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Rabatel Alain
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Alain RABATEL*
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Alain RABATEL
0. Cadre théorique
Selon Rosier, le « principe fondamental » du discours rapporté réside dans
« le rapport à autrui et à son discours » (Rosier, 1999 : 9). Cette formule
mérite d’être précisée3, car :
• autrui, ce n’est pas seulement l’autre, l’interlocuteur, le tiers délocuté,
c’est aussi une certaine part du moi, ou, du moins, un certain rapport
de soi à soi4, réflexif, dans le passé (proche ou lointain), dans le futur
(proche ou lointain), dans la construction imaginaire de mondes
possibles, dans la construction de postures énonciatives que le moi
se représente, mettant en scène/à distance les contradictions, les
mensonges, les repentirs, les doutes, les hypothèses, etc. de ses alter
ego ;
• autrui, c’est aussi, comme on a tenté de le montrer à partir de l’analyse
du point de vue (Rabatel, 2001b, e), la part de pensées pré-réflexives,
à l’intérieur du moi ou du soi, dans laquelle les perceptions jouent un
rôle considérable : l’être humain n’est pas seulement un cogito, c’est
aussi un cogitatur : « ça pense, ça perçoit en nous ».
Bref, autrui, c’est aussi moi dans une posture de réflexivité aux contours
variables et au trajet sinueux, entre formes pré-réflexives et formes
réflexives5. La première dimension a déjà été défrichée depuis les travaux
fondateurs de de Gaulmyn (1986a, 1986b, 1992), à partir de la notion de
reformulation d’une part et depuis les analyses d’Authier-Revuz (1995) sur
les non-coïncidences du dire d’autre part, puis dans les diverses publications
de Vincent avec la mise en relief des fonctions pragmatiques du discours
rapporté quotidien dans la construction des identités des interlocuteurs de
l’interaction6 ; en revanche, la deuxième dimension est encore une terra
incognita, et c’est cette frontière que nous voulons traverser…
En situant l’analyse énonciative dans la continuité des travaux qui
ont mis en avant les notions de dialogisme (Bakhtine, 1979), d’hétérogénéité
énonciative (Authier-Revuz, 1995), en inscrivant le présent travail dans le
cadre d’une sémantique pragmatique,
• on souhaite argumenter en faveur d’une hétérogénéité radicale du
sujet parlant, tout en rappelant que cette hétérogénéité résulte d’une
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
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Alain RABATEL
C’est dans ce cadre que le PDV sera analysé, le PDV relevant du DR sous
une forme certes très particulière, l’effacement énonciatif10 – mais il n’est
pas le seul, le DIL également, entre autres.
À partir de là, la question linguistique du rapport à autrui renvoie à
celle de la représentation pour l’interlocuteur, pour le délocuté et pour soi
des formes par laquelle cette réflexivité permet aux êtres de langage de
penser leur rapport au monde et aux autres, à des fins cognitives et
argumentatives : d’où l’appartenance de plein droit de la saisie des
perceptions à la problématique du discours rapporté. Certes, les formes pré-
réflexives, comme la reformulation métalinguistique, se situent chacune à
un des pôles du discours rapporté : il n’est donc pas question ici de donner
à penser, si peu que ce soit, que ces pôles seraient l’essence même du discours
rapporté. Mais, même si l’on se trouve ici aux « confins » du discours
rapporté, il n’en reste pas moins légitime, à partir de cette position excentrée,
de redessiner les contours du discours rapporté, voire d’en redéfinir la nature :
• « D » : comme Discours, en assumant toute l’ambivalence du terme,
ici paraphrasé par l’expression « mixte paroles / pensées /
perceptions » ;
• « R » : pour représentées (plutôt que rapportées) : car, au-delà des
motifs cognitifs et argumentatifs en faveur de la notion de
représentation, il existe des raisons proprement linguistiques qui
militent en ce sens (Nølke et Olsen, 2000 : 87). En effet, à chaque
fois qu’il existe des disjonctions énonciatives, il est licite d’en rendre
compte à l’intérieur d’une problématique élargie du Discours
Représenté (désormais DR).
Tel est à gros traits le cadre dans lequel on aborde les rapports PDV/DR.
Comme la matière est abondante, on s’intéressera essentiellement aux
rapports des verba sentiendi (dont l’appartenance à la problématique du
DR est très rarement mentionnée11, encore moins théorisée) avec les verba
dicendi et les verba putandi, qui relèvent tous, à des degrés différents, de
l’expression de procès mentaux (4). Mais, avant d’aborder ces rapports, il
est nécessaire de faire le point sur les relations entre locuteur et énonciateur
(1) qui sont au cœur des paramètres linguistiques du PDV (2) et qui
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
1. Hétérogénéités énonciatives
L’utile mise au point effectuée dans le récent Dictionnaire d’analyse du
discours de Charaudeau et Maingueneau (2002), dans l’article intitulé
« Énonciateur », rappelle opportunément que les positions sont tranchées
sur la question des rapports entre locuteur et énonciateur. Pour certains, le
DR s’analyse comme un énoncé produit par un seul énonciateur, intégrant
deux locuteurs ; pour d’autres, le même énoncé est produit par un locuteur,
et rassemble le point de vue de deux énonciateurs distincts. Pour notre part,
nous dirons que le locuteur (L) est l’instance qui profère un énoncé, et à
partir de laquelle opère le repérage énonciatif. Quant à l’énonciateur (E),
c’est l’instance qui assume l’énoncé, à partir de laquelle opèrent les
phénomènes de qualification et de modalisation.
