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Colle de Français 2

Selon Stendhal, « la comédie a un grand avantage sur la tragédie : c'est de peindre les
caractères ; la tragédie ne peint que les passions ». Ainsi, dans cette formule, l’auteur français
oppose tragédie et comédie en mettant en exergue les fins différentes que ces genres théâtraux
poursuivent. Toutefois, on pourrait également réunir ces deux pans du théâtre autour de
caractères communs, souvent délaissés, comme l’affirme le théoricien français du théâtre
Pierre Larthomas.
En effet, selon ce dernier, « on a cherché à opposer tragédie et comédie, mais (que) cette
opposition n’est pas essentielle et elle est même dangereuse parce qu’en la faisant, on a oublié
de souligner les points communs qui font que toutes les œuvres dramatiques, qu’il s’agisse
d’Athalie ou Les Fourberies de Scapin ont les mêmes caractères fondamentaux ».
Dans la doxa, tragédie et comédie s’opposent. La tragédie se définit comme étant un genre
théâtral mettant en scène des personnages illustres aux prises avec des conflits intérieurs. Ils
sont voués à un destin exceptionnel, malheureux et les personnages de la tragédie luttent donc
contre leur destin. Ils doivent toutefois faire face à la fatalité puisqu’ils sont confrontés à des
choix contradictoires qui entrainent invariablement des conséquences funestes. La comédie,
elle, s’intéresse plutôt au ridicule de la vie quotidienne. En effet, c’est une pièce de théâtre
destinée à provoquer le rire par le traitement de l'intrigue, la peinture satirique des mœurs, la
représentation de travers et de ridicules. Elle traite notamment des thèmes de l’avarice, de
l’hypocrisie, de l’infidélité ou encore de la prétention. Ainsi, les deux genres répondent à une
logique et une intention à priori différente. Cependant, selon Larthomas, cette opposition ne
serait « pas essentielle » et pourrait être « dangereuse » car alors, on ne se concentre non pas
sur le cœur des problématiques qu’exposent les genres théâtraux mais plutôt sur le contingent
que renferment tragédie et comédie. Ces dernières reposent selon l’auteur sur un certain
nombre de « points communs » et sur « les mêmes caractères fondamentaux ». Ainsi, tragédie
et comédie seraient foncièrement semblables.
Ainsi, on peut se demander dans quelle mesure les deux genres du théâtre se distinguent-ils
encore.
D’abord, nous verrons que, comme l’affirme Larthomas, tragédie et comédie reposent sur les
mêmes caractéristiques. Puis, nous traiterons des différences entre les deux genres. Enfin,
nous verrons que ces distinctions tendent à disparaitre.

Tout d’abord, comédie et tragédie reposent sur les mêmes caractères fondamentaux et
on observe une homogénéité de la production dramatique. En effet, par le fait que ces deux
genres découlent du théâtre, ces derniers répondent aux mêmes règles de la production
théâtrale. Dans les pièces classiques, certaines règles sont mises en place pour plaire et
toucher le public, car « l’auditeur s’aime à s’abandonner » selon Corneille. Tragédie et
comédie ont donc d’abord une finalité commune : celle de tenir le public en haleine pour lui
plaire comme le rappelle Molière lorsqu’il affirme « Je voudrais bien savoir si la grande règle
de toutes les règles n’est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas
suivi un bon chemin ». De plus, les deux genres doivent respecter les règles d’unité de temps,
d’action et de lieu. Ces règles sont mises en place pour produire un effet de vraisemblance
essentiel au théâtre. C’est par la vraisemblance que le déroulement et le contenu de la pièce
est rendu possible aux yeux du public qui peut alors pleinement s’immerger dans la pièce. Les
pièces classiques doivent également se conformer aux règles de bienséance afin de ne pas
choquer les conventions esthétiques et orales admises par le public de l’époque.
La structure de la tragédie et de la comédie répond également à une codification précise dans
le théâtre classique puisque la pièce doit être constituée de 5 actes, entre 1500 et 2000 vers,
souvent en alexandrin et avec chacun des actes divisés en scène. La progression dramatique
entend aussi suivre un schéma type puisqu’il est imposé que le sujet doit être connu dès les
premières scènes, avec une unité interne pour chaque acte qui doit se terminer sur un suspens
et avec un dénouement nécessaire, complet et rapide. La composition structurale est donc
parfois identique, tant pour la comédie que pour la tragédie.
