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Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E.

OUEDRAOGO

COURS
DE
RESPONSABILITE CIVILE PROFESSIONNELLE
2017-2018
Dr Edouard OUEDRAOGO

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Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

BIBLIOGRAPHIE

1. CAPITANT Henri, TERRE François et LEQUETTE Yves, Grands arrêts de la


jurisprudence civile, 9ème éd. 1991.

2. DE HERDT Vincent et autres, Codes et lois du Burkina Faso, Tome I, Code civil,
Université de Ouagadougou, F.D.S.P., C.R., 1997 ;

3. GHESTIN Jacques, Traité de droit civil, Paris, LGDJ (de nombreux auteurs pour de
nombreux volumes) :
+ La responsabilité, par Geneviève Viney (3 volumes : Introduction à la
responsabilité, 2e éd. 1995 ; Les conditions de la responsabilité, 2e éd. 1998, avec P. Jourdan ;
Les effets de la responsabilité, 2e éd. 2001, avec P. Jourdan).

4. GUILLIEN Raymond et VINCENT Jean, Lexique de termes juridiques, Paris, Dalloz,


12 è éd., 1998 ;

5. LE TOURNEAU Philippe, Droit de la responsabilité et des contrats, 5e éd., 2004 ;

6. MAZEAUD Henri et Léon, et TUNC André, Traité théorique et pratique de la


responsabilité civile délictuelle et contractuelle, Paris, éd. Montchrestien, 3 tomes, 5ème éd.

7. STARCK Boris, ROLAND Henri et BOYER Laurent, Responsabilité délictuelle, 5e éd.,


Paris, Litec, 1996 ;

8. VINEY Geneviève, les obligations – les responsabilités : effets, Paris, L.G.D.J., 2e éd.,
2001.

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Texte du Code civil d’application au Burkina Faso

Chapitre II : Des délits et des quasi-délits

Art. 1382.Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par
la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Art. 1383.Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais
encore par sa négligence ou par son imprudence.

Art. 1384.On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait,
mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des
choses que l’on a sous sa garde.
1
Toutefois, celui qui détient à un titre quelconque tout ou partie de l’immeuble ou des
biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable vis-à-vis des
tiers des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa
faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.
Cette disposition ne s’applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui
demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil.
«Les père et la mère sont solidairement responsables du dommage causé par leurs
enfants mineurs habitant avec eux »2.
Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés
dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant
le temps qu’ils sont sous leur surveillance.3
La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne
prouvent qu’ils n’ont pas pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.
En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées
contre eux ayant causé le fait dommageable devront être prouvées, conformément au droit
commun, par le demandeur de l’instance.

1
Ainsi complété par la loi du 7 novembre 1922, rendue applicable pour toutes les colonies par décret du
22 novembre 1926.
2
Article 1065 du Code des personnes et de la famille (Zatu AN VII-0013/FP /PRES du 16 novembre
1989 portant institution et application d’un Code des personnes et de la famille au Burkina Faso).
L’article originaire était ainsi libelle : « Le père, et la mère après le décès du mari, sont responsables du
dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».
3
Ainsi modifié par la loi du 5 avril 1937, applicable aux colonies par décrets du 3 juillet 1938 et 9 février
1939. De par cette loi et ces décrets, la responsabilité de la colonie ou territoire (maintenant Etat) a été
substituée à celle des membres de l’enseignement public. L’Etat conserve un recours contre ceux-ci.
3
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Art. 1385.Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est
responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il
fût égaré ou échappé.

Art. 1386.Le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine,
lorsqu’elle est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction.

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INTRODUCTION

D’une façon générale, la responsabilité civile peut être définie comme


l'obligation légale imposant à toute personne de réparer les dommages causés à
une victime de son fait, de celui des personnes dont elle doit répondre ou des
choses dont elle a la charge. Quand elle s'applique au domaine professionnel, elle
prend le nom de responsabilité civile professionnelle ou RC Pro.

La responsabilité civile professionnelle peut être spécifiquement


appréhendée comme engageant à réparation tous les professionnels agissant dans
le cadre d’une entreprise, pour les dommages ou préjudices causés soit aux clients
ou aux fournisseurs dans le cadre de leurs relations professionnelles, soit même
aux tiers, par la prestation fournie, en dehors de tout rapport contractuel.

En effet, dans l’exercice d’une activité professionnelle, il existe toujours la


possibilité que la pratique de cette dernière engendre des dommages à des tiers,
que ce soit à des clients, des salariés, pendant l’exécution de l’activité ou après la
remise d’une commande. Le dommage peut avoir un lien avec une faute du
professionnel, contractuelle ou non (délictuelle ou quasi-délictuelle), les
possibilités sont très nombreuses.

La RC Pro s’inscrit dans le postulat du principe général de la responsabilité


civile tel que prévu et décrit dans le code civil (articles 1382 à 1386). Elle est donc
relative aux dommages causés par :

-son fait ;

-sa négligence ou son imprudence ;

-les salariés (les préposés) ;

-les choses que l’on a sous sa garde (les bâtiments, les machines…).

Ainsi, pour que la responsabilité du professionnel soit engagée et que des


sanctions soient prononcées, il faut que certaines conditions, relatives aux divers
éléments définitionnels, soient réunies. Dès lors, nous allons tout d’abord
examiner les conditions de cette responsabilité civile professionnelle (TITRE I),
avant d’en aborder la mise en œuvre (TITRE II).

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TITRE I : LES CONDITIONS DE LA RESPONSABILITE CIVILE


PROFESSIONNELLE.

Conformément à la théorie générale de la responsabilité (article 1382 du


code civil), il est nécessaire, pour engager la responsabilité du professionnel, de
réunir trois éléments : un fait dommageable, un préjudice ou dommage et un lien
de causalité entre le fait et le dommage. Si le premier peut être varié et diversifié
(Chapitre II), les deux seconds restent constants et standards (Chapitre I).

CHAPITRE I-.LES CONSTANTES DE LA RESPONSABILITE CIVILE : LE


DOMMAGE ET LE LIEN DE CAUSALITE

Le dommage et le lien de causalité sont des éléments nécessaires et


constants de toute responsabilité civile, qu’il convient d’étudier successivement.

SECTION I : LE DOMMAGE

Le dommage peut être défini comme le préjudice, résultant de la lésion d’un


droit ou d’un intérêt légitime et juridiquement protégé. Il est la première condition
de la responsabilité civile professionnelle. De fait, tant la faute de l’auteur que le
lien entre la faute et le dommage peuvent être plus ou moins présumés
(responsabilité du fait des choses, faute intentionnelle). En revanche, la preuve du
dommage doit absolument être établie par celui qui se prétend victime.

L’approfondissement de la problématique 4 passe par une distinction


classique entre les caractères du dommage réparable et les sortes de dommages.

Paragraphe 1 : Les caractères du dommage réparable

On ne tient pas compte de l’importance du dommage. Cependant, un


préjudice trop insignifiant pourrait se voir opposer la maxime procédurale : pas
d’intérêt, pas d’action, où l’intérêt doit être entendu d’un intérêt sérieux. Pour être

4
Art ou science de poser les problèmes.

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rationnellement réparable, le dommage doit être certain, personnel et direct. En


plus, il y a une exigence d’ordre juridique : le dommage doit résulter de la lésion
d’un intérêt légitime.

A: Les caractères certain, personnel et direct du dommage

Ces exigences relatives au dommage appellent de brèves précisions.

1. Le dommage doit être certain

Cela veut dire que le dommage doit exister, être réel, vrai, non contestable
même si la détermination de son montant peut soulever des difficultés plus ou
moins sérieuses.

Il n’y a pas de problème lorsque le dommage est actuel : la victime a


éprouvé une perte ou manqué un gain. La situation se complique lorsqu’il s’agit
d’un dommage non actuel. La distinction du préjudice futur réparable et du
préjudice seulement éventuel non réparable se manifeste en cas de perte d’une
chance. La question se pose de savoir dans quelle mesure ce qui a été perdu n’est
pas seulement éventuel. Les tribunaux ont d’abord été hostiles à la réparation de
ce genre de dommage. Puis, ils ont admis la réparation lorsque la chance était
sérieuse. Une tendance se dessine en faveur d’une prise en compte plus large de
la perte de chance en considérant que la chance perdue valait quelque chose et
l’évaluation se fait par les calculs de probabilité, en fonction des circonstances de
chaque cas.

2. Le dommage doit être personnel

Bien que les auteurs n’insistent pas sur cette condition, il est certain que les
tribunaux en tiennent compte, tout comme le font la procédure pénale et la
procédure civile. Selon le code de procédure pénale, l’action civile appartient à
tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l’infraction.
« Chacun pour soi ». Un particulier ne peut saisir un tribunal que dans la mesure
où le trouble qu’il dénonce l’atteint dans ses intérêts propres. Cette condition
exclut qu’une personne quelconque puisse poursuivre le responsable en cas
d’abstention ou d’inaction de la victime (action paulienne, action oblique).

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Ce caractère ne fait difficulté que pour les dommages collectifs subis par
les personnes morales telles que les syndicats professionnels et les associations,
en particulier les associations de consommateurs. Bien que leurs actions ne soient
pas aussi largement admises que celles des personnes physiques, on doit admettre
qu’il s’agit d’un dommage personnel consistant dans la lésion portée à l’intérêt
collectif qu’elles représentent. En général, il faut qu’une loi, comme en France la
loi Royer de 1973, les autorise à agir en justice.

3. Le dommage doit être direct

Cette condition évoque le lien de causalité qui sera étudié ultérieurement.


Dans tous les cas, le bon sens, l’équité et la justice n’exigent pas que l’on fasse
supporter à quelqu’un toutes les conséquences lointaines de son acte, même fautif.
Sur cette voie, on ne sait plus où l’on s’arrêterait. On ne se sentirait d’ailleurs plus
responsable au sens moral alors que la responsabilité comporte également un côté
prévention et punition.

B: Le caractère légitime de l’intérêt

Le dommage doit résulter de la violation d’un intérêt légitime


juridiquement protégé. L’exigence d’un intérêt légitime rappelle en tout premier
lieu la règle de procédure selon laquelle l’action en justice est ouverte à tous ceux
qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention. D’autre part,
elle est un écho de la maxime nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul
ne peut être entendu qui allègue ou avance sa propre turpitude).

Il faut noter que la lésion d’un intérêt semble suffire pour constituer le
dommage réparable. L’exigence qu’il soit légitime et juridiquement protégé
exprimerait seulement l’idée d’un refus d’action à certaines situations qui sont
contraires au droit ou à la morale. Ainsi, le tenancier d’une maison de jeux
clandestins ou d’une maison de tolérance ou de chambres de passage n’obtiendra
pas réparation si, par le fait d’autrui, son local est détruit, tarissant ainsi les sources
de substantiels bénéfices.

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Paragraphe 2: Les différentes sortes de dommages

C’est l’occasion de faire un catalogue plus ou moins complet des


dommages réparables. On distingue comme en matière de responsabilité civile
générale, trois sortes de dommages : le dommage corporel, le dommage matériel
et le dommage immatériel ou moral. Mais spécifiquement, la responsabilité civile
professionnelle couvre les cas de : retard dans la livraison des prestations, faute
professionnelle, manque de prudence, non-conformité des produits, conseils
inadaptés, préconisations insuffisantes, assistance technique inadaptée, non-
respect du droit à l’image abus de propriété intellectuelle, erreur professionnelle
et défaut de performance.

A. Le dommage corporel

Sont réparables les blessures plus ou moins graves, de l’atteinte à la santé


et, à plus forte raison, à la vie (dommage entraînant la mort), subies par les tiers
dans l’entreprise. Il s’agit donc de toute atteinte à l’intégrité physique. C’est
l’exemple d’un client qui chute sur le sol trop glissant de l’entreprise et se casse
une jambe. Ici et dans de nombreux cas, on doit parler d’indemnisation de la
victime plutôt que de réparation. En effet, on ne ressuscite pas les morts et il est
malaisé, c’est le moins qu’on puisse dire, de rendre à l’amputé son bras ou sa
jambe. En outre, il s’agirait plutôt, pour un tel dommage, d’une responsabilité
civile professionnelle par accessoire. Car le caractère professionnel n’est ici
retenu qu’en raison de l’activité principale à l’occasion de laquelle est intervenu
l’incident dommageable.

Le dommage corporel, dont la réparation ou l’indemnisation est largement


admise, est subi uniquement par la victime directe. Mais il peut entraîner, aussi
bien pour la victime que pour des tiers, notamment ses proches, des dommages
matériels et/ou moraux (directs ou par ricochet).

B. Le dommage matériel

Il est constitué par des atteintes aux biens ou au patrimoine du client. Il


s’agit à titre illustratif de l’hypothèse ou un bien appartenant au client est
endommagé au moment de la réalisation de la prestation. Par ailleurs, le dommage
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matériel peut résulter indirectement d’un dommage corporel : dans ce cas,


l’accidenté ne pouvant plus travailler, perd ses revenus et ne peut subvenir aux
besoins de ses proches.

Sa réparation est largement admise. Elle couvre la perte éprouvée


(damnum emergens) qui entraîne que le patrimoine après l’événement pèse moins
qu’il ne pesait auparavant, de même que le gain manqué (lucrum cessans) : sans
l’événement, le patrimoine se serait accru.

Le dommage matériel par ricochet est réparable.

C. Le dommage immatériel

Il pourra s’agir d’une perte financière due à l’effacement des données


informatiques d’un client professionnel, mettant celui-ci dans l’incapacité
d’exercer sa propre activité. Mais il faut aussi y prendre en compte certains cas de
préjudice moral notamment les souffrances endurées à la suite d’une atteinte à
l’intégrité physique, le préjudice esthétique (une personne défigurée), le préjudice
d’agrément (le fait par exemple de ne plus pouvoir pratiquer un sport ou danser)
et les atteintes aux sentiments d’affection (mort d’une mère ou d’un père, d’un
conjoint…). En cas de mort, les héritiers peuvent exercer l’action de la victime en
plus de l’action propre fondée sur les souffrances qu’ils ont endurées eux-mêmes ;
la réparation ici est appelée pretium doloris ou prix de la douleur.

Les auteurs ont longtemps posé la question de savoir si la réparation du


préjudice moral (direct ou par ricochet) n’allait pas à l’encontre de la moralité
primaire en ce qu’elle permet de « monnayer ses larmes » (pretium doloris). Il a
été répondu que même si la réparation n’était pas adéquate, elle permet de
sanctionner ou de punir l’auteur du dommage et de fournir à la victime une
compensation ou une consolation.

L’étude des caractères et des sortes de dommage permet de conclure que le


dommage réparable est largement entendu par la jurisprudence. Mais une
condition tout aussi importante de la responsabilité est le lien de causalité.

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SECTION II : LE LIEN DE CAUSALITE

Le lien de causalité est une question importante de la responsabilité civile


professionnelle, surtout en doctrine, car la jurisprudence, par pragmatisme, et
sagesse, ajoutent de nombreux auteurs, ne s’y attarde pas souvent dans son
analyse.

Le lien de causalité (ou relation causale ou rapport de cause à effet) existe


si en l’absence du fait incriminé (relevé), le dommage ne se serait pas produit.
Cette définition, qui se veut générale, contient déjà une connotation partisane du
fait qu’elle se rapproche un peu trop de la théorie de l’équivalence des conditions.
Il ne suffit pas qu’il y ait un dommage et un fait générateur de responsabilité : il
faut qu’un lien de cause à effet les unisse, autrement dit il faut que le fait
générateur soit la cause du dommage, sa cause efficiente. Il faut souligner que
l’article 1382, qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à
autrui un dommage… », exige bien un lien de causalité.

Dans l’examen de cette question, il est possible d’étudier : d’abord, la


problématique, les caractères et la preuve du lien de causalité ; ensuite, les théories
en présence et le droit positif ; enfin, l’hypothèse de la pluralité d’auteurs ou de
causes.

Paragraphe 1: La problématique, les caractères et la preuve du lien de


causalité

A. La problématique

Le lien de causalité soulève de grandes difficultés. Lorsqu’on va au fond


des choses, il est à peu près impossible de déterminer, dans l’ensemble des
événements qui ont précédé un dommage, qui l’ont préparé et qui y ont concouru,
celui d’entre eux qui a vraiment joué le rôle de cause. En général, tous se
combinent si bien entre eux que sans l’un d’eux, apparemment secondaire, la
chaîne aurait été rompue et le dommage ne se serait pas produit. En plus, si on y
ajoutait le sort, le destin, le hasard, la fatalité…, on voit que la question semble
insoluble d’un point de vue purement scientifique.

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B. Les caractères du lien de causalité

La jurisprudence exige que le lien de causalité soit certain et direct.

1. Le rapport de causalité doit être certain

C’est dire qu’il doit exister, être incontestable et être démontré. Si la preuve
n’est pas faite parce qu’impossible, la demande en réparation est rejetée, puisqu’il
n’y a pas de présomption de causalité. Par faveur pour la victime, on s’oriente
vers la responsabilité du fait des choses : les chasseurs ayant la garde de leurs
fusils, c’est à chacun d’eux d’apporter la preuve de la non-intervention de son
fusil, sinon ils sont solidairement responsables. Pour les groupements
personnalisés (sociétés civiles ou commerciales, associations…), la responsabilité
de la personne morale est admise dès que sont en cause des actes de ses organes.

2. Le rapport de causalité doit être direct

La jurisprudence ne retient la responsabilité que pour les dommages qui


sont une suite immédiate et directe (directe et nécessaire) du fait dommageable.
Pour fixer le point de rupture, les tribunaux recourent au bon sens, à l’existence
d’une faute ou d’une assurance.

C. La preuve

C’est à celui qui prétend – demandeur ou victime – qu’un fait générateur


de responsabilité lui a causé un dommage d’apporter la preuve du lien de causalité
existant entre le fait et le dommage. C’est une preuve assez difficile d’un point de
vue purement scientifique. Mais le droit n’étant pas une science exacte n’exige
pas une preuve parfaite.

