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Les verbes de perception entre point de vue représenté et


discours représenté

Article · November 2001

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1 author:

Rabatel Alain
université de Lyon1
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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

LES VERBES DE PERCEPTION


EN CONTEXTE D’EFFACEMENT ÉNONCIATIF :
DU POINT DE VUE REPRÉSENTÉ
AUX DISCOURS REPRÉSENTÉS

Alain RABATEL*

On se propose d’ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire déjà fort riche


des rapports entre le discours rapporté et les théories de l’énonciation. Selon
la distinction opérée par André Joly1, on fait écho à la première linguistique
de l’énonciation (Bally, Guillaume, Damourette et Pichon, Brunot), qui a
mis en avant l’importance du concept de sujet parlant, et à la seconde
linguistique de l’énonciation (avec et après Benveniste)2, qui a fait retour
sur le sujet parlant, en le clivant, qu’il s’agisse du sujet divisé de la
psychanalyse, du sujet éclaté de l’idéologie. À partir de la disjonction
locuteur/énonciateur, centrale pour l’analyse des phénomènes
d’hétérogénéités énonciatives comme pour les phénomènes d’effacement
énonciatif, on montrera que certains énoncés apparemment objectifs, dans
les récits hétérodiégétiques, expriment un point de vue narratif (PDV), ces
sortes de « phrases sans parole » (Banfield), renvoyant à la subjectivité d’un
énonciateur (par exemple un personnage) distinct du locuteur-narrateur. Ce
mode énonciatif original plaide non seulement pour une analyse énonciative
du PDV, il invite à examiner les relations entre le PDV et les formes
conventionnelles du discours rapporté. Ainsi, sur le plan syntaxique, le PDV
partage avec le discours indirect libre des mécanismes d’effacement
énonciatif ; le PDV partage avec le discours indirect les mécanismes de
subordination de la perception et des pensées au procès de perception
rapporté par le locuteur-narrateur citant ; le PDV partage avec le discours
direct une « quasi subordination » (Rosier 1999) en fonctionnant comme
complément essentiel du verbum sentiendi, dans les cas de parataxe. Sur le
plan sémantique, la parenté des verba sentiendi et dicendi fait du PDV un
mixte de pensées, de perceptions et de paroles qui le rapproche du DIL (en
contexte narratif à la troisième personne) ou du DDL (en contexte narratif à
* IUFM de Lyon, ICAR, Université de Lyon 2/ CNRS, FRE 2690, 16 rue Auguste
Comte, F 69002 Lyon – Tél./Fax : 04 78 37 64 93 – at.rabatel@wanadoo.fr

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Alain RABATEL

la première personne), jouant un rôle décisif dans l’expression d’une sorte


de pensée pré-réflexive, autour de la représentation des perceptions. Ces
phénomènes renvoient à un continuum, des formes réflexives aux formes
pré-réflexives, et plaident pour une redéfinition du DR comme discours
représenté plutôt que rapporté.

0. Cadre théorique
Selon Rosier, le « principe fondamental » du discours rapporté réside dans
« le rapport à autrui et à son discours » (Rosier, 1999 : 9). Cette formule
mérite d’être précisée3, car :
• autrui, ce n’est pas seulement l’autre, l’interlocuteur, le tiers délocuté,
c’est aussi une certaine part du moi, ou, du moins, un certain rapport
de soi à soi4, réflexif, dans le passé (proche ou lointain), dans le futur
(proche ou lointain), dans la construction imaginaire de mondes
possibles, dans la construction de postures énonciatives que le moi
se représente, mettant en scène/à distance les contradictions, les
mensonges, les repentirs, les doutes, les hypothèses, etc. de ses alter
ego ;
• autrui, c’est aussi, comme on a tenté de le montrer à partir de l’analyse
du point de vue (Rabatel, 2001b, e), la part de pensées pré-réflexives,
à l’intérieur du moi ou du soi, dans laquelle les perceptions jouent un
rôle considérable : l’être humain n’est pas seulement un cogito, c’est
aussi un cogitatur : « ça pense, ça perçoit en nous ».
Bref, autrui, c’est aussi moi dans une posture de réflexivité aux contours
variables et au trajet sinueux, entre formes pré-réflexives et formes
réflexives5. La première dimension a déjà été défrichée depuis les travaux
fondateurs de de Gaulmyn (1986a, 1986b, 1992), à partir de la notion de
reformulation d’une part et depuis les analyses d’Authier-Revuz (1995) sur
les non-coïncidences du dire d’autre part, puis dans les diverses publications
de Vincent avec la mise en relief des fonctions pragmatiques du discours
rapporté quotidien dans la construction des identités des interlocuteurs de
l’interaction6 ; en revanche, la deuxième dimension est encore une terra
incognita, et c’est cette frontière que nous voulons traverser…
En situant l’analyse énonciative dans la continuité des travaux qui
ont mis en avant les notions de dialogisme (Bakhtine, 1979), d’hétérogénéité
énonciative (Authier-Revuz, 1995), en inscrivant le présent travail dans le
cadre d’une sémantique pragmatique,
• on souhaite argumenter en faveur d’une hétérogénéité radicale du
sujet parlant, tout en rappelant que cette hétérogénéité résulte d’une

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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

dialectique incessante entre notre expérience du monde et la langue,


qui est un des lieux où se vit et se réfléchit cette praxis ; cette profession
de foi explique non seulement que les faits langagiers sont rarement
explicables par la « grammaire », comme le rappelait Rosier7, mais
aussi que la langue, contrairement à une tendance dominante, ne doit
pas être réduite à un cognitivisme abstrait généralisé, en quelque sorte
à un mentalais pur ;
• on plaide également ici pour une approche globale/matérialiste8 du
« rapport de paroles et de pensées » au cœur du DR9 : c’est ce à quoi
invite la saisie de la multiplicité des formes mixtes ou hybrides qui
viennent se rajouter au couple historiquement « fondateur » DD/DI :
DIL, bien sûr, mais aussi DDL, formes mixtes – telles le DD avec
que, les « îlots textuels » de DD dans le DI ou le « discours absorbé »
(Wilmet 1997) –, formes du on-dit, de la rumeur, problématiques de
la reformulation, de la paraphrase, de la citation ou de l’autocitation ;
à quoi il faut ajouter le point de vue, tant il est vrai que l’analyse
linguistique des relations paroles/pensées serait incomplète sans celle
des perceptions.
Une telle approche se justifie dans la mesure où le PDV narratif est une
forme très particulière de point de vue, en ceci que le PDV exprime bien
une subjectivité particulière (comme tout point de vue argumentatif) sans
pour autant relever d’une énonciation personnelle, puisque l’énoncé n’est
pas embrayé. C’est ce mode particulier d’énonciation que Charaudeau
nomme un « simulacre énonciatif » :
un ‘jeu’ que joue le sujet parlant, comme s’il lui était possible de ne
pas avoir de point de vue, de disparaître complètement de l’acte
d’énonciation (Charaudeau, 1992 : 650).

Vion confirme cette analyse en exemplifiant les cas d’effacement énonciatif


les plus fréquents :
L’effacement énonciatif constitue une stratégie, pas nécessairement
consciente, permettant au locuteur de donner l’impression qu’il se
retire de l’énonciation, qu’il « objectivise » son discours en
« gommant » non seulement les marques les plus manifestes de sa
présence (les embrayeurs) mais également le marquage de toute
source énonciative identifiable. Plusieurs cas de figure sont alors
possibles :
– Faire jouer au langage une fonction purement descriptive selon
laquelle il se contenterait de constater et de relater les dispositions
d’un monde tel qu’il serait sans l’intervention d’un sujet parlant. Cette
disposition particulière peut faire penser à la notion d’énonciation
historique par laquelle Benveniste opposait « histoire » à « discours ».

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Alain RABATEL

– Construire un énonciateur abstrait et complexe, comme celui qui


prendrait en charge un proverbe, un slogan publicitaire, un texte de
loi, un article non signé de journal.
– Construire un énonciateur « universel » comme celui qui prendrait
en charge un discours scientifique ou théorique. On peut, à la limite,
considérer que ces ceux derniers cas de figure pourraient être
regroupés. (Vion, 2001 : 334)

C’est dans ce cadre que le PDV sera analysé, le PDV relevant du DR sous
une forme certes très particulière, l’effacement énonciatif10 – mais il n’est
pas le seul, le DIL également, entre autres.
À partir de là, la question linguistique du rapport à autrui renvoie à
celle de la représentation pour l’interlocuteur, pour le délocuté et pour soi
des formes par laquelle cette réflexivité permet aux êtres de langage de
penser leur rapport au monde et aux autres, à des fins cognitives et
argumentatives : d’où l’appartenance de plein droit de la saisie des
perceptions à la problématique du discours rapporté. Certes, les formes pré-
réflexives, comme la reformulation métalinguistique, se situent chacune à
un des pôles du discours rapporté : il n’est donc pas question ici de donner
à penser, si peu que ce soit, que ces pôles seraient l’essence même du discours
rapporté. Mais, même si l’on se trouve ici aux « confins » du discours
rapporté, il n’en reste pas moins légitime, à partir de cette position excentrée,
de redessiner les contours du discours rapporté, voire d’en redéfinir la nature :
• « D » : comme Discours, en assumant toute l’ambivalence du terme,
ici paraphrasé par l’expression « mixte paroles / pensées /
perceptions » ;
• « R » : pour représentées (plutôt que rapportées) : car, au-delà des
motifs cognitifs et argumentatifs en faveur de la notion de
représentation, il existe des raisons proprement linguistiques qui
militent en ce sens (Nølke et Olsen, 2000 : 87). En effet, à chaque
fois qu’il existe des disjonctions énonciatives, il est licite d’en rendre
compte à l’intérieur d’une problématique élargie du Discours
Représenté (désormais DR).
Tel est à gros traits le cadre dans lequel on aborde les rapports PDV/DR.
Comme la matière est abondante, on s’intéressera essentiellement aux
rapports des verba sentiendi (dont l’appartenance à la problématique du
DR est très rarement mentionnée11, encore moins théorisée) avec les verba
dicendi et les verba putandi, qui relèvent tous, à des degrés différents, de
l’expression de procès mentaux (4). Mais, avant d’aborder ces rapports, il
est nécessaire de faire le point sur les relations entre locuteur et énonciateur
(1) qui sont au cœur des paramètres linguistiques du PDV (2) et qui

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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

expliquent le phénomène d’effacement énonciatif si caractéristique des


perceptions représentées (3).

1. Hétérogénéités énonciatives
L’utile mise au point effectuée dans le récent Dictionnaire d’analyse du
discours de Charaudeau et Maingueneau (2002), dans l’article intitulé
« Énonciateur », rappelle opportunément que les positions sont tranchées
sur la question des rapports entre locuteur et énonciateur. Pour certains, le
DR s’analyse comme un énoncé produit par un seul énonciateur, intégrant
deux locuteurs ; pour d’autres, le même énoncé est produit par un locuteur,
et rassemble le point de vue de deux énonciateurs distincts. Pour notre part,
nous dirons que le locuteur (L) est l’instance qui profère un énoncé, et à
partir de laquelle opère le repérage énonciatif. Quant à l’énonciateur (E),
c’est l’instance qui assume l’énoncé, à partir de laquelle opèrent les
phénomènes de qualification et de modalisation.
À chaque fois qu’il pense ce qu’il dit12, le locuteur est aussi énonciateur
de ses propres énoncés. Mais la dissociation locuteur/énonciateur n’est pas
une sophistication inutile : elle permet de rendre compte des multiples cas
où on locuteur se distancie de son propre dire, ou du dire d’un tiers ou d’un
interlocuteur : en ce cas, l’énonciateur E1 marque sa distance avec un
énonciateur e2, qui peut correspondre soit à lui-même (cas d’auto-ironie ou
de distance avec un point de vue antérieur, ultérieur du sujet), soit à
l’interlocuteur, soit à un tiers. Sans le concept d’énonciateur, on serait bien
à la peine pour rendre compte de l’implicite, des points de vue qui
s’expriment dans des « phrases sans paroles » (comme dans les récits
hétérodiégétiques), et, en définitive, de toutes les situations où un locuteur
rapporte un point de vue auquel il prête sa voix, sans aller jusqu’à le reprendre
à son compte.
Dans les cas d’emboîtement, on notera respectivement l et e les
locuteurs et énonciateurs enchâssés (ou cités) dans l’énoncé du locuteur
citant, et dans le point de vue originel à partir duquel se marquent les positions
énonciatives divergentes. En ce sens, L et E sont :
• linguistiquement premiers, par rapport à l et à e qui occupent une
posture seconde, puisque la deixis est calculée par rapport à L1,
impliquant les transformations idoines dans le discours cité de l2 ;
• hiérarchiquement supérieurs à l et à e, sur le plan pragmatique, dans
la mesure où l’on considère conventionnellement que le L1 utilise
ses propres mots pour rendre compte des dires et ou des pensées de
l2, par conséquent que le jugement de L1 est toujours-déjà présent
dans le discours cité de l2.

