lisation, rendent chacun de plus en plus incapable de
subvenir par lui seul à ses besoins, même les plus d objets produits; la première supposait l'apprentissage
élémentaires. Tous dépendent dans une mesure croissante
des échanges de biens et de services auxquels ils procèdent
soit consciemment, quand il s'agit de biens et services
privés, soit inconsciemment, quand il s'agit de biens et
services publics. Le travail social dans son entier est
devenu une sorte de longue chaîne, et tout travail à la
chaîne n'est efficace que pour autant que chacun de ses
maillons l'est pour sa part : jamais l'interdépendance
entre les membres d'une même société ne fut si étroite
qu'elle peut l'être dans une société industrielle, jamais
la solidité du tissu social n'a dépendu aussi intimement
du moindre de ses fils.
Dans le même temps, jamais les hommes n'eussent
songé à entrer dans une telle société, s'ils n'avaient été
possédés de la passion des biens matériels    : cette
organisation des rapports humains n'a bien évidemment
d'autre justification, et d'autre signification que
l'amélioration sans précédent de la productivité du
travail qu'elle autorise. C'est à la division du travail
qu'Adam Smith impute le développement de toute
richesse nationale.    Malheureusement,    dire que les
sociétés industrielles trouvent leur principe dans ce
L Mais précisément, dira-t-on, la vraie charité est
souci quasi exclusif du bien-être matériel, c'est dire
qu'elles sont fondées avant tout sur l'égoïsme indi-
viduel. C'est là ce qui fait d'ailleurs l'originalité de
notre système de division du travail par rapport à tous
ceux que les sociétés passées ont connus. Depuis
longtemps, sinon depuis toujours, les hommes avaient su
se répartir à l'intérieur d'une même société en
différents métiers, complémentaires les uns des autres.
Mais cette première division du travail avait pour but la
qualité du produit, la nôtre a pour fin la quantité
110
de la profession, la seconde est réussie lorsque la tache est
tellement divisée en gestes simples ou qu'un apprentissage
n'est désormais plus requis pour l'accomplir. Tant qu'il y
avait des métiers, et qui requéraient une compétence, et
même si, et peut-être d'autant plus qu'ils étaient difficiles,
l'homme de métier pouvait avoir le sentiment du besoin
que la communauté avait de lui : la simple fierté de son
travail et le sentiment que la communauté en dépendait
pour une part induisait inévitablement en lui le sens de
cette communauté et son dévouement. Quand le travail
est décomposé en parties aussi élémentaires que
possible, d'une part il perd son sens, et de l'autre les
travailleurs deviennent interchangeables : la tentation de
se réfugier dans un egoïsme conscient et organisé croît
donc nécessairement avec le progrès de la division du
travail. Car pourquoi me consacrerais-je à
l'accomplissement d'une tache qui n'est que l'infime partie
d'une œuvre, et qui ne présente en soi aucun intérêt, si ce
n'est parce que j e n espère une rémunération
personnelle? Et comment pourrais-je l'accomplir
simplement dans le but d être serviable, si elle est si
indifférenciée, si identiquement accomplie par des
myriades d'autres individus que le don que je pourrais
faire de ma peine ne serait même pas identifiable?
anonyme et discrète : pourquoi n'inculquerait-on pas au
travailleur le sentiment qu'il travaille non pas seulement
pour lui mais pour autrui? Pourquoi ne lui
enseignerait-on pas la charité,    ou,    comme on dit
aujourd'hui, la solidarité? C'est tout simplement quel
la chanté ou la solidarité sont incompatibles avec le I
culte des biens matériels, et c'est l'une des illusions!
*'
111