, a ïamasser , à ranger, à éclaircir , à forti-
pas a cette règle infaillible; c’est qu’il a ier par de nouvelles raisons ce que les
soin de fortifier continuellement sa foi autres avoient dit avant lui. Aussi, qui
par l’étude des livres saints et des doc­ pourvoit louer assez dignement ses savans
teurs de l’Eglise. Il fait, comme David, et pieux commentaires, raonumens éter­
ses plus chères délices de la loi du Sei­ nels de son amour pour les Ecritures?
gneur : il dévore ce volume sacré; il le Maigre es progrès que l’on a faits depuis
change en sa propre substance; ne cher­ son siecle dans les langues et dans la cri-
chant pas moins à s’édifier qu’à s’instruire. ique , les plus habiles y trouvent encore,
Au lieu qu’il ne lit les auteurs profanes de quoi admirer et de quoi s’instruire.
qu’avec précaution et avec déliance , sa­ Mais ce n’est pas seulement lorsqu’il
chant que ce sont des hommes, et des est question d’éclaircir les saintes obscu­
hommes sujets à l’erreur; il lit les divines rités de l’Ecriture, qu’il a ce respect reli­
Ecritures avec une soumission entière , gieux pour les anciens Pères ; c’est dans
pour y former son langage et ses senti- tous ses autres ouvrages, que leurs senti­
mens, sachant que c’est la parole de Dieu mens sont la règle des siens. Attaché
même , du Dieu de vérité , également surtout aux écrits du grand S. Augustin
incapable de tromper et d’être^ trompé. d en exprima, pour ainsi dire, le suc- il
Entreprend-il d’en développer les mys­ mit dans un ordre naturel cet amas pro­
tères et d’en expliquer les difficultés? ne digieux de richesses éparses çà et là dans
craignez pas qu’il s’avise de débiter ses les ouvrages de ce grand homme ; il dé-
propres idées : non, mes Frères, le plus pomlla sa doctrine de tout cet appareil
bel esprit de son siècle, le plus autorisé « éloquence qui l’enveloppe et nous h
a hasarder ses conjectures , ne marche dérobé quelquefois ; et un peu différent
jamais que sur les traces d’autrui dans dE isee sans hériter du manteau de son
l’explication des livres saints. Il va re­ maître d ne laissa pas d’hériter de tout
cueillir Panégyriques, *q ouî
POUR LE JOUR DE SAINT THOMAS d’AÇUÏN. 3î5
son esprit. Grand Dieu ! inspirez ces sen- De croyez pas qu’on en vienne du premier
timens à tous ceux qui traitent les vérités coup à un retranchement universel de
de la religion. Puisse notre saint docteur tout exercice de dévotion : la conscience
leur servir à tous de modèle, et leur ap­ en seroit trop alarmée. On commence par
prendre à se précautionner contre le venin y apporter plus de précipitation , pour
dangereux de tant de livres dont la lecture pouvoir retourner plus promptement à
les dégoûte de la simplicité de la parole ses chères études; on se permet ensuite
de Dieu, et à ne chercher la vérité que quelques retranchemens légers; enfin,
dans les sources où Dieu nous a promis on en vient insensiblement au point de
que nous la trouverions infailliblement! passer la vie dans la recherche de la vérité
Mais, ce qui mérite le plus notre atten­ et dans l’oubli de Dieu. Que la conduite
tion dans la vie de notre saint docteur, de notre saint docteur fut bien différente S
c’est le soin extrême avec lequel il évita le soin de son ame fut toujours la pre­
le dernier écueil de l’étude; j’entends la mière et la plus importante de toutes ses
dissipation de l’esprit qui dessèche le cœur, occupations. Trouve-t—il dans la carrière
et ôte à la piété cette ferveur, sans laquelle des sciences de ces nuages épais , que
il est si difficile qu’elle puisse se soutenir toute la vivacité et l’application de l’esprit
long-temps. ?e. sauroient dissiper? ce n’est point pour
Oui, mes Frères, c’est là le grand écueil lui une, raison de négliger ses exercices
des savans ; l’étude devient souvent en eux de piété sous le prétexte spécieux de don-
une passion violente qui fait tout négli­ nei plus de temps a l’étude : au contraire
ger , à laquelle ils sacrifient jusqu’aux alors il va à la source des lumières, il à
devoirs mêmes les plus essentiels de la lecours à I oraison. Lui arrive-t-il de n’y
piété. Surtout lorsque le succès vient en­ etre point éclairé?il ranime sa ferveur et
core animer leur ardeur : ils se laissent supporte ses ténèbres avec patience, sa-
bientôt emporter à la curiosité si naturelle ciifiant au Dieu qui se cache, avec autan t
à l’homme ; au désir de se distinguer par <ie zele qu au Dieu qui se manifeste. Cetoit
de nouvelles découvertes, à la crainte dans ces momens, que s’estimant indigne
que la réputation ne vienne à baisser, si des faveurs du Ciel., ils s’adressoit à saint
de nouvelles productions ne la soutien­ «onaventure. La piété et le mérite de ce
nent; que sais-je? à l’utilité qu’ils se per­ grand homme, avoient fait naître dans le
suadent facilement que le public retirera cœur de notre Saint ces sentimens de ten­
dresse , qui ne sont sincères, dit saint,
3l6 POUR LE JOUR
DE SAINT THOMAS »’AQUIN. 3l7
Augustin, que parmi les Saints; et qui de Docteur Angélique , quand il ne l’eût
eût vu ces deux Anges s’entreregarder et pas mérité parla sublimité de ses lumières.
se consulter l’un l’autre pour développer , Mais pour vous bien représenter cette
les secrets de la Divinité , eût pensé voir piété solide, et en même temps si tendre
les deux Chérubins du tabernacle qui se et si affectueuse , qui éioit dans notre
regardoient, et au milieu desquels Dieu Saint, et avec quel soin il travailloit à l’y
se plaisoità prononcer ses lois et à rendre entretenir et à l’y faire croître ; je n’ai
ses oracles. qu’à vous renvoyer à cet office admirable
Non, mes Frères, l’ambition d’acquérir qu’d a composé pour l’adorable Sacre­
de nouvelles connoissances ne prit jamais ment de nos autels : c’est là que le fond
rien dans notre saint docteur sur la régu­ de son cœur se manifeste. Oui, mes Frè­
larité la plus scrupuleuse à tous les exer­ res, le cœur seul peut parler ce langage
cices de son état : chez lui l’étude a ses de piété et de religion; et tant qu’on n’a
heures réglées ; mais tous les autres de­ point ces sentimens gravés au dedans de
voirs ont aussi chacun leur temps marqué. soi, c’est en vain qu’on entreprendrait de
A quoi me servira, disoit-il, la science les exprimer par des paroles. Quelle onc­
qui enfle, si je n’ai pas la charité qui édi­ tion, quelle lumière dans les expressions!
fie ? Le nombre prodigieux de ses écrits quelle vivacité dans les sentimens ! Ah!
eut suffi tout seul pour rendre sa vie, non- encore une fois, ce n’est point ici une
seulement laborieuse, mais très-pénitente; production de l’esprit ; c’est l’ouvrage du
cependant que de jeûnes, que de macéra­ cœur seul , et d’un cœur embrasé d’a­
tions n’y ajoutoit-il pas, plutôt pour se mour. Ne craignons donc point de dire
rendre conforme à Jésus crucifié , que que si le Ciel avoit orné son esprit d’un
pour réduire son corps en servitude! Car, trésor de science et de sagesse, il avoit
mes Frères , la grâce avoit fait cesser rempli son cœur d’un trésor de grâces et
en lui de bonne heure, ces combats fâ­ de vertus; et que, s’il fut le plus grand
cheux d’une chair qui se révolte contre docteur de son siècle, il fut aussi le plus
l’esprit, afin, ce semble, que son ame dé­ saint religieux de son ordre, le plus exact,
gagée de ces noirs brouillards qui s’élè­ le plus fervent.
vent du fond de notre boue, pût s’appli­ Quel exemple, mes Frères! et qu’il est
quer plus librement, sans être distraite, peu imité! Est-ce là en effet la manière
à la recherche de la vérité ; et la pureté dont nous nous conduisons ? Sous prétexte
de son cœur lui eût fait donner le nor,? oue nos occupations n’ont rien que de
O 3
3l8 POUR LE JOUR DE SAINT THOMAS D’AQUIH. Siq
peimis i, et meme de louable en soi, nous ne prend pas sur son compte toutes nos
nous y livrons tout entiers, et la piété est œuvres , dès qu’elles n’ont rien de con­
absolument négligée. Je ne parle point traire à sa loi : pour qu’il les agrée , il
ici de ces personnes qui n’ont dans l’es- faut les lui offrir, il faut l’avoir en vue
prit que des projets de fortune et des vues dans tout ce que nous faisons, et désirer
d ambition, et 9UC renfermant toute leur de lui plaire : or , ce devoir si essentiel
félicite dans les bornes étroites de cette s’accomplit-il lorsque la prière est si rare
vie , emploient sans scrupule les voies les dans tout le cours de notre vie ; lorsque
plus iniques pour réussir, et ne se mé­ nous vivons dans un entier oubli de Dieu?
nagent sur rien. Des hommes qui, comme Mais d’ailleurs, si la piété ne se trouve
dit l’Apôtre , n’ont de pensées et d’affec­ que dans l’exactitude aux devoirs de notre
tions que pour les biens de la terre ; est-il état ; je vous demande , voire étal prin­
surprenant qu’ils ne s’occupent pas des cipal n’est-il pas d’être Chrétiens et mem­
biens à venir, dont la foi est peut-être bres de l’Eglise? Donc, votre premier de­
éteinte dans leui» cœur ? Mais vous , mes voir doit être de rendre à Dieu et à la
Frères,-vous qui ne renoncez pas à l’es­ religion ce que vous leur devez. Il est
pérance des biens futurs ; vous qui vous étonnant , à quel point on se fait illusion
interdisez le dol, la fraude , la rapine ; là-dessus, et combien de personnes croyant
qui faites une haute profession d’honneur porter au tribunal de Jésus-Christ un tré­
et de probité ; vous dont les mœurs sont sor immense de bonnes œuvres, n’y trou­
réglées et fort éloignées de tout excès ; veront qu’un vide affreux, et un trésor
effroyable de colère , qui les accablera
vous qui ne refusez point votre secours à
1 orphelin, et au pauvre la portion de vos éternellement. Mais revenons à notre su­
biens que la Providence lui a destinée ; jet : vous venez de voir comme la piété
d’où vient que votre temps est tellement guida notre saint docteur dans la recher­
che des sciences : je vais vous montrer
rempli par vos occupations, que les exer­
comme l’usage de ces mêmes sciences l’af­
cices de religion ne sauroient y trouver
fermit dans la piété.
leur place ? Vous dites que la vraie piété
consiste à remplir les devoirs de son état;
j’en conviens : mais prenez garde , l’illu­
sion est ici à craindre : ce ne sont pas
tant nos actions , que la manière de les
faire, qui les rend agréables à Dieu ; il
O 4
020 POUR LR JOUR ï>» SAINT THOMAS D’AQUIN. $2 ï
au Seigneur la gloire qui lui est due : et
SECONDE PARTIE. semblable à ces impies dont parle le pro­
phète , vous direz que votre langue s’est
. IjE j°yr5 dit le prophète, instruit le signalée elle-même, et que vos lèvres vous
jour, et la nuit donne de tristes leçons à appartiennent : Dixerunt : Linguam nos-
la nuit La cupidité vous a-t-elle servi de iram rnagnificabimus ; labia nostra à nobis
motif dans la recherche des sciences ? elle simt : ( Ps. h , verset 5. ) troisième
sera votre Lut dans leur usage. Car, pre­ ecueil dans l’usage des sciences, toujours
mièrement, y êtes-vous entré par ces inséparable du troisième écueil qui se
îoutes sécrétés qu’un vil intérêt a frayées ? trouve dans leur recherche.
vous serez un docteur flottant ; votre for­ Saint Thomas qui dans la recherche
tune décidera de vos sentimens ; et il en des sciences s’éloit frayé des routes bien
sera de vos lumières comme de ces jours différentes , mais malheureusement si peu
empmntés, dont on règle l’usage sur le battues dans tous les temps, ne se dément
besoin : premier écueil dans l’usage des pas dans leur usage. Il y étoit entré par
sciences , et qui naît de ce premier écueil un mépris généreux de toutes les préten­
dont nous avons parlé dans leur recher­ tions du siècle ; aussi, loin d’être un doc­
che. En second lieu, avez-vous cherché teur flottant, devient-il un docteur exact,
a contenter une vaine curiosité ? vos uniforme, désintéressé : jamais il n’y avoit
lumières vous seront chères ; vous ap- marché qu’à la lueur des astres de l’Eglise
p audirez cet ouvrage de vos mains; vous qui Pavoient précédé; aussi, loin d’être
serez un docteur singulier ; les opinions un docteur singulier, devient-il, je puis
vous paroitront douteuses , du moment le dire ici , un docteur oecuménique et
quelles seront communes : second écueil universel : enfin, il avoit toujours mêlé
dans l’usage des sciences, suite du second la prière à l’élude ; ah ! aussi avec la ré­
TueiA *ïu’on a marqué dans leur recher­ putation la plus extraordinaire qu’aucun
che. Enfin , votre ferveur a-t-elle souffert autre avant lui ait jamais eue en ce genre
de votie application aux sciences ? avez- il fut le docteur le plus humble de son
vous négligé de réparer par la prière cette temps, et semblable à Moyse, seul il ne
dissipation de cœur inséparable d’une s’aperçut pas de la gloire dont il brilloit :
étude profonde et soutenue ? Plein de Ignorabat qaod cornuta esset faciès suci
vous-même , et vide de Dieu, vous serez ex cunsortio scrmonis Domini. ( Exod
tm docteur vain : vous ne rendrez point 29. )
O 5
S2â POUR LE JOUR DE SAINT THOMAS d’AQüîN. 023
Il fut un docteur exact et désintéressé le savez, Seigneur ; et tous les siècles en
ti ayant d’autre but que de faire connoitre ont vu de tristes exemples.
la vérité : celte louange que je donne à Or, mes Frères, quel ordre , quelle
notre Saint, paroitra peut-être peu de exactitude , quel air uniforme et soutenu
chose à bien des gens ; mais souffrez que dans la doctrine de notre Saint! on voit
je la mette dans le point de vue d’où elle bien qu’il ne cherche que la vérité.
m’a frappé. Donne-t-il des règles pour les mœurs ?
Représentez-vous l’homme de son siècle Quelle droiture ! il ne penche ni à droite
le plus consulté : le nouvel Esdras à qui on ni à gauche, selon l’expression du pro­
a recours pour l’interprétation de la loi ; phète. Eloigné de ce zèle amer et intrai­
l’arbitre et l’oracle des grands de la terre table qui veut faire descendre le feu du
dans leurs difficultés et dans leurs doutes. ciel sur les villes pécheresses, qui sans
Que cette situation est délicate! Les puis- nul égard achève de briser un roseau déjà
sans de la terre veulent être souverains cassé , et d’éteindre une lampe encore
partout : on diroit que la vérité est de fumante, qui bannit de l’Evangile cette
leur ressort; il faut qu’elle se trouve quel­ humanité consacrée par mille paraboles
que part qu’ils veuillent la placer : ils ne qu’on y rencontre ; éloigné aussi de cette
savent pas avoir tort : et leur opposer la molle complaisance qui éteint le feu sacré
raison c’est presque se rendre coupable que Jésus-Christ est venu allumer sur la
d’un crime de félonie : l’air même qu’on terre , qui , loin de renouveler un vête­
respire auprès d’eux, a je ne sais quoi de ment vieux et pourri , se contente d’y ap­
malin qui dérange toute la constitution pliquer un peu d’étoffe neuve; qui bannit
de l’esprit. Tel qui loin de la grandeur et de la morale de Jésus-Christ cette sainte
dans l’obscurité de la province, s’applau­ austérité qui en est l’esprit dominant; il
dit en secret de son désintéressement, tient toujours ce sage milieu dont chacun
retrouve-t-il cette même force et ce même se lait honneur, mais que si peu de gens
courage , lorsqu’il est une fois exposé au savent tenir ; et l’on trouve encore au­
grand jour ? On plie la loi, on l’ajuste au jourd’hui dans les belles décisions qu’il
temps, à l’humeur, au besoin : hélas ! on nous a laissées sur les mœurs, comme
n’a point de sentimens propres; et souvent dans l’arche d’Israël , et la douceur de
on n’a que les sentimens de tous ceux la manne, et la rigueur salutaire de la
verge
auxquels il est avantageux de plaire. Vous
Ministres de la nouvelle alliance, vous
.0 6
*

S24 TOUR LE J0T7K DE SAINT THOMAS D’AQVIN. 32»


qui tous les jours travaillez à consfruirean pie rare , ô mon Dieu, et qui semble n’être
Seigneur des tabernacles vivans, regardez, plus à la portée du siècle. Ah ! on ne de­
et faites selon ce modèle. Malheur, dit mande plus que vous osiez refuser les di­
1 Esprit-Saint, malheur aux pasteurs qui gnités de l'Eglise qu’on vous offre : c’est
traitent leurs brebis avec une rigueur sé­ une vertu des premiers âges; c’est un hé­
vère, et pleine d'empire; mais malheur roïsme qu’on renvoie, si j’ose le dire, aux
aussi à ceux qui préparent des coussinets temps fabuleux : mais osez ne pas y par­
pour les mettre sous les coudes ! Il ne faut venir par des sentiers d’injustice et d’ini­
pas cacher aux hommes l’immensité des quité; osez ne pas acheter le don de Dieu;
miséricordes du Seigneur; mais il ne faut osez résister à la tentation d’un bénéfice,
pas non plus leur laisser ignorer la sainte pour lequel il faut traiter et dresser des
rigueur de sa justice, et combien c’est articles comme pour un bien profane.
une chose horrible de tomber entre les Les princes de la terre, non contens de
mains du Dieu vivant avant que de l’avoir respecter la vertu de notre Saint, et de lui
apaisé par de dignes fruits de pénitence: accorder leur estime, l’honorèrent même
en un mot, il faut instruire les hommes- de leur familiarité. Saint Louis appelle
de la vérité sans y ajouter, sans en dimi­ souvent saint Thomas à sa table; mais de
nuer, sans la déguiser. Or, que ce talent quelles pensées croyez-vous donc qu’est
est rare ! et qu’il est dangereux de se mêler alors occupé ce saint docteur? Ecoutez,
d’instruire lorsqu’on manque de ce talent! hommes enivrés de la grandeur; et appre­
Thomas le possédoit ce talent si rare, nez de l’insensibilité des Saints, de quel
et il sut le conserver au milieu de la fa­ prix est à leurs yeux cette faveur des
veur des grands. Urbain IV veut l’élever grands dont von. faites votre idole : il est
aux premières dignités de l’Eglise ; l’ar­ devant un roi de la terre, comme vous êtes
chevêché de Naples lui est offert : sembla­ si souvent en la présence du roi des rois;
ble à Moyse, il lui suffit detre législateur à peine se souvient il que le prince est là
du peuple de Dieu ; il laisse à d'autres, présent : il retrouve jusqu’au milieu de
l’honneur du sacerdoce: mais non content la cour le calme de sa retraite et le sou­
d’avoir refusé cette dignité, se déliant de venir de ses chères études ; il y est pro­
lui-même en quelque sorte, il conjure le fondément enseveli ; et par une sainte
pontife de ne lui en plus donner d’autres, méprise qu’on peut regarder comme une
et de le laisser Unir sa course dans la pau­ des plus grandes preuves de sa piété et
vreté et l’humilité de sa profession; exem- du peu d’attache et de goût qu’il avoit
026 POUR LE JOUR DE SAINT THOMAS d’aQUIN'. 327
pour les choses de la terre , il prononce ménique et universel, je veux dire , suivi
tout haut, comme il eût fait dans sa cel­ et approuvé universellement.
lule , un nouvel arrêt qu’il vient de dres­ Piome, Paris, Naples, Boulogne, ces
ser contre les hérétiques : Conclusion est villes célèbres l’admirèrent tour-à-tour,
contra Manichœos. Jugez par ce trait si et entendirent les paroles de vérité qui
la faveur du prince faisoit une forte im­ sortoient de sa bouche ; et dans tous ces
pression sur son cœur, et si l’on peut croire différons endroits sa doctrine reçoit les
qu’il l’eût recherchée. mêmes applaudissemens et les mêmes élo­
Les enfans du siècle , je le saii, entê­ ges. On l’admire, non parce qu’il dit des
tes d une fausse dechcaiesse, verront sans choses nouvelles, mais parce que chacun
doute d’un autre œil cet endroit de la vie reconnoit dans ses discours la foi de ses
de notre Saint ; mais qu’ils apprennent de pères , et s’en convainc de plus en plus par
l’admiration même de saint Louis, que la les preuves solides et lumineuses qu’en
folie apparente des Saints est plus sage donne notre saint docteur.
que toute la sagesse du monde. Mais c’est surtout depuis sa mort, que
Mais si le mépris du siècle fit saint Dieu a glorifié nôtre Saint, et qu’il l’a
Thomas un docteur exact et désintéressé rendu un docteur universel. Ici, mes Frè­
le mépris de ses lumières en fit un doc­ res , vous me prévenez : d’abord s’offrent
teur œcuménique et universel; le mépris à vos esprits toutes les universités du
de lui-même, un docteur humble ; et c’est monde , fidèles dépositaires de sa doc­
ainsi qu’il évita les autres écueils que l’on trine ; et sur toutes les autres, celle qui
trouve dans l’usage des sciences. le forma dans son sein , l’illustre faculté
L amour de la nouveauté , dangereuse de Paris, plus glorieuse par cet endroit
et délicate passion des savans, fut tou­ que par mille autres qui depuis tant de
jours l’objet le plus constant de la haine siècles la mettent si fort au-dessus de
de notre Saint. Vous avez vu, mes Frères, toutes les sociétés de savans répandues
avec quel soin il évita toujours toute sin­ dans le monde chrétien. Parmi tant de
gularité dans la doctrine; avec quel res­ deuses et savantes communautés régu-
pect il s’attachoit aux sentimens des an­ Î ières, boucliers sacrés dont l’Eglise, cette
ciens docteurs de l’Eglise, qui nous ont tour de David , est environnée , en est-il
transmis la foi qu’ils avoient reçue des une où les décisions du fondateur tiennent
Apôtres; et voilà ce qui l’a rendu en quel­ plus lieu de règle dans la discipline et
que sorte dans 1 Eglise, un docteur œcu- dans les mœurs, que celles de notre Saint
POUR LE JOUR
dans la foi et dans la dostrine ? Mais sur DE SAINT THOMAS D’AQUIN.
toutes !es autres communautés, celle qui Mais que ne puis-je du moins vous le
avechn a donné et donne tous les ¡ours représenter dans le plus haut degré de
a Eglise tant de grands hommes, tant réputation où la vanité la plus emportée
de saints pontifes, tant de docteurs dis­ puisse prétendre, connu, admiré, con­
tingués; 1 ordre de saint Dominique, qui sulté de tout l’Univers, regardé comme
toujours a occupé le rang d’honneur dans une lampe éclatante placée sur le chan­
Je camp du Seigneur; d’où cet ordre célè- delier pour éclairer toute l’Eglise, et en
hie tire-t-il aujourd’hui son principal même temps plus ingénieux à se cacher
éclat, sinon de l’attachement inviolable a soi-même son mérite , que nous ne som­
qu il conserve pour la doctrine de notre mes nous , à donner du relief et à grossir
saint docteur? Vous dirai-je que l’oracle le nôtre à nos propres yeux? Je passe ici
du monde chrétien, Rouie meme, ce mille traits dont l’histoire de sa vie est
centre de In foi et de 1 unité, a vu souvent toute semée. Combien peu étoit-il em­
ses pontifes descendre du tribunal sacré, pressé d’étaler les trésors de science et
et y faire monter les écrits de notre Saint de sagesse dont il étoit rempli ? jusques-
pour prononcer sur les différends qui trou- la que son silence donna lieu quelquefois
bloient l’Eghse ; que les conciles eux-mê­ à des méprises, et le fit prendre pour un
mes, ces Juges vénérables et infaillibles esprit commun et vulgaire: combien étoit-
de la doctrine., on! formé leurs décrets îl éloigné d’affecter la moindre sûpério—
sur ses décisions; que les partisans de rite au-dessus de ses frères ? ou plutôt
terreur n’ont jamais eu-de plus redou­ avec quelle attention il les prévenoit tous
table ennemi, et que, comme les Phi­ par des témoignages d’honneur et de dé­
listins, ils ont désespéré de pouvoir ex­ férence, quoique tout le monde reconnût
terminer i’arméé du Lieu vivant, tandis et rendit hommage à la supériorité de
^U<z/Ce^e, a,che résidoit ™ milieu d’elle: grâce et de lumières qui éfoit en lui ?
l oUe L bornant, et dissipabo Ecclesiam Avec quelle attention rapportoit-il tous ces
X/c/.Aussi, de quels éloges les pontifes ro­ talens à celui de qui descend tout don
mains n ont-ils pas honoré sa doctrine ? parfait, et toutes ses connoissances au
eh ! je ne finirois pas si je voulois re­ Père des lumières, ne cessant de dire
cueillir ici, et vous mettre sous les yeux qu’il étoit plus redevable à la prière qu’à
tous ceux qu’il a reçus dans tout le monde l’étude , du peu qu’il savoit ? Mais ce
chrétien. qui manifeste surtout le fonds admira­
ble d’humilité qui étoit dans notre Saint,
SJo ÎPOTÎR 1£ JOÜfi.
t)E SAîftT THOMAS d’aQÜIH.
et qui montre qu’en cultivant son esprit, de quàm stultum sit perniciosis contentioni-
il avort encore plus de soin de régler son bus ipsam offendere charitatem , propicr
cœur, c’est cet air de réserve et de mo­ tpiam dicta surit omnia cujus dicta cona-
dération qui. règne dans sa manière d’é­ mur exponere. Ce seroit ici un nouveau
crire. L’entend-on jamais parler sur le sujet d’éloge pour notre Saint : mais je
ton décisif et important qui veut tout ne finirois pas si je voulois mettre dans
ramener à soi, et qui pour garant de leur jour tous les traits que fournit sa
ses. misons ne donne que sa propre au­ vie ; en voilà plus qu’il n’en faut pour
torité ? Les altercations de l’école , la notre édification. Admirons surtout, mes
chaleur des disputes , la variété des opi­ Frères , l’humilité profonde de ce grand
nions et des doctrines l’ont-elles jamais docteur. Hélas ! nous nous élevons sou­
lait sortir de ce. caractère modeste et vent au-dessus des autres sans aucun
uni ? Il propose simplement, décide mo­ fondement, aveuglés par notre amour-
destement, condamne peu , ne blesse ja­ propre qui nous cache des défauts gros­
mais ; oui, dans des ouvrages immenses siers , et nous fait voir en nous des ver­
et sur des matières presque toutes dispu­ tus que nous n’avons point : le Ciel nous
tées , il.ne lui est pas échappé un seul a-t-il départi quelques-uns de ces talens
mot qui se sente de l’aigreur et de la rares parmi le commun des hommes ; dès-
dispute j et s il a bâti un temple à la vé­ lors il faut que tout ce qui nous approche
rité , ça été, si je l’ose dire , comme Salo­ nous rende des respects et des hommages,
mon , sans employer le fer ni sans don­ et la délicatesse de notre orgueil se blesse
ne! un coup de marteau. Hélas ! pour­ contre quiconque oseroit les lui refuser :
quoi ne s’en est-on pas tenu là dans les et voilà un Saint qui réunit en sa per­
siècles suivans ? Pourquoi, loin de dé­ sonne tout ce qui excite l’estime et l’ad­
fendre Jérusalem investie d’ennemis de miration, les dons de la nature, ceux de
toutes parts , a-t-on tourné ses armes les la grâce , les talens acquis : cependant
Uns contre les autres? Pourquoi appelle- loin d’exiger des égards et des attentions,
t-on si souvent la passion au secours de s’il pouvoit se blesser de quelque chose ,
la vérité?.Quelle folie, s ecrioit autrefois ce seroit de, ce qu’il ne peut vivre ou­
S. Augustin , gémissant sur ce désordre , blié et confondu dans la foule de ses frè­
de donner de mortelles atteintes à la cha­ res. Voilà,Chrétiens, voilà le vrai carac­
rité pour défendre une loi dont la charité tère des Saints; l’humilité , cette vertu
seule est la fin et l’accomplissement : L7- que Jésus-Christ nous a tant recomman­
332 POUR LE JOUR , etc
dée, parce que ce n’est que par elle que
nous pouvons lui etre rendus conformes ;
1 humilité, parce que toute seule elle suf- SERMON
fit , et que sans celle-là toutes les autres
ne sont rien : mais hélas ! c’est de toute POUR LA. FÊTE
les, vertus la plus rare, quoiqu’il semble
quelle dût nous être si naturelle. Car D'UN SAINT MARTYR,
enfin., mes Frères, si nous nous con-
noissions tels que nous sommes; si nous PATRON D’UNE ÉGLISE.
ne nous attribuions que ce qui est véri­
tablement à nous; en un mot, si nous
nous rendions la justice que nous méri­
tons , quel fondement trouverions-nous à Vos eritis milii testes.
notre orgueil ?
Grand Dieu ! je ne vois rien en moi qui Fous nie, rendrez témoignage,. Act. i. 8.
ne me rende abject et méprisable à vos
yeux et aux yeux des hommes ; et si j’é-
tois connu tel que je suis , je ne pourrois
Rendre témoignage à Jésus-Christ est
me plaindre d être bafoue avec le dernier
mépris ; cependant vous me promettez pour tout Fidèle un devoir indispensa­
un poids immense de gloire , pourvu que ble ; et le martyre est sans doute le plus
je préserve mon cœur de la vanité. Ah ! grand témoignage que Dieu puisse exiger
je m'humilierai de plus en plus, je serai de l’homme , puisque rien n’est si grand
petit à mes yeux, afin de mériter par- que l’amour, et que le martyre en est la
là cette gloire immortelle que vous desti­ consommation et la plénitude. Je sais que
nez aux humbles de cœur: je vous la sou­ ce témoignage n’est pas de tous les
haite, etc. temps , et qu’il a fallu que l’Eglise ait
Ainsi soit-il. eu ses tyrans et ses persécuteurs , pour
avoir ses martyres et ses Apôtres; mais
d est un martyre de foi comme un mar­
tyre de sang. Quoique les persécutions
aient, fini, et que les Césars soient de­
venus les protectecteurs de la religion
334 TOUR IA FÊTE »’un saint martyr, etc. 33a
qu’ils avoient voulu d’abord détruire ; -qui l’invoqueront avec l’Eglise , ne se­
tout Fidèle n’en est pas moins obligé d’ê­ ront pas pour cela un jour au nombre
tre un témoin de Jésus-Christ, comme le de ses disciples: je parle d’un témoignage
saint martyr dont nous honorons ici la qui coûte , qui ne démente pas par la con­
mémoire: la paix de l’Eglise qui n’ôte duite la foi qu’il professe au dehors, qui
rien au mérite de la foi, n’ôte rien non ne désavoue pas Jésus-Christ par ses œu­
plus à ses obligations; la vie chrétienne vres tandis qu’il le confesse de bouche ;
est toujours une vie de combat, de tenta­ d’un témoignage qui honore la religion,
tion et de souffrance : le Chrétien est tou­ qui glorifie le Seigneur, qui sanctifie le
jours un martyr qui doit en un sens mou­ Fidèle , et qui, par le sacrifice continuel
rir chaque jour pour Jésus-Christ; il faut qu’il fait des choses présentes, le rend un
dans tous les temps qu’il perde son ame témoin éclatant des futures: c’est-à-dire,
pour la regagner ; et si sa vie n’est pas que le témoignage que la foi exige de
un témoignage continuel et pénible de tout Fidèle, est un témoignage de souf­
sa foi, elle en est une désertion et une france , un témoignage de soumission ,
indigne apostasie. Mais pour développer et un témoignage de désir.
une vérité si capitale et d’un si grand Un témoignage de souffrance. Oui ,
usage pour les Fidèles, je la partage en nies Frères, ce n’est qu’en souffrant que
trois réflexions, qui vous apprendront nous pouvons rendre témoignage que
ce que c’est que ce témoignage , que nul nous sommes Chrétiens : les martyrs en
Fidèle ne peut se dispenser de rendre à donnant leur vie pour Jésus-Christ n’ont
Jésus-Christ. Nous avons besoin des lu­ fait qu’abréger leur sacrifice , et termi­
mières de l’Esprit-Saint : invoquons - le ner par un seul acte héroïque et dou­
par l’intercession de Marie. Are , Maria. loureux cette longue carrière de souf­
frances que doit fournir tout Fidèle. Il
ne sjagit pas seulement ici des maux
PREMIÈRE RÉFLEXION.
extérieurs dont la Providence souvent
Quand je parle d’un témoignage que nous afflige, et que la condition hu­
tout Chrétien est obligé de rendre à Jé­ maine nous rend inévitables ; ce sont
sus-Christ ; je n’entends pas seulement des preuves que Dieu n’exige pas éga­
la profession extérieure que nous faisons lement de chacun de nous, et des moyens
tous de sa doctrine ; tous ceux qui lui de sanctification dont sa sagesse se sert
diront: Seigneur, Seigneur, c’est-à-dire, poux accomplir ses desseins de miséri-
336' POU K LA FÊTÉ
" -X, JttAHTYR, etc. 007
corde ou de justice sur certaines ameS de cette violence si souvent commandée
fidèles. Il s’agit de ces souffrances qui itans 1 Evangile, qui fait que presque dans
forment proprement la vie chrétienne , outes nos actions nous devons être en
de cet esprit de croix et de mortifica­ gai de contre notre cœur, craindre que
tion qui rend témoignage que nous som­ 1 am,tie ne le seduise ; que la haine ne le
mes disciples de Jésus-Christ, sectateurs Pétrisse; que la flatterie ne l’empoisonne ;
de sa doctrine et associés à ses promes­ que: la comp aisance ne l’entraine; que
ses. Il s’agit de ce renoncement inté­ so-âH16. ne 1 ave,uSÎe ’ <lue l’envie ne le
rieur , de ce martyre invisible et conti­ ' e, fll|e le plaisir ne l’emporte ; que
nuel qui fait que nous résistons à nos 1 ndolence ne l’assoupisse ; que l’exem-
passions; que nous réprimons nos désirs Pie ne le rassure; que nous ne prenions
injustes; que nous combattons nos pen- nos penchans pour nos devoirs , et les
chans vicieux ; que nous affoiblissons les anus que nous justifions , pour les rè­
impressions des sens par les vues de la gles que nous devons suivre. Il s’agit de
foi , et que nous élevons dans nous la cesse T6 3 j01 ’ qU‘ corabat sans
vie de l’esprit et de la grâce sur les dé­ cesse au dedans de nous la vie des sens;
bris de l’amour-propre et de la nature. fl u tans toutes les actions et dans tous
Il s’agit de cette pénitence du cœur, fini- evcnernens trouve des sacrifices à
sans laquelle il n’y a point de salut , 5UG Partout elle trouve
qui fait que nous pardonnons les inju­ ou des penls a craindre , ou ses pro­
res ; que nous aimons ceux qui nous bes penchans a combattre: et qui nous
haïssent; que nous disons du bien de ceux 1 on JafnVC4U,0UrS °pP°sés à la Ioi Dieu,
qui nous font du mal ; que nous étouf­ mes ^.lt1tou)°urs trouver en nous-mê-
fons les saillies de la colère, les impé­ tions’ et - S°U-Ce d,6 t0Utes nos tenta-
tuosités de l’humeur , les mouvemens I s’adt in?aS10u de t0US nos frites,
de la vanité ; que nous retranchons les sagit enfin , de cette guerre conli
nuelle fait le chrft|
excès de l’amour-propre, les complaisan­
ces de l’orgueil, les inutilités des plai­ « sauver sans <,„■;] ]ui en cof
sirs , les dangers des commerces, les pé­ 2„’a,"Cre .soi7m™‘e. sans ranpr’oehêr
rils des occasions, les charmes de la pa­
resse, les écueils de l’ambition; et que nous
renons sans cesse le parti de la foi et de
? Evangile contre nous-mêmes. Il s’agit
338 TOUR LA FETE d’un saint martyr, etc. 33<)
sent; sans vivre pour Dieu au milieu maintenant à nous demander si nous
de tous les objets qui nous portent à sommes Chrétiens, c’est-à-dire, les mar-
nous chercher nous-mêmes ; sans être tyrs. de la foi et les témoins de Jésus-
étrangers dans une terre où tout nous re­ Christ ; à nous demander ce que la re­
tient et nous attache ; en un mot, sans ligion nous coûte; quels sacrifices nous
faire, de tout ce qui fait nos crimes et raisons a ses promesses; si Jésus-Christ
nos plaisirs, la source de nos vertus, et est pour nous un époux de sang, et
l’occasion de nos souffrances. quelles violences nous pourrons lui offrir
Voilà le martyre que la foi exige de un jour comme le témoignage de notre
tout Fidèle ; c’est à ce prix que le royaume loi et le prix de son royaume. Je vous de­
de Dieu nous est promis. Les supplices mande si ceux qui ne croient pas en Jé­
des martyrs, les austérités des anacho­ sus-Christ, et à qui la doctrine de la croix
rètes sont des grâces ; mais ce ne sont n a pas été prêchée , mènent une vie diff­
point des devoirs : tous n’ont pas ce erente de la nôtre ; si nous sommes plus
don, comme parle l’Apôtre, et tous ne pahens qu’eux, plus chastes , plus chari-
sont pas appelés au même honneur ; ables , plus, austères dans nos mœurs ,
mais la vie crucifiée , mais la mortifi­ plus modérés dans nos passions , plus
équitables envers nos frères, plus cir­
cation des passions , mais la viplence
conspects dans nos discours, plus déta­
des sens, mais la pénitence du cœur ches des choses présentes; et si le seul
est la vocation de tout Fidèle , le pre­ avantage que nous avons sur eux, n’est
mier devoir de la foi, le fond et comme pas une loi plus sainte et une vie plus
l’ame de toute la vie chrétienne. Ainsi, criminelle. Premier témoignage, un té­
tout Chrétien est un témoin de Jésus- moignage de souffrance.
Christ , parce que par les violences con­
tinuelles que l’Evangile l’oblige de faire seconde réflexion.
à son cœur et à ses passions, il rend té­
moignage que Jésus-Christ est le maitie Le second témoignage que nous de­
des cœurs, le rémunérateur des Fidèles, vons rendre a la foi , est un témoignage
le Juge éternel de nos œuvres ; que sa de soumission. Je dis de soumission
doctrine est la voie du salut, et la doc­ non-seulement à la profondeur de se^
trine de la vérité ; que ses promesses mystères et à l’autorité de sa parole en
sont préférables à tous les plaisirs dont sacrifiant nos lumières , en captivant
elles exigent le sacrifice. C’est a nous
û40 POUR LA PÈTE. d’un saint martyr, etc. 341
notre raison , en adorant ce que nous ne sur nous , la conformité à sa volonté
pouvons comprendre , et en ne voulant sainte dans toutes les situations ou il
pas être sages contre Dieu-même: de sou­ nous place ; en supportant avec patience
mission, non-seulement en ne voulant les croix que sa bonté nous ménage, les
as approfondir témérairement ce que
f œil n’a jamais vu , et ce que l’oreille n’a
infirmités dont il nous afflige, les inj ures de
nos ennemis, les perfidies de nos amis, la
jamais entendu ; en ne mêlant pas à la perte de nos proches, les disgrâces de la for­
simplicité de la foi, la vanité de nos rai- tune , et tous les évènemens, ou qui mor­
sonnemens et la foiblesse de nos conjec­ tifient notre orgueil, ou qui trompent no­
tures ; en ne regardant pas comme un tre espérance ; en faisant des peines at­
bon air une force d’esprit qui en est tou­ tachées à notre état, des moyens de sa­
jours l’aveuglement et la folie ; en mépri­ lut. Vous surtout , mes Frères, que la
sant les hommes audacieux qui croient Providence a fait naître dans une condi­
s’élever au-dessus des autres , en s’éle­ tion pauvre et laborieuse , loin d’envier
vant au-dessus de la foi ; qui s’honorent la destinée de ceux qui vivent dâns l’a­
de l’impiété , comme d’un titre de dis­ bondance ; loin de murmurer contre l’or­
tinction et de gloire; et en ne trouvant dre de Dieu , qui semble vous condam­
rien de plus noble et de plus grand que ner au travail, à la pauvreté et à la mi­
la docilité et la soumission du Fidèle : sère , loin de porter impatiemment le
de soumission, non-seulement en respec­ poids du jour et de la chaleur, que la
tant les pratiques du culte extérieur de Providence semble vous avoir imposé à
la foi , les pieuses traditions de nos pè­ vous seuls ; loin de vous regarder comme
res , les lois de l’Eglise; en rendant hom­ malheureux, parce que vous êtes pauvres,
mage à la grandeur de la religion par vous devez au contraire bénir la miséri­
notre fidélité à remplir ses devoirs les corde de Dieu de vous avoir fait naître
plus simples et les plus vulgaires, et ne dans une condition où le salut est plus fa­
croyant indigne de nous que de nous cile, parce que les dangers y sont moin­
mettre nous-mêmes au-dessus de la loi dres ; dans une condition où vous avez
et des règles. moins de tentations à craindre , moins de
Cette soumission ne regarde propre­ pièges à éviter, moins d’obstacles à sur­
ment que l’esprit: mais la foi exige en­ monter , et où tout vous facilite les voies
core la soumission du cœur ; je veux: du salut et de la vie éternelle; dans une
dire, l’acceptation des ordres de Dieu condition où Jésus-Christ appelle bien-
P 3
d’on saint martyr, etc. 343
342 POUR LA FÊTE
dèles , ce ne seront plus les noms et
heureux ceux qui y sont nés , puisque les les honneurs, mais les œuvres et les
riches doivent se priver par un esprit de
loi, des plaisirs que la naissance vous re­ mérites. ,
Ainsi, qui que nous soyons, mes r re­
fuse ; qu’ils doivent porter dans le cœur res , et en quelque état que la Providence
la pauvreté que vous étalez au dehors ; nous ait fait naître , il est inévitable que
qu’ils doivent remplacer par une pénitence nous ne trouvions des croix et des peines
volontaire, les travaux que la nature dans notre état. Or, le témoignage que
vous impose; et que vous pouvez avoir nous devons rendre à la foi, c’est de glo­
le mérité de leur état sans en partager rifier Dieu dans nos peines ; c est de nous
les tentations et les vices. Pensez quel­ soumettre à sa sagesse qui nous les im­
quefois, mes Frères, que la vie est courte, pose ; c’est de reconnoitre l’ordre du sou­
et que le Chrétien est condamné à souf­ verain qui dispense les évènemens agréa­
frir : qu’ainsi l’état qui nous attache le bles ou fâcheux, pour accomplir ses des­
moins a la vie; qui nous éloigne plus des seins de miséricorde sur les hommes;
plaisirs qui corrompent le cœur; qui nous c’est de sentir que les peines de notre état
ménage plus d’occasions de privation et sont les voies de notre sanctification; que
de souffrances ; qui laisse à nos passions nous sommes perdus si nous en sortons
moins de moyens de se satisfaire ; qui en murmurant contre la main qui nous
met entre les grandes tentations du monde frappe ; que Dieu a ses raisons dans tou­
et nous, un intervalle presque infini, est tes ses démarches à notre égard ; que son
un état heureux pour le salut, puisqu’il unique vue, dans ses différentes condui­
nous en fournit tous les moyens et qu’il tes , est de nous conduire plus sûrement
nous en éloigne tous les obstacles. Souve­ au salut; que rien n’est plus à craindre
nez-vous qu’il faut souffrir dans le monde que de n’avoir rien à souffrir; et que no­
ou dans l’éternité; qu’il est rare ou même tre. état n’est sûr, qu’autant que nous y
impossible d’être heureux sur la terre et trouvons des difficultés et des peines.
dans le ciel ; que la religion retranche Voilà le témoignage glorieux que nous
aux riches ce que la nature vous a déjà devons rendre à la foi: car rien n’honore
retranché ; que s’ils ont plus de biens plus la religion que la patience et la sou­
que vous , ils auront aussi un plus grand mission du Fidèle ; rien ne fait mieux
compte à rendre; que nous serons tous comprendre la grandeur et la puissance
égaux devant le tribunal de Jésus-Christ; de la foi, que de trouver dans l’espérance
et que ce qui distinguera alors les Fi- P 4
*44 ï-oun LA tjete d’un saint martyr, etc. 345
des piomesses futures une ressource tou­ vues ! Quelle élévation la foi ne donne-
jours prete contre les peines présentes; et t-elle pas à l’homme, puisqu’elle le met
Bien est grand dans ses Saints, il l'est au-dessus detouslesévènemens'.Et quand
principalement dans ceux qui savent souf- la religion n’auroit que cet avantage au
îi’ir et se soumettre. milieu des traverses et des vicissitudes
Et cependant il semble qu’il n’est poin t inévitables dans la vie , le pécheur ne
pour nous de Providence : nous ne la seroit-il pas à plaindre de s’en priver? et
comptons pour rien dans tous les évène- y auroit-il rien de plus insensé et de plus
mens qui composent notre vie; nous n’y malheureux, qu’un homme livré à lui-
voyons que la malice de nos ennemis, les même, et qui vit sans Dieu, sans religion,
injustices de nos maîtres, la mauvaise foi et sans conscience ?
c e nos amis , l’animosité de nos envieux :
il semble que les hommes gouvernent TROISIÈME RÉFLEXION.
1 Univers , et dispensent à leur gré les
révolutions diverses qui nous intéressent; Enfin, le dernier témoignage que nous
il semble que leurs passions sont les pre­ devons rendre à la foi, est un témoignage
miers mobiles des changemens et des for­ de désir. Comme nous sommes étrangers
tunes : nous ne remontons jamais jusqu’au sur la terre ; que nous n’avons point ici-bas
Souverain qui les met en œuvre, et les de cité permanente ; que les jours mêmes
lait servir à ses desseins éternels sur nos de notre pèlerinage sont courts et labo­
destinées ; nous n’y voyons pas un Dieu rieux, et que le ciel est la patrie du Fi­
et suprême et secret dispensateur de toutes’ dèle , le premier devoir de la foi est de
choses , sans l’ordre duquel pas un cheveu soupirer après la patrie qui nous est mon­
meme de notre tête ne tombe ; qui fait trée de loin : c’est de rapporter à cet heu­
tout, qui conduit tout, qui dispose de reux terme de nos travaux , nos soins, nos
tout, qui a préparé de toute éternité les œuvres, nos désirs et nos pensées; c’est
evenemens les plus soudains et les plus de ne perdre jamais de vue ce lieu de repos
surprenans pour les faire servir à notre promis au peuple de Dieu , vers lequel
sanctification, et qui se joue de la vaine nous marchons sans cesse, et où toutes
sagesse des hommes, en les conduisant à nos démarches et tous nos mouvemens
ses tins par les voies memes qu’ils avoient doivent nous conduire ; c’est de regarder
choisies pour les éviter. Quelle ressource tout ce qui nous environne comme n’étant
pour un Fidèle, que la sublimité de ces point à nous, puisque tout ce que nous

/
346 POUR I.A FÊTE d’un saint martyr, etc. 347
ne pourrions posséder toujours, nous ne est piège et tentation ; où nos bons désirs
l’avons que par emprunt ; c’est d’user du trouvent tant d’obstacles , notre foiblesse
inonde et de toutes les choses du monde tant, d’excuses, notre foi tant d’illusions,
comme n’en usant pas, c’est-à-dire, comme notre cœur tant de séductions; où la pros­
d’un dépôt dont nous n’avons que l’usage, périté nous élève, l’affliction nous abbat,
et qui ne doit que passer par nos mains; a santé nous fait oublier Dieu, la ma—
c’est de ne nous attacher qu’à ce qui doit adie nous remplit de nous-mêmes , les
demeurer toujours; c’est de ne souhaiter affaires nous dissipent , le repos nous
que les biens permanens, que personne ne amollit, les commerces nous séduisent,
pourra plus nous ravir, et qui rendent heu­ la solitude nous nuit, les exemples nous
reux ceux qui les possèdent; c’est de sentir entraînent, la singularité nous égare; et
que nous ne sommes point faits pour les où la vertu n’est jamais sûre, parce qu’elle
créatures, puisque toutes ensemble elles est toujours entre nos mains, et que nous
ne peuvent assurer à notre cœur le repos portons toujours ce trésor dans un vaisseau
que nous y cherchons, et que les biens de terre. Voilà ce qui a toujours tant fait
qui nousy attachent, sont plutôt la source soupirer les Saints après leur délivrance;
de nos chagrins que le remède de nos voilà ce qui doit nous faire désirer cette
peines. C’est de nous être à charge .à nous- rédemption parfàite où toutes les larmes
mêmes dans un lieu où tout irrite nos seront essuyées , toutes les tentations
passions, et rien ne peut les satisfaire; où finies , toutes les passions éteintes, tous
tous les pas que nous faisons sont des les désirs remplis, toutes les vertus assu­
chûtes ou des écueils ; où les mêmes ob­ rées , la source de tous les vices à jamais
jets que nous avons long-temps désirés, tarie : voilà ce qui doit nous faire sup­
forment ensuite nos plus vives amertumes ; porter notre vie avec une sainte tristesse,
où tout nouséloigne de Dieu, et où, plus porter le poidsde notre corps avec frayeur,
nous nous éloignons de lui, plus nous et regarder la terre comme le lieu des
nous devenons insupportables à nous- combats, des tentations, des naufrages ;
mêmes : dans un lieu que nous aimons vivre au milieu des créatures comme au
sans être heureux; que nous méprisons milieu d’ennemis qui ont juré notre perte,
sans en être détachés; dont nous sentons et désirer que le règne de Dieu vienne
le vide et le frivole , sans en être désabu­ enfin s’établir pour toujours dans nos
sés; où tout nous déplaît, et où cependant cœurs. Et ne croyez pas que ce désir soit
tout nous attache ; dans un lieu où tout une simple vertu de perfection : c’est le
P 6
348 POUR LA FÊTE d’un saint martyr, etc. 349
premier devoir de la foi ; c’est la dispo- êtes coupables; vous participez à la ma­
sition la plus essentielle du Fidèle; cest lédiction des richesses, et vous n’en par­
la piété sincère et véritable; c’est ce qui tagez pas les commodités et les avantages.
distingue les enfans du siècle des enfans Au contraire, si les riches vivent détachés
de Dieu; cest l’état du Chrétien sur la de leur opulence; s’ils regardent les biens
terre. Quiconque ne regarde pas le monde que la Providence leur a confiés, comme
comme un exil, n’est pas citoyen du ciel ; des moyens de miséricorde et le prix du
quiconque inet ses affections ici-bas, n’a royaume du ciel; s’ils sont la consolation
d10’? a Patrie promise aux des affligés , et la ressource des miséra­
Fideles ; quiconque ne se compte pas bles ; si, loin de s’élever de leur état, ils
comme étranger dans le monde , n’est préfèrent la crainte de Dieu et le trésor
plus un homme du siècle avenir, renonce de la justice à toutes les richesses de la
à la foi , n a plus de droit aux promesses terre ; ils sont pauvres de cœur aux yeux
futures , et est pire qu’un Infidèle. Et de Dieu, et ils participent à toutes les
voilà pourquoi, mes Frères , Jésus-Christ bénédictions de la pauvreté, sans en par­
nous assure qu^ le royaume du ciel est tager les incommodités et les peines.
pour les pauvres et pour les affligés : car Tels sont les témoignages que la reli­
il est bien plus aige de se regarder comme gion exige de nous. C’est ainsi que tout
étranger sur la terre, quand on n’y pos­ Chrétien doit être un martyr de la foi :
sédé nen; de regarder le monde comme non pas en répandant son sang, en allant
un exil , quand il est pour nous un lieu annoncer Jésus-Christ à des nations in­
de privations et de peines , et d’attendre fidèles , en quittant ses proches et sa pa­
sa consolation dans le ciel , quand on ne trie, comme le saint martyr dont la so­
la trouve pas sur la terre. Mais ce n’est lennité nous assemble aujourdhui; mais
pas 1 état, c est le cœur qui fait les véri­ en mortifiant ses passions par un principe
tables pauvres. Si vous regardez la pau­ de foi, et c’est un témoignage de souf­
vreté comme un malheur, si vous souhai­ france ; mais en acceptant ces peines et
tez les îichesses que la Providence vous ces afflictions pour rendre hommage à
refuse , si vous les comptez comme des la foi, et c’est un témoignage de sou­
biens véritables, si vous souhaitez de les mission ; mais en méprisant tout ce qui
acquérir par des voies injustes ; votre cœur passe , et ne regardant comme des biens
est riche, tandis que votre condition est solides que les biens éternels et les pro­
pauyie , vous êtes malneureux, et vous messes de la foi, et c’est un témoignage
35o POUR LA PÈTE d’un saint martyr, etc. 35r
de désir : c’est ainsi que vous pouvez par­ murant dans nos malheurs, nous aigris­
tager avec votre saint patron la gloire sons nos peines; en nous attachant aux
et la couronne de son martyr. Vous en­ créatures, nous multiplions nos liens, et
viez quelquefois, mes Frères, le bonheur nous aggravons notre servitude. Vous ne
de ceux qui ont répandu leur sang pour nous demandez donc que ce qui nous est
Jesus-Christ; il vous paroît heureux d’a­ utile et expédient ; vous nous intéressez à
cheter à ce prix et par un moment de vous servir en promettant que nous ne
souffrance un royaume éternel; mais, je trouverons de repos véritable que dans
'vous 1 ai déjà dit, il ne tient qu’à vous de votre service ; et vous attachez à l’obser­
leur ressembler. Dieu ne demande pas le vance de voire loi, et les avantages de
sacrifice de votre corps; mais il demande la vie présente , et les promesses de la
celui de vos passions : il ne demande pas future.
que vous alliez vous offrir à des peines et Ainsi soit-il.
à des tourmens pour sa gloire ; il demande
que vous acceptiez avec soumission celles
qu’il vous ménage : il ne demande pas
que vous renonciez à tout; mais il de­
mande que vous soyez détachés de tout.
A quoi tient-il donc, mes Frères, que
nous ne marchions sur les traces du saint
martyr que nous honorons ? Est-ce que
ce qu’on demande de nous est trop pé­
nible ? mais la grâce l’adoucit. Est-ce
qu’il est impossible ? mais tant de Saints
l’ont pratiqué. Est-ce qu’il est inutile ?
mais c’est le prix de notre salut. Mon
Dieu, si nous étions plus heureux sui la
terre en nous abandonnant à nos pas­
sions, en nous révoltant contre nos pei­
nes, en nous attachant aux créatures,
noire aveuglement aurait une excuse :
mais en favorisant nos passions , nous
augmentons nos inquiétudes ; en mur-
Analyses des Sermons. 353
donnons le vice aux premières mœurs ! Agnès, à
analyses la fleur de son âge, ne connoît rien de plus pré­
cieux que le trésor de l’innocence ; et le seul pri­
vilège qu’elle trouve dans sa jeunesse, ce sont des
des sermons attentions plus sévères pour éloigner des passions
qu il est toujours bien plus aisé de prévenir que
CONTENUS DANS CE VOLUME. d’éteindre.
..Mais, dit-on, il faut passer quelque chose à
l’age. Et moi, je dis que c’est à l’âge qu’il ne faut
rien passer, parce que les premières mœurs déci­
LE JOUR DE SAINTE AGNÈS. dent d’ordinaire du reste de la vie; et d’ailleurs ,
nos passions finissent-elles avec la jeunesse? Mais
Division. Deux préjugés dans le monde. I. Un au moins, le tempérament, ajoute-t-on, doit ren­
préjugé de faiblesse et de fragilité , détruit par le dre nos foiblesses plus pardonnables. C’est-à-dire
triomphe de la chasteté d'Agnès. II. Un préjugé donc que , lorsque Dieu nous donne un cœur
d impénitente, confondu par le courage de son mar­ tendre et sensible, il ne nous le donne pas pour
tyre. lui ; et qu’il ne s'est réservé que les âmes dures
I. Partie. Préjugé de faiblesse et de fragilité, et barbares. Agnès avoit le cœur bien tendre ;
mais c’est pour Dieu seul qu’elle fait usage d’une
qu Agnès confond par de triomphe de sa chasteté.
Au milieu de tant de généreux défenseurs de la foi, sensibilité qui ne doit nous conduire qu’à Dieu
seul. Périsse mon corps, dit-elle, puisqu’il a pu
dont le triomphe rendoit Rome encore plus illustre
plaire à d’autres, yeux qu’aux siens ! Et d’ailleurs,
que les victoires de ses anciens conquérans, Agnès où seroit le mérite de la vertu , si nous ne trou­
parut avec tant d’éclat, que son nom seul devint la vions en nous des penchans qui la combattent? Et
gloire de l’Eglise, la honte du paganisme, et l’ad­ seroit-il besoin de nous interdire le vice, si un
miration de tous les siècles. La grâce et la nature goût malheureux ne nous le rendoit aimable ?
avoient pris plaisir de répandre à l’envi sur elle Mais, continue-t-on , ce n’est ni par goût, ni par
tous leurs trésors : aussi s’attira-t-elle d’abord les tempérament, qu’on se laisse aller au désordre;
regards publics, et ce que Rome avoit de plus ce sont des occasions qui entraînent, auxquelles
grand, la rechercha. Quel ecueil pour une vertu on ne peut résister. Mais, i.° puisque vous étiez
vulgaire ! car refuse-t-on à cet âge une fortune né sans goût et sans tempérament pour le vice ,
brillante qui s offre ; et surtout quand l’honneur plus vous rendrez compte à Dieu d’un cœur que
et la religion n’y semblent mettre aucun obstacle! vous avez livré à Satan , malgré tant de défenses
Mais Agnès ne balance pas à préférer le trésor de heureuses dont sa main miséricordieuse l’avoit en­
la virginité à toutes les pompes du siècle. Quelle vironné. 2.° Qu’est-ce que ces occasions qui vous
instruction pour nous, qui regardons le dérègle­ ont séduite ? Sont-ce les talens malheureux des
ment comme une destinée de l’âge, et qui par- grâces et de la beauté, dont la nature vous avoit
354 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 355
pourvue ? Voyez quel usage en fit Agnès; c’est fureur de ses bourreaux, répand une joie sainte,
cela même qui, à son exemple, auroit dû rendre et comme un nouvel éclat sur son visage. En ef­
vos attentions plus rigoureuses. Les bienfaits du fet, qu’y a-t-il dans la vie chrétienne, qui ne con­
Créateur peuvent-ils devenir une excuse, lorsqu’on vienne au premier âge ? Le sérieux! mais l’inno­
les tourne contre lui ! D’ailleurs , n’avez-vous pas cence seule est toujours accompagnée de sérénité
assuré le succès de vos déplorables appas par des et d’alégresse ; et il n’y a que le crime et les pas­
soins et des artifices, qui sont déjà un crime pour sions qui soient tristes, sérieuses et sombres. La
vous, avant que d’être un sujet de chûte pour vos violence ? mais c’est dans le premier âge que les
frères ? Vous dressez vous-même le piège et l’oc­ passions plus dociles se plient plus aisément au
casion qui vous fait périr, et vous vous en prenez devoir. Les réflexions dont on n’est pas capable
à elle de votre perte. 5.° Je vous demande encore, dans la jeunesse ! mais la grâce ne se plaît que dans
qu’appelez-vous occasions l Sont-ce les séductions la simplicité et dans l’innocence : et nos incerti­
dont vous avez eu peine à vous défendre l Mais tudes croissent d’ordinaire avec nos réflexions. La
les sollicitations, les promesses, les terreurs affer­ fermeté et la persévérance? mais ce sont nos pas­
missent la vertu d’Agnès : pour vous, vous avez sions seules qui font toutes nos inconstances: aussi,
été au devant du crime par la facilité de vos mœurs, nous reprochons-nous souvent, et avec vérité,
qui a été comme un signal de dérèglement. L’exem­ qu’en avançant erqâge, nous n’avons fait que
ple d’Agnès confondra donc ce vain langage d’ex­ croître en malice, en dérèglement, et dans l’a­
cuses et de préjugés que le monde oppose sans mour désordonné des créatures. L’Evangile est
cesse aux préceptes de la loi de Dieu. donc la loi de tous les âges.
11. Paktie. Le préjugé d’impénitence, confondu 2. ° On se retranche sur le sexe. Mais quel pré­
par le courage du martyre d'Agnès, t,® On se re­ texte peut alléguer le sexe en sa faveur , contre
tranche sur l’âge, sur le sexe, sur la foiblesse du l’austérité et la difficulté des devoirs de l’Evan­
tempérament, incapable de porter toute la rigueur gile? Les Agnès, les Lure, les Cécile, tant d au­
et tout le sérieux d’une vie exactement conforme tres héroïnes de la foi,n’ont-elles pas trouvé dans
à l’Evangile. le leur une force et une grandeur d’ame dont les
i.® Sur l’âge : parce qu’il faut, dit-on, pour héros profanes n’ont jamais approché? Qui ne sait
l’observance rigoureuse des devoirs du Chrétien , de quoi est capable une femme mondaine, pour
une force , une maturité d’esprit, une fermeté à l’objet criminel qui la possède ? Et pourquoi ne se-
l’épreuve de tout, une persévérance, un endurcis­ roit-on capable de rien pour Dieu ? Ce qu on a pu
sement à la peine et à la violence, un empire sur pour le monde, ne le pourroit-on pas pour le salut?
ses.passions et sur soi-même, qui ne paraît pas 3. ° On se retranche sur la délicatesse du tem­
convenir à une jeunesse tendre, facile aisée à sé­ pérament. Mais Agnès trouve-t-elle dans la déli­
duire, et où les passions ne sont pas encore mo­ catesse de sa complexion , des raisons pour crain­
dérées par les réflexions. Mais Agnès, au sortir dre les chaînes qui la lient, et le glaive qui va
presque de l’enfance, défie la fureur des tyrans ; l’immoler ? Et d’ailleurs, vous demandet-on comme
et l’horreur de son supplice, qui alarme même la à elle, que vous résistiez jusqu’au sang? Dieu ne
Analyses des Sermons. 357
356 Analyses des Sermons. les devoirs, les bienséances. Aussi, vivez selon l’E­
demande pas la force du corps, il demande la pu­ vangile, et vous aurez toutes les vertus qui doivent
reté et 1 innocence de Pâme,et que les devoirs essen­ lier les hommes les uns aux autres.
tiels de la foi s’accomplissent au dedans de nous ;
c’est l’amour, c’est la crainte de Dieu , c’est la re-
connoissance , c’est le sacrifice intérieur des pas­
sions : or , ce sont là les vertus des foibles comme LE JOUR DE S. FRANÇOIS-DE-PAULE.
des forts. Il faut un corps de fer pour fournir aux
agitations, aux jeux, aux plaisirs, aux veilles, Division. I. Jamais Saint ne parut plus foible aux
aux assujettissemens que le monde et l’ambition yeux de la chair, que François-de-Paule. II. Jamais
vous imposent j et cependant la foiblesse de votre Saint ne fut si puissant aux yeux de la foi.
complexion peut y suffire. Mais pour remplir les I. Partie. Jamais Saint ne parut plus foible aux
devoirs de la religion, il ne faut qu’un bon cœur ; yeux de la chair, que François-de-Paule. Ce qui nous
et cependant vous excusez votre mollesse et votre paraît ici-bas digne d’envie, cet amas d'enchante-
impenitence sur la foiblesse de vos forces, comme mensqui nous font perdre de vue les biens éternels,
si Dieu demandoit de nous ce qui ne dépend pas qui séduisent l’esprit, et usurpent seuls tous les
de nous. hommages du cœur humain , sont, l’éclat de la
2,0 On oppose l’incompatibilité de la vie chré­ naissance, la distinction qui vient des sciences et
tienne avec la manière dont on vit, et dont il faut de l’esprit, la mollesse qui suit les plaisirs et la
vivre dans le monde. Mais Agnès consulte-t-elle félicité des sens ; et enfin, c’est le faste qui accom­
si sa conduite va paraître extraordinaire aux Ro­ pagne la grandeur et les dignités. Or, François-de-
mains ! Examine-t-elle s’ils vont traiter son courage Paule n’eut rien de tout cela.
héroïque de fureur, et son martyre de superstition r.° L’éclat de la naissance. La noblesse du sang
et de folie ? Elle savoit que la voie des Justes est et la vanité. des généalogies est de toutes les er­
une voie peu battue ; et que pour suivre Dieu, il reurs la plus universellement établie parmi les
faut se détourner du chemin que suivent presque hommes : en ne pense pas que ce qui distingue les
tous les hommes. vases d’ignominie des vases d’honneur , n’est pas
Et d’ailleurs, où est cette incompatibilité de l’E­ la masse dont ils sont tirés , mais le bon plaisir de
vangile avec la société ? Il n’est incompatible ni 1 ouvrier qui les discerne; que l’origine, comme la
avec l’amitié, ni avec les sentimens de la recon- conversion du Chrétien, étant dans le ciel, celle
noissance , ni avec la joie des conversations et des qu’il prend sur la terre est une bassesse dont il doit
commerces, ni avec les liens du mariage, ni avec gémir, et non pas un titre dont il puisse se glori­
les devoirs de la vie civile , ni avec les fonctions de fier. Ce fut pour rendre ces vérités du salut plus
la république. L’Evangile n’est opposé qu’aux vices sensibles aux hommes , que la Providence ména­
qui déshonorent la société , aux passions qui la gea à François-de-Paule une naissance vile et obs­
troublent, aux débauches qui la renversent, etc. cure selon le siècle. U naquit dans le sein de la
L Evangile ne retranche que les désordres qui cor­ pieté, et non pas dans le sein de la gloire : peut-
rompent la société ; il en assure le fonds, la paix,
358 Analyses des Sermons. Anatyses des Sermons. 359
être, hélas! qu’une origine plus éclatante l’eût trefois consommé leur sacrifice sur cette monta­
rendu inutile à l'accomplissement des desseins de gne, y avoient, ce semble , laissé des esprits de
Dieu sur lui, et à l’agrandissement de son héri­ souffrance et de rigueur, qui dans un moment
tage ; car une naissance illustre n’est souvent qu’un passent tous dans le cœur de notre Saint, et l’ar­
préjugé de réprobation, et la suite des jugernens ment d’une innocente indignation contre soi-même.
impénétrables de Dieu sur une ame. Mais il n’en futpas de sa pénitence comme de celle
2. ° La distinction qui vient des sciences et de de tant de Chrétiens, qui dans un commencement
l’esprit. Voilà encore ce que notre Saint n’eut de conversion embrassent avec ardeur tout ce qui
point : son éducation répondit à sa naissance. Il s’offre à èux de pénible, mais qui peu à peu sen­
laissa ces vents de doctrine qui enflent, pour s’en tent mollir leur zèle, et ralentir leur vitesse. L’a­
tenir à la charité qui édifie. Ce fut un scribe ins­ mour que nôtre Saint eut pour la croix fut violent,
truit dans le royaume des cieux ; mais qui tira du mais il fut durable; cependant le corps qu’il châ-
seul trésor de la grâce ces lumières anciennes et tioit avec tant de rigueur, n’avoit pas été un corps
nouvelles que nous n’avons jamais qu’à demi à de péché , et les membres qu’il faisoit servir a la
force de veilles et de recherches. Au lieu de pa- justice, n’avoient pas servi à l’iniquité. Le Sei­
roître dans les plus fameuses universités, et d’y gneur le prévint de ses bénédictions dès le sein
faire admirer une jeunesse toute brillante d’espé­ de sa mère , et il conserva jusqu’à la fin ce vête­
rances, il vient puiser dans la pénitence et dans ment de justice et de sainteté qu’il avoit reçu dans
la solitude d’un désert, cette haute réputation de le Sacrement qui nous régénère.
sainteté, qui seule peut autoriser à reprocher har­ 4-° Le faste qui accompagne les grandeurs et
diment aux peuples, et aux princes mêmes, leurs les dignités. François-de-Paulç fut bien éloigne
excès : à force de se croire le moindre de tous, et de ce vice ; son caractère propre fut cette humi­
indigne de toucher aux pieds de ceux qui évangé­ lité profonde, qui toute seule vaut mieux que le
lisent la paix, il devint plus que prophète , et le sacrifice. Devenu le spectacle des Anges et des
plus grand des enfans des hommes. Elevons-nous hommes , il se regarde comme le rebut de tous et
après cela , foibles que nous sommes, de quelques l’anathême du monde. Les pontifes du Seigneur
légères connoissances qui nous démêlent un peu et les rois de la terre s’empressent à lui offrir des
de la multitude. Un seul moment de grâce déve­ etablissemens dignes de lui : les honneurs de la
loppe souvent plus de vérités, que de longues an­ pourpre et de l’épiscopat lui sont présentés ; mais
nées de travail. sa chère vertu ne lui paroît être en sûreté que sous
3. ° La mollesse qui suit les plaisirs et la féli­ les dehors obscurs d’une vie privée. Le nom seul
cité des sens. Loin de s’y livrer, François-de-Paule de l’Ordre pieux et austère dont il enrichit 1 E-
se retire dans l’ancienne solitude du Mont-Cas- glise , annonce d’abord l’humilité de son saint
sin : cette demeure , consacrée par les austérités patriarche. Il n’en trouvoit pas à son gré d’assez
et les cantiques de tant d’illustres pénitens, fut le rampant à se donner, tandis que nous nous don­
premier théâtre des macérations de François-de- nons si souvent de plein droit des titres que le
Paule. Tant de saintes victimes, qui avoient au- Public nous refuse, et que nos ancêtres n’ont ja-
S6o Analyses des Sermons.
mais eus : et quel siècle fut plus gâté là-dessus Analyses des Sermons.
que le nôtre ! L’humilité de François-de-Paule jamais à la grâce et à l’esprit qui parloit en lui.
1 éloigna toujours du ministère des autels , et du. Ferdinand, roi de Naples, l’entendit au milieu de
sanctuaire chrétien; et ce cœur disposé par une sa cour lui reprocher ses excès, avec cette sainte
longue pénitence, consacré par tous les dons de liberté qu inspire la foi; et touché, comme David,
1 Esprit-Saint, ne se crut pas assez pur pour être ues charitables ménagemens et des pieux artifices
marque du sceau du Seigneur, tandis que des ■de Nathan , il prononça le premier contre soi-
cœurs mille fois profanes, et encore flétris par des même.
traces toutes vives du crime , osent se faire mar­ 5. Le meme Père des lumières qui lui décou­
quer du caractère saint. vrent le secret des cœurs, le fit percer dans l’ave­
II. Partie. Jamais Saint ne fut plus puissant aux nir ; et les Fidèles de son temps s’écrièrent avec
yeux de la foi, que François-de-Pauls. En effet, la surprise , qu’un grand prophète avoit paru parmi
veitu cm Dieu éclata dans sa foiblesse. Cette pierre eux, et que le Seigneur avoit visité son peuple.
de rebut fut placée a la tete de l’angle , et au lieu Comme le Jérémie de son siècle, il vit en esprit
le pius apparent de l’édifice, A peine étoit-il établi partir de Babylone un prince infidèle , et préparer
dans sa chere solitude, qu’une odeur de vie se les fers et les flammes dont on devoit enchaîner
répand malgré lui dans les environs ; et bientôt la Point du Seigneur, et brûler le temple et la ville
Iiance , 1 Italie , 1 Espagne, l’Europe entière en­ sainte.
tend parler de lui, et du fond de sa solitude , il - lauic ouuveratii as
remplit le monde du bruit de son nom. Ce fut une toutes les créatures , conduisant au tombeau, et
giande gloire pour la foi, de voir un solitaire sim­ en rappelant à son gré ; commandant aux vents
ple et sans lettres qui devient tout-à-coup : et a la mer, éteignant l’impétuosité du feu, fer­
( i. Le conducteur des aveugles : Rome même, mant la bouche des lions , vainquant les royaumes
ou le Seigneur rend ses oracles, et où le peuple de par la foi , et dépositaire de la puissance divine
Dieu va consulter, trouva dans ses lumières de sur la terre.
nouvelles ressources ; et Sixte IV eut recours à lui 5.° Son humilité fut récompensée et investie
dans ses doutes, et le regarda comme le guide et et hommage et de gloire. On le vit assis à côté d’un
le coopérateur de son pontificat. grand pape, comme autrefois Moyse auprès du
2.° Il eut une pénétration étonnante dans les pontile Aaron , partageant avec, lui les soins du
voies de Dieu sur les âmes. Les sentiraens des sacerdoce , et la conduite du peuple de Dieu. On
hommes, qui ne peuvent être connus, dit S. Paul, Vit les peuples en foule sortir des villes, le recevoir
que par l’esprit qui est en eux, n’échappèrent ja­ comme autrefois le Fils de David, et environné
mais au discernement du sien. Il découvrit les Q un appareil aussi humble que celui de J. C. en­
conseils des cœurs, et vit clair dans l’abîme des trant dans Jérusalem. Les cours des princes mê­
consciences ; et, comme la douceur étoit jointe à la mes, si peu indulgentes à la folie de la croix, lui
umiere , le cœur des princes et des peuples fut, rendirent des honneurs qu’on ne rend guère ou’à la
pour ainsi dire, entre ses maigs : on ne résista XSe n "?*'i “ “ “le »>««*« & S
jamais touveau David, n empêcha pas les mis mêmes des
c anegyriques, * q
562 'Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 363
Philistins Je le retenir à leur cour, avec toutes les trois erreurs, et qui encore aujourd’hui condamnent
distinctions et les égards dus à sa vertu. le monde , ou qui les ignore, ou qui les méprise.
i.° Contre l’erreur d’espérance, il comprit que
tout ce qui passe et ne doit pas toujours demeurer,
n’est pas digne du Chrétien né pour l’éternité.
LE JOUR DE SAINT BENOIT. Envoyé à Rome en un âge assez tendre , pour y
cultiver l’espérance de ses premières années par
tous les secours que pouvait fournir à l’éducation
Di vision. I. Benoît condamna le monde, je veux un séjour si célèbre, la foi qui mûrit de bonne
heure la raison, et donne au premier âge toute la
dire , les faux jugemens et la sécurité du monde, par
les lumières qui lui en découvrirent le néant et le sagesse et toute 1a. maturité des longues années ,
danger. II. Il condamna le découragement et les irré­ montra d’abord à Benoît ce que l’expérience seule
solutions du monde sur le salut, par la gloire et le apprend si tard aux âmes que le monde a séduites,
succès qui accompagna la promptitude de son entre­ et dès l’entrée presque de la vie, Benoît vit le monde
prise. tel que le pécheur trop tard détrompé, le voit en­
I. Partie. Benoît condamna les faux jugemens et fin en mourant, et s’en éloigna en un âge où il
la sécurité du monde, par les lumières qui lui en dé­ est encore plus séduisant par les. charmes qu’il
couvrirent le néant et le danger. Cest de trois ei- promet, qu’il ne l’est ensuite parles faveurs réelles
reurs principales que naissent cette foule de fausses qu’il accorde. Car voilà l’illusion universelle, dont
maximes répandues dans le monde, qui dérobent le monde s’est servi dans tous les temps pour sé­
presqu’à tous les hommes les voies de la. justice et duire les hommes. Dieu répand sans cesse des dé­
de la vérité : la première est une erreur d’espé­ goûts et des amertumes sur nos passions injustes
rance , qui ouvre à l’imagination , si capable de pour nous rappeler à lui; mais nous rendons ces
séduction dans le premier âge, mille lueurs éloi­ dégoûts inutiles , en charmant nos ennuis pré­
gnées de fortune, de gloire, de plaisir ; la seconde, sens par l’espoir d’un avenir chimérique que l’é-
est une erreur de surprise , qui ne trouvant pas le venement dément toujours. C’est là l’état de pres­
cœur encore instruit sur le vide et l’instabilité des que toutes les âmes que le monde et les passions
choses humaines, profite d’une circonstance où entraînent. Loin de chercher dans les promesses
de la foi cette félicité qui nous manque , nous la
tout ce qui blesse i’ame, ne s’efface plus , pour y
faire entrer le venin plus avant, et la corrompre cherchons dans les promesses du monde même ;
sans ressource ; la dernière est une erreur de sé­ etcest à ces vaines promesses que nous sacrifions
curité , qui nous représente les abus du monde notre bonheur éternel.
comme des usages et des voies sûres, et nous fait 2.° La foi préserva Benoît dés sa jeunesse de
marcher, sans rien craindre , dans des sentiers où cette erreur de surprise, que la nouveauté des plai­
tous les pas sont presque des chutes. Or , les lu­ sirs, le défaut de réflexions, et le torrent des
mières de la foi découvrirent à Benoît trois vérités exemples et des usages, rend comme inévitable à
principales, qui dissipèrent d’abord 1 illusion de ces ce premier âge. 11 sentit que tout ce qui n’est pas
Q 2
oû'4 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 365
Dieu, peut surprendre le cœur de l’homme, mais Cé n’est point là ce qui peut rendre l’homme heu­
ne sauroit le satisfaire. Ce n’est là d’ordinaire que reux. Il prend Dieu seul pour sa consolation et
le fruit des réflexions et de l’âge ; et heureux ceux pour son partage , avant que d’avoir éprouvé que
qui, après avoir été séduits, trouvent dans la sé­ le monde ne sauroit l’être. Et nous, détrompés
duction même de quoi se détromper plus solide­ depuis tant d’années par notre propre expérience ,
ment et sans retour de leurs erreurs passées ! Mais instruits par nos propres dégoûts, lassés du monde
Benoît parut instruit sur le vide et l’amertume par les mêmes endroits qui autrefois avoient pu
des plaisirs , sans qu’il en eût coûté à son inno­ nous le rendre aimable , nous ne pouvons cepen­
cence pour s’en instruire. La première impression dant nous déprendre de nous-mêmes ; nous n’o­
que le monde fit sur son cœur, fut le désir de sons rompre des liens qui nous accablent, et que
l’abandonner ; et il rechercha la solitude, comme nous portons à regret. Dieu est-il donc un maître
l’asile de son innocence, et non comme un lieu si cruel et si dur à ceux qui le servent, qu’il
propre à pleurer ses crimes. Ce n’est pas qu’une faille préférer les amertumes mêmes du crime,
retraite de pénitence ne soit glorieuse à la grâce aux plus douces consolations de la grâce ?
de J. C. : mais c’est toujours un cœur flétri, 5.° La dernière erreur que les lumières de la
pour ainsi dire, qu’on porte dans le sanctuaire j foi découvrent à Benoît, fut une erreur de sécu­
c’est une offrande comme encore souillée que l’on rité. Il est assez, ordiq^ire ailg personnes qu’un
va mettre sur l’autel : or, il semble que les âmes heureux tempérament ’’et les préventions de la
qui n’ont jamais appartenu au monde et au dé­ grâce ont préservées des grandes chûtes dans le
mon , sont bien plus propres à être consacrées à monde, de ne compter pour rien les dangers où
J. C. parmi les vierges saintes qui le servent, et tous les autres périssent, et d’écouter tout ce qu’on
à devenir sa portion et son héritage. dit contre la contagion du monde , plutôt comme
De là il s’ensuit que ce n’est pas une maxime un langage de piété, que comme des avis néces­
si sûre, quoique très-ordinaire à des parens même saires pour la conserver. Cette fausse idée les éta­
pieux et chrétiens , de se persuader qu’il est bon blit dans une sécurité qui rend les plaies qu’elles
que leurs enfans aient connu le monde , avant de reçoivent dans le monde , d’autant plus incura­
les consacrer à J. C. dans une retraite religieuse. bles , que n’y étant pas sensibles , elles ne leur
Car, outre qu’il est rare de vouloir connoître le cherchent point de remèdes. C’est là l’écueil que
monde, sans qu’il en.coûte de l’avoir connu; la retraite de Benoît nous apprend à éviter. L’in­
quand cela n’arriveroit pas, il en reste toujours nocence conservée dans le monde , ne le lui rendit
je ne sais quelles impressions funestes, qui vien­ pas moins redoutable. 11 se retira donc de Rome ,
nent troubler le repos et la douceur de la re­ pour aller se cacher dans la solitude; et la nou­
traite ; et souvent il touche plus par les vaines veauté de son dessein, en un sièple où ces exem­
images qu’il a laissées, qu’il ne tourhoit par les ples étoient encore rares en Occident , n’arrêt«
plaisirs qu’il nous offroit autrefois. Aussi, Benoît pas un moment l’impression de l’esprit qui le con-
n’atîend pas que l’essai mille fois fait des plaisirs duisoit au désert : et la retraite qu’il avoit choisis
injustes > le détrompe enfin, et le convainque que aux environs de Rome , ne le cachant pas assez'
Q3
Analyses'des Sermons. W
'366 Analyses des Sermons. îielles, Benoît ne trouve plus de volupté qu à cru­
à son gré au monde , il en chercha une plus aus­ cifier sa chair, et à la réduire en servitude ; devenu
tère, craignant de retrouver dans le concours des père d’un peuple de solitaires , il renouvelle en
personnes que le bruit de sa piété attiroit déjà de Occident ces prodiges d’austérité , que les déserts
toutes parts à son désert, les mêmes écueils qu’il de Scéthé et de la Thébaide avoient admirés ; et
avoit voulu fuir en sortant du monde. sa règle si estimée depuis, ne fut , dit S. Gré­
Il ne s’ensuit pas de là que les cloîtres et les goire , que l’histoire exacte des mœurs du S. lé­
déserts- soient la vocation générale de tous les gislateur. C’est ainsi que Benoît confond la mol­
hommes. Mais pour vous, pour qui tous les pé­ lesse du monde. En effet, quand on nous pro­
rils' sont presque des chûtes, et qui ne sauriez pose ces grands modèles, nous nous récrions sur
vous promettre d’étre fidèle ; tandis que vous serez la puissance de la grâce dans ces hommes ex
exposé, il est évident que Dieu a gravé dans la traordinaires , mais nous n allons pas plus iom ;
foiblesse même de vos penchans , l’arrêt qui vous et parce que nous ne croyons pas que ces mode-es
sépare du monde, et les exemples de ceux qui se de pénitence soient proposés pour être imités ,
sauvent dans le siècle ne conclud rien pour vous, nous ne les croyons pas même faits pour nous in> -
à moins que vous ne puissiez vous répondre des truire. Mais quel a pu être le dessein de Dieu tn
précautions qui leur ont assuré le salut. suscitant dans tous les siècles , de ces pénitens fi -
M A x>m*'1 "D- A' . meux qui ont édifié l’Eglise ? n est-ce pas de nous
. j^enou condamna le découragement et faire comprendre de quoi notre foiblesse , soute­
les irrésolutions du. monde sur le salut., par la gloire nue de la grâce , est encore capable ? De plus , je
et le succès qui accompagna la promptitude de son vous demande pourquoi ces grands exemples de
entreprise. Lorsque Dieu convie les pécheurs à ve­ pénitence nous paroissent-ils si éloignes de nos de­
nir goûter les saintes consolations qu’il prépare voirs et de notre état! Est-ce parce qu’ils ont
ici-bas même , à ceux qui le servent, figurées sous vécu dans des siècles fort éloignés des nôtres ?
l’image d’un festin ; au lieu de l’empressement mais les devoirs ne changent pas avec les âges.
qu’on devroit montrer, on oppose d’ordinaire, Est-ce parce que les Saints ont été des hommes
comme l’Evangile nous l’apprend, trois sortes extraordinaires ? mais les Saints ne sont devenus
d’excuses à la voix du ciel. La première excuse parmi nous des hommes extraordinaires que parce
est une excuse de mollesse : uxorem duxi : la se­ que la corruption est devenue universelle. Est-ce
conde est une excuse-de fausse prudence , qui n’a parce que les mortifications et les saintes austéri­
jamais pris assez de mesures : juga boum emi ; eo tés ne forment que le caractère particulier de quel­
probare ilia : la troisième excuse, est une excuse ques Saints? mais lisez les histoires ; tous ont fait
d’attachement et d’intérêt terrestre : villam emi. pénitence , tous ont crucifié leur chair avec leurs
Or, les démarches de la foi de Benoît confondent le désirs ; et partout où vous trouverez des Saints ,
monde sur ces trois vaines excuses. vous les trouverez pénitens. Nous avons donc
i.® L’excuse de mollesse. Caché d’abord au beau nous rassurer sur l’exemple commun ; si les
fond d’un antre , oublié des hommes , et connu de Saints l’avoient suivi, ils nejnériteroient pas au-
Dieu seul, passant des nuits ou à chanter de
Q 4
saints cantiques, ou à méditer les années éter-
568 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 56$
jourd’hui nos hommages. L’Evangile est fait pour dictions ont toujours été le caractère le plus cons­
nous comme pour eux ; et comme il n’a rien qui tant des œuvres de Dieu.
nous ressemble , il n’a rien non plus qui doive 3.° Troisième excuse : l’attachement aux choses
nous rassurer. de la terre, à la fortune, ou à la réputation : elle est
2.° Seconde excuse : la fausse prudence qui condamnée parla gloire et le succès qui accompagna
trouve toujours des difficultés insurmontables, Benoît dans son entreprise. Benoît, sur le mont
que Benoît confond pareillement. Quoiqu’il y eût Cassin , fut l’oracle de toute la terre : l’institut cé­
déjà eu dans nos Gaules de saintes assemblées de lèbre dont il jeta les fondemens, semblable au grairt
moines, on peut dire que Benoît fut suscité de de senevé, devint bientôt un grand arbre qui couvrit
Dieu , et rempli de tous les dons de la nature et le champ de J. C. et en fit le plus bel ornement.
de la grâce , pour être en Occident non-seulement Les enfans de Benoît gouvernèrent long-temps
le restaurateur, mais le père de la vie cénobiti- toute l’Eglise ; et comme Jacob, il fut le père
que. Mais quelle entreprise fut jamais plus tra­ des patriarches. Ce fut dans ces pieux asiles que
versée et plus contredite ! il est obligé de quitter la science et la vérité se sauvèrent de l’ignorance
le premier monastère dont on l’avoit chargé , et de la barbarie de ces siècles infortunés qui sui­
virent le siècle de Benoît. Telle fut la gloire , tels
parce qu il n’y trouva que des enfans pervers et
furent les succès de notre Saint ; et voilà ce qui
corrompus : il n’est pas plus tranquille dans la
nouvelle solitude qu’il s’est choisie: enfin il aborde nous confond , nous en qui la fausse prudence, et
les inconvéniens de fortune et de réputation qus
au mont Cassin , cette montagne si célèbre, le
Carmel de 1 Occident ; il n’y trouve que des ido­ nous croyons entrevoir dans une vie chrétienne ,
lâtres , il en bannit l’idolâtrie, et y élève un autel l’emportent presque toujours sur les plus pressans
mouvernens de la grâce qui nous y convient. Oui,
au Dieu vivant, il y donne sa loi céleste à ses dis­
les personnes mêmes qui se sont déjà déclarées
ciples: et devenu père d’un grand peuple de saints
pour J. C. dans le détail de leurs devoirs , sacri­
solitaires, il remplit tout l’Occident du bruit de
fient presque toujours à des égards humains , les
son nom et de sa sainteté. Mais il importe plus
lumières et les mouvernens de leur propre cons­
de nous instruire que de le louer. La grande foi
cience. Ce n’est pas à la vérité sur des points es­
de Benoît qui l’affermit contre toutes les difficul­ sentiels ; mais c’est sur une infinité de moindres
tés que le démon oppose à son entreprise , con­ démarches que Dieu demande de nous , et qua
damne notre découragement dans les obstacles nous sentons nous être nécessaires : cependant le
qui traversent les démarches de conversion que monde nous arrête ; la première pensée qui. nous
Dieu demande de nous : ce sont les difficultés et occupe , c’est ce que le monde pensera de nous;
les obstacles eux-mêmes qui doivent soutenir et et après l’avoir abandonné, nous voulons encore
animer une ame dans la résolution qu’elle prend le ménager ; et nous ne pensons pas que si nous
de changer de vie , et de servir Dieu. Si tout regardons le monde comme l’ennemi de Dieu , il
étoit tranquille, ce grand calme devrait lui faire ne peut rien nous arriver de plus heureux que de
appréhender pour une conversion â laquelle le lui déplaire.
monde et l’enfer seroient si favorables : les contra-
Q 5
070 Analyses des Sermons, Analyses des Sermons. 071.
pour un monde qui ne la connoît pas. Aussi, le
monde l’écoute, le monde l’admire; mais le
monde ne le croit pas, et il demeuie toujours
LE JOUR DE S. JEAN-BAPTISTE, tranquille dans son aveuglement. Cependant, sur
quoi le monde se croit-il dispensé de faire péni­
tence ? seroit-ce sur l’innocence de la vie ? hélas !
U vision. I. Jean-Baptiste condamnant le monde
n’a-t-il pas assez de crimes à expier ? Seroit-ce la
par le témoignage qu’il rend à la lumière et à la
foiblesse de la santé qui arrête ? mais quel usage
vérité. II. Jean-Baptiste condamné du monde pour n’en fait-on pas pour les plaisirs, pour la gloire,
¿voir rendu ce témoignage.
pour la fortune ? Seroit-ce sur la facilité avec
I. Partie. Jean-Baptiste condamnant le monde
laquelle Dieu reçoit toujours le pécheur pénitent?
par son témoignage. Le monde a de tout temps
il est vrai, Dieu reçoit toujours le pécheur qui
taxé les austérités de la vie des gens de bien,
revient à lui ; mais qui vous a répondu que vous
d’excès et de singularité; leur humilité, de pu­
arriverez à ce jour que vous vous marquez à
sillanimité et de foiblesse ; leur zèle, de bizarre­ vous - même ; et que Dieu changera votre
rie et d’aigreur. Or , c’est sur ces trois préju­
cœur , lorsque vous aurez mis le comble à vos
gés si injustes que Jean-Baptiste condamne le
monde. crimes ?
1Sur la pénitence que le monde taxe d’ex­ 2.0 Les abaissemens de Jean-Baptiste sont en­
cès et de singularité. Quoique sanctifié dès le sein core un nouveau sujet de condamnation' pour le
de sa mère , quoique ce 11e fût pas un pécheur, monde qui traite l’humilité , de pusillanimité et
un mondain, un ambitieux , mais un Juste en de foiblesse. Et remarquons comment tous les ca­
qui la grâce avoit prévenu la nature , quels exem­ ractères de l’humilité de Jean-Baptiste confondent
ples d’austérité ne vient-il pas montrer aux hom­ notre orgueil. Premièrement , il rend gloire à la
mes ? Suivez-le dans les déserts, sur les bords vérité et à la justice, en se reconnoissant infé­
du Jourdain , à la cour d’Hérode , la différence rieur à J. C.; et nous , malgré tout ce qui nous
des lieux ne change rien à l’austérité* de ses humilie , au dedans de nous, nous exigeons
mœurs ; il est partout le même. Cependant le que les hommes pensent de nous ce que nous
monde n’en est point touché , parce que le monde n’oserions en penser nous-mêmes. Secondement ,
11e peut comprendre qu’on ne soit pas fait comme il veut diminuer , afin'que J. C. croisse . et met
lui ; et que tout ce qui le condamne, lui paroît plu- sa véritable grandeur à cacher l’éminence de ses
titres ; et nous, non-seulement nous voulons nous
attribuer les talens et les vertus que nous n’avons
pas, nous disputons même aux'autres celles qu’ils
ont; comme si leur réputation nous humilioit, et
qu’on nous privât des louanges qu’on leur donne.
Troisièmement, Jean-Baptiste ne fait servir l’é­
clat de ses dons et de ses talens qu’à, la gloire de.
Q 6
'Z'j'i Analyses des Sermons. Analyses des Sermons.
J- G. ; et tout ce que le Seigneur a rnis en nous d& qu’aimable par ses ménagemens. Or, en violant
dons et de talens, hélas ! nous n’en faisons usage ces règles du véritable zèle , nous fournissons
que pour nous, et souvent contre le Seigneur lui- au monde un préjugé fâcheux contre la piéta
même. même.
5.° Le zèle de Jean-Baptiste condamne le II. Partie. Le monde condamnant Jean-Baptiste
monde qui a coutume de le traiter de bizarrerie sur les mêmes choses sur lesquelles Jean-Baptiste l'a
et d aigreur. Son zèle est éclairé ; il ne s’en prend condamné.
qu aux abus; il ne propose à chacun que les de­ i.° Sur la pénitence. Sa vie austère, sa retraits
voirs propres de son état ; mais il n’en est pas si profonde, son détachement si universel, qui
moins intrépide, il ne ménage ni les rangs , ni ne doivent former dans les cœurs que des senti­
les dignités , ni les erreurs les mieux établies : mens d’admiration et de respect, ne trouvent
partout ou il trouve le vice , il l’attaque, il le parmi les Juifs que des dérisions et des censures.
confond , et ne connoît pas ces timides ménage- Loin d’animer leur foiblesse par son exemple ,
mens qui font grâce au crime en faveur du pé­ loin de bénir Dieu de ce qu’il veut bien donner da
cheur. Mais cette intrépidité de zèle est accom­ temps en temps à la terre ces grands exemples de
pagnée de prudence et de charité ; de cette pru­ pénitence, si propres à confondre les pécheurs et
dence qui condamne le vice sans aigrir le pécheur: les libertins , ils regardent les saints excès de Jean-
de cette charité qui supporte le malade , mais qui Baptiste comme une illusion de l’esprit imposteur
ne souffre et ne déguise pas le mal , qui prend qui le séduit, et comme une frénésie : Penit Joan-
toutes les formes, qui mêle la douceur et la sévé­ nes, non manducans, neque bibens ; et dicunt r
rité. Or, qu’il est rare de trouver tous ces carac­ Damonium .habet. Telle a été de tout temps la
tères dans le zèle des personnes qui font profession destinée du monde , il tourne à sa perte les mê­
de piété. Notre zèle est éclairé , c’ëst-à-dire , nous mes secours que la bonté de Dieu avoit préparés
sommes clairvoyans sur les défauts de nos frères » pour son salut. En effet, lorque des âmes poussées
rien ne nous échappe de leurs foiblesses. Notre par l’Esprit-Saint, font succéder à vos yeux la
zèle est intrépide ; mais c’est envers ceux que retraite aux dissipations du monde , les larmes
nous n aimons pas, que nous ne craignons pas, aux charmes de la volupté et de la mollesse ; en
qui nous sont inutiles, ou même opposés à nos êtes-vous seulement,édifié ? non ; leurs austérités
vues, à nos intérêts, à nos sentimens. Aussi no­ saintes, vous les traitez de singularité et de foi­
tre zèle est prudent; mais ce n’est que d’une pru­ blesse ; leur retraite , de bizarrerie et d’hu'meur ;
dence intéressée et charnelle. Enfin , notre zèle leurs larmes, de pusillanimité et de foiblesse,
au lieu d’être charitable, est plus aigri et rebuté» C’est une affectation , une ardeur de tempéra­
que touché des chûtes et des foiblesses de nos frè­ ment , une raison blessée : et ce ne sont pas seule­
res ; il leur fait paraître plus de rigueur, plus ment les libertins qui parlent de la sorte ; ce sont
d’indignation et d’horreur de leurs fautes, qua les plus sages d’entre les mondains, qui trouvent
d’affection, de désir, et d’amour de leur salut. Il des inconvéniens infinis aux saintes austérités » et
îend la vertu plus redoutable par ses censures »
3 y4 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 3y5
aux larmes heureuses de la pénitence des Justes. de son humilité, et le courage héroïque de son re­
Ils voudroient une vertu modérée qui ne désespère noncement et de sa retraite 1 Nous y trouvons de
pas ceux qui en sont témoins, au lieu de les en­ la pusillanimité et de la foiblesse : nous appelions
courager ; ils redisent sans cesse qu’on ne va pas une vie oiseuse et obscure, une vie qui sert de
loin, quand on s’y prend si vivement. spectacle aux Anges et aux Saints : nous taxons
Mais d’un autre côté une vertu plus adoucie et de paresse et de defaut d’élévation les sacrifices les
plus commune ne trouve pas plus d’indulgence plus héroïques, et les sentimens lés plus nobles
auprès du monde. Car ce même monde qui prê­ de la foi : et tandis que nous admirons le désin­
che tant la modération aux gens de bien, dès que téressement, la fausse sagesse, et le mépris or­
ceux-ci paraissent dans des.mœurs plus commu­ gueilleux que les philosophes avoient pour les di­
nes , et que leur piété n’a rien de trop austère qui gnités et les richesses , nous regardons comme un
frappe et qui surprenne , ah ! c’est alors que le bon air de mépriser la noble humilité oes serviteurs
inonde insuite à cette vertu .commode et aisée ; de Dieu. Tel est l’aveuglement du monde , d’ad­
c’est alors qu’il met bien haut les obligations de mirer tout ce qui l’avilit, et de mépriser tout ce
l’Evangile , et qu’il devient un docteur rigide et qui peut le rendre estimable.
outré : et c’est là le reproche que J. C. fait aux 2.° Le monde condamne Jean-Baptiste sur son
Juifs de notre Evangile. zèle. L’impiété d’Hérodias et la foiblesse d Herode
2.° Le monde condamne Jean-Baptiste sur les font au précurseur un crime de la sainte liberté de
abaissemens. Oui, le monde qui accuse si facile­ son ministère. Il devient le martyr de la vérité :
ment les gens de bien d’aller toujours à leurs fins, heureux de l’avoir annoncée jusques dans le palais
d’être si sensibles aux honneurs et aux préféren­ des rois , et aux pieds du trône : plus heureux
ces, toujours plein de contradictions, condamne encore de mourir pour elle, et d avoir eu assez
l’humilité du précurseur. L’aveu qu’il fait aux de zèle pour mériter d’être condamne par le
Juifs de son néant et de sa bassesse , et de la monde ! Tel est le caractère du inonde ; il ne sau­
grandeur de J. C., les éloigne de lui ; et ils ne rait pardonner à la vérité , parce que la venté ne
paraissent plus en foule à sa suite : telle est encore peut rien lui pardonner. Cependant dans quelle
notre injustice envers la vertu. Nous qui trouvons bouche la vérité pouvoit-elle être plus respectable,
si mauvais que ceux qui en font profession , bri­ que daus celle du précurseur ? Le prodige de sa
guent des dignités et des places, qui leur faisons naissance , le saint excès do ses austérités, sa ré­
souvent un crime des grâces mêmes et des hon­ futation , les hommages de toute la Judee , 1 es-
neurs qu’ils fuient, et que le mérite leur a attirés orit de tous les prophètes qui paroît revivre en
malgré eux-mêmes; nous-mêmes , si un Juste ui , le rendoient l’instrument le plus propre à
animé de l’Esprit de Dieu, abdique le faste et rendre gloire à la vérité, et à confondre la volup­
l’éclat des honneurs du siècle, pour méditer daus té, si la volupté pouvoit rougir. Mais ce vice
la retraite les merveilles du Seigneur et les années n’est pas comme les autres, qui laissent encore
éternelles, de quel œil regardons-nous la grandeur un reste de goût, au moins de respect pour la vé-
376 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons.
rité : pour la volupté , elle en a été de tout temps
la plus inexorable persécutrice. Il n’est rien de WVW■*•%■**■*•*•*•
sacré pour elle : tout ce qui s’oppose à sa passion ,
la rend furieuse et barbare : les crimes les plus af­
LE JOUR. DE SAINTE MAGDELEINE.
freux ne coûtent plus rien, dès qu’ils deviennent
nécessaires ; et malgré les noms doux et aimables
que les théâtres impurs donnent à cette infâme Division. Magdeleine avoit aimé le monde d’un
passion, c’est dans la vérité une furie armée de amour de goût et de vivacité , qui adoucissoit tout
fer et de poison , qui n’épargne rien , et qui est ce quelle trouvoit de pénible dans ses voies : d un
capable de tout, dès qu’on l’incommode et qu’on amour de préférence jusqu’à tout sacrifier au monde.
la traverse. Hérodias n’est touchée ni de la sain­ Elle aime Jésus-Christ , I. d’un amour tendre et
teté et des autres qualités de Jean-Baptiste , ni du ardent, qui adoucit tout ce quelle entreprend de
respect qu’Hérode ne peut refuser à sa vertu, ni plus amer pour lui. II. D’un amour fort et géné­
même de la circonstance du festin : Jean-Baptiste reux , qui ne connaît plus rien quelle ne lui sa­
la reprend : il ose lui reprocher la honte dont elle crifie.
ne craint pas de se couvrir à la face de toute la I. Partie. Magdeleine aime Jésus-Christ d’un
Palestine ; il faut que son sang expie le crime amour tendre et ardent, qui adoucit tout ce quelle
. de cette liberté. Voilà où mène cette affreuse entreprend de plus amer pour lui. La grâce de la
passion. conversion imite et suit d’ordinaire le caractère
Mais sans pousser les choses si loin , arrêtons- du cœur quelle touche : et la miséricorde de
nous à la foiblesse d’Hérode. Voyez ce que l’em­ Dieu trouve toujours dans nos passions , les
pire de la volupté peut sur les cœurs même les moyens mêmes de notre pénitence. Or, voilà ce
mieux faits : il n’a pas la force de refuser la tête qui se passe aujourd’hui dans le changement d«
du précurseur ; il frémit en secret de l’horreur et Magdeleine.
de la barbarie de cette injustice ; il se rappelle i.° Le monde avoit trouvé en elle un de ces
toute la sainteté de ce prophète : c’est à regret cœurs tendres et faciles, que les premières im­
qu’il va souiller ses mains du sang innocent; mai pressions blessent; un de ces caractères que tout
c’est la volupté qui le demande; et est-il possible entraîne, et à qui tout devient presque un écueil :
de rien refuser à la volupté, quand une fois elle et voilà la première disposition que ia grâce fait
s’est rendue maîtresse d’un cœur ? L’honneur, la aujourd’hui servir à son salut. Excitée par la cu­
raison , l’équité , notre gloire, notre intérêt même riosité , elle vient entendre les paroles de grâce
ont beau se révolter contre ce qu’elle exige ; ce qui sortoient de la bouche du Sauveur, et qui
sont de foibles moniteurs ; rien n’est écouté. Telle portoient des traits célestes et une onction ineffa­
est la récompense que trouve sur la terre le zèle ble dans les cœurs. Ce cœur , si facile pour le
de Jean-Baptiste ; telle est la destinée de la vérité,, monde , ne se défendit pas long-temps contre J. C.
toujours odieuse au monde, parce qu'elle ne lui- De nouvelles agitations naissent dans son ame:
est jamais favorable.
378 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons.
les idées de la vertu que ce prophète vient donner ame, et point du tout sur les mérites de ses œu­
aux hommes, la surprennent et la lui rendent déjà vres. Voilà les saints artifices de l’amour de Mag­
aimable : les couleurs terribles avec lesquelles il deleine : elle aVoit été prudente dans le mal, elle
peint le vice, l’alarment, et déjà elle se propose est prudente pour le bien ; au lieu que souvent
des mœurs plus dignes de. sa gloire et de son habiles dans la recherche des plaisirs, et dans la
nom. Voilà la première*impression de J. C. sur conduite de leurs passions , les femmes du inonde
cette ante : les mêmes facilités que les attraits des 11e savent plus par où s’y prendre, quand il faut
passions avaient trouvées en elle pour le monde , se déclarer pour J. C.
la grâce les trouve pour le salut. 5.° Le monde avoit trouvé dans Magdeleine un
2.0 Le monde avoit trouvé en Magdeleine un cœur ardent, où les passions ne savoient pas
cœur habile et ingénieux dans le .choix des moyens même garder des mesures : vous allez voir les
pour arriver à ses fins : or, cette malheureuse mêmes traits dans le caractère de son amour pour
rudence qui l’avoit conduite dans les voies de Jésus-Christ. Premièrement, la promptitude. A
f iniquité, devient une pieuse sagesse dans les peine eut-elle appris que le Sauveur étoit entra
dans la maison du Pharisien , elle y court; elle
démarches de sa pénitence. Elle choisit les cir­
constances les plus favorables pour toucher J. G. profite de la première occasion quelle trouve de
et obtenir de lui le pardon de ses fautes. Elle venir se ieter "3 sps nîp^s. C’est qu’en effet la
choisit j premièrement, la salle du festin ; c’est- promptitude est essentielle à la coirvemiuii : 1«
à-dire , un lieu qui l’exposant à la risée et à la grâce a des momens heureux, que ni le temps ,
censure publique, intéressera J. C. pour elle , et ni les années, ni les mêmes circonstances ne ra­
le touchera de pitié. Secondement, le temps du mènent plus. Secondement , la vivacité. Le
repas , où les grâces s’accordent plus facilement. monde avoit trouvé en elle un de ces caractères
Troisièmement , la présence des Pharisiens , extrêmes qui ne se donnent jamais.a demi, C est
parce que J. C., pour confondre leur dureté , se ainsi qu’elle aime J. C. : tout ce que 1 amour a
se plaisoit à donner des marques de bonté et de de plus vif et de plus extrême , pour ainsi dire,
tendresse envers les brebis égarées. Quatrième­ elle le sent : toutes les marques de la douleur la
ment , elle emploie une confusion salutaire , sans plus profonde , elle les donne. Les suites ne dimi­
chercher de vaines excuses pour adoucir du nuent rien à cette ardeur ; et partout dans 1E-
moins aux yeux de son Sauveur , l’excès de ses Vangile elle nous sera représentée comme une
égaremens, et se contente de se tenir à ses pieds. amante vive et fervente. Instruction importante ;
Cinquièmement , elle emploie , pour le fléchir , car si l’on n’y prend garde , les conversions les
une humilité profonde : elle répand des parfums' plus vives finissent d’ordinaire par la tiedeur et
précieux j mais elle ne les répand que sur ses par le relâchement ; et d’un pénitent zélé , ou
pieds , 11e voulant presque pas que le Seigneur devient un tiède Chrétien. Troisièmement, la-
s’en aperçoive : elle ne veut attirer les regards veuglement de son amour , si j’ose ainsi m’expri­
de son Libérateur, que sur les misères de son mer. Car , quoique la g.âce soit une lumière ce-
5 So Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 38 i
leste, il est vrai de dire néanmoins qu’elle aveu­ au monde : d’abord arrêtée sans doute par la pu­
gle la raison charnelle sur mille difficultés que deur naturelle à son sexe, et par sa naissance; en­
1 amour-propre oppose d’ordinaire aux premières suite rassurée contre elle-même par ces maximes
démarches de la conversion. Aussi Magdeleine insensées que le monde inspire , elle ouvrit son
ne raisonne point sur les difficultés infinies qu’elle cœur à tout ce qui s’offrit pour le captiver. En
pourra rencontrer dans son changement. En ef­ vain sa gloire et sa raison rougissent en secret de
fet , res precautions excessives dans un commen­ ses foiblesses ; l’ascendant de son caractère avoit
cement cie pénitence, outre qu’elles ne supposent pris le dessus , et tous les nouveaux objets étoient
qu un cœur à demi-touché , ne sont jamais heu­ pour elle de nouvelles passions. Elle a les- motifs
reuses. La grâce, dans ses premiers mouvemens les plus puissans de retenue , sa naissance , la ta­
surtout, a d heureuses imprudences qui révoltent che immortelle que ses égaremens ailoient faire à
la sagesse humaine, mais qui consomment l’ou­ son sang, l’exemple d’une sœur attachée au de­
vrage du salut. Ce n’est pas que pour mourir au voir, les suites mêmes d’une réputation flétrie
inonde et servir Dieu, il faille renverser toutes dans les personnes de son âge , etc; mais elle aime
les règles de la prudence. La raison est donnée à le monde, et il n’est plus rien de si cher qu’on ne
l’homme pour- le conduire ; c’est tenter Dieu , et sacrifie à ce qu’on aime. Maintenant elle aime J. C.;
sortir de l’ordre de la Providence ; que de ne pas et voyez comment elle fait un sacrifice de sa
consulter une lumière qu’il a mise lui-méme en réputation à l’amour qu’elle a pour lui. Elle vient
nous : mais il est certain que trop de prévoyance chercher J. C. dans une maison étrangère où elle
et de circonspection arrête toujours l’ouvrage de n’est ni connue , ni priée , et s’avoue pécheresse
la grâce ; et que dans les premières' démarches de par cette démarche , sans écouter toutes les réfle­
la grâce surtout, il faut laisser quelque chose à xions qui pouvoient naître dans son esprit sur son
faire à l’esprit qui nous touche, ne vouloir pas tout age , sur son sexe , etc. Elle ne risquoit rien, ce
prévoir soi-même , s’abandonner à J. C. sur mille semble, d’attendre que J. C. se fût retiré chez
difficultés auxquelles on ne voit pas de ressource, quelqu’un de ses disciples , où elle lui eût exposé
et avoir encore plus de foi et de confiance que de en secret le triste état de son ame : mais le saint
raison. amour , comme la passion , ne raisonne pas. Elle
IL Partit:. Magdeleine aime Jésus-,Christ d’un ne pense pas à se faire appouver des hommes
amour fort et généreux qui ne connoît plus rien dans une action où elle va se condamner elle-
quelle ne lui sacrifie. Madeleine avpitaimé le même : elle traverse les rues de Béthanie dans un
monde d'un amour de préférence ; elle lui avoit appareil bien différent de celui où elle y avoit
sacrifié sa réputation, son repos , ses biens, et ses paru : elle entre dans la salle du festin avec une
qualités naturelles : c’est ainsi quelle aime J. C.; sainte impudence : sa présence renouvelle dans
et voilà précisément ce que son amour lui sa­ 1 esprit des spectateurs le souvenir de ses excès
crifie aujourd’hui. passés , et elle veut bien en soutenir toute la
r.° Sa réputation. Elle l’avoit d’abord sacrifiée honte. Chacun cherche dans sa malignité des rai-
582 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 385
sons de son changement; et dans ce déchaîne-* dans ses courses, et partage avec lui tous les tra­
ment universel, elle n’est .touchée que de ses vaux de sa vie pénitente. Ajoutez à cela les alar­
crimes, et n’est occupée que de son amour. Les mes qui suivirent son tendre amour pour J. C. ,
discours publics ne l’avoient jamais refroidie dans et tout ce qu’elle craignoit de la fureur et de la ja­
ses passions, ils ne lui font rien rabattre de sa lousie des Pharisiens contre son divin maître :
pénitence. Et en effet, pourquoi les passions ajoutez à cela le spectacle du Calvaire; de quel
n’ayant point craint la censure publique, la péni­ glaive de douleur son ame ne fut-elle point per­
tence seroit-elle plus timide ? Le monde est-il cée ! C’est ainsi que renonçant au monde , Mag­
donc un Juge plus éclairé et plus à craindre deleine -fit un sacrifice de son repos à Jésus-
sur les voies de la grâce, que sur celles du pé­ Christ : et souvent en se déclarant pour la piété ,
ché ? On n’est touché de Dieu qu’à demi, tandis on y cherche une vie plus douce et plus tran­
qu’on a encore le loisir de se ménager avec les quille ; et on ne sort des voies difficiles du siècle,
hommes. que pour trouver une sainte oisiveté dans le sen­
2.° Son repos. Magdeleine avoit sacrifié au tier du salut.
monde le repos de son cœur ; cette paix si chère . 3.° Ses biens. Magdeleine avoit sacrifié ses
à l’ame, et la plus sûre source de nos plaisirs. biens au monde : car quel usage en fait-on dans
Car, s’écrie S. Augustin, vous l’avez ordonné, une vie toute mondaine ! La passion n’est jamais
ô mon Dieu ! et la chose ne manque jamais d’ar­ avare ; et tout ce qui peut aider à la satisfaire
river , que toute ame qui est dans le désordre, n’est jamais trop acheté. Ses biens servent au­
soit à elle-même son supplice : iln’est point d’ini­ jourd’hui à sa pénitence : elle répand des parfums
quité tranquille; et le crime est toujours plus pé­ précieux sur les pieds du Sauveur ; elle lui ouvre
nible que la vertu. Son amour fait encore ici le sa maison au retour de ses voyages ; elle le suit
même sacrifice à J. C. : elle lui sacrifie, non la dans ses courses pour fournir à ses besoins ; et
paix véritable /mais une certaine paix à laquelle voilà le modèle de la pénitence des pécheurs. Ils
le pécheur renonce véritablement, en renonçant ont semé pour l’iniquité, il faut qu’ils sèment
à ses vices, parce que la grâce fait toujours au pour la j ustice : cependant, souvent après les ex­
fond du cœur des séparations douloureuses. Pre­ cès et les profusions des plaisirs, on prend avec
mièrement, elle se fit une grande violence pour la piété des inclinations de réserve et d’épargne j
éteindre des passions, dont le caractère de son et il semble qu’on veut regagner avec J. C. ce
cœur la rendoit si capable. Secondemont, elle ne qu on a perdu pour le monde.
se proposa pas une conversion douce et commode, 4;° Les qualités naturelles. Magdeleine avoit
comme tant dames à demi-converties. Or , à son sacrifié au monde tous les dons qu’elle avoit re­
âge , il faut bien prendre sur soi-même pour ac­ çus de la nature, elle en fait dans sa pénitence
coutumer au joug une chair qui frémit au seul Un sacrifice à J. C. Sa douleur n’excepte rien , et
nom de tout ce qui peut la contraindre. Magde­ sa compensation est universelle : et son amour re­
leine attachée à la personne du Sauveur, le suit prend toutes les armes de ses passions 3 et s’en
584- Ânatyses des Sermons. Analyses des Sermons. 38S
fait autant d’instrumens de justice. Elle punit le se dérober à l’ennemi, c’est la plus sûre manière
péché par le péché même , et n’imite point ces de le vaincre. Mais il 11e compte pour rien de se­
personnes qui dans leur pénitence , veulent encore couer lui seul le joug du prince du siècle , s’il ne
sauver quelque chose du débris de leurs passions. délivre encore ses amis et ses proches avec lui :
Or, il doit y avoir une compensation entre le pé­ il les gagne bientôt par ses exhortations'; et sort
ché et la pénitence , entre le sacrifice de justice ainsi du monde, suivi de ses frères et de la plu­
et le sacrifice d’iniquité : et puisqu’on n’a pas été part de ses amis, comme d’autant d’illustres cap­
un demi-pécheur, on ne doit pas être un demi- tifs qu’il vient d’enlever au Démon. A la tête
pénitent. d’une si florissante troupe , il arrive à Cîteaux j
cette solitude dont le silence , les veilles , les jeû­
% VW-W%.-%- WW W.WW/W» nes , et toutes les rigueurs de la discipline mo­
nastique , rendoient l’abord formidable à ceux
LE JOUR DE SAINT BERNARD. d entre les séculiers qui vculoient renoncer au
siècle. Peu de personnes osoient y venir essayer
Division. I. Bernard parfait religieux. II. a un genre de vie d’autant plus dur, qu’il étoit
étnVn a port1e d’"n ,siécie où le lâchement
Homme apostolique, lli. Docteur toujours invin­ etoit devenu le goût dominant. Pour Bernard
cible. ayant ce semble, dépouillé avec l’ignominie dé
I. Partie. Bernard parfait religieux. Il reçut en l habit séculier , le reste des inclinations du vieil
naissant cette bonté d’ame, et cette candeur de homme il ne garde plus de mesures avec la vi­
naturel, qui est comme la première ébauche de vacité de sa foi ; débarrassé de ses liens , il prend
la piété. Les soins de l’éducation aidèrent ces pre­ n essor vers le ciel, et échappe presque^ Ja
mières espérances; et les exemples domestiques ue des plus avancés. If se dit tous les jours à
furent pour lui’des leçons de vertu! C’est avec de ui-meme: Bernard, qu’es-tu venu cherckvd*
si favorables dispositions que Bernard entre dans la sohtude /Es-tu sorti-du siècle pour trah er tes
le monde ; mais malgré cela , il ne laisse pas de chaînes après toi, Voudrois-tu, co^ime tam d’au-
craindre que ce naturel heureux qu’il a reçu du Sieux Server ’ sou.s un habit austère et reli-
Ciel, fortifié même par l’édu ration , ne puisse vertÎdn^ CœUr •pr,0falle et immortifié? Si une
,tenir contre-l’exemple de la multitude, et les at­ U salut nn 6t -ISee •taV°It paru pJus sûre Pour
traits qu'offre à tous ses pas l’iniquité. A peine a- «nn‘ ÎŒ”1 ““ SiWe ™ «-
t-il jeté ses premiers regards sur le monde,
qu’il y découvre ces pièges infinis qu’on ne voit »arf“‘S,S,r’,aBer-
guère qu’après coup : et persuadé que lorsqu’il Í» W I. s'”“i
s’agit du salut , les précautions ne sauroient être
tat « me s,nté affeimjej ¡, «Me-
excessives ; il va chercher dans la solitude une
paix que le monde ne peut donner , et croit que Panégyriques. * P nt °ô
se
5,86 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 3§7
macération qui puisse satisfaire son amour pour eux-mêmes n’étoient plus des asiles contre la con­
ia croix et pour ia pénitence. tagion du siècle. A des besoins si extrêmes et si
Cependant, la retraite de Bernard et de ses divers , le Seigneur n’cipposa qu’un nouveau.
compagnons à Cîteaux , l’austérité et l’innocence Moyse sorti du désert de Madian; et Bernard en­
de leurs mœurs répandoit déjà au loin une odeur tre ses mains, frappe les rois et les royaumes,
de vie ; et attirés par des exemples si nouveaux, réforme le tabernacle , confond les ministres mur-
plusieurs y accouroient de toutes parts. L’enceinte murateurs , assure la souveraine sacrificalure au
de Cîteaux se trouvant trop étroite pour les con­ pontife que Dieu avoit établi, renverse l’idole que
tenir , il fallut chercher une nouvelle terre; et les enfans d’Israël avoient eux-mêmes fabriquée ,
Bernard , à la tête d’une tribu choisie , va s’éta­ buse les ennemis du nom du Seigneur , et au-
blir à Clairvaux , solitude alors inconnue, mais roit conduit le peuple chrétien à la conquête de
devenue depuis si fameuse. Elevé à la dignité Jérusalem, si son ingratitude et ses excès ne l’eus­
d'abbé , que de nouveaux spectacles de vertu lié sent privé du secours du Ciel.
donne-t-il pas dans ce nouveau rang ! Il n’affecte En effet, rien n’égaloit l’ardeur du zèle de
point ces distinctions odieuses , et ces vaines mar­ Bernard : aussi, le prend-on pour Elle ou pour
ques d’autorité qui laissent une distance si énorme quelqu un des prophètes. Toute la France court
entre les enfans et le père ; au contraire , il ne fut pour l entendre ; touchés des paroles de grâce et
jamais plus avide d’abaissemens. Il ne regarde de vertu qui sortent de sa bouche , les peuples en
point sa dignité comme un prétexte honorable d’a­ foule viennent à lui pour savoir si la colère du
doucissement et de repos ; au contraire, il n’usa ôeigneur , comme ses dons , est sans repentir., et
jamais de plus de rigueurs envers soi-même : on S H n y a plus de ressource à eux pour la fléchir.
voyoit en lui un.esprit de prière et de recueille­ Alors , les ténèbres répandues sur l’abîme com­
ment continuel, une mort universelle à soi-même, mencèrent a se dissiper ; la France, comme un
et à toutes les créatures, et l'usage des sens pres­ autre chaos , se développa peu à peu; et les cloî­
que éteint. tres virent revivre cet esprit primitif, cet héri-
II. Partie. Bernard , homme apostolique. Il y a pè1esPreC’eUX qU ‘ S 8V01ent autrefois reÇu de leurs
différens dons dans l’Eglise , dit S. Paul ; et ces
dons sont partagés aux divers membres -qui ia A 1 ardeur du zèle , Bernard joignit la forez.
composent, selon la secrète disposition de l’Es­ Ce n etoit point un de ces mînîS 1 ■ ’
prit qui souffle ou il veut. Mais il est certaines qui sous prétexte ¿’honorer les grandi tlmides»:
âmes sur lesquelles Dieu verse à pleines mains la qu' feu, «,pKler
variété de ses dons, et à qui l’Esprit-Saint n’est quelle sainte liberté parla-t-il à Louis Ie'p*l'eS
pas donné par mesure : il falloit au siècle de Que de marques publiques de pénitent ’ ?
Bernard une ame de ce caractère. L’ignorance et 1 pas de Lôuis-le-Jeune son fils Ul L obtlnt’
la dissolution-dés. mœurs régnoient partout, aussi- de V.try ? La reine Eléonor elle-même ‘naSSacre
bien dans l’Eglise que dans l’Etat, et les cloîtres 6.™ « mondaine , traversée d.nTX jeÏÏÏZ
38S Analyses des Sermons. Analyses des Sermons.
un point assez délicat, fut enf.n réduite à revenir furent sa plus chère étude ; et ce fut cette science
au sentiment de Bernard. Et tous les siècles admi­ des livres saints qui rendit Bernard si redoutable
reront les instructions vives et touchantes, et cette aux ennemis de l’Eglise. La chairq de Pierre étoit
noble liberté qui règne dans les livres de la Consi­ devenue la proie d’un usurpateur ; et Innocent II,
dération au pape Eugène. > chassé de son siège, et errant comme l’arche
Enfin , quelle fut l’étendue de son zèle ? Le d’Israël de contrée en contrée , dans un équipage
Ciel l’avoit, ce semble, établi le censeur des peu convenable à sa dignité, étoit enfin venu abor­
mœurs de son siècle. Que de différends parmi les der en France. Quel est le triste état de l’E­
princes, apaisés par sa sagesse ! que de lettres glise , lorsqu’elle est ainsi déchirée au dedans ?
écrites pour le rétablissement de la discipline et Les uns sont à Céphas, les autres à Paul, et
de la piété! que de soins et de mesures où sa cha­ presque personne à Jésus-Christ. C’étoit là un
rité le faisoit descendre ! La France , l’Italie, scandale digne du zèle et des lumières de Ber­
l’Allemagne le virent répandre partout le feu di­ nard ; il paroît au milieu des prélats assemblés à
vin que J. C. est venu apporter sur la terre , et Etampes pour prononcer sur les contendans : on :
dont il avoit embrasé son cœur : seul il sut suffire , s’en remet unanimement à sa décision; lui seul
aux besoins divers et infinis de l’Eglise. 11 ne forme un concile entier, et toute la France reçoit
manquoit à ses travaux que la récompense des de sa main Innocent II pour légitime pape. Que
Saints , je veux dire , les persécutions et les ca­ de courses en Sicile , en Italie , en Allemagne
lomnies ; il eut la consolation d’y participer ; il pour éteindre les restes du schisme !
entendit les plaintes des insensés contre lui, sur Mais c’étoit peu d’avoir rétabli la paix au de­
les mauvais succès de l’entreprise des Français dans de l’Eglise ; il falloit mettre le peuple de
dans la Terre-Sfiinte. Dieu à couvert de la séduction des faux prophè­
III. Partie. Bernard, docteur toujours invinci- tes. Les conciles de Sens et de Reims admirè­
lîe. A la vérité , les portes de l’enfer ne prévau­ rent la fécondité de ses lumières et la force de son
dront jamais contre l’Eglise : cependant , toute génie, et le virent défendre glorieusement l’anti­
invincible qu’elle est, elle n’est pas paisible ; ses quité et la simplicité de la foi contre les raffine-
persécuteurs ne sauraient la détruire , mais ils mens dangereux d’un évêque de Poitiers , et les
peuvent l’affliger; née dans les combats et dans nouveautés profanes d’Abaillard. Sorti de cette
les persécutions , il semble que c’est son destin de i victoire, il vole à Toulouse pour s’opposer à
n’en être jamais exempte. Mais les hérésies et les Henri , moine apostat, qui y prêchoit une nou­
schismes ont eu leur utilité ; et c’est aux docteurs velle doctrine.
du mensonge que nous sommes redevables des Mais ce qu’il y a de plus merveilleux et de
travaux précieux des anciens défenseurs de la vé­ plus digne de notre attention, c’est l’humilité de
rité. Ainsi, Dieu qui destinoit Bernard à être le Bernard au milieu de toute sa gloire. Tantôt il
restaurateur de sa loi, lui en avoit développe les se refuse à des Eglises illustres qui l’ont choisi
secrets admirables dans le désert : les livres saints pour leur pasteur : tantôt revêtu par le pape du
3go Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 3q1
caractère de légat universel clans tout le monde regarde la piété comme le partage des âmes foi-
chrétien, il fait aux évêques Un hommage respec­ bles et bornées; cependant la piété est 1 effort, le
tueux de sa^ dignité, et n’agit que sous leurs or­ plus héroïque du cœur , et l’usage le plus noole
dres. Tantôt honoré à Clairvaux de la visite d’un et le plus sensé de la raison. Une ame exercee a
souverain pontife , il conserve au milieu de ses la vie de la foi , ne connoît plus d’entreprise au-
religieux un maintien tranquille et calme, et pa- dessus d’elle; et le Juste a la réalité de toutes les
roît presqu insensible à un honneur si nouveau. grandes vertus dont le héros mondain ua souvent
1 antot enfin, quoiqu’il ne converse avec les que la réputation et l'image. C’est'pour convain­
- hommes que pour fixer leur conversation dans le cre le monde d’une vérité, si honorable a la foi ,
ciel, il se plaint sans cesse à soi-même et à ses que Louis fut autrefois donné a la fiance. Un roi
amis de la dissipation de sa vie. Je ne vis plus, n’est établi de Dieu sur les peuples, que pour
disoit-il, ni en eclesiastique, ni en laïc , et il y les défendre et les protéger dans la guerre , pu
a long-temps que je ne mène plus la vie de reli­ pour les rendre heureux durant la paix. Or , ja­
gieux dont je porte l’habit. Que suis-je donc? Voilà mais l’amour de la gloire ne poussa si loin dans les
les sentimens dë crainte et d’humilité, qui tou- autres princes les vertus pacifiques et militaires ,
joui s ont accompagne les actions héroïques des que la foi dans notre saint roi.
Saints. i.° Les vertus pacifiques. Il se rendit cher à
son peuple par sa bonté , redoutable au vice par
son équité, précieux à l’Eglise par sa religion.
Premièrement, cher à son peuple par sa bonté.
LE JOUR DE SAINT LOUIS, La bonté est la première vertu des rois ; elle est
la force et le soutien du trône : les rois né sont
ROI DE FRANCE. puissans que pour être bienfaisans ; ils ne régnent
proprement qu’autant qu’ils sont aimés. Louis
Division. On se figure presque la piété comme élevé dans ces maximes , en fit sa principale oc­
une fioiblesse , ou qui déshonore les grands , ou qui cupation. Sous les règnes précédent, et durant
rend incapable des grandes places : première erreur. les troubles inséparables d’une longue minorité,
On croit que l’élévation permet un genre de vertu la France presque épuisée, avoit éprouvé ces temps
plus commode : seconde erreur. I. S. Louis, au difficiles, où le salut des peuples rend la dureté
contraire , trouva dans la piété la source de toutes des charges publiques nécessaire: le saint roi leur
ces qualités héroïques qui le rendirent le plus grand rendit avec la tranquillité la joie et l’abondance ;
roi de son siècle- II. Il trouva dans la qualité de les Français vivoient heureux ; et sous un si bon
roi de nouveaux engagemens pour s'animer aux de­ roi, tout ce qu’ils pouvoient souhaiter à leurs en-
voirs les plus austères de la piété. fans , c’étoit un successeur qui lui fût semblable.
I. Partie. La piété de Louis , source de toutes Mais peu content d’être attentif aux besoins des
^es grandes qualités.. Le monde toujours injuste , particuliers, Louis redoubla son attention pour re-
R 4
il
392 Analyses clés Sermons. Ânalyses des Sermons. 090
medier aux miseres publiques, et même pour les nîtés que ce mélange impie et ridicule rendoit en­
prévenir. Que de maisons saintes dotées ! que de core plus sacrilèges , et corrompoient ainsi les
lieux de miséricordes élevés par ses libéralités ! peuples. De là naissoit un débordement de vices
que d établissemens utiles entrepris par ses soins’ effroyable. A de si grands maux le saint roi crut
I En vain lui remontroit-on que ces dons exces­ qu’il falloit appliquer de grands remèdes. Les
sifs epuisoient l’épargne, et pouvoient nuire à spectacles furent interdits comme des crimes par
des besoins plus pressans : Il vaut mieux l’é- les lois mêmes de l’Etat , et les comédiens dé­
puiser, répondoit-il, pour soulager les pauvres clarés infâmes et bannis du royaume comme
dont je suis le, père , que pour fournir à des des corrupteurs publics des mœurs et de la
profusions, et à de vaines magnificences. Il pre- piété.
noit même sur ses propres besoins les fonds Après avoir établi ces règlemens utiles , qui
destinés aux malheureux. Quel exemple pour font tant d’honneur encore aujourd’hui à la juris­
confondre un jour les excuses barbares que le prudence clu royaume, il s’associa des personna­
rang et la naissance opposent aux devoirs de la ges intègres et éclairés , pour présider à ses côtés
miséricorde ? C est ainsi que la piété et l’humani­ à la justice et aux jugemens ; et rétablit par ce
té du saint roi faisoit la félicité de son peuple. moyen la majesté des lois, et la bienfaisance des
Accessible a tous, il ne disputait pas meme au mœurs publiques.
dernier de ses sujets le plaisir de voir son sou­ Mais si le saint roi purgea l’Etat par la sévé­
verain Q bien différent de ceux qui laissent à rité de ses lois j quels furent ses soins pour ré­
1 autorité un front si sévère et un abord si diffi­ tablir la majesté du culte , et la sainteté des au­
cile , que les affligés comptent pour leur plus tels ? Les Français en conquérant les Gaules, y
giand malheur la nécessité d’aborder celui du­ avoient apporté avec eux une espèce de barbarie
quel ils attendent la délivrance. et de férocité , inséparables d’une nation guerriè­
Mais la bonté toute seule seroit dangereuse re ; et si la religion qui monta sur le trône avec
dans les soins publics, si elle n’étoit tempérée le grand Clovis , y fit monter avec elle plus de
par une juste sévérité; c’est ce que le saint roi clémence et d’humanité, elle n'adoucit pourtant
n ignora pas. Les dissentions civiles , la foiblesse pas entièrement l’esprit bouillant et sanguinaire
des règnes précédens, l’ignorance même et la de la nation. Aussi, quoique l’Eglise de France ait
corruption de ces temps malheureux avoient con­ toujours été célèbre par ses lumières et par sa
fondu dans le royaume la majesté des lois avec piété, cependant on voyoit souvent les pasteurs
la licence des usages. L’autorité publique était plus occupés à faire la guerre à leurs voisins, qu’à
entre les mains d’hommes corrompus qui abu­ instruire et édifier leurs peuples. De là l’igno­
saient des lois. Toutes nos villes étaient pleines rance, le relâchement, l’oubli des règles, le mé­
d une foule d histrions qui, mêlant les mystères pris déjà discipline ; et malgré les remèdes qu’on
saints de la religion dans leurs fades et indécens avoit tâché d’y apporter sous les régnes précé­
spectacles, débitaient avec impudence des obscé- dens , la plaie n’étoit pas encore tout-à-fait fer-
R 5
3g4 Analyses des Sermons*
niée, quand le saint roi monta sur le trône. Mais, même qu’il étoit leur captif. Elevé sur un trône
persuadé que les rois n’étoient établis de Dieu
■que les troubles de la minorité aboient affoibii,
que pour protéger et agrandir le royaume de
avec quelle valeur en rétablit-il la gloire et la ma­
J. C. sur la terre, les intérêts de la religion de­
jesté ? Et qui pourrait redire ici tout ce que son
vinrent un de ses soins les plus chers et les plus
courage lui fit entreprendre d'héroïque dans cette
pressans. Il comprit d’abord que la première
guerre si fameuse par ses malheurs et par sa foi 1
source des maux de l’Eglise est toujours dans
l’incapacité et le dérèglement de ceux qui en rem­ Lest donc la piété qui est la source du vrai mé­
plissent les premières places : il commença donc rite, et qu, forme seule les grandes qualités,
à rétablir la sainteté et la majesté du sanctuaire parce qu elie seule nous fait agir par de grands
principes.
en élevant aux premières dignités des ministres
fidèles sans avoir égard à la naissance, à la bri­ il. Partie. Louis trouva dans la qualité ds roi
gue et à la faveur; il les honoroit de sa familia­ <ie nouveaux engagemens pour s’animer aux de­
rité; et ce que son siècle avoit alors de plus illus­ vons les plus austères de la piété. On croit com­
tre en doctrine ou en sainteté, venoit presque munément dans le monde, que l'extrême dispro­
tous les jours, ou le délasser des soins de la royauté portion qui se trouve entre les devoirs d’une vie
par des discours de salut, ou les partager avec lui chrétienne, et les usages inséparables de la gran­
par des conseils utiles. deur , doit modérer en notre faveur l’austérité des
réglés saintes. A une illusion si commune, S
2.° Les vertus militaires. On soutient d’ordi­ Louis opposa les vues de la foi , et comprit avec
naire que les maximes de l’Evangile ne s’accor­ S. Ambroise , que plus il avoit reçu , plus on exi
dent pas avec celles du gouvernement. La source gérait de lui, et que les périls du trône étant
de cette illusion , c’est qu’on regarde la piété infinis, les fautes presqu’irréparables, les axem
comme le partage d’une ame foible et timide, et p es du souveram essentiels , il avoit besoin Je
qu’on ne croit pas que les vertus militaires qui plus de vigilance, pour y conserver son ar2
supposent du courage, de l’ardeur , de l'élévation, pure, de plus de mortification pour y exnieT
puissent s’allier dans un cœur avec la tendresse outre ses propres foiblesses , tant de fautes étrangè­
de la charité , la paix et la douceur de l’inno­ res , et enfin de plus de fidélité dans le détaille
cence , comme s’il fallait être vicieux pour être
vaillant ; au lieu que la valeur la plus sûre est
celle qui prend sa source dans la vertu. Aussi le i.° Il crut avoir besoin de plus de vigiîanrp
héros, dans notre pieux monarque , ne fut pas pour y conserver son ame pure. Il réglFsa vT
moindre que le Saint. A la tête des armées , ce gilance sur la multitude de ses périls j o
n’étoit plus ce ro.i pacifique et clément, c’étoit un grands d’ordinaire, dès qu’ils oublient Dieu
héros toujours intrépide à mesure que le péril ne mettent plus de bornes â la licence Not ’
augmentoit ; plus magnanime dans la défaite «aint roi se fit des monstres des fautes les nl e
que dans la victoire ; terrible à ses ennemis , lors
eg-eres ; et comme il le disoit souvent, Ja
fi 6
3g 6 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 3gÿ
de son royaume lui eût paru un gain , s’il avoit coupable des malheurs publics ! Sentimens bien
fallu s’en déppuiller pour éviter un seul de ces humbles dans la bouche de S. Louis, mais qui
péchés qui tuent lame. A cette horreur pour le devraient être les dispositions ordinaires des per­
crime , il ajoutoit les précautions et les remè­ sonnes élevées, puisque les malheurs des peu­
des. L’adulation est l’écueil des meilleurs prin­ ples sont presque toujours une suite des cri­
ces ; les langues mercenaires qui les environ­ mes des grands. Mais combien en sont-ils
nent , leur présentent toujours leur,s vices sous éloignés !
les couleurs flatteuses de la vertu. Le saint roi 5.° 11 crut avoir besoin de plus de fidélité ,
n’eut point de flatteurs, parce qu’il n’aima point pour être le modèle de son peuple. Les exem­
ses fautes ; environné d’un nombre d’amis saints ples des grands décident presque toujours des
et fidèles , il les établissoit les censeurs de sa con­ mœurs publiques. Premièrement, par vanité : on
duite , et les plus sincères lui étoient toujours les croit, en copiant leurs mœurs, entrer en part
plus chers. de leur grandeur et de leur naissance. Seconde­
2.0 Il crut avoir besoin de plus de mortifica­ ment , on cherche à imiter les grands, par com­
tion pour expier sans cesse les fautes ou inévi­ plaisance , par crainte , par intérêt. Plus donc
tables ou inconnues. Une grande place qui nous on est exposé aux regards publics , plus on
établit sur les peuples , nous rend responsables doit à son rang le spectacle d’une vie pure et
devant Dieu de la destinée des villes et des pro­ irrépréhensible. Aussi, on admire encore aujour­
vinces, de tout le mal qui s’y fait, et de tout d’hui dans saint Louis toutes les qualités d’un
le bien qui ne s’y fait pas. Plein de ces vues grand roi jointes à toutes les vertus d’un sim­
de la foi , le saint roi , loin d’être ébloui de ple Fidèle. Excepté dans certaines occasions d’é­
l’éclat qui .environne le trône, étoit effrayé des clat , il surpassoit même ses sujets, dit l’his­
sollicitudes et des obligations immenses cachées torien de sa vie , dans la simplicité de ses ha­
sous cet éclat trompeur. Il punissoit sur sa pro­ bits , et dans la frugalité de sa table ; et nous
pre chair les désordres publics , regardant les apprenoit que ce sont les passions des hommes
péchés de son peuple , comme ses péchés pro­ et non leur rang et leur dignité qui ont rendu
pres , et se croyant obligé d’expier tout ce qu’il le luxe et les profusions nécessaires. De plus ,
ne pouvoit empêcher ; et des membres qui n’a- plein d’une noble fierté, quand il s’agissoit de
voient jamais servi à la volupté , servoient à la soutenir les droits de l’Empire , et la majesté de
son rang, on le voyoit au sortir de là, tantôt
justice et à la pénitence , tandis qu’après les
plus grands crimes on n’oseroit l’exiger des porter la componction et l’humilité d’un péni­
grands. Combien de fois , dans les calamités pu­ tent 5 tantôt s’abaisser aux pieds des pauvres ,
bliques, cette ville régnante vit-elle notre saint et les servir de ses mains ; tantôt ensevelir lui-
roi traverser les rues couvert de cendres et de ci- même au milieu de la contagion les soldats
lice , aller implorer publiquement dans nos tem­ morts pour la gloire de Jésus-Christ. Mais non-
ples le secours du Ciel, et se reconnoîtrç seul seulement il étoit l’exertipie d.e ses peuples, il
3gS Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 3gg
étoit aussi le modèle des pères de famille, quoi- 1. ° L’innocence de la vie, parce qu’un cœur
Au il ny ait rien de plus rare dans la piété des corrompu nous cache les vérités qui nous con­
grands surtout , que de soutenir avec dignité damnent , et c’est une ignorance de corruption.
cette partie obscure de leur vie , qui , cachée Dr , Etienne apporta à la connoissance de Jésus-
aux yeux du public , est toute renfermée dans Christ un cœur pur, une jeunesse sainte , un es­
le devoir domestique ; et les soins d’un vaste prit préservé de la corruption. Aussi, les Apô­
royaume n’empêchèrent pas le saint roi de faire tres cherchant des hommes pleins de foi et de
de son palais comme une église domestique , où l’Esprit de Dieu , sur qui ils pussent se déchar­
le Seigneur etoit invoqué, et d’où couloient sur ger d’une partie de leur ministère , Etienne a
tout le royaume des sources de vie et de vertu. le premier honneur du choix , et paroît à la tête
Lest ainsi que ses exemples, autant que ses de ces nouveaux ministres. Il se prépara donc à
instructions , inspiroient de bonne heure la crainte devenir le ministre de la vérité , en dégageant
de Dieu à Philippe son fils aîné , et aux autres de bonne heure son cœur de toutes les passions
princes ses enfans. qui nous la cachent. En effet , les ténèbres que
Saînt roi’ clont nous "’avons fait nous répandons sur la plupart des obligations de
<ju abréger l’histoire , pour faire son éloge. Une la vie chrétienne , ou pour les adoucir , ou
terre étrangère reçut les derniers soupirs de ce pour les combattre , ne viennent que de ce que
pnnce, moins cassé par les infirmités d’un âge chaque pécheur trouve dans sa passion le voile
avancé , et par les fatigues de la guerre et de ses même qui la lui cache. Nos lumières ne sont pu­
voyages, que par les austérités d’une vie dure res , que lorsque notre cœur l’est aussi ; et il
et pemtente. faut commencer par rompre nos attachemens pour
parvenir à connoître nos devoirs.
2. ° La seconde source de nos lumières, c’est
le désir de s'instruire ; parce que la vérité ne
LE JOUR DE SAINT ÉTIENNE. se montre pas à ceux qui ne la cherchent pas,
et c’est une ignorance de paresse. Etienne, mal­
Division. Tout Chrétien est établi par le bap­ gré les préjugés de son peuple contre la doctrine
tême , pour être témoin et défenseur de la vérité • et la personne du Sauveur , malgré la honte et
mais pour bien défendre la vérité, il faut de la le mépris attachés à la profession publique d’être
lumière, de la force, de la charité. Or , saint au nombre de ses disciples, cherche la lumière
Etienne eut pour la vérité. I. Un amour éclairé. qui commence déjà à se montrer à lui ; il sou­
il. Un amour intrépide. 111. Un amour tendre et pire comme les patriarches ses ancêtres après le
compatissant. libérateur dont il sent l’approche , il en étudie et
I. Partie. Un amour éclairé. Les trois sources en découvre les marques et les caractères , dans
de lumière sont l’innocence de la vie , le désir de Jésus-Christ, dans ses œuvres , dans sa doctrine;
6 instruire , la pureté de l’intention. et la connoissance de la vérité est en lui le prix.
400 Analyses des Sermons. Analyscs des Sermons. 4OT
¿u désir sincère qu’il avoit toujours eu de la con- ment des inquiétudes du crime ; enfin , il s’en
noître. Pour nous, nous vivons dans une igno­ trouve qui ne s’instruisent de la vérité , qu a
rance profonde de nos devoirs , parce que nous dessein d’y trouver des armes pour la combattre.
ne voulons pas nous en instruire. Ravis de pou­ "Voilà les intentions souillées que la plupart
voir nous faire une conscience tranquille dans nos des hommes apportent à la recherche de la vé.
égaremens , nous aimons cette fau.sse paix , qui rite et de la vertu ; et voilà pourquoi il y a si peu
est le fruit de notre aveuglement et de nos mé­ de foi sur la terre , et la vérité se montre à si peu
prises: et sans vouloir examiner tout ce qui nous de Fidèles.
condamne , nous le regardons comme outré ,
tout ce qui ne favorise pas les préjugés de nos IL Partie. Un amour intrépide. Trois défauts
passions, nous le traitons de scrupule et de pe­ sont opposés à cette fermeté chrétienne qui oblige
titesse. tout Fidèle d’être le défenseur intrépide de la
vérité. Or, l’histoire d’Etienne nous offre des
3.° La troisième source de nos lumières , c’est instructions et des vertus très-opposées à ces
la pureté de l’intention ; parce que ce n’est pas défauts.
chercher la vérité , dit saint Augustin , que de i.° Le premier défaut, c’est la crainte des
la chercher pour autre chose que pour elle-même. hommes , qui malgré nos propres lumières ,
Etienne ne se proposa dans la connoissance de la fait que nous nous déclarons contre la vérité. Or,
vérité que le bonheur de la çonnoître ; des inté­ quoique le pasteur frappé , les brebis fussent dis­
rêts humains ne l’attachèrent point à Jésus-Christ. persées ; quoique la fureur d’FIérode , la malice
Sachant que les persécutions et les opprobres des prêtres, la superstition du peuple, laissas­
étoient la seule récompense qu’il avoit promise sent tout à craindre pour les nouveaux disci­
ici-bas à ses disciples , il chercha J. C. pour J. C. ples du Sauveur : quelque prix' que l’envie des
lui-même ; il comprit que le trouvant , il avoit Juifs attachât alors à la lâcheté de ceux qui
tout trouvé , et que c’étoit le perdre , que de se se déclaraient contre lui , Etienne persévère
proposer en le cherchant quelqu’autre chose que dans la fidélité qu’il lui a jurée: également in­
lui-même. sensible aux promesses et aux menaces des
Pour nous, nous mêlons presque toujours à la hommes , il ne craint que celui qui seul peut
recherche de la vérité des intérêts humains, et perdre l’ame ou la sauver éternellement. Et voilà
des vues basses et rampantes : Dieu lui-même ce qui confond notre peu de foi, et condamne no­
ne nous suffit pas ; il faut que le monde , que tre lâcheté dans toute la conduite de notre vie.
les hommes , que la terre remplacent à notre Nous respectons les décisions du monde ; les er­
égard ce que nous ne croyons pas trouver en lui. reurs publiques nous sont plus chères que la vé­
Les uns ne se déclarent pour Jésus-Christ, que rité ; et nous craignons la singularité comme un
parce que le monde les abandonne $ les autres re­ vice , elle qui forme le trait le plus éclatant des
gardent la piété comme un gain ; il en est qui disciples de Jésus-Christ. En vain la grâce nous
ne se proposent dans la piété que le délasse- éclaire en secret, et nous découvre les illusions
-402 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 4°3
du monde et de ses maximes ; en vain notre que chacun de nous en particulier en est chargé ,
conscience d’intelligence avec la loi de Dieu , et de plus , que nous devons la vérité à nos
nous dicte tout bas les maximes de la vie éter­ frères. Hélas ! le monde ne craint point de dé­
nelle , nous parions comme le monde, quoi­ biter tout haut ses maximes de mort et de pé­
que nous ne pensions pas comme lui, tantôt ché , et nous craignons de rendre gloire aux vé­
par Complaisance , tantôt par foiblesse , tan­ rités de la vie éternelle !
tôt par crainte , tantôt par indolence , tantôt 3.° Le troisième défaut est une fausse com­
par mauvaise foi , et presque partout nous plaisance , qui voulant allier la vérité et le men­
nous déclarons pour le monde contre Jésus- songe , l’altère , l’adoucit , et cherche à plaire
Christ , loin d’être ses témoins fidèles parmi les aux hommes aux dépens de la vérité et de la
hommes. conscience. Or, c’est ici principalement qu’E-
tienne nous sert et de condamnation et de mo­
2.° Le second défaut, c’est cette prudence
dèle. Il auroit pu, ce semble , ménager davan­
de la chair , qui connoissant la vérité , garde
tage les préventions et la délicatesse des doc­
un silence criminel, et n’ose tout haut en
teurs et des prêtres, et en insinuant la vérité,
prendre la défense. Car il ne suffit pas de ne
accorder quelque chose à la foiblesse et aux pré­
se point déclarer pour le monde contre Jésus-
jugés de son peuple; mais le saint martyr ne
Christ , il faut encore le confesser tout haut
connoît pas ces timides ménageroens , parce
sans ménagement et sans honte. Or , c’est en­ que les hommes poussent quelquefois à un tel
core ici que la fermeté d’Etienne nous instruit point leur haine contre la vérité, qu’ils ne mé­
et nous condamne. 11 avoit une infinité de ritent plus d’être ménagés. Ce n’est pas que
prétextes pour se ménager avec les Juifs par la vérité ne soit inséparable de la charité , et
un sage silence', et ne pas leur reprocher en- qu’il ne faille préparer les voies à la lumière
coæ tout haut leur aveuglement et leur crime ; par de sages précautions : mais on ne devrait
mais le généreux martyr n’écoute pas les vai­ pas honorer du nom de prudence cette com­
nes raisons de la chair et du sang , livré à plaisance criminelle qui fait que dans nos en­
l’impression de l’Esprit de Dieu qui le remplit tretiens avec nos frères , nous trouvons des
et qui l’anime. Pour nous , témoins tous les tempéramens entre le monde et Jésus-Christ,
jours de tant de fausses maximes que les mon­ et nous entrons dans les fausses idées que le
dains débitent, de tant d’illusions sur les ré­ monde se forme de la vertu ; parce que par
gies et sur les devoirs qu’ils se forment à eux- là nous devenons aux hommes une occasion
mêmes , nous croyons en être quittes en notre d’erreur.
conscience, en ne les approuvant pas tout
III. Partie. Un amour tendre et compatissant.
haut, et en ne leur opposant qu’un désaveu se­
Or , notre saint martyr nous donne encore ici
cret et timide; et nous formons mille prétextes
un grand exemple. De quel amour sincère pour
pour nous justifier à nous mêmes notre lâcheté,
les Juifs n’accompagne-t-il pas la force des vé-
et notre indifférence pour la vérité , oubliant
4°4 Analyses, des Sermons. Analyses des Sermons. 4°5
nies qu’il leur annonce ? Insensible , ce sem­ les de sa province, et que par sa naissance
ble, aux coups dont ils l’accablent, il ne sent il pût prétendre à tout, après avoir passé le
ÎL mJs n?a p®urs fiu’iIs £e préparent à eux- temps de l’enfance au mont Cassin, se déter­
iîpn? ’ 1 °f;re S.on, sanS lnême 9u’iIs répan­ mine à entrer dans l’Ordre de Saint-Domini­
dent , pour obtenir le pardon de leur crime ; que : et non - seulement il ne bâtit pas des
C0lpPte Pour rien sa mort, si leur salut idees de fortune et de grandeur sur les progrès
doit en etre e fruit. Tels sont les défenseurs qu’il fera dans les sciences, mais il renonce
que se forme la vérité; c’est la charité qui leur d abord à une fortune et â une grandeur pré­
préparé des victoires. Il faut aimer le salut de sente , afin que nul motif étranger ne vienne
ceux dont nous combattons les erreurs : la vérité le distraire dans la recherche de la vérité.
trouve presque toujours des cœurs rebelles, parce Oseroit-on seulement proposer cet exemple au
q ie e ne trouve presque que des défenseurs ai­ siècle ?
gres et peu chantables. 2.° Le second écueil que les savans ont à
""------ —----------- --- —----------------------------- éviter , c’est de ne pouvoir se renfermer dans
les bornes étroites de la foi. En effet, la foi
est une vertu commode pour les esprits mé­
LE JOUR DE SAINT THOMAS diocres ; comme ils ne voient pas de foin , il
leur en coûte peu de croire. Mais il n’en est
D’AQUIN.
pas de même de ces esprits vastes et lumineux :
accoutumés à voir clair dans les vérités où
&T°N; L,Ia^ a Thomas dans la l’esprit peut atteindre , ils souffrent impatiem­
recherche de la science de la religion. II. L'u- ment l’obscurité de celles qu’il doit adorer.
sage de cette science l'a affermi dans la piété. De là , quelle source de gloire pour saint
la Jh^'n La, a ^uidé Tho,nas d°™ Thomas ! Né avec tous les grands talens qui
la recherche de la science de la religion. On font les hommes extraordinaires ; un esprit
trouve ¿ordinaire trois écueils dans cette re­ vaste , élevé , profond , universel ; un juge­
cherche. Premièrement, ce sont des vues de ment droit , net, assuré , etc. quels homma­
fortune et d interet, qui nous y portent. Se­ ges n’a-t-il pas fait de toutes ces précieuses
condement on ne peut se renfermer dans les richesses aux pieds des maîtres de l’Église qui
bornes étroites de la foi. Troisièmement" l’é- l’avoient précédé ? S’il se distingue parmi tous
tude épuisant toute l’application de lame , dis- les savans qu’il trouve à Paris par la sagacité
déPvotiomPrit ’ deSSèche CŒUr ’ ralentit la de son esprit , et par l’abondance de ses lumiè­
res , il leur est encore plus supérieur par la
2.» Premier écueil à éviter dans l’étude de manière sage et respectueuse dont il traite les
re igion , des vues de fortune et d’intérét. mystères ineffables de notre sainte religion. Ce­
1 bornas , quoique né des plus illustres famil- pendant le commerce des sciences profanes
406 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 407
auxquelles il s’appliqua , inspire souvent par état. A quoi, me servira, disoit-il, la science
une suite de notre foiblesse, je ne sais quel li­ qui enfla., si je n’ai pas la charité qui édifie ?
bertinage d’esprit : comme la raison s’y accou­ Pour , connoître cette piété tendre et affectueuse
tume à examiner , elle s’y désaccoutume de qui etoit dans notre Saint , il n’y a qu’à lire
croire ; il faut revenir de trop loin. Mais no­ 1 office admirable qu’il a composé pour l’ado­
tre Saint , bien différent de ces esprits gâtés , rable Sacrement de nos autels ; le cœur seul
qui vont puiser jusques dans les livres saints peut parler ce langage de piété et de reli­
la matière de leurs doutes , et de quoi nour­ gion. On peut donc assurer que si Thomas
rir leur incrédulité , trouve le moyen de forti­ fut le plus grand docteur de son siècle , il
fier sa foi dans la lecfitre même des auteurs fut aussi le plus saint religieux de son Or­
irofanes , et Aristote devient entre ses mains dre , le plus exact , le plus fervent. Quel
apologiste de la religion. Mais d’où vient que » exemple , et qu’il est peu imité dans le monde !
intégrité de sa foi souffre si peu du com­ Car sous prétexte que nos occupations n’ont
merce qu’il a avec les profanes ? C’est qu’il a rien que de permis , et même que de louable
soin de la fortifier continuellement par l’étude en soi , on s’y livre tout entier, et la piété
des livres saints , et des docteurs de l’Eglise , est entièrement négligée. Mais , dit-on , la
où il forme son langage et ses sentimens; car vraie piete ne consiste-t-elle pas à remplir
dans tous ses ouvrages, quoique le plus bel es­ les . devoirs de son état ! Oui sans doute ;
prit de son siècle , le plus autorisé à hasarder mais, de les remplir en les offrant à Dieu ,
ses conjectures , il ne marche jamais que sur et désirant de lui plaire ; ce qui ne peut se
les traces d’autrui , renonçant à la gloire de faire » lorsqu’on néglige totalement la prière,
l’invention , gloire si délicate pour les savans. et qu’on vit dans un entier oubli de Dieu.
5.° Le troisième écueil à éviter dans l’étude, Et d’ailleurs , notre principal état n’est-il pas
c’est la dissipation de l’esprit , qui dessèche d etre Chrétien f Notre premier devoir doit donc
le cœur, et anéantit peu à peu la dévotion ; e^re de rendre à Dieu et à l’Eglise ce que nous
leur devons.
mais dans notre Saint le soin de son ame fut
toujours la première et la plus importante de Lr P-A ETIE' ^usaSe de lascience delà religion
toutes ses occupations. Dans les difficultés qu’il a, affermi Tnomas dans la piété. Ceux â qui la cupi­
rencontre , loin de négliger ses exercices de dité a servi de motif dans la recherche des sciences,
piété , sous prétexte de donner plus de temps n mit d autre but que la cupidité dans leur usage.
à l’étude, c’est alors qu’il a recours à la prière Ainsi, premièrement y êtes-vous entré par ces
avec plus de ferveur, comme â la vraie source routes secrètes qu’un vil intérêt a frayées ? vous
des lumières. Ainsi, l’ambition d’acquérir de serez un docteur flottant ; votre fortune décidera
nouvelles connoissances ne prit jamais rien de vos sentimens. Secondement, avez-vous cher­
dans notre saint docteur sur la régularité la che a contenter une vaine curiosité ! vous serez un
plus scrupuleuse à tous les exercices de son docteur singulier, et les opinions vous paroîtront
4o§ Analyses des Sermons.
douteuses , dès qu’elles seront communes. Troi­ dire, suivi et approuvé-universellement. Il en­
sièmement , avez-vous négligé de réparer par seigne, a Rome, à Paris, à Boulogne, partout
la prière cette dissipation de cœur inséparable sa doctrine reçoit les mêmes applauclissemens et
d’une étude profonde et soutenue ? plein de vous- les memes éloges. Mais c’est surtout depuis sa
même , et vide de Dieu , vous serez un docteur mort que Dieu a glorifié notre Saint, et l’a rendu
vain. un docteur universel. Toutes les universités du
Thomas , qui, dans la recherche des sciences , monde , surtout celle de Paris , qui le forma dans
s etoit frayé des routes bien différentes , mais mal­ son sein , sont de fidèles dépositaires de sa doc­
heureusement si peu battues dans tous les temps, trine. Dans toutes les communautés régulières ,
ne se dément pas dans leur usage. Surtout dans celle de S. Dominique, les décisions
i.° Au lieu dette un docteur flottant, dont la du fondateur ne tiennent pas plus lieu de règle
fortune décide des sentimens , il fut un docteur dans la discipline et dans les mœurs, que celle
exact et désintéressé , n’ayant d’autre but que de de notre Saint dans la foi et dans la doctrine.
faire connoître la vérité. Donne-t-il des règles L oracle du monde chrétien , Rome même a vu
pour les mœurs ! quelle droiture ! il ne penche ni souvent ses pontifes descendre du tribunal sacré
à droite, ni à gauche, suivant l’expression du et y faire monter les écrits de notre Saint pour
prophète ; il tient toujours ce sage milieu dont prononcer sur les différends qui troubloient l’Eglise.
chacun se fait honneur, mais que si peu de gens confies éoumémques , les juges vénérables
savent tenir , et apprend aux ministres de l’Eglise, et infaillibles de noire foi, ont formé leurs-décrets
qu’en ne cachant point aux hommes l’immensité sur ses décisions; et les partisans de l’erreur n’ont
des miséricordes du Seigneur , il ne faut pas non jamais eu de plus redoutable ennemi.
plus leur laisser ignorer les saintes rigueurs de sa 5.° Au lieu d’être un docteur vain , il n’v en
justice. eut jamais de plus humble que notre Sain/- et
Cette droiture le fit arriver , sans le vouloir , la vàn?té1Slaerd US réPutation où
à la faveur des grands : l’archevêché de Naples *a «te h plus emportée puisse prétendre-
lui est offert par Urbain IV. Saint Louis l’admet- connu , aornire , consulté de tout l’Univers il
toit souvent à sa table , mais il parut toujours était plus ingénieux à se cacher à soi-même son
insensible à cette faveur : il refuse la dignité qu’on ente, que nous ne le sommesà donner du relief
lui offre ; et il est devant un roi de la terre , et a grossir le nôtre à nos propres yeux Nnf
comme les gens du monde sont si souvent devant empressement à étaler les trésors de seieire et de
le Roi des rois, c’est-à-dire , qu’à peine se sou­ sa^sse dont ,1 etoit rempli ; et infiniment éloigné
vient-il que le prince est là présent, et qu’il re­ d affecter la moindre supériorité sur ses frères & il
trouve au milieu de la cour, le calme de sa les prévenoit tous par des témoignages d’hn, ’
«.-le déférence. Ton. se. «lens f Ee, ï
retraite , et le souvenir de ses chères études.
2.0 Au lieu d'être un docteur singulier, Thomas «oissances, il les rapportoit â Dieu ne?
fut-un docteur écuménique et universel; je veux
dire, i «ude du peu qu’u savoit. Mais ce qui m ?
7 uneSyriques. * ÿ- ‘l~
^io Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 41s
feste parfaitement l’humilité de ce grand docteur» le parti de la foi et de l’Evangile contre nous-
c’est cet air de réserve et de modération qui régna memes . il s agit de cette violence si souvent
dans toute sa manière d’écrire , ne parlant jamais commandée dans l’Evangile , qui fait que , presque
sur ce ton décisif et important qui peut tout rame­ dans toutes nos actions , nous devons être en
ner à soi, et qui, pour garant de ses raisons , ne garde contre notre cœur ; de cette vie de la foi
donne que sa propre autorité. C’est une humilité qui combat sans cesse au dedans de nous la vie
que nous devons surtout imiter dans notre saint des sens : voilà le témoignage que la foi exige
docteur ; c’est là le vrai caractère des Saints ; le tout F idele ; c’est en ce sens que tout Chrétien
car l’humilité toute seule suffit pour faire des est témoin de Jesus-Christ, parce que par les
Saints ; mais sans cette vertu, toutes les autres violences continuelles que l’Evangile l’oblige de
•ne sont rien. taire a son cœur et à ses passions, il rend témoi­
gnage que la doctrine de Jésus-Christ est la voie
du salut et la doctrine de la vérité, et que ses
LA FÊTE D’UN MARTYR, promesses sont préférables à tous les plaisirs dont
elle exige le sacrifice.
PATRON D’UNE PAROISSE.

