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De la Greffière de la Cour

CEDH 219 (2022)


28.06.2022

Juges catalans fichés par la police en raison de leurs opinions politiques :


violation
Dans son arrêt de chambre1, rendu ce jour dans l’affaire M.D. et autres c. Espagne (requête
no 36584/17), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :
Violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne
des droits de l’homme.
L’affaire porte sur la constitution, par la police catalane, de fichiers concernant des juges qui avaient
exprimé leurs opinions sur l’indépendance de la Catalogne par rapport à l’Espagne. Un certain
nombre de documents provenant de ces fichiers, notamment des photos, avaient par la suite fait
l’objet de fuites dans la presse.
La Cour juge en particulier que la simple existence des rapports de police litigieux, dont
l’établissement n’avait aucune base légale, emporte violation de la Convention. Par ailleurs, elle
estime que les investigations menées sur les fuites ont été insuffisantes, car le chef de la police de
Barcelone, un personnage clé de l’enquête, n’a pas été entendu.
Un résumé juridique de cette affaire sera disponible dans la base de données HUDOC de la Cour
(lien)

Principaux faits
Les requérants sont 20 ressortissants espagnols. Ils exercent les fonctions de magistrat en Catalogne
(Espagne).
En février 2014, les requérants rédigèrent avec 13 autres juges un manifeste dans lequel ils
déclaraient que, au regard de la Constitution et du droit international, la population catalane avait le
« droit de décider » (de la question de l’indépendance de la Catalogne).
En mars de la même année, un article intitulé « la conspiration de 33 juges séparatistes » fut publié
au sujet de ce manifeste dans le journal La Razón. Cet article contenait des informations
personnelles et des photos des requérants tirées de la base de données de la police.
Une procédure pénale fut engagée sur plainte des requérants, qui demandèrent également
réparation. Cette plainte fut rejetée par le juge d’instruction n° 15 de Madrid, celui-ci ayant estimé
que bien que « (…) les faits objet de l’enquête [fussent] constitutifs d’une infraction, (…) il n’y a[vait]
pas d’éléments suffisants pour les imputer à une personne déterminée ». Les requérants
interjetèrent appel de cette décision. Statuant sur l’appel des requérants, le même juge d’instruction
les en débouta derechef, au motif que personne ne pouvait être tenu pour pénalement responsable
des faits incriminés. Ces derniers interjetèrent un nouvel appel, dont ils furent déboutés par
l’Audiencia Nacional en avril 2016.

1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois
mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En
pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de
l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des
renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
En 2014, les requérants avaient également porté plainte auprès de l’Agence de protection des
données au sujet de l’article litigieux, mettant en cause le ministère de l’Intérieur et le journal La
Razón. Leur plainte n’aboutit pas, mais l’Audiencia Nacional ordonna l’ouverture d’une enquête
approfondie, qui est semble-t-il toujours pendante.
La même année, le syndicat de fonctionnaires Manos Limpias porta plainte contre les juges
signataires du manifeste auprès du Conseil général du pouvoir judiciaire. Il fut débouté de sa plainte
ainsi que son appel subséquent.

Griefs, procédure et composition de la Cour


Invoquant les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 10 (liberté d’expression) et
6 § 1 (droit à un procès équitable), les requérants alléguaient que la police les avait fichés de
manière injustifiée en se servant des photos en sa possession, lesquelles avaient par la suite fait
l’objet de fuites dans la presse. Ils se plaignaient en outre des procédures disciplinaires engagées
contre eux et avançaient que l’enquête menée sur leurs allégations avait été insuffisante.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 26 avril 2017.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Georges Ravarani (Luxembourg), président,
Georgios A. Serghides (Chypre),
María Elósegui (Espagne),
Darian Pavli (Albanie),
Peeter Roosma (Estonie),
Andreas Zünd (Suisse),
Frédéric Krenc (Belgique),

ainsi que de Milan Blaško, greffier de section.

Décision de la Cour
Article 8
La Cour rappelle que l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences de la
police dans son droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance. Toutefois, cette disposition emporte également l'obligation de protéger activement
l’individu contre les ingérences arbitraires des autorités dans sa vie privée.
En ce qui concerne les rapports de police, la Cour relève qu’aucune disposition du droit interne
n’autorise l’établissement de tels rapports en l’absence d’infraction. Les rapports litigieux
contenaient des données personnelles, des photos, des renseignements professionnels (provenant
en partie de la base de données d’identification de la police) et, dans certains cas, des informations
sur les opinions politiques des intéressés. La Cour conclut que la simple existence de ces rapports de
police emporte violation de l’article 8.
En ce qui concerne les fuites dans la presse et l’enquête à laquelle elles ont donné lieu, la Cour juge
indéniable que les photos et certaines autres informations provenaient de la base de données
d’identification de la police. Les autorités internes ont conclu que l’État espagnol était responsable
de ces fuites.
Bien que certains témoins aient été entendus, il aurait fallu prendre la déposition du chef de la
police de Barcelone – à qui les rapports avaient été adressés et qui était responsable des bases de
données – pour que l’enquête menée sur les fuites pût être effective, ce qui n’a pas été fait. Faute

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d’avoir procédé à cette mesure d’enquête, l’État défendeur a manqué à ses obligations au titre de
l’article 8 de la Convention.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.

Autres articles
La Cour estime que l’ouverture et la clôture de procédures disciplinaires qui n’ont donné lieu à
aucune sanction n’ont eu aucun effet punitif ou dissuasif. En conséquence, elle conclut que le grief
des requérants tiré de l’article 10 est irrecevable pour défaut manifeste de fondement, la liberté
d’expression des intéressés ayant été respectée.
Au vu des faits l’espèce, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs formulés par les
requérants sur le terrain de l’article 6 § 1.

Satisfaction équitable (Article 41)


La Cour dit que l’Espagne doit verser aux requérants 4 200 euros (EUR) pour dommage moral, et
3 993 EUR pour frais et dépens.

L’arrêt n’existe qu’en anglais.

Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la
Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur
www.echr.coe.int . Pour s’abonner aux communiqués de presse de la Cour, merci de s’inscrire ici :
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Jane Swift (tel : + 33 3 88 41 29 04)

La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du
Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention
européenne des droits de l’homme de 1950.

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