D’abord, il suffit que la victime apporte des éléments rendant sa prétention


suffisamment vraisemblable, quitte à ce que le défendeur combatte cette
vraisemblance en faisant valoir d’autres faits.

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Ensuite, la victime bénéficie de véritables présomptions posées par la


jurisprudence. Ainsi, dans la responsabilité du fait des choses, il suffit de prouver
l’intervention de la chose pour que celle-ci soit réputée en être l’une des causes.
C’est au défendeur de démontrer une cause extérieure (force majeure, fait d’un
tiers…). En cas de faute intentionnelle prouvée, la preuve de l’existence du
dommage suffit. En effet, si tout s’est déroulé selon les prévisions de l’auteur, il
est normal de lui imputer les conséquences de son fait.

Paragraphe 2 : Les théories en présence et le droit positif

Le problème posé est de rattacher un dommage à un ou plusieurs faits


déterminés. C’est la question de la cause efficiente ou agissante du dommage. Des
théories proposent des principes pouvant guider dans la recherche d’une solution.

Il convient d’examiner les théories en présence et l’accueil que leur fait le


droit positif.

A. Les théories en présence

Deux principales théories se partagent les faveurs de la doctrine.

Il y a d’abord, la théorie de l’équivalence des conditions (ou des causes).


Elle a été développée par l’auteur allemand Von Buri en 1885. Pour cette théorie,
tous les événements qui ont conditionné le dommage sont équivalents ; tous en
sont à titre égal la cause. Tout fait sans lequel le dommage ne se serait pas produit
peut en être dit la cause, et l’auteur du fait peut dès lors être obligé à réparer
l’entier dommage5. Cette théorie présente un grand intérêt pour la victime qui a
ainsi de fortes chances d’être indemnisée. Dans la pratique, certains événements
ou causes pourraient de fait être privilégiés, ce qui tendrait à rapprocher la théorie
de l’équivalence des conditions de celle de la causalité adéquate.

5
Selon le Pr Gérard Léger (op. cit., p. 165), « tout événement qui est une condition du dommage, c’est-à-dire sans
lequel il n’aurait pu se produire, est considérée comme une cause et oblige son auteur à une réparation intégrale ».

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On a ensuite, la théorie de la causalité adéquate. Elle est inspirée de


l’Allemand Von Kries à la fin du 19e siècle. C’est une théorie qui s’oppose à la
précédente parce qu’elle est plus sélective. Elle ne retiendra dans les éléments
ayant concouru à la réalisation du dommage que celui ou ceux qui, suivant le cours
normal des choses, ou la suite naturelle des événements entraînent des dommages
de l’espèce considérée, par opposition aux causes qui n’entraînent un tel
dommage que par suite de circonstances extraordinaires (comme gifler quelqu’un
qui meurt). Il y a cependant de sérieuses difficultés de mise en œuvre.

B. Le droit positif

Il peut sommairement être examiné sous l’angle du droit belge, du droit


français et du droit burkinabè. La jurisprudence belge retient assez nettement la
théorie de l’équivalence des conditions. Ainsi, la Cour de cassation belge a décidé
qu’il y a une relation causale entre une faute et un dommage lorsque, sans la faute,
ledit dommage ne se serait pas réalisé de la manière dont il s’est produit6. La
jurisprudence française, elle, semble nettement s’être penchée en faveur de
l’équivalence des conditions, qui est plus favorable à la victime, ce qui est plus
conforme à l’évolution, laquelle tend à une plus grande protection de la victime.
Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation retient que la « pluralité de causes… n’est
pas de nature à faire obstacle à l’indemnisation de l’entier dommage par l’auteur
initial, par application du principe de l’équivalence des causes dans la production
du même dommage en matière de responsabilité délictuelle »7.

En droit burkinabè, La formulation des arrêts publiés de la Cour suprême,


puis de la Cour de cassation, et celle des jugements du Tribunal de première
instance, devenue TGI en 1993, de Ouagadougou ne permet pas de conclure à
l’adoption de l’une ou l’autre théorie. Il est certain qu’elle admet assez largement
l’existence du lien de causalité. Elle semble s’inspirer beaucoup de la
jurisprudence française. L’arrêt de la Cour suprême, Chambre judiciaire, du 13
février 1976 évoque une jurisprudence constante et cite dans ce sens un arrêt de
la Cour d’appel de Paris du 25 octobre 1949 (responsabilité du fait des choses :

6
12 fév. 1971, Pas., 1971, I, 537.
7
Civ. 2e, 27 mars 2003, JCP 2004, I, 1012, n° 3, obs. G. Viney.
Le professeur Cabrillac écrit que « la jurisprudence semble aujourd’hui privilégier implicitement la théorie de
l’équivalence des conditions en affirmant que le lien de causalité existe dès lors qu’en l’absence de la survenance
du fait retenu contre le défendeur, le dommage ne serait pas produit » (op. cit., n° 323.

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aucun contact matériel entre le véhicule, cause du dommage, et la victime n’est


nécessaire).

En conclusion, les théories sont tranchées mais la pratique rapproche les


différents droits positifs. En effet, les juges semblent se fier à leur bon sens en
tenant compte de l'existence ou non d'une faute, de son caractère intentionnel, de
l’existence d’une assurance... C’est en quelque sorte au second degré que les
théories interfèrent.

Paragraphe 3: La pluralité d’auteurs et la pluralité de causes

Les deux hypothèses doivent être distinguées et abordées successivement.

A. La pluralité d’auteurs

Lorsque le fait fautif constitue une infraction, l’article 54 du CP instaure la


solidarité entre les coresponsables de sorte que la victime, dont la situation est très
favorable, peut obtenir réparation de l’un quelconque d’entre eux, quitte à ce que
celui qui aura payé se retourne contre les autres. L’article 54 est ainsi libellé :
« Tous les individus condamnés pour un même crime ou pour un même délit
seront tenus solidairement des amendes, des restitutions, des dommages-intérêts
et des frais ». Cette disposition est interprétée de manière large par la
jurisprudence. Elle s’applique en particulier aux délits en matière fiscale. Dans
tous les cas, il est nécessaire qu’il y ait une infraction.

Lorsqu’il n’y a pas d’infraction, la solidarité prévue par le Code pénal ne


peut jouer. Par faveur pour la victime, la jurisprudence a créé l’obligation in
solidum ou solidarité imparfaite qui permet à la victime de ne pas devoir diviser
ses recours et d’obtenir réparation de l’un quelconque des responsables, qui
pourra se retourner contre les autres. L’obligation in solidum comporte les effets
essentiels de la solidarité mais non les effets secondaires qui supposent l’idée de
représentation réciproque, comme ceux prévus par les articles 1206 et 1207 du
Code civil (1206 : poursuites interrompant la prescription contre l’un valable à
l’égard de tous ; 1207 : demande d’intérêt formée contre un valable à l’égard de
tous).

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L’obligation in solidum joue dans les hypothèses suivantes :

- intervention prouvée de plusieurs personnes, de plusieurs choses ;

- faute collective de tous les participants.

Quant aux rapports entre coauteurs, ils sont complexes : s’ils sont tous tenus
sur la base de la faute (art. 1382), celui qui a payé peut se retourner contre les
autres et la répartition est fonction de la gravité de la faute de chacun ; s’il s’agit
d’une responsabilité du fait des choses, la répartition se fait par tête ; celui qui est
tenu sur la base de la faute ne peut se retourner contre celui qui est tenu sur la base
de 1384, alinéa 1er. En plus de la subrogation, celui qui a payé dispose d’une action
personnelle lui permettant de poursuivre un coauteur que la victime a renoncé à
poursuivre8.

B. La pluralité de causes

C’est un problème complexe ayant donné lieu à des solutions approuvées


ou critiquées par les auteurs selon leurs conceptions en matière de fondement de
la responsabilité civile et du lien de causalité.

En droit français et en droit burkinabè, on peut poser le principe suivant


lequel à une causalité partielle répond une responsabilité partielle. Dans son arrêt
du 14 décembre 1973, la Chambre judiciaire de la Cour suprême a eu à affirmer
que « l’auteur d’un accident n’est tenu d’en réparer les conséquences que dans la
limite de ce dont il est responsable ».

Il convient d’examiner quelques hypothèses de pluralité des causes. Mais il


convient de préciser qu’aucune des causes ne doit être nettement exclusive
puisque, dans ce cas, le problème de pluralité ne se poserait pas. On peut noter les
hypothèses suivantes :

- la force majeure et le fait de la victime : la victime supporte les conséquences du


choix du destin ;

- la force majeure et le fait du défendeur : le défendeur ne supportera que sa part


de responsabilité ; c’est la solution retenue par l’arrêt Lamoricière de la Cour de

8
Rémy Cabrillac, op. cit., n° 267.

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cassation française, chambre com., du 19 juin 19519, solution critiquée car avec
la théorie de l’équivalence des conditions, la responsabilité du défendeur est
intégrale ;

- le fait du défendeur et le fait de la victime : c’est une responsabilité partagée si


le fait de la victime constitue une faute ;

- le fait du défendeur et le fait d’un tiers : on tombe dans l’hypothèse d’une


pluralité d’auteurs ; le défendeur peut être tenu pour le tout, quitte à se retourner
contre le tiers.

En conclusion sur ce chapitre, il faut retenir que :

- la faveur pour la victime a conduit à l’élargissement de la responsabilité par


l’élargissement de la notion de faute et à une large admission du risque ;

- la jurisprudence belge retient la théorie de l’équivalence des conditions ; la


jurisprudence française, qui penchait pour la théorie de la causalité adéquate, ce
qui entraînait des différences dans les solutions retenues, a récemment adopté la
théorie de l’équivalence des conditions ; la jurisprudence burkinabè semble être
dans la mouvance de la jurisprudence française.

Les éléments constants de la responsabilité civile sont le dommage et le lien


de causalité. Malgré leur importance, ils sont insuffisants pour que la
responsabilité soit retenue. Il convient d’y ajouter un élément variable, à savoir le
fait générateur.

9
Com., 19 juin 1951, arrêt LAMORICIERE, Le gardien de la chose peut s’exonérer partiellement de sa
responsabilité en cas de force majeure. Naufrage du paquebot Lamoricière dû pour les 4/5 à un violent cyclone et
pour le 1/5 restant à du charbon défectueux.

17
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

CHAPITRE II : L’ELEMENT VARIABLE DE LA RESPONSABILITE : LE


FAIT GENERATEUR

Il existe trois faits générateurs de la responsabilité civile professionnelle :


le fait personnel (art. 1382 et 1383), le fait d’autrui et le fait des choses que l’on a
sous garde ou à sa charge (art. 1384). L’article 1384, al. 1er, à lui tout seul, annonce
ces trois faits générateurs quand il énonce que l’on est responsable non seulement
du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé
par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l’on a sous sa
garde.

C’est à l’étude de chacun de ces deux faits générateurs qu’il convient de


s’attacher maintenant.

SECTION I : LE FAIT PERSONNEL

Il sied d’abord de noter qu’il fait appel à la notion de faute. Selon l’art.
1382, « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige
celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Malgré sa position incidente,
il n’est pas douteux que le Code civil a voulu lier la responsabilité du fait
personnel à l’existence d’une faute. L’art. 1383 évoque l’imprudence et la
négligence qui sont des fautes involontaires : « Chacun est responsable du
dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence
ou par son imprudence ». Il y a une opposition entre fait et imprudence ou
négligence, le fait étant ici entendu comme une faute intentionnelle.

Mais le Code ne définit pas la faute, élément caractéristique de cette


responsabilité. Ensuite il est judicieux de remarquer que là où la responsabilité
peut être engagée sans faute personnelle (responsabilité du fait d’autrui ou du fait
d’une chose), il reste possible de recourir à la responsabilité du fait personnel en
démontrant une faute. Comme l’a écrit le Doyen Carbonnier 10 , c’est le droit
commun de la responsabilité. Certains auteurs parlent de responsabilité simple
fondée sur les articles 1382 et 1383 où il n'existe pas de présomption, ni de

10
Droit Civil, 4, PUF, 1969, p. 325.
18
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

pluralité de responsables (commettant et préposé pour 1384, al. 5) et de


responsabilité complexe en ce qui concerne le fait d’autrui et le fait des choses.

Enfin, le Conseil constitutionnel français a reconnu une valeur


constitutionnelle au principe énoncé dans l’article 1382 selon lequel toute faute
dommageable imputable à une personne physique ou morale de droit privé
entraîne pour celle-ci une obligation de réparer11.

Nous aborderons successivement la définition et les éléments constitutifs


de la faute, les diverses espèces de faute, l’appréciation et la preuve de la faute
ainsi que les causes d’exonération.

Paragraphe 1: La définition et les éléments constitutifs de la faute

Il faut commencer par définir la faute avant d’examiner ses éléments


constitutifs.

A. La définition de la faute

Pour les frères Mazeaud (Leçons de Droit civil, p. 378), la faute est une
erreur ou une défaillance de conduite telle qu’elle n’aurait pas été commise par
une personne avisée, placée dans les mêmes circonstances « externes » que le
défendeur. Cette définition paraît embrasser les différentes catégories de faute. En
France, l’avant-projet Catala de réforme du Code civil reprend en substance cette
définition lorsqu’il retient que : « constitue une faute la violation d’une règle de
conduite imposée par la loi ou un règlement ou le manquement au devoir général
de prudence et de diligence » (art. 1352, al. 2). La faute est considérée comme une
notion de droit. De ce fait, il y a un contrôle effectué par la juridiction de cassation
(Cour de cassation ; auparavant, il y a eu au Burkina la Chambre judiciaire de la
Cour suprême ou de la Haute cour judiciaire) sur le point de savoir si les faits
souverainement constatés par les juges du fond constituent une faute.

Quant à la faute professionnelle proprement dite, c’est celle commise par


une personne dans l’exercice de sa profession (Par exemple, le médecin, le
pharmacien, l’avocat, l’architecte, le transporteur, l’industriel, la société

11
Décision du 22 octobre 1982 déclarant non conforme à la constitution la disposition d’une loi qui
interdisait l’exercice d’une action en réparation lorsque le dommage avait été causé par des salariés à
l’occasion d’un conflit collectif du travail.
19
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

commerciale, etc.). Elle implique une responsabilité civile professionnelle qui


appelle quelques remarques. De fait, d’une part, la faute professionnelle est
appréciée selon le comportement du professionnel avisé, diligent, appliquant les
données acquises de la science ou de l’art concerné ; d’autre part, la responsabilité
professionnelle est essentiellement contractuelle au résultat de l’évolution
(transport, responsabilité médicale…) et, très souvent, l’obligation qui en résulte
est une obligation de moyens et non de résultat. Cependant, elle peut être
délictuelle : en cas de décès du cocontractant, les héritiers peuvent renoncer à
l’action contractuelle du de cujus pour exercer une action propre de nature
délictuelle. (De plus, la responsabilité du notaire et la responsabilité du
transporteur bénévole sont délictuelles). Enfin, la responsabilité professionnelle
est souvent couverte par une assurance, qui peut être obligatoire.

B. Les éléments constitutifs de la faute

Les éléments constitutifs de la faute civile professionnelle sont simplement


ceux de la faute civile en général. Et tout comme la faute pénale, des auteurs
(Weill et Terré, Gérard Léger…) ont soutenu que la faute civile (délit ou quasi-
délit) nécessitait la réunion de trois éléments : un élément légal, un élément
matériel et un élément moral.

Pour ce qui est de l’élément légal, il peut s’agir d’un texte quelconque
comme le Code de la route, le Code de l’urbanisme, le Code pénal (toute violation
de la loi pénale est aussi en général une faute civile mais une faute civile peut
exister en l’absence de faute pénale), d’un usage (par exemple consacré par un
code de déontologie), d’une réglementation privée (règles de jeu en matière
sportive) et, plus généralement, en l’absence d’un texte spécial, d’une règle
d’origine morale : l’obligation d’agir de bonne foi, de ne pas nuire à autrui, de se
comporter de manière prudente et avisée. Ce sont donc les articles 1382, 1383 et
1384 qui circonscrivent le domaine légal du fait professionnel dommageable.
D’où il suit qu’il n’est pas nécessaire qu’un texte précis visant des faits définis
existe.

En ce qui concerne l’élément matériel, il n’y a pas de développement à faire.


C’est l’acte, le fait ou l’abstention qui a provoqué le dommage. Il doit être la

20
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

violation d’un devoir imposé par l’ordre juridique. En pratique, une grande
diversité s’observe en la matière, comme on le verra plus loin.

Quant enfin à l’élément moral, en droit civil, il est difficile de parler


d’élément moral pour les fautes par imprudence ou par négligence où il n’existe
pas d’intention. Si en principe, la faute suppose la faculté de discernement, le droit
positif l’écarte parfois dans le souci de faciliter l’indemnisation des victimes. Cela
est particulièrement vrai pour les actes commis par les déments ou les très jeunes
enfants.

Paragraphe 2: La diversité des fautes

La diversité des fautes civiles peut être approchée à travers un certain


nombre de classifications.

A. La faute intentionnelle et la faute non intentionnelle

La faute intentionnelle ou délictuelle est celle où le responsable a prévu et


accepté les conséquences de son acte (art.1382). Il a voulu livrer au client une
marchandise non conforme, ce qu’il a fait. Dans la faute non intentionnelle ou
quasi délictuelle, le responsable n’a pas voulu de dommage. Il a seulement voulu
assurer la salubrité des lieux et en mouillant le carrelage il l’a rendu glissant, ce
qui a provoqué la chute du client.