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Alain RABATEL

La disjonction locuteur/énonciateur ne fait pas problème lorsqu’elle est


linguistiquement marquée, par exemple par des guillemets, des formules
du type « selon X », « d’après Y », « à croire Z », ou une intonation
spécifique, à l’oral, éventuellement accompagnée de gestes mimant les
guillemets. Mais l’on sait que ces marques ne sont pas toujours présentes,
et que la disjonction existe, comme le prouvent ces enchaînements fréquents
dans lesquels L2 reproche à L1 d’avoir tenu des propos scandaleux, alors
que L1 rétorque en se défendant de les penser, alléguant les avoir rapportés,
sans les partager le moins du monde… Bref, il n’existe pas toujours de
marques linguistiques indiquant clairement qu’on change de repère
énonciatif.

1.1. La disjonction locuteur/énonciateur


La disjonction locuteur/énonciateur a fait l’objet de nombreuses
controverses, autour des analyses communicationnelles et non
communicationnelles du DIL. Nous n’entrerons pas dans des débats qui
nous semblent aujourd’hui tranchés, et nous donnons raison à Ducrot (contre
Banfield) dans la controverse autour de l’unicité du sujet de conscience,
telle qu’elle a notamment été à maintes reprises présentée par Reboul (1994,
2000) notamment. Ainsi, l’exemple célèbre a-t-il été l’occasion d’analyses
opposées de Banfield et Ducrot :
[1] Tout le jour il avait l’œil au guet ; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l’argent
(La Fontaine, Fables VIII, II Le Savetier et le financier, vers 14-16)

Banfield conteste l’hypothèse DIL. Selon elle, les vers 15 et 16 relèvent de


la narration, avec comme sujet de conscience le fabuliste, qui « conjecture
ce que serait la réaction du savetier si…, et non comme la pensée du savetier.
Il s’agit alors d’une simple phrase de la narration avec pour sujet de
conscience le fabuliste, et non d’une phrase au style indirect libre avec pour
sujets de conscience le savetier et le fabuliste » (Reboul, 1994 : 337)13. Selon
Ducrot, au contraire, le vers 16 est du DIL, avec deux énonciateurs : le
mode de donation du référent « le chat » indique le point de vue du narrateur
qui sait que c’est un chat, et non un voleur ; « prenait l’argent », en revanche,
envisage l’action du point de vue du savetier qui croit que le bruit correspond
à un voleur.
Jaubert (1997) va plutôt dans le sens de l’analyse de Ducrot en insistant
sur la dimension montrée de cette hétérogénéité énonciative, selon une
actualisation antérieure au compromis discursif du DIL, mettant aux prises
deux images d’univers, distinctes selon le savoir des deux consciences

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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

(Jaubert ne parle pas de sujet de conscience) : « ce qui n’est pas dit est
montré », à savoir l’impertinence énonciative entre un fait et son conséquent
interprétatif14 (Jaubert 1997 : 21-22).
Cette disjonction locuteur/énonciateur fonctionne dans les récits
hétérodiégétiques comme dans les récits homodiégétiques : sur ce plan,
Reboul (2000) a raison de dire que des énoncés de DIL à la première personne
sont susceptibles d’avoir plusieurs référents possibles, et donc de comprendre
au minimum deux sujets de conscience15. Moyennant quoi Reboul accepte
l’idée qu’il y ait plusieurs sujets de conscience dans le DIL (Reboul, 2000 :
25), considérant que les pronoms de la troisième personne fonctionnent
comme des quasi-indexicaux essentiels, qui, dans le DIL, peuvent avoir
plusieurs référents possibles. Ainsi dans l’énoncé « Si j’étais toi, je ne me
ferais pas confiance » produit par Pierre à l’intention de Jacques :
[2] « Si j’(p)étais toi(j), je(p) ne me(p) ferais pas confiance »
« Si j’(p)étais toi(j), je(p) ne me(j) ferais pas confiance »
« Si j’(p)étais toi(j), je(j) ne me(j) ferais pas confiance »
« Si j’(p)étais toi(j), je(j) ne me(p) ferais pas confiance »
« S’il(p) était lui(j), il(p) ne se(p) ferait pas confiance »
« S’il(p) était lui(j), il(p) ne se(j) ferait pas confiance »
« S’il(p) était lui(j), il(j) ne se(j) ferait pas confiance »
« S’il(p) était lui(j), il(j) ne se(p) ferait pas confiance »

Cette disjonction locuteur/énonciateur n’est pas seulement indispensable


pour rendre compte du DIL, elle est également très utile pour l’analyse de
toutes les situations dialogiques dans lesquelles un locuteur envisage de
faire écho à la subjectivité d’autrui, sans éprouver nécessairement le besoin
de lui donner la parole : d’où son intérêt pour l’étude du point de vue
représenté.

1.2. La disjonction du repère énonciatif et du support


des qualifications et des modalisations
Si la disjonction locuteur/énonciateur est problématique, en l’absence de
marques d’attribution du dire, on ne saurait pour autant prétendre que leur
présence règle tous les problèmes. En effet, ces marques, quand elles existent,
sont parfois très ambiguës. Sur le plan linguistique, cette ambiguïté repose
sur le fait que, sauf dans le meilleur des mondes linguistiques possibles, le
repérage énonciatif (renvoyant à l’ancrage déictique ou à la structuration
anaphorique des plans d’énonciation) ne va pas nécessairement de pair avec
le support à l’origine des modalisations et qualifications.
Certes, cette deuxième disjonction est souvent masquée par les
énoncés limités au cadre de la phrase, mais dès qu’on sort du cadre des
énoncés préfabriqués pour traiter de cas attestés, qui débordent du cadre

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Alain RABATEL

phrastique, alors la discursivité permet à la disjonction repère/support de se


déployer. En effet, il faut dissocier le repérage, qui seul renvoie à un locuteur
situé, déterminé, des positions énonciatives abstraites et variables que ce
locuteur est susceptible d’endosser plus ou moins fortement, alternativement,
voire en même temps.
On se trouve ici face à des faits de polyphonie analysés tant par Ducrot
(1984) que par Culioli et son école, pour ne citer que des références
incontournables16. En dépit de leur notoriété, ces théorisations ne sont pas
toujours suivies d’effet, comme le montre la très récente publication d’un
ouvrage consacré précisément à l’analyse énonciative du récit, La langue
du récit. Introduction à la narratologie énonciative, que Rivara (2000) vient
de publier. Selon Rivara, le locuteur est bien un être humain, incarné, unique,
en tant qu’il est à l’origine de paroles, en un lieu et à un moment donnés ;
l’énonciateur, en revanche, désigne un être abstrait, construit par le locuteur,
et qui est à l’origine des modalisations et qualifications, des repérages
énonciatifs. Cette définition générale de l’énonciateur (Rivara 2000 : 63)
est on ne peut plus discutable : car l’énonciateur n’est pas nécessairement à
la source des repérages énonciatifs. Cette situation se produit uniquement
dans les cas de conjonction locuteur premier (ou enchâssant, noté L1) /
énonciateur premier (ou enchâssant, noté E1), c’est à dire dans les cas où le
locuteur pense ce qu’il dit, et ne se retranche pas derrière une source
énonciative seconde (ou enchâssée, notée e2) distincte de lui17. Mais dès
qu’on est dans la problématique des discours rapportés, il est clair que seul
L1 est à l’origine des repérages, comme on le voit avec les changements
qui affectent la déixis (d’abord la personne, ensuite le « temps », puis les
déictiques spatio-temporels, enfin le lexique, selon la gradation évoquée
par Combettes18). Dès lors, si l’on veut être précis, il convient de rectifier
les propos mentionnés précédemment en disant que le locuteur est seul à
l’origine du repérage19, et que si l’énonciateur paraît être lui-même à l’origine
de ces repérages, ce n’est que parce qu’il est factuellement en syncrétisme
avec L1 (E1 et L1 renvoient à une même instance) et en consonance avec
L1 (E1 adhère à ce que dit L1). Quant à l’énonciateur, il est le support des
modalisations et qualifications, et cette qualité seule lui est permanente,
qu’il soit conjoint avec L1, ou disjoint de lui : dans ce cas, s’il perd la
faculté d’être repère, il garde celle de support (cf. Danon-Boileau 1982 :
97).
Les données du problèmes ainsi rectifiées ne règlent cependant pas
tout, dans la mesure où il ne suffit pas d’affirmer que les modalisations et
qualifications relèvent de l’énonciateur, sans plus de précision : s’agit-il de
E1 ou de e2, ou des deux ? Sur ce plan, les réponses de Rivara ne sont guère
convaincantes. Ce dernier prend comme exemple de disjonction dans le
discours rapporté deux énoncés concernant le mythe d’Œdipe, qui ont

56
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

beaucoup été commentés par les culioliens, notamment par Danon-


Boileau20 :
[3] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
sa mère

Selon Rivara,
le second énoncé est interprétable comme discours indirect libre ayant
Œdipe pour énonciateur. Celui-ci apparaît dès lors comme responsable
non seulement de l’assertion, mais aussi de la formulation du repérage
sa mère. Le résultat est que cet énoncé est contraire au mythe
d’Œdipe : il lui attribue la volonté délibérée d’être incestueux […].
En discours indirect libre, l’énonciateur cité est seul responsable des
expressions désignatives (et appréciatives) : sur ces points, il n’y a
plus de reformulation possible par le rapporteur, et on entend
seulement les mots du premier énonciateur21.
(Rivara 2000 : 130-131)

Ces analyses sont sujettes à caution : en effet, si disjonction énonciative il y


a, il est discutable de prétendre que dans le DIL seul e2 est responsable de la
qualification : car rien n’empêche d’imaginer que les paroles effectives
d’Œdipe n’aient été :
[4] Je souhaite prendre pour femme la Reine de Thèbes, la femme de
Laïos, Jocaste

Et rien n’empêche non plus l’énonciateur citant de reformuler l’énoncé


primitif en disant qu’
[5] Il allait épouser, le malheureux, celle qu’il ne savait pas être sa mère

Bref, même si l’on ne sait pas ce qu’a dit Œdipe (qu’il est au demeurant
vain de chercher à savoir), il suffit que l’énoncé puisse être paraphrasé par
des formulations relevant du point de vue de l’énonciateur du discours citant
pour montrer que l’analyse selon laquelle l’énonciateur cité serait seul
responsable des expressions désignatives et appréciatives est fausse : soit
que E1 prenne seul la responsabilité d’une reformulation comme en [5] ;
soit que E1 partage le point de vue de e2 ; soit que E1 et e2 mettent des sens
différents sous une même qualification comme en [6] :
[6] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
cette malheureuse Jocaste

Car, « malheureuse », Jocaste peut l’être du point de vue d’Œdipe, par


analepse, pensant au deuil récent qui frappe la reine (paraphrase : « sa
malheureuse Jocaste »), comme elle peut l’être par prolepse aux yeux du

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Alain RABATEL

locuteur-narrateur citant, qui connaît la dimension incestueuse de cette union


(paraphrase : « la malheureuse Jocaste »). La possibilité que « malheureuse »
renvoie au modus de L1 et de l2 est exemplifiée dans les énoncés [6a] et
[6b], qui enchaînent respectivement en explicitant le point de vue de L1
([6a]) ou de l2 ([6b]) :
[6a] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
cette malheureuse Jocaste. En effet, malheureuse, ne l’était-elle pas
au suprême degré, en ajoutant à la douleur du deuil l’horreur de
l’inceste ?
[6b] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
cette malheureuse Jocaste. « La dignité de Jocaste dans son malheur
est émouvante, ajouta-t-il, et la rend particulièrement désirable ».

