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22 AVRIL 2021 C.20.0088.

F/1

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.20.0088.F

V. C.,

demandeur en cassation,

admis au bénéfice de l’assistance judiciaire par ordonnance du premier président du


5 février 2020 (n° G.19.0198.F),

représenté par Maître Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation, dont le


cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Bonté, 5, où il est fait élection de domicile,

contre

1. M. T., et

2. A. H.,

défendeurs en cassation.
22 AVRIL 2021 C.20.0088.F/2

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 26 juin 2019


par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d’appel.

Le 7 avril 2021, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des


conclusions au greffe.

Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport et l’avocat général


Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée


conforme, le demandeur présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la deuxième branche :

L’article 688, alinéa 2, de l’ancien Code civil dispose que les servitudes
continues sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du
fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les vues et autres
de cette espèce.

Aux termes de l’article 689, alinéa 2, du même code, les servitudes


apparentes sont celles qui s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une
porte, une fenêtre, un aqueduc.

L’article 692 de ce code dispose que la destination du père de famille vaut


titre à l’égard des servitudes continues et apparentes.

Aux termes de l’article 693 dudit code, il n’y a destination du père de famille
que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au
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même propriétaire, et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état
duquel résulte la servitude.

Il suit de ces dispositions que, sauf volonté contraire des parties à l’acte de
division, les vues existant au moment où le propriétaire divise son fonds continuent
de grever un des fonds divisés au profit de l’autre.

Le jugement attaqué constate que le propriétaire d’un fonds a établi une vue
d’une partie sur une autre, l’a ensuite divisé en vendant au demandeur la partie
bénéficiant de la vue et a ultérieurement vendu aux défendeurs la partie supportant
cette vue.

En déduisant de la seule volonté de ce propriétaire originaire qu’aucune


servitude par destination du père de famille n’est née à la division nonobstant le
maintien des lieux en l’état, le jugement attaqué viole l’article 693 de l’ancien Code
civil.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

La cassation de la décision qu’aucune servitude par destination du père de


famille n’est née de la division du fonds s’étend à la décision que la vue offerte par
la fenêtre litigieuse est illégale, qui en est la suite.

Et il n’y a pas lieu d’examiner les autres branches du moyen, qui ne sauraient
entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué en tant qu’il décide qu’aucune servitude par


destination du père de famille n’est issue de la division du fonds appartenant
originairement à G. C. et que la vue offerte par la fenêtre litigieuse est illégale ;
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Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement


partiellement cassé ;

Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance du


Brabant wallon, siégeant en degré d’appel.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient


le président de section Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal,
Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en
audience publique du vingt-deux avril deux mille vingt et un par le président de
section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec
l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.

P. De Wadripont M. Moris M. Marchandise

A. Jacquemin M. Lemal M. Delange


REQUÊTE/1

[…]

EXTRAIT

REQUETE EN CASSATION

POUR : V. C.,

demandeur,

assisté et représenté par Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation


soussigné dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, boulevard de
l’Empereur 3, où il est fait élection de domicile,

CONTRE : M. T. et A. H.,

Défendeurs.

***

A Mesdames et Messieurs les Premier Président, Président, Présidents de


section et Conseillers composant la Cour de cassation.

Mesdames,
Messieurs,

Le demandeur a l’honneur de soumettre à votre censure le jugement rendu


contradictoirement entre les parties le 26 juin 2019 par le tribunal de première instance du
Hainaut, division Charleroi (R.G. 17/1841/A).

A l’appui de son pourvoi contre ce jugement, le demandeur a l’honneur de


présenter le moyen de cassation suivant.
REQUÊTE/2

II MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions légales et principes généraux du droit dont la violation


est invoquée

- Articles 688 à 693 du Code civil ;

- Article 1134 du Code civil ;

- Articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.

Décision et motifs critiqués

Le jugement attaqué, qui précise dans son dispositif qu’il réserve à statuer
sans préjudice de ses motifs décisoires, décide en substance dans ces motifs que la
vue du fonds du demandeur sur le fonds des défendeurs ne constitue pas une
servitude de vue par destination du père de famille, et en conclut qu’il convient de
rouvrir les débats pour que les parties puissent débattre des différentes propositions
concrètes et de leurs inconvénients, dont le rebouchage de la fenêtre litigieuse.

