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Introduction
Dans les chapitres précédant, nous avons souligné que les travailleurs les moins qualifiés sont
prioritairement touchés par le chômage. De nombreuses études empiriques mettent en
évidence une modification de la structure de la demande de travail aux dépens des travailleurs
les moins qualifiés depuis deux décennies dans les pays les plus développés. La concurrence
des pays peu développés, qui disposent d'une abondante main-d'œuvre peu qualifiée, semble
contribuer significativement à cette modification de la structure de la demande de travail. Les
innovations technologiques se sont aussi accompagnées d'une déformation de la demande de
travail aux dépens des moins qualifiés. L'importance relative de ces deux facteurs est difficile
à cerner empiriquement, mais il apparaît qu'ils ont tous deux fortement contribué à la
diminution de la demande de travail faiblement qualifié dans les pays développés.
L'objet de cette section est d'analyser les conséquences d'un progrès technique qui défavorise
le travail non qualifié, et d'une concurrence internationale accrue des pays à bas salaires. Pour
ce faire, nous commencerons par modifier le modèle des chapitres précédant, afin
d'introduire l'hétérogénéité des travailleurs (4.1). Nous étudierons ensuite, dans ce cadre, le
lien entre le taux de chômage des différents types de travailleurs, le progrès technique et la
concurrence des pays à bas salaires (4.2). Enfin, après avoir parlé de quelques solutions de lutte
contre le chômage (4.3), nous allons finir le chapitre avec une synthèse des faits importants (4.4) suivi
d’une conclusion.
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numéraire. Par souci de simplification, on suppose que les travailleurs consomment
uniquement le bien produit par les qualifiés. En notant respectivement 𝑾𝒏 et 𝑾𝒒 le salaire
des non-qualifiés et des qualifiés, et en supposant une absence de coût d'appariement et de
prélèvements obligatoires sur le coût du travail, la maximisation des profits des firmes des
deux secteurs donne les demandes de travail suivantes :
𝑤 𝑤𝑞
𝐿𝑛 = ( 𝑝𝐴𝑛 )1/(𝛼−1) et 𝐿𝑞 = ( 𝐴 )1/(𝛼−1) (19)
𝑛 𝑞
Nous supposons que le salaire des travailleurs qualifiés est négocié collectivement au niveau
des entreprises. Les travailleurs non qualifiés sont rémunérés à un salaire minimum, indexé
sur le salaire des qualifiés, soit 𝒘𝒏 = 𝝎𝒘𝒒 , 𝜔 ∈ ]0,1 [. Un tel cas de figure illustre bien la
situation française. En outre, il est supposé, encore par souci de simplification, que les
travailleurs qualifiés occupent uniquement des emplois qualifiés. Ils sont donc soit chômeurs,
soit employés dans le secteur qualifié. Sous ces hypothèses, la solution des négociations
correspond à l'équation (WSn) de la section 6 du chapitre 2. Cette équation peut s'écrire, en
négligeant la désutilité du travail (e = 0) :
𝒘𝒒 = 𝒘𝒖 . 𝝋(𝒖𝒒 ) (20)
où 𝑤𝑢 désigne à présent les gains d'un chômeur qualifié, 𝑢𝑞 le taux de chômage des qualifiés.
La fonction 𝜑 est donc décroissante. Les gains des chômeurs qualifiés seront supposés
proportionnels aux salaires, soit 𝒘𝒖 = 𝒃𝒘𝒒 , b ∈ [0,1[. L'équation (20) devient alors :
𝟏 = 𝒃𝝋(𝒖∗𝒒 ) (21)
Elle détermine entièrement le taux de chômage d'équilibre des travailleurs qualifiés, noté 𝑢𝑞∗ ,
qui augmente avec le ratio b.
Nous avons défini un modèle très simple, qui permet de prendre en compte l'hétérogénéité
de la main-d'œuvre et un mode de formation des salaires non concurrentiel pour les
travailleurs les plus qualifiés, avec un salaire minimum pour les travailleurs les moins qualifiés.
Un tel modèle appréhende des caractéristiques importantes de l'organisation des marchés du
travail de nombreux pays de l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement
Economiques), et notamment d'un pays comme la France. Il est donc intéressant d'étudier,
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dans ce cadre, l'impact d'un progrès technique biaisé et de la concurrence des pays à bas
salaires.
4.2. Le progrès technique biaisé, concurrence des bas salaires et chômage des travailleurs
La concurrence accrue des pays à bas salaires se traduit par un accroissement du volume de
l'offre de biens produits par les travailleurs non qualifiés, dont le prix p, déterminé par la
concurrence internationale, doit baisser. Le progrès technique biaisé aux dépens des
travailleurs non qualifiés correspond à une diminution du rapport 𝑨𝒏 / 𝑨𝒒 .
