international
Maroc :
un système de santé
en quête d’identité
E
n 2004, la population marocaine (tumeurs, maladies de l’appareil circula-
Marc Duriez était estimée à 30 millions d’habi toire, maladies endocriniennes générées
Chargé de mission HCSP tants, dont 53 % vivaient en zone par les comportements, les traumatismes
urbaine. et accidents). Les maladies infectieuses
En 2020, elle s’élèvera à 37,4 millions sont à l’origine de 33,4 % des années de
d’habitants, dont 68 % habiteront en zone vie perdues corrigées du facteur incapacité.
urbaine. En 2045, elle devrait atteindre Pour les maladies non transmissibles, le
45 millions. taux est de 55,8 %. Par ailleurs, on note
Le taux d’analphabétisme demeure une incidence très forte de pathologies
très élevé puisqu’il atteint 47 %. En zone liées à la malnutrition.
urbaine, le taux de scolarisation est de La mortalité infantile, de 0 à 5 ans, est
66 %, avec peu de différences entre filles passée de 138 à 47 pour 1 000 naissances
et garçons. En milieu rural, la scolarisation vivantes entre 1979 et 2004, et la mor-
concerne surtout les garçons (45 %) talité maternelle de 379 à 220. Cependant,
Le Maroc est un « Pays à revenu intermé- les niveaux atteints actuellement sont
diaire tranche inférieure » dans la classifi- encore élevés (en comparaisons interna-
cation de la Banque mondiale. Le PIB par tionales).
habitant est de 1 570 dollars. Le taux de D’après le rapport de l’OMS de 2000 sur
Le gouvernement chômage s’élève à 13 % d’après les chiffres la performance des systèmes de santé, le
officiels, souvent jugés sous-estimés. Le système marocain est classé 29e. Mais
marocain a entrepris taux de pauvreté a progressé tout au long ce bon résultat reflète essentiellement
de la décennie quatre-vingt-dix. son niveau d’efficience. Le niveau des
une grande réforme résultats sanitaires se situe au 110e rang
du financement La lente amélioration et le niveau d’équité au 111e. Par ailleurs,
de l’état de santé l’Unicef, dans sa comparaison de la pro-
de son système L’amélioration des indicateurs d’état de gression des systèmes de santé, fondé sur
santé ne peut résulter que d’une orientation l’évolution du taux de mortalité infantile
de santé. Le modèle spécifique de l’offre de soins. des enfants de moins de 5 ans (TMM5),
L’espérance de vie était de 71,2 ans en indicateur intégrant l’alphabétisation, le
adopté implique 2004 (68,6 pour les hommes, 72,7 pour niveau socio-économique, la prise en charge
les femmes). sanitaire…, fait remarquer une régression
un large consensus L’état de santé de la population maro- de ce taux de 3,0 entre 1960 et 1990 à
sur les nouveaux caine se caractérise par une persistance
des maladies infectieuses et une augmen-
5,2 entre 1990 et 1999.
de gouvernance. . Enquête sur la Population et la Santé familiale . A. Belghiti Alaoui, La réforme de santé au Maroc.
(2003-2004). Pertinence et opportunités. 2005.
Le choix d’un modèle complexe démunies, le Régime d’assistance médicale toujours été un système généreux pour ses
Le système de santé marocain met en (Ramed). affiliés, mais aveugle vis-à-vis des dérives
œuvre actuellement un modèle de pro- L’assurance maladie obligatoire (AMO) comptables. Elle a laissé se développer un
tection sociale à configuration duale : un est instituée à partir de deux régimes système sans panier de soins défini a priori.
système de couverture maladie de base existant déjà : la Caisse nationale des Elle a joué sur la trésorerie. Une reprise en
financé par des cotisations et un programme organismes de protection sociale (Cnops), main était nécessaire. La CNSS, quant à
public au bénéfice de personnes indigentes. qui gérait des mutuelles couvrant les agents elle, ne couvrait que la partie la moins favo-
Cette réforme constitue l’aboutissement de l’État, et la Caisse nationale de sécurité risée des employés du secteur privé. Les
de réflexions et d’expériences développées sociale (CNSS), qui gérait la protection plus riches s’adressaient aux assurances
depuis une vingtaine d’années. Le chemin sociale hors risque maladie de certains privées. La CNSS a donc milité pour une
a été long pour arriver aux mesures salariés du secteur privé. prise en charge la plus réduite possible.
récentes. Dans les années quatre-vingt, Désormais, la Cnops et la CNSS Un remodelage de la couverture sociale
le surendettement du Maroc a conduit à s’intègrent dans un système de solidarité était indispensable pour tenir compte de
un resserrement voire une diminution du nationale. Le système ainsi institué est l’adhésion de populations nouvelles.
