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33 | 2009
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/peme/2688
DOI : 10.4000/peme.2688
ISSN : 2262-5534
Éditeur
Société de langues et littératures médiévales d’oc et d’oïl (SLLMOO)
Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2009
ISSN : 0338-2338
Référence électronique
Sébastien Douchet (dir.), Perspectives médiévales, 33 | 2009, « Littérature et langue du
Moyen Âge » [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2012, consulté le 26 novembre
2020. URL : http://journals.openedition.org/peme/2688 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/peme.2688
© Perspectives médiévales
Ce numéro de Perspectives Médiévales a été initialement publié en
2009 dans une « version CD-Rom » alors que la revue n’avait pas
encore d’existence électronique mais tentait sa mue vers les
nouvelles technologies. À cette époque, il s’agissait du bulletin d’une
société savante, la Société des Langues et Littératures d’Oc et d’Oïl. Des
articles à valeur scientifique y côtoyaient des informations relatives
à la vie de la Société.
Les deux articles que le lecteur trouvera ici sont consacrés à des
œuvres médiévales espagnoles et italiennes. Ils constituent la
version écrite de deux conférences qui furent prononcées en 2008
lors de l'Assemblée générale annuelle de la SLLMOO.
Sébastien Douchet
This issue of Perspectives Médiévales was initially published in a CD-
Rom version in 2009, when the periodical was beginning its
electronic transformation. At the time, it was the bulletin of a
scholarly society, the Société des Langues et Littératures d'Oc et d'Oïl.
This former version consisted in both scientific publications and
articles concerning the Society itself.
État de la recherche
Comptes rendus
Essais
Ouvrages collectifs
Le Roman de Thèbes
Paris, Champion, « Champion Classiques » 25, 2008
Valérie Gontéro-Lauze
Positions de thèse
Analyse de l’œuvre
19 L’œuvre regroupe 467 chapitres qui intègrent 550 exempla. Chaque
thème est donc illustré par deux, trois, quatre ou cinq récits. Chaque
chapitre est annoncé par une épigraphe en latin accompagnée de sa
traduction, sous la forme d’un distique en espagnol 20 . L’épigraphe
contient un « mot-clé » (pour reprendre l’expression d’Andrea
Baldissera) qui détermine l’abécédaire sur lequel le recueil est fondé.
Ce mot-clé apparaît normalement au début de l’énoncé latin. Voici
un exemple du procédé :
MAGNANIMUS NON VINCIT DOLO SED ARMIS
20 Ce qui donne en espagnol (distique, en forme de proverbe) :
Hombre noble e de gran coraçón
21
Por armas vence e con razón .
21 Si l’on tient compte de la synalèphe, on compte dix syllabes au vers
1, neuf au vers 2. Les rimes sont consonantes (il y a identité
phonique à partir de la dernière voyelle accentuée). « Magnanimus »
est élégamment traduit par « homme noble et au grand cœur ».
L’opposition « dolo sed armis » est oubliée. Suit un exemple tiré de
Valère Maxime.
Le thème de l’amitié
22 Parmi les grands thèmes développés par les exempla européens figure
celui de l’amitié. Il s’agit là, en partie, d’un héritage oriental puisque
le thème du demi ami et de l’ami entier a parcouru les continents
d’est en ouest, véhiculé par la langue arabe et par la Disciplina
clericalis en particulier. En dehors des quelques exempla que nous
pourrons faire ressortir, il est clair que nous nous trouvons au centre
d’un puissant réseau fortement ramifié qui va de l’amitié à la notion
de gratitude, mais aussi de l’amitié à la gémellité, à la ressemblance.
On voit alors se profiler le conte d’Ami et Amile, ou celui des deux
compagnons 22 . On trouvera aussi une typologie de l’amitié : celle
qui est sincère, celle qui est intéressée.
23 La série des « Amici » commence par le conte de Damon et Pythias,
disciples de Pythagore et amis fidèles où l’un accepte d’être otage,
garant de son ami (conte numéro 17) 23 . Les contes 18 et 19 sont
ceux de la Disciplina clericalis : « De dimidio amico » et « De integro
amico », simplement traduits, du latin de la Disciplina en espagnol. Ce
double exemplum imbriqué (le deuxième est narré par le père du
héros, protagoniste du premier conte) inspira de nombreux auteurs
espagnols (Conde Lucanor, Caballero Zifar, Libro de los castigos), sans
24
oublier les Mille et une Nuits (récit d’Attaf et de Ja’far) et le
Décaméron 25 .
24 Le quatrième conte est également issu de l’antiquité (numéro 20) :
Platon refuse de croire un calomniateur qui accablait Xénocrate,
disciple préféré et ami de Platon. Cet exemplum métonymique est
assorti d’un raisonnement a fortiori, dont sont coutumiers les auteurs
d’exempla : si les païens savaient le faire, combien mieux le feront les
chrétiens (« E si por el madeziente non pudo ser inclinado nin
induzido este Platón, que era pagano, ¡ cuánto más devía fazer el
cristiano ! ». Vient ensuite la fable (fablilla) du vieux chien devenu
inapte à la chasse (numéro 21) : là se rejoignent les trajectoires de
l’amitié et de l’ingratitude. Le maître est un ingrat : il soigne son
chien quand celui-ci lui rend des services. Il l’abandonne quand,
devenu vieux, l’animal n’est plus d’aucune utilité : « AMOR NULLUS
DURAT NISI FRUCTUS SERVET AMOREM ». L’amitié est souvent
intéressée, malheureusement.
25 Dans le Libro de buen amor 26 , cette fable suit celle du jardinier et de
la couleuvre. Le jardinier est bon et généreux. Il soigne sans
rétribution. Le seigneur est ingrat : il cesse de soigner son chien
quand celui-ci n’est plus utile. La couleuvre est ingrate par sa nature
de couleuvre. Le seigneur est ingrat du fait de sa méchanceté. Le
serpent est le type de l’animal naturellement mauvais, ingrat.
26 Des exempla de type métonymique présentent des hommes eux aussi
naturellement mauvais : « FILII NATURA REQUIRIT NATURAM PATRIS »,
« La natura del padre, verdaderament, / sigue el fijo, esto non miente »
(numéro 175). Krappe le signale dans le Speculum Laicorum
(numéro 552).
27 À ce conte s’oppose celui du chien fidèle qui reste sur la tombe de
son maître après le trépas de celui-ci : « CANIS FIDUM ANIMAL
DICITUR ESSE », « El can es de buena amistad / e de muy grand fieldad »
(numéro 59). Le chien est toujours un modèle de fidélité. Il s’oppose
au serpent. De là vient la faveur du conte « Canis » (Sendebar
numéro 12). De là vient aussi la succession des deux fables du
jardinier et de la couleuvre et du chien devenu vieux dans le Libro de
buen amor. La première fable est narrée par la religieuse doña Garoça
(qui se méfie de Trotaconventos, la vieille entremetteuse). La
seconde fable est la réponse de la vetula, servante fidèle mais
dédaignée, comme le vieux chien.
28 Le thème de l’ingratitude est plus large. Il s’étend à des êtres sans
malice qui oublient le confort et la sécurité un fois revenus ainsi que
les promesses faites au moment du malheur. Les exemples sont
nombreux, mais le conte le plus célèbre est le récit numéro 11 du
Comte Lucanor avec l’histoire de don Yllán, mage de Tolède, et du
doyen de Saint Jacques.
29 Au contraire du serpent, d’autres animaux manifestent de l’amour
pour les leurs ou pour les autres. L’argumentation peut être
entendue a fortiori : si les animaux sont ainsi capables d’amour, a
fortiori l’homme doit se montrer attentif aux besoins des autres :
41 AVES PROXIMOS ECIAM ET EXTEROS AMANT 27
Aves ha que a los suyos son virtuosas / e a los extranos son piadosas.
a. Léyese en el libro De Proprietatibus rerum que las cornejas han tan grande amor
a sus padres que, cuando la vejedat se les caen las prumas e las péndolas,
caliéntanlos con sus propias prumas e los cubren e dánles de comer. Son
reparados e reducidos a su estado, e nacidas sus prumas.
b. E non solamente e amor de las animalias es a los parientes, mas aun a los
extranos, ca en esse mismo libro se leye que el milano, que es muy ligero en el
bolar e sufre much el trabajo, cuando ha de pasar de Espana a Italia, por el gran
amor que ha con los coclillos, pónelos encima de sí e liévalos fasta Italia. E al
tiempo de la tornada assí los trae. E lo que deximos de las cornejas esso mesmo
28
fazen las cigüeñas .
30 L’exemple 186 exprime par son titre ce raisonnement a fortiori :
« GRATA CUM SINT ANIMALIA DEBET POCIUS ESSE HOMO » 29 .
31 Même un animal réputé ingrat – le serpent – peut être exemple de
gratitude : « INGRATITUDINEM ECIAM ANIMALIA BRUTA VITANT »
(« les animaux brutaux évitent également l’ingratitude », numéro
205). L’homme peut être pire que l’animal. C’est ce qu’exprimera
plus tard Jean de La Fontaine, dans la fable « Le jardinier et la
couleuvre » : « INGRATUS EST HOMO MAGIS QUAM ANIMALIA CETERA
BRUTA » (numéro 207).
32 Un thème récurrent des recueils d’exempla est cette idée que
l’homme a une nature dont il est prisonnier : né sous une certaine
étoile, les pronostics de sa naissance se trouvent souvent confirmés :
« FUTURA EX PRONOSTICACIONE ALIQUANDO COGNOSCUNTUR »
(numéro 180, cinq exempla). De sorte que : « HOMO NATURALITER AD
NATURAM SUI GENERIS INCLINATUR » (numéro 189).
33 On me permettra de rappeler sur ce thème le conte du fils du roi
Alcaraz (Libro de buen amor, numéros 123-141) : cinq astrologues
prédisent au fils du roi une mort différente. Les cinq prédictions se
vérifient successivement 30 .
34 À ces contes sur l’amitié et sur la rétribution du bienfait (gratitude et
ingratitude) peuvent être associés les vingt exempla reliés au mot-clé
ELEMOSINA, « l’aumône ». L’aumône est un devoir du chrétien,
comme du musulman. Il est une marque de la pitié, mais aussi du
respect de Dieu.
L’art de conter
41 Pour terminer cette brève présentation d’un important recueil, nous
observerons qu’il contient quelques réflexions sur l’art de conter.
Conter, c’est compter 33 . Du reste, les deux verbes procèdent du
même étymon (computare). Pierre Alphonse avait produit le conte
numéro 12 de sa Disciplina clericalis à cette fin (« Exemplum de rege et
fabulatore suo. De rustico »). L’auteur anonyme du Novellino (Italie,
e
XII siècle) et bien d’autres auteurs jusqu’à Cervantès vont s’en
Conclusion
44 Le Libro de los exemplos por ABC, dont on possède maintenant une
excellente édition, est un recueil riche et varié, instrument de travail
des prédicateurs, émanation d’un vaste réseau de thèmes et
d’histoires, illustrant, par la voie de la métaphore ou de la
métonymie, les sentences et sermons édifiants des prédicateurs.