Nous pouvons calculer l'impact d'une variation du prix p et du rapport 𝑨𝒏 / 𝑨𝒒 sur les salaires
et le chômage. Le salaire des travailleurs non qualifiés s'obtient à partir du salaire des qualifiés,
puisque 𝒘𝒏 = 𝝎𝒘𝒒 . Le salaire des travailleurs qualifiés est égal à leur productivité marginale
pour le taux de chômage 𝒖∗𝒒 . On a donc :
L'emploi des non-qualifiés est déterminé par l'égalisation de leur salaire à leur productivité
marginale. On obtient donc, en notant 𝒖∗𝒏 le taux de chômage d'équilibre des non-qualifiés et
en utilisant (22) :
𝟏/(𝟏−𝜶)
𝑵𝒒 𝒑𝑨𝒏
𝒖∗𝒏 = 𝟏 − (𝟏 − 𝒖∗𝒒 ) 𝑵 (𝝎𝑨 ) (23)
𝒏 𝒒
Cette équation montre que toute diminution du prix p, ou du rapport 𝑨𝒏 / 𝑨𝒒 , doit se traduire
par un accroissement du taux de chômage des travailleurs les moins qualifiés, sans que
l'emploi des travailleurs qualifiés soit modifié. En effet la, concurrence des pays à bas salaires
incite les entreprises à diminuer l'emploi des travailleurs non qualifiés, dont le coût du travail,
indexé sur le salaire qualifié, est rigide à la baisse. Un progrès technique biaisé, qui accroît la
productivité relative des qualifiés, est aussi préjudiciable à l'emploi non qualifié, car il accroît
le coût des travailleurs les moins qualifiés relativement à leur propre productivité.
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4.3. Les solutions de lutte contre le chômage
L'intérêt de cette formalisation est d'indiquer les solutions qui peuvent être envisagées pour
contrecarrer les effets du progrès technique biaisé et de la concurrence des pays à bas salaires.
Une première solution consiste à supprimer le salaire minimum. Dans ce cas, l'équilibre du
marché du travail des non-qualifiés assure leur plein-emploi. Le salaire 𝒘𝒏 est déterminé par
la productivité marginale du travail non qualifié pour le niveau d'emploi 𝑵𝒏 , soit 𝒘𝒏 =
𝒑𝑨𝒏 𝑵𝜶−𝟏
𝒏 . Cette équation montre que les variations de p et de An sont entièrement
Une deuxième solution, adoptée pour l'essentiel en France depuis le milieu des années
quatre-vingt-dix, consiste à subventionner les emplois non qualifiés, grâce à un financement
prélevé sur les salaires des qualifiés. Ceci permet de distordre la structure du coût du travail,
à l'avantage des travailleurs les moins qualifiés, et donc de contrecarrer l'impact du progrès
technique et de la concurrence des pays à bas salaires. L'inconvénient d'une telle solution est
d'accroître le coin fiscal pour les travailleurs qualifiés, ce qui est susceptible de créer du
chômage. En outre, cette politique peut être préjudiciable à la croissance, puisqu'elle incite
les entreprises à adopter des combinaisons productives peu intensives en travail qualifié.
L'amélioration de la formation constitue la troisième solution. L'équation (23) indique qu'il est
possible de contrecarrer la déformation de la structure de la demande de travail en
augmentant le rapport 𝑵𝒒 / 𝑵𝒏 . Des politiques d'investissement en formation, sous forme de
formation initiale, en début de cycle de vie, ou de formation permanente, peuvent donc
s'avérer adaptées. Évidemment, la formation a un coût, qui doit accroître les prélèvements
obligatoires et avoir un impact négatif sur l'emploi courant. Pour choisir le bon niveau de
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formation, il faut donc arbitrer entre les coûts présents, notamment en matière de chômage,
et les rendements futurs anticipés.
Quatre faits, importants pour les macro économistes ont marqué les marchés du travail des
pays développés depuis deux décennies: i) en Europe la croissance du chômage ne provient
pas d’une croissance de la population active plus rapide qu'en Amérique du Nord, ou qu'au
Japon, elle est la conséquence d'une insuffisance, de création d'emplois ; ii) le salaire réel est
peu sensible aux variations du chômage ; iii) les mouvements de main-d'œuvre et les
réallocations d'emploi sont très, importants ; iv) les travailleurs les moins qualifiés sont les
plus touchés par le chômage.
Les modèles de négociation salariale et de salaire d'efficience montrent que le libre jeu du
marché peut entraîner du chômage. L’examen des déterminants du chômage montre que le
coin fiscal et le niveau de négociation du salaire peuvent expliquer les mauvaises
performances de certains pays européens en matière du chômage.
L'analyse de l'impact des réallocations d'emplois dans un modèle d'appariement montre que
ce ne sont pas des réallocations d'emplois plus intenses entre entreprises et entre secteurs
qui ont constitué une cause déterminante de la montée du chômage en Europe. Ce sont des
chocs agrégés, affectant la demande de travail et la dégradation de l'efficacité du processus
d'appariement, due à une inadéquation croissante entre la structure de l'offre et de la
demande de travail en termes de qualification qui semblent avoir joué un rôle moteur.
La concurrence accrue des pays à bas salaires et le caractère biaisé du progrès technique ont
significativement contribué à l'accroissement du chômage des travailleurs les moins qualifiés.
Le modèle développé dans ce chapitre montre que la suppression ou la diminution du salaire
minimum peuvent constituer un moyen de neutraliser l’impact de la concurrence et du
progrès technique sur le chômage. Mais c'est alors le pouvoir d'achat relatif des travailleurs
non qualifiés qui diminue. La subvention aux emplois les moins qualifiés et l’investissement
en formation constituent deux autres leviers d'action permettant de contrecarrer les effets de
la concurrence des pays à bas salaires et du progrès technique biaisé.
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Conclusion
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