Les énoncés [6a] et [6b] ont le mérite de montrer que « malheureuse » renvoie
puissantiellement à deux points de vue différents. Certes, on peut toujours
objecter que ces deux paraphrases sont correctes, mais ne prouvent rien
concernant l’intrication des deux modus dans le même énoncé. Mais il est
facile d’opposer un énoncé qui cumule les deux énoncés dans la même
phrase, et aussi les deux sujets modaux :
[6c] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
cette malheureuse Jocaste. « La dignité de Jocaste dans son malheur
est émouvante, ajouta-t-il, et la rend particulièrement désirable ».
Mais, malheureuse, ne l’était-elle pas au suprême degré, en ajoutant
à la douleur du deuil l’horreur de l’inceste ?

En effet, si les deux dernières phrases de [6c] renvoient l’une à l2, l’autre à
L1, en revanche, la première occurrence de « malheureuse » renvoie aux
deux sujets modaux que sont L1 et l2, dont les points de vue sont glosés
dans la suite de l’énoncé22. Autrement dit, « malheureuse » est assumée à la
fois par E1 et par e2, en des sens très différents pour l’un comme pour
l’autre.
Ce dernier exemple montre que les relations entre énonciateur
rapporteur et énonciateur rapporté sont plus complexes que ce qu’en dit
Rivara (2000 : 131), dans une formule que le chiasme rend, de prime abord
séduisante, et dont la validité théorique ne résiste pas à l’analyse :
l’énonciateur rapporté s’exprime mais n’énonce pas, tandis que
l’énonciateur rapporteur énonce mais ne s’exprime pas.
(Rivara 2000 : 136)

En réalité, s’il est vrai que l’énonciateur rapporté s’exprime mais n’énonce
pas (ce pourquoi il est courant de dire que dans le DIL, on ne rapporte que
le contenu des pensées et propos, mais non leur forme, laissant à l’énonciateur
citant (E1) le soin des repérages, qualifications, et modalisations), en

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Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

revanche, il est tout aussi vrai que l’énonciateur rapporteur (E1) énonce, et
s’exprime. Ce déséquilibre est un fait linguistique fondamental, donnant en
quelque sorte l’avantage au locuteur du discours citant23.
Cette hétérogénéité énonciative constitutive des DR est donc
infiniment complexe, sous l’angle de la prise en charge énonciative. Mais il
faut ajouter qu’elle est encore plus complexe que ce qu’on vient de voir,
plus complexe également que ce que laisse penser la représentation
traditionnelle du DR comme catégorie générique regroupant DD et DI (régi,
non régi) DIL. « Le » discours rapporté ne se limite pas à ces trois classes,
ni même à une quatrième, si on y ajoute le discours direct libre24, ni même
à une cinquième, plus lâche, si l’on y intègre les discours du « on-dit »,
ainsi que le recommande à juste titre Rosier (1999) : c’est qu’il existe encore
une « classe » du DR fort paradoxale, qui paraît à peine rapportée, et qui
semble a priori ne pas relever d’une énonciation primaire, je veux parler du
PDV.
En effet, l’analyse énonciative du PDV revient à interpréter des
énoncés narratifs comprenant des descriptions ou des récits délocutés comme
l’expression d’une subjectivité indirecte et implicite d’un énonciateur e2
disjoint du locuteur narrateur, bref, comme expression d’un PDV rapporté,
ou d’une énonciation rapportée. Cette théorie pose la question du marquage
de cet énonciateur, en l’absence des marques traditionnelles du Je-ici-
maintenant dont le syncrétisme signale le locuteur. Situation complexe, plus
encore que les DIL les plus retors, dans la mesure où les perceptions
représentées du PDV semblent, a priori du moins, purement dénotatives, et
dénuées de toute valeur interprétative. C’est donc sur la base de la disjonction
locuteur/énonciateur précédente que l’on peut rendre compte de la nature
énonciative particulière du PDV : le débrayage énonciatif propre à
l’inscription linguistique d’un support énonciatif distinct du locuteur y relève
d’une modalité énonciative spécifique, l’effacement énonciatif, que nous
allons analyser en contexte narratif, dans la deuxième partie, avant
d’exemplifier des degrés dans le marquage de l’effacement énonciatif dans
la troisième partie.

2. La représentation des perceptions


dans le point de vue représenté
[7] Chauvieux arriva à l’usine un peu déprimé. Il s’arrêta une minute à
l’entrée pour considérer les trois groupes de bâtiments en W, entre
lesquels étaient ménagées deux allées étroites, bordées de fleurs
chétives. La lumière de l’été mettait en valeur les arêtes vives et
austères de ces vastes hangars vitreux. Il ne percevait rien de l’activité
des ateliers qu’un bruit de machine, étouffé et profond et qui semblait
la respiration d’une ville endormie.
(M. Aymé, Travelingue, Folio : 106s)

59
Alain RABATEL

[8] Il flâna toute la matinée devant les éventaires forains et parmi le


bétail aligné sur la place ; tout au long de la grande rue, les garçons
des villages regardaient en ricanant les jeunes filles qui passaient
bras dessus, bras dessous, et riaient moqueusement pour les agacer ;
il aime cela. Il décida de revenir à pied, c’est deux petites heures de
marche. Hélène, qui rentrait à bicyclette, le dépassa à la sortie du
bourg.
(Vailland, Les mauvais coups, Livre de poche : 77)

En quoi y a-t-il, dans les exemples précédents, représentation d’une


perception, et non pas perception pure ? C’est toute la différence entre [7]
et [8] et leurs paraphrases respectives [7a] et [8a], qui se limitent à la
prédication d’une perception par L1/E1 :
[7a] Chauvieux considéra les bâtiments sans s’attarder sur l’activité des
ateliers.
[8a] Il [=Milan] flâna avec plaisir dans le village.

Les deux paraphrases expriment, relativement à la perception, un contenu


propositionnel grosso modo identique à l’original. En revanche, les
paraphrases n’intègrent pas des données relatives aux effets que ces
perceptions exercent sur e2, à l’origine de ces mêmes perceptions. La notion
de représentation renvoie aux commentaires du personnage sur sa propre
perception. Cette notion de commentaire peut à première vue paraître
surprenante, puisque les personnages n’ont rien dit explicitement. Ici, on se
référera aux théories de Ducrot (1984), sur « la nécessité de distinguer
l’énonciateur et locuteur dans une théorie énonciative »25 : en [7] et en [8],
le personnage (l’énonciateur) ne dit rien, à proprement parler, puisque les
textes renvoient aux mots du narrateur (locuteur) : il n’en reste pas moins
que dans les mots du locuteur-narrateur se trouvent des traces de la perception
de l’énonciateur-personnage e226 :
• la première de ces marques linguistiques réside dans le discordanciel
énonciatif entre le premier plan, plutôt objectif, porté par la narration,
et le deuxième plan, relevant du commentaire (plus ou moins subjectif
selon la densité des subjectivèmes (Kerbrat-Orecchioni 1980)) de e2.
En ce sens, le deuxième plan signale une rupture énonciative et indique
que les perceptions sont données au lecteur à travers le prisme
perceptif de l’énonciateur e2.
• la deuxième de ces marques repose dans l’emploi de formes verbales
exprimant une visée sécante, propre à favoriser l’expression des
perceptions de l’intérieur : ces formes verbales sont le plus souvent
l’IMP (cf. [7]), mais on trouve aussi le présent (cf. [8]). La perception
d’un objet de discours (un objet matériel, un événement, etc.) selon
une visée sécante signifie soit que l’énonciateur est contemporain de

60
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

l’événement perçu, soit que ses conséquences, ou certaines de ses


caractéristiques sont contemporaines de l’énonciateur, quand bien
même l’événement appartient à un passé révolu : d’où les valeurs
toncales (Damourette et Pichon 1911-1936: 168-174, 208, 234, 265),
subjectives (Bally 1912 : 601-3), perspectives ou intrasubjectives
(Guillaume 1990 : 223, 237-241), expériencielles (Lyons 1980)
attachées à l’IMP, d’où les valeurs interprétatives du présent (cf. pour
une présentation de ces valeurs Rabatel 1998). Ainsi, en [7], le
narrateur écrit-il que Milan « aime cela » : en fait, il faut comprendre
que l’ensemble équivaut à une sorte de monologue intérieur
embryonnaire, à la troisième personne, ou de focalisation interne :
[8b] Il flâna toute la matinée : les éventaires forains et le bétail aligné sur
la place ; les garçons des villages qui regardent en ricanant les jeunes
filles qui passent bras dessus, bras dessous, et qui rient moqueusement
pour les agacer : j’aime ça/cela. Il décida de revenir à pied : c’est
deux petites heures de marche. Hélène, qui rentrait à bicyclette, le
dépassa à la sortie du bourg.

On note en effet que [8b] présente les mêmes perceptions que [8], c’est-à-
dire à la fois le même contenu propositionnel, et aussi, à la différence de
[8a], exprime les motivations et les réactions des perceptions de
l’énonciateur.
• On rajoutera donc à ces marques verbo-aspectuelles toutes les
marques, nombreuses, qui concernent la construction linguistique de
la référence : le mode de donation des référents de [8] confirme bien
le caractère subjectif de la perception. En effet, ce n’est pas la même
chose de parler de « jeunes villageois » et de « garçons des villages » :
en focalisant sur « garçons », on laisse entendre l’importance, pour
e2, du phénomène des relations sexuelles (au sens large) entre les
filles et les garçons, et en qualifiant les garçons comme des « gars de
la campagne », le narrateur laisse entendre que la scène est
appréhendée par un énonciateur e2 qui est une sorte de don juan
citadin, se délectant du comportement malhabile des gens de la
campagne par opposition aux citadins (cf. « ricanant »). La différence
de caractérisation entre les filles et les garçons (qui sont les seuls à
bénéficier (si l’on peut dire) du sème de la ruralité – voire de la
rusticité… – témoigne bien d’une différence de maîtrise dans la mise
en scène de la séduction… Au surplus, le mode de donation des
référents n’affecte pas seulement le lexique : ainsi, les anaphores
définies (alors qu’il s’agit dans le co-texte d’une première mention)
témoignent bien du caractère saillant pour e2 des objets de discours
en question. Certes, Milan ne nous dit pas explicitement tout cela,

61
Alain RABATEL

mais les stratégies concordantes du mode de donation des référents


le font entendre : en ce sens, le PDV, à l’instar du DIL, est bien une
« phrase sans parole » (Banfield) dans le récit du narrateur. On
comprend donc qu’avec le PDV en contexte passé, et dans une
narration hétérodiégétique, le discordanciel énonciatif amène à
interpréter ce qui relève du IL/LA-BAS/ALORS comme l’expression
de la subjectivité : on aura reconnu ici les analyses que Banfield a
consacrées au DIL, et que nous reprenons à notre compte,
partiellement du moins, pour l’étude du PDV27.
• la quatrième de ces marques relève du rapport sémantique entre la
prédication de la perception dans le premier plan et le développement
des perceptions et des pensées associées dans le deuxième plan : sur
le plan sémantique, ces perceptions sont dans un rapport anaphorique
méronomique avec la perception prédiquée, c’est-à-dire que le
deuxième plan détaille des parties d’un tout (la perception globale
prédiquée) : ainsi, en [8], l’hyperonyme « flânerie d’un citadin à la
campagne » se décline-t-il en activités entretenant une relation
hyponymique avec le tout : d’une part, perception des lieux variés
(« la place », « la grande rue »), d’autre part, perceptions portant sur
les différents « objets » (observation des « éventaires », des « garçons
des villages », des « jeunes filles »).
On peut ainsi en conclure que la notion de perception représentée renvoie :
• sur le plan énonciatif, à la disjonction locuteur-énonciateur (L1/e2).
• sur le plan textuel de l’organisation séquentielle, au processus
d’aspectualisation caractéristique des descriptions ;
• sur le plan sémantique-énonciatif, à un ensemble qui combine
perceptions et procès mentaux, et donc apparente le PDV soit au DIL,
lorsque les verbes du deuxième plan sont à l’IMP (cf. [7]), soit au
DDL ou au monologue intérieur, lorsque les verbes sont au présent
(cf. « il aime cela », en [8], ou cf. [8b])28. Dans ces conditions, la
question qui se pose est celle de la différence entre PDV et DDL ou
DIL : la réponse est que si le PDV intrique nécessairement perceptions
et pensées ([7], [8], et, infra, [10], [12], en revanche, le DDL et le
DIL peuvent se limiter aux seules pensées ou aux seules paroles.