BIBLIOGRAPHIE
Textes
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1949.
Anonyme, Libro de los gatos, éd. de Bernard Darbord, Paris, Klincksieck, 1984.
Anonyme, Sendebar, éd. María Jesús Lacarra,, Madrid, Gredos, 1989.
Anonyme, Ci nous dit. Recueil d’exemples moraux, publié par Gérard Blangez, Paris, Les Belles
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Jean Gobi, La Scala Coeli de Jean Gobi, éd. Marie-Anne Polo de Beaulieu, Paris, CNRS, 1991.
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Léopold Hervieux, Les Fabulistes latins depuis le siècle d’Auguste jusqu’à la fin du Moyen Âge, 2e
éd., Paris, Firmin-Didot, 1893-1899.
NOTES
1. Bernard Darbord, « Les exempla espagnols : présentation », Les Exempla médiévaux :
nouvelles perspectives », actes du colloque tenu à l’ENS Saint-Cloud, 27-28 septembre 1994,
Paris, Honoré Champion, 1998, p. 177-189.
2. Nous ne parlerons pas des œuvres majeures de la littérature espagnole : le Comte Lucanor
de don Juan Manuel et le Libro de buen amor de l’Archiprêtre de Hita, toutes deux
contemporaines (première moitié du XIVe siècle). Ces deux œuvres comportent nombre des
contes évoqués ici.
3. Pedro Alfonso, Disciplina clericalis, éd. Maríá Jesús Lacarra et Esperanza Ducay, Zaragoza,
Guara, 1980.
4. Victor Chauvin, Bibliographie des ouvrages arabes publiés dans l’Europe chrétienne, tome 9,
1905, p. 1-44. Outil de travail indispensable décrivant les innombrables sources des œuvres
essentielles et résumant méthodiquement la plupart des récits.
5. Ibn al-Muqaffa, Le Livre de Kalila et Dimna, traduit de l’arabe par André Miquel, Paris,
Klincksieck, 1980. La version en espagnol fut composée sur ordre d’Alphonse X le Savant (El
Libro de Calila e Dimna, edición de María Jesús Lacarra, Madrid, Castalia, 1989).
6.Caja china, ensartado. Nous reprenons la description de María Jesús Lacarra, Cuentistica
medieval en Espana : los origenes, Zaragoza, Universidad de Zaragoza, 1979.
7.Sendebar, éd. María Jesús Lacarra,, Madrid, Gredos, 1989.
8. Chauvin, op.cit., tome 8, « Syntipas », 1904.
9. Jean Gobi, Scala Coeli, éd. Marie Anne Polo de Beaulieu, Paris, CNRS, 1991.
10. Dans cette tradition du Syntipas, les récits narrés par les sages et par la marâtre sont
souvent différents. En revanche, le récit-cadre est constant. Le conte « Canis » (Sendebar,
conte numéro 12) apparaît constamment.
11. Bernard Darbord, « Le Roman des sept Sages. Étude d’une tradition en Espagne », Crisol 21,
1996, p. 25-60.
12.Castigos del rey don Sancho IV, éd., introd. et notes de Hugo O. Bizzarri, Vervuert-
Iberoamericana, Frankfurt-am-Main/Madrid, 2001.
13. Clemente Sánchez, Libro de los exemplos por ABC, éd. Andrea Badassari, Pavie, Université
de Pavie, 2005.
14.Libro de los gatos, éd. Bernard Darbord, Paris, Klincksieck, 1984 ; Eudes de Cheriton,
Fabulae, dans Léopold Hervieux, Les Fabulistes latins depuis le siècle d’Auguste jusqu’à la fin du
Moyen Âge, 2e éd., Paris, Firmin-Didot, 1893-1899, tome IV : « Eudes de Cheriton et ses dérivés »,
1896.
15.Espéculo de los legos, éd. José María Mohedano Hernández, Madrid, CSIC, 1949.
16.Esta es la vida del Ysopet con sus fabulas hystoriadas, Zaragoza, Pablo Hurus, 1489. [El
Escorial, Real Biblioteca del Monasterio de San Lorenzo].
17. Voir Fernando Gómez Redondo, Historia de la prosa medieval castellana III, p. 3096-3103.
18. Traduction : « Celui qui donnerait un mauvais conseil, bien sot serait qui le croirait.
On raconte qu’un homme simple eut mal aux yeux. Il demanda conseil à un sien
compagnon : que devrait-il faire pour adoucir la si grande douleur qu’il ressentait ? L’autre
lui dit : “Ôte tes yeux de ta tête et range-les dans ton sac. Dès lors, ils ne te feront plus
souffrir.” Notre homme, s’il avait cru en ce conseil, aurait été sot et aurait perdu ses yeux ».
19. Colloque de Fribourg, les 15-17 octobre 2007 : Tradition des proverbes et des exempla dans
l’Occident médiéval (dir. Hugo Oscar Bizzarri).
20. Juan Manuel, l’auteur du Conde Lucanor (Espagne, XIVe siècle) illustre également son récit
d’un distique disposé à la suite du conte et accompagné d’une image (historia). Menéndez
Pelayo évoque aussi la pratique de l’Hitopadeza (cf. Andrea Baldissera, dans Clemente
Sânchez de Vercial, Libro de los exemplos por ABC, éd. Andrea Badassari, Pavie, Université de
Pavie, 2006, p. 31, note 84). L’Hitopadeza est une sélection de contes sanscrits du Panchatantra
(Ve siècle). Son auteur présumé serait un sage nommé Narayana.
21. Traduction : « L’homme noble et au grand cœur / par les armes vainc et droitement. »
22. Le Libro de los gatos contient une belle version de ce conte des deux compagnons : « Le
véridique et le menteur ». Il s’agit de l’exemple numéro 28 (Libro de los gatos, éd. Bernard
Darbord, Paris, Klincksieck, 1984). Lire aussi El conde Lucanor, de don Juan Manuel, exemple
numéro 25. Il existe une traduction en français : Don Juan Manuel, Le Livre du Comte Lucanor,
trad. et prés. de Michel Garcia, Paris, Aubier, 1995.
23. Les sources des exempla du recueil ont été étudiées par Alexandre H. Krappe, « Les
Sources du Libro de los exemplos », Bulletin Hispanique 39, 1937, p. 5-54. La question est
également largement traitée par Andrea Baldissera, qui exploite en particulier sa
connaissance de l’œuvre de Servasanto da Faenza.
24. Claude Bremond, « Postérité orientale d’un exemplum de Pierre Alphonse », Tipologia de
las formas narrativas breves romanicas medievales, éd. Juan Paredes, Paloma Gracia, Grenade,
Universidad de Granada, 1998, p. 311-381.
25.Décaméron, X, 8 « Qu’un ami véritable est une douce chose ! » (« Histoire de Gisippe et de
Titus, les deux amis ».)
26. Arcipreste de Hita, Libro de buen amor, éd. de G.B. Gybbon-Monypenny, Madrid, Castalia,
1989.
27. Krappe signale pour source Barthélémy l’Anglais, lib XII, cap. 9.
28. Traduction : « a. On lit dans le livre De Proprietatibus rerum que les corneilles ont un
grand amour pour leurs parents. Quand la vieillesse fait tomber les plumes de ceux-ci, elles
les réchauffent de leurs propres plumes, les couvrent et leur donnent à manger. Les parents
se remettent alors et leurs plumes repoussent.
b. L’amour des animaux ne se réduit pas à celui des parents. Il se porte aussi sur les
étrangers. Dans le même livre, on lit que le milan est très léger en vol et supporte bien
l’épreuve. Quand il va d’Espagne en Italie, pour l’amour qu’il a pour les coucous, il les met
sur son dos et les emmène en Italie. Au moment du retour, il les ramène de la même façon.
Ce que nous avons dit des corneilles vaut aussi pour les cigognes ».
29. Krappe cite Aulu-Gelle, les Gesta romanorum, Jacques de Vitry, etc. Il signale aussi Victor
Chauvin, op.cit., II, 107.
30. Sur la question, cf. Félix Lecoy, Recherches sur le Libro de buen Amor, Paris, Droz, 1938,
p. 160-163.
31. Traduction : « L’aumône spirituelle consiste à instruire l’homme simple. »
Un écolier pauvre demanda l’aumône à son maître. L’autre lui répondit : “Mon frère, donne-
moi le prétérit de conquinisco, conquiniscis.” Le pauvre répondit qu’il n’en savait rien. Le
maître lui dit alors : “Le prétérit est conquexi. Voilà mon aumône. Que Dieu te garde” ».
32. On retrouve ce thème dans le Libro de los gatos, deuxième exemplum du chapitre 23
(Friedrich Tubach, Index exemplorum, Helsinki, Folklore Fellows, 1980, numéro 5028).
33. Juan Paredes Núnez, « La estructura del cuento medieval : el marco narrativo », Actas del
II Congreso Internacional de la Asociación Hispánica de Literatura Medieval, Segovia, éd. J. M.
Lucia Megias, P. Gracia Alonso et C. Martin Daza, Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá,
vol. II, 1993, p. 609-618 et « El término cuento en la literatura románica medieval », Bulletin
Hispanique 86-3/4, juill.-déc. 1984, p. 435-451.
34. Le thème est présent dans le Novellino, mais aussi dans le Quichotte : il s’agit du conte de
la pastora Torralba.
35. Le motif figure aussi dans le Décaméron (VI,1, « Un conteur qui s’embrouille »). Un
chevalier raconte si mal une histoire à Madame Oretta que celle-ci le prie de la laisser
descendre de son cheval sans attendre la fin du récit. Merci à Catherine Guimbard pour
cette référence.
36. Le mot fablilla désigne assez souvent la fable. Il peut désigner aussi un proverbe ou toute
autre forme exemplaire. Parfois apparaissent d’autres mots : fablas, parlillas, fazanas,
consejas, pastranas, etc. De la même façon, exemplo peut désigner un exemplum
« métonymique » (parlant des hommes), mais aussi une fable, ou même un proverbe.
37. Traduction : « Le fabuliste préserve de l’ennui et du labeur.
Entendre des fables te relève de tes soucis et de tes préoccupations.