À chaque fois qu’il pense ce qu’il dit12, le locuteur est aussi énonciateur
de ses propres énoncés. Mais la dissociation locuteur/énonciateur n’est pas
une sophistication inutile : elle permet de rendre compte des multiples cas
où on locuteur se distancie de son propre dire, ou du dire d’un tiers ou d’un
interlocuteur : en ce cas, l’énonciateur E1 marque sa distance avec un
énonciateur e2, qui peut correspondre soit à lui-même (cas d’auto-ironie ou
de distance avec un point de vue antérieur, ultérieur du sujet), soit à
l’interlocuteur, soit à un tiers. Sans le concept d’énonciateur, on serait bien
à la peine pour rendre compte de l’implicite, des points de vue qui
s’expriment dans des « phrases sans paroles » (comme dans les récits
hétérodiégétiques), et, en définitive, de toutes les situations où un locuteur
rapporte un point de vue auquel il prête sa voix, sans aller jusqu’à le reprendre
à son compte.
Dans les cas d’emboîtement, on notera respectivement l et e les
locuteurs et énonciateurs enchâssés (ou cités) dans l’énoncé du locuteur
citant, et dans le point de vue originel à partir duquel se marquent les positions
énonciatives divergentes. En ce sens, L et E sont :
• linguistiquement premiers, par rapport à l et à e qui occupent une
posture seconde, puisque la deixis est calculée par rapport à L1,
impliquant les transformations idoines dans le discours cité de l2 ;
• hiérarchiquement supérieurs à l et à e, sur le plan pragmatique, dans
la mesure où l’on considère conventionnellement que le L1 utilise
ses propres mots pour rendre compte des dires et ou des pensées de
l2, par conséquent que le jugement de L1 est toujours-déjà présent
dans le discours cité de l2.
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Alain RABATEL
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
(Jaubert ne parle pas de sujet de conscience) : « ce qui n’est pas dit est
montré », à savoir l’impertinence énonciative entre un fait et son conséquent
interprétatif14 (Jaubert 1997 : 21-22).
Cette disjonction locuteur/énonciateur fonctionne dans les récits
hétérodiégétiques comme dans les récits homodiégétiques : sur ce plan,
Reboul (2000) a raison de dire que des énoncés de DIL à la première personne
sont susceptibles d’avoir plusieurs référents possibles, et donc de comprendre
au minimum deux sujets de conscience15. Moyennant quoi Reboul accepte
l’idée qu’il y ait plusieurs sujets de conscience dans le DIL (Reboul, 2000 :
25), considérant que les pronoms de la troisième personne fonctionnent
comme des quasi-indexicaux essentiels, qui, dans le DIL, peuvent avoir
plusieurs référents possibles. Ainsi dans l’énoncé « Si j’étais toi, je ne me
ferais pas confiance » produit par Pierre à l’intention de Jacques :
[2] « Si j’(p)étais toi(j), je(p) ne me(p) ferais pas confiance »
« Si j’(p)étais toi(j), je(p) ne me(j) ferais pas confiance »
« Si j’(p)étais toi(j), je(j) ne me(j) ferais pas confiance »
« Si j’(p)étais toi(j), je(j) ne me(p) ferais pas confiance »
« S’il(p) était lui(j), il(p) ne se(p) ferait pas confiance »
« S’il(p) était lui(j), il(p) ne se(j) ferait pas confiance »
« S’il(p) était lui(j), il(j) ne se(j) ferait pas confiance »
« S’il(p) était lui(j), il(j) ne se(p) ferait pas confiance »
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
Selon Rivara,
le second énoncé est interprétable comme discours indirect libre ayant
Œdipe pour énonciateur. Celui-ci apparaît dès lors comme responsable
non seulement de l’assertion, mais aussi de la formulation du repérage
sa mère. Le résultat est que cet énoncé est contraire au mythe
d’Œdipe : il lui attribue la volonté délibérée d’être incestueux […].
En discours indirect libre, l’énonciateur cité est seul responsable des
expressions désignatives (et appréciatives) : sur ces points, il n’y a
plus de reformulation possible par le rapporteur, et on entend
seulement les mots du premier énonciateur21.
(Rivara 2000 : 130-131)
Bref, même si l’on ne sait pas ce qu’a dit Œdipe (qu’il est au demeurant
vain de chercher à savoir), il suffit que l’énoncé puisse être paraphrasé par
des formulations relevant du point de vue de l’énonciateur du discours citant
pour montrer que l’analyse selon laquelle l’énonciateur cité serait seul
responsable des expressions désignatives et appréciatives est fausse : soit
que E1 prenne seul la responsabilité d’une reformulation comme en [5] ;
soit que E1 partage le point de vue de e2 ; soit que E1 et e2 mettent des sens
différents sous une même qualification comme en [6] :
[6] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
cette malheureuse Jocaste
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Alain RABATEL
Les énoncés [6a] et [6b] ont le mérite de montrer que « malheureuse » renvoie
puissantiellement à deux points de vue différents. Certes, on peut toujours
objecter que ces deux paraphrases sont correctes, mais ne prouvent rien
concernant l’intrication des deux modus dans le même énoncé. Mais il est
facile d’opposer un énoncé qui cumule les deux énoncés dans la même
phrase, et aussi les deux sujets modaux :
[6c] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
cette malheureuse Jocaste. « La dignité de Jocaste dans son malheur
est émouvante, ajouta-t-il, et la rend particulièrement désirable ».
Mais, malheureuse, ne l’était-elle pas au suprême degré, en ajoutant
à la douleur du deuil l’horreur de l’inceste ?
En effet, si les deux dernières phrases de [6c] renvoient l’une à l2, l’autre à
L1, en revanche, la première occurrence de « malheureuse » renvoie aux
deux sujets modaux que sont L1 et l2, dont les points de vue sont glosés
dans la suite de l’énoncé22. Autrement dit, « malheureuse » est assumée à la
fois par E1 et par e2, en des sens très différents pour l’un comme pour
l’autre.