Qu’il s’agisse d’une faute intentionnelle ou d’une faute non intentionnelle,


les dommages qui en résultent sont intégralement réparables. Mais il y a un intérêt
certain à la distinction. D’une part, en effet, on ne peut pas s’assurer pour ses
fautes intentionnelles. Le Code CIMA (art. 11, al. 2), reprenant en substance la
loi du 13 juillet 1930 sur le contrat d’assurance, telle qu’elle était applicable au
Burkina (art. 12, al. 2), dispose que, nonobstant toute convention contraire,
« l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute
intentionnelle ou dolosive de l’assuré ». Mais il doit s’agir dans ce cas d’une faute
intentionnelle ou dolosive qui n’existe qu’autant que l’acte dommageable réalisé

21
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

a été voulu par son auteur 12 . La faute lourde ne suffit pas 13 . D’autre part, en
matière de sécurité sociale, la loi n° 15-2006/AN du 11 mai 2006 portant régime
de sécurité sociale applicable aux travailleurs salariés et assimilés au Burkina
Faso, ne permet de poursuivre l’employeur ou ses préposés en matière d’accidents
du travail stricto sensu ou de maladie professionnelle que s’ils ont
intentionnellement provoqué l’accident ou la maladie (article 112, alinéa 1).La
faute intentionnelle s’apprécie in concreto, c’est-à-dire, par rapport à la personne
elle-même tandis que la faute non intentionnelle s’apprécie in abstracto, par
rapport au bon père de famille.

Dans les faits, la jurisprudence tient compte de la faute intentionnelle pour


en général ne plus rechercher l’existence d’un lien de causalité ou pour accorder
une réparation plus importante à la victime sans l’affirmer. Ce sont les dommages-
intérêts punitifs pratiqués aux Etats-Unis.

B. La faute par commission et la faute par omission

La faute par action ou par commission résulte des agissements de


l’individu. Elle est entendue au sens large dans la mesure où elle inclut les
mensonges, la diffamation, les injures… A l’opposé, la faute par omission résulte
d’une abstention ou d’une inaction14. On distingue l’abstention dans l’action et
l’abstention pure et simple. La faute par omission résultant de l’abstention dans
l’action est largement admise par la jurisprudence. Par contre, la faute par
abstention pure et simple n’est sanctionnée que lorsqu’elle est prévue par une loi
ou un règlement, ou en cas d’intention de nuire ; et bien qu’un auteur du nom de
Loysel ait écrit que « qui peut et n’empêche pêche », la jurisprudence ne semble
pas admettre d’autres cas de sanction de la faute par abstention. On estime que
son admission généralisée serait contraire à la liberté de l’individu.

12
Civ. 1ère, 5 janvier 1970, D. 1970, 155.
13
Civ., 1ère, 24 juin 1966, D. 66, 256.
14
Civ., 27 février 1951, arrêt BRANLY, La faute prévue dans les articles 1382 et 1383 du code civil
peut aussi bien être un fait négatif, une abstention (faute par omission), qu’un acte positif (faute par
commission). Condamnation d’un historien pour avoir volontairement omis, dans un ouvrage sur la
TSF, d’énoncer le nom de Branly, savant à l’origine de l’invention, à cause d’un différend politique entre
les deux hommes.

22
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Paragraphe 3: L’appréciation et la preuve de la faute

L’existence d’une faute intentionnelle ne peut s’apprécier que par une


analyse subjective du comportement concret de l’individu compte tenu de ses
particularités : force physique, âge, caractère, profession... Il s’agit là d’une
appréciation in concreto. Les tribunaux peuvent utiliser des présomptions de
l’homme, c’est-à-dire déduire l’intention des circonstances de la cause.La faute
d’imprudence ou de négligence, elle, se détermine en se référant au modèle
abstrait que peut représenter le bon père de famille, c’est-à-dire l’homme
raisonnable placé dans la même situation : c’est donc une appréciation in
abstracto mais la profession, l’âge, le sexe, la force physique, la position
sociale… interviennent dans l’établissement du modèle de référence.

La preuve de la faute, comme celle du lien de causalité, peut être apportée par le
demandeur par tous moyens car il s’agit de faits juridiques et non d’actes
juridiques.

Paragraphe 4: Les causes d’exonération

Elles sont nombreuses. Et il convient aussi de remarquer, d’entrée de jeu,


que la capacité aquilienne est moins exigeante que la capacité contractuelle parce
que, d’une part il suffit d’une expérience plus élémentaire pour ne pas commettre
de faute, d’autre part les victimes n’ayant pas choisi leur rôle méritent plus de
protection que le cocontractant.

La responsabilité du fait personnel admettant la panoplie la plus large


possible de causes d’exonération, c’est en ce qui la concerne qu’elles seront
étudiées. Les causes d’exonération interviennent pour faire disparaître la
responsabilité ou en tout cas le droit à réparation quand apparemment un lien
existe entre le dommage et le fait du défendeur. On doit distinguer les causes
générales d’irresponsabilité (les causes de non-imputabilité ; la force majeure et
les faits justificatifs) des causes spécifiques (les conventions d’irresponsabilité).

23
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

La responsabilité restant peu ou prou liée à l’idée de faute, même présumée, il se


pose la question de savoir si les personnes privées de raison ainsi que les
personnes morales peuvent être tenues pour responsables.

Les causes d’exonération de la responsabilité varient selon qu’il s’agisse


d’entreprises individuelles ou de sociétés ou personnes morales professionnelles.
La jurisprudence admet depuis longtemps qu’une personne morale peut
commettre une faute engageant sa responsabilité civile à travers les actes de ses
organes pris comme préposés sur la base de l’article 1384, alinéa 5. Elle devra
alors réparation à la victime. Par exemple, la responsabilité d’un syndicat est
engagée en cas de grève s’il a « effectivement participé à des agissements
constitutifs d’infractions pénales ne pouvant se rattacher à l’exercice normal du
droit de grève »15. La responsabilité de la personne morale n’exclut pas celle de
ses dirigeants dont la responsabilité personnelle peut être engagée sur la base de
la faute personnelle. La jurisprudence française admet la faute de la personne
morale indépendamment de la faute de ses dirigeants, la responsabilité de ces
derniers ne pouvant être retenue qu’en cas de faute personnelle détachable de leurs
fonctions. La conséquence d’une telle évolution est une extension de la
responsabilité des personnes morales et une certaine irresponsabilité des
dirigeants16.

A. les causes générales d’exonération de la responsabilité civile


professionnelle

La force majeure est la cause d’exonération la plus généralement admise.


Dans une conception large, elle inclut le fait de la victime ou d’un tiers revêtant
les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. Toutefois,
certaines décisions récentes de la Cour de cassation française n’exigent pas
l’imprévisibilité : dès lors que toutes les précautions ont été prises pour éviter un
événement pourtant prévisible mais qu’il n’est pas possible d’empêcher, les
conditions d’extériorité et d’irrésistibilité peuvent paraître suffisantes pour
constituer la force majeure17.En outre, un acte ou une omission dommageable
légitimée par une autorisation légale ne saurait fonder le droit à une réclamation

15
C. cas. fr., Soc. 9 nov. 1982, JCP 1983, II, 19995.
16
Voy. dans ce sens Rémy Cabrillac, op. cit., 242.
17
Voy. dans ce sens Gérard Léger, op. cit., p. 168.
24
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

au titre de la RC. PRO. Mais le préjudice ne doit pas s’étendre au-delà de la


prévision du législateur.

De création jurisprudentielle au départ, l’état de nécessité est aujourd’hui


prévu par l’article 72 du code pénal. C’est la situation de désespoir ou de dernière
extrémité qui permet d’excuser totalement ou partiellement l’auteur d’une
infraction pénale. Autrement dit, il permet de causer un dommage pour éviter un
péril imminent. L’une des premières et des plus célèbres applications est due au
juge Magnaud, surnommé « Le bon juge de Château Thierry. Malgré quelques
résistances au départ, la jurisprudence a maintenu l’excuse de nécessité, reprise
plus tard en France dans le Code Badinter. Au moins au plan pénal, l’état de
nécessité doit réunir trois conditions : il faut que le moyen utilisé ait été le seul ou
le meilleur, que l’intérêt sauvé soit supérieur à l’intérêt sacrifié et que la personne
qui l’invoque n’ait pas commis une faute. En outre, si la provocation et la
prédisposition de la victime n’entraîne en la matière qu’un partage de
responsabilité, l’acceptation de la victime est inopérante surtout pour ce qui est
des droits extrapatrimoniaux. Mais en ce qui concerne les biens et les droits dont
la victime peut disposer, son acceptation peut être opposée à la constitution de la
responsabilité civile professionnelle.

En ce qui concerne le montant de la réparation, il convient d’appliquer le


principe selon lequel le responsable ne doit réparer que le dommage qu’il a causé.
Par conséquent, si les aptitudes de la victime étaient déjà amoindries, le dommage
causé ou aggravé par l’accident est réparé en tenant compte de cette incapacité
antérieure. Par exemple, si l’accident réduit l’usage d’un bras, il est tenu compte
du fait que les mouvements de ce membre étaient déjà limités en raison d’une
malformation ou d’une précédente blessure. Si avant l’accident, la victime était
déjà atteinte d’une incapacité partielle de 40 %, si l’accident entraîne l’incapacité
totale (100%), l’auteur ne sera condamné que pour les 60 % restants. [On tient
compte de l’incapacité antérieure de la victime résultant d’une infirmité ou d’un
accident. En sens contraire, on note l’arrêt de la Cour suprême, Chambre sociale
du 14 décembre 1973 qui affirme que la lésion antérieure à l’accident ne saurait
être prise en compte pour la détermination du taux d’incapacité permanente
partielle (IPP)].

25
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

B. Les causes spécifiques d’irresponsabilité professionnelle

En droit français et burkinabè, les articles 1382 à 1384 sont considérés


comme étant d’ordre public. Par conséquent, une personne ne peut à l’avance
s’exonérer de sa responsabilité, tout au moins de sa responsabilité pour faute 18.
La victime ne peut non plus par avance renoncer au droit qu’il en tire. Si le
dommage est né, la renonciation est valable. En France, le Conseil constitutionnel
a reconnu une valeur constitutionnelle au principe énoncé dans l’art. 1382, selon
lequel toute faute dommageable imputable à une personne physique ou morale de
droit privé entraîne une obligation de réparer 19 . Par contre, en matière
contractuelle, ces clauses sont valables, sauf pour faute dolosive.

Ainsi donc, il est possible par voie de contrat de prévoir une exonération
totale ou partielle de la responsabilité civile professionnelle. Cependant ces
conditions doivent être en accord avec le Code de la Consommation. Pour cela,
les clauses du contrat ne doivent pas être considérées comme abusives. Par
exemple, dans le cas d’un contrat signé entre un professionnel et un
consommateur, le contrat et l’exonération de la RC Professionnelle prévue ne doit
pas représenter de déséquilibres significatifs entre les deux parties. En dehors de
ces cas spéciaux, les trois cas ordinaires ouvrant droit à l’exonération de la RC
PRO restent la force majeure (il s’agit d’un fait impondérable, imprévisible), la
faute de la victime (du fait de sa propre imprudence ou négligence) et le fait d’un
tiers (ayant provoqué par son action la faute).

En droit comparé belge, la matière de la responsabilité civile n’est pas


d’ordre public et les clauses de non responsabilité sont en principe valables, sauf
en certaines matières (responsabilité contractuelle si son admission détruit le
contrat, lorsque la loi les prohibe…).

La responsabilité du fait personnel est considérée comme une responsabilité


simple par rapport à la responsabilité du fait d’autrui et à la responsabilité du fait
des choses.

18
« Sont nulles les clauses d’exonération ou d’atténuation de responsabilité en matière délictuelle, les
articles 1382 et 1383 C. civ. étant d’ordre public et leur application ne pouvant par avance être paralysée
par une convention » (Civ. 2e, 17 février 1955, Dalloz 1956, note P. Esmein ; JCP 1955.II.8951, note R.
Rodière.
19
Décision du 22 octobre 1982 déclarant non conforme à la Constitution la disposition d’une loi qui
interdisait l’exercice d’une action en réparation lorsque le dommage avait été causé par des salariés à
l’occasion d’un conflit collectif du travail.
26
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

SECTION II : LA RESPONSABILITE DU FAIT D’AUTRUI

L’article 1384, al. 1er, en pose le principe : on est responsable du dommage


qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre. Les alinéas suivants
explicitent les différents cas de responsabilité du fait d’autrui.

Cette responsabilité appelle quelques remarques générales.

- L’idée commune est que certaines personnes disposent d’une autorité, d’un
pouvoir de fait ou de droit sur d’autres et elles doivent en disposer pour les
empêcher de commettre des dommages. La responsabilité est la sanction du non-
accomplissement de cette obligation.

- Il faut en principe la preuve d’une faute dans le chef de la personne dont on doit
répondre.

- La responsabilité du fait d’autrui laisse subsister, sauf exception, la


responsabilité personnelle de la personne dont on répond (si du moins elle a la
capacité aquilienne).

- La personne qui répond d’une autre conserve en principe un recours contre la


personne dont elle répond et, a fortiori, contre le tiers coauteur du dommage.

- La responsabilité du fait d’autrui ne joue qu’en cas de dommage causé aux tiers,
c’est-à-dire aux personnes autres que celles dont on répond.

Seront successivement abordés la responsabilité des artisans du fait de leurs


apprentis, la responsabilité des maîtres et commettants du fait de leurs
domestiques et préposés, l’admission d’un principe de responsabilité présumée du
fait d’autrui sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er.

Paragraphe 1: La responsabilité des artisans du fait de leurs apprentis

Il résulte des alinéas 6 et 7 de l’article 1384 du Code civil que les artisans
sont responsables du dommage causé par leurs apprentis pendant le temps qu’ils
sont sous leur surveillance, sauf s’ils prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui
donne lieu à cette responsabilité.

27
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

A. Les conditions de la responsabilité

Cette responsabilité fait appel aux notions d’artisan et d’apprenti. L’artisan


est toute personne qui s’engage à fournir une formation professionnelle à
l’apprenti. Quant à l’apprenti, c’est toute personne encore inexpérimentée qui
apprend un métier ou qui est en apprentissage sous la direction d’un artisan ou
d’un maître ou d’un patron. Le Code ne pose pas de condition d’âge et n’exige
pas la cohabitation.

Enfin, il faut un acte dommageable de l’apprenti lorsqu’il est sous la


surveillance du patron. On dit que la présomption de responsabilité est continue
lorsque l’apprenti loge chez l’artisan et discontinue dans le cas contraire, c’est-à-
dire qu’elle est limitée au temps où l’apprenti est sous sa surveillance.

B. Le régime de la responsabilité

Traditionnellement la jurisprudence fonde la responsabilité civile des


artisans sur une présomption de faute de surveillance. L’effet de la présomption
est de dispenser la victime de prouver une faute de la part de l’artisan. Celui-ci
peut cependant s’exonérer en prouvant l’absence de faute, c’est-à-dire en
démontrant qu’il n’a pas commis de faute, et cela par interprétation de l’alinéa 7
de l’art. 1384.La plupart des auteurs estiment cette particularité injustifiée et
voudraient que la responsabilité des artisans soit purement et simplement soumise
aux règles applicables aux commettants qui sont plus favorables aux victimes.

Dans le cas de la France, et selon une nouvelle jurisprudence (sur la


responsabilité des père et mère devrait logiquement s’étendre à celle de l’artisan),
l’artisan ne serait tenu que d’une responsabilité de plein droit, dont il ne pourrait
se dégager qu’en prouvant une force majeure ou une faute de la victime. Le régime
de la responsabilité de l’artisan s’alignerait alors sur celui du commettant.

Dans tous les cas, la victime dispose d’une option et peut agir contre
l’apprenti sur le fondement de sa responsabilité personnelle.

28
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Paragraphe 2: La responsabilité des maîtres et commettants du fait de leurs


domestiques et préposés

La responsabilité des maîtres et commettants du fait de leurs domestiques


et préposés commis dans les fonctions auxquelles ils les ont employés, est plus
souvent mise en jeu au Burkina en comparaison avec les autres chefs de
responsabilité du fait d’autrui. Parmi les responsabilités du fait d’autrui, c’est celle
qui a présenté le plus d’originalité au départ. Sa mise en jeu est plus fréquente et
son intérêt certain.

Il faut un fait personnel du préposé présentant en sa personne les conditions


de la responsabilité du fait personnel : il faut donc une faute mais certains auteurs
français pensent qu’aujourd’hui un fait dommageable quelconque suffit. La
jurisprudence française estime que la qualité de préposé est incompatible avec
celle de gardien, qui est caractérisée par un pouvoir de direction de la chose en
toute indépendance [ou le fait d’une chose qu’il utilise].

La responsabilité des commettants – ou celle des maîtres qui lui est


assimilée – appelle des développements sur le lien de commettant à préposé, le
fait commis dans l’exercice des fonctions, les effets de cette responsabilité, le
fondement et l’admission en France d’un principe de responsabilité présumée du
fait d’autrui sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er.

A. Le lien de commettant à préposé ou lien de préposition

C’est un lien de préposition ou de subordination impliquant la direction, la


surveillance et le contrôle que le commettant exerce sur le préposé. Lorsqu’il y a
un contrat, il s’agit le plus souvent d’un contrat de travail. Peu importe la
rémunération ou la position hiérarchique du salarié (ouvrier ou subalterne, ou
cadre moyen ou supérieur). C’est la dépendance juridique beaucoup plus que la
dépendance économique qui est visée. Le rapport de dépendance est basé sur
l’autorité et la surveillance, sur le droit de donner des instructions et des ordres.
Cette situation peut être de droit ou de fait et son existence s’apprécie selon les
circonstances de la cause. La simple dépendance économique ne suffit pas : par
exemple, il n’y a pas de lien de subordination juridique entre un fabricant et son

29
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

sous-traitant, entre un commerçant et son représentant. De manière générale, le


contrat d’entreprise, à la différence du contrat du travail, exclut la subordination.

Il peut se faire qu’il y ait plusieurs commettants. Par exemple, un camion


est mis avec le préposé à la disposition d’un client. En droit français, l’on cherche,
dans la mesure où cela est possible, à déterminer avec précision celui d’entre eux
qui exerçait les pouvoirs de commandement. On dit que le lien de préposition est
alternatif et la tendance, en cas de doute, est de retenir le commettant habituel 20.
En droit belge, on préfère instaurer la solidarité entre commettants.

Tout compte fait, la responsabilité existe même lorsque le commettant n’a


pas choisi son préposé et peut fonder l’action civile en réparation.