1 v «Duun&bion a îa prorondeur de
D ivision. Chaque Fidèle comme les Martyrs * ces mystères, et à l’autorité de sa parole, en
doit rendre témoignage à Jésus-Christ. Or, le té­ sacrifiant nos lumières et en captivant notie
moignage que tout Fidèle doit à Jésus-Christ est raison : cette soumissionne regarde proprement
de trois sortes. I. Un témoignage de souffrance. sinn d CSprlt ’ malS S fol exige encore la soumis­
II. Un témoignage de soumission. III. Un témoi­ sion du cœur , ,e veux dire, l’acceptation des
gnage de désir. ordres de Dieu sur nous, et la conformité à sa
i.° Un témoignage de souffrance. Ce n’est qu’en volonté sainte dans toutes les situations où il nous
souffrant, que nous pouvons rendre témoignage mnrt’ e I1 SUPP?rtant avec patience et sans mur­
que nous sommes Chrétiens : mais les souffrances murer les croix que sa bonté nous ménaee
par lesquelles Dieu veut que nous lui rendions Voila le second que
témoignage , ne sont pas seulement ces maux a la foi, glorifier Dieu dans nos peines et
extérieurs que la condition humaine rend inévi­ nous soumettre à la sagesse qui nous les impose
tables ; il s’agit de ces souffrances qui forment en reconnoissant l’ordre du Souverain, qui dis’
proprement la vie chrétienne ; de cet esprit de pense les evènemens agréables ou fâcheux , pour
croix et de mortification qui rend témoignage que homme *r 868 de misérico^ sur les
nous sommes disciples de Jésus-Christ, sectateurs
dé sa doctrine, associés à ses promesses : il s agit
d?nmïIlêTS’8Ur t6rre ’ ^Ue leS i°«sUmeW
de ce renoncement intérieur, et de ce martyre
invisible et continuel, qui fait que nous résistons que le • Ve en"a£e sont courts et laborieux et
le ciel est la patrie du Fidèle , le
à nos passions, et que nous prenons sans cessa
S 3
^.12 Analyses des Sermons.
devoir de la foi est de soupirer après la patrie qui
nous est montrée de loin ; c’est de regarder tout
ce qui nous environne, comme n’étant point à TABLE
nous , et d’user du monde et de toutes les choses
du monde comme n’en usant pas ; c’est de nous
être à charge à nous - mêmes dans un lieu où DES SERMONS
tout irrite nos passions , et rien ne peut nous
satisfaire , où tous les pas que nous faisons sont
CONTENUS DANS CE VOLUME.
des chûtes ou des écueils , où tout nous éloigne
de Dieu, et où, plus nous nous éloignons de
lui , plus nous nous devenons insupportables à
nous - mêmes ; c’est enfin de désirer que le règne
de Dieu vienne s’établir pour toujours dans nos
cœurs. Et ce désir n’est pas une simple vertu de o u R le Jour de Sainte Agnès ,
perfection , c’est le premier devoir de l'a foi , et
ce qui distingue les enfans du siècle des enfans Page r
de Dieu. Et voilà pourquoi Jésus-Christ nous Pour le Jour de Saint François-de-
assure que le royaume des cieux est pour les
pauvres et les affligés , parce qu’il est bien aise Paule, 27
de n’attendre sa consolation que dans le ciel ,
• quand on ne la trouve pas sur la terre. Pour le Jour de Saint Benoît, 62
Tels sont les témoignages que la religion exige
de nous; c’est ainsi que tout Chrétien doit etre
Pour le Jour de Saint Jean-Baptiste ,
martyr de la foi, non pas en répandant son sang io3
pour Jésus-Christ , mais en mortifiant ses, pas­
sions par un principe de foi ; et c’est un témoi­ Pour le Jour de Sainte Magdeleine ,
gnage de souffrances * cri acceptant ses peines et
ses afflictions pour rendre hommage à la foi ; et 142
c’est un témoignage de soumission : en mépri­
sant tout ce qui passe, et ne regardant comme Pour le Jour de Saint Bernard, i85
des biens solides que les biens éternels ; et c’est Pour le Jour de Saint Louis , Roi
un témoignage de désir.
de France, 225
Fin des Analyses. Pour le Jour de Saint Etienne, 268
4M Table des Sermons, etc. —
Pour le Jour de Saint Thomas dAquin,

299
Pour la Fête d’un saint Martyr, Patron
d’une Eglise , 333
Analyses des Serinons , 352

DE MASSILLON.
S
Fin de la Table des Panégyriques,

TOME NEUVIEME,
SERMONS

DE MASSILLCM
EVEQUE DE CLERMONT,

l’un des quarante de l’Académie


FRANÇAISE.

ORAISONS FUNÈBRES
ET

PROFESSIONS RELIGIEUSES.

Á LYON,
CHEZ AMABLE LEROY, IMPRIMEUR-LIBRAIRE.

i 81o.
K

ORAISON
FUNÈBRE

DE MESSIRE DE VILLARS,
archevêque de vienne.

Ambulavit pes meus iter rectum à juventute meâ-....


zelatus sum bonum , et venter meus conturbatus est ;
piopterca bonam possidebo possessionem.

J’ai marché dans la droiture depuis ma jeunesse , /’m


/“ le bim' Ét ”‘eS e,limilles »« été émues
les rmseres de mon peuple; etje posséderai un héri-
be éternel. Au Chap. 5i de l’Ecclésiastique, vers no
et suivaus. u ’

EtoiS_je destiné, Messieurs, à rendre

picux^æNfT? la mémoire de noire


Permi\PÎ,elat 'Et 6 ?el n’avoit-‘! donc
1 que je vinsse être le témoin de sa
loin ?,ne P?ar me niénaSer’ ce semble de
tère Tn ‘, et "û SJ luSubre minis~
Îie à sunn •rainttaiït de f°is Paf sa m°des-
évanïïK 7 'es.loaanges dans la chaire
torisé à K6 ’ h- 011*11 cIue )'e ne fusse au-
z ORAISON ÎÜSÈBRÏ
J3E M. DE VIL1ARS. 3
donc vrai, que le premier hommage public te, mais son immortalité sera toujours la
que sa vertu devoit avoir de moi, seroit meme. '
un éloge funèbre !.. Ne cherchons point aujourd’hui d’autre
C’est ainsi, ô mon Dieu ! que du haut consolation, Chrétiens : vous ne verrez pas
de votre sagesse, vous réglez nos destinées : dans ce eloge de ces évènemens éclatans,
c’est ainsi que confondant nos conseils, ou 1 orateur peu instruit de son ministère
surprenant nos désirs et anéantissant nos vient dans ce heu saint étaler avec art la
espérances , vous affermissez notre toi : suHe / U? m°cde ,Pr?fane i et jusques
c’est ainsi que diversifiant vos voies, vous sur le tombeau fatal, donne du corps et
instruisez notre vigilance. adore fantôme ffue Ie siècle
Celui-ci, dit Job, consumé de langueur
et d’infirmités, voit de loin l’appareil de Je n’ai à vous entretenir ici, Messieurs,
son sacrifice, exhale chaque jour une por­ ni de ces négociations importantes, qui
tion de son ame , et se sent mourir mi e arrachant le pontife du sanctuaire, le ren­
fois avant que d’avoir pu mourir une gagent, dans le tumulte du siècle, et, sous
seule; l’autre, encore plein de force et de Je spécieux prétexte du bien public l’au­
santé , est frappé soudain, son ame toute torisent à violer ses devoirs particuliers ;
entière , pour ainsi dire, devient la proie lesIniT51?ÎnS«es Pénibles, ÔÛ I'6n voit
de la mort , et entre les horreurs du tes interprètes des secrets du Ciel deve­
tombeau et les délices d’une santé par­ nu- tes dépositaires des mystères des
faite, ne met presque que le dernier sou­ cours, les sentinelles de Jérusalem ne
pir d’intervalle. fe pbsq“3p us ’u'à k dtfe"se ds
Heureuse l’ame qui, pendant ses jours Jerico, et les docteurs des tribus d’Israël
les plus sereins, a su prendre des mesu­ «glonfier d’être les législateurs Ses X
res contre la surprise des vents et de o-
rage! heureuse celle qui, ayant toujours mêbe'nnLre d<! "H,re, P““1 Prélî“ "'«*
marché dans la droiture , a eu du zele îuetee quavec celie de sQn
pour le bien, et dont les entrailles ont ions dp®0"1 ■m-rq"és qUe Par Ies f°nc-
été émues sur les misères publiques . Ah . v ons de son ministere; ses empjo.s se o
qu’une lente, infirmité lui annonce de loin nou. cOUS-renferm? dansses devoirs; et
le jour du Seigneur, ou qu’un coup im­
prévu vienne à l’instant lui ouvrir lespoi
tes éternelles; sa mort peut être differen- Nous tirerons donc du Sanctuaire même
A 2
DE M. DE VILLARS. 5
4 ORAISON FUNÈBRE digne de l’attention des hommes. On di-
les ornemens sacrés, qui vont servir ¿ ap­ roit que pour mourir avec honneur, il
pareil aux funérailles de l’oint du Sei­ faut avoir su être autre chose qu’homme
gneur; nous ne prendrons que sur 1 au­ de bien. La solennité des éloges veut
tel les fleurs que nous allons jeter sur presque être soutenue par le faste du hé­
le tombeau du prince des prêtres. Le siè­ ros qu’on loue; et il semble que l’orateur
cle qui n’eut jamais de part a ses actions;, n’a jamais plus besoin d’art, que lorsqu’il
n’en aura point aussi à ses louanges. Isous n’a qu’à louer la vérité et la justice.
sortirons de l’Egypte pour rendre les de­ Telle est la prudente du siècle, je. le
voirs suprêmes à cet autre Jacob : mais les sais : mais viens-je ici pour donner du
pompes de Pharaon ne viendront plus, poids aux coutumes d’Egypte, durant la
comme autrefois jusques dans une terre solennité même de l’immolation de l’A­
sainte, honorer les cendres et la memoi gneau ? viens-je par un discours profane
des patriarches. .. , suspendre l’attention des ministres grave­
Ce n’est pas que j’ignore la-dessus • ment assemblés autour de l’autel et appii*
vaines pensées des mondains. Admira­ qués au sacrifice, ou aider leur recueille­
teurs insensés de cette vicissitude.de lanto ment avec la parole, évangélique? viens-je
mes , sur laquelle roule tout le siecle po­ mêler aux chants lugubres de la triste Sion
sent, il leur faut des spectacles pour les les cantiques de. Babylone? viens-je, en un
frapper, de vastes projetsdes en epr mot, honorer mon ministère, édifier vo­
sesPéclatantes, des emp ois tumultueux. ire piété , ou respecter vos erreurs et dé­
On a toujours chez eux des vertus obsm grader l’honneur du sacerdoce? Ah! ce
,-es, quand on n’a pas des vices gloncuK, n’est pas ici un de ces préludes artificieux,
et ce n’est guères qu’aux grands nefauts, où l’orateur semble acheter le droit d’être
qu’ils savent accorder le nom de grand tout profane , en promettant d’abord qu’il
ne dira rien que. de saint, et où l’on ne voit
ÏÛ L’innocence des mœurs, la bonne foi, de chrétien, que des précautions pour ne
l’affabilité, la clémence , 1 aPPhcah0"< l’être pas. Rien de ce qui va s’éteindre au
ses devoirs, la miséricorde, ont je. ne sais tombeau, ne brillera dans cet éloge fu­
quoi de tranquille et d’uni, qui ne donne nèbre.
rien aux spectateurs. Les merveilles de a Ce ne sera pas même une histoire in­
foi n’ont pas le même privilège que les connue. Ce que vous avez vu, entendu,
illusions des sens. Ce qui sert de spem et touché psesque de vos mains, ce sera
cle à Dieu et aux Anges , paroit a pei A 3
6 ORAISON FUNEBRE DE M. DE VIELARS. 7
ce que nous annoncerons. Je parle d’un
pasteur qui n’a jamais perdu son troupeau PREMIÈRE PARTIE.
de vue. L’intégrité de ses mœurs, l’appli­
cation aux fonctions de son ministère , la L’innocence des mœurs, je le sais, n’est
profusion de ses trésors, qui vont faire le pas toujours le fruit de la piété des ancê­
sujet de cet éloge, ont mille fois servi de tres, ni des secours de l’éducation, il y a
matières aux vôtres: et s’il étoil permis au des enfans de colère , des cœurs si pro­
peuple affligé qui m’écoute, de le dire ici fondément gâtés , qu’on les voit déjà mé­
à ma place, il diroit comme moi , que sa diter l’iniquité parmi les leçons de vertus
vie fut toujours réglée par la loi : Am­ qu’ils reçoivent de leurs pères , et qui ne
bulant pes meus ¡ter rectum à juvénilité, trouvant autour d’eux que des objets saints,
meâ; que son autorité fut toujours utile savent s’en former de criminels de leur
à l’Eglise : Zelatus sum bonum ; et que propre fonds.
ses richesses furent toujours prodiguées Je sais que la sagesse vient d’en-haut et
aux pauvres : Et venter meus conturbatus descend du Père des lumières; qu’elle ne
est. Représentons-le donc comme un se recueille pas sur la terre comme la suc­
homme juste et irréprochable , comme cession d’un père foihle et mortel, et que
un pontife fidèle, et comme un père la piété est le don d’un Esprit qui souffle
charitable. où il veut, et non pas le fruit d’une chair
C’est l’éloge que je consacre à la mé­ qui ne sert de rien. ($ap; 9. 10.).
moire de messire Henri de Vielars , Cependant il faut avouer que l’ordre de
archevêque et comte de Vienne , tri­ notre naissance donne presque le premier
mât des primats. Esprit—Saint, mettez branle à celui de nos destinées ; qu’avec le
dans ma bouche cetle parole efficace , ce sang qui nous fait ce que nous sommes,
glaive à deux tranchans, qui en faisant nos pères font d’ordinaire passer jusqu’à
le discernement des pensées du Juste, nous les impressions de ce qu’ils ont été,
aille faire de douloureuses séparations et que dans les semences de vie que nous
dans le cœur du pécheur , et qui n’é­ tenons d’eux, nous trouvons des ascen—
lève ce pieux et lugubre monument à la dans secrets qui nous font vivre comme
religion, que sur les débris de l’idole du eux. Lorsque la racine est sainte, dit l’A-
inonde. pôtré, les branches le sont aussi ; et il est
mal-aisé que d’une masse pure et brillante,
on ne tire que des portions viles et flétries.
A 4
$ ÔRAISON FUNÈBRE RE M. DE VILLARS. Ç)
{Rom. ii. 16. ) N’en cherchons pas des vn ministre sage et illustre dans les cours
exemples hors de l’histoire de l’homme eliangeres, distingué dans la nôtre , né
juste que nous louons. Sorti d’une famille pour ménager l’esprit des rois et la for—
ou la probité, l’honneur, et je ne sais quelle royaumes, habile à ramener à
élévation d’ame coulent avec le sang, où utilité de la patrie et à la gloire de son
la-sagesse semble avoir fait une éternelle pnnce, les humeurs et les intérêts di<-
alliance avec le nom, où l’éclat et la vertu vois des peuples voisins; et le pieux pré­
paroissent presque de la même date, où lat qui fait le triste sujet de cette céré­
les exemples qui la règlent sont aussi an­ monie , dont la vie brille d’autant plus
ciens que les titres qui l’embellissent ; aux yeux de la foi , qu’elle est toute en­
sorti , dis-je , d’une famille où le Dieu sevelie dans l’obscurité des fonctions du
d’Israël avoit depuis long-temps établi sa sacerdoce.
demeure , il en recueilloit toutes les béné­ Aussi, les amusemens de son enfance ne
dictions. lurent que des essais de vertus. Incapable
Un père, dont la mémoire ne mourra encore de connoître la créature, il levoit
jamais, lui fit priser les voies du Seigneur déjà ses mains pures vers le Créateur. Il
par ses instructions, et les lui montra par apprit à consacrer son cœur an Seigneur
ses exemples. Effrayé de la déplorable va­ dans un âge où à peine a-t-on un cœur pour
nité des personnes de son rang, qui croi- soi-même; et la piété, qui toujours est Je
roient dégrader leurs ancêtres , s'ils s’ap- iruit tardif de la grâce , n’attendit pas jus-
pliquoient.eux-mêmes à leur former une ques ici la raison.
postérité digne d’eux; qui regardant comme Qu’attendez-vous, Messieurs, de ces
des soins roturiers le soin de l’éducation , heureuses prémices ? Le ciel qui brille le
sans laquelle se souille et s’épaissit la no­ malin, nannonceroit-il, selon la parole
blesse du sang ; confient à des mains étran­ evangelique, que des brouillards et des
gères le soin de cultiver des vertus do— tempêtes Le temple qu’une main habile
mestiques, mettent a prix la destinée de a elevé avec tant de lenteur et de précau­
leuis enfans ; et pour se trop souvenir de tion , ne faudra-t-il que trois jours pour
leurs grandeurs, laissent après eux des le détruire ; et à peine sorti des mains de
successeurs qui ne s’en souviennent pas Samuel, suffira-t-il à cet autre oint du Sei- z
assez : effrayé, dis-je , de ce désordre, il gneur, comme à Saü] , de s’être trouvé
1 évita; et le Seigneur bénissant ses soins , une lois parmi les fureurs et les vains trans­
il ébaucha? sans le savoir3 à la l’ùance^ ports des prophètes du siècle, pourdeve-
DE M. DE VILLÀRS. IX
10 ORAISON FUNEBRE
du livre éternel : et toute chère que me sera
nir furieux et prophétiser avec eux ? De toujours sa mémoire, j’aurois satisfait à
si belles espérances ne donneroient-elles ma reconnoissance, sans manquer à mon
qu’un sort commun, qu’une jeunesse em­ ministère.
portée qui compte les crimes parmi les Mais la religion défend-elle de sonder
bienséances de lage,et qui ne laisse guè- un cœur qu’elle occupa tout entier ? Grâ­
res qu’aux passions le soin de régler ses ces au Seigneur, je ne craindrai point de
plaisirs; qu’une maturité ambitieuse qui l'exposer à vos yeux ; et je n’aurai pas be­
ne'connoit point d’autre honneur que le soin pour vous le faire estimer, de vous
secret de s’en attirer ; qu’une vieillesse en­ le faire méconnoitre ; et pour sauver la
durcie, qui dans le débris d’un corps usé gloire de cet autre David de la honte d’une
età demi-mort, nourrit des passions encore obscure mort, il ne Faudra pas comme Mi-
toutes vivantes; qui au lieu de soupirer sur chol le dérober aux yeux, et ne substi­
les iniquités qu’elle s’est permises, ne sou­ tuer que son fantôme à sa place. (/; Reg.
pire qu’après le souvenir des plaisirs qu’elle 19. i3.)
ne peut plus se permettre ; et qui de. sa vie Quelle fut sa retenue en un âge où,
passée, ne regrette rien sinon qu’elle soit pour être vertueux et régulier; il suffit
passée ? presque d’empêcher que le vice ne nuise ,
Ah ! si je n’avois que ces mystères d’ini­ et savoir bien choisir ses débauches !
quité à vous annoncer au milieu des mys­ Quel fond de candeur, d’affabilité, de
tères saints; si, comme autrefois Samuel modération , dans un rang où mille inté­
envers Saül,(J. Reg. i5. 3o.) il falloit rêts secrets enveloppent le cœur , où le
honorer l’oint du Seigneur devant le peu­ poids des affaires et les bienséances de
ple , plutôt pour épargner à son rang la la dignité, altèrent l’humeur, ou la dé­
honte de ses f'oiblê§ses que pour édifier no­ concertent , et où l’on est d’autant plus
ire piété par le souvenir de ses vertus, je vif sur les injures, qu’on se voit tou­
me serois contenté d’accorder en secret jours investi d’hommages !
des larmes à une mort qui me fut sensi­ Quelle noble simplicité dans un siècle
ble , sans donner ici à sa mémoire des élo­ où l’art des raffînemens a passé jusqu’au
ges qui ne lui seroient pas glorieux. Loin peuple; où tout est confondu, et par sa
de venir interrompre le sacrifice terrible, misère et par sa vanité; et où à peine
pour faire revivrelesouvenirdeses actions, tranquilles possesseurs d’une portion de
moi-même je l’aurais offert au Très-Haut, l’héritage de nos pères, frappés de cala-»
pour obtenir que le souvenir en fût effacé A 6
12 ORAISON FUNEBRE DE M. DE VILLARS. la
miles inouïes dans leur temps , nous in­ Voile fatal est toujours tiré; qui s’atti­
ventons des plaisirs qui leur furent encore rent, en se cachant, le respect des peu­
plus inouïs ! ples; que Ton ne révère tant, que parce
Vous qui viles couler ses premiers jours, qu’on ne les a jamais vus; et qui, comme
sages vieillards d’Israël, qui témoins de la ces antres qu’une vaine religion consacra
première gloire de ce temple, venez ho­ jadis , n’ont rien de vénérable que leur
norer ici ses ruines de vos larmes, sans onscdrité. Déguisemens artificieux de. la
pouvoir être consolé par Tempérance d’un prudence du siècle ! vaine science des en-
nouveau , rien de profane en souilla-t- fans d Adam ! coupable trafic de mensonge
il jamais la sainteté ? Fallut-il excuser les et de vérité ! je n’aurai pas besoin aujour-
égaremens de son cœur sur la fatalité de d hui , pour m’accommoder à mon sujet ,
l’àge; envelopper des désordres présens de vous donner ici des titres spécieux ,
dans l’espoir d’une régularité à venir ; et qui ne sont dus qu’à la sagesse de la
chercher dans quelque trait de bon natu­ croix, et a la simplicité chrétienne.
rel des présages douteux de vertus ; at­ Je loue un homme juste et droit, sim­
tendre du dégoût seul de l’iniquité le ple dans le mal , et prudent pour le bien;
goût du don céleste ; et de la violence du un homme dont ce siècle malin n’étoit
mal, en faire presque le seul présage de pas digne, une de ces âmes faites pour
guérison ? le siècle de nos pères, où la bonne foi
Son ame fui un lieu de paix dans un étoit encore une vertu , où une noble
temps où toutes les passions frémissent ingénuité tenoit lieu d’art et de finesse,
à l’entour ; et comme ces trois jeunes où dans les plaisirs innocens d’une douce
princes juifs , il vécut parmi les délices société, le plus loyai étoit toujours le
des Babyloniens sans toucher aux vian­ plus, habile; où l’art des précautions étoit
des , et sans s’enivrer du vin de Baby- inutile, parce que l’art de se contrefaire
lone. ( Dan. 2. 8. ) n’étoit pas encore inventé ; et où toute la
L’usage et les réflexions qui enveloppent science du monde se réduisoit à ignorer
l’atne, et font qu’elle ne se montre plus les lois et les usages du nôtre.
que par règle, et changent en art le Ici, je sens que mon discours s’anime ;
commerce de la société, aidèrent la droi­ je me représente notre prélat iivec cet
ture et la candeur de la sienne. air affable et serein , toujours accessible,
• Il n’étoil pas de ces hommes enfoncés toujours accueillant, mettant, pour ainsi
et impénétrables , sur le cœur de qui un dire , sa personne et sa dignité à toutes
l4 ORAISON FUNEBRE DE M. DE VIBLARS. 13
les heures , ne retenant de son rang que Ange du Seigneur paroît enfin , et guérit
le privilège de pouvoir être importuné : à peine un malade ? (Joan. 5. 4-)
je me le représente, et pourrois - je le La contagion desdignités et de la gran­
dire sans réveiller votre douleur ? je me deur , ne lui forma pas cet œil superbe ,
le représente au milieu de vos familles , et ce cœur insatiable d’honneurs dont
enveloppé dans une aimable obscurité , parle le prophète, (Pr. 100. 5.) Content
goûtant avec vous les douceurs d’une vie de mériter nos hommages , il ne sut pas
privée , familiarisant l’épiscopat avec les les exiger ; disons plus, il ne sut pas les
Fidèles , et ne se faisant pas une vaine souffrir : on auroit dit que ces respec­
bienséance de se rendre invisible , et de tueuses déférences qui délassent si agréa­
jouir tout seul d’une dignité qui n’a été blement des soins de l’autorité, faisoient
établie que pour les autres. la plus pénible fatigue de la sienne. Bien
Falloit -il, pour pénétrer jusques à lui, éloigné de ces petites délicatesses qu’on
acheter par des lenteurs éternelles une remarque en la plupart des grands, au­
audience d’un moment, et par mille pé­ près de qui un simple oubli est un crime
qu’à peine mille soins et de longues assi­
duités peuvent expier; vaines idoles ,
qu’on ne peut aborder qu’en rampant ,
qu’on ne peut servir qu’avec solennité,
qu’on ne peut toucher qu’avec religion,
et qui, comme l’arche d’Israël, vous frap-
rorer la paresse r sa maison lessemmun- peroient de mort, si pour trop penser
elle à ces maisons d’orgueil et de faste, meme à les secourir, vous n’aviez pas as­
oii ceux que les affaires y attirent, pen­ sez pensé à les respecter.
sent presque plus aux moyens d’aborder Mais quelque chose de plus grand et de
leur juge , qu’à lui exposer leur droit et plus digne de la religion s’offre ici à moi.
leur justice; où dans un silence profond et On peut, il est vrai, se refuser aux hom­
avec un respect qui approche du culte, on mages par ostentation, et pour en paroi tre
attend que la divinité se montré ; où mille plus digne : la modération , jele sais assez,
malheureux souffrent moins de leur mi­ souvent n’est que le sceau de l’orgueil : la
sère que de leur ennui; et où, comme vanité qui se montre n’est ni la plus habi­
autrefois dans la piscine de Jérusalem , le, ni la plus à craindre; et celui qui s’^m-
après avoir attendu long-temps, cet autre
ï6 ORAISON TUNiBRÏ
presse pour se faire honorer , ne sait pa& DE M. DE VILLARS. 17
encore l’art d'êire vain.
Mais n’êlre touché ni des honneurs, ni - SECONDE PARTIE.
des outrages ; s’être rendu familier ce point
difficile de la loi, le pardon des offenses; Dieu ne nous a pas donné, disoit au­
ne distinguer mérite ses ennemis que par trefois saint Paul, parlant pour tout le
les grâces qu’on leur accorde; être armé corps de l’épiscopat, un esprit de foi-
de la verge pour punir les murmures , blesse , mais un esprit de force et d’a-
et ne s’en servir comme Moyse, que pour Sed spiritum çii tutis et dilectionis.
tirer l’eau même des pierres en faveur ( II. 2 im. 1.7.)
des mutmurateurs, c’est ce que la vanité , Qu est-ce en effet, mes Frères , qu’un
ne sauroil bien contrefaire, ni la religion evêque si peu soigneux de faire revivre la
assez louer. Oui , Messieurs, nul de nous grâce de 1 imposition , s’il a éteint cet es—
ne l’ignore; on auroit dit que le seul se­ prit, ou si ayant franchi par une ambi­
cret, pour se le rendre favorable , étoit de tieuse intrusion, cette haie sacrée qui sé­
l’avoir offensé. Les traits les plus piquans pare le sanctuaire , il ne l’a jamais reçu ?
n’alloient, ce semble, jusques dans son Hélas ! faut-il le dire ici ? c’est un abre
cœur, que pour y ménager une place à eux fois mort et déraciné, et qui occupe
ceux qui les avoient lancés; et comme Je plus bel endroit d’une terre sacrée :
ce lion mystérieux , dont il est parlé dans ( Ep. Jud. i>. 12.) c’est un roseau que le
l’histoire de Samson , il suffisoit presque vent agite, et sur qui cependant, comme
de l’avoir déchiré, pour trouver dans sa sur une colonne sainte , repose tout l’édi­
bouche le miel de la douceur et la rosée fice de la maison du Seigneur : ( Luc. 7.
des grâces. Puissiez-vous en ce jour de —4- )_cest une nuée destinée, comme au-
douleur être du moins touchés de cet liefois , a faire paroitre la gloire du Sei­
exemple, vous qui croyez que ne pas gneur dans le temple, et qui nous la dé—
perdre vos ennemis, c’est leur pardonner; lobe par sa noirceur : c’est un astre er­
et qui bornez la loi qui vous ordonne rant , qui destiné à nous garder parmi les
d’aimer, à ne haïr qu’avec mesure ! Pas­ obscurités des sens et de la foi, ne peut
sons à l’usage qu’il a fait de son au­ cependant que nous écarter de la route :
torité , et représentons-Ie comme un pon­ c est un serpent d’airain élevé pour guérir
tife fidèle. nos blessures,et qui placé dans le temple
nous devient une occasion d’idolâtrie et de
mort: 18.4.) et pour tout recueil-
l8 ORAISON FÜK ÈBRE DE M. DE VILDARS. 1$
lir en un mot, c’est un mystère d iniquité vîtes-vous-couper le fil d’une si longue
inconnu presque à ces siècles heureux qui suite de pontifes ? et pourquoi, en nous
nous ont précédés, dont la foi alarmée ôtant par une mort prématurée l’espoir
respecte encore la profondeur , et qui ne d un successeur , nous ôtâtes-vous la seule
sera révélée que dans son temps. (2. T-hess. ressource qui nous restoit,dans la perle
2.7.) ... • j que nous venons de faire ?
Né , pour ainsi dire, dans le sem de Mais hélas ! suis-je destiné à rouvrir
l’épiscopat, et trouvant à côté de ses an­ aujourd’hui toutes les plaies de la famille ?
cêtres une si longue succession de sages et faut-il pour vous rappeler la glorieuse
pontifes , notre pieux prélat en recueillit succession des prélats qu’elle vous a four­
tout l’esprit avec le nom. Déjà depuis nis, vous faire souvenir à ses yeux que
plus d’un siècle, étoient assis sur le trône vous n’en devez plus attendre ? Epargnons
sacré de ce saint temple des prélats de à l’illustre fille qui m’écoute , le souvenir
son sang : la souveraine sacrificature etoit encore trop cher d’un frère dont la mort
presque devenue l’héritage de sa tribu ; et lui causa tant de larmes; et pour la con­
par un privilège nouveau au sacerdoce de soler sur le triste accident qui nous as­
Melchisédech , elle étoit transmise selon semble ici, ne faisons pas revenir ses
les lois d’une succession charnelle , sans lùalheurs passés.
s’y transmettre selon les lois de la chair et L’épiscopat est un ministère de force et
du sang. Mais que ne puis-je passer rapi­ de fermeté. Il faut que , retranché dans le
dement sur cet endroit de mon discours ! droit sacre du sacerdoce, 'l’évêque soit
Nos pères élevés à respecter ce nom , nous (hors d’atteinte aux traits de l’ambition ,
avoient élevés au même respect; nos vieil­ aux surprises de la bienséance , à la rapi­
lards voisins presque de ces temps heu­ dité de l’usage; qu’il approche l’innocence
reux , où commencèrent à gouverner l’E­ de nos mœurs, des lois et de la discipline
glise les pontifes de cette maison, en ra— de nos pères ; qu’il sache ramener les abus
contoient avec alcgresse , au milieu de à leur origine; et, que comme l’arche
leur famille, l’histoire à leurs neveux, et d’Israël au milieu du Jourdain,‘il fasse
les marquoient chacun par leur propre remonter les eaux vers leur source , et
caractère : nous-mêmes accoutumes à vivre ne s’y laisse pas entraîner soi-même. (Jos.
3. 16'. )
sous de si paisibles lois, promettions à
ceux qui viendroient après nous le meme Ne croyez pas, Messieurs, que sur ces
avantage. Trop cruelle Italie ! pourquoi traits primitifs de l’épiscopat, je vienne
2,0 ORAISON TUNERRE DE M. DE VILLARS. 21
ici, pour faire honneur à mon sujet, vous mis : je ne craindrai pas de rappeler quel
former à loisir un de ces portraits origi­ lut pour l’erreur de ses ancêtres , un at­
naux, où tout se sent de la plus pure an­ tachement si glorieux à la vérité qu’il em­
tiquité , et que l’on ne trouve si beaux, brassa depuis. Ce grand homme encore
que parce qu’ils ne ressemblent à person­ dans le parti de l’hérésie , entreprit de
ne. Malheur à moi, si je faisois d’une ce­ lui bâtir un temple dans une de ses ter?
remonie de religion un vain jeu d élo­ res ; et comme un autre Michas il voulut
quence ; et si par des louanges excessi­ avoir auprès de la maison de ses pères ses
ves , aidant les Fidèles a se persuader dieux, son lévite, et toutj’appareil su­
qu’on leur surfait la vérité dans la maire perstitieux de son culte. (Judic. 17.5.)
évangélique , je les accoutumois a en Il n’y avoit point alors de roi en Israël ,
comme le dit l’Ecriture , du temps de
rabattre ! ce Juif, et chacun étoit à Soi-même sa loi
J’aime mieux vous faire souvenir que
dans un siècle où la charité est refroidie, et son juge.
où les devoirs de l’épiscopat sont ou Qu’attendez-vous ici du ministère de
réduits par l’usage , ou bornés par la notre agent?Une criminelle complaisance
puissance séculière, ou adoucis par le de- toujours prête à se faire des amis , et non
règlement des Fidèles , c’est presque faire pas des richesses d’iniquité , selon le mot
le bien que de le souhaiter; et que si le de l’Evangile, mais des plus sacrées dé­
prélat que je loue n’a pu remonter jusques pouilles du sanctuaire ? une timide dissi­
mulation , qui honore sa lâcheté de tout
à la source, et ramener ces premiers âges
le mérite de la prudence ? une foible ré­
de l'épiscopat, il ne s’est du moins pas
laissé aller aux ioiblesses et aux re.ache- sistance qui paroit d’abord , mais seule­
ment pour pouvoir se dire à soi-même
înens du nôtre. qu’elle a paru ? En vain mille intérêts se­
Appelé à l’agence dans ces temps péril­
leux , où l’autorité du gouvernement mal crets sollicitent l’agrément de l’agent; il
affermie, ne laissoit espérer aux droits de s’oppose au nom du clergé, trop zélé sa­
l’Eglise qu’une foible protection , il ne fit crificateur du temple de Sion, pour souf­
paroitre ni moins de zèle, ni moins de frir que sous soit ministère, les hauts lieux
fermeté. Je le dirai ici à la gloire éter­ se multiplient dans Israël. Heureux d’avoir
vu depuis, pendant les jours de son sacer­
nelle de la piété du grand Turenne, nom
doce , la piété d’un autre Ezéchias , s’em­
si honorable à la France , si cher a nos
ployer à les détruire , ôter du milieu de
troupes, si redoutable encore aux enne—
z
22 OllAISON FlAÈERJ! DE M. DE VILLARS. 23
_Juda les dieux étrangers et obliger les tachés ; soutenir contre une puissante et
peuples à venir tous adorer à Jérusalem ! célèbre abbaye , les plus anciens droits du
(IV. lieg. 18.22.) Mais ce n’est là qu’un sacerdoce; arracher des mains étrangères
premier essai de sa droiture. les dépouilles de son épiscopat; rétablir
Sacrés prélats de nos Gaules , combien le premier pasteur, chef des pasteurs su­
de fois le vîtes—vous dans vos assemblées balternes ; rejeter un traité pernicieux ,
ignorer l'art nouveau de se taire; redon­ et ne vouloir pas vendre une paix qui lais-
ner à l’épiscopat sa première liberté ; n’en­ soit la division dans le sanctuaire ; en
visager sa fortune qu’à travers son devoir; un mot, ne pas souffrir, comme Salomon,
être le.Gamaliel de 1’assembîée des princes que le corps de Jésus-Christ fût divisé
des prêtres , et savoir opiner dans des entre deux Eglises , et faire déclarer la
conjonctures, où il ne falloit savoir que seule et véritable mère , celle qui ne vou-
consentir? Que ne puis-je ici publier sur loit point de partage.
les toits ce qui s’est passé dans le secret ! Les égards, la bienséance même du
Vous verriez des instances éludées , des sang et de l'amitié lui surprirent-ils jamais
espérances méprisées, les intérêts de la de ces grâces qui minent la force des lois,
chairetdu sang oubliés; l’autorité souve­ et s’élèvent sur leurs débris, dessèchent
raine ramenée aux intentions du souve­ peu à peu cette sève précieuse qui anime
rain, et une droiture inflexible dans un encore le tronc; achèvent d’épuiser ces
siecle ou toute la fermeté semble se ré— esprits primitifs d’ordre et de régularité,
duire.a ne pas se ménager soi-même des qui à travers tant de siècles , ne sont ar­
occasions de lâcheté. Mais ce sont là de rivés jusques à nous, que foibles et pres­
ces traits qu on ne peut montrer qu’en que defaillans; donnent par une officieuse
éloignement; de ces merveilles destinée^ cruauté le dernier coup à la discipline
à 1 obscurité, et qui nous révélant des mourante;et comme cel Amalécite échappé
maux secrets, doivent, comme les figures de la déroulé de Saül ( II. Rcg. i. io. )
dor des plaies des Philistins, demeurer font rendre le dernier soupir à la puis­
cachées dans 1 arche. Avec quelle constance sance et à la majesté d’Israël, sous pré­
le vîmes-nous négliger un repos si cher à texte d’avoir égard à ses maux ? Ah ! il ne
l’épiscopat, pour rendre.à son autorité ses resserra jamais tant lesbornesde son auto­
premières bornes, y rejoindre les titres rité, que lorsqu’il fallut l’employer pour
sacréset inaliénables,que l’ignorance oula ceux qui lui étoient chers : sa main rele-
superstition des siècles passés en avoil dé­ noil les grâces que le cœur avoit trop
24 ORAISON FUNÈBRE I)E M. DE VILLARS. 20
de penchant d’accorder; et on auroit dit îa licence et le crédit de l’erreur avoient
que le droit de tout obtenir de lui, étoit presque éteint la foi de nos Gaules, et
un titre pour en être presque toujours re- confondu les droits et la discipline de
, fusé. Donnez, Seigneur, à vos ministres nos églises. Celle-ci , moins heureuse que
cet esprit de force et de circonspection : la teri e.de Gessen , ne fut pas à couvert
ne souffrez pas que votre héritage de­ des plaies communes : (JExod. 9 26. J
vienne la proie des nations et l’opprobre l’Ange exterminateur y passa. Les traces
de ceux qui vous haïssent. de la colère divine furent long-temps em­
Ce fonds de droiture et d’intégrité pre- preintes sur nous, et malgré tout ce qu’a-
noit sa source dans l’amour qu’il eut tou­ voient fait ses prédécesseurs, le prélat
jours pour l’Eglise. Quelle mesure ne prit- que nous pleurons , y trouva encore beau­
il pas pour la remettre à Jésus-Christ, coup à faire.
pure et belle, et lui faire perdre les taches ' La première marque d’amour qu’il donna
et les rides , que l’ignorance des siècles a la nouvelle Jérusalem, à cette épouse
passés et la licence du nôtre y avoient descendue du ciel, fut de ne la jamais
laissées? Quelles étoient les ruines de ce perdre de vue. ( Apoc. 21. 2. ) Oracles
temple, lorsque nous y vîmes entrer notre éternels des livres saints, lois vénérables
nouveau ,pontife ! Ah ! ici s’offrent à moi de nos pères, vœux si aidens et si anciens
des spectacles bien divers. Je vois la fille de toute l’Eglise sur la résidence des pas­
de Sion, enveloppée de sa honte et de teurs il vous connut , il vous respecta.
son ignominie , souffrant que l’ennemi Ln vain les services d’un illustre frère
porte une main téméraire sur tout ce le mérite et le crédit d’un neveu, qui
qu’elle a de plus précieux , et devenue vole si rapidement à la gloire et aux hon­
presque toute semblable aux filles de Tyr : neurs , lui laissent entrevoir des espérances
je la vois sortir comme l’aurore du sein toujours fatales à l’honneur du sacerdoce;
de ces ténèbres , rentrer peu à peu dans en vain le monarque lui-même, si jaloux
son éclat, et reprendre le soin de sa gloire: / dailleurs de ce devoir de l’épiscopat, lui
je la vois sous des images si différentes , reproche qu’on le voit rarement à la
et je me trouve également embarrassé, et cour : cette pompe de l’Egypte ne l’éblouit
par ce que je dois dire et par ce que je pas; et ce sage vieillard, comme autrefois
dois taire. le vieillard Jacob présenté à Pharaon,
Oui, Messieurs, vous le savez , les mal­ Gî’wça. 46.10. ) et si honorablement ac-
heurs du temps et les dissentions civiles, 'pueii 1, ne iougit pas de se déclarer pas—
la iffaisons funèbres, *b
26 ORAISON FUNÈBRE, M. de vittAns. 27
teur devant ce prince, pour être moins de a îeconnoissance que vous conservez pour
temps à sa cour , et avoir le droit de se sa mémoire.
retirer plutôt de la terre de Gessen. Exem­ z r^^.s',(instru‘,: précepte de l’Apôtre
ple trop beau pour un siecle ou l.episco- t • im. 5.11.) avec quelle circonspection
patne sert presque plus de décoration aux imposa-t-il les mains, et donna-t-il des
palais des rois, où les cours semblent etre dispensateurs à l’héritage de Jésus-Christ ?
devenues des diocèses communs; où les Que ne le pouvez-vous dire ici à ma place,
sentinelles de Jérusalem et les trompettes sages coopérateurs de son épiscopat ! Dé­
du temple, ne voient et ne parlent plus charge sur vos soins de cette partie péni­
qu’avec des yeux et des bouches étran­ ble de son ministère, il écouta, je lésais .
gères, et où l’on voit souvent les princes vos avis respectueux avec bonté, les suivit
rie la tribu de Lévi, indignes dépositaires avec religion, les prévint meme avec sa-
de l’arche, l’imposer comme les Philistins Sersse.’ ’ comme Samuel dans la maison
sur des épaules viles,et la laisser enei a dlsai, il ne fit attention ni aux droits de
a naissance, ni aux vaines distinctions de
l’aventure. m chair, quand il fallut répandre Ponction
L’ignorance et le dérèglement des clercs
défiguroient la beauté de l’Eglise : celoit sainte, et donner des princes à Israël, f I.
P^eg. 16. 7.)
une noire vapeur,qui du sanctuairealloit
. Moi-meme,et je dois ledireici, dussé-
se répandre dans le reste du temple , et
en ternissoit l’or et l’éclat. Quels, fuient je reveiller ma douleur , en rappelant le
doux souvenir de ses entretiens et de ses
ses soins pour la dissiper! Vous l’appren­ bontés; oui, moi-même je l’ai vu avec cet
drez à la postérité, édifice sacré , qui hors an de candeur et de sincérité , qui pei-
des murs de cette ville , renfermez les
sources précieuses où se puisent à loisir Snr r|°n V1Sa§e Ies sentimensde son
cœur, je fai vu gémir sur ja funeste né_
la doctrine et la vérité; qui de votre sein b igence de ces prélats, qui sans discerne-
voyez couler les esprits de sacerdoce et
d’Apostolat, répandus dans nos villes et n e a toutes les heures du jour reçoi—
ent des ouvriers, et les font passer du
dans nos campagnes; qui fûtes le pieux
fruit et le plus cher objet de ses empres- 1 enCtldmeTeê-Ia Y,iSne revêtant prompte­
ment dun habit d innocence et de dignité
semens : vous l’apprendrez à la postérité ; iiXs,r,fanspro'li«ufs’'îui<i'OT'ii“i-'«
et en faisant passer jusques. à nos neveux
élu • t?ntp°yr-Î0Utes dl&Posltions à un
l’amour qu’il eut pour l’Eglise, vous ferez Mat saint et pemble, qUe l’impuissance
passer jusques à eux le tendre respect e R ~ • >-*
28 ORAISON FUNÈBRË
de fournir plus long-temps à leurs crimes^ DE M. DE VILLÀRS.
ou l’esprit d’un sort plus heureux dans la d’ignominie; ne touchons pas aux oints du
maison du Père de famille. Seigneur ; respectons ce qu’ils avilissent;
S’il s’applique à éloigner du sanctuaire et que leursvices nous soient en quelque
ces vases de honte etde rebut, avec quelle sorte aussi sacrés que leurs personnes.
distinction et quel empressement y plaça- Puisse seulementla révolution fatale des
t-il les vases d’honneur et d’élite! Ses yeux, temps , a qui tout cède , respecter aussi un
comme ceux du prophète, étoient ouverts joui les traces encore vives de son amour
pour aller discerner les dispensateurs fidè­ pour 1 Eglise! Puissent les siècles à venir
les jusques dans les terres étrangères, et dater de son épiscopat la renaissance de
les faire asseoir avec lui. ( Ps. ioo. 6. ) la loi, de la doctrine, de la piété; et dire
Vils et odieux au siècle par un destin iné­ de lui : U retrancha des abus, ou autori­
vitable à la piété, lui furent-ils jamais ses par la licence, ou consacrés par la su­
moins chers? En proie aux traits des mé­ perstition : il rétablit des lois, ou négli­
dians et aux calomnies des hommes , ne gées par le relâchement, ou éteintes par
leur fit-il pas comme un sacré rempart de la coutume; il rendit au culte extérieur
toute son autorité ? Sur les traces de l’E­ la bienséance etla majesté, ladignitéaux
vêque de nos âmes, Jésus-Christ ne sut- ministres, et l’honneur au ministère : sous
il pas justifier le zèle de ses disciples contre furent distribuées avec précaution les
les reproches des Pharisiens ; et rendre , giaces desSacremens , et reçues avec fruit:
sous lui s’élevèrent dans nos villes ces
comme le pontife Achimélech , ( I. Reg- asiles publics, ou contre l’indigence, ou
21.9.) le glaive sacré à ceux qui n’étoient
contre le crime : sous lui une nouvelle
persécutés que pour s’en être servis peut-
lumière commença de luire à ceux qui
être trop glorieusement contre les Phi­
etoient assis dans les ténèbres et dans
listins. 1 ombre de la mort; des terres presques
Ah! si je pouvois ici vous représenter
cette tendresse pour les pasteurs vigilans, inconnues ouirent la parole de vie; on
ht dans nos campagnes des courses apos­
changée en indignation contre les infi­ toliques ; les pauvres furent évangélisés;
dèles ! si je pouvois raconter là-dessus et
et au fond de leurs demeures champêtres,
ses entreprises et ses désirs, et le louer
également sur ce qu’il a fait, et sur ce vivant au gré d’un instinct brutal et à
qu’il auroit voulu faire ! Mais qu’un voile Peine encore hommes, ils connurent en-
in e Dieu de leurs pères , et l’espérance
éternel couvre ces mystères de honte et
commune des Chrétiens. Tel fut l’usage
B 5
ORAISON FUNÈBRE
DI SI. DE VILLARS. 3l
qu il fit de son autorité j il ne reste plus périté à la vue des infortunes d’autrui. Et
qu’à vous le représenter comine un père ce n’éloit pas ici une de ces sensibilités de
tendre et charitable. caprice , qui n’ouvrent le cœur à certains
maux que pour le fermer à tous les autres ;
TROISIÈME PARTIE. qui veuleut choisir les misères , et qui, en
nous rendant trop prudemment charita­
Quelle autre religion que celle des bles , nous rendent pieusement cruels. Sa
Chrétiens avoit jamais ouï parler d’une charité fut universelle ; et il ne mit jamais
vertu qui souffre de tous les maux d’au­ d’autre différence entre les malheureux ,
trui , qui n est pas fastueuse , et qui, atten- que celle quemettoit entre eux leur misère
live.aux calamitésétrangères, s’oublie vo­ même.
lontiers soi-même ? Omnia suffert, non est Quel tendre spectacle s’ouvre éncore à
amhihosa , non (¡uœrit quœ sua sunt : ( 7. mes yeux! Ici la veuve, couverte de deuil
Cor. io.JS. y. } c’est le caractère delà cha­ et d’amertume sous un toit pauvre et dé­
rité ; disons mieux : c’est celui du chari­ pourvu , jette en soupirant de tristes re­
table prélat que je loue. gards sur des enfans que la faim presse j
Persuadé que les pasteurs ne sont que et hors d’espoir de tout secours, elle va,
les dépositaires des biens , comme de la foi comme celle d’Elie , soulager Îeur indi­
■de 1 Eglise , avec quelle religion les dis­ gence de cequi lui reste , et mourir ensuite
pensa-t-il ! Que seroit-ce en effet, Mes­ avec eux, quand par un nouveau prodige,
sieurs , que de détourner à des ouvrages elle! voit tout-à-coup sa substance multi­
profanes les richesses du sanctuaire ? Ce
pliée , et ses tristes jours consolés. Ici des
seroit changer en germe de péché le fruit vierges consacrées au Seigneur, lèvent au
sacre de la penilence de nos pères : trou­ fond de leurs retraites, des mains pures au
ver dans les vœux innocens clés premiers ciel, et offrent pour lui une innocence
Eideles, de quoi former peut-être avec suc­ qu'elles ne doivent qu’à ses largesses. Le
cès des vœux criminels ; insulter la pau­ citoyen, qui sous les dehors encore spé­
cieux, cache une profonde misère , privé
vreté evangelique, avec le patrimoine des
du confident charitable de sa honte et de
pauvres ; en un mot, faire servir Dieu à
1 iniquité. Les mains du Très-Haut, vous ses besoins, cherche les ténèbres pour
le savez, avoient formé à notre charitable leur confier son affliction , et comme Jo­
seph , il s’éloigne, pour verser des larmes ,
prélat un de ces cœurs tendres et miséri­
cordieux j qui souffre de toute leur pros- de ceux qui, trompés encore par les appa.-
d£ m. de viliars. 33
32 ORAISON FUNÈBRE
ficieusement de le dépouiller, écoutez ce
rences, s’adressent à lui pour avoir du pain,
que dit l’Esprit-Saint : {Job. 20. 23.)
de peur de passer pour leur frère.
Quand vous serez rassasié , vous vous sen­
Mais dans quel détail immense vais-je
tirez déchiré ; votre félicitésera elle-même
m’engager ! Ici, des vases de honte , des
votre supplice, et le Seigneur fera pleu­
victimes de la lubricité publique trouvent
voir sur vous la vengeance et la fureur.
un asile, et doivent à ses libéralités , ou
Mais que ne puis-je recueillir ici les
le désir de la vertu, ou du moins l’im­
fruits infinis de sa miséricorde, et dans
puissance du crime; vous le savez, minis­ les calamités qui nous affligent, ou réveil­
tres pieux qui veillez sur une œuvre si ler votre langueur, ou édifier votre zèle
sainte. Ici s’élèvent ou subsistent par ses par l’histoire de ses largesses ! que ne puis-
soins ces lieux sacrés , destinés à recevoir je rappeler ses tendres sollicitudes sur les
la mendicité errante, ou à soulager la mi­ besoins de son peuple ! J’ai vu mille fois
sère affligée : ici, un rayon de lumière ses entrailles s’ouvrir au récit des misères
perce l’horreur des cachots, et va faire publiques : une sainte tristesse se répan-
sentir à cet infortuné qu’il y a encore de doit sur son visage ; des paroles de douleur
l’humanité sur la terre : ici des ouvriers et de charité sortoient de sa bouche; et
apostoliques, saintement occupés à par­ louché de pitié, comme Jésus-Christ, sur.
courir nos campagnes, et à distribuer aux une multitude affamée , on le voyoit,
petits le lait de la doctrine , répandent eu comme lui, lever les yeux au ciel, et
son nom et la rosée du ciel, et les béné­ multiplier presque ses trésors afin de la
dictions de la terre ; et par un inndcentàr- rassasier.
tifice, en soulageant les misères du corps , Je ne vous dirai doncpas qu’il fut l’œil
se frayent un chemin jusqu’à celles du de 1’ aveugle et le pied du boiteux ; qu’il
cœur: ici, par les soins de cet autre Ja­ jeta sur l’orphelin des regards précieux,
cob , les grains de l'Egypte viennent con­ et qu’il consola le cœur de la veuve ; que
soler la stérilité de la terre de Canaan; et comme cet homme instruit dans le royaume
sa charité toujoursingénieuse , va chercher des cieux, il tira de son trésor l’ancien et
jusques chez un peuple étranger, des res­ le nouveau; qu’il sortoit toujours de sa
sources à la calamité de son peuple. œrsonne une vertu bienfaisante qui sou-
Entrailles cruelles, qui mettez à profit
les misères publiques, qui appréciez les.
f ageoit toutes les misères ; qu’il coula tou­
jours de son palais, comme d’un autre lieu
larmes et l’indigence de votre frère, et qui d’innocence , une source sacrée qui allait
ne lui tendez la main que pour achever ofc B 5
nfc si. de villars. 35
34 ORAISON FUNEBRE
manière de sanctuaire , où le pontife seul
inonder la terre; que la honte fut toujours avoit le droit d’entrer: et sa mort même n’a
moins ingénieuse à lui cacher les malheu­ pas pu, comme celle de Jésus-Christ, dé­
reux , que sa charité à les découvrir; et chirer le voile qui déroboit à nos yeux ces
qu’on eût dit que de tendres pressentimens pieux mystères !
venoient lui annoncer les besoins les plus Ah ! si je pouvois du moins pénétrer
secrets. dans le secret des familles, là je trouve-
Car ne vous représentez pas ici un de rois l’innocence prête à enfoncer, et pré­
ces zélés fastueux, qui n’aiment, pour ainsi servée du naufrage; ici, l’iniquité devenue
dire , à placer leur argent que sur le pu­ plus rare, parce qu’elle n’étoit plus si né­
blic; qui révèlent avec art la honte de cessaire. Mais quevais-je faire,Messieurs?
leurs frères, moins pour leur attirer du Ah! je ne respecte pas assez ces sacrées té­
secours , que pour pouvoir dire qu’ils les nèbres : il me semble que ses chères cen­
ontsecourus; qui, sous prétexte d’édifier dres en souffrent ; il me semble que ses os
les spectateurs, se donnent eux-mêmes arides se raniment en m’écoutant ; que ce
pieusement en spectacle ; qui n’ont des visage où étoit peinte autrefois la dou­
yeux que pour les misères d’éclat; et qui, ceur, se couvre d’une modeste indigna­
comme les foibles disciples sur la mer , tion ; et que du fond de ce triste mausolée :
îorsq ue Jésus-Christ se présente à eux Epargne , me dit-il , cette inquiétude au
pendant les ténèbres, s’écrient que c’est repos de mon tombeau; et ne viens pas
un fantôme, et ne veulent pas le recon­ fouiller jusques dans mes cendres pour y
noitre. C Matïli. 14. 26. ) Œil invisible découvrir les ardeurs secrètes de mon
du Père céleste, vous fûtes le seul témoin amour destinées à l’obscurité, jusqu’au
¿es secrètes effusions de sa charité. Que jour de la manifestation de Jésus-Christ.
d’œuvres de lumière n’a-t-il pas ensevelies Et ne croyez pas, Messieurs, que, comme
dans de pieuses ténèbres ? Ne crut-il pas , tant d’autres, il n’employât au soulage­
ô mon Dieu ! que sesœuvressaintes flétries ment des malheureux que les restes inuti­
presque par les regards étrangers, n’étoien t les de son luxe ou de ses plaisirs , et que
plus si dignes des vôtres ; et qu’afin qu’elles ses.aumônes ne fussent que les débris de
allassent effacer ses iniquités de votre sou­ ses passions. Il sut honorer le Seigneur de
venir, il falloit qu’elles fussent elles- sa substance ; la frugalité de sa table , la
mêmes effacées du souvenir des hommes? modestie de son train, si recommandée
Il n’eut jamais de confident là-dessus : la aux prélats parles lois de l’Eglise , furent
charité s’étoit dressé dans son cœur une B 6
•3Ô ORAïgON PUNeBRE? DE M. DË VILLARS.
les fonds d ou.il tira les trésors des pauvres fession ! Jésus-Christ ! que me reste-t-il
et sa diminution , pour parler avec l’Apô­ ici, qu’à vous demander pour cette Eglise
tre, fut la richesse des peuples. affligée un pontife comme lui, innocent,
X Quelle simplicité dans son palais ! elle séparé des pécheurs , attentif à offrir des
nous rappeloit ces temps heureux où l’é- dons et des.sacrifices pour les péchés, ap­
piscopat entouré de sa seule dignité, savoit pliqué à tout ce qui regarde votre culte ,
encore s’attirer le respect des Fidèles; où plus élevé que les cieux, et qui sache com­
le laste. n. etoit pas devenu une bienséance patir aux infirmités de son peuple ? Ah !
a un ministère d humilité ; où l’éminence permettriez-vous qu’une Eglise dont la
du caractère étoit une raison de modéra­ naissance est celle du Christianisme dans
tion , et non pas un prétexte de luxe ; où les Gaules, élevée presque sur le fonde­
toute la gloire de la fille du roi étoit en­ ment des Apôtres et des premiers pro­
core au dedans, et où le peuple de Dieu phètes , gouvernée par une si glorieuse
n avoit pour pontifes, que des Aarons re­ succession de saints pasteurs, et tant de
vêtus de justice et de sainteté. Quel déta­ lois illustrée de tout leur sang; si pure
chement de la chair et du sang! Etoit-ee dans ses lois, si vénérable dans son culte,
de ces. pasteurs cruels qui nourrissent si illustre par ses droits, devint l’héritage
i ambition et la vanité de leurs proches, d’un dispensateur infidèle; et qu’une si
du sang et de la substance des pauvres ; chère portion de votre troupeau fut la
qui font servir les trésors du sanctuaire à proie d’un loup ravissant ?
des décorations profanes ; qui érigent des Pieux prélat ! si dans le sein d’Abraham,
idoles des débris de l’autel; et par un ren­ ( car, ô mon Dieu, sans sonder ici la
versement honteux, enrichissent l’Egypte profondeur de vos conseils, auriez-vous
des dépouilles mêmes du tabernacle! Ah ! pu fe rmer votre sein éternel à celui qui
il employa ces pieuses richesses à couvrir vous ouvrit toujours le sien en la personne
la nudité, et non pas à parer la vanité; à de vos serviteurs affligés ?) si, dis-je, dans
rassasier la faim, et non pas à flatter la le sein d’Abraham, ame charitable , vous
volupté ; à étancher la soif, et non pas à jouissez déjà du fruit immortel de tant
irriter la cupidité ; et le seul vice qu’on lui d’œuvres de vie; si vous moissonnez les
peut reprocher là-dessus, c’est peut-être bénédictions que vous avez semées ici-bas,
d’avoir poussé trop loin cette vertu. jetez sur les tendres gémissemens de
Prêtre éternel ! prince des pasteurs ! cette triste Sion, quelques regards favo­
divin apôtre de notre foi et de notre con- rables : soyez toujours son Epoux invisi­
38 ORAISON rUNÈBR^ BE M. DE VILLARS. 3g
ble ; que les liens sacrés qui vous ont Daniel s’accomplit une seconde fois , et
uni avec elle, ne périssent jamais ; choi- nous vîmes une pierre légère détachée des
sissez-lui vous-même dans les trésors éter­ montagnes éternelles , venir heurter loi--
nels un pontife fidèle; et que les soins de Llement contre une des jambes de cette
sa gloire aillent encore vous toucher et statue précieuse, dont la structure sem—
troubler presque votre repos jusques dans bloit nous promettre une si longue durée ,
le sein de la félicité. et la réduire d’abord en poudre. La légè­
Mais pourquoi vous le représenter jouis­ reté du mal, l’heureux tempérament du
sant de l’immortalité, avant que de vous malade , les conjectures de l’art, tout en­
1 avoir représenté dans le sein même de la dormit notre frayeur. Un neveu que le
mort? Prétends-je amuser votre affliction? choix glorieux du prince et les besoins de
Rappelons, puisqu’il le faut, ce triste spec­ l’Etat avoient fait passer du Rhin en Ita­
tacle. L’innocence de ses mœurs , la fidé­ lie , séduit par les mêmes apparences, le
lité aux devoirs de son ministère, la pro­ laisse dans le lit de sa douleur, et part
fusion de ses trésors ; cette piété tendre pour la cour, où le rappeloitlareconnois-
et constante , cette foi vive et simple; le sance elle devoir. Mais les tristes circons­
sacrifice redoutable qu’il offrit si souvent, tances de cet adieu, les tendres embras—
et toujours avec tant de recueillement et semens du vieillard affligé, furent comme
de frayeur; le bain sacré de la pénitence , les lugubres précautions d’une tendresse
ou il venoit régulièrement, avec tant de mourante, et d’une séparation plus cruelle.
douleur et d’humilité , laver les souillures Bientôt après en effet, le jour du Seigneur
de son . ame ; ces momens précieux qu’il arrivé , un mortel assoupissement vint
déroboit ou à ses occupations , ou à son nous annoncer le sommeil de la mort : des
repos , pour se nourrir des vérités du sa­ présages de trépas couvrirent son visage ;
lut par des lectures édifiantes ; en un mot, son arrêt y parut écrit, et l’affreuse mort
le souvenir de sa vie doit nous rassurer sur jusques-là cachée dans son sein , se laissa
le souvenir de sa mort. presque voir à découvert.
, Oui, Messieurs, la main du Seigneur Ace bruit fatal, une frayeur univer­
s etendit sur lui, et elle le f rappa ; mais si selle se répand: les prêtres du Seigneur
légèrement , qu’à peine parut-il qu’elle montent à l’autel ; on cherche dans le
leut touché. C’étoit, ce semble, pour sacrifice de la mort de Jésus-Christ une
tromper notre douleur : le coup fut pres­ source de vie pour le pontife mourant; la
que tout invisible; l'histoire du songe de victime adorable est exposée à la douleur
ÔRAîSÔN FUNiBRÏ
DE M. DE VIEDARS.
publique; les citoyens en foule remplis-«
sent nos temples , et environnent les au­ ami sage et fidèle tâche en vain de s’at-
tels : les pauvres , au milieu de nos places tiier encore la dernière consolation de
publiques , les mains levées au ciel , re­ quelques paroles mourantes, et l’exhorte
demandent par leurs gémissemens le père a disposer de sa maison terrestre. Un frein
qu’ils sont sur le point de perdre : des éternel avoit déjà été mis sur sa langue ,
vierges sacrées gémissent tout bas dans le et on ne tirent plus de lui qu’une réponse
sanctuaire ; et tristes témoins de la dou­ de mort. Mais encore, les pauvres que vous
leur et de la soumission chrétienne d’une avez tant aimés, lui dit-il, vont-ils donc
abbesse à qui de tendres nœuds rendent tout perdre avec vous? Votre palais reten­
cette séparation si cruelle , elles répan­ tit de leurs plaintes ; quelles ressources
dent leurs cœurs aux pieds des autels , voulez — vous leur laisser après votre
mêlent leurs soupirs et leurs vœux, les font mort? Que vois-je ici, mes Frères?
Ah ! la charité ne meurt jamais. A cesmots
monter jusqu’aux pieds du trône de l’A­
gneau qu’elles doivent un jour suivre , celte ame miséricordieuse se réveille toute
entière pour faire un dernier effort: ses
et parce tendre spectacle., vont presque
arracher des mains de l’Eternel le glaive yeux que la mort avoit déjà fermés, se
fatal qui doit trancher des jours si pré­ rouvrent pour jeter encore , ce semble ,
quelques regards favorables sur les mal­
cieux. Mais les fléaux, comme les dons de heureux : ses mains défaillantes, depuis
Dieu, sont sans repentir, et son heure, si long-temps accoutumées à de saintes
ou plutôt la nôtre , étoi t venue. On a donc profusions, vont serrer tendrement les
recours aux derniers remèdes de l’Eglise : mains de cet illustre ami, comme pour se
et à leur aspect, l’assoupissement cesse , plaindre qu’elles n’étoient plus propres à
sa foi se réveille, ses yeux s’ouvrent pour ces charitables offices. Une vie étrangère
voir son Sauveur; il demande no/n-seule- paroi t animer ce corps mourant ; il -se
ment à manger sa chair, mais encore à tourmente , il s’agite ; mille fois il s’essaye
boire son sang; et veut sur le point de sa de redire ses anciens et pieux desseins ;
mort, comme son Maître, s’enivrer de ce mais ces paroles de charité qu’il forme
vin précieux, dont il ne devoit plus boire dans le cœur, viennent expirer sur sa lan­
que dans le royaume du Père céleste. gue froide et immobile , et se chan­
( Matih. 26. 29. J gent en profonds soupirs. Que se passoit-
Cependant le mal gagne : une famille il alors dans cette ame, ô mon Dieu?
désolée fond en larmes autour du lit ; un Quelles saintes inquiétudes! quels tendres
ORAtSON ÏÜNÈEHE
DF, M. DE VILLARg. 43
gémissemens ! quels nouveaux transports! Qui fut jamais plus fécond sur les abus du
quels brülans désirs! Ce feu sacré n’ache­ monde, que le monde même ? Au milieu
va-t-il pas de consumer les restes de ses des plaisirs on nous voit discourir sur
foiblesses ? et ne parut-elle pas sans tache leur fragilité : nous insultons le monde
à vos yeux , lorsque détachée de sa de­ en l’adorant. Aussi quel fruit recueillons-
meure terrestre par les efforts mêmes et nous de ces stériles réflexions ? Quelques
les agitations de la charité , elle alla se projets éloignés de changement , qui ne
présenter devant votre tribunal redou­ font que nous calmer sur nos désordres
table ? pré.sens ; et contens d’avoir connu nos
Que vous dirai - je ici , mes Frères? plaies, nous en sommes, ce semble, plus
qu’ainsi disparoit tout-à-coup la figure du tranquillement malades.
monde ; qu’ainsi s’évanouit l’enchante­ Reprenez donc les chants lugubres que
ment des sens ; qu’ainsi vient se briser j ai interrompus , triste Sion , et gémis­
au tombeau le fantôme qui nous joue ; sez sur les cendres de l’Epoux sacré qui
que les plus beaux jours de la vie ne sont vous a été enlevé : remontez à l’autel ,
que des portions de notre mort : que la prêtres du Seigneur; et si un reste de fra­
fleur de l’âge se flétrit ; que les plaisirs gilité, si quelques négligences dans les
nous lassent par leur vide, ou nous échap­ devoirs infinis d’un pénible ministère, ar­
pent par leur excès ; que la gloire n’est rêtaient encore le prince des prêtres que
qu’un nom qui se fait cependant acheter nouspleurons, dans cet endroitmystérieux
de tout notre repos; que la pompe et l’é­ du temple oùachevoient de se purifier les
clat ne sont que des décorations de théâ­ ministres , ah ! disposez l’appareil du sa­
tre; que les honneurs ne sont que des ti­ crifice ; mettez entre les mains de ce pieux
tres pour nos tombeaux ; que les plus belles pontife le sang de l’Agneau , afin qu’il
espérances ne sont que de douces erreurs; puisse entrer dans le sanctuaire éternel ,
que les mouvemens les plus éclatans sont et se présenter avec confiance devant la
comme les agitations de ces feux noctur­ face du Roi de gloire.
nes, qui paroissent et se replongent à l’ins­ Ainsi soit-il.
tant dans d’éternelles ténèbres ; en un mot,
qu’il n’est rien de solide dans cette vie,
que les mesures que l’on prend pour l’au­
tre : vous dirai-je tout cela ? Mais qui ne
le dit en ces jours de deuil et d’amertume ?
oraison funèbre, etc. 4S
de leur sagesse ; qui ont été riches en
glands talens, et dont le nom vivra dans
ORAISON la succession de tous les siècles , il va
puiser dans la nature mille images vives
et brillantes , et célèbre avec cet air de
FUNÈBRE majesté, ou l’esprit humain ne peut at­
teindre, les plus glorieuses circonstances
DE MESSIRE DE VILLEROY, (le son histoire. Ici , dans des temps de
trouble et de confusion, on le voit, ainsi
ARCHEVÊQUE DE LYON, que l’étoile du matin au milieu des nua­
ges , briller, suivre toujours sa course,
et montrer même de loin les sentiers de la
justice et de 1 obéissance, à ceux qui, at-
Sacerdos magnas ..... qui prævaluit amplificare civi­ tnes par de lausses lueurs, s’étoient jetés
tatem , qui adeptus est gloriam in conversatione gentis , dans les voies glissantes et ténébreuses de
et ingressum domûs et atrii amplificavit. la rébellion et de l’injustice.
Cest ici un pontife illustre qui a su augmenter le bon­ Egalement attentif à régler les dififé—
heur et la puissance de la aille , qui s'est acquis de la isuds du peuple et des principaux d’Is—
gloire au milieu de sa nation , et qui a été honoré par ïaèl, c est un trait de feu vif et perçant,
les fondions de son ministère, dans la maison du Sei­ <jui va jusques dans le cœur faire en un
gneur et dans l'enceinte du Temple. Au Chap. 5o d.« instant le discernement délicat de la pas­
l’Ecclésiastique, vers. 5. sion et de l’équité.
. Enfin, se répandant lui-même tout en­
»%**%%%*%%»** tier sur les besoins publics ; usant, pour
le salut et la sûreté de Juda, jusques aux
Ainsi, pour consoler Israël de la mort restes mourans d’une vie infirme et défail­
du grand-prêtre Simon , un auteur ins­ lante , c est un doux parfum qui, pendant
piré d’en - haut iinmortalisoit jadis , par les jours de l’été, exhale au loin son odeur
des louanges nobles et divines, la mémoire bienfaisante , s’évapore et s’éteint à force
de ce pontife , et cherchoit dans le souve­ de se communiquer.
nir de ses vertus, une triste ressource à De là l’Auteur sacré rappelant des spec­
la douleur de sa perte. D’abord, le plaçant tacles plus saints et plus augustes , le* re-
parmi ces hommes pleins de gloire, qui ren­ piésente au milieu des enfans d’Aaron?
dent les peuples heureux par la solidité
’j¡fi ORAISON FUNÈBRE de m. de villero y. 47