Tragédie et comédie reposent également sur les mêmes affects. En effet, dans les deux
registres, des sujets comme l’amour, l’argent, la jalousie sont par exemple abordés, même si
les intrigues sont envisagées différemment. Par exemple, dans la tragédie Cinna de Corneille,
on constate des intrigues formées autour de la question de l’amour entre Cinna, Maxime et
Émilie, mais aussi autour de la question du pouvoir et de la vengeance puisque Émilie
souhaite se venger de l’empereur Auguste qui a tué son père. De même, dans la comédie Les
Fourberies de Scapin, on retrouve une intrigue autour de la question de l’amour : en l'absence
de leurs pères, avec la complicité de leurs valets, Léandre et Octave se sont mariés tous deux
en cachette, le premier avec Zerbinette, une belle égyptienne, le second avec Hyacinte, une
pauvre orpheline. On retrouve également le thème de l’argent puisque Scapin, toute la pièce
durant, laissera libre cours à son génie pour soutirer de l’argent aux pères.
Ainsi, la comédie et la tragédie sont deux registres qui construisent leurs intrigues autour des
mêmes thèmes.
L’affirmation des points communs entre tragédie et comédie est importante puisqu’elle
permet l’affirmation de la nécessité du théâtre comme genre littéraire. En effet, tant dans la
tragédie que dans la comédie, l’auteur œuvre à faire passer le collectif avant un intérêt
personnel comme le ferait la rhétorique. Le théâtre est une exposition et une affirmation de la
vérité que ce soit dans la tragédie comme dans la comédie. En effet, dans la tragédie, cela se
retrouve par le fait que l’œuvre théâtrale y est la réaffirmation des valeurs communes. En
effet, la tragédie présente un ordre transcendant, qui régit les passions des hommes et les
condamne. Cela est largement exprimé dans la tragédie Phèdre de Jean Racine. Par la mort de
Phèdre, la tragédie sert d’exemple en représentant un humain soumis aux dieux, jamais
complètement libre. De plus, elle se termine par un retour à l’ordre et un rappel des lois
essentielles, divines. La tragédie arbore donc un fort sens moral.
Dans la comédie, on comprend cette volonté de dépeindre la vérité à travers son côté critique.
En effet, la comédie a un but moral et didactique puisqu’elle démasque les imperfections des
hommes et les incite à se corriger. La comédie s’applique donc à « peindre d’après nature »
pour que les hommes puissent se reconnaitre. Par exemple, la comédie Le Tartuffe est une
satire où Molière critique la fausse religion. Pour se faire, ses personnages et leurs actions
démontrent clairement les vices ou défauts que Molière remarque au courant de sa vie. En
premier lieu, l’hypocrisie est le thème le plus évident dans la pièce, surtout l’hypocrisie dans
la religion, ce qui peut être très dangereux. Ainsi, le personnage principal, Tartuffe, est un
faux dévot qui manipule la religion pour avoir tout ce qu’il veut. Comédie et tragédie œuvrent
donc à établir la vérité pour le collectif.

Ainsi, tragédie et comédie possèdent de nombreux points communs mais on observe


toutefois une distinction nette entre les deux registres. En effet, on constate qu’une partition
générique et tonale demeure. Bien que la tragédie et la comédie répondent à un déroulement
identique avec l’exposition, le nœud de l’action et le dénouement, les deux registres théâtraux
répondent à une logique différente, notamment en ce qui concerne le dénouement de la pièce.
En effet, par son lien avec la transcendance comme l’affirme Henri Gouhier, la tragédie nait
d’une étroite connexion avec le divin, les dieux. La tragédie présente donc un ordre
transcendant, qui régit les passions des hommes et les condamne. Pour réaliser cette
condamnation, la tragédie a recours à la fatalité pour mettre en scène le destin tragique des
personnages qui ne sont pas libre et soumis à un ordre supérieur. Ainsi, face à la finalité de la
pièce tragique, « on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris, qu’on est
enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on a plus qu’à crier (…) à gueuler
à pleine voix, ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même
pas encore » comme l’affirme Jean Anouilh. On peut constater la fatalité de la tragédie
notamment au moment du dénouement de la pièce.