Ce dernier exemple montre que les relations entre énonciateur
rapporteur et énonciateur rapporté sont plus complexes que ce qu’en dit
Rivara (2000 : 131), dans une formule que le chiasme rend, de prime abord
séduisante, et dont la validité théorique ne résiste pas à l’analyse :
l’énonciateur rapporté s’exprime mais n’énonce pas, tandis que
l’énonciateur rapporteur énonce mais ne s’exprime pas.
(Rivara 2000 : 136)
En réalité, s’il est vrai que l’énonciateur rapporté s’exprime mais n’énonce
pas (ce pourquoi il est courant de dire que dans le DIL, on ne rapporte que
le contenu des pensées et propos, mais non leur forme, laissant à l’énonciateur
citant (E1) le soin des repérages, qualifications, et modalisations), en
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
revanche, il est tout aussi vrai que l’énonciateur rapporteur (E1) énonce, et
s’exprime. Ce déséquilibre est un fait linguistique fondamental, donnant en
quelque sorte l’avantage au locuteur du discours citant23.
Cette hétérogénéité énonciative constitutive des DR est donc
infiniment complexe, sous l’angle de la prise en charge énonciative. Mais il
faut ajouter qu’elle est encore plus complexe que ce qu’on vient de voir,
plus complexe également que ce que laisse penser la représentation
traditionnelle du DR comme catégorie générique regroupant DD et DI (régi,
non régi) DIL. « Le » discours rapporté ne se limite pas à ces trois classes,
ni même à une quatrième, si on y ajoute le discours direct libre24, ni même
à une cinquième, plus lâche, si l’on y intègre les discours du « on-dit »,
ainsi que le recommande à juste titre Rosier (1999) : c’est qu’il existe encore
une « classe » du DR fort paradoxale, qui paraît à peine rapportée, et qui
semble a priori ne pas relever d’une énonciation primaire, je veux parler du
PDV.
En effet, l’analyse énonciative du PDV revient à interpréter des
énoncés narratifs comprenant des descriptions ou des récits délocutés comme
l’expression d’une subjectivité indirecte et implicite d’un énonciateur e2
disjoint du locuteur narrateur, bref, comme expression d’un PDV rapporté,
ou d’une énonciation rapportée. Cette théorie pose la question du marquage
de cet énonciateur, en l’absence des marques traditionnelles du Je-ici-
maintenant dont le syncrétisme signale le locuteur. Situation complexe, plus
encore que les DIL les plus retors, dans la mesure où les perceptions
représentées du PDV semblent, a priori du moins, purement dénotatives, et
dénuées de toute valeur interprétative. C’est donc sur la base de la disjonction
locuteur/énonciateur précédente que l’on peut rendre compte de la nature
énonciative particulière du PDV : le débrayage énonciatif propre à
l’inscription linguistique d’un support énonciatif distinct du locuteur y relève
d’une modalité énonciative spécifique, l’effacement énonciatif, que nous
allons analyser en contexte narratif, dans la deuxième partie, avant
d’exemplifier des degrés dans le marquage de l’effacement énonciatif dans
la troisième partie.
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
On note en effet que [8b] présente les mêmes perceptions que [8], c’est-à-
dire à la fois le même contenu propositionnel, et aussi, à la différence de
[8a], exprime les motivations et les réactions des perceptions de
l’énonciateur.
• On rajoutera donc à ces marques verbo-aspectuelles toutes les
marques, nombreuses, qui concernent la construction linguistique de
la référence : le mode de donation des référents de [8] confirme bien
le caractère subjectif de la perception. En effet, ce n’est pas la même
chose de parler de « jeunes villageois » et de « garçons des villages » :
en focalisant sur « garçons », on laisse entendre l’importance, pour
e2, du phénomène des relations sexuelles (au sens large) entre les
filles et les garçons, et en qualifiant les garçons comme des « gars de
la campagne », le narrateur laisse entendre que la scène est
appréhendée par un énonciateur e2 qui est une sorte de don juan
citadin, se délectant du comportement malhabile des gens de la
campagne par opposition aux citadins (cf. « ricanant »). La différence
de caractérisation entre les filles et les garçons (qui sont les seuls à
bénéficier (si l’on peut dire) du sème de la ruralité – voire de la
rusticité… – témoigne bien d’une différence de maîtrise dans la mise
en scène de la séduction… Au surplus, le mode de donation des
référents n’affecte pas seulement le lexique : ainsi, les anaphores
définies (alors qu’il s’agit dans le co-texte d’une première mention)
témoignent bien du caractère saillant pour e2 des objets de discours
en question. Certes, Milan ne nous dit pas explicitement tout cela,
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
Cet effacement énonciatif est fréquent avec le PDV, et une bonne part de
l’efficacité pragmatique du PDV repose sur lui, puisque des PDV très
subjectifs et donc potentiellement discutables empruntent le masque de
considérations en apparence objectives, ou semblent parées du crédit porté
conventionnellement à la voix du narrateur, ce qui renforce la valeur
argumentative indirecte31 des PDV32.
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
C’est en raison de cette proximité que ces verbes peuvent être rangés sous
la dénomination de verbes de procès mental. La notion de verbe de procès
mental subsume donc les verba sentiendi, dicendi, putandi et verbes de
structuration, parce que tous ces verbes se prêtent aisément à l’analyse.
Certes, ce phénomène est encore plus net en discours que dans des phrases
ad hoc, car, en contexte discursif, les relations sémantiques méronomiques
entre des procès variés renvoient à la même source énonciative à l’origine
de l’interprétation. Ce phénomène est néanmoins sensible avec des énoncés
décontextualisés, et il fonctionne quelle que soit la structure syntaxique,
comme on va le voir à présent.