appliqué aux fonctions redoutables du sa­ pour les choses du Ciel ; tant de gran­
cerdoce, présentant au Seigneur une obla­ deur , avec tant de modération ; tant de
tion pure devant toute 1 assemblée d Is­ périls , avec tant d’innocence ?
raël, étendant sa main pour offrir le sang Vous le savez, illustres citoyens de cettô
de la vigne, soutenant la maison u ei- ville affligée ; et le magnifique appareil
cneur, et affermissant les fondemens di de cette triste cérémonie, où il semble
temple ; en un mot, ayant som de son que l’excès de votre douleur ne trouve
peuple , le délivrant de la perdition , et plus d’adoucissement que dans un excès
faisant couler sur lui, par des canaux purs de reconnoissance, fait assez connoître
et fidèles, les grâces des Sacremens, et les que vous croyez devoir à la conduite et
à la piété de ce grand homme , les ri­
eaux sacrées de la doctrine. chesses de la terre et celles du ciel, puis­
Ouand vous dictiez à cet homme ins­
que vous les jetez avec tant de profusion
piré des expressions si divines, oserai-je
le demander ici, Esprit - Saint, quelles sur le pompeux tombeau que vous lui avez
élevé dans ce temple.
furent vos vues? Prétendîtes-vous racon­
ter, ou prédire ? Consoliez-vous la syna- . Ah! que ne pouvez - vous donc parler
ici à ma place, vous qui chargés des af­
eo-ue sur la mort de ce fameux pontife,
ou°promettiez - vous à l’Eglise la vie de faires publiques, trouviez dans une seule
de.ses réponses ces expédiens heureux r
Messire Camille de Neuville de V il­
qui ne sont d’ordinaire le fruit que de lon­
leroy ; Archevêque et Comte de
gues réflexions et de cruelles perplexités !
Commandeur des Ordres du Roi, don vous qui, l’établissant arbitre de vos diffé­
nous venons aujourd’hui pleurer la perte .
rends particuliers, l’entendiez avec con­
En effet, Messieurs, avoit-on jamais fiance décider sur les intérêts de votre hon­
vu dans le même homme tant d’attache­ neur ou de votre fortune : toujours con-
ment aux intérêts du prince , et tant d at­ tens de ses arrêts, lors même que vous
tention à l’utilité des Partl?ul!^s.\ étiez mécontens de votre sort! vous , qui
d’application aux besoins de 1 Rtat, et malheureux sans avoir la triste consolation
tant de vigilance sur le détail des familles,
d’oser vous plaindre , alliez verser dans
tant d’égards pour la noblesse, et tant de
son sein votre honte et votre misère, et
bonté pour le peuple ; tant de respect poui le trouvant toujours également discret et
les droits de la royauté, et tant de zele
charitable , en sortiez rassurés sur votre
pour ceux du sacerdoce ; tant de part aux honneur, et soulagés de yolre indigence I
sollicitudes du siècle , et tant de gou
¿g ORAISON FUNÈBRE
vous enfin, ministres du Seigneur , zélés- DE M. DE VII,LEROY. 49
confidens de son amour pour 1 Eglise , les airs, on lui rend les mêmes honneurs
qui assemblés autour de lui , comme les qu’à celle du Juste : je sais qu’une bouche
esprits célestes autour du trône de 1 An­ sacrée , qui ne doit plus s’ouvrir que pour
cien des jours, i..14.) en étiez si annoncer avec le prophète les merveilles
souvent envoyés pour aller exercer y du Seigneur, y vient souvent raconter les
ministère en faveur de ceux qui doivent ouvrages de l’homme : je sais que du plus
être les héritiers du salut; que ne pouvez- humiliant objet que nous propose la foi,
vous parler ici à ma place ! Mais ce lu­ on en fait un spectacle de faste et de vaine
gubre silence, cette profonde consterna­ gloire ; qu’on vient recueillir même sur
tion, cet air de tristesse et d’etonnement de viles cendres , des esprits de grandeur
répandu sur vos visages, n’en disent - 11s et d’élévation; qu’on mêle à la pensée du
pas assez ? Faut - il donc que } en sois en tombeau , à qui la grâce doit tant de con­
ce jour le triste interprete , et que ] > quêtes , le souvenir de mille évènernens
vienne justifier par un éloge public , une . profanes, qui peut-être ont valu à l’enfer
douleur et des larmes publiques. un riche butin; et que le démon semble
Souffrez plutôt que je prenne dans une enfin avoir trouvé le secret de triompher
cérémonie de mort de quoi confondre tou­ comme Jésus-Christ, de la mort même :
tes les illusions de la vie , et que je.vous je fe sais. Mais je sais aussi , Seigneur,
redise avec cette noble simplicité qui sied que vous perdrez les lèvres trompeuses ,
si bien aux vérités du salut : Au reste, mes et la langue qui parle avec orgueil : (Ps.
Frères , ce que l’homme aura seme il le re- ï i. 4- j je sais ce que je dois à la parole
cueillera ; (Gai. 6. 8.) usez de ce monde évangélique que j’annonce; à la majesté du
comme ríen usant pas; ( I. Cor. 7. J-J temple , où réside la gloire du Dieu très-
c'est une figure qui passe; c’est une maison haut ; à la sainte horreur du sanctuaire ,
bâtie sur le sable mouvant, qui sera demain où le Pontife éternel est toujours vivant
le jouet des vents et de l’orage. ( Matin. 7. afin d’intercéder pour nous ; à l’appareil
du sacrifice terrible que je suspends; à la
26 27. } présence du pontife sacré qui va vous l'of­
je sais quelle est toujours dans ces tou­
chantes cérémonies la prescription de la frir , et dont je dois respecter le recueil­
vanité contre la piété chrétienne ; je sais lement; à la piété des Fidèles qui m’écou­
que loin de laisser périr la mémoire de tent ; et surtout à la mémoire du grand
¡.’impie,comme un son qui se dissipe dans prélat à qui je viens rendre ce devoir de
religion. Je le sais; et vous ne permet-
Oraisons funèbres. * C
5o ORAISON FUNEBRE BE M. DE VILIER0Y. 5
Irez pas, Seigneur, que je trahisse lâche­
ment là-dessus les plus vives lumières de PREMIÈRE PARTIE.

votre grâce. . r
Donnons donc à une cérémonie si chré­ A quoi se réduisent ces vastes talens qui
tienne un air et un tour de Chrétien : ne nous elevent si flatteusement sur le reste
louons ni des vices glorieux, ni des.ver­ des hommes, et qui sont comme un carac­
tus que la foi met au nombre des vices : tère de souveraineté naturelle, imprimé
laissons là cet art profane qui, selon les des mains de Dieu sur certaines âmes, si
besoins, éloigne, approche, saisit avec la grâce de Jesus-Christ, toujours atten­
affectation, ou laisse échapper avec adresse tive à ramener au Père des lumières tous
des faits douteux et délicats : en un mot, les dons qui sont sortis de son sein , n’en
sanctifions dans cet eloge funebre les qua­ fait elle-même la destination, et n’en rè­
lités que le siècle admire, par celles que gle l'usage , n’en redresse les vues, n’en
la religion doit louer. Melons saintement coiiige les dissipations, n’en marque les
le monde avec Jésus - Christ, et décou­ i outes, n en sanctifie les écueils ? car, Mes­
vrons dans notre illustre archevêque de sieurs, je le répète , n’attendez pas ici un
grands talens et de grandes vertus : con­ eloge païen , mais une instruction chré­
sidérons - le comme un grand homme "ne tienne. Je me souviens que je loue un
pour le bien de l’Etat; et comme un grand oint du Seigneur, et non pas un héros du
évêque établi pour 1 utilité de 1 Eglise. Il siecle.Eh ! le monde est assez ingénieux
sut ménager les interets du prince et les a se séduire, sans que nous lui aidions
intérêts du peuple ; c’est l’usage qu’il fit encore nous — mêmes, ministres du Sei­
de ses talens : il sut veiller sur lui-même gneur , dans un lieu destiné à le dé­
en se rendant utile à 1 Eglise ; c est a quoi tromper.
se réduisirent ses vertus. C est-à-dire, il lut ■»- o —— r uuhl. udiio 1«;

un pontife illustre qui a su augmenter le morale des Chrétiens , ces qualités écla­
bonheur et la puissance de la vdle; qui tantes , lorsque la foi n’en règle pas l’u-
s’est acquis de la gloire au. milieu de sa sage i Ce sont des dons de Dieu qui nous
nation , et qui a été honore par les fonc­ efopgnent de lui; des ressources de salul
tions de son ministère, dans la maison du qui facilitent notre perte; des lumières
Seigneur et dans l’enceinte du temple. Rendues qui. nous aveuglent sur les ob-
C’est tout ce que je me propose dans cet Ic 5-UT- 3 n°,us met c°rame sous l’œil :
des distinctions de la nature qui nous con’
éloge.
C 2
DE M. DE VILLEROY. O->
discours : mais je parle d’un pontife éta­
52 . ORAISON FUNEBRE
bli selon l’ordre de Melchisedech ;£t vous
fondent dans la multitude des médians , savez que les livres saints, ou nous lisons
des penchans d’immortalité que nous usons l’éloge de ce roi de Salem, affectent de
après des ombres qui périssent; des se­ ne pas faire entrer dans les louanges d’un
mences de vérité que nous étouffons par prêtre du Très-Haut, la gloire des ancê­
les sollicitudes du siècle; des attentes de tres, ni la vanité des généalogies.
grâce que la cupidité remplit ; des ainuse- La capitale de l’Univers, Borne fut le
mens brillans qui nous font perdre de vue lieu que la Providence choisit, pour don­
notre unique affaire; un art de se damner ner à son pèuple Messire Camille de
avec un peu plus de contrainte, et de so­ Neuville. Il semble que cette grande
lennité; des fleurs enfin, qui le matin ame , qui devoit un jour réunir dans sa
brillent, et sèchent le soir sur le tombeau : personne, la science de régir les peuples,
terme fafal, où tout aboutit; abime éter­ et celle de les sanctifier, soutenir 1e trône
nel , où tout va se. perdre; écueil inévita­ d’une main et l’autel de l’autre, dispenser
ble , où après plus ou moins d'agitations, les mystères de l'Etat et ceux de l’Eglise ,
vient enfin se briser le fantôme qui nous ne pouvoit devoir sa naissance qu’a cette
joue, et que nous croyons si solide. Mais ville' si célèbre , où l’autorité de l’Empire
éloignons pour un moment ces tristes idées; et du sacerdoce se trouve réunie dans la
et cherchons dans l’histoire de notre pré­ même personne.
lat, des motifs solides d’une consolation Aussi, l’éducation qui d’ordinaire dans
chrétienne. les autres hommes embellit ou cultive un
Je dis dans son histoire, Messieurs, car fonds encore brut ou ingrat , ne fit que
n’attendez pas que j’en sorte pour remon­ développer les richesses du sien. On lui
ter jusqu’à celle de ses ancêtres. A quoi trouvadelamaturité dans un âgeoù à peine
bon entasser ici des noms antiques; réu­ est-il permis d’avoir de la raison; et dans
nir des titres pompeux ; rassembler des al­ les amusemens mêmes de son enfance , on
liances augustes ; rapprocher une longue découvrit presque les ébauches de ses
suite de siècles passés; et. dans une.céré­ grandes qualités : semblable à ce grain
monie destinée à nous faire ouvrir les évangélique, qui dans sa mystérieuse pe­
yeux sur le néant des grandeurs présen­ titesse, laissoit entrevoir ces espérances
tes , donner une manière de réalité à celles d’accroissement qui dévoient l’élever sur
qui ne sont plus ? Je. le pourrois ; -et la les plus hautes plantes, et dont les bran-
gloire de l’illustre maison de Villeroy em­
bellirait, sans doute, cet endroit de mon
de M. DE V IDEE ROY. . ,
ORAISON FUNÈBRE
honteux; où le plaisir est autoris^
ches sacrées dévoient même un jour servir l’usage ; l’usage soutenu par des exemp es
d’asile aux oiseaux du ciel. ( Mdtih. i3. J,“?Tennen.’lieu de loi ; les esemyl s
31.3a.) facilités par la puissance; et la
Au lieu que les méchans , dit le pro­ mise en œuvre par les emportemensde
phète, se détournent de la droite voie dès l’âge, par toute la vivacité du cœur. Se
le sein de leur mère , il rendit ses pas­ gneur,à qui seul appartient a force ou la
sions dociles à la raison, en un temps où sagesse, votre grâce a-1.-el e
les égaremensdu cœur entrent, pour ainsi assez puissans, votre conseil eternel des
dire, dans les bienséances de l’âge; (Ps. ressources assez heureuses, pour pieseï
57. 4. ) et comme ce pieux roî d’Israël, il ver une ame au milieu de tant de peu -
se joua dans sa jeunesse avec les lions, Vous le pouvez, Seigneur ; mais qu 1 ■
ainsi qu’on se joue avecles agneaux les plus rare que vous usiez de celte puissance?
doux et les plus traitables. ( Eccli. irrj. 3.) Tel fut le privilège de notre arthev
Dans les éloges qu’on entreprend, de nue. Mais sur quoi arrêtai-je votre atten­
la plupart des hommes extraordinaires, on tion ? Il semble que j’ai à louer des talens
est obligé de tirer le rideau sur les pre­ ordinaires; et je ne m’aperçois pas qu
mières années de leur vie ; on laisse dans ce qui ailleurs seroit un sujet important
un sage oubli un temps où ils se sont ou­ d’éloge , 11’est ici qu’un amusement
bliés eux-rnêmes; on ne leur donne ni en­ Exposons tout-à-coup ce grand homme
fance ni jeunesse; on ne commence leur à la tète de la province, veillant aux m
histoire , que par où Ton pent com­ térêlset à la gloire du prince ; presidan a
mencer leur éloge ; et l’on voit l’orateur la fortune et au repos des peuples, tou
habile produire tout-à-coup son héros sur jours occupé, et toujours au-dessus de ses
le théâtre du monde, à peu. près comme occupations , se faisant un vrai soulag -
Dieu y produisit Adam, je veux dire, dans meut de son devoir , et se faisant un ,
la perfection de l’âge et de la raison. voir du soulagement de son peuple; si pé­
En effet, qu’est-ce que la jeunesse des nétrant, qu’il ne lui falloit pour décider,
personnes d’un certain rang ? C’est une que le temps qu’il faut pour entendre ; si
saison périlleuse, où les passions ne sont éclairé, que ses décisions paroissoient tou­
pas encore gênées par les bienséances de jours dictées par la sagesse meme ; sur de
la grandeur, et où elles sont facilitées par l’avenir, attentif au présent , habile a
son autorité : c’est une conjoncture fa­ prendre des mesures sur le passe, dun
tale , où le vice n’a rien de difficile ni de
56 ORAISON FUNEBRE 1)E M. DE VILDER0Y. 5/
esprit vif, facile, insinuant; d’un juge­ cèrdoce ? et travailler a l’agrandissement
ment vaste , élevé , fécond ; d’un cœur d’un roi très-chrétien, n’est-ce pas prépa­
droit, noble, bienfaisant; toujours au- rer des triomphes à Jésus-Christ? Le pon­
dessus de ses dignités et de sa grandeur; tife de la loi, souvent au sortir du tnhu-
toujours à portée de la misère et de l’in­ nal, d’où il venoit de prononcer sur la for­
fortune ; ami''sincère , maître généreux, tune et sur les biens des enfans dlsiaël,
père commun. ne montoit-il pas à l’autel , pour leui at­
Ici , qu’une piété craintive et peu ins­ tirer des biens invisibles et une foi tune
truite ne désavoue pas en secret les louan­ plus durable ? Samuel n’étoit-il pas égale­
ges que je lui donne. Je respecte votre ment l’interprète des droits du roi et des.
pieuse délicatesse , âmes zélées qui m’en­ volontés du Seigneur envers le peuple?
tendez. Je sais avec l’Apôtre , que tout Saints évêques des premiers temps , ne
pontife n’est choisi d’entre les hommes, jouissiez-vous pas de cette double autori­
que pour s’appliquer à ce qui regarde le té ? et l’application à terminer les diffé­
culte de Dieu; ( Hebr. i. ) qu’il ne faut rends des Fidèles, ne faisoit-elle pas une
pas introduire dans le repos sacré du portion considérable de votre charge pas­
sanctuaire, le tumulte des occupations sé­ torale ? ■ .
culières ; que ceux qui , comme dit le Pourquoi donc, lorsque sous un prince
prophète, vont placer leur bouche jusques qui fait entrer l’Eglise en commerce de ses
clans le ciel, ne doivent plus laisser ram­ victoires, et en partage avec elle le fruit,
per leur langue sur la terre; (Ps. 72. 9. ) il se trouve certaines aines en qui la Provi­
et qu’enfinle monde entier n’est pas digne dence a versé ces dons rares et excellens,
d’occuper des mains destinées à offrir des nécessaires pour ménager les interets des
dons et des sacrifices. Vérités saintes! vous rois et la conduite des royaumes ; pour­
ne mêtes pas étrangères; et je ne viens quoi , dis-je , ne pourroient - elles pas se
pas ici détruire ce qu’un emploi sacré m’o­ partager entre les soins du sacerdoce et
blige d’édifier tous les jours ailleurs. ceux de la royauté ? Or, Messieurs, ces
Mais l’Eglise est-elle donc si peu inté­ dons rares et excellens , ou parurent - ils
ressée À la prospérité des princes, à la jamais avec plus d’éclat, que dans le pré­
sûreté des Etats, à la tranquillité des peu­ lat dont nous pleurons la perte ?
ples , à l’observance des lois, quelle en Je ne vous dirai pas ici qu’il avoit re­
regarde le soin comme un soin profane ? çu du Ciel un de ces génies heureux, qui
ka royauté n’est-elle pas le soutien du sa- trouvent dans leur propre fonds , ce que
C 5
K
de m. de vîlleroy.
58 ORAISON FUNEBRE révolte et de changement qui saisit en
l’étude et l’expérience ne sauraient guère certains siècles l’esprit des peuples, firent
remplacer quand on ne l’a pas; qu il étoit éprouver tour-à-tour à la France , toutes
né instruit sur l’art périlleux de gouver­ les calamités des dissentions domestiques ’.
ner les peuples ; que de tous les mystères Que ne puis-je rapprocher surtout ce mo­
de la sagesse des hommes, il n’ignora que ment fatal, où la capitale du royaume à
ceux qu’il n’eut pas voulu suivre ; et que la tête de la révolte , la Bourgogne, et la
comme cet habile conducteur du peuple Guienne déjà séduites , le Dauphine piêt
Juif, il sut dès sa jeunesse tous les secrets à les suivre, et n’attendant plùs que 1 exem­
de la science des Egyptiens. 22.) ple de celte province, notre illustre défunt,
Je n’ajouterai pas que les affaires neurent sollicité de toutes parts, décida presque
jamais rien d’obscur qu’il n éclaircit, lien par sa fermeté , de la fortune du monar­
de douteux qu’il ne décidât, rien de dif­ que et de celle de la monarchie !
ficile qu’il n’aplanit, rien de délicat qu il Mais faut - il, pour vous représenter le
ne ménageât, rien de périlleux qu il ne calme et la tranquillité dont la province
franchit , rien de pénible qu il ne dévo­ fut redevable à ses soins, mêler dans une
rât ; que les plus vastes l’étoient moins cérémonie instituée pour honorer le pai­
que son esprit; et que partagé entre mille sible sommeil des Justes , les images af­
soins, il fut toujours tout entier a cha­ freuses de la guerre et de la rébellion ré­
cun. Ce n’est pas là une imagination qui pandues partout ? Faut-il, pour vous expo­
se joue , et qui substitue à la véritable idee ser tout le mérite de sa fidélité , faire re­
des choses, un fantôme de sa façon , il vivre le souvenir de tant de chutes déplo­
n’est personne ici qui d’abord n ait recon­ yables , qui pensèrent traîner après soi
nu que le portrait que je viens de taire , celles de tout l’Etat ? Faut-il, pour le louer
c’est lui : cependant ce n est pas a quoi sur des espérances méprisées , sur des of­
fres rejetées, insulter aux cendres de ceux
} ' Persuadé que les talens les plus distin­ qui le sollicitèrent de se déclarer contre
gués sont inutiles ou dangereux, lorsque son devoir, et faire d’un éloge particu­
le devoir n’en règle pas l’usage, quel fut lier , une invective publique? Ah! que
son attachement pour la personne du mo­ plutôt cette gloire descende avec lui dans
narque ! Que ne puis-je rappeler ici ces le tombeau ! (Pi. 48. 18. ) Je trouve bien
temps fâcheux, où la minorité du prince, dans les livres saints qu’on doit proposer
l’ambition des grands , les interets des les vertus du Juste mort, pour condara-
ministres , et je ne sais quelle fureur da C6
6o ORAISON FUNEBRE DE M. DE VILLEROY. 6i
ner les vices des pécheurs qui vivent , trépide, rien n’éhranloit la fermete de son
mais non pas pour flétrir la mémoire de cœur ; infatigable, rien ne pouvoit. abat­
ceux qui ne sont plus. (Sap. 4. 16.) tre la foiblesse de son corps. Combien de
Dans ces fatales révolutions, c’est une ■ fois par des avis donnés à-propos, a-t-il
conjoncture Bien délicate de se trouver ou corrigé des abus desesperes, ou pie-
pourvu de toutes les qualités qui rendent venu des malheurs inévitables, ou pro­
habile au gouvernement. On est tenté curé des biens qu’on n’osoitse promettie!
d’entrer sans aveu , dans les affaires pu­ Tandis que dans les autres provinces l’hé­
bliques : on aime encore mieux se rendre résie attend des coups pour expirer , et
nécessaire à l’assemblée desinéchans, que qu’il faut tailler ces pierres spirituelles
d’être inutile au parti des gens de bien. pour les faire entrer dans 1 édifice sacie
Sous prétexte de chercher à son mérite de l’Eglise , notre sage prélat emploie-t-il
des moyens de paroitre, on procure à son pour les ramener d’autre force que celle
ambition des occasions de crime et de dé­ de ses raisons? et comme Salomon , ne
shonneur; et souvent on abandonne son le voit - on pas bâtir un temple à la vérité ,
devoir sans autre intérêt, que celui de sans employer le fer , ni sans donner un
n’avoir pu le remplir avec assez d’éclat et coup de marteau ? Combien de fois la-t­
de di gnité. Des talens aussi vastes que on vu pendant les désordres de l’Etat res­
ceux de notre prélat, ne dévoient guère pecté même des rebelles, aller,'a travers
se borner aux soins d’une province ; mais eurs armées, porter aux pieds du trône
e-tribut de sa constance et de sa fidé-
voyant d’un œil tranquille l’abondance et
la gloire des injustes sortir de leur ini­ ité ?
Vous le savez , Messieurs , injures cte
quité même, il fut toujours content de sa
l’air, incommodités des saisons , infirmi­
fortune , parce que la cour le fut toujours
de ses services. tés de l’âge, vivacité des douleurs, dan­
ger des maux présens, crainte des maux
De ses services, Messieurs ? Ne don­
à venir , ce n etoient plus pour lui des
nons point ici dans les excès d’une mau­ obstacles. Ecoutez , ames toutes livrées à
vaise éloquence: parlons sans art; nous
vos sens , et pour qui la seule absence du
ne risquons rien. Quelle suite glorieuse et plaisir est un vrai supplice : du lit même
constante de soins et de fatigues soute­ de sa douteur il en fit un nouveau tribu­
nues pendant plus de cinquante ans pour
nal , d’où on le vit avec un esprit tran­
les intérêts de son prince Vigilant, rien
quille et serein , régler les besoins de la
n’échappoit à la force de son esprit; in-
DE M. DE VILLEROY.
62 ORAISON EünÈB RE
il vole , il paroit, tout se calme : quel est
province et les intérêts de la cour. Et bien
différent de ces dieux dont parle le pro­ cet homme à qui les vents et la iher tout
phète , qui avoient des yeux et ne voyoient gloire d’obéir? Mais où m’emporte tout-
pas , des pieds et ne marchoient pas , des à-coup l’ordre de ma matière ? An je
mains et ne s’en servoient pas , ah ! il touche presque au moment fatal qui nous
avoit perdu par ses longues et continuelles l’enleva; et en vous rappelant une action
fatigues, l’usage des yeux, et il voyoit glorieuse, je ne m’aperçois pas que cest
encore tout; des pieds, et il voloit par­ la dernière de sa vie, et peut-être la cause
tout où l’appeloit le service du prince ; des funeste de sa mort. Me hâtons pas un si
mains, et il donnoit le branle et le mouve­ triste spectacle.
ment à tout. Quelles étoient là-dessus vos La France a vu sur la scène , presque
dans tous les siècles , de ces hommes ca­
justes frayeurs et vos respectueuses re-, pables , nés pour ménager les intérêts des
montrances, vous que d’heureux engage-
princes , et faire mouvoir les îessoits
mens attachoient depuis long-temps à sa
infinis d’un Etat : mais , helas 1 souvent
personne et à son service ? Redites tout
chargés de la haine comme des affaires
ce que votre amour pour lui et pour la
publiques , on les a regardés pendant leui
province, vous faisoit alors dire de plus
tendre et de plus touchant, tout ce que vie plutôt comme des instrumens de la
colère du Seigneur, que comme des mi­
son zèle pour le prince lui faisoit répon­
nistres de la puissance du prince ; et ils
dre de plus ferme et de plus généreux.
sont morts avec la triste consolation d a-
Mais ne le vîmes-nous pas ces jours
voir eu assez de mérite pour déplaire à
passés , au bruit d’une émeute populaire ,
tout un royaume. C’est que le même zele
recueillir les restes précieux de son ame
qui nous attache au prince,nous enduicit
défaillante; ramasser, si je l’ose dire, les
souvent envers le public : c est que le
débris d’un corps tout usé; trouver dans
même crédit qui nous rend necessaires
la vivacité de son zèle de quoi ranimer ses
au reste des hommes, nous rend quelque­
forces mourantes ; s’arracher comme Moïse fois le reste deshommes méprisables. Mais
à la tranquillité de sa montagne , et venir j’en atteste ici la foi publique : reconnois-
rétablir la paix parmi le peuple , en y ré­
sez-vous là-dedans le pere commun que
tablissant comme lui l’abondance ? Oui, nous pleurons ? Necessaiie à tous, ne fut-
Messieurs, aux premières nouvelles du
il pas toujours à la portée de tous ? Cette
tumulte , les soins de la santé si chers à
muraille funeste de séparation , qu un
la vieillesse , ne l’arrêtent plus ; il part>
DE M. DE VILLEROY. 03
64 ORAISON F.UNEBRE
lui ces lumières vastes et sûres , qui trou­
usage peu chrétien met entre les grands vent toujours le point fatal des grands
et le peuple, ne l’avoit-il pas détruite? évènemens, et celte facilité populaire qui
Falloit-il pour pénétrer jusqu’à lui , ache­ se délasse sur le détail des famdles , rallie
ter la faveur d’un domestique, ou mériter des intérêts domestiques , et ne sait se
iar de longues et ennuyeuses assiduités ,
fe moment favorable du maître ? Le nom
refuser à des besoins obscurs, ni s’y prêter
avec ces airs d’inquiétude et de fierté ,
des pauvres n’étoit-il pas honorable à ses plus accablans que le relus meme ? Ses
yeux? (Pi. 71. 14.) et en étoit-il de son ca­ mains comme celles de la femme forte,
binet comme du sanctuaire du temple de après s’être occupées à des fonctions écla­
Jérusalem , où l’on ne pouvoit entrer qu’a­ tantes , ne savoient-elles pas se détourner
vec des ornemens pompeux et une parure sur les plus obscures ? Et si j’osois le dire
magnifique? Portoil-il sur son front ces dans un discours chrétien, ne nous rap—
marques odieuses de puissance, qui sem­ peloit-il pas le souvenir de ces Romains
blent reprocher au reste des hommes leur tant vantés, qui après avoir été à la tête
misère ou leur dépendance ? N’avoit - il des affaires publiques , et ménagé le des­
pas réconcilié la grandeur avec l’affabi­ tin de Rome , de retour chez eux, enve­
lité? Et enfin, en l’abordant, s’aperçut- loppés de toute leur gloire , savoient au­
on jamais qu’il eut de l’autorité , que près d’un foyer simple et champêtre , pro­
lorsqu’il accorda des grâces ? noncer sur les démêlés de leurs cliens , et
Quelle leçon pour vous, homme vain ! se renfermer dans les bornes de cette ma­
qui à peine échappé de parmi le peuple gistrature domestique, comme s’ils eussent
où vous avoient laissé vos ancêtres, et toujours ignoré les fonctions éclatantes
devenu par une dignité le défenseur de de l’autre.
ses droits, affectez de ne jamais détour­ Le détail infini du commerce de cette
ner sur lui vos regards, comme si vous grande ville, eut-il jamais rien de si bas,
craigniez de n’y retrouver le souvenir de où on ne le vit descendre avec plaisir , y
votre première bassesse! Ah ! le tombeau maintenant par son autorité, la paix et
confondra vos cendres avec celles de ces la bonne foi qui en sont comme les nerfs?
ames viles ; et le Seigneur fera sécher la N’en régloit-il pas souvent les vastes res­
racine de votre orgueilleuse postérité , et sorts par la prudence de ses conseils , et
entera dessus , une race qui connoitra la par l’étendue de ses lumières? Ce nouveau
justice et fera la miséricorde. tribunal qui rend cette ville comme Par-
Combien de fois avions-nous admiré e$
65 ORAISON FUNEBRE DE M. DE VII.LEROY. ^7
Litre du commerce de tout le royaume-, qu’il étoit plus jaloux du rang qu’il avoit
qui dans son établissement fut si fort tra­ dans nos cœurs que de celui qu’il tenoit
versé, et où des provinces les plus éloi­ dans le royaume; qu’il ne connoissoit vos
gnées, on vient attendre la décision de noms, vos familles, votre fortune, que
toutes les affaires où nos concitoyens sont par les services qu’il vous avoit rendus;
intéressés; n’est-il pas un monument que plus d’une fois dépositaire des vœux
Lien tendre et de son crédit auprès du et des intérêts publics , il les avoit por­
prince, et de son amour pour le peuple? tés au pied du trône avec une respectueuse
Ps'ous avions , à la vérité , ses premiers fermeté, et sans ces timides ménagemens,
soins ; mais les avions-nous tout entiers ? injurieux au prince dont ils exposent la
Et par l’application qu’il eut toujours à gloire , injustes envers le public dont iis
connoître et à régler les plus petits inte­ sacrifient les droi ts ; exemple rare et digne
rets de la province, n’auroit - on pas lui seul d’un éloge entier! en un mot,
dit qu’il étoit le magistrat particulier de qu’il étoit le père , le soutien et le protec­
chaque ville de son gouvernement? teur de la province; l’espérance, la joie
Ici, Messieurs, vous ajoutez à ce que et les délices de votre ville.
je ne dis pas; vous suppléez à ce que je Mais puis-je vous confondre ici, vous
ne dis que faiblement ; vous rappelez qu’il distingua toujours avec tant de bon­
mille circonstances, ou que je passe ou té , noblesse illustre, qu’il honora de sa
que j’ignore. Chacun de vous se retraçant plus étroite familiarité ? Avec quelle con­
le souvenir de quelque bienfait particu­ fiance l’établissiez—vous arbitre de vos
lier, m’offre en secret de quoi grossir cet différends ! Que d’animosités étouffées
endroit de son éloge. Ah ! que n’est-il dans leur naissance par sa sagesse ! que
permis à votre douleur et à votre recon- de querelles invétérées et si souvent im­
noissance de s’expliquer ici elles-mêmes! mortelles parmi les gentilshommes, n’a-t-il
pas éteintes par son autorité! que de pré­
Vous diriez, mais en termes mille fois plus
tentions injustes, que de droits douteux
touchans et plus énergiques que moi, (Ps.
n’a-t-il pas éclaircis par sa pénétration !
71. 12.) qu’il avoit délivré le pauvre de la Mais quel ami plus sincère et plus géné­
tyrannie du puissant; que les magistrats reux ? Vous le savez, chapitre illustre de
subalternes ne lui étoient chers qu autant la plus noble Eglise de France. La gran­
qu’ils l’étôient eux-mêmes au public; que deur, je le sais, ne manque guères d’adu­
sa plus délicieuse félicité étoit de contri­
lateurs ; mais les grands manquent souvent
buer de ses soins à la félicité publique $
68 ORAISON FUNÈBRE
d’amis : comme ils n’aiment que leur for­ DE M. DE VILLEROY. 69
tune, ce n’est aussi que leur fortune que que les services mêmes qu’on leur rend,
l’on aime en eux : l’amitié , cette tendre tiennent lieu de récompense? Enfin, exi­
ressource de tous les chagrins de la vie, gea—t—il vos hommages comme un tyran ,
dit le sage , (Ecc. 6. 26'.) ce doux lien de ou s’il mérita votre tendresse comme un
la société, cet unique plaisir du cœur, est vrai père ?
un lien gênant, un plaisir sans charmes Que ne puis-je ici de ses actions passer
pour eux : aussi, comme ils ne vivent que à ses principes? Jamais ame ne fit de plus
pour eux-mêmes, on ne les aime que pour grandes chosespar de plus grands motifs:
soi. Ici, étoit-ce la personne ou la dignité, on auroit dit que tout ce qu il faisoit de
qui lui altiroit vos hommages ? Vous fit-il louable , perdoit son prix du moment qu il
attendre un service , quand vous l’eûtes étoit loué : c’étoit dégrader le mérite de
demandé? vous le fit-il demander, quand ses actions, que de 1 en faire apercevoir;
il l’eut prévu? souffrit-il vos justes remer- et en l’abordant pour le rendre attentif
cimens , quand il l’eut rendu ? Plaisir dé­ à nos bonnes qualités, il falloit presque
licat cependant, et qui semble être la plus oublier les siennes.
innocente récompense du bienfait. Sacrés dispensateurs de la parole évan­
Mais peut-être 11’éloit-ce-là qu’une gélique, combien de fois en vous ouvrant
vertu de parade ; peut-être qu’officieux la bouche pour annoncer toute vérité,
aux yeux du public, il se dédommagea de vous la ferma-t—il sur celles qui le re—
cette contrainte dans le secret de son do­ gardoient?
mestique. Répondez pour moi , maison Et nous-mêmes aujourd’hui, ne sommes-
désolée de ce grand homme ; je réveille nous pas obligés de trahir par cet eloge
ici votre douleur, je m’en aperçois. Fut-il public, non-seulement ses plus chers sen-
jamais de maître plus tendre et plus géné­ timens, mais encore ces dernières inten­
reux:P Ne suffisoi t-il pas d’avoir eu l’honneur tions desmourans qui sont comme d’autres
d’être à lui, pour n’avoir plus besoin d’être restes précieux auxquels il n’est pas permis
à personne? Sûr de votre attachement, ne de toucher, et qu’une espèce de religion
veilloit-il pas avec plus de soin sur votre civile a rendu presqu’aussi sacrées pour
fortune, que sur votre fidélité? Etoil-il les hommes, que les cendres mêmes et les
de ces hommes vains et bizarres, qui dépouilles de leurs tombeaux? Mais il fal-
croient faire grâce de permettre qu’on soit loit, ame généreuse et modeste, que vous
au nombre de leurs esclaves, et qui veulent eussiez la gloire de refuser les louanges ,
DE M. DE VIDLEROY. 71
70 OKA^SOU FONEBKE
son illustre maison. Je ne puis qu affoiblii
et qu’une juste reconnoissance eût la
une circonstance si honorable à sa me-
liberté de vous les donner. moire : ce que j’en pourroisdire , ne diroit
Ah! si après la dissolution de ce corps pas ce que j’en pense : les paroles des 1 ois
terrestre, vous pouvez encore être sensi­ ont je ne sais quoi d’énergique qu un dis­
ble à la gloire de la terre , ame bienfai­ cours entier ne peut remplacer. Louis-le-
sante et généreuse! jetez sur ces citoyens Grand y fait des vœux pour la duree des
afdigés, quelques-uns de ces regards que jours de noire prélat. Il semble que,comme
vous fixiez autrefois si utilement sur eux ; autrefois le vieillard Jacob, (Jicbr.21.21.)
et venez recueillir sur les larmes ou ils aux approches de la mort, sentit revenir
mêlent à vos cendres, sur les tristes re­ ses forces en voyant le bâton de comman­
grets dont ils honorent vos obsèques, la dement entre les mains de Joseph , de
plus douce récompense de vos iatigues, même, notre glorieux vieillard devoit rap­
et le plus sincère tribut de leur reconnois­ peler les siennes, en voyant son illustre
sance. Venez voir le plus grand roi du neveu honoré du bâton de maréchal de
monde , non plus vous donnant des mar­ France. Ce grand prince l’y exhorte de
ques honorablesd’estiine et de confiance, venir se montrer encore une lois à sa cour,
et vous recevant avec tant de distinction et l’assure que personne, sans exception?
au milieu des grands de sa cour; mais ne ne l’y verra avec plus de plaisir que lui.
pouvant vous refuser des marques de dou­ Régnez, prince, seul digne d etre servi,
leur au milieu des joies et des acclama­ puisque seul vous savez si bien honorer
tions de ses victoires, et paroissant tout ceux qui vous servent. Cest tout ce que
occupé de votre perte, tandis que 1 Europe je puis dire.
ne l’est que de ses conquêtes. Mais puis- je ne pas ajouter que ce grand
Il faudroit ici finir son éloge : les regrets prince s’y félicite lui-même davoir rendu
de Louis-le-Grand laissent-ils quelque justice au mérite de notre illustre gouver­
chose à dire? U faudroit même ne pas neur ? Ce seul mot ne vous rappelle-t-il
vous faire souvenir de cette glorieuse pas sa grandeur d’ame , cette élévation
lettre que toute la France a vue , si digne d’esprit; ces manières dignes encore d’une
de passer dans nos annales , et d’être con­ plus haute fortune, et mille actions glo­
servée à la postérité, oùl’on voit cette main rieuses que nul de vous n’ignore,, et que
royale occupée à laisser à nos neveux un la parole de paix dont je suis le ministre,
éloge digne du grand Camille et de toute me défend d.e redire ici ! Puis-je ne pas
DE M. DE VILLEROY. 7-*
ORAISON FUNEBRE
intérêts des rois et la fortune des royaumes:
c’est sans doute un endroit éclatant, et
ajouter qu’il y honore d’un glorieux sou­ l’on peut en faire honneur à sa mémoire.
venir et d’une eternelle reconnoissance, Mais si en honorant le prince, il n’a pas
la mémoire de ce sage et vaillant maré­ craint le Seigneur (/. Petr.i. si en
chal , qui jeta dans son arae royale , les veillant sur les membres de l’Etat, il a eu
premières semences de valeur et de sa­ les yeux fermés sur les membres de Jésus-
gesse, et qui le premier sut ébaucher Louis- Christ ; en vain aura-t-il amassé à grands
Ïe-Grand ? Quelle gloire pour cette célèbre frais une fragile gloire devant les hommes,
maison. il n’en a point de solide devant Dieu : Ha-
L’opprobre de Jésus-Christ a eu cepen­ bet gloriam , sed non apud Deum. (Rom.
dant plus de charmes pour votre cœur, 4. 2.) Que l’homme nous considère, disoit
iue toute cette pompe de l’Egypte, illustre autrefois saint Paul, comme les ministres
? ille qui m’écoutez ( i ). Aussi en vous en­ de Jésus-Christ, et comme les dispensa­
tretenant de la gloire de votre famille, je teurs des mystères de Dieu. (/. Cor.9. i.)
n’ai pas voulu affoiblir votre foi , mais Or , Messieurs, comment dispenser fidèle­
aider votre reconnoissancè, et vous expo­ ment des mystères terribles, si l’on ne
ser plutôt les périls dont la grâce vous a connoit toute leur grandeur et toute sa
délivrée , que vous faire estimer de faux misère ? et quelle foi vive et pleine ne
biens et de vains honneurs, que vous avez faut-il pas pour cela? Comment les dispen­
si généreusement méprisés. ser saintement, si ces lumières divines ne
Passons à notre dernière partie. Je vous sont pas la règle constante de nos mœurs ?
ai montré comment ses talens le rendirent quelle pureté ! De plus , pour être associé
nécessaire au prince et utile au peuple : au ministère de Jésus-Christ, il faut être
montrons qu’il fut fidèle à Jésus—Christ ingénieux à découvrir les besoins des Fi­
et utile à l’Eglise par ses vertus chré­ dèles : quelle vigilance ! Toujours il faut
tiennes et épiscopales. être prêt à les soulager : quelle charité!
En effet, qu’est-ce que l’honneur de
SECONDE PARTIE. l’épiscopat, si l’on s’en tient à ce que la
chair et le sang nous révèlent là-dessus, et
Il est glorieux, je l’avoue , à un pontife si l’on en juge par la corruption et le re­
sacré, d’avoir été , ce semble , formé des lâchement de ces derniers temps ? C’est
mains du Très-Haut, pour ménager les un poste éminent qu’il est permis de sou-
Oraisonsfunèbres. * D
{i ) Madame de Villcroy, carmélite.
intérêts
74 ORAISON FUNÈBRE DE M. DE VILLEROY. 75
haiter , auquel il est glorieux d atteindre, déclin soit encore capable de ces efforts
et dont il est doux de jo.uir : c est un titre du premier âge ? Il endura plus de sollici­
pompeux , mais vide , qui retient tous les tations pour se résoudre à subir ce fardeau
honneurs du sacerdoce , et qui en dis- sacré, que les autres n’en emploient pour
tribue aux autres les fatigues comme des l’obtenir: il mit à s’en défendre presque
faveurs : c’est une autorité tranquille, qui, tout le temps qu’on met à le demander :
à l’ombre du faste qui l’environne, décidé en un mot, il sut être évêque, après l’avoir
du travail de ceux qui portent le poids du refusé.
jour et de la chaleur. Mais si l’on consulte Persuadé que vous réprouvez souvent ,
le Père des lumières, et si nous remontons ô mon Dieu ! les conseils des princes,
à ces siècles de ferveur et depuret,é,,c’etoit (Ps. 32. io.) combien de fois, répandant
un poids redoutable et saint , quon ne son cœur aux pieds de vos autels, vous
désiroit jamais sans témérité, dont on ne conjura-t-il, comme autrefois Moyse ,
pouvoit se charger soi-même sans prota- (Exod. 4. 10.) d’envoyer, pour conduire
nation, sous lequel on devoit gémir avec ce peuple nombreux, celui que vous aviez
crainte et tremblement : c’étoit une servi­ marqué dans vos conseils éternels? (Ps.
tude pénible, qui, nous établissant sur 3o. 16.) Combien de fois, mettant entre
tous , nous rendoit redevables à tous ; un vos mains le sort de son ame et celui de
ministère d’amour et d’humilité , qui eta- sa dignité , vous pria-t-il de le délivrer ,
blissoit le pasteur dépositaire et des misé­ ou des foiblesses de l’une, ou du fardeau
ricordes du Seigneur , et des misères du terrible de l’autre ! Ah! c’est qu’éclairé
peuple. Siècles si honorables a la loi, de vos lumières, il aperçut peut-être dans
sainte antiquité si connue en nos jours et son cœur quelques restes de ces désirs du
si peu imitée; temps heureux, ou êtes- siècle , qu’une sainte discipline a bannis
du sanctuaire , et qui blessent, sans doute,
vous ? l’excellence et la gravi té du sacerdoce chré­
Je ne vous dirai pas, Messieurs , que
notre grand archevêque , à l’exemple de tien. Vous ne voulûtes pas cependant
Jésus-Christ, ne s’étoit pas lui-meme éta­ qu’un autre reçût son épiscopat; vous
bli pontife (Hebr. 5. 5.\; que les désirs l’oignîtes de Ponction sainte, et vous re­
du prince prévinrent ses désirs, et que lâchâtes , ce semble , un peu de la sévérité
l’honneur du sacerdoce lui fut offert avant de vos lois en faveur de celui qui devoit
un jour les faire observer avec tant de
qu’il s’y fût offert lui-même. Mais oserois-
ie le dire, et croira-t-on que la foi sui son soin et de bénédiction.
D 2
nE M. de viluboî. 77
rjQ or. AT SON FUNÈBRE vrirent aussi jusqu’ou devoit aller la pu­
Et ce n’est pas ici, Messieurs , un eloge reté du ministre. Il comprit que c’est un
de bienséance. A Dieu ne^ plaise que je spectacle monstrueux de voir les mains
dégrade ainsi mon ministère, et que je souillées du pontife , tantôt levees au
vienne insulter la vérité jusques sur les ciel pour en attirer ces précieuses rosées
autels où on l’adore 1 Vous le savez, vous qui purifient les consciences ; tantôt éten­
qui eûtes la triste consolation de recueil.11 dues sur des tètes sacrées, verser jusques
ses derniers soupirs : hélas! suis-je destine dans les âmes, des caractères augustes et
à vous rappeler sans cesse un souvenu si ineffaçables de puissance, et les marquer
amer ? Vous vîtes son ame mourante cher­ du sceau du Seigneur; tantôt Irempees
cher à se rassurer sur les devoirs immenses dans le sang de l’Agneau, parmi le bruit
du ministère dont elle étoit sur le point sacré des cantiques , et la fumée des en-
d’aller rendre compte , par le souvenir censemens, présenter avec solennité au
des frayeurs qu’elle avoit éprouvées en Dieu saint le sacrifice redoutable ; tantôt
l’acceptant ; et n’espérer une place dans lancer sur des pécheurs rebelles des fou­
le sein d’Abraham , que parce qu elle dres dont lui-même devroit être frappe;
l’avoit toujours refusée dans le sanctuaire. tantôt offrir à des pécheurs humiliés, des
Mais qu’auréz-vous alors à repondre trésors dont il est lui-même indigne : de
au tribunal de Jésus - Christ, vous dont voir une bouche impure , tantôt offrir,
la démarche la plus innocente, en entrant pendant les mystères terribles, le baiser
dans l’héritage du Seigneur , a ete de le saint à des ministres purs et irrépréhen­
désirer; qui ne devez qu’a des bassesses sibles ; tantôt prononcer les paroles mys­
profanes une élévation toute sainte; qui tiques , et créer sur les autels le pain sacre
ii’ètes monté qu’en rampant sur le tione qui nourrit les Anges , le vin délicieux qui.
sacerdotal ? Vous qu’on ne voit assis dans produit les vierges; tantôt sanctifier les
le sanctuaire du Dieu vivant, que pour temples de Sion , et y faire descendre la
avoir été long-temps debout dans les an­ gloire du Seigneur par d’augustés dédi­
tichambres des grands, et qui n’auriez caces ; tantôty consacrer à Jésus-Christ des
jamais été placé sur la tête.des hommes, vierges innocentes ; tantôt y raconter ses
pour parler avec David, si vous n aviez justices et les merveilles de son alliance.
été mille fois lâchement a leurs pieds. Aussi , avecquel honneur et avec quelle
(Ps. 65. 12.J . . .r sainteté posséda-t-il toujours le vase de
Les mêmes lumières qui lui firent eptit - son corps, pour parler avec l’Apôtre ?
voir l’éminence du ministère, lui necou- D 3
DÏ M. DE VltLEROl. 79
-7S ORAISON FUNÈBRE
a presque perdu son nom et s®
(I. Thés. 4- 4.) N’avoit-il pas , ce semble , mi nous : c’est une lepre qui n elo^.m
atteint à ce point de pudicité sacerdotale, plus même du sanctuaire. Des } _
comme l’appelle un Père, f A. Hyeroni. tiens s’accoutument enfin a von sans ho
JZpist. ad Titum.') qui fait que la vertu la reur un feu profane s’élever du meme
plus pénible à la nature, nous devient la autel où repose le feu sacre , et e
plus naturelle ; et qui accoutume, pour cœur qui vient de soupirer en secret i.e
ainsi dire, le cœur à être invulnérable de vaut l’idole, présenter pubbquemen au
son propre fonds. Dieu saint les soupirs et les supplicatio
Le vit-on jamais, je ne dis pas avilir la de toute l’assemblée des Fideles.
majesté du sacerdoce jusqu’à l’indignité Saintes et pieuses ordonnances , ou 1
et aux faiblesses d’une passion , mais pourvoit avec tant de soin à la pudeur
l’abaisser jusqu’à l’inutilité et aux amuse- des ministres de Jésus - Christ , ou d
mens des conversations ? Et ce n’étoit point renouvelle les plus anciennes lois ne
ici un de ces mérites que donne la vieil­ l’Eglise sur l’âge des personnes d un autre
lesse; une de ces régularités tardives, qui sexe dont ils peuvent recevoir des secours ,
sont les assortimensde l’âge plutôt que les de peur que les mêmes soins qu on prend,
ornemens du cœur; qui parent les débris pour la vie de leurs corps ne soient des
du corps, au lieu de réparer ceux de l’ame ; soins meurtriers pour leurs âmes : vous
où il entre plus de bienséance que de êtes les fruits précieux de l’amour qu il
grâce , et qui n’ont presque de la vertu , eut pour cette vertu sacerdotale.
que la seule impuissance d’être encore Ah ! si les livres saints ne me deten-
vice. Il ne lit que recueillir dans l’hiver doient de révéler la honte de ceux qui
ce qu’il avoit semé pendant les jours de montent à l’autel, je vous le represente-
l’été : ses passions ne parurent éteintes rois ici, parla sévérité salutaire.des peines
sur la fin , que parce qu’il en avoit amorti canoniques, foudroyant les ministres scan­
les ardeurs naissantes; et dans une car­ daleux, et mettant des vases d’honneur à
rière de plus de quatre-vingts ans, on ne la place de ces vases de honte et d igno­
s’est jamais aperçu que son cœur fût sen­ minie ; là, par des remontrances pater­
sible , que par l’horreur qu’il eut poul­ nelles , tendant la main à ceux que la
ie vice. seule infirmité delà chair avoit précipites
Qui ne sait cependant quelles sont dans l'abîme, et arrachant des larmes de
là-dessus les complaisances et les adoucis- douleur des mêmes yeux à qui la passion
semens de l’usage ? Helas 1 cette faiblesse Tï /.
DE M. DE VILBEROY. ,
Ï5O ORAISON FUNEBRE
divins teints encore du sang Jésm-
Clirist fraîchement épanche, et qui avec
eu avoit peut-être arraché mille fois de la foi alioient répandre partout des¡esp
criminelles; souvent enfin découvrant par
de pieux artifices de charité la puanteur de souffrance et de martyie . ce e JS _ ’
qui formée parleurs travaux, foi P
de ces sépulcres blanchis, dont les crimes leur doctrine ; mérita enfin d etre illusace
ne reposent, ce semble, qu’à l’ombre de
la vertu , et faisant répandre une odeur de tout leur sang, et qui encore aujoui
de vie à ceux qui n’avoient répandu jus— d’hui pour avoir été la première ecianee
ques-là qu’une odeur funeste de mort. des lumières de la foi , en a les premiers
Sages et zélés coopérateurs de son épis­ honneurs dans le royaume : rappelez, dis-
copat , interrompez ici les louanges que je le triste état ou elle se liouvoit, quand
notre illustre archevêque fut appelé à sa
je lui donne,si elles sont excessives : mais
plutôt ajoutez que l’amour qu’il eut pour conduite.
Hélas1 tout l’éclat de cette hile de Sion
celle vertu fut plus fort que la mort; qu’il
étoit obscurci (Thren. 2. 6.): ses pro­
s’étendit jusques aux soins de la sépul­
phètes , ou n’avoient plus de visions, ou
ture; que malgré l’exemple du Sauveur,
n’en avoient que de fausses (Ibid. 2.. i4jj
il ne voulut pas que les femmes de Jéru­
ses solennités et ses sabbats n ctoient pi es-
salem rendissent les derniers devoirs à
oue plus que des dissolutions supersti­
son corps, et qu’il fut jaloux de la pudeur
tieuses (W.2.6.); les pierres du sanc­
dans un temps même où l’on ne peut plus
tuaire se trainoient indignement dans les
en avoir le mérite. places publiques (Ibid. 4- i- 4û j la langue
Mais suffit-il à un évêque d’avoir été
de ceux qui dévoient distribuei le lait ciô
attentif à soi-même ? ne l’aut-il pas, pour
îa doctrine, s’étoit attachée à leur palais;
accomplir toute justice, qu’il ait encore
l’or et l’argent étoient presque les seuls
veillé sur le troupeau de Jésus-Christ.
canaux par où l’eau des Sacremens cou!oit
(Acf. 20. 28.) jusques à nous ; et Lyon, cette cité sainte,
Or, rappelez , Messieurs, le triste état que la dignité, de. son trône met à la tète
où se trouvoit ce vaste diocèse ;, celte de tant de provinces , gémissoit dans unè
Eglise si vénérable , qui va prendre' sa manière de triste veuvage, et etoit presque
source jusques dans les temps apostoli­ devenue la tributaire de Garizim . Pim-
ques , qui la première de nosGaules, reçut ceps prorinciarum fuctu est sub iribulo.
de l’Orient les richesses de l’Evangile;
qui vit arriver et recueillit avec alégresse {Ibid. 1. 1.)
D 5
les Pothin et les Irénée , ces hommes
DE M. DE VILLE ROY. , 83
82 ORAISON FUNÈBRE n’ont pas mieux fait, c’est qu’d n’etoit
Parlons sans ligure. Le prêtre admis o-uère alors permis de mieux fane. .
sans précaution aux fonctions du sacer­ Telles étoient les ruines de* la maison
doce , s’en acquittoit avec indignité : le du Seigneur, quand nous y vîmesi enb
Fidèle, passant sa vie clans un oubli pro­ notre nouveau pontife. Quelles iu .
fond de nos mystères et de la loi de Dieu , nos acclamations et nos tendres rejou s-
mouroit tranquillement sur la bonne foi sauces'. Temple majestueux, ou l onct
de l’ignorance et des dérèglemens du mi­ sainte fut répandue sur son chef sacr e ,
nistre : et l’héresie , qui, comme l’armée vous vîtes, pendant les joyeuses solennités
des Assyriens, n’attaque Jérusalem. qu’à de cette auguste cérémonie, nos mains en
la faveur des ténèbres, profitoit de celles- foule levées au ciel, porter le doux par­
ci pour renverser ses murs, et venir lui fum de nos prières et de notre reconnoi -
enlever ses vrais adorateurs jusques dans sance, jusqu’aux pieds du trône de A -
l’enceinte du sanctuaire. gneau ; le remercier d’avoir donne pour
Depuis long-temps même cette Eglise évêque à cette ville, celui que le prince
n’avoit pas vu ses pontifes aller, comme lui avoit déjà donné pour gouverneur et
des nuées saintes, répandre des rosées sa­ le prier de faire revivre les jours et les
lutaires sur les diverses contrées de sa dé­ bénédictions de l’épiscopat Ambroise
pendance : les vieillards, qui jadis au fond puisqu’il en laisoit revivre 1 histoire et
de leurs campagnes avoient eu la conso­ presque toutes les circonstances.
lation de les voir, le racontoient à leurs En cet endroit, Messieurs, je me sens
neveux comme une aventure singulière ; et comme transporté dans ce premier âge ne
si l’on veut me passer ce mot, l’apparition son ministère : j’y yois ce vaste diocese ,
et la course annuelle de ces astres saints comme un chaos informe et teneoreux se
étoit devenue un phénomène presque aussi développer peu à peu : chaque jour ofhe
rare et aussi surprenant que les comètes. à mes yeux de nouveaux spectacles..
A Dieu ne plaisecependant que je vienne Ici s’élèvent successivement des maisons
ici flétrir leur mémoire pour honorer celle de retraite , des sources publiques de l’es­
du prélat que nous pleurons ! Je respecte prit ecclésiastique , des écoles de sacer­
trop les cendres sacrées de ces grands doce et d’apostolat, de pieux séminaires
hommes : je sais qu’ils ont eu le malheur si nécessaires alors et si rares dans le
de vivre en des temps fâcheux ; que ces royaume, où loin du commerce du siecle,
désordres étoient plutôt les vices de leur et sous les yeux de directeurs graves et
siècle, que de leurs personnes; et que s’ils D 6
84 ORAISON FUNEBRE I)E M. DE VII,LEROY,
consommés, on sauve de Bonne heure l’in­ dans nos champs des courses apostoliques,
nocence des clercs de la contagion du et qui renouvellent les prodiges, comme
inonde ; où l’on purifie des cœurs qui doi­ les travaux des premiers disciples. En cet
vent un jour offrir a Dieu les vœux des endroit, on jette les fondemens d’un édi­
hommes; et où, dans les semences de doc­ fice sacré, où les pauvres sont évangéli­
trine et de vérité qu’on jette dans une seule sés , où les petits trouvent le pain 9U1
ame, on voit croître l’espoir consolant de nourrit l’ame, qu’ils avoient demandé jus-
la conquête de mille autres. ques-là aussi inutilement que celui qui
Là, par les soins d’un ministre savant nourrit le corps: dans un autre, de nou­
et infatigable, les pasteurs assemblés con­ velles communautés de l’un et de 1 autre
fèrent ensemble sur ce qui regarde le royau­ sexes attirent de nouvelles bénédictions.
me du ciel; se communiquent leurs doutes Mais je ne m’aperçois pas que c’est ici
et leurs lumières; puisent dans les plus une histoire plutôt qu’un éloge. Vous re­
pures règles des mœurs, de quoi régler sû­ présenterai-je notre pontife infatigable
rement les consciences; opposent la loi présidant à tant de pieux établissemens ?
de Dieu aux interprétations des hommes; Tantôt il parcourt ce vaste diocèse, et
apprennent à fuir également, et ce zèle montre enfin un evéque aux peuples de la
amer et intraitable, qui, sans nul égard, ampagne; tantôt, de son palais épiscopal,
achève de briser un roseau déjà cassé, et il fait mouvoir les ressorts infinis qui pour­
d’éteindre une lampe encore fumante; et voient aux besoins spirituels de cet te grande
<pii, par les difficultés extrêmes dont ii ville; tantôt, jaloux des droits vénérables
investit l’observance de la loi , fournit de son siège, on le voit résolu de ne point
presque aux pécheurs de nouvelles raisons monter à une des premières dignités de
pour la violer : et cette molle complai­ l’Etat, plutôt que de dégrader son Eglise
sance , qui, en voulant aplanir les voies du rang et de la dignité de première Eglise
du Seigneur, creuse des précipices aux de France.
Fidèles. Vous le représenterai—je, tantôt soute­
Ici s’établissent d’utiles retraites, où les nant les fatigues des plus nombreuses or­
pasteurs accourus de toutes parts, répa­ dinations? Hélas! nous le vîmes, il y a
rent dans le silence , dans la prière, les peu de temps, malgré la caducité de son
dissipations inévitables dans leur minis­ âge et la vivacité de ses maux, recueillir ce
tère. Là, sortis de ce nouveau cénacle, qui lui restoit de forces pour donner en­
j’en vois des troupes sacrées qui yont faire core à l’Eglise des ministres, et lui lais-
8Ô ORAISON FUNÈBRE DÊ M. DE VIILEBOÏ- û7
proche presque de la discipline des pie
ser,pour ainsi dire, des enfans de sa dou­
leur : tantôt enfin, à la tète d’une assem­
m Père des miséricordes et Dieu de toute
blée de prêtres prudens, selon l’avis du
Sage, prendre avec eux de saintes mesures consolation ! n’avons-nous pas apres cela
pour étendre le royaume de Jésus-Christ; un juste sujet d’espérer que vous n exclu­
demander leur avis avec bonté ; l’écouter rez pas du festin éternel celui dont v ous
avec estime, le suivre avec religion; sou­ vous êtes servi pour y Une entrer tant
tenir par son autorité ce qu’on y délibère d’aveugles et tant de boiteux i Ah . il me
par sa sagesse. Oui, Messieurs, l’esprit le semble que devant votre tribunal redou­
plus élevé de son siècle, le plus vaste , le table, où il attend la décision de son éter­
plus droit, le plus riche de ses fonds, ne nité : Il est vrai, Seigneur, vous dit-il,
peut se rassurer sur ses propres lumières, peut-être ne trouverez-vous pas mes œuvres
et ne croit pas que dans un ministère où pleines ? Cendre et poussière , je n’entre­
les fautes sont irréparables, les précau­ prends pas de me justifier à vos yeux.
tions puissent être excessives. Vous êtes un Dieu jaloux, et peut-etre
Sacrés ministres de Jésus-Christ qui que les sollicitudes du siècle ont un peu
formiez cette sage et savante assemblée, trop partagé mon cœur entre la créature
puisse le pasteur que la Providence des­ et vous. Vous m’aviez donné un rang
tine à la conduite de celte illustre Eglise, d’honneur dans le repos du sanctuaire, et
avoir la même déférence pour vos salutai­ peut-être y avois-je introduit un reste de
res avis! Puissent vos anciennes et saintes tumulte et'd’amusement encore un peu
fatigues, vous en attirer de nouvelles! séculier : mais jetez, les yeux, sur cette
Ah ! s’il ne fafioit pas ici me renfermer vaste Eglise que je laisse si affligée de ma
dans les bornes d’un discours ordinaire, perte. Non , je consens de n’avoir auprès
je vous mettrois comme sous l’œil ce que de vous nue ce mente seul : Apud te Ictus
je n’ai montré qu’en éloignement : les Ecdesicl ruagnâ, (Ps. 21. 26.) Je
clercs attentifs à leur ministère , les peu­ vous offre les sueurs, elles peines de tant
de ministres que j’ai formes : les suppli­
ples instruits par leur doctrine, secourus cations encore toutes ferventes, les pre—
par leur zèle, édifiés parleur exemple;
cieuses larmes de componction de tant de
tout ce grand diocèse , où régnoient avec pécheurs, à qui ils iont tous les jours
tant de licence les abus et les dérèglemens
goûter le don céleste et les vertus du siècle
de ces derniers siècles, renouvelé et rap-
88 ORAISON FUNÈBRE BE M. 1)E VILLE ROY. $9
de tant de dispensateurs infidèles que j’ai sère, combien de fois l’ont-elles été de scs
corrigés; la piété de tant de Chrétiens que dons et de ses richesses? La pauvreté hon­
leur exemple auroit entraînés dans l’abî­ teuse fut-elle jamais,si ingénieuse à se ca­
me. Je présente au trône de votre misé­ cher, que sa charité à la découvrir.; La
ricorde les fruits précieux de tant d’éta- pauvreté publique fut—elle jamais si em­
blissemens de piété que j’ai procurés; les pressée à se produire, qu’il le fut lui-mème
pieux exercices de tant de maisons saintes à la prévenir? Enfin, le revenu de son
que j’ai consacrées , et surtout les vœux archevêché n’étoit-il pas devenu le revenu
et l’affliction des filles du Carmel, où mon annuel des pauvres de son diocese? et ne
corps attend la glorieuse immortalité. Ali ! crut-il pas qu’il falloit cacher honorable­
quand l’odeur de leurs sacrifices montera ment dans leur sein, comme dans un sanc­
jusqu’à vous, souvenez-vous, Seigneur, tuaire vivant, les trésors sacres qu il îeti-
que j’en ai allumé moi-même les premiers roit du sanctuaire même ? .
feux et préparé presque tout l’appareil. Tel fut le grand homme et le charitable
Mais oublié-je, Messieurs, qu’il a ras­ prélat à qui vous rendez aujouidhui ces
sasié la faim, étanché la soif, couvert la tristes et pompeux devoirs, illustres et af­
nudité des membres de Jésus-Christ? Quel fligés citoyens! Les leçons que fournit une
plus juste sujet de confiance ? Faut-il que longue vieillesse sur la vanité des gian-
je sois réduit à passer si rapidement sur deurs humaines; ces fréquentes atteintes
un des plus beaux endroits de sa vie? Pu- de mort qui ne l’approcnoient , ce sem­
bliez-le donc à loisir, vous dont il sou­ ble, des portes du tombeau, que poui lui
lagea l’indigence, et cette même voix dont faire voir de plus près la fragilité d un
si souvent vous vous êtes servis pour lui monde qui nous enchante ; une attention
exposer vos besoins , servez-voùs-en dé­ plus sérieuse à la loi de Dieu, dont il se
sormais pour raconter ses largesses. faisoit lire tous les jours les vérités lesplüs
A combien de familles de gentilshom­ touchantes et les plus essentielles; sa foi
mes presque chancelantes, n’a-t-il pas et sa religion,qui se fortifioient pari affoi-
tendu des mains charitables ? Combien de blissement de son corps terrestre , prépa­
jeunes personnes de l’autre sexe doivent rèrent sa grande ame à voir enfin appro­
à ses soins leur éducation, leur établis­ cher sans crainte, te jour du Seigneur.il
sement, et peut-être leur innocence ? Ces le vit, et il renferma toutes ses frayeurs
familles infortunées, qui sont comme les dans le sein de la misericorde divine :.et
asiles secrets de l’indigence et de la nu- autant éloigné de cette fausse sécurité
go ORAISON FUNÈBRE DE M. RE VIELEROY* 9
sement; la réputation, un son quibatl’air
dont le siècle se fait honneur, que de ces
foibîes inquiétudes qui déshonorent la foi; et qui passe ; la naissance , un fantôme
alarmé à la vue de son Juge, rassuré par que les hommes sont convenus de res­
la présence de son Sauveur, tout couvert pecter; en un mot, que tout ce que nous
du sang de l’Agneau que l’Eglise venoit voyons, passera, et que les seules ueuu es
de lui appliquer par ses Sacremens, ac­ invisibles ne passeront point. Ali ; j aime
compagné des larmes de la ville et de la mieux laisser à un spectacle si instiuc 1
province , des soupirs et des gémisseinens et si touchant, le soin de vous desabuser
des pauvres , de l’élévation des mains de lui-même, et ne point affaiblir, par des
tant de ministres, honoré des regrets sin­ réflexions , la force secrète qu’ont sur les
cœurs cessombreselreligieuses cérémonies.
cères de son prince, il alla se présenter
Montez donc à l’autel, saint ministre
avec confiance devant le tribunal de Jé­
de Jésus-Christ; achevez d’arroser ces chè­
sus-Christ ; et laissa dans une seule mort
un sujet commun de deuil et de tristesse, res cendres du sang de l’Agneau; mar­
comme le dit saint Ambroise à l’occasion quez-en ce tombeau sacré, afin que 1 Ange
exterminateur n’y touche point au jour
de la mort de son frère : Privaium funus,
sed fietus publicis universorim fleiibus est terrible des vengeances. Ah! puisse cet
consecrâtus. (S. Ambr.oiat.fun. in obseq. Agneau saint, cette victime adorable que
vous allez offrir, être pour cet îllustie
fratris. )
M’attendez pas que je recueille ici ce défunt, comme autrefois pour les en ans
qui me reste de force pour exciter votre d’Israël, un passage heureux des tenebres
foi ; et qu’à l’aspect meme de la mort et de de l’Egypte, de ces lieux obscurs ou achè­
ses dépouilles, je vous fasse souvenir de vent de se purifier les âmes des Iideles,
la triste nécessité de mourir : n’attendez à la terre des vivans et au séjour de 1 im­
pas que sur un tombeau , où se trouve mortalité. _ .
Ainsi soit-il-
enseveli tout ce que la gloire a de plus
éclatant, ce que les dignités, ont de plus
pompeux, ce que le mérite a de plus so­
lide, ce que la faveur a de plus éblouis­
sant, ce que la naissance et les biens ont
de plus flatteur, je vienne vous avertir que
la gloire n’est qu’un nom; les dignités, des
distinctions vaines; la faveur, un vrai amu­
©raison FUNiBPtE, etc. 93
Pourquoi, poussant trop loin , ou le
devoir de mon ministère , ou le néant de
ORAISON toutes les grandeurs humaines, que cette
cérémonie funèbre nous met devant les
FUNÈBRE yeux, emprunterois-je le langage. de la
piété, pour vous dire que la gloire des
DE FRANÇOIS-LOUIS armes est un vain bruit ; que les veitus
civiles, qui font toute la douceur et toute
l’harmonie de ia société, ne sont que des
DE BOURBON, noms ; que les vastes connoissances et 1 élé­
vation du génie, sont de fausses lueurs
prince de conty. qui n’ont rien de plus reel, que la mepiise
qui les admire; et qu’enfin les plus grands
hommes ne sont que néant.
Habebo claritatem ad turbas, et honorem apud senio­
Laissons aux dons de 1 Auteur ue la
res, juvenis. Acutus inveniar in judicio , in conspectu nature tout leur prix et tout leur usage .
potentium admirabilis ero, et habebo’immortalitatem. respectons ces grands spectacles, dont sa
puissance décore de temps en temps IL—
Je me tendrai illustre 'parmi les peuples , etje me fêtai mvers, en y montrantdes hommes extiaoi-
respecter des sages vieillards , même dès ma jeunesse. dinaires; et ne confondons pas i abus que
Les princes et les puissans admireront l'etendue de mes l’orgueil fait toujours des dons de Dieu ,
lumières et la pénétration de mon jugement, et je jouiralp avec la gloire attachée à 1 usage légitimé
de l'immortalité. Sup. 8. ib. II. l3.
que l’homme en devroit faire.
Il est vrai que la gloire des pécheurs
n’est qu’un ver, qui en brillant au dehors,
Monseigneur, les ronge et les dévore en secret pai i in­
justice de leurs désirs, et fait de leui
grandeur même un supplice. (/. Mach.
Puisque l’Esprit de Dieu, source de 2. 62.)
toute vérité, loue lui-même, dans un Mais les pécheurs ne sont pas l’ouvrage
prince de Juda, ces talens rares et écla- de Dieu : ce qu'ils ont de grand vient de
tans, qui forment les grands hommes; lui : il inet en eux ces dons éminens,pour
pourquoi viendrois-je ici, Messieurs, vous le bonheur des peuples, pour la siïrele
tenir un autre langage ?
DE M. LE PRINCE DÊ CONTY. QO
94 ORAISON FUNÈBRE- '
mes , a fourni à votre grâce les prépara­
des Etats, pour la défense des autels, pour tions de tout ce qui devoit le rendre agréa­
l’honneur de l’humanité, et pour les rap­ ble à vos yeux.Ses lumières qui lui avoient
peler eux-mêmes, par ces irai Is d’élévation toujours montré de loin le salut et la vé­
dont il les avoit ennoblis, de la bassesse rité, l’en ont enfin rapproché; et vous
des choses présentes, à la grandeur des avez fait succéder les consolations aux
éternelles. larmes de ceux qui le pleurent. (Ibid.)
Coupables dès qu’ils font servir les dons Consacrons donc, sans scrupule, à l’hon­
de Dieu à l’injustice, et qu’ils trouvent neur de la religion, un éloge où la reli­
dans ces ressources de salut, la plus iné­ gion paroitra toujours honorée; et qu’une
vitable occasion de leur perte. voix dévouée à la vérité ne se refuse point
Ainsi, Messieurs, si le très-haut, tres- à des louanges qui ne seront que le triom­
PUISSANT, TRÈS-EXCELLENT PRINCE , Î RAN-
phe de la vérité même.
çois-Louis de Bourbon, prince de Conty, Heureux, Messieurs, non, si cet éloge
que toute la France pleure, que les étran­ remplit votre attente et toute la dignité
gers regrettent, que nos ennemis memes, de mon sujet : eh! qu’importe à la gloire
oubliant les pertes qu’ils durent autrefois de ce prince, qu’un foible discours qui ne
à sa valeur, honorent de leur douleur et passera point à la postérité , soit au-des­
de leurs éloges : si ce prince n avoit ete sous de ses grandes qualités ? Qui de vous
qu’un grand homme selon le monde , et ne les porte gravées dans son cœur ? Vous
qu’il fut mort plein de gloire devant les les raconterez à ceux qui vous succéderont:
hommes, mais vide de foi et de charité nos histoires et celles de nos voisins, mais
devant Dieu , hélas ! que viendrois-je faire plus encore l’amour des peuples en con­
ici ? et quelle part la religion pourroit— servera le souvenir aux âges les plus re­
elle avoir à son éloge? culés, et sa mémoire toute seule fera tou­
Mais, grâces à vos miséricordes éter­ jours son éloge.
nelles, ô mon Dieu! vous avez vu ses Mais heureux d’avoir à parler ici devant
voies; vous l’avez rappelé, lorsqu’il étoit un prince auguste, qui fait revivre avec
éloigné. (Is. 18.) Sa valeur, au mdieu le nom, l’esprit et la valeur du grand
des périls, n’a plus été qu’une force chré­ Fondé; que l’amitié, encore plus que le
tienne dans ses infirmités. Ce fonds de sang, lioit au prince que nous louons, et
raison, de modération, de bonté, de vé­ qui, par sa douleur toute seule , va justi­
rité, d’équité, de tout ce qui peut faire fier nos louanges.
d’un homme les délices des autres hom-
gg ORAISON l'UNÉCRE DE ME. LE PRINCE DE CONTY. 9Z
Heureux encore si ces pieux devoirs que n’avoir pas dégénéré du courage de ses
nous lui rendons sont pour vous une ins­ augustes ancêtres, leur histoire toute seule
truction et non pas un simple spectacle! auroit embelli son éloge, et il eût fallu
Vous l’avez admiré comme un des pre­ chercher dans la gloire de son sang, le pliis
miers hommes de son siècle pour la guel­ noble de l’Univers, les distinctions qui
fe : Iiabebo claritalem ad turbas-, comme auroient manqué à sa personne.
un des plus accomplis dans la vie civile . Mais plus grand encore, par l’élévation
Ethonoremapudseniorcs, juvenis : comme de son ame , que par celle de sa naissan­
un des plus éclairés par la singularité des ce ; quel puissant génie pour la guerre sa
connoissances, et la supériorité des lu­ première jeunesse même ne montra-t-elle
mières : Acutus invcniar in judicio : com­ pas en lui !
me un héros, comme un sage, comme un Quel goût pour tout ce que cet art a de'
esprit supérieur et universel. Rassemblons plus pénible, dans un âge qui n’a de goût
tous ces caractères de valeur, de sages­ que pour le plaisir ! quelle intrépidité
se, de lumière : et cherchons à la douleur ■dans les périls! mais quelles vues! quelles
de sa perle, une consolation dans le reçu ressources ! quelle supériorité dans son
des merveilles de sa vie et dans le souvenu intrépidité et dans son courage !
des miséricordes du Seigneur au lit de sa Né avec toutes les grâces que la nature
mort. partage aux autres hommes; la vivacité de
l’esprit, la douceur des manières, les char­
première partie.
mes de la conversation , les agrémens de
la personne, les prééminences du rang, il
Qu’un prince du sang de nos rois ait entra dans le monde avec tout ce qu’il
eu de la valeur, c’est un privilège de la faut pour y plaire et pour y périr.
naissance, plutôt qu’un mérité dont on Dieu , qui sembloit lui ouvrir toutes les
doive faire honneur à la vertu. voies des passions, lui fermoit en même
Le courage et l’intrépidité sont parmi temps celles des secours et des remèdes.
eux des biens héréditaires, ainsi que les Le prince son père, dont la pénitence
sceptres et les couronnes ; et comme on ne édifioit l’Eglise, et honoroit la religion,
les loue pas d’être nés princes, en ne doit une mort prématurée le lui ravit avant
pas les louer d’être nés vaillans. presque qu’il pût le connoître; et s’il ne
Oui,Messieurs, que le prince de Conty perdit pas avec lui des instructions qu’il
n’eut rien ici de plus personnel, que de a pu retrouver dans ses ouvrages, nio-
n’avoir Oraisons funèbres. $E
DE M. LE PRINCE DE CONTY. 99
g8 ORAISON PUN^ERE
ressources, de connoissances pour y excel­
numens éternels de ses lumières et de sa ler; et crut qu’un prince ne devoit compter
piété, il perdit du moins des exemples, pour rien de combattre, s’il ne se rendoit
qui assurent le succès de ses instructions. digne de commander.
O profondes dispositions de votre pro­ À la lecture des Anciens, et surtout des
vidence, ô mon Dieu! peu d’années s e- Commentaires de César, dont il traduisit
coulent, et meurt encore la pieuse prin­ les plus beaux endroits, il ajouta la re­
cesse qui l’enfantoit tous les jours a Jesus- cherche et la conversation des hommes les
Christ. Dieu, qui couronne ses vertus, ne plus consommés dans la science de la
paroît pas exaucer ses désirs. Mais laissons guerre. Il les écoute, il les étudie; il en.
croître les deux princes ses en fans : les fait ses amis, pour être plus à portée d en
momens de la grâce viendront; le dessein faire ses maîtres : il se rend propres les
de Dieu s’accomplira; les larmes d’une talens différens qui les distinguent entre
mère sainte ne couleront pas en vain, et eux; persuadé que si la naissance peut
la race des Justes ne périra pas. donner les grandes dispositions, cest
Les grands talens qui distinguent les l’application toute seule qui fait les grands
hommes dans leur état, se manifestent hommes.
d’abord par le goût qui les y porte. David A la fleur de l’âge; né pour plaire,
encore enfant, cherchoit parmi les lions l’objet des regards et des souhaits de toute
et les ours une matière à sa valeur, et la cour, au milieu de tout ce frivole, il a
se dérohoit volontiers au repos de la vie des vues vastes et sérieuses : il pense déjà
champêtre, pour aller s’instruire auprès de qu’un prince n’est aimable qu’aulant qu il
ses frères , au milieu des armees d Israël. est grand, et que les traits qui le rendront
Le goût du PRINCE de Conty pour la immortel, doivent être plus gravés dans la
guerre, fut le premier penchant que la beauté de ses actions, que dans les char­
nature montra en lui; et ce n etoit pas ce mes de sa personne.
goût qui dans les autres est d’ordinaire Vous commenciez dèsdors, 6 mon Dieu,
une ardeur de l’âge, plus qu une preuve l’ouvrage de vos miséricordes; et, en lui
du talent. ; . formant ce caractère sage et solide, vous
Guidé par la force de son génie, il se le prépariez à se désabuser enfin de ce
fit d’abord de l’art militaire une étude, et qui n’est que folie et vanité.
non pas un amusement : il comprit tout La France jouissoit alors d’une paix ,
ce qu’il falloit d’étendue, d’élévation, de que nos victoires et la modération du Roi,
sang-froid, de vivacité, deprofondeui, de E 2
DE M. LE PRINCE DE CONTY.. IOI
fOO ORAISON FUNÈBRE ■yie lui eussent formé d autres destinées.
venoient de donner presque à toute l’Eu-ï A ses pas s’attache le prince de Conj?y.
rope. La seule Hongrie étoit encore le A l’action dans les conseils, dans les en­
théâtre de la guerre. Les Turcs, fiers de treprises , dans les sentimens du cœur,
leurs conquêtes passées, menaçoient le nom dans le cours ordinaire de la vie, il ne
chrétien. Le prince son frère y vole. Sur perd pas de vue ce grand modèle; et 1 li­
des pas si chers marche celui que nous sage qu'il fait de son séjour paimi nos
pleurons : ses réflexions cedant a sa ten­ ennemis, c’est de s’instruire dans l^art de
dresse , la complaisance l’y mène et la gloi­ les vaincre. Nouveau Moyse, U n étudié
re l’y attend. en Egypte les secrets de la science des
Un charme secret attaché à sa personne Egyptiens, que pour devenir bientôt après,
lui gagne d'abord tous les cœurs. Dans en les quittant, un des conducteurs du
un pays si opposé à nos mœurs, si en­ peuple qui doit briser leur orgueil , et
nemi du nom français ; au milieu de la humilier leur Empire.
rudesse germanique, il trouve les memes Mais il étoit réservé à une main encore
applaudissemens qu’à Versailles; et ses plus habile , d’achever ce grand ouvrage.
charmes tous seuls vainquent déjà lafierte De retour de Hongrie, le prince de Conty
d’une nation, sur laquelle sa valeur doit va essuyer à Chantilly les larmes qu_u
remporter un jour bien d autres victoires. venoit de répandre sur le tombeau du
Oublions pour un moment tout ce qu’il prince son frère.
v fait de glorieux durant cette campagne : Là, dans un glorieux loisir, le grand
voyons-Îe attaché au prince Charles de Condé jouissoit du fruit de sa réputation
Lorraine , général des troupes de l’Em­ et de ses victoires; et ayant jusques—là
pire; ce grand homme dont la France, vécu pour la postérité , il vivoit enfin
équitable même envers ses ennemis, res­ pour lui-même.
pectera toujours la mémoire. Le prince de Conty étoit a la source
Quel goût dans ce célèbre général pour des bons conseils et des grands exemples.
notre jeune héros ! quelle surprise de lui Il ne lui falloit que l’histoire du héros qu’il
trouver à son âge ce que les années ne a devant les yeux. Que d instances tendres
donnent pas aux hommes ordinaires ! et respectueuses! que d aimables artifices,
quelle joie même de voir couler si glo­ pour la tirer de sa propre bouche! Mais
rieusement en lui le sang de France ! la véritable gloire est toujours simple et
ce sang qu’il aima toujours , quoique modeste ; et Condé ne peut se résoudre à
les malheurs et les enchamemens de sa E 3
de m. le prince de conty. io3
102 ORAISON FUNEBRE Si ces mémoires que nous avons encore
raconter ses actions, parce qu’il sent bien écrits de sa propre main,avec tant de no
que c’est raconter ses louanges. blesse et de précision , etoient enun m.
Quel nouveau genre de combat, Mes­ au jour, rien ne manqucroit plus a la
sieurs! La vieillesse toujours prête à ra­ gloire de ce grand homme.
conter ses exploits passés, se refuse ici à Un si beau naturel et.de si grandes
des instructions domestiques el nécessai­ espérances dans ce neveu si chéri, tiroien
res ; et le premier âge, qui ne se prête des yeux du prince deConde, des larmes
jamais qu’à regret au sérieux des leçons de joie, d’admiration et de tendresse 1
et des préceptes , y court ici comme aux se voyoit revivre en lui ; il y retrouvoi o
plaisirs, et les sollicite comme des grâces. tes ses rares qualités f osons le dire âpre
C’est que les grands hommes le sont dans lui) sans y retrouver ses defauts. La na­
tous les âges. ture même avoit tracé jusques dans la
Enfin, sa tendresse pour ce cher neveu ressemblance de leur visage , ce e e e
adoucit la sévérité de sa modestie. Condé ame. U achève, il embellit, en le formant,
manifeste son ame toute entière : il ouvre sa propre image; et comme ce premier
à ce jeune prince les trésors de sagesse, chef du peuple deDieu, il meurt content,
de précaution, de prévoyance, d’activité, en se voyant remplacé par cet autre Josue,
de hardiesse , de retenue , qui l’avoient à qui il laisse son esprit, ses maximes , ses
rendu le premier de tous les hommes dans préceptes, et une partie de sa.gloire : LZ
l’art de combattre et de vaincre. Vrai et dabis ei prœcepia , cunclis videnhbus , et
simple, il mêle au récit de ses glorieuses pariem gloriœ tuœ. {Nam- 27.20.)
actions l’aveu de ses fautes , et montre Mais oue les conseils du Seigneur sont
dans le cours de sa vie, de grandes règles éloignés ‘de nos pensées ! Il préparent une
g suivre, et de grands écueils à éviter. gloire plus durable au prince DE Conty:
Quels jours heureux pour le prince de il vouloit le sanctifier par de longues in­
Conty! Ses yeux, ses oreilles, son ame firmités , et nous montrer seulement seo
toute entière peut à peine suffire à tout taleus éclatans et sa valeur héroïque..
ce qu’il voit et à tout ce qu’il entend. A Oui, Messieurs, les leçons du prince
peine sorti de ces doux entretiens, il de Condé, aidées d’un naturel si rare,
court rédiger par écrit les merveilles qu’il que pouvoient-elles former que la valeur
a ouïes, et se remplir,enles écrivant, du même ? , ., ,
génie qui les a produites. C’est-à-dire, une valeur noble dans les
Quel historien digne du grand Condé î
bt M. LE ERINCE LE CONTY. ÏOj
104 ORAISON FUNEBRE dement, il n’ait eu presque lui seul l’hon­
sentimens, tranquille dans les périls,sûre neur de la victoire ?
dans les conseils , supérieure dans les vues Rappelez ses premières campagnes ; on
et dans les ressources. Remarquez tous ces croyoït revoir le grand Conde dans sa \ îve
caractères. et vaillante jeunesse. .x
Avec quelle dignité avoit-il déjà sou­ ACourtray,où pour la première fois
tenu en Allemagne le rang dû à sa nais­ il montra un nouveau héros aux ennemis
sance? Et parmi cette foule de souverains et à nos troupes.
si jaloux de leurs droits , quel respect A Luxembourg, où à la tête des grena­
navoil-i! pas fait rendre aux princes du diers, à l’assaut d’un bastion il monte l’épée
sangde France, qui ne souffrent au-dessus à la main ; et où blessé d’un éclat de gre­
d’eux que des couronnes? nade, et échappé à mille autres coups , il
Ailleurs la circonstance n’auroît peut- fait craindre que la victoire ne nous coûte
être rien de remarquable. Mais à peine une vie si chère.
sorti de l’enfance, loin de sa pairie, ac­ A Novigrade, où une escarmouche en­
compagné de sa seule dignité , au milieu gagée trop témérairement avec les Turcs,
d’une nation lière et jalouse, entre les change de face à l’arrivée du prince qui y
mains de ceux sur qui il prétend des pré­ vole ; et plusieurs officiers d’un grand
séances, ne pas souffrir même que l’on nom, doivent à sa valeur et aux périls
conteste son droit! L’expression du pro­ qu’il court en cette occasion , la vie et la
phète paroit préparée pour mon sujet. liberté qu’une audace indiscrète leur avoit
C’est penser en prince en un âge où les fait mériter de perdre.
autres hommes ne pensent pas, et mériter, A Neuhausel, où après avoir repoussé
par la grandeur des sentimens, les préémi­ les Infidèles jusques sur le bord du fosse ,
nences déjà dues à la naissance : Princeps revenu tout couvert de poussieic et de
ca quce cligna sunt principe , cogitabit, et gloire , il court encore avec l’électeur de
ipse super duces siabit. (Isa. 32. 8.) Bavière , rétablir un ouvrage où les assié­
La même grandeur dame l’accompa- gés avoient mis le feu; et par l’amitié que
l’âge et les belles qualités forment entre
gnoit dans les périls. Et ici, Messieurs,
que pourrois-jedire qui ne soit au-dessous eux, il fait naître dès-lors dans le cœur de
de ce que vous avez vu la plupart ? S’est- ce prince ces premières dispositions d’at­
il trouvé dans une seule action où il ne tachement pour la F rance , qui ont depuis
se soit attiré les yeux de toute l’armée; paru; et où , si cet allié généreux et fidèle
E 5
et où, sans avoir eu l’honneur du comman-
DE M. DE PRIÎrCE DE CONTA*. . I07
Ïü6 ORAISON ÈUNEBRE rè<me ; trop honorable surtout au vaillant
n’a pas eu pour lui les succès, il a eu du prince qui nous honore ici de sa presence,
moins l’honneur de la constance , de la et qui en a partagé avec tant de distinction
bonne foi, l’estime de la nation , l’amour la gloire et les dangers ; trop rapproche
des troupes, et l’affection du R.oi, qui toute même tous les jours, par la différence des
seule vaut des succès, ou qui rassure du évènemens, pour être efface e vo re es
moins contre les pertes. prit, puisqu’il ne le sera jamais de nos
Enfin à Gran, où à la tête du premier
régiment de l’Empire, il arrête la première annales. 1, >. j
Que n’ai-je plus d’usage dans 1 art de
fureur du Turc, le pousse , le renverse , décrire des victoires et des batailles; ou
lui arrache la victoire qu’il croyoit déjà plutôt, pourquoi ce temple et ces autels
tenir, affronte mille fois la mort qui paroît m’avertissent-ils que mon ministère ne
le respecter plus qu’il ne paroît la crain­ doit mettre ici dans ma bouche que des
dre; portepar tout la terreur du sang de paroles de paix et de réconciliation ?
France toujours fatale aux Infidèles; fait Vous l’auriez vu à Steinquerque rappe­
déjà redouter aux Allemands, dans le bras lant la victoire qui d’abord nous échappé ,
qui les défend , celui qui va bientôt les rétablissant partout ce que la première
vaincre ; et montre de loin aux vœux des surprise nous a déjà fait perdre d avan
Polonais , témoins et admirateurs de ses tages; prenant lui-même des mains dun
actions , le héros digne d’être un jour de nos officiers blessé, le drapeau qu il
placé sur le trône. est hors d’état de porter ; rassemblant
A ces traits le reconnoissez vous, Mes­ autour de lui ceux que sa presence ras­
sieurs? Ce ne sont pourtant encore que les sure , ou que le danger de sa personne
premiers essais de son courage. Ce nou­ attire; les exhortant, comme un autre
veau David croissant va paroi tre de jour Machabée, de ne pas flétrir par une fuite
en jour au-dessus de sa valeur même : honteuse, la gloire du nom français jus-
David proficiscens, et scmpcr se ipso ro­ ques-là accoutumé à vaincre, et de mourir
bustior. JL Reg. i<) plutôt que de devoir ta vie à une lâche re­
Vous ne l’avez pas oublié, Messieurs, traite ; courant porter au milieu (les enne­
et le souvenir de ces deux mémorables mis , avec l’étendard de la France, le signal
journées où le prince de Conta parut si de la victoire : au centre, a la droite, à la
grand , est encore trop récent et trop glo­ gauche, il est partout ou la victoire est
rieux à la France , à la mémoire du maré­ encore douteuse5 et la victoire se declaie
chal de Luxembourg , à l’histoire de ce E 6
lin»
DE M. ER PRINCE DE CONTY. IOQ
ÎO8 ORAISON FUNEBRE main du prince, il expire à ses pieds.Enfin,
r '■ dès qu’il paroît ; éclairant le maréchal de soldat, général, à mesure que le besoin
Luxembourg même., par la justesse de ses du service le demande, ses conseils com­
conseils et par la pénétration de ses vues; mencent la victoire, et sa valeur l’acheve. (
enfin, l’ame de ce grand général dans cette Je dis ses conseils, Messieuis; et le
'p' r fameuse journée , comme ce général le fut maréchal de Luxembourg n’en trouvoit
Î lui-même de toute l’armée. pas de plus justes et de plus solides ; le
Tel et encore plus grand paroi t-il peu prince de Conty doit son oracle»
de temps après à Nervinde. L’ennemi re­ Ce grand général en qui la nature avoit
tranché dans son camp, comme dans un formé un si beau génie pour la guerre ,
fort, mille foudres qui portent la mort si pénétrant dans ses vues, si prompt a
partout , en défendent 1 approche ; nos prendre son parti, si fécond en ressources.,
troupes déjà plusieurs fois repoussees , le si heureux dans ses entreprises , et qui
soldat découragé , le general accoulume.à avoit ajouté à la gloire des Montmorencis
une victoire prompte , étonné dé jà voir ses ancêtres , le bonheur qui sembloit
balancer si long-temps aujourd hui, couit avoir manqué à la plupart d entre eux ;
au prince de Conty : Grand prince, lui ce grand homme disoit tous les jours que
dit-il , tout va manquer, et il ny a que le prince de Conty lui apprenoit. son mé­
votre présence qui puisse faire tomber les tier. S’offroit-il des difficultés ? c’étoit avec
difficultés. Conty paroît; avec lui la con­ le prince qu’il cherchoit des expédiens.
fiance revient aux troupes; lavaleur.de Formoit-il des projets? c’étoit le prince ,
la nation reprend le dessus; on le suit : ou qui le rassuroit dans ses vues , ou qui
Î rien ne résiste , les retranchemens sont lui facilitoit l’exécution. Entreprenoit-il ?
forcés en plusieurs endroits; ils ouvrent c’étoit sur le prince qu’il se reposoit du
à Conty autant de voies à la victoire; succès. Enfin, le génie du prince de Conty
il charge jusqu’à six lois a la tète de six éloit comme le guide du génie de ce la­
corps différens. L’ennemi , qui n’a plus ineux général; .et l’ayant sous, ses ordres ,
de rempart que sa propre valeur, s’ébranle.. il se soumettoit, pour ainsi dire, lui-
Tout couvert de sang et de feu , Conty même à ses conseils. .
perce dans leurs rangs. La victoire qu’il Et de là, combien de lois lui avoit—on
tient déjà, un coup de sabre qu’il reçoit ouï dire, qu’il devoit au prince de Conty
sur la tète est sur le point de la lui ravir; le principal honneur de ses victoires. Par
et le téméraire qui porte le coup , est puni cet aveu il honoroit le pnnce, et il ne
à l’instant de son audace ; et percé de la