Il s’agit des motifs suivants du jugement attaqué (pp. 5-10) :

« 1) Quant à la servitude par destination du père de famille

1.
L’article 693 du Code civil stipule :

« Il n’y a destination du père de famille que lorsqu’il est


prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont
appartenu au même propriétaire, et que c’est par lui que les
choses ont été mises dans l’état duquel résulte la
servitude ».
2.
Parmi les conditions pour qu’existe une servitude par destination du
père de famille, figure Ia volonté du père de famille de conserver le
lien de service au moment de Ia division du fonds.
Dès lors, pour se libérer de toute charge, le propriétaire du fonds
servant doit démontrer que Ia volonté du père de famille n’a pas été
de maintenir le lien de service au moment de Ia division du fonds.
REQUÊTE/3

L’acte réalisant Ia division des deux lots initialement réunis entre les
seules mains du père de famille, G. C., est I’acte de vente du bien
à son fils [le demandeur].
C’est à cette date qu’iI faut examiner Ia question de savoir s’il a été
de Ia volonté du père de famille de maintenir ou non le lien de
service.
C’est en vain que V. C. invoquera que son acte ne contient aucune
clause relative à la servitude et qu’il s’en déduirait qu’elle serait ainsi
créée.
La volonté peut être le cas échéant déduite d’un acte ultérieur du
père de famille qui révélerait a posteriori la volonté qui fut la sienne
lors de l’acte de division.
Tel est précisément le cas de l’acte de vente du … entre G. C. et
les [défendeurs] dont la clause reprise au point 3 du titre « condition
» est libellée comme suit:
« Le bien est vendu avec toutes les servitudes actives et passives
y attachées, continues ou discontinues, apparentes ou occultes
pouvant l’avantager ou le grever, sans recours contre le vendeur.
Toutefois, la présente clause ne pourra donner à qui que ce soit
plus de droits qu’il n’en aurait en vertu d’une titre régulier non
prescrit ou en vertu de la loi.
Le vendeur déclare qu’il n’a personnellement conféré aucune
servitude sur le bien vendu et qu’à sa connaissance il n’en existe
aucune et que son titre de propriété ne mentionne aucune condition
spéciale, à l’exception de celles éventuellement reprises ci-après
sous le titre « Rappel des conditions spéciales ».
La question de la volonté de G. C. de maintenir ou non le lien de
service à charge du fonds des [défendeurs] au profit du fonds [du
demandeur] est déterminée de manière certaine par cette clause.
Il pourrait être posé la question de savoir si ladite clause vise
uniquement les servitudes affectant au fonds vendu la qualité de
fonds servant ou si elle vise non seulement les servitudes lui
conférant la qualité de fonds servant mais également celles lui
conférant la qualité de fonds dominant.
La clause utilise en effet à propos des servitudes, les termes «
conféré » et « sur le bien vendu » ce qui pourrait être interprété
comme faisant référence à une servitude à charge » du bien vendu,
c’est-à-dire une servitude donnant au fonds vendu la qualité de
« fonds servant ».
La discussion restera toutefois académique dès lors que, que ce
soit dans l’une ou l’autre des interprétations, est visée la servitude
conférant au bien la qualité de fonds servant. La servitude litigieuse
étant une servitude conférant au fonds des [des défendeurs] la
qualité de fonds servant, l’hypothèse est donc rencontrée dans les
deux interprétations.
Il s’ensuit que G. C. a en toute hypothèse affirmé dans l’acte de
2013 qu’il n’avait pas conféré la moindre servitude « à charge » du
bien vendu et qu’à sa connaissance il n’en existait pas d’autres que
REQUÊTE/4