Un roi avait à sa disposition un homme qui, chaque soir, lui racontait cinq fables et
exemples. Une nuit, le roi, pris de soucis, ne pouvait s’endormir. Il lui commanda alors de
raconter plus d’exemples que de coutume. L’autre en narra trois de plus, très courts. Le roi
lui demanda d’en dire d’autres. L’autre refusa, ayant déjà raconté beaucoup de fables. Le roi
reprit : “Tu en as raconté beaucoup, mais elles étaient courtes : je voudrais que tu m’en
racontes une qui fût longue. Ensuite, tu pourras dormir.” Le fabuliste acquiesça, et
commença ainsi : “Un paysan avait mille sols. Il alla à la foire et acheta deux mille moutons,
chacune pour six deniers. Au retour, il vit que l’eau de la rivière qu’il devait franchir avait
monté. Il ne pouvait passer ni par le pont, ni par le gué. Il chercha comment passer. Il
trouva alors un petit bateau. Il y mit deux moutons et passa.” Disant cela, il s’endormit. Le
roi le réveilla, lui demandant d’achever l’histoire qu’il avait commencée. L’autre lui dit
alors : “La rivière était devenue très large. Le bateau était tout petit. Les moutons étaient
très nombreux. Laisse ce paysan transporter ses moutons. Je finirai alors mon histoire.” Le
roi, qui voulait ouïr de longues histoires fut content ».
38.Don Quijote de la Mancha, I, 22.
RÉSUMÉS
Cet article présente un recueil d’exempla espagnols : le Libro de los exemplos por ABC de
Clemente Sánchez de Vercial (XVe siècle). Ses sources ainsi que certains de ses principaux
thèmes (l’amitié et l’aumône) y sont analysés à travers de nombreux extraits.
This article deals with a collection of spanish exempla : the Libro de los exemplos por ABC
written by Clemente Sánchez de Vercial (XVth century). Its sources and some of its main
themes (friendship and charity) are analysed through various excerpts.
Quest’ articolo tratta di una collezione di exempla spagnoli : il Libro de los exemplos por ABC
scritto da Clemente Sánchez de Vercial nel Quattrocento. Le sue fonti e due principali temi
(amicità ed elemosina) sono studiati attraverso molti esempi.
INDEX
Thèmes : Alphabetum narrationum, Ami et Amile, Barlaam et Josaphat, Breve compilación
de las cosas necesarias a los sacerdotes, Caballero Zifar, Calila e Dimna, Castigos e
documentos por bien vivir ordenados por el rey Sancho IV, Conde Lucanor, Confesional,
Contes de Canterbury, Décaméron, Disciplina clericalis, Dolopathos, Don Quichotte,
Espéculo de los legos, Fables de Bidpaï, Fabulae, Historia septem sapientum, Legenda aurea,
Libro de buen amor, Libro de los enganos e assayamientos de las mujeres, Libro de los
estados, Libro de los exemplos por ABC, Libro de los gatos, Libro de los siete sabios de Roma,
Livre des sept sages de Rome, Mille et une Nuits, Novellino, Ordenanzas del hospital de San
Lázaro, Panchatantra, Sacramental, Scala Coeli, Sendebar, Speculum historiale, Speculum
laicorum, Summa de poenitentia, Syntipas, Ysopet historiado, Alcaraz, Cendubete, Damon,
don Quichotte, don Yllán, doña Garoça, Ginés de Pasamonte, Joan, Platon, Pythagore,
Pythias, Trotaconvento, Xénocrate
Keywords : exempla, story, friendship
Mots-clés : exempla, aumône, conte
Parole chiave : amicità, elemosina, exempla, racconto
nomsmotscles Alphonse X le Savant, Arnold de Liège, Augustin (saint), Clemente Sánchez
de Vercial, Diego de Canizares, Ésope, Eudes de Cheriton, Fadrique, Ibn al-Muqaffa, Jacques
de Voragine, Jean Gobi, Jean de Capoue, Jean Hurus, Marcos Pérez, Pierre Alphonse,
Raymond de Béziers, Servasanto da Faenza, Don Juan Manuel (Infant), Vincent de Beauvais
AUTEURS
BERNARD DARBORD
NOTES
1. Dante Alighieri, Vie nouvelle, dans Œuvres complètes, Paris, Presses Universitaires de
France, 1996, vol. II.
2. Dante Alighieri, La Divine Comédie, Œuvres complètes, trad. cit., Purgatoire, XXX, v. 73-75.
3.Ibid., v 124-129.
4.Vie nouvelle, trad. cit., XXXIX.
5.Purgatoire, trad. cit., XXXI, v. 136-139.
6.Divine Comédie, trad. cit., Enfer, I, v. 22-27.
7.Purgatoire, trad. cit., XXXI, v. 22-29, 52-59.
8.Dante Alighieri, Le Banquet, dans Œuvres complètes, trad. cit., II, XII.
9.Ibid., I, I.
10.Ibid., II, I.
11.Enfer, trad. cit., XXVI, v. 141.
12.Banquet, trad. cit., I, III.
13.Dante Alighieri, La Monarchie, dans Œuvres complètes, trad. cit., III, 15.
14.Purgatoire, trad. cit., XXXIII, v. 88-90.
15.Ibid., III, v. 34-39.
16.Enfer, trad. cit., I, v. 1-3.
17.Ibid., II, v. 10-12.
18.Ibid., v. 28-30.
19.Ibid., v. 35.
20.Ibid., v. 76-78.
21.Purgatoire, trad. cit., XVIII, v. 46-48.
22. Ibid, XXXIII, v. 85-90.
23.Ibid., XXXIII, v. 85-90.
24. Dante Alighieri, La Divine Comédie, Œuvres complètes, trad. cit., Paradis, XXVII, v. 64-66.
25. Dante Alighieri, La Vie nouvelle, dans Œuvres complètes, trad. cit., XXXI.
RÉSUMÉS
Cet article retrace le parcours biographique et poétique de Dante en tant qu’itinéraire
orienté vers une renovatio spirituale. Il analyse le rôle que jouent l’amour, la philosophie et la
théologie dans cette rénovation.
This article recounts Dante’s biographical and poetical itinerary considered as oriented
towards a renovatio spirituale. It analyses the role played by love, philosophy and theology in
this renovation.
INDEX
Thèmes : Banquet, Convivio, De l’éloquence en langue vulgaire, De Monarchia, Divina
Commedia, Divine Comédie, De vulgari Eloquentia, Monarchie, Rime estravaganti, Rime
petrose, Vie nouvelle, Vita nuova, Béatrice, Dante, Virgile, Enfer, Purgatoire, Paradis
céleste, Paradis terrestre
Keywords : love, poetry, philosophy, politics, theology, salvation
Parole chiave : amore, poesia, filosofia, politica, teologia, salvezza
nomsmotscles André le Chapelain, Arnaut Daniel, Bertran de Born, Dante, Forese Donati,
Francesca da Rimini, Guido Guinizelli, Jean de Paris
Mots-clés : amour, poésie, philosophie, politique, théologie, salut
AUTEUR
CATHERINE GUIMBARD
Comptes rendus
État de la recherche
Comptes rendus
Essais
Florence Bouchet, Le Discours sur la
lecture en France aux XIVe et XVe
siècles
Champion, « Bibliothèque du XVe siècle » 74, 2008
Robert Deschaux
RÉFÉRENCE
Florence Bouchet, Le Discours sur la lecture en France aux XIVe et
XVe siècles, Paris, Champion, « Bibliothèque du XVe siècle », LXXIV,
2008, 392 p.
1 Issu de l’Habilitation à diriger des recherches obtenue en Sorbonne
(voir Perspectives médiévales 31, p. 129-133), cet ouvrage a pour objet
de « cerner les caractéristiques de la lecture dans la littérature du
Moyen Âge tardif en France ».
2 L’exploration, fondée sur l’examen de plus de cent œuvres, discerne
alors deux pôles fondamentaux de lecture, l’un provenant du
courant courtois, l’autre du courant clérical. Ainsi le livre sert-il
tantôt de passe-temps récréatif, tantôt de source d’enseignement.
Surtout elle révèle l’autorité grandissante que prend le lecteur dans
la création littéraire au moment où la lecture oralisée fait place à la
lecture individuelle, oculaire et silencieuse, et cela aussi bien dans
l’accès matériel au texte que dans la réception de l’œuvre ou
l’élaboration du sens. En est recentrée de la sorte sur la fin du Moyen
Âge, et de façon convaincante, l’émergence des premiers traits qui
caractériseront la lecture moderne : ils sont dans une large mesure
des acquisitions antérieures à la Renaissance du XVIe siècle. En
annexe sont proposés douze extraits de textes fondamentaux de
l’enquête ; bibliographie et index (noms, titres, notions) rendent
l’ouvrage très facilement utilisable.
AUTEURS
ROBERT DESCHAUX
Professeur émérite de littérature du Moyen Âge - Université Stendhal Grenoble III
Caroline Cazanave, D’Esclarmonde à
Croissant. Huon de Bordeaux, l’épique
médiéval et l’esprit de suite
Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007
Elodie Burle-Errecade
RÉFÉRENCE
Caroline Cazanave, D’Esclarmonde à Croissant. Huon de Bordeaux,
l’épique médiéval et l’esprit de suite, Besançon, Presses universitaires de
Franche-Comté, 2007, 300 p.
1 Les trois parties de cet ouvrage, pour un ensemble de neuf chapitres,
ont pour objectif de s’interroger sur le cycle de Huon de Bordeaux et
en particulier sur ses continuations proleptiques narrant une
curieuse histoire de descendance à résoudre, autrement dit ses
suites.
2 L’ouvrage se propose tout d’abord de rassembler et de classer un
corpus particulier à partir du manuscrit T (Turin, LII14) pour faire
apparaître une chronologie de sections (du Roman d’Auberon à Yde et
Olive avec Huon et les Géants), du constat de l’enchevêtrement des
épisodes aux essais d’élucidation des brouillages en suivant le fil
conducteur de la série. L’étude concerne alors les mouvements de la
diffusion et de la réception des séquences dans la littérature
française pour circonscrire le phénomène cyclique d’un point de vue
intertextuel. Cela permet à l’auteur de reconsidérer, à partir des
réflexions antérieures sur l’œuvre, les familles, les sources, les
influences et la chronologie, en dépassant les frontières spatiales
(écho et réminiscence de la littérature indienne par exemple),
génériques (le mélange de la chanson de geste, du roman et du
conte, vers un « modèle épique semi-tardif ») et temporelles (du
e
XIII siècle à la Bibliothèque bleue). L’interrogation sur la stylistique
AUTEURS
ELODIE BURLE-ERRECADE
Maître de conférencres en langue et littérature du Moyen Âge – Université d’Aix-Marseille
Bernard Guidot, Chanson de geste et
réécritures
Paradigme, « Medievalia », Caen, 2008
Valérie Naudet
RÉFÉRENCE
Bernard Guidot, Chanson de geste et réécritures, Caen, Paradigme,
« Medievalia », 2008, 438 pages.