■a
de m. le prince de conte iii
IIO ORAISON FUNEBRE vation! quelle netteté! quelle intelligence
s’ôtoit pas à lui-même un honneur que dans ces mémoires qu’on a trouvés apres
ses grandes actions lui avoient acquis, sa mort, les fruits de son loisir et d’une
et que sa modestie lui assuroit. santé infirme, et où ce grand prince se
En dis-je trop, Messieurs, ou plutôt dis- délassoit souvent à mettre .par écrit, ses
je tout? Et que de traits chacun de vous vues sur les évènemens qui se passoient
n’ajoute-t-il pas à son éloge? tous les jours en Europe !
Quel homme jusqu’à lui, n’ayant pu Et dans ces révolutions , ou le bonheur
montrer, pour ainsi dire, que des espé­ a paru se déclarer quelquefois contre la
rances , a jamais eu à la guerre ce haut justice de nos armes ; et où par les conseils
degré de réputation , qu’une longue suite impénétrables de vos jugemens, ô mon
de connnandemens et de victoires avoient Dieu l la victoire jusques-là attachée a
enfin acquis aux Condé et aux Turenne; la sagesse et aux grandes destinées du.
s’est jamais assuré à ce point la confiance Roi, a semblé se refuser même à sa piété :
des troupes , le dévouement des officiers , dans ces révolutions, ou 1 amour du pi ince
l'affection des peuples, les suffrages de la de Conty, pour le Roi et pour lEtat, mon-
cour, le respect des princes, qui sem- troit en lui une douleur si noble et si
bloient oublier leur rang pour déférer à sincère , vous lui faisiez entrevoir de loin,
son mérite; l’admiration des plus grands ô mon Dieu! la fragilité des choses hu­
capitaines de son siècle, l’estime de nos maines : vous ménagiez à sa raison des
ennemis, les applaudissemens de toute réflexions qui dévoient être un jour înù
l’Europe, où son nom étoit aussi célèbre ries par la grâce : vous lui rapprochiez
que parmi nous ? Quelle supériorité de ce moment qui finira toutes les -vicissi­
mérite , pour forcer l’approbation publi­ tudes, qui égalera tous les hommes; ou
que, de donner à des espérances seules nos œuvres seront plus comptées que nos
ces louanges unanimes qu’elle ne donne succès , où les évènemens les plus glo­
pas toujours aux succès. rieux , rappelés à leurs motifs, ne seront
Aussi,Messieurs,ces espérancesétoient plus que de fausses vertus, ou de grands
fondées sur la supériorité de ses talens , crimes , et où l’on ne mettra au nombre
la sagesse , la grandeur des vues , l’émi­ de nos victoires , que celles que nous
nence des lumières. Ce fameux Romain aurons remportées sur nous—mêmes.
lui-même , dont les Commentaires ont im­ Tel étoit le prince de Conty : un des
mortalisé les exploits et la capacité, n’écri- premiers hommes de son siecle poui la
yoit pas mieux sur la guerre. Quelle élé-
112 ORÀISÔN FUNEBRE DE M. LE PRINCE DE CONTY. 113
guerre : Habebo claritatem ad turbas ?
peuple une gloire qui passera dage en
vous l’allez voir comme un des plus ac­
âge , il comprend tout leur éloge dans
complis dans la vie civile : Et honorem
ces deux traits : ils ont maintenu et em­
apud seniorcs, juvenis. Vous avez admiré belli au dehors, l’ordre et la beauté de
en lui le héros, admirez encore le sage.
la société, par la douceur de toutes les
vertus civiles : Pulchntudinis studium lia-
SECONDE PARTIE.
lentes-, ÇEccl.^.6.') et ils ont été au
Les grands hommes, qui ne doivent ce dedans comme les génies pacifique^ et
titre qu’à certaines actions d’éclat, n’ont tutélaires de leurs propres maisons : Pa­
quelquefois de grand, que le spectacle. cificantes in domibus suis.
Dans ces occasions rares, les yeux du
Oui, Messieurs, que le prince de Conty
ait été un grand homme de guerre; c’est
uhlic et la gloire du succès, prêtent à
F ame une force et une grandeur étran­
une gloire qu’il a partagée avec tant
d’hommes fameux , que la trance a eus
gère : l’orgueil emprunte les sentimens de
la vertu : l’homme se surmonte et ne se dans tous les siècles.
Mais une louange qui lui est propre,
montre pas tel qu’il est. c’est que la vie paisible et privée, 1 écueil
Combien de conquérans fameux dans
des réputations les plus brillantes, a laisse
l’histoire, à la tête des armées ou dans
voir en lui encore plus de vertus estima­
un jour d’action, paroissent au-dessus
bles : c’est qu’en le voyant tous les jouis,
des héros ; et dans le détail des mœurs nous l’avons toujours vu plus grand.
et de la société, à peine étoient-ils des Bon sujet, bon ami, vrai, affable, hu­
hommes ? main, modeste, sage ; et dans toutes les
C’est que dans les occasions d’éclat,
situations , toujours égal à lui-meme.
l’homme est comme sur le théâtre ; il Quel étoit son respect et son attache­
représente; mais dans le cours ordinaire ment pour le Roi! Combien de fois 1 avons-
des actions de la vie , il est, pour ainsi nous entendu déplorer le malheur de tant
dire , rendu à lui-même; c’est lui qu’on de princes qui avoient fait servir leur
■ voit; il quitte le personnage,et ne montre naissance à leur ambition; qui loin de
plus que sa personne. porter aux pieds du souverain , les vœux
Aussi , lorsque l’auteur sacré loue ces et les respects des peuples , portoient au
hommes illustres, qui ont été riches en milieu des peuples le mépris du respect
vertu, et qui se sont acquis parmi leur dû. au souverain ; loin d’être les liens du
DE M. DE DKINCE DE CONTY. Ïl5
Ïl4 ORAISON FUNEBRE
prince et des sujets, en éioient Z? mur de de sa vie , de tirer le rideau sur lautie.
séparation ; armoient contre leur patrie En cela, son inclination secondoit son
le nom qui depuis tant de siècles la pro­ devoir. Les vertus du roi 1 attachoient a
tège, et n’étoientles premiers sujets, que sa personne , autant que la royauté le
pour être les premiers rebelles. soumettoit à ses ordres. Il obeissoit, mais
Le prince de Conty disoit souvent , en aimant, en admirant, en etudiant un
que la naissance n’approche les princes modèle , plutôt qu’en se soumettant a un
de plus près du trône, que pour les lier maître. Et arrivé à la rade de Dantzick,
plus inséparablement au souverain; qu’il déjà près du trône, et sur le point dy
leur est plus glorieux d’obéir à leur pro­ monter , sa qualité de sujet lui est encoie
pre sang, que de commander à des étran­ dus chère que le titre de roi qu on doit
gers; que la désobéissance dans le com­ ui donner. Il met encore, avec son cœui ,
mun des sujets est un crime contre l’Etat, a couronne qu’il croit tenir aux pieds de
mais qu’elle est dans les princes un ou­ Louis ; Bien malheureux, lui écrit-il, que
trage qu’ils se font à eux—mêmes ; que l’éloignement m’empeehe d etre guidé put
les princes ne sont nés que pour le bon­ vos ordres, et éclairé par vos lumières. Son
heur de leur patrie; que l’Etat ayant tou­ étal de sujet peut changer ; ses sentimens
jours été l’héritage de leurs ancêtres, ils de respect et de soumission seront tou­
doivent en maintenir latranquillité comme jours les mêmes.
celle de leur propre famille ; et que les Et de là son attachement tendre et res-
premiers regards du trône tombant sur pectueuxpour Monseigneur : attachemen t
eux, ils doivent les premiers baisser les que l’enfance avoitvu naître, et qui avoit
yeux devant son éclat, et donner les pre­ toujours crû avec lui. Maigre 1 amitié et
miers exemples de soumission au reste la confiance dont ce grand prince 1 nono-
du peuple. roit ; malgré la familiarité lormee depuis
Tels étoient les sentimens du prince de le premier âge; maigre cette libeite lacile
Conty; telle sa conduite toujours égale, et aimable, qui fait les delices de sa coui,
jamais démentie. Toutes ses voies ont été quelles manières toujours pleines de res­
belles , et tous ses sentiers pacifiques : pect, et d’une noble attention, dans le
}'iæ ejus vice pulchrœ, et omnes semiiœ ejus prince de Conty ! On apprenoit en le
pacificœ. fProv. 3. 17.) Et nous n’avons voyant à respecter ses maîtres ; et son
pas besoin ici de recourir aux ménage-- rang ne paroissoit lui donner plus d’accès
ihens de l’art ; et en louant une parti®

*
fil ira

EBRE J)î M. LE PRINCE DE CONïY. Ilf


et de liberté, que pour montrer plus d’é­ Conty? Quel ami fut jamais plus tendre,
gards et plus de retenue aux autres. plus facile , plus fidèle , plus digne d’être
Autant il respectoit ses maîtres , au­ aimé ? l’amitié ne l’égaloit-elle pas à vous ?
tant exigeoit-il peu de contrainte et de Et la supériorité que lui donnoit le rang
respect de ses amis. Vous ne l’oubLerez et le mérite, l’aperceviez-vous que dans
jamais , vous qu’il honora autrefois de sa le soin aimable qu’il avoit de l’oublier ?
confiance : eh ! que ne pouvez-vous le Quelle douceur dans les mœurs ! quelle
dire ici à ma place! Mais tout ce que ce sûreté dans la tendresse ! quelle vérité
cher souvenir vous rappelle dans ce mo­ dans les sentimens ! quelle fidélité dans
ment ; mais les tristes regrets que je vous le secret ! quels charmes dans le com­
vois mêler ici à son éloge, et que le res­ merce ! que goût dans le choix de ses
pect du lieuavoit jusqu’ici suspendus, ne amis ! quel e attention à les conserver
le disent-ils pas assez? Et pourront-ils, jusqu’à la fin ! Et la mort même, la mort
sans m’interrompre, me permettre à moi- dans l’instant qu’elle vous l’a ravi , a-t-elle
même de le faire entendre ? pu vous ravir son cœur? n’avez7vous pas
N’étoit-il pas, cei homme aimable pour été les dépositaires de ses secrets et de ses
la société., dont parle l’Ecriture, et cet ami derniers soupirs? N’a-t-il pas versé dans
plus cher mille'fois qu’un frère ? (Prov. votre sein les derniers regrets de son ame ?
18. 24.) Sa confiance et son amitié n’ont-elles pas
Les princes connoissent peu d’ordinaire été plus fortes que la mort ? Et si votre dou­
le plaisir de l’amitié : leur élévation, ou leur vous permettoit ici d’être sensibles
les rend trop inaccessibles aux autres à quelque autre chose qu’à sa perte, ne
hommes, ou leur rend les autres hommes le seriez-vous pas à ce que la postérité
trop méprisables. Us confondent le res­ dira toujours de lui, comme de cethomme
pect qu’on doit au rang, avec l’amitié qui merveilleux dont parle l’Ecriture : Heu­
n’est due qu’à la personne : ils sont plus reux ceux qui vous ont vu, qui ont vécu
jaloux de s’attirer des hommages, que de avec vous, et que votre amitié a comblés
gagner des cœurs ; ou s’ils savent se faire d’honneur et de gloire ! Beati qui te aide-
aimer, ils n’aiment jamais beaucoup eux- runt , et in amicitiâ tua decorati sunt.
mêmes. (Eccl. 48. 1.)
Dans celte image, Messieurs, que trou- Mais il n’étoit pas de ceux qui, doux et
• verez-vous qui ressemble au prince de faciles avec un petit nombre d’amis , ne
montrent que l’orgueil du rang, ou les
be M. tî rniNcË de conty.
«RAISON FUNEBRE
ouï dire que dans ses voyages, lorsque la
bizarrîes de l’humeur, au reste des hoiïl* bienséance lui avoit pu permettre d’être
mes; qui, renfermant tout ce quils ont inconnu, il n’avoit pas trduvé de plaisir
d’estimable dans un commerce prive, plus doux que d’entendre parler les hom­
gardent leurs défauts pour le public. mes naturellement, et se montrer tels
5 L’affection des grands et du peuple qu’ils sont : plaisir assez inconnu aux
en répond ici pour moi. Les larmes de grands, qui ne voient jamais des hommes
ses amis sont confondues avec les ¡aimes que la surface, et qui n’en aiment souvent
publiques : et si le deuil, general n a pas que le faux.
laissé à leur amitié le triste plaisir de se Et ne vous représentez pas ici , Mes­
distinguer par la douleur de sa mort; sieurs , cet amour farouche et outré de la
elle leur a du moins laissé la consolation vérité qui, dégénère en humeur cinique,
de n’être pas les seuls à la pleuier. et qui est plutôt une haine bizarre des
En quel homme se sont jamais trouve hommes , que de leurs défauts.
rassemblées à un plus haut pornt, toutes Aussi affable que vrai , la vérité ne
les vertus qui nous lient aux autres montroit pas en lui cet abord austère et
hommes ? . . censeur, qui rend souvent le sage odieux,
Souverainement vrai, il n aimoit que sans rendre la sagesse aimable.
la vérité dans les autres : nul interet Vit-on jamais dans un rang si élevé, et
n’étoit jamais entré dans sa grande ame avec tant de supériorité de génie , tant
en concurrence avec la vérité : elle lui de bonté et d’affabilité ? Vous le savez ,
paroissoit le premier devoir de 1 homme, Messieurs; et vous vous le représentez
et le titre le plus glorieux du prince. I encore ici, vivant parmi nous, montrant
laissoit aux âmes vulgaires , les déguisé à tous cet air simple et noble de douceur,
mens et les finesses utiles , ou pour nous qui attiroit tous les cœurs après lui; ne
parer d’une gloire qui ne nous appartien retenant de son rang que ce qu’il en fallo.it
nas, ou pour cacher nos défauts véri­ pour rendre encore plus aimable l’affabi­
tables ; toutes ses paroles étoient di.cte.es lité qui l’en faisoit descendre ; et rassurant
par la vérité même : il ne trouvent de si fort ou le respect ou la timidité, par
beau dans les hommes que. la vente; il un attrait inséparable de sa personne,
ne cherchoit point ses amis, parmi ses qu’au sortir de son entretien , on goutoit
flatteurs : son rang même lui étoit sou­ toujours à-la-fois , et le plaisir d’être
vent à charge par les ménagemens qu on
s’imposoit devant lui; et on lui a souvent
Î20 ORAISON FUNEBRE DE W. LE PRINCE DE CONTY. 121
charmé de lui, el le plaisir de n’être pa$ pire la seule cruauté ? apprenant aux Alle­
mécontent de soi-même. mands à mêler la valeur, qui leur est
Par là, ih'làissoit à l’auguste éclat dé commune avec nous , à l’humanité qui
sa naissance , la dignité qui la fait res­ nous est propre.
pecter , et en ôtoit l’humeur et la fierté, De là, le lendemain du combat de
qui n’ajoutent rien à la grandeur, et qui Steinquerque, il vint sur le champ de
ôtent beaucoup aux grands. ? bataille , encore tout couvert de morts
Et ce n’éloit pas même en lui une dou­ et de mourans ; fait transporter tous les
ceur empruntée, où la politesse et les ma­ blessés , sans distinction de Français ou
nières ont plus de part que le sentiment; d’ennemis ; assure à une infinité de mal­
un simple usage plutôt qu’une vertu : heureux la vie ou le salut; et force les
c’étoit un fond d’humanité. ennemis mêmes de bénir , dans le héros
La valeur, l’élévation forment presque qui a su les vaincre, le libérateur qui les
toujours un caractère d’insensibilité; la sauve.
gloire des armes est toujours teinte de Et dès-lors, vous accordiez, Seigneur,
sang; et lorsque le rang laisse le reste des aux larmes de tant d’infortunés qu’il sau-
hommes si loin de nous , il est rare que voit, les grâces et les miséricordes qui lui
le cœur nous en rapproche. preparoient le salut à lui-même.
Un héros et un prince humain : voilà, En cela , Messieurs, ne croyez pas qu’il
Messieurs , ce que le prince de Conty cherchât des applaudissemens et des élo­
allioit ensemble. Il disoit souvent que, ges : il ne faisoit que se prêter aux aiou-
quand même la religion n’obligeroit pas vemens et à la bonté de son cœur.
de regarder les hommes comme nos frères, Jamais prince ne fut plus éloigné de
il suffit d’être né homme pour être touché l’ostentation et de la fausse gloire. Simple,
du malheur de ses semblables modeste , ennemi des louanges , attentif
Et de là, à la prise de Neuhausel , où à les mériter ; l’admiration de tous , tou­
la place emportée d’assaut, sembloit. au­ jours le même à ses propres yeux, igno­
toriser le carnage et la fureur du soldat, rant presque seul, comme Moyse , la gloire
combien de victimes innocentes arrache- et la lumière qui brillent autour de lui :
t-il d’entre les bras de la mort ? Combien nous l’avons vu donner à peine à son rang
arrête-t-il de ces actions barbares , que l’éclat extérieur que l’usage y attache;
ne demande plus la victoire, maisqu’ins- vivant parmi nous comme un citoyen;
accompagné de celte dignité toute seule
Oraisons funèbres. *F
DE M. LE-PRINCE DE CONTY. I2Î
122 ORAISON FUNÈBRE
Contraste, et qui sont plutôt des saillies-
qui suit partout les grands hommes î
que des vertus.
n’empruntant rien de l’appareil et du Toujours supérieur aux évènemens ,
dehors ; devant tout à lui—même ; plus
s’il n’avoit pas toujours la gloire du suc­
grand lorsqu’il paroit tout seul , que tant cès , il avoit du moins la gloire de. paroî-
d’autres ne le sont , enfles de tout le
tre toujours plus grand que sa fortune.
faste et de toute la pompe qui les envi­ Les couronnes manquées le laissent aussi
ronnent. tranquille que l’avoient trouvé les cou­
Sa modestie prenait sa source dans la
ronnes offertes. Content de n’avoir rien
modération naturelle de son ame. On l’a
à se reprocher sur les mesures que la
vu en garde contre lui-même, se refuser sagesse fournit, il ne croyoit pas devoir
aux goûts les plus innocensj a la cuiiosite
se reprocher les succès donc la Providence
même des peintures , où ses infirmités toute seule décide. Sur le point décisif
auraient pu trouver un délassement ; et même des plus grandes affaires, au milieu
aux instances que lui fait la-dessus.la
des agitations que l’esprit douteux de l’é­
princesse son épouse, toujours attentive
vènement, et les vues différentes qui s’of­
à soulager l’ennui de ses maux , que ic- frent, font naître dans l'ame, on auroit
pond-il ? Qucn se livrant à un goût on cru , à le voir, que tout étoit décidé ; et
s’accoutume à se livrer à tous les auties^ la tranquillité ne perd rien par l’incer­
et qu'il faut savoir, ou ne pas tout désirer^
titude des évènemens, toujours plus dif­
ou se passer souvent de ce qu on désire. ficile à soutenir que l’évènement même.
Ecoutez, vous à qui rien ne suffit, et Oui, Messieurs, ce caractère de raison
dont les goûts bizarres et fastueux ne sei- l’accompagnoit partout. Quelle habileté à
vent qu’à rappeler tous les jours la bas­
ménager les esprits ! quelle dextérité à se
sesse de votre naissance, l’injustice oe concilier les intérêts les plus contraires !
vos trésors , et les misères publiques qui quelle connoissanceprofondedeshommes !
en sont en même temps et le fruit et la quelles vues sur tout ce qui peut assurer
source ! . . le bonheur des peuples et des Etats ! quel
Et, caractère admirable , Messieurs . fonds de modération sur les points mêmes
dans toutes ses vertus, quelle égalité! où la vivacité paroit le plus à sa place !
Ses grandes qualités ne se bornoient quelle sagesse dans l’enjouement même de
pas, comme dans beaucoup d’autres, à la conversation la plus libre !
quelques actions louables, mais rares, Mais ne seroit-ce point ici de ces ima-
qui échappent du milieu d’une foule de
F 2
vices J qui perdent tout leur mérité par le
BE M. LE PRIKCE BE CONTY. 125

T24 ORAISON PUNEBRE Iudinis sludium habenles ; il ne leur res­


«es que l’orateur ne peint que d’après sembla pas moins par le second, qui les
lui-même; qui expriment ce que le héros avoit rendus comme les génies pacifiques
auroit dû être, mais qui ne représentent et tutélaires de leurs propres maisons :
point ce qu’il a été ; et plus propres a Pacificanles in domibus suis.
rappeler ses défauts, qu’à servir a son Bon mari, bon père, bon maître;
éloge ? ... mais que de plaies vais-je rouvrir a-la-
Vous m’interrompez ici, Messieurs, et fois ! Et la princesse désolée, qu’un lien,
ie sens que ma précaution vous offense. sacré lui avoit unie, que le cœur lui
Du milieu de cette assemblée auguste , unira toujours, ne sent-elle pas assez la
une voix publique , formée par l’amour violence du coup ? et faut-il rappeler toute
et par la douleur, s’élève contre moi, et sa douleur, en lui rappelant tout ce
me reproche des louanges trop au-dessous qu’elle a perdu ? Ainsi nous échappent ,
de mon sujet, tandis que je parois crain­ mon Dieu ! les objets les plus chers : ainsi
dre d’en donner d’excessives ? finissent les liaisons les plus tendies .
Et que manqueroit-il en effet à son ainsi tout ce qui nous promettait le plus
élo«e, s’il eût été alors aussi agréable de bonheur, se tourne en amertume, et
aux yeux de Dieu , qu’il éloit grand de­ hors l’espérance de la foi , ne nous laisse
vant les hommes ? plus qu’un cher souvenir , qui en parais­
Et quand je dis , devant les nommes , sant soulager notre douleur, en perpetue
Messieurs, ne pensez pas que se ména­ le deuil et la tristesse.
geant, comme tant d’autres, 1 estime du Le prince de Conty , Messieurs, pou-
public, par les dehors de la modération voit dire de lui, comme le roi David;
et de la sagesse, il vint se démentir Qu'il avoit eu en partage un bon cœur ;
dans l’enceinte des devoirs domestiques ; qu'il marchoit au milieu de sa maison dans
que lassé de soutenir en public le per­ la paix et l’innocence. ( Ps. 100. 2. 3. 4- )
sonnage de grand homme, il vint porter Quels égards pour la princesse son
parmi les siens le chagrin de la con­ épouse , dont la conduite et les vertus ont
trainte, et s’y délasser , par des vices, toujours honoré le rang ! Les plus petites
des apparences de la vertu ? attentions qui sembloient devoir échapper
S’il eut le premier caractère de ces à la supériorité de son génie, n’échap-
hommes illustres, loués dans les livres poient pas à la bonté de son cœur. Quelle
saints, qui avoient été chacun dans leur tendresse pour les princes ses enfans î
siècle l'ornement de la société : Pulchn- F 3
DE M. LE PRINCE DE CONTY. I2J
120' ©RAISON FUNEBRE leur orgueil, ou de leurs caprices. Le
Formant lu i-même dans leur cœur ces prince jde Conïy n’exerçoit son aujoide
premiers sentimens d’honneur et d’éléva­ que sur lui-même. Quel fonds de honte
tion si dignes de leur naissance; deve­ et de douceur envers les siens . n exi­
nant , pour ainsi dire, enfan t avec eux , geant presque rien pour lui ; ne comp­
pour leur apprendre à devenir un jour tant point leurs fautes , des qu’il en sout-
sages, grands , équitables, humains , mo­ froit tout seul; aimant mieux quelquefois
dérés, en un mot, tout ce qu’il étoit lui- souffrir de leur peu d’hahilete, que de
même. Vivant comme un homme privé au contrister leur tendresse ; jamais au
milieu de son auguste famille, respectant meur , jamais un de ces mornens de vi­
les liens de la religion et de la nature, vacité qui ait pu marquer que sa grande
les doux titres de père et de mari ; et ne ame étoit sortie de son assiette naturelle,
connoissant pas cet usage insensé , qui poussant même si loin la honte, que 1 a "
fait que la plupart des grands semblent fcclion toute seule des siens prevenoit 1 a-
être nés seuls sur la terre ; croient que hus qu’ils en auraient pu faire ; paraissant
tout ce qui renverse la première institu­ leur ami plutôt que leur maître; les quit­
tion de la nature, est un privilège de la tant de ces devoirs rigoureux qu on donne
grandeur ; et regardent tout ce qui lie, à l’usage bien plus qu’au besoin ; les re
comme un joug qui les déshonore. gardant commme les compagnons ue sa
Qu’il faut être né grand pour soutenir fortune , et non pas comme les fouets ou
jusques dans ces devoirs obscurs et do­ les ministres de ses humeurs ou de ses
mestiques , où l’homme se relâche tou­ passions ; et faisant voir, chose rare ! que
jours , et où l’humeur prend si aisément les grands peuvent trouver des anus meme
la place de la vertu, un caractère toujours parmi ceux qui les servent.
égal de grandeur et de sagesse ! Voilà cet homme sage , l’amour des
Vous me prévenez ici, maison affligée peuples, le modèle des princes, la joie
de ce prince , et je pourrais en attester des siens, l’admiration de tous. Achevez ,
votre douleur : Quel maître le fut jamais Seigneur, en lui votre ouvrage; couron­
moins, ou plutôt mérita mieux que lui nez vos dons ; ranimez ces vertus humai­
de l’être ? nes , ces os arides , par un souffle de vie ;
Les grands croient que tout est fait faites succéder à la beaute de ces feuilles
pour eux, et que les autres hommes ne stériles des fruits d’immortalité; condui­
sont nés que pour porter le poids , ou de sez ce jour de l’homme jusques au jour
Ï>E M. LÉ- PRINCE DE CONTY. 129
128 ORAISON FUNEBRE
mon texte , et fort opposés à ces deux
parfait de la grâce ; formez de tous ces écueils. ii-'
trésors de 1 Egypte, un tabernacle à votre Le bruit de sa science et de ses lumiè­
gloire ; ne perdez pas la sagesse du Sage; res lui attire , des extrémités de ta terre ,
mais donnez-lui la foi des humbles et des non pas une reine étrangère, mais les
petits. vœux d’un royaume entier. Les grands
Il fut donc un des hommes les plus et les puissans de Pologne , frappes des
accomplis dans la vie civile : Et honorent merveilles que la renommée répand de
apud seniores, juvenis. Ajoutons le der­ lui en tous lieux, lui offrent a 1 envi
nier trait. Il fut encore un des plus éclai­ une couronne qui a toujours ete le prix
res par la singularité des connoissanc.es de la valeur et du mérite : In conspectu
et la supériorité des lumières : Acutns in- potentium admirabilis ero.
veniar in judicio : in conspectu potentium Et à ce premier fruit de ces lumières,
admirabilis ero , et habebo immortalita- ajoutez-en un autre : c est ie gage de
tem-, non-seulement un héros et un sage , ta couronne d’immortalité par son letour
mais encore un esprit supérieur et uni­ à Dieu au lit de 1a mort : Et habebo
versel. immortalitatem.
Oui, Messieurs, quelle étendue de
T R 0 IS'l Ê ME PARTIE. connoissances dans le prince de Conty !
on eût dit qu’il étort de toutes soi tes
L a science et la lumière dans un de professions : guerre , belles-letties ,
prince , voilà presque toujours l’écueil de histoire , politique, jurisprudence, phy­
sa gloire ou de sa religion. sique , théologie même : il sembloit qu il
Selon le monde, elle l’engage d’ordi­ ne se fût appliqué qu’a chacune de ces
naire en des recherches vaines et frivoles, sciences , selon les differens hommes qu il
étrangères aux devoirs et à l’élévation de entretenoit; et en l’entendant., on se—
son état, qui peuvent éclairer l'homme , crioit encore, comme autrefois sur ce
mais qui n’instruisent pas le prince. prince le plus sage et le plus eclaue.de
Devant Dieu, elle l’enile, elle l’égare, l’Orient : « Quelle abondance de lumière
et n’éclaire souvent sa raison qu’aux dé­ » et d’érudition dans votre jeunesse ! La
pens de sa foi. » science et la sagesse coulent de votre
Or , admirez, Messieurs, dans les con- » bouche comme les eaux d’un fleuve ma-
noissances rares du prince de Conty , » jestueux : les lumières de votre ame
deux avantages marqués d’abord dans
nE M. LE TRINCE DE CONTY. IÛI
l3o ORAISON TUNOEE
ou de la débauche, ou d’une fausse science :
5) ont sondé tous les secrets de la terre; dans un siècle où l’impiété est. comme la
» et dans cette gloire pacifique , vous première preuve du bel—esprit: dans un
» avez été les délices des peuples , comme siècle où croire en Dieu est presque la
5) la gloire des armes vous en avoit rendu honte ou de la raison ou du courage: dans
» l’admiration et le soutien : » Quemad­ un siècle où, pour n’être pas confondu
modum eruditus es in juventute tua. ! et im­ avec le vulgaire, il faut se donner 1 af­
pletus es , quasi flumen, sapientia -, et ter­ freuse distinction de l’incrédulité : dans
ram retexit anima tua, et dilectus es in pa­ un siècle enfin , où tant d’hommes super­
ce tua. QEcli. 47. i5. 16'. 17.) ficiels blasphèment ce qu’ils ignorent ; se
Et dans ces lectures immenses, remar­ croient plus habiles à mesure quils sont
quez deux abus évités. Point de goût plus téméraires ; apprennent à douter de
pour ces livres frivoles, qui ne sont que la religion avant que de la connoître ;
le délassement de l’oisiveté, et qui cor­ s’érigent en docteurs de l’impiété avant
rompent le cœur sans instruire la raison. que d’avoir été les disciples de. la foi , et
Un grand goût pour les livres saints ; s’élèvent contre la science de Dieu sans
beaucoup de respect pour les vérités de la avoir même celle des hommes.
foi. z\u milieu de ces abus, la foi du prince
Bans le temps même, ô mon Dieu ! de Conty , si supérieur en lumières et en
qu’il ne goütoit pas encore combien vous connoissances, honore la vérité de la re­
êtes doux, il avouoit que vous êtes le ligion. Ce grand génie n’est plus qu’un
saint et le véritable : sa raison respectait humble Fidèle devant la majesté de celui
les bornes de la foi, tandis qu’il en ou- qui pèse les esprits, et qui regarde les
blioit les devoirs: sa bouche rendoit hom­ scrutateurs de ses secrets comme s'ils ric-
mage à la vérité de vos mystères , lors toient pas. (h. 40. 23.') Sa curiosité ne va
même que son cœur étoit encore loin de qu’à se convaincre que la raison ne sauroit
vous ; il ne trouvoitdans ses grandes lu­ aller à tout ; que l’homme ne connoît des
mières que les motifs de sa soumission : voies de Dieu que ce que Dieu en a voulu
et s’il n’aimoii pas encore la vérité qui révéler à l’homme; que le point fixe de
délivre, du moins il avoit toujours offert nos lumières , c’est la foi ; qu’on retrouve ,
un respect religieux à la vérité qui sou­ en secouant le joug, les memes abîmes et
met et qui captive. les mêmes incertitudes que dans la sou­
Dois-je le dire ici, Messieurs ? dans un mission; que les dogmes de l’impiété n’ont
siècle où la religion est devenue le jouet,
î32 oraison FUNEBRÈ DE ÎK. DE PRINCE DE CONTY. l33
rien de plus clair et de plus intelligible prince sage et modéré ; à une nation zé­
que les mystères de la religion ; et qu'en lée pour la foi, un prince éclairé et reli­
refusant de croire, on perd la foi, sans gieux , qui sût en même temps respecter
que la raison y gagne et s’éclaircisse, sa foi et la défendre; à une nation qui se
Sentimens dont ce grand prince ne s’est donne elle-même ses rois, un prince, que
jamais départi. l’estime générale eût appelé à la royauté,
Mais à tant de valeur, tant de sagesse, que l’amour eût fait régner, et qui eût re­
tant de religion , tant de lumières, que gardé ses sujets comme ses bienfaiteurs ;
manquoit—il, Messieurs, qu’une couronne? enfin, à une nation presque toujours divi­
Content du rang que lui donnoit sa nais­ sée par des factions domestiques, un prince
sance, le prince DE Conty ne l’avoit ja­ d’un génie supérieur, habile dans l’art de
mais desiree. La gloire de tenir par le connoitre les hommes et de les gouverner;
sang au premier trône du monde ; le zèle qui sût ménager les esprits, concilier les
qui le lioit au roi encore plus que Je sang; intérêts , et réunir à la défense de. la pa­
le plaisir de vivre sous ses yeux et d’obéir trie , les passions elles-mêmes qui la dé­
à ses ordres; c’est là que, fixé par son chirent.
cœur, il avoit toujours borné son ambi­ Peuple heureux! si Dieu, qui dispose
tion : et comme cette princesse dans l’E­ des rois et des royaumes , ne l’eût refusé
criture , qui préféroit à la royauté la con­ dans sa colère à tes premiers vœux; ou
dition des-serviteurs de Salomon , iltrou- plutôt, si toi-même, tu n’eusses conjuré
voit encore plus glorieux d’être des pre­ contre ton propre bonheur, tes jours cou-
miers sujets de Louis , que roi d une na­ leroient dans la paix, dans l’abondance et
tion étrangère : Beati servi lui, qui stant dans la gloire : tes lois seroient encore ta
coràm le semper. {111. Rcg. io. 8.) force et ton soutien : sur tes autels ne s’of-
Mais enfin , la Pologne l’envie à la friroient que des sacrifices de joie et d’ac­
France. Son trône vacant par la mort d’un tions de grâces: les malheurs des règnes
roi qui avoit été la terreur des Infidèles , précédens seroient oubliés: tes nouvelles
redemande un prince du sang de nos rois. conquêtes iroient encore plus loin que tes
La grande réputation du prince de Conty pertes passées, et ta valeur ne seroit re­
est la seule intrigue qui lui gagne d’abord doutable qu’à tes voisins.
tous les suffrages. Mais une faction ennemie des lois, de
Il falloit à une nation guerrière , un la religion et de la liberté , s’élève : des
prince belliqueux;à une nation libre, un suffrages séditieux traversent une élection

i
l34 ORAISON FUNÈBRE DE M. LE PRINCE DE CONTY. l35
légitime ; les droits les plus sacrés sont Ses autels sont renversés ; ses prêtres
violés; les lois cèdent à la force ; un vil arrachés du sanctuaire, et menés en ser­
intérêt prévaut sur la gloire de la na­ vitude; ses vierges déshonorées; ses prin­
tion , sur le bonheur de la patrie, et ces , comme des brebis timides, marchent
sur les intérêts mêmes de la foi. Un sans force et sans valeur, devant celui qui
nouveau Jéroboam divise les tribus , les poursuit ( Thrcn. i. 6.) ; ses campa­
s’assied sur un trône usurpé : et sous les gnes inondées de sang, refusent la nour­
apparences du culte saint, il porte au mi­ riture à son peuple, au-dehors le glaive,
lieu de l’héritage du Seigneur, un culte la mort au dedans, (Ibid. te. 20.) Le Sei­
profane. gneur qui les frappe ne se lasse point : il
Le roi que Dieu avoit choisi , est re­ répand d’une main une coupe de venin
jeté : il ne fait que le montrer dans et de mortalité, et tient élevé de l’autre
son indignation à la Pologne : il en re­ le glaive de la guerre et de la vengeance :
tire avec lui sa protection et ses misé­ tous les fléaux de sa colère tombent à-la-
ricordes ; et le même malheur qui l’é­ fois sur cette terr« infortunée: toutes ses
loigne de cette terre ingrate , est pour voies pleurent et ne sont plus qu’une
elle le signal et la source de tous ses mal­ triste solitude; et au milieu de tant de
heurs. calamités, la fureur de ses citoyens n’est
Quel spectacle de désolation et d’hor­ pas encore assouvie. La main qui les frappe
reur offre-t-elle à toute l’Europe ! L’es­ et qui les terrasse, ne les désarme point :
prit de discorde et de fureur souffle la ils achèvent de venger sur eux-mêmes la
guerre et la dissention parmi les citoyens: justice de Dieu ; la ruine de la patrie ne
la valeur de sa nation se tourne contre peut être la fin de leurs dissentions et de
elle-même ; l’idole qu’elle avoit élevée sur leurs querelles ; et accablés de tant de per­
le trône en est renversée : sa couronne de­ tes , ils veulent encore périr de leurs pro­
vient le jouet des peuples et des rois : ses pres mains.
villes,la proie de ses alliés et de ses enne­ Grand Dieu! frappez-vous donc pour
mis. Elle donne la main aux Assyriens perdre, et non pas pour corriger Ne
(jérém. Orat. tr. 6.): le Moscovite appelé vous souviendrez-vous pas d’Ahraham et
court venger, sur ceux mêmes qui l’ap­ de Jacob ? N’oublierez-vous pas enfin les
pellent, ses anciennes pertes: un peuple péchés des en fans, en faveur de la piété
qu’elle avoit toujours regardé comme son de leurs pères ? Les Hedvvige et les Ca­
esclave, devient son tyran (Ibid. te. 8.). simir, tant de saints rois qui ont porté.
s /

l36 ORAISON FUNÈBRE .


DE M. I.E PRINCE DE CONTY. l3?
cette couronne, et qui ont vengé la règle l’usage; si vous connoitre et vous ai­
gloire de votre nom , ne feront-ils pas
mer, ô mon Dieu ! ne donne le prix à
tomber de vos mains le glaive de la ven­
tout le reste.
geance ? Avez-vous mis devant vous jus- Nous touchons enfin au moment où le
qucs à la fin un nuage d’indignation , prince de Conty goûta ces grandes véri­
afin que les prières et les gémisscmens de tés. Moment heureux pour lui ! terrible
cette Eglise désolée, ne montent pas jusqu’à pour la France qui le pleure; pour les
votre trône {Thren. 3. 44-J >' et ses mal­ siens qui semblent le rappeler par leurs
heurs ne vous toucheront-ils pas encore cris du fond de ce tombeau ; pour une
plus que ses crimes ?
princesse désolée, qui le redemande; pour
Vous, peuple, et considérez les maux ses amis , qui le perdent, fsi on doit
que le Seigneur a faits parmi vous. Vous compter pour perdu celui que Dieu a
avez rejeté son roi et son Christ; {Ps. 88. sauvé J. Ft que me reste-t-il ici, après
3g.) vous avez éloigné ce,lui que vous que ses talens glorieux l’ont conduit pres­
aviez appelé ; et le Seigneur vous a re­ que sur le trône, que de vous montrer l’u­
jeté , et vos rois sont devenus en même sage qu’il en a fait pour le ciel ?
temps, et votre punition et votre crime. De longues infirmités lui inontroient de
Mais quoi , Messieurs ? les jugemens loin le jour du Seigneur, et nous prépa—
de Dieu se déclarent. U ne vouloit don­ roient à sa perte. Mais les ressources de
ner au prince de Conty que la gloire l’âge, le succès des remèdes, ou plutôt nos
de la royauté, et d’une couronne terres­ désirs, rassuroient nos frayeurs. Vaines
tre, et le préparer à une couronne im­ -espérances des hommes! les inomens de
mortelle. Dieu ne sont jamais les nôtres : le coup
Car enfin : Ç>ue le héros, dit le pro­ est frappé ; la mort que nous croyions
phète , ne se glorifie pas de sa valeur ; que encore loin , paroit à la porte , et la
le sage ne mette pas une vaine confiance lumière d’Israël est sur le point de s’é­
dans sa sagesse ; que celui qui est riche en teindre.
esprit et en connoissance , ne s’élève pas des Quelle consternation répandue dans le
richesses de sa science et de sa lumière. public avec cette triste nouvelle! Per­
{Jcrem. g. 23.) Talens éclatans que Dieu sonne ne s’en fie au bruit commun: on
donne , et qui presque toujours éloignent veut voir de ses yeux et entendre de ses
de .Dieu ; sources de perdition, si Dieu oreilles ; tout vient en foule s’en ins­
qui en est l’auteur, n’en est la lin et n’en truire, et tout le publie par sa douleur;
ï38 ORAISON-FUNEBRE de m. le prince de conty. i3q
le peuple lui-même, qui d’ordinaire ne mort? Qu’une lâcheté de désespoir, qui,
sent que ses propres perles, est sensible à n’ayant pas la force de porter la crainte
celle qui nous menace. Que d’offrandes de vos jugemens , trouve plus aisé de
portées aux pieds des aulels, pour de­ les mépriser ; et n’osant esperer le sa­
mander le retour d’une santé si précieuse! lut, se fait un honneur affreux de se
Chacun croit aller donner en secret cette perdre ?
pieuse consolation à sa douleur; et il Le prince de Conty laisse paroitre,
trouve dans le temple ses larmes et ses comme le roi Ezécbias, quand on vient
oblations , mêlées avec les larmes et les lui annoncer de la part de Dieu, Vous
oblations publiques. mourrez, ces sentimens de trouble et de
Vous parûtes , grand Dieu ! vous lais­ crainte , que tout homme doit à la na­
ser fléchir à nos vœux. La mort s’éloi­ ture et à la vérité , et tout Chrétien , a
gna; nos craintes se changèrent en es­ la foi des jugemens à venir. Il ne veut
pérances. Mai's vos ordres ne changent ni imposer aux autres, ni s en impo­
point : cette lueur passagère qui nous ser à soi — meme , ni se prêter une
montroit la vie , tourne tout d’un coup fausse vertu, ni se déguiser ses propres
vers le tombeau : vos desseins éternels misères.
s’accomplissent , et le coup suspendu Mais attendez. La foi opère la crainte;
ne trompe notre espoir, que pour nous et la crainte opère 1 amour, la résignation
faire encore mieux sentir la douleur de sa et le salut. Dieu prend la place de l’homme
perte. dans son cœur; et quon est grand quand
Qu’attendez-vous ici, Messieurs, de ce on l’est avec Dieu ! . , ,,,
héros, de ce sage , de ce grand esprit ? Dès ce moment, son œil fixe dans 1 e-
Une pénitence où se trouvent tous ces ca­ ternité ne la perd pas de vue. Le monde
ractères; constante, sage, éclairée: les s’évanouit. Ce monde, qui aux yeux des
mêmes voies qui l’avoient conduit à la passions est tout, n est plus rien aux yeux
gloire, le conduisent au salut. de la foi. Nul regret à la vie, hors l’usage
Il est vrai, ce héros ne regarde pas la peu chrétien qu’il en a pu faire: nul re­
mort d’un œil fier et tranquille. Car, ô tour vers l’Egypte, hors le souvenir des
mon Dieu ! le vase de terre peut-il encore miséricordes du Seigneur qui l’ont dé­
s’enorgueillir sous la main toute puissante livré de son joug. Environné de ministres
qui va tomber sur lui et le briser ? Et saints, il marche comme le tabernacle
qu’est-ce que l’intrépidité de l’homme à la d’Israël, d’un pas majestueux vers la terre
14° ORAISON FUNEBRE DE M. LE TRINCE DE CONTY. l4*
de promesse; et la manne sacrée et le pain les secours de l’immortalité et les sour­
des Anges qu’il a reçu (mais avec quelle ces d’une vie meilleure. Le sang de l’A­
élévation de foi ! quelle tendresse de gneau , qui coule par ces canaux sacrés ,
piété!) il le porte au-dedans de lui, et loin de l’effrayer, fait sa plus ferme espé­
y trouve toute sa consolation et toule sa rance : il plonge avec une foi vive, les
force. plaies de son cœur dans ce bain vivifiant.
Au milieu des douleurs les plus ai­ Vous le laverez, Seigneur : Et vous re­
guës , le corps exténué, et qui dépérit à nouvellerez sa jeunesse comme celle de l’aigle.
chaque instant par la violence des maux {Ps. 102. 5.).
et des remèdes , il refuse même à ses Les devoirs de la piété remplis, il n’ou­
souffrances ces plaintes innocentes qui blie pas ceux de l’amitié , de la reconnois-
semblent les soulager. Et ce n’est pas ici sance et de la nature, il donne à ses amis
une constance de philosophe, une osten­ les dernières marques de sa confiance et
tation , plutôt qu’une vertu : il ne donne de sa tendresse : il parle en père à ses do­
rien aux spectateurs, vous l’avez vu, tout mestiques qu’il a toujours aimés comme
est pour Dieu; toujours dans le vrai ; ef­ ses enfans: il charge un prince pieux et
frayé quand il faut; constant quand Dieu illustre , de porter aux pieds du roi ,
le demande: c’est la force de la foi ; c’est les sentimens de respect , d’attache­
la patience des Saints ; c’est l’humiliation ment , de fidélité dans lesquels il a tou­
de la pénitence. Et c’est ainsi , ô mon jours vécu : enfin, le prince son fils est
Dieu, que ceux qui espèrent en vous, appelé.
changent de valeur et de force: Qui spe­ « Mon fils, lui dit-il, je voudroisvous
rant in Domino, mutabuntfortitudinem. (Is. » avoir donné de meilleurs exemples; et
4°. i.) s? j’espère que si Dieu m’avoit conservé la
Voilà le héros que forme la grâce: voici » vie , je vous en aurois donné. Souve—
le sage. Il appelle, au secours de sa foi— » nez-vous toujours qu’il faut servir
blesse, la dernière force du Chrétien; la » Dieu, lui être fidèle et au Roi ; et vi-
grâce de l’onction sainte. On n’a pas be­ » vre en honnête homme et en bon
soin de ces timides ménagemens qui sem­ » Chrétien, pour attirer les bénédictions
blent ne proposer au mourant les remèdes » du ciel. 33
de la foi, que comme le désespoir de ses Puissent ces dernières instructions ne
maux ; et de peur de lui rapprocher les s’effacer jamais de votre cœur, prince, la
horreurs de la mort. n’osent lui montrer seule espérance de votre auguste nom ! et
I42 ORAISON FUNÈBRE BE NT. LE PRINCE DE C0NTY. 14^
former en vous avec les qualités héroïques de, poussé par l’amour extrême dont il nous
d’un père dont la vie a illustré noire siècle, a aimés lorsque nous étions morts par nos
les sentimens et les vertus qui ont sancti­ péchés, nous a rendu la oie en Jésus-Christ,
fié sa mort ! ressuscités avec lui, etfait asseoir dans le
.Enfin tous les soins, toutes les créatures Ciel : (Eph. 2. 4- 5. 6. ) sa bouche mou­
s’éloignent : il demeure seul avec Dieu.Et rante peut à peine suffire au transport de
c’est ici où toutes les lumières se réunis­ sa foi et de sa religion : Eoilà, s’écrie-t-
sent; où sa grande ame se dégage de plus il , lefondement de toutes nos espérances !
en plus des sens; où la majesté de Dieu , Un moment après, profondément tou­
qui est proche et qui paroît , l’éclaire , ché de l’oubli de Dieu , dans lequel vivent
la remplit , l’élève au-dessus d’elle- presque tous les hommes, et se tournant
même. vers le ministre sacré : « Si l’on pouvoit
La voie des Justes est comme une lumière » comprendre, ajoute-t-il,l’état où l’on se
qui va toujours croissant jusqu'au jour par­ » trouve dans ces derniers momens, on
fait de l'éternité. (Prov. 4. 19.) Ce n’est » verroit bien qu’il n’y a de ressource pour
plus la foi qui souffre avec résignation; » l’homme que dans la religion. »
c’est l’amour qui aime à souffrir. « Sei­ A ces mots , la langue se refuse à la foi
ne ur, » dit-il sans cesse au milieu de ses qui l’anime ! les forces manquent, la pa­
douleurs, « appesantissez votre main , re- role cesse ; mais son cœur parle toujours
» doublez vos coups, brisez-moi, brûlez, a Dieu ; mais son ame plus pure et plus
» coupez, détruisez ce corps de péché ; je libre , à mesure que le corps terrestre qui
» le livre à votre justice ; réservez vos l’appesantit se dissoud, l’invoque, l’ap­
» miséricordes pour mon ame : perdez- pelle, le supplie, l’adore , le loue, le pos­
» moi dans le temps, et me sauvez dans sédé déjà , et ne meurt que pour aller vi­
» l’éternité. » vre éternellement avec lui. Grand Dieu !
Ce n’est plus la terreur des jugemens de sera-t-elle frustrée de son désir ? Vous re­
Dieu, qui le saisit et qui le trouble ; c’est fuserez-vous à la brebis qui revient, vous
l’excès de sa charité pour les hommes, qui courez après celle qui s’égare? Tant
qui le calme et qui le console. Et lorsque de dons et de lumières, dont vous aviez
le ministre sage et éclairé , qui étudie les orné cette grande ame , n’iront - elles pas
opérations de la grâce dans son ame , lui se réunir à leur source ? Tant de larmes
renouvelle ce sentiment par les paroles de versées sur ces chères cendres, n’achève­
l’Apôtre : Dieu qui est riche en miséricor- ront-elles pas de les purifier? Les gémis-
144 ORAISON PUNEBRE DE M. LE PRINCE DE CONTY. 14^
semens de sa foi et de sa pénitence, se­ -actions sur le marbre et sur l’airain: Les
ront-ils montés en vain devant votre Trô­ noms de ceux qui vous oublient, b mon
ne ? Le sang de l’Agneau qui crie vers Dieu ! ne sont écrits que sur la poussière :
vous, et qui coule sur l’autel par les mains un souffle léger va les effacer : Receden­
d’un pontife fidèle ( i ), ne se fera-t-il pas tes à te in terra scribentur. ( Jérém. 17. 12.)
entendre? ne vous solliciterez - vous pas L’immortalité n’est que pour le Juste :
vous-même en sa faveur? Vous le sauve­ les noms seuls écrits dans le livre de vie,
rez, grand Dieu ! vos promesses s’accom­ ne périront pas. Tout ce qui ne tient qu’au
pliront, et son espérance ne sera pas con­ monde passera avec le monde : vous seul,
fondue. ô mon Dieu ! demeurerez toujours. Heu­
Ecoutez , grands, et instruisez - vous. reux donc l’homme qui ne s’attache qu’à
Tout ce que le monde a le plus admiré , vous seul ; qui n’aime que ce qu’il doit
les victoires , les talens , le nom, la sa­ toujours aimer; qui ne veut jouir que de
gesse , les lumières ; qu’on le trouve vain ce qu’il peut toujours posséder; qui ne
et frivole au lit de la mort ! que la vie la s’appuie que sur ce qui ne peut manquer ;
plus glorieuse devant les hommes, la plus çwz n'a pas reçu son ame en vain (Ps. 23.
remplie de grands évènemens, paroit alors 4-) ; qui ne vit pas au hasard , et qui, des
vide sans Dieu, et digne d’un éternel ou­ jours de sa vie mortelle , se forme insen­
bli ! qu’on découvre ae folie dans la sa­ siblement le jour de l’éterriité.
gesse qui ne nous a pas conduits au salut !
qu’on méprise les lumières et les connois- Ainsi soit-il.
sances qui n’ont pas donné la science des
Saints ! Dieu paroit tout alors, et l’homme
sans Dieu ne paroit plus rien : il ne tient
è l’éternité que par lui, par la foi, par la
grâce. Le rang , les conquêtes, la répu­
tation, les talens, les titres ne lient qu’au
temps, à un nuage qui se dissipe , au
fleuve qui court rapidement se perdre
dans l’abîme éternel. Son nom peut pas­
ser dans les histoires ; on peut graver ses
(i) M. de la Berchère, archevêque de Narbonne.
actions Oraisons funèbres. * G
ORAISON EUNÉBRE, etC. l4ÿ
dans sa vie privée nous iaisoit par avance
l’histoire de son règne.
ORAISON Mais , ô mon Dieu ! vous nous l’aviez
donné, et vous nous l’avez ôté : vous l’a­
FUNÈBRE viez accordé à nos vœux; vous le refusez à
nos crimes : vous l’aviez formé pour le
DE MONSEIGNEUR. bonheur de la France, vous le retirez pour
nous punir. Vous emportez, comme un tour­
billon , ce qui nous étoit si citer : sa vie a-
LOUIS, DAUPHIN; passé comme un nuage ( Job 3o. i5. ) ; et
sa mort confond nos jugemens, renverse
PRONONCEE dans la sainte-chapelle de nos espérances; mais changera-t-elle no­
PARIS. tre cœur ?
Quels fléaux réservés dans les trésors
de sa colère , pour instruire et châtier les
hommes, Dieu peut-il donc encore faire
Erunt accepta opera mea......... et ero dignus sedium tomber sur son peuple ? Nous attendions
patris mei. la paix ( Jérém. 14. 19. ) : le roi sacri-
fioit sa gloire, ses intérêts, sa tendresse
Je plairai à votre peuple par la douceur de ma con­
à nos désirs ; il étoit pacifique avec ceux
duite , eije serai digne du trône de mon père. Sap. 9. 12.
qui hdissoient la paix Ç Ps. 119. 7. ) : elle
s’éloigne encore de nous; et voilà, encore
la fureur et la guerre. Nos champs ont
A^insi jugeoient les grands et le peuple . gémi dans une longue stérilité : la mala­
ainsi espéroient-ils de très-haut , très- die et la mort ont répandu le deuil dans
puissant ET TRÈS - EXCELLENT PRINCE , nos villes : nous avons vu tomber les cè­
monseigneur, Louis, Dauphin Nos ,u- dres mêmes du Liban. Trois princes du
cemens étoient justes : ce n etoit ni 1 in­ sang royal (1) , dans l’intervalle presque
térêt ni l’adulation, ni la crainte; cest d’une année, ont été enlevés à la France,
l’amour qui les avoit formés. Nos espé­ qui les pleure encore; à leurs augustes
rances étoient bien fondées : le présent enfans, à leurs épouses désolées ; et en
nous répondoit de l’avenir ; et tout ce que
nous avions vu d’humain et de bienfaisant {1 ) M. le Prince, M. le prince de Conty, M. le Duc.
G 2
CE M. UE DAUPHIN. ï 49
148 ORAISON FUNEBRE Viendrons-nous toujours dans ces pom­
rendant les devoirs lugubres et religieux pes lugubres , avec le langage de la dou­
à leur mémoire , nous vous avons annon­ leur , n’attendre , comme ces enfans de
cé les jugemens du Seigneur et la vanité l’Evangile, de ceux qui nous écoutent,
des choses humaines. Enfin , le fils et l’hé­ que des larmes qui ne sont qu’un jeu et
ritier lui-même vient d’être frappé. Les un amusement puéril ? Tournerons-nous
châtimens de Dieu vont en augmentant en spectacle nos propres malheurs? Et la
comme nos crimes. Mes Frères, quand ar­ leçon la plus terrible de la foi, ne sera-t-
rêterons - nous donc son bras levé sur elle jamais pour nous qu’une vaine cere­
nous ? . . . monie ?
Le peuple infidèle s’enorgueillit au mi­ A la vue de ce tombeau, où toute la
lieu de ses succès ( i ) : il chante des grandeur humaine est devenue cendre et
■chants de joie et de victoire : et la î rance, poussière, nos jugemens et nos espérances
la portion la plus pure de l’Eglise, la ré­ sur les choses d’ici-bas , sont-elles encore
gion de la vérité et de la lumière ; une les mêmes ?
nation choisie , et dont le roi, selon le La mort nous enlève un prince doux et
cœur de Dieu, a ôté tous les hauts lieux bienfaisant ; nous le jugions digne du
et tous les autels étrangers; la France trône des rois ses ancêtres ; nous en es­
gémit, son prince lui est enlevé, et Je Sei­ périons des jours tranquilles et fortunés :
gneur semble avoir oublie ses anciennes voilà le sujet de nos larmes. La mort con­
miséricordes. fond nos jugemens, nos espérances, et ne
Qu’avons-nous donc fait? et comment change point notre cœur : voilà le sujet de
cette désolation est-elle arrivée en Israël ? nos instructions.
Nous avons abandonné le Seigneur, et il Rendons-nous utile notre douleur : mê­
nous a affligés. Nous ne sommes pas re­ lons les réflexions de la foi avec les larmes
tournés à lui dans notre affliction , et le de la nature et de la tendresse ; et en of­
prince a été ôté du milieu du peuple. Dieu frant les prières de l’Eglise, et le sacri­
-nous frappera-t-il donc toujours en vain ? fice d’expiation, pour ces cendres chères
Ses coups portent à faux, si en nous af­ et augustes, détrompons-nous de l’erreur
fligeant, ils ne nous corrigent pas. Et que de nos jugemens et de la vanité de nos es­
nous prépare-t-il, si ce dernier malheur pérances ; c’est-à-dire, jugeons enfin que
est encore pour nous une leçon inutile ? tout ce qui passe n’est rien, et ne trouvons
G 3
( i ) Bataille de Hoclistet.
P'
DE M. LE DAUPHIN. IOÏ
î5o OKAISON FUNEBRE pleurons. Une naissance qui efface l’éclat
digne de notre espérance que ce qui ne de toutes les généalogies de l’Univers : un
passe point. nom au - dessus de tous les autres noms .
un sang qui prend sa première source dans
PREMIÈRE PARTIE. le trône, et qui coule sans întenuption
depuis tant de siècles, et par tant de sou­
Les hommes parlent tous les jours sur verains : une maison auguste, qui a vu
le néant des choses humaines , le langage naître toutes les autres ; qui a donne nais­
de la foi et de la vérité ; et ils n’en suivent sance à’ nos histoires ; qui compte parmi
pas moins les voies de la vanité et du men­ ses titres domestiques tous les monumens
songe. Nous disons sans cesse que le monde qui nous restent des règnes les plus éloi­
n’est rien; et nous ne vivons que pour le gnés ; et qui seule demeurée depuis le
monde. Sages seulement dans les discours, commencement, au mi lieu dudebusde tant
insensés dans les œuvres ; philosophes dans de maisons souveraines qui ont péri, sem­
l’inutilité des conversations peuple dans ble être , comme celle de Noé, la seule
tout le cours de notre conduite ; toujours dépositaire de toute la gloire des siècles
éîoquens à décrier le monde, toujours plus passés, et de la première alliance que le
vifs à l’aimer. Nous fléchissons le genou , Seigneur lit avec nos pères : 'lestamenta
avec la multitude, devant l’idole que nous sœculi posila sunt apud ilium. ( i^ccli. 44*
venions de fouler aux pieds ; et a nos mé­
pris succèdent bientôt de nouveaux hom­ %’el étoit Louis, Dauphin; l’enfant de
mages. tant de rois, l’héritier de la gloire de tant
Ce qui paroît grand aux yeux du mon­ de siècles; ajoutez encore lehlsde Louis-
de, est toujours grand pour nous : ce qu’il le-Grand.
appelle bonheur, est ia seule félicité où Les Pyrénées venoient de voir finir,
notre cœur aspire : ce qu’il vante , est la par un traité glorieux, une guerre encore
seule gloire qui nous touche. Ouvrons en­ plus glorieuse à la nation ; les montagnes
fin les yeux ; et que cette cérémonie de avoient reçu la paix pour le peuple. ( Ps.
religion’et de tristesse confonde la vanité 71. 3. )
de nos jugemens, etnous rappelle de l’er­ L’Espagne se consoloit de ses pertes,
reur des sens aux lumières de la foi. en donnant à Louis une princesse pieuse
Tout ce que le inonde a de plus grand qui venoit partager avec lui son trône et
paroissoi t rassemblé dans le prince que nous ses victoires. La France sortie des trou—
G 4
DE M. LIS DAUPHIN. 153
Ïb2 ORAISON FUNÈBRE
blés inséparables d’une longue minorité, mettre aux pieds de son berceau royal des
voyoit croître, avec le roi, ses espérances trophées et des dépouilles : les merveilles
et sa gloire. Nos troupes aguerries par nos se multiplient, l’abondance embellit le de­
propres dissentions ; de grands généraux dans du royaume, tandis que la valeur en
formés , et en combattant même contre la recule les frontières : la pompe des mai­
patrie, devenus des chefs consommés pour sons royales répond à la grandeur du roi :
la défendre : les finances rétablies par les de superbes édifices sortent en un ins­
soins d’un ministre habile, la licence chan­ tant , comme par enchantement , du sein
gée en règle; les anciennes maximes pres- de la terre : l’ouvrage de plusieurs siècles
qu’oubliées , rappelées à leur premier es­ devient l’ouvrage de quelques mois : la
prit; les arts déchus dans la foiblesse du stérilité des lieux se tourne en ornement :
gouvernement, reprenant avec lui leur et le roi de retour de ses campagnes ,
éclat, et leur vigueur; les lettres que nos après avoir vaincu ses ennemis , vient se
troubles et nos malheurs avoient comme délasser chez lui à vaincre encore la na­
bannies, rétablies en honneur pour pu­ ture. Ce sont les bienfaits de Dieu que
blier nos victoires ; ces hommes uniques, nous rappelons; et si nous les eussions
dont les ouvrages seront de tous les temps, toujours regardés comme tels, peut-être
et qui jusqueslà n’avoient paru que suc­ en jouirions-nous encore.
cessivement de siècle en siècle, ou de rè­ Cependant sorloit de l’enfance l’héritier
gne en règne parmi nous, devenus com­ de tant de grandeur : un naturel heureux
muns, et se pressant, pour ainsi dire , cominençoit à se montrer ; les qualités
de naître tous à-la-fois sous un règne déjà héroïques du roi, la piété de la reine,
si glorieux; l’Etat, comme le roi, dans formoient déjà ce mélange de douceur et
une jeunesse vive et florissante. de majesté , qui fit toujours son carac­
Au milieu de tant de prospérités , le tère, et ces belles espérances qui n’atten-
Dauphin est donné à la France; l’objet doient plus que les secours des maîtres.
des vœux publics, le gage du bonheur des Mais quel soin que celui d’être chargé
ieuples, l’espérance de la monarchie, le de former la jeunesse des souverains ; de
fien de la succession royale , l’enfant de jeter dans ces âmes destinées au trône, les
premières semences du bonheur deS peu­
la gloire et de la magnificence.
ples et des Empires ; de régler de bonne
Nos succès croissent avec lui : ses jours
heure des passions qui n’auront plus d’au­
ne sont plus comptés que par les victoires
tre frein que l’autorité ; de prévenir des
d’un père triomphant ; chaque saison vient
G 5

\
DE M. LE DAUPHIN.
¡54 ORAISON FUNEBRE
reux, d’une candeur qui caractérisé, tou­
vices, ou d’inspirer des vertus qui doi­ jours les grandes âmes et les esprits du
vent être, pour ainsi dire , les vices et les premier ordre; l’ornement de 1 épiscopat,
vertus publiques; de leur montrer la sour­ et dont le clergé de f rance se iera hon­
ce de leur grandeur dans l’humanité; de
neur dans tous les siècles ; un evéque au
les accoutumer à laisser auprès d’eux à la milieu de la cour; 1 homme de tous les
vérité l’accès que l’adulation usurpe tou­ talens et de toutes les sciences ; le docteur
jours sur elle ; de leur faire sentir qu’ils de toutes les églises ; la terreur de toutes
sont grands , et de leur apprendre à l’ou­ les sectes ; le père du dix-septieme siecle ,
blier ; de leur élever les sentiïnens , en et auquel il n’a manqué que d’être né dans
leur adoucissant le cœur; de les porter à les premiers temps , pour avoir été la lu­
la gloire par la modération; de tourner à la
mière des conciles, l ame des pères assem­
piété des penchans , auxquels tout va pré­ blés , dicté des canons , et présidé à Ni-
parer le. poison du vice; en un mot, d’en
former des maîtres et des pères, de grands cée et à Ephèse.
Deux hommes uniques chacun dans leur
rois et des rois chrétiens ! quel ouvrage !
caractère, et qu’on auroit cru ne poux011
mais quels hommes la sagesse du roi ne
plus être remplacés apres leur moit, si
choisit-elle pas pour le conduire ? ceux qui leur ont succédé (1) dansl éduca­
L’un (i) d’une vertu haute et austère , tion du prince qui doitregner, ne nous
d’une probité au - dessus de nos mœurs , avoient appris que la France ne fait guère
d’une vérité à l’épreuve de la cour; phi­
de pertes irréparables.
losophe sans ostentation ; Chrétien sans Voilà ce qui nous avoit paru si giand.
foiblesse , courtisan sans passion ; l’arbitre Les termes manquoient. a 1 éloquence pour
du bon goût et de la rigidité des bien­ publier tant de merveilles : 1 amour niul—
séances ; l’ennemi du faux; l’ami et le pro­ tiplioit les éloges : la politesse du siec.e
tecteur du mérite; le zélateur de la gloire les rendoit dignes de passera la dernieie
de la nation; le censeur de la licence pu­ postérité : les étrangers venoient des îles
blique; enfin un de ces hommes , qui sem­ es plus éloignées, mêler ici avec nous
blent être comme les restes des anciennes eur admiration et leurs hommages. Et
mœurs, et qui seuls ne sont pas de notre que sais-je , si pour avoir étalé avec trop
siècle.
L’autre (2) , d’un génie vaste et heu— ( I ) M. le duc de Beauyillers ; M. de Fénelon, arclie-
i )M. le duc de Muntausier. yêcjue de Cambray.
Î2) M. Bossuet, éyétjue de Meaux. G 6
.<56 OJR.ÀISON FUNÈBRE BE M. LE DAUPHIN. 107
de complaisance à leurs yeux, nos trésors qu’à la fin l’illusion la plus séduisante de
et notre magnificence , comme le roi des toute la vie humaine !
Juifs aux envoyés de Babylone , et trop Peut — être le bonheur qui l’environne
vanté notre gloire, Dieu n’a pas permis aura-t-il quelque chose de plus réel. Ecou­
qu’elle nous fut enfin , comme à eux , tons , mes Frères, et détrompons - nous,
pour un peu de temps ôtée ( IV. Reg. Si le monde pouvoit faire des heureux , le
20. oi.)? prince pour lequel nous prions, devoit l’ê­
Mais du moins la triste cérémonie qui tre. La tendresse du roi pour lui croissoit
nous assemble, dissipe le fantôme de gran­ avec le succès de son éducation : on voyoit
deur qui nous abusoit. Tout ce qui doit ce monarque si glorieux en partager lui-
passer ne peut être grand : ce n’est qu’une même les soins avec les grands hommes à
décoration de théâtre : la mort finit la qui elle étoit confiée. C’éloit David de
scène et la représentation : chacun dé­ retour de ses victoires , qui faisoit venir
pouille la pompe du personnage, et la devant lui son fils Salomon , pour l’ins­
fiction des titres; et le souverain comme truire des devoirs de la royauté , et des
l’esclave , est rendu à son néant et à sa maximes de la vertu et de la sagesse. Les
première bassesse. Les dons de la grâce héros peuvent être des pères tendres ; et
tout seuls ne périssent point avec nous : rougir des senlimens de ta nature et de
la mort leur assure une éternelle immu­ l’humanité , comme d’une foiblesse, c’est
tabilité; et dans ce moment, où toute la se prêter une fausse grandeur , et mon­
grandeur du monde se précipite dans le trer en même temps qu’on n’a pas la gran­
tombeau , s’évanouit et n’est plus , une deur véritable.
vertu obscure qui nous lioit à Dieu, sort Les années du prince s’avancent, et la
éclatante de nos cendres, et mène le Jus­ tendresse du roi se change en amitié : ce
te, comme en triomphe, dans le sein de fils si cher devient un ami fidèle. Monsei­
l’éternité. Ceux qui vous craignent, ô mon gneur est associé aux secrets du gouver­
Dieu ! seront seuls grands , parce qu’ils nement et au mystère des conseils; de ces
le sont devant vous, et qu’ils le seront conseils impénétrables, dont la sagesse et
toujours : Qui autem timent te , magni le secret faisoient alors la force et la sû­
erunt apud te per omnia. f Judith, iô’. 19. ) reté de la monarchie, la terreur et l’ad­
Fausse idée de grandeur, vous ne vous miration de toute l’Europe. Le roi dé­
soutenez que jusqu’à la mort; et vous avez charge dans son sein le poids de ses pen­
pourtant toujours été, et vous serez jus­ sées , et les soucis mêmes de la prospérité
l58 ORAISON TUNÈBKE DE 51. LE DAUPHIN. l5g

et de la gloire : la confiance prend la place les grandes choses; la piété d’un David;
de l’autorité paternelle : l’amitié augmente la sagesse et l’élévation d’un Salomon ; la
chaque jour par l’usage de la confiance ; clémence et l’humanité d’un Josias ; des
et Monseigneur devient, le collègue de lumières et des vertus. Et que nous som­
l’Empire , plutôt que l’héritier de la cou­ mes heureux de lui rendre cet hommage
ronne. . . dans ce temple ( 1 ) ancien et auguste,
A tant de bonheur que manquoit-il, que monument éternel de la piété de Saint-
d’assurer la succession dansla maison roya­ Louis, dont il nous rappelle si parfai­
le, et donner, par un mariage auguste, des tement tous les jours l’histoire et les
princes à la France, et de nouveaux ap­ exemples !
puis au trône ? Une maison, de tout temps Quel don pour la France ! Mais les dons
alliée à la couronne, nous fournit une de Dieu n’étoient pas encore épuisés. La
princesse féconde et spirituelle. Mais la fécondité continue dans la maison royale :
Bavière ne se donnoit encore qu a demi ; Monseigneur devient le père de deux au­
elle nous préparoit de plus grands dons. tres princes (2); et ici s’ouvrent encore
Ces deux princes (i) croissoient pour nous. à nous de plus grands évènemens.
Vous les rendez, ô mon Dieu ! à leurs peu­ L’Espagne de tout temps jalouse de no­
ples qui les demandent : le temps est ve­ tre gloire, et qui autrefois avoit voulu
nu ; et peut-être les conduisez-vous, par nous donner des maîtres , en vient cher­
ces voies de dépouillement et d oppression, cher un parmi nous. Les prévoyances hu­
à de plus grandes et de plus hautes des­ maines échouent : les mesures d’une mai­
son rivale se. tournent contre elle : les des­
tinées. seins de Dieu s’accomplissent : la Castille
Quels furent nos chants de joie, quand
de ce mariage sacré, nous vîmes naître le devient le patrimoine d’un fds de France :
premier prince (2) que nous admirons au- les anciennes jalousies cessent : les deux
jourdhui ? Nous lisions dans 1 avenir î nations se réunissent. Semblables à deux
nous voyions de loin une jeunesse sainte, vaillans rivaux, lesquels après avoir long­
temps combattu, et tout tenté pour se
une religion éclairée, un cœur tendre pour
renverser sur la poussière , tirent des
Dieu et pour les peuples, un esprit pour
épreuves mêmes de valeur qu’ils ont faites
(i ) Les électeurs de Bavière et de Cologne retirés c»
( 1 ) La Sainte-Chapelle de Paris.
France.
( 2) Le duc d’Anjou et le duc de Berry.
(?. ) Le duc de Bourgogne.
l6o ORAISON FUNEBRE DE M. LE DAUTHIN. l6î
l’un contre l'autre, le lien d’estime et d’a­ desseins de Dieu. Le sang de Blanche de
mitié qui les unit; et qui emploient les Castille demeurera sur le trône : le sceptre
mêmes armes dont ils avoient voulu se ne sera point ôté de la maison de Juda :
percer , à se prêter une défense com­ Dieu qui fait les rois , saura les protéger.
mune. Nos prospérités et l’orgueil qui les accom­
Mais que vois - je ici ? L’enfer se dé­ pagne , l’avoient peut — être éloigné de
chaîne;.les temps de paix sont abrégés ; nous ; il faut que nos malheurs le rap­
les jours mauvais recommencent, le bon­ prochent.
heur de la France arme tous les peuples Déjà le jour arrive : Dieu sort du nuage
contre elle ; les deux couronnes réunies où il s’étoit caché; et je le vois qui re­
dans la même maison, répandent la dis­ commence à se montrer à nous. Les suc­
corde et la fureur dans toute l’Europe. cès sont rendus au bon droit : l’Aragon
Les rois des environs, alarmés des mer­ nous venge du Brabant : le chef de la
veilles que le Seigneur vient d’opérer en ligue est frappé, et il n’est plus (i). Ne
faveur d’Israël, s’entredisent, comme au­ chantons pas des chants d’alégresse sur
trefois les rois de Chanaan : ce peuple va son tombeau, nous nui pleurons une perte
dévorer tous les peuples , et engloutir semblable. Le deuil de nos ennemis ne
tous les pays d’alentour : Delebit hic po­ sera jamais pour nous un jour de fête et
pulus omnes qui in nostris finibus commo­ de victoire. La religion ne sait pas se ré­
rantur. ( Num. 22. 4- ) Us ne voient pas jouir de la mort d’un souverain fidèle.
que notre entrée est pacifique , et que Si la France perd un ennemi, l’Eglise
nous ne voulons que nous mettre en posses­ perd toujours un César. Nous souhaitons
sion de la terre que le Seigneur a promise seulement des jours plus heureux pour les
à nos pères. Cependant une guerre cruelle peuples : nous demandons la paix plutôt
s’allume : les nations conjurées fondent que la victoire.
sur nous : Dieu semble même abandonner Descendez donc, fille du Ciel! don du
son peuple : il semble oublier que l’union Ti•ès - Haut ! que les deux princes , que
des deux monarchies est son ouvrage. l’Eglise vient de perdre , réunis dans le
Nous aurions attribué nos succès à notre sein de Dieu; et ayant dépouillé avec le
puissance : il nous affoiblit ; mais c’est corps terrestre les intérêts et les animosi-
pour devenir lui seul notre bouclier et
notre victoire. Les intérêts et les passions (i ) Mort de l’empereur Joseph , arrivée en même
humaines ne prévaudront pas contre les -temps <jue celle de Monseigneur.
162 oraison funèbre. DE M. I.E DAUPHIN. 163
tés de la terre, vous obtiennent à leurs son autorité affermie contre les efforts d’un
peuples ! Qu’ils soient devant Dieu les concurrent, par un successeur (1) que
ministres et les négociateurs d’une paix, Dieu donne à sa couronne, et par la fidé­
qui n’a pu être jusqu’ici l’ouvrage des lité inouie de ses peuples.
hommes ! Que le traité soit conclu dans Prince heureux devant les hommes !
les tabernacles éternels, en présence des Mais qu’est aux yeux de la foi fe bonheur
Anges tutélaires des nations , et apporté humain? Que dure-t-il? et dans sa courte
par eux sur la terre ! Que la mort des durée , combien traine-t-il avec lui de fiel
deux princes qui finit tout pour eux, fi­ et d’amertume? Quel privilège ont ici les
nisse aussi nos dissentions et nos troubles ! princes au-dessus du peuple ? Tout ce qui
Que la colère de Dieu accepte ces deux les environne les rend-il heureux!’ Hélas!
"illustres victimes! .Que leurs cendres sa­ tout ce qui est hors de nous, ne saurait
crées mêlées ensemble soient répandues jamais faire un bonheur pour nous. Les
sur les deux peuples en signe d'alliance ; plaisirs occupent les dehors ; le dedans est
et qu’un malheur commun devienne la toujours vide. Tout paroît joie pour les
source d’une joie commune ! Mais ces grands, et tout se tourne en ennui pour
vœux ont échappé à la vivacité de nos eux. Plus les plaisirs se multiplient, plus
désirs, et les désirs ne consultent pas tou­ ils s’usent. Ce n’est pas être heureux, que
jours l’ordre des temps. Ne hâtons pas le de n’avoir plus rien à désirer, c’est perdre
triste spectacle de la mort du prince que le plaisir de l’erreur; et le plaisir n’est
nous pleurons , et rentrons dans notre que dans l’erreur , qui l’attend et qu’il
sujet. désire. La grandeur elle-même est un
Que paroissoit-il manquer au bonheur poids qui lasse. Les chagrins montent sur
d’un père tendre comme Monseigneur , le trône, et vont s’asseoir à côté du sou­
si le bonheur étoit donné sur la terre ? verain :1a félicité les rend plus amers. Le
L’amitié du roi, et l’amour des peuples , monde étale des prospérités ; Je monde ne
les plus grandes espérances du prince son fait point d’heureux. Les grands nous
fils, que la loi du royaume et l’ordre de montrent le bonheur, et ils ne l’ont pas.
la naissance , mais plus encore , qu’une Quel est donc l’homme heureux sur la
prédilection singulière de Dieu sur la . terre ? ^C’est l’homme qui craint le Sei­
France, nous destine : le prince son se­ gneur, c’est le Juste qui n’est pas de ce
cond fils sur le trône d’Espagne, et mai Ire
de la plus vaste monarchie de l’Europe ; ( i ) Naissance du prince des Asturies.
l6/(. ORAISON FUNÈBRE DE M. LE DAUrHIN. l65
monde; c’est un cœur qui ne tient qu’à verains ; un grand homme, s’il n’avoit ja­
Dieu, et à qui la mort n’ôte rien que l’em­ mais voulu être roi.
barras du corps terrestre qui l’éloignoit Il parcourt en secret toutes les cours
de Dieu. d’Allemagne : il réunit toute l’Europe en
l'ournez-vous encore d’un autre côté, faveur de son usurpation. Le roi demeure
dit le Sage ; la gloire même des hom­ seul défenseur des droits sacrés de la
mes , cette idole à qui le monde a de tout royauté : la cause de tous les souverains
temps dressé des autels, n’est encore que œptégée arme tous les souverains contre
vanité.
Elle ne manque point, cette gloire,
r ui. L’orage est prêt à fondre sur nous : le
roi le prévient : déjà Monseigneur , à la
au prince que nous regrettons. Une trêve tete d’une armée triomphante marche vers
long-temps désirée alors de nos ennemis, le Rhin. C’étoit alors la destinée de la
venoit de désarmer toute l’Europe. Le roi, France, de prévenir, par nos conquêtes,
au milieu de ses succès , avoit préféré le les mesures et les projets mêmes des en­
bonheur des peuples à des victoires qui nemis. Philisbourg, le rempart de l’Alle­
sont toujours zc prix du sang ci le péril des magne, es t le prix des premières armes du
âmes : quand du fond delaHollande sort un fils de Louis. Le Rhin, encore effrayé du
nouveau vase (i) de la colère du Seigneur, fameux passage du roi, reconnoit dans le
destiné de Dieu pour détrôner les plus fis, la gloire et la valeur rapide du père.
saints rois , et être l’instrument de ses ven­ Manheim, Frankendal et tant d’autres
geances sur les royaumes et sur les peu­ places , suivent la destinée de Philisbourg.
ples : un prince profond dans ses vues ; De jeune prince ne trouve rien qui l’ar­
habile à former des ligues et à réunir les rête : il soutient, par son intrépidité , le
esprits; plus heureux à exciter les guerres courage des troupes accoutumées à vain­
qu’à combattre; plus à craindre "encore cre : il leur rend tout possible par son hu­
dans le secret du cabinet, qu’à la tête des manité et par ses largesses : il ne connoît
armées ; un ennemi que la haine du nom pas le péril : il veut tout voir de ses yeux,
français avoit rendu capable d’imaginer et tout animer par ses ordres; et nous en
de grandes choses et de les exécuter ; un ferions ici honneur à sa mémoire, si la
de ces génies qui semblent être nés pour valeur étoit un éloge pour les descendans
mouvoir à leur gré les peuples et les sou- de Charlemagne et de Saint-Louis.
Vous ne l’avez pas oublié. Nos succès
( i ) Le prince d’Orange. firent éclater partout la guerre déjà ral­
j66 ORAISON FUNÈBRE DE M. LE DAUPHIN. 167
lumée dans les cœurs : le feu qui couvoit, ils vécu pour l’éternité? )ls ont rempli la
s’embrâse et se répand partout. La Flandre terre du bruit de leur nom; elle Seigneur
étoit alors le théâtre de notre gloire. Le ne les connoit pas, parce qu’il ne connoit
maréchal de Luxembourg nous consoloit que ceux qui lui appartiennent. {II. Tim.
tous les jours par des victoires réitérées , 2. 19.) Us ont remporté des victoires ; mais
de la perte des Condé et des Turenne. Dieu ne compte que les victoires de la foi,
Monseigneur y vole : l’armée sous ses et celles que le Juste remporte sur lui-
ordres, déconcerte, par une marche inouie, même. On a vanté leurs succès et leur va­
les desseins des ennemis : nos troupes, leur héroïque; et souvent leurs succès ont
comme celles que vit le serviteur du pro­ été des crimes, et peut-être l’injustice seule
phète, {IV. Reg.6.17.') se trouvent, par en a fait des héros. On leur a dressé des
un soudain enchantement, de Vignamont statues et des monumens superbes : mais
sur les bords de l’Escaut. Notre présence ce ne sont là que les monumens de la va­
glace les alliés ; et si leurs ruses les déro­ nité; ils périront avec elle. Vous les brise­
bent au combat, elles ne dérobent pas a rez , 6 mon Dieu ! dans votre cité éternelle,
Monseigneur la gloire de l’avoir cherché. et la ressemblance seule de Jésus-Christ
C’est avoir vaincu l’ennemi, que de lui crucifié ornera les portiques de la sainte
avoir fait craindre de combattre contre Jérusalem : In civitale tuâimaginem ipso-
nous. rum ad nihilum rédigés. ÇPs. 72. 20. ) En
Mais laissons au monde à louer ces faits: un mot, ils ont été les hommes du siècle
c’est à nous à vous instruire. Les succès présent, seront-ils les hommes du siècle
éclatans font parmi nous les grands hom­ à venir? L’histoire des conquéranssera
mes; mais les grands hommes sont bien effacée : l’histoire des Justes, écrite en
petits au tribunal redoutable, si leurs suc­ caractères immortels, subsistera dans l’é­
cès font tout leur mérite. Au fond, il n’est ternité. Les passions , qui forment les
de gloire réelle que celle qui nous suit guerres et les héros, seront détruites avec
devant Dieu. Hélas! que sont les héros au le monde ; les vertus qui font les Saints ,
lit de la mort, si toutes leurs vertus se ne périront jamais.
bornent à leurs victoires ? Leur vie est Cherchons la gloire qui vient de Dieu,
pleine de grands évènemens qui passeront mes Frères. Ne nous refusons plus à la
dans nos histoires, et vide de ces œuvres patrie : la religion n’autorise pas la pares­
qui seules seront écrites dans le livre de se ; mais elle ne couronne que les vertus.
vie. Us ont vécu dans la prospérité; ont- Combattons les ennemis de l’Etat; mais
CE M. LE DAUPHIN.
i68 ORAISON FUNÈBRE
vanité de nos espérances, en justifiant
souvenons-nous que la foi nous montre 1 exces de notre douleur et de nos regrets.
des ennemis encore plus à craindre. Re­ Le plus grand éloge d’un prince, c’est
gardons le monde avec toute sa gloire , d’ètre bon ; et les seules louanges que le
comme nous le verrons à la mort, et comme
cœur donne, sont celles que la bonté s’at­
l’a vu sans doute dans ce moment le prince tire. La valeur toute seule ne fait que la
que nous pleurons. Etudions sur ce tom­ loire du souverain; la bonté fait le bon-
beau la terreur de la puissance et de la
eur de ses peuples : les victoires ne lui
majesté de Dieu, et le néant de toutes les valent que des hommages ; la bonté lui
choses humaines; et que la mort d’un
gagne les cœurs : c’est pour lui qu’il est
prince, que la naissance avoitfait si grand,
conquérant; c’est pour nous qu’il est bon:
et que son caractère de bonté avoit rendu et la gloire des armes ne va pas loin, dit
si aimable, après avoir corrigé l’erreur de 1 Esprit de Dieu, si l’amour des peuples
nos jugemens, confonde encore la vanité ne la rend immortelle.
de nos espérances. Ici le deuil de la France se renouvelle:
la plaie se r’ouvre : l’image de Monsei­
SECONDE PARTIE. gneur reparoit ; les larmes publiques re­
commencent; et il est mal-aisé de rappeler
Si le monde n’attachoit les hommes que tout ce que nous avons perdu, sans aigrir et
par le bonheur de leur condition présen­ renouveler toute la douleur de notre perte.
te ; comme il ne fait point d’heureux, il La bonté n’étoit pas seulement une de ses
ne feroit point d’adorateurs : l’avenir vertus : c’étoit son fonds; c’étoit lui-mê­
qu’il nous montre toujours, est sa grande me. Elle étoit née avec lui, comme parle
ressource et sa séduction la plus inévita­ Job, et sortie avec Z«z du sein de sa mère.
ble : il nous lie par ses espérances, ne {Job. 3i. 18.)
pouvant nous satisfaire par ses dons; et Une bonté toujours accessible. Il faut
l’erreur de ses promesses nous endort tou­ etudier les momens favorables pour abor­
jours sur le néant de tous ses bienfaits. der les grands; et le choix des temps et
Mais achevons de nous instruire. des occasions est la grande science du
Les fruits de la lumière , dit l’Apôtre , courtisan. Ici , tous les temps étoient les
sont la bonté, la justice, la vérité (Eplies. mêmes; et l’habileté du courtisan ne trou-
5. 9.); et ces fruits lumineux ne brillèrent voit pas plus d’accès et d’affabilité, que
dans le prince que nous regrettons, que la simplicité du peuple ou l’ignorance du
pour nous détromper aujourd’hui de la Oraisons funèbres, * H
vanité
I70 ORAISON FUNEBRE DE OT. LE DAUPHIN. I7I
citoyen. On ne sentoit point en l’appro­ ose tout. Le peuple, oui, le peuple le plus
chant ces inquiétudes secrètes que forme bas et le plus obscur, court aux pieds du
le succès douteux de l’accueil : la bonté trône; et les portes augustes de la gloire
se inontroit d’abord avant la majesté : on et de la majesté s’ouvrent à l’amour : c’est
cherchoit le maître dans la douceur du un titre qui donne toujours le droit d’a­
particulier ; ou plutôt à sa douceur, on border un bon prince. Monseigneur se
sentoit d’abord qu’il étoit digne d'être le laisse voir (1) : cette foule obscure appro­
maître : le cœur lui donnoit à l’instant des che du lit de sa douleur : il ne paroît rendu
titres de souveraineté plus glorieux que a la vie que pour se rendre à son peuple;
ceux que donne la naissance. C’est l’amour il respecte dans ces démonstrations popu­
qui fait les rois : la naissance ne donne que laires l’amour de la nation; il croit qu’un
les couronnes ; c’est l’amour qui forme les prince , quelque grand qu’il puisse être,
sujets. est toujours honoré d’être aimé; et essuie,
Une bonté sensible à l’amour des peu­ en se montrant, des larmes toujours plus
ples pour lui. Les princes ne savent pas sincères dans le peuple, parce qu’il ne sait
toujours goûter le plaisir d’être aimés : ils pas emprunter la douleur, et qu’il ne re­
n’estiment pas assez les hommes pour être grette que ce qu’il aime.
touchés de leur amitié : ils ne connoissent Prince digne d’une nation , dont le cav
pas assez le prix des cœurs; et le long ractère perpétuel a toujours été d’aimer
usage des adulations les rend insensibles ses maîtres; qui compte un seul de leurs
à la véritable tendresse. regards comme un bienfait ; et qui dans
Monseigneur aimoit les peuples , et il le temps même de ses misères les plus tris­
aimoit d’en être aimé. Quelle joie ! quand tes, n’a qu’à lever les yeux vers le souve­
venant se montrer au milieu de cette ville rain, pour ne plus sentir la douleur de
régnante, il voyoit tous les cœurs voler ses plaies, et oublier à l’instant ses mal­
après lui; la’tendresse publique se rani­ heurs et ses peines.
mer ; le peuple oublier ses misères , et ne Une bonté sage et éclairée. La bonté
plus sentir que le plaisir de voir un si bon des prince^ autorise souvent la malice des
maître.
Rappelez ce moment terrible , où le (1) Les halles de Paris députent six des principales
Seigneur menaça, pour la première fois , harangères , qui viennent à Versailles féliciter Monsei­
la vie de ce bon prince. Hélas ! il nous gneur sur sa convalescence , et il veut qu’elles s’appro­
inontroit de loin notre malheur. L’amour chent de son lit.
H 2
I72 ORAISON FUNÈBRE DE M. LE DAUPHIN. I?3
délateurs.Les meilleurs rois, disoit autre­ Monseigneur étoit bon; mais il falloit
fois Assuérus, jugeant des autres par eux- l’être pour avoir accès auprès de lui. Ses
mêmes, sont moins en garde contre les oreilles étoient fermées à la malignité des
artifices des méchans. (Estf 16. 6.) délations et des impostures : le détracteur
Les cours surtout sont pleines de déla­ secret ne trouvoiten lui qu’un silence d’in­
tions et de mauvais offices; c’est là ou dignation et de sévérité. La langue empoi­
toutes les passions se réunissent, ce sem­ sonnée, loin de lui soufflerie venin , s’in-
ble, pour s’entrechoquer et se détruire; fectoit toute seule elle—même; la malice
les haines et les amitiés y changent sans retomboit toujours sur l’homme méchant.
cesse avec les intérêts; il n y a de cons­ On se perdoit en voulant perdre l’inno­
tant et de perpétuel, que le désir de se cent; on se préparoit à soi-même la peine
nuire. Les liens mêmes du sang se dé­ et l’ignominie qu’on lui avoit destinee. Il
nouent, s’ils ne sont resserres par des in­ bannissoit de son cœur ces ennemis pu­
térêts communs. L’ami, comme parle Je- blics de la société, qu’il fâudroit bannir
rémie , marche frauduleusement sur son du milieu des hommes, convaincu, comme
ami^ et le frère supplante le frère. {Jérém. il le disoit souvent, que les méchans ne
9. 4 J II semble qu’on soit convenu que la décrient pas leurs semblables, et que l’im­
bonne foi ne seroit pas une vertu, et que posture ne s’en prend jamais qu’à la vertu.
l’amitié ne seroit plus qu’une bienséance: Enfin, une bonté universelle. Bon pour
l’art de tendre des pièges n’y déshonore ses amis ; capable d’attachement et de ten­
que par le mauvais succès; enfin, la vertu dresse ; aimant toujours ce qu’il avoit une
elle-même, souvent fausse, y devient plus fois aimé ; ne connoissant point ces inéga­
à craindre que le vice. La religion y four­ lités toujours attachées à l’amitié des prin­
nit souvent les apparences qui cachent les ces, et n’usant pas du privilège des grands,
embûches qu’on nous tend : l’on y donne qui est de n’aimer rien , ou de n’aimer
quelquefois les dehors à la piété, pour ré­ pas long—temps. Bon père : partageant
server plus sûrement le cœur à l’amertume avec les princes ses enfans , la douceur
de la jalousie, et au désir insatiable de et l’innocence de ses plaisirs ; ne leur
la fortune : et comme dans ce temple de montrant son autorité que dans sa ten­
Babylone , dont il est parlé dans Daniel, dresse ; sensible à leur gloire , plus sen­
en public tout paroitpour la Divinité; en sible encore, ce semble, à leur amitié ;
secret et par des voies souterraines, on re­ aimant à vivre au milieu d’eux; et ne leur
prend tout pour soi-même {Dan. 14.12.). faisant sentir d’autre contrainte que celle
H 3
DE M. LE DAUPHIN. T75
174 ORAISON FUNEBRE
change seulement nos vues, sans change 1
que donne la joie de vivre avec ce qu’on
aime. notre cœur : chacun tente la fortune par
ce nouvelles voies; nous formons de nou­
Bon maître : jamais de ces momens d’hu-
ineur si ordinaires à ceux que rien n’o­ veaux projets; nous nous faisons un nou­
veau plan de cour et de mesures; nous
blige à se contraindre : plus on le voyoit nous consolons de nos pertes par de nou­
de près., plus on sentoit qu’il éloit bon :
velles prétentions; nos projets echouent
ce n’etoit plus un maître, c’étoit un ami ; sans cesse, et nos espérances revivent e
entrant dans tous les besoins des siens;
nos projets mêmes renversés : au milieu
croyant qu’un prince n’est jamais plus
du débris de tout ce qui nous environne,
grand que lorsque c’est la bonté qui l’a­ nous nous sauvons encore dans 1 avenir.
baisse; voulant que tout le monde fut heu­
Tout nous désabuse du monde, et rien ne
reux avec lui; persuadé que les princes nous rappelle à Dieu. Espérance d éléva­
ne sont nés que pour le bonheur des au­ tion qui nous séduit; espérance de duree.
tres hommes; et ne comptant pas que ce C’étoit la bénédiction promise à la piete
fût être heureux que de l’être seul.
filiale; et la justice renfermée dans l’ac-
Grand Dieu ! quelles espérances nous
complisscment de ce devoir, ne fut pas
montriez—vous ? L’amour des peuples ne
moins le caractère constant de Monsei­
rend pas immortel, puisque sa course a
gneur que la bonté : ln omni poiestaie et
été si rapide et si précipitée; mais la mort
des bons princes est toujours le châtiment jusiitiâ. (Ephes. 5. g-).
Mais devons-nous faire ici un me.i ît.e a
le plus rigoureux dont vous punissiez la
malice des hommes. la mémoire de ce prince, de sa soumission
tendre et respectueuse pour le Roi ? Quand
Ainsi sommes-nous séduits par nos espé­ la nature toute seule ne nous apprendroit
rances , mes Frères. La nation espéroit pas à honorer nos pères; quand 1 amour
tout d’un si bon prince : plusieurs de ceux
que nous leur devons ne couleroit pas
qui m’écoulent, fondoient sur sa bonté et
dans nos veines avec le sang que nous
sur son amitié-, des vues sûres et particu­
avons reçu d’eux; quand ce respect ne
lières d’élévation et de fortune. Chacun
seroit pas né avec nous, et forme, poui
se forme dans l’avenir un fantôme qui ainsi dire, avec notre cœur, quel pere ,
l’éblouit : le bonheur se montre toujours quel roi , est ici offert a la tendresse et.a
à nous de loin : la mort de nos maîtres,
la piété filiale de Monseigneur! Un roi ,
ce grand spectacle, où le monde et toute
la gloire et le modèle de tous les rois; un
sa gloire fond à nos yeux, leur mort
iyG ORAISON FUNEBRE I»E M. LE DAUPHIN. I77
père, le plus tendre et le meilleur de tous désirs sur les siens; respectant ses vues et
les pères. ses destinations ; et par là , de peur de les
Mais les droits de la nature sont quel­ gêner, réservé même à demander des grâ­
quefois plus foibles dans le cœur des en- ces : apprenant aux sujets le respect qu’ils
fans des grands, que dans celui des autres doivent aux choix et aux desseins de leurs
hommes : ils regardent les sentimens du maîtres; à ne pas entrer témérairement
sang et de la nature comme le partage du dans le sanctuaire des conseils et des se­
peuple : l’ambition prend chez eux laplace crets de la royauté; à ne pas s’élever au
de la tendresse : leurs pères deviennent dedans d’eux-mêmes un tribunal d’indé­
souvent leurs rivaux. Les histoires des siè­ pendance et de vanité, devant lequel ils
cles passes et du nôtre, seront toujours osent citer les rois de la terre; et à ne
souillées de ces tristes exemples; etDavid, toucher aux mystères du trône, comme à
ce pere si tendre, ce roi si grand et si ceux de l’autel, qu’avec une espèce de
glorieux, ne laissa pas de trouver un religion et de silence.
Absalom. Les vues du Roi sur Monseigneur lui
Le respect perpétuel et sincère de Mon­ paroissoient toujours le seul parti qu’il eût
seigneur pour le Roi, n’a peut-être point à prendre : volant à la tête des armées
d’exemple , non-seulement dans l’histoire dès que ses ordresl’appeloient;reprenant
des princes, mais encore dans celle des à Meudon, avec la même soumission, la
hommes d’une destinée plus ordinaire. douceur et l’innocence d’une vie privée,
Plus l’âge l’approchoit du trône , plus sa dès que le bien de l’Etat le demandoit.
soumission sembloit croître. Parvenu à Toujours entre les mains du Roi, et tou­
des années qu’on regarde presque comme jours charmé d’y être.
la vieillesse des rois, on ne l’a jamais vu Les hommes n’admirent d’ordinaire que
se lasser un instant detre sujet. Content tes grands évèneinens : la vie des princes
de voir couler ses plus beaux jours aux leur paroît vide et obscure, et ne les
pieds du trône, jamais ses désirs ne mon­ h’appe plus dès qu’ils n’y trouvent pas de
tèrent plus haut; et né pour régner, il ces actions d’éclat, qui embellissent les
histoires , et auxquelles souvent ils n’ont
n a jamais pensé quil dût vivre que pour
obéir. prêté que leur nom. Il nous faut du spec­
Réglant toujours ses volontés sur celles tacle pour attirer nos regards. Rendons
du Roi; les prévenant dès qu’il avoit pu noire nom immortel (Gen. 11. 4.)? disoient
les connoilre ; formant ses goûts et ses frs enfans de Noë, en laissant à nos ne-
H 5
de M. LE DAUPHIN. 179
Î78 ORAISON FUNÈBRE ges. Hommes frivoles! vous méritez d’a­
veux un monument éternel de notre vanité. voir de tels maîtres dès que vous êtes ca­
Ce sont presque toujours les passions qui pables de les admirer.
immortalisent les hommes dans l’esprit des Le talent le plus cher à Monseigneur,
autres hommes; les vices éclatans passent fut un respect et une soumission constan­
à la postérité ; une vertu toujours renfer­ te , et à l’épreuve de tout pour le Eoi. Et
mée dans les bornes de son état, est à ne croyez pas que cette soumission lui
peine connue de son siècle. Un prince qui coûtât. Ce n’étoit pas ici seulement une
a toujours préféré le devoir à l’éclat, pa­ vertu de raison : il ne donnoit rien aux
rait n’avoir point vécu : il ne fournit rien égards et à la bienséance ; il ne suivoit
à la vanité des éloges, dès qu’il na pas eu que les mouvemens de son cœur. Occupe
de ces desseins ambitieux qui troublent la sans cesse de tout ce qui pouvoit plaire au.
paix des Etats; qui renversent l’ordre des roi; comblé de joie dès qu’il avoit su se
successions et de la nature; qui portent ménager l’occasion de lui plaire; trans­
partout la misère , l’horreur, la confusion; porté lorsqu’il avoit l’honneur de le re­
et qui ne mènent à la gloire que par le cevoir à Meudon; plein d’inquietudes ai­
crime. Il est beau de remporter des vic­ mables , et entrant dans tous les details ,
toires et de conquérir des provinces; et afin que le plaisir du Roi fût égal au sien ,
sans doute que les occasions seules en man­ et paraissant plutôt un courtisan empres­
quèrent à Monseigneur. Mais qu’il est sé, qu'un héritier de la couronne.
grand, dit saint Ambroise, de n’avoir ja­ L’espérance du trône, si douce et si
mais été que ce qu’on devoit être ! Grande capable d’étouffer les sentim.ens n. .mes
est alioiicm inlrà se tranquiHuni esse , et sibi de la nature, ne s’offrit jamais à lui que
comenire. (A. Ambr. de vitâ Jacob.') comme une image affreuse. Le téméraire
Non, mes Frères, la façon de penser de qui eût osé la lui faire entrevoir seulement
la plupart des hommes est là-dessus digne de loin , eût trouvé à l’instant, comme
d’étonnement : il semble que. nous n’au­ ceux qui crurent faire leur cour a David,
rons plus rien à dire , dès que nous n’au­ en lui apprenant qu’il- éloit roi, la peine
rons plus à louer que des vertus utiles au de sa témérité et de son insolence. Jamais
bonheur des peuples et à la tranquillité on ne. l’a entendu former de ces projets à
des Empires, et qu’il nous faut, pour le venir si ordinaires aux hommes, et si iné­
succès de ces discours, ou des crimes écla­ vitables à l’imagination, qui supposassent
tans à pallier, ou des talens pernicieux au même qu’il pût régner un jour. Il a tou—
genre humain à honorer de pompeux ¿Io­ I I 6’
l8o ORAISON FUNÈBRE BÊ M. RE DAUPHIN. îSl
jours pensé comme s’il devoit toujours notre vue; s’éloignant de nous à mesure
obéir; et si la nature sembloit lui pro­ que nous en approchons; ne la voyant
mettre des jours au delà des jours du Roi, jamais qu’au plus loin , et ne croyant ja­
sa tendresse les abrégeoit; et on lui a mais pouvoir y atteindre : chacun se pro­
souvent ouï dire : Que sa plus douce espé­ met une espèce d’immortalité sur la terre.
rance éioit de compter que le Roi lui survi- Tout tombe à nos côtés ; Dieu frappe au­
vroit, et qu'il né pourrait pas survivre lui- tour de nous nos proches, nos amis , nos
même à la douleur de sa perte. maîtres ; et au milieu de tant de tètes et
Aussi, nous vîmes ses alarmes sincères de fortunes abattues , nous demeurons
durant ces jours d’affliction , où toute la fermes, comme si le coup devoit toujours
France parut menacée avec la santé de ce porter à côté de nous , ou que nous eus­
monarque. On auroit cru, à sa douleur sions jeté ici-bas des racines éternelles.
profonde, qu’il alloit perdre avec lui sa Nous comptons toujours y être à temps
fortune et ses espérances. La royauté ne pour le salut, et le temps du salut est au­
lui paroissoit plus que le dernier des mal­ jourd’hui, et nous mourrons avec le seul
heurs pour lui, dès qu’il eût fallu l’acheter désir de mieux vivre.
par la perte d’un si grand roi et d’un si Dernière espérance qui nous séduit. La
bon père : content d’obéir, pourvu que le religion du prince pour qui nous prions,
Roi régnât. a prévenu cette Surprise. Bon pour les
La longue durée des jours devoit, ce peuples , respectueux à l’égard du Roi , il
semble, être la récompense d’une piété si n’a pas été moins religieux envers Dieu;
tendre; et ses jours ont été abrégés ; et et la vérité avoit fait en lui une sainte
il a cherché en vain le reste de ses années. alliance avec la bonté et la justice : In
(Is. 38. io.J Nous nous le promettions omni bonitate, et justiliâ , et veritate.
pour nos neveux, et il n’est plus même Ce n’est pas que je veuille envelopper
pour nous. ici, sous l’artifice insipide des louanges,
Quel fonds peut-on faire sur la vie? c’est les foiblesses de ses premières années. Ne
ce que nous avons dit. Qui peut compter louons en lui que les dons de Dieu, et
sur le lendemain ? ce sont les réflexions déplorons les fragilités de l’homme : n’ex­
que nous avons mêlées avec nos larmes. cusons pas ce qu’il a condamné ; et dans
Et cependant nous vivons comme si tout le temps que l’Eglise offre ici la victime
ceci ne devoit jamais finir. La mort nous de propitiation, et que ses chants lugu­
paroit toujours comme l’horizon qui borne bres demandent au Seigneur qu’il le pu-
I?2 OHAXSON FUNÈBRE de m. le dauphin. i83
rifie des infirmités attachées à la nature, sentimens d’honneur et de probite , plus
ne craignons pas de parler comme elle sûrs quelquefois pour la vertu, que les
prie, et d’avouer qu’il en a été coupable. ardeurs les plus vives du zele. On secret a
Hélas! qu’est-ce que la jeunesse des 1 épreuve de la familiarité même la plus
princes? Et les inclinations les plus heu­ privée, et en un mot, un de ces hommes
reuses et les plus louables, que peuvent- dont chacun auroit voulu se faire un ami ,
elles contre tout ce qui les environne? si le respect eût permis de se faire un ami
Moins exposés qu’eux, sommes-nous plus de son maître.
fidèles? Nos chûtes se cachent sous l’obs­ Plus Monseigneur étoit vrai , plus il
curité de notre destinée : mais qu’offriroit étoit ennemi du faux. Quel mépris pour
notre vie aux yeux du public, si elle étoit les adulateurs, la honte des cours , et 1 e-
en spectacle comme la leur? À h ! c’est un cueil des meilleurs princes! regardant les
malheur de leur rang, que souvent, avec fausses louanges comme un aveu public
plusd’innocence que nous, ils ne sauroient de la mauvaise foi de celui qui les donne ,
jouir comme nous de l’impunité d’un seul et de la vanité de celui qui les reçoit ;
de leurs vices. croyant que les éloges donnes aux vertus
S’il y a eu quelque dérangement dans que nous n’avons pas, deviennent pour la
les premières années de ce prince , l’âge postérité, des censures qui ne servent qu’a
y eut plus de part que le cœur : l’occasion immortaliser nos défauts véritables ; et
put le trouver foible ; elle ne le rendit persuadé qu’un bon prince est toujours
jamais vicieux ; et le reste de ses jours assez loué d’être aimé.
passés depuis dans ’a règle, montrent as­ Mais jusqu’ici il n’a paru vertueux que
sez que l’égaremen a’avoit été qu’un ou­ devant les hommes. Vous l’allez voir ver­
bli , et qu’en se rendant au devoir, il tueux devanlDieu, juste et charitable.Et
s’étoit rendu à lui même. de quoi n’est pas capable la bonté natu­
Oui, MoNSEiGNRURpouvoitdire, comme relle , quand elle est aidee d’un fonds de
Salomon ( Scip. 8. 19.) qu’il avoit eu en religion , et que la nature donne,pour ainsi
partage une ame bonne, et un cœur tourné dire, les mains à la grâce ?
à la vertu ; d’une droiture et d’une vérité Maison déserteet désolee,qui devenue
digne de l’éducation qu’il avoit reçue de sans habitans , comme parle un prophète,
ce courtisan chrétien , qui passa pour pleurez votre solitude ( 1 ), et la gloire
l’homme le plus vrai de son siècle. Reli­
gieux observateui' de la bonne foi, des (1) Mendon.
T vjiAidun FUNEBRE
de vos anciens jours ! vous n’oublierez DE M. LE DAUPHIN. 1 85
jamais les pieuses largesses de ce bon grands , surtout dans le premier âge , ne
fa vX^l^TV- PIe.ureront avec vous : soient pas environnés de ces hommes au­
la veuve et 1 orphelin viendront vous re­ dacieux, qui disent : Quel est notre Dieu ?
demander leur consolateur et leur père • et qui trop foibles pour le servir , croient
ds mouilleront de leurs larmes les lieux iaroitre forts, en faisant semblant de ne
heureux qu’d habita; et leurs clameurs
nù-Zaren:UVelant sans ^sse le souvt’
f e pas connoilre : ces hommes , qui ne sa­
vent de la science de la foi , que les blas­
ii de sa perte , vous renouvelleront aussi phèmes qui l’attaquent; qui ont appris à
lesperance consolante qu’il „’est perdu être incrédules avant que d’apprendre à
que pour le temps. croire; qui ne sont impies que par osten­
PnnfrlaîrgeSSe1 Sa,'-ntes n’aui°risoient pas tation ; et qui souvent inspirent aux autres
loubli de ses devoirs religieux- et il ne l’incrédulité à laquelle ils n’ont pu encore
Suffi C°mT 13 P?parl des Srands’ parvenir eux-mêmes.
que tout 1 Evangile se borne pou? eux à La langue de l’impie sécha toujours de­
la miséricorde. Tout le monde a connu vant lui de honte et de confusion. Il n’usa
lSe°snireSPteC!’uOnrerVé dePuis «"ce pour de sonautorité, que lorsqu’il vit l’autorité
les lois de 1 Eglise. Les jours qu’elle con- de la foi attaquée : sa douceur n’étoit plus
crea 1 abstinence, à peine connus des qu’un courroux majestueux et digne d’un
safrŸûn Knl tOUJ°Ufrs Pour lui des l'ours descendant de Clovis : c’étoit la force et la
saci es. On 1 a vu se refuser meme le mor­ sévérité , qui sortoit du doux et du clé­
ceau pris par oubli ; et comme Jonathas ment. Et qu’il étoitbeaude voir l’héritier
Xh-01 na PreSqUC digne dC mort’ P«- de la couronne défendre, en défendant la
avo i, par ignorance, goûté un peu de religion, le plus beau privilège qui illus-
miel contre le vœu du peuple saint • tre le trône de ses pères ; ne pouvoirsouf-
Et ce n eto.t pas ici une observance fi’ir que l ’impie ôtât à la maison de France
scrupuleuse, où il entre souvent plus de le plus ancien patrimoine dont elle se glo­
o,blesse que de loi; c’étoit un cœur re- rifie ; et qu’il regardât le titre de la foi et de
l.gieux, celoit un fonds de piété sincère- premier roi chrétien , dont les rois ses an­
tout ce qui appartenoit à la religion lui cêtres se sont toujours honorés, comme
paroissoit grand : et c’est ce fonds de ré­ un titre vain et une erreur populaire !
gion, qud opposa toujours aux discours Leçon immortelle pour les souverains ,
de 1 impiété. Car qu’il est rare que £ qui doivent se souvenir que la religion as­
sure leur autorité ; que l’incrédule , qui »
l86 ORAISON FUNEBRE DE M. LE DAUPHIN. 187
secoué le joug de la foi, se désaccoutume et paternel est déjà flétri, celui de l’air
bientôt du joug de l’obéissance ; que ceux mortel qu’il respire. Un si bon fils éloit
qui ne connoissent point de Dieu , ne res­ digne , sans doute, que le meilleur de
pectent pas plus les hommes ; et que les tous les pères reçût ses derniers soupirs :
impies sont toujours mauvais sujets. il avoit toujours vécu entre ses mains, il
Ainsi, la piété sincère de ce prince hono­ falîoit qu’il mourût de même.
rait la religion. Mais enfin , ôinonDieu! Hélas! tout couvert de sa douleur, et
la f rance n’en étoit pas digne : vous ne le de la plaie qui infecte tous ses membres ,
formiez que pour vous seul : il n’a régné quelles sont ses craintes et ses incertitu-
que sur les cœurs, et son autre règne ne tudes ? Il craint pour le Roi : une vie si pré­
devoit pas être de ce monde. cieuse exposée devient la plus vive de ses
L’ordre part des conseils éternels : l’Ange peines. Je mourrois de douleur, dih-il, si
d’en-haut, ministre des desseins et des le Rot au sortir d'ici avoit seulement mal à
vengeances du Seigneur, vient marquer la tête.
la maison du premier-né : la plaiequiaf- Quel spectacle de tendresse s’offre ici à
flige le peuple, entre jusques dans la mai­ la postérité! La douleur d’un père, tou­
son du prince; et le bien-aimé est frappé. jours grand dans ses afflictions comme
Quelle consternation répandue dans le pu­ dans ses prospérités, ne compte pour rien
blic avec cette triste nouvelle ! Le peu­ le danger; et le danger du père devient
ple. est tremblant; la ville pleure ; les tem­ fumque douleur du fils mourant. Quelle
ples saints sont les dépositaires de la dou­ leçon domestique dans les siècles à venir ,
leur et delà crainte publique; toutes les pour les descendans de cette auguste mai­
mains sont élevées au ciel ; la cour change son ! et les histoires doivent-elles moins
en deuil sa majesté et sa gloire. Un bon • immortaliser ces exemples touchans d’hu­
prince est l’héritage de chaque particu­ manité , que les victoires et les conquêtes ,
lier, et chacun craint, parce que chacun lesquelles n’ont souvent attiré de la gloire
doit perdre. aux hommes, qu’aux dépens de 1 humanité
, Le roi touché du péril de Monseigneur même ?
nçn connoît plus pour lui-même: il ou­ Les deux princes ses fils, déjà accablés
blie qu’il se doit à son peuple , et se livre des inquiétudes de la crainte , portent en­
a sa tendresse : il expose avec sa personne core l’accablement de la séparation. Meu-
sacrée, le salut de l’État, et ajoute au poi­ don , qui renferme tout ce qu’ils ont de
son de la douleur, dont son cœur tendre plus cher au monde, leur devient un lieu
DE M. LE DAUPHIN. 189
l88 ORAISON TUNEBRB
interdit. Une princesse auguste (ij), îe lien
nous apprend qu’il souffre ; on n’en tire
pas même les plaintes nécessaires au se­
et la joie de la maison royale , et qui donne
si heureusement pour l’Etat des héritiers
cours de l’art. U ne se plaint qu’à Dieu
seul, et ce n’est pas de ses douleurs : il
à la couronne qu’elle doit porter, de­
mande , comme une grâce , qu’il lui soit
ne sent que le regret de ses fautes : il en
permis d’aller partager le péril. Mais la trouve l’expiation dans sa patience et dans
ses désirs. Une révolution soudaine l’ac­
France se refuse à leur tendresse : nous
devions assez perdre , et il ne falloit pas cable : elle répand déjà un nuage sur ses
tout risquer. yeux, et arrête sur sa langue les paroles
Cependant, tout flattoit encore nos es­ de pénitence et de réconciliation ; il tend,
»ar des signes de douleur et de repentir ,
pérances. Une douce sécurité semble tou­
jours précéder les grands malheurs: plus
fes mains à l’Eglise ; cette Eglise, dont il
on doit perdre, plus or espère. Les ap­ avoit toujours respecté les lois, qui ve-
noit de le nourrir depuis peu de ce Pain
parences du mal ne sembloient annoncer
qu’un danger ordinaire : les conjectures mystérieux qui fait les délices des rois ,
de l’art, que l’affection et l’habileté ren- et de laquel le sa naissance le destinoit à être
le protecteur. Sa langue déjà immobile se
doient également éclairées, étoient favo­
délie enfin pour demander les grâces des
rables à nos désirs : le coup de foudre qui
alloit éclater, se cachoit encore sous l’é­ Sacremens ; ces grâces dont il avoit tou-
joujours usé avec tant de religion, et aux­
clat trompeur de la nuée. Dieu nous îais-
quelles les derniers mystères de la Pâque
soit encore jouir de notre erreur. Hélas • 1 avoient vu participer, avec des sentimens
nous sommes toujours à ses yeux les jouets de foi et de piété plus vifs et plus touchans
de nos vaines espérances : Im parole de
que jamais, comme s’il eût pressenti que
mort étoit sortie de sa bouche et elle ue cette Pâque devoit être la veille et l’ap­
devoil pas retourner à lui vide. (Is. 55.11. ) pareil de sa mort; et qu’il ne boiroit plus
Déjà des présages douteux nous l’an­ de ce breuvage mystérieux , qu’il ne le
noncent : le mal surmonte les remèdes : bût nouveau dans le royaume du Père
le prince paroit menacé de plus près : céleste.
soumis à Dieu, il adore la main qui le Mais enfin, la foi supplée au ministère
frappe : nulle impatience au milieu deses des hommes. Le feu du ciel tout seul peut
douleurs: la violence du mal toute seule allumer, quand il le faut, le sacrifice, et
sanctifier la victime : ses désirs feryens
(i ) Adélaïde de Savoie , ducliesse de Bourgogne.
igo ORAISON EUNEBRE, etc.
deviennent eux-mêmes la grâce qu il de­
mande : il ne lui en a manqué que la con­
solation : il en a eu l’effet et la vertu ; e
nous en avons l’esperance. FUNÈBRE
Grand Dieu! une ame si bonne et si
religieuse n’auroit-elle pas trouvé ouvert
le sein de vos miséricordes éternelles . DE LOUIS-LE-GRAND,
Un prince si fort selon le cœur des hom­
mes , ne seroit-il pas selon votre cœur . ROI DE FRANCE;
Recevez, Seigneur, le sacrifice de nos lar­
mes et de nos prières : regardez du haut PRONONCEE DANS LA SAINTE-CHAPELLE DE
du ciel ces offrandes saintes : que le PARIS.
sang de la victime, qui coule sur 1 autel ,
ne coule pas en vain pour lui ; consolez
la piété d’un roi et la douleur d’un pere,
qui ne demande plus que son fils vive, Eçce magnus effectus sum , et præcessi omnes sa­
pourvu qu’il vive devant vous : que ce pientia , qui fuerunt ante me in Jérusalem....... . • • et
temple auguste parle lui-même en laveur agnovi quod iu his quoque çsset labor, et afflictio
du sang de Saint-Louis Donnez votre jus­ spiritus.
tice au fils du roi ( Pi. 71. i. J, si ses jus­ Je suis devenu grand : j'ai surpasse en gloire et en
tices se trouvent défectueuses : placez-ie sagesse tous ceux qui m'ont précédé dans Jérusalem ; et
devant vous parmi ces saints rois ses an­ fai reconnu qu'en cela meme , il ny avoit que vanité et
cêtres , qui occupèrent le trône que sa affliction d'esprit, Eccles. i. i6» 17.
naissance lui destmoit : que le livre éter­
nel le fasse rentrer dans la succession des *%■*■***■*•»>■*■*■■*•■*■*'
Charlemagne et des Saint—Louis, dont
il sera exclu dans nos histoires ; et ren- Lieu seul est grand, mes Frères, etdans
dez-lui dans le ciel la couronne que vous ces derniers momens surtout, où il pré­
n’avez pas voulu permettre qu il portât sur side à la mort des rois de la terre : plus
la terre. . leur gloire et leur puissance ont éclaté ,
Ainsi soit-il. plus, en s’évanouissant alors, elles ren­
dent hommage à sa grandeur suprême :
I92 ORAISON FUNÈBRE
Dieu paroit tout ce qu’il est, et l’homme DE IOüIS-LE-GKANB. Ig5
n’est plus rien de tout ce qu’il croyoitêtre. Vous l’aviez rempli, ô mon Dieu ! de
Heureux le prince dont le cœur ne s’est la crainte de vôtre nom : vous l’aviez écrit
point élevé au milieu de ses prospérités sur le. livre éternel, dans la succession
et de sa gloire; qui, semblable à Salo­ des saints rois qui dévoient gouverner vos
mon, n’a pas attendu que toute sa gran­ peuples : vous l’aviez revêtu de grandeur
deur expirât avec lui au lit de la mort, et de magnificence. Mais ce n’étoit pas
pour avouer qu’elle n’étoit que vanité , et assez; il falloit encore qu’il fût marqué
affliction d’esprit; et qui s’est humilié sous du caractère propre de vos Elus: vous avez
la main de Dieu, dans le temps même récompensé sa foi par des tribulations et
que l’adulation sembloit le mettre au-des­ par des. disgrâces. L’usage chrétien des
sus de l’homme ! prospérités peut nous donner droit au
Oui, mes Frères , la grandeur et les royaume des ci.eux ; mais il n’y a que l’af­
fliction et la violence , qui nous l’assure.
victoires du roi que nous pleurons, ont
été autrefois assez publiées : la magni­ Voyons - nous des mêmes yeux, mes
ficence des éloges a égalé celle des évè- Freres, la vicissitude des choses humai­
nemens : les hommes ont tout dit, il y a nes ? Sans remonter aux siècles de nos
long-temps, en parlant de sa gloire. Que peres, quelles leçons Dieu n’a-t-il pas don­
nous reste-t-il ici, que d’en parler pour nées au nôtre ? Nous avons vu toute la
notre instruction ? race royale presque éteinte : les princes ,
1 espérance et l’appui du trône , moisson­
Ce roi, la terreur de ses voisins , l’é­
tonnement de l’Univers , le père des rois ; nes à la fleur de leur âge : l’époux et l’é­
plus grand que tous ses ancêtres, plus pouse auguste , au milieu de leurs plus
beaux jours , enfermés dans le même cer­
magnifique que Salomon dans toute sa
cueil , et les cendres de l’enfant suivre
gloire, a reconnu comme lui, que tout
tristement et augmenter l’appareil lugu­
étoit vanité. Le monde a été ébloui de bre de leurs funérailles : le Roi qui avoit
l’éclat qui l’environnoit : ses ennemis ont
passé d’une minorité orageuse , au règne
envié sa puissance : les étrangers sont le plus glorieux dont il soit parlé dans
venusdes îles les plus éloignées baisserles
nos histoires, retomber de cette gloire
yeux devant la gloire de sa majesté : ses dans des malheurs presque supérieurs à
sujets lui ont presque dressé des autels ;
ses anciennes prospérités; se relever en-
etle prestige, qui seformoit autour de lui ,
core plus grand de toutes ces pertes, et
n’a pu le séduire lui-même. Oraisons funèbres. *I
Vous
DE LOUIS—LE—GRAN D. 1^5
j<34 ORAISON FUNEBRE
survivre à tant d’évènemens divers , pour les écueils et le néant qu’il a connus, et de
rendre gloire à Dieu, et s’affermir dans la sa piété , que pour en proposer et immor­
taliser les exemples.
foi des biens immuables.
Ces grands objets passent devant nos PREMIÈRE PARTIE.
yeux comme des scènes fabuleuses : le
coeur se prête pour un moment au spec­
tacle ; l’attendrissement finit avec la re­ Tout ce qui fait la grandeur des rois
présentation ; et il semble que Dieu n’o­ sur la terre , en fait aussi le danger. Les
père ici-bas tant de révolutions , que pour succès éclatans dans la guerre , la magnifi­
cence dans la paix ; l’élévation des senti-
se jouer dans l’Univers, et nous amuser
niens, et la majesté dans la personne :
plutôt que nous instruire. . voilà tout ce que la vanité peut faire sou­
Ajoutons donc les paroles de la loi a
cette triste cérémonie, qui sans cela nous haiter aux souverains ; et voilà aussi tout
prêcheroit en vain : racontons, non les ce que la foi doit leur faire craindre.
merveilles d’un règne que les hommes ont Le Roi, pour qui nous prions, passa,
déjà tant exalté , mais les merveilles de pour ainsi dire, du berceau sur le trône :
Dieu sur le Roi qui nous est ôté. Rappe­ il ne jouit point des avantages de la vie
lons ici ses vertus plutôt que ses victoi­
privée, toujours utile au souverain, parce
res : montrons-le plus grand encore.au lit qu’elle lui apprend à connoître les hom­
de la mort, qu’il ne l’étoit autrefois sur mes , et que les hommes lui apprennent à
son trône, dans les jours de sa gloire. se connoître lui-même.
Kôlons les louanges à la vanité, que pour Mais Dieu qui veille à l’enfance des rois,
les rendre à la grâce. Et quoiqu’il art et qui, en formant leurs premières incli­
été grand , et par l’éclat inoui de son ré­ nations , semble former les destinées pu-
gné , et par les sentimens héroïques de sa pliques, versa de bonne heure dans son
piété , deux réflexions sur lesquelles va ame ces grandes qualités qui suppléent aux
instructions, et que l’instruction toute
rouler ce devoir de religion que nous ren­
seule ne donne pas toujours.
dons à la mémoire de très—haut, tres- Les troubles d’une longue minorité
FUISSANT ET TRÈS-EXCELLENT PRINCE LOUIS
étant calmés par les soins d’une régente
XIV DU NOM, Roi de France et de Na­
varre ; ne parlons de la gloire et de la
vertueuse et d’un ministre habile, Louis,
au sortir de ses nuages, commence à se
grandeur de son règne , que pour montrer montrer à ses peuples. La jeunesse, tou-
I2
jq6 oraison funèbre DE IOUIS-LE-GRAND. 197

