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À ce corps amoureux
J’aime ce corps qui m’attache
Le téton dressé sur le sein triste
La brève amertume de sa bouche
Le tendre désamparement de ses pieds.
J’aime ce corps qui m’attrape et le miroir
Où ce corps se reflète et se fait un
Le bel abîme de son sexe
Sa douce continence
Son fond bleu
Le clitoris mouillé qui médite.
J’aime ce corps qui m’attache et me condamne
Etre de cette simple symétrie
Femelle qui s’habite solitaire
Aimant cet autre corps qu’elle reflète
Désespérée
Dans un miroir
Qui n’existe plus.
Ce matin-là mon père avait décidé qu’il était temps de récolter. Les paysans ont arraché
les fruits des arbustes maternels. Soudain, quelque chose dut bouger pour que ma mère se
redresse et cherche dans le ciel. Personne d’autre n’avait senti cette petite molécule dans
l’univers qui voulait vivre, sinon elle, qui à la lisière de la fécondité se maintenait alerte face à
ce dessein qui n’a pas voulu attendre et a cherché à pénétrer sa peau usée, comme un rayon de
Neuf mois après, alors que la bruine tombait sur les palissades de Lima, ma mère me
donnerait à connaître une autre forme de lumière. Aujourd’hui encore je peux sentir mon
regard glisser sur son tunnel rosé, ses battements contre ma tête alors que je vois une lumière
brillante s’approcher et s’éloigner de moi, le sang se coller à mes lèvres et un éclair jaillir de
mon nombril, l’indésirée asphyxie devient une douleur qui vivra toujours collée à ma gorge.
Aujourd’hui encore, je peux sentir ce rayon de lumière qui a traversé l’air de Chambala pour
concevoir mes yeux, mes mains, tous mes organes dans le vieux labyrinthe de son corps.
Je lui dédie ce livre, à elle, paysanne d’Akamichi. Ces pages où habitent vivants et
morts, et avec lequel j’évoque les saules et les bambous, les joncs et les nuages, les cerfs, les
chats sauvages, les cannes de quayaquil et les grenouilles qui un jour ont prospéré dans la
cadmium et de zinc qui tombe macabrement sur ses semis et ses canaux, sur les cœurs des
gens qui la peuplent. Poussière de métal qui cache ma lune de janvier, sol stérile qui
succombe devant la marée de ciment qui condamne à l’exil les étoiles et le cresson, les
sauterelles, les hiboux et les mille-pattes vers les recoins les plus inhabitables de la terre.
Chambala était un chemin. Tous les villages l’étaient, comme la nature entière,
aujourd’hui détruite.
interminables, mes petites complices qui ont migré vers des métropoles lointaines pour
chercher fortune ? comment faire revivre mes morts, ma mère que le silence m’a arrachée ?
Rillke me disait d’avoir de la patience avec tout ce qui dans le cœur reste sans réponse,
de vivre les questions, et qu’un jour ma vie entrerait dans les réponses. J’attends encore cette
aube désirée. Ce livre naît de cette foi car je sens que les mots, magiques et déchirants, seront
ma seule tentative.
Les chandelles
illuminent encore les pavés de la cour et les trois cordes
de la vieille guitare que père a changées en son shamisen complice.
Il pince une corde et son regard se perd dans un champ de riz.
Sa bouche, fatiguée de l’empire des mots d’ici
revient en arrière : mikayuki-sama, konbanwaa…
Ici à Laredo
(ferme Laredo, 1932)
Otsukisama
Trente-six fois, il dessina ses formes pour comprendre son panache de neige,
l'harmonie de son corps montant vers le ciel
le bois de pins qui agitait son cœur
durant sa promenade
alors que l'encre gouttait de ses épaules
et colorait ses pas qu'il dirigeait vers la cime
Qu’elles étaient immenses les promesses, les légendes vues de l’autre rive.
Le progrès, c’était ça, te dis-tu, tête basse,
ne pas arriver à la lune.
où es-tu Momotarō ?
(*) Chanson enfantine japonaise sur la légende d’un lutin espiègle né d’une pêche.
Tillandsias
main, pouces qui ont amassé l’argile et recueilli jour après jours des morceaux gelés de la
puna.
Nieveria. Enfant j’ai parcouru ton sol ; je tombais sur des effilochures de couleurs qui
émergeait de l’obscurité du passé. Mes doigts ont attrapé des crânes que les vautours avaient
dédaignés et dans leurs orbites vides je pouvais lire que sur cette terre ils avait déposé leur
ferveur, qu’ils s’étaient inclinés devant des statuettes et qu’ils avaient fièrement lutté pour
garder leurs coffres. Enfants, nous nous perdions dans le labyrinthe de leurs ruines et faisions
des paris sur où était la cuisine, la chambre, le berceau, pour ordonner leurs âmes et garder
Pour vivre.
Autrefois, le ciel était hors d’atteinte, à présent la neige est fondue. La ville a imposé
son sceau, elle a confisqué lemanteau vert de Chambala et nous sommes restés là, sans
nuages, sans moineaux ni crapauds pour nous réfugier dans l’enfance, que sait le commerçant
de l’encre violacée qui se répand dans le couchant ? leurs consciences seront-elles torturées
par le ciel égorgé, l’eau morte, le passé amputé, si jamais ils n’ont eu de racines ?
Avec une règle ils divisent le foyer des grillons et des cigales, ils scellent les canaux et
mettent les feuilles sur un bûcher pour marquer mille cuisines, trois mille buanderies, six
mille chambres, quatorze mille fenêtres, vingt mille murs, huit cent mille morceaux de ciment
morts qui ne sauront rien de cette terre, ni des exils d’où était venu mon père, ni du sang que
versa ma mère à chaque naissance, ni des raisons pour lesquelles nous sommes restés ici
A l’école j’ai mémorisé des héros et des batailles, les idéaux d’une patrie construite
avec amour et sacrifice. J’ai attentivement appris mes devoirs : attraper la vie en japonais, tout
reconstruire en castillan, aimer en uchinaguchi et observer le quechua filtrer tel un nuage par
la fenêtre.
Quand j’étais petite, l’algèbre était dur. Aujourd’hui d’autres amertumes accompagnent
mon chemin vers la vieillesse. Hier, depuis ma fenêtre j’ai vu tomber notre invincible pacay.
Pour la douleur mes yeux ont couru vers les tillandsias, fidèles et collées aux collines,
spectatrices pleines de sagesse qui contemplaient dans leur silence la chute de ma main sur un
point du papier,
Mon sacrifice,
Ma défaite annoncée,
Que suis-je ?
artères, routines, salmonelles, préjugés.
Haiku
Chambre Lima
Ou complice espièglerie dans la fumée de la ville
Magma
Allégorie
Je secoue la branche
Vers le ciel sombre une libellule
fuit
comme le désir
Derrière moi
ta cheville se ramasse sous la nuit
de ma nuque
telle une branche vaincue
une goutte se détache.
Paysage terrestre
Ma sœur,
entends-tu ce fleuve impétueux sous ta peau ?
Paysage de l’amour
Je peux voir derrière le soleil
la pénombre,
derrière l’eau
la désolation,
derrière un baiser
ce qui s’effondre.
Voir
je peux
derrière
l’eau
le soleil
un baiser
la pénombre
la désolation
ce qui s’effondre.
Voir
derrière un baiser
je peux
ce qui s’effondre.
l’eau
de ma pénombre
le soleil
de ma désolation.