3. Gradualité de l’effacement énonciatif


dans les points de vue représentés
Il découle des points précédents que si le PDV appartient bien à la
problématique générale des discours représentés, il le fait selon des modalités
spécifiques, et selon un effacement énonciatif particulièrement fort, en

62
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

contexte hétérodiégétique, du moins. Mais cela ne signifie pas que la


problématique de l’effacement énonciatif soit réservée au PDV. Examinons
rapidement ces deux points.
On a vu en 2. que les marques des perceptions représentées portent
plutôt sur la référenciation de la perception qu’elles n’indiquent directement
la source énonciative de la perception. C’est pourquoi nous sommes, avec
le PDV, confronté à un phénomène d’effacement énonciatif. De quoi s’agit-
il ? On dira qu’il y a effacement énonciatif, dans le cadre du PDV lorsque :
• en contexte passé, les marques du centre déictique sont absentes (en
bref lorsque la subjectivité s’exprime non pas par le JE/ICI/
MAINTENANT, mais, par le biais du IL/ALORS/LA-BAS (Banfield,
1995)
• le sujet de la perception n’est pas explicite ;
• le procès de perception est sous-entendu ;
• et que la valeur énonciative des perceptions ne repose que sur le
discordanciel énonciatif marqué par l’opposition premier/deuxième
plans et/ou sur le caractère subjectivant de la référenciation de la
perception.
On notera que ces critères posent des questions différentes, à deux niveaux
distincts :
• 1°, la question du statut énonciatif d’un énoncé narratif, descriptif,
considéré comme énoncé délocuté renvoyant à la subjectivité d’un
énonciateur e2, en l’absence des marques traditionnelles du marquage
du rapport (subordination, transformations de la personne, du
« temps », des déictiques spatio-temporels)
• 2°, la question de la nature de l’effacement : effacement de
l’énonciation de e2 et / ou effacement du rapport de E1 ?
Autant dire, sur la base des analyses de la première section, que cet
effacement énonciatif est particulièrement redoutable quand on relève des
indications lacunaires ou contradictoires en ce qui concerne la question de
l’ancrage énonciatif, et davantage encore lorsque l’interprétation hésite sur
le support modal à l’origine d’une référenciation en l’absence d’ancrage
explicite. Selon que les critères précédents soient cumulés ou non, et relèvent
tantôt de l’ancrage énonciatif, tantôt du support modal, le phénomène
d’effacement est plus ou moins fort, y compris dans les PDV, même si,
d’une manière générale, l’effacement énonciatif est plus fort avec le PDV
en général que dans les DR traditionnels.
Ainsi, en [10], les fragments entre crochets sont attribués au PDV de
Milan, même en l’absence de verbe de pensée ou de parole, du fait du

63
Alain RABATEL

débrayage énonciatif et de la présence des paramètres linguistiques du PDV


analysés précédemment :
[10] Elle sauta du lit et il la regarda [traverser la chambre d’un pas résolu.
Elle est trapue, les fesses sont carrées, les hanches droites, la poitrine
musclée ; ces corps-là ne s’abîment pas, le visage se fane avant que
les seins ne tombent.]
(Vailland, Les mauvais coups, Livre de poche : 9)

En [11], en revanche, l’effacement est plus fort, compte tenu de l’absence


du verbe de perception. On retrouve là, avec cette ellipse du verbum sentiendi,
un phénomène analogue à celui qui a été analysé sous le terme des zero
quotatives (cf. infra). Cette ellipse du verbum dicendi introducteur se retrouve
dans le PDV représenté lorsque la structure virtuelle du PDV [X (verbe de
perception et / ou de procès mental) P]29 n’actualise pas le sujet percevant
(X) et / ou fait l’économie du verbe de perception (et / ou de procès mental),
comme en [11] :
[11] Le réveil sonna. Milan pressa la poire et l’ampoule s’alluma au-
dessus du lit. Il arrêta la sonnerie. Roberte dormait sur le dos, elle
ronflait légèrement.
Milan souleva le drap et toucha l’épaule nue.
Roberte cessa de ronfler. Elle s’agita mais ne se réveilla pas.
Maintenant elle lui tournait le dos.
(Vailland, Les mauvais coups, Livre de poche : 5).

Dans ce cas, l’existence des perceptions représentées dans les propositions


P n’est indiquée que par le débrayage énonciatif entre le premier et le
deuxième plans, et par le choix de verbes de visée sécante dans P, assortis
de mode de donation des référents renvoyant à une source énonciative
saillante en contexte. Tuomarla note que ces zero quotatives, dans la presse,
produisent souvent « une illusion d’immédiateté », accrue par l’emploi des
introducteurs au présent (par exemple un verbe de mouvement). Cette illusion
fonctionne également à plein avec le PDV, comme nous l’avons montré
avec la double construction de la mimésis du sujet et de l’objet30.
L’effacement énonciatif peut donc connaître des degrés, et il est
maximal si toutes les conditions précédentes sont réunies. On notera qu’avec
les perceptions représentées, qui se donnent comme des perceptions
objectives, indépendamment de la médiation de l’énonciateur ou du locuteur,
l’effacement énonciatif peut viser à la fois l’énonciateur-personnage, et le
locuteur-narrateur, comme c’est le cas avec la perception stéréotypée d’un
objet que le texte rapporte sans que le narrateur ne manifeste de distance
explicite envers ladite stéréotypie, comme dans l’exemple suivant :

64
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

[12] L’intellectuel a enlevé sa chemise : sa chair est blanche ; c’est de la


viande de femme.
(Bory, Mon village à l’heure allemande, J’ai lu : 115)

Nous renvoyons à Rabatel 2003b (sous presse) pour l’analyse de cet


exemple : nous nous bornons ici à remarquer que le jugement anti-intellectuel
et antiféministe stéréotypé du personnage, qui repose sur des évidences
perceptuelles, un enthymème et sur le mode de donation très dépréciatif des
référents est exprimé dans une phrase délocutée, qui n’est pas explicitement
prise en charge par un personnage (pourtant contextuellement saillant), et
que, de surcroît, ce jugement péjoratif est rapporté dans le récit sans que le
locuteur-narrateur ne manifeste explicitement une distance, du moins dans
cet énoncé. Avec le même énonciateur-personnage, l’effacement serait moins
marqué en [12a], moins encore en [12b] :
[12a] L’intellectuel enleva sa chemise. Pierre remarqua que sa chair était
blanche : c’était de la viande de femme.
[12b] L’intellectuel enleva sa chemise. Pierre remarqua que sa chair était
blanche : c’était de la viande de femme, pensa-t-il.

Quant au locuteur-narrateur de [12c], on note qu’il fait entendre sa distance


envers le PDV de l’énonciateur-personnage par des commentaires, par des
guillemets de distanciation, des italiques, des tirets, ici cumulés (ce qui rend
par contraste très problématique l’interprétation de [12]) :
[12c] L’intellectuel, comme disait Pierre, enleva sa chemise. Le champion
de l’anti-intellectualisme primaire remarqua que sa ‘‘chair’’ était
blanche : c’était de-la-viande-de-femme.

Cet effacement énonciatif est fréquent avec le PDV, et une bonne part de
l’efficacité pragmatique du PDV repose sur lui, puisque des PDV très
subjectifs et donc potentiellement discutables empruntent le masque de
considérations en apparence objectives, ou semblent parées du crédit porté
conventionnellement à la voix du narrateur, ce qui renforce la valeur
argumentative indirecte31 des PDV32.

4. La dimension interprétative des verba sentiendi


L’appartenance des perceptions représentées au DR repose non seulement
sur la représentation discursive des perceptions, elle s’appuie en amont sur
un marquage linguistique de nature sémantique (4.1) et syntaxique (4.2).

65
Alain RABATEL

4.1. Parentés sémantiques des verba sentiendi


avec les autres verbes de procès mental
On constate que les verbes de perception sont souvent associés à des procès
mentaux, et que ces verbes perceptifs sont plus ou moins intentionnels, ayant
une dimension cognitive variable, selon leur sémantisme (cf. les verbes de
perception expériencielle, inférentielle ou représentationnelle33) et selon leur
construction : ainsi, voir si ou voir que indiquent une intentionnalité et un
savoir supérieurs que voir (Schnedecker 1997). Il en résulte que la
représentation des perceptions dans le deuxième plan (telle qu’elle a été
brièvement présentée en 2.) ne fait qu’accroître la valeur de procès mental
intrinsèquement associée aux perceptions. C’est pourquoi les verbes de
perceptions sont à plusieurs titres concernés par la problématique du DR.
Weinrich est le seul, à notre connaissance, à intégrer explicitement les
perceptions aux « opinions rapportées » (OR), dans sa Grammaire textuelle
du français. En vertu du fait que le discours rapporté est loin de se limiter
aux seules paroles, voire aux pensées, Weinrich (1989 : 564) signale que
les OR fonctionnent avec34 les verba dicendi, verba putandi, verba sentiendi,
et les verbes de structuration35. Weinrich précise que
pas plus qu’au discours indirect intégré, le discours indirect libre ne
signifie qu’on parle à voix haute. Toute perception intérieure est tout
aussi fondée à être restituée au discours indirect libre que les
manifestations d’extériorisation plus ouvertes. Les perceptions des
sens et les données de la conscience font même l’objet d’une certaine
prédilection pour l’emploi du discours indirect libre, en particulier
en prose littéraire. (1989 : 576)

Il y a une réelle proximité de fonctionnement entre verba dicendi, sentiendi,


putandi, et verbes de structuration, comme le montre le tableau n° 1 : en
effet, les paraphrases [13a] à [13e] sont globalement équivalentes à la
dimension interprétative sous-jacente à l’original, en [13]. Cela confirme
que le même énoncé est compatible avec tous ces verbes, et donc leur parenté,
à savoir de fonctionner en contexte interprétatif (cf. Reboul 2000). Ainsi, le
tableau n°1 tente-t-il d’expliciter ce qui était implicite chez Weinrich :

Tableau n° 1 – Parenté des énoncés avec verba dicendi, sentiendi,


putandi et de structuration
[13] M. Darbédat entendit Pierre chanter dans la chambre voisine. C’était
à peine un chant, du reste ; plutôt une sorte de récitatif aigu et
précipité.
(Sartre, La chambre, in Le mur, Gallimard, Folio : 58)

66
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

[13a] avec verbum dicendi :


M. Darbédat entendit Pierre chanter dans la chambre voisine. Il
déclara que c’était à peine un chant, du reste ; plutôt une sorte de
récitatif aigu et précipité.
[13b] avec verbum sentiendi36 :
M. Darbédat entendit que Pierre chantait dans la chambre voisine :
c’était à peine un chant, du reste ; plutôt une sorte de récitatif aigu
et précipité.
[13c] M. Darbédat entendit Pierre chanter dans la chambre voisine. Il
écouta plus attentivement. C’était à peine un chant, du reste ; plutôt
une sorte de récitatif aigu et précipité.
[13d] avec verbum putandi :
M. Darbédat entendit Pierre chanter dans la chambre voisine. Il jugea
que c’était à peine un chant, du reste ; plutôt une sorte de récitatif
aigu et précipité.
[13e] avec verbe de structuration :
M. Darbédat entendit Pierre chanter dans la chambre voisine. Il
reconnut que c’était à peine un chant, du reste ; plutôt une sorte de
récitatif aigu et précipité.

C’est en raison de cette proximité que ces verbes peuvent être rangés sous
la dénomination de verbes de procès mental. La notion de verbe de procès
mental subsume donc les verba sentiendi, dicendi, putandi et verbes de
structuration, parce que tous ces verbes se prêtent aisément à l’analyse.
Certes, ce phénomène est encore plus net en discours que dans des phrases
ad hoc, car, en contexte discursif, les relations sémantiques méronomiques
entre des procès variés renvoient à la même source énonciative à l’origine
de l’interprétation. Ce phénomène est néanmoins sensible avec des énoncés
décontextualisés, et il fonctionne quelle que soit la structure syntaxique,
comme on va le voir à présent.

4.2. Transitivité syntaxique des verba sentiendi


En effet, la relation méronomique peut opérer en l’absence de la
subordination qui caractérise le DI, ou en faisant l’économie d’une
typographie idoine, dans les cas de parataxe, tels les deux points, avec le
DD. D’une manière générale, dès que l’objet direct d’un verbum sentiendi
fait l’objet d’une prédication seconde, dans la même phrase, la représentation
de la perception équivaut à un procès mental accompagnant ou suivant la
perception. Ce phénomène opère avec la subordination ([10a]) :
[10a] Elle sauta du lit et il la regarda traverser la chambre d’un pas qu’il
jugea résolu ; bien qu’elle soit trapue, que les fesses soient carrées,
les hanches droites, la poitrine musclée, ces corps-là ne s’abîment
pas, se dit-il, le visage se fane avant que les seins ne tombent.