jours plus aimable, ce semble, dans les y célébroit, sans le savoir, la naissance fu­
princes; cet air grand et auguste, qui tout ture d’un souverain que ce mariage devoit
seul annonçoit le souverain; la tendresse donner à l’Espagne. Mais ce grand jour
perpétuelle de la nation pour ses rois : tout qui enfanta depuis la reunion des deux
le rendit maître des cœurs ; et c’est alors Empires, ne put encore reunir les cœurs.
qu’un prince est véritablement roi, quand La régente ne survécut pas. long-temps
l’amour des peuples, si j’ose parler ainsi , à la joie d'une cérémonie qui fut le umt
le proclame. de sa sagesse, l’objet fixe de ses .désirs,
La France reprenoit alors cet état flo­ et qui couronna sa glorieuse administia-
rissant, qu’un nouveau règne semble tou­ tion. Legrand ministre qui l’avoitaidée
jours promettre aux Empires. Les dissen­ à soutenir le poids des affaires, et qui a\ O;t
tions civiles l’avoient plus aguerrie et pur­ su sauver la France, malgré la France
gée de mauvais citoyens, qu’épuisée.Les conjurée contre lui, avoit vu peu aupa­
°rands reunis aux pieds du ti one, ne pen ravant expirer avec lui une autorité que la
soient plus qu’à le soutenir. Les guerres France ne souffrit jamais sans jalousie en­
étrangères, et qui n’étoient encore que de tre les mains d’un étranger mais que les
nation à nation , occupoient la valeur de orages avoient affermie.
ses sujets , sans accabler ses peuples. Heu­ Louis se trouva seul, jeune, paisible ,
reuse si elle n’eût pas connu depuis toute absolu, puissant, à la tète dune nation
sa puissance ; et si en ignorant combien il belliqueuse; maitredu cœur desessujelse.i.
lui étoit aisé de conquérir, elle n’eût du plus florissant royaume du monde;
pas senli clsns la suite tout ce qu elle avide de gloire; environné de vieux ch.eis ,
pouvoit perdre ! dont les exploits passés sembloie.nt lui îe-
Le mariage de l’infante d Espagne avec procher le repos où il les laissoit encoi e.
Louis venoit de suspendre les anciennes Qu’il est difficile, quand on peut tout. ,
jalousies, que le voisinage, la valeur et de se défier qu’on peut aussi trop entie-
la puissance formoient entre les deux prendre !
nations. Les Pyrénées qui les avoient vues Les succès justifient bientôt nos entre­
' tant de fois se disputer la victoire , les prises. La Flandre est d’abord revendiquée
virent mener en triomphe sur les mêmes comme le patrimoine de Tnerese ; et tan­
lieux, les gages augustes de la paix. Le lit dis que les manifestes éclaircissent notre
nuptial fut, pour ainsi dire dresse sur droit, nos victoires le décident.
le champ fameux de tant de batailles. Un 1 O
de louis-le-grand. . *99
198 ORAISON FUNEBRE brillans : elle s’étoitrelevée autrefois deses
La Hollande, ce boulevart, que nous malheurs; elle a pensé périr et ecioulei
avions élevé nous-mêmes contre l’Espa­ sous le poids de sa propre g oire.
gne , tombe sous nos coups : ces villes de­ ■ La terre toute seule ne sembloit pas
vant lesquelles l’intrépidité espagnole même suffire à nos triomphes. a ,
avoit tant de fois échoué, n’ont plus de core gémissoit sous le nom re e
murs à l’épreuve de la bravoure fran­ grandeur énorme de nos navires.
çaise; et Louis est sur le point de ren­ tes, qui suffisoient à peine , sous les der­
verser en une campagne l’ouvrage lent et niers règnes, pourmettre nos c e
pénible de la valeur et de la politique d’un vende l’insulte des pirates portoientpar
siècle entier. tout au loin la terreur et la victoire Les
Déjà le feu de la guerre s’allume dans ennemis attaqués jusques dans eui p ’
toute l’Europe : le nombre de nos vic­ avaient paru céder à l’étendard de la
toires augmente celui de nos ennemis , et France l’empire des deux mers. La
cileDa’MaX.les îles du Nouveau-
plus nos ennemis augmentent, plus nos
victoires se multiplient. L’Escaut, le Rhin, Monde, avoient vu leurs ondes ™ugies
le Pô, le Tet n’opposent qu’une foible par les défaites les plus sanglantes. Et
digue à la rapidité de nos conquêtes. Toute l’Afrique même , encore fiere davon v
l’Europe se ligue, et. ses forces réunies ne autrefois échouer sur ses cotes la valeur
servent qu’à montrer la supériorité des nô­ de Saint-Louis et toute la puissance de
tres Des mauvais succès irritent nos en­ Charles-Quint, ne trouvant plus d asde
nemis , sans les désarmer : leurs défaites , sous ses remparts foudroyés, avoi e
qui doivent finir la guerre , l’éternisent : obligée devenir s’humilier , e t encre
tant de sang déjà répandu , nourrit les cher un aux pieds du trône de Louis. , .
haines, loin de les éteindre : les traités de Nous nous élevions de tant de prospéri­
paix ne sont que comme l’appareil d’une tés , et nous ne savions pas que 1 orguei
nouvelle guerre. Munster , Nimègue, des Empires est toujours le premier signal
Rysvvick, où toute la sagesse de l’Europe de leur décadence. 3 .
assemblée promettait de si beaux jours , Telle fut la grandeur de Louis dans la
ne forment que des éclairs qui annoncent guerre. Jamais la France n’avo't mis sur
de nouveaux orages: les situations chan­ pied des armées si formidables : ,aurais
gent, et nos prospérités continuent. Lamo- l’art militaire, c’est-à-dire, lait funeste
narchie n’avoit pas encore vu des jours si
k « __ - .^’exterminer
ORAISON PUNÈbR® DE LOUIS—LE—GRAND. 2-OI
es uns les autres , n’avoit été poussé si soldes ; nos peuples épuisés ; les ai ts a. la
om : jamais tant de généraux fameux ; et, fin sans émulation; le commerce languis­
unUCnnpr et *ïue decesPremiers temps , sant : vous leur rappellerez nos pertes,
, , . , . e ’ dont le premier coup-d’œil plutôt que nos conquêtes : Quando m'er-
decidoittoujours delà victoire; un Tu- roqavcrint vos filii vestri, dicenfes . Quid
îenne, qui plus tardif en apparence n'en sibi volunt isti lapides ? Vous leur rappel­
e oit que plus sûr du succès; un Créqui , lerez tant de lieux saints profanes ; tant
P s g! ami le jour ¿e sa défaite, que dans de dissolutions capables d attirer la coleie
les jours de ses triomphes ; un Luxem­ du Ciel sur les plus justes entreprises ; le
bourg, qui sembloit se jouer de la vic­ feu , le sang,le blasphémé, 1 abomination,
toire ; et tant d’autres venus depuis , que et toutes les horreurs qu enfante la guer i e.
annales mettront un jour parmi les vous leur rappellerez nos crimes , plutôt
’ueschn et les Dunois de notre siècle. que nos victoires : (fiiundo intcn ogavermt
Mais hélas! triste souvenir de nos vic­ vos filii vestri, dicentcs : Quid sibi volunt
toires, que nous rappelez-vous ? Monu- isti lapides?
mens superbes élevés au milieu de nos O fléau de Dieu ! ô guerre ! cesserez-
places publiques, pour en immortaliser vous enfin de ravager 1 héritage de Jesus-
la mémoire, que rappellerez-vous à nos ne- Christ ? O glaive du Seigneur! levé depuis
nx, lorsqu ils vous demanderont, comme long—temps sur les peuples et sur les na­
autrefois les Israélites , ce que signifient tions , ne vous reposerez-vous pasencoie i
vos masses pompeuses et énormes ? O muero Domini! usquequo non qinescest
Quando interrogaverint vosfilii vestri , di~ {Jerem.^.Q.)No3 vengeances, ô mon
sibi volunt isti lapides? (Jos. Dieu! ne sont-elles pas encore accom­
d:h6?rV°US ^p’appeberezun siècleentier plies ? N’aurez-vous enco-re donné qu’une
ÎÎX fr de carnage : PéHte de la no" fausse paix à laterre ? L innocence de 1 au­
fæ etfr^aise. Précipitée dans le Lom- guste Enfant que vous venez d établit sui
Îfnt Z3 'demai?°ns anciennes éteintes; la nation, ne desarme-t-elle pas .votie
tan de meres point consolées, qui pleu­ bras , plus que nos iniquités ne i irritent.
rent encore sur leurs enfans ; nos campa­ Regardez-le du haut du ciel, etnexeicez
gnes desertes et au heu des trésors qu’elles plus sur nous des chatimens qui n ont
aue drnt dansleur-in, n’offraL plus servi jusqu’ici qu a mullipliei nos dî­
mes : 0 mucro Donnai ! usquequb non quies-
îeurs f rOncC;STI Petit nombre des iabou- I 5
S forces de les négliger; nos villes dé-
DE LOUIS-LE-GRAn'd. * 2o3
202 ORAISON FUNEBRE nation; la bizarrerie devint un goût ; nos
ccs ? Ingredere in vaginam íuam , refrige­ "X’même, à qui notre Juste nous ren-
rare , et site. doit si odieux, ne laissèrent pas d en
Un si long cours de prospérités inouïes , venir chercher chez nous le modèle , et
qui devoit un jour nous coûter si cher , après les avoir épuisés par nos victoires ,
éleva bientôt le royaume à un point de X sûmes encore les corrompre par nos
gloire et de magnificence , où les siècles
passés ne l’avoient pas encore vu. La '““pendant, disque jour embellissent le
France devint comme le spectacle pom­ règne de Louis. La navigation plus flous
peux de toute l’Europe. Que de maisons santé que sous tous les régnés prece: en ,
royales s’élevèrent, demeure superbe de étendit notre commerce dans touteses
Louis , où toutes les merveilles de l’Asie parties du Monde connu. Deshommiesll a
et de l’Italie rassemblées, sembloient venir biles furent envoyés vers les cotes les p
rendre hommage à sa grandeur! Paris, éloignées de l’un et de 1 autre hemis^
comme Rome triomphante , s’embellissoit phère, pour prendre des points fixes et e
des dépouilles des nations. La cour, à perfectionner les connaissances. Un -
l’exemple du souverain, plus brillante et lice célèbre (i) s’éleva hors de nos «uns ,
plus magnifique que jamais, se piqua d’ef­ où en observant le cours des astres , et
facer l’éclat des cours étrangères. La ville, toute la magnificence des cieux , on ma -
l’imitatrice éternelle de la cour, en copia le que au pilote des routes certaines sui .a
faste. Les provinces à l’envi marchèrent vaste étendue de l’Océan; et on,
de loin sur les traces de la ville. La sim­ au philosophe à s’humilier sous la majeste
plicité des anciennes mœurs changea : il immense de l’Auteur de ni i ‘
ne resta plus de vestiges de la modestie de flottes, aidées de ces secours, nous appoi
nos pères , que dans leurs vieux et res­ toient tous les ans , comme celles de Sala
pectables portraits, qui enornant les murs mon , les richesses du Nonveau-Monde.
de nos palais , nous en reprochoient tout Hélas! ces nations insulaires et simp
bas la magnificence. Le luxe , toujours le nous envoyoient leur or et eur g ,
précurseur de l’indigence , en corrompant nous leur portions peut-etre en echanS®’
les mœurs , tarit la source de nos biens : au lieu de la foi, nos déreglemens et nos
la misère même qu’il avoit enfantée , ne
putle modérer: la perpétuelle inconslance
des ornemens fut un des attributs de la (i) L’Observatoire.
I 6
¡»¿A ■

204 oraison funèbre DE LOUIS—I*E—GRAND. 200


Le commerce si élendu au dehors, fut de mœurs , d’intérêts , de pays , vivre
facilité par des ouvrages dignes de la comme un seul homme. La police y ôta
grandeur des Romains. Des rivières , mal­ au crime la sûreté que la contusion et la
gré les terres et les collines qui les sépa- multitude lui avoient jusques—la donnée.
roient, virent réunir leurs eaux, et por­ Au milieu de ce chaos régnèrent 1 ordre
ter aux pieds des murs de la capitale, le et la paix; et dans ce concours innombra­
tribut et les richesses diverses de chaque ble d’hommes si inconnus les uns aux au­
province. Les deux mers, qui entourent tres , nul presque ne fut inconnu a la vigi­
et qui enrichissent ce vaste royaume , se lance du magistrat.
donnèrent, pour ainsi dire, la main; et Le royaume entier changea de face
un canal miraculeux, par la hardiesse et comme la capitale : la justice eut des lois
les travaux incompréhensibles de l’entre­ fixes ; et le bon droit ne dépendit plus, ou
prise , rapprocha ce que la nature avoit du caprice du juge , ou du crédit de la pa­
séparé par des espaces immenses. trie ; des règlemens utiles, et qui devien­
Il étoit réservé à Louis d’achever ce dront la jurisprudence de tous les siècles
que les siècles précédens de la monarchie à venir , furent publiés : l’étude du droit
n’auroient même osé souhaiter; c’étoit le français et du croit public, se ranima;
règne des prodiges: nos pères ne. les des sénateurs célèbres, et dont les noms
avoient pas même imaginés, et nos neveux formeront un jour la tradition des grands
n’en verront jamais de semblables; mais hommes qui embelliront l’histoire de la
plus heureux que nous, ils verront peut- magistrature , ornèrent nos tribunaux ;
être le règne de la paix, de la frugalité et l’éloquence, et la science des lois et des
de l’innocence. Qu’ils n’arrivent jamais au maximes brillèrent dans le barreau , . et
comble frivole de notre gloire, plutôt que la tribune du sénat principal devint
de l’acheter au prix des vices et des mal­ aussi célèbre par la majesté des plai­
heurs où elle nous a précipités. doyers publics, que l’avoit été, sous les
Il est vrai que les soins de Louis, pour Hortense et sous les Cicéron, celle de
augmenter l’éclat et le bon ordre du Rome.
royaume , ne se proposoient point de bor­ A. quel point de perfection les sciences
nes. La ville régnante, l’abord de toutes et les arts ne furent-ils pas portés? Vous
les nations, et qui rassemble le choix, en serez les monumens éternels, ecoles
comme le rebut de nos provinces, vit ce fameuses rassemblées autour du trône, et
nombre prodigieux d’habitans si differens qui en assurez plus l’éclat et la majesté ,
206 ORAISON rUNÈME i»E louis-le-grand. 207
que les soixante vaillans qui environnoient Iant tout le sel et tous les agremens des
le trône de Salomon ( Cant. 3. 7.)! l'é­ anciens, nous en a rappelé les séductions
mulation y forma le goût; les récompen­ et la licence: la philosophie a paru per­
ses augmentèrent l’émulation ; le mérite dre du côté de la simplicité de la foi , ce
qui se multiplioit, multiplia les récom­ qu’elle acquéroit d.e plus sur les connois—
penses. sauces de la nature: l’éloquence, toujours
Quels hommes et quels ouvrages vois- flatteuse dans les monarchies , s’est affa­
je sortir à-la-fois de ces assemblées savan­ die par des adulations dangereuses aux
tes? des Phidias, des Appelle, des Pla­ meilleurs princes ; enfin, la science même
ton, des Sophocle, des Plaute, des Dé- de la religion , plus exacte et plus appro­
mosthène , des Horace ; des hommes et fondie, et d’où dévoient naître la paix et
des ouvrages , au goût desquels le goût la vérité, a dégénéré en vaines subtilités,
des âges futurs de la monarchie se rappel­ et éternisé les disputes. O siècle si vanté !
lera toujours ? Je vois revivre le siècle Votre ignominie s’est donc multipliée avec
d’Auguste, et les temps les plus polis et les votre gloire. (Osée, 4. 7-) ^l-ais la gloire
plus cultivés de la Grèce. Il falloitque tout appartenoit à Louis , et l’abus qu’on en
fût marqué au coin de l’immortalité sous le fait , a été notre seul ouvrage. Ainsi
règne de Louis; et que les époques des let­ éclatoit au loin la grandeur et la répu­
tres y fussent aussi célèbres que celles des tation de la France , tandis qu au de­
victoires. dans elle s’affoiblissoit par ses propres
La France a retenti long-temps de ces avantages.
pompeux éloges ; et nous nous sommes Je ne rappelle ici qu’une partie des
comme rassasiés là-dessus de nos propres merveilles dont vous avez ete témoins.
louanges. Mais le dirai-je ici? en ajou­ Tout ce qui fait la grandeur des Empires,
tant à la science, nous avons ajouté au se trouvoit réuni autour de Louis. Des
travail et à la malice; les arts, en flat­ ministres sages et habiles, ressource des
tant la curiosité , ont enfanté la mollesse; oeuples et des rois ; nos frontières recu-
le théâtre plus florissant , mais toujours le ées , et qui sembloient éloigner de nous
triste fruit de l’abondance , de l’oisiveté a guerre pour toujours; des forteresses
et de la corruption, ou a donné du ri­ inaccessibles élevées de toutes parts , et
dicule au vice sans corriger les moeurs, ou qui paroissoient plus destinées à menacer
a corrompu les mœurs, en rendant le v;ce les Etats voisins, qu’à mettre nos Etats à
plus aimable; la poésie , en nous rappe- couvert; l’Espagne forcée de nous céder,

208 oraison funèbre DE LOUIS—LE—GRAND. 20}


par un acte solennel, la préséance quelle pour ainsi dire, de la famille royale, et
nous avoit jusques-là disputée ; Rome élevant tout à la fois, sous ses yeux r les
même désavouer, par un monument pu­ successeurs des trois règnes suivans. Ja­
blic , le droit des gens violés, et l’outrage mais la succession royale n’avoitparu plus
fait à une couronne de qui elle tient sa affermie. Nous voyions croître aux pieds
splendeur et la vaste étendue de son patri­ du trône, les rois de nos enfans et de nos
moine : enfin, le souverain lui-même d’une neveux. Hélas! à peine en reste-t-il un
république florissante,’descendre de son pour nous-mêmes; et il n’est demeuré
trône d’où ses prédécesseurs n’étoient qu’une étincelle dans Israël. Mais ne hâ­
pas encore descendus, quitter ses conci­ tons pas ces tristes images que la cons­
toyens et sa patrie, et venir mettre les tance de Louis doit nous ramener dans la
marques fastueuses de sa dignité aux pieds suite de ce Discours.
de Louis pour fléchir sa clémence.. Que ces jours de deuil paroissoient
Grands évènemens qui nous attiroient loin de nous en ce jour brillant, où
la jalousie bien plus que 1 admiration de nous donnions des rois à nos voisins ,
l’Europe ! Et des évènemens , qui font et où l’Espagne même, qui avoit ébranlé
tant de jaloux , peuvent bien embellir tant de fois l’Empire français , et qui
l’histoire d’un règne ; mais ils n’assurent depuis si long-temps usurpoit une de
jamais le bonheur d’un Etat. nos couronnes , vint mettre toutes les
Que inanquoit-il dans ces temps heu­ siennes sur la tête d’un des petits-fils de
reux à la gloire de Louis ? Arbitre de la Louis !
paix et de la guerre ; maître de l’Europe ; Ce fut ce grand jour qu’il parut comme
formant presqu’avec la même autorité les un nouveau Charlemagne, établissant ses
décisions des cours étrangères, que celles enfans souverains dans l’Europe ; voyant
de ses propres conseils ; trouvant dans son trône environné des rois sortis de
l’amour de ses sujets des ressources, qui son sang; réunissant encore une fois ,
en tarissant leurs biens , ne pouvoient sous la race auguste des Francs , les peu­
épuiser leur zèle; conservant sur les prin­ ples et les nations; faisant mouvoir, du
ces issus de son sang, signalés par nulle fond de son palais, les ressorts de tant
victoires, un pouvoir aussi absolu que sur de royaumes; et devenu le centre et le
le reste de ses sujets ; voyant autour de son lien de deux vastes monarchies, dont les
trône les enfans de ses enfans; le père intérêts avoient semblé jusques-là aussi
d’une nombreuse postérité; le patriarche, incompatibles que les humeurs.
210 ORAISON FUNEBRE DE LOUIS—LE—GRAND. . 21 I
Jour mémorable! il est vrai, vous ne l’art de gouverner; sa longue expérience
serez écrit sur nos fastes, qu’avec le sang mûrissoit leur jeunesse, et assuro.it leurs
de tant de Français que vous avez fait lumières; les négociations conduites par
verser : les malheurs que vous prépariez, l’habileté, réussissoient toujours par le
nous ont rendu cette gloire triste et amère: secret. Quel bonheur la réputation seule
vos dons éclatans, en flattant notre va­ du gouvernement ne promettoit-elle pas
nité, ont humilié, et pensé renverser no­ à la France, si nous eussions su nous
tre puissance. L’Espagne ennemie n’avoit contenter de la gloire et de la.sagesse. i ous
pu nous, nuire: l’Espagne alliée nous a les rois voisins, qui en. naissant avoien
accablés : nos disgrâces seront éternelle­ trouvé Louis déjà vieilli sur le tione , se
ment gravées autour de la couronne qu’elle fussent regardés comme les enfans et les
a mise sur la tête d un de nos princes. Mais pupilles d’un si grand roi : il n’eût pas ete
si la Castille a vu .notre joie modérée leur vainqueur ; mais il étoit assez §ian
par nos pertes, elle ne verra jamais no­ pour mépriser les triomphes (i) ; et il eut
tre estime pour sa valeur et sa fidélité , été leur tuteur et leur perè.
et notre reconnoissance pour son choix , De ce fond de sagesse sortoit la majesté
affaiblie. répandue sur sa personne ; la v;e la plus
J’avoue, mes Frères, que la gloire des privée ne le vit jamais un moment oublier
évènemens qui embellit un règne, est sou­ la gravité et les bienseances.de la dignité
vent étrangère au souverain : les rois ne royale; jamais roi ne sut mieux soutenu
sont grands que par les vertus qui leur que lui le caractère majestueux de la sou­
sont propres : leurs succès les plus écla­ veraineté. Quelle grandeur , quand les
tans peuvent ne couvrir que des quali­ ministres des rois venoient aux pieds de
tés fort obscures, et prouver qu’ils sont son trône ! Quelle précision dans ses pa­
bien servis , plutôt que dignes de com­ roles ! quelle majesté dans ses réponses.
mander. Nous les recueillions comme les maximes
Mais ici nous ne craignons pas de dé­ de la sagesse ; jaloux que son silence nous
pouiller Louis de tout cet éclat qui l’eri- dérobât trop souvent des trésors qui
vironnoit , et de vous le montrer lui- étoient à nous; et, s’il m’est permis de le
même. Quelle sagesse ! et quel usage des dire, qu’il ménageât trop ses paroles a des
affaires'.L’Europeredoutoit la supériorité
de ses conseils, autant que celle de ses (i) Jam Ccesar tanlus erat, ut posset triumplws
armes : ses ministres éludioient sous lui eontemnere. Flor.

I
RE LOUIS—LE—GRAND. 2l3
212 ORAISON FUNEBRE
cœur, toujours respectueux pour la vertu de
sujets qui lui prodiguoient leur sang et leur Thérèse ; condamnant, pour ai nsi dire, par
tendresse. ses égards pour elle , l’injustice de ses en-
Cependant, vous le savez , cette ma­ gagernens , et renouant par l’estime , un
jesté n’avoit rien de farouche: un abord lien afFoibli par les passions; un père ten­
charmant, quand il vouloit se laisser ap­ dre , plus grand dans cette histoire do­
procher ; un art d’assaisonner les grâces, mestique , qui ne passera peut-être point à
qui touchoit plus que les grâces memes ; nos neveux, que dans les évènemens écla-
une politesse de discours qui trouvoit tou­ tans de son règne, que les histoires publi­
jours à placer ce qu’on aimoit le plus à en­ ques conserveront à la postérité.
tendre. Nous en sortions transportés, et Mais ces vertus humaines , que sont-
nous regrettions des momens que sa soli­ elles devant Dieu, quand la piété ne les
tude et ses occupations rendoient tous les a pas sanctifiées ? Hélas ! le vain sujet sou­
jours plus rares. Nation fidèle, nous aimons vent des louanges des hommes et des ven­
de tout temps à voir nos rois; et les rois ga­ geances du Seigneur. Mais cette gloire si
gnent toujours à se montrer à une nation célébrée , et qui a fait tant de jaloux ou
qui les aime. de flatteurs, à quoi mène-t-elle pour l’é­
Et quel roi y auroit plus gagné que ternité, si l’on ne l’a pas rendue à celui à
Louis ? Vous pouvez le dire ici à ma qui seul la gloire est due? à un jugement
place , anciens et illustres sujets occupés plus rigoureux, et par l’ambition qui tou­
autour de sa personne. Au milieu de vous jours y conduit, et par l’orgueil quelle
ce n’étoit plus ce grand roi, la terreur inspire. Destinée terrible, et toujours à
de l’Europe , et dont nos yeux pou- craindre pour les plus grands rois sur­
voient à peine soutenir la majesté ; c’e— tout , vous n’augmenterez pas le deuil
toit un maître humain , facile , bienfai­ de nos prières ; et vous ne troublerez
sant, affable : l’éclat qui l’environnoit, le pas la paix des offrandes saintes qui re­
dérohoit à nos regards ; nous ne voyions posent sur l’autel, et qui vont solliciter
que sa gloire , et vous voyiez toutes ses pour Louis, le Père des miséricordes.
vertus. Il connut le néant de la gloire humaine :
Un fond d’honneur, de droiture, de pro­ El cignovit qubd in his quoque esset labor,
bité, de vérité; qualités si essentielles aux et afflictio spiritùs ; et il fut encore plus
rois, et si rares pourtant même parmi les grand par une foi humble et par une piete
autres hommes : un ami fidèle; un epoux
malgré les foihlesses qui partagèrent son
2l4 ORAISON FUNEBRE DE LOUIS—LE—GRAND. 210

sincère , que par l’éclat de sa puissance et Louis porta en naissant un fond de re­
de ses victoires. ligion et de crainte de Dieu, que les ega-
remens mêmes de l’âge ne purent jamais
SECONDE PARTIE. effacer. Le sang de S. Louis et de tant de
rois chrétiens, qui couloit dans ses veines;
L’onction sainte répandue sur les rois, le souvenir encore tout récent d’un père
consacre leur caractère , et ne sanctifie pas juste ; les exemples d’une mère pieuse, les
toujours leurs personnes : l’étendue de instructions dû prélat irrépréhensible,
leurs devoirs répond à celle de leur puis­ qui présidoit à son éducation; d’heureu­
sance le sceptre est plutôt le titre de leurs ses inclinations , encore plus sûres que
soins et de leur servitude , que de leur au­ les instructions et les exemples : tout pa-
torité : ils ne sont rois que pour être les roissoit le destiner à la vertu comme au
pères et les pasteurs des peuples : ils ne trône.
sont pas nés pour eux seuls ; et les vertus Mais hélas! qu’est-ce que la jeunesse
privées , qui assurent le salut du sujet, des rois? une saison périlleuse, ou les
toutes seules, se tourneroient en vicespour passions commencent à jouir de la même
le souverain. . . . autorité que le souverain , et à .monter
C’est à la sublimité de ces idées primi­ avec lui sur le trône. Et que pouvoit atten­
tives, que l’Ecriture rappelle l’éloge d’un dre Louis, surtout dans ce premier âge?
des plus saints rois de Juda. Il conserva L’homme le mieux fait de sa. cour, tout
son sœur fidèle à Dieu : Gubernavit ad Uo- brillant d’agrémens et de gloire ; maître
minum cor ipsius-, {Eccli. 48. 3. 4 J c es^ de tout vouloir, et ne voulant rien en
devoir essentiel de l’homme. Il renversa vain ; voyant naître tous les jours sous ses
les abominations de l’impiété et tous les pas des plaisirs nouveaux qui attendoient
monumens de l’erreur : Tulit abominatio­ à peine ses désirs; ne rencontrant autour
nes impietatis-, c’est le zèle du souverain.il de lui que des regards, toujours trop ins­
affermit la piété dans les jours de pecbe et truits à plaire, et qui paroissoient tous
de malice, en l’honorant de ses faveurs et réunis et conjurés pour plaire à lui seul ;
de sa confiance : In diebus peccatorum cor­ environné d’apologistes des passions, qui
roboravit pietatem ; et c’est 1 exemple que souffloient encore le feu de la volupté ,
doit à ses sujets celui qui en est le pasteur et qui cherchoient à effacer ses premières
et le père. impressions de vertu, en donnant des ti­
tres d’honneur à la licence ; au milieu
2.i6 oraison funèbre DE LOUIS—LE—GRAND. 2ÏJ
d'une cour polie, où la mollesse et le plai­ sônt établispourcommander aux autres, et
sir ont trouvé de tout temps le secret de qu’à l’étendue de l’autorité , l’abondance
s’allier, et même d’aller de pair avec la va­ du châtiment est presque toujours ré­
leur et le courage; et enfin dans un siè­ servée.
cle, où le sexe, peu content d’oublier sa Mais ici les miséricordes éternelles pré­
propre pudeur, semble même défier ce qui parées, à Louis commencent à se manifes­
peut en rester encore dans ceux à qui il ter. Dieu le prépare de loin à la vertu en
veut plaire. armant les premiers traits de son autorité
Et cependant de l’exemple du prince contre les vices. L’usage barbare des duels,
quel déluge de maux dans le peuple! Ses ancien reste de la férocité de nos premiers
mœurs forment bientôt les mœurs publi­ conquérans, que la religion et la poli­
ques : l’imitation toujours sûre de plaire tesse qu’elle met dans les mœurs, n’avoit
et d’attirer des grâces, réconcilie l’ambi­ pu depuis modérer ; que tant de rois
tion avec la volupté : les plaisirs d’ordi­ avoient vainement condamné, et quiavoit
naire gênés par les vues de la fortune, en coûté tant de sang à la nation, fut aboli;
facilitent les avenues, et en deviennent la et Louis consacra le commencement de
plus sure route : des écrivains profanes son règne, par une action qui assure le re­
vendent leur plume à l’iniquité, et chantent pos et la tranquillité de tous les règnes à
des passions que le respect tout seul auroit venir.
dû ensevelir dans un éternel silence: de Oui, mes Frères, dans le temps même
nouveaux spectacles s’élèvent pour en faire que Louis paroissoit .encore loin du Sei­
des leçons publiques; tout devient la pas­ gneur, Je Seigneur étoit déjà près de lui:
sion du souverain. tes passions mêmes qui blessent son cœur,
O rois des peuples, dit l’Esprit de Dieu! respectent sa foi. Quelle horreur pour ce
vous qui, assis sur votre trône, voyez avec genre d’hommes qui ne goûtent qu’à demi
tant de complaisance à vos pieds la mul­ le plaisir, s’il n’est assaisonné d’impiété,
titude des nations, c’est à vous que j’a­ et qui paroissent ne se souvenir de Dieu ,
dresse ces paroles : Ad vos, d reges, sunt que pour le mettre dans leurs affreuses dé­
hi sermones mei. (Sap. 6.3. 4. 5. 10) Sou­ bauches ! L’impie étoit proscrit, dès-là
venez-vous que la puissance vous a été qu’il étoit connu : la naissance et les ser­
donnée d’en-haul; que l’usage en doit être vices, loin d’assurer l’impunité à l’irréli­
saint, comme l’origine en est sainte; qu’un gion , en rendoient le châtiment plus écla­
jugement très-dur est préparé à ceux qui tant : les agi’émens mêmes de l’esprit, sé-
sont Oraisons junèbres. *K ’
DE LOUIS-Ltr-GAAKII. 21^
2l8 ORAISON TUNEBBE
ductiôn dont on a tant de peine à se dé­ galités de piété si inséparables de l’in­
fendre , n’en avaient plus pour lui, dès constance des hommes, que l’uniformité
qu’il y voyoït luire une etincelle d incré­ toute seule lasse; que l’ennui du vice at­
dulité. Il ne connoissoit point de mérite tire souvent tout seul à la nouveauté de
dans l’hommequi neconnoit point deDieu; la vertu ; pour qui l’usage de la vertu re­
et l’impie, qui dit anatheme au ciel, deve- devient bientôt un nouvel attrait favora­
noit à l’instant pour lui i’anatlième de la ble au vice; et qui, en repassant sans cesse
du vice à la vertu, cherchent plus à soula­
terre. ger leur inconstance, qu’à fixer leur infi­
Ainsi se préparoit l’ouvrage de la sanc­
tification de Louis. Mais soi tons de ces délité.
temps de ténèbres, si-inévitables aux rois, Dès la première démarche que Louis
et si ordinaires aux autres hommes ; péns- eut faite dans la voie de Dieu, il y mar­
sent et soient à jamais effacés de notre sou­ cha toujours d’un pas égal et majestueux.
venir, ces jours qu’il a effaces par ses lar­ Un jour instruisoit l’autre jour; et une
nuit donnoit des leçons semblables à l’au­
mes et par sa piété, et que le Seigneur a
sans doute oubliés! Les premières années tre nuit. L’histoire de sa piété est l’his­
de la jeunesse des souverains , comme les toire d’une de ses journées ; et hors les
commencemens de leur naissance, se res­ evènemens inattendus, qui montroient en
lui de nouvelles vertus , la vertu du pre­
semblent presque toutes : Nemo enim ex
regibus habuit aliud nativitahs initium. mier jour fut celle du reste de sa vie.
Soins immenses du gouvernement, dont
(Sap. 7. 5.) Mais si Louis les a suivis il portoit presque tout seul le poids, vous
dans ces premières voies des passions, ou
sont les rois qui aient marché depuis avec n interrompîtes jamais l’exactitude de ses
devoirs religieux : jamais la vie de la cour,
autant de grandeur et de fidélité que lui
toujours inégale, parce qu’elle est oiseuse ,
dans les voies de la grâce ? Ou sont ineme
ne dérangea la respectable uniformité de
ceux de ses sujets, qui vivoient sous ses
sa conduite ; et dans un lieu où le ca­
yeux, et que leur rang approchoit du trône.
price et le loisir sont si ingénieux à va­
Hélas ! imitateurs la plupart , pour ne rier les jours et lesmomens, Louis seul
pas dire coupables adulateurs de ses foi- étoit le point fixe, où tous les jours et tous
blesses, ils ont peut-être fini par censurer les momens se trouvoient les mêmes ;
sa vertu. vertu rare, dans les princes surtout, que
Et quelle vertu! uniforme, tendre, cons­ rien ne contraint , et en qui l’incons-
tante. On ne vit point en lui de ces îne-
K z
220 ORAISON FUNEBRE DE LOUIS-LE-GRÀND. 22Î
tancede l’imagination est sans cesse réveil­ toire avoit suivi dès le berceau, et qui
lée par le choix et la multiplicité des res­ comptoit ses prospérités par les jours de
sources. son règne : ce Roi, dont les entreprises
La piété et la bonne-foi des dispositions toutes seules annonçoient toujours le suc­
répondoitàl’exactitude desdevoirs. Quelle cès ; et qui jusques-là , n’ayant jamais
profonde religion aux pieds des autels ! trouvé d’obstacle , n’avoit eu qu’à se dé­
Avec quel respect venoit-il courber devant fier de ses propres désirs : ce Roi, dont
la gloire du sanctuaire, cette tête qui por- tant d’éloges et de trophées publics avoient
toit, pour ainsi dire, l’Univers; et que immortalisé les conquêtes ; et qui n’avoit
l’àge, la majesté, les victoires rendoient jamais eu à craindre que les écueils qui
encore moins auguste que la piété ! Quelle naissent du sein même de la louange et de
terreur en approchant des mystères saints la gloire : ce Roi, si long-temps maître des
et de cette viande céleste, qui fait les dé­ ëvènemens, les voit, par une révolution
lices des rois ! Quelle attention à la parole subite, tous tournés contre lui. Les enne­
de vie! et malgré les dégoûts et les censu­ mis prennent notre place : ils n’ont qu’à
res d’une cour éclairée et difficile, quel se montrer , la victoire se montre avec
respect pour la sainte liberté du ministère eux; leurs propres succès les étonnent : la
et pour les défauts mêmes du ministre! Il valeur de nos troupes a semblé passer dans
nous en a dit assez pour nous corriger , ré- leur camp : le nombre prodigieux de nos
pondoit-il à ceux de sa cour qui parois- armées en facilite la déroute : la diversité
soient mécontens de l’instruction. Quelle des lieux ne fait que diversifier nos mal­
tendresse de conscience ! quelle horreur heurs : tant de champs fameux de nos vic­
»our les plus légères transgressions ! Tout toires sont surpris de servir de théâtre à
Ïe bien qui lui fut montré, il l’aima; et nos défaites: le peuple est consterné; la
s’il n’accomplit pas toute justice , c’est capitale est menacée; la misère et la mor­
qu’elle ne lui fut pas toute connue. C’est talité semblent sejoindreaux ennemis;tous
la destinée des meilleurs rois; c’est le mal­ les maux paroissent réunis sur nous : et
heur du rang, plutôt que le vice de la per­ Dieu, qui nous en préparoit les ressour­
sonne. ces , ne nous les montrait pas encore ;
Mais l’épreuve la moins équivoque d’une Denain et Landrecie éloient encore cachés
vertu solide , c’est l’adversité. Et quels dans les conseils éternels. Cependant no­
coups, ô mon Dieu ! ne prépariez-vous pas tre cause étoit juste; mais l’avoit elle tou­
à sa constance ! Ce grand Roi, que la vie- jours été? Et que sais-je, si nos dernières
K3
RE LOUIS-LE-GRAND. 223
222 ORAISON FUNEBRE Que vois-je ici '. et quel spectacle atten­
défaites n’expioient pas l’équité douteuse, drissant même pour nos neveux, quand ils
ou l’orgueil inévitable de nos anciennes en liront l’histoire! Dieu répand la déso­
victoires? lation et lamort sur toute la maison royale.
Louis le reconnut ; il le dit : J'avois au­ Que de têtes augustes frappées! que d ap­
trefois entrepris la guerre légèrement, et puis du trône renversés ! Le jugement
Dieu avoit semblé me favoriser ; je lafais commence par le premier—ne . sa on e
pour soutenir les droits légitimes de mon nous promettoit des jours heuieux; e nous
petit-fils à la couronne d’Espagne , et il répandîmes ici nos prières et nos larmes
m abandonne : il me prcparoit cette puni­ sur ses cendres chères et augustes. Mais il
tion que fiai méritée. Il s’humilia sous la nous restoit encore de quoi nous conso­
main qui s’appesantissoit sur lui : sa foi ler. Elles n’él oient pas encore essuyees nos
ôta même à ses malheurs la nouvelle amer­ larmes; et une princesse aimable (i), qui
tume que le long usage des prospérités délassoit Louis des soins de la royauté,
leur donne toujours: sa grande arne ne pa­ est enlevée, dans la plus belle saison de
rut point émue : au milieu de la tristesse son âge, aux charmes de la vie, a lespe-
et de l’abattement de la cour, la sérénité rance d’une couronne, et à la tendresse
seule de son auguste front rassuroit les des peuples, qu’elle commençoit a regai—
frayeurs publiques. Il regarda les chàli- der et à aimer comme ses sujets. os v en­
timens du Ciel, comme la peine de l’abus geances, ô mon Dieu j se préparent en­
qu’il avoit fait de ses faveurs passées : il core de nouvelles victimes : ses derniers
répara, par la plénitude de sa soumission, soupirs soufflent la douleur et la mort dans
ce qui pourvoit avoir manqué autrefois à sa le cœur de son royal epoux (2). Les c®n~
reconnoissance. Il s’étoil peut-être attribué dres du jeune prince se hâtent de s unir a
la gloire des évènemens ; Dieu la lui ôte , celles de son épouse : il ne lui survit que
pour lui donner celle de la soumission et les momens rapides qu’il faut, pour sentir
de la constance. qu’il l’a perdue; et nous perdons avec lui
Mais le temps des épreuves n’est pas les espérances de sagesse et de piété:, qui
encore fini. Vous l’avez frappé dans son dévoient faire revivre le régné des meilleurs
peuple, ô mon Dieu! comme David;
vous le frapperez encore comme lui dans ( I ) Mort (l’Adélaïde de Savoie.
ses enfans ; il vous avoit sacrifié sa gloire, (fi Mort du duc de Bourgogne.
et vous voulez encore le sacrifice de sa K4
tendresse.
<224 ORAISON FUNÈBRE fiE LOUIS—LE—GR AND. 22$
rois, et les anciens jours de paix et d’in­ auguste maison , Louis demeure ferme
nocence. dans la foi. Dieu souffle sur sa nombreuse
Airëtez, grand Dieu! montrerez-vous postérité , et en un instant elle est effacée
encore votre colère, et votre puissance comme les caractères tracés sur le sable.
contre 1 Enfant qui vient de naître ? Vou­ De tous les princes qui l’environnoient,
ez-vous tarir la source de la race royale? et qui formoient comme la gloire et les
Et le sang de Charlemagne et de Saint- rayons de sa couronne, il ne reste qu’une
Eouis qui ont tant combattu pour la foible étincelle sur le point même alors
gloire de votre nom, est-il devenu pour de s’éteindre. Mais le fonds de sa foi ne
vous, comme le sang d’Achab, et de tant peut être épuisé par ses malheurs : il es­
de rois impies dont vous exterminiez toute père , comme Abraham , que le seul en­
la postérité ? fant de la promesse ne périra point: il
.Le glaive est encore levé, mes Frères ; adore celui qui dispose des sceptres et
Dieu est sourd à nos larmes, à la tendresse des couronnes; et voit peut-être dans ces
et à la piété de Louis. Celte fleur nais­ pertes domestiques , la miséricorde qui
sante , et dont les premiers jours étoient expie et qui achève d’effacer du livre des
si brillans , est moissonnée ( i ) ; et si la justices du Seigneur, ses anciennes pas­
cruelle mort se contente de menacer celui sions étrangères.
qui est encore attaché à la mamelle (2), Louis conserva donc à Dieu un cœur
ce reste précieux que Dieu vouloit nous fidèle : Gubernavit ad Dominum cor ipsiusz,
sauxer de tant de pertes , ce n’est que et c’est là le devoir essentiel de l’homme.
pour finir cette triste et tranglante scène, Mais jusqu’où ne porta-t-il point son zèle
par nous enlever le seul des trois princes pour i’Egîise, cette vertu des souverains,
(3 ) qui nous restoit encore, pour prési- qui n’ont reçu le glaive et la puissance,
,;ei„ a son enfance, et le conduire ou que pour être les appuis des autels et les
i affermir sur le trône. défenseurs de sa doctrine ? Tulit abomi­
Au milieu des débris lugubres de son nationes impietatis.
Ici les évènemens parlent pour moi ;
( 1 ) Mort du duc de Bretagne , frère aîné de Louis XV, et les plaintes séditieuses de l’hérésie
arrivée encore peu de jours après. chassée du royaume , qui ont si long­
(2) Le roi Louis XV fut alors à l’extrémité. temps retenti dans toute l’Europe; et les
( 3 ) Mort du duc de Berry, oncle du roi Louis XV. clameurs des faux prophètes dispersés ,
qui sonnoient partout, à l’exemple de
K 5
DE LOUIS-LE-GRAND. 227
226 ORAISON FUNEBRE
par la force de ses places, par la foihlesse
leurs pères , le signal de la guerre et de des règnes précedens forces à la tolerei,
la vengeance contre Louis, ont fait avant par un déluge de sang français qu elle
nous l’éloge de son zèle. avoit fait verser, par le nombre de ses
Spécieuse raison d’Etat, en vain vous partisans, et par la science orgueilleuse
opposâtes à Louis les vues timides de la de ses docteurs, par l’appui de tant de
sagesse humaine : le corps de la monar­ nations , et même par 1 ancien souvenir
chie affoibli par l’évasion de tant de ci­ et l’injustice de cette journée sanglante,
toyens ; le cours du commerce ralenti, qui devroit être effacée de nos annales ,
ou par la privation de leur industrie, ou que la piété et l’humanité desavoueront
par le transport furtif de leurs richesses; toujours ; et qui, en voulant l’écraser sous
les nations voisines , protectrices de l’hé­ un de nos derniers rois, ranima sa force
résie, prêtes à s’armer pour la défendre. et sa fureur, et lit, si je l'ose dire, de
Les périls fortifient son zèle ; l’œuvre de son sang, la semence de nouveaux disci­
Dieu ne craint point les hommes : il croit ples ; l’hérésie à l’abri de tant de remparts,
même affermir son trône en renversant tombe au premier coup que. Louis lui
celui de l’erreur : les temples profanes porte, disparoît, et est réduite, ou a se
sont détruits ; les chaires de séduction cacher dans les ténèbres d’où elle étoit
abattues : les prophètes de mensonge ar­ sortie, ou à passer les mers, et à porter,
rachés des troupeaux qu’ils séduisoient; avec ses faux dieux , sa rage et son amer­
les assemblées étrangères réunies à l’as­ tume dans les contrées étrangères.
semblée des Fidèles. Le mur de séparation Heureuse si la soumission eut précédé
est ôté ; nos frères viennent retrouver aux les cbâtimens; si au lieu de ceder à 1 au­
pieds de nos autels , avec les tombeaux torité, elle n’eût cédé qu’a la vérité; et si
de leurs ancêtres , les titres domestiques ses sectateurs, contens la plupart dobéir
de la foi dont ils avoient dégénéré : le en apparence au souverain, 11 eussent tire
temps, la grâce , l’instruction achèvent d’autre avantage du zèle de Louis, que
peu à peu un changement, dont la force de laissera leurs en fans et a leurs neveux ,
n’obtient jamais que les apparences; et le bonheur d’obéir aujourd hui a 1 Eglise.
l’erreur , qui née en France sembioit y Mais enfin la France, à la gloire éternelle
avoir jeté des racines éternelles ; et cette de Louis, est purgée de ce scandale; la
zizanie, qui tant de fois avoit. pensé étouf­ contagion ne se perpetue plus dans les
fer parmi nous le bon grain ; et l’hérésie, familles ; il n’y a plus parmi nous qu’un
depuis si long—temps redoutable au trône
¿28 ORAISON FUNEBRE DE LOUIS—LE—GRAND. 22ÿ

bercail et un pasteur; et si la crainte fit roit à l’Eglise bien des scandales s’il étoit
alors des hypocrites , l’instruction a fait imité; et changea, par la candeur et la
depuis , de ceux qui sont venus après eux, promptitude de sa soumission, les éclairs
de véritables Fidèles. et les foudres de l’Eglise qui le mena-
Aussi,sousquelque couleur que l’erreur çoient, en une pluie abondante de grâces
cherchât à reparoitre, elle réveilloi t égale­ et de bénédictions pour lui : tulgura m
ment le zèle et la piété de Louis. Vaines pluviam jecit. ( Ps. i34- 7-)
idées de perfection , qui sous prétexte Mais l’homme ennemi veille toujours
d’élever l’homme jusques à Dieu , le lais­ pour semer des scandales dans le champ
siez tout entier à lui-même, et lui faisiez du Seigneur. La vérité a triomphé de
de la pureté sublime de sa vertu, la sûreté l’hérésie et du fanatisme; mais la paix
de son libertinage ! nouveau système d’o­ que nous attendions n’est point encore
raison, si inconnu à la simplicité de la venue : Exspedavimus pacem, et non ercit
foi, et qui mettiez l’acquiescement oiseux bonum. C Jerem. 8. i5.J Les mystères de
et le fanatisme de vos prières, à la place la grâce, où l’orgueil de l’esprit humain
des devoirs et des violences de l’Evangile ! a si souvent échoué , échauffent de nou­
doctrine impie et ridicule, qui cherchiez à veau les esprits : les pasteurs de l’Eglise,
persuader en secret, que la prière , qui qui toujours unis entre eux , ne devraient
seule nous obtient la grâce de surmonter jamais prendre les armes que contre les
les tentations , nous donne elle-même le ennemis du dehors, se divisent, comme
droit d’y succomber sans crime ! Louis s’ils avoient des intérêts et des espérances
eut horreur de vos blasphèmes; il arma différentes : les esprits s’aigrissent , les
le zèle de l’Eglise contre les pièges mys­ disputes s’animent; ce n est partout que
térieux que vous tendiez à la piété ; et le trouble et que confusion. Grand Dieu !
grand évêque (1), qui, pour démêler à quoi aboutiront ces dissentions fu­
vos illusions , s’en étoit presque laissé nestes ? Un siècle entier de contestations
éblouir, plus séduit par son amour pour ne devroit-il pas en avoir eyffin îalenli
la prière, que par les fausses maximes la fureur? Les troupes des Philistins nous
qui en abusoient, se joignit à la voix environnent ; au lieu de nous ieunii poui
unanime des pasteurs contre lui-même, repousser les Infidèles , c’est nous-mêmes
laissa, un exemple à l’épiscopat qui sauve- qui leur fournissons des prétextes spécieux
d’insulter aux années du Dieu vivant-
fi) M. de Ftnéloii , archevêque de Camhray.
!

¿30 ORAISON FUNÈBRE I)E louis-le-grand. s3i


Mais laissons une matière dont le seul un roi ( i ) et à une reine pieuse, qui,
récit ne peut qu’affliger les enfans de l’E­ pour avoir voulu faire remonter la. foi
glise qui ont quelque amour pour cette sur le trône de leurs ancêtres, en avoient
mère commune des Fidèles : il suffit à mon été eux-mêmes chassés? Une nation vail­
sujet de dire que Louis n’eut rien tant lante , mais aussi orageuse que la mer qui
à cœur, que de voir la concorde et l’union l’environne, et accoutumée a donner de
régner parmi les pasteurs ; la foi main­ semblables spectacles à 1 Europe , se—
tenue dans la pureté ; les Fidèles point branle, s’agite, se soulève , et jette hors
partagés entre Paul, Apollon, ou Céphas, de son sein ces sacrés depots. Louis seul
mais uniquement attachés à Jésus-Christ de tous les souverains, que cet outrage
et à son Eglise ; et que c eloit là constam­ intéressoit tous, court au devant d’eux ,
ment le Lut de toutes ses démarches. Dieu les essuie du naufrage, offre un asile à
ne lui a pas donné la consolation, avant la religion et à la royauté fugitives; s’arme
de mourir, de voir finir nos tristes dis­ pour venger la majeste des rois et la sain­
sentions : mais avec quelle douleur les teté de la foi, foulées aux pieds en leurs
voyoit-il se perpétuer dans son royaume ! personnes ; attire sur ses Etats les fureurs
Les malheurs de l’Etat le trouvoient cons­ d’une ligue redoutable, et les calamites
tant : les troubles de la religion flétris- d’une longue guerre qui n’a pense finir
soient son cœur, et effaçoient l’auguste qu’avec la monarchie ; et s il n a pas eu
sérénité de son visage; et dans le lit la gloire de leur rendre leur couronne ,
même de sa douleur et de sa mort, il a eu le mérite d’exposer la sienne.
comme un autre Théodose mourant , les Mais si son zèle pour la defense de la
maux de l’Eglise l’occupoient plus , le foi sembloit croître et se ranimer avec son
/ touchoient plus, que les horreurs de la grand âge, rappelez — vous quels fuient
mort dont il éloit environné : Qui ciirn ses soins pour le rétablissement delà piele
jam corpore solveretur , magis de statu en ces jours de pèche et de malice : Cor­
Ecclesiarum , quàm de suis periculis an­ roboravit pietatem in diebus peccatorum ;
gebatur. (S.Amb.in orat.funcb. Thcod.) et c’est l’exemple que doit le pasteui et le
Tout ce qui pouvoit avancer les inté­ père de ses sujets.
rêts de la religion devenoit un intérêt Vous le savez, mes Freres; la souice
d’Etat pour lui. Avec quelle magnificence
(, ) Le roi Jacques II et la reine sa femme , chassés
ouvroit-il son royaume et ses trésors, à
d’Angleterre, et réfugiés en France.
¿52 ORAISON FUNEBRE DE LOUIS—LE—GRAND. 233
de la régularité et de la pureté des mœufs alla peut-être quelquefois plus loin même
publiques , est toujours dans le zèle et que celle des règles.
dans la sainteté des évêques, établis pour Il vouloit que la puissance de son règne
être la forme du troupeau, pour le sanc­ ne servît qu’à établir le règne de Dieu
tifier et pour le conduire : aux soins et aux sur ses peuples. Quelle joie quand il voyoit
exemples des premiers pasteurs, est pres- quelqu’un de sa cour revenir des égare-
ue toujours attaché le salut ou la perte raens des passions, et mener une vie con­
3 es Fidèles.Pénétré de cette vérité, quelles forme à la sagesse et à la piété de la
furent les attentions de Louis à choisir sienne ! c’étoit pour lui comme une nou­
des ministres irrépréhensibles ! quelles velle conquête ajoutée à ses anciennes
précautions ! quelle délicatesse de cons­ victoires. La vertu n’éloit plus un titre
cience ! Les témoignages les plus sûrs, de dérision à la cour : c’étoit elle qui
les plus publics, pouvoient à peine suf­ remplissoit les premières places; elle qui
fire pour le rassurer dans ses choix. Plus étoit comblée d’honneur ; elle enfin qui
effrayé que flatté de ce droit brillant atta­ frayoit l’accès au trône et à la confiance
ché à sa couronne, il le regarda comme du souverain.
l’écueil des rois, et le fardeau le plus Jours fortunés ! vous deviez ramener
pénible et le plus dangereux de la royauté. oarmi nous le règne de la piété et de
Les brigues, la faveur, la chair elle sang, ’innocence : et cependant jamais la ma-
n’éloient pas un droit auprès de lui, pour ice n’a plus abondé ; et les laveurs
posséder les places de l’Eglise, qui est le royales , accordées à la vertu , n’en ont
royaume de Jésus - Christ. Les services peut-être rendu que les apparences esti­
memes, la naissance, la longue suite mables. Siècle pervers ! tout coopère donc
d’ancêtres ne lui paroissoient pas une à ta perte ! Si le prince oublie Dieu, il
vocation suffisante au sacerdoce de Mel- affermit et perpétue les vices : s’il favorise
chisédech, qui n’avoit point de généa­ les Justes, il multiplie les hypocrites.
logie. Il étoit vivement, persuadé que l’é­ Mais enfin Louis contraignit les oeuvres
piscopat n’étoitpasune faveur temporelle, de ténèbres à se cacher, et à ne plus in­
destinée à gratifier les familles; mais un sulter à la lumière : le désordre ne fut
don céleste destiné à honorer l’Eglise, plus un bon air; et s’il n’en arrêta pas le
en lui donnant des ministres capables cours , il en ôta du moins l’ostentation
d’honorer leur ministère : et l’exactitude et le scandale.
de sa religion et de son zèle là-dessus. La licence d’un théâtre étranger, où
¿34 ORAISON FUNÈBRE de louis-le-grand. 235
à la honte des mœurs publiques et de la chaque pasteur élève à l’envi, ce premier
politesse de la nation, les plus grossières esprit de science, de ferveur, de disci­
obscénités assembloient les grands et le pline, si déchu du temps de nos peres.
peuple; où le vice partait un langage dont Les forêts mêmes se repeuplent de soli­
notre langue même rougit, et où le sexe taires, et, comme au temps des Maccha­
lui-même venoit publiquement applaudir bées , plusieurs descendent dans le desert
à des indécences qui étoient comme des (1 ) , pour y chercher le jugement et la
insultes solennelles faites à sa pudeur : justice ; parce que les maux et la corrup­
cette licence fut proscrite , et les débris de tion avoient inondé, et que Dieu nétoit
cette scène impure élevèrent à la piété plus connu au milieu des villes : 7 une des­
de Louis un monument plus immortel cenderunt multi quœrentes judicium et justi­
que les murs renversés de tant de villes tiam in desertum, quoniam inundaverunt su­
conquises, n’en avoient élevé à sa gloire. per eos mala. (/. Macc. a. 29. 3o.) Des
En renversant les écoles du vice, quels ouvrages infinis remplis de doctrine e| de
asiles n’érigea-t-il point à la piété? Vous lumière , paroissent pour aider à la piété
l’apprendrez à nos neveux , édifice au­ des Fidèles. Nos neveux, qui en remon­
guste (i) , où la valeur réfugiée con­ tant, retrouveront dans ce.siècle les pre­
sacre aux pieds des autels , les restes miers monumens de la science et de la
tronqués et languissans d’une vie tant de piété renouvelées, béniront le régné de
fois exposée pour l’Etat ! Vous l’appren­ Louis; recevront la grâce que nous avons
drez encore, maison sainte (2), où la rejetée; et puiseront dans ces secours,
naissance et la pauvreté dotée, sauvent dus à ses soins et transmis d âge en âge,
également l’innocence du sexe des périls, les règles des mœurs, la justice et le salut
et sa noblesse de la honte et de l’indigence ! que nous n’avons pu trouver même dans
Que d’établissemens pieux vois-je s’é­ cûc pxpmnlps
lever sous son règne, au milieu de la Qu’étoit-il réservé à une piété si fidèle
capitale et dans les provinces ! Le règne à Dieu, si zélée pour 1 Eglise , si utile aux
de Dieu croît et s’étend avec celui de peuples, qu’une couronne de justice, en­
Louis. Les jeunes ministres du sanctuaire core plus éclatante que celle qu il avoit
reprennent dans des maisons saintes, que reçue de ses ancêtres, et une mort encore
plus glorieuse à la grâce et plus héroïque
( 1 ) Hôtel des Invalides. que sa vie?
(2) Maison de Saint-Cyr, (i) La Trappe et Sept-Fous,
â36 ORAISON FUNEBRE f»F. LOUIS-LE-GRAND. 237
Non,mes Frères, la source du ve'ritable ©rt ne peut plus la méconnoitre ; sa lenteur
héroïsme et de l’élévation des sentimens, augmente encore les horreurs de l’appa­
est dans la foi : le monde n’a jamais fait reil. Louis seul la voit d’un œil tranquille.
que de faux héros; et la mort qui nous Au milieu des sanglots de ses anciens et
montre toujours tels que nous sommes , fidèles serviteurs , de la consternation des
découvre enfin en eux, ou une faiblesse princes et des grands , des larmes de toute
ce timidité qui les déshonore , ou une sa cour, Louis trouve dans la foi une
ostentation de fermeté, encore plus faible paix , une fermeté , une grandeur d’ame,
et plus méprisable que leur frayeur, parce que le monde n’a pas encore donnée.
qu elle est plus fausse. Pourquoi pleurez — vous, dit-il à un des
Louis meurt en roi, en héros, en saint. siens , que les larmes abondantes d’une
Un soudain dépérissement ébranle d’abord douleur moins circonspecte lui font re­
les fondemens , ce semble , inaltérables marquer; aviez-vous cru que les roisétoient
d’une santé , que l’âge , les afflictions et immortels?
les soinslaborieux d’un long règne avoient Ce monarque environné de tant de
jusques-là respectée. I! avoit vécu au delà gloire , et qui voyoit autour de lui tant
de Page des rois ; et elle nous promettoit d’objets si capables de réveiller, ou ses
encore une vie au delà du cours ordinaire désirs , ou sa tendresse , ne jette pas même
de celle des autres hommes : il avoit vu un oeil de regret sur la vie : il ne lui reste
naître nos pères , et il semble que nous pas même ces incertitudes , qui montrent
comptions que c’étoit à nos neveux à le encore la vie au mourant, et qui mêlent
voir mourir. Tout ce qui nous flatte, nous du moins aux tristes saisissemens de la
paroit toujours devoir être éternel. crainte, les douceurs de l’espérance. Il sait
Mais Dieu, dont le règne seul ne finit que son heure est venue et qu’il n’y a plus
point, et qui avoit déjà empreint au de ressource ; et il conserve dans le lit de
dedans de lui les caractères ineffaçables sa douleur, cette majesté , cette sérénité ,
delà mort, les cachoit encore aux lu­ qu’on lui avoit vue autrefois aux jours de
mières de l’art et aux vaines espérances ses prospérités sur son trône : il règle les
dune cour, que l’excellence du tempéra­ affaires de l’Etat, qui ne le regardent déjà
ment. rassuroit encore. Mais enfin le secret plus, avec le même soin et la même tran­
de Dieu se déclare : la mort cachée au quillité, que s’il commençoit seulement à
dedans, laisse voir au dehors des signes régner; et la vue sûre et prochaine de la
toujours trop infaillibles, qui l’annocent: mort ne lui donne pas ce dégoût et cette
s3â ORAISON FUNÈBRE DE LOUIS—LE—GRAND.
horreur de penser à ce qu’on va quitter, vanité n’a jamais eu que le masque de la
ui est plutôt un désespoir secret de le per- grandeur : c’est la grâce, qui en a la vérité.
3 re , qu’une marque que l’on ne l’aime Il assemble autour de son lit, comme
un autre David mourant, chargé d’années ,
plus. Les Sacremens des mourans n’ont
pas autour de lui cet air sombre et lugubre> de victoires et de vertus, les princes de
qui d’ordinaire les accompagne ; ce sont son auguste sang et les grands de l’Etat.
des mystères de paix et de magnificence. Avec quelle dignité soutient—il le spectacle
Et ce n’est pas ici un de ces momens de leur désolation et de leurs larmes ? Il
rapides et uniques, où la vertu se rap­ leur rappelle , comme David , leurs anciens
pelle toute entière, et trouve dans la services : il leur recommande l’union, la
courte durée de l’effroi du spectacle, la bonne intelligence, si rare sous un prince
ressource de sa fermeté : les jours vides enfant; les intérêts de la monarchie , dont
et les nuits laborieuses, se prolongent, et ils sont l’ornement et le plus ferme sou­
l’intrépidité de sa vertu semble croître tien : il leur demande pour son fils Salo­
et s’affermir sur les débris de son corps mon et pour la foiblesse de son âge, le
terrestre. Qu’on est grand quand on l’est même zèle , la même fidélité qui les avoit
par la foi ! toujours si fort distingués sous son règne.
La vue fixe et assurée de la mort, soute­ Jamais il n’a paru plus véritablement roi :
nue durant plusieurs jours, sans foiblesse, c’est qu’il l’étoit déjà dans le ciel ; et que
mais avec la religion ; sans philosophie , le règne du Juste est encore plus grand
mais avec une majestueuse fermeté ; ne et plus glorieux que celui des rois de la
voulant exciter, ni l’attendrissement, ni terre.
l’admiration des spectateurs ; ne cher­ Enfin, le jeune Salomon, l'auguste En­
chant, ni à les intéresser à sa perte par fant, est appelé. Louis offre au Dieu de
ses regrets , ni à s’attirer leurs éloges par ses ancêtres ce reste précieux de sa mai­
sa constance ; plus grand mille fois que son royale; cet Enfant sauvé du débris qui
s’il eut affecté de le paroître. Accourez à lui rappelle la perte encore récente de tant
ce spectacle, censeurs frivoles et éternels de princes, et que ses prières et sa piete
de sa vertu , et qui aviez traité peut-être ont sans doute conservé à la Irance. Il
sa piété de foiblesse; et voyez si la vanité demande pour lui à Dieu , comme.David
toute seule ne se feroit pas honneur de pour son fils Salomon , un cœur fidele à
tout ce que la grâce opère de grand en sa loi, tendre pour ses peuples, zélé pour
Louis dans ces derniers momens ! Mais la ses autels et pour la gloire de son nom :
¿4° ORAISON FUNÈBRE
DE ROUIS—LE—G R AND. 341
Salomoni quoque filio meo da cor perfec­
tion, ut custodiat mandata tua. (l.Par. 2g. vous attendent, et essuyer auprès d’eux,
II lui laisse, pour dernières instruc­ dans le séjour de l’immortalité , les larmes
tions , comme un héritage encore plus que vous avez répandues sur leurs cen­
cher que sa couronne; les maximes de la dres : et si, comme nous l’espérons, la
piété et de la sagesse. Mon fils, lui dit-il, sainteté et la droiture de vos intentions
allez être un grand roi-, mais souvenez- a suppléé devant Dieu ce qui peut avoir
vous que tout votre bonheur dépendra d'être manqué , durant le cours d’un si long
soumis à Dieu , et du soin que vous aurez règne , au mérite de vos œuvres et à
de soulager vos peuples. Evitez la guerre; l’intégrité de vos justices , veillez du haut
ne suivez pas là-dessus mes exemples ; soyez de la demeure céleste sur un royaume
un prince pacifique : craignez Dieu, et sou­ que vous laissez dans l’affliction, sur un-
lagez vos sujets. Il lève les mains au ciel, Roi enfant qui n’a pas eu le loisir de croître
comme les patriarches au lit de la mort, et de mûrir sous vos yeux et sous vos exem­
et lépand sur cetEnfant, avec ses vœux et ples; et obtenez la fin des malheurs qui
ses bénédictions , des larmes qui échap­ nous accablent, et des crimes qui sem­
pent à sa tendresse, ou à la joie qu’il a blent se multiplier avec nos malheurs.
daller posséder le royaume de l’éternité Et vous, grand Dieu ! jetez du haut
qui lui est préparé. du ciel, des yeux de miséricorde sur cette
Retournez, donc dans le sein de Dieu monarchie désolée, où la gloire de votre
d où vous étiez sortie, ame héroïque et nom est plus connue que parmi les autres
chrétienne ! votre cœur est déjà où est nations ; où la foi est aussi ancienne que
votie trésor. Brisez ces foibles liens de la couronne; et où elle a toujours été aussi
votre mortalité, qui prolongent vos désirs pure sur le trône, que le sanghnême de
et qui retardent votre espérance : le jour nos rois qui l’ont occupé. Défendez-nous
de notre deuil est le jour de votre gloire des troubles et des dissentions auxquelles
et de vos triomphes. Que les Anges tuté­ vous livrez presque toujours l’enfance des
laires de la France viennent au devant de rois : Iaissez-nous du moins la conso­
vous, pour vous conduire avec pompe sur lation de pleurer paisiblement nos mal­
le trône qui vous est destiné dans le ciel heurs et nos pertes. Etendez les ailes de
a côté des saints rois vos ancêtres , de votre protection sur l’Enfant précieux que
Charlemagne et de Saint-Louis. Allez re­ vous avez mis à la tête de votre peuple;
joindre Thérèse, Louis, Adélaïde, qui eet auguste rejeton de tant de rois; cette
vous victime innocente échappée toute seule
Oraisons junsbres. *L
242 ORAISON ÈUNEBRE, etc.
aux traits de votre colère et à l’extinction
de toute la race royale. Donnez-lui un
cœur docile à des instructions qui vont ORAISON
être soutenues de grands exemples : que
la piété, la clémence, l’humanité et tant FUNÈBRE
d’autres vertus , qui vont présider à son
éducation, se répandent sur tout le cours
de son règne. Soyez son Dieu et sonPère, DE MADAME,
pour lui apprendre à être le père de ses
sujets; et conduisez-nous tous ensemble DUCHESSE D'ORLÉANS.
à la bienheureuse immortalité.

Ainsi soit-il. Surrexerunt fila ejus , et beatissimara prædicaverunt;


vir ejus, et laudavit eam ; et laudent eam in porlis
opéra ejus.