1 Avec ce volume, Bernard Guidot a l’occasion de réunir vingt-cinq de
ses articles, ayant tous pour objet la chanson de geste.
2 Ils permettent de balayer un vaste champ. C’est tout d’abord d’un
point de vue chronologique que l’auteur offre un vaste panorama
puisque il s’intéresse aussi bien aux poèmes de la fin du XIIe siècle et
du XIIIe siècle (« Spiritualité et violence dans Raoul de Cambrai »,
« L’extension cyclique de la Geste des Lorrains : abandons,
résurgences, irradiation », « Aliscans, chanson de la tendresse »…)
qu’aux réécritures postérieures (XVIIIe et XIXe siècles : « Huon de
Bordeaux. L’épisode de l’embuscade liminaire chez Tressan et chez
Delvau » ou « Des bacons comme s’il en pleuvait… Le pathétique dans
un extrait des Quatre fils Aymon à la fin du XIXe siècle »), sans oublier
les mises en prose du XVe siècle (« Formes tardives de l’épopée
médiévale : mises en prose, imprimés, livres populaires » ou « Le
Siège de Barbastre dans le Guillaume d’Orange en prose : l’originalité
dans l’écart »). Mais c’est aussi dans le corpus des textes étudiés que
l’on retrouve la largeur de vue de l’auteur : on trouvera des travaux
sur Raoul de Cambrai, la Geste des Lorrains, Les Quatre Fils Aimon, mais
aussi différentes chansons du Cycle de Guillaume. Un principe
organisateur unifie le tout et guide le lecteur : les articles sont
répartis en six chapitres (« Monde chrétien et monde sarrasin » ;
« Familles et cycles » ; « Regard et points de vue » ; « Imaginaire et
illusion » ; « Fantaisie et humour » ; « Réécritures ») qui témoignent
de l’apport de l’auteur aux grands axes de recherche qui ont occupé
la critique sur les chansons de geste ces dernières années. Quelques
pages liminaires offrent un éclairage théorique sur chacune de ces
sections. Cette mise en perspective rigoureuse d’éléments à l’origine
épars dans différentes revues et dans le temps (les articles ont
presque tous paru entre 1990 et 2001) s’avère pertinente et très utile
pour tous ceux qui s’intéressent aujourd’hui au domaine épique.
AUTEURS
VALÉRIE NAUDET
Maître de conférences en langue et littérature du Moyen Âge – Université d’Aix-Marseille
Roland Guillot, L’Épreuve d’ancien
français aux concours
Paris, Champion, Unichamp-Essentiel, 2008
Valérie Naudet
RÉFÉRENCE
Roland Guillot, L’Épreuve d’ancien français aux concours. Fiches de
vocabulaire, Paris, Champion, Unichamp-Essentiel, 2008, 516 p.
1 Avec plus de 350 fiches de vocabulaire présentées par ordre
alphabétique pour un repérage immédiat, précédées d’une mise au
point méthodologique sur les enjeux et les règles de l’exercice tel
que le conçoivent les concours de recrutement de l’Éducation
nationale (CAPES et agrégation externe de Lettres Modernes), ainsi
que d’une bibliographie, l’ouvrage de Roland Guillot est destiné aux
candidats préparant l’épreuve de lexicologie qui fait partie de l’étude
grammaticale d’un texte antérieur à 1500, mais aussi plus largement
à tout étudiant de Lettres désireux de se former à l’histoire de notre
vocabulaire.
2 Chaque fiche retrace donc, de manière rédigée, l’évolution
sémantique d’un mot depuis son étymon jusqu’au français moderne,
prenant soin de détailler l’usage en langue du Moyen Âge,
notamment grâce à la mention de mots de la même famille
morphologique ou sémantique. On trouvera les grands classiques
attendus comme chevalier, talent ou garder et ses composés, mais
également des termes moins courants comme duire, flun ou pair. Un
index des mots traités placé en fin de volume permet un usage aisé
de ce gros manuel.
INDEX
Mots-clés : lexique, ancien français
Keywords : vocabulary, old French
Parole chiave : lessico, medio francese
AUTEURS
VALÉRIE NAUDET
Maître de conférences en langue et littérature du Moyen Âge – Aix-Marseille université
Fabienne Jan, De la dorveille à la
merveille. L’imaginaire onirique dans
les lais féeriques des XIIe et XIIIe siècles
Lausanne, Archipel, « Essais », 2007
Valérie Gontéro-Lauze
RÉFÉRENCE
Fabienne Jan, De la dorveille à la merveille. L’imaginaire onirique dans les
lais féeriques des XIIe et XIIIe siècles, postface d’Alain Corbellari,
Lausanne, Archipel, « Essais », 2007, 168 p.
1 Cet essai porte sur l’onirisme latent des lais, question souvent
abordée par les critiques mais jamais véritablement approfondie, et
intimement liée à celle du merveilleux. Le corpus est constitué des
Lais de Marie de France et de la plupart des lais anonymes des XIIe et
XIIIe siècles. L’onirisme caché des lais – considéré sous son double
AUTEURS
VALÉRIE GONTÉRO-LAUZE
Maître de conférences en langue et littérature du Moyen Âge – Université d’Aix-Marseille
Cristina Noacco, La Métamorphose
dans la littérature française des XIIe et
e
XIII siècles
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008
Valérie Naudet
RÉFÉRENCE
Cristina Noacco, La Métamorphose dans la littérature française des XIIe et
XIIIe siècles, préface de Christine Ferlampin-Acher, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2008, 286 p.
1 Version remaniée d’une thèse de doctorat, l’ouvrage retrace
l’évolution du motif de la métamorphose, essentiel dans la
littérature narrative du Moyen Âge, depuis l’Antiquité.
2 Une première partie fait le point sur les différentes sources
(Antiquité gréco-latine, mythologies nordique, celtiques, apport du
christianisme) dans lesquelles ont puisé les médiévaux avant de
s’attacher à l’écriture même du motif dans la littérature du Moyen
Âge (vocabulaire, figures, images). La deuxième partie explore les
métamorphoses profanes et païennes, distinguant les
métamorphoses irréversibles comme celles de Philomena ou de
Pyrame et Thisbé (la figure de Narcisse est l’occasion d’une étude du
Roman de la Rose), les métamorphoses réversibles (la guivre du Bel-
Inconnu, le loup-Garou) et celles qui sont maîtrisées par leur auteur
(Le Chevalier au Cygne, Yonec, etc.). La troisième partie est consacrée
aux enjeux chrétiens de la métamorphose, centrée sur les muances
diaboliques avant d’en venir au Christ et au Graal, mais aussi aux
miracles impliquant une métamorphose. Une impressionnante
bibliographie accompagne cette étude, soulignant la belle ampleur
du corpus travaillé par l’auteur. Des index (œuvres et auteurs du
corpus, thèmes et motifs) complètent heureusement l’ensemble et en
permettent un maniement aisé. On trouvera également seize pages
de reproductions iconographiques venant illustrer tel ou tel point du
raisonnement. Ce cahier en couleur enlumine joliment ce volume.
Grâce à cette étude sur un motif important de la littérature du
Moyen Âge classique, mais qui jusque-là n’avait pas fait l’objet d’une
synthèse, l’auteur nous propose de relire sous un angle nouveau des
textes fondamentaux comme les Lais de Marie de France, le Roman de
la Rose ou les grands textes arthuriens.
AUTEURS
VALÉRIE NAUDET
Maître de conférences en langue et littérature du Moyen Âge – Université d’Aix-Marseille
État de la recherche
Comptes rendus
Ouvrages collectifs
Guillaume le Conquérant face aux
défis
Paradigme, « Medievalia » 66, Orléans, 2008
Robert Deschaux
Huguette Legros (éd.)
RÉFÉRENCE
Guillaume le Conquérant face aux défis, études réunies par Huguette
Legros, Medievalia 66, éditions Paradigme, Orléans, 2008, 200 p.
1 Sous un titre faisant allusion aux épreuves que dut affronter
Guillaume, « bâtard » avant de devenir « conquérant », sont
rassemblées en ce volume les onze études présentées en septembre
2005 au colloque de Dives-sur-mer, base de départ de la flotte
normande en 1066.
2 Organisé par l’association « Culture et Patrimoine en Normandie »
avec le soutien de l’Université de Caen, il réunit autour d’érudits
locaux des universitaires français et anglais dont les exposés
traitèrent des trois thèmes retenus : bâtardise de Guillaume et ses
effets, relation entre vérité historique et légende, mémoire de l’écrit
confrontée à la mémoire des lieux. La préface d’Huguette Legros
résume avec clarté l’apport de chaque contribution et conclut que
l’image de Guillaume fut multiple : à la fois symbole de l’union anglo-
normande et héros devenu légendaire et romanesque dont le
souvenir demeure une reconstruction « où l’imaginaire se veut plus
vrai que le factuel ».
AUTEURS
ROBERT DESCHAUX
Professeur émérite de littérature du Moyen Âge - Université Stendhal Grenoble III
La Lettre dans la littérature romane
du Moyen Âge
Orléans, Paradigme, 2008
Michèle Gally
Sylvie Lefèvre (éd.)
RÉFÉRENCE
La Lettre dans la littérature romane du Moyen Âge, études réunies par
Sylvie Lefèvre, Orléans, Paradigme, 2008.
NOTE DE L'AUTEUR
Ouvrage collectif qui constitue les actes de journées d’étude à l’ENS-
Paris (10 et 11 octobre 2003) qui concluaient un séminaire sur « la
lettre ».
INDEX
Thèmes : Héroïdes, Voir Dit, Tristan en prose, Miracles de Notre-Dame
Mots-clés : lettre
Keywords : letter
Parole chiave : lettera
AUTEURS
MICHÈLE GALLY
Robert Deschaux
Laurence Harf-Lancner, Laurence Mathey-Maille et Michelle Szkilnik (éd.)
RÉFÉRENCE
Ovide métamorphosé. Les lecteurs médiévaux d’Ovide, études réunies par
Laurence Harf-Lancner, Laurence Mathey-Maille et Michelle
Szkilnik, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2009, 244 p.
AUTEURS
ROBERT DESCHAUX
Professeur émérite de littérature du Moyen Âge - Université Stendhal Grenoble III
Palimpsestes épiques. Récritures et
interférences génériques
Paris, PUPS, 2006
Valérie Naudet
Dominique Boutet et Camille Esmein-Sarrazin (éd.)
RÉFÉRENCE
Palimpsestes épiques. Récritures et interférences génériques, études
réunies par Dominique Boutet et Camille Esmein-Sarrazin, Paris,
PUPS, 2006, 380 p.
et du XVe siècle.