celles éventuellement reprise sous le titre « Rappel des conditions


spéciales » (dans lequel la servitude litigieuse n’existe pas).
Par cette clause, G. C. indique clairement qu’il n’a pas assujetti Ie
fonds vendu de Ia moindre servitude et donc qu’il n’a pas assujetti
le bien d’une servitude par destination du père de famille lors de Ia
division des fonds en … et qu’à sa connaissance, il n’existe aucune
servitude de ce type.
Cette clause est incompatible avec Ia thèse selon laquelle G. C.
aurait entendu maintenir le lien de service créé par Ia fenêtre
litigieuse lors de Ia division des deux fonds.
II est ainsi démontré que G. C. a lui-même confirmé dans un acte
ultérieur que, lors de Ia division, le lien de service n’avait pas été
maintenu et qu’aucune servitude à charge du bien vendu aux
[défendeurs] n’existait et notamment aucune servitude par
destination du père de famille qui aurait été créée lors de la division
du fonds Ie ....
La circonstance qu’il n’existe aucune clause dans I’acte de vente de
G. C. [au demandeur] mettant expressément fin au lien de service
ou le contraignant de boucher Ia fenêtre n’y change rien.
La circonstance qu’il soit mentionné dans les clauses que Ie bien
est vendu avec toutes les servitudes actives et passives y
attachées, notamment les servitudes continues et apparentes et
qu’il était visible lors de l’achat de leur bien par [les défendeurs] n’a
pas pour effet de permettre la création d’une servitude non créée
par un des modes légaux et de rendre légale une vue qui ne le serait
pas.
La circonstance que [le demandeur] ne soit pas partie à l’acte du …
est sans incidence, cet acte ne servant qu’à déterminer un fait, à
savoir la volonté qui fut celle de G. C. au moment de la division des
fonds en ce qui concerne le lien de service ».

Griefs

Première branche

I. Aux termes de l’article 688, alinéa 2, du Code civil, les servitudes


continues sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du
fait actuel de l’homme : tels sont les conduits d’eau, les égouts, les vues et autres
de cette espèce.

Aux termes de l’article 689, alinéa 2, du Code civil, les servitudes


apparentes sont celles qui s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une
porte, une fenêtre, un aqueduc.
REQUÊTE/5

Suivant l’article 692 dudit Code, la destination du père de famille


vaut titre à l’égard des servitudes continues et apparentes.

L’article 693 du même Code dispose qu’il n’y a destination du père


de famille que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont
appartenu au même propriétaire, et que c’est par lui que les choses ont été mises
dans l’état duquel résulte la servitude.

II. Il suit de ces dispositions que les vues existant au moment où le


propriétaire divise son fonds continuent de grever un des fonds divisés au profit de
l’autre fonds divisé.

Le propriétaire d’un terrain désireux de le diviser est libre, soit


d’enlever les vues avant la division du terrain, soit de s’engager à enlever ces vues
après la division, soit d’imposer à l’acquéreur d’un des fonds divisés l’obligation
d’enlever ces vues.

L’acquéreur d’un des fonds divisés a le droit de maintenir les vues


existantes pour autant que l’ancien propriétaire ne lui ait pas imposé l’obligation
de les enlever.

III. Le juge d’appel a constaté qu’aux termes d’un acte authentique


du ..., le demandeur a acheté l’immeuble n° 217 à Monsieur G. C., grevé de toutes
les servitudes actives et passives y attachées, continues ou discontinues,
apparentes ou occultes pouvant l’avantager ou le grever et qu’il n’existe dans cet
acte aucune clause contraignant le demandeur à boucher la fenêtre litigieuse.

IV. Il suit de ces constats en fait que le demandeur avait le droit de


maintenir la vue existante à défaut pour l’ancien propriétaire, Monsieur G. C., de
lui avoir imposé l’obligation de l’enlever et que cette vue continuait de grever le
fonds servant resté propriété de Monsieur G. C. au moment de la division et vendu
ensuite aux défendeurs.

Par conséquent, le juge d’appel n’a pu légalement déduire des faits


qu’il constate qu’aucune servitude de vue par destination du père de famille n’a
été constituée lors de la division du fonds par l’acte de vente du ... du bâtiment n°
217 au demandeur (violation des articles 688 à 693 du Code civil).