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la coordination ([10b]) :
[10b] Elle sauta du lit et il la regarda traverser la chambre d’un pas résolu :
elle était trapue, les fesses étaient carrées, les hanches droites, la
poitrine musclée ; mais ces corps-là ne s’abîmaient pas, le visage se
fane avant que les seins ne tombent.
ou la juxtaposition ([10c]) :
[10c] Elle sauta du lit et il la regarda traverser la chambre d’un pas résolu,
trapue, les fesses carrées, les hanches droites, la poitrine musclée :
ces corps-là ne s’abîment pas, le visage se fane avant que les seins
ne tombent.
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
[17] Pour une fois, sourit-elle, je ne serai pas la seule petite catho dans
mon coin […]
(Le Nouvel Observateur, 20-8-1997, in Tuomarla 2000 : 136)
Lorsque le PDV n’est pas sous la rection d’une subordination, le PDV partage
cette « subordination d’un certain type » avec le DD :
[19] Pierre aperçut Paul. Il avait l’air inquiet [=il pensa qu’il avait l’air
inquiet].
Enfin, lorsque le verbe de perception est absent (ou est remplacé par un
verbe de mouvement), et qu’il n’y a pas de subordonnant, le PDV est très
proche du DIL41, en [20] ou du DDL en [21] :
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C’est entre autre ce que montre le tableau n° 2, qui reprend les correspon-
dances établies entre perception et discours rapporté, dans Rabatel (2001b42),
selon un continuum, depuis les formes les plus diégétiques jusqu’aux formes
les plus mimétiques, selon l’expression d’une conscience et d’une perception
la moins réflexive, jusqu’à l’expression de la réflexivité et de l’intentionnalité
la plus grande43 :
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
PÔLE DE LA PERCEPTION/CONSCIENCE
RÉFLEXIVES, REPRÉSENTÉES
Quelques mots sur le sens de ce tableau : en montrant qu’à côté de chaque
forme plus ou moins canonique de discours rapporté, correspond une
expression plus ou moins marquée des perceptions et des points de vue, on
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
Conclusion prospective
Ainsi, il semble qu’il faille amender46 la définition de Rosier (1999 : 125)
en insistant sur le fait que l’autre n’est pas seulement un locuteur différent,
mais encore soi-même, et surtout en mettant en avant l’importance de la
problématique de la (pré)réflexivité : le DR sert non seulement à se citer,
mais encore à représenter des niveaux d’appréhension des phénomènes (cf.
la problématique des sources évidentielles), dans des espaces mentaux
différents.
D’où l’essai47 d’amendement suivant :
le discours représenté est la mise en re-présentation d’espaces
énonciatifs distincts et hiérarchisés par le locuteur citant. Ces espaces
énonciatifs peuvent provenir
• de locuteurs différents (l1 et l2), définis ou indéfinis ;
• de points de vue distincts d’un seul locuteur (L1 représente des
propos de E1, e2) ;
• d’un énonciateur à l’origine d’un point de vue, sans être représenté
dans le DR comme locuteur (L1 représente le point de vue de e2).
Cette mise en re-présentation est sémantiquement et syntaxiquement
variable :
• selon la nature des phénomènes représentés, parole et/ou pensée et/
ou perception ;
• selon la nature du lien entre le discours citant et le discours cité ;
• selon la nature de la représentation du « discours » cité : comme
discours de L2 ou comme point de vue de e2, sans que ce dernier
n’ait été représenté comme locuteur de son point de vue ;
• selon les formes de prise de distance envers telle ou telle manière
de dire et/ou de penser et/ou de percevoir : distance temporelle,
épistémique (perception, inférences, dire d’autrui), axiologique, etc.
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Alain RABATEL
Va donc pour discours, donc, avec toutes les réserves d’usage (et de mention)
qui s’imposent… Si, dans l’expression « discours rapporté », le terme de
« discours » paraît devoir être conservé, parce qu’il ne s’en présente pas de
meilleur, en revanche celui de « rapporté » est nettement problématique,
parce que le DR ne rapporte pas toujours des propos déjà formulés.
D’où la notion alternative de représentation. Dans La construction
textuelle du point de vue, cette notion était commentée ainsi :
La représentation [d’une perception représentée] est à la fois une
REPRÉSENTATION, en un seul mot, et une RE-PRÉSENTATION,
en deux mots. D’une part, il s’agit d’une représentation d’abord au
sens de l’expression « mimétique » d’une perception, ensuite au sens
d’une mise à distance, d’une mise en valeur d’une perception (comme
dans une représentation théâtrale, par exemple)49, les perceptions et/
ou les pensées représentées étant mises en relief par rapport à la trame
événementielle. Il s’agit d’autre part d’une «RE-PRÉSENTATION»
en ceci que le texte re-présente les perceptions, par le biais de l’IMP :
en effet, ces perceptions, qui appartiennent au passé, sont
présentifiées, présentées comme «quasi-présentes», selon la formule
de Ricœur.
(Rabatel, 1998 : 24)
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
NOTES
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5. Sur ces questions, cf. Rabatel (2001b : 236), Rabatel (2001d : 88-93) et
Damasio (1994), (1999) sur les relations entre perceptions du proto-soi et pensées
du soi.
6. Cf. Vincent et Dubois (1997 : 122-123, 132-133).
7. « Dès les origines antiques, la réflexion sur le discours rapporté n’est pas
grammaticale : elle touche à la fois à la rhétorique et aux figures de style d’une
part, à l’autorité et à la citation d’autre part » (Rosier, 1999 : 25).
8. Telle qu’elle est développée dans Bergounioux (2001).
9. DR : discours rapporté ; DD : discours direct ; DDL : discours direct libre ;
DI : discours indirect ; DIL : discours indirect libre ; DN : discours narrativisé (ou
P-R : psycho-récit) ; MI : monologue intérieur ; PDV : point de vue ; RNA : compte-
rendu narratif d’une action.