Ses enfans l’ont appelée bienheureuse ; son époux l’a


comblée de louanges-, et ses actions ont fait son éloge
< ans toutes les assemblées publiques. Prov. 3i. 38. 3i,

Apres ces éloges publics et domesti­


ques, que nous resteroit-il à dire sur les
louanges de très-haute , très-puissante
ET très—excellente pkincesse , Madame ,
Puchesse ij’Oeléans, si nous ne venions
ici que pour la louer plutôt que pour vous
instruire ?
Nous venons de rendre de tristes et
Pieux devoirs à sa mémoire : la religion
les consacre; la piété les justifie; et la
aouleur publique les exige. Mais en vous
L3
^44 ORAISON FUNEBRE DE MADAME.
rappelant ses vertus, qui seules peuvent Ne craignons donc pas de mêler aux,
nous consolçr de sa perte, que prétendons- prières de l’Eglise , et à la solennité des'
nous , que vous rappeler à ce moment fatal saints mystères, des louanges honorables
et peut-être proche, où dégradés dievant à J Eglise , et dont le vice seul doit rougir.
Dieu de votre rang et de vos titres, ce que Nous le devons à l’amour des peuples , qui
vous aurez fait pour le salut, fera seul les publie ; au deuil de toute la nation, qui
notre consolation et votre éloge ? la regrette ; à la douleur amère d’un au­
Eh! quelle autre image pourrions-nous guste Fils (i ), qui la pleure ; aux larmes
vous offrir au milieu de cette cérémonie d une maison désolée , dont elle fut tou­
lugubre et dans ce temple ( i ) auguste jours la mère plutôtque la maîtresse : nous
surtout, où sont exposées de toutes parts nous les devons à nous-mêmes ; et de tous
les tristes dépouilles de la grandeur hu­ ceux qui m’écoutent, en est-il peut-être
maine; où les sceptres et les couronnes un seul que la bonté de cette princesse
brisées, rappellent à peine le souvenir de n ait honoré de quelques marques parti­
ceux qui les ont portées ; où toute la ma­ culières de bienveillance ; et qui dans la
gnificence des souverains est renfermée perte publique, comme le disoit saint Am­
dans celle de leurs tombeaux; où les cen­ broise d’un empereur, ne pleure encore
dres de tant de princes que nos yeux ont une perte qui lui est personnelle ? Omnes
vus, et qui faisoient nos plus douces espé­ enim lanquam parentem publicum obiisse
rances, fument encore ; et où le grand Roi domestico fielu doloris illacrymaniur, sua-
lui-même, que nous avons „tant pleuré, que omnes funera dolent. (In obit. Valent.)
n’est plus que poussière. Epouse fidèle , mère tendre, maîtresse
Quel spectacle pour les yeux mêmes de douce et bienfaisante, princesse chrétien-
la chair ! Madame depuis long-temps ne ne ? Ç est—à-dire, devoirs domestiques et
le perdoit plus de vue : elle ne parut sur­ publics, toujours remplis durant le cours
vivre à toutes les pertes de la maison d une longue vie, avec décence , avec no­
royale , que pour attendre la mort avec blesse , avec humanité , avec religion,.
plus découragé, et s’y disposer avec plus Vous la reconnoissez à ces traits simples
de foi : elle vit de plus près lenéantdetout, et peu recherchés : ils suffisent à la vérité ,
et ne crut digne d’elle, que ce qui étoit et son caractère est son éloge. C’est par
digne de l’immortalité. vous seul , ô mon Dieu ! que son éloge peut
(1 ) L’Eglise de Saint-Denis, où sont les tombeaux Je
devenir notre instruction.
»es rois. ( i ) Philippe , duc d’Orléans, regent de France.
L 3
2^6 ORAISON FUNEBRE DE MADAME. 2^7
tés pouvoit nous préparer de loin les dis­
PREMIÈRE PARTIE. grâces.
Rappelons sans crainte ces temps heu­
La cour étoit à peine consolée de la reux. Ils furent effacés, je le sais , par des
mort d’Henriette d’Angleterre f r ) quand jours de tribulation et d’amertume , qui
1 Allemagne la remplaça à la France par leur succédèrent. Mais le Seigneur vou—
la princesse que nous pleurons. Née des loit. nous châtier; il ne vouloit pas nous
anciens souverains du Rhin , elle vint se détruire. Le nuage dèpuis long-temps s«
mettre à côté du trône, où sa naissance dissipe; la lumière reparoît; un nouveau
auroit pulaplacer; etles couronnes étran­ soleil se lève sur nos têtes ( i ) ; une ré­
gères lui parurent moins brillantes , que gence paisible et glorieuse lui a préparé
l’honneur de toucher de près , par un ma­ les voies. C’est le destin de la France ;
riage auguste, à celle de Louis. ou plutôt, c’est de tout temps la conduite
de Dieu sur une nation qu’il chérit. Nos
De quelle gloire et de quelle magnifi­
malheurs ont toujours été les précurseurs
cence se vit—elle environnée dans ces jours
fortunés de la monarchie ? Un souverain infaillibles de notre élévation et de notre
maître de l’Europe; plus glorieux que tous gloire.
ses prédécesseurs ; plus grand par l'amour Madame se njontra à la France dans ces
temps les plus heureux du dernier règne.
de ses peuples, que par le nombre de ses
La licence est d’ordinaire inséparable des
conquêtes : un époux aimable , et qui, aux
prospérités; les bienfaits de Dieu nous
charmes de la jeunesse , ajoutoit l’honneur
amollissent : nous tournons contre lui ses
des victoires et des triomphes : une cour ,
propres dons ; et les jours de ses faveurs
où nos guerres avoient formé tant de hé­
ros ; où les largesses du prince attiroient sont presque toujours les jours de nos cri­
mes. Au milieu de tant d’écueils,où l’exem­
tous les jours les plus grands talens; où
ple décide toujours des devoirs, la prin­
de nouveaux plaisirs se succédoient sans cesse , pour qui nous prions , demeura fi­
cesse; où les monumens les plus superbes dèle : et Dieu qui venoit de la retirer du
de la magnificence excitoient la curiosité sein de l’hérésie qu’elle avoit sucée avec
et peut-être la jalousie de toutes les na­ le lait, conserva le nouvel ouvrage de sa
tions ; et où l’excès seul de nos prospéri-
( i ) Louis XV veuoit d’être sacré, et alloit être dé­
( i ) Première femme de Monsieur , frère unique du claré majeur.
roi Louis-le-Graïid.
248 ORAISON FUNÈBRE DE MADAME. 249

grâce. Livrée à l’erreur par sa naissance pardonne jamais à ses maîtres, et qui ou­
et par son éducation , un trait d’élection
tre toujours à leur égard etl’adulation et
singulière avoit été la discerner comme la censure, en parla comme nous : il faut
une autre Ruth , dans une terre étrangère, que la vertu soit bien pure , quand le cour­
pour 1 appeler à l’héritage du Seigneur, tisan la respecte.
et 1 associer a son peuple. Vos miséricor­ Vous ne tardâtes pas, ô mon Dieu ! de
des, o mon Dieu ! sont fidèles , et vous répandre sur cette Union sainte , les bé­
les multipliez sur vos Élus : les lumières nédictions promises à la postérité de Saint-
de là foi, en dissipant les ténèbres de l’es­ Louis. Un prince, l’appui du trône; Phi­
prit , ne percent pas toujours les nuages lippe f i J , le tuteur du Roi et de l’Etat ;
que l’âge et les passions forment autour du le protecteur éclairé des droits du sacer­
cœur : dociles aux vérités de la doctrine doce et de l’Empire; le premier exemple
sainte, nous n’en sommes pas moins re­ d’une minorité pacifique,- le modèle des
belles aux devoirs qu’elle nous impose. princes bienfaisans, fut le premier fruit
Hélas ! les mœurs ne discernent presque de vos promesses. Vous prévoyiez nos mal­
plus le peuple de Dieu des incirconcis ; heurs et nos pertes, et vous nous prépa­
le Seigneur n’est pas plus servi dans la Ju­ riez une ressource. Une nouvelle fécon­
dée, que dans Samarie; et la face de la dité h-onnra encore les chastes amours de
terre partagée par tant de doctrines di­ cet auguste hyménée. La France en vit
verses, ne montre presque partout quedes naître avec joie une princesse ( 2 ), qui
hommes qui se ressemblent. régnoit déjà sur tous les cœurs, et que
La fidélité de Madame à ses devoirs , nous ne devions pas posséder. Heureux les
honora son retour à la foi. Entrée dans peuples qui la voient: Au milieuduealme
la voie de la vérité , elle y marcha d’un et des plaisirs innocens d’une cour paisi­
pas noble et constant; et de peur que l’er­ ble et chrétienne, elle fait depuis long­
reur jalouse ne disputât à la grâce la gloire temps les délices de ses sujets et le lien de
de son changement, elle le ratifia tous les la monarchie avec une maison féconde en
jours par sa conduite. héros , et à qui la maison de France seule
Les liens sacrés du mariage, qui ve­ peut disputer la gloire des siècles et l’an>
naient de l’attacher au prince son époux, tiquité de l’origine.
lui attachèrent en même temps toute sa
(i) Le due d’Orléans, régent de France,
tendresse : son cœur et son devoir ne se
D) La dnebesse .de Lorraine,
séparèrent jamais. La cour même qui ne
L 5
25o oraison funèbre de madame. 2bl
Les sentimensde la nation perdent sou­ que la variété et l’immensité des connois-
vent leurs droits dans le cœur des princes: sances cultivèrent depuis; que les victoi­
élevés au-dessus de nous , il leur paroit res ennoblirent, et qu’une régence mé­
trop vulgaire de penseretde sentir comme morable éternisera dans nos annales ! Elle
nous : nés les maîtres des hommes , ils ne le vit, sans l’avoir désiré , comme la mère
veulent pas même leur ressembler par l’hu­ des enfans de Zébédée, assis par le droit
manité ; et destinés par leur naissance à de sa naissance à la première place du
être les pères des peuples, ils se font quel­ royaume; dépositaire du sceptre; maître
quefois une honte de ce titre aimable à l’é­ de nos destinées et de celles de l’Etat :
gard même de leurs enfans. Fausse gran­ et plus touchée de sa gloire que de son
deur que Madame ne connut point : elle élévation, elle vit alors avec des larmes de
crut que les devoirs et les sentimens de la tendresse , dans le cœur de tous les Fran­
nation, étoient les plus nobles, parce çais , les mêmes sentimens d’amour que
qu’ils étoient les plus anciens : que la sim­ ceux qu’elle avoit pour son fils ; et toute
plicité des premières mœurs avoit plus de la nation l’adopter, si je l’ose dire ,
dignité et de véritable élévation , que comme son enfant, dans le temps qu’elle
tout le faste de nos usages : et la prin­ le choisissoit pour son maître. Mais nous
cesse la plus majestueuse que la France pouvons l’ajouter ici ; son salut l’intéres-
ait vue, lut en même temps la mère la plus soit encore plus que sa grandeur. Comme
tendre. une autre Monique, elle l’enfantoittous
Dois-je en attester ici les larmes du les jours par ses prières et par ses larmes :
prince affligé qui m’écoute, et ne point mé­ elle n’offfoit jamais à Dieu le sacrifice de
nager sa douleur ? Mais ces chères cendres son cœur et de ses lèvres , sans lui deman-
parleroient à ma place; et c’est le conso­ mander qu’il jetât enfin des regards de
ler que de rappeler un souvenir même qui miséricorde sur ce cher Enfant. Etque lui
l’afflige. restoit-il en effet à désirer pour lui, que
Quelle tendresse ressembla jamais à la gloire des Saints?
celle de Madame pour ce prince auguste ? Une princesse vertueuse l’avoit déjà
Ses yeux pouvoient à peine suffire à le rendu père d’une nombreuse famille : elle
voir, et son cœur à l’aimer. Quelle joie , voyoit les enfans de ses enfans ; un jeune
quand elle vit briller dans son enfance prince ( i ) dont les destinées rassurent
iresque , les espérances de ses grands ta-
Îens, et de cette supériorité de lumières ( i ) Le duc de Chartres.
L 6
.252 ORAISON FUNÈBRE DE MADAME. 2&3

l’Etat et affermissent le trône : des prin­ races futures ! que les deux peuples ne foi-
cesses ( i J régner dans les plus brillantes ment jamais qu’un peuple ! que les cam­
cours de l’Europe : l’Espagne nous en­ pagnes ne voient jamais nos etendaids
voyer (2) et recevoir de nous les gages opposés , et les lis déployés contre les
précieux d’une union éternelle ; le feu lis ! que cette alliance resserrée par tant
qui avoit paru s’allumer, éteint par des de nouveaux liens , devienne la loi fon­
alliances sacrées : le sang royal réuni à sa damentale des deux monarchies ! que 1 ame
source5 et par l'habileté d’un ministre, de Louis-le-Grand , qui en a ete le prin­
pour qui les difficultés mêmes semblent cipe , en soit le nœud éternel ! et puissent
devenir des ressources , le fruit de nos les deux nations, pour se soutenir, se
victones et de nos pertes, conservé à prêter jusqu’à la fin des âges les mêmes
l’Etat j et une couronne qui nous avoit armes qu’elles avoient employées pour se
tant coûte, et que la valeur du prince que détruire ! . .
nous consolons, avoit assurée au petit- Mais faisons - nous honneur 1« a
fils de Louis-le-Grand , mise surlatêtede Madame d’une tendresse maternelle, ou
la princesse sa fille. C’est ainsi, ô mon la nature a , ce semble, plus de part que
Di.e-u ! que les profondeurs de votre sa­ |a vertu ? Oui, mes Frères, et nous devons
gesse disposent tes évènemens ; et qu’en cette consolation à la douleur du prince
paroissant ébranler les Empires que vous qui la pleure. Un cœur qui aime ce qu il
protégez, vous ne voulez qu’en affermir doit aimer , est toujours digne d’eloge ; et
le trône , et en accroître la domination et ce n’est que par vertu , qu’on satisfait aux
la puissance. ’devoirs de la nature. Mais dailleurs,
Peuples déjà si rapprochés par la va­ Madame aima les princes ses enfans , en
leur , et par les guerres mêmes qui vous mère , en princesse , en Chrétienne. Ce
avoient toujours divisés , et aujourd’hui n’étoit pas ici une de ces sensibilités vul­
si unis par ie sang même de nos maîtres , gaires que les foiblesses deshonorent t
puissiez-vous transmettre avec la succes­ et où , à force de donner tout a la ten­
sion de vos rois, cette alliance sainte aux dresse , on ne donne rien a la raison et
au devoir. Quelles leçons de grandeur ,
( 1 ) La princesse de Modène , la reine d’Espagne ,
de dignité, de bienséance , de sagesse ,
femme de Lonis I, mort depuis. furent les fruits de son amour maternel !
(2) LInfante dEspagne^, destinée à être reine de mais quels exemples encore plus puissans
France, et retournée depuis à Madrid, que les leçons ! Vous en conserverez un
ORAISON FUNÈBRE DE MADAME. 255
tendre et éternel souvenir, famille déso­ que ce qui en a paru aux yeux du public.
lée ; et vous honorerez sa mémoire en Dites-le ici à ma place, témoins affligés
imitant ses vertus. Et vous , pieuse Adé- et fidèles, de l’humanité, de la douceur
aide ( i ) qui, cachée dès vos plus jeunes et de l’égalité d’une si bonne maîtresse !
ans dans le secret du sanctuaire, avez pré­ Aviez-vous à souffrir de son rang ou de
féré l’opprobre de Jésus - Christ à tout ses caprices ? Votre zèle n’etoit-il compte
ce que le siècle peut laisser espérer de plus pour rien ?Vous croyoit-elle trop honores
éclatant, vous ne cesserez de demander de lui sacrifier vos soins et vos peines ?
aux pieds des autels, que vos vœux et les Vous regardoit—elle comme des victimes
nôtres , sur les destinées de votre auguste vouées à la bizarrerie et à l’humeur d’un
maison, s’accomplissent. maître? Ne sentiez-vous votre dépendance
Rien en effet n est plus rare pour les que par ses égards et ses attentions à vous
grands, que les vertus domestiques : la l’adoucir ? En satisfaisant à vos services ,
vie privée est presque toujours le point de pouviez-vous satisfaire a toute votre ten­
vue le moins favorable à leur gloire. Au dresse pour elle? Votre cœur nalloit—il
dehors, le rang, les hommages, les regards pas toujours plus loin que votre devoir ?
publics qui les environnent, les gardent Et quel chagrin avez-vous jamais senti en
pour ainsi dire, contre eux-mêmes : tou­ l'a servant, que la crainte de la perdre et
jours en spectacle, ils représentent: ils la douleur de l’avoir perdue ? L’abondance
ne se montrent pas tels qu’ils sont. Dans de vos larmes répond pour vous, et plus
enceinte de leurs palais, renfermés avec vivement que mes foibles expressions, elle
leurs humeurs et leurs caprices , au milieu fait son éloge et le vôtre.
d un petit nombre de témoins domestiques Oui , mes Frères , au milieu de sa nom­
et accoutumés, le personnage cesse, et breuse maison, Madame n etoit plus une
1 homme prend sa place et se développe. maîtresse; c’étoit une mère affable et bien­
Ici nous pouvons tirer le voile , et en­ faisante : dépouillée de sa grandeur, sans
trer sans crainte dans ce secret domesti­ l’être jamais de sa dignité,elledescendoit
que, ou la plupart des grands cessent avec bonté dans le detail des peines et des
detiece quils paroissent. Ce qu’il y a eu besoins des siens. L’élévation est d ordi­
de privé et d’intérieur dans la vie de Mi- naire , ou dure, ou inattentive ; et il suffit,
dame, est aussi grand et aussi respectable, ce semble, d’être né heureux , pour n’être
pas né sensible. Madame, avec un cœur
(ï) Louise-Adélaïde d’Orléans, abbesse de Chelles. élevé et digne de l’Empire, avoitun cœur
a56 ORAISON FUNÈBRE
DE MADAME. 267
plus humain et plus compatissant, que
ceux mêmes qui naissent pour obéir. doivent tout, ils croient ne leur rien de­
L’enceinte de sa maison ne borna pas , voir eux-mêmes, et que c’est assez payer
vous le savez, son inclination bienfai­ leurs empressemens, que de les souffrir.
sante : son crédit fut toujours une res­ L’amitié plus sinçère, et dès-là moins
source publique : nous trouvions tous en rampante et moins empressée que l’adula­
elle une protectrice assurée : l’accès n’é— tion, leur paroit un hommage secet aride:
toitpas même refusé aux plus inconnus; leur attachement même et leur confiance,
et le besoin, ou la misère seule, devenoit n’est qu’un goût passager , qui les gêne
le titre qui donnoit droit de l’approcher. et les ennuie bientôt, etdontilsse débar­
Si les regrets de la reconnoissancesont les rassent comme d’une contrainte. Ainsi vi­
vant seuls, dès qu’ils vivent sans amis au
plus sincères et les plus sûrs , quel deuil a
jamais dû être plus universel ? milieu delà multitude qui les environne,
leurs vices font des adulateurs; leurs bien­
L’autorité de la régence ne lui parut
faits, des ingrats; leurs vertusmêmes, des
même souhaitable pour le prince son fils,
censeurs injustes. Madame eut pour ses
que par la possession où ce nouveau rang
alloit le mettre défaire des grâces. L’évè­
amis, cette confiance et cette fidélité,
dont on cherche depuis long - temps des
nement a été encore plus loin que vos dé­
exemples même parmi les hommes du
sirs , princesse si digne de nos regrets !
commun. Un ami lui parut toujours le
les faveurs du prince sont aujourd’hui bien le plus précieux de la terre, et qui
écrites dans les titres de nos plus illustres honore même les princes et les rois. Tous
maisons ; et en perpétueront les honneurs les autres biens, nous les devons , ou à la
et les prééminences : chaque jour de son fortune, ou à la naissance : celui-là nous
administration a été le jour de ses bien­ ne le devons qu’à nous-mêmes.
faits; et la reconnoissance s’est plutôt Tel fut le caractère de Madame dans
épuisée que ses largesses. sa vie privée; caractère connu , respecté ,
Il n’est pas étonnant que le cœur de non-seulement de la nation , mais de toute
Madame , si sensible aux besoins et aux l’Europe : une épouse fidèle, une mère
intérêts des personnes les plus indiffé­ tendre , une amie constante, une maîtresse
rentes , fût si tendre et si fidèle pour ses douce et bienfaisante. Nos voisins l’ont
amis. L’amitié est le seul plaisir presque , toujours caractérisée par ces traits comme
que la plupart des grands font gloire de nous : c’étoit l’éloge public que toutes
«’interdire. Prévenus que les hommes leur les cours ont toujours fait d’elle; et si
2$8 ORAISON FUNEBRE
DE MADAME. 2^9
ces traits paroissent vulgaires , ce ne sera publique ponrroit fournir des traits plus
jamais qu à ces hommes frivoles, qui ne brillans que sa vie privée; mais elle n’of­
voient rien de grand dans les devoirs; frira pas de plus grandes vertus : et si la fi­
qui croient que les vertus domestiques ne délité d’une épouse, la tendresse d’une
sont faites que pour le peuple; et que les mère, la bonté d’une maîtresse ont fait
princes ne sont dignes de nos éloges, que son éloge domestique ; lamajesté, labien-
lorsque leur faste et leur fierté les rend séance, la piété solide et toujours sou­
indignes de notre amour ; qu’un cœur ten- tenue d’une princesse, son amour pour le
die et compatissant deshonore le rang et Roi et pour l’Etat, vont remettre devant
la naissance ; que l’humanité dégrade nos yeux un spectacle qui a long-temps
l’homme,et qu’il faut être né duretbizar- honoré notre siècle ,et qui a toujours fait
re, pour être né grand. Quel fléau pour son éloge public : Et laudenieam in portis
le genre humain, si celui qui donne les opéra ejus.
princes à lateire, punissoit l’erreur de ces
images , en nous donnant des maîtres qui SECONDE PARTIE.
leur fussent semblables ?
Etqu’ya-t-ilde plus honorable à la gran­ Les princes ont plus de devoirs à rem­
deur, que l’humanité ?Les princes ne sont plir que le reste des hommes: plus ils sont
puissans que pour être bons : ils doivent, grands, plus ils doivent de grands exem­
si je l’ose dire, leur puissance et leur ples : ils sont en spectacle aux regards ,
grandeur à nos besoins : et s’il n’y avoit comme aux hommages de la multitude. Les
pas des foibles et des malheureux, le Ciel premières obligations de leur rang son t le
n auroit pas donné des maîtres à la terre. zèle pour lEtat, dont ils sont les premiers
C’est par là que Madame remplit toute sujets, et dont ils peuvent devenir les
la destinée de son rang : comblée des maîtres; la bienséance dans les mœurs pu­
louanges de son époux; appelée bienheu­ bliques, dont ils sont toujours les modè­
reuse par ses enfans, et par ceux qui, les ; la fidélité aux devoirs de la religion ,
attaches a son service, l’avoient toujours que leurs ancêtres placèrent sur le trône.
aimée comme leur mère : Surrexerunt filii A ces traits , nous croyons voir revivre
(jus, et beatissimam prœdicaverunt ; vir la princesse que nous avons perdue. Les
ejus, et laudavit eam : et domestici ejus mêmes liens qui l’attachèrent au prince
vestiti sunt duplicibus. Il nous resfe encore son époux, l’attachèrent à la France : elle
la voix des peuples à écouter. Son histoire parut avoir épousé la nation. Le sang ger~
S.6o ORAISON FÜKÈîEE
manique, qui couloit dans ses veines, re­ DE MADAME. 2.6l
trouva pour le sang français, les penchans l’ignore , quelle fut la constance de l’es­
et les affections de la même origine ; et time et de la tendresse de ce grand Roi
iour Madame. Les cours sont orageuses ;
descendue de ces anciens conquérons,
qui des bords du Rhin, vinrent fonder fes intérêts y décident toujours des affec­
dans les Gaules une monarchie , quia vu tions ; et comme les intérêts y changent
depuis commencer toutes celles de l’Eu­ sans cesse, les affections n’y connoissent
rope , elle parut, en arrivant parmi nous, presque pas de durée : tout y forme des
s èti e rendue a sa patrie, plutôt qu’en être nuages; les jours ne s’y ressemblent jamais;
sortie. Notre culte étoit devenu son culte, les mêmes flots, qui vous élèvent, vous
et notre peuple fut le sien; nos dieux fu­ ouvrent le gouffre à l’instant ; et la vicis­
rent ses dieux ; nos usages , ses usages ; situde éternelle des évènemens est comme
notre gloire ou nos malheurs, ses mal­ le seul évènement et le seul point qu’on y
heurs ou sa glo;re; et oubliant ses pre­ voit de fixe.
mières destinées, elle n’en connut plus Madame n’éprouva point ces révolu­
d’autres que celles de la monarchie. Liée tions. Une noble franchise, si ignorée
par le sang , ou par des commerces d’a­ dans les cours, et qui sied si bien aux
mitié et de bienséance, à la plupart des grands , la rendit toujours respectable au
souverains de l’Europe, elle ne le fut ja­ Roi : il trouvoit en elle ce. que les rois ne
mais , par le coeur, qu’à la nation; et au trouvent guères ailleurs , la vérité. Plus
milieu des guerres qui les avoient armés éloignée encore par l’élévation de son ca­
contre nous, ses liaisons avec les cours ractère , que par celle de sa naissance ,
étrangères, ne furent jamais que des té­ d’une basse adulation , elle n’employa ja­
moignages eclatans de son amour pour mais pour plaire que sa droiture et sa can­
la France. Nos histoires lui en feront hon­ deur. Les souplesses et les artifices de la
neur; et parmi les princesses étrangères , dissimulation, qui font toute la science
que les liens du mariage unirent au sang et tout le mérite, des cours, lui parurent
de nos rois, et qui vécurent au milieu de toujours le sort des âmes vulgaires. C’est
nous, elles lui opposeront des exemples se mépriser soi-même, que de n’oser pa—
qui l’honorerontencore davantage. roitre ce qu’on est. L’art de se contrefaire
Louis-le-Grand connut son zèle, et le et de se. cacher, n’est souvent que l’aveu
paya d’une amitié et d’une confiance, qui tacite de nos vices: et elle crut qu’on n’é-
ne finirent qu avec lui. Nul de vous nç toit grand , qu’autant qu’on étoit vrai.
Aussi Louis, plus touché du simple et
2,62 ORAISON FUNÈBRE de madame. 263

du naturel, que du faste des hommages, inébranlable , au milieu des débris de sa


venoit se délasser des adulations auprès maison, ne vit dans ces lugubres funérail­
de Madame. C’étoit là que sa cour pre- les , que l’appareil et le préparatif des
noitune nouvelle face : le faux en étoit siennes : il avoit assez vécu pour sa gloire;
banni; la vérité y présidoit , et reprenoit mais il n’avoit pas encore assez vécu pour
ses droits; la confiance et la noble simpli­ nous. Cependant ce règne long et glorieux
cité environnoient le trône, et la tendresse devoit avoir le destin des choses humai­
en faisoit le plus superbe hommage. nes ; ses jours comme les nôtres , étoient
Ce prince, qui avoit élevé plus haut que comptés; le terme fatal arriva; les desseins
tousses ancêtres, la gloire de la monar­ du Ciel sur sa grande ame étoient accom­
chie , et qui vit un si long cours de pros- plis; et la France perdit un Roi, qui sera
iérités finir par des disgrâces , vit aussi toujours encore plus grand dans nos cœurs,
f ’amour et le courage de Madame croître que dans nos annales. Mais Madame per-
doitunami; et s’ils sont rares sur la terre ,
avec nos malheurs. Quelles larmes ne don­
na-t-elle point alors à nos pertes ! La vie ils le sont encore plus sur le trône. Sa dou­
même de son cher fils tant de fois exposée , leur égala sa perte, et lui cacha même des
ne l’occupoit pas plus vivement que le espérances flatteuses qu’auroit pu entre­
danger de l’Etat. Les plaies de la nation voir un cœur moins touché. La cour que
étoient aussi douloureuses pour elle, que Louis seul remplissoit de sa gloire et de
celles dont ce prince belliqueux sortoit sa majesté , ne lui parut plus qu’une soli­
souvent couvert des combats; et sa gloire tude affreuse : elle crut vivre dans une
même ne pouvoit la consoler de nos dis­ terre déserte et abandonnée ; et ce Monar­
grâces. que si glorieux, qui laissoit en mourant
Rappellerai-je ici ces jours de deuil tant un si grand vide sur la terre , en laissa
de fois déjà rappelés, où toute la famille un dans son cœur, que rien depuis ne put
royale presque éteinte; où le trône envi­ jamais remplacer.
ronné de tant d’appuis, demeuré seul en Son zèle seul pour., nos rois survécut
un instant; où tant de tètes que la cou­ à Louis; et s’attendrissant sur le bas-âge
ronne attendoit, abattues , il ne nous res- du prince que tant de morts venoient d’é-
toit de toutes nos espérances, que la cadu­ leyer sur le trône, en le reconnoissant
cité d’un grand Roi que nous allions per­ pour son maître , elle l’aima comme son
dre, et l’enfance d’un successeur que nous enfant. De quels yeux voyoit-elle croître
craignions de ne pouvoir conserver. Louis tous les jours ayec lui ses heureusesincli-
2Î>4 oraison funèbre
DE MAD A 51 B. âfia
nations et nos éspérances ! avec quels Saints mystères et de cette viande qui fait
transports de tendresse y voyoil-elle se la force des voyageurs, nous la vîmes
développer chaque jour les traits, la ma­ partir en triomphe pour la cérémonie au­
jesté , les manières , tout le grand du ca­
ractère de son auguste bisaïeul ! avec guste , comme si elle alloit elle-même
prendre.possession de l’Empire, ou, pour
quelle circonspection respectueuse appro- mieux dire, de l’immortalité. Elle vit avec
choit-elle de ce trône naissant! L’enfance des yeux déjà mourans , Ponction sainte
des souverains, qui rend toujours autour
couler sur I’Enlant de tant de rois : cette
d’eux les bienséances du respect et des
onction qui est le titre le plus ancien et
hommages moins attentives, redoublent
le plus venerable de la foi t e nos monar­
la bienséance et l’attention de son respect
et de ses hommages ; et si une nation si ques, et des prérogatives de la monar­
chie : cette onction qui consacra les Clo­
tendre, si fidèle, si respectueuse envers vis, les Charlemagne, les Saint-Louis ,
ses rois, avoit eu besoin là-dessus de ces
grands exemples, elle nous avoit appris à et qui a donné tant de Saints et tant de
héros au tiône des Français. Elle porta
aimer nos maîtres, elle nous apprenoit
alors à les respecter. aux pieds des autels, avec ses derniers
C’étoit la louange publiquequelaFrance vœux, les vœux de toute la nation, pour
le salut et la gloire d’un prince que le
donnoit à Madame. Et ce zèle pour nos
Dieu de ses pères venoit de marquer du
rois, qui fait ici son éloge, n’a-t-il pas
lui - même hâté notre deuil? Ses yeux caractère sacré de la royauté. Elle parut,
qui voyoient déjà de loin la terre des vi- comme le saint vieillard de Jérusalem, si
vans, avant de se fermer à la lumière, respectable par ses années et par sa piété,
vouluren t voir le floi, dans sa splendeur n avoir plus de regret à la vie , depuis que
et dans toute la gloire de son sacre (i) : ses yeux , avoient vu cet Enfant précieux,
qui devoit être la gloire et l’espérance de
Regem in décoré suo videbunt oculi ejus ,
cernent terrain de longé. ( Zr. 33. 17. ) Ses son peuple, faire dans le temple, au Maître
des rois, le premier hommage public de
forces parurent se ranimer; son courage
sa souveraineté.
n’écouta point nos frayeurs. Munie des
Jour trop heureux, que vous nous pré­
( 1 ) Voyage rie Madame b Reims , pour voir le sacre
pariez de larmes! elles couleront long­
de Louis XV. Elle y alla malade, et mourut peu . de temps pour vous surtout, princesse affli­
jours après sou retour. gée (1) , que la présence d’une mère si
(1) La duchesse de Lorraine, tille de Madame.
saints
Uraisons funèbres. * M'
DE MAD ASIE. 267
266 OKAISON FUNÈBRE
vité de nos pères; en vain la licence avoit
chérie, avoit attirée d’une cour étrangère, pris la place des règles et des bienséances;
à cette superbe solennité! Vous couriez en vain la modestie et la pudeur n etoient
recevoir ses tendres einbrassemens, hélas! plus pour le sexe que des usages surannés;
et vous veniez recevoir ses derniers sou­ en vain la cour elle-même , loin de s’op­
pirs : vous redoubliez pour elle vos soins, poser à ces nouvelles mœurs, en fournis-
vos empressemens, vos tendresses, hélas! soit souvent le modèle : Madame se res­
et vous lui rendiez vos derniers devoirs. sembla toujours à elle-même. Nous l’avons
Ainsi, ô mon Dieu! vous nous menez tou­ vue seule presque conserver , aux règnes
jours à l’affliction par des jours de sérénité à venir, la bienséance et la tradition des
et d’alégrçsse. premiers usages, que l’amour de la pa­
Mais cachons-nous encore pour un mo­ resse et de la commodité abolissoit peu à
ment ce triste spectacle. L’amour de Ma­ peu ; faire passer aux âges suivans, ce qui
dame pour le Roi et pour l’Etat, prenoit nous reste de grand et d’honorable des
sa source dans un cœur, pour qui les de­ anciennes cours; et sauver l’uniformité à
voirs étoient devenus des penchans : plus une nation, que la lassitude seule des
son rang l’approchoitde la majesté royale, changemens pourra fixer un jour.
plus elle fut attentive à n’en pas laisser Majestueuse sans faste, elle ne regarda
avilir la dignité : elle le rendit plus res­ pas la fierté comme une bienséance de
pectable, en le respectant toujours elle- son rang : la majesté qui l’environnoit,
même. Quelle bienséance et quelle majesté éloit affable et accessible : en lui offrant
dans les mœurs publiques ! Les grands nos hommages, nous ne pouvions lui re­
regardent souvent leur naissance comme fuser nos cœurs; on ne trouvoit point au­
une prérogative, qui en autorise les avi- tour d’elle cette barrière d’orgueil, de si­
liSsemens, et se fofit de nos hommages lence, ou de dédain, qui fait souvent toute
mêmes un titre d’indécence. Persuadés la majesté des grands : on n’y voyoit pas
qu’ils ne doivent rien au reste des hom­ une cour tremblante, n’oser presque lever
mes, ils croient aussi ne se devoir rien à les regards jusques au maître, et craindre
eux-mêmes. de manquer au respect dans l'excès même
La P’rance a-t-elle jamais vu de prin­ de ses hommages. L’adulation en étoit en­
cesse soutenir avec plus de décence et de core plus bannie que la crainte : assurée
dignité , l’élévation de son rang ? Les de nos cœurs, elle ne cherchoit pas nos
mœurs avoient beau changer; en vain le louanges : vraie, franche, naturelle, la
siècle ne connoissoit plus l’ancienne gra­ M 2
2^ ORAISON FUNEBRE DE MADAME. Zfy)
fadeur des éloges lui étoit à charge : le pas toujours agréables aux yeux de Dieu.
langage des cours qu’elle n’avoit jamais Les vertus humaines peuvent nous attirer
parlé, elle ne l’écouta aussi jamais qu’avec des éloges humains; les siècles peuvent
dégoût. Cependant jamais de ces momens louer des actions qui honorent les siècles,
fâcheux, où il est si dangereux d’aborder et qui s’effaceront avec eux; la piété seule
nos maîtres : une douce affabilité nous survit aux siècles et aux temps, et va écrire
rassuroit toujours contre son rang : tous nos louanges, ou plutôt les louanges de
les momens étoient ceux que nous aurions la grâce , dans les livres éternels. Ce seroit
choisis nous-mêmes : en sortant d’auprès peu d’avoir mis le monde dans les intérêts
d’elle, chacun se trouvoit marqué par quel­ de notre gloire, hélas ! la gloire que le
que trait singulier de bonté ; et nous ne monde, donne n’a pas plus de durée ni plus
comptions les devoirs que nous lui ren­ de réalité que lui : la vie la plus éclatante
dions, que par les marques de bienveil­ sans la foi, n’est qu’un songe et un fan­
lance que nous en avions reçues. Qu’il est tôme; et on n’a pas vécu, quand on 11’a
rare de savoir être grand, et de ne pas pas vécu pour Dieu. Vérités saintes, que
faire souffrir de notre grandeur ceux qui le inonde ne connoit pas, une foi vive vous
nous approchent! àvoit gravées dans le cœur de notre pieuse
Enfant auguste (i) que l’Espagne vient princesse !
de nous rendre, élevée au milieu de nous Quels exemples de piété n’a-t-elle pas
pour régner un jour sur nous, et destinée donnés à la France, et d’une piété qui
à partager avec le jeune Louis, le trône portoit tous les traits de son caractère ,
de vos ancêtres, pourquoi vos jeunes ans simple et soumise, exacte et régulière,
ont-ils été sitôt privés d’un si grand exem­ noble et héroïque!
ple? Puissiez-vous l’avoir assez connuepour Les préjugés de l’erreur, qui avoient
l’imiter! que ces vertus douces et bienfai­ présidé à son éducation, ne paroissoient
santes brillent en vous, autant que la cou­ plus en elle, que par une docilité plus re­
ronne qui vous attend! Tout ce que la ligieuse aux mystères de la foi. Ses lu­
France peut désirer, c’est une maîtresse mières se bornoient à ses devoirs ; elle
qui lui ressemble. respectoit le nuage qui couvre toujours
Mais, mes Frères, ce qui nous rend ai­ le sanctuaire. Les saintes ténèbres de la
mables devant les hommes, ne nous rend religion fixoient elles-mêmes sa foi , et
affermissoient sa soumission : elle croyoit
(i). L'iufantc d’Espagne encore alors à Versailles, qu’il étoit insensé à l’homme de vouloir
M 3
DE MADAME. -71

2"JO OKAISON ÎÜNÈBRE


des bornes aux maux de cetteEgÎise, 1 objet
eonnoître ce que Dieu a voulu nous ca­ éternel de votre amour; de,celte épousé
cher. ïl y a trop à hasarder, disoit-elle chérie, que vous avez acquise au prix de
souvent, et c'est une folie de vouloir cher­ tout le sang de votre Fils. C’est de ces temps
cher dans le doute une sûreié que la religion de trouble et d’obscurité, que sort tou­
seule promet. Jamais de ces ostentations , jours le calme et la lumière : toujours
si indécentes au sexe surtout, de ces éta­ dans votre colère, vous vous souvenez de
lages vulgaires d’incrédulité, qui croit tout faire miséricorde. Quand viendront des
savoir quand elle doute de tout; qui ne se jours paisibles et sereins , succéder a ces
glorifie du naufrage de la foi, que pour jours malheureux ? Puissent nos soupirs
se calmer souvent sur celui de la pudeur; et nos larmes les hâter! puissions-nous
et qui ne connoit pas même assez ce qu’il en être les heureux témoins, et ne trans­
faut croire pour en douter. mettre à nos neveux,, que l’histoire déplo­
Désabusée des erreurs étrangères, elle rable de nos dissenlions !
ne voyoit qu’avec une vive douleur, les Piété de Madame, simple et soumise ;
tristes dissentions, qui, dans ces jours de mais exacte et régulière. La foi veut nés
trouble et de confusion, se sont élevées œuvres , et l’on croit en vam, quand on
dans le sein même de l’Eglise : elle adres- vit mal. Avec quelle profonde religion ap-
proclioit-elle régulièrement dessaints mys­
soit au Ciel les vœux les plus ardens, afin
qu’il bénit les soins que le prince son fils tères? Abîmée devant la majesle de Dieu,
toutes les grandeurs de la terre ne lui pa-
preriûit de les calmer. Mais instruite qu’il
est nécessaire qu’il y ait des scandales, les roissoient plus qu’un atome et un néant.
Les livres saints étoient sa consolation de
troubles de l’Eglise affligèrent son cœur, tous les jours : elle y sentoit ce touchant,
sans ébranler jamais sa foi et sa soumis­
ce sublime, ce divin, qui ne peut être 1 ou­
sion : jamais de retour sur ce qu’elle avoit
vrage de l’esprit de l’homme. Ces ventes
quitté, parce quelle l’avoit quitté volon­
saintes dans nos bouches, ne lui paroi,,
tairement : jamais de doute sur le parti soient pas moins dignes de son amour et
qu’elle avoit pris, parce qu’elle l’avoit pris de ses empressemens; et nous la voyions
avec lumière et par conviction. L’Eglise , avec joie dans nos temples, au, milieu de
quoique battue des flots, agitée par le? la multitude des Fidèles, venir soutenir
tempêtes, n’en étoit pas moins à ses yeux par la majesté de sa présence, et ht dignité
la colonne et la base de la vérité, et l’arche (le notre ministère , et le respect dû à la
sainte dans laquelle seule se trouve la paix M4
etlesalut. Vous ayez marqué, ô monDieuî
'*'72 bRAISON FUNiBKî CE MADAME. 2fâ
ire qui la conduisoit dans les voies du ciel;
un goût pour le bien, un dégoût pour tout
ouvres publiques VouX °,ent P-as ses ce qui ne mène pas à Dieu : c’est l’histoire
saintes (r) nieu J j e-fa.Vez’ vierges nue et simple de sa vie; et tout ce que
secrets mouvemens d/?°S'Îaires des Phis l’art pourroit y ajouter déshonoreroit son
prières ferventes n,)P/ son fœur-' que de éloge.
que d’entre(iens’édifiansPrvn,qUeS depiët<?’ Ne nous abusons pas, mes Frères : ainsi
ont cachés au public' p3 înar1s sacres vécut cette pieuse princesse, et ce ne sont
retraite déjà sfX" ? aU^’’té de votre que les mêmes routes qui peuvent nous
1 eloit-elle nasenr 6 par a Perveur, ne conduire à la paix, au calme, au courage,
P^s ? Permettoh eÎlePar T grands exem- qui accompagnèrent sa mort. On ne la voit
iendresse des vœûx no, à Votre approcher avec confiance, que lorsqu’on
de ses jours ? Borner 1 3 PIcdonga{ion l’a attendue avecfrayeur. Dieu, qui se pré­
parât sa victime pour l’autel éternel, la
purifioit depuis long-temps par l’épreuve
del'éternïlé^ il imP°^ s’assurer
des infirmités et des souffrances. Nous
voyions de loin approcher notre deuil : les
par le mérite^sesœu^1 ^r’3 ,6S ,OUr® remèdes prolongeoient ses jours et ne cal-
soulagés avec profusîn 'Î65- LeS Pauvres moient pas nos craintes : son courage sem-
»¡eu honorés £ s f T serviteurs de btoit donner une nouvelle force aux remè­
^nce; ,eÆ?^^7a2°n-
des, et ne donnoit pas une nouvelle sû­
reté à nos espérances : le Ciel touché des
dans la durée de ses méme ^eroique vœux et des larmes d’une maison désolée ,
sembloit suspendre quelquefois le cours
que l’élévation de son 3UX’ "ne humi’hté de ses maux; mais ne suspendoit pas l’or­
*œur rehauXd encor?^^ G! de dre des desseins éternels, et le cours des­
scrupuleuse sur tons 1» 1 Un-e attentlon tiné aux jours de sa vie mortelle. Nous
iigion, où tout lu; n ' eV-°'rS de ia re' avions beau la rassurer par nos souhaits ;
sainte avidité pour ?air'SSOlt SrJand; une l’éternité s’ouvroit de jour en jour à
ses yeux : plus le Seigneur sembloit dif­
férer, plus elle le voyoit près; elle le hâtoit
meme par ses désirs : en cela seul peu at­
dc la ruc dc G™c«er tentive à nos vœux, elle craignoit d’avoir
AI 5
2 7” 0,RAISON FUNEBRE
DE MADAME. 27^
tiop vécu , etsouhaitoit de ne plus vivre.
Je ne crois pas que de vivre plus long-temps console notre douleur : elle sourit a nos
me rende meilleure : c’étoit son langage clameurs : c’est le jour de son triomphe;
ordinaire. Nous nous flattons tous par des elle ne veut pas qu’on le déshonore par
espérances de conversion : elle nous, ap- des larmes. Les larmes mêmes du prince
prenoit, que le. temps qu’on destine au son fils, ce fils, l’objet le plus cher de sa
repentir,. ne fait qu’accumuler de nou­ tendresse; ce fils, qu’elle voit à ses pieds,
veaux crimes; et qu’un vain espoir de accablé , pénétré d’une profonde douleur;
changer est plutôt un écueil, qu’une res­ et pour qui elle avoit sollicite si long­
source de salut. temps aux pieds des autels, les miséri­
Enfin, sourd à nos gémissemens, le cordes éternelles; les larmes de ce cher
Ciel se rend à ses désirs. De retour du fils touchent son cœur maternel , mais
voyage ou sa tendresse avoit eu plus de n’ébranlent point sa foi. Ses vœux mourans
part que la pompe du spectacle, l’acca- le présentent encore au Dieu qui vient au
itement augmente; nos frayeurs redou­ devant d’elle : en le comblant de ses béné­
tent; nos espérances s’évanouissent; la dictions, elle ne lui souhaite pas, comme
mort q.u elle portoit depuis long-temps dans autrefois un patriarche au lit de la mort à
son sein , se montre à découvert et se dé­ son fils : Que les peuples lui obéissent, que
clare. Et de quels yeux Madame la voit- les tribus l’adorent comme leur' chef, quil
ehe approcher? Faut-il recourir, pour lui soit le maître de ses frères, que les enfans
annoncer le jour du Seigneur, à ces pré­ de sa m'ere se prosternent devant lui. Elle
cautions étudiées, qui ne le montrent l’avoit vu jouir presque de toutes ces vai­
qu en le cachant ? C’est elle qui le publie, nes prospérités : ses désirs sont plus hauts
qui I annonce à des spectateurs désolés et plus dignes de la loi : elle ne lui sou­
et qui voudraient se le cacher à eux-mê­ haite que le don de Dieu , et ne compte
mes. A-t-on besoin, pour la calmer sur pour rien de se séparer de lui dans le
tes irayeurs de la mort, de lui montrer de temps, pourvu qu’elle ne le perde pas dans
fausses espérances de vie ? Au milieu du l’éternité. Servez Dieu et le Roi, lui dit-
trouble, de la consternation, des cris, elle , et ne m'oubliez jamais. .
des sanglots, qui environnent le lit de sa Non , vous ne serez jamais effacée de
mort:-.Nous nous retrouverons dans le ciel, son souvenir, Princesse si digne de ses
eut-elle avec une sérénité que ses maux regrets et de sa tendresse! la grandeur
et ses souffrances ne peuvent altérer. Elle de sa perte ne nous répond que trop de
la durée de sa douleur : nous mêlerons
MG
676 ORAISON PVNÈBRE, etc.
toujours nos larmes aux siennes. Et si les
vœux des Justes mourans sont toujours
exauces, grand Dieu ! puissent ceux de la
PREMIER SERMON
princesse qui expire, être écoutés ! puis­
POUR
sent les derniers désirs de sa foi et de sa
tendresse pour son fils, être montés avec
elle aux pieds de votre trône; attirer sur UNE PROFESSION RELIGIEUSE.
lui les regards de votre miséricorde; le
rendie aussi agréable à vos yeux qu’il est
grand devant les hommes; et écrire son
Misit de summo , et acccpit me , et assumpsit me de
nom dans le livre de l’immortalité, en
aejuis rnultis ;.... et cduxit me in latitudinem, <puo—
caractères aussi glorieux qu’il le sera dans niant votait me.
nos histoires !
? î^01}1 n?,us’ mes Frères, n’attendons pas Le Seigneur a tendu sa main du haut du ciel ; il
a la derniere heure : ceux qui attendent nia choisi , et nia retire du milieu des grandes eaux ;
toujours, ne changent jamais. Comptons et il m'a conduit dans un lieu spacieux et assuré, parce
avec nous-memes avant que Dieu compte gu'il nia aimé, Ps. 17. 17. 20.
avec nous. Vivons comme nous voudrions
alors avoir vécu. Assurons-nous ce que
nous espérons. Ne faisons pas du salut un C’est ainsi qu’un roi selon le cœur de
vain projet ; mais faisons de tous nos pro­
jets la voie de notre salut. Et quelque écla­ Dieu, délivré de tous ses ennemis, échappé
tante qu ail été notre vie, souvenons-nous à tous les périls qui avoient tant de lois
que nous n’y trouverons de réel, que ce mena'é sa vie, tranquille enfin sur un
que nous aurons fait pour l’éternité. trône où la main du Seigneur 1 avoit place :
et jouissant au milieu de Jérusalem du
Ainsi soit-il, fruit de ses victoires passées, de 1 amour
de ses peuples, de l’estime de ses sujets,
et de toutes les douceurs d’un règne heu­
reux et florissant; c’est ainsi que rappelant
tant de bienfaits à leur source , et sentant
croître sa reconnoissanc.e avec sa prospé­
rité, il repassoit sans cesse dans son esprit
^78 I- SESMOÜ TOUR UNS PROFESSION RELIGIEUSE. 279
les merveilles du Seigneur, et ne se îassoit miséricordes du Seigneur sur votre ame,
point de publier les miséricordes dont il et les trois points de vue par où vous devez
1 avoit prévenu dès le sein de sa mère. envisager, le reste de vos jours, le bienfait
Il m’a tendu la main du haut du ciel, signalé qui vous consacre aujourd’hui à
se disoit tous les jours à lui-même ce prince Jésus-Christ. Sans cesse désormais rani­
religieux; il m a choisir sur tous mes frères; mant aux pieds des autels votre reconnois-
il m a préféré à tous ceux de ma tribu ; il sance, par le souvenir des miséricordes de
a rejeté la postérité de Saül ; il a dédaigné Dieu sur vous, vous devez vous dire à
■ les grands et les puissans; et il m’est venu ■vous-même comme David:
chercher dans ma plus tendre jeunesse* Il m’a tendu la main du haut du ciel,
moi qui n’offrois encore à ses yeux que la il a daigné me choisir seule dans la mai­
simplicité de mon cœur, et l’obscurité de son de mon père; il m’a préférée à tant
d’ames qu’il laisse périr dans le monde ,
mes premières années Misit de summo ,
et accepit me. sans jeter sur elles ce regard puissant de
miséricorde qui m’en a retirée: Misit de
Comment pourrois-je assez publier la
magnificence de ses grâces, continuoit ce summo, et accepit me.
roi fidèle? Il ne s’est pas contenté de jeter Aussi, ce n’a pas été assez pour son
sur moi les regards d’une élection éter­ amour, de me choisir dans ses conseils
nelle; sa main toute-puissante m’a délivré éternels; combien d’ames appelées sont
de tous les périls qui m’environnoient ; infidèles à l’attrait de leur vocation ! Il a
de l’insolence de Goliath, des persécutions bri sé tous les liens qui auroient pu me
de Saul, des embûches des Philistins, de retenir encore sous l’empire de ce monde
la perfidie d’Absalom, et des pièges mêmes
corrompu, et m’a aidé à me sauver d’un
heu où les naufrages sont si communs, et
de ma prospérité et de ma gloire': Et as-
où le salut est si rare : Et assumpsif me de
sumpsit me de aquis multis.
Enfin, pour couronner ses miséricor­ aquis multis.
des, il m’a conduit dans la sainte Jéru­ Que lui rendrai-je pour tant de bien­
faits ? Il a comblé tous ses dons en me
salem ; et par un pur effet de sa bonne
conduisant dans le lieu saint; il m’a ou­
volonté , il a établi pour toujours ma de­
vert les portes de la sainte Sion, et m’a
meure dans ce lieu de paix, de sûreté et placée au milieu des vierges fidèles qui le
d’abondance : Et eduxitmein latiiudincm.
servent ; et, ce qui enchérit encore le prix
quoniam voluif me. de ses faveurs, c’est qu’il n’ena trouvé les
.Voilà, ma chère Sœur. l’histoire des
3$0 î. s E R M O f>
motifs que dans les richesses de sa miséri­ POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 281
corde et de sa bonne volonté pour moi : avant la naissance des siècles, afin que
£/ eduxit me in latitudinem, (¡uoniam vo­ nous fussions purs et irrépréhensibles à
luit me. ses yeux, et que devenus citoyens de la
Et voilà, ma chère Sœur, les trois con­ celeste Jérusalem, nous pussions rendre
solations de la vie religieuse que vous allez avec tous les Saints, des louanges éter­
embrasser. Première consolation tirée du nelles, à la gloire de sa grâce.
choix que Dieu lait d’une ame qui le prend Mais, outre cette élection invisible, dont
pour son partage : Misit de summo, et ae- nulle créature n’est jamais ici-bas assurée ,
cepit me. Seconde consolation prise des et qui renferme le mystère profond des
périls infinis et de la corruption générale conseils éternels de Dieu sur nous, il est
du monde, d ou il la retire : Et assumpsit des élections visibles et extérieures, qu’on
me de aquis muliis. Enfin, dernière conso­ peut regarder comme les moyens et les
lation produite par les sûretés et les avan­ préjugés consolans de la première. Or ,
tages de la religion où il l’appelle : Et telle est,.ma chère Sœur, la vie religieuse,
eduxit me in latitudinem, quoniam voluit où la miséricorde de Jésus-Christ vous
me. Une consolation d’élection ; une con­ appelle.
solation de préservation; une consolation Ainsi, lorsque Moyse, sur le point d’en­
de consécration. Implorons , etc. Ave trer dans cette terre heureuse que le Sei­
Maria. gneur avoit promise à ses pères, voulut
consoler et soutenir les Israélites contre
PREMIÈRE PARTIE. toutes les difficultés qu’offroit cette entre­
prise , il se contenta de leur rappeler tou­
Le premier choix que Dieu fait d’une tes les circonstances du choix que Dieu
ame qu’il veut rendre à jamais heureuse avoit fait d’eux au milieu de l’Egypte, pour
aveclui, est cette bonne volonté éternelle, les conduire à la terre des promesses. Sou­
par laquelle, comme dit l’Apôtre, avant venez—vous, leur disoit-il, que Dieu vous
que nous fussions nés et sans aucun égard a choisis sur tous les autres peuples de la
à ce que nous devions être un jour, sa terre, quoiqu’ils fussent plus nombreux et
miséricorde nous a marqués du sceau du plus puissans que vous : Te elegit Domi—
salut; nous a séparés de cette masse de nus de cunctispopulis qui sunl super terram ;
perdition, où. depuis le premier péché, {Deut. 7. 6.) et voilà les préférences de
toute chair éloit enveloppée, et nous a élus cette élection. Il vous a fait sortir de l’E­
gypte , continuoit-il, malgré tous les efforts
282 I. SEKlffi O N
B OU R UNE TROEESSION RELIGIEUSE. 283
de Pharaon, et en opérant en votre fa­
veur des signes et des prodiges : Eduxil- plus dignes de leurs bienfaits : ils prennent
que vos in manu forli de manu Pliaraonis ; en nous les motifs de leur préférence. Mais
(Ibid. 8.) en voilà les moyens. Enfin, il le Seigneur dans ses choix ne consulte que
ses miséricordes; nous sommes tous a ses
vous aimera et vous protégera ; il bénira
yeux également indignes de ses premiers
vos terres et vos troupeaux; il éloignera
bienfaits ; et nous n’y apportons point
de vous' tous les malheurs et toutes les
plaies dont il avoit frappé l’Egypte, et d’autre mérite, que celui de son choix et
vous ne pourrez plus douter que le Sei­ de son amour.
Non, ma chère Sœur, ce ne sont, ni ces
gneur, grand et miséricordieux , ne vous
inclinations heureuses, que vous avez por­
conduise, puisqu’il établira sa demeure au
tées en naissant, ni ce premier âge passe
milieu de vous :Diliget ie acmuîtiplicabit...
avec tant d’innocence dans le secret du
auferet à te omnern languorem, eî infirmi-
sanctuaire, ni cet éloignement naturel du
tâtes Ægypti pessimas non tirnebis, quia
Dominas Deus tuas in mcdio iuî est ; ( ibid.
monde, qu’on a toujours remarque en vous,
qui ont attiré la grâce de préférence qui
l3. i5. 21.) en voilà les secours et les
sûretés. vous consacre aujourd’hui à Jésus-Christ:,
ce sont là les suites heureuses, et non les
Or, sur le point où vous êtes, ma chère
causes de votre élection. Hélas ! combien
Sœur, de sortir de l’Egypte pour entrer
d’ames dans le monde, nées avec les mê­
dans ce lieu des promesses , souffrez que,
mes inclinations que vous; élevees comme
pour soutenir votre foi contre toutes les
vous dans l’innocence et dans le secret
difficultés que vous pourriez trouver un
d’un saint asile; ornées de toutes ces vei—
jour dans la suite de cette sainte entre­ tus naturelles , qui semblent destiner de
prise, je vous tienne ici le même langage. bonne heure un cœur à la piété; touchées
Souvenez-vous que le Seigneur vous a d’abord, comme vous , de la beauté de la
choisie au milieu d’une infinité d’ames maison du Seigneur; souhaitant dan s un pre­
qu’il abandonne : Te clegit Dominus de mier âge, de renoncer au siècle, et des en­
cunctis populis quisunt super terrain? voilà sevelir avejc Jésus-Christ dans 1 obscurité de
la préférence de ce choix. ces retraites sacrées, ont senti peu à peu ce
Préférence de pure bonté. Lorsque les désir s’affoiblir; ces premières vues chan­
hommes nous préfèrent dans la distribu­ ger; le monde, vu de plus près, devenir
tion de leurs grâces, c’est qu’ils nous trou­ plus aimable; et séduites par leur propre
vent, ou plus utiles à leurs desseins, ou cœur, ont étouffé ces premiers attraits de
284 ï. Seumos rotTR une profession religieuse. 2§5
grâce et de vocation, pour suivre les vai­ qui adorant Jésus - Christ, l’outragent et
nes lueurs de fortune et de plaisir, que le déshonorent! Comparez, si vous le pou­
3e siècle faisoit briller à leurs yeux ! Qui vez , le petit nombre d’aines justes et fi­
vous a discernée, ma chère Sœur, de ces dèles , qui au milieu de nous vivent de
âmes infidèles dont le monde est si plein? la foi , à cette multitude effroyable d’in­
Vous dites sans doute ici dans le secret de fidèles , d’errans, de pécheurs , de mon­
votre cœur : C’est votre miséricorde toute dains de tous les pays et de toutes les
seule, ô mon Dieu! qui m’a prévenue de nations, qui suivent les voies de la perdi­
ses bénédictions : vous m’avez choisie, tion et de la colère ; c’est un atome au
parce que vous l’avez voulu : ce sont là milieu d’un espace immense. Et cepen­
les secrets adorables de votre amour, qu’il dant , ma chère Sœur, c’est parmi ce pe­
n’est pas permis à la créature de sonder, et tit nombre même, que le Seigneur vous a
qui doivent faire le sujet éternel de mes choisie : Te elegit Dominus de cunctis po-
louanges et de mes actions de grâce. pulis qui sunt super terrain. Il vous a en­
Préférence consolante encore par la sin­ core distinguée d’elles par un bienfait sin­
gularité. Car, ma chère Sœur, jetez les gulier ; il vous a élue même parmi ses
yeux, comme dit le prophète , sur toutes Elus , comme dit l’épouse ; il ne s’est pas
les nations de la terre : Rcspicite nationes contenté de vous faire croître dans son
hominum : (Ecclï. 2. 21.) considérez ce champ, comme un froment pur au milieu
qui se passe dans l’Univers. Que de peu­ de l’ivraie ; il vous a coupée avant la
ples encore ensevelis dans les ténèbres ! moisson , pour ainsi dire ; il vous a dé­
que de nations barbares et à peine con­ robée aux embûches de l’homme ennemi;
nues, qui vivent encore sans Dieu dans il vous a mise de bonne heure à couvert
■ce monde ! que de terres et de contrées , dans ses greniers, c’est-à-dire, dans le
où la lumière de l’Evangile n’a pas en­ secret de son sanctuaire : Te elegit Domi­
core paru ! que de royaumes et de provin­ nus de cunctis populis qui sunt super ter-
ces séparées de l’unité, livrées à une es­ ram. Que de grâces dans une seule grâce !
prit d’erreur et de mensonge; et qui con- que de bienfaits rassemblés dans le bien­
noissant Jésus - Christ, ne l’adorent pas fait seul de votre vocation ! Séparée de
comme il faut ! et dans l’enceinte même toutes ces nations innombrables qui ne le
de la véritable Eglise, que d’impies ! que connoissent pas encore; séparée de tant
d’incrédules ! que de pécheurs voluptueux! de peuples qui, le connoissant, suivent
que dames mondaines et corrompues , des yoies d’erreur, et ne l’adorent pas
q86 I, S E R M O N FOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 287*
comme il faut; discernée de tant de fi­ Moyse se servoit pour soutenir les Israe­
dèles mondains qui, en l’adorant, violent lites contre les difficultés que leur offroit
sa loi sainte ; privilégiée encore pardes­ l’entrée dans la terre de promesse. Le Sei­
sus ce petit nombre d’aines justes qui, au gneur, leur disoit-il, vous a fait sortir de
milieu des périls du inonde, le servent, l’Egypte malgré tous les efforts de Pha­
mais sont obligées de se partager entre le raon , et en opérant en votre faveur des
monde et lui:sentez-vous, ma chère Sœur, signes et des prodiges : Eduxilque vos in
tout le prix de celte préférence ? Voyez- manu forti, de manu Pharaonis. Oui, ma
vous de ce point de vue toute la gran­ chère Sœur, quels prodiges le bras du Sei­
deur de ce bienfait? et frappée de ce nou­ gneur n’a-t-il pas opérés , et quels moyens
veau mystère de grâce , qui se développe sa sagesse n’a-t-elle pas employés, pour
à vos yeux, ne vous écriez-vous pas avec vous retirer du monde, et vous conduire
un saint roi , dont je vous ai déjà appli­ dans ce lieu saint? Que de secrètes invi­
qué les paroles : Venez , vous qui crai­ tations ! que de sollicitations réitérées i
gnez le Seigneur, et qui vous contentez que de nuages dissipés ! que de dégoûts
peut-être d’admirer ici en secret le cou­ vaincus! Ce n’est pas assez; que d’obs­
rage de mon sacrifice , et les vains avan­ tacles écartés ! que de facilités ménagées !
tages d’un grand nom et d’une fortune que d’évènemens inattendus ! que de ré­
éclatante, auxquels je renonce; admirez volutions et de changemens , pour vous
plutôt les bienfaits et les miséricordes de frayer le chemin où il vouloit vous con­
Dieu sur mon ame, et voyez par combien duire ! Il bouleverse tout; il frappe de
de faveurs signalées il me cfioisit et me mort les premiers-nés; il remplit les pa­
préfère aujourd’hui , pour me consacrer lais de Pharaon et des grands de l’Egypte,
toute entière à son nom et à sa gloire ? de deuil et de tristesse, pour amollir leur
Vcnile, audite, et narrabo, omnes qui ti- cœur, et afin qu’ils ne s’opposent plus à
métis Deum , quanta fecit animes meœ. la sortie de son peuple de l’Égypte, c’est-
( Ps. 65. 16. ) à-dire , au dessein d’une ame choisie, de
Mais si des préférences que renferme sortir du monde, et de se retirer dans le
votre élection, nous venons aux moyens lieu saint. Ainsi , ma chère Sœur, dès le
dont le Seigneur s’est servi pour vous y sein de votre mère toutes les operations
conduire , que de nouveaux sujets de con­ de la grâce sur votre ame étoient comme
solation , ma chère Sœur , vont s’ofFrir à autant de démarches qui vous avançoient
votre ame ! C’est le second motif dont vers la maison du Seigneur. Dès-lors tout
POUR. UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 2$$
I. S' E tl M O N
sagesse vous a conduit au moment heu­
Ce qui vous arrivoit, avoit quelque rap—. reux qui a changé votre cœur : vous n’é­
port secret avec le sacrifice que vous al­ tudiez pas assez quelles ont été les.voies
lez faire. La sagesse de Dieu faisoit tout de la grâce sur votre ame : vous ne voyez
sei vu des-lors a la destinée qu’elle vous qu’à demi et comme superficiellement ,
pieparoit; 1 ordre de votre naissance, la tout le mystère des miséricordes de Dieu
piété de vos proches , les soins de, votre sur vous. Mais si vos yeux pouvoient s’ou­
éducation, les évènemens domestiques ; vrir; mais si vous pouviez parcourir toute
1 élévation ou la decadence de ceux qui l’histoire secrète de ses grâces et de sa
vous appartenoient; la faveur ou le re- Providence sur votre ame, ah ! vous ver­
fioidissementdes princes de la,terre; tout riez que tous les évènemens de votre vie
cela ménagé par une Providence attentive, passée se rapportoient tous de loin à ce
vous frayoit déjà les voies à cette sainte moment unique qui vous a converti au
retraite. De sorte que le Seigneur ne vous Seigneur : vous verriez que ces afflictions,
a jamais perdue de vue; et que vous pou­ ces contre - temps , que vous regardiez
vez lui dire avec le prophète : C’est vous, comme l’ouvrage de la malignité ou de
Seigneur, qui avez préparé toutes mes l’injustice des hommes, n’étoienl que des
voies, et qui des le sein de ma mère , avez dispositions éloignées que le Seigneur vous
mis votre main sur moi, comme sur une ménageoit, pour vous préparer à sa grâ­
victime qui vous appartenoit déjà, et que ce : vous verriez que ces établissemens, ces
vous vous réserviez toute entière : Tufor- alliances, ces situations qui vous parois—
masli me , et posuisii super me manum soient, ou les suites du hasard, ou les
tuam ; suscepisti me de utero matris mcœ. fruits de vos ménagemens et de vos me­
{Ps. i38. 6. i3. ) sures , n’étoient que des facilités que la
Telles sont, mes Frères, les grandes bonté de Dieu assemhdoit de loin , pour
miséricordes du Seigneur sur les siens. vous frayer les voies à un changement de
Vous-même qui m’écoutez, mon cher Au­ vie : vous verriez que ces égaremens mêmes
diteur; vous que la grâce a rappelé de l’é­ de passion, ces sociétés de crime et de dé­
garement du monde et des passions , à bauche , qui auraient dû fermer pour tou­
une vie régulière et chrétienne ; ce qui jours à la grâce l’entrée de votre cœur ,
diminue peut — être en vous le sentiment par les secrets adorables de la miséricorde
de ce bienfait inestimable de Dieu, c’est de celui qui sait tirer le bien du mal ,
que vous n’entrez pas assez dans les rou­ avançoient. votre conversion , et dévoient
tas adorables et secrètes, par lesquelles sa Oraisons funèbres. * N
sagesse,
^9° !• SERMON
avoir leur utilité pour votre salut. Que di­
rai-je ? Vous verriez que votre naissance ,
votre fortune , vos dignités , vos biens , es évenemens qui ont composé le cours
vos talens , entroient tous pour quelque üe notre vie, que par ¡es occasions for-
chose dans ce mystère de grâce et de mi­ cnn6S •CfU1 eS °nt Pr°duiîs : nous ne nous
séricorde, qui commençoit dès - lors à se c°nnoissons que par les rapports exté-
former ; que tout vous conduisoit au mo­ ems que nous avons avec les créatures
ment fortuné de votre pénitence; que tout fl i nous environnent : nous ne nous con-
ce que vous faisiez servir à vos passions, de ZhS £?\C.om.rn.e faisant une portion
la bonté de Dieu le faisoit servir à votre ArchitP tCpe lnvijlt)Ie.’ fiue Je souverain
repentir. Vous verriez que tous les mo- •< , 6Cte PormÇ depuis la naissance des
mens de votre vie criminelle, étoient , de TV ’ ^Ul e7 a 1111 de tous les desseins
pour ainsi dire , des momens de miséri­ fnîr leU-’ et a Ia formation de laquelle il
corde; que le Seigneur délioit peu à peu nrofn6?^ Par Une saSesse adorable et
les chaînes qui dévoient enfin tomber tout et t tr ’ toutes les diverses révolutions
d’un coup : que tantôt il éloignoit un obs­ out i arrangement de ce inonde visible,
tacle par une perte; tantôt il atfoiblissoit is un jour, quand l’ordre de la Provi-
une passion par une perfidie ; tantôt il re- festJ6 S1Îr.nos destinées nous sera mani-
froidissoit un désir par un contre-temps; este ah ! nous verrons que l’ordre de
tantôt il inspirait un dégoût par la durée lesdt?31^06’ la Suite de nos ancêtres,
même de l’habitude criminelle; tantôt il Déri lé6' Ses,f°rtunesde nos aïeux, leur pros-
ménageoit des réflexions par un bon exem­ Lse r°U Ieur. décadence , que tout cela
ple; tantôt il réveiîloit la conscience par Quel ?P?rlOlt peut-être qu’à nous seuls;
la fin soudaine des complices de vos cri­ fuLinPn t_ielre -aU miheu de ,ant de révo—
mes; tantôt il rompoitune société de plai­ occunX ’ a 7Isénc°rde de Dieu n’étoit
sir par des dissentions et des concurren­ se rj. ° flue de nous seuls , ne vouloit que
ces ; enfin, que sa miséricorde commen­ lointt meî ,é!u; qu’elle rassembloit de
çoit de son côté l’ouvrage de votre salut, le nkz. j lesÇvenemens qui pouvoient nous
même moment que vous commenciez du P cerdans.Ies circonstances, où sa grâ-
vôtre celui de votre perte. lieriv ^'^’indépendante des temps et des
Oui , mes Frères, nous ne voyons ici- Dent ’ ^eVOll chan8er notre cœur ; et que
bas , qu’avec des yeux humains , toute la temns Z 7 da"S 7 ion§ enchaînement des
suite de notre destinée. Nous ne jugeons toirf 4etdessiecles,qui ont composé l’his-
trés i 6?0S anÎtres > n°ns sommes en-
tout seuls dans les yues éternelles de
x IX a
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 2Cp
(¡nia Dominus Deus tuus in medio tui est.
292 I- SERMON
(Dcul. y. i3. i5. 21.)
Dieu ; nous avons été la fin de tous ses Nouvelle consolation pour vous.,, ma
desseins sur nos pères , et que toutes les chère Sœur. En effet, c’est.une vérité du
circonstances extérieures de leur vie n’ont salut, que les secours particuliers de la
été peut-être que les moyens secrets de grâce suivent d’ordinaire le choix qu elle
notre élection. Grand Dieu ! que les voies fait de nous; et que la même misericoide,
de votre miséricorde sont prolondes qui nous appelle à un état de vie , nous pie-
adorables ! vous les cachez aux insensés pare en même temps toutes les grâces pro­
et aux mondains : ils vous font agir comme pres et spéciales, pour en remplir les devons,
l’homme , et ne découvrent pas votre sa­ pour en soutenir les difficultés, pour en
gesse invisible dans.la conduite de l’Uni­ éviter les périls, pour en surmonter les
vers , et dans vos desseins de grâce sur les obstacles. Je vous ai choisis, disoit Jesus-
Justes. Mais que les aines qui sont à vous , Christ à ses disciples , et c’est assez : que
trouvent de consolation à méditer ees mer­ votre cœur ne se trouble et ne se découragé
veilles secrètes de votre puissance, elles point des difficultés et des persécutions
conseils éternels de vos miséricordes sur que je vous prédis, et qui vous attendent.
elles ! Nimis profundœ factœ sunt cogita- je vous soutiendrai dans cette carrière pé­
tiones tuœ. Vir insipiens non cognoscet, et nible où vous allez entrer : et vous,y re­
stullus non intelligel hœc. (Ps.ÿi. 6. y.) cueillerez meme des fruits durables et
Voilà, ma chère Sœur, les moyens dont le abondans : Ego elegi vos ut eatis , et fruc-
Seigneur se sert pour assurer le choix qu’il
tum affcratis. (ffoan. i5. 16.)
fait d’une ame : il faut y ajouter les secours Tel est l’avantage d’une ame, ma chere
et la protection qu’il promet, et qui sont Sœur , qui entre dans une voie que, la
toujours les suites ordinaires de cette élec­ main même du Seigneur lui a frayée :
tion. Il vous aimera, disoit Moyse aux Is­ elle ne doit plus se regarder elle - même,
raélites, et il vous protégera : il éloignera ni s’arrêter à la disproportion qu elle trou­
de vous tous les malheurs et toutes les ve entre sa foiblesse et les difficultés de la
plaies, dont il avoit frappé l’Egypte ; et voie où Dieu l’appelle : elle ne doit plus
vous ne pourrez plus douter que le Sei­ s’alarmer, ni de la répugnance de ses
gneur, grand et miséricordieux, ne vous penchans , ni de la médiocrité de ses.for­
conduise, puisqu’il établira sa demeure ces, ni de l’instabilité de son goût, ni des
au milieu de vous : Diliget te, acmultiph' obstacles qu’elle prévoit dans la sainte car-
cabit. Auferei à te omnem langu rem ac in~
frmilates Egypli pessimas. Non timebti
-29‘* I. sermon
nère où la grâce la fait entrer. C’est vous- POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE.
meme qu, l’y conduisez, ô mon Dieu , le secret du sanctuaire , et s étant frayees
prophète-?// 6 PeUt V°US d're avecie d’autres routes, le Seigneur les laisse er­
pi ophete . Le Seigneur est mon guide : rien rer au gré de leurs passions dans un mon­
au ZdieT"- devr™ ™ciïr de, où sa main ne les a pas placées : c’est
au milieu des ombres de la mort, je ne que n’ayant pas eu le Seigneur pour guide
dans des périls où elles se sont téméraire­
\Jrs. 22. O. 4. ) 'parce qu'il est avec moi- ment engagées , elles ne l’ont pas aussi
-JS ’’ faUî ^'en ’ ma chère Sœ”D pour soutien : c’est que leur destinee étant
de pah S ?10ndaines Prissent se flatter l’ouvrage de leurs passions, elle en est
dans de« esPe!ance : entrées la plupart aussi l’attrait et le principe : c’est, en un
dÎÎ engagemens de place, demaria- mot, que n’ayant compté Dieu pour rien
dn’r; ‘]ffai7S’ de dlëRité , sans vocation dans le choix qu’elles ont lait, Dieu ne
«/ A Sans avoir consulté les des- les compte plus pour rien elles-mêmes.
prom-eV HU SUr -!leS ’ H Ies livre à leiir Que d’ames de ce caractère dans le mon­
prop/e foiblesse ; ,1 ne les soutient pas de ! et après cela nous les entendons s ex­
dans des voies que lui - même ne leur a cuser sur les dangers de leur état ; se
pom cnoisies : il laisse élever les vents et plaindre presque de Dieu même ; nous dire
les orages sur une mer, où les Jonas infi- qu’elles se trouvent dans des occasions
—es 5e sont embarqués contre son ordre: inévitables, où la vertu la plus austere ne
et voilà pourquoi nous voyons tous les sauroit se soutenir; qu’elles se voient tous
jours tant d’ames dans le monde qui, rem- les jours exposées à des périls, où les Saints
p ies d ailleurs de bons désirs, se plai­ eux - mêmes auroient succombé ; qu’elles
gnent sans cesse de leur foiblesse ■ des sont placées dans des situations funestes,
âmes qui, nées avec d’heureuses inclina­ où l’innocence ne peut-être achetée qu’au'
tions , ne trouvent en elles aucune force prix de la réputation , et où il faut faire
pour rompre les chaînes qui les lient à éclater leurs crimes pour les finir. Mais
leur propre misère ; des âmes pour qui elles ne disent pas que ces occasions , ce
tout devient un écueil ; que les premières sont leurs passions, et non l’ordre de Dieu,
occasions entraînent, et en qui les plus qui les leur a ménagées : elles ne disent
eimes résolutions ne vont jamais plus pas que ces périls, c’est leur imprudence,
loin que jusqu’au premier péril. Ah! c’est et non la voix du Ciel qui les y a engagées.
qu appelées peut-être à suivre l’Epoux dans Quelle injustice de vouloir rendre la reli­
gion responsable du précipice qu’on s’est
TOUR UNE PROFESSION REtIGIEUSE. 297
prise vous-même de votre force et de votre
courage ; de vous trouver le goût changé
soi - meme creusé, et de regarder comme sur mille choses , qui autrefois vous pa-
des transgressions innocentes , celles que roissoient incompatibles avec vos pen-
notre témérité nous a rendu comme iné­ chans; de sentir de l’attrait pour des pra­
vitables ! Nous accusons tous les jours la tiques, sur lesquelles vous ne croyez jamais
religion, mes Frères, de nous prescrire pouvoir vous vaincre, et que vous regar­
des devoirs impraticables en certaines si­ diez comme les tentations les plus dange­
tuations : mais un jour nous apprendrons reuses de l’état que vous embrassez..Ce
que les grâces n’ont été si rares pour nous, n’est pas, ma chère Sœur, que l’élection
les périis si inévitables, et notre faiblesse de Dieu vous assure tellement de sa pro­
si ex l'éme , que parce que nous n’étions tection, que persuadée que le secours du
pas a la place que la sagesse de Dieu nous Ciel ne sauroit plus vous manquer, vous
avoit marquée dès le commencement; sem­ deviez vous livrer, sur cette assurance, à
blables à des membres qui sont hors de une sorte de sécurité qui , ôtant toute
leur situation naturelle , et qui, ne rece­ crainte, vous jetteroit d’abord dans le re­
vant plus cette vertu secrète qui se répand lâchement, et aboutiroit enfin à quelque
sur tout le corps , languissent sans farce chûte déplorable. L’effet propre de la grâce
et presque sans mouvement, et se trou­ est de nous rendre fidèles à nos devoirs ;
vent inhabiles à tous les autres minis­ mais c’est ensuite la fidélité à nos devoirs
tères. qui nous attire et nous mérite de nou­
Pourvous,ma chère Sœur, que la main velles grâces. Ne laissez donc point affai­
du Seigneur conduit dans le lieu saint, blir en vous, ma chère Sœur, cette pre­
vous pouvez avec confiance vous répondre mière ferveur de l’esprit : car, si vous ve­
de sa protection et de ses grâces. Ainsi, nez à vous relâcher , en vain étiez - vous
ne craignez pas les peines et les difficul­ appelée aux noces de l’Epoux ; vous serez
tés que lavie religieuse semble d’abord of­ rejetée comme les vierges imprudentes :
frir à la nature : ses austérités se change­ leur vocationéloit certaine; mais leur in-
ront pour vous en de douces consolations ; fidélilé la rendit inutile.
ses devoirs les plus pénibles soutiendront C’est donc cette certitude , que vous
votre fai, loin de l’abattre; ses assujettisse- êtes à la place où Dieu vous veut, qui me
mens consoleront votre cœur, loin de le paroît la plus continuelle et la plus sen­
révolte!' ; ses sacrifices répandront la joie sible consolation de votre état. En effet,
sur toutes vos démarches, loin d’y mêler N 5
Une tristesse dangereuse : vous serez sur-
^9% I. SERMON
le supplice continuel d’un grand nombre TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. S99
d’ames mondaines, c’est de vivre incer­ continuel de son propre cœur, ou peut-
taines de leur condition. Comme elles se être un motif impie de tranquillité et d’in­
sont engagées la plupart dans leur état, dolence dans ses crimes.
sans précaution, sans conseil, sans priè­ Et voilà , mes Frères , quel est quel­
res, elles ont raison de douter, si c’est la quefois le triste état d’une vierge infor­
grâce ou la cupidité, le Seigneur ou le tunée, que les intérêts de votre cupidité,
inonde , qui les y a placées. Sans cesse on et non le choix du Seigneur ont conduite
se dit à soi-mëme, qu'on est malheureux dans le lieu saint. Accablée sous le poids
dans sa situation , parce que peut - être des chaînes qu’elle - même ne s’est point
Dieu ne nous y vouloit pas; qu’on n’y imposées; trouvant des occasions de chute
sauroit faire son salut, que parce que peut- dans les mêmes devoirs , qui pour les au­
être ce n’est pas le Seigneur qui nous y tres sont des motifs de vertu ; changeant
a placés : on rappelle mille désirs de re­ les secours de la piété dont elle est envi­
traite , qu’on avoit formés dans un âge ronnée , en des attraits de vices ; nour­
tendre , qui avoient été comme les prémi­ rissant la corruption de son cœur, de tout
ces de notre foi, et la première voix que ce qui devoit en soutenir la foi ; ne reti­
le Seigneur avoit fait entendre dans notre rant point d’autre fruit de tous ces spec­
cœur encore innocent ; et l’on croit que tacles de religion , qui s’offrent sans cesse
c’est la voie qu’il nous monlroit de loin , à ses yeux, que de nouveaux sujets de dé­
et la seule que nous aurions dû suivre. goût de la religion même ; se faisant une
Il n’est pas un seul chagrin dans notre tentation de la tranquillité de sa retrai­
état , qui ne réveille ces tristes idées : te ; et de l’éloignement même du monde ,
sans cesse on se redit à soi-même : Je ne un nouvel attrait qui le lui fait paraître
suis pas à la place où Dieu me demandoit; plus aimable ; elle se dit sans cesse à elle-
j’aurois fait mon salut dans un autre état: même , qu’une vertu moins nécessaire et
je n’y aurais pas trouvé les contre-temps, moins contrainte ne lui eût pas paru si
les répugnances, les embarras, qui m’em­ odieuse ; qu’il est terrible de porter un
pêchent de penser à l’éternité. Et là-des­ joug auquel on ne s’est pas soi-même con­
sus , on s’abat, on se dévore soi-même, on damné; et que Dieu est trop juste pour
renonce presque à l’espérance de son salut, exiger qu’on soit fidèle aux devoirs d’un
et l'on fait de cet étal affreux de découra­ état que des passions étrangères nous ont
gement et de désespoir, ou le supplice choisi. Et de là, ô mon Dieu ! que de re­
tours affreux sur soi - même ! que de re-
K6
3OO I. SERMON TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3oï
gards d’envie et de complaisance sur un mains qui vous offrent au Seigneui , sont
monde auquel on n'a renoncé que mal­ les mains de la foi et de la piete : la chair
gré soi ! quelle tristesse répandue sur tou­ et le sang n’ont ici de part que par le mé­
tes les pratiques saintes de son étal! quelles pris que vous en faites : le feu du ciel tout
imprécations secrètes peut-être contre les seul allume votre sacrifice : vous ne tenez
auteurs de son infortune ! quelles ré­ de vos parens que la piete , qui vous lait
flexions amères sur l’impossibilité préten­ renoncer à tous les grands avantages que
due desalutdàns la situation forcée et in­ vous pouviez attendre d eux ; et s ils ont
volontaire où l’on se trouve ! quelque part à la démarche que vous al­
Et ici, mes Frères, n’aurai-je pas rai­ lez faire, c’est que leurs exemples vous ont
son de vous dire en gémissant : Sacrifiez à appris de bonne heure à craindre le Sei­
labonne heure aumondecesenfansinfortu- gneur, et que le Seigneur vous a ensuite
nés que vous y destinez : inspirez-leur de appris lui - même à renoncer à tout pour
bonne heure l’ambition, l’orgueil, le fas­ lui plaire. .
te, la vengeance, l’amour des plaisirs, et Aussi, quelle consolation poui vous le
toutes les passions qui peuvent flatter vo­ reste de vos jours, lorsque, rappelant de­
tre vanité, et les faire réussir dans ce lieu vant Dieu les desseins de sa miséricorde
de dépravation et de dérèglement; ce sont sur votre ame, vous pourrez lui dire avec
là les enfans de perdition et de colère, que le prophète : C’est vous-même, Seigneui,
Dieu accorde à la corruption de votre qui m’avez conduite par la.main, et pla­
cœur : mais du moins sauvez ceux que cée dans le lieu saint : j’ai du moins la
vous lui destinez pour le servir dans ces consolation de pouvoir me dire à moi-mê­
sa’uts asiles; ne soyez pas les meurtriers me , que je suis dans la voie que votie
barbares des enfans mêmes que vous con­ bonté me destinoit avant la naissance des
sacrez à la religion ; ne sacrifiez pas ceux siècles , et que je n’y courrai point en
qui deviennent inutiles à vos passions, et vain : Tenuistimanum dexteram meum, et
qui seuls auroient pu obtenir du Seigneur in voluntatc tua deduxish me. ( Ps. 72. 24. )
que vous ne périssiez pas vous-mêmes; et Qu’on est bien payé, ô mon Dieu ! de lais­
ne perdez pas tout, ou par les plaisirs du ser faire votre volonté toute seule , et de
ne pas mêler les erreurs de nos passions
monde, ou par les contraintes et les amer­
tumes du sanctuaire. avec les conseils éternels de vos miséri­
cordes sur nos destinées. Ixous ne réussis­
Ce ne sont pas là, ma chère Sœur, les
sons jamais qu’à nous rendre nous-mêmes
voies qui vous ont conduite à l’autel : les
3o2 FOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3o3
I. SERMON
malheureux : nous ne savons que nous for­ milis tuî in fortibus, Domine ? magnificus,
mer des chaînes accablantes ; et comme in sanctitate , terribilis atque laudabilis.
( Exod. i5. ii.)
nous ignorons tout ce qui nous convient,
Voilà, ma chère Sœur, le point de vue
tout ce que nous croyons faire pour nous
ou vous devez vous placer aujourd’hui.
assurer ici - bas une vaine félicité, se
Echappée aux périls et aux orages du siè­
tiouve toujours la source de nos malheurs
cle , arrivée au port du salut, vous n’avez
et de nos peines. Première consolation de
la vie religieuse, tirée du choix que Dieu plus, pour soutenir tout le prix du bien­
fait d’une aine qu’il y appelle : Misit de fait inestimable qui vous en a délivrée ,
qu’à tourner la tête , voir un instant le
summo , et accepit me. JLa seconde se
monde , d’où vous venez de sortir, tel
prend du côté de la dépravation générale
du inonde , d’où il la retire : Et assump- qu’il est ; cette mer orageuse, ce gouffre
sit me de aquis multis, immense qui engloutit presque tous les
enfans d’Adam; et quelles sont les tempê­
SECONDE PARTIE.
tes et les naufrages d’où la inain miséri­
cordieuse du Seigneur vient de vous reti­
Ce fut sans doute une grande conso­ rer. Sans doute un premier âge passé loin
lation pour les enfans d’Israël , lorsque des périls dans la sûreté d’un saint asile ,
échappés delà mer Rouge, et tournant vous a caché jusqu’ici toute la dépravation
les yeux vers ces abîmes d’eau d’où le Sei­ d’un monde corrompu : vous ne le con-
gneur venoit de les délivrer, ils virent, noissez que par les préjugés heureux qu’une
du lieu de sûreté où ils éloient enfin ar­ sainte éducation vous a donnés contrelui;
rivés, les Egyptiens tristement aux prises Mais souffrez qu’avant que vous tiriez un
avec les flots, et finissant tous leurs vains voile éternel entre lui et vous, je vous le
efforts par un déplorable naufrage. Ce fut montre tel qu’il est, et que je vous le fasse
alors que leur cœur ne pouvant plus suf­ connoître dans un discours, où je ne de-
fire aux Transports de leur joie et de leur vrois, ce semble, vous exhorter qu’à l’ou­
blier. Hélas ! je ne risquerai rien en vous
reeonnoissance : Qui est semblable à vous,
Seigneur, s’écrièrent-ils ? Que vous êtes’ le rapprochant: pourvu qu’il paroisse tel
terrible dans vos vengeances ! et que les qu’il est, il n’est pas assez aimable pour
merveilles de votre puissance et de votre se faire regretter ; ceux mêmes qui le
voient de plus près , sont ceux qui en
miséricorde sont dignes de nos actions
de grâces et de nos hommages ! Quis si- sentent plus vivement le vide et la mi-
go4 ï. SERMON
sère : il n’a de beau que la surface et le ÏOUK UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3oO
premier coup-d’œil ; et semblable à ces menaces ; qui doutent de tout, et qui n o-
cadavres, qu’un esprit étranger et impos­ sent franchir le pas sur rien ; qui flottent
teur anime et fait paroitre revêtus d’éclat entre leurs passions et leurs doutes, et
et d’agrémens , il n’y a qu’à les approcher qui semblent souhaiter , ou d’avoir une
pour faire évanouir le prestige, et en voir loi plus vive pour finir leurs egaremens,
toute l’horreur et toute la difformité. ou de n’en avoir point du tout pour s’y li­
Qu’est-ce donc, ma chère Sœur , que vrer sans remords et sans scrupule. -Je
ce. monde misérable , duquel la miséri­ laisse tous ces divers genres d’aveugle­
corde de Jésus-Christ va vous séparer à ment , si répandus cependant dans le
jamais ? Ce monde,-c’est une région de monde , et qui attaquent le fondement
ténèbres; une voie toute semée d’écueils de la foi et de la doctrine sainte^ : je ne
et de précipices ; c’est le lieu des tour- parle que des erreurs qui en altèrent les
mens et des tristes inquiétudes. Dans ces règles et les maximes.
trois traits , vous en voyez l’affreuse Nous les annonçons tous les jours , ma
image. chère Soeur, ces maximes saintes : depuis
Une région de ténèbres : helas ! ma les premiers âges de l’Eglise, les chaires
chère Sœur , la vérité n’y trouve, ou que chrétiennes ne les ont pas publiées avec
des aveugles qui ne la connoissent pas , plus de force, plus d’exactitude, plus de
ou que des ennemis qui la combattent. Je lumière ; et cependant il n’en est aucune
ne parle pas même de ces âmes désespé­ sur laquelle le monde ne repande encore
rées , qui ne pouvant plus porter le poids des adoucissemens , de fausses couleurs
de leurs crimes, le secouent enfin avec la qui les défigurent, ou des nuages qui les
foi, et cherchent dans l’incrédulité, cette cachent. La pénitence , sans laquelle
paix affreuse qu’elles n’avoient pu trouver l’homme pécheur ne doit rien prétendre
dans le crime même : je ne parle pas de au salut, on la regarde comme le partage
ces âmes flottantes et incertaines sur la des cloîtres et des déserts : la retraite , si
religion, qui voudroient bien que la foi nécessaire à la fragilité du cœur humain,
fût une fable, pour jouir plus paisible­ elle n’y paroit plus qu’une singularité.,
ment de leurs passions , mais qui n’osent ou d'humeur, ou de vertu , qui ne sauioit
encore se le persuader; qui se défient de servir d’exemple : la prière , cette res­
la vérité de ses promesses, mais qui crai­ source unique de toutes nos miseres , on
gnent encore tout bas la terreur de ses en laisse l’usage aux âmes oiseuses et inu­
tiles ; les afflictions, que les Saints ont
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3oy
I. SERMON
barbares et infidèles, à qui vous n’avez
toujours reçues comme des grâces, on les pas encore daigné révéler la science du
craint comme des malheurs : les prospé­
salut et les vérités éternelles ?
rités , que les Justes ont toujours craint Et ce qu’il y a ici de plus déplorable,
comme des malheurs , on les souhaite c’est que ce ne sont pas là les erreurs de
comme des grâces : l’ambition démesurée,
quelques particuliers ; ce sont les erreurs
si opposée à l’esprit et au fonds c’e la reli­ de presque tous les hommes ; c’est la doc­
gion , n’est plus qu’un sentiment noble trine du monde entier; ce sont des maxi­
et légitime de ce qu’on est et de ce qu’on
doit prétendre ; la haine , qui attaque la mes universellement reçues, approuvées,
autorisées, et contre lesquelles il n’est
religion dans le cœur , et qui anéantit plus temps de vouloirs’élever.Nous seuls,
tout l’Evangile, on en fait un juste res­ dans ces chaires chrétiennes , osons par­
sentiment, ou une bienséance de son ler un langage différent : un petit nombre
rang, qui ne permet pas d’aller se récon­ de Justes tiennent encore pour nous au
cilier avec son frere : la vie somptueuse
milieu du monde, et osent encore par­
et magnifique , si souvent frappée d’ana- ler comme nous. Mais ce n’est là qu’une
thême dans les livres saints , n’est qu’un faible voix absorbée , pour ainsi dire,
usage noble de nos biens, et une loi par le bruit formidable de la multitude.
qu impose la condition et la naissance :
Ee qui domine, ce qu’on entend, ce qui
les plaisirs les plus dangereux, on les ap­
regle tout le monde , ce qui décide de
pelle des délassemens nécessaires : les
faut, ce qui est le grand ressort des
passions les plus honteuses , des faiblesses
royaumes , des Empires, des familles ,
inévitables : les médisances les plus cruel­ ce sont les erreurs que je viens d’expo­
les, des vérités publiques et innocentes :
ser. C’est une tradition d’aveuglement
que dirai-je P La vertu même , la piété vé­
qui s’est perpétuée depuis le commence­
ritable, y a perdu son nom : ce n’est plus
ment dans le monde, et qui a passé des
un don de Dieu et le seul parti nécessai­
peres aux enfans. Les grands, le peuple;
re j c’est une bizarrerie d’humeur , un les savans, les ignorans ; les sages, les in­
goût de singularité, une pusillanimité sensés ; les jeunes , les vieillards , se con­
d esprit; que sais-je: un parti bon à quel­ duisent partoutsur cesfaussesrègles : ceux
que chose , quand on n’est plus soi-même mêmes à qui la lumière de la vérité luit
bon à rien. O Dieu ! est-ce donc là le lan­ encore en secret , croient se tromper, en
gage d un peuple éclairé des lumières de voyant que l’exemple commun dément l’é-
l’Evangile, ou les discours de ces nations
3ô8 I. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3oq
vidence secrète de leur conscience ; et
regardent leurs doutes comme de vains au milieu de tant de fausses voies, lar­
scrupules que l’erreur publique calme et ges , spacieuses , battues , autorisées , et
que tous les hommes presque suivent 1
dissipe à l’instant.
Ainsi marchent, sans le savoir, tous les Vous le voyez vous-même, ma chere
hommes presque dans les ténèbres : ainsi Sœur , si le nombre des âmes f deles, et
ils courent avec une profonde sécurité qui marchent dans la voie de la vérité ,
vers le précipice éternel qui doit enfin est fort grand dans le monde, Il en est
terminer leur course : ainsi, auriez-vous encore sans doute ; car le Seigneur a
vécu, ma chère Sœur , si la miséricorde les siens dans tous les états; mais ce sont
de Jésus-Christ ne vous avoit retirée quelques étoiles rares , comme dit 1 Apô­
de cette région de ténèbres , pour vous tre , qui percent par hasard les nuages ,
faire passer à un royaume de lumière. et qu’on peut compter aisément au milieu
Vous auriez regardé comme des vérités, d’une nuit obscure et ténébreuse : oicut
les erreurs reçues de la multitude : vous luminaria inmundo. (Philip?. 2. i5. ) Et
auriez suivi les voies que tout le monde encore dans ce petit nombre , combien
regarde comme sûres : vous seriez deve­ d'âmes molles et indolentes , qui ne pa—
nue même la protectrice des maximes roissent vertueuses , que parce que le
que l’usage de tous les temps et de tous inonde, auquel on les compare, est extrê­
les pays a consacrées : vous vous seriez mement corrompu ? Combien d âmes îm-
révoltée contre la vérité qui les condamne: mortifiées et impénitentes, qui apres les
vous auriez écoulé , comme le monde égaremensdes premières mœurs, bornent
écoute aujourd’hui , les règles de la foi toute leur pénitence à la seule cessation
que nous leur opposons, comme des de leurs crimes ; et ne s’attirent les eloges
discours dont il faut rabattre , et où le dûs à la vertu, que parce que le monde
zèle va toujours plus loin que la vérité. n’a plus à blâmer en elles les mêmes
Car qu’il est difficile de démêler la lumière vices ? Combien d’autres, qui après avoir
à travers ce nuage universel d’usages, de fini les passions d’éclat , conservent en­
fausses maximes , de préjugés , d’erreurs , core toutes les autres, font entrer toutes
leurs foiblesses dans leur vertu , et of­
répandu sur le monde entier ! Qu’il est
difficile de discerner la voie de la vérité , frent aux yeux de Dieu un cœur encoie
vain , jaloux , ambitieux , vindicatif, tan­
étroite, écartée, imperceptible presque,
dis que le monde les canonise t Car le
inconnue , et où si peu de gens entrent,
monde, toujours plein de contradictions,
FOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3ll
û1° I- SE R MO S plus palpables du salut, la lumière du
et jamais d’accord avec lui-même, tantôt ciel se lèvera ici sur vous , et vous mon­
dégrade la vertu véritable et la confond trera la perfection même des devoirs , et
avec le vice; tantôt il se hâte d’exalter le des secrets inconnus aux sages du siècle:
vice à peine éteint, et de lui rendre les Super te autern orietur Dominus ; et gloria.
memes honneurs qu a la vertu consommée. ejus in te videbitur. ( Ibid. }
Que les miséricordes du Seigneur sur Rien n’est donc plus consolant, pour
vous, ma chère Sœur, sont dignes d’une une aine que la miséricorde du Seigneur
reconnoissance, qui ne doit'plus finir a séparée du monde, que ce premier coup
qu’avec votre vie ! Voyez , comme disoit d’œil, qui lui en découvre les erreurs et
autrefois un prophète à la sainte Sion ; les fausses maximes. Mais quand même on
et je puis vous le dire ici avec plus de pourroit se flatter d’y avoir toujours sui­
justice : voyez, tandis que des ténèbres vi la voie de la vérité , au milieu de tant
épaisses couvrent toute la terre ; qu’une de voies fausses et dangereuses qui la font
nuit obscure est répandue sur tous les perdre de vue ; comment auroit-on pu se
peuples; que le mensonge et l’erreur ont promettre , en second lieu , d’y conserver
pris la place de la vérité parmi les hom­ l’innocence au milieu de sa dépravation
mes : Ecce iencbrœ operiunt terram, et cali- et de ses dangers innombrables ? Et quand
S° populos : (Is. 60. 2. ) : voyez comme la je parle de ses dangers, ma chère Sœur ,
lumière du Seigneur s’est levée sur vous n attendez pas que j’en fasse ici un juste
seule; comme il vous a tconduite dans dénombrement. Hélas ! tout y est danger:
un lieu où iout vous montrera la vérité ; dangers dans la naissance; elle est une
ces murs sacrés, ces autels saints , ces espece d’engagement à toutes les passions :
vierges fideles; ce voile religieux lui- dangers dans l’élévation ; elle, vous fait
même, qui va vous cacher le monde et sa une loi de tout ce que l’Evangile con­
vanité; tout vous montrera ici vos devoirs; damne : dangers dans les soins publics;
tout dissipera les nuages légère qui pour- il faut prendre sur soi les passions des
roient s’élever du fond de votre cœur. Une grands et la misère des pauvres ; allier
nuee i esplendissante vous précédera les maximes de la religion avec celles de
comme autrefois les Israélites dans le dé- la prudence de la chair, et opter entre sa
sei t, pour vous marquer les routes que conscience et sa fortune : dangers dans
vous devez suivre; et tandis que le monde, * usage des grands biens; vous avez sans
trappe d’aveuglement, ne discernera nas cesse à vous défendre, ou des profusions
meme les vérités les plus communes et les
012 I. SERMON l’OUH UNE PROFESSION REtIGIEUSE. 3l3
qu’inspire la vanité , ou de la dureté que la probité mondaine ; dès que le monde
produit l’avarice : dangers dans les exem­ est content de nous, on se persuade
ples ; le vice perd son horreur par Pau-*- aussi que le Seigneur doit l’être ; on con­
torité de ceux qui nous le montrent ; et fond la réputation de la vertu, avec la
nous sommes rassurés en trouvant, dans vertu même; et parce qu’on n’a pas de
les foiblesses d’autrui, une excuse à nos ces vices que le monde condamne , orr
foiblesses propres : dangers dans les en­ croit avoir toutes les vertus que l’Evan­
tretiens ; on veut plaire, et l’on ne plaît gile exige : enfin, dangers dans la piété
que par les passions , ou qu’on reçoit, ou même ; comme elle est rare dans le mon­
qu’on inspire : dangers dans les amitiés ; de , les louanges qu’elle s’attire en cor­
le venin s’insinue par la conformité des rompent souvent le principe; on avoit
humeurs et par les douceurs de la société; d’abord cherché Dieu dans la veriu, on
on ne peut se passer de délassemens, et le s y cherche bientôt soi-même.
monde n’en fournit que de funestes a Voilà le monde, ma chère Sœur. Si
l’innocence : dangers dans les concurren­ vous échappez d’un péril , vous venez
ces ; on veut s’élever, et il est mal-aisé bientôt échouer à un autre : si l’exemple
d’aimer ceux qui nous supplantent et VOUS" trouve inébranlable, l’amitié vous
qu’on nous préfère ; dès que les intérêts séduit : si l’intérêt ne vous touche pas, la
sont divisés, les cœurs aussi ne tardent gloire et la réputation vous entraînent :
pas de l’être : dangers dans le mariage ; si vous vous défendez des grands excès ,
la durée du lien refroidit presque tou­ des passions plus douces et plus dange­
jours celle de la tendresse; il est rare que reuses ne vous trouvent pas insensible :
la conformité des humeurs ratifie un S1 1 inclination vous éloigne du dérègle-
nœud que la conformité seule des intérêts nrent et de la débauche , la complaisance
forme presque toujours ; une société sainte vous y jette : si vous êtes libre d’am-
devient une tentation domestique; et dès oition pour vous-même , vous la sentez
que le devoir devient un joug, le cœur revivre pour vos enfans : si vous êtes fi­
s’est bien tôt formé d’autres chaînes : dan­ dèle à ne pas chercher les occasions, vous
gers dans l’état de liberté ; les passions ne sauriez répondre de celles qui vous
qui n’ont point de frein , s’échappent cherchent.
malgré nous-mêmes; et l’éloignement d’un Et ne croyez pas, ma chère Sœur, que
lien sacré n’est souvent que l’amour d’une tous ces dangers eussent été moindres
servitude plus universelle : dangers dans P°ur vous que pour une autre. Des
Oraisons junèbres, * O
3l4 I- SERMON POUR. UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3l5
exemples domestiques de vertu, et’Ia quelquefois soupiré en secret sur les pé­
piété comme héréditaire à votre sang, rils infinis et inévitables de votre état;
y auroient peut être quelque temps dé­ mais ces périls seraient devenus eux-mê­
fendu votre innocence. Mais que les mes une raison secrète, qui vous auroit
exemples touchent peu dans cette pre­ justifié à vos yeux vos propres foiblesses.
mière saison de la vie , qu’on destine Et qu’entendons-nous tous les jours,
à l’oubli de Dieu ! on les regarde comme ma chère Sœur , que des prétextes de
des bienséances de l’àge ; et on renvoie la part des mondains, sur les obstacles
à des temps plus mûrs, des vertus qu’on infinis que le monde met à leur salut ? Us
croit que le temps tout seul a formées se plaignent qu’il est comme impossible
dans ceux qu’on nous propose pour mo­ de s’y sauver : ils forment mille bons dé­
dèles. Ainsi environnée de prospérité et sirs; mais ils prétendent que c’est en vain
d’abondance ; trouvant plus d’occasions qu’on les forme, et qu’il n’est pas en eux
de chûtes qu’une autre , par les avantages de les mettre à exécution au milieu des
de la naissance , par le rang et le cré­ ’érils et des embarras où ils vivent : ils
dit de vos proches, par l’espérance d’un
grand établissement, que de pièges n’au­
Î ont même quelques efforts; mais à peine
se sont-ils surmontés sur un point, qu’une
riez-vous point trouvés sous vos pas ? Vous nouvelle difficulté les lasse et les abbat :
auriez suivi cette route de tous les siècles, ils voudraient être au fond des déserts,
dont parle Job , que les âmes mon­ mais ils n’ont pas la force de se faire
daines ont toujours suivie : Semitam sæ~ un dé sert du monde lui-même : nous leur
culurum , (¡nam calcaverunt viri iniqui ; disons qu’il est aisé de rompre à tout
{Job. 22. i5. ) c’est-à-dire, vous auriez •Quand on le veut; et ils soutiennent qu’en
formé peut-être mille bons désirs ; mais le voulant, ils n’en sauraient être les
votre foible.sse l’auroit toujours emporté maîtres.
sur toutes vos résolutions. Vous auriez Ce n’est pas qu’en convenant des périls
envié le bonheur des âmes qui servent innombrables du monde , et de la difficul­
Dieu, et qui sont à lui sans réserve; té d’y faire son salut, je veuille ici justi­
mais rentrainée à l’instant par le torrent fier vos vaines excuses, mes Frères. Il
fatal des exemples, la vertu n’auroit ja­ est difficile de vivre chrétiennement dans
mais eu que, vos foibles désirs, et le le monde , cela est vrai : mais combien
monde , toujours votre cœur et vos affec­ d’ames fidèles la grâce y forme et y con­
tions véritables : vous auriez peut-être serve-t-elle tous les jours à vos yeux ? Le
O 2
3l<? I. SERMON TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3l7
plus sûr , dites-vous , seroit de tout quit­ qu’un grand vide , des passions infinies ,
ter, et de s’aller cacher au fond d’une des agitations sans nombre , des chagrins
retraite. Ah ! je l’avoue avec vous : que amers , des plaisirs souvent degoütans ,
n’avez-vous été du petit nombre de ces toujours tristes par le reproche secret de
âmes heureuses , que le Seigneur a de la conscience ; et une vie digne d une
bonne heure séparées de la corruption du mort éternelle , si elle n’est purifiée par
siècle , et conduites dans le secret du de dignes fruits de pénitence , avant que
sanctuaire ! Que ne vous a-t-d d abord vous alliez en rendre compte au tribunal
tendu , comme à elles , celte main miséri­ redoutable du souverain Juge.
cordieuse , qui les a retirées du milieu Mais il ne faut pas que les désirs d un
des périls, pour les faire entrer dans le état devenu impossible, vous calment sur
lieu de la paix et de la sûreté ! Que ne les dangers de votre état présent. C’étoit
vous a—t—il fermé dès le commencement l’erreur de cet ami de saint Augustin ,
toutes les voies de l’élévation et de la vani­ lequel encore païen , auroit bien voulu
té, pour vous ouvrir celles de l’humili­ l’imiter dans sa conversion et dans sa re­
té, du dépouillement et du silence ! Vos traite : mais engagé dans le mariage , il
mœurs auroient été innocentes, helas ! et regardoit ce lien sacré comme incompa­
tous vos jours ont été de nouveaux cri­ tible avec la foi et la sainteté du baptême 5
mes ! Vos premières années eussent été et auroit souhaité pouvoir le rompre pour
les prémices pures d’une vie sainte ; he­ entrer dans l’Eglise de Jésus-Christ. I»
las ! et vous n’osez tourner les yeux der­ vouloit être Chrétien, dit saint Augus­
rière vous, de peur d’y voir les horreurs tin , que d’une manière dont il étoit im­
et le trésor d’iniquité que vous y avez ac­ possible qu’il le fut : Nolcbat esse Chris-
cumulé ! Vos inclinations seroient encore tianus, nisieo modo quo non potcrat. (S.Aug.)
celles qu’une heureuse éducation vous On voudroit tout quitter si l’on se donnoit
avoit données ; hélas ! et le monde a cor­ a Dieu: on voudroit se retirer du monde ,
rompu en vous les dons de la grâce et de et se cacher pour toujours aux yeux de
la nature ; et il ne vous reste plus de ces l’Univers: on ne croit pas le salut possible
premières espérances de vertu , que le re­ autrement : on nourrit son imagination
gret inutile de les voir tout-a-fait eteintes ! de ces projets chimériques , qui ne sau-
Votre mort finiroit des jours pleins , des roient jamais s’exécuter : et parce que l’é­
œuvres précieuses, et une vie digne de tat où la Providence nous a placés, ne
l’immortalité ; hélas ! et elle ne finira nous permet plus de tout quitter, et de
O 3
ÛlS I. SERMON TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3iq
nous aller jeter au fond d’une Solitude , mais du moins on ne perdroit pas tout ;
on ne se donne point à Dieu : on ne fait on auroit du moins quelques momens de
pas ce qu’on doit faire, parce qu’on vou- bon; du moins on jouiroit du présent:
droit faire ce qu’on ne peut pas; et on mais ce présent même , cet instant rapide,
ne veut être Chrétien qu'aux seules con­ est refusé au pécheur. L'Etre souverain
ditions auxquelles il est impossible qu’on et miséricordieux, qui nous a faits pour
le soit : Nolebat esse Christianus, nwz co lui , ne veut pas que nous puissions être
modo quo non poterat. G’est-à-dire, qu’on un instant même heureux sans lui : il se
ne le veut pas : car il ne s’agit point de sert de nos passions pour nous punir de
soupirer après une situation qui ne sau- nos passions mêmes. Toutes les créatures
roit plus nous convenir; mais de trouver que nous voulons faire servir à nos plai­
des moyens de sanctification dans les pé­ sirs , il en fait en secret les instrumens de
rils mêmes qui sont attachés à la nôtre. nos peines : tous nos désirs les plus flat­
Pour vous, ma chère Sœur, la destinée teurs , et que nous ne formons que pour
soulager notre cœur , en deviennent les
des âmes mondaines ne vous paroit pas
tyrans et le supplice : tous nos projets les
sans doute digne d’envie : mais que sera-
plus spécieux , que l’imagination n’enfante
ce , si au récit des erreurs et des dangers
du monde, nous ajoutons ici celui de ses et n’embellit que pour endormir nos
peines , les réveillent et les aigrissent :
soucis , d- gss pej^es et de ses chagrins tous les plaisirs les plus vifs, et qui au-
»tévorans ? roient dû, ce semble , satisfaire notre
Oui, ma chère Sœur, on croiroit d’a­ cœur, n’y portent que la satiété , et en aug­
bord que la joie et les plaisirs sont le par­ mentent le dégoût , le vide et 1 inquié­
tage de ce monde réprouvé; et que n’ayant tude. Dieu, pour nous faire sentir que
pas de son côté le bonheur de l’innocence l’ordre est le seul Bonheur de 1 homme,
et de la vertu, il a du moins les douceurs permet que tout ce qui le trouble nous
et les réjouissances du vice. Mais il s en rende malheureux. En vain nous formons-
faut bien. Hélas 1 si l’on pouvolt y être nous un plan de félicité dans le crime ;
heureux, du moins en oubliant Dieu, et notre cœur dément bientôt cette espé­
en ne refusant rien aux passions insen­ rance , et il ne nous reste rien de plus
sées , ce seroit toujours sans doute une réel de cette vaine idée de bonheur, que
ivresse et une frénésie digne de pitié , le chagrin de nous l’être en vain formée :
d’acheter, par un instant rapide de plai­ en vain , par une vaine philosophie , dé—
sir, des peines et des horreurs éternelles; O 4