Or, par opposition au dénouement tragique, le dénouement de la comédie est généralement
heureux (il y a souvent un ou plusieurs mariages). Il doit en principe découler logiquement de
tout ce qui précède : c'est ce qu'on appelle un dénouement « nécessaire ». Par exemple, dans
le Mariage de Figaro de Beaumarchais, le malentendu entre la Comtesse, le Comte, Suzanne
et Figaro finit par se dissiper à la fin de la pièce, laissant alors le public sur une fin heureuse.
De plus, on observe un écart entre tragédie et comédie au niveau des types sociaux
représentés. En effet, les deux registres tendent à peindre et à nous présenter des milieux
sociaux différents. La tragédie met en scène des personnages issus de la sphère aristocratique.
Dans la tragédie grecque, les personnages de la tragédie sont souvent définis par leur caractère
grand et illustre : ce sont des personnages situés en haut de l’échelle sociale comme nous
pouvons le constater tant dans Cinna de Corneille que dans la tragédie Iphigénie de Racine.
En effet, dans Cinna, l’action se déroule dans un palais au sein de l’empire romain et elle met
en scène des personnages importants tels qu’Auguste, qui est l’empereur de Rome, ou Cinna
qui est le petit-fils d’un général romain. Les personnages, ainsi situés au sommet de l’échelle
sociale, s’érigent en exemples pour le public. Au contraire, la comédie s’attarde dans un
milieu plus commun, semblable à celui que le public a l’habitude de côtoyer. En effet, les
personnages de comédie appartiennent au peuple, à la bourgeoisie, parfois à la petite noblesse.
Dans le Bourgeois Gentilhomme de Molière, le public est immergé dans un milieu beaucoup
plus modeste. En effet, le dramaturge nous plonge dans le milieu de la bourgeoisie puisque le
thème principal de la pièce est la tentative d’accession à la noblesse de Monsieur Jourdain.
Ainsi, les actes I et II dépeignent le caractère du bourgeois et montrent les débuts de
réalisation du projet de Monsieur Jourdain : l’accession à la noblesse. 
Cette différence entre les deux milieux sociaux dépeints est d’autant plus marquée par le
choix des noms des personnages. En effet, dans la tragédie, les personnages arborent souvent
des noms issus de la mythologie grecque tandis que dans la comédie, ce sont des noms
communs ou qui peuvent être tournés au ridicule comme dans les Fourberies de Scapin avec
le valet Silvestre.
Tragédie et comédie s’opposent également sur le plan de la réception. En effet, le
théâtre s’adresse avant tout à un public particulier, à une époque donnée. Ainsi, les différents
registres doivent adapter leur contenu en fonction du public visé car la compréhension d’un
public à un autre sera différente. C’est ce qu’affirme l’auteur Michel Corvin lorsqu’il écrit que
« c’est le lecteur-spectateur qui fait la comédie ». Le spectateur est donc au cœur du comique
car c’est lui-même qui le définit « par une distorsion entre la fiction et le réel », donc par une
notion d’écart : il faut qu’il y ait une distance entre la personne, donc le public, et le
personnage type qui se caractérise par la disparition de la personnalité selon Henri Gouhier.
Ainsi, c’est le spectateur qui représente la référence : le comique existe dans l’esprit du
spectateur, qui détermine si la situation est cohérente, déraisonnable ou angoissante du fait de
sa distance avec la pièce. Les passions du public n’y sont pas engagées et ce dernier peut donc
rire et juger des situations qui lui sont présentées.
Au contraire, dans la tragédie, les situations, les personnages, le langage et la tonalité de la
pièce s’harmonisent avec le lecteur. Ce n’est majoritairement pas le public qui détermine le
tragique, qui décide de la fatalité d’une situation. C’est davantage la tragédie qui impose ce
qui est tragique au public car elle se présente d’abord comme l’expression des valeurs
communes. Ainsi, la tragédie représente par excellence ce qui doit être considéré comme
terrifiant, suscitant la pitié et le public doit y adhérer.
Toutefois, même si tragédie et comédie se différencient en de nombreux points, ces
distinctions tendent peu à peu à s’atténuer voire à disparaitre au fil du temps pour un « théâtre
sans genre ». On constate un affaiblissement de ces distinctions par la labilité des registres au
sein des deux genres. En effet, on peut constater que certaines tragédies mettent en scène la
joie, l’exaltation des passions. A l’inverse, des comédies peuvent mettre l’accent sur le
désarroi d’un individu comme dans le Mariage de Figaro où ce dernier clame sa souffrance
dans un célèbre monologue. Ainsi, la comédie prend ici une dimension pathétique et suscite la
compassion du public.