B. Les rapports entre l’acte du préposé et la fonction

L’article 1384, al. 5, exige que le dommage soit causé par le préposé, dans
les fonctions auxquelles le commettant l’a employé. A priori, la faute du préposé
doit être commise pendant le temps de travail, sur les lieux ou le trajet normal du
travail avec les moyens, le but et l’intérêt du travail. Pour mieux cerner la question
des rapports, il faut distinguer les trois principales hypothèses.

Premièrement, l’acte posé peut n’avoir aucun rapport avec le travail : par
exemple le préposé qui se rend de son domicile au lieu de son travail et cause un
accident avec son véhicule personnel ; dans ces différentes hypothèses, le
commettant n’est pas responsable. La deuxième hypothèse est celle ou, l’acte est
posé dans l’exercice de ses fonctions : au cours d’une livraison, le préposé, en
l’occurrence un chauffeur-livreur, dans l’exercice de ses fonctions, conduisant un
véhicule de l’entreprise, écrase un piéton : le commettant est responsable même
si la faute du préposé constitue une infraction pénale. Enfin, l’acte peut avoir été
posé à l’occasion des fonctions : c’est là que se situent les difficultés ; en effet, il
existe de nombreuses situations intermédiaires, notamment lorsque le préposé
commet un abus ou un dépassement de fonctions, par exemple, il utilise, sans
autorisation et à des fins personnelles, mais durant les heures de travail, un
véhicule que l’entreprise a mis à sa disposition seulement pour l’exercice de ses

20
Au Burkina, le TPI, Ouagadougou, le 15 décembre 1976 a retenu la responsabilité de l’OPT pour un
agent de l’Etat qu’il utilisait occasionnellement pour une faute commise dans ce cadre.
30
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

fonctions ; la faute a des rapports mais lâches avec la fonction. En jurisprudence


française, des décisions très controversées ont admis une responsabilité étendue
des commettants dans les cas de l’ouvreur qui, dans un cinéma, viole et tue une
jeune spectatrice après l’avoir suivie dans les lavabos ; du meurtre commis au
cours d’une rixe entre deux ouvriers, l’arrêt relevant que la querelle concernait
l’exécution du travail ; du chauffeur volant à son employeur un camion autre que
celui qu’il avait à conduire et qui cause un dommage ; et enfin de l’ouvrier qui,
pour se venger d’une observation qui lui a été faite par le contremaître, le suit
après le travail et le frappe mortellement.

En France, la Chambre criminelle de la Cour de cassation adoptait une


conception extensive du lien avec la fonction. Pour elle, il suffisait que la fonction
ait fourni l’instrument du dommage ou en ait été l’occasion. Par contre, la
Deuxième chambre civile adoptait une conception plus restrictive du lien : dès
lors que l’acte est étranger aux fonctions, il y a abus et le commettant n’est pas
responsable. L’Assemblée plénière, en 1977 et surtout le 17 juin 198321, a retenu
la conception restrictive mais en employant une formule large. Pour elle, « les
dispositions de l’art. 1384, al. 5, C. civ. ne s’appliquent pas au commettant en cas
de dommages causés par le préposé qui, agissant sans autorisation à des fins
étrangères à ses attributions, s’est placé hors des fonctions auxquelles il était
employé ». En l’espèce, la responsabilité du commettant n’a pas été retenue
lorsqu’un livreur de mazout a déversé le mazout dans une carrière, acte à l’origine
d’une pollution de l’eau potable. La Chambre criminelle a finalement adopté cette
conception : par exemple, elle n’a pas retenu la responsabilité d’un transitaire en
douane dont le préposé a commis un délit de contrebande.

La question qui restait posée était de savoir si ces trois conditions sont
cumulatives. Afin d’assurer une indemnisation plus fréquente des victimes,
l’exigence de trois conditions pour l’exonération du commettant a été consacrée
par l’Assemblé plénière dans son arrêt du 19 mai 1988 pour qui « le commettant
ne s’exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions
auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses
attributions »22. Ainsi, dans cet arrêt, une compagnie d’assurance a été déclarée
responsable du détournement de fonds commis par un préposé parce qu’il avait
reçu les fonds en exerçant ses fonctions. Une solution identique a été adoptée
lorsqu’un clerc de notaire ou un employé de banque détourne des fonds en

21
Dalloz 1984, 134, note Denis.
22
Dalloz 1988, 13, note Larroumet.
31
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

effectuant un acte qui entre dans ses attributions (opération de prêt par exemple)
ou même lorsqu’un préposé d’une société de nettoyage commet un vol pendant
l’accomplissement de son travail.

Un rôle important est donné à l’apparence dans les cas où la victime a été
en rapport avec un préposé afin de conclure ou d’exécuter un contrat qui la lie au
commettant. Celui-ci est responsable des actes de son préposé chaque fois que les
circonstances ou les usages laissaient croire à la victime que le préposé agissait
dans l’exercice de ses fonctions : le commettant ne peut pas échapper à sa
responsabilité au seul motif que celui à qui il a confié une tâche a agi à des fins
personnelles. En revanche, la responsabilité est écartée lorsque la victime a fait
preuve d’une imprudence incontestable en se livrant à une opération sortant des
attributions habituelles du préposé et quelque peu suspecte : elle ne pouvait
légitimement croire que le préposé avait agi pour le compte de son employeur.

La conséquence essentielle du dépassement ou de l’abus des fonctions est


que la responsabilité du commettant est écartée et seul le préposé répond de ses
actes. Si dans les mêmes conditions, il a utilisé une chose du commettant, il en est
devenu gardien et sa responsabilité peut être engagée sur le fondement de l’art.
1384, al. 1er.

La jurisprudence belge, elle, retient la responsabilité du commettant même


en cas d’abus des fonctions. La jurisprudence burkinabè semble admettre de
manière large le lien entre l’acte du préposé et sa fonction. Dans de nombreux cas,
elle a retenu la responsabilité du commettant.

C. Les effets de la responsabilité

La responsabilité des commettants est caractérisée par l’inefficacité de la


preuve de l’absence de faute et les effets généraux de la responsabilité du fait
d’autrui. D’une part, en effet, le commettant ne peut pas s’exonérer de sa
responsabilité en apportant la preuve de l’absence de faute. On peut citer à titre
illustratif les décisions du TPI de Ouagadougou du 10 juillet 1974 et du 15
décembre 1975, dont il ressort substantiellement la rigueur du régime de
responsabilité du fait d’autrui à l’égard du commettant et subséquemment la
restriction de l’hypothèse d’irresponsabilité à la seule condition d’apporter la
preuve d’un fait imprévisible et irrésistible dans lequel s’origine le dommage subi.
32
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

De là, il faut tirer la conclusion que seule la démonstration de la force majeure ou


d’un fait en revêtant les caractères (tiers, victime) peut constituer une cause
d’exonération.

D’autre part, pour ce qui est des effets généraux de la responsabilité du fait
d’autrui, il sied de souligner que la victime peut poursuivre ou le préposé ou le
commettant ou les deux en même temps. Le commettant, à son tour, pourra
exercer un recours contre le préposé, ce qu’il faisait rarement en pratique. Dans
ce sens, le TPI de Ouagadougou a rendu le 1er avril 1965 une décision opérant un
partage de responsabilité : 1/3 commettant, 1/3 préposé, 1/3 victime (il s’agissait
de marchandises déposées dans un atelier de soudure et qui ont brûlé). Telle n’est
pas la solution proposée en droit français. En effet, la Cour de cassation française
semble exclure la poursuite du préposé, et donc la responsabilité personnelle de
ce dernier, ainsi que le recours du commettant contre le préposé lorsque le préposé
a agi sans excéder les limites de sa mission 23 . Le commettant ne peut donc
poursuivre le préposé que si ce dernier a commis une faute constitutive d’une
infraction intentionnelle24.

D. Le fondement de la responsabilité des commettants

On s’oriente vers une pluralité d’explications ou de fondements. On a ainsi


pensé à la faute parce qu’il y aurait eu mauvais choix du préposé, un défaut de
surveillance de celui-ci ou de mauvaises instructions données à celui-ci par le
commettant. On a également pensé au risque, car le profit de l’activité du préposé
va au commettant mais la possibilité d’un recours du commettant contre le
préposé ainsi que la nécessité de démontrer une faute du préposé affaiblissent
cette explication. Mais la théorie de la garantie paraît plus satisfaisante. Elle
repose sur la prise en considération de l’intérêt de la victime dont les droits ont
été lésés. Mais cette théorie s’accorde mal avec la nécessité d’une faute du
préposé ; ce qui fait de la présomption de responsabilité, une explication plus
convenable.

23
Gérard Léger, op. cit., p. 160.
24
Civ. 1ère, 9 nov. 1984, Dalloz 2005, 253, note F. Chabas ; R. Cabrillac, op. cit., 307.
33
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

SECTION III : LA RESPONSABILITE DU FAIT DES CHOSES

Selon l’article 1384, al. 1er, l’on est responsable du dommage causé par les
choses que l’on a sous sa garde.
L’approfondissement de cette importante catégorie de responsabilité passe
par l’étude des questions ci-après : l’évolution ; les conditions de cette
responsabilité ; les effets et le fondement.

Paragraphe 1. L’évolution

L’évolution doit être abordée au plan général et au plan du droit.

A. Au plan général

Lors de l’adoption du Code civil en 1804, les dommages causés par les
choses étaient plutôt rares. Les articles 1382 et 1383 suffisaient même dans le cas
où une personne s’était servie d’une chose. Avec l’évolution vers la société
industrielle, l’on a assisté à la mécanisation ou à la « chosification » de l’activité,
des moyens de transport et à des installations et équipements divers destinés à
faciliter la vie quotidienne. Les machines diverses dans les usines, les véhicules
(automobiles, motos, bicyclettes) dans la circulation, les escaliers roulants, les
ascenseurs, les machines sophistiquées de soins, etc., tendent à rendre les
accidents anonymes. Il devient de plus en plus difficile, voire impossible, de
prouver la faute d’une personne. Quand un ouvrier travaillant sur une machine
sophistiquée est blessé, est-ce qu’il y a vraiment une faute de l’employeur ?
On éprouve beaucoup de difficultés à déterminer qui est fautif ou responsable
dans nombre d’accidents de la circulation (comme les carambolages).

B. Au plan du droit

Il est manifeste que les rédacteurs du Code civil, en écrivant l’article 1384,
al. 1er, entendaient simplement annoncer les articles 1385 et 1386 concernant
respectivement les animaux et la ruine des bâtiments.

34
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Devant le nombre de plus en plus important de dommages quêtant


réparation et, encouragés par le législateur qui avait organisé la réparation des
accidents du travail, jurisprudence et doctrine optèrent pour une lecture littérale
de l’article 1384, al 1er : on est responsable du dommage causé par le fait des
choses que l’on a sous sa garde. La faute n’y est pas mentionnée. C’est entre 1920-
1930 que la jurisprudence française de la Cour de cassation allait poser,
particulièrement dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 25 , les bases et
conditions de cette responsabilité. En l’espèce, il s’agissait d’un accident
d’automobile. La cour d’appel avait refusé d’appliquer 1384, al. 1 er, au double
motif que ce texte ne joue pas à l’égard des choses « actionnées par la main de
l’homme » et que la preuve n’avait pas été rapportée que cette chose avait quelque
« vice propre ». L’arrêt de la cour d’appel est cassé aux motifs que la loi ne
distingue pas entre choses actionnées ou non actionnées par la main de l’homme
ni entre celles qui auraient un vice et celles qui n’en auraient pas. La Cour de
cassation ajoute que la présomption de responsabilité de l’art. 1384, al. 1 er, ne peut
être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou d’une cause étrangère non
imputable.
Les conditions de cette responsabilité venaient ainsi d’être précisées.

Paragraphe 2. Les conditions de la responsabilité

De la jurisprudence, on déduit qu’il faut le fait d’une chose et la garde de


cette chose. Mais il convient de préciser la notion de chose.

A. La chose

La chose est l’un des termes les plus vagues de la langue française. Il faut
évoquer successivement les choses comprises et les choses non comprises ainsi
que le cas du droit belge où l’on exige un vice de la chose.

1. Les choses comprises

Au résultat de l’évolution, toutes les restrictions ont été abandonnées. Il


s’agit donc de toutes les choses inanimées (à la différence des animaux), qu’elles

25
Dalloz 1930, 1, 57.
35
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

soient mobilières ou immobilières, dangereuses ou non, avec ou sans vice,


actionnées ou non par la main de l’homme, en mouvement ou non. Ainsi sont
compris les véhicules avec ou sans moteur, les navires, les aiguilles médicales, les
arbres, les lames de rasoir, les fils électriques, les bouteilles de gaz, les
locomotives, la pierre projetée par un pneu 26 et même une personne réifiée
(chosifiée, transformée en chose) comme l’a admis la Cour de cassation fr.27.

2. Les choses non comprises

Il s’agit principalement des animaux, des bâtiments, de l’incendie mais il y


a d’autres choses non comprises.

a) Les animaux : art. 1385


Le propriétaire d’un animal ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son
usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fut
sous sa garde, soit qu’il fut égaré ou échappé. Le propriétaire ou celui qui s’en
sert (cette expression est à rapprocher du gardien visé par l’art. 1384, al. 1 er) est
présumé responsable et ne s’exonère que s’il démontre une cause étrangère non
imputable28. Les animaux sauvages non appropriés ne sont pas concernés.
Dans l’ensemble, cette responsabilité est très proche de la responsabilité
générale du fait des choses de l’article 1384, al. 1 er, et n’a donc plus de raison
d’être.

b) Les bâtiments : art. 1386


Le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa
ruine due au défaut d’entretien ou au vice de sa construction. La victime doit
prouver que la ruine a pour cause le vice de construction ou le défaut d’entretien.
Le propriétaire peut démontrer qu’il n’a pas commis de faute ou que la ruine est
due à la force majeure (ouragan, foudre, inondation…). En dehors de ce cas de

26
Cour de cassation fr., Civ. 2e, 4 octobre 1961, Dalloz 1961, 755.
27
Civil, 2e, 2 mai 1968, R.T.D. Civ., 1968, 721, obs. Durry : la Cour de cassation y a décidé qu’un
automobiliste pouvait être condamné, en application de l’art. 1384, al. 1er, lorsque sa passagère, réifiée
en quelque sorte, avait, en descendant du côté de la circulation et alors qu’elle tenait encore la poignée
de la portière, surpris un cycliste qui s’était grièvement blessé.
28
Cas. fr., civil, 29 avril 1969, Dalloz, 1969, Sommaire 97.
36
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

ruine pour défaut d’entretien ou vice de construction, les bâtiments et les autres
immeubles entraînent la responsabilité sur le fondement de 1384, al. 1er.

c) L’incendie : art. 1384, al. 2 et 3


Celui qui détient à un titre quelconque tout ou partie de l’immeuble ou des
biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable vis-
à-vis des tiers des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit
être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable. Il faut
donc que l’incendie ait pris naissance dans une chose qui provoque le dommage.
Cette dérogation a été apportée pour ne pas laisser accroître démesurément le coût
de l’assurance29.
Ces dispositions ne s’appliquent pas dans le cadre contractuel, notamment
dans les rapports entre bailleur et locataires, qui sont régis par les articles 1733 et
1734 du Code civil, qui prévoient une présomption de responsabilité du locataire,
lequel ne peut s’exonérer qu’en prouvant que l’incendie est arrivé par cas fortuit
ou force majeure ou le vice de la construction ou que le feu a été communiqué par
une maison voisine.

d) Les autres choses exclues


Il en est ainsi par exemple en ce qui concerne :
- les res nulius (choses non appropriées) : il manque la garde ;
- la personne humaine, du moins vivante ; il y a lieu de relever que pour la
Cour de cassation française doit être cassé pour violation de l’art. 1384, al. 1er,
l’arrêt qui refuse d’appliquer ce texte dans le cas d’une collision entre deux
cyclomotoristes, en observant qu’il n’est pas prouvé que le cyclomotoriste a
participé au dommage, alors que le conducteur d’un véhicule à deux roues en
marche et ledit véhicule ne forment qu’un ensemble30 ;
- et toutes les choses faisant l’objet d’un régime spécial.

3. Le cas du droit belge : le vice de la chose

Partant de l’article 1384, al. 1er, qui a la même rédaction en France et au


Burkina, la jurisprudence belge a construit un système propre. Elle dispense les
victimes de prouver la faute du gardien, mais les oblige à rapporter la preuve d’un
29
Pour approfondissement Henri et Léon Mazeaud, et André Tunc, Traité théorique et pratique de la
responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T2, Ed. Montchrestien, p. 347 à 367
30
Civ. 2e, 21 décembre 1962, Gazette du Palais 1963, I, 285.
37
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

vice de la chose. Peu importe d’ailleurs que ce vice soit apparent ou secret, connu
ou non du gardien. Il suffit que l’accident ne puisse s’expliquer par aucune autre
cause concrète que le vice de la chose. Le vice est entendu de manière large : c’est
toute conformation, composition, imperfection qui rend la chose inapte à son
usage normal. L’élément vicieux peut être intrinsèque : un câble électrique à haute
tension qui est tombé, l’échappement de vapeur d’une locomotive d’une densité
telle qu’elle rend la circulation dangereuse sur la route qui longe la voie ferrée…
La victime doit démontrer le vice, le lien de causalité entre le vice et le
dommage et la garde. Le juge peut recourir à des présomptions (précises, graves
et concordantes) pour établir le vice mais, comme on le verra, ce système est
moins protecteur que le système français et burkinabè où il suffit d’un fait causal
de la chose et la garde.

B. Le fait de la chose

Relativement au fait de la chose, il apparaît qu’il n’est pas nécessaire qu’il


y ait un contact entre la chose et la victime mais il faut un rôle actif de la chose.
Par ailleurs, il faut se demander quels rapports il y a entre le fait personnel et le
fait des choses.