/
rOUK UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 021
320 I. SERMON
le père divisé d’avec l’enfant ; l’époux
tachons-nous des passions tout ce qu’elles d’avec l’épouse; le frère dresser des em­
ont d’extrême et de fatigant, pour nous bûches au frère ; l’ami se défier de son.
ménager des plaisirs modérés et tranquil­ ami ; le secret des familles ne cacher aux
les ; les plaisirs réglés par la raison ne yeux du public, que des antipathies , des
sont pas loin de l’ennui; et ceux qu’elle jalousies, des murmures, des dissentions
ne conduit plus , ne sont plus que des éternelles ; les amitiés troublées par les
fureurs et des gouffres; et d’ailleurs tout soupçons , par les intérêts , par les ca­
ce qui souille notre ame , quelque mo­ prices; les liaisons les plus étroites refroi­
déré qu’il soit aux yeux des hommes , dies par l’inconstance ; les engagemens
est tout ce qu’il y a de plus extrême et les plus tendres finir par la haine et par
de plus malheureux pour notre repos. la perfidie; les liens les plus sacrés deve­
Vous l’avez voulu , 6 mon Dieu , et il éioit nus des supplices par l’incompatibilité ;
juste que vous le voulussiez ainsi, que toute les fortunes les plus brillantes perdre tout
ame désordonnée fût à elle-même son sup­ leur agrément par les assujettissemens
plice. ( 5. Aug. ) qu’elles exigent ; les places les plus ho­
Non , ma chère Sœur , Jésus - Christ norables ne faire sentir que le chagrin
n’a pas laissé sa paix au monde; il ne l’a de ne pouvoir monter plus haut : chacun
laissée qu’à ses disciples : ainsi, en le lui s’y plaint de sa destinée; les plus élevés
sacrifiant aujourd’hui, vous ne lui sacri­ n’y sont pas les plus heureux. Ils mon­
fiez rien de trop aimable; et ce qui fait le tent , dit le prophète , par leur rang et
prix et le mérite de votre sacrifice, est par leur fortune, jusques au-dessus des
bien plutôt le plaisir saint avec lequel nuées ; on les perd de vue , si haut ils
tous le consommez, que les plaisirs fri­ sont placés : ils paraissent au-dessus du
voles auxquels vous renoncez. Hélas ! si reste des hommes par les hommages qu’on
vous connoissiez le fond et l’intérieur de leur rend , par l’éclat qui les environne,
ce monde misérable; si vous pouviez en­ par les grâces qu’ils distribuent, par les
trer dans le détail secret de ses soucis et adulations éternelles dont la prospérité
de ses noires inquiétudes ; si vous pou­ et la puissance sont toujours accompa­
viez percer cette première écorce , qui gnées : Ascendunt usque ad ccelos. ( Ps.
n’offre aux yeux que joie , que plaisir , 16. 2.6. ) Et par le ver secret et dévorant
que pompe et magnificence, que vous le de leur conscience corrompue ; et par la
trouveriez différent de ce qu’il paroit î satiété même des plaisirs; et par la gêne
Yous n’y verriez que des malheureux: G5
POUR UNE PROEESSION RELIGIEUSE. 323
322 I. SERMON
favorable; je vous le rapproche ; je vous
des assujettissemens et des bienséances ; le mets sous l’œil. Voyez si vous le trou­
et par la bizarrerie de leurs désirs ; et par vez digne d’être regrette ; si, sur le point
l’amertume de leurs jalousies ; et par les de l’abandonner, vous verserez sur lui des
bassesses qu’ils emploient pour plaire au larmes de joie ou de tristesse : voyez
maître ; et par les dégoûts qu’ils en si cette grande action que vous allez
essuient, ils sont plus bas que le peuple faire, et que le monde appelle un sacrifice
et plus malheureux que lui : Descendunt héroïque, un renoncement généreux, n est
nsque ad abyssos. {Ibid. ) O fille de Sion ! pas au fond une sage préférence, de la
réjouissez-vous , dit le Seigneur ; publiez paix au trouble; delà joie aux chagrins dé-
les merveilles de ma miséricorde, parce vorans ; de la liberté à la servitude ; d une
que je viens pour vous posséder, pour douce et sainte société , à l’ennui , à
vous délivrer de la tyrannie d’un monde la fausseté et à la perfidie des sociétés
qui ne fait que des malheureux , pour mondaines.
faire ma demeure au milieu de votre Et que. ne pouvez-vous, ma chere Sœur,
cœur, et y établir une paix et une séréni­ consulter le monde lui-même! Interrogez
té éternelle : Quia ecce ego venio, etbabi- vos proches que cette cérémonie assemble
iabo in mcdio lui. {Zacb. z. n.) en ce lieu saint, et ils vous répondront:
Regardez maintenant, ma chère Sœur : Interroga majores tuos, et dicent tibi.
voilà le monde avec toutes ses erreurs , ses {Deu/er. 32. 7.) Peut-être une tendresse
périls et ses inquiétudes. C’est une terre, naturelle les attriste et les attendrit ici
dont on vante les fruits et la beauté, et où sur votre sacrifice; mais au fond, ils en­
il semble que coulent le lait et le miel ; vient votre destinée ; ils soupirent en se­
mais c’est une terre qui dévore ses habi— cret sur la multitude et la pesanteur des
tans par les passions infinies qui l’agitent, liens qui les attachent au monde; et sen­
et où les plus grands plaisirs sont toujours tent, après avoir essayé long-temps des
la source des inquiétudes les plus dévo­ plaisirs, des vanités et des espérances hu­
rantes : Terra dévorât habitatores suos. maines , qu’il n’est rien de. plus heureux
{Num. i3. 33.) Regardez encore une fois; ici-bas que la crainte du Seigneur et 1 ob­
je ne vous le montre pas en éloignement, servance de sa loi sainte : Interroga majo­
comme le tentateur le montra autrefois à res tuos, et dicent tibi. Ils accordent peut-
Jésus-Çhrist: de loin il en impose; on ne être des larmes à ce spectacle de religion :
voit que la gloire , les plaisirs et la pompe Votre foi , votre innocence , votre joie
qui l’envirçpnent; ce point de vue lui est
024 *• SERMON POUR UNE PROEESSION RELIGIEUSE. 025
sainte, le courage avec lequel vous allez perpétuées dans leurs descendans, et par
dire au monde un adieu éternel, tout tant de monumens de leur gloire élevés au
cela tire peut-être de leurs yeux des mar­ milieu de nous ! que ne pouvez-vous les
ques d’un amour tendre et sensible ; mais consulter! et du fond de ces pompeux
que sa’s-j? s’ils ne pleurent pas bien moins mausolées, où toute leur grandeur n’est
sur vous que sur eux-mêmes ! Que sais-je plus qu’un peu de poussière, ils vous ré­
si, dans ce moment, les vues de la foi plus pondraient que la gloire du monde n’est
vives, ne réveillent pas en eux mille dé­ rien ; que la naissance n’est qu’un orgueil
sirs de séparation et de retraite; et ne les qui se transmet avec le sang: que les titres
font pas gémir de l’impuissance où ils se et les dignités ne nous accompagnent pas
trouvent de consacrer à Jésus-Christ les devant Dieu, et ne demeurent écrites que
restes d’une vie que le monde et les pas­ sur nos cendres et sur la vanité de nos
sions ont peut-être jusqu’ici toute occu­ tombeaux; qu’il n’y a d’éternel et de du­
pée ? Interroga majores iuos, et diccnt tibi. rable que ce que nous avons fait pour le
Que sais-je si, vous voyant mourir à tout, ciel; et qu’il ne sert de rien à l’homme de
ils ne se rappellent pas à ce terrible mo­ gagner le monde entiei’, s’il vient à per­
ment où tout mourra pour eux; et où, sé­ dre son ame : Interroga majores iuos, et
parés par la j ustice. de Dieu des mêmes ob­ dicent tibi.
jets dont sa miséricorde aujourd’hui vous Heureuse, ma chère Sœur, (puisque les
sépare, ils verront que, par votre sacrifice, bornes d’un Discours ne me permettent pas
vous n’avez fait que prévenir d’un instant de vous exposer ici tout ce que je m’étois
le dépouillement de toutes les créatures, proposé , et d’ajouter aux deux autres
inévitable à la mort, et vous épargner le motifs de consolation , tirés du côté de
crime d’en avoir joui, et le chagrin de les Dieu qui vous choisit, et du côté du
perdre: Interroga majores Iuos, et dicent monde d’où il vous retire , le dernier
tibi. Que dirai-je encore, ma chère Sœur, tiré de la solitude sainte où il vous met
iuisqu’il faut parler ici, pour la dernière à couvert des périls ;) heureuse de renon­
f bis, de tout ce que vous êtes de grand cer pour toujours à un monde, qui ne
paye que d’ingratitude l’esclavage de ses
selon le monde, afin que vous l’oubliiez à
jamais ? Que ne pouvez-vous consulter vos adorateurs, et qui jusqu’ici n’a fait que
illustres ancêtres , si célèbres dans nos des malheureux et des mécontens ! heu­
histoires par les services rendus à l’Etat, reuse encore de ne l’avoir jamais connu ,
..par les premières dignités de la couronne et de mettre de bonne heure entre vous
320 I. SERMON FOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 32/

et lui un mur de séparation éternelle ! recueille, en vous associant aujourdliui


heureuse de sacrifier tout ce qu’il ne vous à ces vierges tidèles , le fruit de ses soins
éloit pas permis d’aimer ! heureuse de et de ses peines ; qu’elle puisse à jamais
diminuer vos peines, en diminuant vos se glorifier en vous ; que vous soyez P0^1
attaehemens! heureuse de mourir à tout, elle jusqu’à la fin un sujet de joie , e
avant que tout meure pour vous! heu— ( consolation, de gloire ; non par 1 éclat e
reuse enfin de métré à profit le temps votre nom et de votre naissance , mais
court et rapide de la vie présente , pour par celui de vos vertus religieuses : II
vous assurer une meilleure condition pen­ glorielur super te Jérusalem , {lbidi) Qu e e
dant les années éternelles ! 1 soit également, édifiée et illustrée pai a
Que nous reste-t-il présentement, ma i. sainteté de vos exemples et par la ferveui
chère Sœur, sinon de faire pour vous les et la perfection de toutes vos voies; qu elle
mêmes souhaits que les prêtres et les ci­ puisse mettre un jour votre nom au nom­
toyens de Béthulie firent pour Judith , bre de ces vierges illustres, de ces saintes
lorsqu’elle parut au milieu de l’assemblée mères, de ces premières fondatrices, dont
sainte , sur le point d’aller exécuter le la mémoire vit encore dans ce lieu saint;
grand dessein que Dieu lui avoit inspiré. et dont les noms, déjà écrits dans le ciel,
Que le Dieu de vos pères qui vous a pro­ se conserveront jusqu’aux derniers âges
tégée depuis votre enfance, répande abon­ dans les annales sacrées de ce fervent
damment sur vous les secours de sa grâce ; institut : Et sit nomen tuum in numéro
qu’il bénisse la pureté de vos intentions; Sanclorum et Juslorum. {Ibid-}
qu’il soutienne par sa force toute-puis­ Dites-donc, ma chère Sœur , sur'le
sante la grandeur de votre entreprise, et point de sacrifier le monde, et daba îe
qu’il, ne permette pas que vous succombiez à vos pieds cet autre Holopherne; dites ,
dans un dessein généreux, où vous ne comme cette héroïne d’Israël, sur le pom
vous proposez que de lui plaire : Dcus de lui donner le dernier coup : Frappez-
patnrm nosirorum dct libi graliam, et omne le , Seigneur, par les paroles qui ion
consilium lui cordis suâ vit Iule corroboret. sortir de ma bouche , afin quïl ne revive
{Judith, io. 8.) Que la sainte Jérusalem, jamais dans un cœur que je vous ai con­
que cette maison de bénédiction , qui sacré tout entier : Et perçut^ enm ex
vous ouvre aujourd’hui ses portes ; qui a labiis caritalis mèce. {Ibul. 9. io■ ) Don­
cultivé en vous depuis un âge tendre, les nez-moi cette foi vive et genereuse ; cette
dons de la grâce et de la piété; et qui insensibilité chrétienne; cette élévation
328 I. SERMON, etc.
de cœur et de piete, dont j’ai besoin pour
mépriser jusqu’à la fin ses vanités et sa
gloire , pour voir toujours d'un œil in­
différent ses plaisirs et sa vaine félicité;
SECOND SERMON
pour rie regretter de tout l’éclat qui l’en­ POUR
vironne, que le malheur et l’aveuglement
de ceux qui s’en laissent éblouir; et ne
jamais introduire dans le lieu saint, son UNE PROFESSION RELIGIEUSE.
esprit et ses maximes : Da mihi in animo
çonslantiam, ut contemnam ilium. (Ibid.
14.) Quelle gloire pour vous, Seigneur, Quam dilecta tabernacula tua , Dominé virtutum !
quel monument éternel de la puissance Coneupiscit et déficit anima mea in atria Doniini.
de votre bras ! quel opprobre et quelle
confusion pour les âmes mondaines, quand Seigneur des années , que vos tabernacles sont ai­
elles verront que vous ne vous servez que mables ! Mon ame désire ardemment d être dans la mai­
de la foiblesse de mon sexe, d’une fille de son du Seigneur ; elle est presque dans la défaillance .
Sion , foible et timide , pour fouler aux par Cardeur de ce désir. Ps. 83. i. 2.
pieds sa gloire et ses plaisirs ; et qu’il
n est pas si difficile à vaincre qu’ils le
publient pour excuser la honte de leur
attachement et de leur servitude ! Erit X^oila, ma chère Sœur, à quoi se bor-
emm hoc memoriale nominis fui , cùm noient tous les désirs d’un saint roi, que
manusfœminœ dejecerit eum. (Jbid. ür. i5.J le Seigneur avoit comblé de gloire , de
Recevez, grand Dieu, le sacrifice de prospérité et d’abondance. Ce n’étoit ni
cette hostie innocente , comme vous re­ l’éclat du trône où la main du Seigneur
çûtes autrefois celui d’Abel; et que ce l’avoit placé, ni le nombre de ses vic­
grand exemple de foi et de religion ap­ toires , ni la magnificence de son règne,
prenne à ceux qui m’écoutent, que c’est qui le touchoient d’une joie vive et con­
tout gagner que de tout perdre pour tinuelle. L’arche sainte, le tabernacle du
s assurer un bonheur éternel. Dieu vivant, d’où il se voyoit éloigné par
la révolte de son fils ; la consolation daller
dans ce lieu saint se décharger, pour ainsi
Ainsi soit-il. dire , aux pieds des autels du poids de la
royauté; d’y répandre son ame devant le
3ûO II. SEHMOB roun UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 33 I
Seigneur; de chanier en sa pre'sence des Heureux, ô mon Dieu! lui avez-vous
cantiques d’actions de grâces; d’y mêler dit mille fois avec le prophète, heureux
ses larmes au sang des victimes; d’y célé­ ceux qui habitent dans votre maison ; et
brer, au milieu des enfans d’Aaron, la qui, à l’abri des périls et des séductions du
mémoire des bienfaits dont le Seigneur monde , ne sont nuit et jour occupés qu .à
avoit autrefois favorisé son peuple ; d’y chanier vos louanges et publier vos mi­
méditer les merveilles de sa loi et les pro­ séricordes éternelles ! Beah gui habitant
messes faites à ses pères : voilà tout ce in domo tua , Domine ! ( Ps. 83. 5. J Le
qui lui paroissoit digne d’être regretté monde n’éblouit que ceux qui le voient de
dans l’élévation et la puissance dont un loin, et qui n’en connoissent pas le vide
fils rebelle venoit de le dépouiller. et l’amertume. Heureuse lame, o mon
Et voilà, nia chère Sœur, les saintes Dieu! qui a pu enfin secouer le joug de
dispositions que la grâce met dans votre toutes les espérances humaines, et qui,
cœur. Ce ne sont ni les avantages au mi­ voyant que tout est vanité et affliction
lieu desquels la Providence vous a fait d’esprit dans cette vallée de larmes, forme
naître, ni un nom respecté dans le monde, en son cœur la résolution généreuse de
ni tout ce qu’il scmbloit vous promettre s’attacher à vous seul; et de monter de
de plus flatteur et de plus séduisant, qui degré en degré, jusqu’àcet état sublime de
ont su toucher votre cœur. La maison du ce dépouillement entier; jusqu’à cette per­
Seigneur ; les saintes consolations d’une fection religieuse , d’où les vrais biens se
retraite religieuse; la joie de venir vous faisant voir de plus près, le monde et
cacher dans le secret du tabernacle, et toute sa gloire ne paroissent plus qu un
dans ce temple nouveau (ij, où vous .vain atome ! Bcatus cujus esl auxilium
allez être la première victime qui s’offre abs te ; ascensiones in corde suo disposuit,
sur l’autel , et auquel votre sacrifice va in oalle laciymarum in loco quem posuit.
servir comme de consécration et de dé­ {Ibid. ii. 6. 7.) .
dicace solennelle : voilà ce qui vous a paru Ce n’est pas, ma chère Sœur, que la
plus digne de vos souhaits, que toute la maison du Seigneur , où vous entrez au­
gloire du monde et la vanité de ses pro­ jourd’hui avec tant de foi, naît ses en
messes : Concupiscit, cl deficit anima mea tâtions comme ses consolations e ses
in atria Domini. avantages. Il y a des pièges sur le Thabor,
(’) C’éloit la première ceremonie qui se fit dans la selon l’expression d’un prophète, comme
nouvelle église de la Visitation de Cliaillot. dans les plaines de Samarie : Rete expan-
332 II. SERMON POU» UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 333
sum super Thabor. (Osée. 5. i J Le lieu
première partie.
saint peut avoir ses desolations et ses pé­
rils comme le siècle. Ce ne seroit donc pas
assez de vous entretenir ici seulement des Mon fils, dit le sage , lorsque vous en­
avantages de la vie religieuse, il faut en­ trez dans le service de Dieu, préparez vo­
core vous en exposer les tentations. Il est tre ame à la tentation; et souvenez-vous
important qu’à l’entrée de cette sainte car­ que les voies mêmes de la sagesse et de la
rière , où les ressources et les consolations vertu cachent des écueils d’autant plus
s’offrent en foule, on vous montre aussi dangereux, qu’on s’y croit plus en sûreté,
de loin quelques écueils que vous pour­ et qu’on y marche sans précaution et sans
riez y trouver sur vos pas. Il faut, il est déiense : Fili, accedens ad servitutem Del,
vrai, encourager votre foi, en vous étalant prœpara animam tuam ad teniationem.
toutes les consolations que Jésus-Christ (Eccl. 2. i.)
vous prépare dans cette retraite sainte ; Cet avis est d’autant plus essentiel pour
et nos foibles discours ne vous exposeront les âmes qui se consacrent à Jesus-Christ
jamais qu'à demi l’abondance de ses dons dans la vie religieuse , qu’on se persuade
et les richesses de sa miséricorde : mais, que tout est fait, quand on a une fois re­
d un autre côté , il n’est pas moins essen­ noncé au monde, et embrassé un état saint;
tiel d’armer d’abord votre vigilance, en et que les difficultés de cette première dé­
vous découvrant les pièges qui pourvoient marche surmontées , on n’en doit plus at­
s’y rencontrer. Et voilà tout ce que je me tendre dans le reste de la carrière. .
propose dans cette instruction , de vous Cependant, ma chère Sœur , la vie re­
exposer les tentations et les consolations ligieuse elle-même , où la grâce aujour­
de la vie religieuse ; c’est-à-dire, de vous d’hui vous appelle ; cet état divin , qui
piemunir contre ses tentations, pour vous nous fait être par avance sur la terre ce
mieux disposer à en goûter toutes les con­ que les Anges de Dieu sont dans le ciel ;
solations. Implorons , etc. Ave, Maria, cet état a ses écueils et ses tentations, ou
viennent tous les jours échouer plusieurs
vierges infidèles. , .
Tous les Israélites, dit l’Apotre, etoient
sortis du milieu des abominations de 1 E—
gypte ; ils avoient tous suivi la nuee lu—
laineuse qui les conduisoit dans le desert.
334 II. SERMON TOUR UNE PROFESSION RELICREUSE. 333
Cependant, continue l’Apôtre , malgré Oui, ma chère Sœur , les commencemens
celte première démarche, qui sembloit les sontd’ordinaire fervens et fidèles : on jette
mettre en sûreté , il s’en faut bien qu’ils les premiers fondemens de l’édifice saint
ne fussent tous agréables à Dieu : Sed non avec un zèle et une vivacité qui semble
in pluribus eorum beneplaciium est Dco. ne devoir plus se démentir : on se dispute
(/. Cor. io. 5.J D’où vient cela? C’est que les adoucissemens les plus permis : on a
cette première ferveur passée , ils com­ horreur des infidélités les plus légères :
mencèrent à regarder derrière eux , et à on marche à pas de géant dans les voies
eter des regards de complaisance sur du Seigneur; rien ne coûte, rien n’arrête :
J ’Egypte qu’ils venoient d’abandonner on dévore toutes les amertumes de l’obéis­
sance: on ne sent point l’assujettissement
avec tant de joie : et c’est ce que j’appelle
la tentation du temps. C’est en second lieu, des règles : on vole partout où le devoir
que lassés des fatigues du désert, et en­ et l’exemple nous appellent : on ajoute
nuyés même du pain céleste , dont le Sei­ même aux œuvres prescrites , des œuvres
gneur les nourrissoit, ils commencèrent à de surcroît : enfin, rien ne paraît de trop
se dégoûter ; et leurs dégoûts furent bien­ au zèle etàla ferveur qui commence.
tôt suivis de murmures : et voilà la ten­ Mais, ces premières années passées dans
tation du dégoût. C’est enfin que se lais­ la ferveur , on croit être en droit de se re­
sant entraîner aux exemples de quelques- poser : on laisse à celles qui commencent,
uns d’entre eux, ils négligèrent de venir cette exactitude trop rigoureuse : on re­
»orter leurs vœux et leurs prières devant garde tous les adoucissemens et les infi­
{ e tabernacle saint ; et ne furent plus délités , comme le privilège du temps et
des années : on se rabat à un genre de vie
occupés que de danses et de festins au­
tour du veau d’or : est c’est ici la tenta­ plus à portée des sens et de l’amour-pro­
tion des exemples. Or, ce netoit là, dit pre : on se permet tranquillement des
l’Apôtre, qu’une figure pour nous ins­ omissions, dont on se faisoit autrefois un
truire : Hœc autem in figura Jacta sunt grand scrupule : enfin, on se.persuadeque
le temps de la ferveur est passé ; et qu’il
nostrî. {Ibid, tr, 6.) Et voilà en effet, ma
ne convient qu’à des commençantes d ob­
chère Sœur, les trois tentations à craindre
server les règles et les saints usages dans
dans ce désert religieux où vous êtes en­
toute leur perfection et leur étendue.
trée en sortant du monde, et de toute la
Première tentation.
corruption de l’Egypte.
Or, pour vous armer contre un écueil,
En premier lieu, la tentation du temps.
336 II. SfiRMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 337
où la grâce de la vocation vient souvent seroit pas même assez que le dernier jour
échouer et faire un triste naufrage, sou­ ressemblât au premier. Plus vous avance­
venez-vous, ma chère Sœur, que l’esprit rez dans la profession religieuse, plus vous
de la vie religieuse, que vous embrassez, devez croître dans la grâce de votre état,
est le même pour tous les âges ; que les dans le désir de votre perfection, dans
règles sages et pieuses, que votre saint fon­ l’amour de vos devoirs et de vos règles :
dateur, dont la solennité concourt si heu­ plus vous avancerez, plus celles qui com­
reusement aujourd’hui avec votre consé­ mencent auront les yeux sur vous, se ré­
cration, et semble vous promettre d’avance gleront sur votre conduite , expliqueront
la grâce de son esprit, l’abondance de sa l’étendue de leurs devoirs par votre fidé­
charité, et la grandeur de sa foi ; que les lité ou par votre négligence ; plus vos
règles saintes, dis-je, que votre bienheu­ foiblesses ou vos vertus deviendront leurs
reux Père a laissées à cet institut fervent, vertus ou leurs foiblesses; et qu’ainsi plus
sont les mêmes pour tous les temps, tou­ le Seigneur demandera de vous de fidélité
jours égales pour toutes les épouses de dans vos devoirs et de perfection dans vos
Jésus-Christ ici assemblées ; toujours uni­ exemples. Qui n’avance pas dans les voies
formes , et pour celles qui commencent et de Dieu , recule ; aussi l’Esprit-Saint mau­
pour celles qui portent déjà depuis long­ dit ceux qui font l’œuvre du Seigneur né­
temps le joug du Seigneur : et qu’ainsi gligemment. Mais s’il étoit un temps où il
dans un âge plus avancé, comme dans fut permis de le servir avec une sorte de
une première jeunesse; dans les ferveurs tiédeur et de paresse , il semble que ce
du noviciat, comme dans la suite de votre devroit être plutôt dans le commencement
carrière ; puisque la sainteté de votre état de la carrière , où la grâce encore foible,
sera toujours égale, votre fidélité doit tou­ toutes les vertus religieuses, encore , pour
jours être la même ; votre zèle ne jamais ainsi dire, dans leur naissance , semblent
se démentir ; vos dispositions de foi, d’a­ rendre le relâchement moins criminel, et
mour , de sacrifice, toujours persévérer; les imperfections plus pardonnables; au
et qu’en un mot, le dernier jour, qui lieu que dans la suite, la grâce ayant dû
finira cette carrière heureuse , doit res­ croître en nous, l’esprit de notre vocation
sembler, du côté de la ferveur et du zèle, se fortifier, la tiédeur devient un crime;
au premier, qui aujourd’hui vous l’ouvre les inobservances , une manière d’apos-»
et la commence. tasie , qui ne saurait plus trouver d’excuse
Mais que dis-je, ma chère,Sœur ? ce ne que dans un cœur ingrat et infidèle.
seroit Oraisons funèbres. * P
338 II- SERMON
POUR. UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 339
Celui qui commence , dit Jésus-Christ,
et qui après cela se relâche et regarde repos, le délassement et comme la récom­
derrière lui, n’est pas propre au royaume pense de ses fatigues passées : mais-dans la
de Dieu : Non est aptus regno Dei. {Luc. milice de Jésus - Christ, c’est en être dé­
9. 62.) Cette parole est terrible , ma chère serteur, que de cesser un moment de com­
battre. Tout le temps de la vie présente
Sœur ; il n’est point propre au royaume
de Dieu : c’est-à-dire, c’est une ame est une milice continuelle, dit Job; est le
foible et paresseuse , qui ne doit rien pré­ temps des peines et des combats : le repos
tendre au salut destiné à ceux qui ont per­ ne nous est montré qu’au bout de la car­
sévéré jusqu’à la fin; une ame infructueuse rière. Plus même nos années avancent ,
et stérile, laquelle, après avoir poussé d’a- plus nous touchons de près à ce terme
heureux ; hélas! plus nos désirs pour le
hord des feuilles spécieuses , en demeure
là, ne donne point de fruit, et ne doit ciel doivent s’enflammer ; plus la vue de
point attendre d’autre sort que celui de la patrie, à laquelle nous touchons, doit
l’arbre infortuné de l’Evangile : Non est nous transporter; plus toutes les créa­
apius regno Dei. Hélas ! ma chère Sœur, tures, qui vont bientôt nous manquer,
si, selon l’Apôtre , tous ceux mêmes qui doivent nous paroitre indignes de nos at-
courent n’arrivent pas au but; si parmi tacnemens ; plus notre rédemption, qui
les âmes mêmes qui paroissent les plus approche, doit ranimer notre amour, ex­
ferventes et les plus fidèles , il s’en trouve citer notre foi, réveiller notre espérance ;
encore qui seront un jour rejetées des plus nous devons lever la tête avec une
noces de l’époux, parce qu’un orgueil se­ sainte joie, dit Jésus-Christ; c’est-à-dire ,
cret aura corrompu toutes leurs voies et avoir l’œil déjà fixé dans le ciel, perdre
de vue la terre, et n’attendre plus que le
infecté toutes leurs œuvres : quelle des­
tinée pourroient se promettre celles qui, momentqui va nous réunir à Jésus-Christ :
après les premières démarches, se reposent Lespici/c, et levâte cap Ha ves/ra; quoniam
lâchement, etcroient être quittes dureste appropinquatredemptio vestra.(Luc.21.28.~)
Et certes , ma chère Sœur , voudriez-
de la carrière !
Non , ma chère Sœur, il n’en est pas de vous, en vous relâchant après quelques
la milice de Jésus-Christ, comme de celle années de ferveur , perdre tout le fruit
de votre fidélité passée ? Voudriez-vous
des princes de la terre : dans celle-ci, après dissiper ce que vous auriez si heureuse­
un certain temps de travail et de service,
ment amassé, et vous laisser ravir la gloire
on acquiert le droit de chercher dans le de mille victoires que vous auriez reinpor-
P2
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 341

340 II- SERMON miséricordieux, qui l’a mise a couveit de


tées sur l’ennemi ? Ah ! c’est alors que vous la dépravation générale dans le secret de
devrez être plus sur vos gardes; et que vous son sanctuaire? Que dis-je ? Lt elle regai-,
étant enrichie des biens spirituels, le dé­ deroit même cette exactitude rigoureuse,
mon fera plus d'efforts pour vous les en­ dont elle avoit d’abord fait profession ,
lever : il vous laissera plus paisible dans comme des excès puérils du premier âge,
ces commencemens : semblable à un pirate et qu’une raison plus mûre doit modeiei ?
qui laisse passer tranquillement les navi­ C’est-à-dire, que ce seroit comme si elle
res , qui partent pour fournir une longue disoit à Dieu : Seigneur, tandis que je
carrière , et aller chercher au loin des suivois encore les mouvemens d un âge
marchandises précieuses; et ne les attaque peu avancé, et les foibles lumières dune
qu’au retour, et presque sur la lin de leur raison peu formée, je vous servois avec
course; parce qu’il les trouve alors charges ferveur; je me disputois tout; jeme.faisois
de richesses, qu’il s’efforce de leur ravir, un scrupule de tout ; je laisois consister la
et de leur rendre inutiles les travaux et piété à ne donner rien à ma propre satis­
les périls au prix desquels ils les avoient faction ; à remplir jusques aux moindres
acquises. devoirs, avec une exactitude ou il entroit
Mais après tout, ma chère Sœur, croi­ plus de petitesse que de vertu; a suivre
riez-vous en avoir assez fait pour Jésus— tout ce qui me paroissoit le plus parfait,
Christ, quand vous aurez consacré quel­ dans vos voies, et le plus conforme à 1 es­
ques années de zèle à son service? La vie, prit de ma vocation. Mais a mesure qu un
cet instant rapide, est-elle trop longue âge plus mûr a mûri la raison, et que ces
pour remercier le Seigneur de la grâce premiers transports ont passé, j’ai compris
inestimable qu’il nous a faite, en nous se qu’on pouvoit vous servir a moins ; que
parant du monde et de sa corruption . vous ne demandiez pas des empressemens
L’éternité elle-même ne suffira pas aux si vifs, et une fidélité si scrupuleuse; que
Saints, pour rendre grâces à celui qui les vous étiez un maître aisé à contenter, et
aura retirés de la voie de la perdition et qui se payoit de tout ; que c’etoit bien assez
de la colère; et une vierge infidèle, apres de ne pas rompre avec vous par des trans­
les premières années de zèle et de ferveui, gressions manifestes ; et qu’on pouvoit
croiroit être en droit de se reposer, comme être à vous, sans se faire une gueire si
si le temps des combats étoit finiet qu’elle importune à soi-même. Si ce n’est pas là
n’eût plus , ou d’ennemis à craindre , ou le langage que la bouche d’une vierge
d’actions de grâces à rendre au Seigneur P O
342 H. SE REION POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. Ó 4-3
tient à Dieu, c’est du moins re'ellement ni de sensible , ne soutient plus dans la
le langage de son cœur, et l’outrage qu’elle pratique des règles saintes : on en sent le
ajoute à ses infidélités, et au dégoût où poids ; et les consolations qui 1 adoucis-
elle est tombée de son état. soient, sont refusées. Les penchans, d a-
Et voilà , ma chère Sœur , ce que j’ai bord si dociles, se soulèvent contre le
appelé la seconde tentation de la vie reli­ joug; notre cœur, d’abord touché,ne trouve
gieuse : la tentation du dégoût. plus rien presque dans le détail des devoirs,
Comme nous sommes pleins d’amour- qui le pique et qui l’intéresse : les mortifi­
propre , ils nous arrive presque toujours cations coûtent ; les observances devien­
de nous rechercher nous-mêmes dans la nent pénibles; la prière, loin de consoler,
vertu; c’est-à-dire, de consulter plus un gène et captive ; les mystères saints n ex­
certain goût sensible, qui nous rappelle à citent plus que médiocrement la ferveui;
Dieu , que la justice de sa loi et les vérités enfin , on marche encore à la vérité, .mais
de la vie éternelle. Ees commencemens chaque pas est un nouvel effort; mais on
surtout de la vie chrétienne et religieuse marche sans goût et sans consolation : et
sont toujours accompagnés d’un certain de là vient qu’on se décourage; on se traîne
attendrissement de cœur , qui nous en dans la voie sainte; on cherche, dans les
adoucit d’abord tous les exercices : la nou­ relâchemens de l’amour-propre, les con­
veauté , le tempérament quelquefois, la solations sensibles qui manquent à la ver­
grâce même alors plus vive , tout cela fait tu ; et l’on se dédommage avec soi—même,
sur le cœur certaines impressions sensi­ pour ainsi dire, des dégoûts qu’on éprouve
bles, qui nous soutiennent dans la pratique avec Dieu.
des devoirs et des règles saintes : tout s’a­ Or, pour prévenir une tentation si or­
planit alors; tout paroit aisé. Or , on se per­ dinaire dans cesretraitesreligieuses, écou­
suade aisément que les suites répondront tez, ma chère Sœur, les avis suivans, et ne
à de si heureux commencemens; que les les oubliez pas.
devoirs auront toujours pour nous le même Le premier avis est que la source de nos
attrait, et que rien n’affoiblira ce goût dégoûts dans les voies de Dieu , est d or­
sensible, qui nous rend d’abord si heureux, dinaire dans nos infidélités. Ce n est que
et si pénétrés de notre bonheur dans la lorsque nous commençons a mêler des
voie de Dieu. adoucissemens aux devoirs, que les de­
Cependant ce premier goût s’use d’ordi­ voirs commencent à devenir tristes et pé­
naire , cet attrait passe; rien d’humain, nibles : on se figure qu’en se permettant
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 34b
344 ii- sermon funeste de leurs dégoûts et de leurs peines.
mille relâchemens, on rendra le joug plus Non , ma chère Sœur , telle est toujours
supportable; et on le rend plus ennuyeux la destinée d’une vierge tiede et infidèle .
et plus pesant. Aussi c’est dans les maisons loin d’adoucir les observances de la v îe
religieuses , où la première ferveur règne religieuse , en ne les accomplissant qu a
encore , où l’on vit dans une entière sépa­ demi, elle se les rend plus insupportables,
ration du monde , où l’esprit de silence , plus elle se relâche , plus les dégoûts aug­
de prière , de dépouillement, de mortifi­ mentent; parce que l’amour, qui ienc*-
cation , n’est point affoibli ; c’est dans ces tout léger, s’affoibbt : tout lui pese dans
maisons heureuses, qu’on voit une joie le service de Jésus-Christ, parce que les
sainte répandue sur les visages; toutes les grâces abondantes, qui sont la récom­
épouses de Jésus-Christ porter son joug pense de la ferveur, n’y sont plus don­
avec un goût et une alégresse qui sur­ nées. La prière n’étant plus pour elle un
prend ; et qu’on les voit surprises elles— saint commerce de tendresse etde conhance
memes de ce que le monde est étonné de avec le Seigneur , n’est plus qu une con­
les trouver si contentes et si heureuses trainte qui la fatigue : la retraite ne lui
dans cet état de retraite, de privation et faisant plus goûter la présence deson Dieu
d austérité : au heu que les dégoûts et les et le bonheur de jouir de lui à 1 écart, loin
murmures ne régnent que dans ces mai­ de la vue des hommes , n’est plus qu'une
sons infortunées, où le premier esprit est triste solitude , où elle est a charge à elle-
tombé, où la régularité primitive ne s’ob­ même : les exercices journaliers ne sont
serve plus, où toutes les observances re­ plus qu’un train de vie accoutume , qui ne
ligieuses sont altérées, et où l’on ne con­ lui font plus sentir que le dégoût de Dire
çoit plus les anciennes règles, que parles toujours la même chose ; tout le detail de
adoucissemens qui les ont anéanties; c’est la vie religieuse n’est qu’une suite d occu­
la ou se trouvent en grand nombre des pations dégoûtantes, qui ne font que di­
vierges infidèles, mécontentes et malheu­ versifier son ennui. Le monde, qui ne lui
reuses dans leur état, portant ce reste de offroit autrefois que des misères etd.es cha­
joug avec une tristesse et une répugnance grins, qui lui adoucissoient les peines de
qui les accable. Plus elles conservent de son état, ne lui offre plus que des joies
liaison et de conformité avec le monde, spécieuses, qui lui rendent les peines de
pluslareligion leur paroittriste et affreuse; son état plus insoutenables. Privée des
et les adoucissemens memes que l’usage a plaisirs frivoles des mondains, elle par—
introduitsparmi elles, deviennent la source
34^ II. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. ^47
ticipe a leurs ennuis et à leurs inquiéta— i7/«ra, et cpotabis usque adfaces. {Ibid.
tudes : elle trouve dans le lieu saint toutes 33.34.)
les amertumes dont le monde abreuve ses Ainsi , ma chère Sœur , si vous éprouvez
partisans} et cest a elle que le Seigneur jamais ces dégoûtsdans la voie sainte ou
fait ce reproche dans son prophète, "en la vous entrez, examinez-vous d’abord vous-
personne de Jerusalem infidèle : Vous même } voyez s’il n’y a pas.dans votre cœur
avez marche dans la voie de Samarie votre quelque principe secret d’infidélité qui in­
sœur}vous avez imité, dans le lieu saint, fecte tout le détad de vos exercices, et qui
les maniérés, les relàchemens, le culte éloigne Dieu de vous} si vos dégoûts ne
tiède et imparfait d’un monde que j’ai sont pas la punition de vos relàchemens }
réprouvé, vous que j’avois choisie et pré­ si vous n’avez pas dégénéré de votre pie—
venue de tant de grâces: In via sororisiuœ mière ferveur} si vous ne tenez pas tiop
Samariœ ambalasti. ( Ezech. 23. 3i. ) à vous-même } si vous ne nourrissez pas
Aussi voici ce que dit le Seigneur : Vous des antipathies secrètes et des prédilections
participerez au calice de Samarie , puisque trop humaines; si vous ne refusez pas a la
vous participez encore à son esprit et à grâce mille sacrifices secrets qu elle vous
ses infidélités} à ce calice d’ennui et de inspire} si vous n’accordez pastrop a ! hu­
tristesse. Je changerai les consolations que meur, à l’indolence , à mille attachemens
je vous préparois dans ce lieu que j’ai légers, qui vous occupent toute entière.
choisi, en des dégoûts et des amertumes Rappelez-vous à votre cœur } remontez, à
secrètes : ma maison ne sera plus pour l’origine de vos dégoûts ; et sans doute, loin
vous qu’une maison de deuil et de con­ de la retrouver dans les devoirs , vous la
trainte } vos jours, qui dévoient être des trouverez en vous-même.
jours de paix, de consolation et de lu­ Ce n’est pas, ma chère Sœur , et c’est
mière , seront des jours de trouble, d’in- ici un second avis} ce n’est pas que les
quietude et de ténèbres : vos voies, qui dégoûts ne se trouvent quelquefois dans
dévoient être si douces et si tranquilles, la vie même la plus fervente et la plus fi­
seront semées de ronces et d épines} et dèle , et qu’en vous consacrant aujourd’hui
Samarie au milieu de ses abominations , à Jésus-Christ, vous ne deviez vous at­
ne sera pas plus malheureuse que vous le tendre à des amertumes dans son service.
serez dans une maison de paix et d’inno­ Ce sont des épreuves dont il se sert pour
cence : Repleberis calice mœroris el trisli- purifier notre cœur et pour perfectionner
iiœ, calice sororis tuæ Samariœ ; el bibes toutes nos démarches. Au commencement
P 6
348 II. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. o49
de la carrière , il nous soutient par des que la vie religieuse est une vie de. moit
consolations sensibles; c’est un lait dont et de sacrifice, et que cet état de peine et
il nourrit notre foiblesse : comme nous de tristesse, paroit l’état le plus naturel
sommes encore des enfans de la grâce et d’une ame qui a pris la eroix de Jésus-
peu affermis dans la foi, il faut qu’il nous Christ pour son partage; c’est que moins
mène par des sentiers doux et faciles. Mais le Seigneur paroît nous soutenir par des
à mesure que nousavançons, il nous traite attraits sensibles, plus il nous soutient, en
commedes hommes forts : il ne nous nourrit affermissant notre loi et augmentant notre
plus que dupain de la vérité, qui est souvent courage ; c’est qu’il ne permet pas que ce
la nourriture des parfaits, et un pain de temps de nuage et d’obscurcissement dure ,
tribulation et d’amertume : il ne nous laisse et que les lumières et les consolations plus
plus d’autre ressource que la foi, que les abondantes lui succèdent toujours ; c,est
épines de la croix, que les rigueurs et la enfin que s’il le prolonge quelquefois, c’est
sainte tristesse de sa doctrine : il estpour qu’il est jaloux de tout notre cœur , et qu il
nous un Epoux de sang, comme Moyse à ne veut plus qu’il tienne à ces appuis sen­
l’égard de Séphora: Sponsus sanguineus tu sibles ; c’est qu’il veut que nous le servions
mihies.ÇExod. 4. 25. ) Quand il a fallu uniquement pour lui ; et que nous n’ayons
nous arracher de la terre de Madian , et point d’autre dédommagement dans la fi­
nous faire oublier notre peuple et la mai­ délité que nous lui devons, que le plaisir
son de notre père , oh ! il a eu pour nous de lui être fidèles.
des manières tendres et consolantes, qui Mais une réflexion encore plus conso­
nous ont engagés à renoncer à tout pour lante , ma chère Sœur, c’est que les dé­
le suivre : mais dès que nous avons eu mar­ goûts que vous éprouverezquelquefoisdans
ché quelque temps avec lui, et qu’il nous la vie religieuse, sont bien differens de
a vu avancés dans la voie , il a pris le glaive ceux que vous auriez trouvés dans le
douloureux ; il n’a plus eu égard à ces monde; je dis dans le monde, au milieu
consolations humaines qui nous soute- de ce chaos, qui paroit le centre des plai­
noient; et a laissé notre cœur dans une sirs et des félicités humaines; hélas! et
espèce d’abattement et de sécheresse : cependant c’est la patrie des malheureux :
Sponsus sanguineus tu milzi es. Mais, ma ceux qui l’habitent sont des cœurs ron­
chère Sœur, ce qui doit alors vous con­ gés , dévorés, ou par leurs propres iniqui­
soler, c’est que le Seigneur ne demande tés , ou par les objets mêmes de leurs pas­
pas de vous le goût, mais la fidélité ; c’est sions qui les environnent ; chacun y cher-
pr

35o II-. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 35 I


che la paix et le bonheur; et nul ne peut le mier esprit de zèle, de charité, de fidé­
trouver ni au dehors , ni au dedans de lui- lité qu’elle reçut des mains de son bien­
même; les ressources des chagrins y de­ heureux fondateur; néanmoins parmi tant
viennent des chagrins nouveaux; les plai­ de vierges fidèles et ferventes, il est diffi­
sirs lassent; les passions fatiguent; les cile qu’il ne s’en trouve encore quelqu’une
richesses inquiètent; les honneurs gênent ; qui se traîne dans la voie de Dieu; en qui
les. sociétés ennuient ; le crime porte son la foi paroisse plus foible, la piete plus
poison avec lui dans le cœur; les évène- languissante, la grâce de la vocation plus
mens trompent toujours notre attente ; au douteuse, les dispositions plus terres­
milieu d’une vie si triste , si vide, si agi­ tres, en un mot, toute la conduite plus
tée, nulle ressource au dedans,- la foi humaine.
éteinte; Dieu retiré; et un cœur toujours Or, rien n’est plus à craindre que la
en proie à lui-même. O mon Dieu! que tentation de cet exemple. Car, ma chère
les rigueurs qu’offrent aux sens ces retrai­ Sœur, si c’étoient des exemples d un de-
tes sacrées, paroissent douces et souhai­ règlement ouvert et déclaré , jusques ici
tables, rapprochées des inquiétudes cruelles inouis dans cette maison sainte, on seroit
des pécheurs! et que votre grâce change en garde; et ils ne trouveroient en vous
aisément ce qui paroit de plus triste et de que l’indignation et l’horreur qu’ils meri­
plus rebutant dans votre maison, en un tent : mais ce sont des exemples qui s’of­
joug doux et agréable , qui va faire toute frent à nous sous une couleur spécieuse
la joie et tout le bonheur de ma vie : Cou­ d’innocence; qui ne nous présentent que
vertisii planclum meum in gaudium mihi, et des adoucissemens légers et presque ne­
circumdedisti me lœlitiâ. (Ps. 29. 12. ) Se­ cessaires à la foiblesse humaine; qui s’in­
conde tentation de la vie religieuse : la sinuent même à la faveur de nos penchans ;
tentation du dégoût. qui, pour toute apologie , n’ont besoin que
Enfin, la dernière est celle que j’ai ap­ d'une seule de nos Sœurs , qui osent nous
pelée la tentation des exemples; et c’est en­ les montrer; et qui , trouvant au dedans de
core un des plus dangereux écueils de la nous une secrète conformité qui les auto­
vie religieuse. Oui, ma chère Sœur, quel­ rise, paroissent plus innocens, parce que
que sainte que soit la maison où la Pro­ c’est notre cœur même qui les justifie.
vidence aujourd’hui vous attache; quoi­ D’ailleurs, comme ces vierges infidèles sont
que Dieu y soit servi avec tant de béné­ celles d’ordinaire , dont la société est plus
diction, et qu’elle conserve encore le pre- douce et plus commode , le caractère plus
352 II. SERMON
pour une profession religieuse. o53
liant, les manières plus prévenantes, on
a d’autant plus de peine à se défendre de simple et en même temps si sublime, et qui
leur exemple, que leur société nous gagne forcèrent le monde même à les respecter
et nous attire: on forme, des liaisons'fa­ et à admirer les dons de Dieu en elles .
tales à la régularité : les penchans qui c’est de jeter quelquefois les yeux sur leurs
nous unissent, forment bientôt des mœurs portraits qu’étalent de.toutes paits es
semblables , et le relâchement ne tarde murs de ces maisons saintes ; et ou elles
pas de nous paroitre innocent pour nous semblent encore vivantes, poui. nous re
dès qu’il nous a paru innocent dans les procher nos infidélités , et nous inspirer le
autres.Combien d’épouses de Jésus-Christ, même esprit dont elles furent animées, e
d’abord fidèles et ferventes, on t vu échouer par l’extrême différence que vous trouve­
contre cet écueil leur première fidélité , et rez entre elles et vous, vous exciter du
toute l’édification que promettoient à ces moins à marcher de loin sur leurs traces.
saints asiles, la ferveur et l’exacte régula­ C’est, en troisième lieu, sans chercher des
rité de leur commencement. exemples dans les temps qui nous ont pré­
Mais quel remède, ma chère Sœur, cédés, de vous proposer sans cesse celui
contre une contagion si à craindre, même des vierges ferventes, qui marchent ici a
dans le lieu saint? C’est premièrement, vos yeux avec tant de fidélité dans la '°æ
de se dire à soi-même ,queDieu permet ces du Seigneur : c’est de ne point perdre de
exemples de relâchemen t dans les maisons vue celles de vos Sœurs, qui travail en
mêmes les plus ferventes, pour éprouverles avec plus de courage pour atteindre a la
perfectiondeleur état: c’estd’etudierleur
âmes qui lui sont fidèles : il faut qu’il y ait
conduite, aimer leur société, recheichei
des tentations dans les voies de Dieu ; et leur confiance. Des exemples dois en ane
si tout ce qui nous environne soutenoit la
piété, nous aurions bien le mérite de la d’autant plus d’impression survous,qu ils
fidélité, mais nous n’aurions pas celui de sont ici plus communs; et que de quelque
la force et de la résistance. C’est, en second
côté que vous regardiez, vous, les trouvez
lieu, de rappeler souvent l’exemple de ces partout sous vos yeux. Mais., encoie
premières mères, de ces pieuses fonda­ plus que tout cela, c’est en dernier lieu de
jeter vos regards sur cette grande e pieuse
trices , qui vous ont frayé les premières
voies de ce fervent institut; qui répandi­ reine ( i ) , dont la présence honore ici
votre sacrifice : oui renfermée dans len~
rent dans l’Eglise une si grande odeur de
sainteté; dont la piété éloit si tendre, si
(i) La relue d’Angleterre.,
TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 355
354 II- SERMON
ceinte de ces murs sacrés, vient puiser même , votre vie n’est pas une confession
tous les jours aux pieds des autels les continuelle de son nom, et comme un mar­
seules consolations capables de soutenir tyre perpétuel de foi et d abnégation.
uneame fidèle ; anime par son exemple les Vous devez, après de si beaux commence—
vierges saintes au milieu desquelles elle mens, ne trouver plus rien qui vous atta­
vit; les devance même dans les voies de la che : et qui vous empêche d’avancer : Dan-
grâce, et dans la pratique des saintes ob­ cla opéra est ut post hæc initia , ad incre-
servances; leur montre plutôt ses vertus , menta quoque veniatur. (Cypr. Epist. i5.
que sa grandeur et ses titres ; et vous ap­ ad Conf. ) Il faut que la giàce, qui vous a
prend que plus on est élevé , plus on voit fait faire , avec tant de générosité , cette
de près le néant de toutes les choses hu­ première démarche , ailletoujours en crois­
maines. sant : Et consumetur in vobis quoûiam
Ainsi, ma chère Sœur, souffrez que je rudimentis jelicibus esse cœpistis. Il est
finisse cette première partie de mon Dis­ beau d’avoir acquis un titre saint et glo­
cours, en vous adressant les mêmes paro­ rieux de confesseur , d’epouse de Jésus-
les que saint Cyprien adressoit autrefois Christ, en renonçant à tout pour lui;
aux saints confesseurs de la foi, lesquels , mais ce n’est rien si la suite de votre vie
après s’être généreusement exposés pour ne soutient pas la sainteté et l’excellence
Jésus-Christ, dans le temps de la persé­ de ce titre sublime : Parùm est adipisci cui-
cution, commençoient durant la paix à se quid potuisse ; plus est quod adeptus es
relâcher de cette première ferveur qui les posse servare.
avoit fait renoncer à tout, et courir au Mais c’est assez, ma chère Sœur, vous
martyre. Souffrez, dis-je, que je vous prévenir contre les tentations de 1 état
adresse les mêmes paroles, puisque la dé­ saint que vous embrassez. Vous portez
marche que vous allez faire est une con­ dans la grâce d’une vocation singulière ,
fession publique et généreuse de la foi de et dans la ferveur avec laquelle vous y ré­
Jésus-Christ, et un martyre, de foi et de pondez, toutes les précautions et tous les
pénitence auquel vous courez. Il est inu­ remèdes marqués dans ce Discours. On ne
tile, leur disoit ce grand évêque, et je vous a montré les pièges, que pour animer
vous le dis ici de même , il est inutile d’a­ votre charité envers celles de vos Sœuis ,
voir renoncé à tout pour confesser une qui pourroient s’y laisser surprendre. Il
fois publiquement Jésus-Christ, si, en est temps de tirer le voile qui cache toutes
mourant tous les jours au inonde et à yous- les beautés et toutes les richesses (lu sanc—
356 II. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE.. ÔO7
tuaire où vous allez entrer; de vous y pro­ l’Egypte, c’èst-à-dire, du monde miséra­
mettre, et d’exposer à vos yeux tout ce que ble et corrompu , d’où vous sortez. Le
vous y attendez; et de vous entretenir des inonde , semblable à l’Egypte, est comme
avantages et des consolations de la vie re­ une plaine infortunée, ou, de toutes par s,
ligieuse, où la miséricorde de Jésus-Christ on est en proie aux traits enflammes e
vous appelle. Satan; c’est le lieu des tentations et des
chûtes: ici c’est une terre environnée de
SECONDE PARTIE. montagnes et de forets, inacessible a en­
nemi, et qui n’offre de tous cotés que des
La terre où vous allez entrer, et qui remparts impénétrables à ses séductions
doit être votre possession éternelle, disoit ou à ses attaques : Montuosa et campestris.
autrefois le Seigneur à son peuple, est ( Ibid. ) c’est-à-dire, que les tentations y
bien différente de l’Egypte d’où vous venez sont moindres ; premier avantage. En se­
de sortir : Terra quam ingrederis possiden- cond lieu, le Seigneur la visite sans cesse;
dam, non est sicui terra Ægypti de quâ ses yeux ne s’en détournent jamais , e 1
existi. (Deufer. n. io. ) Cette terre heu­ y est toujours présent pour protegei es
reuse est environnée de montagnes et de aines qui le servent : Quam Dominus Deus
forêts : Montuosa et campestris : le Sei­ tuus scmper moisit : c’est-à-dire, que es se­
gneur l’habite et la visite sans cesse; et cours y sont plus grands; second avanta­
ses yeux ne se détournent pas de dessus ge. Enfin, elle ne reçoit et n’attend que du
elle depuis le commencement de l’année ciel les rosées et les pluies, qui temperent
jusqu’à la fin : Quam Dominus Deus tuus sa sécheresse : elle en reçoit même, a on
semper invisit, et oculi illins in eâ sunt, à dominent ; et tandis que l’Egypte n ^st ar­
principio anni usquc ad jinem ejus : ( Ibid. rosée que par les eaux bourbeuses du 1 ,
V. 12.) enfin, elle n’attend et ne reçoit que les eaux du ciel font ici toute la douceur
du ciel les rosées et les pluies qui l’enri­ et toute la richesse de cette terre heureuse :
chissent et la rendent féconde : De cœlo ex- Decœlo exspecianspluvias:c est-a-due, que
spectans pluvias. (Jbid. c. 11.) les consolations y sont plus pures e p us
Et voilà, ma chère Sœur, ce que je puis abondantes;dernier avantage.
vous dire aujourd’hui de la terre heureuse Je dis donc , en premier lieu , que es
où le Seigneur vous a choisi votre demeu­ tentations y sont moindres ; parce que les
re, et les trois avantages de la vie reli­ trois grands écueils de l’innocence des
gieuse. Il n’en est pas d’elle comme de hommes, les trois grandes plaies qui
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 35<)
358 II. SERMON
infectent presque le monde'entier, n’exer­ qui ne les font pas servir à la sensualité ,
cent ici qu'à demi leur malignité et leur au luxe, à l’orgueil, au crime; et qui ne
empire. croient pas qu’ils ne nous sont donnes ,
Et premièrement, le dépouillement re­ que pour ménager à nos sens tout ce que
ligieux y met à couvert de la tentation des la vie chrétienne devroit nous interdire ?
richesses: premier écueil de la vie humai­ Je ne parle pas même des voies illicites
ne. Et quand je dis la tentation des ri­ par où on les acquiert. Hélas! ma chere
chesses, ma chère Sœur; que de tenta­ Sœur, où sont ceux qui ont les mains pures
tions renferméesdans celle-là seule ! c’est- et innocentes ? Où sont ceux , qui ayant
à-dire , en premier lieu, cette complai­ succédé aux grands biens de leurs pères,
sance criminelle, qui fait qu’onymetson n’ont pas recueilli une succession d’in­
justice et d’iniquité ? Où sontceux qui.ne
repos,saconsolation , sa confiance et toute
sa ressource ; qui fait que l’on goûte,comme doivent, ni à des moyens douteux , ni a
1 insensé de l’Evangile , le plaisir de jouir une industrie suspecte , ni à des usages
et de ne dépendre de personne; qui fait équivoques, ni à des emplois odieux, ni
que le cœur s’attache et se fixe à la terre ; à des services injustes, l’accroissement de
qu’on la regarde comme sa patrie et son leur fortune ? Combien peu de prospéri­
héritage; que l’or et l’argent deviennent tés innocentes ! que de maximes dange­
nos idoles, comme dit l’Apôtre, et notre reuses ne se forme-t-on pas pourse.dis-
penser , ou d’approfondir ses injustices,
seule divinité; qu’on ne désire plus les
biens éternels; qui fait, enunmot, qu’on ou de les réparer! que de règles de bien­
séance et d’usage , pour ne pas se. dépouil­
n estplus, pourainsi dire, Chrétien; qu’on ler de ce qu’on possède injustement ! que
a perdu la foi, j’entends la foi vive et
de prétextes pour ne pas payer des dettes
opérante par la charité, et qu’on n’a plus qu’on accumule, et ne passe retrancher
de part aux promesses. Où sont les ri­
sur mille profusions , ou inutiles, ou cri­
ches du siècle, ma chère. Sœur, à couvert
minelles; tandis qu’on refuse à des créan­
de ceîle malédiction ? Jésus-Christ semble
ciers malheureux leur pain et leur propre
les y envelopper tous. Qu’il est difficile, en
substance ! A tout cela, ma chère Sœur ,
effet, que notre cœur ne soit pas où est ajoutez encore les soucis inséparables des
notre trésor! A l’attachement aux biens richesses , les accidens imprévus , les for­
de la terre,ajoutez l’usage injuste qu’on tunes menacées ou renversées, les affaires
en fait : nouvelle tentation. Où sont en décadence, les embarras à démêler,
ceux qui en usentselon les règles de la foi;
36o il. SERMON POUR UBE PROFESSION RELIGIEUSE. 36’ï
les révolutions à soutenir; les soins mêmes d’un monde misérable et frivole , que je
pour conserver ce qu’on possède, toujours vous sacrifie. Les insensés regarderont
plus pénibles que les soins mêmes qu’on peut-être comme une folie le choix que je
a employés pour l’acquérir; autant de ten­ fais aujourd’hui : ils viendront m’étaler les
tations et de pièges répandus sur les voies vains avantages que le monde sembloitme
des enfans d’Adam. promettre. Mais, ô mon Dieu! que ces
Quel bonheur, ma chère Sœur, que celui discours puérils, que ces fables sont peu
d’une épouse de Jésus-Christ, qui en se dé­ ropres à toucher une aine pénétrée du
pouillant de tout, ôte à l’ennemi toutes
les prises qu’il pouvoit avoir sur elle ! quel
Ê onheur quelle a de vous posséder , et de
l’espérancedesbiens inestimables quevous
bonheur de ne posséder pour tout trésor, préparez à ceux qui font toutes leurs déli­
que Jésus-Christ, et de renoncer à des ces de votre loi sainte ! Narraverunt mihi
biens inutiles pour la paix du cœur , et iniqui fabulationes , sed non ut lex tua.
dont l’usage qui paroît le plus innocent, ( Ibid. v. 85.)
est rarement exempt de péché! quel bon­ Mais non-seulement le dépouillement
heur de n’étre riche que des biens de la religieux vous met à couvert de la tenta­
grâce , que personne ne peut nous ravir, tion des richesses , et de tous les périls at­
et qui seuls nous accompagneront dans le tachés à leur possession et à leur usage :
ciel ! quel bonheur de ne pas voir multi­ le sacrifice que vous allez faire à Jésus-
plier nos besoins , nos soucis, notre dé­ Christ de votre corps en le consacrant à
pendance, en voyant multiplier nos ri­ une continence perpétuelle, vous rend
chesses , et de nous débarrasser de bonne supérieure à la tentation de la chair: se­
heure d’un poids qui entraîne presque tou­ cond écueil où le monde entier semble
jours avec lui dans le précipice! Enfin , s’empresser et se glorifier de faire nau­
quel bonheur de ne posséder rien qui frage. Je dis le monde entier : oui , ma
nous attache, d’être riche en ne désirant chère Sœur, je n’entends pas seulement
rien, et de posséder tout en se contentant parler de ces passions d’ignominie , dont
de Dieu seul! O mon Dieu! mon unique on a tant de peine à se défendre dans
héritage sera désormais l’observance de le monde; dont les premières mœurs ne
votre loi sainte : Portio mea Domine. , sont presque jamais exemples; qui souik-
dixi custodirelegem tuam. ( Ps. 118. 57. ) lent souvent tout le cours de la vie; et
Trop heureuse, Seigneur, que vous vou­ que la justice de Dieu permet quelque­
liez bien vous donner à moi, à la place fois qu’on pousse jusqu’à une vieillesse
d’un Oraisonsfunèbres. * Q
362 XI. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 563
honteuse et débordée : j’entencîs les désirs dre: et cependant c’est la destinée de celles
de plaire , si naturels , contre lesquels on mêmes qui vivent avec plus de réservé, et
n’est point en garde , dont on fait gloire qui ne cherchent pas, comme tant d’autres,
même, et qui forment comme le crime avec empressement, les occasions de plaire
continuel des commerces et des conver­ et de dépérir. Mais dans ces lieux saints ,
sations mondaines ; ces désirs qui se glis­ on ne forme des liaisons que pour s’animer
sent jusques dans les démarches les plus à la vertu : c’est l’uniformité seule des rè­
innocentes; qui souillent tant d’ames à leur gles , des devoirs , des exercices de piété,
insu , et celles mêmes qu’une exacte régu­ qui nous lie ; et tout ce qui nous lie nous
larité rend d’ailleurs irrépréhensibles de­ instruit, nous soutient, nous perfectionne.
vant les hommes. J’entends encore les as­ En un mot, j’entends les périls mêmes du
semblées, les plaisirs publics, où l’usage mariage; les abus qu’on en fait ; les dé­
de la bienséance nous force de nous trou­ goûts et les antipathies qui le suivent; les
ver, et d’où l’innocence ne sort jamais en­ passions souvent qu’il allujne et qu’il ré­
tière: tant de pièges pour les yeux; tant veille, loin de les calmer et de les étein­
de scandales pour la pudeur; tant de dre : tel est le malheur du monde :les
discours de licence et de libertinage, remèdes mêmes de ce vice en deviennent
pour les oreilles. Et cependant, voila la les aiguillons. Hélas ! combien peu d’u­
vie du monde la plus innocente au nions chastes et fidèles que de divorces
lieu que dans les asiles saints , tout ins­ scandaleux! que de mariages infortunés,
pire la pudeur , tout soutient 1 innocence ; ou par les débauches d’un esprit emporté ,
tout ce qu’on voit, tout ce qu’on entend , ou par les entêtemens et les passions étran­
ne porte que l’amour de la vertu etl hor­ gères d’une épouse mondaine et dérangée!
reur du vice dans le cœur. Que dirai-je ? O mon Dieu ! tendez-moi donc cette main
j’entends enfin les liaisons dangereuses de miséricorde, pour m’aiderà sortird’une
que la société rend inévitables; ces liai­ région souillée , où régnent la mort, la
sons qu’on forme sans le croire et sans le corruption et le péché ; et conduisez moi
vouloir ; auxquelles on se livre sans scru­ dans un lieu de paix et d’innocence , où
pule, parce que les commencemens en sont je puisse bénir à jamais votre saint nom ,
toujours innocens ; mais qui venues à un et publier les merveilles de votre grâce sur
certain point, deviennent des passions , mon ame. Educ de cuslodiâ animammeam
des engagemens honteux , des liens indis­ o-d confitendum nomini tuo.
solubles, dont on ne peut plus se dépren- Que d’inquiétudes ! que de périls ! que
Q 2
roum UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 365

se conduire tout seuls :il leur a fallu des


364 SERMON
lois pour les fixer dans la société , il * lei
de tentations vous épargnez-vous donc,
ma chère Sœur, par le sacrificede votre en faudroitpour les fixer avec eux’
Mais dans la vie religieuse, tout estr .
corps que vous faites à Jesus-Chnst , en
«dé- on n’est point ici livre a soi-meme.
le prenant aujourd’hui pour votre Epoux. chaque moment a son emPlûl
Mais lesacrificede votre esprit et de votie
chaque heure, son <®uvre,Pres^^ ’ £qn_
volonté que vous allez lui faire , par le vœu que journée, son usage, déterminé L in
solennel d’obéissance, ne vous sauve pas
de moins de chutes et d'embarras, qui constance naturelle est ici ixee P j
suivent toujours l’usage capricieux de no­ formité des règles : on ne donne en a a
bizarrerie du goût qui nous laisse tou_
tre liberté. Car , ma chère Sœur , ce que le
monde nous fait tant valoir comme sa
jours inquiets et pleins de nouveaux
sirs • on donne tout à la loi, a l ord^’ a
souveraine félicité ; cette libeite, cette in­
dépendance qu’il nous vante tant ; c est l’obéissance, qui nous laiss®. tOU^Upennui
q uilies et contens. La tentationi de 1 min n,
précisément la source de cet ennui qui de l’inutilité, de cette inaction eternelle
empoisonne tous ses plaisirs; cest la le
supplice des âmes mondaines , de vivre
où l’on vit dans le monde, n est point ic
sans règle et au hasard ; de ne consultei à craindre: tous les jours sont plein , b
que le goût et les inégalités de 1 imagina­ les raomens occupés; toute a v j
née • on n’y vit point au hasard , et sous la
tion; d’être incapables de suite et d uni­ UàûSe Lncertaine et toujours dan-
formité ; de mener une vie qui ne se res­ reuse de soi-même : on Y v.l sous la mam
semble jamais à elle-même; ou chaque jour
amène de nouveaux goûts et de nouvelles des règles, pour ainsi " J, sous ,a
occupations ; où presque jamais rien n est res, toujours égalés, que ai J
main de Dieu même qui se char*de
à sa place ; où l’on se porte soi-meme par­
tout , et où partout on est a charge a soi- dès que nous nous sommes c ej •
mème : une vie incertaine, inégale, oiseuse nous-mêmes : on n’y traîne pas ,
dans son agitation; une vie qu’on nomme de lieu en lieu : on y P01 P , j
joie , parce qu’on porte partout 1 ordre de
libre , mais d’une liberté qui nous pese , Dieu qui nous y amène: et quand n
qui nous embarrasseront nous ne savons le goût se refuseroit quelquefois à la ré­
souvent quel usage faire, ou I on essaye glé , l’ordre de Dieu nous y soutient ,
de tout, et où l’on s’ennuie de tout. Non, et nous paye à l’instant, par une joie et
ma chère Sœur, les hommes sont trop lé­
gers, trop inconstans, trop bibles, pour
POUR USE EROFESSION religieuse. . 067
366 II. SERMON
une consolation secrète de la légère vio­ tissent peu à peu l’amour-propre , qui per­
fectionnent toutes les vertus. Dans le
lence que nous venons de nous faire. O
monde, toutes les occupations sont des pé­
fille de Sion! s’écrie un prophète, hâtez-
rils, ou des crimes: tous les devoirs sont
vous donc ae fuir de Babylone : dérobez-
des écueils; toutes les lnenseances sont
vous aux ennuis de celte triste captivité ; des inutilités ou des pièges. Ici, ma cheie
et venez respirer dans le lieu saint cet
Sœur , toutes les occupations sont des ver­
air d’innocence et de liberté dont le
monde n’a que le nom, et dont vous au­ tus , ou des secours qui y conduisent : tous
rez ici le plaisir et l’usage : O Sion -juge , les pas tendent vers le ciel; les œuvres,me­
mes les plus indifférentes ont leur mente
qui habitas apudfilicim Babylonis ! (Zacli. par l’obéissance qui les règle-.tout soutient
au dehors, et l’on n’y peut trouver d ecueds
Mais, ma chère Sœur, quoique les ten­
tations soient moindres dans la vie reli­ que dans soi-même. r
Le secours des exemples. Quel bonheur
gieuse , les secours , en second lieu , y
sont cependant plus grands. Je dis les se­ de vivre parmi des vierges fideles,. qui nous
inspirent l’amour du devoir; qui nous le
cours : le secours de la retraite. Hélas! ma
chère Sœur, quand il n’y auroit ici que ce rendent aimable; qui nous soutiennent
dans nos décou rage mens ; qui nous ani­
seul avantage d’y être à couvert des périls
ment dans nos dégoûts ; et qui portant le
dont le monde est plein, de n’y être plus
joug avec nous, en adoucissent la pesan
à portée de ses prétentions, exposée à
teur ! Dans le monde , il faut sans cesse
ses agitations et à ses vicissitudes, assu­
se défendre de tout ce qui nous environne.
jettie à ses usages et à ses bienséances; dç
Ici tout ce qui est autour de nous , nous
n’y voir que de loin ses dégoûts , ses cha­
instruit : quelque vite que nous mar­
grins et ses caprices ; de ne tenir plus à
chions dans la voie de Dieu, nous en
lui par des ménagemens quelquefois jus­ voyons toujours qui nous devancent; et
tes , mais toujours funestes à la piété : dans ces momens de dégoût, ou les for­
quand il n’y auroit que ce seul avantage; ces semblent nous manquer, nous som­
hélas! les miséricordes du Seigneur sur mes comme portées par le mouvement
vous ne seroient-elles pas dignes d’une re- unanime de nos Sœurs , qui fournissent
eonnoissance éternelle ?
Le secours des exercices religieux, qui la même carrière. .
Les secours de la charité, des atten­
mortifient les passions , qui règlent les tions et des prévenances de nos Soems.
sens, qui nourrissent la ferveur, qui anéan- r O ,1
POUR UNE PîlOFESSïON AEUIGIÈUSE. 069
368 ii. sermon
ou que des flatteurs qui nourrissent nos foi­
Quelle douceur d’avoir à passer le reste de blesses, ou que des censeurs qui les exa­
ses jours, au milieu des personnes qui nous gèrent. Ici la même chari té qui nous mon­
aiment, qui ne veulent que notre salut; qui tre nos fautes, y compatit et les cache: ; et
sont touchées de nos malheurs, sensibles à si nous n’avons pas le bonheur de vivre
nos afflictions, attentives à nos besoins, se- exempts de défauts , nous avons du moins
courables dans nos foiblesses; toujours prê­ la consolation de vivre exempts d’er­
tes à nous ouvrir leur cœur, ou à recevoir les reur , et de ne pas ignorer ce que nous
effusions du nôtre, et de nous faire trouver sommes.
dans la sincérité de leur tendresse et de Que dirai-je enfin ? le secours des priè­
ieur charité, toute la ressource et la plus res et des gémissemens de nos Sœuis, qui
grande consolation de notre vie ! Il s’en s’intéressent pour nous auprès de Dieu,
faut bien , ma chère Sœur, qu’on ne puisse qui attirent sur nous ses miséricordes,
se flatter d’un semblable bonheur dans le qui lui offrent leur ferveur , leur vigi­
monde : hélas ! on y vit au milieu de ses lance, leurs austérités, pour remplacer
ennemis; ceux mêmes que l’amitié nous nos momens d’infidelite et de paresse ;
lie, ne tiennent d’ordinaire à nous que par qui joignant leurs vœux et leurs sou­
des liens d’intérêt, de bienséance, ou de pirs aux nôtres , donnent une nouvelle
caprice : on s’y plaint sans cesse qu’il n’y a vertu et un nouveau mérite a nos prières.
potni d ami véritable , parce que ce n’est A tous ces secours extérieurs , ajoutez,
pas la charité et la vérité qui lie les cœurs. ma chère Sœur, les grâces intérieures que
Ici, tous les cœurs sont à nous, parce le Seigneur verse ici avec abondance se­
qu ils sont tous au même maître que nous: lon sa promesse ; et qui non-seulement
c’est le même intérêt qui nous lie, la adoucissent son joug et les rigueurs appa­
même espérance qui nous unit; et nous rentes de ces saintes solitudes, mais qui
tiouvons dans chacune de nos Sœurs , nous les rendent aimables, eten font toute
tout ce qu’elles trouvent à leur tour en la douceur et toute la consolation de notre
nous-mêmes. vie.
Le secours des avis et des sages con­ Que de secours, ma chère Sœur, la mi­
seils, qui nous redressent sans nous ai­ séricorde de Jésus-Christ vous prépare
grir; qui nous guérissent sans nous faire dans ce saint asile ! que de soutiens pour
une nouvelle plaie; qui préviennent nos votre foiblesse que de sûrete pour l’in­
fautes, ou qui en deviennent aussitôt le nocence de votre âge ! que de remparts
remede. Dans le monde, on ne trouve ,
3P0UK UNE EÉdEESSION RELIGIEUSE. 3yl
oyo II. SE KBI O K
Revêtez-vous donc , ma chère Sœur ,
contre vous-même ! que de facilites pour avec un cœur pénétré de reconnoissance,
tous vos devoirs ! que de remèdes pour de ce voile religieux qui va vous mettre dé­
tous vos maux 1 que de ressources pour- sormais à couvert des séductions du mont e
tous les évènemens de voire vie ! Et tan­ et des attaques de l’ennemi : regardez les
dis que tant d ames dans le monde vivent vêtemens sacrés dont la religion vous re­
au milieu des écueils et des précipices , vêt aujourd’hui, et qui vont succéder aux
sans défiance, sans secours, en proie à dépouilles du siècle ; regardezdes comme
tout ce qui les environne; exposées au les signes éclatans de votre de ivrance, et
dehors à tous les ennemis de leur salut; les témoignages éternels de la bonté de
vides au dedans de ces dons singuliers de Dieu pour vous; et si 1 on vous demande
foi et de grâce, qui rendent tous les ef­ un jour, comme aux Juifs, ce que signi­
forts de Satan et tous ses pièges inutiles; fient ces marques extérieures de consécra­
que les miséricordes du Seigneur sur tion et de sacrifice dont vous allez etre re­
vous, ma chère Sœur, sont uniques et vêtue : Quid sibi volunt tesiimoma hæc t
admirables ! lui , comme dit le prophète , ( Dealer 20.) répondez hardiment comme
qui délivre votre anae de mille morts que eux : Nous étions esclaves en Egypte , et
le monde vous préparoi t : Qui redimil de nous gémissions sous le joug de Pharaon;
interitu animam tuam-, ÇPs. 102. 4. et seq.) et le Seigneur a opéré un prodige éclatant
lui qui vous comble et vous couronne de en notre faveur pour nous en délivrer, et
ses dons et de ses grâces: Qui coronat te nous conduire dans une terre sainte, ou
in miserieordiâ et miserationibus-, lui qui nous célébrons sans cesse le souvenu de
vient au devant même de vos désirs, qui ses merveilles et la gloire de son nom :
vous accorde toutes les demandes de votre Servi eramus Pharaonis in ,/ugyp o ,
cœur, en vous ouvrant ces portes sacrées, et cduxit nos Dominusinmanujorti. (ibid.
et qui semble prodiguer en votre faveur tr. 21.) Et voilà, ma chère Sœur, les con­
ses biens et tous les trésors de ses riches­ solations que la miséricorde de Dieu ras­
ses? Qui replet in bonis desiderium iuum ; semble dans la vie religieuse ; dernier
lui enfin qui renouvellera ici sans cesse avantage dont je devois vous entretenu ;
votre force, et qui prolongera jusqu’à la mais il faut finir. Oui, ma chere Sœur,
vieillesse la plus avancée, toute la ferveur que ne puis-je vous exposer toutes les
et toute la sainte vivacité de votre pre­ douceurs que vous allez goûter dans la re­
mier âge : Penovabitur ut aquilœ juven- traite sainte , où la grâce aujourd hui vous
tus tua. ’ Q 6
372 II. SERMO If roua UNE PROPESSION RELIGIEUSE. $7%
appelle ! cette paix du cœur que le monde vre dans le monde ? (car ces cérémonies
ne connoit pas , et que le monde ne sau- religieuses ne doivent pas être pour vous
roit donner: cette joie qui sort du fond un simple spectacle, mais une instruc­
d’une conscience pure: ce calme heureux tion ;) que pourrois-je vous dire ici - de
dont jouit une ame morte à tout ce qui sortir du monde , où l’ordre de Dieu et
agite les enfans d’Adam; ne goûtant que les devoirs de votre état vous retiennent?
Dieu seul , ne désirant que Dieu seul, et non, mes Frères : mais de tâcher de vous
et ne s’étant réservé que Dieu seul. Quel faire des périls mêmes , des embarras et
repos , ma chère Sœur ! quelle innocence des amertumes du monde, une voie de sa­
de vie ! les passions tranquilles , les pen- lut: vous y trouverez, je l’avoue, plus île
chans réglés, tous les désirs éteints, hors, difficultés; mais tout est possible a la
celui d’aller jouir de Jésus-Christ; ¡’ima­ grâce. Vous enviez le calme et 1 heureuse
gination pure, les goûts innocens, l’esprit tranquillité, où vivent ces épouses de Jé­
soumis et paisible; lame toute entière dans sus-Christ: vous les comparez aux agita­
la paix et dans la joie du Seigneur. tions éternelles , aux craintes , aux cha­
Tels sont les trois avantages de fa vie grins, aux perpléxités, à ce tumulte daf­
religieuse, et l’accomplissement des pro­ faires, de passions, de devoirs, de bien­
messes que le Seigneur dans son prophète séances, qui ne vous laissent pas un mo
fait à cette portion pure de son troupeau, ment tranquilles. Mais., mes f reres, ce
à ces épouses fidèles et ferventes, à ce n’est pas la retraite précisément qui onræ
peuple nouveau et choisi. Il habitera dans la paix du cœur, c’est l’innocence de la
un séjour de paix : Et sedebit in pulchritu­ vie; ce sont des mœurs conformes a la loi
dine pads-, (Is. 32. 18.) premier avantage; de Dieu : vivez bien, et vous serez heu
les tentations y sont moindres. Il habitera reux. Vous ne trouvez point le repos,
sous des tentes de sûreté et de confiance: parce que vous le cherchez ou 1 n es
Et in tabernaculis fiduciœ ; second avan­ pas, dans la faveur, dans l’élévation, dans
tageas secours y sont plus grands. Enfin, les plaisirs, souvent même dans le crime,
il habitera au milieu des richesses et des tout cela trouble, lasse, ionge,iemp i
douceurs de l’abondance: Et in regiâ opu­ le cœur de poison et d’amertume; vous le
lente ; dernier avantage ; les consolations savez: cherchez-le en Dieu seul , et vous
y sont plus abondantes. le trouverez; lui seul est un Dieu de paix
Que pourroîs-je vous dire ici à vous et de consolation. Le crime n a point fait
• • 4’kAnrAiiY ? ne. vous V rirr'TYAis! ’<a'3r
mes Frères , qui ayez le malheur de vi—
S74 U- sebmos TOUR UNE PROl'ËSSION RELIGIEUSE, 37>
pas une destinée plus favorable que celle dans • carrière je n'ai pas I. force de
de tous les pécheurs qui ont marché avant me dégager des chaînes fatales qui macc
bien, fe.’de vous consacrer les restes d une
vous dans les voies tristes et amères de l’i­
niquité. Notre cœur n’est fait que pour la vie inforiudée. que le monde et les pas
vertu et l’innocence : tout ce qui le tire siens ont jusqu'ici toute occupée !O>mon
de là, le tire de sa situation naturelle et Dieu ' laissez-vous toucher a mes malheui s
primitive, et le rend malheureux. Quel et à ma-foiblesse: répandez toujours des.
bonheur pour nous, mes Frères, de ne amertumes sur mes passions insensées,, et
pouvoir abandonner Dieu sans qu’il nous ne vous lassez pas de me poursuiv
en coûte, sans que notre cœur se révolte me rendre malheureux , jusqu a ce q J
contre nous-mêmes ! Et ne sommes-nous me sois lassé moi-même de vous fui et
pas bien criminels , d’acheter au prix d’aimer mon infortune ; afin que revenu,
de tout notre repos, noire infortune éter­ à vous , ô mon Dieu ! je ™
nelle ? posséder mon cœur dans a pai. ,,
Grand Dieu! que tardé-je donc en ef­ îa joie , et attendre cette paix éternelle
fet de vous rendre un cœur, convaincu que vous avez préparée a ceux qui vous
tous les jours,par son inquiétude dans le
crime , qu’il n’est fait, que pour vous ?
Pourquoi m’obstiné-je à chercher dans les
créatures cette paix et cette félicité chi­
mérique que je n’ai pu y trouver jusqu’ici?
Pourquoi soutenir plus long-temps des dé­
goûts et des remords affreux, qui empoi­
sonnent toute la douceur de ma vie ; moi
qui n’ai qu’à revenir à vous, ô mon Dieu!
pour voir commencer mon bonheur et fi­
nir ma misère?Des vierges simples et in­
nocentes ravissent le ciel à mes yeux, et
sans balancer, renoncer!i à tout dès l’en­
trée même de la vie , pour s’assurer vos
promesses éternelles ; et depuis tant d’an­
nées que je gémis sous le joug du monde
et des passions , et moi déjà bien avancé
III. SE KM ON, etc. 377
TROISIÈME SERMON Dieu , et ce que la sainteté de la vie reli­
gieuse , que vous embrassez, ajoute a a
sainteté de la vie chrétienne. .
POUR La sainteté de l’homme consiste a ren­
trer dans l’ordre et dans la beaute e sa
UNE PROFESSION RELIGIEUSE. première institution , et a repaid , autan
qu’il est possible, tous les dommages que
le péché avoit d’abord faits en lui, à ou
vrage de Dieu; car afin que l'homme soit
Hæc est voluntas Dei , sanctificatio vestra. saint, il faut, pour ainsi dire, qu’il rede­
vienne tel que le Seigneur l’avoit d aboi
La volonté de Dieu est que vous soyez saint», fait : or le péché, qui a fait déchoir l’homme
I. Tliess. 4* 3. de sa sainteté, a été en lui la source des trois
désordres, que S. Jean appelle tiois con­
cupiscences. , , . ,,
La sainteté est la vocation générale de Premièrement, il a révolté la chair e es
tous les fideles: il faut être saint pour sens contre l’esprit : l’ame , supérieure au
être Chrétien ; et la vie éternelle que corps et maîtresse de ses mouvemens , en
est devenue comme l’esclave; de soi le que
nous attendons tous , n’est promise qu’à
la sainteté à laquelle nous sommes tous nous ne faisons pas toujours le bien que
appelés. nous voulons; mais que souvent meme,
Il n’est là-dessus aucune exception : le comme dit l’Apôtre, nous faisons le mal
libre et l’esclave, le puissant et le pauvre, que nous ne voudrions pas ; et c’est ce que
la vierge consacrée au Seigneur et la femme S. Jean appelle la concupiscence e a
partagée entre Jésus-Christ et les sollici­ cli ci 1 r*
Secondement, en chassant Dieu de no
tudes du siècle, tous ont la même espé­
tre cœur, qui le remplissoit tout entier,
rance et la même vocation : la règle est ici
le péché y a laissé un vide affreux et une
commune; et nul ne peut prétendre au sa­
lut, s’il n’est saint. indigence extrême ; de sorte que omme
depuis, pour remplacer ce vide, a appelé
Il ne s’agit donc, ma chère Sœur, que
toutes les créatures dans son cœur ; en a
d’examiner en quoi consiste cette sainteté , fait ses divinités et ses idoles; s est atta­
sans laquelle nous ne jouirons jamais de ché successivement a tous les faux biens