67
Alain RABATEL

la coordination ([10b]) :
[10b] Elle sauta du lit et il la regarda traverser la chambre d’un pas résolu :
elle était trapue, les fesses étaient carrées, les hanches droites, la
poitrine musclée ; mais ces corps-là ne s’abîmaient pas, le visage se
fane avant que les seins ne tombent.

ou la juxtaposition ([10c]) :
[10c] Elle sauta du lit et il la regarda traverser la chambre d’un pas résolu,
trapue, les fesses carrées, les hanches droites, la poitrine musclée :
ces corps-là ne s’abîment pas, le visage se fane avant que les seins
ne tombent.

ou encore dans une autre phrase, selon un enchaînement parataxique (cf.


[13d], [13e]).
Un argument supplémentaire en faveur de l’appartenance du PDV au
DR repose par conséquent sur la similitude du rôle syntaxique joué par les
propositions contenant des perceptions représentées ou des DR. Dans les
deux cas, on peut parler de transitivité du PDV et du DR. Certes, selon la
tradition, seul le DI relève de la subordination, tandis que le DD est
parataxique. Certes encore, nombre de PDV suivent ce fonctionnement
parataxique du DD, puisque la représentation des perceptions est le plus
souvent réalisée dans des propositions qui ne sont pas sous la rection d’un
subordonnant (c’est ce qui explique qu’on étudie ici ensemble DD et PDV
sous l’angle de la transitivité), comme le montrent [7], [8] et [10]. Mais
malgré la parataxe, la relation anaphorique méronomique plaide en faveur
d’une certaine transitivité37.
Rosier a donc raison de relativiser l’opposition [DI/DD ::
subordination/parataxe] en notant qu’avec le DD, il y a malgré tout
« subordination d’un certain type » (Rosier 1995 : 5938), puisque le DD,
tout en étant juxtaposé à la proposition qui contient le verbe introducteur,
joue à son égard le rôle de complément essentiel. Authier-Revuz pense de
même en notant que le discours cité a la fonction de COD du verbe
introducteur (Authier-Revuz, 1992 : 40).
Selon Tuomarla (2000 : 135s), cette analyse serait contredite dès qu’on
ne fait plus référence à des verbes introducteurs du type dire, demander, qui
sont transitifs : mais, avec bien des verbes secondaires39, ce ne serait plus le
cas. Or les exemples qu’elle allègue n’infirment en rien cette transitivité du
DD :
[16] Claude Eerdekens, chef du gouvernement socialiste francophone,
explose : « Continuez comme ça, et la France s’étendra jusqu’aux
portes de Bruxelles ! »
(L’Express, 1996, n° 2359 : 99)

68
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

[17] Pour une fois, sourit-elle, je ne serai pas la seule petite catho dans
mon coin […]
(Le Nouvel Observateur, 20-8-1997, in Tuomarla 2000 : 136)

Dans ces deux exemples, en réalité, le discours cité correspond bien à un


COD : le raisonnement renvoie aux évolutions diachroniques évoquées par
Fónagy, et repose ici sur des inférences, qui conduisent à restituer le verbe
de parole sous-entendu : dans les deux cas, le locuteur du DD dit quelque
chose en explosant, dit quelque chose en souriant : le COD vise la relation
entre la source énonciative du dit et le dit à proprement parler, cependant
que les compléments circonstanciels précisent des manières de dire du
locuteur cité. Bref, le complément construit par le verbe secondaire est second
par rapport au complément essentiel construit in absentia (absence toute
relative) par le verbe secondaire, qui postule un comportement verbal
primaire : une manière de dire présuppose un dire.
Cette discussion sur la transitivité du DD est très significative, et
riche d’enseignements pour les rapports entre PDV et DR : on constate que
l’analyse du DD est complexifiée dès qu’on sort des exemples des
grammaires focalisant sur les formes génériques en dire 40 . La
complexification opère d’une part par l’intégration dans l’analyse des
nombreux verbes attributifs du dire, et d’autre part lorsque l’on intègre (et
pas seulement à la marge) la question des verbes de pensée. Le résultat
plaide évidemment pour un continuum des formes, puisque bien des verbes
introducteurs secondaires, jugés autrefois réservés au DIL, peuvent introduire
un DD, surtout lorsqu’ils fonctionnent en incise (Tuomarla 2000 : 137s).
Ce continuum doit être étendu aux relations paroles+pensées+perceptions
représentées, comme le montrent les parentés sémantiques et syntactico-
sémantiques entre verba sentiendi et les autres verbes introducteurs du DR,
notamment les similitudes de la fonction de complément d’objet direct du
PDV et du DD face aux verbes introducteurs du DR.
Par conséquent, lorsque le PDV est sous la rection d’un verbe de
perception et d’une conjonction de subordination, alors le PDV s’apparente
au DI, sous l’angle de la subordination :
[18] Pierre vit que X était […].

Lorsque le PDV n’est pas sous la rection d’une subordination, le PDV partage
cette « subordination d’un certain type » avec le DD :
[19] Pierre aperçut Paul. Il avait l’air inquiet [=il pensa qu’il avait l’air
inquiet].

Enfin, lorsque le verbe de perception est absent (ou est remplacé par un
verbe de mouvement), et qu’il n’y a pas de subordonnant, le PDV est très
proche du DIL41, en [20] ou du DDL en [21] :

69
Alain RABATEL

[20] Pierre entra dans la pièce. L’atmosphère était glauque.


[21] Pierre entra dans la pièce. Ça respire la peur ici.

C’est entre autre ce que montre le tableau n° 2, qui reprend les correspon-
dances établies entre perception et discours rapporté, dans Rabatel (2001b42),
selon un continuum, depuis les formes les plus diégétiques jusqu’aux formes
les plus mimétiques, selon l’expression d’une conscience et d’une perception
la moins réflexive, jusqu’à l’expression de la réflexivité et de l’intentionnalité
la plus grande43 :

Tableau n° 2 : Pôle de la perception/conscience non réflexives,


non représentées
[22] sommaire diégétique ([discours narrativisé de Genette] mention de
l’acte verbal sans en spécifier le contenu) : Marcel parla à sa mère
pendant une heure.
[23] perception narrativisée :
Guillou eut froid. Une ortie brûla son mollet.
(Mauriac, Le Sagouin, Livre de poche, 1951 : 97)
[24] sommaire moins purement diégétique (mention de l’acte verbal avec
spécification du contenu) : Marcel informa sa mère de sa décision
d’épouser Albertine.
[25] perception narrativisée moins purement diégétique :
La vieille baronne se redressa, considéra sa bru de bas en haut et
sans rien répondre, sans une parole pour Guillou, quitta la cuisine.
(Mauriac, Le Sagouin, Livre de poche, 1951 : 135)
[26] paraphrase indirecte du contenu (discours indirect régi) : Marcel
déclara à sa mère qu’il voulait épouser Albertine.
[27] perception indirecte régie :
Il s’aperçut que l’enfant, arrivé à la fin du chapitre, s’était arrêté.
(Mauriac, Le Sagouin, Livre de poche, 1951 : 116)
[28] discours indirect (régi) partiellement mimétique : Marcel déclara à
sa mère qu’il voulait épouser cette petite garce d’Albertine.
[29] perception indirecte régie partiellement mimétique :
Il commença à voir que la montagne de Sainte-Victoire ressemblait
à un immense voilier couvert de toile. Mais il garda l’image pour
lui. (Giono, Angélo, Gallimard, Folio : 145)
[30] discours indirect libre : Marcel alla se confier à sa mère : il fallait
absolument qu’il épousât Albertine.
[13] perception indirecte libre :
M. Darbédat entendit Pierre chanter dans la chambre voisine. C’était
à peine un chant, du reste ; plutôt une sorte de récitatif aigu et
précipité. (Sartre, La chambre, in Le mur, Gallimard, Folio : 58)
[31] discours direct : Marcel dit à sa mère : « il faut absolument que
j’épouse Albertine ».

70
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

[13f] */ ? perception « directe », intégrée dans un discours direct :


M. Darbédat entendit Pierre chanter dans la chambre voisine : « c’est
à peine un chant, du reste, plutôt une sorte de récitatif aigu et précipité,
se dit-il ».
[13g] */ ? Perception « directe », intégrée dans un discours direct libre :
M. Darbédat entendit Pierre chanter dans la chambre voisine ; c’est
à peine un chant, du reste, je trouve que c’est plutôt une sorte de
récitatif aigu et précipité.
[33] discours direct libre : Marcel va trouver sa mère. Il faut absolument
que j’épouse Albertine.
[34] perception directe libre (PDV avec perception directe libre en
italiques, PDV avec DIL entre crochets44) :

?[D’abord, il se plante dans les rues méphitiques d’Aubervilliers].


[À cette heure tardive, pas un pèlerin pour lui indiquer la route]. Il
stoppe la Mob au pied de l’unique réverbère que les mouflets du
coin n’ont pas dégommé au lance-pierres, retire son casque protecteur,
fouille de ses doigts gourds dans l’épaisseur de sa canadienne, en
tire un plan Paris-Banlieue, le feuillette, les yeux plissés pour mieux
distinguer les caractères minuscules dans la lumière jaunasse.
Il se trouve dans une banale avenue Jean Jaurès. [On l’attend dans
une non moins conventionnelle rue de l’Entrepôt, pour une réunion
importante dont on n’a pas voulu lui donner l’objet par téléphone.
Mystère et malabar. Ah, voilà, il n’en est pas si loin après tout ;
deuxième à gauche et troisième à droite].
Il range le plan dans l’épaisseur ouatée, rajuste son hémisphère
plastique, lance le moteur de sa machine et s’enfile deux sens interdits
avant de parvenir au but. Une voie totalement hors du temps et de
l’espace, bordée d’interminables murs aveugles, et où même les
voitures en stationnement semblent abandonnées depuis des siècles.
Il roule jusqu’à un portail grand ouvert, au fond duquel on voit de la
lumière. Dans la cour, il plante la Mob contre un mur, assujettit
l’antivol, [on ne sait jamais], et, casque au creux du bras, frappe à
une petite porte métallique sur laquelle s’écaille l’inscription « entrée
du personnel ». Des exclamations retentissent à l’intérieur, enfin,
c’est pas trop tôt, il a fait un détour par Marseille, et la porte s’ouvre
sur un Jojo hirsute et hilare, verre en main.
– Salut, Pécu. Ça fait un moment qu’on t’attend, mon salaud.
(J.C. Lebrun, Loubard et Pécuchet, Gallimard, 1996 : 9s)

PÔLE DE LA PERCEPTION/CONSCIENCE
RÉFLEXIVES, REPRÉSENTÉES
Quelques mots sur le sens de ce tableau : en montrant qu’à côté de chaque
forme plus ou moins canonique de discours rapporté, correspond une
expression plus ou moins marquée des perceptions et des points de vue, on