1. La non-exigence d’un contact entre la chose et la victime

Pour que le fait de la chose soit considéré comme causal, il n’est pas
nécessaire qu’il y ait un contact entre la chose et la victime, que la chose ait été
en mouvement au moment de l’accident ou que la chose soit dotée d’un
mécanisme propre. Exemple : la roue d’une auto qui fait sauter une pierre qui va
briser une vitre ou un pare-brise ; ou encore en se portant brusquement sur la
gauche, un camion oblige le conducteur d’une voiture en train de le dépasser à
faire un mouvement qui se termine contre un arbre… Dans ce sens, l’arrêt n° 32
du 13 février 1976 de la Chambre judiciaire de la Cour suprême de Haute-Volta
réaffirme qu’aucun contact matériel entre le véhicule cause du dommage et la
victime n’est nécessaire.

38
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

2- La nécessité d’un rôle actif de la chose

Il y a lieu de distinguer entre les choses inertes et les choses en mouvement.


Pour les choses en mouvement, il suffit de prouver l’intervention de la chose. En
revanche, pour les choses inertes, comme les escaliers ordinaires mais pas les
escaliers roulants, une chaise pliante gisant à la terrasse d’un café, il est nécessaire
de prouver son caractère défectueux, son caractère anormal ou irrégulier, et cela
dès lors que le défendeur aura établi le rôle passif de la chose. Ainsi n’a pas été
retenue la responsabilité de l’établissement de bains où une cliente en syncope
était tombée sur un tuyau brûlant. Par contre, celui qui a laissé une trappe ouverte
dans un escalier obscur peut voir sa responsabilité engagée.

3- Le fait personnel et le fait des choses

Avec la conception large de la responsabilité du fait des choses, dès lors


que les choses sont actionnées par l’homme, la responsabilité peut se fonder, soit
sur 1382 – 1383, soit sur 1384, al. 1. Ce système est critiqué parce qu’il accorde
deux fondements à une action éventuelle et crée la confusion. Selon les critiques,
il aurait fallu réserver la responsabilité du fait des choses s’il y a un fait autonome
de la chose ne faisant pas intervenir l’homme.
Malgré ces critiques, le système est maintenu et la responsabilité du fait des
choses englobe le dommage causé par le porte-aiguille que manie le chirurgien,
le casier à bouteilles que porte le livreur, ou encore le ski au pied du skieur.
Ce système présente de l’intérêt quand la victime ne peut prouver la faute
et même dans le cas de faute prouvée, l’art. 1384, al. 1 er, permet à la victime de
n’avoir pas à subir la prescription de 10 ans, 3 ans ou 1 an quand le fait personnel
constitue une infraction pénale.
Dans la responsabilité du fait des choses, il est nécessaire de démontrer le
fait causal de la chose, ce qui paraît relativement aisé. Mais cela ne suffit pas. Il
faut démontrer que la personne dont on entend engager la responsabilité en avait
la garde.

B. La garde

Il convient de préciser la notion de garde, le caractère alternatif de la garde


et se demander si les déments peuvent être gardiens.

39
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

1- La notion de garde

La garde est constamment définie par la jurisprudence comme comportant


l’usage, la direction et le contrôle de la chose. Le gardien doit avoir le pouvoir de
surveiller et de contrôler tous les éléments de la chose, y compris les secrets
internes parce que c’est ainsi qu’il est à même de prévenir le dommage. Ainsi
définie, la garde appartient le plus souvent au propriétaire.
Mais deux conceptions ont fait jour à ce sujet :
- la garde dite juridique, qui ne retient que le propriétaire comme gardien,
à moins que celui-ci ait transféré la garde par contrat (contrats de dépôt, de
transport, de location, de prêt à usage, etc.) ;
- et la garde dite matérielle, selon laquelle si le propriétaire est souvent
gardien, il peut en être différemment non seulement dans le cas de transfert par
contrat mais également dans le cas où il a été privé de l’usage, de la direction et
du contrôle de la chose.
A la question de savoir qui a la garde entre le propriétaire et le voleur de la
voiture, on note que l’arrêt des Chambres réunies de la Cour de cassation du 2
décembre 1941 rendue dans l’affaire Franck et Connot lui a donné une réponse
satisfaisante31. Selon cet arrêt, celui qui n’a plus les attributs de la garde (usage,
direction et contrôle) ne peut plus être responsable du fait des choses. Sa
responsabilité pour faute personnelle peut être retenue à condition de démontrer
un lien de cause à effet entre la faute et le dommage. Le TPI de Ouaga, dans un
jugement rendu le 22 novembre 1962, a retenu une formulation qui laisse entendre
qu’elle reconnaît seulement la garde juridique. Selon lui, « O. D. étant le
propriétaire du camion en avait la garde ; il importe peu, au regard de 1384, al.
1er, que O. D. ait délégué cette garde au chauffeur T. B… ». Mais peut-être
s’agissait-il là d’un commettant et d’un préposé. Dans ce cas, le commettant seul
est considéré comme gardien.
La garde n’exige pas une certaine durée, comme l’auteur d’un coup de pied
donné à une bouteille en est gardien32 et est transférée en même temps que la
détention au locataire ou à l’emprunteur, sauf si le nouveau détenteur est
subordonné au propriétaire

31
Dalloz critique, 1942, 25, note G. Ripert ; Sirey 1941, I, 217, note H. Mazeaud ; JCP 1942, II, 1766,
note J. Mihura ; voy. également Grands arrêts et Mazeaud.
32
Civ. 2, 10 février 1982, JCP 1983, 20069, note A. Coeuret.
40
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

2- Le caractère alternatif de la garde

Ce caractère ne signifie pas qu’à un moment donné plusieurs personnes ne


peuvent pas être considérées comme gardiens de la chose. Les copropriétaires, en
ce qui concerne le bien indivis, et les joueurs, en ce qui concerne le ballon, sont
co-gardiens. Ce caractère alternatif signifie que si l’usage, le contrôle et la
direction sont perdus, la responsabilité du propriétaire ou de l’ancien gardien ne
peut être retenue. Ne peut être retenue que la responsabilité des personnes qui
exercent concrètement ces pouvoirs, par exemple le voleur. Il n’y a pas de
solidarité entre l’ancien et le nouveau détenteur.
Il s’est posé la question de la garde de la structure et de la garde du
comportement, qui pourraient coexister à un moment donné en matière de
produits faisant appel à une haute teneur technologique. Par exemple, au cours
d’une livraison à l’acheteur, une bouteille de gaz éclate et cause un dommage. Les
causes étant inconnues, la responsabilité, non du livreur, mais du fabricant a été
retenue33. Cette solution est critiquée parce qu’elle complique la responsabilité et
risque d’être préjudiciable à la victime qui doit savoir si son dommage est dû à un
défaut de structure et ou à un défaut de comportement. Il aurait mieux valu que la
victime poursuive le livreur, quitte à ce que celui-ci à son tour poursuive le
fabricant. Dans tous les cas, cette distinction n’est pas unanimement reconnue par
tous les tribunaux.

3- Les déments peuvent-ils être gardiens ?

En droit burkinabè, les déments n’étant pas responsables de leur fait


personnel, ne sont pas gardiens et par conséquent leur responsabilité du fait des
choses ne peut être retenue.
En droit français et belge, les lois qui ont consacré la responsabilité des
déments semblent devoir être limitées au fait personnel, à condition que celui-ci
puisse être considéré comme une faute s’il avait été posé par une personne
consciente. Comme il n’est pas toujours facile de prouver un fait fautif, surtout
quand il y a intervention de choses, en jurisprudence française, on rencontre des
décisions considérant les déments comme gardiens. Selon l’arrêt Trichard34, le
propriétaire de la voiture en est en principe le gardien et, à la question de savoir
si la folie est un événement exonérant le gardien, l’arrêt répond négativement car

33
Cas. fr., civil, 5 janvier 1956, D, 57, 261.
34
Civil 2ème, 18 décembre 1964, D. 1965, 191.
41
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

il ne s’agit pas d’un événement extérieur, étranger au gardien. Par la suite, elle a
admis qu’un très jeune enfant pouvait être gardien35.

Paragraphe 3. Les effets

Une fois le fait causal de la chose et la garde démontrés, le défendeur ne


peut éluder sa responsabilité en démontrant l’absence de faute. Il y a là une
présomption irréfragable de faute et de responsabilité reconnue par la
jurisprudence française, belge et burkinabè.
Pour s’exonérer, le défendeur doit démontrer des circonstances extérieures,
le fait de la victime ou d’un tiers revêtant les caractères de la force majeure. C’est
dans ce sens que s’est prononcé le TPI de Ouagadougou dans un jugement du 22
novembre 1962. Il peut également s’exonérer en démontrant le rôle passif de la
chose.
Dans le cas de transport bénévole, la jurisprudence française refusait que la
victime transportée puisse engager la responsabilité du transporteur aux motifs
qu’il y a acceptation des risques et renonciation à l’article 1384, al. 1. Depuis
1968, cette solution est complètement abandonnée 36 . La jurisprudence belge
retient la responsabilité du transporteur bénévole, soit sur la base de la faute
prouvée, soit sur le fondement du vice mais le transporteur peut s’exonérer en
démontrant l’acceptation des risques (par exemple, une personne monte dans une
voiture en sachant que le conducteur était dans un état voisin de l’ébriété
(Bruxelles, 26 janvier 1950). La jurisprudence burkinabè admet la responsabilité
du transporteur bénévole au moins sur le fondement des articles 1382 et 1383
comme dans la décision du TPI de Ouagadougou du janvier 1963 (chambre
civile).

35
Arrêt Gabillet, Assemblée plénière, 9 mai 1984, Dalloz 1984, 525, conc. Cabannes, note Chabas.
36
Cas. fr., Ch. mixte, 20 décembre 1968 (3 arrêts), Dalloz 1969, 37. Opérant un revirement, la Cour de
cassation a décidé qu’en l’absence d’un texte contraire, l’article 1384, alinéa 1er, s’appliquait en matière
de transport bénévole. Cette question a perdu une grande partie de son intérêt depuis la réforme opérée
par la loi du 5 juillet 1985 sur l’indemnisation des victimes des accidents de la circulation, y compris les
personnes transportées. Or, c’est en substance les dispositions de cette loi que reprend le Code CIMA
applicable dans la plupart des Etats francophones d’Afrique dont le Burkina.
42
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Paragraphe 4. Le fondement de la responsabilité du fait des choses

Aucune théorie ne semble actuellement en mesure d’expliquer de manière


satisfaisante toutes les solutions du droit positif.

A. La faute

Classiquement, la théorie subjective a voulu expliquer cette responsabilité


par la présomption de faute qui pèserait sur le gardien. Mais le caractère
irréfragable de la présomption de faute rend cette explication inacceptable. Elle a
ensuite avancé la faute dans la garde définie tantôt comme une obligation
d’empêcher certaines choses de causer un dommage à autrui tantôt comme
consistant à avoir laissé la chose échapper au contrôle matériel de l’homme. Mais
cette faute n’a rien à voir avec la faute des articles 1382-1383. Comme des auteurs
l’ont écrit, on discerne la faute parce que l’on a préalablement posé l’obligation
d’empêcher le dommage37.

B. Le risque

L’acceptation de la théorie du risque supposerait que l’on analyse l’attitude


de tous les agents au regard de cette théorie. Or on tient compte de la faute de la
victime et le propriétaire d’une voiture volée n’est pas responsable. Or, d’après la
théorie du risque, c’est bien l’activité de ce propriétaire qui a créé le risque.

C. La garantie

La théorie de la garantie, qui part de la prise en considération de l’intérêt


de la victime, semble mieux expliquer cette responsabilité. Cependant, la
distinction entre les dommages qui seraient objectivement garantis (dommages
corporels et matériels) et ceux qui ne le seraient pas (dommages économiques ou
moraux) n’est pas prise en compte par la jurisprudence.
Plus que les théories, c’est la volonté d’assurer, dans toute la mesure où cela
n’est pas choquant, la réparation en faveur des victimes qui explique cette
responsabilité. L’on permet en effet à des victimes qui ne peuvent démontrer une

37
Marty et Raynaud, cité par Weill et Terré, 81, p. 825.
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Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

faute sur la base des articles 1382 - 1383 de se fonder sur l’article 1384, al. 1er,
parce qu’une chose a été utilisée dans la commission du dommage.

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Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

TITRE II : LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITE CIVILE


PROFESSIONNELLE

Le tout n’est pas de remplir les conditions de la responsabilité civile :


dommage, fait générateur et lien de causalité. En effet, en restant à ce stade, il
n’est pas certain que vous obtiendrez une réparation quelconque. Il convient donc
de rechercher par quelles voies (judiciaires ou non) (Chapitre I) la réparation
pourra être obtenue. Il faut ensuite aborder les caractères et les différentes sortes
de réparation (Chapitre II). Il y a lieu de mentionner que les règles de mise en
œuvre de la responsabilité civile sont en général considérées comme étant d’ordre
public, d’où l’invalidité ou la nullité des clauses exonératoires de responsabilité.

CHAPITRE I : LES VOIES DE LA REPARATION

Le droit à réparation de la victime peut être mis en œuvre de deux manières :

-soit elle conclut avec l’auteur du dommage ou, plus fréquemment, avec
son assureur, un contrat qui détermine la responsabilité et fixe le montant de la
réparation : c’est la voie conventionnelle ;

-soit, à défaut d’accord sur la responsabilité ou sur le montant de la


réparation, elle doit engager une action en justice : c’est la voie judiciaire.

Dans tous les cas, l’objectif de la victime est la réparation de son dommage.

SECTION I : LA VOIE CONVENTIONNELLE

La voie conventionnelle est mise en œuvre par le biais de la transaction.


Selon l’article 2044 du Code civil « la transaction est un contrat par lequel les
parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ».

45
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Nous allons tout d’abord donner quelques éclaircissements sur la notion


même de transaction, avant d’examiner le mécanisme de l’assurance
Responsabilité Civile Professionnelle (RC Pro.), que l’on peut considérer comme
une sorte de transaction.

Paragraphe 1: La notion de transaction

La transaction est très souvent utilisée au Burkina, comme dans les autres
pays africains ou non africains, du moins pour les dommages d’une ampleur
limitée. Le recours préalable à la transaction est devenu obligatoire pour les
compagnies d’assurance en cas d’accidents de la circulation. On peut soutenir que
la majorité des dommages sont réparés par la voie de la transaction. Il faut
d’ailleurs y inclure les renonciations à réparation dues au caractère limité du
dommage ou au dénuement de l’auteur ou à des considérations morales ou
sociales.

Les transactions présentent des avantages certains sur la voie judiciaire :


d’abord la rapidité ; ensuite le maintien d’un climat cordial ou fraternel entre les
intéressés ; puis la réparation pourra être réglée par d’autres moyens (notamment
par voie de renonciation de la victime) ; enfin, les intéressés n’ont pas à faire au
coût de la justice (honoraires de l’avocat, frais de procédure …) ni à passer
beaucoup de temps dans les audiences. De plus, comme le dit l’adage, ‘’un
mauvais arrangement (transaction) vaut mieux qu’un bon procès’’.

Mais l’arrangement peut être si mauvais qu’il provoque lui-même un


procès. En effet, le risque est grand que la réparation accordée soit très inférieure
au dommage, voire dérisoire, et surtout que quelques temps après, des suites plus
graves se manifestent alors qu’en général la victime renonce dans la transaction à
toute action de quelque nature que ce soit et pour toutes les suites, même
imprévisibles, de l’accident, contre le responsable et son assureur. C’est pourquoi
des conditions sont posées à la validité des transactions.

La transaction doit faire l’objet d’un écrit. Elle ne peut être passée qu’une
fois le dommage réalisé. On ne peut s’exonérer par avance de sa responsabilité en
la matière, ni renoncer d’avance à son droit. Une fois le dommage réalisé, la

46
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

transaction est valable si elle respecte les conditions de validité de tout contrat
(capacité, consentement, objet, cause).

Les transactions ne sont annulables ou rescindables que dans des cas


limités : la découverte de pièces reconnues fausses, titres nouveaux montrant
l’absence de droit d’une des parties, ou encore en cas de violence, de dol, d’erreur
sur la personne ou sur l’objet.

Par faveur pour les victimes, la jurisprudence tente d’élargir les causes de
nullité. Malgré une certaine hésitation, lorsque l’état de la victime s’est aggravé
et que l’indemnité se révèle dérisoire, elle a tendance à y voir une erreur sur l’objet
de la contestation.

Seul le législateur pourrait édicter une réglementation suffisamment


protectrice pour les victimes, comme c'est le cas avec le Code CIMA pour le
domaine qu’il couvre.

Paragraphe 2: L’assurance responsabilité civile professionnelle

L’assurance RC Pro. peut s’analyser en une sorte de transaction. Il convient


d’en préciser la notion et les justificatifs, de se pencher sur le contrat d’assurance
RC Pro. avant de faire cas de certaines garanties RC Pro.

A. La notion d’assurance RC Pro. et ses justificatifs

D’une manière générale, tout le monde est susceptible d’être responsable


d’une faute accidentelle entraînant des préjudices dans le cadre du travail. Et
comme dans le cas de la vie privée, l’obligation est faite de réparer ces dommages
causés à autrui. Pour éviter de porter tout le poids de l’indemnisation, il existe une
garantie responsabilité civile professionnelle : c’est l’assurance responsabilité
civile professionnelle.

De fait, dans un contexte économique et social de plus en plus tendu


(concurrence accrue, complexité des contrats…), l’assurance responsabilité civile

47
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

professionnelle peut être considérée comme une réelle assurance vie pour
l’entreprise concernée.

Pour certaines entreprises, souscrire une assurance responsabilité civile


professionnelle est obligatoire. Et bien que n’étant pas obligatoire pour tous les
secteurs d’activités, elle constitue dans tous les cas un véritable élément de
sécurité pour une entreprise dans la mesure où elle s’entend comme une protection
pour les professionnels agissant dans le cadre d’une entreprise.

L’assurance responsabilité civile professionnelle est essentielle car les


risques professionnels, très souvent nombreux (erreur de conseil, violation
involontaire de droits de propriété intellectuelle, atteinte à la vie privée…), ne
peuvent être suffisamment couverts par la responsabilité civile générale.