5 La quatrième section de ce recueil s’intéresse au renouvellement des
poétiques. Camille Esmein-Sarrazin et Sabine Gruffat s’arrêtent sur
des textes du XVIIe siècle, la première montrant comment le genre
épique sert de pierre de touche à l’élaboration de la poétique
romanesque de l’âge classique, quand la seconde, à partir de l’Adonis
de Jean de la Fontaine, étudie comment l’héroïsme s’adoucit et se
tempère. Avec l’œuvre du contemporain Joseph Delteil, Marie-
Françoise Lemonnier-Delpy montre comment on peut encore écrire
une épopée au XXe siècle. Quant à Jean-François Lattarico, Benjamin
Pintiaux et Thimothée Picard, ils s’attachent aux liens que l’épopée
et l’opéra tissent ensemble depuis l’âge baroque jusqu’à Wagner.
6 Ce recueil intéresse aussi bien les antiquisants, que les médiévistes,
les spécialistes des âges classiques que ceux de la littérature
contemporaine, sans oublier les comparatistes et les musicologues. Il
parle à tous les amateurs de l’épopée dont il s’attache à montrer la
force vitale à travers les siècles.
État de la recherche
Comptes rendus
Valérie Naudet
François Suard (éd.)
Traduction : François Suard
RÉFÉRENCE
Aspremont. Chanson de geste du XIIe siècle, présentation, édition et
traduction de François Suard d’après le manuscrit 25529 de la BNF,
Paris, Champion, « Classiques », 2008, 748 p.
AUTEURS
VALÉRIE NAUDET
Maître de conférences en langue et littérature du Moyen Âge – Université d’Aix-Marseille
Professeur de littérature du Moyen Âge – Université d’Aix-Marseille
La Chanson de Guillaume
Le Livre de Poche, Librairie Générale Française, Paris, 2008
Robert Deschaux
François Suard (éd.)
Traduction : François Suard
RÉFÉRENCE
La Chanson de Guillaume, texte établi, traduit et annoté par François
Suard, Le Livre de Poche, Librairie Générale Française, « Lettres
gothiques » 4576, Paris, 2008, 358 p.
1 Ce poème de 3554 vers, conservé à Londres dans un manuscrit
délabré du XIIe siècle, relate le conflit à rebondissements qui oppose
Guillaume, de Barcelone ou d’Orange, aux envahisseurs sarrasins de
Déramé.
2 François Suard en propose pour « Lettres Gothiques » une nouvelle
édition, après celle qu’il fit paraître en 1991 aux Classiques Garnier
(voir Perspectives médiévales 20, p. 123-124). Compte est tenu des
observations formulées par la critique comme des travaux parus
depuis lors. La réédition n’en mérite que davantage le jugement
élogieux de Gilles Roques (Revue des langues romanes, 1992, VI,
p. 621) : « édition de référence […], outil parfait » pour aborder le
texte d’une de nos plus émouvantes chansons de geste.
AUTEURS
ROBERT DESCHAUX
Professeur émérite de littérature du Moyen Âge - Université Stendhal Grenoble III
La Chanson de Walther. Waltharii
poesis
ELLUG, « Moyen Âge européen », Grenoble, 2008
Robert Deschaux
Traduction : Sophie Albert, Silvère Menegaldo et Francine Mora
RÉFÉRENCE
Waltharii poesis, texte présenté, traduit et annoté par Sophie Albert,
Silvère Menegaldo et Francine Mora, ELLUG, « Moyen Âge
européen », Grenoble, 2008, 166 pages.
AUTEURS
ROBERT DESCHAUX
Professeur émérite de littérature du Moyen Âge - Université Stendhal Grenoble III
Eilhart von Oberg, Tristrant et Isald
Champion, « Traductions des classiques du Moyen Âge » 80, Paris,
2007
Robert Deschaux
Traduction : Danielle Buschinger
RÉFÉRENCE
Eilhart von Oberg, Tristrant et Isald, traduit en français moderne par
Danielle Buschinger, Champion, « Traductions des classiques du
Moyen Âge » 80, Champion, Paris, 2007, 244 p.
Valérie Gontéro-Lauze
Traduction : Aimé Petit
RÉFÉRENCE
Le Roman de Thèbes, édition bilingue, publication, traduction,
présentation et notes par Aimé Petit, Paris, Champion, « Champion
Classiques » 25, 2008, 678 pages.
1 Cette nouvelle édition du Roman de Thèbes reprend, en la modifiant et
en l’étoffant considérablement, l’édition Raynaud de Lage
(« Classiques Français du Moyen Âge » 94 et 98).
2 Très complète, l’introduction fait le point sur la traduction
manuscrite de l’œuvre et sur les précédentes éditions, puis propose
une étude philologique du manuscrit de référence (Paris,
Bibliothèque nationale de France, fr. 784, sigle C) ; une étude
littéraire de l’œuvre et de sa postérité s’accompagne d’une analyse
détaillée du roman ; pour finir sont présentées les techniques de
traduction retenues. L’introduction est suivie d’une riche
bibliographie. Le texte, avec sa traduction en regard, est éclairé par
des notes relatives à la littérature et à la société de l’époque. Des
variantes, un index des noms propres, un important glossaire et une
table des matières complètent utilement l’édition. Cet ouvrage, qui a
le mérite de remettre au goût du jour une version manuscrite
capitale du Roman de Thèbes, se nourrit des recherches et des
connaissances d’Aimé Petit, spécialiste de la matière antique.
AUTEURS
VALÉRIE GONTÉRO-LAUZE
Maître de conférences en langue et littérature du Moyen Âge – Université d’Aix-Marseille
État de la recherche
Positions de thèse
Sophie Albert, « Ensemble ou par
pieces ». Guiron le Courtois (XIIIe-XVe
siècles). La cohérence en question
Thèse de doctorat préparée sous la direction de Mme Jacqueline
Cerquiglini-Toulet, soutenue le 21 juin 2008 à l’université Paris-
Sorbonne
Sophie Albert
RÉFÉRENCE
Sophie Albert, « Ensemble ou par pieces ». Guiron le Courtois (XIIIe-XVe
siècles). La cohérence en question, thèse de doctorat préparée sous la
direction de Mme Jacqueline Cerquiglini-Toulet, soutenue le 21 juin
2008 à l’université Paris-Sorbonne
NOTE DE L’ÉDITEUR
Jury composé de Mesdames et Messieurs Dominique Boutet
(professeur à l’université Paris-Sorbonne), Jacqueline Cerquiglini-
Toulet (professeur à l’université Paris-Sorbonne), Christine
Ferlampin-Acher, (professeur à l’université de Rennes II), Donald
Maddox (professeur à l’université du Massachusetts), Jean-Claude
Schmitt, (Directeur d’études à l’EHESS) et Richard Trachsler (Maître
de Conférences habilité à l’université de Paris-Sorbonne). Mention
très honorable avec les félicitations du jury à l’unanimité.
1 Sous l’étiquette commode de Guiron le Courtois, on désigne une
nébuleuse de manuscrits et de textes en prose largement inédits,
dont les rédactions s’échelonnent entre les années 1235-1240 et le
dernier tiers du XVe siècle. Rattaché, d’un point de vue thématique, à
la matière de Bretagne, Guiron le Courtois met en scène des héros
situés une génération avant l’heure de gloire d’Arthur et de la Table
Ronde : l’action prend place à l’époque des « pères ».
2 Les copistes médiévaux ont donné des titres divers à cette
nébuleuse : roman de Palamède, de Guiron le Courtois ou, plus
rarement, de Meliadus de Leonois. Ces désignations fluctuantes
trahissent une certaine indécision quant au contenu de Guiron le
Courtois. Elles invitent à interroger la cohérence des textes réunis
sous ce titre, afin de déterminer dans quelle mesure ils ont pu être
lus, copiés ou composés « ensemble ou par pieces ».
3 Cette formule apparaît au f° 358d du manuscrit de Paris,
Bibliothèque nationale de France, fr. 350, à la fin de la version de
base de Guiron le Courtois. Elle pose la question de l’unité de l’œuvre.
De fait, le manuscrit 350 apparaît comme la juxtaposition de
différentes « pièces ». En particulier, au f° 140r°, le texte
s’interrompt au milieu d’une colonne, pour faire place à un blanc
d’un feuillet et demi. Quand il reprend, après un changement de
main et de cahier (f° 142v°), il est introduit par une miniature qui
dépasse par ses dimensions toutes les autres illustrations du volume.
Alors débute un récit fort mal raccordé à ce qui précède. Cette
rupture narrative autant que matérielle indique l’existence de deux
« pièces » principales, également attestée par six autres témoins de
Guiron le Courtois.
4 À chacune de ces « pièces » correspond, sur le plan narratif, un
contenu distinct : après un récit centré sur le roi Meliadus, Guiron
surgit sans crier gare, pour occuper durablement le devant de la
scène (respectivement § 1-51 et § 52-132 de l’ouvrage de Roger
Lathuillère, « Guiron le Courtois ». Étude de la tradition manuscrite et
analyse critique, Genève, Droz, 1966). J’ai choisi d’identifier chaque
ensemble textuel par le nom de son héros, Roman de Meliadus et
Roman de Guiron. Au cours du Moyen Âge, ces deux romans ont été
intégrés à divers assemblages. Selon quelles logiques les « pièces » de
ces assemblages trouvent-elles à s’articuler ? La question se pose au
niveau de la facture des manuscrits, au niveau des frontières
assignées à l’œuvre et, dans le cadre de romans arthuriens, au niveau
de la constitution du récit.
5 Ce dernier aspect, à son tour, en embrasse plusieurs. Pour que
puissent exister une continuité et une cohérence narratives entre
différents récits, il faut d’abord que leurs temporalités entrent en
adéquation. Il faut ensuite que concordent leurs univers ou mondes
de fiction, selon la terminologie d’Umberto Eco et de Thomas Pavel.
L’organisation de ces mondes de fiction, enfin, dépend étroitement
de structures idéologiques spécifiques ; j’entends par là l’adhésion
plus ou moins consciente à un certain nombre de valeurs, ordonnées
éventuellement en système. Dans un roman arthurien, ces valeurs ne
peuvent manquer de rejaillir sur le statut du chevalier errant – sur
ses rapports au roi, aux autres membres du corps social, aux autres
types de guerriers.
6 Selon cette perspective, la fiction véhicule un ordre des valeurs qui
contribue à l’ériger en discours singulier. Pour saisir pleinement
cette singularité, il convient de resituer le texte littéraire dans son
contexte historique, et de le confronter aux autres discours en
présence. Mon travail s’inscrit par conséquent dans une visée
comparatiste : j’essaie d’appréhender les « pièces » de Guiron dans
leurs relations, apaisées ou conflictuelles, avec d’autres productions
culturelles contemporaines. À cet effet, j’ai notamment recours aux
outils de l’anthropologie sociale et juridique et aux travaux des
historiens médiévistes. L’enjeu est de montrer que le texte littéraire
a toute sa légitimité dans une histoire anthropologique des
représentations.