De plus, cet affaiblissement des distinctions entre tragédie et comédie est concrétisé par la
naissance du drame, qui se définit alors comme un entre-deux. En effet, le drame se
caractérise comme formule dramatique née du besoin d'échapper aux règles trop strictes de la
tragédie et de la comédie et de la séparation des genres. A la différence de la tragédie qui
présente un destin funeste ou de la comédie qui met en scène une fin heureuse, le drame met
en scène une action sérieuse, dont l'issue n'est pas forcément fatale, mais peut recourir au
mélange des genres. L’accent est mis sur le destin du personnage qui, tout comme dans la
tragédie, peut également vivre une situation dramatique, ; mais cette dernière pourrait être
changée et elle ne fait pas partie intégrante du personnage. Ainsi, le drame s’érige comme un
genre nouveau à la croisée des deux registres classiques avec son propre système de
conventions. Le drame se définit donc comme un genre théâtral comportant des pièces dont
l'action est généralement tragique, pathétique, s'accompagne d'éléments réalistes, familiers ou
encore comiques. Le drame peut être de plusieurs types (drame bourgeois, mélodrame, drame
romantique) mais celui qui exprime le mieux ce croisement entre tragédie et comédie est sans
doute le drame bourgeois du XVIIIe siècle qui se définit comme un genre sérieux qui se
soucie des préoccupations du public dont le goût s’embourgeoise. Par exemple, l’auteur
Diderot souhaite instaurer un genre nouveau avec notamment le drame Un père de famille. La
pièce traite de la pression sociale, de la morale et de l’ordre social. Ainsi, le drame se
caractérise par une volonté de proposer un tableau plus vrai, plus fidèle à la réalité.
Le drame représente donc un premier pas vers un théâtre mélangeant les genres. Ce
projet de dépasser les catégories de la tragédie ou de la comédie se concrétise encore
davantage avec l’émergence du théâtre contemporain. En effet, à partir du XXe siècle, la
distinction entre tragédie et comédie tend à s’effacer comme l’affirme l’écrivain Joseph
Danan lorsqu’il écrit « Tragédie et comédie (…) sont les deux faces d’une même pièce ».
Ainsi, la tragédie n’est dès lors plus le genre stricte d’autrefois et peut présenter des scènes du
rire. C’est ce but que poursuit le théâtre contemporain. En effet, le théâtre contemporain n’a
pas de règles scéniques préétablies comme le théâtre classique. L’accent est alors mis sur la
créativité qui est au centre de la recherche théâtrale pour faire vivre le texte de manière
décalée et pour le spectateur. Le théâtre contemporain est donc un théâtre où la notion de
genre est ébranlée, où les catégories disparaissent. Ionesco clarifie l’objectif de ce théâtre
nouveau en déclarant qu’il a tenté « d’opposer le comique au tragique pour les réunir dans une
synthèse (…) théâtrale nouvelle. Mais (…) ces deux éléments ne se fondent pas l’un dans
l’autre, ils coexistent, se repoussent l’un l’autre en permanence ». Cela se concrétise dans son
œuvre La cantatrice chauve, dans laquelle est exposée l’absurdité de l’existence faisant naitre
le rire chez le public, conscient des sujets plus graves que ce rire sous-entend.

Pour conclure, tragédie et comédie, bien que souvent opposées, reposent sur les
mêmes caractères fondamentaux comme l’affirme l’auteur Larthomas. En effet, ces deux
genres théâtraux découlent des mêmes règles de production théâtrale, possèdent tous deux les
mêmes personnages types et s’inscrivent dans le collectif par la critique ou par l’affirmation
des valeurs communes. Cependant, bien que reposant fondamentalement sur les mêmes
caractères, les deux registres s’opposent. En effet, ces derniers reposent sur une logique
différente (notamment en ce qui concerne le dénouement), ne présentent pas les mêmes types
sociaux et ne sont pas réceptionnés de la même façon par le public. Or, tragédie et comédie
étant des genres classiques exigeants, de nombreux auteurs souhaitent voir apparaitre un
théâtre sans genre, plus libre à l’interprétation des metteurs en scène. C’est ainsi que nait le
drame. Puis, ce mélange des genres est encore accentué dans le théâtre contemporain où
l’accent est mis sur la créativité.

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