Aussi, il arrive de plus en plus fréquemment que les clients réclament à


leurs fournisseurs une attestation d’assurance responsabilité civile professionnelle
afin de vérifier qu’ils sont bien couverts en cas d’erreur, de faute ou d’omission
commise dans le cadre de l’activité professionnelle. En plus de prouver que le
professionnel es assuré, l’attestation d’assurance RC Pro permet d’indiquer aux
clients pour quelles activités, jusqu’à quelle date et pour quel montant de garanties
la couverture de l’assurance vaut. Pour le client, c’est une garantie supplémentaire
de fiabilité d’être sûre que les prestataires qu’il sélectionne ont des assurances
responsabilité civile. Il s’assure ainsi que quelqu’un pourra prendre en charge les
dommages éventuels qui lui auront ont été causés.

L’assurance responsabilité civile professionnelle s’avère incontournable


pour le bon fonctionnement d’une activité. Encore faut-il souscrire à une
assurance adéquate, adaptée à l’activité concernée. Dans tous les cas, cette
souscription est faite par le biais d’un contrat d’assurance responsabilité civile
professionnelle, dont il convient d’examiner à présent les grands traits.

B: Le contrat d’assurance RC Pro.

Le contrat d’assurance ou police d’assurance est un contrat en vertu duquel,


moyennant le payement d’une prime 38 fixe ou variable, une partie, l’assureur,

38
Somme versée par l’assuré en échange de la prise en charge par l’assureur d’un risque prévu au contrat.

48
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

s’engage envers une autre partie, le preneur d’assurance en l’occurrence


l’entreprise, à fournir une prestation stipulée dans le contrat au cas où surviendrait
un élément incertain que, selon le cas, l’assuré ou le bénéficiaire, a intérêt à ne
pas voir se réaliser.

Il y a donc trois sortes de personnes intéressées au contrat d’assurance.


D’abord, le souscripteur ou preneur d’assurance qui, en signant la police à titre
personnel, s’engage envers l’assureur, notamment quant au paiement des primes.
Il y a ensuite l’assuré, c'est-à-dire celui dont la personne ou le patrimoine est
exposé au risque et c’est évidemment vis-à-vis du risque de cet assuré que
l’assureur s’engage. Il y a enfin au sens large le bénéficiaire, appelé en cas de
sinistre à recueillir le profit du contrat39.

Le contrat d’assurance RC Pro, contrat d’assurance spécifique, couvre


l’assuré, en l’occurrence l’entreprise, contre les conséquences pécuniaires de la
responsabilité civile délictuelle, quasi délictuelle et / ou contractuelle qu’elle peut
encourir dans l’exercice de ses activités en raison des dommages corporels,
matériels ou immatériels consécutifs, causés à des tiers (clients, visiteurs…) et
résultant d’une faute, d’une erreur, d’une omission ou d’une négligence
commises40. Ainsi, il sert à protéger l’entreprise pour les cas de dommages causés
par son fait, celui de ses préposés et salariés, apprentis et stagiaires au cours ou à
l’occasion de leur participation aux activités professionnelles.

C'est alors l'assureur qui va défendre son client face à la demande de


réparation d'un dommage par un tiers ou un client. Il va rechercher la réalité du
fondement du litige, c'est-à-dire s'il existe un dommage, une faute et un lien de
causalité entre les deux. Si la responsabilité civile professionnelle est bien
engagée, l'assureur devra indemniser la victime du préjudice dont son client est
déclaré responsable en fonction du contrat d'assurance.

Comme tout contrat, le contrat d’assurance responsabilité civile


professionnelle doit obéir aux conditions générales ordinaires de formation des
contrats (article 1108 du code civil et autres) pour sa validité (nullité absolue). Par
ailleurs, s’il est vicié (articles 1109, 1110, 1112, 1116 du code civil), il encourt
nullité (nullité relative).

39
Nicolas JACOB, Les assurances, Paris, Dalloz, 2ème édition, 1979, P. 41.
40
www.uabassurances.com/index.php/produits/pour-professionnels.html

49
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Mais il devra également être conforme aux dispositions spéciales


impératives ou d’ordre public, intéressant la matière de la RC Pro, notamment
celles présentes dans le code de la Conférence Interafricaine des Marchés des
Assurances (CIMA) [voir par exemple les articles 51 et suivants] et celles
interdisant la transaction en certaines matières (Il faut à ce propos se référer aux
conditions générales des transactions exposées ci-dessus).

De façon générale, tout contrat d’assurance est composé de conditions


générales et de conditions particulières.

Les conditions générales définissent les droits et devoirs des parties


contractantes et servent généralement à préciser les éléments importants comme
par exemple la définition des principaux termes du contrat (c’est-à-dire les
notions essentielles à la compréhension du contrat), la précision des termes de la
garantie, la procédure en cas de sinistre, les contestations et recours, les exclusions
de garantie etc.

Les conditions particulières quant à elles définissent les caractères spécifiques


du contrat : il s’agit des données personnelles (noms et adresses des parties
contractantes), du montant des garanties, de la durée, des différents bénéficiaires,
des clauses particulières que l’assuré et l’assureur ont définies ensemble.

Dans tous les cas, le contrat d’assurance responsabilité civile professionnelle


devra faire ressortir entre autres les éléments importants suivants :la nature de
l’activité, les risques couverts, les conditions de la garantie, la nature des
dommages, les garanties optionnelles, les exclusions, le montant de la franchise,
la prime, les cas d’exclusion de couverture, la date de prise d’effet et d’échéances,
la clause de territorialité et la loi applicable.

La nature de l’activité : la police doit préciser la nature de l'activité à l'occasion


de laquelle la responsabilité de l'assuré est susceptible d'être recherchée. La
définition de l'activité garantie est une clause essentielle du contrat d'assurance.

Le risque : Il constitue l’objet principal du contrat d’assurance. On peut le définir


comme un évènement préjudiciable, futur et incertain ou d'un terme indéterminé
survenant en dehors de la volonté des parties contre lequel le preneur veut se
50
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

prémunir. C'est une clause importante du contrat d'assurance car il représente


l'évènement futur et incertain indépendant de la volonté des parties sans lequel il
n'y a pas d’assurance. Les risques susceptibles d’être assurés sont très variés, ce
sont généralement des évènements malheureux aux conséquences dommageables.
La réalisation du risque porte le nom de sinistre. Le risque assuré doit donc être
défini de la manière la plus précise possible, afin qu'il n'y ait pas d'ambigüité sur
la prestation due par l'assureur.

Les conditions de la garantie : il s'agit de clauses contractuelles, qui


subordonnent la garantie de l'assureur à certaines conditions expressément
prévues dans le contrat d'assurance. Par exemple : Les garanties incendie d'une
entreprise peuvent être subordonnées à des vérifications périodiques des
installations électriques. Certaines de ces clauses sont purement contractuelles et
résultent de la volonté de l'assureur de limiter la réalisation d'un sinistre,
notamment en imposant à l'assuré de prendre des mesures de prévention et de
précaution particulières, en l'incitant à la prudence et à la vigilance.

La nature des dommages : La police doit préciser la nature de l'évènement dont


la réalisation entrainera la mise en jeu de la garantie. Il faut préciser s’il s’agit des
dommages aux personnes (risques d'atteintes corporelles pesant sur l'intégrité
personnelle ou la vie) soit des dommages aux biens (assurance de biens et
assurance responsabilité).

Cette clause permet de limiter l’engagement de l’assureur en excluant tous


les autres dommages.

Les garanties optionnelles : ce sont des clauses laissant un choix optionnel à


l’assuré d’énumérer les autres risques non prévus expressément dans le contrat
mais qu’il entend faire rentrer dans le champ de la police d’assurance. L’entreprise
pourra donc désigner les personnes dont la responsabilité est garantie ainsi que les
tiers bénéficiaires.

Elles complètent utilement le contrat d’assurance RC Pro en vous protégeant


plus efficacement contre les risques spécifiques à votre activité. Elles dépendent
51
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

principalement de la profession exercée. Il peut s’agir d’une garantie


responsabilité civile dirigeant, d’une garantie responsabilité civile exploitation,
d’une garantie protection juridique, d’une garantie réservation (secteur de
l’hôtellerie, de la restauration, etc.), d’une garantie atteinte à
l’environnement (couvrant les conséquences financières de la pollution engendrée
par votre activité par exemple), d’une garantie retrait (qui concerne les
commerçants mettant en vente un produit dangereux pour le consommateur. Elle
prend en charge les frais engagés pour retirer le produit du marché), de garanties
d’assistance aux locaux professionnels, etc.

Les exclusions : ce sont les sinistres identifiés par l'assureur, non pris en
charge par le contrat d’assurance.

Certains risques sont exclus de l’assurance soit par la loi comme pouvant
relever de la solidarité nationale (guerre..) ou faisant obstacle au principe aléatoire
(faute intentionnelle...), soit par la volonté des contractants eux-mêmes dans une
clause expresse de la police.

Mais la plupart des exclusions de risques sont classiquement insérées dans


les polices en des termes clairs et précis afin de restreindre et de délimiter le risque
garanti.

Les exclusions de garanties sont propres à chaque contrat d’assurance RC Pro.


Elles dépendent de l’activité de l’entreprise.

La prime : elle désigne la somme payée à une entreprise d’assurance pour


la garantie d'un risque. Le montant de la garantie est prévu dans la Police.

La prime est la représentation pécuniaire du risque, c'est pourquoi elle est


en principe proportionnelle au risque qu'elle représente. Elle est basée sur le calcul
des risques ainsi que sur la probabilité de leur réalisation.

Les franchises : elles sont constituées d’un montant forfaitaire ou stipulé


sous forme de pourcentage du dommage, déduit du montant de l'indemnité due

52
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

par l'assureur, que l'assuré conserve à sa charge. Il s’agit donc des sommes qui
restent à la charge de l’entreprise.

Les franchises ont pour effet de "moraliser" le risque, en "intéressant"


l'assuré à la non réalisation d'un risque et en l'incitant à prendre les précautions
nécessaires pour l'éviter.

Mais elles permettent surtout à l'assureur de se dégager du poids


économique d'une "infinitude" de petits sinistres, inférieurs au montant de la
franchise et d'économiser ainsi de couteux frais de gestion. C'est pourquoi le
montant des franchises conditionne directement le montant de la prime.

Les franchises sont opposables aux tiers bénéficiaires, sous réserve de


règlementations particulières en matière d'assurance obligatoire de bâtiment et de
circulation.

La date de prise d’effet et d’échéances : la date de prise d'effet est aussi


une composante essentielle du contrat. Il faut donc déterminer la date de prise
d’effet et celle de la fin du contrat. En principe, le contrat d’assurance prend effet
dès qu’il est conclu. Mais, les parties peuvent prévoir les clauses de prise d’effet
telles que : la clause de prise d’effet le lendemain à midi du jour de la conclusion
du contrat ; la clause de prise d’effet à telle date et la clause de prise d’effet le
lendemain du paiement de la première prime. La durée doit être mentionnée en
caractère très apparent.

La clause de territorialité et la loi applicable : elle consiste pour les parties


de délimiter la sphère géographique au sein de laquelle s’exerce l’activité de
l’entreprise. Elle permet ainsi donc d’éviter les cas d’oppositions en cas de contrat
conclu avec un tiers à l’étranger ou hors de la zone OHADA par exemple. Cet
aspect de territorialité emporte celui de la loi applicable. Il est nécessaire de
connaitre le régime juridique du contrat que l’on conclut et par là, la loi applicable.

Eu égard au grand nombre de compagnies d’assurance proposant une


assurance RC PRO, le choix du futur prestataire peut alors s’avérer complexe, les
tarifs pour la signature d’un contrat d’assurance RC professionnelle variant d’une
compagnie à une autre.

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Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Afin de bénéficier d’une couverture optimale, il est nécessaire de se


rapprocher des compagnies d’assurances, qui sont à même d’évaluer la nature des
risques encourus et de vous proposer ainsi les garanties les mieux adaptées.

C. Les différentes garanties en RC Pro

Il existe plusieurs types de garantie responsabilité civile professionnelle.


Ces dernières sont prévues par les assureurs afin de répondre aux besoins
spécifiques de chaque type d’activité. Dès lors certaines relèveront des assurances
de biens, de la responsabilité civile générale, d’autres encore seront spécifiques à
certaines activités. Essayons de les passer en revue, en notant néanmoins que le
libellé exact de chaque garantie peut varier d’un assureur à l’autre.

La garantie occupation des locaux

La garantie occupation des locaux vise à protéger le professionnel des


dommages causés au tiers par ses locaux, plus précisément par un dommage dont
ses locaux sont à l’origine. L’entreprise peut en effet être reconnue responsable
en cas de dommages dus à une explosion, un incendie ou encore un dégât des
eaux. À ce titre la garantie responsabilité civile occupation des locaux vous
couvrira pour les dommages causés aux voisins, aux tiers ou au propriétaire des
locaux (si l’entreprise est locataire) ou au locataire des locaux (lorsque l’entreprise
est propriétaire).

La responsabilité civile exploitation

Ce contrat d’assurance est un contrat dit généraliste puisqu’il couvre une


multitude de risques liés à l’activité de l’entreprise créatrice.

La responsabilité civile exploitation pourra d’abord couvrir l’entreprise


pour les dommages qui pourraient être causés aux tiers qu’ils soient clients ou
visiteurs par exemple. Elle aura pour objet de garantir les différentes
conséquences financières des dommages causés à ces tiers dans le cadre de
l’activité déclarée.
54
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Elle pourra aussi couvrir les dommages matériels subis par les préposés
ainsi que les éventuels dommages immatériels successifs à ce premier dommage.
Si un salarié, un stagiaire ou encore un candidat à l’embauche subit un dommage
matériel dans l’exercice de ses fonctions - on entend par là un dommage sur ses
effets personnels comme sa voiture ou autre - le contrat pourra couvrir la
réparation matérielle de ce dernier ainsi que l’éventuelle réparation du dommage
immatériel qui en a résulté.

Elle couvrira aussi les dommages causés directement par les préposés de
l’entreprise. Si dans l’exercice de ses fonctions un salarié cause un dommage quel
qu’il soit à un tiers, c’est la responsabilité de l’entreprise qui sera en jeu (sauf
faute volontaire de ce préposé). Cette garantie viendra donc prendre en charge la
réparation du préjudice imputé originellement à l’entreprise en sa qualité de
commettant du préposé. En effet la responsabilité personnelle du préposé est
exclue si le dommage n’est pas volontaire, la garantie se révèle alors d’un grand
secours pour l’entreprise qui doit indemniser le dommage.

La garantie faute inexcusable de l’employeur

Lorsqu’un salarié subit des dommages durant l’exercice de son activité ces
derniers relèvent a priori de la législation relative aux accidents du travail,
excluant ainsi la recherche de la responsabilité de l’employeur, sauf existence
d’une faute inexcusable de ce dernier. La faute inexcusable, si elle est rare en
pratique, peut donc être lourde de conséquences financières pour l’employeur.
Cette garantie existe donc afin de venir en indemnisation du préjudice du salarié
relevant d’une faute inexcusable de l’employeur. Cette dernière est en principe
limitée à un certain plafond et porte sur les conséquences financières civiles et les
frais de défense consécutifs de la faute ayant entraîné le dommage.

L’assurance responsabilité civile des produits livrés

Cette assurance vise la prise en charge de la réparation des dommages


survenant après le processus de fabrication ou d’exploitation. Il s’agit ici de
réparer les préjudices subis par les tiers du fait des produits ou des prestations de
l’entreprise. Que ce soit dû à leur mise en circulation ou à leur réception, lorsqu’un

55
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

dommage survient pour un tiers ou un client du fait de ces produits ou prestation,


c’est l’assureur qui viendra indemniser ce dommage.

En principe on retrouvera cette assurance dans un « pack » d’assurance avec


la responsabilité civile exploitation, permettant ainsi à l’entreprise d’être couverte
pour tout le processus de production et de vente de ses produits.

La garantie responsabilité civile professionnelle

Proposée elle aussi dans des « packs » d’assurance elle permettra la


couverture de l’indemnisation due à un tiers en cas de retard, erreur, oubli ou
omission dans l’exécution de la prestation de l’entreprise qui aura causé un
dommage à un tiers ou client.

La garantie frais de retrait

Cette dernière couvre, comme son nom l’indique, les frais de retrait d’un
produit présentant un danger pour la santé ou la sécurité des consommateurs.

La garantie frais de dépose / repose

Cette garantie couvrira l’indemnisation des tiers lésés par le retrait d’un
produit non conforme et la prise en charge de la repose d’un produit identique et
fonctionnel.

La garantie des dommages environnementaux

Si l’entreprise se rend coupable de dommages causés à l’environnement


causant un préjudice à des tiers elle sera responsable de la réparation de ces
derniers. Que ce soit dû à un accident, à l’usure ou que le préjudice résulte de
dommages sur la biodiversité sa responsabilité environnementale pourra être
reconnue.

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Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

À ce titre il existe des garanties pour atteinte accidentelle à l’environnement. Elles


prendront en charge les conséquences financières de cette atteinte à
l’environnement.

La garantie de responsabilité des mandataires sociaux

Le dirigeant d’une entreprise peut voir sa responsabilité personnelle


directement recherchée, du fait des fautes qu’il aurait éventuellement commises.
Cette garantie couvrira les frais de défense du dirigeant à l’occasion d’une action
judiciaire à son encontre, ainsi que les condamnations financières auxquelles il
peut être condamné.

En résumé, qu’elle soit obligatoire ou facultative l’assurance responsabilité


civile est bien souvent primordiale. Il est important de juger de ses besoins
d’assurance par rapport à l’exercice de son activité afin d’être couvert pour tous
les accidents ou dommages pouvant survenir dans l’exercice d’une activité
définie. Gardons à l’esprit qu'il existe la responsabilité civile professionnelle au
sens strict s’agissant des activités réglementées. Cette dernière est obligatoire et
vise la protection des personnes exerçant une activité libérale dont l’inexécution
ou l’exécution défectueuse aurait des conséquences sur les tiers ou clients. De
plus, il existe la responsabilité civile professionnelle au sens large couverte par
les garanties énoncées ci-dessus. Cette liste est bien entendue non exhaustive et il
convient de comparer les produits proposés par les assureurs afin de trouver
l’assurance de responsabilité civile professionnelle qui couvrira au mieux
l’exercice de votre activité.