7 Le corpus découle de mon objet : étudier la version de base de Guiron
le Courtois et ses « mises en cycle », soit le Roman de Meliadus, le Roman
de Guiron et leurs remaniements. L’ensemble totalise une quinzaine
de copies, distribuées sur plus de vingt manuscrits.
8 La première partie, « L’ordre des faits », examine les procédés de
soudure et de rupture, de césure et de lien dont témoignent les
manuscrits, à partir d’une question centrale dans la constitution
d’un cycle romanesque : celle de la temporalité.
9 Le premier chapitre considère le traitement du temps au sein de
chaque ensemble romanesque. L’action du Roman de Meliadus vient
s’insérer dans un cadre temporel emprunté au Lancelot et au Tristan
en prose ; cette dimension intertextuelle s’observe aussi bien pour la
construction d’un temps politique (histoire des guerres et des
royaumes) que pour la construction biographique des personnages.
À l’inverse, le Roman de Guiron apparaît comme une vaste parenthèse,
qui se passe presque totalement de références aux repères temporels
définis par les avant-textes ; ses héros, inédits, connaissent des
destinées inachevées, sans passé et sans avenir.
10 Le chapitre II tente de déterminer dans quelle mesure la composition
de Guiron le Courtois, depuis les témoins les plus anciens jusqu’aux
manuscrits des XIVe et XVe siècles, procède d’une intention cyclique.
Dans la version de base, les seuls indices d’un lien chronologique
entre les deux romans se concentrent aux seuils du Roman de Guiron.
On relève ainsi, au début de ce second roman, quelques allusions à
l’intrigue du Roman de Meliadus. Toutefois ce début, qui entre en
contradiction avec plusieurs données du Roman de Meliadus, peut
difficilement constituer une « suite » satisfaisante. Aussi plusieurs
remanieurs réécrivent-ils la version de base de manière à relier les
deux romans par une véritable transition. Ils cherchent d’autre part
à combler les silences du Roman de Guiron. Pour ce faire, ils ajoutent à
la version de base des prologues qui racontent les « enfances » de
Guiron et incluent son parcours dans une trame historiographique.
Enfin, la fin du Roman de Guiron ouvre sur l’histoire de la génération
suivante, léguant un programme narratif aux continuateurs ; ceux-ci
ont rempli ce programme selon des logiques diverses, biographique
ou généalogique. En élaborant, au fur et à mesure des additions et
des réécritures, un cycle romanesque, les remanieurs font montre
d’un souci de complétude. Mais complétude ne vaut pas cohérence,
et leurs ajouts laissent percer la sédimentation de plusieurs strates
textuelles, correspondant à des mondes de fiction parfois
hétérogènes.
11 Les développements de cette première partie ressortissent à l’ordre
des faits : ils se fondent sur le relevé de données factuelles, analysées
selon une approche essentiellement narratologique. Les deux parties
suivantes adoptent une perspective légèrement différente. Il s’agit
de lire les textes à la lumière de l’anthropologie, afin d’en déceler les
systèmes de représentation sous-jacents.
12 La seconde partie, « L’ordre des valeurs », étudie les structures
idéologiques de Guiron le Courtois. Dans la mesure où chaque roman
de la version de base, sous ce rapport, fait système, j’étudie
séparément le Roman de Meliadus (chapitre III) et le Roman de Guiron
(chapitre IV). De mes analyses, il ressort que les deux romans
illustrent la nocivité de l’amour. Mais tandis que le Roman de Meliadus
se contente de mettre en échec la viabilité de l’amour courtois, la
critique s’étend à la femme dans le Roman de Guiron : ce roman
déploie un discours nettement misogyne, qui s’appuie sur des
structures exemplaires héritées de la tradition cléricale. Pour le
reste, les deux romans s’opposent diamétralement. Alors que le
Roman de Meliadus promeut des liens situés sur l’axe vertical – lien
hiérarchique entre le roi et le héros, lien généalogique entre le héros
et son fils – ces liens sont systématiquement battus en brèche dans le
Roman de Guiron. En revanche, ce roman met au premier plan un lien
horizontal, l’amitié virile du compagnonnage.
13 Par-delà ces divergences, les deux romans s’accordent pour mettre
en scène un univers « mondain » et un univers de guerriers où les
liens d’homme à homme tiennent la première place. Aussi la
dernière partie traite-t-elle de « l’ordre des guerriers », entendu de
deux manières : d’une part, l’ordre en tant que groupe social
distinct, en tant que « classe » ; d’autre part, l’ordre comme système
interne de hiérarchisation. Cet ordre, aux deux sens du terme, se
rejoue continûment à travers des moments de crises qui revêtent la
forme de différents conflits. Deux types de conflits s’avèrent à cet
égard particulièrement pertinents : les histoires de vengeance et de
mauvaises coutumes.
14 Le chapitre V traite du système vindicatoire. Il met d’abord en
évidence des lois de fonctionnement communes aux deux romans de
la version de base. La vengeance établit et conforte les hiérarchies
ontologiques entre « bons chevalier », géants et chevaliers
« estranges » ; les conflits entre « bons chevaliers » aboutissent non
à des effusions de sang, mais à un pardon dépourvu de toute
coloration chrétienne. Les distinctions entre les deux romans sont de
l’ordre de la nuance : là où le Roman de Meliadus présente une
certaine officialisation de la vengeance, qui s’expose publiquement
au cœur de la cité, les héros du Roman de Guiron résolvent leurs
conflits en privé, sur les chemins de l’errance. Par ailleurs, le Roman
de Guiron invente avec le personnage de Galehaut le Brun une
pratique inédite de la vengeance, qui résiste à toute classification :
incarnation d’une hybris positive, Galehaut se livre à des vengeances
cruelles et démesurées, glorifiées cependant par l’auteur et par ses
personnages.
15 Le chapitre VI s’attache aux récits expliquant l’origine de péages que
le roman, reprenant une expression latine, nomme des « mauvaises
coutumes ». Deux modèles majeurs de récits d’origine se dégagent,
centré chacun autour d’un fondateur distinct. Dans les récits du
Roman de Meliadus, c’est d’abord une offense du roi Uterpandragon,
qui appelle réparation ; ensuite, une vengeance donnant naissance à
la coutume ; enfin, l’abolition de la coutume, à la génération
suivante, par un héros providentiel. Ces récits confirment
Uterpandragon dans le rôle de perturbateur que lui confèrent les
histoires de coutumes du Lancelot et du Tristan. Le modèle adopté
dans les récits étiologiques du Roman de Guiron est passablement
différent : à l’origine, non pas un péché du roi, mais l’exploit d’un
chevalier, Galehaut le Brun ; ensuite, non pas une vengeance, mais la
perpétuation de l’exploit ; enfin, des coutumes dont l’abolition n’a
pas cours dans l’espace du récit. La logique de ces récits a été
diversement comprise par les remanieurs : en inventant ou en
réécrivant des histoires de coutumes, ils combinent les deux modèles
de la version de base, les adaptent ou les bouleversent, pour créer un
nouvel ordre des guerriers.
16 Ces deux chapitres complètent les conclusions de la seconde partie.
L’ordre des guerriers du Roman de Meliadus permet de penser la place
du roi, roi vengeur, pécheur ou humilié, toujours inférieur en valeur
au chevalier errant ; plus radicalement, l’ordre des guerriers du
Roman de Guiron est un ordre sans royauté.
17 Ainsi, les deux romans de la version de base présentent des
divergences notables, que ce soit par leur traitement de la
temporalité, par leur rapport aux avant-textes ou par les liens
sociaux qu’ils promeuvent. Ils se rejoignent néanmoins dans
l’illustration de valeurs « mondaines » et aristocratiques, qui
tranchent tant avec les fictions théologiques des romans du Graal
qu’avec le développement contemporain de discours et d’institutions
proprement monarchiques. Ce constat autorise à qualifier Guiron le
Courtois de roman chevaleresque, au sens plein du terme : roman
écrit pour exalter les vertus de la chevalerie, sans les clercs et contre
le roi. Quant aux remaniements tardifs du Roman de Guiron, ils
montrent que l’intégration de ce second roman à un cycle plus vaste
implique une mise aux normes, narrative et idéologique, de la
matière originelle ; ils désignent par là la spécificité de ce texte
autarcique.
18 Les annexes présentent l’édition de plusieurs extraits du Roman de
Guiron. Afin de dresser un stemma de la tradition manuscrite, je
présente conjointement les transcriptions de trois témoins : les
manuscrits de Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 350, de
Marseille (Bibliothèque municipale, 49.120) et de Privas (Archives
Départementales de l’Ardèche, n° I [F. 7]). Ces transcriptions
permettent de distinguer deux familles principales. Il apparaît que le
manuscrit 350, situé à l’intersection entre les deux familles, ne
saurait en aucune façon constituer, sur le plan philologique, un texte
de base satisfaisant.
INDEX
Thèmes : Lancelot-Graal, Lancelot en prose, Tristan en prose, Roman de Guiron, Roman de
Guiron le Courtois, Roman de Meliadus, Galehaut le Brun, Uterpandragon
Parole chiave : ciclo, guerriero, vendetta
Mots-clés : cycle, guerrier, vengeance
Keywords : cycle, warrior, revenge
Dominique Ancelet-Netter,
L’Analyse sémantique du vocabulaire
économique et financier de 1355 à
1405 à partir des Miroirs des
Princes et du Traité de la première
invention des monnaies de Nicole
Oresme
Thèse de doctorat ès Arts, spécialité Lettres Modernes de l’Institut
Catholique de Paris sous la direction de Mme Nathalie Nabert,
soutenue le 29 Janvier 2008 à l’Institut Catholique de Paris
Dominique Ancelet-Netter
RÉFÉRENCE
Dominique Ancelet-Netter, L’Analyse sémantique du vocabulaire
économique et financier de 1355 à 1405 à partir des Miroirs des Princes et
du Traité de la première invention des monnaies de Nicole Oresme,
thèse de doctorat ès Arts, spécialité Lettres Modernes de l’Institut
Catholique de Paris sous la direction de Mme Nathalie Nabert,
soutenue le 29 janvier 2008 à l’Institut catholique de Paris
NOTE DE L’ÉDITEUR
Jury composé de Mme Nathalie Nabert (Doyen honoraire de l’Institut
Catholique de Paris) et de MM. Olivier Soutet (professeur à
l’université Paris-Sorbonne) et Denis Menjot (professeur à
l’université de Lyon II). Mention « Summa cum laude », Excellence.