10. Cf. Vion (2001), Philippe (2002), ainsi que Rabatel (2002a), (2003g) ; cf.
également Charaudeau et Maingueneau (2002 : 226).
11. Une exception notable, Weinrich (1989). Certes, on n’a garde d’omettre ici
le très stimulant ouvrage de Franckel et Lebaud (1990) consacré aux verbes de
perception, sentiment et connaissance : mais l’analyse n’aborde pas la question du
discours rapporté. En revanche, elle apporte beaucoup d’eau à notre moulin,
relativement aux proximités syntaxiques et sémantiques de certains verbes de
perception, de sentiment (de pensée) et de connaissance, ou encore à propos des
degrés d’intentionnalité de la perception (et donc aussi des degrés de savoir corrélé
à ladite perception) : cf. Franckel et Lebaud (1990 : 26-28, 38-40, 55-57, 100,
notamment, ainsi que 195-200, 231s). Au surplus, leur ouvrage apporte de l’eau au
moulin de la disjonction locuteur/énonciateur en insistant sur le fait que le repère
(ou le site, ou l’ancrage) énonciatif ne va pas toujours de pair avec le support modal
à l’origine des qualifications, modalisations, évaluations, susceptibles de renvoyer
à un énonciateur distinct du locuteur : cf. infra, note 16.
12. On considère que par défaut, dès lors que le locuteur ne marque pas de
distance (formes de modalisation du dire et/ou du dit, intonation, mimiques faciales,
gestes para-verbaux à l’oral, guillemets, italiques ou autres signes à l’écrit), il adhère
au contenu propositionnel énoncé. En contexte interactionnel, ces signaux sont en
principe interprétés comme tels par le co-énonciateur. Dans les cas de communication
différée, tels les textes littéraires, en l’absence de feed-back, c’est la règle par défaut
qui prévaut seule.
13. Banfield récuse une disjonction entre sujet de conscience et locuteur, ainsi
que le rappelle Reboul :
Règle de l’unicité du sujet de conscience
1. Pour toute phrase au style indirect libre ou au discours direct, il y a au plus un
référent, appelé le sujet de conscience, auquel tous les éléments expressifs [i.e.
éléments déictiques] sont attribués. Ce qui signifie que toutes les réalisations du
sujet de conscience sont coréférentielles.
2. S’il y a un je, je est coréférentiel avec le sujet de conscience. En l’absence de
je, un pronom personnel à la troisième personne peut être interprété comme sujet
de conscience.
3. Si la phrase est reliée de façon anaphorique au complément d’un verbe de
conscience, son sujet de conscience est coréférentiel avec le sujet ou l’objet indirect
de ce verbe. (Mœschler et Reboul, 1994 : 337).
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
Cette analyse est critiquable parce que la conception même du sujet de conscience
est ambiguë : en effet, tout se passe comme si le sujet de conscience se limitait
d’une part au centre déictique stricto sensu. Dans ce cadre étroit, alors les remarques
de Banfield et de Reboul sur l’unicité du sujet de conscience sont évidemment
acceptables. Dans le DIL, la déixis du discours cité est nécessairement transposée,
le « je » du discours cité devient « tu » (ou n’importe quelle autre expression
coréférentielle), pour l’interlocuteur, ou « il », pour un tiers, faute de quoi la référence
serait inaccessible. Mais une chose est le marquage du centre déictique, qui renvoie
bien à une personne grammaticale, ou à un locuteur, autre chose le marquage de la
subjectivité, qui déborde la présence du « Je-ici-maintenant », et qui peut s’exprimer
polyphoniquement dans le lexique, comme c’est le cas avec l’ironie. Dans ce cas,
on voit bien que le locuteur d’un propos ironique rapporte un propos dont il se
distancie : il est locuteur (L1), et il n’assume pas, en tant qu’énonciateur E1, le
propos qu’il prête à un énonciateur e2. Il y a un centre déictique mais deux sujets
de conscience. Reboul (2000) prend nettement ses distances avec l’analyse de
Banfield, qu’elle rapportait sans distanciation claire dans Reboul (1994), notamment
lorsqu’elle résumait l’analyse de Ducrot en regrettant une multiplication des êtres
théoriques susceptibles de décrire l’énonciation (mais sans argumenter (Reboul
1994 : 340)). Or cette multiplication est toute relative : dans la plupart des cas, on
a besoin de E1 et de e2 qui peut renvoyer à un interlocuteur identifiable, ou à
l’énonciateur de la doxa ou à un énonciateur indéterminé.
14. Non pertinence qui fonctionnerait tout autant si le texte remplaçait « argent »
par « jambon », ou « le chat prenait l’argent » par « le voleur prenait l’argent »
pourtant plus acceptables : car le problème est moins dans le mode de donation des
référents de chacune des propositions que dans les conséquences tirées de l’une à
l’autre : cet « abus de déduction » est bien mis en valeur par Jaubert.
15. Reboul situe son analyse du DIL dans le cadre de la théorie de l’interprète
(Dennett, 1990), qui considère que l’accès aux pensées n’est pas le privilège exclusif
de la fiction (vs la thèse de K. Hamburger, qui l’amenait à considérer que le DIL
était exclusivement réservé à la fiction littéraire). Selon Dennett, les individus, en
tant qu’agents rationnels, sont dotés de croyances, de désirs et autres états mentaux,
en sorte que la prédiction qu’on peut faire sur autrui repose sur la capacité à lui
prêter des états mentaux, et sur la possibilité linguistique de les représenter
(phénomènes qui expliquent que la fiction recourre avec prédilection au DIL). Le
DIL relève du discours interprétatif (Sperber et Wilson, 1989 : 343-348) en général,
et « sur une échelle qui irait de la plus à la moins grande fidélité au discours ou aux
pensées représentées, il se situerait vers le pôle de la plus grande fidélité, ce qui
explique tout à la fois son poids explicatif pour l’application de la stratégie de
l’interprète et le rôle que lui ont souvent attribué les récits de fiction » (Reboul,
2000 : 28).