SECTION II : LA VOIE JUDICIAIRE

La voie judiciaire soulève de nombreuses difficultés relevant pour une


bonne part d’autres matières et que nous ne pourrons qu’évoquer. Pour s’en tenir

57
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

à l’essentiel, il convient d’évoquer brièvement la compétence, l’action de la


victime, les actions récursoires.

Paragraphe 1 : La compétence

Il convient de distinguer entre compétence d’attribution et compétente


territoriale. La compétence d’attribution pose la question de savoir quelle est,
parmi les différentes catégories de juridictions existant sur le territoire national,
la catégorie de juridictions qui peut connaître d’une affaire en raison de la nature
des faits (compétence ratione materiae) et éventuellement de la personne qui les
a commis ou posés (compétence ratione personae).Elle appartient au Tribunal de
la grande instance (anciennement tribunal de première instance) ou le tribunal
d’instance pour les petits litiges, sauf le cas où l’action civile est portée devant les
tribunaux répressifs. La loi du 31 décembre 1957, afin d’établir l’égalité entre les
justiciables, a décidé que les accidents causés par un véhicule quelconque, y
compris ceux de l’Etat ou des collectivités publiques, seront soumis aux tribunaux
judiciaires et jugés conformément aux règles du droit civil. Toutefois, les litiges
de faible montant relèvent des tribunaux d’instance.

Pour ce qui est de la compétence territoriale, elle précise quel est, de tous
les tribunaux de même catégorie répartis sur le territoire national, celui qui devra
connaître de l’affaire en raison de sa localisation. Le tribunal compétent est en
principe celui du domicile du défendeur. Mais la victime a la possibilité d’assigner
le défendeur devant le Tribunal du lieu où le dommage a été subi ou s’est produit.

Paragraphe 2: L’action de la victime (ou des victimes)

En dehors de la question des pouvoirs importants dont dispose le juge dans


l’évaluation des dommages-intérêts, on retiendra les caractères de l’action et la
date de naissance de la créance de réparation.

L’action en réparation du préjudice subi revêt deux caractères essentiels :


elle n’est pas liée à la personne et elle est d’ordre public. De principe en effet,
l’action n’est pas liée à la personne. L’action fait partie du patrimoine de la

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Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

victime où elle tend à faire entrer une somme d’argent et son exercice n’implique
pas l’appréciation d’un intérêt moral. Mais il faut excepter du principe les actions
en réparation d’un dommage moral (diffamation) ou d’un dommage corporel
(atteinte à l’intégrité physique).par ailleurs, l’action en responsabilité civile a un
certain caractère d’ordre public dans la mesure où il est interdit d’y renoncer par
avance. Les clauses d’irresponsabilité sont nulles en matière de responsabilité
aquilienne personnelle, du fait d’autrui ou du fait des choses. Mais les
renonciations et autres accords sont valables après la réalisation du dommage.

Pour ce qui est de la date de naissance de la créance de réparation, le


principe donne au jugement un effet déclaratif. Ainsi, La créance de réparation
naît au moment de la réalisation du dommage, si du moins les conditions de la
responsabilité sont réunies. En conséquence, si l’auteur est déclaré après en
redressement judiciaire ou en liquidation des biens, la victime est dans la masse
et va pouvoir participer à la procédure mais subir la loi du concours. La loi
applicable est celle en vigueur au jour du dommage et la prescription court du
jour du dommage. En matière d’assurance, toute cause de déchéance postérieure
à l’accident est inopposable à la victime. Ainsi, si après l’accident l’auteur ne paye
plus ses primes, cette circonstance est sans influence sur les droits de la victime ;
il a ainsi été décidé que le droit propre de la personne lésée sur l’indemnité
d’assurance, qui prend naissance au jour de l’accident, ne saurait, à dater de cet
événement, être affecté par aucune cause de déchéance encourue personnellement
par l’assuré pour inobservation des clauses de la police d’assurance. La victime
peut donc prendre des mesures conservatoires et les actes frauduleux de l’auteur
ne lui sont pas opposables.

Par exception au principe, le jugement pourra être constitutif d’effet. Il


s’agit des cas dans lesquels il faut connaître le montant exact de la réparation,
voire que la victime dispose d’un titre exécutoire (jugement).

Il en sera ainsi pour pouvoir pratiquer la saisie-vente du débiteur, pour que


la créance puisse produire intérêt ou pour fixer le montant de l’indemnité, il faut
se placer au jour du jugement.

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SECTION III : LES ACTIONS RECURSOIRES

Les actions récursoires s’inscrivent dans l’hypothèse du recours


subrogatoire dont dispose un débiteur solidaire tenu qui paye l’entièreté de la
dette, contre ses codébiteurs pour obtenir le remboursement de ce qu’il a payé en
plus, c’est-à-dire le surplus qu’il a acquitté au-delà ce dont il était légitimement
tenu. Il pourra aussi s’agir du recours ouvert aux institutions d’assurance et de
sécurité sociale contre les bénéficiaires et assujettis.

Paragraphe 1: Les recours entre coresponsables

L’hypothèse la plus simple concerne par exemple le commettant tenu pour


son préposé et qui n’a pas personnellement commis de faute. Dans ce cas, celui
qui a payé pourra obtenir du véritable responsable le remboursement du montant
de la réparation versée. Par contre, si le commettant a commis une faute, il ne
pourra obtenir qu’une partie correspondant à la part de responsabilité du préposé.
Mais la Cour de cassation française semble exclure la poursuite du préposé, donc
la responsabilité personnelle de ce dernier, ainsi que le recours du commettant
contre le préposé lorsque le préposé a agi sans excéder les limites de sa mission41.

L’hypothèse complexe concerne les personnes condamnées solidairement


(art. 54 CP burkinabè) ou in solidum. Une des personnes concernées paye. Il faut
alors se poser la question des conditions de recours et de son fondement et celle
de la part de l’indemnité qui pèse sur chaque responsable.

Pour ce qui est des conditions du recours, deux situations peuvent se


présenter : d’une part, dans l’hypothèse où l’affaire est portée devant la juridiction
civile et que le juge condamne les coauteurs in solidum et détermine la part qui
doit être supportée par chaque responsable, il n’y a pas de difficulté : si la victime
réclame paiement intégral à l’un, ce dernier ne réclamera à chacun que sa part
fixée. Mais au cas où un seul des coresponsables a été assigné par la victime,
celui-ci peut assigner ses coresponsables afin de se faire rembourser une partie de
la dette à fixer par le tribunal. D’autre part, la victime peut s’être constituée partie
civile devant la juridiction répressive. Alors, à moins que le juge répressif n’ait
41
Voy. supra responsabilité du commettant du fait du préposé.
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déterminé la part qui doit être supportée par chacun, le coresponsable poursuivi
doit par la suite attraire les coresponsables devant la juridiction civile et dans le
délai de la prescription des infractions pénales.

Quant à son fondement, l’action récursoire s’origine d’une part dans


l’énonciation faite à l’article 54 du CP, en l’occurrence l’hypothèse de la solidarité
dans le principe duquel, tous les individus condamnés pour un même crime ou
pour un même délit sont tenus solidairement des amendes, des restitutions et des
frais. Les recours sont prévus par les articles 1213 et 1214 du Code civil, qui
prévoient la division du montant entre les personnes condamnées solidairement et
la réparation entre eux, la répétition de celui qui a payé seulement pour la part et
portion de chacun ainsi que le partage de la part de l’insolvable entre tous, y
compris celui qui a payé.

L’action récursoire s’inscrit d’autre part dans l’obligation in solidum : celui


qui a payé est subrogé dans les droits du créancier, ce qui lui permet de poursuivre
les autres coresponsables. En effet, l’art. 1251 du Code civil dispose que la
subrogation a lieu de plein droit, entre autres, « au profit de celui qui, étant tenu
avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt de
l’acquitter ».

Enfin, pour ce qui est de la détermination de l’indemnité qui pèse sur


chaque responsable, elle est fonction du fait que les coresponsables soient ou non
des cocontractants. Si ceux-ci sont des cocontractants, il faut appliquer les règles
du contrat. Par exemple, en matière d’accident du travail, si la société ayant la
qualité d’employeur ne peut payer, les associés seront tenus dans une société
civile par part virile (au Burkina, en France, proportionnellement au capital
détenu), dans une SNC indéfiniment et solidairement. En revanche, dans une
société anonyme ou dans une société à responsabilité limitée, les associés ou
actionnaires ne perdent que leurs mises. Si la coresponsabilité est plutôt
délictuelle, trois principales hypothèses sont à distinguer :

-D’abord, chacun peut avoir commis une faute. Alors, la part de chacun se
détermine en fonction de la gravité respective de sa faute.

-Ensuite, les coresponsables peuvent être tenus sur la base de 1384, al. 1er :
on tient alors compte du nombre des responsables.

61
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-Enfin, si les uns sont condamnés sur la base d’une faute et les autres sur la
base d’une responsabilité de plein droit (choses, commettants), les juges ont un
pouvoir souverain d’appréciation.

Paragraphe 2 : Le recours de la sécurité sociale et de l’assureur

Il convient d’aborder successivement le recours de la sécurité sociale et


celui de l’assureur.

A. Le recours de la sécurité sociale

Aux termes de l’article 84 du Code de la sécurité sociale, lorsque


l’événement ouvrant droit à une prestation est dû à la faute d’un tiers, la Caisse
nationale de sécurité sociale doit verser à l’assuré ou à ses ayants droit les
prestations prévues par la loi. L’assuré ou ses ayants droit conservent contre le
tiers responsable le droit de réclamer, conformément aux règles du droit commun,
la réparation du préjudice causé mais la Caisse est subrogée de plein droit à
l’assuré ou à ses ayants droit dans leur action contre le tiers responsable pour le
montant des prestations octroyées ou des capitaux constitutifs correspondants.

Dans le cas d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle,


l’employeur, ses préposés ou salariés ne sont considérés comme des tiers que s’ils
ont provoqué intentionnellement l’accident ou la maladie professionnelle.

Le règlement amiable intervenu entre le tiers responsable et l’assuré ou ses ayants


droit ne peut être opposé à la Caisse que si elle avait été invitée à participer à ce
règlement.

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B. Le recours de l’assureur

A l’occasion de divers dommages (décès, blessures, invalidité, dégâts


causés aux biens, incendie, vol, etc.), l’assurance est obligée de payer des sommes
à titre de réparation. Cependant, l’assurance a-t-elle un recours contre le tiers
responsable ? La victime assurée peut-elle cumuler l’indemnité versée par
l’assurance avec des dommages intérêts éventuels du responsable ?

Dans l’hypothèse où la victime est assurée, s’il s’agit d’une assurance de


personnes (sur la vie, le décès, l’invalidité…), la victime peut cumuler l’indemnité
de l’assureur avec la réparation à réclamer à l’auteur du dommage. L’article 57
du Code CIMA dispose que l’assureur n’est pas subrogé dans les droits du
contractant ou du bénéficiaire contre les tiers à raison du sinistre (anciennement,
il s’agissait de l’art 55 de la loi du 13 juillet 1930). Si par contre, il s’agit d’une
assurance de dommages (dégâts causés aux biens de l’assuré), il n’y a pas de
cumul. L’assureur qui a payé est subrogé dans les droits et actions de l’assuré pour
les sommes payées et peut ainsi poursuivre le tiers responsable. La victime peut
poursuivre ce même tiers pour le surplus du dommage par rapport à l’indemnité
fournie par l’assureur (art. 42, Code CIMA).

Dans le cas où l’auteur d’un dommage sur la personne ou les biens est assurée
contre les conséquences de son éventuelle responsabilité, la victime dispose d’une
action directe contre l’assureur à condition de mettre l’assuré en cause. L’assureur
ne peut se libérer qu’entre ses mains. L’assureur dispose d’une action récursoire
contre l’assuré, qui se prescrit par deux ans à compter de l’indemnisation, mais
l’esprit de l’assurance entraîne que celle-ci n’est pas souvent exercée.

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CHAPITREII : LES CARACTERES ET LES DIFFERENTES SORTES


DE REPARATION

Les voies, étudiées précédemment, trouvent leur intérêt en ce qu’elles


tendent à la réparation du dommage. La réparation revêt une importance pratique
considérable. Cependant, sur un plan théorique, les auteurs n’écrivent que très peu
sur la question. C’est que malgré l’existence de quelques principes clairs, il
revient à la jurisprudence de décider, au cas par cas, en fonction des éléments des
causes qui lui sont soumises. Il sera question des caractères de la réparation puis
des différentes sortes de réparation.

SECTION I : LES CARACTERES DE LA REPARATION

Selon les attendus de principe utilisés par la jurisprudence, le propre de la


responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre
détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans
la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit.
De là, on déduit le caractère compensatoire et le caractère intégral de la réparation.

Paragraphe 1: Le caractère compensatoire de la réparation

De prime abord, réparer c’est faire en sorte que le dommage n’ait point
existé et rétablir la situation antérieure. C’est donc effectuer une réparation en
nature. En matière de dommages causés aux biens, la réparation en nature est très
adaptée et facile à réaliser, encore que, très souvent, le responsable payera une
somme à la victime qui se chargera de faire disparaître le dommage subi.Mais
pour les dommages corporels et moraux, la réparation en nature est presque
toujours impossible. Dans tous ces cas, la réparation ne va pas entraîner
l’effacement direct du dommage. Il va y avoir compensation : de manière imagée,
on peut dire que vous avez au passif le dommage et l’actif une somme d’argent
de valeur équivalente, de sorte que si l’on soldait le compte, il serait nul.

64
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La réparation par équivalent est en pratique le droit commun de la


réparation. Le juge peut choisir entre la réparation en nature et la réparation par
équivalent quand les deux sont possibles. Mais la réparation en nature ne doit
jamais entraîner de contrainte sur la personne du débiteur. Le juge peut
notamment ordonner la réparation en nature quand les deux parties sont d’accord
sur le principe, quand l’auteur ou la victime le demande et que la décision
n’entraîne pas une contrainte sur la personne. Ainsi, il peut décider une publicité
du jugement en matière de dommage moral ou de dommage commercial matériel
(concurrence déloyale) ou la fourniture de biens autres que des sommes d’argent.

Avant la loi du 22 juillet 1867, un créancier pouvait faire emprisonner son


débiteur qui n’exécutait pas sa condamnation pécuniaire. Depuis cette loi, la
contrainte par corps est supprimée par les dettes civiles et commerciales. Elle ne
subsiste que pour les condamnations pécuniaires prononcées à l’occasion d’une
infraction à la loi pénale : amendes, restitutions, dommages-intérêts et frais.

En conclusion, le juge a le choix entre la réparation en nature, dans le cas


où elle n’entraîne pas de contrainte par corps, et la réparation par équivalent. Ce
dernier mode est celui qui est le plus souvent utilisé, ce qui confère à la réparation
son caractère compensatoire. Il n’y a pas effacement du dommage mais
compensation, c’est-à-dire qu’on équilibre un effet par un autre, une perte par un
gain… Même la réparation en nature n’efface pas le dommage (rétroactivement),
elle ne fait que le compenser.

Pour être acceptable, la compensation doit être à la mesure du dommage.

Paragraphe 2: Le caractère intégral de la réparation

Il faut déjà exclure des hypothèses dans lesquelles, ce sont les circonstances
de production du dommage qui empêchent la réparation intégrale, comme lorsque
la faute de la victime ou la force majeure ont concouru au dommage avec le fait
du responsable.

En dehors de ce cas, il faut poser que la réparation doit être intégrale. Les
dommages-intérêts ou le montant de la réparation se mesurent sur le préjudice
subi, non sur la faute. La gravité de celle-ci doit rester sans influence sur le
65
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montant des dommages-intérêts car le juge qui condamne le responsable ne le


frappe pas principalement d’une peine mais l’oblige à réparer un dommage.

Les juges se laissent souvent impressionner par la gravité de la faute.


Cependant, le principe de la réparation intégrale, ni plus ni moins que le
dommage, est réaffirmé régulièrement par les juridictions supérieures. La Cour
suprême rappelle que l’on doit rétablir l’équilibre détruit par le dommage et
replacer la victime dans la situation où elle serait demeurée sans l’acte
dommageable et que le principe de la réparation intégrale des conséquences
dommageables veut que le préjudice soit entièrement réparé mais non dépassé ;
autrement dit, tout le dommage, rien que le dommage, ni plus ni moins.

En pratique, la victime peut dans certains cas obtenir plus ou moins.

A. La victime obtient plus

Telle pourrait être la situation dans un certain nombre de cas. En effet, si


les juges se laissent influencer par la gravité de la faute, donc par l’idée de peine
privée, peine qui n’intéresse pas l’opinion publique et qui profite à un particulier,
comme cela semble être souvent le cas aux Etats Unis, l’astreinte (par ex.) peut
aboutir à une telle conséquence. En outre, la victime pourrait cumuler d’indemnité
versée par le responsable avec d’autres sommes (cas de l’assurance de personnes
ou des émoluments versés par l’organisme employeur ou la CNSS). Par ailleurs,
il peut arriver qu’un bien vétuste soit détruit et que l’on ne puisse pas le remplacer
par un bien de même qualité (par exemple un immeuble construit). Alors la
jurisprudence accorde comme indemnité le coût de la reconstruction du neuf, car
en ne donnant que la valeur du vieux, la victime pourrait ne pas être en mesure de
trouver les sommes complémentaires pour terminer la reconstruction, donc elle
ne serait pas logée. Enfin, en période de pénurie et de taxation des prix (fixation
autoritaire), la jurisprudence pouvant être embarrassée compte tenu de l’existence,
plus ou moins en marge du marché officiel, de marchés noirs ou parallèles, a
admis l’octroi aux victimes d’indemnités supérieures à la taxe.