financement des interventions publiques en obligatoire, il a vocation à se généraliser L’ensemble apparaît désormais bien
matière sociale. La reprise de l’économie à l’ensemble de la population. D’ores et encadré. L’origine des hauts responsables de
dans les années quatre-vingt-dix n’a pas déjà d’ailleurs, les artisans et professions l’assurance maladie et de l’Agence nationale
été suffisante pour résorber le chômage, indépendantes revendiquent une couverture de l’assurance maladie — ministère des
réduire la pauvreté, améliorer le niveau maladie de base. Cette réaction va sans Finances, assurances — constitue le « gage
de vie général. Les grands « chantiers doute s’étendre à d’autres catégories. technocratique » d’un management à la
sociaux » n’ont pas été inscrits dans les Régimes d’assurance maladie et syn- hauteur des ambitions affichées.
premiers rangs de priorisation auxquels dicats professionnels ont privilégié très lar- Le Régime d’assistance médicale, ou
ils pouvaient prétendre. En tout état de gement le modèle conventionnel de fixation Ramed, est constitué par un programme
cause, la croissance économique s’est des prix et des honoraires médicaux. Ces financé sur fonds publics destiné à subvenir
révélée incapable de donner une impulsion accords entre partenaires, d’après le texte aux besoins de santé de personnes indi-
aux investissements sociaux. de la réforme, portent également sur les gentes. On ne finance pas toute l’indigence,
Les orientations adoptées lors des pre- nomenclatures d’actes, les systèmes d’in- on limite le droit à la santé en établissant
mières années quatre-vingt-dix marquent formation et de transmission des données, une liste de services pris en charge. L’État
une volonté de la part des autorités d’ins- les systèmes d’évaluation, les référentiels finance, la gestion est assumée par une
crire leurs actions dans le cadre d’une de bonnes pratiques. Agence nationale de l’assurance maladie
nouvelle philosophie libérale : « la pro- Les assurés à l’AMO bénéficient d’une (cf. ci-dessous). La problématique n’est pas
blématique prioritaire, aujourd’hui, est de couverture intégrale des maladies chro- des plus simples en général. Les critères
parvenir à conforter l’état de droit libéral niques. Une participation de 3O % est d’éligibilité, le contenu du panier de soins
qu’est devenu le Maroc par son corollaire exigée pour les autres maladies. pris en charge, l’évaluation des coûts, le
indispensable, à savoir, l’État social ». Les ressources générées par l’AMO suivi du dispositif et de ses résultats se
Sur le plan opérationnel, les promoteurs représentent actuellement 6 milliards de sont toujours révélés particulièrement
de la réforme ont programmé plusieurs dirhams. Le ministre de la Santé a émis délicats à mettre en œuvre.
mesures visant à rationaliser la gestion le vœu, début 2006, de faire passer le Nous nous trouvons ici dans une confi-
des activités sanitaires : clarification des financement des hôpitaux de 300 millions guration de service public de santé. L’État
rôles entre l’État et l’assurance maladie, à 2 milliards de dirhams10. décide du montant budgétaire annuel
reconfiguration juridique des organismes La réforme a au moins l’avantage de ratio- à consacrer à ce dispositif, le décline
gestionnaires de l’assurance maladie qui naliser, sur le plan institutionnel, la prise selon les régions et les établissements
permette de gérer une mission de service en charge du risque maladie. La Cnops a et l’attribue à un panier de soins. Les
public, développement de plans mana- prestataires de soins, dans le cadre du
gériaux pour les régimes d’assurance . En 2004, un peu moins de 5 millions de Marocains, Ramed, ont une position particulière par
maladie. soit 16,5 % de la population, bénéficiaient d’une rapport au ministère de la Santé puisque
protection sociale maladie. Les bénéficiaires des
Ces orientations portent la marque d’une régimes de la Cnops et des Forces armées royales
leurs activités s’intègrent dans un cadre
volonté de « modernisation » par l’intro- (soit les agents de l’État) représentaient 68,6 % de contraint sur le plan budgétaire et sur le
duction d’un système de financement basé l’ensemble des assurés. Il faut noter que de nom- plan de l’offre de soins et de services.
sur des cotisations d’assurance maladie breuses entreprises privées ne couvraient qu’une Globalement, le dualisme du finan-
partie de leurs salariés. Mutuelles et compagnies
(AMO ou assurance maladie obligatoire) cement, modèle incontournable du fait
privées d’assurance couvraient pour le risque maladie
et un programme de protection sociale 1,6 million de personnes. de la diversité extrême des situations
budgétisé en faveur des personnes . Toute entreprise publique ou privée qui assurait sociales, distingue deux populations. Il
jusqu’ici ses employés à titre facultatif par contrats serait à craindre que ce modèle global
auprès d’organismes mutualistes ou de compa- n’entretienne, voire n’accentue, cette
. Dr Alami Greft Abdeljalil (conseiller auprès du gnies privées d’assurance pourra continuer à le
premier ministre en assurance maladie obligatoire) : faire pendant une période de cinq ans renouvelable
diversité et que l’ambition d’arriver à une
L’assurance maladie obligatoire au cœur du débat au une fois. universalité de la protection sociale ne
Maroc. Conférence internationale de l’AIM 2001. 10. Le Maroc Aujourd’hui (6 février 2006). soit qu’un objectif très lointain.