16. Cf. Franckel et Lebaud (1990 : 22ss, 207-209) : ils distinguent, à propos
des procès de perception, deux cas : a) cas où la prédication d’un événement perceptif
est indissociable de sa qualification par le repère ; b) cas où la prédication d’un
événement perceptif dissocie la situation de la notion (opération symbolisée QNT,
pour délimitation quantitative) dans l’espace et le temps de la spécification de la
notion (opération symbolisée par QLT, pour délimitation qualitative). Le cas b)
77
Alain RABATEL
revient à dire que le repère (ou encore le site, ou l’ancrage énonciatif) est disjoint
du support modal.
17. Convenons que L1 renvoie au locuteur premier (ou citant, rapporteur,
enchâssant, etc.) et que E1 renvoie à l’énonciateur premier, lorsque L1 assume
immédiatement ce qu’il énonce. Lorsque L1 cite ou rapporte ou mentionne des
propos ou des points de vue d’une source énonciative distincte, avec laquelle il
peut être en accord (médiat) ou en désaccord, on dira que ces propos ou points de
vue cités, rapportés, enchâssés réfèrent à une instance e2. Dans le cadre de la
problématique énonciative dans les récits, L1 = N1 (c’est à dire le narrateur premier),
et chaque fois que L1 / N1 assume ses propos, on est face à un syncrétisme L1 / N1
/ E1. Je reviendrai plus loin sur ces schématisations. Je mentionne d’emblée le
caractère problématique, voire quasiment aporétique (en première approximation
du moins) de l’existence de L1 / N1 / E1, dans les cas, très fréquents, de narration
anonyme.
18. C’est la conjonction de la disjonction potentielle du locuteur et de
l’énonciateur, mais encore du repère et du support des qualifications et modalisations
qui explique la plupart des formes intermédiaires qui font éclater la tripartition
traditionnelle des formes du DR. Ce qui explique que les DI ne relèvent pas de la
dérivation du DD ni ne s’analysent en termes de fidélité avec un hypothétique DD :
ils relèvent d’une scénographie énonciative, oscillant entre une énonciation montrée
et une énonciation rapportée, selon une progression que Combettes (1990 : 109)
symbolise ainsi :
1 2 3 4
Marques de « Temps » Déictiques Lexique
personne du verbe temporels et (« niveaux » de langue/
spatiaux langues différentes…)
traduction d’un point de vue
On est ici face à un continuum, le DD reposant sur la présence de 1, 2 et 3,
tandis que 4 peut révéler des traces du point de vue du locuteur rapporteur. Quant
au DI, il conserve d’abord 4, puis 3, et beaucoup plus difficilement le système
temporel de l’énonciation initiale, 1 étant exclu. D’où cette conclusion pratique de
Combettes :
plutôt que de « classer » les trois types de discours rapportés en fonction d’une
plus ou moins grande fidélité à l’énoncé initial, il paraît plus utile d’observer
comment, par quels procédés, chaque DR peut signaler une intervention de
l’énonciateur rapporteur, marquer au contraire la présence de l’énonciation
première, s’attacher à la relation d’un signifié ou d’un signifiant, etc. Ces
procédés correspondent à un ensemble organisé et ordonné ; prendre en compte
cette organisation permet de travailler sur les variations, les sous-catégories,
qui apparaissent à l’intérieur des trois grandes classes habituellement reconnues.
(Combettes 1990 : 110)
Le continuum qu’évoque Combettes renvoie à l’idée que les relations locuteur/
énonciateur sont plus complexes que ce qu’en laissent penser les représentations
grammaticales traditionnelles du DR. Autrement dit, ce continuum n’est possible
que parce qu’il repose sur des relations de conjonction, et, surtout, de disjonction
locuteur / énonciateur tous azimuts.
78
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
19. Il est vrai que Rivara fait un usage large (lâche, à vrai dire) de la notion de
repérage (cf., dans la citation que nous reproduisons, quand il évoque « le repérage
sa mère » : il s’agit en réalité d’une qualification (ou d’une identification), plus que
d’un repérage, terme qui doit plutôt être réservé aux repérages déictiques et
anaphoriques. Cf. encore Rivara (2000 : 144). NB : toutefois, Rivara revient plus
justement sur ce point, en passant, Rivara (2000 : 161).
20. Cf. Danon-Boileau (1987 : 64).
21. Le premier énonciateur dont il s’agit est l’énonciateur du discours cité,
antérieur au discours citant. Dans notre symbolisation, il s’agit de e2. On voit que
nous ne privilégions pas une hypothétique reconstruction génétique des paroles,
nous adoptons le point de vue descriptif et hiérarchique qui consiste à donner le
premier rôle au discours citant, hiérarchiquement supérieur.
22. Il est vrai que si [6c] est acceptable, les mêmes propositions, disposées dans
un ordre différent, produiraient un effet incohérent :
[6d] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
cette malheureuse Jocaste. Malheureuse, ne l’était-elle pas au suprême
degré, en ajoutant à la douleur du deuil l’horreur de l’inceste ? Mais
surtout, « La dignité de Jocaste dans son malheur est émouvante,
ajouta Œdipe, et la rend particulièrement désirable ».
Cette incohérence provient du fait que l’ordre des propositions de [6d] inverse
la hiérarchie pragmatique entre L1 et l2. C’est cette inversion qui rend l’énoncé
inacceptable, et non le cumul des deux modus pour « malheureuse ».