71
Alain RABATEL

veut souligner que le PDV ne se limite pas au mimétisme. Ainsi, le PDV


représenté connaît des degrés dans l’expression du mimétisme, comme,
d’ailleurs, toutes les autres formes du DR : il n’y a quasiment rien de commun
entre la perception narrativisée de [23]45 et le PDV représenté de [34]. Mais
l’essentiel n’est pas là : il réside à nos yeux dans l’existence d’un continuum
depuis les formes pré-réflexives jusqu’aux formes les plus réflexives, dans
une approche attentive à suivre les surgissements de la pensée et du dire
comme réponse aux sollicitations de l’extérieur, cet extérieur pouvant
endosser les formes variées des perceptions, des inférences ou des dires
d’autrui.
Ces relations entre perception, pensée et discours d’autrui renvoient
aux phénomènes de pré-verbalisation ou de sous-verbalisation de
l’expérience (à l’instar de la sous-conversation chez Sarraute), ou de post-
verbalisation de l’expérience : sorte de pensée et de parole pré-réflexive,
dont on trouve des représentations chez Proust, Musil, Broch, pour ne citer
que des grands noms, mais qui paraissent au cœur des mécanismes cognitifs
les plus généraux : je pense ici aux travaux philosophiques sur la perception
chez Berkeley, Russell, Merleau-Ponty, et aux recherches actuelles dans le
domaine des sciences cognitives, notamment à travers deux ouvrages de
Damasio (1994, 1999). Les analyses neurologiques et psychologiques de
ce dernier montrent un intéressant processus de construction des faits
psychiques, depuis les expériences physiques du corps, jusqu’aux
représentations théoriques dont elles sont l’objet, autour des relations entre
proto-soi, soi central de la conscience noyau et soi-autobiographique de la
conscience étendue. Damasio démontre en effet que l’émotion, le sentir, la
conscience sont en étroit rapport avec le corps : le fait de « sentir » des
sentiments, par exemple, augmente la portée des émotions en facilitant la
planification de nouvelles réponses adaptatives taillées sur mesure. De même
que Leroi-Gourhan (1964, 1965) ne cessait de nous rappeler que l’homme à
appris à penser par les pieds, en accédant à la station debout, ce qui favorisa
le développement du cortex, libéra la main et permit la création des outils,
en un processus d’hominisation interrompu, de même la conscience provient
chez Damasio d’une dynamique externe/interne, depuis les signaux des
viscères lorsque l’homme est en interaction avec les objets, jusqu’aux
analyses de ces signaux, à la construction du sentiment, de la conscience.
Comme l’a théorisé Comte-Sponville (1988 : 304-305, 1994 : 225s), c’est
toujours cette dialectique matérialiste du primat et des primautés qui est à
l’œuvre : primat des pieds, des viscères, de l’économique, de la langue et
primauté des processus réflexifs ou interprétatifs, dans une dialectique où
la parole (y compris la parole intérieure) vient de l’extérieur, et où, selon la
magnifique formule de Bergounioux, « le for est produit par le forain »
(Bergounioux, 2001) : on mesure à cette aune l’intérêt des analyses

72
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

sémantiques et syntaxiques croisées entre verba sentiendi, verba dicendi et


verba putandi notamment.

Conclusion prospective
Ainsi, il semble qu’il faille amender46 la définition de Rosier (1999 : 125)
en insistant sur le fait que l’autre n’est pas seulement un locuteur différent,
mais encore soi-même, et surtout en mettant en avant l’importance de la
problématique de la (pré)réflexivité : le DR sert non seulement à se citer,
mais encore à représenter des niveaux d’appréhension des phénomènes (cf.
la problématique des sources évidentielles), dans des espaces mentaux
différents.
D’où l’essai47 d’amendement suivant :
le discours représenté est la mise en re-présentation d’espaces
énonciatifs distincts et hiérarchisés par le locuteur citant. Ces espaces
énonciatifs peuvent provenir
• de locuteurs différents (l1 et l2), définis ou indéfinis ;
• de points de vue distincts d’un seul locuteur (L1 représente des
propos de E1, e2) ;
• d’un énonciateur à l’origine d’un point de vue, sans être représenté
dans le DR comme locuteur (L1 représente le point de vue de e2).
Cette mise en re-présentation est sémantiquement et syntaxiquement
variable :
• selon la nature des phénomènes représentés, parole et/ou pensée et/
ou perception ;
• selon la nature du lien entre le discours citant et le discours cité ;
• selon la nature de la représentation du « discours » cité : comme
discours de L2 ou comme point de vue de e2, sans que ce dernier
n’ait été représenté comme locuteur de son point de vue ;
• selon les formes de prise de distance envers telle ou telle manière
de dire et/ou de penser et/ou de percevoir : distance temporelle,
épistémique (perception, inférences, dire d’autrui), axiologique, etc.

Reste à préciser, à partir de l’analyse de ces formes pré-réflexives, ce qu’on


entend par DR. Si l’usage a longtemps hésité entre style et discours, on ne
parle plus guère aujourd’hui que de style indirect libre, dans la mesure où
l’effacement énonciatif est tel que certains répugnent à parler de discours
indirect libre. Quoi qu’il en soit, style ou discours, les deux termes signifient
que le DR échappe au cadre de la grammaire stricto sensu et déborde du
cadre linguistico-discursif vers la rhétorique ou la stylistique (au sens premier
du terme chez Bally comme l’inscription du sujet parlant dans son discours,
en l’occurrence, à travers les mécanismes énonciatifs au cœur du rapport
des dires d’autrui). En ce sens, le discours renvoie bien aux énonciations
différentes qui s’imbriquent et se hiérarchisent dans le DR.

73
Alain RABATEL

Certes, ce terme de discours n’est qu’une approximation très peu


satisfaisante, tant par rapport au concept de parole (vs langue) que par rapport
au caractère multiforme des paroles, des pensées et des perceptions
représentées. Il est clair que ce qui est rapporté déborde du cadre des paroles :
mais malgré ces inconvénients, on ne saurait ignorer le fait que ce sont
massivement des paroles qui sont rapportées (ainsi que le rappellent
opportunément les analyses quantitatives de Vincent et Dubois 1997) et que
le verbe
dire est le verbe d’introduction neutre du discours rapporté puisqu’il
est utilisé indifféremment pour marquer le discours direct ou indirect
et les échanges rapportés, toutes catégories d’emploi confondues – à
l’exception de l’actualisation de paroles –, et ce pour l’ensemble des
locuteurs.
(Vincent et Dubois, 1997 : 10648)

Va donc pour discours, donc, avec toutes les réserves d’usage (et de mention)
qui s’imposent… Si, dans l’expression « discours rapporté », le terme de
« discours » paraît devoir être conservé, parce qu’il ne s’en présente pas de
meilleur, en revanche celui de « rapporté » est nettement problématique,
parce que le DR ne rapporte pas toujours des propos déjà formulés.
D’où la notion alternative de représentation. Dans La construction
textuelle du point de vue, cette notion était commentée ainsi :
La représentation [d’une perception représentée] est à la fois une
REPRÉSENTATION, en un seul mot, et une RE-PRÉSENTATION,
en deux mots. D’une part, il s’agit d’une représentation d’abord au
sens de l’expression « mimétique » d’une perception, ensuite au sens
d’une mise à distance, d’une mise en valeur d’une perception (comme
dans une représentation théâtrale, par exemple)49, les perceptions et/
ou les pensées représentées étant mises en relief par rapport à la trame
événementielle. Il s’agit d’autre part d’une «RE-PRÉSENTATION»
en ceci que le texte re-présente les perceptions, par le biais de l’IMP :
en effet, ces perceptions, qui appartiennent au passé, sont
présentifiées, présentées comme «quasi-présentes», selon la formule
de Ricœur.
(Rabatel, 1998 : 24)

Plus fondamentalement, ce qui est en cause avec la notion de représentation


renvoie à la scénographie énonciative au cœur du DR : même si cette
expression a le défaut d’être (comme celle de discours rapporté) passible
d’une lecture mimétique, elle est à tout prendre moins plate50 que celle de
rapport, dans la mesure où elle laisse mieux entendre les calculs
pragmatiques du locuteur/énonciateur du discours citant pour rendre compte
des dires et/ou des pensées et/ou des perceptions d’autrui selon l’usage

74
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

qu’il en a dans le hic et nunc de son énonciation. Certes, cette dimension


n’est pas ignorée des tenants du « discours rapporté », mais ils la considèrent
comme seconde, relativement aux mécanismes de transposition (des
personnes, temps, des déictiques temporels et spatiaux) qui découlent du
rapport par L1 des dires de l2. On comprend que, pour nous, la notion de
représentation, tout en intégrant la question des transpositions, met en avant
l’importance des calculs énonciatifs, à même de rendre compte de bien des
« dysfonctionnements » qui sont le pain quotidien des analystes du DR.

NOTES

1. Joly (1987 : 11-13).


2. Dont les travaux ont fleuri dans un contexte structuraliste profondément
influencé par la psychanalyse (Lacan 1966, notamment) ou l’analyse des discours.
3. Cf. la définition proposée par Rosier : « Le discours rapporté est la mise en
rapport de discours dont l’un crée un espace énonciatif particulier tandis que l’autre
est mis à distance et attribué à une autre source, de manière univoque ou non »
(Rosier 1999 : 125). Cf. encore celle qu’elle propose dans sa conclusion : « La
définition du discours rapporté selon un principe sémantique de rapport entre soi
et l’autre a trouvé sa traduction linguistique dans la personne grammaticale, symbole
du passage énonciatif du dire l’autre vers le dire soi » (Rosier, 1999 : 299). Ces
définitions sont centrées sur un rapport entre soi et l’autre qui passe par des paroles,
et des locuteurs différents. Notre approche, sans rejeter ces analyses, qui forment
bien évidemment le cœur du phénomène du DR, vont jusqu’à inclure dans le rapport
de soi à l’autre les postures énonciatives : dans ce cas, ce qui est rapporté/représenté
concerne des énonciateurs différents (renvoyant à des locuteurs différents, comme
le dit Rosier) voire des énonciations distinctes d’un même locuteur qui prend ses
distances envers telle ou telle manière de voir, penser, dire…
4. Cf. encore, pour une approche herméneutique de la question, Soi-même comme
un autre, de P. Ricœur. Sans entrer ici dans une discussion détaillée des thèses de
Ricœur, on dira qu’en insistant sur cette conception de soi(-même) comme un autre,
on partage la thèse du primat de la médiation réflexive sur la position immédiate du
sujet, qui se marque à travers le pronom réfléchi de la troisième personne. On
partage également la distinction entre le même comme idem (identité-mêmeté,
caractère, permanence dans le temps), ou comme ipse (maintien de soi par ipséité,
indépendant de la perpétuation du même, soi-même étant appréhendé comme
semblable à un autre, en tant que autre), distinction qui est au cœur de la conception
du récit comme manière de résoudre la question du devenir humain et de répondre
à la force dissolvante du temps par la construction d’une identité narrative complexe,
faite du même et de l’autre (Ricœur, 1990 : 168-169, 195-198). Cette distinction
est très productive, y compris sur le plan éthique, politique ou ontologique : mais
ceci est une autre histoire… (Ricœur, 1990 : septième et neuvième études). Il nous
semble que, ramenée à notre propos, cette dialectique de la mêmeté et de l’ipséité
est susceptible d’ouvrir de vastes horizons à l’analyse énonciative.

75
Alain RABATEL

5. Sur ces questions, cf. Rabatel (2001b : 236), Rabatel (2001d : 88-93) et
Damasio (1994), (1999) sur les relations entre perceptions du proto-soi et pensées
du soi.
6. Cf. Vincent et Dubois (1997 : 122-123, 132-133).
7. « Dès les origines antiques, la réflexion sur le discours rapporté n’est pas
grammaticale : elle touche à la fois à la rhétorique et aux figures de style d’une
part, à l’autorité et à la citation d’autre part » (Rosier, 1999 : 25).
8. Telle qu’elle est développée dans Bergounioux (2001).
9. DR : discours rapporté ; DD : discours direct ; DDL : discours direct libre ;
DI : discours indirect ; DIL : discours indirect libre ; DN : discours narrativisé (ou
P-R : psycho-récit) ; MI : monologue intérieur ; PDV : point de vue ; RNA : compte-
rendu narratif d’une action.
10. Cf. Vion (2001), Philippe (2002), ainsi que Rabatel (2002a), (2003g) ; cf.
également Charaudeau et Maingueneau (2002 : 226).
11. Une exception notable, Weinrich (1989). Certes, on n’a garde d’omettre ici
le très stimulant ouvrage de Franckel et Lebaud (1990) consacré aux verbes de
perception, sentiment et connaissance : mais l’analyse n’aborde pas la question du
discours rapporté. En revanche, elle apporte beaucoup d’eau à notre moulin,
relativement aux proximités syntaxiques et sémantiques de certains verbes de
perception, de sentiment (de pensée) et de connaissance, ou encore à propos des
degrés d’intentionnalité de la perception (et donc aussi des degrés de savoir corrélé
à ladite perception) : cf. Franckel et Lebaud (1990 : 26-28, 38-40, 55-57, 100,
notamment, ainsi que 195-200, 231s). Au surplus, leur ouvrage apporte de l’eau au
moulin de la disjonction locuteur/énonciateur en insistant sur le fait que le repère
(ou le site, ou l’ancrage) énonciatif ne va pas toujours de pair avec le support modal
à l’origine des qualifications, modalisations, évaluations, susceptibles de renvoyer
à un énonciateur distinct du locuteur : cf. infra, note 16.
12. On considère que par défaut, dès lors que le locuteur ne marque pas de
distance (formes de modalisation du dire et/ou du dit, intonation, mimiques faciales,
gestes para-verbaux à l’oral, guillemets, italiques ou autres signes à l’écrit), il adhère
au contenu propositionnel énoncé. En contexte interactionnel, ces signaux sont en
principe interprétés comme tels par le co-énonciateur. Dans les cas de communication
différée, tels les textes littéraires, en l’absence de feed-back, c’est la règle par défaut
qui prévaut seule.
13. Banfield récuse une disjonction entre sujet de conscience et locuteur, ainsi
que le rappelle Reboul :
Règle de l’unicité du sujet de conscience
1. Pour toute phrase au style indirect libre ou au discours direct, il y a au plus un
référent, appelé le sujet de conscience, auquel tous les éléments expressifs [i.e.
éléments déictiques] sont attribués. Ce qui signifie que toutes les réalisations du
sujet de conscience sont coréférentielles.
2. S’il y a un je, je est coréférentiel avec le sujet de conscience. En l’absence de
je, un pronom personnel à la troisième personne peut être interprété comme sujet
de conscience.
3. Si la phrase est reliée de façon anaphorique au complément d’un verbe de
conscience, son sujet de conscience est coréférentiel avec le sujet ou l’objet indirect
de ce verbe. (Mœschler et Reboul, 1994 : 337).