INDEX
Parole chiave : denaro, economia, lessico, registro contabile, specchio del principe
Keywords : money, economics, vocabulary, account ledger, mirror for princes
Mots-clés : argent, économie, lexique, livre de comptes, miroir du prince
Thèmes : Traité des monnaies, Songe du vieil pèlerin, Songe du vergier, Livre des fais et
bonnes mœurs du sage roy Charles V
Magaly Del Vecchio-Drion, La
Prise de Cordres et de Sebille,
chanson de geste du XIIIe siècle, édition
d’après le ms. BN fr. 1448, étude
littéraire et traduction
Thèse de doctorat préparée sous la direction de M. Bernard Guidot,
soutenue le 17 juin 2008 à l’université de Nancy II
RÉFÉRENCE
Magaly Del Vecchio-Drion, La Prise de Cordres et de Sebille, chanson
de geste du XIIIe siècle, édition d’après le ms. BN fr. 1448, étude littéraire et
traduction, thèse de doctorat préparée sous la direction de M.
Bernard Guidot, soutenue le 17 juin 2008 à l’université de Nancy II
NOTE DE L’ÉDITEUR
Jury composé de Mesdames Muriel Ott (Maître de conférences
habilitée à diriger des recherches à l’université de Dijon), Sylvie
Bazin-Tacchella (professeur à l'université Nancy II) et de Messieurs
Jean-Claude Vallecalle (professeur à l'université Lyon II-Lumière),
Claude Roussel (professeur émérite à l’université Blaise Pascal-
Clermont II). Mention très honorable à l'unanimité du jury.
1 La Prise de Cordres et de Sebille appartient au Cycle de Guillaume
d’Orange, plus précisément, au Cycle des Narbonnais. Cet ensemble
de chansons, qui se situe au moment des enfances de Guillaume,
narre les exploits des frères du comte d’Orange après ce que l’on a
coutume d’appeler le « département des fils Aymeri » et comprend
les textes suivants : Aymeri de Narbonne, Narbonnais, Siège de Barbastre,
Mort Aymeri de Narbonne. À ce noyau s’ajoutent Guibert d’Andrenas et
La Prise de Cordres et de Sebille.
2 Mais bien qu’appartenant à ce grand cycle épique, La Prise de Cordres
et de Sebille souffre depuis de nombreuses années d’un manque cruel
d’intérêt, comme le prouve l’absence d’édition récente et d’articles
lui étant consacrés. Il n’est qu’à lire l’analyse rapide et sévère qu’en a
fait Jean Frappier (Les Chansons de geste du Cycle de Guillaume d’Orange,
Paris, SEDES, tome I, 1955, p. 33-34) : « La Prise de Cordres et de Sebille
[...] est une suite de Guibert d’Andrenas. Suite qui n’avait rien
d’indispensable et ne s’accorde pas très bien avec la chanson
précédente, puisque l’auteur a cru bon de ressusciter le roi Judas (on
se rappelle que ce païen, se fiant très imprudemment à la toute-
puissance de Mahomet, s’était jeté du haut d’une tour). Voilà donc
Judas qui reparaît à la tête d’une armée sarrasine le jour des noces de
Guibert et de Gaiete. Les Français sont surpris. Le vieil Aymeri réussit
à mettre la mariée en lieu sûr, mais Guibert, Guillaume, Hernaut et
Bertrand sont faits prisonniers. Guibert est conduit et enfermé à
Séville, tandis que les trois autres captifs gémissent à Cordoue dans
un horrible cachot où pullulent serpents et crapauds. Par bonheur, la
Sarrasine amoureuse et providentielle, dont le public de l’époque
devait attendre l’intervention avec confiance, remplit à la perfection
son rôle inévitable : la belle Nubie, fille de l’ « almaçour » de
Cordoue, idolâtre Bertrand ; l’amour lui inspire toutes les ruses et
toutes les audaces nécessaires à la délivrance des prisonniers et à la
victoire des chrétiens. Folles équipées, combats féroces, sièges,
duels, incognitos et reconnaissances, tout est bien qui finit bien.
Nubie et son père se convertissent ; Bertrand épouse Nubie et
devient seigneur de Cordoue ; Guibert est libéré lui aussi après avoir
triomphé en combat singulier d’un Sarrasin nommé Butor ; il
retrouve Gaiete et reprend possession de son fief d’Andrenas ». Le
résumé donne au texte un aspect caricatural et l’on en vient à se dire
que la chanson n’est qu’une reprise dégradée et bouffonne, aussi
bien de son modèle Guibert d’Andrenas que des topoï épiques les plus
conventionnels.
3 La Prise de Cordres et de Sebille souffre donc non seulement de la
comparaison avec Guibert d’Andrenas, mais aussi de son appartenance
au Cycle de Narbonne, longtemps considéré comme un « sous-
produit » du Cycle de Guillaume (ce terme est de Joël Grisward qui
résume bien cette vue réductrice de la critique concernant le « petit
cycle » dans L’Archéologie de l’épopée médiévale, Paris, Payot, 1981,
p. 17-18) et qui a amené à voir dans ces chansons des « récits
marginaux », selon l’expression de Madeleine Tyssens (La Geste de
Guillaume d’Orange dans les manuscrits cycliques, Paris, Belles Lettres,
1967, p. 363).
4 La désaffection de la critique pour la Prise tient pour une bonne part
à l’état dans lequel elle nous est parvenue : figurant dans le seul
manuscrit D (conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la
cote fr. 1448) elle est, de plus, inachevée ! Ainsi, la seule édition
publiée à ce jour est celle établie par Ovide Densusianu en 1896. Cette
édition est le fait d’un érudit consciencieux et bien souvent intuitif
quant à ses propositions de corrections, mais elle ne répond
malheureusement plus aux exigences modernes d’édition.
5 L’édition que nous proposons est accompagnée de notes variées
(historiques, culturelles, philologiques, littéraires), d’un glossaire,
d’un index des noms propres et d’une ample bibliographie. L’édition
est précédée d’une introduction comportant les rubriques attendues
(description détaillée du ms. D, critique des éditions antérieures,
principes d’édition, proposition de datation, étude de la
versification, analyse du poème, étude de la langue du ms.). Une
partie de cette introduction est consacrée à un état des lieux des
problèmes et difficultés liés à l’unicité de la chanson, à sa place dans
le ms. D et à son rapport complexe avec Guibert d’Andrenas. En effet,
dans tous les manuscrits cycliques, les chansons du Siège de Barbastre
et de Guibert d’Andrenas se suivent, sauf dans le manuscrit D qui omet
Guibert d’Andrenas. La place donnée à notre chanson dans le
manuscrit est de fait celle dévolue à Guibert d’Andrenas dans les
autres manuscrits. En nous appuyant sur les études des spécialistes
des manuscrits cycliques, comme Madeleine Tyssens ou Duncan
McMillan, nous avons cherché à émettre des hypothèses pouvant
apporter une explication plausible à ces diverses difficultés.
6 Une traduction de la chanson suit l’étude littéraire. Cette traduction
s’efforce de restituer aussi bien le sens que le style. Claude Buridant
illustre bien le délicat paradoxe que constitue la traduction des
œuvres médiévales en rappelant qu’il faut « traduire le texte à la fois
dans son mouvement et son exactitude, être littéralement fidèle à l’
esprit de l’œuvre » (Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris,
SEDES, 2000, p. 39).
7 L’étude littéraire qui accompagne cette édition a pour but
d’envisager la Prise de Cordres et de Sebille sous divers aspects :
thématiques, esthétiques, stylistiques, idéologiques et symboliques,
afin de voir de quelle façon cette chanson offre, bien plus qu’une
simple suite, un dialogue avec Guibert d’Andrenas, mais aussi avec
l’ensemble de la Geste. L’analyse de la composition cyclique des
textes de la geste, de la famille de Narbonne, du monde sarrasin, de
la composition et de l’écriture de la chanson, des valeurs prônées par
la Geste, permet de saisir la conformité de la Prise à certaines normes
thématiques et scripturales des épopées du Cycle, mais aussi de
constater les spécificités propres à ce texte.
8 La Prise de Cordres et de Sebille est une chanson intéressante à bien des
égards et notamment dans le rapport étroit qu’elle entretient avec
Guibert d’Andrenas. Loin d’être une simple et pâle copie de cette
chanson, la Prise suscite bon nombre de questions sur sa présence
dans le manuscrit D. De fait, cette chanson témoigne de la volonté de
constitution d’un cycle homogène et complet par les compilateurs et
apporte une pierre à l’édifice généalogique entrepris par les poètes
épiques. La Prise conserve du poème épique ses thèmes traditionnels.
On y retrouve la peinture de deux univers opposés qui s’affrontent
sans relâche dans une atmosphère souvent lourde de tension. À la
présence forte et rassurante de la geste, dominée par la figure du
patriarche Aymeri et agrémentée de figures nouvelles et
rafraîchissantes, s’oppose un monde sarrasin souvent poussé à la
limite de la caricature. Un univers qui représente le Mal et qui
marque l’ennemi du sceau d’une infamante altérité. Dans cette
peinture conventionnelle, quelques nouveautés émergent, d’un côté
comme de l’autre. Chez les Narbonnais, l’unité familiale est parfois
ébranlée par les revendications et les aspirations des uns et des
autres. Il n’y a pas de héros unique, mais plusieurs chevaliers sont
mis en lumière à différents moments, comme pour montrer que
l’héroïsme est une donnée plurielle, qui s’exprime différemment
selon les êtres. Du côté sarrasin, les changements sont plus flagrants
encore, car l’on voit émerger des personnages qui échappent aux
gémonies auxquelles leurs coreligionnaires sont voués. Ainsi, les
femmes réussissent le pari osé de s’imposer et d’imposer leurs
valeurs dans un monde viril et brutal. De même, certains Sarrasins,
futurs convertis, sont hissés au rang de chevaliers vaillants et mis
sur un pied d’égalité avec leurs homologues chrétiens. On le constate
à travers les thèmes habituels de l’épopée : celle-ci évolue.
9 Le XIIIe siècle est une période charnière dans l’histoire de la
littérature médiévale. On est au carrefour de l’épopée et du roman,
ce genre nouveau qui va rapidement éclipser tous les autres. De fait,
la chanson de geste n’a pas dit son dernier mot. Elle va intégrer les
composantes techniques et thématiques du roman pour se
renouveler. Elle gagne ainsi en nuances. Moins monolithique, la
matière épique s’enrichit de thèmes neufs, se dote d’un climat plus
romanesque, fondé sur la légèreté et l’amour. La guerre n’est plus au
centre des préoccupations des personnages. L’écriture épique est,
elle aussi, influencée par le roman. Moins lente, moins répétitive, la
narration gagne en nervosité, accumule les péripéties et les
rebondissements. Thèmes neufs, ton moins rhétorique, abandon
partiel du style formulaire, tout est fait pour que l’auditoire trouve la
chanson de geste à son goût. Car, ces transformations sont
commandées par un public qui veut désormais des héros qui lui
ressemblent, sensibles, courageux, qui montrent leurs sentiments et
qui ne rejettent pas l’amour. Le héros devient moins uniforme, il fait
preuve de courtoisie. Les poètes explorent enfin la palette des
sentiments pour donner à leurs personnages de la densité et à leur
histoire plus de vie. C’est cette richesse et cette diversité que Joseph
Bédier rappelle lorsqu’il parle de « romans de guerres et d’aventures,
mais en même temps romans d’amour ». Les valeurs véhiculées par
la Geste se retrouvent ici aussi, et parfois sous un éclairage nouveau.