23. Et il a son équivalent narratologique dans le fait que y compris (on est même
tenté de dire : surtout) lorsque le récit développe le PDV d’un personnage, il construit
dans le même temps le PDV du narrateur sur le personnage et sur le PDV du
personnage. Cf. Rabatel (2000c, 2001a).
24. « Classe » complexe, elle-même reposant sur un continuum, depuis les
formes les plus embryonnaires du DDL jusqu’aux formes (plus ou moins, ici encore)
développées du monologue intérieur : sur ce point, cf. Rosier (1999 : 271-297) et
Rabatel (2001e).
25. C’est le titre, on s’en souvient, d’un article de Simonin-Grumbach (1984).
26. Évidemment, du fait que le PDV de l’énonciateur-personnage est « rapporté »
tout en étant « montré » (représenté) dans la voix du locuteur-narrateur, il est fort
possible que le narrateur exprime lui aussi un PDV à l’égard de ce qu’il rapporte :
ces manifestations de distance ou de consonance ont fait l’objet de plusieurs
parutions : cf. Rabatel (1998 : 172-188, 2000c, 2001a). On considérera que par une
tacite convention, l’état non marqué laisse entendre que le locuteur ne juge pas
utile de marquer une distance ou une approbation explicites, et donc que le contenu
propositionnel rapporté est fiable, ou va de soi.
27. Le fait que la subjectivité de la personne de Milan s’exprime par un IL,
alors qu’en principe la subjectivité relève du JE/ICI/MAINTENANT est également
confirmé par les valeurs subjectives exprimées par le mode de donation des
référents : ainsi l’origine subjective du PDV signifie-t-elle deux choses bien
différentes : d’une part, qu’il y a une origine énonciative spécifique (un centre
déictique) : c’est Milan qui perçoit, et le narrateur ne fait que rapporter cette
perception ; d’autre part, cette perception est saturée de subjectivèmes (mais on
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Alain RABATEL
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
(cf. dixit, sic), les traces de DD dans le récit du narrateur (= « vocifération », i.e. la
mention de traits idiolectaux, sociolectaux, etc. ou la caractérisation d’habitus du
locuteur cité), le DD avec que, ou avec verbes de mouvement, autrement appelées
zero quotatives (Rosier 1999 : 210-221). Le nombre de ces tournures serait accru si
l’on prenait en compte les spécificités du marquage de l’oral : ainsi que Blanche-
Benveniste le remarquait (1997 : 109s), à l’oral, on sait qu’il y a parole, sans qu’on
puisse savoir qui parle : on retrouve là la problématique des zero quotatives analysée
par Mathis et Yule (1994), c’est-à-dire l’existence de discours direct sans mention
de verbe de parole, et/ou sans caractérisation explicite de la source énonciative,
l’attribution des paroles dépendant de la structure de l’échange conversationnel.
33. Cf. Benzakour (1990) pour l’analyse des verbes de perception expérientielle
(« je vois Pierre qui arrive »), des verbes dénotant une activité perceptive
intentionnelle, inférentielle (« je vois que son état empire ») ou représentationnelle
(imaginative) (« je vois mal Pierre réussir ce concours ») : dans tous les cas, la
perception est plus ou moins intriquée aux procès mentaux. Nous ne développons
pas ce point, abordé dans Rabatel (1998 : 19-21).
34. C’est-à-dire des verbes ayant une importance particulière pour la méta-
communication linguistique : cf. les verbes exprimant une perception extérieure
du type entendre, voir, sentir, les verbes indiquant une perception extérieure du
type penser, rêver, imaginer, ou exprimant une volonté, un jugement sur une situation,
tels vouloir, désirer, espérer, ou approuver, réprouver, reconnaître (Weinrich, 1989 :
468). La lecture des exemples précédents montre qu’il s’agit d’une catégorie fourre-
tout. Nous ne discutons pas ce point, nous constatons seulement que l’impossibilité
de définir clairement cette catégorie plaide en faveur de la notion subsumante de
verbes de procès mental.
35. À ces quatre classes de verbes, Weinrich rajoute tout autre signe signalant
un segment de texte comme opinion rapportée : « voici sa réponse », « alors moi,
tout bas : […] », « lui, à l’oreille de sa femme : […] », « puis elle sur le même
ton ».
36. Dès que le verbum sentiendi est construit avec que, ou si, il acquiert une
intentionnalité et une dimension interprétative qui le fait s’apparenter à un verbe de
structuration, selon la définition qu’en donne Weinrich. Il faudrait se livrer à des
analyses étendues sur les verba sentiendi pour préciser si ce phénomène est
généralisable : le phénomène se vérifie pour « entendre » vs « entendre que/si »,
avec « voir », vs « voir que/si » (verbes de structuration), ou encore avec « goûter »
vs « goûter si » (verbe de structuration), mais il semble ne pas fonctionner avec les
verbes qui ne peuvent se construire avec si, que (« toucher »), voire avec des verbes
qui admettent l’une des constructions (« écouter si ») tout en restant un verbum
sentiendi.
37. Transitivité qui, au demeurant, ne fait aucun problème lorsque la perception
représentée est sous la rection d’un subordonnant, comme en [18], [27] ou [29].