76
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

Cette analyse est critiquable parce que la conception même du sujet de conscience
est ambiguë : en effet, tout se passe comme si le sujet de conscience se limitait
d’une part au centre déictique stricto sensu. Dans ce cadre étroit, alors les remarques
de Banfield et de Reboul sur l’unicité du sujet de conscience sont évidemment
acceptables. Dans le DIL, la déixis du discours cité est nécessairement transposée,
le « je » du discours cité devient « tu » (ou n’importe quelle autre expression
coréférentielle), pour l’interlocuteur, ou « il », pour un tiers, faute de quoi la référence
serait inaccessible. Mais une chose est le marquage du centre déictique, qui renvoie
bien à une personne grammaticale, ou à un locuteur, autre chose le marquage de la
subjectivité, qui déborde la présence du « Je-ici-maintenant », et qui peut s’exprimer
polyphoniquement dans le lexique, comme c’est le cas avec l’ironie. Dans ce cas,
on voit bien que le locuteur d’un propos ironique rapporte un propos dont il se
distancie : il est locuteur (L1), et il n’assume pas, en tant qu’énonciateur E1, le
propos qu’il prête à un énonciateur e2. Il y a un centre déictique mais deux sujets
de conscience. Reboul (2000) prend nettement ses distances avec l’analyse de
Banfield, qu’elle rapportait sans distanciation claire dans Reboul (1994), notamment
lorsqu’elle résumait l’analyse de Ducrot en regrettant une multiplication des êtres
théoriques susceptibles de décrire l’énonciation (mais sans argumenter (Reboul
1994 : 340)). Or cette multiplication est toute relative : dans la plupart des cas, on
a besoin de E1 et de e2 qui peut renvoyer à un interlocuteur identifiable, ou à
l’énonciateur de la doxa ou à un énonciateur indéterminé.
14. Non pertinence qui fonctionnerait tout autant si le texte remplaçait « argent »
par « jambon », ou « le chat prenait l’argent » par « le voleur prenait l’argent »
pourtant plus acceptables : car le problème est moins dans le mode de donation des
référents de chacune des propositions que dans les conséquences tirées de l’une à
l’autre : cet « abus de déduction » est bien mis en valeur par Jaubert.
15. Reboul situe son analyse du DIL dans le cadre de la théorie de l’interprète
(Dennett, 1990), qui considère que l’accès aux pensées n’est pas le privilège exclusif
de la fiction (vs la thèse de K. Hamburger, qui l’amenait à considérer que le DIL
était exclusivement réservé à la fiction littéraire). Selon Dennett, les individus, en
tant qu’agents rationnels, sont dotés de croyances, de désirs et autres états mentaux,
en sorte que la prédiction qu’on peut faire sur autrui repose sur la capacité à lui
prêter des états mentaux, et sur la possibilité linguistique de les représenter
(phénomènes qui expliquent que la fiction recourre avec prédilection au DIL). Le
DIL relève du discours interprétatif (Sperber et Wilson, 1989 : 343-348) en général,
et « sur une échelle qui irait de la plus à la moins grande fidélité au discours ou aux
pensées représentées, il se situerait vers le pôle de la plus grande fidélité, ce qui
explique tout à la fois son poids explicatif pour l’application de la stratégie de
l’interprète et le rôle que lui ont souvent attribué les récits de fiction » (Reboul,
2000 : 28).
16. Cf. Franckel et Lebaud (1990 : 22ss, 207-209) : ils distinguent, à propos
des procès de perception, deux cas : a) cas où la prédication d’un événement perceptif
est indissociable de sa qualification par le repère ; b) cas où la prédication d’un
événement perceptif dissocie la situation de la notion (opération symbolisée QNT,
pour délimitation quantitative) dans l’espace et le temps de la spécification de la
notion (opération symbolisée par QLT, pour délimitation qualitative). Le cas b)

77
Alain RABATEL

revient à dire que le repère (ou encore le site, ou l’ancrage énonciatif) est disjoint
du support modal.
17. Convenons que L1 renvoie au locuteur premier (ou citant, rapporteur,
enchâssant, etc.) et que E1 renvoie à l’énonciateur premier, lorsque L1 assume
immédiatement ce qu’il énonce. Lorsque L1 cite ou rapporte ou mentionne des
propos ou des points de vue d’une source énonciative distincte, avec laquelle il
peut être en accord (médiat) ou en désaccord, on dira que ces propos ou points de
vue cités, rapportés, enchâssés réfèrent à une instance e2. Dans le cadre de la
problématique énonciative dans les récits, L1 = N1 (c’est à dire le narrateur premier),
et chaque fois que L1 / N1 assume ses propos, on est face à un syncrétisme L1 / N1
/ E1. Je reviendrai plus loin sur ces schématisations. Je mentionne d’emblée le
caractère problématique, voire quasiment aporétique (en première approximation
du moins) de l’existence de L1 / N1 / E1, dans les cas, très fréquents, de narration
anonyme.
18. C’est la conjonction de la disjonction potentielle du locuteur et de
l’énonciateur, mais encore du repère et du support des qualifications et modalisations
qui explique la plupart des formes intermédiaires qui font éclater la tripartition
traditionnelle des formes du DR. Ce qui explique que les DI ne relèvent pas de la
dérivation du DD ni ne s’analysent en termes de fidélité avec un hypothétique DD :
ils relèvent d’une scénographie énonciative, oscillant entre une énonciation montrée
et une énonciation rapportée, selon une progression que Combettes (1990 : 109)
symbolise ainsi :
1 2 3 4
Marques de « Temps » Déictiques Lexique
personne du verbe temporels et (« niveaux » de langue/
spatiaux langues différentes…)
traduction d’un point de vue
On est ici face à un continuum, le DD reposant sur la présence de 1, 2 et 3,
tandis que 4 peut révéler des traces du point de vue du locuteur rapporteur. Quant
au DI, il conserve d’abord 4, puis 3, et beaucoup plus difficilement le système
temporel de l’énonciation initiale, 1 étant exclu. D’où cette conclusion pratique de
Combettes :
plutôt que de « classer » les trois types de discours rapportés en fonction d’une
plus ou moins grande fidélité à l’énoncé initial, il paraît plus utile d’observer
comment, par quels procédés, chaque DR peut signaler une intervention de
l’énonciateur rapporteur, marquer au contraire la présence de l’énonciation
première, s’attacher à la relation d’un signifié ou d’un signifiant, etc. Ces
procédés correspondent à un ensemble organisé et ordonné ; prendre en compte
cette organisation permet de travailler sur les variations, les sous-catégories,
qui apparaissent à l’intérieur des trois grandes classes habituellement reconnues.
(Combettes 1990 : 110)
Le continuum qu’évoque Combettes renvoie à l’idée que les relations locuteur/
énonciateur sont plus complexes que ce qu’en laissent penser les représentations
grammaticales traditionnelles du DR. Autrement dit, ce continuum n’est possible
que parce qu’il repose sur des relations de conjonction, et, surtout, de disjonction
locuteur / énonciateur tous azimuts.

78
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

19. Il est vrai que Rivara fait un usage large (lâche, à vrai dire) de la notion de
repérage (cf., dans la citation que nous reproduisons, quand il évoque « le repérage
sa mère » : il s’agit en réalité d’une qualification (ou d’une identification), plus que
d’un repérage, terme qui doit plutôt être réservé aux repérages déictiques et
anaphoriques. Cf. encore Rivara (2000 : 144). NB : toutefois, Rivara revient plus
justement sur ce point, en passant, Rivara (2000 : 161).
20. Cf. Danon-Boileau (1987 : 64).
21. Le premier énonciateur dont il s’agit est l’énonciateur du discours cité,
antérieur au discours citant. Dans notre symbolisation, il s’agit de e2. On voit que
nous ne privilégions pas une hypothétique reconstruction génétique des paroles,
nous adoptons le point de vue descriptif et hiérarchique qui consiste à donner le
premier rôle au discours citant, hiérarchiquement supérieur.
22. Il est vrai que si [6c] est acceptable, les mêmes propositions, disposées dans
un ordre différent, produiraient un effet incohérent :
[6d] Œdipe fit part de ses projets aux citoyens de Thèbes : il allait épouser
cette malheureuse Jocaste. Malheureuse, ne l’était-elle pas au suprême
degré, en ajoutant à la douleur du deuil l’horreur de l’inceste ? Mais
surtout, « La dignité de Jocaste dans son malheur est émouvante,
ajouta Œdipe, et la rend particulièrement désirable ».
Cette incohérence provient du fait que l’ordre des propositions de [6d] inverse
la hiérarchie pragmatique entre L1 et l2. C’est cette inversion qui rend l’énoncé
inacceptable, et non le cumul des deux modus pour « malheureuse ».
23. Et il a son équivalent narratologique dans le fait que y compris (on est même
tenté de dire : surtout) lorsque le récit développe le PDV d’un personnage, il construit
dans le même temps le PDV du narrateur sur le personnage et sur le PDV du
personnage. Cf. Rabatel (2000c, 2001a).
24. « Classe » complexe, elle-même reposant sur un continuum, depuis les
formes les plus embryonnaires du DDL jusqu’aux formes (plus ou moins, ici encore)
développées du monologue intérieur : sur ce point, cf. Rosier (1999 : 271-297) et
Rabatel (2001e).
25. C’est le titre, on s’en souvient, d’un article de Simonin-Grumbach (1984).
26. Évidemment, du fait que le PDV de l’énonciateur-personnage est « rapporté »
tout en étant « montré » (représenté) dans la voix du locuteur-narrateur, il est fort
possible que le narrateur exprime lui aussi un PDV à l’égard de ce qu’il rapporte :
ces manifestations de distance ou de consonance ont fait l’objet de plusieurs
parutions : cf. Rabatel (1998 : 172-188, 2000c, 2001a). On considérera que par une
tacite convention, l’état non marqué laisse entendre que le locuteur ne juge pas
utile de marquer une distance ou une approbation explicites, et donc que le contenu
propositionnel rapporté est fiable, ou va de soi.
27. Le fait que la subjectivité de la personne de Milan s’exprime par un IL,
alors qu’en principe la subjectivité relève du JE/ICI/MAINTENANT est également
confirmé par les valeurs subjectives exprimées par le mode de donation des
référents : ainsi l’origine subjective du PDV signifie-t-elle deux choses bien
différentes : d’une part, qu’il y a une origine énonciative spécifique (un centre
déictique) : c’est Milan qui perçoit, et le narrateur ne fait que rapporter cette
perception ; d’autre part, cette perception est saturée de subjectivèmes (mais on