La chevalerie, la royauté et l’esprit de Croisade sont toujours au
cœur des préoccupations des Aymerides. Remises en question ou
confortées, ces valeurs sont largement exploitées dans la trame
narrative de la chanson par le poète. Par ailleurs, ces notions
fondamentales servent également de catalyseur à une réflexion plus
générale sur la conception de la chevalerie, du pouvoir et de la
Croisade au XIIIe siècle. L’œuvre littéraire prend ici le relais de
l’Histoire. À mi-chemin de l’épopée et du roman, mêlant tradition et
nouveauté, la Prise constitue, selon Bernard Guidot, une « illustration
convenable d’un genre qui continue à se transformer lentement ».
INDEX
Mots-clés : chanson de geste
Keywords : epic
Parole chiave : canzone di gesta
Thèmes : Cycle des Narbonnais, Prise de Cordres et de Sebille, Guibert d’Andrenas,
Guillaume d'Orange, Aymeri de Narbonne
Gaëlle Zussa, Merlin. Rémanences
contemporaines d’un personnage
littéraire médiéval dans la production
culturelle francophone (fin XXe siècle
et début XXIe siècle) : origines et
pouvoirs
Thèse de doctorat en cotutelle préparée sous la direction de
MM. Olivier Millet (université Paris 12-Créteil) et Robert Kopp
(université de Bâle), soutenue le 14 juin 2008 à l’université Paris 12-
Créteil)
Gaëlle Zussa
RÉFÉRENCE
Gaëlle Zussa, Merlin. Rémanences contemporaines d’un personnage
littéraire médiéval dans la production culturelle francophone (fin XXe siècle
et début XXIe siècle) : origines et pouvoirs, thèse de doctorat en cotutelle
préparée sous la direction de MM. Olivier Millet (université Paris 12-
Créteil) et Robert Kopp (université de Bâle), soutenue le 14 juin 2008
à l’iniversité Paris 12-Créteil)
NOTE DE L’ÉDITEUR
Jury composé de Messieurs Richard Trachsler (professeur à
l’université de Zurich), Eric Lysøe (professeur à l’université de
Clermont-Ferrand), Olivier Millet (professeur à l’université Paris 12 –
Créteil) et Robert Kopp (professeur à l’Université de Bâle).
L’université Paris 12 ne décernait plus de mention au jour de la
soutenance.
Le corpus médiéval
4 Les œuvres sélectionnées contiennent des traits récurrents devenus
incontournables propres au personnage de Merlin, qui ont su
traverser les siècles et parvenir jusqu’à nous. Pour les sources, le De
Excidio et Conquestu Britanniae de Gildas et l’Historia ecclesiastica gentis
anglorum de Bède sont rapidement citées. J’aborde de manière plus
détaillée l’Historia Britonum et deux célèbres œuvres de Geoffroy de
Monmouth, l’Historia Regum Britanniae et la Vita Merlini. Tous ces
textes sont primordiaux car ils sont à l’origine du Merlin médiéval,
ils proposent les premières caractéristiques du héros. La tradition
sylvestre est un élément capital qui va occuper une place non
négligeable dans les réécritures contemporaines. Elle est déjà
présente chez Geoffroy mais apparaît également dans trois autres
œuvres de langue différente : les deux textes Kentigern et Lailoken et
Lailoken et Meldred d’origine écossaise mais rapportés en latin, le
roman irlandais La Folie de Suibhne et les poèmes gallois attribués à
un chef ou un barde nommé Myrrdin. Pour les œuvres en roman,
celle qui s’impose comme la grande représentante de la légende de
Merlin et sur laquelle l’étude s’appuie le plus souvent est le Merlin de
Robert de Boron. L’auteur consacre son roman au héros, apporte de
nombreux traits nouveaux et développe considérablement la
perspective chrétienne de la légende. Enfin, quelques suites
apportent des informations nouvelles, notamment sur la disparition
du héros et ses relations amoureuses : un Perceval (d’après le
manuscrit Didot) attribué à Robert de Boron et qui apparaît à la suite
du Merlin, la Suite-Vulgate qui appartient au cycle du Lancelot-Graal
et la Suite-Huth issue d’un autre cycle parallèle.
Le corpus contemporain
5 Il ne prétend pas à l’exhaustivité mais contient un panel d’œuvres
représentatives de différents domaines et proposant une réécriture
actuelle (fin XXe, début XXIe siècle) du personnage de Merlin. Celle-ci
devait être suffisamment étoffée (les domaines comme les jeux
vidéo, les jeux de rôle ou la chanson en ont été exclus) et présenter
un intérêt au plan de la resémantisation du personnage,
particulièrement concernant les origines et les pouvoirs. Le domaine
du roman est celui qui comprend le plus d’œuvres : L’Enchanteur de
René Barjavel, Merlin de Michel Rio, et deux séries de Jean-Louis
Fetjaine : sa trilogie sur les elfes Le Crépuscule des elfes, La Nuit des elfes
et L’Heure des elfes, et la suite Le Pas de Merlin et Brocéliande. Ces trois
auteurs et leurs œuvres possèdent chacun une perspective
différente, le rationalisme et le pessimisme chez Michel Rio (le héros
est le fruit d’un inceste entre sa mère et son grand-père), l’aspect
humoristique, un Merlin très positif et donc une perspective
optimiste chez René Barjavel et l’influence de la fantasy chez Jean-
Louis Fetjaine qui apporte des éléments nouveaux à la légende
(Merlin est le fils d’un elfe).
6 Le domaine du cinéma comprend également beaucoup d’œuvres.
D’abord, le célèbre Excalibur de John Boorman dans lequel la
tradition sylvestre occupe une place de choix. Merlin de Steve Barron
est un téléfilm et présente le même intérêt que les œuvres de Jean-
Louis Fetjaine puisqu’il appartient lui aussi au genre de la fantasy (le
héros est créé par une reine païenne). Le Merlin l’Enchanteur produit
par les studios Disney (The Sword in the Stone) apporte la perspective
du dessin animé adressé à un public très jeune et se place sous le
signe de l’humour. Enfin le Seigneur des anneaux (The Lord of the Rings)
de Peter Jackson d’après la trilogie de Tolkien permet encore une
fois d’étudier une œuvre appartenant au genre de la fantasy mais
surtout, il présente un double de Merlin dans un tout autre univers
diégétique. Notons qu’un écart au critère de la langue est opéré dans
le corpus filmique. Le cinéma français des dernières années offrant
très peu de réécritures du héros, il était nécessaire d’inclure des
œuvres étrangères à l’analyse.
7 Le domaine du théâtre ne comprend que deux œuvres. La première
est celle de Tankred Dorst, Merlin ou la terre dévastée (Merlin oder das
wüste Land), étudiée dans sa récente version en français et d’après la
mise en scène de Jorge Lavelli à l’occasion des Nuits de Fourvières et
pour le théâtre MC93 à Bobigny en 2005. Cette pièce et sa mise en
scène présentent une approche très singulière de la légende de
Merlin. Il s’agit d’un spectacle-fleuve d’une durée de quatre heures.
La figure de Merlin y est très présente du début à la fin notamment à
travers son rôle de scénariste et spectateur du mythe arthurien.
Cette œuvre est assez complexe et réservée à un public d’initiés.
D’autre part, on trouve dans le domaine théâtral de nombreux
spectacles actuels, notamment pour enfants, qui présentent le
personnage de Merlin de manière plus légère. J’ai sélectionné l’un
d’entre eux afin d’apporter une œuvre plus populaire au corpus
théâtral. Il s’agit des Aventures de Merlin l’Enchanteur, librement
adaptée de L’Enchanteur de René Barjavel par le comédien et
scénariste Julien Masdoua. Cette œuvre se présente sous la forme
d’un conte plus que d’une pièce de théâtre, au cours duquel le
comédien-conteur va jouer successivement les rôles des différents
personnages. Un guitariste ponctue le récit par des chansons
composées spécialement pour le spectacle et apporte ainsi un
élément musical à cette réécriture peu ordinaire.
8 Le domaine de la bande dessinée est également représenté par
plusieurs œuvres dont j’ai retenu la série Merlin de Jean-Luc Istin et
Éric Lambert. Encore une fois, elle s’inscrit dans le genre de la
fantasy. De plus, elle couvre toute la vie du héros depuis sa
conception et sa naissance et présente une version où Merlin devient
maléfique. Son origine païenne qui remplace l’origine diabolique des
romans médiévaux prend le dessus. Elle se compose de neuf tomes
au jour d’aujourd’hui ce qui montre son succès.
9 Enfin, un domaine très particulier méritait de faire partie du corpus
d’œuvres contemporaines : Internet. Comment ne pas inclure ce
medium incontournable dans notre société actuelle ? Un site
canadien du nom de Dialogus permet aux internautes de
correspondre avec des personnalités connues disparues. Un
spécialiste sur lequel aucune information n’est donnée incarne cette
personnalité. L’intérêt de ce site pour mon analyse est d’abord sa
forme particulière, il se présente comme héritier du genre
épistolaire mais à travers un medium virtuel. D’autre part, il touche
encore une fois un public très large et varié, peut-être même
constitue-t-il le medium touchant le public le plus vaste. Il va
représenter Merlin dans la pensée collective actuelle à travers les
questions des internautes.
INDEX
Mots-clés : personnage, mythe littéraire
Thèmes : Aventures de Merlin l’Enchanteur, Brocéliande, Crépuscule des elfes, De Excidio
et Conquestu Britanniae, Enchanteur, Excalibur, Folie de Suibhne, Heure des elfes, Historia
Britonum, Historia ecclesiastica gentis anglorum, Historia regum Britanniae, Kentigern et
Lailoken, Lailoken et Meldred, Lord of the Rings, Merlin, Merlin l’Enchanteur, Merlin oder
das wüste Land, Merlin ou la terre dévastée, Nuit des elfes, Pas de Merlin, Perceval en prose,
Seigneur des anneaux, Suite Post-Vulgate, Suite-Vulgate de Merlin, Vita Merlin
Parole chiave : personaggio, mito letterario
Keywords : character, literary myth