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ESDRAS EST-IL LE FILS DE DIEU ?

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VIVIANE COMERRO

Résumé
« Les juifs ont dit : 'Uzayr est le fils de Dieu ».
Depuis les plus anciens commentaires, la Tradition islamique a identifié ce person-
nage mystérieux avec l’agent d’une restauration miraculeuse de la Torah. La recherche
orientaliste moderne a bien établi que les récits des traditionnistes prenaient leur source
dans un écrit pseudépigraphique juif, du premier siècle de notre ère, le Quatrième Livre
d’Esdras, transmis ensuite en milieu chrétien. Mais le contenu de ces récits s’applique-t-
il exactement à la figure évoquée par Q 9, 30 ? L’état de la recherche moderne sur cette
interrogation sera ici présenté et discuté. L’exposé sera précédé d’une réflexion sur la
place d’une telle affirmation de la notion de “irk dans le cadre de la théologie coranique.

 Coran comporte une unique mention, insolite, d’un personnage


L nommé 'Uzayr :
Les juifs [al-yahùd] disent : 'Uzayr est le fils de Dieu et les chrétiens [al-naßàrà]
disent : le Messie est le fils de Dieu.

Le verset appartient à la sourate 9 al-Tawba qui est considérée par la


tradition exégétique islamique comme la dernière révélée dans la car-
rière prophétique de Mu˙ammad. Quoiqu’il en soit de la chronologie
dans le cadre de l’histoire du texte coranique, ce caractère de clôture
que reconnaît la Tradition à la sourate al-Tawba donne toute sa force
à l’un de ses aspects centraux : le devoir de la guerre dans le chemin
de Dieu pour instituer la nouvelle communauté de Mu˙ammad. Outre
cet aspect guerrier, le combat de nature doctrinale avec les commu-
nautés rivales des juifs et des chrétiens se poursuit. Dans ce contexte,
ils sont, les uns comme les autres, assimilés aux polythéistes par le biais
de l’accusation de “irk qui est sur le plan dogmatique l’accusation la
plus grave qui puisse être portée contre une personne ou un groupe.
Par le fait d’affirmer que quelqu’un est fils de Dieu, les chrétiens, mais
aussi les juifs, portent atteinte à l’unicité divine.
Si cette affirmation coranique du verset 30 peut paraître ajustée à

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2005 Arabica, tome LII,2


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la titulature chrétienne relative à Jésus, on ne voit pas d’emblée à quoi


elle peut s’appliquer dans le champ du judaïsme, où il n’est jamais fait
mention de 'Uzayr comme fils ou messie de Dieu. Cette difficulté a
bien été perçue par les traditionnistes musulmans qui, en dépit du texte,
limitent cette affirmation à un groupe parmi les juifs médinois ou même
à un seul d’entre eux1.
Pour commenter ce verset, la Tradition islamique a recours à un
récit dont le héros, 'Uzayr, est l’agent d’une restauration miraculeuse
des Écritures juives. Ce récit, n’appartient pas au corpus biblique cano-
nique ; il est inspiré du chapitre 14 du Quatrième Livre d’Esdras [IV Esdras],
pseudépigraphe composé probablement au premier siècle de notre ère
et qui s’inscrit dans le courant de la littérature apocalyptique juive. IV
Esdras a été rejeté par le judaïsme rabbinique de cette époque, mais il
a été repris et transmis dans les milieux chrétiens d’Orient et d’Occident.
Nous n’en possédons plus le texte originel, mais de nombreuses traduc-
tions en latin, syriaque, éthiopien, arabe (trois versions distinctes), armé-
nien et géorgien.
Quant à la recherche orientaliste moderne, elle s’est interrogée, elle
aussi, sur l’identité de ce personnage et elle a proposé diverses hypo-
thèses, indépendantes des traditions exégétiques ou en rapport plus ou
moins étroit avec elles.

Une affirmation sectaire ?


H.Z. Hirschberg2 et après lui S. Szyszman3 ont pensé à une secte juive
yéménite qui aurait énoncé une telle affirmation. Ils se référaient à une
brève notice d’Ibn Óazm, contenue dans son ouvrage sur les religions
et les sectes hétérodoxes, le Kitàb al-fißal fì l-milal wa l-ahwà" wa n-ni˙al :
Les Íadùqiyya : on les fait remonter à un homme appelé Íadùq. Parmi l’ensem-
ble des juifs, ils étaient (les seuls) à dire que al-'Uzayr était le fils de Dieu. Ils
étaient du côté du Yémen4.

1
Cf. ˇabarì, ]àmi', VI, fasc. 10, p. 110-111.
2
Cf. EJ, « Ezra », 6, p. 1107 et réf.
3
« Esdras Maître des Sadoqites », Proceedings, p. 152-154.
4
Ibn Óazm, Fißal, t. 1, fasc. 1, p. 99, dans un chapitre intitulé « Propos sur les
juifs et sur ceux qui, parmi les chrétiens, nient la trinité ; doctrine des sabéens, et de
ceux qui affirment la prophétie de Zoroastre, parmi les majùs, et qui rejettent tout
autre prophète que lui ». Ibn Óazm ne donne aucune indication sur les sources de cette
information.

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