79
Alain RABATEL

sait que la perception de Milan pourrait comporter moins de subjectivèmes, voire


tendre vers une certaine objectivité, sans cesser pour autant d’être la perception de
Milan). Ainsi, le PDV représenté repose sur l’expression de perceptions expansées,
commentées, qui sont, de ce fait, plus ou moins chargées de procès mentaux. En ce
sens, le PDV de [7] intrique moins de pensées et de perceptions que [8] : mais il
n’en reste pas moins que du fait du discordanciel énonciatif, [7] doit être interprété
à la fois comme une perception « objective » des bâtiments (soumise à un jugement
de vériconditionnalité) et comme un ensemble de traces trahissant la subjectivité
de l’énonciateur : même si la perception de Chauvieux est moins intentionnelle et
moins analytique que celle de Milan, elle reste néanmoins saturée de subjectivèmes :
« étroites », « chétives », « vives et austères », « vastes », « vitreux », « étouffé et
profond ».
28. Les analyses précédentes portent sur des récits hétérodiégétiques, mais les
fondements énonciatifs sur lesquels elles reposent sont également pertinents pour
des récits à la première personne : la disjonction locuteur/énonciateur fonctionne
tout aussi bien à l’égard des personnages qu’envers le narrateur, selon qu’on distingue
je-narré et je-narrant :
[9] Je dis à Albert de stopper et il rangea l’auto le long du trottoir, à une
courte distance de la rue qui coupait le boulevard. Une charcuterie
s’érigeait à l’angle. Son rideau baissé, jaune, décoré d’une frise
d’entrelacs dans le bas et frappé en son centre d’un Comestibles de
premier choix en lettres d’un bleu passé, faisait penser à un rideau
de théâtre Guignol. Je trouvai cela pas mal du tout, parce que c’était
par là que des guignols devaient arriver. Tout étant prêt pour la
représentation, on allait bien rire.
(Malet, La vie est dégueulasse, 10/18 : 19)
Le PDV (en italiques) comprend d’abord les perceptions du je-narré, le
personnage situé dans le hic et nunc de l’action, puis ses pensées (optimistes, à ce
moment-là, alors que le drame est imminent : mais le je-narré ne le donne pas à
entendre).
29. Cf. Rabatel (1998 : 55-59). P correspond à la (ou aux) proposition(s) dans
laquelle la perception est représentée.
30. Cf. Rabatel (1998 : 62-78), pour les inférences sur l’énonciateur et pour le
remplacement du verbum sentiendi par un verbe de mouvement, et Rabatel (2000d:
57-65), pour la double mimésis.
31. Pour une analyse plus détaillée de ces effets argumentatifs indirects, cf.
Rabatel (2000a, 2000d, 2001d et 2003c, 2003f).
32. Il va de soi que cet effacement énonciatif, caractéristique des PDV représentés
en contexte hétérodiégétique, ne leur est pas propre : le on-dit, la rumeur, le DIL,
et, en réalité, nombre de formes du DR peuvent fort bien s’accommoder de
l’effacement énonciatif. Faute de place, on n’abordera pas ici cette question, reprise
dans Rabatel (2003a). On se bornera à évoquer le cas du DD, a priori peu concerné
par cette problématique. Ce dernier est loin d’être toujours marqué par la structure
conventionnelle [dire : « … »]. Rosier (1999 : 208s) en liste 16 variations différentes,
uniquement centrées autour du verbum dicendi, et des signes typographiques ; à
quoi s’ajoutent les variations avec lexème introducteur, avec marqueurs de littéralité

80
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

(cf. dixit, sic), les traces de DD dans le récit du narrateur (= « vocifération », i.e. la
mention de traits idiolectaux, sociolectaux, etc. ou la caractérisation d’habitus du
locuteur cité), le DD avec que, ou avec verbes de mouvement, autrement appelées
zero quotatives (Rosier 1999 : 210-221). Le nombre de ces tournures serait accru si
l’on prenait en compte les spécificités du marquage de l’oral : ainsi que Blanche-
Benveniste le remarquait (1997 : 109s), à l’oral, on sait qu’il y a parole, sans qu’on
puisse savoir qui parle : on retrouve là la problématique des zero quotatives analysée
par Mathis et Yule (1994), c’est-à-dire l’existence de discours direct sans mention
de verbe de parole, et/ou sans caractérisation explicite de la source énonciative,
l’attribution des paroles dépendant de la structure de l’échange conversationnel.
33. Cf. Benzakour (1990) pour l’analyse des verbes de perception expérientielle
(« je vois Pierre qui arrive »), des verbes dénotant une activité perceptive
intentionnelle, inférentielle (« je vois que son état empire ») ou représentationnelle
(imaginative) (« je vois mal Pierre réussir ce concours ») : dans tous les cas, la
perception est plus ou moins intriquée aux procès mentaux. Nous ne développons
pas ce point, abordé dans Rabatel (1998 : 19-21).
34. C’est-à-dire des verbes ayant une importance particulière pour la méta-
communication linguistique : cf. les verbes exprimant une perception extérieure
du type entendre, voir, sentir, les verbes indiquant une perception extérieure du
type penser, rêver, imaginer, ou exprimant une volonté, un jugement sur une situation,
tels vouloir, désirer, espérer, ou approuver, réprouver, reconnaître (Weinrich, 1989 :
468). La lecture des exemples précédents montre qu’il s’agit d’une catégorie fourre-
tout. Nous ne discutons pas ce point, nous constatons seulement que l’impossibilité
de définir clairement cette catégorie plaide en faveur de la notion subsumante de
verbes de procès mental.
35. À ces quatre classes de verbes, Weinrich rajoute tout autre signe signalant
un segment de texte comme opinion rapportée : « voici sa réponse », « alors moi,
tout bas : […] », « lui, à l’oreille de sa femme : […] », « puis elle sur le même
ton ».
36. Dès que le verbum sentiendi est construit avec que, ou si, il acquiert une
intentionnalité et une dimension interprétative qui le fait s’apparenter à un verbe de
structuration, selon la définition qu’en donne Weinrich. Il faudrait se livrer à des
analyses étendues sur les verba sentiendi pour préciser si ce phénomène est
généralisable : le phénomène se vérifie pour « entendre » vs « entendre que/si »,
avec « voir », vs « voir que/si » (verbes de structuration), ou encore avec « goûter »
vs « goûter si » (verbe de structuration), mais il semble ne pas fonctionner avec les
verbes qui ne peuvent se construire avec si, que (« toucher »), voire avec des verbes
qui admettent l’une des constructions (« écouter si ») tout en restant un verbum
sentiendi.
37. Transitivité qui, au demeurant, ne fait aucun problème lorsque la perception
représentée est sous la rection d’un subordonnant, comme en [18], [27] ou [29].
38. Rosier (1995).
39. D’après Fónagy (1986 : 264-266), les verbes secondaires (distincts des verbes
de parole dénotant une attitude propositionnelle) dénotent un comportement non
verbal : bruit humain non verbal, bruit mécanique, mimétique du visage,
mouvements physiques, comportement social, stratégies conversationnelles, attitude

81
Alain RABATEL

émotive (sans impliquer un acte de parole) : cf. rire, s’extasier, saliver… Selon
Fónagy (et, avant lui, Zsigmond Simonyi), l’importance croissante de ces verbes
secondaires résulterait d’une évolution diachronique au cours de laquelle le verbe
de parole modifié par le complément adverbial (dit en s’extasiant ‡ s’extasia) aurait
été éliminé au profit du complément, qui devient ainsi marqueur de DD en l’absence
du verbe primaire (Fónagy, 1986 : 269, apud Tuomarla, 2000 : 130). On notera que
ces verbes secondaires sont de plus en plus nombreux surtout en incise, davantage
qu’en situation introductive du DD (Kerbrat-Orecchioni, 1979 : 352, Fónagy, 1986 :
271, et Rosier, 1993 : 383). Néanmoins, même si ces verbes se construisent plus
« naturellement » en incise, ils se rencontrent aussi avec le verbe avant le DD,
comme l’exemple [16] avec « explose ». Ces tournures, ainsi que l’écrivent Rosier
et Tuomarla, se répandent de nos jours, pas seulement dans la presse. Il est de fait
que le caractère inhabituel de ces emplois est parfois souligné, à des fins parodiques,
par le choix de verbes de « parole » inattendu, cf. :
[14] « Du calme, Béru ! maussadé-je. » (San-Antonio, Votez Bérurier !,
Fleuve Noir, 1969 : 126)
[15] « – La première fois que vous voyez un mort ? sarcastise Bérurier. »
(San-Antonio, Si ma tante en avait, Fleuve Noir, 1978 : 82)
40. C’est un truisme de remarquer la pauvreté des verbes de parole dans les
grammaires : cf. les études d’Authier et Meunier (1977 : 48) et de Peytard (1993).
Il ne s’est guère produit d’amélioration significative depuis.
41. Selon J. Authier (correspondance privée), alors le PDV est du DIL : c’est
tout à fait possible, mais à la condition de ne pas limiter le DIL aux cas où il renvoie
à des paroles ou à des pensées (avec ou sans verba dicendi ou putandi), mais de
l’étendre aux verba sentiendi. Or il faut bien reconnaître que nombre de cas litigieux
de DIL renvoient à des perceptions, avec ou sans verbum sentiendi, ce qui oblige à
des inférences coûteuses. Si l’on maintient ici la distinction, c’est parce que l’on
veut insister sur la différence entre des occurrences de DIL non problématiques
avec verbe de pensée, et des occurrences plus problématiques en l’absence de verbe
de pensée : dans ce cas, il faut reconstruire un mécanisme inférentiel à partir d’un
mouvement et/ou d’une perception, cf. Rabatel (2003d).
42. Avec des compléments pour la perception directe (exemples [13f] et [13g])
et pour la perception directe libre exemplifiée en [34].
43. Il va de soi que ce continuum renvoie à des représentations discutables,
conventionnelles.
44. La frontière entre PDV et DIL n’est pas toujours nette : ainsi de « il se
trouve dans une banale avenue Jean Jaurès », ou « une voie totalement hors du
temps et de l’espace » ; celle entre ces formes de DR et le récit pas davantage,
compte tenu du fait que l’interprétation peut hésiter sur la part du récit « objectif » et
sur l’importance de la prise en charge de la diégèse par le point de vue du personnage
focalisateur : d’où le point d’interrogation devant la première phrase, qui peut-être
interprétée soit comme du récit pris en charge par le narrateur, soit comme une
sous-verbalisation de l’événement par le personnage. Ces flottements ont été
analysés plus particulièrement dans Rabatel (2001f).
45. Rappelons que cette perception narrativisée est très proche de ce que nous
avons nommé PDV raconté dans Rabatel (2000a : 209-225, 2000b : 69, 2001a :
156-8, 2001c : 158-162).

82
Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif…

46. Amender, et non remplacer : car il est important de ne pas passer par pertes
et profits (et l’occurrence, par perte) la notion grammaticale du rapport, sous le
prétexte de tordre le coup au mimétisme. Pour autant, il ne paraît pas inutile de
mettre les points sur les i pour pouvoir rendre compte de cas de disjonctions locuteur
/ énonciateur, autrement dit de cas d’effacements énonciatifs qui sont loin de ne
concerner que le PDV. En réalité (mais la place fait défaut pour en donner une
exemplification) la plupart des formes traditionnelles du discours rapporté peuvent
faire l’objet d’un effacement énonciatif plus ou moins fort par L1 (cf. Rabatel,
2003a).
47. Il s’agit bien d’un essai, avec toutes les précautions d’usage.
48. Cf. encore Vincent et Dubois (1997 : 81 ss).
49. Nous écrivions en 1998 que cette représentation allait de pair avec l’emploi
de l’IMP, qui est l’instrument privilégié de la mise en relief, dans le cadre de
l’opposition fonctionnelle des plans, et nous citions Pouillon, pour qui l’IMP des
romans a une signification plus spatiale que chronologique : « il nous décale de ce
que nous regardons [...] Il ne signifie pas que l’événement a pris fin. Au contraire,
le romancier veut nous faire participer à cet événement [...] L’imparfait de tant de
romans ne signifie pas que l’événement est dans le futur de son personnage, mais
tout simplement qu’il n’est pas son personnage, qu’il nous le montre » (Pouillon
1946 : 163). Avec le recul, cette analyse de 1998 paraît devoir être approfondie car
la notion de représentation dépasse le cadre des récits, et ne se limite pas aux valeurs
de l’imparfait, car elle prend un sens fondamental avec le cumul de l’usage et de la
mention dans le cadre des discours représentés, tout comme avec le cumul des
valeurs descriptive et interprétative : cf. Rabatel (2003b) et (2003e).
50. D’où les tentatives de redénomination qui se sont succédé : discours relaté
(Peytard, 1993), représenté (Roulet, 2000 : 192), ou encore les différences de
dénomination du phénomène en anglais ou en allemand (Rosier, 1999 : 46ss).

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