66
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

B. La victime peut obtenir moins

C’est l’hypothèse où il y a une limitation légale de responsabilité, par


exemple, les régimes de sécurité sociale. S’il est tenu compte du dommage, la
réparation est limitée à certaines proportions du salaire (accidents du travail non
provoqués par une faute intentionnelle de l’employeur ou de ses préposés). Ce
peut être également le cas des biens taxés, pour lesquels la victime peut rencontrer
des difficultés pour acquérir le bien si on ne le trouve pas sur le marché officiel,
au cas où le juge accorderait le prix taxé. Enfin, pour les cas où la valeur de
remplacement d’un bien, une voiture par exemple, est inférieure au coût de la
remise en état du bien endommagé, la jurisprudence impose à la victime
d’accepter cette valeur.

SECTION II : LES SORTES DE REPARATION

Cette question soulève en particulier celle de l’évaluation du dommage ou


de la réparation, de la variation du dommage et de la forme de la réparation. C’est
l’une des questions les plus difficiles du droit de la responsabilité civile. Dans le
cas général, il n’y a pas de règles écrites. La pratique judiciaire permet de dégager
quelques tendances.

Paragraphe 1: La diversité liée aux sortes de dommages

On a vu que la réparation doit tenir compte uniquement du dommage. Les


juges du fond ont un large pouvoir pour déterminer l’étendue du dommage. « Les
juges du fond apprécient souverainement le préjudice subi et justifient
suffisamment le montant des dommages-intérêts par la simple évaluation qu’ils
en font. Ils peuvent même lorsque la victime ne fait pas de distinction entre les
différents dommages subis (corporel, matériel, moral) accorder des réparations
pour ceux-ci. La victime peut donc présenter une demande tendant à une
réparation in globo de l’ensemble des conséquences dommageables de
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l’accident ». Dans ce sens, on note des décisions de la Chambre judiciaire de la


Cour suprême du 13 février 76 et du 11 juin 1976. La Cour de cassation française
réaffirme très fréquemment ces mêmes principes. Généralement, on fait la
distinction entre le système classique de réparation de celui du Code CIMA.

Dans le système classique, le problème de l’évaluation doit être examiné au


regard de chaque catégorie de dommage. Le dommage matériel est le plus facile
à cerner. A supposer qu’un opérateur rate un marché par la faute de quelqu’un.
L’on sait ce qu’il devrait gagner là-dessus. On lui donne alors le gain manqué
estimé. Mais comme on l’a déjà vu, il y a des problèmes en ce qui concerne le
remplacement du vieux par du neuf ou encore en cas de prix taxé (marché noir :
la jurisprudence accorde une somme supérieure au prix taxé).

Pour ce qui est de l’évaluation du dommage corporel, des problèmes se


posent. D’une part, en effet, l’appréciation des diverses formes et des degrés
d’incapacité, implique le recours aux experts qui sont des médecins : incapacité
temporaire, incapacité définitive ou permanente, partielle ou totale ; on tente alors
de réduire les divergences entre les juridictions par l’élaboration de barèmes et de
normes d’appréciation. A ce propos, un auteur relève pertinemment que « si la
réparation des frais occasionnés par les soins ne fait guère difficulté, les
dommages et intérêts compensant l’incapacité de travail sont plus délicates à
fixer. L’ITT (incapacité temporaire totale) ou l’ITP (incapacité temporaire
partielle), incapacités de travail correspondant à la période pendant laquelle une
personne ne peut exercer une activité professionnelle, posent moins de problèmes
que l’IPT (incapacité permanente totale) ou l’IPP (incapacité permanente
partielle), incapacités permanentes d’exercer une activité professionnelle. Elles
doivent prendre en compte les différents dommages subis par la victime, non
seulement une éventuelle diminution de salaire, mais également le préjudice
d’agrément, les frais supplémentaires occasionnés ». D’autre part, se pose le
problème du choix entre capital et rente. De fait, il existe certains barèmes et
normes (âge, degré incapacité) d’appréciation qui cependant, ne lient pas le juge.

Le dommage moral est le dommage qui supporte l’évaluation la plus


aléatoire, c’est-à-dire celui qui, d’un jugement à l’autre, donne des montants
entièrement divergents. C’est le cas de dire que les juges ont un pouvoir
d’appréciation souverain et arbitraire. Il est impossible de chiffrer avec une
exactitude mathématique le prix de la douleur ou le montant compensatoire d’une
diffamation. Pour l’ensemble de ces préjudices, les juges utilisent des barèmes et
normes d’appréciation plus ou moins officieux (tant pour la perte d’une jambe,

68
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tant pour les larmes d’une épouse) afin d’éviter de trop grandes disparités dans
l’appréciation des différents préjudices, ce qui créé incontestablement une
inégalité entre les victimes. Parmi les méthodes d’évaluation, il faut citer le
« calcul au point » utilisé en France pour le préjudice corporel. Le « point » est
fixé compte tenu de la situation économique et sociale de la victime. De ce fait, le
« point » d’un cadre est supérieur à celui d’un manœuvre. Le point tient
également compte de l’âge et de l’importance de l’invalidité de la victime et
l’indemnité s’établira en multipliant ce « point » par le taux d’incapacité résultant
de l’accident. Dans tous les cas, le juge ne doit pas se référer expressément à tel
ou tel barème. Sa décision aurait toutes les chances d’être cassée parce que
constituant un arrêt de règlement. En effet, l’article 5 du Code civil défend aux
juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes
qui leur sont soumises. Ce serait un empiètement sur le pouvoir législatif (ce qui
est grave dans un système de séparation des pouvoirs). Un arrêt de la Chambre
criminelle du 5 novembre 195542 a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Poitiers
qui allouait à la victime 2 500 000 F tout en reconnaissant l’importance du
dommage au motif que « la Cour ne croit pas pouvoir aller au-delà de son
appréciation maximum habituelle en cette matière ». Il aurait suffi qu’il n’y ait
pas cette phrase pour que la décision ne soit pas cassée.

Quant au système CIMA de réparation c’est un système qui joue lorsque le


dommage causé fait intervenir une compagnie d’assurance. Il est très technique.
Il est fondé sur l’application de barèmes forfaitaires. Il concerne à titre principal
les atteintes aux personnes et procède à une énumération des préjudices réparables
et des bénéficiaires de la réparation dans les articles art. 258 à 263. D’abord pour
les victimes directes, il couvre les frais de toute nature avec un plafonnement,
incapacité temporaire dont la durée est fixée par expertise médicale, incapacité
permanente dont le taux est fixé de 0 à 100% par expertise médicale en tenant
compte de la réduction de capacité physique et par référence au barème médical
adopté par la CIMA et annexé au livre II. Il se décompose en préjudice
physiologique calculé, sauf accord amiable, suivant l’échelle de valeur de points
d’incapacité, en préjudice économique si le taux d’incapacité permanente est d’au
moins 50% et en préjudice moral s’il y a une incapacité permanente d’au moins
80% (montant : une fois le SMIG), en l’assistance d’une tierce personne, en la
souffrance physique et le préjudice esthétique ainsi que le préjudice de carrière.

42
Dalloz 56, 557.
69
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

Ensuite pour les victimes par ricochet, sont couverts les frais funéraires, préjudice
économique et préjudice moral des ayants droits du décédé.

Ce système rend obligatoire l’intervention d’un expert pour l’évaluation de


la plupart des préjudices. Le résultat de l’expertise a un caractère contraignant. Il
y a alors une sorte de « barémisation » s’applique au préjudice physiologique, au
pretium doloris et au préjudice esthétique. Lorsque l’expert médical fixe le taux
d’incapacité, le juge calcule l’indemnité suivant une échelle de valeur de points
d’incapacité fournie par l’art. 260. La valeur du point d’incapacité représente un
pourcentage du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) annuel. Elle
est fonction du taux d’incapacité et de l’âge de la victime. A titre d’exemple, pour
une incapacité de moins de 5%, le point a pour valeur 18 217 F pour une victime
de moins de 15 ans et 15 181 F pour une victime de 70 ans et plus ; pour une
incapacité entre 91 et 100%, le point a pour valeur 88 050 F pour une victime de
moins de 15 ans et 54 651 pour une victime de 70 ans et plus.

Le système d’indemnisation du Code CIMA est une bonne démonstration


du bien-fondé de la théorie de l’enveloppe. Cette dernière signifie que « toute
nation ne dispose que d’une enveloppe pour réparer les préjudices subis par le
citoyen. C’est une fraction du produit national brut. Or, elle est toujours
insuffisante quelle que soit la richesse du pays, pour procurer l’idéal… »43.

Paragraphe 2: Les variations du dommage

Le dommage peut varier de manière significative dans le sens d’une


aggravation ou d’une atténuation entre le jour où il est né et le jour où le juge
statue ou même ultérieurement après le jugement.

43
Chabas F., La réparation des accidents de la circulation dans la nouvelle législation uniforme des Etats
africains francophones, Gazette du Palais, 1993, p. 5 cité par Nikiéma K., Le Code CIMA : un nouveau
droit des accidents de la circulation au Burkina Faso, Revue Burkinabè de Droit, n° 27-janvier 1995, p.
84.
70
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A. Les variations avant le jugement ou l’arrêt

Si la créance de réparation naît dès le jour de la réalisation du dommage


(jugement déclaratif), l’évaluation de l’étendue du dommage se fait en principe
en se plaçant au jour du jugement, et il faut entendre par là le jugement définitif
(dernier jugement ou arrêt non attaqué). En effet, « lorsque des variations se sont
produites entre le jour du dommage et le jour où le juge se prononce, il est normal
qu’il [le juge] en tienne compte si elles sont une conséquence du fait générateur ».

Lorsque le préjudice s’est aggravé, le juge doit nécessairement en tenir compte


même si l'aggravation est due à des soins défectueux. Le chiffre de la provision
allouée peut être augmenté sur appel du seul responsable s’il est avéré que le
préjudice s’est aggravé 44 . Là où cet arrêt est remarquable, c’est que le
responsable se plaignait d’avoir été condamné au paiement d’une très forte
somme. La Cour d’appel constatant l’aggravation a augmenté la somme. Le
responsable se pourvoit en cassation en alléguant de l’ultra petita. Le pourvoi a
été rejeté.

Si le dommage s’est atténué ou a même disparu, le juge doit en tenir compte


pour le présent et pour l’avenir mais il doit allouer une réparation pour le passé
(par exemple pour la douleur subie qui s’est arrêtée).

Là-dessus, il s’est posé un problème fort intéressant en France devant les


tribunaux en matière de préjudices corporels qui peuvent être atténués grâce à une
intervention chirurgicale. Peut-on diminuer la réparation si la victime refuse de
s’y soumettre ? Après avoir distingué entre les opérations comportant des risques
sérieux et ceux ne comportant pas de tels risques, certains juges ont accordé la
réparation intégrale et d’autres une réparation partielle en opérant une réduction
de celle accordée. Toutefois, un arrêt de la Chambre criminelle du 13 juillet 1969
est intervenu contre cette jurisprudence. La Chambre criminelle déclare que les
juges ne peuvent imposer une opération à laquelle la victime refuse de se prêter
et ce refus ne peut entraîner une diminution de l’indemnité : la victime « n’est pas
tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». Le problème
demeure controversé car le système anglo-saxon admet la mistigation of damages.
L’avant-projet Catala de réforme du Code civil français envisage, de même que
les projets Lando et Gandolfi, une solution mesurée : intégrer cette mistigation of

44
Cour suprême, Chambre judiciaire, formation pénale, arrêt n° 15, du 14 novembre 1969
71
Cours de Responsabilité Civile Professionnelle 2017-2018 Dr E. OUEDRAOGO

damages dans le Code civil, sauf en cas de mesures susceptibles de porter atteinte
à l’intégrité physique de la victime.

B. Les variations après le jugement ou l’arrêt

La maxime latine « res judicata pro veritate habetur » prône la rigidité du


principe juridique de la chose jugée. Mais il n’en est pas toujours ainsi ; du moins
il y a des assouplissements. Ainsi, en cas d’aggravation uniquement et s’il y a un
nouvel élément du dommage, une indemnité peut être allouée parce que ce
supplément de préjudice par hypothèse n’existait pas. Du fait du changement dans
l’état de la victime, une nouvelle décision de condamnation est nécessaire. Si le
préjudice s’atténue ou disparaît, la victime conservera toute l’indemnisation déjà
versée ou qui reste à verser (rente).

Le Professeur Boris Stark s’insurge contre cette solution qui peut aboutir à
des situations choquantes. Concrètement, en effet, l’individu qui refuse de se
soumettre à une intervention chirurgicale avant le jugement, et à qui une
indemnité élevée est allouée compte tenu de son état, puisera le courage nécessaire
pour se faire opérer dans le principe de la « chose jugée » : son état s’améliorera
et il conservera l’indemnité accordée. Pour Boris Stark, il n’est donc pas
souhaitable de maintenir le principe de la rigidité de l’autorité de chose jugée.

Paragraphe 3: Les fluctuations monétaires

L’instabilité ou fluctuation monétaire a toujours existé mais dans des


proportions limitées par rapport à la période actuelle. D’une part, on a l’inflation
ou hausse des prix qui ne se traduit pas par un accroissement de la valeur des
biens. D’autre part, il y a les dévaluations, c’est-à-dire un accroissement des unités
monétaires nationales pour avoir une unité monétaire d’un autre pays. Par
exemple, avant la dévaluation : IFF = 50 FCFA. Après, on a eu 1 FF = 100 FCFA,
ce qui est une dévaluation de 100 %.

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Le principe en matière monétaire est celui du nominalisme basé sur l’art.


1895 concernant le prêt d’argent et qui a fait l’objet de généralisation. Supposons
une chose valant 500 000 F en 1997 et détruite à cette date. Le juge qui statue en
2005 doit-il accorder cette valeur ou la valeur actuelle, c’est-à-dire le nombre
d’unités monétaires qu’il faut actuellement pour acquérir un tel bien ?En raison
du principe de la réparation intégrale, le juge doit se placer au jour où il statue
pour évaluer monétairement le dommage et accorder réparation. Ce faisant, il
évite les conséquences défavorables des fluctuations monétaires. Ce principe ne
joue que par faveur pour la victime. Si les prix ont diminué, ce principe cesse de
recevoir application.

La considération des fluctuations monétaires entre en ligne de compte dans le


choix que l’on peut avoir à faire entre rente ou capital.

Paragraphe 4: La rente ou le capital

Il faut préciser d’abord les notions de rente et de capital. Le capital peut être
défini comme une somme d’argent allouée en seule fois à la victime. Il en est très
souvent ainsi. Dans un certain nombre d’hypothèses, c’est forcément le capital
qui doit être alloué : dommages subis par les choses, dommage moral. C’est si
normal ou naturel que l’on n’a pas coutume de parler de capital dans ce cas. Le
problème se pose uniquement pour le dommage matériel à caractère permanent
dû à un dommage corporel. Recevant un capital dans ce cas, la victime peut
l’investir, le placer convenablement, de sorte qu’il rapporte autant que la
dépréciation monétaire, voire plus. Evidemment, si la somme est dilapidée, la
victime sera totalement démunie. Le capital présente un inconvénient pour
l’auteur qui devra en une seule fois décaisser une somme élevée. Mais très
souvent, c’est plutôt l’assurance qui supporte la réparation.

Quant à la rente, elle consiste à évaluer les dommages-intérêts et à les


répartir au mois, au trimestre ou à l’année sur la période considéré qui peut être la
durée de vie de la victime. D’une part, pour la victime, elle présente l’avantage de
lui fournir régulièrement un revenu, ce qui évite le risque de dilapidation. Mais
cette somme fixée nominalement peut se déprécier. Or les tribunaux sont
généralement réticents à fixer des rentes indexées au motif que ce serait faire
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preuve de méfiance à l’égard de la monnaie, ce qui risque de favoriser une


dépréciation de la monnaie nationale. L’indexation était donc interdite par la Cour
de cassation française45. Selon celle-ci, en effet, en cas d’allocation par jugement
d’une indemnité en capital, le caractère forfaitaire de ce mode de réparation
exclut, en principe, et à moins de réserves exceptionnelles du juge, toute
possibilité de révision à la demande de l’auteur du dommage. Les critiques
adressées à l’interdiction et la résistance de certaines juridictions ont finalement
entraîné un revirement de la Cour de cassation46 qui a admis l’octroi de rentes
flottantes en réparation de dommages. D’autre part, pour l’auteur, la charge de la
rente étant répartie dans le temps, il peut plus facilement l’assumer et elle ira en
s’allégeant avec la dépréciation monétaire.

Sur la question du choix entre rente et capital, les juges du fond déterminent
souverainement l’étendue du préjudice et le mode de la réparation qui peut
consister dans le versement, soit d’un capital, soit d’une rente. L’attribution d’un
capital ne saurait légitimer un abattement de la somme allouée sous prétexte que
ce mode d’indemnisation, par ses possibilités immédiates d’investissement,
apporte un avantage à la victime. Dans l’ensemble, on peut penser qu’il vaut
mieux pour la victime obtenir un capital à condition de l’investir convenablement,
c’est-à-dire de réaliser un investissement pas trop risqué et assez rentable, comme
une construction. Toutefois, la rente semble indiquée pour les victimes
grabataires.

En conclusion

En somme, les conditions de la responsabilité sont un dommage, un lien de


causalité rattachant le dommage à un fait générateur de responsabilité qui peut
être le fait personnel, le fait d’autrui ou le fait d’une chose.

Par ailleurs, la responsabilité civile professionnelle est une matière


essentiellement jurisprudentielle. Cette matière d’une importance considérable est
régie par quelques textes légaux dont les plus notoires sont les articles 1382, 1383,

45
Req., 30 décembre 1946, Dalloz 1947.
46
Cass., Chambre mixte, 6 novembre 1974, II. 17978.
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1384. Ce système essentiellement jurisprudentiel a pour avantages la souplesse et


l’adaptabilité. Il a pour inconvénients le caractère aléatoire des solutions que l’on
constate dans la mise en œuvre, notamment dans l’évaluation des dommages-
intérêts où le juge dispose d’un pouvoir quasi souverain, ce qui peut entraîner une
inégalité de traitement entre victimes.

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