»
TOUR UNE PR.OTESSION RELIGIEUSE. 371^
078 III. SERMON
qui étoient autour de lui et qui l’éblouis— ces trois plaies , n’avoient garde d en pres­
H- soient, et a cru soulager-ainsi la privation crire les remèdes aux hommes ; et leuis
du bien souverainetl’indigence intérieure, préceptes n’étoient que comme des vête-
où le pccbé l’avoit d’abord laissé: et voilà ce mens pompeux et inutiles , qui couvrent
que le même Apôtre appelle la concupis­ un malade tout gangrené. Jésus-Christ tou i
cence des yeux. seul, le souverain médecin des âmes , pou­
Enfin, sa propre misère a rendu l'homme voit les guérir: sa doctrine seule nous en
vain et orgueilleux : plus il a senti sa bas­ montre les remèdes spécifiques ; et comme
I sesse, sa corruption et son impuissance, les trois vœux de notre baptême ne sont
lus, pour s’étourdir sur un sentiment si qu’un précis de ses préceptes et.de toute
E umiliant, il a affecté au dehors de force, sa doctrine, ils renieraient aussi tous les
remèdes, qui seuls peuvent guérir les trois
de grandeur, d’indépendance; plus il a
voulu exhausser sa bassesse par tout ce désordres du péché, et rétablir les hom­
qui étoit hors de lui : au défaut de l’inno­ mes dans leur premier état de sainteté et
cence, qui faisoit sa véritable et sa pre­ de justice. , .
mière grandeur, il a appelé à son secours Car premièrement, en renonçant a la
les titres, les dignités, la gloire, la nais­ chair, premier vœu de notre baptême ,
sance : de tous ces biens qui sont hors de nous nous engageons à ne plus suivre ses
lui , il s’est formé une grandeur imagi­ désirs, qu’autant qu’ils seront conloimes
naire qu’il a prise pour 1 ui-même; et comme à la loi de Dieu , et à la tenir sans cesse
les ténèbres sont toujours la juste peine de soumise à l’esprit; et voilà dans le pie-
l’orgueil , il a voulu être admiré et ap­ mier engagement de notre baptême , le re­
plaudi ; et a cru que l’homme pouvoit être mède qui répare le premier desordre du
grand par d’autres titres , que par ceux que péché.
la main de Dieu avoit gravés dans son ame ; Secondement, quand nous renonçons
troisième désordre que saint Jean appelle au monde et à ses pompes, second vœu de
notre baptême, nous promettons que le
l’orgueil de la vie.
La sainteté de l’homme consiste donc à monde et tout ce qu’il renferme , ne par
remédier à ces trois désordres ; parce que tagera plus notre cœur avec Dieu , et que
nous userons de tous les biens qui nous
plus nous les réparons, plus nous nous environnent, comme desétrangersquipas­
Ttl rapprochons de ce premier état de justice sent et qui n’y mettent pas leur affection;
1« et d’innocence, où nous avions été créés. second remède du second desordre du pv-
Les philosophes , qui n’avoient pas connu
i. P
■ 1.4
i
380 III. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 38 I
thé clans la seconde promesse de noire noua- ainsi dire , qu’un renouvellement et
baptême. une nouvelle profession et qui renfer­
Enfin , en disant anathème à Satan, qui ment seulement de nouvelles facilites poui
est le premier modèle de l’orgueil et de s’en acquitter. Car premièrement, en con
l’indépendance, dernier vœu de notre bap­ sacrant votre corps à Jésus-Christ par
tême , nous nous reconnoissons pécheurs l’engagement d’une virginité perpétuelle ,
et misérables : nous confessons à la face ils ont voulu vous faciliter l’observance de
des autels , que loin d’être semblables aux la première obligation de votre baptême ,
dieux, comme cet ennemi du genre humain par laquelle vous avez renonce a .a cnaii
ï’avoit promis à nos premiers pères , nous et à ses œuvres. Secondement, la pauvreté
sommes même déchus de l’excellence de et le dépouillement religieux n’est pres­
la nature humaine, et que nous avons be­ crit que pour vous aider à renoncer taci
soin d’un Libérateur qui nous délivre de lement au monde et à ses pompes; seconde
tous nos maux: par cet aveu nous nous promesse de votre baptême. En in , e
soumettons à Jésus-Christ, comme à no­ sacrifice de la soumission et de o eis
tre réparateur et à notre maître ; et nous sance n’est exigé que pour anéantir
promettons de ne plus chercher notre l’orgueil dans sa source ,. et detruue
grandeur et notre délivrance , que dans tout ce que ce vice laissoit encore ue
l’humble aveu de nos misères; troisième commun entre vous et Satan qui en es
désordre du péché réparé par le troisième le père; troisième engagement de votre
engagement de notre baptême. baptême. , ■.
Voilà, ma chère Sœur, dans ces trois Or, comme souvent les personnes du
vœux tous les engagemens de la vie chré­ monde croient que les devoirs de leur état
tienne , et l’unique voie de sanctification sont bien moins rigoureux, et plus aises
marquée à tous les hommes. La vie reli­ à remplir que ceux de 1 état îeligieux ; e
gieuse , que vous embrassez, n’ajoute de que dans la religion souvent on se croit
nouveau à ces trois obligations essentiel­ en sûreté dans une vie de tiedeur et de
les à tous les Chrétiens, que des moyens relâchement, parce qu’on se compare en
qui en facilitent l’observance. Aussi, les secret aux personnes du monde, et qu on
saints instituteurs ont renfermé tous les se trouve encore plus de régularité, plus
engagemens de votre état, dans les trois de privations, plus d’austérité quen e-
vœux de religion, qui répondent aux trois les; il est bon , pour instruire les uns et
vœux de votre baptême ; qui n’en sont,
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 383
382 XII. SERMON
gagemens de la vie religieuse ont de com­ particulier et propre à votre état , et
mun avec ceux de la vie chrétienne, ce les autres regardent également tous les
qu’ils y ajoutent de plus ; et s’il est vrai, Chrétiens.
Je dis premièrement, la soumission de
comme on le prétend dans le monde, qu’il
en coûte bien moins pour y faire son sa­ la chair à l’esprit; devoir qui vous est
lut, qu’il y a moins de devoirs pénibles à commun avec tous les Fideles. Oui , ma
remplir que dans la vie religieuse. Quel­ chère Sœur, la pureté que la sainteté de
ques réflexions sur les troisengagemens so­
la vocation chrétienne exige de tous les
Fidèles, ne se borne pas à leur interdire
lennels que vous allez contracter, ma chère
certains désordres grossiers et honteux,
Sœur, vont nous développer cette impor­ que saint Paul défendoit même autrefois
tante vérité. aux Chrétiens de nommer. Elle va bien
PREMIÈRE RÉFLEXION.
plus loin : comme tout Chrétien a renonce
à la chair dans son baptême ; et que par là
il est devenu saint, spirituel , membre de
Paix le premier engagement de la vie
religieuse, ma chère Sœur, qui est un Jésus-Christ, et temple de l’Esprit-Saint,
engagement de continence perpétuelle , il faut, pour remplir cette haute obliga­
vous prenez Jésus—Christ pour votre tion, qu’il se regarde comme un homme
époux ; vous lui consacrez votre corps , céleste , consacré par fonction de la divi­
vos sens, votre imagination; vous renon­ nité qui réside en lui , et par 1 union
cez à tout lien qui pourvoit vous partager étroite et spirituelle , qui de sa chair ne
fait plus qu’une même chair avec celle de
entre lui et la créature ; vous vous enga­
Jésus-Christ. Il ne doit donc plus vivre
gez à ne jamais chercher d’autre frein et que selon l’esprit ; non-seulement il ne
d’autre remède à la foiblesse de la chair,
doit plus faire servir les membres de J. C.
que dans la mortification et dans la prière;
à l’ignominie; non-seulement il est obligé
vous renoncez à tout ce qui peut fortifier
d’éviter les profanations publiques du
l’empire des sens; de sorte que cet enga­
temple de Dieu en lui ; non-seulement
gement renferme deux devoirs. Le pre­ tout ce qui souille sa chair est un sacrilège
mier , c’est l’entière soumission de la et un outrage fait au corps de Jesus-
chair à l’esprit ; devoir qui vous est Christ ; mais tout ce qui flatte encore ses
commun avec tous les Fidèles. Le se­ sens, tous les plaisirs sensuels qu’il re­
cond, les moyens pour parvenir à cette cherche et qu’il se permet, tous les goûts
soumission , dont le principal vous est
384 II1!- SERMON POUR UNE FROFESSLON RELIGIEUSE. 385
et tous les désirs de la chair qu’il écoule ineffaçable qui nous a marqués du signe
trop, tous les plaisirs mêmes légitimes, du salut. Aussi, l’Eglise regarde les corps
où il ne cherche que la satisfaction des des Fidèles après Leur mort, comme des
sens , souillent et profanent sa consécra­ restes saints et précieux; comme des tem­
tion : car il n’est plus redevable à la chair , ples encore animés par l’Esprit invisible
pour vivre selon la chair; il faut qu’il sa­ qui réside en eux , et qui est le gage de
crifie à tout moment ses sens , ses pen- leur immortalité : elle les place dans un
chans, son imagination à la foi, et que lieu saint; elle les environne de lumière;
tout soit soumis en lui à la loi de Dieu. elle leur rend des honneurs publics, et
Voilà lé premier devoir que la sainteté de fait brûler devant eux des parfums pré­
votre baptême vous rend commun avec cieux, et la fumée des encensemens. De
tous les Fidèles: la parfaite soumission de là vient que le Chrétien est obligé de res­
la chair à l’esprit. pecter son propre corps, et de le posséder
Mais pour y parvenir, les saints fon­ avec honneur ; que le lien même d’un Sa­
dateurs vous ont prescrit deux moyens. crement honorable établi pour la consom­
Le premier , qui est propre à l’état mation des Elus, est un lien de pudeur
religieux , est la consécration entière Çt de sainteté; que l’union mutuelle qui
de votre corps à Jésus - Christ, par le le rend indissoluble, est une union pure
vœu de continence perpétuelle. Le se­ et sainte , puisqu’elle est l’image de l’u­
cond , la mortification et la prière ; nion de Jésus-Christ avec son Eglise; et
moyen prescrit et nécessaire à tous les que le Chrétien , qui déshonore son pro­
Chrétiens, comme à vous , pour affaiblir pre corps, est, comme nous l’avons dit,
l’empire de la chair, et la tenir assujettie Un profanateur et un sacrilège.
à l’esprit. A cette obligation générale, ma chère
Quand je dis que le premier moyen est Sœur , vous ajoutez l’engagement parti­
l’entière consécration de votre corps à Jé­ culier de la sainte virginité, qui consacre
sus-Christ, qui est le propre de l’état re­ votre corps, vos sens, votre cœur à Jé-
ligieux , ce n’est pas, ma chère Sœur, SUS, Christ, d’une manière encore plus
comme je l’ai déjà remarqué, que le corps spéciale; c’est-à-dire , que pour tenir la
de tout Chrétien ne soit le temple de Dieu, chair soumise à l’esprit, comme vous l’a­
consacré par Ponction de l’Esprit-Saint ré­ vez promis dans votre baptême, les saints
pandu sur nous dans le baptême , et sé­ fondateurs ont cru qu’il étoit plus sur et
paré de tout usage profane par le seau plus facile de lui interdire tous les plax—
ineffaçable Oraisons funèbres. * R
386 i”- sermon
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 087
sirs, que d’en régler l’usage. Aussi, ne sécration : l’attachement charnel à vos
croyez pas que le renoncement à la socié­ proches , ou les liaisons trop humaines
té sainte du mariage , renferme tous les avec vos Sœurs, profanent la sainteté de
devoirs de la continence universelle que votre cœur. L’épouse fidèle dans le monde
vous allez promettre à Jésus-Christ : tout est occupée des soins de plaire à son.
doit être pur et chaste dans une vierge époux : on lui souffre ce partage que le
consacrée à la chasteté religieuse : vos devoir et la tranquillité d’un lien sacré
yeux ne doivent plus s’ouvrir que pour le rendent nécessaire. Mais l’Epouse de Jé­
Ciel; votre bouche , que pour chanter des sus - Christ ne doit plus plaire, qu’à lui
cantiques célestes ; vos oreilles, que pour seul : tout ce qui partage son cœur, la
entendre les merveilles du Seigneur et les rend infidèle ; tous les soins qui ne ten­
vérités de la vie éternelle; votre imagina­ dent pas à s’attirer la tendresse de cet
tion ne doit plus vous retracer que des Epoux céleste, et à lui donner des mar­
images pures et saintes , et les spectacles ques de la nôtre , blessent sa jalousie , et
du siècle à venir ; votre esprit ne doit plus donnent atteinte à la fidélité que nous lui
s’occuper que de l’espérance des biens lu- avons jurée; en un mo t, ma chère Sœu r, tout
turs et des miséricordes du Seigneur sur ce qui n’est pas saint, éternel, céleste,
votre ame. Voilà, ma chère Sœur, toute 1 e- vous souille , vous dégrade , vous avilit.
tendue de l’engagement de la sainte virgi­ Telle est l’excellence de la sainte virgi­
nité que vous allez contracter. Les objets nité qui va vous consacrer à Jésus-Christ:
du monde et de la vanité , quelque inno­ et voilà pourquoi les premiers instituteurs
cens qu’ils puissent être , blessent désor­ de la vie religieuse ont joint à ce premier
mais la pureté de vos regards : les dis­ engagement les jeûnes , les veilles , les
cours mondains que vous vous penne - macérations, la prière, lis ont regardé la
trez , quand ils ne seroient qu oiseux et mortification et l’oraison comme des de­
inutiles, souillent la sainteté de vos lè­ voirs inséparables de la sainte virginité:
vres : les récits des affaires et des amuse- ils ont compris qu’il étoit impossible de
mens du siècle que vous écouterez, des­ conserver le corps pur au Seigneur , si la
honorent la pudeur et l’innocence de vos mortification n’en réprimoit les révoltes;
oreilles; les soins sur votre propre corps, « la prière n’en purifioit les désirs. L’é­
s’il y entre la plus légère complaisance , tat de la sainte virginité est donc un état
ou la recherche la plus imperceptible de de mortification perpétuelle , de prière
yous-même, violent la pureté de la con tendre et fervente; de vigilance inlatiga-
R. 2
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 3 8f>
quels nous ne saurions répondre un, »
388 III- SERMON ment de la fragilité de nos penchans, ces
Lie sur les sens : ce n’est que par ces sacri­ devoirs, dis - ?e deviennent comme im­
fices journaliers, que vous pouvez assurer praticables au milieu du 11,011 \ ’ ur
la possession de votre corps a 1 Epoux ce- chère Sœur, la prière n y est meme; p
leste. L’immortification , le relâchement, les plus réguliers, qu’un moment de bien
la recherche des commodités, des super­ séance et d’ennui, ^orde le maUn et 1
fluités et des aises, sont comme.des trans­ soir à ce saint exercice ; e oin ron-
gressions essentielles de ce premier vœu garder comme un devon , a Peîne •
de chasteté; parce qu’ils en violent l’éten­ noit-on le nom et l’usage; et je nensuis
due , et que tôt ou tard ils en attaquent le pas surpris. Le moyen, en e , PP
fonds. ter à 1Î prière cet esprit ranquille et ire­
Et voilà , ma chère Sœur , l’avantage cueilli qu’elle demande, loisque
que vous avez sur les personnes engagées vie est une dissipation cont’nU^nÆ!
dans le monde. »Comme vous , elles sont les affaires inquiètent, que les
obligées de conserver leur corps pur au Sei­ ces occupent , que les plaisns is p ?
gneur; de faire un pacte avec leurs yeux, que les inutilités amusent, que
pour ne pas même penser à des objets dé- ensemble forme un tumulte , une agi
fendus dont ils son t sans cesse en vu on nés. au dedans de nous, un e^OISneme ,,
de s’interdire tous les désirs qui pourroient nel de soi-même, incompatible avec es
souiller l’ame ; quoique tout ce qu elles prit de la prière ? Le moyen d y « PP
voient, et tout ce qu’elles entendent, les un cœur sensible à la voix de Dieu , et
réveille et les allume dans leui cœur. pable de goûter les vérités c u sai u ,
Mais pour en venir là , elles sont obligées, cœur que mille passions remp is. > , fi
comme vous et encore plus que vous, de mille attachemens humains partagent, qu~
se mortifier sans cesse , de veiller conti­ mille désirs terrestres appesantissent, qi e
nuellement sur les séductions des sens, des espérances, des projets, i es ja
de ne point cesser de prier et de gémir, des haines, de fausses joies , es r •.
pour appeler le Seigneur au s.ecouis. de amers, des pertes , des bonheuis ,
leur foiblesse, et afin qu il ne les* laisse occupent tout entier; un cœui a q ~
pas à elles-mêmes au milieu des tentations reste de goût, de mouvement, c e ®
et des périls innombrables qu’elles trou­ lité, que pour les choses d ici 7 “s •
vent partout sur leurs pas. Mais ces de­ prière suppose un esprit tranqudle et re-
voirs si essentiels à cette vertu, qui nous
conservent purs et sans tache, et sans les-
rOUH OTE PBOIESSIOS MUGIEUSI. 3gJ
3po III. skbmos avec une constante fidélité. C« deux «le-
cueilli , un cœur pur et libre ; et pour voirs si ennuyeux et si impraticables au
prier utilement , il faut vivre ou désirer
de vivre saintement.
La mortification n’y est pas moins in­
connue et impraticable que la prière. Hé-
îaS ! ma chere Sœur, comment se morti­
fier au milieu du inonde , où l’on donne
presque tout aux sens ; où la sensualité tel : le cœur , séparé de es les c ea-
des tables, la magnificence des édifices , tures, se trouve libre devani e*•g »
l’oisiveté et le danger des plaisirs publics, et en état de goûter combien il est doux
le luxe, la mollesse , la recherche de tout les sens réglés et recueillis par les sp c
ce qui peut flatter et nourrir l’amour-pro­ tacles religieux qui les occupe -ii-
pre , les amusemens éternels sont deve­ cesse , n’ont plus de peine a se
nus des usages et des bienséances, dont dans le temps de la prière, e
fa sagesse et la régularité même n’ose— respectueusement devant a maj .„
noient se dispenser ? Cependant, sans la Très-Haut. Tout y conduit a la morh
mortification, le corps ne peut être sou- tien; tout l’inspire , tout la rend mm
rtiiS' à l’esprit ; sans cette soumission , la nécessaire : les saints usages établis, les
prière n’est pas possible j et sans la prière,
exercices religieux, 1 austen e ,
il n’est point de vertu sûre et qui soit de
commune, les privations vo on 31 \out
durée. Aussi, ma chère Sœur, que de y ajoute, tout mortifie ici a na ’
naufrages la pudeur y fait-elle tous les conduit à la violence et au renoncement,
jours! La bienséance même n’est plus un et tout l’adoucit ; et l’immortifica ion
frein à l’indignité et à la fureur d’un vice viendroit une singularité p us . ,
honteux ; et l’usage a presque rendu in­ soutenir par le mépris et la con . . ,1
nocent , et est sur le point de rendre
elle nous laisseroit, queJes a}is C'1 , j
même honorable, ce que la dépravation a mêmes. Ainsi , ma chere Sœui ,
rendu commun.
Mais dans ces asiles saints , ma chère privilège que les au fond
ici par-dessus vous, c est qu y
Sœur, la prière et la mortification de­ les mêmes obligations que w , 1
viennent comme le fond et l’occupation n’ont pas les mêmes facilites pouii esrem
nécessaire de votre état ; et il en coûte- plir : c’est que le salut coûte bien plus
roit plus de s’y refuser, que de s’y livrer
^92 ni. sermon FOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 5g3
dans le moncie, que dans la religion: c’est de se contenir dans les bornes d’un usage
que dans ces asiles saints il y a plus de se­ saint et légitime. Ils ont donc ordonne a
cours; dans le inonde, plus de périls et celui qui vouloit être disciple de Jesus-
plus d’obstacles, et cependant presque par­ Christ, et le suivre dans les voies de la
tout les memes devoirs à remplir. perfection religieuse, de renoncer à tout,
Que vous rendrons-nous donc, ô mon de peur que la possession la plus pei mise
Dieu ! pour le bienfait inestimable qui des biens de la terre , ou n attachât bop
nous a consacrées -à votre, service? Quœ son cœur, ou ne partageât trop.ses soins,
reddam laudationes tibi ? ( Ps. 55. ) ou ne ralentit son ardeur et son piogies
Vous avez adouci notre joug, en nous im­ dans cette sainte carrière. .
posant le votre , que le monde toujours Cet engagement de pauvreté religieuse
dans l’erreur, regarde comme un joug ac­ renferme donc trois devoirs essentiels .
cablant et insupportable : vous avez abré­ premièrement, un détachement de cœui
gé nos combats, en nous associant à cette de toutes les choses de la terre ; seconde­
milice celeste, ou il semble que nous nous ment , une privation actuelle de toutes les
déclarons une guerre cruelle à nous-mê­ superfluités ; enfin, une soumission et une
mes : vous avez soulagé nos peines en dépendance entière des supérieurs dans
augmentant nos privations, et tari la source l’usage même des choses les plus neces­
de nos inquiétudes, en nous délivrant de saires. ,
tous les attachemens qui les causent. A l’égard du détachement de cœur de
toutes les choses de la terre , ma chère
SECONDE RÉFLEXION. Sœur , c’est une obligation^ qui vous est
commune avec tous les Fideles , puisque
Aussi, ma cbereSœur, le second en­ c’est une suite du second vœu de voti e bap­
gagement de la vie religieuse est un en­ tême , par lequel vous avez renonce au
gagement de pauvreté et de dépouillement monde et à ses pompes. Quand vous n au­
universel. Comme toutes les créatures et riez pas embrassé un état de pauvreté, et
tous les biens périssables sont devenus des que vous auriez vécu dans le monde , au
piégés pour I homme, qui ne sauroit pres­ milieu de l’opulence que la naissance sem-
que plus jouir des bienfaits de l’Auteur de fcloit vous destiner, vous auriez toujours
la nature sans en abuser , les saints fon­ vécu au milieu des biens qui ne vous ap—
dateurs ont cru qu’il étoit plus sur et plus partenoient pas , auxquels il vous étoit dé­
tacile de s’en dépouiller tout-à-fait, que fendu de vous attacher, et dont il ne vous
ït S
POURVUE erotession religieuse. 3q5
3'g4 II I. SERMON qu’on ne peut avoir ; où l’on s’agite si fort
étoit permis d’user qu’en passant, et pour pour parvenir à ce qu’on n’aura jamais ,
la gloire du grand Maître qui vous les où les pertes sont si sensibles, parce que
avoit confiés. les attachemens sont toujours extremes; ou
Nous sommes tous icvbas des étrangers, les désirs croissent toujours, parce que e
ma chère Sœur : voilà pourquoi entrant monde entier est trop au-dessous de nous
dans le monde , nous commençons par y pour pouvoir les satisfaire ; ou 1 on n es­
renoncer dans notre baptême ; c’est-à-dire, time heureux que ceux qui sont charges
nous confessons publiquement, à la face déplus de liens, et qui tiennent a plus
des autels, que ce n’est pas ici notre pa­ d’embarras que les autres ; ou 1 on n a de
trie ; que nous n’y prétendons rien ; que joie et de chagrin , que par rapport aux
nous ne pensons pas à y établir une de­ choses d’ici-bas ; enfin , où l’on ne vit que
meure permanente; que nous ne voulons comme si nous n’étions faits que pour ce
que passer par ses faux biens ; que nous les que nous voyons, et que la terre dut etre
regardons comme les embarras et les pé­ notre patrie éternelle. J’avoue , dis je ,
rils de notre voyage ; que nous sommes que ce détachement est rare et presque
citoyens du ciel, héritiers de Dieu et des inconnu dans le monde ; mais c est que les
biens éternels, et que tout ce qui est au- véritables Chrétiens n’y sont pas en grand
dessous de cette espérance, n’est pas di­ nombre ; et qu’à peine le Fils de 1 Homme ,
gne de nous. quand il paroîtra, trouvera-1-il un reste
Le Chrétien doit donc vivre détaché de de foi sur la terre-
tout ce qui l’environne ; dès qu’il s’y atta­ Et c’est en quoi , ma chere Sœur, 1 p-
che, il cesse d’être étranger sur la terre; probre de Jésus - Christ que vous embras­
il en fait sa patrie; il renonce au titre su­ sez , doit vous paroître préférable a toutes
blime de citoyen du ciel , et n’a plus de les couronnes de la terre : ce détachement
droit au royaume, qui n’est promis qu’aux si indispensable pour le salut, et si difli-
pauvres Je cœur, c’est-à-dire, à ceux qui cile dans le monde , devient comme natu­
ont vécu comme ne possédant rien sur la rel dans la religion. Et certes, ma chere
terre. Sœur, il est aisé de se détacher de tout,
J’avoue , ma chère Sœur, que ce déta­ quand on s’est dépouillé de tout; de ne
chement de cœur est bien rare dans le tenir à rien sur la terre , quand on n y
monde, où l’on tient si vivement à ce que possède rien; d’y vivre comme etranger ,
l’on possède; où l’on souhaite toujours ce quand tout ce qui nous environne n’est
qu’on n’a pas ; où l’on envie sans cesse ce 1 R 6
3 96 ni. sermon POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE.
point a nous ; et d’être pauvre de cœur, Il semble que le cœur, après avoir tout
quand on est pauvre réellement et en effet. sacrifié, s’ennuie de sa liberté , et qu il
Ce n’est pas que la misère du cœur hu- ne puisse être heureux sans se foimer à
main est telle , que souvent après avoir re- lui-même quelques chaînes : il semble qu’é­
nonce d’une manière héroïque aux grands loigné des objets qui forment les glands
biens et aux grandes espérances du mon­ attachemens et qui remuent les passions
de , on s attache dans la retraite aux cho­ violentes, il se fasse une grande passion
ses les plus frivoles et les plus légères. des objets petits et frivoles qui l’envi­
Souvent, ma chère Sœur, une ame que ronnent; et que ne trouvant plus, poui
toute la gloire du monde n’avoit pu tou- ainsi dire, où se prendre, il se piennea
Cle?i’ epi n’avoit trouvé dans tous les tout : il semble même que les attachemens
etabhssemens les plus brillans, et dans deviennent plus violens, occupent le cœur
toute la magnificence qui l’y attendoit, plus sérieusement, plus vivement, à me­
rien de digne de son cœur, trouve dans la sure qu’on est éloigné des grandes tenta­
retraite mille liens vains et puérils qui l’at­ tions , et que les objets qui nous restent
tachent. Semblable à Rachel , après avoir sont bas et indignes de notre cœur. Ainsi,
genereusement abandonné la maison de on tient à tout , quoiqu on soit sepaie de
ses proches; après avoir renoncé à tout, tout; on n’est point pauvre de cœur; et
à sa famille , à ses prétentions , à tous les on est encore attaché àla terre , quoiqu’on
liens de la chair et du sang , pour suivre ait renoncé à tout ce qu’elle pouvoit avoir
son epoux Jacob , figure de l’Epoux cé­ de grand et d’aimable. Car, ce qui fait de­
leste, dans une terre sainte, et la demeure vant Dieu le crime de nos attachemens,
du peuple de Dieu; on déshonore la gran­ n’est pas la grandeur et l’éclat des objets
deur et la magnanimité de ce sacrifice, en auxquels nous tenons, c’est la vivacité de
se réservant de vaines idoles ; en portant la passion qui nous y attache ; plus meme
les dieux de Laban , c’est-à-dire, les pas­ ces objets sont vils et méprisables, plus
sions du monde et mille attachemens hu­ l’attachementest insensé et criminel; parce
mains jusques dans le tabernacle mysté­ que moins la passion a d’excuse , plus la
rieux de Jacob, figure du sanctuaire vé­ préférence que nous leur donnons sur la
ritable, et de ces retraites religieuses , où sainteté de notre état, et sur les promes­
une ame qui a renoncé au monde, vient ses que nous y avons faites au Seigneur ,
habiter avec Jésus - Christ, l’Epoux des est injuste. . ,,
vierges chastes et fidèles. ' Tel est l’écueil a craindre dans le de-
POUR UNE PROEESSION RELIGIEUSE. 3qq
3g8 III. SERMON
pouillement religieux. Souvent encore dé­ mes toujours punis de nos passions par les
tachés de tout pour nous — mêmes, nous objets mêmes qui les causent; et que pour
tenons encore à tout pour nos proches : vivre heureux même ici - bas, il ne fain
nous devenons, pour ainsi dire, riches de tenir à rien qu’on puisse nous ravir mal­
leurs richesses , fiers de leur élévation , gré nous-mêmes. . , ,•
glorieux de leur gloire, heureux de leurs E Le second devoir de la pauvreté reli­
irospérité; leurs malheurs nous accablent, gieuse , c’est le retranchement actuel de
f eurs disgrâces nous humilient; nous fai­ toutes les superfluités; cest - a - du ,
tout ce qu’on appelle dans le monde les
sons des vœux insensés pour leur avance­
ment; nous sentons plus vivement qu’eux aises et les commodités de la vie. Mais ne
les évènemens qui les élèvent ou qui les croyez pas, ma chère Sœur, que cette obli
abaissent ; et après avoir refusé de parta­ galion vous soit propre : elle est .encoie
ger avec eux leur grandeur et leurs ri­ une suite des engagemens du ^pteme, et
chesses, en embrassant un état de pauvre­ dès-là indispensable a tout fidele. Les
té et de dépouillement , nous partageons créatures ne sont pas faites pour fournil
avec eux leurs passions et leurs crimes. à de vains plaisirs, puisque 1 Evangile les
Voilà le premier devoir de la pauvreté interdit tous au Chrétien , et qu il y a re­
religieuse, qui vous est commun avec tous noncé lui - meme dans son baptême. Bien
les Fidèles : conserver le cœur détaché plus, comme pécheurs , nous avons perdu
de tout ce qui nous environne; nous dire Fe droit d’user des créatures, et de les faire
sans cesse à nous-mêmes, que notre cœur servir même à nos besoins, loin de les em­
n’est fait que pour aimer son Dieu, son ployer à nos plaisirs. Comme nous en avons
Ibusé , la peine naturelle de l’abus que
bien unique et souverain , et que tout
amour de la créature le déshonore et le nous en avons fait, étoit de nous eni in­
dégrade; qu’il est insensé de s’attacher.à terdire tout usage : et comme le: pecheur
ce qui va nous échapper en un instant, et abuse de tout, tout devroi lui etreal ins
qui ne peut nous rendre heureux pour tant refusé, et la mort Revenir la neme
l’instant même qu’on le possède; plus in­ subite et inséparable du peché Nous deve
sensé encore de lui sacrifier ce qui doit nons donc indignes d’user de» créatures ,
demeurer éternellement; quenosattache- dès que nous avons été assez ingrats que
deVs faire servir contre leSeigneur meme
mens, outre qu’ils souillent notre cœur,
sont encore la source de tous nos mal­ à qui elles appartiennent ; c’est donc une
heurs etdetoutesnospeines; que nous soin- grâce qu’il nous fait, de nous en peimei-
4°° III. SERMON POUR UNE rROEESSION RELIGIEUSE. 4OÏ
ire encore 1 usage : mais nous devons nous servir à leurs plaisirs ; c’est qu à portée de
souvenir que nous en usons comme pé­ se ménager toutes les superfluités , elles
cheurs ; que nous n’y avons plus aucun sont obligées de se les interdire ; c’est que
droit; que si les usages mêmes les plus sans se séparer de tout ce qui flatte les
nécessaires nous sont interdits , à plus sens , elles doivent les mortifier sans cesse;
foi te raisonles superfluités et les délices j sans se dépouiller de tout, vivre dans le
que ce seroit une injustice de faire servir dépouillement; c’est en un mot, qu’elles
les créatures aux plaisirs d’un pécheur qui ont plus d’embarras que vous, et n en ont
en a abuse , et qui ne doit plus vivre que pas pour cela plus de privilège. .
pour souffrir et expier cet abus ; que si on Il est vrai qu’une épouse de Jésus-Christ,
lui en permet encore l’usage, c’est à con­ qui a joint à cette obligation commune ,
dition qu’elles deviendront la matière de une promesse particulière de.vivre dans le
sa pénitence, comme elles ont été la source dépouillement religieux , doit se disputer
de tous ses crimes 5 et que par les privations avec bien plus de rigueur les plus legeres
continuelles et douloureuses, dont il se superfluités : non - seulement tout ce qui
punira , il expiera l’abus injuste qu’il avoit flatte encore les sens et les passions lui
été capable d’en faire. Voilà le fonds de la est interdit, mais même ce qui amuse en­
vie chietienne , et les grandes maximes core , pour ainsi dire , l’amour - propre :
que l’Evangile propose à tous les Fidèles. non-seulement tout ce qui sent les pom­
Ainsi , selon ces règles capitales de la pes du monde est criminel pour elle, mais
loi, on doit vivre pauvre au milieu même même tout ce qui n’est pas marque par un
de l’opulence ; se retrancher tout ce qui caractère particulier de pauvreté et de pé­
ne tend qu a flatter les sens ; s’interdire nitence. Ce n’est pas assez que ce qui 1 en­
tout ce qui n est inventé que pour nourrir vironne n’augmente pas ses passions, il
l’orgueil et l’amour - propre, tout ce qui faut cu’il les combatte et qu il les afloi-
sert d’aiguillon aux passions, et s’en tenir blisse : ce n’est pas assez d’eviter les piofu-
là-dessus à tout ce que la nécessité , la cha­ sionsde la vanité; il faut y joindre les
nté et une rigoureuse bienséance nous privations d’une humble pauvreté . cene^t
obligent encore de nous permettre. Tout •pas assez de n’avoir plus rien de commun
1 avantage que les personnes du monde ont avec le luxe des personnes du monde, il
donc ici au-dessus de vous, ma chère Sœur, faut n’avoir rien même de particulier qui
cest que sans renoncer à leurs grands nous distingue de la modestie, et de la
biens, elles ne peuvent pourtant les faire «Jinnlicité de nos Sœurs : rien qui paroisse
402 III. 5EHMON JOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE.
nous élever au - dessus d’elles; rien qui sont d’avance ce ciel nouveau et cette nou­
puisse les faire souvenir des vains avan­ velle terre purifiés par un feu celesle ou
tages du nom, de la naissance, de la for­ toute grandeur est anéantie ; ou tous les
tune , auxquels nous avons renoncé en noms et tous les titres sont confondus ; ou
nous consacrant à Jésus-Christ ; rien qui le monde avec toute sa gloire, est déjà
inisse blesser l’uniformité religieuse qui détruit; où Dieu seul est grand, parte
f es a égalées à nous; rien enfin qui tende que Dieu seul y règne et y est adoie . Uo
minus in Sion magnus.
à introduire les distinctions du siècle dans
un lieu qui n’est établi que pour les effa­ Voilà, ma chère Sœur , à quoi vous en­
cer et les anéantir. gage le dépouillement auquel vous allez
Dieu seul , dit le prophète, doit être ?ous soumettre; et vous voyez que ce qu .1
grand dans la maison de Sion : Dominus exige de plus de vous que des personnes
in Sion magnus. (Ps. 98. 2.) Toute gran­ du monde, est plutôt une facilite pour
deur de la terre, tout éclat humain est ici remplir l’engagement contracte la-dessus
éteint et éclipsé : tous les noms et tous dans votre baptême , qu une nouvelle ri­
les titres, que l’orgueil des hommes a in­ gueur que vous y ajoutez. ..
ventés , sont ici effacés par le titre glo­ Enfin, le dernier devoir de ce depoui
rieux d’épouse de Jésus-Christ : tout doit lement religieux, est la soumission et la
paroitre ici petit devant la majesté du Très- dépendance entière des supérieurs , dans
Haut, qui remplit ce lieu saint de sa gloire l’usage meme des choses les plus neces­
saire!; c’est-à-dire, regardertou ce qu on
et de sa présence. Et comme après le der­
nier jour, Dieu régnera dans ¡’Univers, nous laisse comme n’étant point a nous ,
n’en user que selon l’ordre et la volonté
et que le monde entier étant détruit, tous
de ceux qui nous gouveiment ; le voir chan-
les sceptres et toutes les couronnes bri­
sées , tous les royaumes et tous les Em­ Fndifférence ; ne’nous approprier de tout
pires retombés dans le néant, et, en un ce qui nous sert, que la disposition d en
mot, toute puissance et toute domination être privés dès que l’ordre le demandera,
finie, Dieu seul, dit l’Ecriture, remplira et n’avoir à soi que le saint plaisir d etre
de sa majesté les nouveaux cieux et la
nouvelle terre. Dieu seul paroîtra grand,
libre et dépouillé de tout.
Ne vous figurez pas cependant, ma chere
parce que sa gloire seule s’élèvera sur les
débris de toutes les grandeurs humaines : Sœur, qu’en ceci même votre condition
on peut dire que ces maisons religieuses soit plus dure que celle des personnes du
4o4 III. SERMON
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 4°3
monde. A la vérité , la foi n’exige pas
d'eux, qu’ils dépendent des hommes dans à trouver bon tout ce qu’il plaira au sou­
l’usage de leurs biens, et qu’ils n’en usent, verain Maître d’en ordonner : nous devons
en user comme pouvant en être depoui -
ou ne s’en abstiennent que selon les or.dres
lés l’instant qui suit ; nous regai dei tou­
et la volonté d’autrui. Mais sans vous faire
jours comme des esclaves , à qui le maître
remarquer qu’il est mille situations dans peut redemander les biens qu il leui a
le monde, et pour celles de.votre sexe sur­
tout, où l’on ne peut disposer de rien; où confiés sans qu’ils puissent y trouver a ie-
dire ; ne les posséder que comme ne les
tout ce qui est à nous, est comme s’il ne
possédant point ; nous souvenir qu étant
l’étoit point ; où l’on dépend de la volon­ entrés nus" dans ce monde , comme d
té, et souvent du caprice d’autrui dans
l’usage même des choses les plus nécessai­ l’Apôtre , nous n’y possédons rien qui so
à nous; et que devant en sorti! dans la
res ; où les grands biens qu’on a portés à même nudité et dans la même indigence,
un mari ne servent souvent qu’à augmen­
tout ce que nous aurions voulu nous ap­
ter ses profusions insensées envers les ob­ proprier n’auroit été , pour ainsi due ,
jets criminels de ses passions, et sa dure­ Tu in vol fait au père de famille ; un vo
té à notre égard; enfin, où l’on n’achète
que nous aurions été forces de restitue, a
par des richesses immenses, que le droit la mort, qui nous ravira tout ; et de. mo
de ne pouvoir plus s’en servir, et de les
voir engloutir sans oser presque se plain­ trer ainsi à tous les hommes, nous
dre : sans m’arrêter à cette réflexion , ma avions été des usurpateuis, flue ,8
biens , dont nous nous étions paie avec
chère Sœur, et en vous permettant d’ima­
tant d’ostentation, ne nous ?PParte"°ie,
giner une situation où l’on ne dépende de nas • et que nous n’avions a nous que le
personne dans l’usage des biens que nous SXi’t di user et de les faire valoir au
avons reçus de nos ancêtres , nous dépen­ profita pour la gloire du Maître souve­
dons toujours des maximes de la foi qui rain qui nous en avoit confie 1 admimstia
doivent régler cet usage : nous dépendons
sans cesse de Dieu, qui peut nous enlever tlOAÎnsi, ma chère Sœur, la pauvreté reli­
ces biens à chaque instant, qui peut d’un gieuse ne diminue pas vos droits sui les
souffle renverser notre fortune , et par biens et sur les plaisirs de la terre pu s-
mille évènemens imprévus , changer notre oue le Chrétien n’y a point de dioit., elle
opulence en une extrême misère. Nous de­ diminue seulement vos embarras et vos
vons donc toujours être prêts, comme Job, - • elle ne vous dépouillé de
4°^ II r. SERMON
POUR UNE eroeessioît reugieAse. 4°7
même dans la possession! A combien de
rien , puisque rien n’est à vous ; elle-vous
maîtres et de tyranss’écrie saint Am
met seulement hors d’état de vous attacher
à ce qui ne vous appartenoit pas : elle ne
broise , se livre celui qui ne veut pas
prendre le Seigneur pour son seul maître
retranche pas même les profusions et les et pour son unique héritage! (¿uam mulos
superfluités, puisque l’Evangile les inter­ Dominoshabet,quiunumrefugerit{S.Amby.
dit à tout Fidèle; elle ne retranche que
Heureuses donc les ames , ô mon Dieu,
les occasions qui auroienl pu vous porter
à les rechercher : en un mot, elle n’éloi­ que vous avez appelées à un état de dé­
pouillement entier! Sans inquiétude; sans
gne que les périls ; et loin de vous imposer souci pour le lendemain; sans toutes les
un nouveau joug, elle vous met dans une
tristes précautions pour l’avenir; sans em­
liberté parfaite. barras pour le présent; debarrassées de
Je sais que le monde ne regarde pas des tout ce qui agite et qui tourmente les en-
mêmesyeuxcetétat de pauvreté religieuse, fans du siècle, leur unique soin est de
et qu’on se croit plus libre et plus heu­ vous plaire : toujours dans ¡ abondance ,
reux , quand on peut jouir à son gré des parce qu’elles n’ont besoin (le rien ; toujours
Liens que l’on possède. Mais quel est ce
tranquilles, parce qu’elles ne désirent rien:
bonheur, ma chère Sœur? que sont la leurvie est une fête continuelle, un calme
plupart des hommes, que les esclaves in­ que rien ne peut altérer , une joie pure et in
fortunés de leurs biens et de leur fortune? nocente : Et Justi epulenlur et exultent in
Ils ne les possèdent pas; ils en sont pos­ conspectu Del. (Ps. 67. 4-) Au heu que
sédés. Que de craintes! que de désirs! les enfans du siècle , toujours dans 1 abon­
que de jalousies! que de bassesses, que de dance et jamais rassasiés, toujours clans
soins pour les conserver ! que de précau­ les plaisirs et jamais heureux, passent leur
tions de peur de les perdre ! que de pas­ vie à désirer, à s’agiter, a changei . sa
sions à contenter! que d’accidens à crain­ cesse de situation et de mesure. Loin de
dre! que de contre-temps à souffrir ! que se faire une félicité de ce quds ont, ils se
de courtes joies! que de chagrins dura­ font un supplice de ce quds désirent:
bles! Quels chagrins amers suivent le dé­ chaque instant les jette dans de nouveaux
rangement des profusions et des excès ! de mouvemens : ils ne connussent le 1e
quels soucis honteux et dévoransest punie pos que pour le fuir; et toute leur vie
et toujours accompagnée l’avarice! quels est une agitation éternelle que rien ne
désirs insatiables d’amasser sans cesse ! peut fixer, et qui ne leur laisse pas plus
quel dégoût cependant, et quelle satiété
FOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 4°9
4-08 III. SERMON
des goûts et des inclinations qui nous do­
de consistance ici-bas , qu’à la poussière
minent, et qui mettent en nous mille ré­
qui devient le jouet des vents sur la terre:
pugnances pour les choses ordonnées ;
Non sic impiinon sic, sed tanquam. pulvis
malgré tout cela, n’agir que comme si l’on
{¡uem projicii venius à facie tcrrœ. ( Ps.
i. 4. ) ne voyoit rien, si l’on ne sentoit rien, et
comme un instrument aveugle et insensi­
TROISIÈME RÉFLEXION. ble, qui n’auroit d’autre mouvement que
la volonté de celui qui l’emploie et qui le
Resteroit à vous parler ici, ma chère dirige. J’avoue, ma chère Sœur, que cette
Sœur, du troisième engagement de l’état situation paToît révolter d’abord tous les
saint que vous embrassez; c’est l’obéis­ penchans les plus raisonnables de la natu­
sance religieuse. Le monde, qui ne con- re , et ôter aux hommes la seule conso­
noit pas la vertu de la foi et l’esprit de la lation innocente , que les situations les
dus tristes leur laissent encore, qui est
vie chrétienne, regarde cet engagement
comme un joug affreux, insupportable à F ’indépendance et la liberté de disposer
la raison, et incompatible avec le repos et de leurs actions et d’eux-mêmes.
la douceur de la vie. Il est vrai qu’il pa- Mais, ma chère Sœur, ce n’est là qu’un
roît d’abord fort triste et fort dur à la na­ langage dont le móndese fait honneur:
ture de se faire toujours une loi des vo­ car, trouvez-moi dans le monde un état
lontés d’autrui; d’être forcé de sacrifier d’indépendaRce entière; imaginez, si vous
sans cesse ses propres lumières , aux lu­ le pouvez, une situation , où, libre de tout
mières et souvent aux caprices de ceux qui joug, de toute servitude, de tout égard,
nous gouvernent; de ne se servir de sa de toute subordination, de tout ménage­
raison que pour l’aveugler, et la soumet­ ment, on n’ait à répondre qu’à soi-même
tre à des ordres qui nous paroissent bi­ de soi-même. Quels sont les assujettisse—
zarres et injustes; de n’avoir à soi, ni sen­ mens du mariage ? El cette liberté si van­
timental) volonté propre; et malgré la tée, qu’est-elle, qu’une servitude qui nous
bonne opinion que nous avons de notre lie aux volontés et souvent aux caprices
d’un époux souvent injuste, jaloux, bizar­
propre sens, que nous préférons toujours re , qui change une société sainte en une
en secret à celui des autres ; malgré les dé­ affreuse captivité ? Quelle est la servitude
fauts et les lumières bornées, que l’orgueil de la cour, de la fortune, des places , des
nous découvre toujours en ceux de qui emplois? Quel est ce fantôme de liberté,
nous dépendons; malgré même la vivacité
Oraisons funèbres, * S
des
4 IO III. SERMON
TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 41*
qui fait dépendre les personnes du mondé
la propre volonté y sont moins pénibles,
de tant de maîtres, qui les assujettit à tout,
à leurs supérieurs, à leurs sujets, à leurs parce qu’outre que la grâce les adoucit, on
est sûr qu’on ne sacrifie sa volonté , qu a
amis, à leurs ennemis , à leurs envieux, à
leurs partisans*, à tout ce qui les environ­ la volonté de Dieu , dont les supérieurs ne
sont que les interprètes et les organes; et
ne ? Qu’est-ce qu’une ame livrée au monde
cependant ces sacrifices no us sont toujours
et à la fortune, que l’esclave de l’Univers
entier; que le jouet éternel des passions comptés pour de nouvelles vertus; en un
mot, on ne perd ici qu’une liberté d’hu­
et des bizarreries d’autrui, parce qu’elle
meur et de caprice, dont on est souvent
l’est des siennes propres? Qu’est-ce que
soi-même embarrassé; on y conserve celle
la vie du monde et de la cour elle-même; du cœur, qui est la source des vrais plai­
qu’une servitude éternelle, où nul ne vit sirs et l’image de la liberté éternelle : dans
pour soi; où il faut sans cesse sacrifier les
le monde on perd toutes les deux, et on
plaisirs, à la fortune ; le repos, au devoir ;
a le malheur de ne pouvoir ni vivre pour
les aises et les commodités, aux bienséan­
son plaisir , ni vivre du moins pour son
ces; nos propres goûts, aux goûts d’autrui ;
nos lumières, aux préventions de ceux de salut.
Mais une autre réflexion avec laquelle
qui nous dépendons; et enfin notre cons­
je finis, ma chère Sœur : quand même vous
cience souvent à leurs passions injustes? auriez pu vous flatter de trouver dans le
Et voilà , ma chère Sœur, ce qu’il y a monde une situation d’indépendance et de
ici ‘de triste pour les personnes du mon­ liberté entière; situation apres laquelle
de; c’est que leurs assujeltissemens qui depuis long-temps les hommes soupirent;
font tout leur malheur, font souvent aussi et qu’ils n’ont pu encore trouver : quand
tous leurs crimes. Ils trouvent en même même, dis-je, vous auriez été assez heu­
temps dans leur servitude l’écueil de leur reuse que de l’avoir enfin rencontrée; il
repos et de leur salut : ils font à leurs maî­ ne vous auroit pas été permis pour cela
tres des sacrifices continuels de leur liber­ de suivre aveuglément vos goûts et vos ca­
té, des sacrifices qui leur coûtent cher, et prices; il ne vous eût pas été permis de
qui cependant les rendent plus coupables. .vivre d’humeur, de tempérament, et de
Leur complaisance est pénible, et elle est ne prendre que ce qui vous plaît pour la
criminelle; au lieu que dans ces asiles règle de ce que vous devez foire. Tout
saints, elle coûte moins au cœur, et a tou­ Chrétien a une règle éternelle et supé­
jours un nouveau mérite : les sacrifices de rieure , qu’il doit consulter sans cesse sur
S 3
POUR une îroîessiôn religieuse. 413
elle nous décharge de h«us^.êrXma°ins
ainsi dire,pour nous me îee, |eg _
chaque action : tout ce qu’il fait doit se et sous la conduite de Dieu. ’ libres,
trouver à la place et dans l’ordre où la sonnes du monde ne eroren plus hbi e i
l’ègle, c’est-à-dire, la loi de Dieu veut nue narce qu’elles ne connoissent pas le
qu’il se trouve; par conséquent, dans tout fond?de la religion et les d™‘« de la «e
ce qu’il fait, il ne lui est pas permis de ne
chrétienne : elles ne comp e aU»eHes
chercher qu’à se satisfaire lui-même; au­ tresses de leurs actions , que p .
trement, il se mettroit lui-même à la place croient n’en être comptables àt person .
de Dieu, pour lequel et par l’ordre duquel elles ne font tant valoir cet avantage que
il doit toujours agir. Tout ce qui n’a que parce qu’elles ignorent que toutes nos ac
l’humeur, que le caprice, que l’amour de tions sont dirigées par une g dénar-
nous-mêmes pour principe, n’est plus dans dont nous ne devons jamais nois cepai
l’ordre , n’est plus une action du Chré­ tir • que la liberté de la foi est une sam e
tien : car toutes les actions du Chrétien et servitude; que nous sommes esclaves de la
dignes de la vie éternelle, doivent, dit iX etsounds à la loi de que nous
l’Apôtre , avoir pour principe la charité : ne sommes point à nous, comme parle
or, l’humeur, l’amour-propre et la charité l’Apôtre, mais à celui qui nous a ^chHes
ne peuvent être le principe de la même d’un grand prix ; que toutes no.action,
action, puisque l’une nous fait toujours lui appartiennent, puisqu 1 en
agir pour Dieu,etl’autre pour nous-mêmes. la lin et le principe; qu’ainsi il ne p
Que fait donc,'ma chère Sœur, l’obéis­ plus permis à l’homme du monde d[use
sance religieuse? Elle nous manifeste, par de sa liberté selon son hmneui etson . ,
l’organe de nos supérieurs, cette règle price, qu’au solitaire quls,e.nestdeP°el’un
éternelle que nous aurions été obligés de entre les mains de sesjmpéneuis, q
consulter sans cesse dans nos démarches: et l’autre doivent toujours agu c
elle nous épargne l’embarras de chercher ment à la règle ; et que toute, la différence
sur chaque action, quelle est la volonté que j’y trouve, c’est qu’il est encore facile a
de Dieu , selon laquelle le Chrétien doit ?’un de la violer, au lieu que 1 autre s est
agir dans tous les temps et dans tous les mis dans l’heureuse nécessite de la suivre.
lieux : elle abrège les incertitudes et les Non , Seigneur, le monde a beau nous
perplexités qui auroient toujours suivi nos faire valoir ses avantages sur ces asiles
déterminations propres : elle va au devant n . /..<1 /• Avipniipru.
des méprises qui auroient pu nous faire
prendre de mauvais partis ; en un mot,
4*4 III« SERMON, etc.
la source de tous ses crimes, et qui Ieren-
dent l’objet éternel de votre indignation F
tristes avantages, empoisonnés partant de
QUATRIEME SERMON
chagrins, et qui lui deviennent à charge
à lui-même! Il se fait honneur d’un fan­ POUR
tôme et d’une apparence de bonheur, dont
il sent lui-même le vide, et où jusques ici UNE PROFESSION RELIGIEUSE
il n’a pu trouver le secret de devenir heu­
reux. Mais votre calice, ô mon Dieu! n’of­
fre de l’amertume qu’à l’illusion dés sens:,
le cœur y boit à longs traits les consola­ Sponsale te’mihi in sempiternum, sf et
tions de la paix et de la justice. Que les „ild in justitià et judicio, et in m.sericordiâ, et sp
alo te mihi in fide -, et scies, quiuego Dotmnus.
chaînes qui nous attachent à vous, Sei­
gneur, sont douces et aimables ! Que l’on Je vais VOus rendre mon épousé pour jamais par une
gagne en perdant tout, en renonçant à Mance de justice, de jugement, de "-eneo,* eQ
tout pour vous! Acceptez donc, ô mon une mdolable fidélité; et vous saurez <jue ,e sms
Dieu! le sacrifice que je vous fais aujour- gneur. Osée »• !£)• s0,
d hui de moi-même : ne regardez pas les
imperfections de l’hostie qui s’offre ; ne
regardez que le plaisir et l’empressement
avec lequel elle court s’immoler aux pieds Orst ce qui se passe entre Jesus-Cbnst.
de vos autels : c’est à vous-même à la ren­ eÎune ame que les passions avoient en­
dre digne de vous : c’est votre grâce qui traînée, lorsque, revenue de ses egaremens,
me conduit en ce lieu saint ; c’est à elle à elle s’unit à lui par les liens de la foi et de
m’y soutenir; et après m’avoir mise au la justice , et ne veut plus vivre que pont
nombre de vos Epouses sur la terre, me réparer par une constante fidélité les trans­
recevoir parmi celles qui doivent être ad­ gressions de sa vie passée. On peut due
mises aux noces éternelles de l’Agneau. nu’alors elle renouvelle avec le Seignem
l’alliance autrefois jurée dans sonbapteme:
Ainsi soit-ih sans renoncer à tout, elle le prend pour
son partage : sans se cacher dans un saint
asile, et se dérober à la vue des hommes,
elle ne vit plus que pour lui seul : sans se
S 4
TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 4 ! 7
IV. S EH MON narta"e le cœur malgré nous-mêmes, oc-
, dépouiller des biens périssables, elle les ?une nos affections , s’empare de nos peu-
méprise, et ne connoît plus d’autre bien, S ralentit notre foi, émousse no re
coût pour les choses du ciel, rend lapia
que celui de le posséder : sans se séparer tiouVde la prière et des autres œuvres de
d un epoux terrestre, elle ne perd plus de
salut plus sèche et glus langmssante ,
vue 1 Epoux immortel qu’elle a dans le ciel : répandP mille nuages sur
ennn, sans changer d’état, elle change de laisse encore au monde, trop de crédit su
cœur, et elle éloigne d’elle tout ce qui nScœur, et fait que la piété sert plutôt
pourroit encore rompre le nouvel enga­ à nous faire déplorer en secret les..embar­
gement qu’elle conlracteavecsonSeigneur.
Cependant, ma chère Sœur, quelque
ras qui l’affoiblissent, qu’a nous faire gou
ter ïes consolations qui l’accompagnent.
puissante que soit la grâce dans une ame C’est donc à vous proprement, ma chere
encore engagée dans le monde ; quelque Sœur que s’adressent aujourd’hui ces pa­
tervens que soient ses désirs; quelque sin­ roles de mon texte : c’est avec vous que le
cère que paroisse sa pénitence et son re­ Seigneur va faire une alliance sainte .e
tour à Dieu , il est vrai de dire que l’al­ éternelle , et telle que son amour peut la
liance qu’elle fait avec lui au milieu du
désirer. Ce n’est pas assez pour lui ue vous
monde , par une conversion véritable , est
posséder à demi, comme il possédé encore
toujours suivie de mille imperfections que tant dames qui le servent au milieu du
la vie du monde rend inévitables. Les sol­ monde : il vous veut toute à iui , il es
licitudes temporelles; les devoirs et les X„x de tout votre cœur, et ne peut souf­
bienséances , qui se multiplient à propor­ frir nue les affections memes les plus lé­
tion du rang et de la naissance; les égards gitimés, puissent le P",aK‘!.7r“rîe“ofc;
que le monde exige, et qui ne nous lais­ îeuse si après avoir surmonte touUesobs_
sent pas toujours les maîtres de disposer tacles qui s’opposoient a \o.ie sacnlice ,
de nous-mêmes; les usages dont la piété' “ après avoir résisté à toutes les soll,ci­
la plus austère noseroitse dispenser; les tations nui nous avoient presque fait cratn-
liens de la chair et du sang auxquels il dre pour votre persévérance ; si, apres
îaut encore tenir ; les soins pour se con­ vous être arrachée d’un monde , qui a mis
cilier l’amitié de ceux qui dispensent les tout en œuvre pour vour retenir, vous ne
grâces ; les prévoyances pour ménager à commencez pas à moins estimer un bon-
des enfans des établissemens dignes de Apr/a HicnnfûV'i nlnc *
leur naissance ; les contre-temps qui dé-
îangent toutes nos mesures : tout cela
4 1d ÏT. SE R MOff ÿo’UB. UNE ÎROÏESSION RELIGIEUSE. 4-19
Heureuse si les suites ne ralentissent rien
de la ferveur de ces commencemens; et si,
après avoir fui le monde , lorsqu’ il couroi t
après vous , vous ne le regrettez pas lors­
qu'il vous aura touî-à-fait oubliée! votre’cœur des restes de regret et de ten­
Mais non, ma chère Sœur, nous avons dresse ; les routes singulières par lesquel les
oe vous cle meilleures espérances, et des- la Providence vous a conduite en ce lieu
pressentimens plus heureux pour votre saint; ïe -in spécial quelle a paru pren­
salut : Confidimus meliora et viciniora sa— dre jusquesici de votre destinee, tout
luh. (Hebr. 6. 9. J Ce n’est pas ici un parti cela ma chère Sœur, nous rassure sur les
pris dans un âge encore tendre, où une suites ; les difficultés que le monde a foi-
longue éducation dans ces saints asiles mées à votre entreprise , nous «nontot
décide toujours presque de nos choix, et qu’elle ne peut être que 1 ouvrage de Dieu.
où le monde encore inconnu n’offre en­ Oui Seigneur, vous ne rejetterez pas une
core rien aussi qui puisse nous séduire ; vie ime que votre main elle-meme a con-
c’est une sainte résolution formée, soute­ duite à travers tant d'obstacles aux pieds
nue long-temps au milieu du monde mê­ de l'autel. Abandonnez a la lionne berne
me, et d’un monde où tout vous rioit, où ces vierges nupiituousv-, qui
nés imprudentes, y-
tous les suffrages étoient pour vous, où ___ ,
i '
x »..an« nn
rin’à reÉEêi,
reHEêt,
nent a vous quaie^ui, . A et auxquelles!
auxqueii or­
vous n’aviez que trop de ces talens dange­ eueil tout seul, elle chagrin de ne pou­
reux qu’il faut pour lui plaire, où vous voir trouver dans le monded établissement
étiez devenue la seule consolation d’une qui soutienne la vanité de leur nom et de
mère.désolee; en un mot, où tout sembloit feur naissance, ouvre les Port,eS A6
devoir vous attacher, et où cependant, saint : ne jetez que des regai ds d indigna
quoique mille obstacles aient retardé le fion et de mépris sur ces sacrifices forces
dessein où vous étiez de le quitter, rien qu’on offre ai monde plutôt qu a vous-
n’a été capable de vous en détourner» riiême, et où Von ne vous donne que ce
Ainsi, ma chère Sœur , les applaudisse- qu’il a rejeté. Mais pour cette vierge fidè­
mens d’un monde profane, auquel le cœur le qui entre de bonne foi dans vos voies;
est si sensible, si généreusement mépri­ qui méprise , avec une sainte nerte, tout
ses; le seul lien même qui vous attachoit ce que le monde lui offroit de charmes;
encore au monde , en vous attachant à une qui renonce à tout pour vous suivre; qui
mère tendre et chrétienne, si généreuse- vous confie le dépôt de sa foi et de son m-
S 6

Rh
420 AV. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 42î
nocence, et vous prend pour sa portion lui soyons fidèles : plus il nous pousse,
et son seul héritage :vous êtes, Seigneur, plus il faut marcher : en un mot, ses dons
fidèle dans vos promesses ; vous la gar­ doivent régler nos efforts et notie zele.
derez comme la prunelle de votre œil, et Or, rappelez-vous en ce moment, ma
la mettrez a 1 abri sous les ailes de votre chère Sœur, toutes les grâces dont il vous
grâce. ajusquesici comblée: des sentimens de
En effet, ma chère Sœur, il ne faut salut inspirés dans une première jeunesse;
qu’examiner les caractères de l’alliance que tant de périls éloignes; tant d obstacles,
vous allez contracter avec Jésus-Christ, qui sembloient rendre la dernaiche que
pour conclure que de tous les préjugés du vous faites aujourd’hui impossible, sur­
salut, il n en est pas de plus certain, ni montés; tous les talens, qui paroissoient
de plus consolant pour vous. devoir vous destiner au monde et a la va­
nité , réservés pour lui seul; tant de sug­
première réflexio N. gestions pour vous dégoûter de 1 état que
vous embrassez, méprisées; tant de pièges
En premier lieu, le Seigneur va vous qu’une tendresse trop humaine vous, ten—
rendre son Epouse par une alliance de jus­ doit chaque jour, heureusement évites; les
tice : Sponsabo le in justifia ; premier ca­ larmes mêmes et les menaces de ceux qui
ractère. C’est-à-dire , qu’il étoit juste que avoient autorité sur vous, egalement inu­
vous lui donnassiez celte marque de votre tiles; le monde entier conjuré pour vous
amour; que votre reconnoissance envers perdre , ou par les embûches qu d assem—
lui ne pouvoit s’acquitter à moins; qu’un hloit autour de vous, oupar les sentimens
sacrifice moins entier n’eût pas répondu à qu’il réveilloft dans votre cœui , et que
tout ce qu’il étoit en droit d’attendre de vous ne pouviez refuser au sang et à la
vous. Oui , ma chère Sœur, la mesure de nature; le monde entier, dis-je, conjuie
ce que nous devons à Dieu est ce que nous pour vous perdre, terrasse et foulé aux
avons reçu de lui : il n’exige pas également pieds. Rappelez-vous, ma chere Sœui, .ouïe
de toutes les âmes, parce qu’il ne leur la suite des miséricordes du Seigneur sur
donne pas à toutes également. Plus il se vous, et que le souvenir de cet enchaî­
communique à nous, plus il veut que nous nement de grâces ne s efface jamais de
soyons à lui : plus il veut dans notre cœur votre cœur. . ,
de désirs de perfection et de fidélité, plus Dans ces jours qui ont précédé ce jour
il veut que nous avancions, et que nous heureux, lorsque lassee, ce semble , de

POUR UNE PROCESSION RELIGIEUSE.
4 23 IV. SERMON
lion, elle n’est que pour les âmes qui m’y
vous soutenir toute seule contre toutes les
sont fidèles.
attaques que le monde, que la nature, Lorsqu’il vous parloit de la sorte, ma
que votre propre cœur vous livrait, vous chère Sœur, votre cœur, comme celui des
paroissiez sur le point de succomber, et disciples d’Émmaüs, ne redeven oit-il pas
de vous y rendre : dans ces momens tant tout de feu pour lui ? Ne sentiez-vous pas
de fois éprouvés, où votre piété sembloit votre foi se raffermir, votre langueur se
s’affoiblir, votre fermeté s’ébranler, votre ranimer, vos irrésolutions se fixer, vos
foi s’obscurcir, et où le monde vous pa- ténèbres se dissiper ; et la sérénité suc­
roissant plus aimable, la retraite religieuse céder à l’orage.? Quelles étoienl les suites
sembloit ne vous offrir plus que des dé­ de ces temps de tentations, sinon une ré­
goûts et des horreurs secrètes : que se pas- solution plus vive, plus décidée , plus iné­
soit-il alors dans votre cœur? Jésus-Christ branlable de vousconsacrerà Jésus-Christ?
n’y étoit-il pas lui-même pour vous forti­ Je ne fais que raconter ici l’histoire des
fier? D’où vous venoient ces inspirations miséricordes du Seigneur sur votre ame ,
soudaines, ces retours de foi et de reli­ que vous nous avez confiée avec, un atten­
gion ? Quelle étoit la voix secrète qui vous drissement de reconnoissance, afin qu’elle
parloit alors au fond du cœur? N’étoit- fût publiée sur fes toits.
ce pas l’Epoux céleste, qui vous disoit tout Voyez, en effet, s’il en use de même en­
bas : Insensée , tout ce que tu vois, et que vers tant d’autres que le torrent entraîne:
le monde te fait espérer, passera; mais les il ne les trouble pas dans leurs voies in­
biens que je te promets, ne passeront sensées : il ne daigne pas disputer leur
point. Que te servirait le gain du monde cœur au monde qui le possède tout entier:
entier, si tu venois à perdre ton ame? At­ il les laisse jouir paisiblement du fruit de
tache ton cœur, si tu es sage, à ce qui leurs infidélités; il semble leur en ména­
ne peut t’échapper, et qui doit demeurer ger lui-même,les occasions, et par des ju­
toujours : les créatures qui semblent te ge mens secrets et terribles , éloigner ou
promettre des plaisirs si doux et une féli­ rendre inutile tout ce qui pourrait les ra­
cité si riante, ne cherchent qu’à te sé­ mener aux voies de la vérité. Qu’avez-vous
duire : elles sont toutes vaines, incons­ fait, ma chère Sœur, qui ait pu vous atti­
tantes, fausses, perfides : elles ne te pré­ rer ces égards et ces préférences? Où en
parent que des dégoûts et des amertumes seriez-vous, s’il se fut contenté devons
cruelles le monde est plein de malheu­ solliciter faiblement; de vous inspirer
reux ; et s’il s’y trouve quelque consola—
4.24 IV. SERMON
TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 42J
quelques désirs de vous consacrer à lui
sans vous les faire exécuter, comme il en de ses soins; vous parez 1 autel de ses pio
inspire tous les jours à tant d’ames en qui près dons; vous lui rendez.ee que vous en
le monde étouffe ces commencemens de avez reçu ; vous vous acquittez envei s x.o
grâce, et qui demeurent infidèles à leur tre Bienfaiteur ; vous ne pouviez, sans in­
vocation? Où en seriez-vous, s’ileût borné ( justice et sans ingratitude, moins taire
toutes les opérations de sa grâce à votre pour lui. Il avoit déjà sur vous , par ses
égard, à ces demi-volontés dont le monde bienfaits, tous les droits que vous allez lui
est plein; à ces réflexions stériles sur les donner par ce nouvel engagement; et a
abus des plaisirs, de la fortune et de toutes sainte alliance que vous faites aujourd nui
les choses présentes qui ne convertissent avec lui, est une alliance de reconnoissance
personne; à ces projets éloignés de con­ et de justice : Sponsabo te in justitiu.
version qu’on ne forme tous les jours, que SECONDE RÉFLEXION.
pour se dire à soi-mème qu’on n’est pas
encore endurci, qu’enfin on changera, et Mais quand la justice et la reconnois-
se calmer en attendant sur ses désordres? sance n’exigeroient pas de vous le sacn—
Il le pouvoit; et vous n’avez rien à ses fice que vous allez faire , la prudence
yeux de plus que tant d’autres qu’il traite chrétienne ne vous permettroi.t pas de
de la sorte : mais il vous a prévenue de balancer ; et cette alliance sainte n en
ses bénédictions, il vous a toujours envi­ seroit pas moins une alliance de jugement
ronnée de son bouclier. Plus le monde, a et de sagesse : Sponsabo te in judicio-, se­
fait d'efforts pour vous séduire, plus il a
cond caractère.
été attentif à vous protéger : il a toujours Pesez en effet, ma chère Sœur, sur quoi
survous un œil jaloux, appliqué à étudier roule ce que vous allez sacrifier, et de que
lesaffoiblissemensde votre cœur, et promp t prix est ce que Jésus-Christ vous préparé.
à vous les reprocher. Ah ! tant de soins ne D’un côté , une fumée dont un instant
dévoient pas aboutir à vous laisser exposée } décide; des plaisirs qui durent peu , qui
au milieu des périls d’un monde corrom­ lassent dans leur courte durée , et qui
pu : il travailloit à se former une épouse, doivent être punis éternellement ; des ja­
à orner la victime qu’il destinoit à ses au­ lousies, des chagrins, des passions que
tels. En vous donnant aujourd’hui.à lui , tout allume, et que rien ne satisfait; des
yous ne faites donc que lui offrir son pro­ dégoûts qu’il faut dévorer , et dont on
pre ouvrage; vous lui présentez le fruit n’oseroit même se plaindre ; des remords
iv. SERMON TOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 4 2 7
secrets que rien ne calme; des assujettis-
que les mêmes Liens à espérer, et les
semens et des ennuis mortels dont il faut mêmes maux à craindre; où la diversité
meme se faire un empressement et un des intérêts ne divise pas les cœurs, parce
mente ; des bizarreries , des rebuts de la que c’est le même intérêt qui nous lie ; ou
part des grands , cju’il faut essuyer et dis­ tous les chagrins qui empoisonnent la vie
simuler; un oubli cependant et un éloi­ humaine sont inconnus, parce que les pas- s
gnement de Dieu inévitable; mille périls sions qui les causent en sont bannies; ou
ont 1 innocence ne sort jamais entière; nous trouvons des ressources à toutes nos
des adoucissemens dangereux sur les ré­ peines , des précautions contre toutes nos
gies et sur les devoirs; des agitations éter­ foiblésses, des appuis dans tous nos de-
nelles, où il n’entre rien de plus solide, couragenaens, des attraits pour tous nos
ouedmi connoitre le néant; une vie tou le devoirs, une vie tranquille, innocente,
d inutilités, des .mouvemens d’erreurs, pleine de bonnes œuvres ; où les actions
e désirs, de craintes, d’espérances; et les plus indifférentes deviennent des ver­
tus, et nous sont comptées pour le ciel;
«nhn , une mort accompagnée souvent
d un repentir inutile, souvent, d’un calme et enfin, une mort semblable a celle cies
îuneste ; toujours terrible pour le salut Justes, pleine cie consolation , sans régi et
puisqu’elle finit toujours une vie, ou inu­ à ce qu’on laisse dans le monde , parce que
tile, ou criminelle : voilà ce que vous sacri- n’y possédant plus rien, on n y laisse r ien;
nez en renonçant au monde. sans inquiétude de conscience sui les af­
,Mais de l’autre côté, que vous prépare faires dont on s’étoit mêle , paice que le
salut avoit été l’unique affaire qui nous
Jesus-Chnst pour remplacer ce sacrifice ? avoit occupés; sans remords sur des biens
-L. innocence et la paix du cœur , que le
monde ne connoît pas; la joie de la bonne
mal acquis, parce que nous avions 1 énoncé
à ceux mêmes que nous pouvions légiti­
conscience, qui est la seule source des mement posséder; sans scrupule sui les
vrais piaisirs; des devoirs, où l’on est places où l’ambition nous avoit eleves, qui
toujours payé comptant de la peine, nar n’étoient pas peut-être celles que Dieu
ta consolation qui en facilite ¡’accomplis­ nous avoit destinées , parce que nous mou­
sement ; une société sainte dont la charité rons dans une situation , ou la grâce seule
est le ben , dont la paix fait toute la dou­ pouvoit nous placer ; en un mot, une mort
ceur; ou l’on n’envie rien, parce que tout douce, paisible , et d’un présage consolant
est a nous comme à nos Sœurs; où l’on ne pour l’éternité , puisque le monde n’ayant
se e ie de nen, parce qu’on n’a chacun
428 iv. sermon
rôÜR tWE PROCESSION RÊEICÏE'USE. 42 9
pas été notre patrie, nous devons , selon
les promesses, la trouver dans le ciel : voilà mon père ne m’offrit à moi-même, qu’un
ce que Jésus-Christ nous prépare. dégoût et une répugnance secrete : je yous
Or, sur le point de vous déclarer aux avertis, et vous devez vous préparera ces
pieds de l’autel, ne sentez—vous pas plus temps d’épreuve : je ne veux pas sy,rP)æ’}-
z- que jamais, ma chère Sœur, la sagesse de dre votre consentement, ni me preval .
votre choix? Examinez, vous dit encore des premiers transports d un zele, qui
Jésus—Christ pour la dernière fois; jetez souvent mène plus loin qu on ne you 101 ;
les yeux sur tout ce qui vous environne ; je ne prétends pas amuser la victime pour
et voyez , si le monde, avec tout ce qu’il la divertir de la pensée du glaive et du
pouvoit vous promettre de plus pompeux, bûcher; ni vous mener à 1 autel les yeux
fermés, pour épargner a votre foihlesse
peut être comparé à l’innocence et à la
sûreté de l’asile saint où je vous appelle; la vue de l’appareil et des rigueurs du sa­
je vous permets d’en faire le parallèle dans crifice : je demande une offrande raison­
votre cœur. Voilà la montagne sainte où nable et éclairée : je veux bien que 1 amour
je me communique à l’ame comme un ami seul soit le feu qui l’allume ; mais je veux
à son.ami , et la plaine où une foule in­ un amour sage et prudent, et ou a pré­
sensée adore le veau d’or; le repos du cipitation n’ôte rien au mérite du choix et
sanctuaire, et le tumulte du siècle : choi­ dé la préférence : en un mot, je ne veux
sissez, il est encore temps, votre sort est vous rendre mon Epouse, que par une
encore entre vos mains : il faut vous at­ alliance de jugement et de sagesse : àpon-
tendre à des croix et à des amertumes dans sabo te in judicio.
Mais ce n’est pas, ma chere Sœur, ce qui
mon service: ma grâce vous adoucira mon
va manquer à votre sacrifice. Les épreuves
joug , il est vrai ; vous le trouverez léger, qui l'ont précédé, les obstacles qui 1 ont
et son poids même vous consolera ; mais retardé , les contradictions que vous ayez
en certains momens, pour éprouver voire eu à essuyer durant si long-temps du cote
fidélité , je paroîtrai vous laisser à vous- du monde , du sang et de la nature; la
même : je ne suspendrai pas mes secours , persévérance inébranlable qui yous les a
mais je suspendrai mes consolations : je fait surmonter ; tout cela ne laisse rien a
serai toujours avec vous; mais je ne me craindre sur l’imprudence et sur la préci­
ferai pas toujours sentir à votre cœur : je pitation de votre choix. Le monde n a exi­
laisserai à mon calice toute son amertume ; gé que trop de temps pour les réflexions et
et il ne yous offrira, comme le calice de les épreuves ; et vous étiez mûre pour la
ï’ÔUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 4^1
43° ÏV. SERMON
bffrir qui réponde à la faveur signalée que
vie religieuse dès le premier jour que là vous m’allez accorder. Je souhaiterois.
grâce vous inspira la résolution de vous Seigneur, que le monde, avec toute sa
y consacrer. Ainsi , prosternée ici aux gloire, fût plus solide, que ses.espérances
pieds de l’autel, votre amour ne se plaint lussent plus réelles , ses plaisirs plus du­
plus que des retardemens que les intérêts rables, ses biens plus vrais, ses promesses
et les raisons humaines avoient apportés plus sincères. Ah ! c’est alors que je vou-
à votre sacrifice. Vous dites à Jésus-Christ drois le mettre à vos pieds avec complai­
dans l’impatience de vous consacrer enfin sance, et vous faire hardiment un trophée
à lui pour toujours : Eh! qu’abandonnerai- de ses dépouilles : mais tel qu il est , il
je , Seigneur, pour' vous, qui ait pu de­ n’est pas assez aimable pour menfaiie
mander tant de délais et tant d’épreuves ? honneur auprès de vous. Ce qui me con­
La liberté que je vais perdre n’est au fond sole , c’est que vous lisez dans mon cœur :
qu’une véritable servitude dont je m’af­ ce n’est pas parce que le monde ne sauroit
franchis ; je ne serai libre à mes yeux, que faire des heureux, que je vous le sacrifie ;
lorsque je serai attachée à vous seul par c’est parce qu’il est votre ennemi , et que
des liens indissolubles. Ah! jusqu’ici le l’aimer , c’est vous haïr et vous perdre ;
monde me paroit avoir encore quelque trompeur ou solide., favorable ou ingrat ,
droit sur mon cœur : il me semble que je fidèle ou perfide, il ne m’auroit jamais
tiens encore à lui par tous les endroits plu : avec plus d’attraits réels, il auroit
qui ne me lient pas à vous sans retour : ce peut-être mieux paré mon sacrifice; mais
reste de liberté me blesse , et me paroit il ne l’auroit pas retardé d’un seul moments
indigne d’un cœur qui vous ar choisi de­
puis long-temps pour son unique partage; TROISIÈME RÉFLEXION.
funeste liberté dont je ne pourrois me ser­
vir que pour devenir l’esclave du monde Et c’est pour cela, ma chère Sœur , que
et des passions insensées ! aimables chaî­ l’alliance que vous allez faire avec Jésus-
nes qui vont m’attacher à mon libérateur Christ, est, en troisième lieu, une alliance
par des liens éternels, et me mettre dans de miséricorde : Sponsabo te in misericot-
la liberté des enfans ! Ainsi , Seigneur , le diâ; troisième caractère. C est-a-dire, qu il
inonde que je vous sacrifie, vaut-il la peine ne regarde pas au peu que vous lui offrez,
d’être tantregrelté ? Si je me sens troublée et qu’il vous donne plus qu’il ne reçoit de
sur le point du sacrifice, c’est de confu­ vous. Je sais- que vous lui donnez beau--
sion et de regret, de ne pouvoir rien vous
43t IV. SERMON FOUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 433
coup selon le langage et les ide'es frivoles Seigneur, comme la veuve de l’Evangile,
du monde : un grand nom, les talens que qu’ une foi vive, un cœur désintéressé, et
le monde estime, de grandes espérances, toute la médiocrité deleurfortune; comme
les titres de vos ancêtres. Mais, ma chère si plus on avoit eu d’engagemens pour ai­
Sœur, quand vous mettriez aujourd’hui mer le monde, plus la grâce n’avoit pas
aux pieds de Jésus-Christ des sceptres et dû être puissante pour nous en retirer;
des couronnes, les royaumes du monde et comme si un souvenir qui devroit exciter
toute leur gloire , ne seriez-vous pas trop notre reconnoissance, pouvoit. aider à no­
récompensée de pouvoir être, en échange, tre vanité, et que nous voulussions trouver
la dernière dans sa maison ? Ainsi, plus des titres de gloire et d’orgueil dans les
iérils mêmes dont le Seigneur nous a dé-
vous lui sacrifiez, plus vous lui devez:
plus le monde sembloit vous offrir d’at­ Î ivrés par sa grande miséricorde.
traits, plus il a fallu de grâce pour vous C’est donc ici, ma chère Sœur, une
en dégoûter : plus vous paroissiez née alliance toute de miséricorde pour vous :
pour la vanité , et avec tous les talens c’est une distinction dont la bonté de Dieu
propres à vous perdre, plus il a fallu que vous a favorisée depuis le commencement
le Seigneur préservât de bonne heure des siècles. Il prévoyoit que, née avec tant
votre cœur, pour vous sauver, et vous d’avantages, vous ne lui seriez pas plus
établir solidement dans la vérité. fidèle dans le monde, avec la mesure de
Voilà pourquoi il n’est pas de vanité grâces qu’il vous destinoit, que tant d’au­
moins pardonnable dans ces asiles saints, tres qui y périssent : il lisoit dans le ca­
que celle de ces vierges insensées, qui ractère de votfe cœur et de vos penchans,
que vous n’y seriez pas à l’épreuve des pé­
rappelant avec complaisance le souvenir
rils qui y sont si fréquens ; et comme il
du nom de leurs ancêtres, et du rang que
vous a aimée d’un amour éternel, il vous
la naissance leur auroit donné dans le
a attirée à lui , selon l’expression d’un
monde, et grossissant dans leur esprit le prophète , par une abondance de miséri­
mérite de leur sacrifice , prétendent s’atti­ corde : Ideò attraxi te miserans. {Jerem.
rer dans le lieu de l’humilité, des hon­ 3i.33.) U pouvoit, sans doute, vous lais­
neurs et des distinctions , par cela même ser errer quelque temps dans le monde au
qu’elles y ont renoncé ; traitent avec une gré des passions insensées , et vous rap­
sorte de hauteur et de mépris, celles qui, peler ensuite à lui par le dégoût qui les
nées dans des circonstances plus obscures- suit toujours ; mais il a mieux aimé les
et plus ordinaires, n’ont eu à offrir au Oraisons funèbres. * T
Seigneur,
434 IV. SERMON MOUTS. UNE PROFESSION RELIGIEUSE,
prémices de votre cœur. Ces temples qui éternel vous en aura pour toujours sépa­
ont servi à Baal , ces cœurs qui ont été rée ! Vous ne le retrouverez plus le même :
au monde, peuvent bien, à la vérité, lui il est moqueur, il est méprisant, il est
être consacrés : mais il y reste toujours Cruel même envers celles qui apres 1 avoir
je ne sais quelle odeur et quelles flétris­ abandonné , et embrassé un état saint ,
sures, qui blessent sa délicatesse ; et il regardent derrière elles, lui tendent en­
Ti’y descend pas avec tant de complai­ core les mains, et jettent encore sur lui des
sance, que dans les cœurs innocens et regards de complaisance : il insulte à leur
dans les temples de Sion qui n’ont jamais inconstance et à leur, retour ; il leur fait
servi qu'à lui seul. lui—même une loi de le haïr : plus meme
leur sacrifice avoit été éclatant, plus il
QUATRIÈME RÉFLEXION. donne du ridicule à la légèreté honteuse
qui semble le désavouer, et il se venge de
In ne s’agit donc plus , ma chère Sœur , leur mépris passé par des dérisions pi­
que de répondre par une fidélité invio­ quantes.
lable, à toutes les miséricordes de l’époux Et alors, ma chère Sœur, quelles sont
céleste : Sponsabo te inJide; et c’est ici le les amertumes d’une vierge infidèle que
dernier caractère de cette sainte-alliance. le monde a séduite, et qui voit ses pen-
Oui, ma chère Sœur, vous ne serez heu­ chans mondains renfermés pour toujours
reuse , dans le parti que vous prenez , dans le lieu saint ? Elle traîne partout ses
qu’autant que vous serez fidèle : il ne faut dégoûts et son inquiétude : les rigueurs
plus vous promettre d’autre consolation, d’une sainte discipline deviennent pour
que dans la pratique exacte de vos devoirs. elle un fardeau qu’elle ne peut plus por­
Le monde, qui jusqu’ici vous a ri , vous ter : elle ne trouve plus dans le secret du
aura bientôt oubliée : vous allez tirer un sanctuaire d’autre plaisir que dans les fan­
voile éternel entre lui et vous ; n’attendez tômes qu’une imagination déréglée lui
plus rien de ce côté-là : vous allez désor­ retrace : la prière n’est plus pour elle
mais lui être indifférente, parce que vous qu’une contrainte, ou un tumulte d’ima­
ges profanes et mondaines, qui s’offrent
allez lui devenir inutile : vous n’avez pas
voulu de lui quand il parojssoit courir
en foule à son esprit; les louanges du
Seigneur , une occupation oiseuse et dé­
après vous ; quel malheur si votre cœur
sagréable ; les exemples de ses Sœurs , un
alloit retourner vers lui, lorsqu il ne vou­
spectacle qui la fatigue, parce qu’il lui
dra plus de vous, et qu’un engagement
436 IV. SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. 437
reproche tout bas ses infidélités : les de­ après un monde qui nous fuit, et qu on
voirs les plus légers de l’obéissance la ré­ ne voit que de loin ; et se faire une félicité
voltent : les pratiques les plus aisées de la de désirer ce qui rend malheureux ceux
régularité la gênent : les mortifications mêmes qui le possèdent ! Mais que pie—
les plus douces l’accablent : ce qui console tendez-vous, ame infidèle? fsi parmi tant
les autres Epouses de Jésus-Christ, fait de vierges ferventes qui mecoutent, il
tout son supplice; et comme son dérange­ s’en trouvoil quelqu’une de ce caraclere.J
ment lui attire tôt ou tard des murmures Renouvelez aux pieds de Jesus—Chust,
et des remontrances de la part de celles tous les saints engagemens de 1 alliance
ui sont établies pour veiller sur sa con- que vous avez contractée avec lui , et
3 uite,elle nourrit des antipathies et des cherchez-y les consolations et les seuls
plaisirs solides et véritables , qu il vous
ressentimens , qu’il lui faut dévorer toute
seule ; que la présence et les occasions y préparoit : tous les autres ne sont pas
réveillent et aigrissent à tout moment; et dignes du cœur; ils vous sont doublement
que la retraite rend souvent plus vives, interdits : perdez—en le désir, puisqu aus­
plus amères et plus irrémédiables , que si-bien il en faut perdre 1 espérance. Que
celles que les enfans du siècle nourrissent vous êtes à plaindre , et que votre état
les uns envers les autres. laisse peu de ressource a esperer! Lors­
Or, ma chère Sœur, est-il d’état plus qu’une ame mondaine s’égare , elle trouve
malheureux sur la terre ? Sentir des pen- le remède dans le mal même ; le dégoût
chans infortunés qui nous entraînent sans suit bientôt les plaisirs; le monde, vu üe
cesse vers le monde et vers les plaisirs , et près, ne se soutient pas long-temps contre
se retrouver sans cesse environnée des hor­ lui-même : mais en éloignement il en im­
reurs de la pénitence et de la retraite : pose ; c’est là son point de vue le plus
laisser sans cesse échapper le cœur hors séduisant; c’est une figure qui ne brille
de ces barrières sacrées, et ne le rappeler et ne trompe que de loin; 1 idee qu on se
que pour lui faire mieux sentir toute la forme de lui, est toujours infiniment pius
rigueur de sa prison et de ses chaînes : aimable que lui-même ; et on 1 aime long­
ne vivre que pour souffrir sous un exté­ temps, quand on peut l’aimer sans le voir
rieur pénitent , et souffrir sans consola­ et sans le connoilre.
tion et sans mérite : vous fuir sans cesse, Mais d’un autre côté , ma chère Sœur,
ô mon Dieu ! et vous retrouver toujours rien ne peut être comparé aux consola­
sur ses pas : courir avec une folle avidité, tions que Jésus-Christ prépare à votre
T 3
rôda, une profession religieuse. 4^9
438 IV. SERMON laissent entraîner au torrent.du rnonde
fidélité. Le monde que vous avez toujours
méprisé, parce que vous l’avez connu, ne
vous offrira jamais rien qui puisse venir dliTZ-vous arec Job '• souvenez-vous que,
troubler ici l’heureuse tranquillité de vo­ vous nous avez formés duneboue frag,,1. :
tre retraite. Si vous jetez encore quelques fortifiez les cœurs foibles, et otez ’ , j'
regards lui lui, ce seront des regards de séductions et aux plaisirs du monde le
compassion et de douleur : vous gemirez funeste ascendant qu ils ont sui eux,
aux pieds du sanctuaire , de l’aveuglement à eux-mêmes la foiblesse, qu. maIgre eux
et de la destinée déplorable de tant d’ames les en rend toujours les jouets et les e
qui y périssent tous les jours , et de celles claves Tantôt enfin dépositaire des pli
surtout que les liens de la chair et du sang secrets sentimens de œux memes qui pas­
doivent vous rendre plus chères , et dont sent pour les heureux du siecle, et qui
le salut doit vous intéresser davantage ; viendront vous confier leurs chagrins, et
vous y déplorerez l’égarement et la lolie se consoler auprès de vous de leurs pe.nes,
de presque tous les hommes; et vous les des perfidies et des injustices du monde,
verrez avec une sainte tristesse, courir, vous vous applaudirez, au sor 1 ,
comme des insensés , apres une furnee votre choix; vous irez renouveler mille
qui s’évanouit, et négliger les seuls biens fois aux pieds de l’autel votre sacnfic ,
véritables, et qui seuls peuvent leur assu­ vous y remercierez avec des transports
rer un bonheur éternel. Tantôt pénétrée damenr et de joie, Jésus-Ci «™»’
du zèle de la gloire du Seigneur, si pu­ avoir conduite au port, et retirée d lieu
bliquement outragée par les scandales et où les apparences sont s, trompeuses , les
la licence des pécheurs , vous lui direz chagrins si réels, les plaisirs si tristes, et
avec le prophète : Qu’attendez-vous, Sei­ la perte du salut cependant si inévitable.
gneur? voire patience semble autoriser Ainsi, tous les jours plus attentive a res­
fes crimes : il est temps que vous vengiez serrer les liens heureux qui vous attachent
votre gloire offensée , et votre saint nom à Jésus-Christ, tantôt vous lui sacrifierez
blasphémé : pour peu que vous différiez un désir naissant; tantôt une impatience
encore, votre loi sainte va etre anéantie: qui déjà s’élevoit; tantôt une animosité
Tempusfaciendi , Domine : dissipaverunt qui commençoit à aigrir et troubler votre
legeni tuam.(Ps. 118. 126.) TL antot tou­ cœur ; tantôt une satisfaction humaine
chée du malheur de ceux de vos frères, que vous aurez trop souhaitée ; tantôt une
qui malgré tous leurs bons désirs , se
TOUR UNE EROEESSION RELIGIEUSE. 441

44'O IV. SERMON à un monde qui ne fait que des malheu­


répugnance et un chagrin que vous aurez reux; à un monde qui est déjà condamne,
trop craint; et vous étoufferez les passions, à un monde qui va périr demain , et don
avant meme qu’elles aient eu le loisirde je n’aurois pu jouir que pendant la courte
se former et de naître. durée d’une vie rapide : Ne pleurez donc
Il vous tarde , sans doute , de l’éprou­ pas sur moi ; pleurez plutôt sur vous-memes.
ver, ma chère Sœur, et il en est temps. Une Quelle injustice en effet, o mon Dieu,
joie sainte se répand déjà sur votre visage : et quel aveuglement déplorable de plain­
vous ne pâlissez point à l’aspect du bû­ dre une ame qui se donne entièrement a
cher , comme ces victimes infortunées, vous, et que vous mettez ici à couvert
que la crainte ou l’intérêt seul traîne à des pièges infinis , répandus sur toutes les
l’autel. Le sacrifice que vous allez faire voiesdes enfans des hommes : je mets a
avec tant de courage, touche déjà peut- vos pieds les dépouilles du monde ; et
être les spectateurs : vous paroissez ici vous allez me. revêtir d’un vêtement de
ferme et tranquille; et, comme Jésus- salut et de justice : je me sépare du com­
Christ, sur le point de consommer son merce et de la société de ceux qui ne vous
ouvrage, vous dites aux témoins qui vous connoissent pas ; et vous m’allez donner
environnent, et que cette cérémonie at­ une place parmi vos épouses fideles et ter-
tendrit : TVr pleurez pas sur moi-, pleurez ventes : j’abandonne le lien des peines et
plutôt sur vous-mêmes : {Luc. 23. 28.J c’est des tentations ; et vous m’allez introduire
ici le plus beau jour de ma vie , l’accom­ dans le lieu des consolations et des grâces.
plissement de tous mes souhaits, et le plus Monde profane , je ne vous ai jamais vu
haut point de mes espérances : eh ! qu’y avec plaisir, et je vous quitte sans regret .
a-t-il dans mon sort qui ne doive vous je laisse encore, il est vrai, au milieu de
iaroître digne d’envie ? Je vais entrer dans vous des gages qui me seront toujours
fe port, et je vous laisse encore à la merci chers, et dont je ne me sépare qu’avec
peine; mais ne faut—il pas qu il y ait de
des flots, et sur le point à tout moment
la douleur et du sang dans mon sacrifice?
d’un triste naufrage : je vais apaiser mon
Ah! si je n’avois eu qu’à renoncer à vos
juge; travailler, tandis qu’il est temps, à pompes et à vos plaisus fiivoles, il m en
me le rendre favorable, et le conjurer de auroit trop peu coûté , et ce n’eût pas été
ne me pas rejeter éternellement de sa face; donner à Jésus-Christ une grande marque
et vous allez enrichir le trésor de colère d’amour, que de lui sacrifier ce que je
pour le jour terrible de ses vengeances:
je vais mourir au monde , il est vrai; mais
44s IV. SERMON, etc.
ïiaimois pas. Que vous rendrai-je donc, analyses
ô mon Dieu! pour toutes les faveurs dont
vous m’avez comblée? Je boirai votre ca­ des sermons
lice; j’invoquerai votre saint nom ; et je CONTENUS DANS CE VOLUME.
vous rendrai mes vœux en présence de
tout ce peuple dans l’enceinte de votre
maison, pour faire avec vous une alliance I. SERMON
éternelle; parce que vous êtes le Seigneur,
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE.
«t le roi de l’immortalité.
D.viS.on. Trois consolations de là vie religieuse.
Ainsi soit-il. U Une consolation d’élection. II. Une consolation d»
préservation. III Une consolation de
I. Partie. Une consolation d élection. On
tre cette élection invisible, par laquelle la miséri­
corde de Dieu nous a marques du sceau^du salu ,
et nous a séparés de la masse de perdition , il est
des élections visibles qu’on peut regar er co™™®
les moyens et les préjuges consolans delà p
mière. Or, telle est la vie religieuse en ellet, dans
les âmes que Dieu appelle à cet état. ,
i° On y voit une p réference marquée au mi­
lieu d’une infinité dames que Dieu abandonne.
Premièrement, préférence de purebonte. Car , au
lieu que les hommes ne nous preferenp dans la
distribution de leurs grâces , que parce qu’ils nous
trouvent ou plus utiles à leurs desseins, ou plus di­
gnes de leurs bienfaits ; Dieu, dans ses choix , ne
consulte que sa miséricorde , parce que nous en.
sommes tous également indignes. Ainsi , les heu­
reuses in< linations , le premier âge passé dans l’in­
nocence, l’éloignement naturel du monde , sont les
suites heureuses, et non les causes de votre élec­
tion. Car combien d’autres, avec les mêmes secours,
n’ont pas persévéré dans le dessein qu’elles avoient
de s’ensevelir avec Jésus-Christ dans ces saintes
T 6
Analyses des Sermons. 44$
444 Analyses des Sermons.
retraites ! Secondement, préférence consolante par tion • les secours et la protection que Dieu promet
et ou so.it toujours les suites de cette élection. C est
sa singularité. Considérez ce qui se passe dans l’U­ une vérité du salut que les secours P-t.cu ær^e la
nivers ; comparez, si vous le pouvez , le petit nom­
bre dames justes et fidèles, qui au milieu de nous grâce suivent d’ordinaire les choix qu elle lait de
Ss Tel est l’avantage d’une ame qui entre dans
vivent de la foi, à cette multitude effroyable d’in­
une voie que la main meme du Seigneur lui a
fidèles, d’errans , de pécheurs , de mondains , de
frayée • eUe ne doit plus se regarder elle-meme ,
tous les pays et de toutes les nations , qui suivent
les voies delà perdition et delà colère : c’est un ni s’arrêter à la disproportion qu elle trouv e entr
sa foiblesse, et les difficultés de la voie¡ou )ieu
atome au milieu d’un espace immense ; et cepen­
dant c est parmi ce petit nombre même que le Sei­ l’appelle : c’est Dieu meme qui 1 y conduit ,. et
c’est assez; elle peut dire avec le prophète -.Le Sei­
gneur vous a choisie, il vous a élue même parmi
ses Elus. Que de grâces renfermées dans une seule gneur est mon guide ; nen ne dans
grace ! Il vous a séparée de tant de peuples qui ne le que les âmes mondâmes entrées la
l’état où elles se trouvent sans vocation duCid,
connoissent pas , ou qui, le connoissant, ne l'ado-
sont livrées à leur propre foiblesse. Dieu ne
dorent pas comme il faut ; de tant de Fidèles qui,
les soudent point dans des voies que lui-meme ne
en l’adorant, violent sa loi sainte : il vous a pri­
leur a point choisies. De là vient que nous voyons
vilégiée encore par-dessus ce petit nombre d’ames
tous les jours tant d’ames dans le monde, qui rem­
justes , qui, au milieu des périls du monde, le ser­ plies d’ailleurs de bons désirs et nées avec d heureu­
vent , mais sont obligés de se partager entre le mon­ ses inclinations, se plaignent sans cesse de leur: foi
de et lui : sentez-vous tout le prix de cette préfé­ blesse; des âmes pour lesquelles tout est ecued, eten
rence ? qui les plus fermes résolutions ne vont jamais plus
2°. Nouveau sujet de consolation dans votre loin que jusqu’au premier perd , c est que le Sei­
élection : les moyens dont Dieu s’est servi pour gneur les laisse errer au gré de leurs passions dans
vous y con uire. Quels prodiges le bras du Sei­ L monde où sa main ne les a pas p aC6es '^
gneur n’a-t-il pas opérés, et quels moyens sa sa­ que la main du Seigneur conduit dans le lieu saint,
gesse n'a t-elle pas employés pour vous retirer du vous pouvez avec confiance vous répondre de sa
monde ! quede secrètes invitations ! que de nuages proteîtion et de ses grâces. Ne craignez donc pas
dissipés ! que de dégoûts vaincus ! que d’obstacles les peines elles difficultés que la vie «hgieuse sem­
écartes ! que de facilités ménagées 1 que d’évène- ble d’abord offrir à la nature : ses austérités se chan­
mens inattendus! quede révolutions et de change- geront pour vous en de douces consolations ; ses de­
mens pour vous frayer le chemin où il vouloit vous voirs les plus pénibles soutiendront votre foi, loin
conduire ? de sorte que le Seigneur ne vous a jamais de l’abattre, et vous serez vous-meme surprise de
perdue de vue, et que vous pouvez lui dire avec votre force et de votre courage. Mais ne comptez
le Prophète : C’est vous, Seigneur, qui avez pré­ pas tellement sur la grâce de votre élection , que
paré toutes mes voies , et qui dès le sein de ma vous laissiez affoiblir en vous cette première fer­
mère avez mis votre main sur moi. Telles sont veur de l’esprit : si vous vous relâchez , en vain
les grandes miséricordes du Seigneur sur les siens, étiez vous appelée aux noces de l’Epoux ; vous se-
5°. Autre sujet de consolation dans votre élec-
Analyses des Sermons. 447
44f> Analyses des Sermons. . -levée sur vous seule , comme il vous
rez rejetée comme les vierges imprudentes , quoi­ gneur s est eleve vous montrera la
que leur vocation fût certaine. a conduite dans un leu consolant pour une
11. Partie. Consolation de préservation. En vérité. Rie» a séparée du
r <i"i lîi e"d4‘
effet, vous quittez le monde; mais qu’est-ce que ce
monde misérable duquel la miséricorde de J. C. va Î ien-e/rs « les ^S^curil»
vous séparer à jamais ? Premièrement , c’est une
région de ténèbres; secondement, une voie toute 2°. Le monde e r danS u mon(Je .
semée d’écueils et de précipices ; troisièmement, et de précipices, route g [’élévation, dans
danger dans la naissance , da 1 g ,
c’est le lieu des tourmens et des tristes inquiétudes.
i°. Unerégion de ténèbres : la vérité n’y trouve, les s0ins publics, XTmiûés, dans le ma-
©u que des aveugles qui ne la connoissent pas , ou dans lesdans entretiens ,
1 état de liberté, etc. Voilà
vou««- le monde:
que des ennemis qui la combattent; et sans parler nage , dans l eta ,, éril, vous venez bientôt
de tous les divers genres d’aveuglement si répan­ si vous échappez . læ que t0USCes
dus dans le monde , qui attaquent le fondement de échouer a u« oindres pour vous que pour
la foi et delà doctrine sainte, arrêtons-nous aux dangers eu8?en\e„ême des exemples domestiques
erreurs qui en altèrent les règles et les maximes. un autre. Quand défendu votre m-
On annonce tous les jours ces maximes feintes a„ ”'Xn. ^tonclien, pou dan.
avec autant de force, d’exactitude et de lumière, nocence; ah. qu • >n aestine alou-
que dans les premiers âges de l’Eglise ; cependant, ce«e Première saiso peut.être envlé le bon-
il n’en est aucune sur laquelle le monde ne répande bli de Dieu . V nieu et uui sont a lui
encore des adoutissemens, de fausses couleurs qui heur des Ys’rentraînéà l’in.stantparle torrent
les défigurent, ou îles nuages qui les cachent : et ce sans réserve, mai. vertu n’auroit jamais eu
ne sontpas là les erreurs de quelques particuliers ; fatal des exempk , toujoUfS vntre
ce sont les erreurs de presque tous les hommes; que vos foiblesde ’ ’véritables.Ce „’est pas qu en
c’est la doctrine du monde entier, contre laquelle cœur et vos affect innornbrable6 du monde
il n’est plus temps de vouloir s’élever. C’est ainsi œnve-mnt 11 fehe S(jn sa,ut , }e veuille
que tousles hommes presque marchent , sans le et de la diffic i desmondains. U est dif-
savoir, dans les ténèbres ; et c’est ainsi que vous au­ justifier les valne vivre chrétiennement dans le
riez vécu, si la miséricorde de Jésus-Christ ne vous ficile , disent-il,■ Mais combien d’âmes lidèles
avoit retirée de cette région de ténèbres, pour vous „onde: cela e^ serVe-t-elle tous les jours
faire passer à un royaume de lumière; vous au­ la giace j Ydites-vous, «eroit de tout
riez regardé comme des vérités , les erreurs reçues a vos yeu ’ _‘ , ue cacbel! au fond d’une retraite.
K“?lfv«e*^»»O-i..lurfa».p»S«
de la multitude; vous auriez suivi les voies que
tout le monde regarde comme sûres. Les miséri­ les désirs d’un état devenu impossible vous ca -
cordes du Seigneursur vous sont donc dignes d’une . 1« danecrsde votre état présent, c est
reçonnoissance qui ne doit plus finir qu’avec vo­ uüi dÎTpaO.« - qu'on doit, parc,
tre vie. Voyez, tandis que des ténèbres épaisses
couvrent toute la tsrre, comme la lumière du Sei-
44 S Analyses des Sermons.
5°. Le monde est le lieu des tourmens et des Analyses des Sermons. 449
tristes inquiétudes. On croiroit d’abord que la joie Il y a trois tentations à craindre dans cet état :
et les plaisirs sont le partage de ce monde réprou­ premièrement la tentation du temps ; seconde­
ve, mais il s’en faut bien. Hélas ! si l’on pouvoit ment , la tentation du dégoût ; troisièmement, la
y etre heureux du moins en oubliant Dieu, et en tentation des exemples.
lie refusant rien aux passions insensées, si on n’évi-. i.° La tentation du temps. Les commencemens
toit pas les supplices éternels destinés aux pécheurs, sont d’ordinaire fervens et fidèles ; mais ces
du moins on jouirait du présent; mais ce présent premières années passées dans la ferveur , on
meme, cet instant rapide est refusé aux pécheurs. croit être en droit de se reposer : première ten­
Dieu, qui nous a faits pour lui, ne veut pas que tation. Or, pour vous armer contre un écueil ou
nous puissions être un instant même heureux la grâce de la vocation vient souvent echouer,
sans lui : il se sert de nos passions pour nous pu­ souvenez-vous que l’esprit de la vie religieuse que
nir de nos passions memes. En vain nous formons- vous embrassez , est le même pour tous les âges ;
nous un plan de félicité dans le crime, notre cœur que les règles saintes de cet institut sont les
dement bientôt cette espérance ; et il ne nous reste mêmes pour tous les temps; et qu’ainsi dans un
rien de plus reel de cette vaine idée de bonheur, âge plus avancé , comme dans une première jeu­
que le chagrin de nous l’être en vain formée. Jésus- nesse , puisque la sainteté de votre état sera tou­
Christ n a pas laissé sa paix au monde , il ne l’a jours égale , votre fidélité doit toujours etre la
laissée qu’à ses disciples : ainsi, en le lui sacrifiant même. Ce ne serait pas même assez : plus vous
aujourd’hui, vous ne lui sacrifiez rien de trop ai­ avancerez dans la profession religieuse , plus vous
mable , et ce qui fait le prix et le mérite de votre devez croître dans la grâce de votre état.
sacrifice, est bien plutôt le plaisir saint avec le­ n’avance pas dans les voies de Dieu , recule. Mais
quel vous le consommez, que les plaisirs frivoles s’il étoit un temps où il fût permis de servir Dieu
auxquels vous renoncez. Oui, si vous connoissiez avec une sorte de tiédeur, il semble que ce devrait
le fond et l’intérieur de ce monde misérable , vous être dans le commencement de la carrière , ou
n y verriez que des malheureux. Voilà le monde la grâce est'encore foible : au lieu que dans la
avec toutes ses erreurs, ses périls et ses inquiétu­ suite , la grâce ayant dû croître en nous, et 1 esprit
des. Réjouissez-vous donc de ce que Dieu vous a dé­ de notre vocation se fortifier , la tiedeur devient
livrée de la tyrannie de ce monde pour faire sa de­ un crime. Car il n’en est pas de la milice de
meure au milieu de votre cœur, et y établir une Jésus-Christ , comme de celle des princes de la
paix et une sérénité éternelle. terre : dans celle-ci, après un certain temps de
"""----- —-------------------- - ------ --- ------------ travail et de service , on acquiert le droit de
chercher dans le repos le délassement et comme
II. SERMON la récompense de ses fatigues passées ; mais dans
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. la milice de Jésus-Christ, c’est en être déserteur
que de cesser un moment de combattre ; et se re­
1 ion. 1. Les tentations. II. Les consolations lâcher après quelques années de ferveur , c’est
de la vie religieuse.
perdre tout le fruit de sa fidélité passée.
I. Partie. Les tentations de la vie religieuse»
2.° La tentation du dégoût. Les commence?
45o Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 4F)I
mens surtout de la vie chrétienne et religîeusft a pris la croix de Jésus-Christ pour son partage.
sont toujours accompagnés d’un certain atten­ 3.° La tentation des exemples. C est encore un
drissement de cœur qui nous en adoucit d’abord des plus dangereux écueils de la vie religieuse.
tous les exercices. Alors tout s’aplanit , tout de­ Oui, quoique la maison où vous entrez conserve
vient aisé ; mais ce premier goût s’use d’ordinaire j encore le premier esprit de zèle , de chante et
alors nos penchans d’abord si dociles , se soulè­ de fidélité, qu'elle reçut des.mains de son bien­
vent contre le joug : de là vient qu’on se décou­ heureux fondateur , néanmoins , parmi tant te
rage , et qu’on ne fait plus que se traîner dans vierges fidèles et ferventes , il est difficile qu il
la voie sainte. Pour prévenir une tentation si ne s’en trouve quelqu’une en qui la foi paroisse
or ùnaire dans ces retraites religieuses , écoutez plus foible , la piété plus languissante , en un
les avis suivans : le premier est que la source mot , toute la conduite plus humaine : or, rien
de nos dégoûts dans les voies de Dieu , est d’ordi­ n’est plus à craindre que la tentation de cet exem­
naire dans nos infidélités : ce n’est que lorsque ple. Sic’étoient des exemples d’un. dérèglement
nous commençons à mêler des adoucissemens aux ouvert et déclaré , ils ne trouvèrent en vous
devoirs , que les devoirs commencent à devenir que l’indignation et l’horreur qu’ils mentent ; mais
tristes et pénibles. Ainsi, si vous éprouvez jamais ce sont des exemples qui s'offrent a nous sous
ces dégoûts dans la voie sainte où vous entrez , une couleur spécieuse d’innocence , qui ne nous
examinez-vous d’abord vous-même, et voyez s’il présentent que des adoucissemens légers et pres­
n’y a pas dans votre cœur quelque principe secret que nécessaires à la foiblesse humaine. Le îemece
d’infidélité, qui infecte tout le détail de vos exer­ contre une contagion si à craindre meme dans le
cices , et qui éloigne Dieu de vous. Un second lieu saint, c’est premièrement de se dire a soi-
avis , c’est que les dégoûts peuvent se trouver même , que Dieu permet les exemples de relâ­
quelquefois dans la vie la plus fervente et la plus chement dans les maisons mêmes les plus ferven­
fioèle : et en vous consacrant aujourd’hui à Jésus- tes , pour éprouver les âmes qui lui sont fidèles .
Christ , vous devez vous attendre à des amer­ secondement, c’est de rappeler souvent 1 exemple
tumes dans son service. Au commencement de la de ces pieuses fondatrices qui vous ont fraye les
carrière , il nous soutient par des consolations premières voies de ce fervent institut : troisième­
sensibles; cest un lait dont il nourrit notre ment , sans chercher des exemples dans les temps
foiblesse : mais à mesure que nous avançons , il qui nous ont précédés, c’est de vous proposer
sans cesse celui des vierges ferventes qui marchent,
nous traite comme des hommes forts ; il ne nous
nourrit plus que du pain de la vérité , qui est ici à vos yeux avec tant de fidélité dans la voie
la nourriture des parfaits , et un pain souvent du Seigneur; c’est d’étudier leur conduite , aimer
de tribulation et d’amertume. Mais ce qui doit leur société , rechercher leur confiance.
alors vous consoler, c’est que le Seigneur ne IL Partie. Les consolations de la vie religieuse.
Elles consistent dans trois avantages : première­
demande pas de nous le goût, mais la fidélité ;
ment les tentations y sont moindres ; secondement,
cest que la vie religieuse est une vie de mort et
les secours y sont plus grands ; troisièmement les
de sacrifice , et que cet état de peine et de tris­
consolations y sont plus pures et plus abondantes.
tesse paroit l’état le plus naturel d’une ame qui
Analyses des Sermons. 45-5
452 Analyses des Sermons.
fient lés passions , qui règlent les sens , qui nour­
i.° Les tentations y sont moindres ; parce que rissent la ferveur , qui anéantissent peu a peu
les trois grands ecueils de l’innocence des hommes „ l’amour-propre, qui perfectionnent toutes les
n exercent ici qu’à demi leur malignité et leur vertus. Troisièmement, le secours des exemples:
empire. La première tentation de la vie humaine , quel bonheur de vivre parmi des vierges fidèles,
ce sont les richesses : or , le dépouillement reli­ qui nous inspirent l’amour du devoir, et nous
gieux y met à couvert cette tentation ; c’est-à-dire, soutiennent dans nos découragemens ! Quatrième­
de 1 attachement aux richesses , de l’usage injuste ment le secours de la charité, des attentions et
qu on en fait, et des soucis inséparables , soit de des prévenances de nos Sœurs : quelle douceur
1 acquisition, soit de la conservation des richesses. d’avoir à passer sa vie au milieu des personnes
Le sacrifice que vous allez faire à Jésus-Christ de qui nous aiment, qui ne veulent que notre salut,
votre, corps , en le consacrant à une continence qui sont touchées de nos malheurs , sensibles à
perpétuelle, vous rend supérieure à la tentation nos afflictions, attentives à nos besoins , secou-
de la chair, qui est la seconde tentation de la rabtes à nos foiblesses etc. ! Cinquièmement , le
vie humaine : car, au lieu que le monde entier secours des avis et des sages conseils , qui nous
semble s empresser et se glorifier de faire naufrage redressent sans nous aigrir , qui préviennent nos
contre cet écueil; dans ces asiles saints tout ins­ fautes , ou en sont aussitôt le remède. Sixième­
pire la pudeur, tout soutient l’innocence. Le troi­ ment , le secours des prières et des gémissemens
sième écueil de la vie humaine , c’est l’usage ca­ de nos Sœurs, qui s’intéressent pour nous auprès
pricieux de notre liberté : or , le sacrifice de votre de Dieu , attirent sur nous ses miséricordes. Sep­
esprit et de votre volonté , que vous allez faire à tièmement, les grâces intérieures que le Seigneur
Jésus-Christ, vous meta couvert de cette tenta­ verse ici avec ab ¡ndance, et qui non-seulement adou­
tion , et des chûtes et des embarras qu’elle entraîne. cissent son joug, mais nous le rendent aimable.
Car, au lieu que dans le monde cette liberté que les 5.° Les consolations plus pures et plus abon­
hommes font tant valoir comme leur souveraine fé­ dantes. On y goûte cette paix du cœur que le
licite , est pourtant la source de cet ennui qui em­ monde ne connoît pas, et qu’il ne sauroit donner;
poisonne tous les plaisirs, et la cause du peu d’ordre cette joie qui sort du fond d’une conscience pure ;
qui se trouve dans leur vie ; au contraire , dans la ce calme heureux dont jouit une ame morte à
vie religieuse tout est réglé , chaque moment a son tout ce qui agite les enfans d’Adam , ne goûtant
emploi marqué : la tentation de l’ennui, de l’inu­ que Dieu seul , ne désirant que Dieu seul, et ne
tilité ou Ion vit dans le monde, n’y est point à s’étant réservé que Dieu seul.
craindre : on n’y vit point au hasard et sous la
conduite si incertaine et toujours dangereuse de II l. SERMON
soi-meme ; on y vit sous la main des règles, pour POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE.
ainsi dire, toujours'sûres et toujours égales.
2.° Les secoursy sont plusgrands.Premièrement, D i vis ion. Trois Réflexions sur les trois vaux
les secours de la retraite qui vous met à couvert de l’état religieux , dans lesquelles on examine ce
des périls dont le monde est plein; secondement, que ces vrrux ont de commun avec la vie chrétienne ,
les secours des exercices religieux , qui morti- si ce qu’ils y ajoutent déplue
4^4- Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. l&S
I. Réflexion sur le voeu de la virginité savoir , les jeûnes, les veilles , lys macérations ,
ierpétuelle. Ce vœu vous engage à deux devoirs : la prière, parce qu’ils ont compris qu il etoit
Î e premier , c’est l’entière soumission de la chair impossible de conserver le corps pur au Seigneur,
à l’esprit; devoir qui vous est commun avec tous «i la mortification n’en réprimoit les révoltes , et
les Fidèles : le second , les moyens pour parvenir 61 la prière n’en purifioit les désirs.
à cette soumission , dont le principal vous est par­ Or, voilà l’avantage que vous avez dans votre
ticulier et propre de votre état, et les autres regar­ état sur les personnes engagées dans le monde :
dent également tous les Chrétiens. comme vous , elles sont obligées de conserver
Premier devoir : l’entière soumission de la chair leur corps pur au Seigneur , et de s’interdire
à l’esprit ; devoir qui vous est commun avec tous tous les désirs qui pourvoient souiller l’ame : mais
les Fidèles. Car la pureté que la sainteté de la pour en venir là, ils sont obligés comme vous ,
vocation chrétienne exige de tous les Fidèles , ne et encore plus que vous , de se mortifier sans
se borne pas à leur interdire certains désordres cesse , de veiller , de ne point cesser de prier et
grossiers et honteux ; elle va bien plus loin. de gémir pour appeler le Seigneur au secours, de
leur foiblesse. Mais ces devoirs si essentiels à
Comme tout Chrétien a renoncé à la chair dans
cette vertu , qui vous conserve pure et sans tache,
son baptême , et que par là il est devenu saint ,
deviennent comme impraticables au milieu du
spirituel, membre de Jésus-Christ, temple du Saint-
monde : la prière n’y est même pour les plus
Esprit , il faut, pour remplir cette haute obliga­
réguliers , qu’un moment de bienséance et d en­
tion , qu’il se regarde comme un homme céleste ,
nui, accordé le matin et le soir à ce saint exer­
consacré par l’onction de la Divinité qui réside en
cice : la mortification n’y est pas m ,ins inconnue
lui. Dés-lors, pour un Chrétien , non-seulement
et impraticable que la prière; en effet, comment
tout ce qui souille la chair est un sacrilège , mais se mortifier au milieu d’un momie où l’on donne
tous les plaisirs même légitimes, où il ne cherche tout aux sens ? Mais dans ces asiles saints , la
que la satisfaction des sens , souillent et profa­ prière et la mortification deviennent comme le
nent sa consécration. Or, pour parvenir à cette fonds et l’occupation nécessaire de votre état ; et
parfaite soumission de la chair à l’esprit , les il en coûteroit plus de s’y refuser , que de s y
saints fondateurs vous ont prescrit deux moyens. livrer avec une constante fidélité : tout y facilite
Le premier, qui est propre de l’état religieux, la prière, parce que tout y inspire le recueille­
est l’entière consécration de votre corps à Jésus- ment : tout y conduit à la mortification : les saints
Christ , laquelle ne consiste pas seulement dans usages établis , les exercices religieux , l’austérité
le renoncement à la société sainte du mariage : de la vie commune , etc. Ainsi, ie seul privilège
tout doit être pur et chaste dans une vierge con­ que les personnes du monde ont ici par-dessus
sacrée à la chasteté religieuse ; tout ce qui n’est vous, c’est qu’ayant au fond les mêmes obliga­
as saint, éternel, céleste, la souille, la dégrade,
r avilit : telle est l’excellence de la sainte virgi­
tions que vous, elles n’ont pas les mêmes facilités
pour les remplir.
nité qui va vous consacrer à Jésus-Christ. Pour II. R éflexion sur le vœu de pauvreté.
fa iiiter la pratique de ce premier moyen , les Comme nous ne saurions presque plus jouir des
premiers instituteurs y en ont joint un second»
Analyses des Sermons. _ 4^7
456 Analyses des Sermons. vie ' devoir indispensable à tout Fidèle, puisqu il
bienfaits de l’Auteur delà nature sans en abuser, est encore une suite des engagemens du bapteme.
les saints fondateurs ont cru qu’il étoit plus sur Les créatures ne sont p as faites pour fournir de
et plus facile de s’en dépouiller tout-a-fait, que vains plaisirs au Chrétien , puisque 1 Evangile les
de se contenir dans les bornes d’un usage saint et lui interdit tous , et qu’il y a renonce lui-même
légitime. Or, cet engagement de pauvreté reli­ dans son baptême. Bien plus , comme pécheurs ,
gieuse renferme trois devoirs essentiels : premiè­ nous avons perdu le droit d’user des créatures , et
rement, un détachement de cœur de toutes les de les faire servir à nos besoins , et ce n est que
choses delà terre; secondement, une privation par grâce que Dieu nous en accorde l’usage.
actuelle de toutes les superfluités; troisièmement, Selon ces règles capitales de la foi, on doit vivre
une soumission et une dépendance entière des pauvre au milieu de l’opulence , et se retrancher
supérieurs dans l’usage même des choses les plus tout ce qui ne tend qu’à flatter les sens, tout ce
nécessaires. . , , nui sert d’aiguillon aux passions. L’avantage que
Le premier devoir, qui consiste dans le déta­ les personnes du monde ont donc ici au-dessus de
chement du cœur de toutes les choses de la terre , vous , c’est que , sans renoncer à leurs grands
est une obligation qui vous est commune avec tous biens elles ne peuvent pourtant les faire servir
les Fidèles , puisque c’est une suite du second à leurs plaisirs; c’est qu’à portée de se ménager
vœu de notre baptême , par lequel vous avez toutes les superfluités , elles sont obligées de se
renoncé au monde et à ses pompes. 1 out Chré­ les interdire ; c’est, en un mot , qu elles ont plus
tien doit vivre détaché de tout ce qui 1 environne d’embarras que vous , et n’en ont pas pour cela,
ici-bas, parce que tout Chrétien doit se regarder plus de privilège. Une Epouse de Jesus-Christ, a
comme étranger sur la terre : mais rien de plus la vérité , qui a joint à cette obligation com­
rare que ce détachement de cœur dans le monde , mune , une promesse particulière de vivre dans
où l’on ne vit que comme si nous n’étions faits que le dépouillement religieux, doit se disputer avec
pour ce que nous voyons , et que la terre dut plus de rigueur les plus légères superfluités , et
être notre patrie éternelle. Or , c’est en quoi 1 op­ non-seulement éviter les profusions de la yamte ,
probre de Jésus-Christ, que vous embrassez, doit mais y joindre les privations d’une humble pau­
vous paroître préférable à toutes les couronnes de vreté. Mais vous voyez que ce que votre engage­
la terre : ce détachement si indispensable pour le ment exige de plus de vous , que des personnes
salut, et si difficile dans le monde , devient comme du monde , est plutôt une facilité pour remplir
naturel dans la religion ; parce qu’il est aise de le vœu de votre baptême, qu’une nouvelle ri­
se détacher de tout quand on s’est dépouillé de gueur que vous y ajoutez.
tout ; de ne tenir à rien sur le terre , quand on Le troisième devoir de ce dépouillement reli­
n’y possède rien , et d’êire pauvre de cœur, quand gieux , est la soumission et la dépendance entière
des supérieurs dans l’usage même des choses les
on est pauvre réellement et en effet.
Le second devoir de la pauvreté religieuse, plus nécessaires; c’est-à-dire, regarder tout ce
c’est le retranchement actuel de toutes les super­ qu’on nous laisse comme n’étant point à nous,
fluités ; c’est-à-dire , de tout ce qu’on appelle n’en user que selon l’ordre et la volonté de ceuji
Z-» . 1 z 'Z -À- vr
¿ans le monde , les aises et les commodités de la Oraisons Junèbres. * V,
vie :
'458 Analyses des Sermons. Analyses des Sermons. 4^9
qui nous gouvernent, et n’avoir à soi que le saint
plaisir d’être libre et dépouille de tout. Ne vous
figurez pas cependant qu’en ceci même votre con­
dition soit plus dure que celle des personnes du
monde. A la vérité , la foi n’exige pas d’eux qu’ils
dépendent fies hommes dans 1 usage de leurs biens . fo,”’.“ ta x». «»"’“iris
mais ils dépendent toujours des maximes de la foi leurs crimes: leur complaisance est pénible et elle
qui doivent régler cet usage; ils dépendent sans est criminelle ; au lieu que dans -s asiles san^,
cesse de Dieu qui peut leur enlever ces biens à
chaque instant; ils doivent donc se regarder tou­ qu’onl? s?cS Ta CvTüontéPaqu’à la volonté de
jours comme des esclaves à qui le maître peut
redemander les biens qu il leur a confies , sans “PX"S "" -Xev
qu’ils puissent y trouver à redire ; en user comme P D’ailleurs , quand vous auriez pu vous flattei
pouvant en être dépouillés l’instant qui suit ; ne de trouver dans le monde une situation d inde-
les posséder que comme ne les possédant point ;
nendanre et de liberté entière , il ne vous au-
songer, en un mot, que tout ce qui leur appartient, S » M P«-"'- P»"'
c’est le droit de faire valoir leurs biens au profit
ment vos goûts et vos caprices I ou , ^retien U
et pour la gloire du Maître souverain qui leur en
a confié l’administration. La pauvreté religieuse XÆXÎo? ffSnVfarœnsé-
ne diminue pas vos droits sur les biens et sur les
plaisirs de la terre , puisque le Chrétien n’y a qUe,lt ’ fe ni chercher‘qu^ seTafisfake lui-même ;
point de droit : elle diminue seulement vos em­ permis de ne cherche qu . Ja lac e de
barras et vos inquiétudes ; et loin de vous imposer E aïte’u de Lordre S«’“ <’»'■' “™-
un nouveau joug , elle vous met dans une liberte taciSsanc, relire . »«¡>«¡*5
parfaite. de nos supérieurs , cette legtc eiti
III. Réflexion sur le vœu. d'obéissance. Le nelle que nous aurions été obligés de consu^
monde , qui ne connoît pas la vertu de la foi et sans cesse dans nos démarches ; en un mot , eJe
l’esprit de la vie chrétienne , regarde cet engage- nous décharge de nous - memes, pour ainsi
ment comme un joug affreux et insupportable à la dire pour nous mettre entre les mains et sous
raison : il est vrai qu’il paroît d’abord fort triste et la conduite de Dieu. Ainsi, les personnes du
fort dur à la nature, d’être forcé de sacrifier sans monde ne se croient plus libres, que parce quelles
cesse ses propres lumières , aux lumières , et ne commissent pas le fonds de la religion , et les
souvent aux caprices de ceux qui nous gouvernent; devoirs de la vie chrétienne : elles ne font tan.
cette situation paroît révolter d’abord tous les pen- valoir leur liberté et leur indépendance , que parce
chans les plus raisonnables dé la nature ; et ôter qu’elles ignorent qu’il n’est pas plus permis à
aux hommes la seule consolation que les maux l’homme du monde d’user de sa liberté , selon
leur laissent, qui est l’indépendance et la liberte son humeur et son caprice, qu’au solitaire qui s en
de disposer de leurs actions et d’eux-mêmes. Mais est dépouillé entre les mains de ses supérieurs.
^’est là qu’un langage dont le monde se latí;
46 o Analyses des Sermons.
Analyses des Semons. 4^*
consolation , elle n’est que pour les a™es^1 S°^
fidèles à leur Dieu ? Et alors ne entiez-vous pas
IV. SERMON votre foi se raffermir , votre langueur se ranmer,
vos irrésolutions se fixer vos tenebrese dis per
POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. et la sérénité succéder a 1 orage ? Voila .histoire
des miséricordes du Seigneur sur votre
Proposition. Les caractères de l’alliance
s’il en use de même envers tant d autres qu
qu’une vierge chrétienne contracte avec Jésus-Christ, torrent entraîne : il ne daigne pas disputer leur
en embrassant l'état religieux , prouvent que de cœur au monde qui le possède tout entier. Qu a
tous les préjugés du salut , il lien est pas de plus vez-vous fait qui ait pu vous attirer ses regards et
certain et de plus consolant pour elle. ses préférences l Où en seriez-vous , s il eut borne
I. Réflexion. Premier caractère de cette toutes les opérations de la grâce a votre egard , a
alliance : Une alliance de justice : Sponsabo te in ces demi-volontés dont le monde est plein, et a
justitiâ; c’est-à-dire , qu’il étoit juste que vous ces réflexions stériles sur les abus des plaisirs,
donnassiez à Dieu cette marque de votre amour , de la fortune, et de toutes les choses présentes,
et queVotre reconnoissance envers lui ne pouvoit qui ne convertissent personne î II le pouvoit, et
s’acquitter à moins : car la mesure de ce que nous vous n’aviez rien à ses yeux de plus que tan.
devons à Dieu , est ce que nous avons reçu de d’autres qu’il traite de la sorte : mais il vous a
lui j plus il se communique à nous , plus il veut prévenue de ses bénédictions ; plus le monde, a
que nous soyons à lui. Or, rappelez en ce moment fait d’efforts pour vous séduire , plus il a ete
toutes les grâces dont il vous a jusques ici com­ attentif à vous protéger. En vous donnant aujour­
blée : des sentimens de salut inspirés dans une d’hui à lui, vous ne faites donc que lui offrir son
première jeunesse ; tant de périls éloignés ; tant propre ouvrage ; et la sainte alliance que vous
d’obstacles qui sembloient rendre la démarche que faites aujourd’hui avec lui , est une alliance de
vous faites aujourd’hui , impossible, surmontes: reconnoissance et de justice : 5ponsubo te m /astiim.
rappelez , en un mot, toute la suite des miséri­ Il Réflexion. Second caractère de cette
cordes du Seigneur sur vous , dans ces jours qui alliance • Une alliance de jugement et de sagesse:
ont précédé ce jour heureux , lorsque lassée, ce Spon'bo te in judicio Pensez en effet, sur quoi
semble , de vous soutenir toute seule contre les roule ce que vous allez sacrifier, et de quel prix
attaques que le monde , que la nature , que votie est ce que Jésus-Christ vous prépare. D’un cote,
propre cœur vous livroit, vous paroissiez sur le une fumée dont un instant décide ; des plaisirs
point de succomber et de vous y rendre ; que se oui durent peu , et qui doivent être punis éternel­
passoit-il alors dans votre ame ? quelle étoit la lement ; en un mot, le monde avec ses dégoûts,
voix secrète qui vous parloit alors au fond du ses remords, ses périls , etc. et enfin, une mort
cœur ? N’étoit-ce pas l’Epoux céleste qui vous par­ accompagnée souvent d’un repentir inutile ; sou ­
loit tout baspour vous faire entendre que vous vent d’un calme funeste , toujours terrible pour
auriez grand tort de prêter l’oreille aux di- • ours le salut. Mais , de l’autre côté, que vous prépare
du monde et à ses sollicitations ; qu il est plein, Jésus-Christ pour remplacer ce sacrifice î I’inno-
de malheureux ? et que s’il s’y trouve quelque
Analyses des Sermons. 463
vous vous perdriez dans le monde ; et comme il
^62 Analyses des Sermons. vous a aimée d’un amour éternel, il vous a attirée
cence et la paix du cœur , que le monde ne con- à lui, avant même que vous eussiez erré quelque
noît pas j la joie d’une bonne conscience, où nous temps au gré de vos passions , par une abondance
trouvons des ressources à toutes nos peines , des
de miséricorde. .
précautions contre toutes nos foiblesses , des ap­ IV Réflexion. Quatrième caractère de cette
puis dans tous nos découragemens, ce« attraits alliance. Une fidélité inviolable à répondre à toutes
pour tous nos devoirs , une vie tranquille pleine les miséricordes de l'Epoux céleste : Sponsabo te in
de bonnes œuvres ; et enfin , une mort semblable fide. En effet, vous ne serez heureuse dans te
à celle des Justes , et pleine de consolation. Or , parti que vous prenez , qu’autant que vous serez
sur le point de vous déclarer aux pieds de l’autel , fidèle : il ne faut plus vous promettre d autre
ne sentez-vous pas plus que jamais la sagesse de Consolation que dans la pratique exacte de vos
votre choix ! Examinez pour la dernière fois , devoirs : le monde , désormais vous fera lui-meme
et voyez si le monde, avec tout ce qu’il pouvoit une loi de le haïr : il insulte à l’inconstance de
vous promettre de plus pompeux, peut être com­ celles qui, après l’avoir abandonne , jettent encore
paré à l’innocence et à la sûreté de l’asile saint, sur lui des regards de complaisance. D ailleuis ,
où Jésus - Christ vous appelle , quoiqu’il faille quelles sont les amertumes d une vierge infidèle
vous attendre à des amertumes et à des croix à que le monde a séduite , et qui voit ses penchans
son service. L’alliance que vous contractez avec mondains renfermés pour toujours dans le lieu
ce divin Epoux est donc une alliance de jugement saint î Hélas ! elle traîne partout ses dégoûts et
et de sagesse : Sponsabo te in judicio. son inquiétude ; et il n’est pas d’état sur la terre
111. Réflexion. Troisième caractère de cette plus malheureux que le sien. Mais , d’un autre
alliance : Une alliance de miséricorde : Sponsabo te côté , rien ne peut être comparé aux consolations
in misericordiâ , c’est-à-dire , que Jésus-Christ ne que Jésus-Christ prépare à votre fidélité. Si vous
regarde pas au peu que vous lui offrez , et qu’il jetez encore quelques regards sur le monde, ce
vous donne plus qu’il ne reçoit de vous. Car enfin, seront des regards de compassion et de douleur ;
je veux que vous lui donniez beaucoup : mais et renouvelant mille fois aux pieds de l’autel
quand vous mettriez aux pieds de Jésus-Christ votre sacrifice , vous y remercierez avec des
non-seulement votre nom , vos talens , vos espé­ transports d’amour et de joie, Jésus-Christ, de
rances , mais des sceptres et des couronnes , ne vous avoir conduite au port , et retirée d’un lieu
seriez-vous pas trop récompensée de pouvoir être où les apparences sont si trompeuses, les cha­
en échange , la dernière dans sa maison l Ainsi, grins si réels , les plaisirs si tristes, et la perte
plus vous lui sacrifiez , plus vous lui devez; plus du salut cependant inévitable.
le monde sembloit vous offrir d’attraits , plus
vous paroissiez née avec tout ce qu’il faut pour Fin des Analyses.
vous y perdre , et plus il a fallu de grâce pour
vous dégoûter du monde , et vous établir solide­
ment dans la vérité. C’est donc ici une alliance
toute de miséricorde pour vous. Dieu prévoyoit
qu’avec la mesure de grâce qu’il vous destinoit,
DES DISCOURS ET SERMONS

CONTENUS DANS CE VOLUME.

Oraison funèbre de M. de Villars,


Archevêque de Vienne, page 1
Oraison funèbre de M. de Villeroy, Ar­
chevêque de Lyon , 44
Oraison funèbre de François-Louis de
Bsurbon , prince de Conly , 92
Oraison funèbre de Monseigneur, Louis,
Dauphin , it>fi
Oraison funèbre de Louis-le-Grand, roz
de France, 191

Oraison funèbre de Madame , Duchesse


d'Orléans, 240
1. Sermon pour une Profession Religieuse,
2-TJ
U. Sermon , sur le même sujet, 329
III, Sermon , sur le même sujet, 3 76
IF. Sermon , sur le même sujet, 41a
Analyses des Sermons, 44a

Fin de la Table des Oraisons funèbres.

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