Deuxième branche
REQUÊTE/6

Pour écarter la constitution d’une servitude du vue par destination


du père de famille en dépit de l’existence de la vue litigieuse au moment de la
division du fonds, lors de la vente du bâtiment n° 217 au demandeur, et de
l’absence d’engagement du demandeur à supprimer cette vue, le jugement
attaqué déduit du contrat de vente ultérieur du bâtiment n° 215 par Monsieur G. C.
aux défendeurs, la volonté de G. C. de ne pas maintenir le lien de service à charge
du fonds des défendeurs au profit du fonds du demandeur au moment de la
division de son fonds par acte de vente du ... du bâtiment n° 217 au demandeur. Il
en conclut que Monsieur G. C. n’a pas assujetti le bien d’une servitude par
destination du père de famille lors de Ia division des fonds.

Or, si les deux fonds, entre lesquels le propriétaire ou le père de


famille a établi un lien de service apparent et continu, entrent dans le patrimoine
de propriétaires différents et que néanmoins le rapport qui avait été établi entre
eux continue d’exister en fait, sans que les parties à l’acte de division ne
s’engagent à le supprimer, la loi admet que cette situation de fait vaut titre pour les
servitudes continues et apparentes.

Partant, le juge d’appel qui constate la persistance de la vue


litigieuse au moment de la division du fonds et qu’il n’existe aucune clause dans
I’acte procédant à la division du fonds [soit l’acte de vente du ... du bâtiment n°
217 entre Monsieur G. C. et le demandeur] mettant expressément fin au lien de
service ou le contraignant de boucher Ia fenêtre, mais qui décide que le rapport de
service entre les deux fonds aurait été rompu par la seule volonté du père de
famille et que le père de famille n’a ainsi pas assujetti le bien d’une servitude par
destination du père de famille lors de Ia division de son fonds, viole la notion légale
de servitude par destination du père de famille (violation de toutes les dispositions
visées en tête du moyen).

Troisième branche

En vertu de l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil, les conventions


légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Pour écarter la constitution d’une servitude de vue par destination


du père de famille en dépit de l’existence de la vue litigieuse au moment de la
division du fonds, lors de la vente du bâtiment n° 217 au demandeur, le jugement
REQUÊTE/7

attaqué déduit du contrat de vente ultérieur du bâtiment n° 215 par Monsieur G. C.


aux défendeurs, la volonté de G. C. de ne pas maintenir le lien de service à charge
du fonds des défendeurs au profit du fonds du demandeur au moment de la
division de son fonds par acte de vente du ... du bâtiment n° 2017 au demandeur.
Il en conclut que Monsieur G. C. n’a pas assujetti le bien d’une servitude par
destination du père de famille lors de Ia division des fonds.

Ce faisant le juge d’appel décide implicitement mais certainement


qu’il existait dans le chef du demandeur une obligation de supprimer la vue
litigieuse au moment de la vente du bâtiment n° 217, soit le fonds dominant.

Le juge d’appel ajoute dans ses motifs que le fait que l’acte de vente
du bâtiment n° 217 entre Monsieur G. C. et le demandeur ne comporte aucune
clause mettant expressément fin au lien de service ou contraignant le demandeur
à boucher Ia fenêtre et que cet acte stipule que Ie bien est vendu avec toutes les
servitudes actives et passives y attachées, notamment les servitudes continues et
apparentes, n’y change rien.

Partant, en décidant implicitement mais certainement que le


vendeur avait imposé au demandeur l’obligation de supprimer la vue litigieuse, à
défaut de volonté dans le chef du vendeur, au moment de cette vente, de maintenir
le lien de service apparent et continu qu’il avait créé entre les fonds divisés, et ce
en dépit et outre les termes de l’accord des parties précités que le juge d’appel
constate et ne stipulant aucune obligation de obligation de supprimer la vue
litigieuse, le jugement attaqué méconnaît le principe de la convention-loi et viole
partant l’article 1134 du Code civil.

PAR CE MOYEN ET CES CONSIDERATIONS,

L’avocat à la Cour de cassation soussigné, pour le demandeur, conclut qu’il


vous plaise, Mesdames, Messieurs, casser le jugement attaqué ; renvoyer la cause et les
parties devant un autre tribunal, conformément à ce qui est prévu par l’article 1110 du Code
judiciaire ; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée ;
dépens comme de droit.

Bruxelles, le 12 février 2020


REQUÊTE/8

Daniel Garabedian

[…]

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