38. Rosier (1995).
39. D’après Fónagy (1986 : 264-266), les verbes secondaires (distincts des verbes
de parole dénotant une attitude propositionnelle) dénotent un comportement non
verbal : bruit humain non verbal, bruit mécanique, mimétique du visage,
mouvements physiques, comportement social, stratégies conversationnelles, attitude
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Alain RABATEL
émotive (sans impliquer un acte de parole) : cf. rire, s’extasier, saliver… Selon
Fónagy (et, avant lui, Zsigmond Simonyi), l’importance croissante de ces verbes
secondaires résulterait d’une évolution diachronique au cours de laquelle le verbe
de parole modifié par le complément adverbial (dit en s’extasiant ‡ s’extasia) aurait
été éliminé au profit du complément, qui devient ainsi marqueur de DD en l’absence
du verbe primaire (Fónagy, 1986 : 269, apud Tuomarla, 2000 : 130). On notera que
ces verbes secondaires sont de plus en plus nombreux surtout en incise, davantage
qu’en situation introductive du DD (Kerbrat-Orecchioni, 1979 : 352, Fónagy, 1986 :
271, et Rosier, 1993 : 383). Néanmoins, même si ces verbes se construisent plus
« naturellement » en incise, ils se rencontrent aussi avec le verbe avant le DD,
comme l’exemple [16] avec « explose ». Ces tournures, ainsi que l’écrivent Rosier
et Tuomarla, se répandent de nos jours, pas seulement dans la presse. Il est de fait
que le caractère inhabituel de ces emplois est parfois souligné, à des fins parodiques,
par le choix de verbes de « parole » inattendu, cf. :
[14] « Du calme, Béru ! maussadé-je. » (San-Antonio, Votez Bérurier !,
Fleuve Noir, 1969 : 126)
[15] « – La première fois que vous voyez un mort ? sarcastise Bérurier. »
(San-Antonio, Si ma tante en avait, Fleuve Noir, 1978 : 82)
40. C’est un truisme de remarquer la pauvreté des verbes de parole dans les
grammaires : cf. les études d’Authier et Meunier (1977 : 48) et de Peytard (1993).
Il ne s’est guère produit d’amélioration significative depuis.
41. Selon J. Authier (correspondance privée), alors le PDV est du DIL : c’est
tout à fait possible, mais à la condition de ne pas limiter le DIL aux cas où il renvoie
à des paroles ou à des pensées (avec ou sans verba dicendi ou putandi), mais de
l’étendre aux verba sentiendi. Or il faut bien reconnaître que nombre de cas litigieux
de DIL renvoient à des perceptions, avec ou sans verbum sentiendi, ce qui oblige à
des inférences coûteuses. Si l’on maintient ici la distinction, c’est parce que l’on
veut insister sur la différence entre des occurrences de DIL non problématiques
avec verbe de pensée, et des occurrences plus problématiques en l’absence de verbe
de pensée : dans ce cas, il faut reconstruire un mécanisme inférentiel à partir d’un
mouvement et/ou d’une perception, cf. Rabatel (2003d).
42. Avec des compléments pour la perception directe (exemples [13f] et [13g])
et pour la perception directe libre exemplifiée en [34].
43. Il va de soi que ce continuum renvoie à des représentations discutables,
conventionnelles.
44. La frontière entre PDV et DIL n’est pas toujours nette : ainsi de « il se
trouve dans une banale avenue Jean Jaurès », ou « une voie totalement hors du
temps et de l’espace » ; celle entre ces formes de DR et le récit pas davantage,
compte tenu du fait que l’interprétation peut hésiter sur la part du récit « objectif » et
sur l’importance de la prise en charge de la diégèse par le point de vue du personnage
focalisateur : d’où le point d’interrogation devant la première phrase, qui peut-être
interprétée soit comme du récit pris en charge par le narrateur, soit comme une
sous-verbalisation de l’événement par le personnage. Ces flottements ont été
analysés plus particulièrement dans Rabatel (2001f).
45. Rappelons que cette perception narrativisée est très proche de ce que nous
avons nommé PDV raconté dans Rabatel (2000a : 209-225, 2000b : 69, 2001a :
156-8, 2001c : 158-162).
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…
46. Amender, et non remplacer : car il est important de ne pas passer par pertes
et profits (et l’occurrence, par perte) la notion grammaticale du rapport, sous le
prétexte de tordre le coup au mimétisme. Pour autant, il ne paraît pas inutile de
mettre les points sur les i pour pouvoir rendre compte de cas de disjonctions locuteur
/ énonciateur, autrement dit de cas d’effacements énonciatifs qui sont loin de ne
concerner que le PDV. En réalité (mais la place fait défaut pour en donner une
exemplification) la plupart des formes traditionnelles du discours rapporté peuvent
faire l’objet d’un effacement énonciatif plus ou moins fort par L1 (cf. Rabatel,
2003a).
47. Il s’agit bien d’un essai, avec toutes les précautions d’usage.
48. Cf. encore Vincent et Dubois (1997 : 81 ss).
49. Nous écrivions en 1998 que cette représentation allait de pair avec l’emploi
de l’IMP, qui est l’instrument privilégié de la mise en relief, dans le cadre de
l’opposition fonctionnelle des plans, et nous citions Pouillon, pour qui l’IMP des
romans a une signification plus spatiale que chronologique : « il nous décale de ce
que nous regardons [...] Il ne signifie pas que l’événement a pris fin. Au contraire,
le romancier veut nous faire participer à cet événement [...] L’imparfait de tant de
romans ne signifie pas que l’événement est dans le futur de son personnage, mais
tout simplement qu’il n’est pas son personnage, qu’il nous le montre » (Pouillon
1946 : 163). Avec le recul, cette analyse de 1998 paraît devoir être approfondie car
la notion de représentation dépasse le cadre des récits, et ne se limite pas aux valeurs
de l’imparfait, car elle prend un sens fondamental avec le cumul de l’usage et de la
mention dans le cadre des discours représentés, tout comme avec le cumul des
valeurs descriptive et interprétative : cf. Rabatel (2003b) et (2003e).
50. D’où les tentatives de redénomination qui se sont succédé : discours relaté
(Peytard, 1993), représenté (Roulet, 2000 : 192), ou encore les différences de
dénomination du phénomène en anglais ou en allemand (Rosier, 1999 : 46ss).
RÉFÉRENCES
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